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Cours conforme au programme de Sciences économiques et sociales de la classe de terminale, série ES (arrêté du 30 Juillet 2002).

Cours : CHAPITRE 3 : Stratification sociale et inégalités

Introduction
Vous avez vu en classe de première que les sociétés, toutes les sociétés, sont constituées de groupes
sociaux et que ce sont les liens, aussi bien entre membres d'un même groupe qu'entre membres de
groupes différents, qui constituent la vie sociale.
Ces groupes ne sont pas juxtaposés les uns à côté des autres, ils sont hiérarchisés et entretiennent donc
des relations marquées par la domination de certains et les inégalités et les différences existant entre les
membres des différents groupes.
Dans les sociétés modernes, ces groupes ne sont pas étanches (il y a toujours une certaine circulation
d'individus entre les groupes). De même, au cours du temps, les groupes et leur hiérarchie (et donc les
inégalités) se transforment. C'est un des aspects manifestes du changement social (ou de la dynamique
sociale).
Nous allons donc partir de ce constat et nous demander comment et en quoi la stratification sociale se
transforme au cours du temps. Puis nous nous demanderons dans quelle mesure les individus peuvent
circuler entre les groupes sociaux : c'est la question de la mobilité sociale. En effet, vous savez bien que
les privilèges ont été abolis en France à la Révolution et qu'on n'hérite plus automatiquement de la position
sociale de son père. Mais y a-t-il pour autant une réelle mobilité sociale ?
La persistance des inégalités et la difficulté de la mobilité sociale posent une question fondamentale à
nos démocraties : comment assurer l'égalité des citoyens, l'égalité réelle et non l'égalité formelle des
droits (qui est inscrite dans la Constitution) ? Mais avant de répondre à cette question, il faudra réfléchir au
contenu même de la notion d'égalité : la société recherche-t-elle l'égalité ou la justice, n'y a-t-il pas des
inégalités justes ? Mais alors, qu'est-ce que nos sociétés appellent " justes ", quels sont les critères de
ce qui est ressenti comme " juste " dans notre société ? Vous le voyez, on est ici dans le domaine des
valeurs. Nous aborderons toutes ces questions dans la dernière partie de notre chapitre quand nous nous
réfèrerons à ce que l'on appelle " l'idéal égalitaire " dans les sociétés démocratiques.

1 - La dynamique de la stratification sociale.


Pour décrire l'évolution des inégalités, il faut prendre en compte deux choses. La première, c'est l'ampleur
des inégalités : est-ce que l'écart entre le " haut " et le " bas " de la hiérarchie augmente ou diminue ? La
seconde, c'est la nature des inégalités, c'est-à -dire ce sur quoi elle portent : les inégalités d'aujourd'hui sont-
elles les mêmes qu'autrefois, ou bien de nouvelles inégalités apparaissent-elles ?

1.1 - Les sociétés modernes sont structurées par de nombreuses inégalités.


Quand on parle d'inégalités, on a trop tendance à ne voir que l'inégalité entre " riches " et " pauvres ". La
réalité est plus complexe. Les inégalités ont des origines très variées et ne se recoupent pas toujours les
unes les autres. C'est pourquoi nous allons essayer de dissiper deux erreurs traditionnelles, la première
étant de croire que les inégalités économiques se réduisent aux inégalités de salaires, et la seconde, que
toutes les inégalités s'expliquent au fond par les inégalités économiques. Mais auparavant, il faut d'abord
définir précisément ce qu'est une inégalité, sans quoi on serait conduit à traiter toute différence comme une
inégalité.

1.1.1 - Les différences sociales ne sont pas toutes des inégalités.


Les sociétés sont toutes stratifiées, on l'a déjà dit. Cela signifie qu'elles sont composées de groupes sociaux
aux caractéristiques différentes. Ces groupes sont hiérarchisés, c'est-à -dire que certains sont " en haut " de

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l'échelle, d'autres " en bas ", certains " au-dessus ", d'autres " en dessous ". Il y a donc un classement des
différents groupes sociaux. La hiérarchie sociale repose sur des jugements collectifs (pas individuels) de
valeur : par exemple, dans notre société, il " vaut mieux " (du verbe valoir, même racine évidemment que
" valeur ") être médecin qu'instituteur. C'est socialement plus valorisé. Le médecin aura donc plus de
richesses, plus de pouvoir, plus de reconnaissance sociale que l'instituteur. Cela ne préjuge en rien de
l'utilité réelle de leur fonction. Cela signifie simplement que notre société accorde plus de valeur sociale à la
fonction de médecin qu'à celle d'instituteur, de même qu'elle en accorde plus à celle d'instituteur qu'à celle
d'éboueur : on va dire qu'il y a une inégalité entre le groupe des médecins et celui des instituteurs (pas
seulement une différence). Une inégalité, c'est une différence qui se traduit en termes d'avantage et de
désavantage et qui fonde donc une hiérarchie. Ainsi la couleur des cheveux peut différencier deux
individus, mais, en règle générale, cette différence ne constitue pas la base d'une inégalité, ce qui n'est pas
le cas de la couleur de la peau dans de nombreuses sociétés. D'ailleurs, si on associe inégalités et
stratification sociale, c'est précisément parce que l'existence de groupes hiérarchisés se voit à travers les
inégalités qui les caractérisent.
Ceci étant, demandons-nous maintenant quelles sont les inégalités actuelles en nous appuyant ici
essentiellement sur l'exemple français, même si la question des inégalités mondiales et au sein des pays en
développement est tout aussi importante. Il faut souligner tout de suite que les inégalités ne sont pas
qu'économiques, même si les inégalités économiques sont sans doute les mieux connues, ce qui ne prouve
en rien qu'elles sont les plus importantes.

1.1.2 - Les inégalités économiques ne se réduisent pas aux inégalités de salaire.


[Les statistiques données dans ce paragraphe sont tirées de l'article de L. Chauvel, "Le retour des classes
sociales ?", in DEES 127, mars 2002.]
• Les inégalités de salaires sont importantes, mais ce sont aussi les plus faibles et les plus
stables.
Il y a en France, comme dans toutes les sociétés, des inégalités de salaires. Elles dépendent
d'abord de la " valeur " que la société attribue aux différents postes de la hiérarchie du travail. Par
exemple, on trouve "normal" que le directeur financier d'une entreprise gagne plus que les ouvriers,
soit parce qu'on estime que le poste est plus important pour la bonne marche de l'entreprise, soit
parce qu'il nécessite plus d'études pour y accéder, soit encore parce qu'il impose de plus grandes
responsabilités. Les inégalités dépendent aussi du rapport de force entre les salariés et leurs
employeurs : certaines professions, par exemple parce qu'elles sont, à un moment donné, très
demandées, obtiennent des salaires plus élevés (comme, par exemple, les informaticiens). Ainsi, en
2000, le salaire mensuel moyen des ouvriers et des employés à temps plein (1200€ environ) est 2,5
fois plus petit que le salaire mensuel moyen des cadres (plus de 3000€). Les ouvriers et les
employés représentent au total environ 58 % de la population active et les cadres 12.5 % environ.
Au cours du 20ème siècle, les inégalités de salaires ont peu varié du côté " haut " de la hiérarchie :
l'écart entre les hauts salaires et le salaire moyen est resté à peu près le même. Par contre, les
inégalités entre les bas salaires et le salaire moyen se sont beaucoup réduites, surtout depuis 1968,
grâce à l'instauration puis à la revalorisation du SMIC (le rapport interdécile des salaires est ainsi
passé de 4 à 3,1 entre 1968 et 2000).
• Les inégalités de revenus sont plus fortes que les inégalités de salaires et tendent à
augmenter avec la crise économique.
Les inégalités de revenus sont plus fortes que les inégalités de salaires et tendent à augmenter avec
la crise économique.
L'écart entre les revenus est toujours plus fort que l'écart entre les salaires : ceux-ci sont protégés
par un SMIC assez élevé (équivalent au double du RMI, environ) et aussi par des grilles salariales
qui encadrent l'évolution des salaires et empêchent l'apparition de trop grandes inégalités. Les
inégalités de revenus, après s'être bien réduites depuis les années 1960, ont augmenté
sensiblement depuis le début des années 1980. La première explication de ce retour des inégalités
de revenus est le chômage : en perdant leur emploi, les individus perdent aussi leur revenu, ce qui
"tire vers le bas" la hiérarchie des revenus. Mais une deuxième explication tient au fait que les
revenus du travail ont augmenté (nettement) moins vite que les revenus du capital depuis 25 ans. Or

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ces derniers sont surtout perçus par les ménages les plus riches, ce qui a accru l'écart entre eux et
le reste de la population.
• Les inégalités de patrimoine sont les inégalités économiques les plus fortes.
Pour le patrimoine, on observe que 20 % de la population ne disposent d'aucun patrimoine. Dans
ces conditions, il devient difficile de mesurer un écart … Il vaut mieux parler de gouffre ! Par ailleurs,
le patrimoine provient de l'épargne des individus. Or, la capacité d'épargne augmente plus vite que
le revenu : une personne qui gagne 1000€ par mois en consommera sans doute 950 et aura donc
50€ d'épargne ; tandis qu'une personne gagnant 2000€ par mois, parce que ses besoins sont bien
satisfaits, consommera une moins grande part de son revenu et pourra épargner
proportionnellement plus, mettons 400€. L'écart entre les deux montants d'épargne est de 1 à 8
quand l'écart entre les revenus n'est que de 1 à 2. Cela explique en partie pourquoi les inégalités de
patrimoine sont nécessairement plus fortes que les inégalités de revenus. On peut ainsi estimer que,
en ce qui concerne les patrimoines, le rapport interdécile (D9/D1) est au moins de 1 à 70, c'est-à
-dire que la limite supérieure du patrimoine détenu par le neuvième décile des ménages est 70 fois
plus élevée que celle du premier décile. Ces inégalités se sont accrues ces 20 dernières années à
cause de la hausse du prix des actifs patrimoniaux (c'est-à -dire les titres ou les biens possédés par
les ménages, comme les actions, les obligations, les logements, …).
En conclusion, les inégalités économiques telles qu'on peut les mesurer restent importantes, ne se
réduisent plus, voire s'accroissent. Cependant, comparativement aux autres pays développés, la situation
française n'est pas particulière : du point de vue des écarts de salaire, par exemple, la France se situe dans
une position moyenne par rapport aux autres grands pays développés. Et les inégalités se sont beaucoup
plus accrues en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis qu'en France depuis le début des années 1980.

