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Le Cercueil de Glace

Flaming Bess - La Rebelle de l’Espace


Chapitre 1
L’air était brûlant et saturé de cendres. Un épais nuage de fumée planait au-dessus de la ville et des
gerbes d’étincelles montaient vers le ciel. On entendait au loin le crépitement de l’incendie, entrecoupé de
violentes explosions.
Ka courut, courbé le long de l’épave du véhicule spatial qui obstruait la rue, tel le cadavre d’un
animal monstrueux, puis il s’abrita sous les vestiges vitrifiés d’une fortification. De l’autre côté du mur, la
cendre des arbres calcinés et le squelette métallique d’un pavillon. Ka tenta d’apercevoir quelque chose à
travers la fumée qui stagnait sur la rue. Il devina un peu plus loin la place de la Commandante. À l’horizon,
les tours de cristal du palais du Maître. Ka se redressa et jeta un coup d’oeil à l’intérieur de l’épave. Un
homme maigre, vêtu d’une armure de métal cuivrée, en surgit brandissant un fusil laser à canon double. Il
esquissa un geste et cria derrière lui, d’une voix tendue:
-Venez. Vite. Dépêchez-vous, nom d’un chien!
Ka avait le visage noirci par la poussière et on ne distinguait plus les rides qui sillonnaient son
front et creusaient ses joues. Il jura et cria à son tour:
-Dépêchez-vous!
Mais les fugitifs étaient trop épuisés, trop anxieux. Ils émergèrent de la fumée, les vêtements
déchirés, les yeux hagards, le visage gris. Une trentaine de femmes et d’enfants, derniers survivants des
milliers de fugitifs entassés dans les camps qui brûlaient maintenant à l’orée de la ville. Un enfant trébucha
et tomba. Sa mère le releva sans ménagement. Ils passèrent devant Ka sans le voir et il pensa: «Nous n’y
arriverons pas. Nous n’atteignerons pas le palais...» Il regarda les enfants et lut la terreur dans leurs yeux. Il
décida alors d’y arriver coûte que coûte.
Le grondement d’une explosion à l’ouest. Puis un cri tout proche, un cri qui semblait ne jamais
devoir finir.
Deux hommes apparurent derrière l’épave, portant l’uniforme bleu des services de sécurité. L’un
d’entre eux rejoignit les fugitifs, l’autre s’arrêta et se mit à gesticuler. Ka le rejoignit en quelques pas. Le cri
résonnait toujours, dément, à vous vriller les tympans.
-Elle est devenue folle, maugréa l’homme des services de sécurité. Une plaie sanglante barrait sa
joue. Elle ne veut plus faire un pas. Nous...
-Allez-y! coupa Ka. Attendez-moi au bout de la rue. Je m’occupe d’elle.
L’autre hocha la tête.
-C’est inutile. Elle refuse de nous accompagner. Il faut l’abandonner. Les Herculéens vont...
-Allez-y, répéta Ka en poussant l’homme devant lui.
L’agent des services de sécurité haussa les épaules et s’exécuta. Ka fit le tour de l’épave et
découvrit la femme debout au milieu de la rue, la nuque renversée et apostrophant le ciel. Ses cheveux
blonds épars et couverts de cendre flottaient dans son dos et elle tenanit serrée contre sa poitrine une
sacoche de cuir.
-Gahl, pensa Ka. C’est Gahl Belfort.
Elle était arrivée à Terminus avec le dernier convoit de réfugiés en provenance d’un monde situé
dans la constellation du Centaure. Un monde où les Herculéens régnaient en maîtres. Ils avaient tué ses
parents, conformément à leur habitude de massacrer les vieux sur chacune des planètes dont ils faisaient la
conquête.
-La tombe pour les vieux, les camps pour les jeunes, pensa Ka. Les camps de Krom, où on
sélectionne les individus en fonction de leur code génétique. La mort ou la folie...
Il s’approcha de la jeune femme, la prit dans ses bras et la secoua jusqu’à ce que son hurlement ne
soit plus qu’un sanglot désespéré.
-Si tu continues à crier, tu es morte, dit Ka. S’ils entendent tes cris, ils viendront te tuer comme ils
ont tué tes parents. Si tu te tais et reprends ta route, tu vivras. Compris, Gahl?
Elle cessa de sangloter et le regarda fixement.
-Tu auras la vie sauve, insista-t-il.
Il constata que quelque chose bougeait dans la sacoche de cuir qu’elle tenait toujours serrée contre
elle.
-Qu’y a-t-il là-dedans?
-Rien, rien, hoqueta-t-elle. C’est Diva. Ce n’est que Diva. Elle est furieuse parce qu’elle n’aime
pas être enfermée.

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-Diva? demanda Ka en fixant la sacoche. Qui est-ce?
-Un chat femelle, répondit la jeune femme avec un pâle sourire. Diva est mon chat.
-Qu’est-ce que c’est, un chat? demanda-t-il avec irritation.
Mais il n’eut pas le temps d’écouter la réponse. Une ombre venait d’apparaître dans la périphérie
de son champ de vision. Ka pivota sur lui-même, pointa son fusil laser au jugé et tira. Le rayon frappa
l’Herculéen au moment où il s’apprêtait à bondir. Il resta quelques fractions de seconde comme pétrifié.
Son uniforme était noir, son casque était noir, sa visière aussi, et on ne on ne distinguait de lui que le mince
trait de la bouche et le menton proéminent. Le rayon laser perfora sa cuirasse et il retomba sur le sol, mort
sans avoir poussé un cri, comme faisaient tous les clones de son espèce.
Ka jeta un regard circulaire et constata qu’il n’en venait pas d’autres. Sans doute s’agissait-il d’un
guerrier isolé, d’un éclaireur? Dans ce cas, ses compagnons allaient s’étonner de ne pas le voir revenir et le
coin ne tarderait pas à grouiller d’Herculéens. Ka se retourna. Gahl Belfort était toujours là, debout à côté
de l’épave, la bouche ouverte sur un cri silencieux, les yeux écarquillés. Il faisait une chaleur lourde, et
pourtant elle tremblait.
-Viens, fit Ka. Tout va bien. Il est mort et il était seul.
-Ils sont partout, murmura-t-elle. Ils approchent dans l’ombre. On ne les entend pas, on ne les voit
pas, mais ils sont là. C’est comme sur Dragersteyn : ils sortaient de l’ombre et nous tiraient dessus.
Ka la prit pas le bras et la força à avancer. Ils empruntèrent la rue qui menait à la place de la
Commandante.
-Ils n’ont pas débarqué de leurs vaisseaux sur Dragersteyn, murmura Gahl Belfort. Ils sont apparus
tout d’un coup. Leurs vaisseaux ne sont arrivés que plus tard.
-Dragersteyn, pensa Ka. Une planète de la constellation du Centaure. La dernière étoile à être
tombée aux mains des Herculéens. Et maintenant, c’est au tour de Terminus. Dire que nous nous croyions à
l’abri! Et pourtant ils sont venus. Ils sont venus sans leurs vaisseaux, comme à Dragersteyn.
Ils atteignirent l’extrémité de la rue et débouchèrent sur la place de la Commandante, déserte et
grise de cendres. De l’autre côté, vibrant dans l’air surchauffé, l’escalier majestueux qui conduisait aux
colonnes entourant le portail du temple. La Commandante y dormait dans la glace depuis des millénaires.
Le portail était grand ouvert et le temple semblait désert. Derrière le temple, toutes proches et pourtant
inaccessibles, les tours de cristal illuminées du palais du Maître.
-Où sont les gardiens du mausolée? se demanda Ka. Réfugiés au palais comme les autres?
Un des hommes des services de sécurité, le plus âgé, se détacha du groupe des fugitifs et se dirigea
vers Ka. Il s’appelait Dschan. Grisonnant, les épaules larges, les yeux très bleus, il avait le type des
habitants de Terminus. Ce n’était pas un fugitif, mais un membre de la vieille garde de Muller McLasky. Il
épongea du revers de la main la sueur qui perlait à son front et soupira d’une vois lasse.
-C’est la fin. Les troupes de choc des Herculéens ont investi le no man’s land entre la ville et le
palais. Le champ magnétique protège toujours le palais, mais... Il eut un geste résigné avant de poursuivre :
Le commandement central ne peut plus nous envoyer de renforts. Nous sommes vaincus, Ka...
-Oui, mais encore en vie, objecta Ka.
-Pour combien de temps? demanda Dschan avec un sourire triste.
-Il faut nous aider! s’écria Gahl. Vous ne pouvez pas nous laisser tomber. Ah! si seulement nous
disposions d’une navette...
-L’atmosphère est truffée de mines aériennes, coupa l’agent des services de sécurité. Ce serait du
suicide...
Ka jeta un coup d’oeil au temple de la Commandante.
-Elle dort toujours, pensa-t-il. N’entend-elle par les cris? Ne sent-elle donc pas la mort
omniprésente? Un sourire amer plissa la commissure de ses lèvres. Elle n’est donc qu’une légende, se dit-il,
une maudite légende. La gardienne de l’humanité enfermée dans la glace. La femme qui était veuve de la
Terre, cette planète perdue à jamais...
Gahl Belfort parut deviner ses pensées.
-Peut-être cette légende est-elle vraie! hasarda-t-elle. Peut-être le jour où Flaming Bess s’éveillera
est-il enfin venu?
C’était moins une question qu’une prière. Dschan eut un rire méprisant.
-Tout cela n’est que superstition. La Commandante n’est rien d’autre qu’un paquet de chair
congelé. Ce ne sont plus les légendes qui nous aideront. D’ailleurs, plus rien ne pourra nous aider. Regardez
le temple. Même les gardiens du mausolée ont disparu! Ainsi finissent les religions et les croyances. Même
le Maître...

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-Ça suffit! coupa Ka. Continuons.
Dschan jeta un regard sombre aux fugitifs.
-Avec ceux-là, nous ne ferons pas cent mètres. Il vaudrait mieux les laisser tomber et tenter de
nous réfugier au palais. Ce sont des morts vivants. Je ne vois pas pourquoi nous risquons nos vies pour
eux...
-Si vous abandonnez ces gens, je vous tuerai, Dschan, dit Ka.
-Je sais, répondit ce dernier en jurant. L’honneur, hein? Les hommes de votre clan ont toujours
trouvé ça plus important que la vie. Et ça vous a servi à quoi? Le clan n’existe plus. Tous sont morts, et
votre territoire n’est plus qu’un désert.
Ka haussa les épaules et se tourna vers le fugitifs.
-On y va.
Ils restèrent assis par terre sans bouger.
-Debout! ordonna Ka.
Une femme squelettique secoua la tête et soupira:
-Laissez-nous en paix, homme du clan. C’est inutile. Vous n’atteindrez jamais le palais. Nous
mourrons de toute façon.
Ka leva son fusil.
-Nous irons tous ensemble et personne ne restera en arrière.
Le jeune agent des services de sécurité blessé à la joue tritura son col en maugréant:
-Écoutez, Ka, vous ne pouvez pas...
Ka le regarda et le jeune homme se tut.
-Faites ce qu’il vous dit! cria Dschan aux fugitifs. Cet homme du clan est fou. Il vous tuera plutôt
que de vous laisser tomber aux mains des Herculéens. Il se frotta le menton et ajouta: Et il a peut-être
raison, après ce qui vient de se passer.
Après un moment d’hésitation, les femmes et les enfants se levèrent.
-Où allons-nous? demanda Dschan.
-Au temple, répondit Ka.
Dschan le dévisagea, puis eut un geste fataliste et prit la direction du temple. Les fugitifs le
suivirent. Gahl Belfort jeta à Ka un regard égaré puis se serra contre le jeune membre des services de
sécurité. Ka resta en arrière. La rue derrière lui menait à un horizon embrasé par l’incendie. Il pensa aux
planètes de la Ligue des Étoiles ravagées par la guerre, à son clan décimé et aux camps des Herculéens.
-Krom, murmura-t-il, un jour je te tuerai. Je te ferai payer tout le mal que tu m’as fait.
Puis il rejoignit les fugitifs qui, déja, escaladaient les marches du temple. Ils semblaient moins
amorphes tout d’un coup, comme si la vieille légende leur redonnait du courage. La légende de Flaming
Bess, la Commandante, qui dormait dans la glace.
...À l’heure du grand péril, lorsque la mort menacera les hommes, lorsque plus rien ne pourra les
sauver, lorsqu’il n’y aura plus d’espoir, alors se réveillera la Commandante.
-Eh bien, Flaming Bess, murmura Ka, qu’est-ce que tu attends? Les hommes sont à bout, chassés
comme des bêtes. Leurs villes brûlent et leurs planètes ne sont plus que cendres et désolation. Il n’y a plus
d’espoir. Qu’attends-tu, Commandante?
-Ka!
Le visage crispé, Dschan gesticulait au pied de l’escalier du temple. Ka jeta un coup d’oeil par-
dessus son épaule et vit apparaître une dizaine de silhouettes noires à l’autre bout de la place.
Les Herculéens.
Tous de la même stature, avec le même visage inexpressif à demi caché par la visière du casque.
De parfaites copies tirées du même original, des soldats éprouvettes, des clones reproduits à des millions
d’exemplaires. Et déjà il en venait d’autres, jaillissant du nuage de fumée qui s’appesantissait sur la ville.
Ka précipita le mouvement.
-Vite, au temple! cria-t-il. Dépêchez-vous.
Les fugitifs escaladèrent les marches en courant et s’engouffrèrent par le portail grand ouvert.
Dschan et son jeune compagnon s’accroupirent derrière la balustrade qui entourait la terrasse et ouvrirent le
feu sur les Herculéens. Des jets d’énergie déchirèrent l’atmosphère. Deux Herculéens tombèrent, mais les
autres poursuivirent leur progression inexorable. Rien n’arrête des clones, et ils ne discutent jamais un
ordre.
Au moment où Ka atteignit l’escalier monumental, les Herculéens ripostèrent. Des trous larges
comme des assiettes apparurent dans les marches de l’escalier. Un morceau de la balustrade se désintégra et

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des éclats crépitèrent sur la cuirasse de Ka. Il se plaqua au sol et monta l’escalier en rampant comme un
reptile. Tout à coup, un cri jaillit au-dessus de lui. Puis il y eut un bruit de chute, un gémissement et plus
rien. Ka leva la tête et distingua le corps du jeune homme balafré, allongé derrière la balustrade. La tête
formait un angle étrange avec le corps et les yeux étaient vitreux.
Dschan poussa un grognement et prit la fuite. Ka le vit tenter de gagner le portail en quelques
bonds grotesques. Mais un rayon d’énergie le frappa dans le dos et le catapulta en avant. Ka serra les dents
et, se redressant, courut en direction de la porte du temple, tandis que les Herculéens achevaient de détruire
la balustrade. Tout à coup, le sol s’effondra autour de lui. Il plongea par la porte ouverte, roula sur lui-
même et se redressa d’un bond. Gahl Belfort, aidée de quelques femmes, repoussa les battants de la lourde
porte et la verrouilla.
Ka l’entendit vibrer sous l’impact des rayons d’énergie, mais elle tint le coup.
-Pour combien de temps? pensa-t-il. Jusqu’à ce que les Herculéens mettent en batterie leur
matériel lourd?
Gahl ramassa la sacoche de cuir contenant son chat et s’approcha de Ka.
-Et maintenant? demanda-t-elle. Il n’y a pas d’autre issue, n’est-ce pas?
Non, il n’y en avait pas d’autre.
Les Herculéens cessèrent le feu et ce fut le silence. Ka jeta un regard circulaire et contempla la
grande salle du temple où règnait une semi-pénombre. Le sol immaculé était blanc comme les hauts murs
que surmontait une coupole. Hormis le mausolée, la salle était vide.
Le mausolée s’élevait au fond, sur un autel de métal parfaitement poli. Assis à son pied, des
enfants attendaient. Quoi? Nul ne le savait précisément. Ka eut un sourire amer. Il devinait que leur attente
serait vaine. L’ancienne Commandante n’entendait pas les supplications qui montaient vers elle. Sourde et
prisonnière de la glace, elle restait sans réaction. Son sommeil durait depuis des millénaires. le froid avait
conservé son corps intact et ses yeux grands ouverts ne pouvaient pas voir. Elle était là, étrangement
absente dans ce bloc de glace vertical cerclé de métal aux extrémités, aussi jeune et belle que jadis. Dans la
main droite, elle tenait braquée une arme étrange.
-Qui vises-tu, Flaming Bess? pensa Ka en avançant d’un pas lent vers le mausolée. Qui est ton
ennemi?
Les enfants s’écartèrent pour le laisser passer et il se tint debout au pied du mausolée. Il leva la
main et toucha la glace. Elle était lisse et dure comme le verre, mais pas froide. Le froid était orienté vers la
chair de la Commandante. À cinquante centimètres de la main de Ka, régnait une températire proche du
zéro absolu. Il frissonna en y pensant.
-Les hommes attendent ta protection, Flaming Bess. Ils ont besoin de ton aide, murmura-t-il d’une
voix presque inaudible. L’heure de ton intervention a sonné. La mort menace ce qui reste de l’humanité.
Toutes les tentatives pour la sauver ont échoué et il n’y a plus d’espoir. Tu dois te réveiller, Flaming Bess!
La Commandante regardait très au-delà de lui, sans rien voir, et elle semblait plonger dans un
passé lointain, aussi perdue que l’était la Terre mythique. Ka observa ses cheveux coupés court, sa peau
hâlée, son visage coulé dans le verre. Ses vêtements étaient aussi étranges que son arme. Elle portait une
chemise profondément échancrée, sans manches et aux épaules pagodes, un pantalon sombre brillant
comme de la soie serré à la taille par un large ceinturon, et des bottes de cuir gris perle.
Tout dans son attitude, dans son visage, dans son regard, donnait l’impression qu’elle avait été
saisie par une congélation instantanée.
Pour la première fois, Ka comprit comment la légende de Flaming Bess avait pu se perpétuer à
travers les siècles. Un simple coup d’oeil suffisait pour comprendre que la Commandante montait la garde.
Il entendit des pas derrière lui. C’était Gahl Belfort.
-On dirait tellement qu’elle est vivante! murmura-t-elle. Peut-être la légende est-elle vraie? Peut-
être qu’elle viendra à notre secours?
-Bien sûr qu’elle viendra à notre secours! s’exclama un des enfants, une petite fille au visage étroit
et aux yeux immenses. Phébus a dit que la légende était vraie. Il a dit que Flaming Bess se réveillerait si les
Herculéens envahissaient Terminus, et Phébus n’a jamais menti.
-Phébus Rumpel, pensa Ka. Ce vieux fou aux poches pleines de bonbons et à la tête égarée...
-Les légendes et la réalité, ça fait deux, soupira-t-il. La réalité est grise et froide, mon enfant, et se
moque bien des légendes. Il n’y a plus d’espoir pour notre monde, plus de salut, plus d’aide. Rien que des
villes en flammes, des tombes innombrables et d’immenses camps, gardés par des hommes en noir, qui ont
tous le même visage. Je connais ces camps, petite, et je sais ce qui s’y passe. Cela s’appelle la sélection
génétique. Krom, le seigneur de la guerre, le chef dément des Herculéens, y fait trier les hommes. Il fait

