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Recension

Publié dans :
De l’anarchisme aux courants alternatifs (XIX-XXIe siècles), Marie-Claude Chaput (éd.), Regards, n°
9, 2006, Paris X-Nanterre-Publidix, p. 439-442.

VEGA, Eulàlia, Entre revolució i reforma: la CNT a Catalunya (1930-1936), pròleg de Josep
Termes, Lleida, Pagès Editors (Collecció Seminari, Sèrie Catalònia ; 17), 2004, 454 p.
[18x24 cm ; ISBN : 84-9779-102-9]

Connue pour ses travaux sur la dissidence dans le mouvement anarcho-syndicaliste


des années trente (El trentisme a Catalunya. Divergències ideològiques en la CNT (1930-
1933), Barcelona, Curial, 1980, 304 p. ; Anarquistas y sindicalistas durante la Segunda
República. La CNT y los Sindicatos de Oposición en el País Valenciano, Valencia, Edicions
Alfons el Magnànim-Institució Valenciana d’Estudis i Investigació, 1987, 290 p.), Eulàlia
Vega nous propose un nouvel ouvrage nécessaire. Il manquait, en effet, une synthèse qui
portât sur l’activité syndicale en Catalogne à cette période charnière de l’histoire de la
Confédération nationale du travail (CNT). Fruit d’une dizaine d’années de recherches, ce livre
est basé sur la thèse doctorale de l’auteur, soutenue en 1986 et mise à jour.
Durant la Seconde république, la CNT s’employait à retrouver l’hégémonie qui avait
été la sienne avant la dictature de Primo de Rivera, époque dont avait profité la centrale
socialiste, l’Union générale des travailleurs (UGT), pour accroître son influence. Outre la
concurrence extérieure, la CNT devait faire face à une lutte de tendances dans ses propres
rangs. Communistes et « trentistes », hostiles à l’orientation radicale imposée par la
Fédération anarchiste ibérique (FAI), furent expulsés et créèrent des syndicats autonomes à
partir de 1933, qui organisèrent des « fronts uniques » avec l’UGT. Certains furent même
tentés par l’aventure politique et fondèrent un Parti syndicaliste. La Confédération régionale
du travail de Catalogne (CRT) perdait ainsi des cadres prestigieux tels que Ángel Pestaña,
Juan Peiró, Francisco Arín, Juan López et des fédérations locales importantes comme
Sabadell, Manresa et Mataró, tandis que le patronat catalan se montrait inflexible dans une
période de crise économique, sociale et politique aiguë. Parallèlement, la répression exercée
par les autorités républicaines nationales et régionales (Généralité) s’abattait avec d’autant
plus de force que la CNT avait opté pour la confrontation. Lorsque la droite revint au pouvoir,
la CNT était affaiblie et le prolétariat divisé. Les stratégies divergentes des radicaux et des
« trentistes » catalans avaient toutes deux échoué. Les conséquences de l’insurrection
d’octobre 1934 et le péril fasciste finirent par inciter la CRT et les Syndicats d’opposition à
négocier une réunification en 1936, qui ne fit pas l’unanimité.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, Eulàlia Vega s’attache à caractériser le stade de
développement industriel de la Catalogne et la nature des rapports sociaux à la fin des années
vingt. Elle considère que la présence prédominante d’un secteur artisanal familial, l’arrivée
par immigration interne d’une population ouvrière sans tradition de lutte syndicale et la
féminisation de certains emplois industriels constituent des facteurs à prendre en compte pour
comprendre les divergences idéologiques et culturelles au sein du mouvement ouvrier catalan.
Elle souligne également l’impact du chômage dans les industries textile, métallurgique et du
bâtiment dans les années trente. Le lecteur peu familiarisé avec les divisions géographiques et
administratives de la Catalogne aurait apprécié la production de quelques cartes pour
compléter l’illustration abondante en tableaux (12) de cette première partie. E. Vega procède
ensuite chronologiquement dans son analyse de la CNT et de la CRT à partir de 1930. Les