1.1.3 - Les inégalités sociales ne sont pas seulement la conséquence des inégalités
économiques.
Les inégalités sociales peuvent être la conséquence des inégalités économiques : par exemple, les
inégalités quant à la taille ou au confort des logements découlent bien naturellement d'inégalités de
revenus. Cependant, il y a des inégalités qui ne sont pas la conséquence d'un écart de revenu ou de
patrimoine, c'est-à -dire que la société valorise des différences autres qu'économiques. Nous allons en
donner quelques exemples.
• Les inégalités entre hommes et femmes. Elles ont des formes diverses, mais dans tous les cas,
c'est le genre (masculin / féminin) qui fonde la hiérarchisation et l'inégalité qui en découle. La place
des femmes dans la société est marquée par la domination masculine héritée du passé. Les
inégalités se vivent d'abord dans la sphère privée : ainsi, la répartition des tâches domestiques
reste-t-elle marquée par une profonde inégalité (les changements sont extrêmement lents, à l'heure
actuelle, on estime que les femmes assurent plus des 2/3 des tâches domestiques, on parle de
" double journée de travail " pour les femmes actives occupées) qui ne consiste pas seulement en
plus de temps passé par les femmes mais aussi au fait que ce sont elles qui effectuent les tâches
les moins épanouissantes (lavage du linge, nettoyage des toilettes et des salles de bain, etc.) alors
que les hommes font des tâches plus valorisées (jardinage, bricolage, accompagnement des
enfants, etc.). Ces inégalités se vivent aussi à l'école : malgré des résultats scolaires meilleurs pour
les filles (à tous les niveaux de l'enseignement), les orientations les plus valorisées socialement
(série scientifique, classes préparatoires aux grandes écoles) restent, majoritairement, l'apanage des
garçons. Elles se vivent encore dans la sphère professionnelle : le salaire des femmes est le plus
souvent considéré comme un salaire " d'appoint ", c'est-à -dire s'ajoutant à celui de l'homme, il peut
donc être plus faible (alors que de plus en plus de femmes vivent seules et que, de toutes façons, il
n'y a aucune raison pour considérer que le travail est moins important pour une femme que pour un
homme, même si l'identité masculine se construit sur l'activité professionnelle) ; les femmes ont du
mal à accéder aux postes de responsabilité malgré leur niveau de diplôme. Elles se vivent enfin
dans le domaine politique où, malgré la loi sur la parité, le nombre d'élues (en particulier aux
scrutins nationaux) est, proportionnellement au nombre de femmes dans la société, extrêmement
faible. Il faut aussi dire que ces inégalités font système. Qu'entend-on par là ? Les inégalités

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s'enchaînent les unes aux autres et on finit par avoir du mal à savoir quelle inégalité est à l'origine
des autres. On va le montrer en donnant des exemples. Il est ainsi très rationnel que ce soit la
femme, dans un couple, qui garde les enfants quand ils sont malades (elle perdra alors en général
son salaire pour ces jours d'absence) car, comme elle est moins payée que son conjoint, le ménage
perdra moins d'argent en faisant ce choix (qui n'est donc pas forcément lié au fait que la mère
saurait mieux s'occuper d'un enfant malade que le père, même si le couple le pense souvent,
l'argument économique ne jouant souvent qu'à la marge). On pourra ensuite dire que le salaire des
femmes est inférieur à celui des hommes, ou qu'on ne leur donne pas de responsabilité, car " elles
sont tout le temps absentes ". De la même manière, les femmes refusent parfois des postes de
responsabilité parce qu'elles savent que les réunions auront lieu justement à l'heure où elles
" doivent " être à la maison pour s'occuper des enfants rentrés de l'école, du fait de la répartition
inégalitaire des tâches domestiques. De ce fait, on continue dans l'entreprise à programmer les
réunions à 17h30, par exemple, et les hommes participant à ces réunions ne pourront pas (même
s'ils le souhaitaient) prendre leur part des tâches domestiques, ce qui contribue à perpétuer le
partage inégalitaire des tâches, et la boucle est bouclée !
• Les inégalités devant la mort. Alors même que l'accès aux soins médicaux est garanti à tous (en
France, toujours), on meurt plus jeune quand on est ouvrier non qualifié que quand on est cadre.
Ainsi, entre 1982 et 1996, le nombre de décès observés chez les ouvriers non qualifiés de 30 à 75
ans a été 30 % plus élevé que si leur mortalité avait été la même que celle de l'ensemble de la
population, et celui des décès observés chez les cadres de 40 % inférieur à celui qu'il aurait été aux
conditions de mortalité de l'ensemble de la population. L'écart est donc important. Résultat :
l'espérance de vie est moins longue chez les ouvriers que chez les cadres (aujourd'hui, l'espérance
de vie à 35 ans est de 46 ans pour les cadres de la fonction publique et de 37 ans pour les ouvriers
non qualifiés). Ces chiffres sont tirés de A. Mesrine, " Les différences de mortalité par milieu social
restent fortes ", in Données sociales 1999. Rappelons que ces chiffres signifient que les cadres qui
ont 35 ans aujourd'hui ont une chance sur deux d'atteindre ou de dépasser 81 ans (35+46) et les
ouvriers une chance sur deux d'atteindre ou de dépasser 72 ans (35+37), ce qui fait quand même 9
ans de moins en moyenne. Les chiffres montrent aussi des inégalités devant la mort en fonction de
la région où l'on habite.
• Les inégalités de réussite scolaire. L'école est, en France, publique et gratuite donc accessible à
tous également. Pourtant, le genre des études, leur durée, le niveau de diplôme atteint sont assez
nettement corrélés avec l'origine sociale. Donnons-en quelques exemples. Les statistiques du
Ministère de l'Education nationale montrent par exemple qu'en 1996, 80 % des enfants de cadres et
professions intellectuelles supérieures sortis de formation initiale entre 1991 et 1994 ont un diplôme
de l'enseignement supérieur alors que 20 % à peine des enfants d'ouvriers non qualifiés et
d'ouvriers agricoles sont dans cette même situation. Deuxième exemple : en 1993, les enfants de
cadres représentent 48,5 % des étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles, les enfants
d'ouvriers 6,8 %, alors que les enfants de cadres représentent 15,8 % des jeunes de 20 à 24 ans et
les enfants d'ouvriers 37,5 %. Il faut ajouter que le diplôme n'est pas valorisé de la même manière
sur le marché du travail selon l'origine sociale : en 1990, 81,1 % des enfants de cadres ayant un
diplôme supérieur à bac + 2 sont eux-mêmes cadres entre 26 et 33 ans ; avec le même diplôme, les
enfants d'artisans et commerçants ne sont que 68,5 % à être eux-mêmes cadres entre 26 et 33 ans.
Nous reparlerons de ces inégalités de réussite scolaire à propos de la mobilité sociale.
On voit bien que toutes les inégalités ne se réduisent pas à la différence de revenu. Bien plus, l'inégalité
économique est souvent la conséquence d'une inégalité sociale, comme dans le cas de l'inégalité entre
hommes et femmes. C'est en cela qu'on peut dire que les inégalités sont multidimensionnelles, ce qui est
une autre façon de dire qu'elles n'ont pas toutes la même origine.
Conclusion : les inégalités dont nous venons de parler sont connues depuis longtemps. Nous avons vu
qu'elles se transformaient au cours du temps (diminution de l'écart des salaires entre 1960 et 1980,
réduction de certaines inégalités hommes-femmes, etc…). Mais il faut aussi se pencher sur la transformation
des groupes sociaux liée à l'évolution des inégalités.

1.2 - Les inégalités se transforment.


Inégalités et stratification sociale sont liées, nous l'avons déjà vu. Si les inégalités s'affaiblissent ou se

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transforment, il est logique de penser que c'est en lien avec des transformations de la stratification sociale.
Ainsi tout un courant de pensée relie l'atténuation des inégalités visible au cours du 20ème siècle à la
constitution d'une vaste classe moyenne. Et les arguments ne manquent pas pour soutenir cette thèse.
Cependant, nous montrerons qu'on peut observer l'apparition de nouvelles inégalités, brouillant les frontières
traditionnelles entre les groupes sociaux, mais les recomposant plus qu'elle ne les supprimerait.

1.2.1 - Les inégalités se sont globalement réduites au 20è siècle.


Le rapprochement des modes de vie a été permis par la réduction des inégalités économiques et sociales
traditionnelles. Si l'on prend l'ensemble du 20ème siècle, on ne peut pas nier la réduction des inégalités
économiques : les bas revenus ont progressé nettement plus vite que les hauts revenus, la consommation
s'est beaucoup accrue (spécialement après la seconde guerre mondiale) pour toutes les catégories sociales,
rendant possible l'accès quasi généralisé aux biens de consommation durables (automobile, réfrigérateur,
télévision, lave-linge, etc…). Parallèlement, la sécurité devant les aléas de la vie a beaucoup progressé pour
tous grâce au développement de l'Etat providence : la Sécurité sociale a permis à tous les Français de se
soigner convenablement et de bénéficier de retraites permettant de vivre dignement, ce qui était très loin
d'être le cas auparavant. La très grande sécurité de l'emploi durant les Trente glorieuses a également permis
à beaucoup de ménages de faire des projets et d'emprunter pour acquérir leur logement (l'accession à la
propriété s'est développée dans toutes les couches sociales). Enfin, la scolarisation de tous les enfants s'est
allongée. Résultat : on peut soutenir l'idée que les modes de vie se ressemblent de plus en plus, quel que
soit le groupe social auquel on appartienne. Ainsi, l'habillement est beaucoup moins typé socialement qu'il
ne l'a été (tout le monde porte des jeans), les départs en vacances concernent un nombre grandissant de
français, on retrouve sur les bancs du lycée des enfants de tous les groupes sociaux, etc.

1.2.2 - ... Ce qui a conduit à l'émergence d'une vaste classe moyenne.