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mesurer le code génétique de tous ses prisonniers pour satisfaire sa monstrueuse folie : créer une race de
surhommes. Une tribu de seigneurs à son image, constituée de clones reproduits à des milliers
d’exemplaires. Et quiconque ne possède pas le code génétique qui lui convient est impitoyablement
éliminé. Quant à ceux qu’il garde, ils n’ont pas d’autre avenir que de servir comme esclaves.
-Mort et folie, ajouta Ka pour lui-même. Folie et mort, voilà ce qui sépare la réalité de la légende.
Une des fugitives se mit à hurler et Ka entendit à travers la porte du temple le martèlement des
bottes ferrées des soldats.
-Il est temps de se battre, pensa-t-il. Il est temps de mourir.
Il tourna le dos au mausolée, serra dans sa main son fusil laser et marcha vers la porte. Il pensa à
son clan décimé et sentit une irréprésible colère monter en lui.
-Écartez-vous! ordonna-t-il aux femmes.
Elles se dispersèrent puis se regroupèrent avec les enfants autour du mausolée. Lorsqu’il atteignit
le centre de la salle, Ka s’arrêta et, les jambes écartées, le fusil braqué droit devant lui, il attendit.
Une violente explosion ébranla la porte. Elle trembla sur ses gonds, mais tint bon. Il y eut une
deuxième explosion, encore plus violente, et presque au même moment une troisième, dont la puissance
arracha la lourde porte de ses gonds. Le mur de scellement éclata.
Presque aussitôt, des silhouettes noires et cuirassées envahirent le temple.
Avant que Ka ait eu le temple d’ouvrir le feu, il entendit comme un craquement de verre brisé puis
le cri que poussèrent les femmes et les enfants. Il vit l’élan des Herculéens stoppé net. Pour la première fois
apparut sur leur visage d’ordinaire impavide et à demi masqué par la visière de leur casque un sentiment,
quelque chose qui ressemblait à du désarroi et à de la peur.
Ils ignorèrent Ka.
Aussi immobiles que des statues de bronze, ils regardaient au-delà de lui.
Ka frémit de la tête aux pieds. Une volonté étrangère à la sienne lui fit tourner la tête et il vit ce qui
avait arrêté les clones pourtant si dociles de Krom.
Les fugitifs s’étaient éloignées du mausolée pour se réfugier dans un angle du temple. Elles ne
criaient plus, mais on entendait de plus en plus distinctement le grondement qui provenait du mausolée.
La glace...
Elle acheva d’éclater et jaillit en tous sens pour s’évanouir presque aussitôt en vapeur.
Alors, après des millénaires d’attente, après un séjour infini dans le froid absolu, la Commandante
sortit du mausolée.
Son regard alla des fugitifs à Ka, puis de Ka aux silhouettes lourdement armées des Herculéens.
Ka vit briller l’étincelle de son regard et il devina qu’elle savait. D’un côté les fugitifs, de l’autre les clones
de Krom.
Personne ne pouvait s’y tromper.
Et surtout pas Flaming Bess.
Chapitre 2
Les hommes étaient en danger.
Elle ne savait pas combien de temps avait duré son sommeil.
Elle ignorait tout de l’endroit où elle se trouvait.
Elle avait oublié ce qu’était devenu son vaisseau.
Elle ne comprenait qu’une seule chose: les hommes étaient en danger et son rôle était de les
protéger. Elle ne reconnaissait rien de son environnement, mais son combat, lui, était toujours le même.
Si elle, la Commandante du premier vaisseau interstellaire terrien, avait été tirée de sa gangue de
glace, cela signifiait que le vaisseau, l’équipage et les colons étaient menacés de destruction.
Et pourtant elle ne se trouvait plus à bord du vaisseau.
Mais cela n’avait aucune importance. Elle était réveillée et sentait sur sa peau le souffle froid de la
mort.
Elle identifia aussitôt l’ennemi et comprit qu’il lui fallait intervenir de façon déterminée si elle
voulait pouvoir s’opposer aux soldats noirs.
Elle brandit son arme, visa et tira. Un rayon d’énergie rouge pâle provoqua dans les rangs
herculéens une explosion qui ébranla tout le temple. Une colonne de feu la bouscula et s’éleva jusqu’à la
coupole. Une partie du souffle provoqué par cette explosion s’engouffra par la porte arrachée et dispersa les
Herculéens qui prenaient d’assaut l’escalier monumental. Mais l’orifice ne fut pas suffisant, une partie de la
façade fut soufflée en même temps et une partie de la coupole se déchira comme un couvercle de papier.

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Projeté au sol, Ka se releva à demi sourd et couvert de poussière. Il contempla d’un oeil ahuri les
ravages qu’avait provoqués la Commandante en tirant une seule fois.
La silhouette de la jeune femme se déplaçait, fantomatique, à travers le nuage de poussière. Il la vit
se mettre à l’abri d’un amoncellement de blocs de pierres tombées de la coupole pour éviter la riposte des
Herculéens qui tiraient maintenant dans sa direction.
Deux d’entre eux apparurent en haut de l’escalier. Flaming Bess tira à son tour et tout le haut des
marches se désintégra. À peine le rayonnement d’énergie s’était-il dispersé, qu’elle se précipita hors du
temple et s’abrita derrière un fût de colonne brisée.
De là, elle jeta un coup d’oeil à l’extérieur.
La place était vaste, mais on distinguait au-delà toute une fille en flammes. D’innombrables
silhouettes noires s’agitaient sur ce fond d’incendie. Toutes marchaient en direction du temple, tandis que
dans le ciel déchiré par des gerbes d’étincelles apparaissaient les premiers aéronefs. De lourds véhicules de
transport militaire qui se posaient avec un vrombissement sourd pour cracher aussitôt de leurs flancs des
centaines de soldats.
Flaming Bess en avait assez vu.
Elle se retourna pour s’assurer de ce qui se passait à l’intérieur du temple. Les femmes et les
enfants étaient toujours entassés, craintifs et pleins d’espoir à la fois, au fond de la nef. Ka, l’homme au
visage anguleux et à l’armure cuivrée, s’interposait toujours entre la porte et eux, l’arme levée, prêt à faire
feu.
Lorsqu’il la reconnut, il abaissa son arme et s’écria:
-Commandante!
Elle s’étonna de son accent.
-La langue a donc changé! pensa-t-elle. Mon Dieu, combien de temps suis-je restée dans cette
glace...!
Mais elle ne s’attarda pas sur cette question et décida de se consacrer à la seule chose importante:
fuir et trouver un abri. Le temple, elle le devinait, était un piège mortel.
-Il faut sortir d’ici, déclara-t-elle d’une voix brève. Y a-t-il une autre issue?
Ka hocha négativement la tête, comme elle s’y attendait.
-Alors, nous en créerons une! dit-elle. Qu’y a-t-il derrière ce mur?
-Le no man’s land entre la ville et le palais, répondit Ka, mais... Il haussa les épaules. Nous
n’avons aucune chance d’atteindre le palais. Les troupes de choc herculéennes sont partout,
momentanément arrêtées par le champ de forces qui protège le bâtiment.
Flaming Bess l’interrompit d’un geste impatient.
-Nous verrons bien. Vous, là-bas... Elle désignait la jeune femme qui serrait toujours contre sa
poitrine la sacoche de cuir. Venez ici.
-Je m’appelle Gahl, murmura l’interpellée. Gahl Belfort.
-Installez-vous à l’entrée, ordonna Flaming Bess. Dès que ces hommes mettent le pied sur la
première marche de l’escalier, donnez l’alarme. Compris, Gahl?
La jeune femme hocha la tête. La Commandante se tourna de nouveau vers Ka pour lui demander:
-Est-il possible d’entrer en contact avec le vaisseau?
-Quel vaisseau? fit Ka, l’air ahuri.
-Le vaisseau interstellaire, répondit-elle avec impatience. Le Nova Star.
-Je ne connais pas le Nova Star, répliqua Ka en hochant lentement la tête. Il n’existe plus de
vaisseau spatial sur Terminus. Les vaisseaux de la Ligue des Étoiles ont tous été détruits pendant la guerre,
ou sont tombés entre les mains des Herculéens. Notre dernier vaisseau interstellaire a été gravement
endommagé lors de l’évacuation de Dragersteyn. Il a explosé après l’atterrissage sur Terminus. Désormais,
nous ne pouvons plus fuir.
Flaming Bess le dévisagea avec stupeur. C’était impensable. Cet homme ne pouvait pas ignorer
l’existence de Nova Star! Le premier vaisseau interstellaire de l’humanité, l’immense arche partie avec des
centaines de milliers de colons à son bord! Par le Diable, lui, ces femmes et ces enfants ne pouvaient être
que leurs descendants! Ou alors... étaient-ils ceux d’autres colons, venus sur un autre vaisseau? Non, c’était
impossible. Certes, l’ONU avait probablement fait construire d’autres arches, mais...
-Cette ville... pensa Flaming Bess tout à coup. Cet accent étrange, cette Ligue des Étoiles
regroupant d’autres planètes qui, toutes ont sombré dans cette guerre mortelle... Mon Dieu, combien de
temps s’est-il écoulé?

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-Vous n’avez jamais entendu parler du Nova Star? demanda-t-elle. Et pourtant, vous savez qui je
suis?
-Oui, vous êtes Flaming Bess, la Commandante! répondit Ka avec assurance. Chacun connaît la
légende de Flaming Bess et de la Terre Perdue...
La jeune femme crut que le sol se dérobait sous ses pieds.
-La légende? s’écria-t-elle. Mais... mais combien de temps a duré mon sommeil?
-Des millénaires! répondit Ka. Beaucoup de millénaires. Terminus possède une civilisation très
ancienne, Commandante. Bien plus ancienne que la Ligue des Étoiles, plus ancienne que les empires
oubliés du Grand Anneau, que l’histoire de toutes les planètes civilisées. Et le temple et le mausolée ont
existé tout ce temps.
Abasourdie, Flaming Bess ferma les yeux quelques secondes. Des millénaires... pensa-t-elle.
Beaucoup de millénaires, et je suis devenue une légende dormant dans la glace. Les empires cosmiques se
sont faits et défaits, tandis que les hommes oubliaient leur origine. Mais pourquoi ne m’a-t-on pas tirée de
mon hibernation artificielle lorsque le vaisseau s’est posé sur cette planète baptisée Terminus? Pourquoi
les colons ne m’ont-ils pas réveillée lorsqu’ils se sont établis ici définitivement? Pourquoi m’ont-ils laissée
dormir des millénaires? Non, ce n’est pas possible. Je suis en train de rêver. Je suis toujours dans la glace
et je rêve...
-Commandante!
Elle sursauta et vit de nouveau Ka, l’homme au visage anguleux.
-Ces femmes et ces enfants ont besoin de votre aide.
Il avait raison. L’ennemi approchait.
-Rejoignez Gahl, ordonna-t-elle. Et contenez les Herculéens aussi longtemps que vous pourrez. Il
faut gagner du temps.
-Je suis un homme du clan, répondit Ka. Vous pouvez me faire confiance.
Il s’éloigna d’un pas vif. Flaming Bess se tourna vers les fugitifs et leur adressa un signe de la
main.
-Venez ici, vite.
Ils obéirent. Il n’y avait plus trace de crainte dans leur attitude. La légende venait de se
matérialiser sous leurs yeux. La femme dans la glace s’était réveillée de son sommeil millénaire et avait
arrêté la mort noire. Elle allait veiller sur eux et ils avaient confiance en elle.
Un sourire sans joie plissa les lèvres de Flaming Bess. En fait, elle ne se sentait pas autre chose
qu’un être humain fragile et vulnérable. Si seulement elle s’était trouvée à bord de son vaisseau avec la
possibilité de recourir aux armes et à la technologie qui l’équipaient... Mais il ne lui restait plus que son
destructor. Or, malgré sa redoutable efficacité, cette arme de poing ne lui permettait pas de tenir tête à une
armée.
Un cri d’alarme en provenance de l’entrée la fit sursauter. Presque au même moment explosèrent
les premières grenades à haut rayonnement. Flaming Bess pointa son arme sur le mur du fond et tira. Un
trou s’élargit, puis ce fut l’explosion des machines qui avaient entretenu le froid destiné à la protéger contre
le temps. Enfin, une épaisse fumée se répandit et les hurlements des enfants et des femmes furent couverts
par l’explosion des grenades herculéennes. Lorsque le feu se fut éteint et la fumée dissipée, on aperçut à
travers le mur béant le ciel gris et l’herbe verte, puis à l’horizon les tours de lumière.
-Le palais! cria une des femmes.
-Courez! ordonna Flaming Bess. Courez aussi vite que vous pourrez.
Les fugitifs escaladèrent les gravats et disparurent. Flaming Bess, elle, se précipita vers l’entrée.
Accroupie derrière un tas de moellons, Gahl Belfort regardait avec terreur les grenades creuser des
entonnoirs dans le sol du temple. Agenouillé à quelques mètres d’elle, Ka déchargeait consciencieusement
son fusil laser. Les mortels rayons lumineux tenaient à distance les Herculéens qui tentaient de prendre
l’escalier d’assaut.
Flaming Bess bondit à côté de Gahl et lui lança d’une voix brève:
-Filez, nous allons retarder les Herculéens.
La jeune femme obéit et courut vers le fond de la nef courbée en deux. La Commandante visa et
ouvrit le feu presque aussitôt.
Dehors, ce fut l’enfer durant quelques secondes.
-Ka!

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L’homme du clan tourna la tête dans sa direction. La lueur des brasiers rougissait son visage et un
sourire cruel déformait sa bouche. Flaming Bess frissonna. Il quitta sa place et s’approcha d’elle, profitant
de l’accalmie provoquée par l’effet du destructor.
-On file! déclara-t-elle.
Ils se replièrent, ombres mouvantes dans le nuage de poussière qui roulait en volutes lourdes dans
la nef. Avant de quitter le temple, Flaming Bess visa ce qui restait de la coupole et tira. Tout s’écroula dans
un fracas épouvantable, écrasant leurs poursuivants.
Sans un regard en arrière, la Commandante s’enfonça avec Ka dans les hautes herbes. Une
centaine de mètres plus loin, ils rejoignirent les fugitifs. Ils les entraînèrent aussitôt vers les arbres noueux
qui bordaient le champ sur la gauche.
C’est alors que son instinct avertit la Commandante. Elle fit plaquer tout le monde à terre. Presque
au même instant, une grenade passa au-dessus de leurs têtes et alla exploser un peu plus loin. Flaming Bess
se redressa aussitôt pour tirer et mettre hors d’état de nuire les Herculéens qui les attendaient entre les
arbres. Mais ils parvinrent à prendre la fuite et elle se rua à leur poursuite, escortée de Ka qui tirait sans
relâche sur les silhouettes courant entre les arbres. Quelques grenades éclatèrent dans leur dos, mais trop
loin pour les mettre en danger. Ils abandonnèrent bientôt leur poursuite et rejoignirent les fugitifs.
Ces derniers approchaient du palais du Maître.
Un large cercle de tours de lumière rouge sang et vert foncé se dressait au-delà d’une rangée de
collines. L’air vibrant donnait un contour flou aux tours de lumière. Flaming Bess se souvint que Ka avait
parlé d’un champ de forces. Probablement cette vibration était-elle un effet optique secondaire de cet écran
protecteur. Du palais, on ne distinguait encore que les tours, le bâtiment étant caché par les collines.
À l’est et à l’ouest, des formations de chasseurs attaquaient le champ de forces en tirant des jets
d’énergie multicolores. Aux points d’impact, le champ de forces prenait une teinte sombre mais
apparemment tenait bon.
Flaming Bess exhorta les fugitifs à se presser.
Soudain, des boules de lumière apparurent en haut des tours. Elles montèrent lentement,
franchirent le champ de forces, puis s’abattirent comme la foudre sur les appareils herculéens et
explosèrent. Des débris incandescents descendirent vers le sol. Les attaquants battirent en retrait et bientôt
on ne vit que le rougeoiement de leurs réacteurs.
Les fugitifs s’arrêtèrent au pied des collines. Flaming Bess jeta un regard par-dessus son épaule.
Quelques dizaines de silhouettes noires progressaient dans l’herbe, mais de nouveaux appareils de transport
de troupes apparaissaient déjà au-dessus des ruines du temple.
-Commandante!
Ka avait escaladé une des collines et gesticulait.
-Commandante, venez voir!
Le point d’impact des grenades à haut rayonnement se rapprochait dangereusement et les aéronefs
porteurs de troupes étaient de plus en plus nombreux à se poser près des ruines du temple. Du haur de la
colline, Ka se mit à tirer sur ceux des Herculéens qui menaçaient le plus directement le groupe des fugitifs.
Courbée en deux, Flaming Bess escalada la colline au pas de course. Au moment où elle l’atteignait, un
rayon d’énergie provoqua une explosion à côté d’elle. Bourculée par le souffle, elle roula dans un buisson
et resta un moment sans réaction.
Elle entendit Ka jurer, mais elle ne perçut pas la suite.
Un vrombissement de machines herculéennes couvrit ses paroles.
La jeune femme se releva, encore chancelante.
Une ombre obscurcit le ciel, monstrueuse, terrifiante, semblable à la gueule menaçante d’une
immense baleine volante. Un transporteur de troupes passait au-dessus d’elle. D’instinct, Ka fit feu, mais
les rayons laser de son fusil à canon double ne laissèrent qu’une trace dérisoire sur la coque métallique. Il
dut alors faire un bond pour éviter le monstre qui rasa la colline avant de se poser un peu plus loin.
-Filons! cria Flaming Bess.
Déjà une trappe s’ouvrait sous le nez de l’aéronef et, dans l’orifice violemment éclairé, apparurent
les silhouettes de dizaines de clones.
Un éclair de lumière jaillit du destructor de Flaming Bess et alla frapper le blindage de l’aéronef
herculéen juste à côté de la trappe. En un instant, une tache rouge commença de s’élargir autour du point
d’impact et, en quelques secondes, l’aéronef ne fut plus qu’une carcasse de métal chauffé à blanc. Un
torrent de feu jaillit de la trappe tandis que plusieurs explosions sourdes résonnaient à l’intérieur. Puis une

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autre déflagration, plus forte que les autres, le désintégra. Une colonne de feu monta vers le ciel tandis que
le sol tremblait.
Quelqu’un poussa un cri.
Il y avait dans l’air une odeur de métal en fusion et d’électricité. La Commandante détourna la tête
et scruta la friche couverte d’une végétation rare qui s’étendait devant elle jusqu’à l’écran protecteur qui
scintillait dans la lumière. Les fugitifs y étaient presque. De l’autre côté, flanqué de tours de lumière,
s’élevait le palais du Maître.
Il brillait comme s’il eût été bâti en argent massif. C’était une pyramide octogonale d’environ
quatre cents mètres de diamètre, élevée sur une zone désertique et reposant sur des pieds d’une dizaine de
mètres de haut.
Une coupole transparente surmontait l’édifice.
Cette vision pétrifia Flaming Bess.
C’était son vaisseau
Le Nova Star, le premier vaisseau de l’humanité.
Le vrombissement des moteurs enfla dans son dos. Elle vit quatre transporteurs de troupes se poser
tandis qu’apparaissaient les soldats clonés. Flaming Bess ralentit leur avance en tirant de nouveau.
Puis elle prit ses jambes à son cou.
Le champ de forces lui parut terriblement distant, et les Herculéens l’enveloppaient maintenant
d’un tir nourri. Elle se retourna et fit feu sur ses poursuivants qui, telles de monstrueuses fourmis,
envahissaient les collines.
-Plus vite! pensa-t-elle. Plus vite!
Elle parvint à atteindre le champ de forces devant lequel se pressaient les fugitifs. Tout à coup,
l’écran de forces cessa de scintiller à l’endroit où ils se trouvaient, et ils purent le franchir. Des hommes en
uniforme bleu sortirent du palais et s’approchèrent. Ka et Flaming couvrirent la retraite des fugitifs qui
s’engouffraient par l’ouverture créée dans le champ de forces. Les clones de Krom se firent décimer, mais
tous marchaient à la mort sans hésitation.
-On décroche! cria Flaming Bess.
Et elle franchit le champ de forces avec Ka. Aussitôt, le dôme protecteur se referma, coupant la
route aux clones. La jeune femme poussa un soupir de soulagement, puis regarda approcher les gardes du
palais.
Un homme trapu et bedonnant marchait à la tête du détachement des services de sécurité. Il tenait
à la main une arme Klokig.
-Je vous arrête! lança-t-il à Flaming Bess. Je vous arrête en tant qu’espionne herculéenne.
Chapitre 3
Flaming Bess éprouva un sentiment étrange en pénétrant dans ce palais qui avait jadis été un
vaisseau, son vaisseau, le Nova Star. Il était maintenant rivé au sol d’un monde inconnu pour elle, vaincu
par le temps, mais restait malgré tout l’ultime refuge des habitants de Terminus.
Depuis qu’il était devenu le palais du Maître, le vaisseau avait été complètement réaménagé.
Flaming Bess se laissa guider par les membres des services de sécurité sans opposer de résistance.
Elle avait empêché Ka d’intervenir lorsqu’il avait fait mine de sauter à la gorge de l’homme corpulent et
avait ordonné à Gahl Belfort et autres fugitifs de se taire. Tous avaient obéi.
Quelles que soient les charges que ce gros bonhomme avait contre elle - il s’appelait Muller
McLasky et il était le chef de la sécurité sur Terminus -, pour les fugitifs, elle était la Commandante.
Chacun pensait d’ailleurs que ce malentendu n’allait pas tarder à se dissiper.
Quant à Flaming Bess, elle cherchait pour l’instant à comprendre le fonctionnement interne du
palais.
Elle connaissait bien ce type d’homme: sur Terre aussi, il y avait eu des McLasky. Tant qu’ils se
sentaient maîtres de la situation, ils n’étaient pas réellement dangereux. Mais acculés, ils pouvaient devenir
menaçants. Ce qui était clair pour tout le monde leur paraissait obscur, le moindre chuchotement devenait
une conspiration et ils voyaient toujours le mensonge derrière la vérité que, d’autre part, ils redoutaient par-
dessus tout. Ils préféraient, en effet, croire à leurs propres mensonges, afin de ne pas avoir à se remettre en
cause.
Un groupe des services de sécurité puissament armé escorta Flaming Bess à l’intérieur du palais.
Elle n’aperçut pas d’autre visage, bien que certains indices lui aient donné à penser que des milliers de
fugitifs y avaient trouvé asile. On la fit passer par des corridors déserts et faiblement éclairés, puis par des