chapitres II et III abordent l’étape de réorganisation et le positionnement face à la
proclamation de la République, en pointant déjà les divergences d’analyse dans le
mouvement. L’expansion syndicale en Catalogne fait l’objet d’une présentation détaillée :
Badalona, Sabadell, Manresa et la région du Bages, Mataró, Igualada et l’Anoia, Valls et l’Alt
Camp. On constate que l’implantation de la confédération était forte dans les villes
industrielles, mais faible ailleurs, notamment dans les zones agricoles. Aux débuts, les
militants entretenaient des relations étroites avec les autorités républicaines locales. Le
nombre d’adhérents par syndicat affilié à la CRT et par « comarca » en juin et décembre
1931, avril 1932, mars 1933 et mai 1936 est présenté dans un tableau qui met en évidence la
chute des effectifs (de 291 000 à 134 000). E. Vega l’attribue plus loin à la répression
gouvernementale plus qu’aux divisions internes (p. 167). La répartition régionale des
adhérents fait également l’objet de trois cartes. Plusieurs fois à ce stade du livre, l’auteur
établit une distinction entre les « dirigeants vétérans », qu’elle dit plus modérés et plus
syndicalistes, et les autres réputés plus révolutionnaires (p. 96, 97, 103, 105, 157…). On peut
s’interroger sur la pertinence de cette opposition tendant à faire des divergences idéologiques
principalement une question de génération, autrement dit ici de maturité et d’expérience. On
lui opposera a contrario que la plupart des militants de longue date de la CNT n’ont pas
rejoint la dissidence. Elle laisse, en outre, paraître ses préférences personnelles en utilisant
l’expression « ligne constructiviste » pour désigner la tendance syndicaliste opposée à
l’influence anarchiste (p. 102, 119, 127, 137, 167…).
Les deux chapitres suivants concernent les rapports entre la confédération et le
gouvernement républicain de 1931 à 1933. On y lit le durcissement (Vega écrit
« désenchantement », p. 156), des modérés aussi bien que des radicaux à l’égard d’un régime
qui mène une « offensive » (p. 161) contre la CNT (répression dirigée par Maura et lois
sociales favorables à l’UGT à l’initiative de Largo Caballero). Les principales grèves
déclenchées en Catalogne sont analysées secteur par secteur. La rivalité CNT-UGT, les
différentes stratégies syndicales et le manque de solidarité des travailleurs d’une part,
l’intransigeance patronale et le rôle ambivalent des autorités d’autre part, sont parfaitement
mis en évidence. L’auteur considère que, très rapidement, l’action syndicale est sacrifiée à
l’action révolutionnaire sous la houlette de la FAI. Les tableaux sur les conflits sociaux
survenus en Catalogne montrent qu’en 1931 les grèves impulsées par la CRT sont
minoritaires, tant à Barcelone qu’ailleurs ; qu’en 1932 la moitié des grèves de la capitale et les
deux-tiers de celles du reste de la région sont le fait de la confédération, mais que leur nombre
diminue considérablement par rapport à l’année précédente (245 contre 391) ; qu’en 1933 on
ne dénombre plus que 168 conflits, toujours majoritairement organisés par les cénétistes à
Barcelone, mais non en dehors puisque la moitié des grèves n’y était influencée par aucun
syndicat. Paradoxalement, c’est en 1933 que les conflits ont concerné le plus grand nombre de
travailleurs (155 000 à Barcelone et 158 000 en Catalogne, surtout dans le bâtiment et le
textile).
Les chapitres VI, VII et VIII sont consacrés aux Syndicats d’opposition, à la
Fédération syndicaliste libertaire destinée à les coordonner et à la stratégie d’Alliance
ouvrière contre le fascisme de fin 1933, thèmes dont l’auteur s’est fait une spécialité. C’est la
partie la moins originale du livre et on y trouve, d’ailleurs, de nombreux renvois vers El
trentisme a Catalunya (1980). Après avoir brièvement présenté la situation dans les autres
confédérations régionales espagnoles, la majorité d’entre elles étant parvenu à préserver