La constitution d'une vaste classe moyenne, regroupant les professions intermédiaires, certains cadres, les
ouvriers qualifiés, une bonne partie des employés, serait la conséquence de cette réduction des inégalités,
mais aussi de l'uniformisation des modes de vie.
• Dans le monde du travail, les différences se sont aussi beaucoup atténuées : les agriculteurs
sont de moins en moins nombreux et leurs tâches de gestion les font de plus en plus ressembler à
des chefs d'entreprise de l'artisanat ou de l'industrie, les ouvriers travaillent de moins en moins
souvent directement la matière, ils ont le plus souvent des fonctions de contrôle sur des opérations
de production de plus en plus souvent automatisées. Certains cadres doivent se passer de
secrétaire et tapent eux-mêmes leurs rapports ou leur courrier, de même qu'ils gèrent seuls leur
agenda. L'autonomie dans le travail est plus grande à tous les échelons de la hiérarchie. Donc, là
aussi, les différences (et donc les inégalités) s'atténuent.
• La diminution des affrontements de classes : les individus cherchent de plus en plus à accroître
leur consommation et donnent la priorité à l'amélioration de leur situation personnelle et de celle de
leurs enfants sur la défense de leur groupe social. Le résultat est que les conflits sociaux collectifs
diminuent en nombre au profit d'une compétition entre individus (même si vous n'avez pas du tout
cette impression, il y a beaucoup moins de grèves à la fin du 20ème siècle que dans les années
1970, par exemple, nous le reverrons dans un prochain chapitre).
• Le rapprochement des modes de consommation : l'enrichissement durant les Trente Glorieuses
a permis au plus grand nombre d'accéder à un même type de consommation (logement, voiture,
électroménager, télévision, téléphone, …). Par ailleurs, la relative démocratisation scolaire et le
développement des médias ont permis la constitution d'éléments de culture communs. Ainsi, certains
évènements sportifs ou certains films ont une audience qui transcende les groupes sociaux
traditionnels.
Cette idée de moyennisation de la société est donc fondée sur des réalités difficilement contestables.
Cependant, aujourd'hui, nombreux sont les sociologues qui remettent en cause cette analyse : la diminution
de certaines inégalités, réelle, ne signifie pas la disparition des inégalités. D'abord, certaines inégalités
traditionnelles augmentent à nouveau. Ensuite, on voit apparaître de nouvelles inégalités qui dessinent un

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nouveau paysage de la stratification sociale en France.

1.2.3 - Cependant on peut craindre aujourd'hui une remontée des inégalités.


Depuis une vingtaine d'années environ, il est de plus en plus difficile de parler de moyennisation de la
société. D'abord parce que les inégalités traditionnelles ne se réduisent plus, ensuite parce que se
développent de nouvelles inégalités. Tant et si bien que beaucoup de sociologues parlent aujourd'hui plutôt
d'un " polarisation " de la société, c'est-à -dire d'une fragmentation de la population en deux groupes
distincts, très éloignés, chacun à une extrémité de l'échelle sociale.
• La tendance à la réduction des inégalités traditionnelles semble stoppée.
On a vu plus haut que, si les inégalités économiques se sont globalement réduites sur le long terme
(depuis la seconde guerre mondiale ou depuis le début du 20ème siècle), les inégalités de revenus
et de patrimoine augmentent sous l'effet conjugué de la hausse du chômage et de la montée du prix
des actifs patrimoniaux. Par ailleurs, les inégalités de consommation n'ont pas complètement
disparu non plus : certains biens restent socialement sélectifs (lave-vaisselle, ordinateurs, etc.) et les
vacances ne sont pas du tout les mêmes selon les groupes sociaux. Enfin, la scolarisation s'est bien
allongée pour tous, mais les études restent très différentes selon le groupe social d'origine. Ainsi, il y
a proportionnellement plus d'enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures dans les
classes préparatoires aux grandes écoles aujourd'hui qu'il n'y en avait il y a trente ans (où ils étaient
déjà très surreprésentés).
• Les inégalités de patrimoine se sont fortement accrues depuis 1980.
D'abord parce que le prix des actifs patrimoniaux (les biens ou les titres possédés par un ménage)
ont augmenté beaucoup plus vite que les revenus du travail depuis 1984 : par exemple, le prix du
mètre carré dans l'immobilier a progressé 4 à 5 fois plus vite que le salaire moyen depuis 1980.
Ensuite parce que les revenus tirés du patrimoine ont progressé beaucoup plus vite que les revenus
du travail (pensez à la modification du partage de la valeur ajoutée au bénéfice des détenteurs de
capitaux, sous formes de dividendes par exemple).
• La remontée des inégalités se conjugue avec un phénomène de cumul des inégalités.
Les inégalités font système, c'est-à -dire qu'elles s'entraînent mutuellement les unes les autres. On
peut en donner quelques exemples : un travailleur au chômage aura du mal à trouver un logement
car il ne pourra pas disposer de suffisamment de feuilles de paie pour prouver sa capacité à payer le
loyer (sa " solvabilité "). Mais s'il n'a pas d'adresse à donner à un éventuel employeur, il est certain
de ne pas trouver d'emploi … Dans la réalité, notre homme n'aura ni logement, ni emploi. Sans
prendre ces extrêmes, on sait bien que si un ménage dispose de revenus faibles, il partira moins en
vacances, se soignera moins bien, etc.

1.2.4 - Et les frontières entre les groupes sociaux deviennent floues.


Une autre conséquence de la transformation des inégalités à la fin du 20ème siècle est l'apparition de
nouvelles inégalités qui ne séparent plus les groupes sociaux traditionnels les uns des autres, mais créent
au contraire des hiérarchie à l'intérieur de ces groupes, entre les individus qui les composent. Le résultat est
que la stratification sociale est brouillée : les groupes ne sont plus aussi homogènes qu'autrefois.
• Des inégalités de salaires liées à l'histoire personnelle de chaque individu. Pour un même
niveau de diplôme, par exemple, les inégalités de salaires se sont beaucoup accrues. En fonction de
quoi ? De plus en plus en fonction des aléas de la vie de chacun : si l'individu a été embauché au
bon moment par une entreprise qui se développait, il a pu bénéficier d'opportunités de carrière que
d'autres titulaires du même diplôme n'auront pas eues s'ils habitent dans une région en déclin
économique, par exemple. On observe la même fragmentation au niveau du groupe des ouvriers.
Quoi de commun entre un ouvrier qualifié travaillant dans une grande entreprise comme EDF, par
exemple, ayant pu acquérir son logement dans des conditions très avantageuses et disposant d'une
énergie peu coûteuse (les salariés d'EDF paient l'électricité très peu cher), et un ouvrier qualifié du
textile vosgien, secteur en complète déconfiture, qui a été licencié successivement de plusieurs
entreprises et se retrouve sans emploi avec une qualification qui n'a plus de valeur sur le marché

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français du fait de la mondialisation ? Pas grand-chose, assurément. On peut donc dire que la
trajectoire individuelle compte de plus en plus pour expliquer les inégalités, en particulier
économiques, observées.
• De nouvelles inégalités apparaissent, liées aux transformations du salariat. La précarisation du
contrat de travail d'un certain nombre de salariés engendre une inégalité qui a d'importantes
conséquences pour la vie quotidienne entre ceux qui ont un emploi stable, sûr (pas seulement les
fonctionnaires) et les autres qui craignent pour leur emploi, quand ils en ont un : ainsi il est beaucoup
plus difficile d'acheter un logement, et même d'en louer un, quand on a un emploi précaire (un CDD,
par exemple) que quand on a un emploi stable. D'autre part, on constate une personnalisation
croissante de la relation d'emploi : c'est la compétence personnelle de l'individu qui lui permet
d'exercer cet emploi, pas, ou de moins en moins, sa simple force de travail qui pouvait être
interchangeable avec celle de son voisin.
• Des inégalités " transversales " (qui traversent les groupes sociaux) sont apparues en tant
que telles. On a déjà parlé des inégalités entre hommes et femmes, on peut parler aussi des
inégalités en fonction de l'âge : toutes les générations n'ont pas et n'auront pas accès aux mêmes
avantages. Ainsi, les jeunes ont-ils aujourd'hui des difficultés majeures pour accéder à un emploi
stable, comme s'il y avait une sorte de " droit d'entrée " à payer (petits boulots, travail quasi non
rémunéré lors des stages, etc.).
Conclusion : les inégalités se transforment plus qu'elles ne disparaissent, accompagnant les
transformations économiques liées à la croissance. Ces transformations contribuent à ce que les inégalités
soient davantage vécues sur le mode individuel que collectif. La frontière des groupes sociaux est de ce fait
beaucoup moins claire. Cela ne signifie pas que la hiérarchie entre les groupes n'existe plus. Et la réduction
des inégalités devient également moins simple dans la mesure où celles-ci ne sont pas clairement attachées
à tel ou tel groupe. La question centrale devient, plus que jamais, celle de l'égalité des chances : comment
assurer à chaque individu dans une société qui se veut égalitaire et démocratique les mêmes chances
d'accès aux ressources valorisées par la société ? La réponse à cette question n'est évidemment pas
simple. Un aspect central de la question est de savoir dans quelle mesure la position sociale des parents
détermine la position sociale des enfants : s'il y a une forte " hérédité " sociale, les inégalités se reproduisent
sans que le mérite des individus soit réellement pris en compte. C'est la question de la mobilité sociale qui
est ainsi posée et que nous allons aborder maintenant.

2 - Les enjeux et déterminants de la mobilité sociale.