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escaliers. La poussière sur le sol et le silence absolu suggéraient qu’il s’agissait d’une partie du palais peu
utilisée. Il était aussi possible que McLasky n’ait guère envie de rendre publique cette interpellation.
Flaming Bess ne parvenait pas à se sentir inquiète. Gahl Belfort et les autres fugitifs ne
manqueraient pas en effet de répandre le bruit du retour de la Commandante. À moins que McLasky n’ait
aussi l’intention de mettre l’homme du clan et les fugitifs sous les verrous...
Les gardes échangeaient peu de paroles et considéraient Flaming Bess avec un mélange de respect
et de méfiance. La peur aussi se lisait dans leurs yeux, et la Commandante en connaissait l’origine. Ces
hommes s’étaient sentis en sécurité sur Terminus et pourtant l’ennemi était venu, incendiant leurs villes et
les assiégeant dans leur dernier bastion. SI le palais tombait, c’était la fin.
Flaming Bess se demanda s’ils connaissaient l’origine de ce palais. Elle se souvint des paroles de
Ka devant le temple, juste avant l’attaque des Herculéens, lorsqu’il avait affirmé ignorer l’existence du
Nova Star.
-Le temps a fait son oeuvre, pensa-t-elle. Trop de temps a passé...
Elle longea des couloirs sans doute désaffectés depuis des années. Le pas lourd des gardes
résonnait dans le silence.
Ka avait-il entrepris quelque chose? Elle ne savait s’il était ou non influent. Pour le moment,
mieux valait attendre. Le temps travaillait pour elle. Tôt ou tard, les Herculéens attaqueraient le palais et
alors tous ces milliers de fugitifs n’auraient pas d’autre recours qu’elle.
Au fond, elle était une légende vivante. Elle esquissa un sourire ironique en pensant qu’elle était
passée sans transition d’un statut de quasi-divinité à celui de prisonnière.
Les gardes la firent entrer dans une pièce dépourvue de tout orifice et verrouillèrent la porte avec
soin. Elle entendit s’éloigner le bruit de leur pas, mais elle estima qu’ils avaient dû laisser au moins deux
gardes à la porte. Avec un haussement d’épaules, elle se laissa tomber sur une banquette. C’était le seul
mobilier de cette pièce exiguë et, apparemment, les cellules n’avaient pas changé depuis des millénaires.
Flaming Bess ferma les yeux.
Elle avait vaguement espéré se réveiller d’un cauchemar, mais cette fois elle dut convenir qu’elle
était bien dans la réalité. Rien n’est plus désespérément réel qu’une cellule. Elle se trouvait dans le réel de
ce qui avait été son futur. Les autres systèmes conquis par les hommes, la Terre oubliée, perdue dans
l’immensité de l’espace. Tout à coup, elle se souvint et comprit qu’elle n’avait pas été tirée de sa gangue de
glace à cet instant précis par hasard.
-Vous dormirez, lui avait-on dit avant qu’elle quitte la Terre, jusqu’à ce que votre vaisseau atteigne
son but. Si vous vous réveillez dans l’espace interstellaire ou sur orbite autour d’une planéte inconnue,
trop hostile pour y prendre pied, alors vous saurez que votre vaisseau et son équipage sont en grand
danger. En danger mortel. Tout aura été tenté et tout aura échoué. Dès lors, le sort de cent mille êtres
humaines dépendra exclusivement de votre courage et de votre intelligence. Vous êtes l’ultime gardienne,
Flaming Bess, l’ultime espoir face à ce qui nous attend dans l’espace.
Le Nova Star avait atteint son but depuis des millénaires. Pourquoi avoir attendu si longtemps et
choisi ce moment précis pour l’éveiller? Elle se perdit en conjectures, ne trouva pas de réponse et en
éprouva un certain agacement.
Elle se concentra sur ce qu’elle savait: cette planète s’appelait Terminus ; l’ennemi, c’était ces
hommes noirs qui assiégeaient le palais où les derniers hommes libres avaient trouvé refuge.
Le passé était mort, la Terre n’était plus qu’un mythe et seul l’avenir avait désormais de l’intérêt.
Un bruit la fit sursauter.
Elle leva la tête et considéra le plafond métallique violemment éclairé.
Le bruit se répéta. C’était celui d’un corps pesant approchant avec lenteur. Flaming Bess découvrit
alors un rectangle dans le plafond. Le contour d’une trappe...
Le bruit s’interrompit à la verticale de la trappe, Flaming Bess porta instinctivement sa main à sa
hanche, mais l’étui qui avait contenu son arme était vide. Elle réprima un juron. McLasky n’avait pas été
assez bête pour lui laisser son destructor. De plus, il devait être persuadé de pouvoir s’en servir pour percer
à jour les secrets des technologies herculéennes.
Du métal ripa sur du métal et la trappe s’ouvrit vers le bas. Son visage apparut dans l’ouverture.
Celui d’un homme au teint mat, aux cheveux sombres coupés très courts et aux yeux presque noirs.
Elle le dévisagea et constata qu’il était essoufflé:
-Le diable m’emporte! hoqueta-t-il.
-Je suppose que vous êtes le fantôme du palais! ironisa Flaming Bess.
-C’est quoi, un fantôme? demanda l’inconnu avec une certaine irritation.

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Il n’attendit pas sa réponse et lui désigna la porte en lui faisant signe de baisser le ton. Il craignait
sans doute d’attirer l’attention des sentinelles.
La Commandante fronça les sourcils. Cet homme ne faisait certainement pas partie des amis de
McLasky. Y aurait-il donc à l’intérieur du palais un groupe d’hommes hostiles au chef des services de
sécurité? Ou s’agissait-il d’un mouton chargé d’endormir sa méfiance pour mieux la trahir? Elle opta pour
la prudence. Si plusieurs factions se faisaient la guerre à l’intérieur du palais, il lui fallait en savoir un peu
plus sur les buts de chacune avant de se choisir d’éventuels alliés.
Le visage de l’homme disparut quelques secondes. Puis ses jambes glissèrent par l’ouverture et
enfin le corps tout entier. Il amortit sa chute avec souplesse. Il portait une combinaison bleu nuit décorée de
spirales blanches sur la poitrine et à la taille. Ses bottes étaient noires et cirées avec soin.
Il l’observa sans esquisser le moindre geste, puis hocha la tête avec étonnement.
-Je n’arrive pas à le croire et pourtant c’est vrai... Vous êtes Flaming Bess, la femme du mausolée,
la Commandante. Je vous ai vue souvent dans le temple et je n’aurai jamais cru que...
Il se tut et Flaming Bess en profita pour lui demander:
-C’est Ka qui vous envoie?
-L’homme du clan? Non, il n’est pas des nôtres. Par ailleurs, je ne luis fais pas totalement
confiance... Il était prisonnier dans les camps herculéens et il a réussi à s’en tirer. Vous voyez ce que je veux
dire?
Non, elle ne voyait pas très bien, mais elle se tut.
-Gahl m’a dit que ce dingue de McLasky vous avait mis en état d’arrestation, poursuivit-il. Gahl
Belfort.
-Vous la connaissez? demanda Flaming Bess.
-Beaucoup mieux que certains, répondit l’homme avec un sourire ambigue. la femme au chat et
moi, nous avons quelque chose en commun.
-La femme au chat?
-Oui, ils sont inséparables. Vous n’avez pas vu Diva? C’est son chat. Elle le traîne partout dans
cette sacoche de cuir. Même si elle sait que ça risque de le tuer. Les chats sont des animaux très fragiles.
Vous en avez déjà vu? C’est une espèce très rare. Il ne doit pas en exister plus de dix spécimens dans toute
la galaxie, et ça vaut une fortune. Personne ne sait comment elle a réussi à s’en procurer un. Ce chat est tout
petit, pas plus grand que Stengelskiste. Il a quatre pattes, un pelage noir et blanc et il ronronne...
-Je ne sais pas ce qu’est Stengelskiste, mais j’ai déjà vu des chats. Sur Terre, ce sont des animaux
domestiques.
-Sur Terre..., répéta l’homme, soudain songeur. Il est vrai que d’après la légende, ces animaux sont
venus de la Terre. Vous devez donc les connaître, en effet... Mais cela ne suffit pas à prouver que vous êtes
bien la Commandante... Les Herculéens sont passés maîtres dans le clonage.
-Parce que vous aussi vour me prenez pour une espionne herculéenne? Comme McLasky? C’est
absurde. Votre chef des services de sécurité est un paranoïaque. Qui êtes-vous, d’ailleurs?
-Disons que j’entretiens de mauvais rapports avec les services de sécurité. Quant à mes amis, ils
m’appellent Ken. Ken Katzenstein.
-Et vous avez en commun avec Gahl la manie des chats?
-Disons que nous avons pas mal bourlinguer ensemble. Mais je n’ai pas sauté du plafond pour
vous raconter mes histoires d’amour. Quoique, après toutes ces années passées dans la glace, ça vous ferait
peut-être plaisir de vous réchauffer un peu entre des bras accueillants...
Flaming Bess esquissa un sourire.
-Si vous avez la cervelle qui est descendue dans le pantalon, je suis prête à vous la remettre en
place d’un bon coup de pied.
Il lui rendit son sourire.
-Il se pourrait alors que je torde ce si joli cou...
-Bon, coupa Flaming Bess. Vous n’êtes sûrement pas venu pour flirter. Alors je vous écoute...
-Très bien. Il me suffira que vous répondiez à une question. Une seule, mais capitale... pour vous.
Il se détourna et, lorsqu’il lui fit de nouveau face, le visage brusquement durci, il tenait à la main
un pistolet laser.
-Vous comprenez à quel point cette question est importante?
Flaming Bess n’ouvrit pas la bouche, mais elle avait perçu la froide détermination de Katzenstein.
À la moindre erreur de sa part, il tirerait. Elle n’avait aucune chance...

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-N’essayez pas d’avertir le geôlier, ricana-t-il. Ce serait dommage pour nous et notre avenir
commun. Nous n’aurions jamais l’occasion de ronronner ensemble.
-D’accord, Katzenstein. Que voulez-vous de moi?
-Vous aider, si vous êtes la vraie Flaming Bess. Il eut un clin d’oeil amusé. Ou vous tuer si vous
êtes un clone de Krom avec le masque de la Commandante.
-Et comment comptez-vous savoir exactement qui je suis? demanda-t-elle avec un calme plus
apparent que réel.
-Comme je vous l’ai dit, une seule question suffira, répondit-il en crispant son doigt sur la détente.
Il y a en effet une chose que seule la vraie Flaming Bess peut savoir. Écoutez-moi bien et tournez sept fois
votre langue dans votre bouche, car vous mourrez si vous me donnez la mauvaise réponse.
Elle lut dans ses yeux qu’il n’hésiterait pas à tuer s’il était convaincu d’avoir affaire à un clone.
Cet homme était aussi fou que McLasky, dans un autre genre...
-Voilà ma question : où êtes-vous?
-Où suis-je?
Elle le regarda avec une forte envie de rire. La question était ridicule. Elle était sur Terminus, dans
le palais du maître enfermée dans une cellule des services de sécurité. Elle évita toutefois de répondre à la
légère. «Tournez sept fois votre langue dans votre bouche», avait-il conseillé. Elle vit son doigt sur la
détente, prêt à tirer.
Et tout à coup, elle comprit.
La réponse était évidente...
Elle revit le palais en métal scintillant, la pyramide octogonale, à moitié enfoncé dans le sol et elle
devina la réponse qu’il attendait. Il sait quelle est l’origine de ce palais, pensa-t-elle en le regardant droit
dans les yeux.
-Je vais vous dire où je suis, Katzenstein. Ce palais n’est pas un bâtiment comme les autres. C’est
un vaisseau spatial. Mon vaisseau. Le Nova Star...
Katzenstein émit un étrange sifflement.
-Vous le savez! Alors, vous êtes bien la Commandante, la vraie, celle de la légende, la femme
prisonnière de la glace, et non un clone de Krom. Vous connaissez le secret du palais, ainsi que l’avait
pensé le Maître.» Il laissa retomber son arme et la rengaina avec un sourire soulagé. «Je suis désolé de vous
avoir soupçonnée, Commandante, mais l’enjeu était de taille, et les agents de Krom ont déjà dû...
Il se tut et tendit l’oreille.
Des pas approchaient dans le couloir.
-Il faut que je m’en aille, chuchota-t-il. Ne vous inquiétez pas. Le Maître empêchera McLasky de
faire des bêtises. Nous nous occuperons de vous. Nous...
Il y eut un bruit de voix assourdi.
-Je vous ferai signe! dit-il précipitamment.
Katzenstein ploya les genoux et d’un bond s’accrocha au rebord de la trappe, avant de disparaître
par l’orifice. Moins d’une seconde plus tard, le volet de la trappe se refermait. Presque au même moment,
la porte donnant sur le couloir coulissa sans bruit. Deux membres des services de sécurité en uniforme bleu
apparurent dans l’encadrement, un fusil laser à la main.
Flaming Bess lut la peur dans leurs yeux. Ces hommes avaient peur d’elle et ce détail l’amusa.
-Suivez-nous! ordonna un des deux gardes. McLasky veut vous voir.
Elle se leva et quitta la cellule en pensant à Katzenstein. Puis elle se demanda avec curiosité ce que
McLasky pouvait bien avoir à lui dire.
Chapitre 4
Le bureau de Muller Mclasky était situé au centre du palais. Escortée par les gardes, Flaming Bess
suivit plusieurs couloirs avant d’y parvenir. Les murs étaient recouverts d’écrans vidéo et une moquette vert
clair étouffait le bruit des pas. Une lampe de cristal diffusait dans la pièce une lumière chaude et agréable.
Muller McLasky était tassé comme un phoque derrière un immense bureau métallique. Devant lui,
un verre à pied en spirale contenait un liquide vert acide pétillant. Hormis ce gadget et un terminal
d’ordinateur, la surface du bureau était vide.
-Asseyez-vous, aboya-t-il, en désignant à la jeune femme une chaise haute sur pieds et
parfaitement inconfortable.
Les gardes se mirent en faction de chaque côté de la porte, le fusil braqué dans le dos de la
Commandante. McLasky se tut et dévisagea sa «visiteuse». Cette dernière ne put réprimer un sourire
amusé.

12
À l’exception du pétillement du liquide vert et de la respiration de McLasky, un silence absolu
régnait dans la pièce. Flaming Bess perçut l’odeur d’alcool qui se dégageait du verre. Le visage couperosé
de McLasky lui laissa aisément deviner qu’il buvait.
-Paranoïaque et alcoolique! pensa-t-elle. Tout pour plaire... La nature humaine n’a pas beaucoup
changé avec les millénaires...
-D’ordinaire, déclara le chef des services secrets avec un détachement feint, les espions on les
fusille. Mais je vous laisse une chance de sauver votre peau. Quelle mission vous a confiée Krom en vous
envoyant ici? Espionnage, sabotage, trahison?
-Vous savez parfaitement qui je suis, répondit Flaming Bess d’une voix calme.
-Oui, un agent herculéen, maugréa McLasky. Une maudite créature éprouvette. Un clone.
-Croyez-vous vraiment ce que vous dites? Demandez à Ka. Demandez à Gahl Belfort. Ils pourront
vous raconter ce qui s’est passé dans le temple.
McLasky se contenta d’un ricanement, puis s’empara du verre qu’il porta à ses lèvres pour le vider
d’un trait.
-Vous me prenez pour un fou? Eh bien, vous vous trompez, ma chère. Je ne ressemble pas en effet
à ces pauvres fugitifs, rendus crédules par leurs malheurs. Je suis né sur Terminus, moi. Je connais le
temple de la Commandante, le mausolée et la femme dans la glace. Je suis au courrant des expériences
scientifiques, des récits historiques qui remontent à plusieurs millénaires. Des générations de chercheurs se
sont penchées sur le cas de cette femme plongée en état d’hibernation et tous ont abouti à la même
conclusion: La femme prisonnière de la glace est morte et il n’existe aucune possibilité de lui rendre la vie!
Ce n’est plus qu’un tas de chair congelé, et vous savez ce qui se passe quand on décongèle de la viande? Ça
pourrit!
-J’espère, répondit Flaming Bess avec une indignation que dissimulait la douceur de son ton, qu’il
ne s’agit pas là d’une façon élégante de me faire remarquer les carences de mon déodorant.
McLasky éclata d’un rire coassant de vieux crapaud.
-Tiens, vous avez de l’humour! C’est bien la première fois que je constate ça chez un clone! Les
technologies de Krom auraient-elles encore progressé? A-t-il envie d’envoyer ses clones à la mort, la
plaisanterie aux lèvres? On verra bien votre réaction en face d’un peloton d’exécution. Alors, vous parlez,
oui ou non? Ça vous intéresse de sauver votre peau?
-Vous perdez votre temps, McLasky. Je suppose que Ka et Gahl vous ont raconté ce qui s’est passé
dans le temple. Je suis Flaming Bess. J’ai quitté mon mausolée, la glace a fondu et je suis vivante. Et
jepeux le prouver à vous et à tous vos savants.
Elle se pencha en avant puis s’immobilisa. Elle sentait la nervosité des gardes dans son dos.
-Écoutez-moi, McLasky. Dehors, ça fourmille d’Herculéens. Ils ne vont plus tarder à lancer
l’assaut final. Votre ville est en feu et, si vous ne faites rien, ça sera bientôt au tour du palais de partir en
fumée. Je ne sais pas grand-chose de cette guerre, ni pourquoi c’est aujourd’hui seulement que j’ai été tirée
de mon sommeil, mais j’ai tout de suite su que j’étais avec vous contre les Herculéens. J’ai sauvé de la mort
une trentaine de femmes et d’enfants, et j’ai risqué ma vie pour ces êtres que je ne connaissais même pas.
Pourquoi diable aurais-je fait cela si j’étais une espionne herculéenne?
-Vous ne trouvez pas que ça pourrait être une excellente façon d’endormir notre méfiance?
McLasky croisa les bras et se laissa aller contre le dossier de son fauteuil. Oui, ce serait même tout à fait
typique de ce que l’esprit tordu des bâtards de Krom pourrait échafauder... Qu’importe que vous ayez tué
quelques dizaines voire une centaine des clones, si ces morts vous permettent de vous introduire dans le
palais du Maître? McLasky eut une moue dubitative. Probablement avez-vous vous pour mission de
neutraliser les générateurs du champ de forces. C’en serait alors fini de nous... Allez-avouez que vous êtes
une créature de Krom.
-Je ne connais pas ce Krom, soupira Flaming Bess d’une voix lasse. C’est la première fois que
j’entends ce nom.
-Ma patience a des limites, bougonna McLasky. Et nous avons les moyens de vous faire parler, car
nous connaissons vos points faibles à vous autres, clones!
La Commandante préféra ne pas répondre. Elle pensa à la phrase de Katzenstein: Le Maître
empêchera McLasky de faire des bêtises. Dans ce cas, le Maître n’avait plus beaucoup de temps pour
intervenir. Elle se sentait tout à fait en mesure de neutraliser le chef des services de sécurité et ses deux
sbires, mais la méthode forte lui répugnait. Elle en savait encore trop peu sur le palais. Et puis, elle n’avait
pas complètement perdu espoir de convaincre McLasky de sa bonne foi. D’autre part, les derniers humains