l’unité malgré les divergences d’opinion, E. Vega étudie le mouvement scissionniste en
Catalogne ville par ville et livre une série de portraits biographiques des principaux militants.
De nouveau, un tableau et une carte synthétisent son propos. Si elle se montre favorable au
courant trentiste (« propositions constructives du trentisme », p. 342, 351), elle reconnaît aussi
les effets négatifs de la scission et les renoncements de certaines personnalités aux principes
fondateurs de l’anarcho-syndicalisme. Les grèves de 1934 se soldent très souvent par des
échecs, le recours aux jurys mixtes augmente et le conseiller au Travail de la Généralité voit
son rôle de médiateur légitimé. La CRT perd sa prépondérance au profit des Fronts uniques
constitués par les syndicats minoritaires mais, comme le signale E. Vega, le prolétariat en sort
divisé au pire des moments : « Com a conseqüència directa del diferent tracte que van rebre
de les autoritats catalanes els militants confederals i els de la resta de sindicats, va haver-hi un
augment de la violència entre militants de diferent signe ideològic. El clima d’unitat davant el
perill feixista, creat entre els militants obrers a finals de 1933, es va veure distorsionat a
Catalunya per aquest factor » (p. 393).
L’ouvrage s’achève sur 1935 et le premier semestre 1936. Le mouvement ouvrier, très
affaibli après l’insurrection d’octobre 1934 et les reculs sociaux imposés par la droite, se
trouve paralysé. Ce n’est qu’après la victoire du Front populaire en février 1936 que la
confédération connaîtra une croissance vigoureuse sans toutefois retrouver le niveau de 1931.
L’idée d’une réunification finit par s’imposer, malgré de vives réticences de part et d’autre, et
est officialisée lors du congrès de Saragosse de mai 1936. Cependant, à Valls, dix syndicats
sur onze ne se résoudront à adhérer à la CRT qu’après juillet 1936 ; quant au syndicat du Bois
de Mataró, il choisit de rejoindre l’UGT, tout comme les fédérations de Manresa et Sabadell,
les fiefs de la dissidence, qui attendront le mois d’août pour se décider. E. Vega décrit ces
processus et étudie les stratégies syndicale et gouvernementale dans cet ultime chapitre, trop
succinct à mon avis, comme l’est également la conclusion.
Voilà donc un bon livre synthétique, dont un des mérites est de s’intéresser aux
syndicats des différentes localités catalanes, mais qui aurait pu, cependant, faire une place à
l’analyse en profondeur des divergences idéologiques, comme le titre le laisse entendre. Un
index des personnes et des lieux aurait aussi utilement enrichi l’ensemble. Autres absences,
celles des éditeurs et celles des pages dans les références bibliographiques en notes ou en fin
de volume, d’autant plus regrettables que ce travail est adossé à de nombreuses sources
primaires et secondaires (presse des diverses tendances syndicales et presse bourgeoise,
documents syndicaux internes conservés dans plusieurs centres d’archives, entretiens,
mémoires de militants, etc.). Enfin et bien que ce ne soit pas « politiquement correct », on ne
peut manquer de signaler les limitations à la diffusion de l’œuvre qu’implique le choix de la
langue catalane – ceci dit sans aucun mépris. Il en va peut-être davantage de contraintes
éditoriales ou institutionnelles que d’une option personnelle de l’auteur. Mais on peut en
douter à la lecture de cette réflexion de la p. 372 : « La tradició ortodoxa anarcosindicalista
impedia els trentistes comprendre que nacionalisme no era incompatible amb revolució social,
que totes dues banderes podien ser aixecadas per la classe treballadora i camperola catalana ».
Est-ce bien sûr ? Le catalanisme n’a-t-il pas été, au contraire, un facteur supplémentaire de
division du monde ouvrier ? Je vais sans doute être taxé de gardien de l’orthodoxie et me faire
beaucoup d’ennemis, mais la polémique est lancée !

Joël DELHOM

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