Comme les inégalités structurent la société en groupes distincts hiérarchisés et que les statuts sociaux ne
sont pas assignés par la naissance (ils ne sont pas héréditaires), normalement les individus doivent pouvoir
circuler entre ces groupes sociaux. à‰tudier la mobilité sociale, c'est se demander dans quelle mesure les
statuts sociaux sont héritables : plus ils le sont, moins la mobilité est grande, plus les inégalités risquent
d'être ressenties comme injustes.
Pourquoi la question de la mobilité sociale est-elle importante ? D'abord l'aspiration à l'égalité serait heurtée
de front par une reproduction des positions sociales à l'identique, ou quasiment à l'identique, de génération
en génération. La revendication de l'égalité des chances montre bien que la société souhaite que les
individus aient les statuts sociaux qu'ils méritent en fonction de leurs capacités personnelles et non en
fonction de leur origine sociale. On parle dans ce cas de méritocratie. Par ailleurs, une classe sociale
n'existe en tant que classe que si elle a une certaine permanence dans le temps, en particulier pour pouvoir
transmettre à ses membres (et aux enfants de ses membres) une culture commune forgeant la conscience
de classe. On peut donc penser que plus le système de classes est constitué, plus les résistances à la
mobilité sociale vont probablement être fortes, et inversement. à‰tudier la mobilité sociale permet donc de
compléter la réflexion sur l'existence des classes que nous mènerons dans un prochain chapitre.
Dans un premier temps, nous allons étudier les moyens de mesure de la mobilité sociale - ce qu'on appelle
les tables de mobilité. Ensuite, nous analyserons la mobilité sociale en France, puis nous étudierons les
facteurs de la mobilité - ce qui cause, ou permet la mobilité sociale. Pour finir, nous présenterons deux
débats autour de la mobilité sociale : le premier portera sur le rôle que joue l'école dans la mobilité, le
second sur les éventuels effets pervers de la mobilité sociale.

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2.1 - La mesure de la mobilité sociale.


Après avoir défini ce qu'est la mobilité sociale, nous nous demanderons comment on peut essayer de la
mesurer.

2.1.1 - La mobilité sociale est la circulation des individus entre différentes


positions de la hiérarchie sociale.
De manière générale, la mobilité sociale est la circulation des individus d'une société donnée entre des
positions sociales dont on sait qu'elles ne sont pas toutes équivalentes, donc qu'elles sont hiérarchisées, car
elles ne procurent pas toutes les mêmes avantages, économiques et symboliques. Certaines positions
sociales sont socialement valorisées alors que d'autres sont dévalorisées.
On peut distinguer la mobilité sociale intra-générationnelle (celle d'un individu au cours de sa vie
professionnelle) de la mobilité intergénérationnelle (celle d'un individu par rapport à la position sociale de
ses parents). La mobilité intra-générationnelle est relativement faible si l'on excepte les tout premiers
emplois. C'est donc l'étude de la mobilité intergénérationnelle qui va nous occuper, d'autant qu'elle est bien
plus intéressante du point de vue des enjeux dont on vient de parler.

2.1.2 - Les tables de mobilité permettent de mesurer la mobilité


intergénérationnelle.
Les sociologues construisent deux types de tables de mobilité : les tables de destinée et les tables de
recrutement.
• Les tables de destinée nous renseignent sur ce que deviennent les fils issus d'un groupe
socioprofessionnel donné. Elles se lisent en ligne de la manière suivante : que deviennent
(destinée) 100 fils d'agriculteurs ? Et bien, par exemple, 25 sont eux-mêmes agriculteurs en 1993
(pour les hommes de 40 à 59 ans) (Insee, Enquête FQP 1993), 10 sont cadres et professions
intellectuelles supérieures, etc … Dans la table de destinée, la diagonale indique le degré
" d'immobilité sociale ", le poids de l'hérédité si l'on peut dire : elle indique pour chaque catégorie le
pourcentage d'individus qui ont conservé la position sociale de leur père.
• Les tables de recrutement nous renseignent sur la position sociale des pères des
individus composant un groupe socioprofessionnel (dans quel milieu social ils se recrutent,
c'est-à -dire que faisaient leurs pères). Elles se lisent en colonne de la manière suivante : quelle est
l'origine sociale de 100 agriculteurs aujourd'hui (de 40 à 59 ans), autrement dit, que faisaient les
pères de ces 100 agriculteurs ? Et bien, par exemple, en 1993, 86 étaient agriculteurs, ce qui signifie
que 86 % des agriculteurs ayant entre 40 et 59 ans en 1993 avaient un père lui-même agriculteur.
Là encore, la diagonale répertorie les immobiles, c'est-à -dire ceux qui occupe une position sociale
identique à celle de leur père.
La difficulté est bien sûr de ne pas confondre les deux types de tables de mobilité et de les lire comme il faut.
Ce n'est pas simple, mais c'est important car ces deux tables ne nous donnent pas le même genre de
renseignements. Vous le voyez bien avec l'exemple des agriculteurs : une très grande partie des agriculteurs
(86 %) ont un père qui était lui-même agriculteur mais beaucoup de fils d'agriculteurs (75 %) ne sont pas
devenus eux-mêmes agriculteurs, pour des raisons dont on reparlera plus loin.

2.2 - La mobilité sociale dans la France contemporaine.


En utilisant les tables de mobilité, que peut-on dire de la mobilité sociale inter-générationnelle dans la France
contemporaine ?

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2.2.1 - La société française reste marquée par une forte hérédité sociale.
Pour le montrer, on peut utiliser le tableau suivant donnant les destinées des personnes nées entre 1950 et
1955.

CSPfils à CSP Prof. Sans


Agric. Indép. Cadres Employés Ouvriers Total
père Interm. prof.
Agriculteurs 21.5 8.7 7.2 14.7 7.6 39.6 0.7 100.0
Indépendants 0.9 22.2 20.9 22.0 9.5 23.6 0.9 100.0
Cadres 0.8 7.8 51.4 24.4 7.5 7.1 0.9 100.0
Prof. intermédiaires
0.4 8.3 27.7 33.0 10.2 19.3 1.0 100.0
Employés 0.5 7.6 17.5 27.2 16.7 29.4 1.1 100.0
Ouvriers 0.6 7.9 7.4 20.0 11.2 51.9 1.0 100.0
Total 3.9 9.8 15.7 22.0 10.8 36.9 0.9 100.0
Source : L. Chauvel, " Le retour des classes sociales ? ", DEES 127, mars 2002.
Avant de dire ce que l'on peut en conclure, donnons un exemple de lecture des chiffres : il s'agit d'une table
de destinée, on y trouve donc le devenir des fils de telle ou telle catégorie. Par exemple, 51,9 % des fils
d'ouvriers nés entre 1950 et 1995 sont eux-mêmes ouvriers en 2000. La dernière ligne nous donne la
structure socioprofessionnelle des fils : 3,9 % des hommes nés entre 1950 et 1955 sont en 2000
agriculteurs, 9,8 % sont indépendants, etc, et permet donc de comparer la destinée des fils d'ouvrier ou des
fils de cadre, par exemple, à la destinée moyenne des fils nés entre 1950 et 1955.

Quelles conclusions peut-on tirer de cet ensemble de chiffres ? L'immobilité sociale peut paraître
relativement faible puisque le pourcentage d'individus mobiles est presque toujours supérieur à 50 (le chiffre
de la diagonale donne la part des immobiles, on peut donc facilement en déduire la part des individus
mobiles). Mais en réalité, l'hérédité sociale, c'est-à -dire la transmission du milieu social du père au fils reste
forte : en effet, les chiffres de la diagonale sont toujours plus élevés que ceux de la ligne " ensemble ". Par
exemple, un fils d'agriculteurs avait en moyenne 5,5 fois plus de chances de devenir agriculteurs que la
moyenne des Français (21,5 contre 3,9). S'il y avait une parfaite égalité des chances, on trouverait les
mêmes chiffres colonne par colonne. Ainsi, puisqu'il y a 15,7% de cadres dans la population (ligne " total ",
colonne " Cadres "), il devrait y avoir 15,7% de cadres parmi les fils de chaque groupe socioprofessionnel.

2.2.2 - Il existe cependant une certaine mobilité sociale, mais inégale selon les
PCS.
Cependant, en reprenant le même tableau, on peut voir qu'il y a une certaine fluidité sociale : si 51,4 % des
fils de cadres deviennent cadres, il y en a quand même 24,4 % qui deviennent professions intermédiaires et
7,1 % ouvriers. Cela nous conduit à constater d'abord que la mobilité sociale n'est pas forcément
ascendante. Mais il faut aussi souligner que la mobilité se fait surtout entre catégories socialement proches,
comme entre cadres et professions intermédiaires, ou entre employés et ouvriers. La CSP qui semble être la
plus mobile est celle des employés puisque 16,7 % des fils d'employés sont restés eux-mêmes employés
alors que 27,2 % sont devenus professions intermédiaires et 29,4 % ouvriers. En revanche, deux catégories
semblent plus nettement immobiles, les cadres et les ouvriers.

2.3 - Quels sont les facteurs de la mobilité sociale ?


S'interroger sur les facteurs de la mobilité, c'est bien sûr chercher à comprendre ce qui peut la favoriser ou
au contraire la freiner, mais c'est aussi entrer dans un débat qui touche toute la sociologie et que nous avons
déjà rencontré : ces trajectoires de mobilité ou d'immobilité sont-elles plutôt le résultat de l'action des

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individus (des acteurs, dit-on souvent) ou plutôt le résultat des transformations de la société qui rendent
nécessaires cette mobilité sociale ? C'est le débat entre une analyse de type holiste et une analyse de type
individualisme méthodologique.