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de Terminus n’arriveraient à rien tant qu’ils se battraient les uns contre les autres. Elle décida de faire une
ultime tentative.
-Vous vous trompez lourdement, McLasky. Vos ennemis cernent le palais et si personne ne vient à
votre secours, vous mourrez tous. Je peux vous aider. Regardez la réalité en face! Croyez-vous vraiment
que les Herculéens ont besoin d’introduire un agent dans ce palais pour l’investir? Ils vont mettre en
batterie leurs armes lourdes, ce n’est plus qu’une question de minutes. Alors, votre champ de forces ne
tiendra pas longtemps. Et au lieu de trouver une solution, vous vous racontez des histoires...
Le chef des services de sécurité joua avec son verre, le flaira et son visage s’assombrit encore un
peu plus.
-C’est très malin d’utiliser la vieille légende de la Commandante pour arriver à vos fins.
Malheureusement pour vous, je ne crois pas aux légendes. Pour moi, la Commandante est morte et la Terre
n’est qu’un mythe. McLasky caressa son double menton et poursuivit en ricanant: Vous avez failli réussir,
mais je vous ai démasquée à temps. Vous avez perdu. Et je vais vous expliquer pourquoi: c’est votre
perfectionnisme qui a tout fichu par terre. Votre maudit perfectionnisme herculéen. Il récupéra son
destructor. Mes experts ont examiné votre arme. Il n’en existe pas de semblable sur toutes les planètes de
l’alliance. Ça ne peut être qu’un produit de la technologie herculéenne.
-Cette arme vient de la Terre, comme moi.
-Arrêtez votre cinéma, vociféra McLasky en posant le destructor sur la table. Vous êtes un clone et
je vais vous éliminer. Mais pas avant de vous avoir montré quelque chose.
Il fouilla dans la poche de son uniforme et en sortit un dé noir qu’il posa avec une infinie
précaution sur son bureau.
-Qu’est-ce que c’est? demanda Flaming Bess.
-Attendez., répondit McLasky avec un sourire amer. Puis il chuchota: Anafée.
L’air commença à vibrer autour du dé. Puis une forme d’abord imprécise se dessina. Elle se
transforma bientôt en une fillette de quatre ans environ. Elle portait une robe rouge, des socquettes blanches
et des chaussures rouges elles aussi. Des cheveux blonds et bouclés encadraient son visage menu.
-Une image bidimensionnelle, un hologramme, pensa Flaming Bess.
-Bonsoir, papa! s’écria la petite fille. Maman et moi, ça fait trois jours que nous sommes sur Alpha
Emporion. Je vais bien. Nous vivons dans une maison qui ressemble à un gros champignon. L’eau est
chaude et épaisse comme du miel, mais elle a un goût épouvantable. Les animaux font des bruits étranges
la nuit, mais ils se cachent le jour. Les oiseaux aussi sont bizarres. On dirait de vieilles serpillières volantes,
mais eux, ils ne font pas de bruit. Maman va bien, elle aussi. Demain, nous irons voir les montatgnes de
verre. Il y a beaucoup d’enfants. C’est dommage que les autres enfants ne puissent pas nous accompagner.
Je suis contente de bientôt te revoir, papa. Je t’aime.
L’enfant agita la main et sa silhouette redevint floue, puis, de nouveau, on entendit distinctement
sa voix: Bonsoir, papa. Maman et moi, ça fait trois jours... L’hologramme s’effaça.
-Ma fille, commenta McLasky. L’enregistrement de cet hologramme date d’il y a deux ans. J’avais
alors organisé l’évacuation des colons de la Croix de l’Ouest. Miriam, ma femme, et Anafée, ma fille, sont
restées sur Alpha Emporion. Cette planète était un refuge sûr. J’étais à bord du vaisseau dont elle a parlé. Je
venais les chercher. Mais lorsque nous nous sommes posés sur Alpha Emporion...
McLasky se tut et ferma les yeux.
Le destructor était posé à côté du dé. Flaming Bess fut tentée de s’en emparer, mais elle se souvint
des fusils des gardes dans son dos.
-Les Herculéens étaient arrivés avant nous, reprit McLasky, le visage déformé par la haine. Le
camp des fugitifs n’était qu’une ruine et tous étaient morts ou disparus. Je n’ai jamais retrouvé la trace de
ma femme. Quant à Anafée, qui s’était réfugiée dans une grotte, elle n’a plus jamais souri depuis lors... Il
soupira. Vous comprenez, espèce de sale espionne, vos semblables ont enlevé ma femme pour lui faire
subir votre ignoble sélection génétique. Mais jamais, vous ne prendrez ma fille, vous entendez? Jamais.
-Et pourtant vous la perdrez si vous ne me faites pas confiance.
McLasky ouvrait la bouche pour répondre quand un coup fut frappé à la porte. Le gros homme
tourna la tête et les deux gardes pivotèrent sur eux-mêmes. Le temps pour Flaming Bess de récupérer son
destructor, d’empoigner McLasky par le col et de le tirer en avant. Il vit le canon à quelques centimètres de
son visage et éructa en direction des gardes:
-Ne tirez pas!
Les deux gardes hésitèrent, mais obéirent. On frappa de nouveau et une voix se fit entendre un peu
étouffée:

14
-Ouvrez, McLasky. C’est moi, Cluster.
-Pas de bêtises, lança Flaming Bess. Dites à vos sbires de jeter leurs armes.
McLasky regarda le destructor d’un oeil torve, puis maugréa:
-Faites ce que cette maudite espionne vous demande. Allez, obéissez.
La Commandante entendit le bruit des fusils tombant sur la moquette. Elle repoussa le chef des
services de sécurité dans le fauteuil et ordonna aux gardes de s’éloigner de la porte et de rejoindre leur chef
derrière son bureau.
Un coup plus violent que les autres ébranla la porte.
-Ouvrez! Je sais ce qui se passe dans votre bureau! cria la voix.
-Qui est-ce? demanda Flaming Bess.
McLasky éluda la question et grogna entre ses dents:
-Je savais bien que vous étiez une espionne herculéenne, maudit clone. J’aurais dû vous faire
fusiller sur-le-champ.
-Je vous ai demandé quelque chose.
-C’est Cluster, répondit McLasky à contre-coeur. L’amiral spatial Cluster.
Flaming Bess resta songeuse quelques secondes.
-Ouvrez la porte, ordonna-t-elle en s’adossant au mur pour ne pas perdre les trois hommes de vue
tout en surveillant l’entrée.
McLasky allongea le bras et pressa un bouton. La porte glissa sans bruit, livrant passage à un
homme grand, massif, au visage marqué et grisonnant. Il portait un uniforme pourpre froissé, qui semblait
avoir beaucoup vécu. Il s’immobilisa en apercevant Flaming Bess. Une autre silhouette apparut à sa suite
dans l’encadrement de la porte.
-Ka! s’écria Bess.
L’homme du clan laissa errer son regard de Flaming Bess à McLasky, aux deux gardes et aux
fusils tombés sur la moquette, près de la porte. Un sourire amer et fugitif flotta quelques secondes sur ses
lèvres.
-À ce que je vois, vous avez réglé seule votre problème, Commandante.
-Cette maudite espionne herculéenne va tous nous... beugla McLasky.
-Bouclez-la! coupa l’amira d’un ton sec.
-Mais... hoqueta le chef des services de sécurité, comme s’il manquait d’air tout d’un coup.
Cluster examina la Commandante d’un oeil aussi gris que ses cheveux clairsemés. Des sentiments
contradictoires l’agitaient et, sur son visage, passaient alternativement la suprise, la joie et l’incrédulité.
-C’est donc bien vous! murmura-t-il. La femme du mausolée, Flaming Bess! Je n’arrivais pas à
croire l’homme du clan. Il toussota et poursuivit avec une certaine gêne: Je vous prie d’excuser la conduite
de McLasky, Commandante, surtout après votre comportement héroïque face aux Herculéens...
Flaming Bess abaissa son arme, puis la glissa dans son holster.
-Vous ne croyez donc pas que je suis un clone?
-S’il y a quelqu’un susceptible de distinguer un clone d’un être humain, c’est bien l’homme du
clan, dit Cluster. Et il s’est porté garant de votre identité...
-Cluster! brailla McLasky hors de lui. Vous êtes tombés sur la tête. Ce crétin de Ka...
L’amiral lui coupa de nouveau la parole.
-S’il y a un crétin parmi nous, McLasky, c’est vous! Prendre la Commandante pour un clone! Sa
voix se fit plus dure: J’en parlerai au Conseil, McLasky, car vous auriez dû l’informer de la situation au lieu
de jouer les francs-tireurs. Votre comportement est non seulement idiot, il est aussi irresponsable. Je fera
tout pour que le Maître vous relève de vos fonctions.
-Je vous interdis de me parler sur ce ton! vociféra Mclasky. Vous n’avez pas le droit de vous mêler
de mes affaires. La sécurité du palais, c’est moi qui l’ai en charge, et je ne tolérerai pas que votre
inqualifiable légèreté nous coûte notre peau à tous. Cette créature, ce clone, restera entre les mains de mes
services jusqu’à ce que...
-McLasky, vous êtes un imbécile, lança Flaming Bess.
-Je... Je..., hoqueta le gros homme qui serrait les poings et avait de plus en plus de peine à se
contenir. Bon, d’accord, vous avez gagné la première manche. Mais pas encore la partie. À la moindre
alerte, je vous fais fusiller, Flaming Bess... ou qui que vous soyez. Je vous tuerai, vous entendez?
La Commandante haussa les épaules.
-Vous me faites de la peine, McLasky. J’espère pour vous que vous ne tarderez pas à retrouver un
peu de raison.

15
Et elle tourna le dos au chef des services de sécurité pour quitter le bureau, suivie de Cluster et de
Ka.
-Nous nous retrouverons! hurla McLasky. Vous n’arriverez pas à me mener en bateau. Pas moi!
Jamais!
Au même moment, un mugissement sourd emplit les couloirs.
-Les Herculéens! s’écria Cluster en pâlissant. Les Herculéens attaquent le palais.
Chapitre 5
Le petit groupe emprunta plusieurs couloirs et traversa des dortoirs qui sentaient le renfermé. Des
fugitifs assis par terre attendaient, désoeuvrés et tenaillés par l’angoisse, d’en savoir un peu plus sur leur
sort. On sentait partout rôder la peur de la mort. Les femmes et les enfants, les yeux agrandis par l’angoisse,
écoutaient le mugissement sourd des sirènes d’alarme qui leur déchirait le coeur et les oreilles.
L’ennemi était aux portes du palais.
Flaming Bess regarda les hommes à demi fous d’angoisse, serrant les poings, submergés de rage
impuissante, le visage dur, les yeux fixes. Ils attendaient l’assaut final avec pour seules armes de simples
fusils ou couteaux laser, parfaitement dérisoires face à l’armement lourd des Herculéens. Des femmes
d’une fierté sauvage montaient la garde devant les pièces où leurs enfants avaient trouvé refuge, ignorant
que personne ne serait plus en sécurité si les Herculéens détruisaient le champ de forces. La Commandante
entendit des cris, des sirènes d’alarme, des ordres lancés dans la panique.
Des hommes en uniforme bleu des services de sécurité couraient en tous sens et des pilotes vêtus
de pourpre se portaient aux points stratégiques, obstruaient les issues et distribuaient des armes aux fugitifs.
On entendait maintenant le grondement des explosions. Mais lorsque ces hommes et ces femmes
reconnaissaient Flaming Bess, leurs visages s’éclairaient et une lueur d’espoir renaissait en eux. Un
murmure parcourait les rangs.
-La Commandante... C’est la Commandante!
Cluster, Ka et Flaming Bess atteignirent un escalier gardé par plusieurs soldats en uniforme
pourpre. Lorsqu’ils reconnurent les arrivants, ils présentèrent leurs armes. L’escalier menait à une lourde
porte métallique. À peine Cluster eut-il mis le pied sur la dernière marche, la porte coulissa pour s’ouvrir
sur une grande salle ovale où s’activaient des hommes en uniforme, les yeux rivés sur des écrans et des
pupitres. La porte se referma et l’on n’entendit plus que le murmure des conversations et quelques ordres
brefs claquant comme des coups de fouet.
Flaming Bess aperçut sur les écrans les environs immédiats du palais: les tours de lumière, le
scintillement du champ de forces et, au-delà, un fourmillement inquiétant d’uniformes noirs. Des chasseurs
herculéens sillonnaient le ciel, lâchant des missiles qui explosaient contre la coupole du champ de forces.
Les Herculéens utilisaient aussi des batteries de missiles solair, mais pour l’instant le champ de forces tenait
bon.
Au fond de la salle ovale, sur une petite estrade blanche, était installé un bureau de verre composé
d’écrans et de consoles d’ordinateurs. D’innombrables témoins lumineux clignotaient en permanence.
Flaming Bess comprit que cette salle était le coeur du système de défense du palais.
Penchée sur le bureau, une femme tournait le dos à la porte. Elle était grande, mince et d’épais
cheveux blonds tombaient sur ses épaules. Avec sa longue robe noire, profondément décolletée dans le dos,
elle détonnait au milieu des soldats et des gardes en uniformes.
Un homme en gris, très maigre, lui faisait face. Ses cheveux tirés en arrière découvraient un visage
osseux, à demi caché par de grosses lunettes aux verres opaques.
Cluster s’approcha de l’estrade d’un pas décidé, tandis que Flaming Bess interrogeait Ka du
regard.
-Lady Gondelor, expliqua l’homme du clan. Et le Superviseur Vodermann Furst. Un des membres
du Conseil des réfugiés de Terminus.
La Commandante rejoignit l’amiral, Ka à ses côtés.
-Et quels sont les autres membres du Conseil? lui souffla-t-elle.
-Cluster, Muller McLasky et le Maître. Ka jeta un bref regard circulaire et poursuivit avec une
certaine amertume: Le Maître Tamerlan n’est pas là. Il doit probablement méditer là-haut, sous la coupole.
Il a confié la défense du palais au Conseil des réfugiés. Il aurait pu aussi bien ouvrir toutes grandes les
portes du palais aux Herculéens. Le seul membre du Conseil des réfugiés qui ait une expérience militaire
est Cluster, mais il ne peut pas grand-chose face aux trois autres qui sont trois intrigants. Ils ne pensent qu’à
leurs privilèges. Méfiez-vous, Commandante.
-Et Katzenstein? demanda-t-elle.

16
L’homme du clan la dévisagea avec surprise, avant de répondre:
-Il fait partie de la garde personnelle du Maître.
Cluster avait atteint l’estrade. Flaming Bss alla se placer à ses côtés. Lady Gondelor se tourna vers
eux. Son visage était d’une douceur angélique, mais son regard était de marbre. Elle n’accorda pas la
moindre attention à Ka ni à la Commandante.
-Ah! vous voilà enfin, Cluster, lança-t-elle d’un ton sec. Nous vous attendions. Où est McLasky? Il
devient urgent de prendre une décision.
Flaming Bess jeta un coup d’oeil sur le bureau de verre. Un écran d’ordinateur y était encastré et
on pouvait y voir une représentation schématique du palais et de ses environs. Un regard suffisait pour
constater qu’il était cerné par les troupes herculéennes. Au bord de l’écran, c’est-à-dire à quelques
kilomètres du palais, on distinguait des batteries de missiles alignées les unes à côté des autres, et
d’importants effectifs d’attaquants massés tout autour.
L’homme maigre retira ses lunettes et observa Flaming Bess d’un regard aigu. Cette dernière le
laissa faire sans réagir tandis que Lady Gondelor feignait de l’ignorer avec une hostilité non dissimulée.
-J’ai entendu dire que vous aviez été par erreur appréhender par nos services de sécurité, fit le
Superviseur d’une voix étrangement calme. J’espère que vous ne tiendrez pas rigueur de cette bévue à
McLasky. Il était sans doute persuadé de faire son devoir.
-Sans aucun doute, répéta Flaming Bess d’un ton sec.
Le Superviseur toussota, mais son visage resta impénétrable. SI le fait de rencontrer la
Commandante mythique le troublait, il le cachait à merveille.
-Je suppose, Commandante, que nous pouvons compter sur votre aide?
-C’est pour cela que je suis ici.
-Je me demande, intervint Lady Gondelor, comment un fossile pourrait nous être d’une aide
quelconque. Elle examina Flaming Bess de la tête aux pieds, et ajouta: Car vous êtes un fossile, et je
m’interroge sur les raisons de votre présence parmi nous.
Ka fit un pas en avant. Sa voix était calme, mais on y devinait une sourde menace.
-La Commandante a sauvé la vie d’une trentaine d’entre nous et elle est venue nous aider.
-Vous feriez mieux de débarrasser le plancher, ricana Lady Gondelor avec mépris. Vous n’avez
rien à faire ici.
-Ka restera avec nous, affirma Flaming Bess.
Les yeux de Lady Gondelor étincelaient de rage.
-Je n’ai pas d’ordres à recevoir de vous et je ne supporterai pas que...
-Taisez-vous! s’écria Cluster. Arrêtez votre cinéma. Les Herculéens vont donner l’assaut à notre
palais et vous vous conduisez comme une irresponsable!
Le Superviseur Furst leva un sourcil indigné.
-Nous sommes effectivement en état de guerre, reconnut-il d’une voix apaisante. Mais ce n’est pas
une raison pour oublier les lois et les règlements qui ont toujours été les nôtres. Même si je désapprouve la
façon dont s’exprime Lady Gondelor, je dois reconnaître qu’elle a raison en ce qui concerne l’homme du
clan. Durant l’état d’alerte maximum, il est formellement interdit à toute personne non autorisée de pénétrer
dans la salle de commandement. Je dois donc demander à l’homme du clan de...
-Ka restera avec nous, répéta la Commandante, toujours aussi calme.
-Je me demande si McLasky n’a pas raison, lança Lady Gondelor en plissant les paupières pour ne
laisser filtrer qu’un regard chargé de haine. Il se peut très bien, après tout, qu’elle ne soit qu’une vulgaire
espionne herculéenne. Quant à l’homme du clan, son cas est loin d’être limpide. Nous savons que les
Herculéens ont tué tous les hommes de sa race lorsqu’ils ont envahi Terminus. Tous sauf... Ka! Au lieu de
le tuer, ils l’ont emmené dans leur camp de R’O Chyn et il y est resté un an prisonnier. Que s’est-il passé
durant cette période, et comment a-t-il réussi à prendre la fuite, alors qu’une centaine de milliers d’autres
n’y sont pas parvenus?
-Les mauvais traitement que lui ont fait subir les Herculéens sont restés gravé sur son visage,
soupira Cluster. Ça se voit, non?
-Nous pouvons effectivement voir ses cicatrices, répliqua Lady Gondelor, mais nous ne pouvons
pas lire ses pensées secrètes.
Ka ne daigna pas répondre. Son visage resta aussi calme et détaché que d’habitude.
-L’homme du clan est loyal, insista Cluster. Pouquoi voulez-vous insinuer qu’il travaillerait pour
Krom? C’est grotesque. Après tout ce que lui et son peuple ont subi...
Lady Gondelor haussa les épaules avec agacement.