2.3.1 - Le rôle des structures économiques : l'évolution des emplois offerts


impose une certaine mobilité sociale.
Quand on étudie la mobilité intergénérationnelle, il faut bien sûr tenir compte de l'évolution de la structure
des emplois d'une génération à l'autre. Il n'est pas étonnant que les fils n'occupent pas la même position
sociale que les pères, puisque les " positions sociales " ont changé d'une génération à l'autre, avec la
transformation des métiers, des catégories socioprofessionnelles et des groupes sociaux.
• Certaines CSP se développent tandis que d'autres régressent, il faut donc nécessairement
que les individus " circulent " d'une position sociale à l'autre. Comment expliquer qu'un quart
seulement des fils d'agriculteurs soient devenus eux-mêmes agriculteurs comme nous venons de le
voir ? On peut penser que c'est un travail dur, ingrat, dont les revenus sont aléatoires et qu'un grand
nombre de fils d'agriculteurs, instruits par l'expérience de leur père, renoncent à vouloir exercer le
même métier que lui. On serait là vraiment dans la logique de l'acteur. Mais on sait que les
évolutions technique et économique ont complètement transformé le travail agricole : la productivité
a énormément augmenté alors que la demande a augmenté moins vite. Résultat : la taille des
exploitations s'est accrue et le nombre d'emplois dans l'agriculture a considérablement diminué.
Autrement dit, que les fils d'agriculteurs le souhaitent ou pas ne change rien à l'affaire, le nombre
d'emplois disponibles dans l'agriculture diminue et ceux qui ne pouvaient pas y trouver de place
doivent en chercher une dans les autres secteurs de l'économie et devenir, par exemple, ouvriers
(ce qu'ils sont effectivement souvent devenus). Il s'agit donc ici d'une mobilité largement imposée
par l'évolution des structures économiques. On parle dans ce cas de mobilité structurelle.
• La mobilité structurelle est le changement de position sociale qui est dû aux changements
des structures économiques et sociales. Elle représente une part importante de la mobilité : ainsi,
la croissance pendant les Trente glorieuses a nécessité le développement du nombre d'emplois
qualifiés de cadres ou de professions intermédiaires. Où trouver des titulaires pour ces emplois ?
Parmi les fils des cadres et des professions intermédiaires, bien sûr. Mais ceux-ci étaient
relativement peu nombreux parce que, à la génération de leurs pères, le nombre d'emplois de
cadres ou de professions intermédiaires était beaucoup moins élevé. Il a donc bien fallu les recruter
parmi les fils d'autres CSP, par exemple les fils d'employés dont on a vu qu'ils avaient eu une
mobilité ascendante assez forte. Cette mobilité est donc quasiment obligatoire, poussée par les
transformations des structures économiques. On peut encore raisonner de la même manière
actuellement avec les ouvriers : le nombre d'ouvriers a beaucoup diminué depuis 1975. Les fils
d'ouvriers vont donc peut-être être amenés à changer de CSP du fait de cette diminution, leur
mobilité va donc sans doute s'accroître.
• La mobilité nette n'est pas due à l'évolution des structures, mais au fait que deux individus
permutent leur position sociale. Si la structure sociale reste inchangée, la promotion d'un individu
dans la hiérarchie sociale impose en effet qu'un autre connaisse symétriquement une régression
dans cette hiérarchie (une " démotion "). Cette mobilité nette se mesure simplement par une
soustraction : il s'agit de la différence entre la mobilité totale (ou mobilité brute, c'est-à -dire le
nombre d'individus mobiles) et la mobilité structurelle. On peut avoir le sentiment qu'il s'agit là de la
" vraie " mobilité, celle qui mesure la réelle possibilité de circuler entre des statuts sociaux
hiérarchisés. Cependant les choses ne sont pas si simples. D'abord parce qu'on a le plus grand mal
à distinguer dans les statistiques les deux types de mobilité. Ensuite parce que le fils d'agriculteurs
devenu ouvrier, qu'il l'ait voulu ou non, a effectivement changé de statut social. Il n'en reste pas
moins que l'étude de la fluidité sociale (que mesure la mobilité nette) qui traduit la possibilité de
changer de statut social indépendamment des changements économiques structurels est très
intéressante à étudier.
Conclusion : un des premiers facteurs de la mobilité globale est donc la transformation des structures
économiques qui a pour effet de modifier la structure des emplois et donc celle des statuts sociaux qui y sont

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attachés.

2.3.2 - Le rôle de la famille : transmission d'un patrimoine économique et


culturel mais aussi développement de stratégies d'ascension sociale.
La famille joue un rôle très important dans la socialisation primaire des enfants. Vous avez étudié ce rôle en
classe de première. En analysant plus précisément ce que la famille transmet à ses enfants, nous verrons
comment cela agit sur la mobilité.
• La famille transmet un capital économique, un capital culturel et un capital social à ses
enfants, et contribue ainsi à la reproduction des inégalités. C'est Pierre Bourdieu, sociologue
français décédé en 2002, qui a, le premier, utilisé de manière systématique cette typologie. Il veut
montrer par là que ce que transmet la famille et ce qui est source d'inégalités, ce n'est pas
seulement un patrimoine (le capital économique, c'est-à -dire ce qui rapporte un revenu), mais aussi
un capital culturel (un ensemble de connaissances, de références culturelles, d'habitudes comme
visiter les musées, de compétences valorisées par le système scolaire comme la lecture ou la
capacité d'écriture) et un capital social (schématiquement l'ensemble des relations sociales et donc
la capacité, plus ou moins grande selon le capital social détenu, de pouvoir faire intervenir ces
" relations " pour bénéficier d'avantages divers). On " hérite " d'un capital social ou d'un capital
culturel comme d'un capital économique (sauf qu'il n'y a pas d'impôt !) et ce capital peut s'accumuler
au fil des générations. Les individus disposent donc d'une quantité inégale de chacun de ces
capitaux. La famille peut donc être présentée comme fondamentalement reproductrice, car en
transmettant des capitaux différents, elle contribue au maintien des statuts existant. En particulier,
dans les milieux favorisés, l'adage " tel père, tel fils " semble souvent vérifié. Mais on peut considérer
que c'est aussi vrai pour les ouvriers. Ainsi, si à diplôme égal, les fils d'ouvriers valorisent moins
bien sur le marché du travail que les fils de cadres un diplôme de l'enseignement supérieur, c'est
peut-être parce que leur comportement extérieur (façon de se présenter, de parler, etc.) traduit de
manière suffisamment explicite pour le recruteur leur origine sociale et que cela suffit à faire la
différence.
• Cependant la famille peut jouer aussi un rôle actif dans la mobilité sociale en favorisant la
promotion de ses enfants : ainsi, quand on observe les familles d'origine modeste, on observe que
les enfants de certaines familles ont une réussite scolaire nettement supérieure à la réussite
moyenne des enfants des familles similaires. Quand on cherche à expliquer ce différentiel de
réussite, on trouve toujours une responsabilité particulière de la famille (volonté forte de s'intégrer à
la société française pour les familles d'origine étrangère, volonté forte que les enfants ne
connaissent pas des conditions aussi difficiles que leurs parents, etc…) qui se traduit en particulier
par une grande attention aux résultats scolaires.
On voit donc que si la famille, par le fait qu'elle transmet ce qu'elle est et ce qu'elle a, est d'abord
reproductrice, donc contribue à l'immobilité sociale, elle n'est pas que cela. Elle peut aussi rendre possible
la mobilité sociale. Il y a donc la place pour des comportements particuliers de la famille, des comportements
rationnels que l'on peut qualifier de stratégiques.

2.3.3 - Le rôle de l'école : dans une société où le diplôme devient la clé de l'accès
aux emplois, l'école donne les moyens de la mobilité sociale.
En première analyse, c'est l'école, et l'école seulement, qui peut rendre possible la mobilité ascendante des
enfants originaires de milieux défavorisés. Si faire des études et avoir un diplôme ne garantissent ni un
emploi, ni un statut social, ne pas en faire, ne pas avoir de diplôme, garantit à coup presque sûr pour un
enfant de milieu populaire l'impossibilité de l'ascension sociale : dans les sociétés modernes, le diplôme est
souvent la clé de l'accès à l'emploi et à la promotion dans l'entreprise. Pendant les " Trente Glorieuses ",
dans un contexte de forts changements dans la structure des emplois, avec une progression de la part des
professions intermédiaires et des cadres, c'est l'école qui a permis de trouver parmi les enfants d'ouvriers ou
d'employés ceux qui étaient les plus aptes à exercer ces emplois et qui a donc rendu possible leur
ascension sociale.

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Cependant, maintenant que le nombre d'emplois augmente moins vite, la concurrence pour l'accès aux
emplois les plus valorisés socialement s'accroît, surtout que la durée de la scolarisation s'est nettement
allongée, entraînant la progression du nombre de diplômés. Le lien entre diplôme et emploi est de moins en
moins net. Le diplôme des enfants peut être assez nettement supérieur à celui de leurs parents sans que
leur statut social le soit. C'est ce que l'on appelle le paradoxe d'Anderson.

2.4 - Premier débat : l'école, entre choix individuels et reproduction sociale.


Dans une société démocratique, l'école apparaît comme le moyen de permettre à tous l'accès à tous les
statuts sociaux dans la mesure où les diplômes qu'elles confèrent sont ouverts à tous et ne sont pas
décernés selon l'origine sociale. Seuls les résultats aux examens et concours, c'est-à -dire les mérites de
chacun, permettent de les obtenir. Or les diplômes jouent un rôle majeur, en particulier en France, dans
l'attribution des statuts sociaux. L'école est-elle le lieu de l'égalité des chances, comme on le souhaiterait ?
Ou bien reproduit-elle les inégalités en transmettant les compétences et surtout les diplômes à ceux qui
sont issus de familles favorisées ? En effet, on a déjà vu plus haut les grandes inégalités de réussite
scolaire qui existent en France selon l'origine sociale. Comment les expliquer ? Plusieurs points de vue
s'affrontent, ou se complètent.

2.4.1 - L'école reproduit et légitime les inégalités sociales de départ.


Cette thèse a été plus particulièrement présentée par Pierre Bourdieu dont nous avons déjà parlé.
• L'école reproduit les inégalités en valorisant les élèves qui sont issus de familles bien dotées
en capitaux de toutes sortes. L'école traite tous les enfants également, mais les enfants sont
différents selon leur origine sociale. Et la culture qui est transmise et réclamée à l'école se
rapproche beaucoup de la culture transmise par les milieux favorisés à leurs enfants. Résultat : ces
enfants vont retrouver dans les exercices proposés les mêmes exigences ou les mêmes contenus
que ce que l'on exige au sein de leur famille. Ils vont donc plus facilement, plus " naturellement "
peut-on presque dire, réussir à l'école. Finalement, la réussite scolaire va surtout récompenser les
enfants qui ont une sorte d'avance avant même de commencer.
• L'école légitime ces inégalités en les attribuant aux mérites personnels des élèves. Ni la
société ni l'école ne veulent voir que les enfants n'ont pas, à l'origine, les mêmes chances de
réussite scolaire. Ce faisant, on entretient l'illusion que les diplômes sont obtenus seulement en
raison du mérite personnel des élèves. Ainsi, les inégalités au sortir de l'école deviennent plus
acceptables, plus légitimes, parce que l'école a occulté le fait qu'elles sont pour une bonne partie
l'héritage du milieu social.
Finalement, pour Bourdieu, les inégalités de réussite scolaire sont pour l'essentiel le résultat de l'inégale
dotation en capital culturel et en capital économique des enfants, et de l'incapacité de l'école à les corriger.

2.4.2 - Les inégalités de réussite scolaire sont le résultat de stratégies familiales


différentes.
Cette thèse est défendue plutôt par le courant de l'individualisme méthodologique dont Raymond Boudon est
le représentant le plus connu dans le domaine de la sociologie de l'éducation. Sans nier les inégalités de
départ, Boudon montre que les familles peuvent avoir des stratégies qui expliquent les différences
d'orientation et de réussite scolaire : par exemple, une famille ouvrière peut " se contenter " de souhaiter
pour ses enfants des études à bac+2 dans la mesure où le diplôme obtenu, supérieur à celui obtenu par les
parents, permettra à l'enfant de monter dans l'échelle sociale, sans que les sacrifices financiers faits pour la
poursuite des études (une sorte d'investissement) ne soient trop lourds pour la famille. Il y a donc une sorte
de calcul coût/avantage qui permet de conclure que ce niveau de diplôme est satisfaisant et suffisant.
A l'autre bout de la chaîne, les parents des classes aisées vont mener une stratégie de même type, censée
faire progresser leurs enfants le plus loin possible dans la hiérarchie sociale. Mais comme le niveau social

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des parents est déjà élevés, il ne se satisferont pas, comme dans la famille précédente, d'un diplôme de
niveau bac+2, mais bac+5 et plus. De même, ils pousseront leurs enfants dans les cursus les plus sélectifs,
sachant bien que tous les diplôme de haut niveau ne permettent pas d'accéder aux meilleurs emplois et qu'il
faut donc encore bien choisir la filière et le type de formation. Ainsi, il peut y avoir de la part des parents une
stratégie résidentielle : dans quel quartier habiter pour que mes enfants aillent dans tel lycée réputé ? Il y a
aussi une stratégie dans le choix des langues vivantes et des options, l'objectif étant que l'enfant soit dans
une " bonne " classe, etc… Ces stratégies, différentes selon les familles parce que les intérêts ne sont pas
les mêmes, débouchent sur des résultats scolaires différents. Pour Boudon, les acteurs (familles, élèves,
enseignants) ont la possibilité de mener des stratégies personnelles, qui expliquent en partie les inégalités.

2.5 - Deuxième débat : faut-il nécessairement plus de mobilité sociale ?


Jusqu'à maintenant, nous avons implicitement admis que la mobilité sociale était une bonne chose. Dans
nos sociétés démocratiques, on est effectivement choqués à l'idée que les positions sociales ne soient pas
accessibles à tous, et dépendent notamment du milieu social familial - la Révolution Française s'est
d'ailleurs faite en grande partie contre ce genre de " privilèges ". Mais si la mobilité sociale est un élément de
la démocratisation de nos sociétés, il ne faut pas croire pour autant qu'elle soit suffisante en soit. Elle peut
même avoir des effets négatifs.

2.5.1 - La mobilité sociale n'est pas nécessairement bien vécue par les individus.
La mobilité sociale a paradoxalement des aspects négatifs, d'une part parce que la mise en compétition des
positions sociales crée de l'incertitude, et d'autre part parce qu'elle individualise l'échec et le rend ainsi plus
difficile à supporter.
• La mobilité sociale fait peur parce qu'une société mobile est une société incertaine. On a
tendance à ne considérer que les aspects positifs de la mobilité sociale parce qu'on ne l'envisage
que comme promotion sociale. Or, la mobilité sociale, ça peut être aussi la " démotion ", la
régression dans la hiérarchie sociale. Et cette mobilité descendante est très difficile à accepter pour
les individus. Il faut être psychologiquement très fort pour " repartir de zéro ", et cela est souvent
vécu comme un traumatisme. Une certaine immobilité sociale peut ainsi être vue comme la
contrepartie d'une relative protection contre la compétition. Inversement, la mobilité sociale peut faire
peur parce que chacun voit qu'il peut y gagner mais aussi y perdre beaucoup.
• Dans une société mobile, l'échec est un échec individuel et est plus difficile à accepter.
Paradoxalement, il est psychologiquement plus facile, pour l'individu, de ne pas pouvoir accéder à
une position sociale s'il est victime d'une ségrégation : dans ce cas, l'échec ne peut lui être reproché
puisque la compétition était en quelque sorte " truquée ". Mais échouer dans une société mobile, où
l'origine sociale ne pèse pas sur le destin des personnes renvoie chaque individu à ses propres
insuffisances : s'il échoue, il ne peut en imputer la faute qu'à lui-même. C'est pourquoi l'échec
scolaire est plus mal vécu dans une société où l'accès au diplôme est, au moins en apparence,
démocratisé. Quand l'accès à l'école était réservé aux classes supérieures, ceux qui échouaient
pouvaient toujours se dire que cet échec était d'abord une injustice faite à leur groupe social.

2.5.2 - Une société plus mobile n'est pas forcément plus égalitaire, et la mobilité
peut servir d'alibi à l'inégalité.
Mobilité sociale ne veut pas dire égalité des positions sociales. Il y a là un constat d'évidence, mais qu'il faut
bien rappeler parce que, dans nos sociétés démocratiques, on a tendance à confondre les deux - ce sont en
fait deux formes d'égalité, égalité des chances et égalité des positions, comme on le verra dans la troisième
section. Au-delà , il y a un débat fondamental de philosophie politique : la mobilité sociale permet-elle de
justifier les inégalités ?
• Une société plus mobile n'est pas forcément plus égalitaire : Comme on l'a vu plus haut, la
mobilité sociale désigne les déplacements d'individus entre des positions sociales hiérarchisées,

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donc inégales. Un accroissement de la mobilité sociale ne signifie pas que ces inégalités se
réduisent. Inversement, une société peut être très égalitaire mais n'avoir aucune mobilité sociale :
les individus restent fixés dans des positions sociales très voisines.
• La mobilité sociale peut-elle justifier l'inégalité ? C'est une question très controversée. Les
penseurs les plus libéraux soutiennent généralement que, dès lors que les positions sociales sont
également accessibles pour tous, peu importe qu'elles soient inégales. Les meilleures places seront
occupées par les plus méritants, et l'inégalité ne fait que récompenser les efforts. Inversement,
d'autres soutiennent qu'il importe peu que les positions sociales soient ouvertes si elles restent
inégales. On peut même dénoncer dans la mobilité sociale un moyen de faire oublier l'inégalité : les
individus se démèneront pour atteindre les meilleures places plutôt que de lutter collectivement
contre les inégalités.
On le voit, l'analyse de la mobilité sociale peut déboucher sur le lien entre inégalité et justice sociale, qui fera
l'objet de la section suivante.

Conclusion : Sous la question de la mobilité sociale, il y a donc des enjeux : comment les individus vont-ils
accéder aux positions socialement valorisées ? Est-ce sur la base des mérites personnels ? Est-ce en
fonction de l'origine sociale ? Vous avez là les deux pôles possibles. Mais la réalité conjugue les deux.
L'origine sociale pèse encore largement mais des choix, des stratégies individuels sont toujours possibles.
Ainsi les inégalités qui différencient et hiérarchisent les groupes sociaux entre eux sont pour une part
" héritables ". La question qui se pose est alors une question de légitimité : est-il juste qu'il en soit ainsi ?
C'est à chaque société de le dire en fonction des valeurs qui la sous-tendent. Voyons comment les sociétés
démocratiques abordent cette question.

3 - Idéal démocratique et inégalités.


Pour compléter notre analyse des inégalités, il nous reste donc à traiter des relations entre l'égalité et la
justice sociale. Nous avons vu qu'il y a encore beaucoup d'inégalités dans la société moderne, ce qui pose la
question de leur justification : au nom de quoi tolère-t-on des inégalités ? Pour comprendre ce problème,
nous allons d'abord étudier ce qu'on appelle l'idéal égalitaire, c'est-à -dire la conception de l'égalité qui
prévaut dans nos sociétés démocratiques, ce vers quoi on tend - sans forcément l'atteindre d'ailleurs (§ 3.1).
Nous verrons alors que l'égalité et la justice peuvent être deux choses différentes, et que l'on peut parfois
accepter des inégalités parce qu'elles sont plus justes que l'égalité (§ 3.2). Enfin, nous nous interrogerons
sur l'impact économique des inégalités, parce qu'on peut aussi justifier l'inégalité (ou l'égalité) parce qu'elle
accélère la croissance, et donc profite à tout le monde (§ 3.3).

3.1 - L'idéal égalitaire.


Pourquoi parler " d'idéal égalitaire " ? D'abord parce que l'égalité n'est jamais pleinement atteinte dans la
réalité. Ensuite parce que, malgré tout, elle reste une valeur très partagée, un " idéal " qu'il faut atteindre.
Mais, si l'égalité n'est jamais accomplie, pourquoi reste-t-elle un objectif ? Et si elle est si communément
partagée comme valeur, pourquoi reste-t-elle si difficile à réaliser ? C'est cette contradiction apparente que
nous allons maintenant essayer de comprendre.

3.1.1 - Les sociétés démocratiques reposent toujours sur l'idée d'égalité parce
qu'un ordre social ne peut être accepté que s'il repose sur une certaine égalité
entre les individus.
Vous avez sans doute l'habitude d'associer la démocratie à la liberté, notamment la liberté de parole,
d'opinion, et la liberté de vote. Or, vous avez sûrement remarqué que, depuis le début de cette section, nous
associons systématiquement la démocratie à l'égalité. Pourquoi ?
• D'abord parce que la démocratie est elle-même un principe d'égalité. En effet, la règle
démocratique de base (un homme = une voix) est une règle égalitaire, qui dit que, dans le processus

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de la décision publique, chacun dispose du même pouvoir, du même poids. Les avis individuels se
valent et c'est seulement quand une majorité de personnes partage la même opinion qu'ils peuvent
la faire prévaloir.
• Ensuite, parce que le principe égalitaire de la démocratie devient forcément une norme
politique. Quel succès aurait dans une société démocratique une doctrine politique qui accepterait
l'inégalité au profit d'une élite ? Comment rassembler une majorité sur un programme politique qui
ne promettrait pas au plus grand nombre l'accès à un certain bien-être ? Ainsi la démocratie est en
quelque sorte " obligée " de produire de l'idéal égalitaire - même si la définition de celui-ci peut
varier.