17
-Je ne sous-entends rien. Je me demande simplement comment les Herculéens ont pu découvrir
Terminus. La position de cette planète n’était connu que d’un petit nombre d’initiés. Peut-être y a-t-il un
traître parmi eux. Elle gratifia Flaming Bess d’un regard noir, avant d’ajouter: Ou peut-être deux.
La Commandante poussa un soupir las. Puis elle se tourna vers Ka, et désigna l’écran d’ordinateur
encastré dans la table: Comment estimez-vous la situation?
L’homme du clan se brancha un bref instant.
-Pour l’instant, une simple manoeuvre de diversion, répondit-il brièvement.
-C’est aussi ce que je pense, commenta Flaming Bess. Elle désigna deux symboles au bord de
l’écran. Il semblerait que deux batteries de missiles seulement soient en action. Le plus gros des forces
herculéennes est encore massé à l’arrière. N’est-ce pas, amiral?
Cluster se frotta le menton avant de répondre:
-Il se peut que vous ayez raison mais à quoi rime cette attaque de diversion?
-Ils préfèrent sans doute nous avoir à l’usure. À moins que... Comment résiste le champ de forces?
Le Superviseur pianota sur un ordinateur et observa quelques données.
-Pas trop mal. Il n’y a que dans les secteurs delta et gamma qu’il ne fonctionne plus qu’à 50% ;
c’est là qu’ils concentrent le tir de leurs fusées.
-De toute évidence, ils testent la résistance du champ de forces, murmura Flaming Bess. Ils
stockent des informations avant l’assaut final.»
Cluster ne semblait qu’à demi convaincu. Il hocha la tête et maugréa:
-Même s’ils utilisent tous leurs missiles, ils n’arriveront pas à détruire le champ de forces...
-Ils attendent des renforts, expliqua Flaming Bess. La pression qu’ils exercent actuellement sur
nous est simplement destinée à nous empêcher de quitter le palais.
-Que proposez-vous? demanda le Superviseur Furst.
-Attendre. Il n’y a rien d’autre à faire.
-Attendre! s’exclama Lady Gondelor avec un rire ironique. Magnifique! C’est très exactement ce
que les Herculéens veulent nous voir faire. Que nous restions à attendre, terrés dans ce piège, afin qu’ils
puissent mieux nous tomber dessus.
Furst ajusta ses lunettes:
-Auriez-vous mieux à proposer, Lady Gondelor?
-Il faut passer à l’offensive. Cluster devrait prendre la tête d’un commando et aller faire sauter les
batteries de missiles. Si la pression herculéenne sur le champ de forces diminue, nous pourrons utiliser une
partie de l’énergie consommée contre l’agresseur et briser l’encerclement. Terminus est une planète assez
vaste et nous pourrions nous cacher dans les grottes des montagnes de l’Espoir, ou dans les canyons du
Nord. Même avec toute leur armée, ils ne pourraient nous y retrouver.
L’amiral secoua vigoureusement la tête.
-Impossible. J’ai trop peu d’hommes sous la main et je manque d’armement lourd. De plus, un
commando n’aurait aucune chance face à la supériorité numérique des clones de Krom. Ce serait du
suicide.
-Vous avez peur, déclara Lady Gondelor avec mépris. Vous êtes un lâche.
Cluster devint blanc comme un linge.
-Je ne m’étonne plus des défaites successives de la flotte de la Ligue des Étoiles, ajouta Lady
Gondelor avec un sourire cruel. Avec un faible comme amiral.
-Je vous en prie! s’écria le Superviseur Furst, s’interposant entre Cluster et Lady Gondelor en
agitant les deux mains. Ce n’est pas en accentuant nos divisions que nous améliorerons notre situation.
L’amiral Cluster en tant que commandant suprême de notre flotte s’est remarquablement battu. Ce n’est pas
sa faute si nous avons perdu la guerre. Par ailleurs, je comprends le point de vue de Lady Gondelor.
L’inactivité à laquelle nous sommes condamnés pèse sur nos nerfs. Elle est intolérable aussi pour nos
troupes, qui vont devoir affronter dans quelques heures un assaut de grande envergure avec un moral à
zéro, si nous ne tentons rien d’ici là. Une action de commando, telle que la propose Lady Gondelor, aurait
un impact psychologique qu’il ne faut pas sousestimer...
Flaming Bess haussa les épaules.
-Je ne vois pas l’impact psychologique positif qu’aurait le fait d’envoyer à la mort quelques
hommes courageux. Cluster a raison, toute tentative contre les Herculéens serait voué à l’échec.
-On pourrait néanmoins essayer...
-Non, maugréa Cluster. Je refuse formellement de risquer la vie de mes hommes. Nous allons
suivre les conseils de la Commandante et attendre.

18
-Je proteste! s’écria Lady Gondelor. Vous n’avez pas le droit de prendre unilatéralement des
décisions de cette importance. De plus, vous vous laissez influencer par un personnage douteux. Ne voyez-
vous pas que son attitude fait le jeu des Herculéens? Je demande une délibération du Conseil et je plaide
pour une action de commando. Qu’en pensez-vous, Superviseur?
Ce dernier passa un doigt entre son cou et le col de sa chemise, l’air visiblement mal à l’aise.
-Il est difficile de réunir le Conseil au complet. Je ne sais comment joindre McLasky et le Maître
Tamerlan... Or nous ne pouvons délibérer si nous ne sommes pas au complet. Nos règlements...
-Oubliez ces maudits règlements! s’écria Lady Gondelor. Les lois et les règlements de la Ligue des
Étoiles ne lui ont pas survécu. La Ligue a perdu la guerre contre Krom. Êtes-vous pour une action de
commando, oui ou non?
Le Superviseur toussota de nouveau.
-Je pense..., marmonna-t-il. Je pense que nous nous trouvons dans une situation critique et que
chaque décision prise à la légère risque d’avoir des conséquences catastrophiques. On ne peut pas exclure
qu’une action de commando se solde par un échec cuisant. Par ailleurs, je ne suis pas un spécialiste des
affaires militaires. Les arguments de la Commandante et de l’amiral Cluster...
-Ça suffit! coupa Lady Gondelor. J’en ai assez entendu. Vous me décevez, Furst. Je n’aurais jamais
cru que vous vous laisseriez ensroceler aussi facilement par cette créature...
Flaming Bess repoussa Furst et Cluster et se planta devant Lady Gondelor.
-Je crois que vous feriez mieux de quitter cette pièce, lança-t-elle avec un calme menaçant. Vous
avez suffisamment jeté de l’huile sur le feu. Si quelqu’un fait ici le jeu des Herculéens, c’est vous.
Lady Gondelor soutint son regard et répliqua d’un ton sec:
-Je m’en vais, mais pas parce que vous l’exigez. Parce que je ne peux plus supporter la vue des ces
deux fous! Et elle désigna d’un geste méprisant Cluster et Furst. Vous faites une grossière erreur, messieurs,
en vous laissant influencer par cette femme. Vous vous souviendrez de ce que je viens de vous dire, et
j’espère qu’il ne sera pas trop tard.
Lady Gondelor tourna les talons et quitta la pièce avec la dignité d’une reine offensée.
Le Superviseur poussa un soupir accablé.
-C’est une femme excessive et elle n’est pas dans son état normal, expliqua-t-il comme s’il voulait
excuser son attitude. D’ailleurs, personne n’est dans son état normal. Elle se calmera, je vous l’assure.
Flaming Bess ne chercha pas à le contredire. Elle avait lu la haine dans les yeux de Lady Gondelor
et savait à quoi s’en tenir. McLasky, et maintenant cette femme. Deux ennemis, déjà. Qui serait le
troisième? Furst? Elle observa le Superviseur à la dérobée. Son visage était gris et aussi impénétrable qu’un
mur de béton. On ne distinguait pas ses yeux derrière ses verres fumés et sa politesse affable, son air gêné,
son goût du compromis ne permettaient pas de savoir ce qu’il pensait réellement. Ka l’avait dépeint comme
un intrigant, et sans doute était-ce vrai. Si Furst sentait son pouvoir menacé, il n’hésiterait pas une seconde
à rejoindre le camp de ses ennemis, celui de Lady Gondelor et de Muller McLasky.
Flaming Bess décida de redoubler de prudence à l’égard du Superviseur.
Elle savait, par contre, qu’elle n’avait rien à craindre de Cluster. Au contraire. le vieil amiral
semblait ravi d’avoir trouvé une alliée face aux autres membres du Conseil. Et Ka? Elle se rappela les
insinuations de Lady Gondelor sur l’homme du clan. Katzenstein, lui aussi, avait fait part de sa méfiance.
Et pourtant, elle était persuadée que ces soupçons n’étaient pas fondés.
Katzenstein... Un des proches du Maître. Flaming Bess songea tout à coup qu’il lui manquait
encore bien des informations.
-Les Herculéens! s’écria tout à coup Cluster en désignant du doigt la carte électronique sur
laquelle apparaissaient les forces en présence. Ils ont réglé le tir de leurs missiles et se retirent...
La Commandante examina la carte et constata qu’en effet les clones de Krom reculaient au-delà de
leurs batteries de missiles, mais sans pour autant abandonner leurs positions... Le champ de forces était
toujours encerclé et rien ne pouvait laisser supposer qu’il y eût la moindre chance de briser cet assaut.
-Ils ont sans doute appris ce qu’ils voulaient savoir, pensa Flaming Bess. Ils connaissent
maintenant la résistance exacte du champ de forces. Ils savent qu’ils n’arriveront à rien avec leurs missiles.
Que vont-ils entreprendre? Faire le siège jusqu’à épuisement complet de nos réserves? Attendre d’avoir
réuni un armement lourd susceptible de briser le champ de forces?
Flaming Bess se redressa et se tourna vers Cluster.
-Ce n’est qu’un répit, amiral. Rien de plus. Mais cela nous permettra toujours de gagner un peu de
temps. Et ce temps, il faut le mettre à profit. Peut-être notre situation n’est-elle pas tout à fait sans issue.
Peut-être avons-nous un moyen d’échapper à ce piège.

19
L’amiral passa une main lasse dans ses cheveux gris.
-Nous n’avons aucune chance de nous en sortir, murmura-t-il. La supériorité numérique des
Herculéens est trop écrasante. Il n’y a plus d’espoir. Nous sommes perdus.
Il semblait soudain abattu. On aurait dit un vieil homme désabusé et qui sent sa fin approcher. Le
regard perdu dans le vide, il répéta d’une voix atone:
-Nous sommes perdus.
-Nous sommes vivants! s’écria Ka. Nous pouvons encore nous battre.
-Peut-être ferions-nous mieux d’entamer des pourparlers avec les Herculéens, hasarda Furst. Je
pense que... Mais il se tut, mal à l’aise sous le regard glacé et méprisant de Ka. Puis il ajouta en baissant la
tête: Ce n’était qu’une proposition.
-Krom ne négocie jamais! trancha Ka.
Un silence pesant s’abattit sur le petit groupe.
-J’ai besoin d’informations, déclara Flaming Bess. Sur la façon dont a été menée la guerre, sur les
Herculéens, sur ce Krom. Je suis étrangère à votre monde et mon point de vue n’est pas le vôtre. Tout ce
qui est évident pour vous peut être incompréhensible pour moi. Par contre, je peux voir des choses qui vous
échappent. Vous dites que la situation est sans espoir. Vous dites qu’il n’y a plus d’issue... Or, je suis une
spécialiste des situations désespérées. J’ai été formée pour sauver l’humanité du désastre. Je suis la
Commandante, vous comprenez ce que ça veut dire?
Sa voix vibrait d’énergie. Elle poursuivit:
-Le seul fait que j’ai été tirée de mon état d’hibernation juste avant l’assaut final bouleverse les
données du problème. Dans l’affrontement avec les Herculéens, je constitue un facteur nouveau, une
donnée d’une importance capitale qu’ils n’ont pas encore prise en compte. Ils ne savent pas quel danger je
représente pour eux. Probablement est-ce pour cette raison qu’ils ont différé l’assaut final. Le temps de
mener leur enquête et de glaner le maximum d’informations à mon sujet. Rien n’est encore perdu, amiral.
Mais si vous voulez que je vous aide, il faut me fournir les informations que je vous demande. J’ai besoin
de votre confiance, j’ai besoin de votre aide. Je ne peux pas vous promettre la victoire, mais je peux vous
assurer de mon soutien inconditionnel.
Elle se tut et laissa son regard errer de Furst à Cluster. Le Superviseur rajustait nerveusement ses
lunettes sur son nez et, durant quelques secondes, il lui apparut comme une grand chouette aveugle.
-Vous ne demandez pas seulement des informations, soupira-t-il. Vous demandez aussi du pouvoir.
Et ça, je ne peux pas vous le donner. Non pas que je me méfie de vous, s’empressa-t-il d’ajouter. Mais vous
avez vu ce que les autres membres du Conseil pensent de vous. C’est au Maître Tamerlan qu’il appartien de
trancher en dernier recours.
Flaming Bess écarta l’objection d’un revers de la main.
-Il ne s’agit pas de pouvoir. Ce qui m’intéresse, c’est de sauver les fugitifs réfugiés dans le palais.
Et pour ça, il faut mobiliser toutes les énergies. Quant à Lady Gondelor et McLasky, laissez-moi régler la
question. Ce que je vous demande à vous, ce sont des informations!
-J’entends bien! s’écria Furst vexé. Mais je doit tout de même vous faire remarquer que le pouvoir
de décision suprême appartient au Conseil des fugitifs.
Flaming Bess réprima un commentaire désobligeant. Au moment où les Herculéens se
présenteraient armés jusqu’aux dents aux portes de la salle de commandement, le Superviseur Furst serait
encore en train de compulser le code des lois et règlements.
-Vous aurez les informations que vous souhaitez, déclara l’amiral Cluster. Je vous fais entièrement
confiance, Commandante, et je vous soutiendrai dans toute la mesure de mes moyens. Je suis las de toutes
ces querelles internes à notre commandement. Nous avons trop discutaillé ces derniers temps. Je vous
raconterai la guerre que nous avons menée et vous déciderez ce qu’il convient de faire. Il eut un rire rauque
avant d’ajouter: Si votre valeur n’est que la moitié de celle que vous attribue votre légende, il nous reste
encore quelque espoir.
Il s’approcha d’une console et pressa sur plusieurs boutons.
Aussitôt un champ de forces d’une blancheur laiteuse forma une coupole au-dessus de l’estrade
sur laquelle se tenaient les trois hommes et la Commandante, les isolant de la salle de commandement.
Quatre trappes s’ouvrirent sur le sol, libérant quatre sièges.
-Asseyons-nous, proposa Cluster.
Furst et Flaming Bess acceptèrent l’invitation, mais Ka préféra rester debout. Il avait toujours cette
même expression à la fois attentive et impénétrable. La Commandante constata avec un certain amusement
que l’homme du clan se considérait visiblement comme son chevalier servant. En fait, elle se sentait

20
réconfortée par la présence à ses côtés de quelqu’un d’honnête, dans ce panier de crabes qui semblait être le
palais du Maître. Oui, la présence de Ka la rassurait.
-La guerre..., soupira l’amiral Cluster, qui donna tout à coup l’impression de revivre un cauchemar,
comme si défilaient devant ses yeux les images cruelles des villes en flammes et des vaisseaux détruits. La
guerre a commencé il y a dix ans. Krom s’est attaqué aux planètes paisibles de la Ligue des Étoiles, il les a
envahies les unes après les autres et sa frénésie de conquêtes est loin d’être apaisée. Nous ne voulions pas
cette guerre! Nous vivions tous en paix depuis des siècles. Mais les conquérants ne se soucient pas des
désirs de leurs victimes. Il est venu pour tout dévorer et ne s’arrêtera que lorsque son ombre démoniaque
aura obscurci le ciel de la dernière de nos planètes: Terminus!
Cluster se tut quelques secondes, puis reprit:
-Il est apparu il y a dix ans pour la première fois sur Nachalon, une planète située dans la galaxie
du Prince, à six cents années-lumière, à la frontière d’un univers que l’homme n’a jamais occupé et dont le
centre est la Voie Lactée. Nachalon est une petite planète perdue au nord du désert interstellaire. Les
vaiseaux marchands n’y faisaient que rarement escale, mais lorsqu’un d’entre eux s’y posa il y a dix ans, ce
fut pour découvrir des villes détruites, des forêts calcinées et des champs dévastés. Je les ai vus de mes
yeux, Commandante. Et aussi les charniers. D’immenses charniers. C’est même à cause d’eux qu’on
m’avait demandé de venir. Pour constater ces massacres, ces vieillards assassinés dont les corps gisaient
dans des fosses communes, dans les rues, dans les ruines de leurs maisons. Car il n’y avait pas de jeunes
parmi les morts. Ils avaient disparu, comme l’ennemi.
-L’ennemi! Son attaque avait pris totalement au dépourvu la population de Nachalon. Nous
n’avons constaté aucune trace d’une quelconque résistance. Rien que la destruction et la mort. Qui donc
était cet agresseur? Qui donc pouvait vouer aux hommes une haine aussi implacable? Dans un premier
temps, rien ne nous permettait de l’identifier. À peine un soupçon... Il existait en effet des êtres qui vivaient
dans le désert interstellaire, au-delà des frontières de la Ligue des Étoiles. Des êtres couverts d’écailles,
absolument non humains: les Drakhanes. Il n’y avait jamais vraiment eu de contacts entre eux et nous ;
nous étions trop différents. Nous savions qu’ils existaient, c’était tout, et nous entretenions une sorte de
méfiance réciproque. Je quittai Nachalon pour retourner sur Centrus, la planète située au centre de la Ligue
des Étoiles y faire mon rapport au Conseil des Mondes Intérieurs. Je venais à peine de débarquer que
l’ennemi frappait de nouveau.
-Sur Leyten, cette fois. Une planète située dans la Croix de l’Ouest, une planète paisible peuplée
de paysans et d’éleveurs, le garde-manger de la Ligue des Étoiles. Il se produisit là les mêmes massacres
qu’à Nachalon. Tous les vieux furent tués et les jeunes emmenés nul ne sait où. Je n’oublierai jamais ces
images de folie et de mort. En déambulant au milieu des ruines, nous nous demandions comment pareille
horreur était possible. Et pourtant, ce n’était que le début...
-C’est à Leyten que nous avons pu identifier notre agresseur. Nous avons en effet réussi à
découvrir un survivant au milieu des ruines. L’homme avait perdu la raison et hurlait de terreur lorsqu’il
apercevait une ombre. Il tremblait et parlait tout seul. Je l’entends encore: «Elle vient de l’ombre, disait-il...
Les ombres grandissent en enfantant la mort... Des hommes en noir... Tout à coup, ils apparaissent... Ils sont
là, innombrables... Ils sont partout. Des milliers et des milliers, tous vêtus de noir avec un seul et même
visage. Les hommes meurent... Les vaisseaux descendent du ciel. Ils emportent avec eux les enfants et les
jeunes hommes... Le feu, les cris. Puis le silence. Les vaisseaux sont repartis, les hommes et les vieillards
sont morts, les jeunes ont disparu... Vous voyez les ombres? Et il n’existe pas d’endroit où se réfugier ; ils
sont partout, partout...
-Il avait perdu la raison, poursuivit Cluster avec un rictus amer. Et il mourut durant son transport
sur Centrus. Les hommes en noir, la mort qui surgit de l’ombre, nous ne savions trop que penser de ces
phrases décousues. Nous avions toutefois compris que l’ennemi était humain, qu’il ne s’agissait pas d’un
être surnaturel et qu’il ne voulait pas seulement tuer, mais aussi déporter une partie des populations. Nous
savions en outre qu’il possédait des vaisseaux, mais qui, curieusement, n’apparaissaient qu’après la
victoire... Des milliers et des milliers d’hommes en noir avec un seul visage et la mort qui surgit de
l’ombre... Nous nous demandions ce que cela pouvait bien signifier...
Cluster hocha la tête et soupira.
-Nous ne devions malheureusement pas tarder à le savoir. Mais trois autres planètes furent
détruites entre-temps: Gronderhud dans la constellation du Fou, Shallom à la lisière du Nuage de Carbone,
et la puissante Thus, le centre industriel de la Ligue des Étoiles. Thus, où étaient situés les docks et les
chantiers de tous nos vaisseaux interstellaires et nos usines de satellites. Les habitants de Thus firent face
lorsque l’ennemi les attaqua, surgissant de l’ombre ainsi que l’avait dit le rescapé de Leyten. Ils