3.1.2 - Mais il y a plusieurs façons de définir l'égalité : égalité des droits, égalité
des chances, égalité des situations.
A égalité donc, mais égalité de quoi ? Il est tout à fait nécessaire de poser la question. En effet, on va voir
qu'il y a plusieurs façons de concevoir l'égalité, et que ces différentes conceptions ne sont pas toujours
compatibles. Bien plus, l'égalité dans un domaine entraîne souvent l'inégalité dans un autre : ainsi, le
principe " à travail égal, salaire égal " est un principe égalitaire bien accepté dans nos sociétés, mais qui
débouche sur des inégalités, puisqu'il conduit à ce que les salaires soient inégaux quand le travail n'est pas
le même. Alors de quelle égalité parle-t-on ?
• La première égalité est l'égalité des droits, c'est-à -dire l'égalité devant la loi. Elle consiste à
garantir à chacun le même ensemble de droits, ce qui est légalement possible pour un doit l'être
également pour tous les autres. Les sociétés démocratiques sont nées de l'aspiration à cette forme
d'égalité : la Révolution Française a mis fin aux privilèges de la noblesse et à l'hérédité des
positions. On passe d'une société d'ordres à une société démocratique dans laquelle tous les
individus sont assurés de bénéficier des mêmes droits (même si, rappelons-le, les femmes
françaises n'ont obtenu l'égalité des droits politiques qu'en 1946 !).
• La deuxième forme d'égalité est l'égalité des chances. Non seulement on donne à chacun le
droit d'accéder à n'importe quelle position sociale ou à n'importe quel bien, mais en plus on garantit
à tous les mêmes chances d'accès au départ. C'est une conception de l'égalité bien plus exigeante.
Ainsi, les femmes ont le droit de vote et sont éligibles depuis 1946, mais cela ne leur donne
manifestement pas les mêmes chances d'être élues, puisqu'il n'y a encore aujourd'hui que 12.3 %
de femmes parmi les députés.
• La troisième forme d'égalité est l'égalité des positions, ou égalité réelle. Il s'agit cette fois
d'assurer à chacun non pas les mêmes chances d'accès aux biens et aux positions, mais un même
accès effectif. Par exemple, en matière de revenu, l'égalité réelle consiste non pas à ce que chacun
ait les mêmes chances d'accéder par son mérite aux plus hauts revenus, mais que tous aient des
revenus au moins approximativement égaux. La loi sur la parité en politique vise ainsi à ce que les
femmes prennent effectivement leur place dans la vie politique en imposant non pas l'égalité des
chances dans la compétition électorale, mais bien la parité comme résultat puisqu'elle oblige les
listes de candidats à comporter 50 % de femmes.
On a donc là trois définitions bien différentes de l'égalité. Pour les mémoriser, on peut prendre la métaphore
d'une compétition sportive, par exemple courir le 100 m : il y a égalité des droits si on accorde à chacun le
droit de participer à la course, égalité des chances si on veille à ce que personne ne dispose d'avantage
avant la course (par le dopage ou en mordant sur la ligne de d épart), et égalité réelle si tout le monde arrive
en même temps sur la ligne d'arrivée. On voit bien que ces trois formes d'égalité ne sont pas forcément
compatibles. Ainsi, si l'on veut assurer l'égalité réelle dans le résultat de la course, il faudra imposer des
handicaps aux plus rapides, et l'égalité des chances ne sera plus respectée.

3.2 - Egalité et justice sociale.


Nous allons maintenant nous poser la question des relations entre l'égalité, dont nous parlons depuis le
début de ce chapitre, et la justice sociale, c'est-à -dire que nous allons nous demander si l'égalité est une
bonne chose pour la société et les individus qui y vivent. C'est une interrogation qui doit vous paraître

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curieuse, parce que traditionnellement, nous considérons que ce qui est égal est juste. Mais c'est là un
préjugé trompeur, parce que la relation entre égalité et justice sociale est bien plus complexe, comme nous
allons le voir dans un premier temps.

3.2.1 - Paradoxalement, les inégalités ne sont pas toujours injustes, et l'égalité


n'est pas toujours juste.
• Traiter également tout le monde, c'est traiter tout le monde de la même manière, mais cela ne
veut pas dire amener tout le monde à la même situation. En effet, du fait des différences entre
les individus, il y a une inégalité de départ, une inégalité de conditions. Et un même traitement
appliqué à des situations différentes ne donnent pas les mêmes effets. Exemple : apprendre à lire
de la même manière à tous les enfants, à égalité de traitement, sans prendre en compte les
inégalités initiales, par exemple sur la maîtrise de la langue française (vocabulaire, structures de la
langue), débouche sur une encore plus grande inégalité. Pourtant, dans ce cas, il y aurait égalité de
traitement, mais c'est cette égalité de traitement qui est inégalitaire. Remarquons que pour l'exemple
choisi, il y a longtemps que l'on sait qu'il faut tenter de réduire ces inégalités et que l'école maternelle
agit dans ce sens.
• D'où l'idée de traiter différemment les gens différents de manière à compenser les inégalités
de positions initiales. La justice sociale s'obtient là paradoxalement en traitant les individus de
façon inégale. Par exemple, quand l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, éminente grande école
française, décide de recruter une petite partie de ses élèves de première année parmi des élèves de
lycées de banlieues défavorisées à partir d'un dossier et d'entretiens individuels, donc sans qu'ils
passent le concours commun d'entrée, très sélectif, on est bien dans cette logique d'obtenir une
certaine égalité d'accès à une grande école quelle que soit l'origine sociale, mais en renonçant à
l'égalité des chances puisque les élèves de zones défavorisées ont un concours moins sélectif, et
même à l'égalité des droits puisque ce concours alternatif est réservé à certains lycées.
• On est là dans le domaine de l'équité. Ce qui est équitable est juste, mais peut passer par
des inégalités de traitement. C'est cette même logique qui est à l'œuvre quand le ministère de
l'Education nationale décide que dans certaines zones, les écoles, collèges et lycées pourront
bénéficier de moyens matériels et humains supplémentaires du fait des difficultés particulières des
élèves qu'ils scolarisent. Substituer la notion d'équité à celle d'égalité amène donc à une
redéfinition des politiques publiques qui visent à promouvoir l'idéal égalitaire.
En fait, il ne faut pas s'étonner de ce que l'égalité ne soit pas toujours juste, puisque nous avons vu
précédemment qu'il y a plusieurs sortes d'égalité, et qu'elles ne sont pas toujours compatibles entre elles.
Ainsi, quand on essaie d'atteindre une forme d'égalité, on est souvent obligé de renoncer à une autre forme.
Par exemple, rechercher l'égalité des chances amène souvent à renoncer à l'égalité des résultats puisque
les individus sont différents. Ce n'est donc pas tant que l'égalité est injuste et l'inégalité juste, mais plutôt que
pour juger de la justice sociale il faut se demander d'abord quel type d'égalité on poursuit, et pour qui. C'est
cette complexité de la relation entre égalité et justice sociale qui a amené l'Etat à redéfinir parfois les
modalités de sa politique sociale.

3.2.2 - Vers une redéfinition de l'intervention de l'Etat : il faut parfois renoncer


à l'égalité pour mener des politiques de justice sociale.
On a vu que promouvoir l'égalité a parfois des conséquences inégales du fait de l'inégalité des conditions
initiales et de l'inégalité des chances. D'autre part, la croissance ralentie que connaissent les pays
développés depuis le début des années 80 limite les moyens financiers de l'Etat et l'oblige à se poser la
question de l'efficacité, du point de vue de l'idéal égalitaire, des mesures qu'il met en œuvre. Résultat :
l'intervention de l'Etat a été assez nettement infléchie et l'on peut penser que d'autres inflexions viendront,
en particulier dans le domaine des services publics.
• Les prestations sociales sont de plus en plus sous conditions de ressources, c'est-à -dire
qu'elles sont réservées à ceux qui gagnent moins qu'un certain niveau de revenu (comme par
exemple le RMI). On est bien là dans une logique d'équité : donner la même chose à tout le monde

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quel que soit le revenu reviendrait à augmenter de la même façon les revenus des plus riches et
des plus pauvres, ce qui ne réduirait pas les inégalités.
• Les politiques d'aide sociale sont de plus en plus individualisées. Quand on sait que les
inégalités sont plus souvent dues qu'avant aux aléas de l'histoire personnelle des individus, il est
logique de prendre moins de mesures générales dont on a du mal à assurer l'efficacité. Ainsi, le RMI
est-il attribué non seulement sous condition de ressources mais aussi à la condition que le
bénéficiaire signe un contrat personnalisé de réinsertion, dont le contenu peut être très varié d'un
individu à l'autre, pour s'adapter aux besoins et aux possibilités de chacun. De même, le PARE
(plan d'aide au retour à l'emploi), qui permet aux chômeurs de continuer à bénéficier de certaines
allocations, a un contenu individualisé.
• L'Etat mène aussi des politiques de " discrimination positive ", c'est-à -dire des politiques
qui, explicitement, accordent plus à certains individus qu'à d'autres, du fait de leur inégalité
de situation initiale. L'exemple le plus fréquemment cité en France est celui des ZEP (zones
d'éducation prioritaire), dans lesquelles les établissements scolaires bénéficient de moyens
particuliers parce qu'ils scolarisent des élèves " en difficulté ". Ainsi une école primaire en ZEP peut-
elle disposer de 6 instituteurs alors qu'il n'y a que 5 classes, ce qui permet d'assurer des activités
individualisées en fonction des difficultés rencontrées, en dehors du groupe classe. Mais on peut
citer d'autres exemples de politiques de discrimination positive : quand la loi impose l'embauche d'un
certain quota de travailleurs handicapés dans les entreprises, il s'agit bien d'une discrimination
positive (on sait que, dans la réalité, ce quota n'est pas respecté car la loi permet aux entreprises de
se dispenser de cette embauche en versant une certaine somme à un fonds pour l'emploi des
handicapés).
• Enfin, on est amené à repenser la gratuité des services publics. En effet, on sait que ceux-ci
sont en général gratuits du fait qu'ils sont utiles à tous. Mais si les services publics sont gratuits,
cela ne signifie évidemment pas qu'ils ne coûtent rien. Quand un consommateur utilise un service
public, l'Etat paie pour lui le prix de ce service. Si tout le monde utilise également ce service, cela
peut se comprendre. Cela se comprend encore mieux si ce sont ceux qui sont le plus victimes des
inégalités qui l'utilisent le plus. Mais quand ce sont ceux qui disposent déjà de revenus élevés qui
utilisent le plus ce service, cela pose un problème du point de vue de l'équité. On peut donner un
exemple : les étudiants peuvent bénéficier, s'ils ne logent pas chez leurs parents, d'une allocation
logement sans condition de ressources (sauf personnelles : les étudiants qui travaillent, donc qui ont
un salaire, ne peuvent en bénéficier si ce salaire dépasse un certain montant), donc quelles que
soient les ressources de leurs parents. Or, on sait que les enfants de catégories aisées sont sur-
représentés dans la population étudiante. On peut donc se poser la question de la pertinence de
cette allocation du point de vue de l'équité, l'aspect positif de cette allocation étant bien sûr qu'elle
rend possible une certaine indépendance des jeunes vis-à -vis de leur famille. On reviendra sur la
question des services publics plus loin.
Conclusion : La complexité de la notion d'égalité rend donc difficile la définition et la mise en œuvre de
l'idéal égalitiare. Cela débouche sur un débat nécessaire à propos du contenu de la notion de justice sociale
et de la nature de l'intervention de l'Etat pour lutter contre les inégalités.