21
combattirent et succombèrent avec courage. Les survivants les plus jeunes furent naturellement déportés.
Nous reçûmes sur Centrus un appel au secours pressant et le Conseil des Mondes Intérieurs me dépêcha à
leur aide à la tête d’une flotte. Nous sommes arrivés trop tard, l’ennemi avait depuis longtemps remporté
une écrasante victoire. Mais, cette fois, nous avons pu le suivre à la trace, et sa piste nous a menés à la
constellation d’Hercule, à de nombreuses années-lumière de la Ligue des Étoiles. Nous avons alors cherché
dans cet amas d’étoiles celle sur laquelle l’ennemi avait bien by établir sa base. Mais nous ne l’avons pas
trouvée. L’ennemi et ses prisonniers avaient réussi à disparaître. La constellation d’Hercule n’était
probablement pas sa patrie, mais le nom lui est resté. Nous parlions désormais des Herculéens. C’est durant
la deuxième année de guerre que l’ennemi a consenti à sortir de l’anonymat. Sur Centrus, nous avons reçu
un ultimatum: Rendez-vous. Toute résistance est inutile. Vous vous considérez comme des êtres humains,
mais vous vivez comme des bêtes. Je ne supporterai pas plus longtemps ce mélange de races bâtardes et je
suis venu pour séparer l’homme et la bête. Je suis venu pour promouvoir un homme pur et en faire le
maître du Cosmos. Je suis Krom, le seigneur de la guerre, le premier homme pur. Et je ferai mon devoir.
-Krom, maugréa Cluster. C’est lui notre ennemi à tous. Nous connaissons son nom et son visage,
mais c’est tout. D’où vient-il? Qu’est-ce qui le pousse à massacrer des populations entières et à parquer les
survivants dans d’immenses camps pour les sélectionner selon leur code génétique? Il rêve de manipuler la
race humaine et de produire par clonage une race supérieure. C’est un fou dangereux, mais il est puissant et
règne sans partage sur des millions de soldats, des clones, des hommes éprouvettes, semblables les uns aux
autres.
-Pourtant nous avons refusé de nous soumettre. Nous nous sommes battus et nous avons perdu
bataille après bataille. Comment résister aux clones soldats? Ils surgissent du néant par milliers, tuent les
adultes et embarquent les jeunes sans craindre la mort, comme si la vie ne comptait pas pour eux.
-La guerre a duré jusqu’à ce que les Herculéens aient soumis toutes les planètes les unes après les
autres. Centrus est tombée au cours de la sixième année, et sa population a connu le même sort que celle
des autres planètes. Sort peu enviable que de devenir objet d’expériences génétiques. Personne n’a été
épargné.
-J’étais l’amiral de la flotte, mais tous mes vaisseaux ont été détruits ou capturés par les
Herculéens. Le Superviseur Furst a réussi à quitter Centrus au dernier moment, mais sa famille toute entière
est tombée entre les mains de Krom. Lady Gondelor était une des femmes les plus riches des Mondes
Intérieurs, mais sa vie est tout ce qui lui appartient encore, désormais. McLasky a perdu sa femme et failli
perdre sa fille sur Alpha Emporion.
-Krom a gagné.
-Les Herculéens ont maintenant atteint notre tout dernier refuge, Terminus. Ici, nous nous sommes
longtemps crus en sécurité, car cette planète est située très à l’écart des autres. Pas suffisamment, toutefois,
puisque les Herculéens nous ont trouvés. C’est la fin de l’humanité libre. La fin...
L’amiral Cluster se tut.
-La fin? pensa Flaming Bess. Et pourtant nous sommes encore en vie. Le champ de forces tient
toujours. Ce n’est pas le moment de perdre espoir. Oui... mais que faire? Le seigneur de la guerre Krom a
remporté toutes ses batailles jusqu’ici et nous ne sommes plus que quelques milliers.
Le Maître lui revint tout à coup en mémoire.
-Il faut que je parle à Tamerlan, dit-elle brusquement. Peut-être a-t-il une idée sur la conduite à
tenir...
Cluser fit la moue.
-Tamerlan? Cela fait trois ans que je vis sur Terminus et je ne l’ai presque jamais vu. Même
McLasky, qui est pourtant, comme lui, originaire de cette planète, n’a pas accès au niveau supérieur du
palais où Tamerlan vit entouré de sa garde personnelle. Personne ne sait à quoi il consacre son temps. Il y a
bien des rumeurs qui courrent. Certains disent même qu’il est en train de concevoir une arme nouvelle
contre les Herculéens, qu’il tente d’entrer en contact avec les Drakhanes pour solliciter leur aide contre
Krom - mais ce ne sont que des bruits. Et pourtant les fugitifs le vénèrent, bien qu’aucun d’eux n’ait jamais
vu son visage. C’est le Maître, et il les a accueillis dans son palais. Il a mis à leur disposition son propre
vaisseau spatial pour amener une poignée d’entre eux sur Terminus. Le Maître Tamerlan... Cluster émit une
sorte de ricanement. C’est un vieil homme aveugle, rien de plus. Il mourra comme nous tous lorsque les
Herculéens investiront le palais.
-Tamerlan, s’écria le Superviseur Furst, a sa place au Conseil des Mondes Intérieurs, mais il n’est
jamais venu à Centrus prendre place au Conseil de la fédération de la Ligue des Étoiles. Terminus est la
plus ancienne planète colonisée par l’homme, mais son âge d’or date déjà de quelques millénaires.

22
-Il faut que je lui parle, déclara Flaming Bess.
-En principe, il ne reçoit aucun visiteur, soupira Cluster. Mais peut-être fera-t-il une exception pour
vous. Cela dit, je ne vois guère à quoi cela pourra nous mener.
Flaming Bess pensait à Katzenstein.
Un grésillement résonna. Cluster pressa une touche sur le bureau et la carte des environs du palais
disparut de l’écran de l’ordinateur. Le visage d’un homme en uniforme la remplaça.
-Que se passe-t-il? demanda Cluster avec une nuance de contrariété dans la voix.
-Un des gardes du Maître est ici, répondit l’homme en uniforme. Il veut parler à la Commandante.
Cluster inerrogea Flaming Bess du regard et elle acquiesça d’un signe de tête.
-D’accord, maugréa Cluster. Qu’il entre.
L’écran redevint gris pâle. Cluster se leva et appura de nouveau sur un bouton. La coupole laiteuse
qui les isolait de la salle de commandement disparut sur-le-champ.
Flaming Bess se retourna et découvrit, au pied de la petite estrade un homme grand, revêtu d’une
combinaison bleu nuit. Elle le salua avec un sourire ironique.
-Êtes-vous de nouveau entré par le plafond ou êtes-vous passé par la porte cette fois, Katzenstein?
demanda-t-elle avec un sourire ironique.
Katzenstein lui rendit son sourire.
-Pour vous, Commandante, je passerais à travers les murs. Mais cette fois, on a été assez aimable
pour m’ouvrir la porte. Le Maître Tamerlan m’envoie, car il souhaite s’entretenir avec vous.
Flaming Bess se leva et descendit de l’estrade. Ka fit mine de la suivre, mais Katzenstein l’arrêta
d’un geste de la main.
-Le Maître souhaite rencontrer la Commandante en tête-à-tête.
Flaming Bess hésita, puis finit pas répondre:
-D’accord. Restez ici, Ka. Mais si je ne suis pas de retour dans deux heures, venez me chercher.
L’homme du clan acquiesça et un mince sourire apparut sur son visage couturé de cicatrices.
-Comptez-sur moi, Commandante.
Flaming Bess gagne la porte d’un pas énergique, suivie de Katzenstein qui lui murmura:
-Votre méfiance n’est guère fondée. Nous sommes de votre côté.
-Il existait un proverbe terrien qui disait: Ne fais jamais confiance à ceux qui viennent du plafond,
ironisa-t-elle.
Katzenstein ne répondit pas.
Ils passèrent devant les soldats qui gardaient la salle de commandement et qui les saluèrent.
Puis Flaming Bess constata que tout autour d’elle se modifiait de seconde en seconde.
Chapitre 6
Elle eut l’impression de basculer dans un rêve. C’était comme si on l’arrachait du réel pour la
projeter dans une autre dimension.
La lumière se colora en rouge et une gamme de sons étranges l’enveloppa de crissements, de
gargouillements et de murmures étouffés, menaçants comme des voix en provenance de l’au-delà.
Katzenstein et les soldats qui montaient la garde au pied de l’escalier restèrent comme pétrifiés, le
regard fixe. La lumière rouge ensanglantait leurs yeux. Le temps semblait s’être arrêté.
Le long corridor dans lequel elle venait de pénétrer se mit à onduler, puis à se contracter comme
sous l’effet d’une chaleur intense. Une extraordinaire pulsation animait les murs.
-Katzenstein!
Flaming Bess fut surprise par le son de sa propre voix. Un faible écho lui répondit, puis s’estompa
dans une sorte de gazouillement.
Elle leva la main et chercha l’épaule de Katzenstein pour s’y appuyer, mais ne rencontra que le
vide. Elle sentit que les sollicitations de cette dimension inconnue s’imposaient à elle, tandis que
s’estompait la réalité matérielle qui l’environnait encore quelques secondes plus tôt.
Venue de très loin et dominant les murmures confus qui emplissaient ses oreilles, elle eut
l’impression d’entendre une voix fantomatique, aussi irréelle que Katzenstein et les gardes. Une voix
hachée et insistante qui criait:
-Bessss...
Quelqu’un l’appelait?
-Non, pensa-t-elle. Ce n’est pas un appel.

23
Il y avait dans le ton la dureté d’un ordre. Une menace latente, aussi. Une haine inassouvie. Qui
donc pouvait lui en vouloir à ce point? McLasky? Lady Gondelor? Non, ni le chef des services de sécurité
no cette milliardaire ruinée ne pouvaient avoir accumulé tant de haine contre elle, elle l’aurait juré.
Alors qui?
Quel ennemi implacable comptait-elle au palais, qui s’était bien gardé de se manifester jusque-là?
Le monde continuait à basculer autour d’elle. Les silhouettes de Katzenstein et des gardes
s’effacèrent peu à peu ; elle les vit disparaître, se dissoudre dans la lumière rouge, tandis que l’air devenait
brûlant.
Elle était seule, désormais.
Seule avec cette voix qui, inlassablement, répétait son nom.
Un rire, brutalement, lui vrilla les tympans.
Un rire atroce qui parcourut le corridor et le fit onduler comme un serpent monstrueux. Le rire
était là, tout procher, terrifiant de puissance. D’énormes bulles se formèrent et le métal des parois se mit à
fondre, tandis qu’un visage se dessinait au plafond. Un visage aux traits grossiers et inquiétants comme
l’ébauche d’un masque mortuaire. Des lèvres épaisses, des orbites vides. La bouche s’ouvrit et une voix
rauque emplit l’espace.
-Tu as peur, Flaming Bess? Qu’est-ce que la mort pour toi?
Il y eut un bref silence, puis le rire éclata de nouveau.
-Faux prophète! hurla le masque. Putain de temps! La main de la mort t’a façonnée dans la glace
millénaire pour te libérer aujourd’hui! Mais je te connais. Tu es un mensonge vivant! Je te connais. Tu
promets le salut, mais tes promesses sont aussi trompeuses que les sables mouvants. Tu veux nous conduire
à l’abîme.
Flaming Bess leva la main et visa le masque, mais elle n’appuya pas sur la détente du destructor:
-Qui es-tu? demanda-t-elle. Krom, le seigneur de la guerre?
Le rire éclata de nouveau, méprisant.
-Krom? Qui est-ce? Un autre faux prophète, un de ceux qui marchent droit à l’abîme? Moi, je suis
la Vérité. Je suis le Salut et la Mort pour toi.
Et le masque disparut.
Un bruit de pas se fit entendre au loin...
Le corridor ondula de nouveau et le sol tangua comme le pont d’un navire sur une mer démontée.
La lumière rouge varia d’intensité et dessina des ombres mouvantes sur les murs.
Les pas se rapprochaient.
-Je suis la mort pour toi... se souvint Flaming Bess.
Elle allait donc devoir affronter la mort et, si elle voulait survivre, découvrir qui était son ennemi,
qui se cachait derrière ces menaces.
-Un fou! pensa-t-elle. Un malade mental. Probablement un fugitif, et non un Herculéen. Mon
Dieu, ce monde a décidément basculé dans la folie! Krom veut créer une race de monstres et détruits tout
sur son passage pour sélectionner les humains comme un vulgaire bétail. McLasky traque des espions
imaginaires comme si cela allait lui permettre de retrouver l’enfant que lui a volé Krom. Lady Gondelor
passe son temps à semer la division alors qu’une armée de clones assiège le palais. Le Superviseur Furst
s’accroche comme un naufragé aux règlements et aux lois d’un monde qui n’existe déjà plus. Katzenstein
en est réduit à passer par le plafond... Quel avenir peut-il encore bien y avoir pour un navire dont
l’équipage a perdu la raison?
Les pas résonnaient maintenant de tous les côtés à la fois. Un écho diabolique empêchait de situer
leur provenance. Flaming Bess tenta de nouveau de faire demi-tour, mais l’espace se dilata brutalement et
l’escalier qui menait à la salle de commandement recula à une vitesse vertigineuse pour disparaître dans un
lointain fantasmagorique.
Soudain, une main jaillit du mur. Flaming Bess frémit et se recroquevilla sur elle-même. Puis elle
se détendit en songeant que cette main n’était pas plus dangereuse que n’avait été secourable tout à l’heure
l’épaule de Katzenstein.
En effet, la main disparut aussi subitement qu’elle était apparue.
Mais, presque aussitôt, un violent coup l’atteignit à l’épaule. La douleur irradia son bras et ses
muscles refusèrent de lui obéir. Sa main s’ouvrit et l’arme qu’elle tenait tomba sur le sol mouvant du
couloir.
Elle comprit qu’elle s’était trompée.

24
Cette main n’était pas une illusion d’optique et, bien qu’appartenant à une autre dimension, elle
était aussi réelle que la douleur qui, lentement, décroissait. La main réapparut, mais, cette fois, la
Commandante para le coup et le poing fermé ne fit qu’effleurer son oreille.
C’est alors qu’un corps se détacha du mur.
Trapu, large d’épaules, le crâne rasé et un visage grimaçant dans lequel les yeux aux pupilles
dilatées avaient envahi toute la rétine, l’homme marcha sur elle en grognant comme un animal.
Il leva le bras pour frapper, mais Flaming Bess fut plus rapide et l’atteignit au menton. Les dents
crissèrent et du sang jaillit de sa bouche.
Il recula de quelques pas, s’ébroua, puis se rua de nouveau sur elle.
Flaming Bess fit un bond de côté et il fonça dans le vide, mais au passage elle le gratifia d’une
manchette sur la nuque. La violence du coup aurait assommé n’importe quel humain, mais l’homme au
crâne rasé n’en fut guère affecté. Il pivota sur lui-même et les doigts largement écartés visa les yeux. Elle
intercepta le coup et le frappa de toutes ses forces au plexus.
L’homme recula en chancelant et disparut dans le mur. Flaming Bess se baissa pour ramasser son
destructor. Elle n’en eut pas le temps. Un coup de pied l’atteignit à la hanche. La douleur la fit se redresser.
L’homme était de nouveau devant elle et l’agrippait déjà. Elle se laissa tomber en arrière, les genoux repliés
sur la poitrine et l’expédia à quelques mètres.
Il roula sur lui-même en grognant comme un sanglier. Elle ne lui laissa pas le temps de se relever
et le frappa au menton d’un coup de botte. Un tremblement convulsif parcourut le corps massif de son
agresseur. Ses yeux devinrent vitreux et sa tête retomba inerte.
Presque aussitôt, un cri aigu la fit se retourner. Une silhouette hâve et décharnée se matérialisait
avec une vitesse stupéfiante. Le regard fiévreux et fixe était celui d’une bpete sauvage. La main tenait un
couteau laser.
Flaming Bess n’eut que le temps d’apercevoir un éclair lumineux et la lame frôla sa gorge. Elle ne
laissa pas à son agresseur le temps de répéter son geste et, du tranchant de la main, lui brisa le poignet. Les
os éclatèrent. La créature poussa un hurlement animal et lâcha le couteau laser. La lame s’éteignit dès que
l’arme toucha le sol. Flaming Bess profita du désarroi de son adversaire pour le frapper à la tempe.
La créature s’effondra. La Commandante l’observa quelques secondes, négligeant sa garde.
L’attaque fut brève. Un sifflement, quelques étincelles au-dessus de son épaule gauche et aussitôt une
brûlure atroce, au plus profond de sa chair. Tous ses muscles tétanisés, elle se vit basculer et tomber comme
une masse. Le sol se rapprocha à une vitesse vertigineuse... Elle était paralysée.
Une sueur froide inondait son front et elle crut que son coeur allait s’arrêter de battre, tant la
douleur qui lui déchirait la poitrine était vive. Une silhouette venait de pénétrer dans son champ de vision,
une femme petite et maigre, un fouet électrique à la main. Son visage aurait pu servir de modèle au masque
même de la folie.
Flaming Bess la reconnut. C’était une des fugitives hagardes du mausolée. Flaming Bess lui avait
sauvé la vie et maintenant cette pauvre créature voulait la tuer... Car il n’y avait aucune illusion à se faire.
Ce regard était celui de la démence ou de la drogue. La drogue, pour ne plus sentir l’angoisse vous coller à
la peau.
-Elle ne sait plus ce qu’elle fait, pensa la Commandante. Ce n’est qu’un instrument aux mains de
mes ennemis.
La douleur s’atténuait et Flaming Bess retrouvait peu à peu l’usage de ses membres. La folle leva
son fouet pour frapper et une gerbe d’étincelles fusa. Flaming Bess roula sur le côté et le long serpent
électrique heurta le sol à quelques centimètres. Déjà son adversaire s’apprêtait à frapper de nouveau mais,
se redressant d’un bond, Flaming Bess se rua contre elle et la plaqua contre la paroi. La folle se défendit
avec l’énergie du désespoir, mais la Commandante lui arracha son fouet qu’elle lança au loin. La folle ne
s’avoua pas vaincue pour autant et essaya de crever les yeux de son adversaire de ses ongles pareils à des
griffes. Flaming Bess recula d’un pas et la cueillit d’un direct au menton. La folle poussa un cri bizarre et
s’affaissa lentement.
Le Commandante se détourna et boitilla jusqu’à son arme. Elle comprit qu’il lui fallait déguerpir
au plus vite. Si elle laissait à ses agresseurs le temps de reprendre leurs esprits, ils ne lui laisseraient aucune
chance. Qui donc pouvait bien les manipuler? Elle repensa au visage apparu dans le plafond. Il fallait un
pouvoir magique certain pour créer de telles illusions.
Elle sursauta.
Un bruit de pas venait à nouveau de se faire entendre.

25
Elle jeta un coup d’oeil dans le couloir qui continuait à onduler spasmodiquement. Des ombres
venaient d’apparaître dans la lumière rouge. Une femme surgit, petite et grosse, le visage rond et rose d’une
aimable mère de famille. Mais dans ses yeux une lueur de folie meurtrière. D’un geste étonnamment vif,
elle brandit un pistolet laser et visa.
Flaming Bess tira d’instinct. Le rayon d’énergie atteignit le sol aux pieds de l’inconnue. Une
explosion silencieuse fit lentement vaciller le couloir. La femme poussa un hurlement de dépit. Un rideau
de feu sépara les deux adversaires. La femme tenta de tirer à son tour, mais sans pouvoir faire mouche, puis
elle se dématérialisa. Le rideau de flammes disparut en même temps qu’elle.
La Commandante poussa un soupir de soulagement, mais les gémissements de ses deux premiers
assaillants l’alertèrent à nouveau. La longue silhouette maigre rampait sur le sol, comme si elle cherchait à
récupérer son arme. Flaming Bess voulut s’adosser au mur pour éviter toute surprise et... passa au travers.
Ses yeux s’agrandirent de surprise.
Un monde totalement inconnu s’étendait autour d’elle. Une vaste plaine enveloppée de la même
lueur rougeâtre. L’horizon était encore plongé dans l’obscurité, mais on distinguait néanmoins des formes
géométriques bizarres. Des sortes de rochers aux arrêtes aiguës se découpaient au bord d’un océan bleu nuit
et coiffé par un ciel immense et noir, bien que parsemé d’étoiles.
Ce paysage émergeait lentement de l’ombre dans la lumière rouge et mouvante. Flaming Bess
devina des montagnes de quartz, des cratères désertique qu’envahissait lentement un brouillard doré. Puis
les couleurs apparurent, somptueuses, et le paysage changea. De la neige et des glaciers recouvrirent les
rochers de quartz, tandis qu’un fracas de cascades grondait de partout. L’épave d’un vaisseau spatial se
dessina un bref instant dans l’étendue immaculée.
La Commandante eut l’impression de vivre en accéléré toutes les époques d’une planète. Le temps
s’était contracté, lui laissant à peine le temps d’identifier chacune des métamorphoese auxquelles elle
assistait.
Et le palais du Maître, qu’était-il devenu?
À peine s’était-elle posé cette question, qu’un bruit de pas furtif lui parvint à travers le brouillard
satiné. Impossible de localiser le danger.
Elle avança au hasard...
Au bout d’une dizaine de mètres, elle émergea du brouillard pour se retrouver au centre d’une
structure métallique complexe. Des poutrelles métalliques entrelacées avaient remplacé le sol sous ses
pieds.
Entre elles: le vide! Et pourtant, elle ne tombait pas. Abaissant le regard, elle découvrit très loin
sous elle le palais du maître, mais si petit qu’on aurait dit une maquette, presque un jouet d’enfant.
Elle frissonna et sentit le découragement la gagner. À quoi bon essayer de lutter alors qu’elle avait
perdu tout repère et que se télescopaient sous ses yeux des univers disparates? À quoi bon essayer de
trouver une issue dans un labyrinthe où le temps et l’espace n’obéissaient plus à aucune logique, mais
l’imagination perverse d’un magicien qui prenait sans doute un plaisir sadique à la dérouter.
S’agissait-il de la rendre folle?
Elle regretta d’avoir involontairement franchi le mur du couloir. Car même si le palais du maître
n’était plus qu’un palais des illusions, il restait malgré tout ancré dans une dimension qu’elle n’aurait
jamais dû quitter.
Elle se ressaisit et décida de continuer à avancer au hasard, prête à vendre chèrement sa peau.
Le palais miniature disparut comme par enchantement pour laisser place aux contours diffus de
hautes tours de cristal.
Elle reconnut les tours d’énergie qui entouraient le palais. Leur image imprécise était
probablement due au champ de forces qui coiffait le palais comme une immense cloche protectrice.
Elle avança la main et sentit la vibration du champ de forces. Même si on l’avait fait basculer dans
une autre dimension, le champ de forces était toujours là, bien réel, lui!
Un feulement tout proche la fit sursauter.
Elle pivota sur elle-même et découvrit à quelques mètres un petit animal noir et blanc
apparemment aussi désorienté qu’elle...
Un chat!
L’animal la fixait de ses yeux verts, le poil hérissé, le dos en arc de cercle, soufflant de peur et de
rage.
-Diva! pensa Flaming Bess. La chatte de Gahl Belfort. oui, ce ne peut être qu’elle. Mais que fait-
elle donc là?

26
Était-ce Gahl qui l’avait envoyée pour la rassurer? Non, c’était impossible et ridicule. Gahl ne
pouvait pas savoir ce qui lui était arrivé. Elle se souvint des légendes qui couraient sur les chats, sur leurs
rapports avec les forces magiques et les pouvoirs occultes.
À moins que le chat, lui aussi, ne soit qu’une illusion. Et pourtant, non. Il était bien réel. Il
s’approcha d’elle en miaulant. Bess ne bougea pas et le laissa venir. S’il avait quitté le palais de son plein
gré, il saurait y retourner.
Le chat flaira sa cheville avec prudence, puis se frotta contre elle en ronronnant. Bess esquissa un
sourire de soulagement et se pencha pour le caresser. Le contact de la fourrure douce et chaude la rassura.
L’animal ronronna un peu plus fort et leva les yeux vers elle.
-Alors, Diva, tu connais le chemin? chuchota-t-elle. Montre-le-moi! Ramène-moi au palais.
La chatte pointa les oreilles et, durant quelques secondes, Flaming Bess crut lire une sorte de
compréhension dans ses yeux verts. Mais, tout à coup, l’animal tressaillit et, d’un bond, disparut entre les
rochers.
Des hurlements, des cris, des menaces résonnèrent de nouveau au loin.
Flaming Bess se précipita et disparut à son tour entre les rochers. Elle retrouva l’animal, tandis que
les cris des assassins baissaient peu à peu d’intensité comme s’ils s’étaient égarés sur une mauvaise piste.
Le brouillard s’épaissit brusquement et se solidifia. Flaming Bess découvrit alors qu’elle était de
nouveau dans un couloir du palais.
Diva marchait toujours à quelques mètres d’elle et elle la conduisit jusqu’au pied de l’escalier qui
menait à la salle de commandement. Là, elle s’immobilisa, miaula puis disparut d’un bond.
Un hurlement de fureur et de désappointement roula sous la voûte comme un coup de tonnerre et
Flaming Bess comprit qu’elle était de nouveau à la frontière de deux univers. En quelques pas rapides, elle
gagna l’escalier. Au moment où elle mettait le pied sur la première marche, une voix rageuse retentit à ses
oreilles:
-Tu ne m’échapperas pas toujours, je te...
La voix fut coupée. La Commandante avait changé de dimension...
-Ne tirez pas! cria un homme, bien réel celui-là. C’est la Commandante!
Flaming Bess comprit qu’elle était sauvée...
À deux mètres d’elle, Ken Katzenstein, un pistolet au laser au poing, la dévisageait avec surprise
et soulagement. Son visage était d’une pâleur inaccoutumée. Derrière lui se tenait un détachement de
soldats spatiaux de Cluster.
Flaming Bess s’approcha, abaissa d’un geste calme le canon que Katzenstein tenait toujours pointé
sur elle.
-Merci pour cet accueil cordial, ironisa-t-elle. Où est Diva? J’espère que vous ne lui avez pas tiré
dessus?
Devant l’incompréhension qui se peignait sur le visage de Ken, elle précisa: Diva, vous savez, le
chat de Gahl...
-Le chat de Gahl, répéta Ken Katzenstein, en la regardant comme si elle avait perdu la raison. Mais
enfin, c’est insensé! J’ai failli vous tuer. Il s’en est fallu d’un cheveu, et vous me demandez des nouvelles
du chat de Gahl!
Flaming Bess plissa le front sans comprendre.
-Je vous ai vue tout à coup surgir du néant comme le font les Herculéens, maugréa Katzenstein en
agitant son pistolet laser. On se croit en sécurité et, tout à coup, ils sont là! Vous comprenez, c’est comme
ça que les clones de Krom ont envahi Terminus. En surgissant du néant, comme vous à l’instant,
Commandante!
Chapitre 7
-Vous venez de faire l’expérience du Monde de l’Ombre, Commandante, soupira le Maître
Tamerlan. Et vous connaissez maintenant les Herculéens. Vous savez pourquoi les hommes ne pourront
jamais gagner cette guerre.
La vois était râpeuse, sèche comme un vieux parchemin. Flaming Bess observait son interlocuteur
à la dérobée, sa peau grise, son visage fatigué et ridé, ses cheveux blancs et clairsemés. Un petit vieillard
vaincu par le temps et proche de la mort, tel était le Maître.
Elle soupira, déçue.
Un sourire las glissa sur les lèvres de Tamerlan.
-Vous êtes plus vieille que moi, Commandante, reprit-il. Mais j’ai vécu plus longtemps que vous.
Le temps laisse bien des cicatrices dans notre chair, lorsqu’elle n’est pas plongée en état d’hibernation...

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Sous la coupole de verre qui dominait le palais, tout était calme. Dehors, il faisait nuit et un vent
lourd chassait lentement la fumée qui montait encore des incendies. Le champ de forces scintillait
doucement dans l’obscurité, mais pas assez pour cacher les étoiles qui brillaient au firmament. Beaucoup
d’étoiles, bien plus nombreuses et plus lumineuses que celles qu’on voyait de la Terre.
Tamerlan pointa un index en direction d’un amas d’étoiles qui scintillaient d’un éclat plus vif que
les autres.
-La constellation d’Hercules, dit-il d’une voix sourde.
Flaming Bess regarda autour d’elle. D’innombrables fleurs et plantes poussaient autour d’un
bassin parsemé de nénuphars. Quelques fauteuils, une table de travail en verre, comme celle de la salle de
commandement, étaient disséminés au milieu de la verdure.
Au fond de la salle, Ken Katzenstein montait la garde, apparemment seul, les autres gardes n’ayant
pas accès au sanctuaire du Maître.
Flaming Bess observa de nouveau celui-ci. Il semblait fragile comme une statuette de porcelaine,
mais on devinait que ce vieillard avait conservé une volonté intacte, en même temps qu’une sagesse
irremplaçable, puisée à des sources réservées aux seuls initiés. À présent, l’ombre de la mort planait sur lui.
-Que savez-vous du Monde de l’Ombre? demanda Flaming Bess. L’amiral Cluster m’a parlé de la
guerre, mais il ne paraît pas savoir grand-chose de cette dimension de l’ombre.
-Cluster! s’écria Tamerlan. Il est comme les autres. Un homme courageux, mais la guerre a cassé
quelque chose en lui. La haine le ronge et diminue ses capacités.
-Vous n’avez pas confiance en lui?
-Les hommes sont anéantos et nos planètes ne sont plus que des champs de ruines. Toutes les
grandes villes ont été incendiées et leurs habitants tués ou déportés par les Herculéens. Quelques milliers de
fugitifs seulement ont réussi à gagner Terminus. Et ils doivent désormais vivre presque nus. Leur passé est
enfoui sous les cendres et leur avenir est bien sombre. Quant au présent... Ils ont beau essayer d’oublier
pour continuer de vivre, ils savent qu’ils sont condamnés à faire semblant. Alors, ils jouent ; ils se donnent
le change et c’est de nouveau le cercle infernal des passions humaines. Ils forgent des plans pour des
lendemains dont ils ne connaîtront peut-être pas l’aube! Ils tentent de reproduire un monde qui a fait
faillite. Et dehors, au-delà du champ de forces, les Herculéens les attendent...
-Et vous, qu’attendez-vous, Maître?
-J’attends Krom, répondit Tamerlan d’une voix lasse. Et je sais que ce ne sera pas long.
-Il surgira de l’ombre, lui aussi?
Le vieillard ne répondit pas. Il se contenta de contempler les étoiles au-delà du champ de forces.
La constellation d’Hercule était toujours au zénith, scintillant de tous ses feux.
-J’ai espéré leur venue au début de la guerre, quand la Ligue des Étoiles était encore assez
puissante pour vaincre les Herculéens avec leur aide. Mais maintenant, c’est trop tard : les Drakhanes ne
viendront plus...
-Vous croyez qu’il n’y a plus d’espoir.
Ce n’était pas une question, mais une simple constatation, et Flaming Bess comprit le silence du
vieillard comme un assentiment résigné.
-Je ne baisserai jamais les bras, gronda-t-elle à voix basse.
-Je sais. Vous êtes la Commandante. Je connais votre légende et la promesse que vous sauveriez
l’humanité le jour où elle serait menacée de mort... J’en sais plus sur vous et sur la Terre que quiconque, et
mon savoir est cependant bien limité. Des légendes et des mythes, voilà tout ce qui nous reste de la Terre...
-Vous m’oubliez.
-Non, Commandante, répondit Tamerlan avec un pâle sourire. J’ai espéré que votre gangue de
glace se briserait un jour. Et lorsque c’est arrivé, je n’ai pas réussi à y croire... Le mausolée vide, la
Commandante parmi nous, bien vivante! C’est pourquoi j’ai envoyé Katzenstein auprès de vous vérifier
que vous n’étiez pas un clone déguisé.
-Et vous m’avez fait confiance parce que j’ai su répondre à sa question. Parce que j’ai reconnu
dans votre palais mon vaisseau de jadis?
-Le premier vaisseau interstellaire construit par l’homme. Personne ne pouvait le savoir. Seule la
Commandante et moi, le dernier des Tamerlans.» Un sourire fatigué plissa les lèvres du vieillard. «Les
Tamerlans ont été les seuls durant des millénaires à conserver les mythes et les légendes de la Terre.
Terminus était une planète isolée et, avant que la guerre n’éclate, nous ne recevions que de rares visiteurs
venus contempler la femme prisonnière dans la glace de son mausolée.

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-Mais personne n’a jamais percé à jour le mystère de ce palais. L’entrée qui donne accès aux
propulseurs et à l’ancienne centrale, là, juste sous nos pieds, est restée inviolée. Les portes en acier
indestructible sont restées verrouillées et nul n’a su les ouvrir...
Tamerlan laissa son regard se perdre dans le vide avant de poursuivre d’une voix rêveuse.
-Les Tamerlans sont un peuple très ancien, qui régnait sur cette planète longtemps avant son âge
d’or. Cette planète avait alors des centaines de millions d’habitants. Mais l’empire s’est écroulé avec le
temps. Nombreux furent ceux de mon peuple qui allèrent tenter leur chance sur d’autres planètes...
-Les Tamerlans ont alors appris la solitude et l’oisiveté. Notre vie est devenue monotone et sans
saveur, et il nous a fallu trouver un dérivatif à notre ennui. Alors, nous nous sommes penchés sur le passé,
sur le monde des morts et nous avons cherché les traces qui avaient pu résister au laminage du temps.
Tamerlan se tut mais Flaming Bess entendait encore les paroles du vieillard résonner à ses oreilles.
Il scrutait la nuit, perdu dans ses pensées, et la Commandante observait son visage raviné comme les
rochers de sa planète.
Elle leva à son tour les yeux vers le ciel. Terminus devait être plus proche du centre de la Voie
Lactée que de la Terre, pour que la lumière des étoiles soit aussi dense. À quelle distance était la Terre?
Cinq mille années-lumière? Dix mille? Quelle distance avait franchie le Nova Star avant de se poser?
-Vous pensez à la Terre? murmura le Maître. C’est si étrange de savoir que vos yeux ont vu cette
planète dont nous venons tous... Bien des empires ont été fondés depuis ce temps, et ont produit des
civilisations remarquables avant de connaître le déclin pour ensuite être remplacés par d’autres.
-Nous, les Tamerlans, avons visité toutes les colonies de populations, et plus nous avancions dans
l’infini de la Voie Lactée, plus les traces laissées par les premiers Terriens devenaient difficiles à détecter.
Bref, nous avons fini par perdre la piste de la Terre dont les hommes avaient depuis longtemps oublié
l’existence.
-Pourquoi et comment le contact a-t-il été rompu? Nul ne le sait. Pourquoi n’a-t-il jamais pu être
rétabli? Nous nous sommes perdus en conjectures à ce sujet.
-Mes propres recherches m’ont amené à penser que c’est la Terre qui a volontairement coupé le
lien avec les colonies et s’est délibérément enfermée dans son isolement.
-Peut-être est-ce simplement dû aux distances colossales qui nous séparent, hasarda Flaming Bess.
Pour des vaisseaux tels que le Nova Star, la vitesse de la lumière était une limite naturelle. Et même à cette
vitesse, les voyages de la Terre jusqu’à d’autres galaxies duraient des décennies, voire des siècles.
Comment alors espérer maintenant éternellement le contact? Chaque colon à bord du Nova Star savait que
son voyage était un départ sans espoir de retour...
-Mais les vaisseaux naviguant à la vitesse de la lumière ont fini par être technologiquement
dépassés, objecta Tamerlan. Les Terriens ont bien dû réussir un jour à fabriquer des vaisseaux dotés de
moteurs à antimatière permettant de franchir le seuil redoutable... Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir rétabli
le contact avec les colonies puisqu’il ne fallait dès lors plus que quelques semaines ou quelques mois pour
les atteindre?
-Des vaisseaux progressant plus vite que la lumière, pensa Flaming Bess. C’est vrai? Pourquoi la
Terre n’a-t-elle pas rétabli le contact?
-Il a dû se produire une catastrophe, soupira Tamerlan. Une catastrophe majeure. La chute d’une
civilisation, une guerre qui a ravagé la planète... Nous n’en savons rien. Les indications que nous avons sur
ces époques très anciennes ne sont que fragmentaires et manquent souvent d’objectivité. Néanmoins, il
semblerait que la Terre ait vécu une sorte de schisme. Nul ne peut dire exactement quels furent les groupes
en présence et comment le conflit a éclaté, ni qui fut le vainqueur, si jamais il y en a eu un.
La Commandante chercha le regard du vieil homme.
-Depuis combien de temps avez-vous perdu le contact avec la Terre?
-Depuis au moins vingt millénaires», répondit-il en la regardant droit dans les yeux.
-Vingt millénaires... Comment garder une mémoire sur une aussi longue période, pensa Flaming
Bess. Et dire que j’ai hiberné encore plus longtemps...
-Vous êtes la clé qui nous ouvrira les portes de la Terre, Commandante, reprit le Maître. Vous êtes
le seul être humain à se souvenir de notre planète d’origine. Comme tous mes ancêtres, j’ai rêvé d’entamer
ce voyage jusqu’aux confins de la galaxie, pour...
Tamerlan n’acheva pas sa phrase.
-Vous voulez chercher la Terre, murmura Bess. Et vous comptiez sur mon aide. C’est pour ça que
vous n’avez jamais quitté Terminus. Pour rester près de mon mausolée, pour vous enfermer dans mon

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vaisseau devenu votre palais et compulser les archives. Vous espériez trouver un moyen de me tirer de mon
état d’hibernation.
-Hélas! je n’ai pas réussi, soupira Tamerlan. Lorsque la guerre a éclaté, j’ai rêvé de voir la légende
s’accomplir... J’ai fait venir des spécialistes sur Terminus dans les premières années de la guerre, quand il
était encore possible de voyager d’une planète à l’autre. Katzenstein est l’un d’eux. Lui et bien d’autres ont
cherché à faire fonctionner le système qui devait vous tirer de votre hibernation. En vain. Pour comprendre
comment fonctionnait votre mausolée, il aurait fallu le démonter pièce par pièce, donc vous tuer! J’ai
formellement interdit cela, bien que certains de mes collaborateurs aient estimé que vous n’étiez plus...
euf...
-... que de la viande congelée. Muller McLasky par exemple! fit Flaming Bess avec un sourire
amer.
-Je sais, reconnut Tamerlan. Il vous a pris pour une espionne herculéenne et vous a fait
appréhender, mais c’est un brave homme...
-C’est un paranoïaque...
-La guerre..., murmura le Maître. Il a perdu sa femme.
-Je ne lui fais pas de procès, coupa la Commandante. Mais je crains qu’il ne me fasse jamais
confiance. Il n’est d’ailleurs pas le seul à m’être hostile. Lady Gondelor voit en moi une rivale. Quant au
Superviseur Furst, il choisira toujours le parti le plus fort. Le seul en qui nous puissions avoir confiance est
l’amiral Cluser, mais ce n’est pas suffisant. Et puis, il y a ce dément capable de vous faire changer de
dimension...
-Le Monde de l’Ombre, opina Tamerlan. Il a en effet ce pouvoir. Hélas! il ne maîtrise que la
gamme morbide du spectre.
-Que voulez-vous dire?
-Quand je ferme les yeux, j’ai des visions et il m’arrive de voir le futur. Rares sont ceux qui ont ce
pouvoir.
-Mais alors comment avez-vous pu laisser se dérouler toutes ces horreurs! s’écria Flaming Bess.
Vous n’avez donc rien pu empêcher?
-Je suis un vieil homme, répondit le Maître, et mes forces m’abandonnent. Plus la mort approche,
plus mes visions deviennent imprécises. Je vais bientôt mourir, je le sais. Pour qui a vécu aussi longtemps
que moi, l’existence devient un fardeau et la mort ne m’effraie pas... Quelques images du futur me la font
même voir comme une délivrance. Mais il existe aussi un autre avenir possible, Commandante. Un avenir
dont vous êtes le pivot, et j’aperçois alors une lumière au bout du tunnel.
-Il existe donc une issue! s’écria Flaming Bess. Nous ne sommes pas perdus. Montrez-moi le
chemin, Maître...
-L’ombre a envahi notre monde, et elle ne cesse de s’étendre. Quelque chose peut... va se passer.
Peut-être. Je n’en sais rien. Tout est obscur autour de moi. Je suis aveugle. Nous avons perdu nos points de
repère...» Le vieil homme baissa la tête. «Je suis fatigué. Il y a pourtant beaucoup à dire, beaucoup à faire,
mais le temps m’a rattrapé. Le temps...
Tamerlan éclata d’un curieux rire triste.
-Krom et les Herculéens utilisent le Monde de l’Ombre pour franchir les années-lumière qui
séparent les étoiles et ils savent ainsi abolir le temps. C’est grâce à cela qu’ils ont envahi Centrus, puis
Dragersteyn, puis Alpha Emporion et Gronderhud, toutes les planètes de la Ligue des Étoiles, les unes après
les autres, jusqu’à Terminus.
-Le champ de forces nous protège encore pour l’instant en les empêchant de faire irruption par le
biair de cette autre dimension, mais plus pour très longtemps. L’un d’entre nous possède le don qui permet
d’ouvrir toutes grandes les portes de l’univers de l’ombre. Et c’est notre ennemi, Commandante, notre
ennemi mortel. Il va de nouveau frapper, il va de nouveau chercher à vous tuer. Peut-être ignore-t-il quel
danger il court lui-même. Peut-être ignore-t-il que ce don peut devenir malédiction si on le met au service
du spectre de l’ombre.
-Il faut que vous le démasquiez, Commandante. Il menace notre vie à tous, car il a les moyens de
faire entrer, consciemment ou inconsciemment, les Herculéens dans ce palais.
-Et cela ne doit pas arriver. Sinon ce serait la fin...
-Je le trouverai, affirma Flaming Bess. Qui que ce soit, je le trouverai.
Le Maître s’affaissa. Son aura semblait s’être dissipée. Ce n’était plus qu’un petit vieillard au
regard las.
-Krom va venir, chuchota-t-il. Je le vois. Le seigneur de la guerre va bientôt lancer l’assaut final...