3.3 - Les inégalités sont-elles économiquement efficaces ?


Nous avons essayé de voir à quelles conditions il pouvait être juste de lutter contre les inégalités, mais nous
ne nous sommes encore pas demandé s'il fallait réellement lutter contre les inégalités. La question, là
encore, peut paraître paradoxale, voire scandaleuse, mais elle est utile parce qu'elle nous amène à nous
interroger sur les éventuels effets bénéfiques des inégalités. Plus spécifiquement, les économistes montrent
que certaines inégalités semblent bien être favorables à la croissance, voire même selon certains,
indispensables.

3.3.1 - L’inégalité est favorable à la croissance parce qu’elle incite les individus
à travailler, à investir et à innover.
Il y a là trois arguments différents soutenant l'idée que les inégalités sont économiquement efficaces. Nous

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allons les voir successivement.


• Les inégalités de revenu encouragent le travail en récompensant l'effort individuel. On a déjà
vu le principe " à travail égal, salaire égal ", et on a déjà noté qu'il impliquait une inégalité entre des
niveaux de travail différents. Bien évidemment, on peut penser que si le salaire était le même quel
que soit le niveau de travail, tout le monde se contenterait du minimum d'effort. Les économistes
libéraux s'appuient sur ce principe pour dénoncer l'insuffisance des inégalités dans certains
domaines de la vie économique. Ainsi, ils soutiennent que si les minima sociaux (RMI, indemnités
chômage, …) sont trop proches du SMIC, les individus touchant les bas salaires ne seront pas
enclins à travailler mais plutôt à vivre aux dépens de l'Etat providence. De même, si le SMIC est
trop élevé et que l'échelle des salaires est trop restreinte, les travailleurs n'auront pas intérêt à faire
un effort de formation, puisqu'une progression dans la hiérarchie de l'entreprise leur rapporterait peu.
• Les inégalités sont nécessaires pour favoriser l'épargne et l'investissement. On sait que la
propension à épargner (voir lexique) est plus élevée pour les détenteurs de revenus élevés, ce qui
est assez logique (il est plus facile d'épargner quand on dispose de 5 fois le SMIC que quand on est
payé au SMIC). Or l'épargne est la base de l'investissement. Donc la capacité d'épargne, et donc de
financement des investissements, est plus élevée quand l'inégalité des revenus est forte que dans le
cas contraire. Et la croissance est fortement corrélée avec le taux d'investissement comme nous
l'avons vu dans le chapitre 1. Mais c'est aussi en récompensant le bon investissement par de supers
profits, et donc par de fortes inégalités, que l'on incite les épargnants à chercher l'investissement le
plus pertinent, c'est-à -dire correspondant à une forte demande et économiquement rentable.
• Enfin, les inégalités permettent de récompenser ceux qui innovent et donc de stimuler le
progrès technique et organisationnel qui entraînera la croissance. Les inégalités donnent des
informations indispensables aux acteurs économiques, en même temps qu'elles leur donnent des
guides de comportement. Que veut-on dire par là ? Si par exemple, les salaires versés sont plus
élevés dans une branche nouvelle et en croissance, et plus faibles dans une branche en déclin,
normalement les salariés rationnels vont tenter de quitter la branche en déclin et d'aller se faire
embaucher dans la branche en croissance, même s'il faut pour cela un complément de formation.
On peut faire le même raisonnement pour les profits : les détenteurs de capitaux vont tenter
d'investir dans les branches ou les entreprises où les profits sont élevés (on rappelle que les profits
sont des revenus …). Le libre jeu du marché, grâce aux inégalités qui en résultent, permet donc une
allocation optimale des ressources (cette expression, couramment utilisée par les économistes, en
particulier néo-classiques, signifie que les ressources, c'est-à -dire le capital et le travail, sont
utilisées le plus efficacement possible). Et les inégalités agissent alors comme un aiguillon sur les
comportements : elles sont des incitations à accepter le changement de métier ou le changement
de région, par exemple, ou à prendre des risques, par exemple en créant sa propre entreprise.
Au total, on voit donc que les inégalités, certaines inégalités, peuvent être favorables à la croissance
économique en incitant les acteurs économiques à adopter des comportements favorables à la croissance.
Mais est-ce toujours le cas ?

3.3.2 - Mais l'inégalité peut aussi décourager l'effort individuel et nuire ainsi à la
croissance économique.
Il peut paraître paradoxal, au vu de ce qu'on a dit précédemment, de soutenir que l'inégalité décourage
l'effort individuel. Il y a pourtant des arguments forts qui peuvent être avancés à l'appui de cette thèse :
• L'inégalité, quand elle est injuste,décourage l'effort bien plus qu'elle ne le favorise. Ainsi,
soutenir que les inégalités de revenus sont la récompense de l'efficacité du travail, c'est supposer
que toutes ces inégalités sont justifiées par des écarts de productivité entre travailleurs. Or, c'est
bien loin d'être le cas en réalité. D'abord parce qu'il est très difficile de mesurer la productivité
individuelle d'un travailleur : l'efficacité d'un individu dépend du travail des autres et il n'est pas
toujours possible de distinguer la part de chacun. Ainsi, la vitesse de travail d'un ouvrier sur une
chaîne de montage dépend de celle de ses collègues, par définition. Ensuite, et c'est d'ailleurs la

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conséquence de cette difficulté d'apprécier la productivité individuelle, les rémunérations sont pour
une bonne part arbitraires, et dépendent de l'histoire, des habitudes, des rapports de force. Il est
donc plus que probable que des inégalités n'ont aucune justification économique. Par exemple,
l'écart de traitement entre un professeur certifié et un professeur agrégé n'est sans doute pas fondé
sur une différence d'efficacité pédagogique.Dans ce cas, les inégalités sont donc injustifiées et ceux
qu'elles défavorisent peuvent se sentir floués et découragés.
• L'inégalité n'a aucune vertu économique s'il n'y a pas égalité des chances. C'est une condition
trop souvent oubliée de l'efficacité économique des inégalités. En effet, si on veut, par les inégalités
de revenus, susciter une émulation entre les individus pour sélectionner les plus capables et les plus
méritants, encore faut-il s'assurer que la compétition est réellement ouverte et équitable. Autrement
dit, la première condition de l'efficacité économique est … l'égalité des chances, la mobilité sociale.
Or, on a vu que celle-ci est assez limitée dans nos sociétés modernes, ce qui peut faire douter de
l'efficacité des inégalités
• L'inégalité décourage l'effort individuel si les rémunérations les plus basses sont trop faibles.
L'inégalité permet de récompenser l'excellence, c'est entendu, mais ce n'est pas parce qu'un
travailleur n'est pas parmi les meilleurs de sa catégorie qu'il a forcément démérité. Par exemple, les
smicards qui sont au bas de l'échelle des salaires en raison de leur faible qualification ou de leur peu
d'expérience ne sont pas pour autant de mauvais travailleurs. Si le SMIC est trop faible, il peut là
encore en résulter un sentiment d'injustice très démobilisateur.
• Une certaine égalité de revenu est nécessaire pour assurer la qualité de la main d'œuvre et
donc sa productivité. Par exemple, une distribution relativement égale des revenus permet à
chaque famille de disposer d'un logement décent et avec un minimum de confort, ce qui favorise la
qualité des études des enfants et donc le niveau de qualification des travailleurs. De même, garantir
un revenu minimum suffisant à chacun peut permettre un accès plus général au système de soin, et
donc améliorer la santé de la population et, indirectement, la productivité du travail (en réduisant
l'absentéisme, en limitant les maladies professionnelles, …).
Que conclure de cette présentation de l'efficacité éventuelle des inégalités pour la croissance ? Au
fond, le débat est sans doute d'abord politique : quelle croissance veut-on ? une croissance rapide quelles
que soient les inégalités qui l'accompagnent, une diminution des inégalités au risque d'un ralentissement de
la croissance ? Les alternatives sont nombreuses et le choix ne devrait relever que d'un débat collectif, un
débat politique au vrai sens du terme. Il faudrait arriver à mettre sur pied un système fiscal qui permette à la
fois de ne pas trop perturber les mécanismes du marché et les incitations qu'il offre aux individus et de
dégager des ressources publiques suffisantes pour lutter contre les inégalités considérées comme injustes
par la société.
En conclusion de ce chapitre, on peut souligner que la tension entre l'idéal égalitaire et l'existence
d'inégalités est inhérente aux démocraties. Celles-ci ont sans cesse à réfléchir et à débattre sur comment
réduire cette tension. Mais la solution ne peut être définitive et le consensus est toujours à reconstruire car
les inégalités comme les valeurs qui sous-tendent l'idéal égalitaire se transforment au cours du temps,
composant ainsi le changement social.

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