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-Que pouvons-nous faire? demanda Flaming Bess d’une voix pressante. Vous avez dit qu’il existait
un espoir de salut. Il faut agir avant que Krom ne passe à l’attaque...
Une expression de douleur intense apparut sur le visage du vieillard.
-Je n’en sais rien. Je ne peux plus voir. Tout est trop sombre. Reste-t-il encore un espoir qu’ils
aient entendu mon appel. Non, ce n’est plus possible. Je n’ai jamais reçu de réponse, et s’ils viennent à
notre aide, ce sera trop tard...
-Expliquez-vous! s’écria la Commandante. Qui avez-vous appelé à l’aide?
Tamerlan agita les mains d’un geste épuisé.
-Non, c’est impossible... C’est impossible. Ils n’ont pas répondu. Ils n’ont jamais rien voulu savoir
de nous.
-Qui?
Tamerlan leva la main en direction des étoiles.
-Ils sont là-haut. Ils sont très loin, ils sont partout. Les mondes habités par les hommes ne sont que
quelques grains de sable perdus dans l’immensité de l’univers. Eux, en revanche, se déplacent dans
l’univers depuis des millions d’années. Nous les fuyons, et eux... disons qu’ils nous supportent.
-Ils étaient déjà puissants quand la Terre était la seule planète habitée par l’homme. Ils vivent dans
une immensité qui n’est pas à notre mesure, et les galaxies leur appartiennent. Jamais un de leurs vaisseaux
n’a franchi les frontières de la Ligue des Étoiles et tous ceux d’entre nous qui se sont aventurés dans les
zones inexplorées de la Voie Lactée, il les ont délibérément ignorés. Ils nous sont totalement étrangers. Ils
sont couverts d’écailles et leur sang est froid. Peut-être n’éprouvent-ils pour nous que du mépris.
-Vous parlez de cette race inconnue, coupa Flaming Bess, les Drakhanes... Cluster a évoqué leur
existence devant moi.
-Oh! ce ne fut qu’un fol espoir, soupira Tamerlan. Ils n’ont jamais été nos amis. Ils ont toujours
fait preuve d’une grande indifférence. Quiconque possède le don est susceptible de sentir leur immense
pouvoir. On devine la pulsation qui anime l’univers, que leur coeur irrigue le Cosmos. Le vide entre les
galaxies résonne de leurs voix. Leurs mots ne nous sont pas compréhensibles mais ils éveillent une
angoisse à la fois glaciale et brûlante. Une parole secrète et obscure qui nous trouble au plus profond de
nous-même...
-Et c’est eux que vous avez appelés à l’aide contre les Herculéens?
-Oui, répondit Tamerlan. C’était une démarche vouée à l’échez et je le savais avant de la tenter.
Mais je devais le faire. Qu’avions-nous à perdre? Les Drakhanes ne pouvaient pas nous faire plus de mal
que les clones de Krom! Je connaissais l’étendue de leur pouvoir et, avec leur aide, nous aurions sûrement
pu vaincre les Herculéens.
-Mais ils ne sont pas venus.
-Non, ils n’ont pas répondu à mon appel. Ils l’ont pourtant entendu, j’en suis sûr. Mais peut-être ne
l’ont-ils pas compris. Ou bien, le destin de l’humanité ne les intéresse guère. Tamerlan haussa les épaules.
Et pourtant, il me fut pénible de lancer cet appel. J’en ai été malade pendant des mois, j’ai dérivé entre la
vie et la mort. Mon esprit a flanché, je me suis senti devenir aveugle.
Tamerlan enfouit son visage dans ses mains.
-Voilà donc pourquoi Muller McLasky, Lady Gondelor et d’autres se battent pour prendre le
pouvoir, pensa la Commandante. La succession est ouverte et le Maître n’est plus en mesure d’imposer sa
loi. Tamerlan a été épuisé par son ultime tentative pour sauver Terminus et ce qui restait de l’humanité, et
ils ont profité de son état pour faire étalage de leur mesquinerie et de leur faiblesse.
Flaming Bess sentit une colère aiguë monter en elle.
-Je mettrai un terme à leurs agissements, se jura-t-elle. Le sacrifice de cet homme n’aura pas été
vain.
Elle se demanda alors si le temps n’allait pas lui manquer. Krom, le seigneur de la guerre, était en
route pour parachever sa victoire sur les hommes.
Que pouvait-elle faire pour empêcher l’inéluctable?
Son cerveau fonctionnait à toute vitesse, mais elle ne trouvait pas de solution.
Krom avait d’ore et déjà gagné.
-Si seulement je pouvais entrevoir quelque chose, murmura Tamerlan. Il existe une issue, une
chance de s’en tirer, j’en suis sûr. Si seulement je pouvais voir...
-Essayez, Maître, supplia Flaming Bess. Essayez, je vous en conjure. Donnez-moi une indication,
un point de départ. C’est notre seule chance...

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Tamerlan vacilla. Sa respiration se fit haletante. Ses doigts décharnés s’enfoncèrent dans les
accoudoirs de son fauteuil. Un gémissement monta de sa poitrine.
-Je ne peux pas... Il y a trop d’ombres autour de moi... Je ne vois plus rien... aucune image ne se
forme...
Il hoqueta et son visage se crispa de douleur. D’un geste douloureux, il porta la main à son coeur.
-Maître! s’écria Flaming Bess en se penchant vers lui.
Mais il la repoussa d’un geste et sa respiration s’apaisa.
-Ne vous inquiétez pas, ricana-t-il. Ça va mieux. Je n’ai plus la force d’essayer de percer le secret
de l’avenir, c’est tout. Mon coeur...
Il se tut brutalement. La coupole s’était brutalement illuminée. Une lumière blanche et froide
tombait du ciel, dessinant avec dureté le contour des choses et des êtres.
Flaming Bess leva les yeux.
Une nouvelle étoile venait d’apparaître dans le ciel, une étoile qui grossissait de second en
seconde.
-Un vaisseau, soupira Tamerlan avec résignation.
Le feu qui jaillissait des propulseurs illuminait la nuit et faisait apparaître les contours d’une
énorme structure métallique. Une formidable masse de métal qui emplissait peu à peu le ciel.
Le gravier crissa. Flaming Bess tourna la tête et vit s’approcher Katzenstein.
-Maître...
-Je sais, fit Tamerlan en cillant sous la lumière. Je sais, c’est son vaisseau Mortus. Krom, le
seigneur de la guerre, est venu à Tamerlan.
Le monstreux vaisseau acheva d’obscurcir le ciel.
Chapitre 8
Krom, le seigneur de la guerre, était aux commandes du Mortus. Il s’apprêtait à soumettre les
derniers hommes libres.
Sous les sourcils minces et soigneusement épilés, les yeux étaient gris comme les cheveux coupés
en brosse, la bouche un simple trait et, dans le regard, se lisait une intelligence glacée. Même l’imminence
du triomphe absolu sur une humanité haïe ne pouvait entamer la froideur du personnage.
Il était assis au fond de la salle de commande, silhouette massive et impénétrable. Son uniforme
noir tranchait sur la blancheur des murs et des pupitres de commandes violemment éclairés.
Par moments seulement, il pianotait sur des claviers incorporés aux accoudoirs. Au-dessous de lui,
plusieurs pupitres étaient occupés par des humanoïdes en uniformes noirs, le visage à demi caché par la
visière du casque.
Des clones.
Leur immobilité aurait pu les faire prendre pour des statues animées par la seule volonté de leur
maître. Mais ce n’était qu’une impression trompeuse. Derrière la visière des casques, les yeux étaient sans
cesse en mouvement et vérifiaient constamment les indications fournies par les instruments de mesure, les
chiffres qui s’alignaient sur les écrans, l’oscillation des aiguilles sur les cadrans. Lorsqu’il le fallait, l’une
ou l’autre des statues faisait un geste bref et précis, coupait un interrupteur, enclenchait une manette,
pressait sur un bouton ou changeait un programme. Aussitôt le réglage effectué, la statue reprenait sa pose
rigide.
Le grondement sourd de moteurs s’intensifia.
Un flot de chiffres apparut sur les écrans des ordinateurs, puis un plan du palais de Tamerlan se
dessina, bientôt complété par une carte des alentours. On put alors distinguer la ville incendiée, les batteries
de missiles, les positions fortifiées, les concentrations de troupes à l’arrière, et même l’épave du dernier
vaisseau spatial de Cluster.
Une lueur passa dans le regard de Krom.
Tout à coup, le fauteuil d’un des clones pivota avec un chuintement discret. Le visage aux traits
durs s’anima un bref instant pour délivrer un message d’une concision exemplaire.
-Stabilisation du vaisseau en position d’attaque. Le champ de forces de protection à cent pour cent
de sa puissance. Moteurs principaux et auxiliaires en pilotage automatique.
Le fauteuil pivota de nouveau avec le même chuintement discret.
Krom observa la coupole scintillante qui dominait le palais du Maître. Puis il pressa sur une touche
et, sur l’écran central, apparut un graphique de la structure énergétique du champ de forces qui protégeait le
palais. Un entrelacs de petites lignes bleues...
-Analyse de cette structure, ordonna-t-il.

32
Aussitôt, le fauteuil d’un clone pivota à son tour. La réponse arriva, aussi concise que la question.
-Positive. En concentrant le feu de toutes nos armes sur une surface limitée du champ de forces,
une rupture est à prévoir dans un délai allant de huit à trente minutes. Une attaque simultanée à l’aide des
missiles basés à terre permettrait de réduire ce délai...
Krom fit taire le clone d’un geste de la main presque imperceptible. Lorsqu’il ouvrit la bouche, il y
avait une nuance d’irritation dans sa voix.
-J’ai demandé une réponse précise.
-Désolé, Sir. Les mesures effectuées par nos troupes lors des attaques tests sont fragmentaires. Il
n’a pu être établi s’il existe entre les tours un système d’équilibrage permettant de compenser telle ou telle
défaillance locale du champ de forces lorsqu’il serait soumis à une surpression. Le système existe selon
toute probabilité. Dans le cas contraire, le délai de rupture du champ de forces serait considérablement
réduit.
Le clone salua d’un bref signe de tête et reprit sa place initiale.
-Dool.
L’officier Dool, assis à gauche du seigneur de la guerre, réagit sur-le-champ. Son fauteuil pivota
avec un automatisme parfait. Son visage ou du moins ce qu’en laissait voir la visière de son casque, ne
différait nullement de celui des autres clones. Mais lui portait un nom, comme Faal, l’officier en second.
Les autres n’avaient droit qu’à un numéro.
-Qui a dirigé les attaques tests? demanda Krom.
Sa voix avait perdu toute dureté. Il parlait nonchalamment, presque avec indifférence.
L’officier donna un numéro de douze chiffre et ajouta:
-Un de nos meilleurs officiers.
-Vraiment? ironisa Krom dont les sourcils frémirent l’espace d’une seconde. Il a pourtant échoué
et doit être éliminé. L’ordre est à exécuter sur-le-champ.
Dool hésita. Un bref flottement, presque imperceptible, mais l’oeil d’aigle de Krom l’enregistra.
Ça ne l’inquiéta pas, ça ne l’amusa pas ; il se contenta de le noter dans un coin de sa tête. Dool était là pour
obéir. C’était un clone et le principe de l’obéissance était inscrit dans ses gènes. Il ne pouvait pas se révolter
et toute contestation était inimaginable.
Krom l’observa néanmoins avec attention lorsqu’il reprit place à son pupitre pour transmettre
l’ordre de se suicider à l’officier commandant les troupes d’assaut. Celui-ci obéirait en se donnant la mort
dans l’instant. Il dégainerait son arme, appliquerait l’extrémité du canon sur sa tempe et tirerait.
-Sir, dit l’adjudant Dool. L’officier commandant les troupes demande à faire une communication
avant d’exécuter l’ordre qui vient de lui être donné. Il dit que...
-Permission refusée, coupa Krom.
Deux rides apparurent à la commissure de ses lèvres, mais très vite son visage reprit son
expression normale.
-Il semble avoir quelque chose d’important à nous communiquer, insista Dool.
Krom le gratifia d’un regard glacé. Dool comprit et se tourna de nouveau vers son pupitre. Le
regard de Krom glissa sur Faal, son officier en second. Dool et Faal, deux noms au milieu de millions de
numéros...
-Peut-être ai-je fait une erreur en leur donnant un nom, pensa le seigneur de la guerre. Mais c’était
une expérience intéressante...
-Faal, appela-t-il.
L’officier en second se tourna vers lui.
-Qu’en est-il de notre contact à l’intérieur du palais?
-Impossible de le joindre, Sir. Le champ de forces qui protège le palais perturbe les signaux
psychotroniques.
Krom estima que ça n’avait plus aucune importance. La sonde psychotroniques installée à son insu
dans le cerveau d’un fugitif avait donné pleinement satisfaction en permettant aux Herculéens de localiser
l’ultime refuge des derniers hommes libres. Le malheureux mourrait avec les autres, sans jamais savoir
qu’il avait involontairement trahi ses semblables.
-Position de combat, ordonna Krom. Attaque dans cinq minutes.
Le bruit des moteurs enfla presque aussitôt. Le sol de la salle des commandes se mit à vibrer tandis
que, dans le ventre du vaisseau, les moteurs fonctionnaient en surrégime et qu’on réglait le tir des canons
laser.

33
Le regard de Krom s’attarda un instant sur la nuque de l’officier Dool, puis se concentra sur
l’écran de l’ordinateur.
Le compte à rebours venait de commencer.
L’assaut final était imminent.
Encore quelques minutes et les derniers survivants d’une humanité libre seraient définitivement
éliminés. Alors, pourrait enfin commencer l’oeuvre immense: la fabrication d’une race humaine nouvelle,
biologiquement et génétiquement pure, affranchie de toutes les faiblesses et de toutes les tares de
l’humanité. Une race destinée à dominer l’univers. Ce jour dont Krom avait tant rêvé était enfin proche.
**
Flaming Bess frissonna en contemplant l’énorme masse du vaisseau herculéen.
Le Mortus était un géant. Un assemblage de cubes aux arêtes vives. Seuls quelques rares hublots
éclairaient la coque gris sombre. Des décharges électriques jaillissaient par intermittence des longues
antennes qui hérissaient le monstrueux vaisseau.
Mortus planait au-dessus du palais de Tamerlan, immobile comme la mort guettant sa proie.
-C’est la fin, murmura Katzenstein d’une voix blanche.
Les décharges électriques qui empanachaient les antennes gagnèrent en fréquence et en intensité.
Un voile verdâtre entoura le vaisseau et l’extrémité des canons laser se mit à rougeoyer.
Flaming Bess entendit mugir les sirènes d’alarme à travers le palais, comme une plainte assourdie
et désespérée.
-Ils vont attaquer, pensa-t-elle avec effroi. Ils vont attaquer et nous ne saurons pas nous défendre.
Les pensées se bousculaient dans sa tête. Elle serra les poings et sentit la rage la gagner. Il fallait
sortir de ce piège, à tout prix! Tamerlan avait parlé d’une issue possible...
-Si seulement je pouvais voir! gémit Tamerlan. Son visage était ravagé par l’angoisse. Il pressa ses
poings contre son front. Il existe une issue. Je le sais. Il faut la trouver, je dois la trouver...
Un tressaillement parcourut son corps décharné. Il se dressa, vacillant sur ses jambes et, les bras
tendus vers le ciel, il donna un instant l’impression de vouloir anéantir les Herculéens par la seule force de
sa volonté. Une lueur s’alluma dans son regard, une lueur comme Flaming Bess n’en avait encore jamais
vu. Une force immatérielle mais tangible passa dans son corps détruit par l’âge. Une force qui l’électrisait
et lui redonnait toute sa vigueur. Son tremblement s’accentua, mais ce n’était plus de la faiblesse. Au
contraire, un sentiment de triomphe s’était emparé de lui.
Je ne suis plus aveugle! cria-t-il avec une joie sauvage. Je vois le futur. J’ai repris possession du
don!
Ses yeux fixaient Flaming Bess, illuminés par un sentiment d’extase.
-Je vois une salle sombre et poussiéreuse, abandonnée depuis des millénaires. La nuit et le silence
l’ont envahie, mais elle attend... Elle attend que quelqu’un que n’arrête ni les murs de métal ni les lourdes
portes d’acier. Quelqu’un qui saura ouvrir les verrous, qui connaîtra leur code. Et la lumière pénétrera à
flots, dissipant les ténèbres et chassant le froid. Des pas laissent leurs empreintes dans la poussière, des pas
font voler la poussière et, de nouveau, les fenêtres sombres s’éclairent. Un coeur commence à battre. Un
coeur de métal que le temps a assoupi. Un coeur qui se réveille. Je vois...
Tamerlan haletait.
-Je vois le palais. Le palais... le vaisseau!
La lueur s’éteignit dans ses yeux, ses jambes se dérobèrent sous lui et il s’effondra. Ken
Katzenstein se précipita et s’agenouilla à ses côtés.
Tamerlan ne réagit pas.
-Maître, cria de nouveau Katzenstein. Non... il... il est mort.
Flaming Bess regardait avec émotion la dépouille du dernier des Tamerlans qui avait consacré son
ultime souffle à trouver la solution qui sauverait l’humanité. Elle contempla le visage détendu, presque
heureux, du vieillard.
-Un coeur recommence à battre. Un coeur de métal que le temps a assoupi. Un coeur qui se
réveille. Le palais... le vaisseau!
-Mon Dieu, pensa-t-elle. Serait-ce possible?
L’espoir venait-il enfin de naître?
Elle se précipita vers l’escalier qui s’amorçait au milieu de la serre où avait vécu Tamerlan. Un
escalier qui conduisait aux générateurs de ce qui avait été le Nova Star.
**
-Feu! ordonna le seigneur de la guerre.

34
Les générateurs rugirent dans les flancs de Mortus et la vibration du vaisseau s’intensifia. Puis de
violentes secousses l’ébranlèrent tandis que les canons laser crachaient d’éblouissants faisceaux d’énergie.
Le champ de forces parut s’embraser, des éclairs aveuglants zébrèrent sa surface puis se concentrèrent au
commet de l’immense cloche protectrice. Un soleil s’alluma au-dessus du palais, un soleil meurtrier, dont la
température se chiffrait en millions de degrés.
De nouvelles secousses agitèrent le Mortus et les canons laser crachèrent de nouveau la mort. Le
vaisseau vibrait de toutes parts et semblait sur le point de se désarticuler.
-Système de tir symchronisé, annonça un des clones.
D’autres pivotèrent vers Krom pour déclarer:
-Aucun signe d’instabilité dams le champ de forces.
-Batteries de missiles sol-sol prêtes à faire feu.
-Générateurs de réserve en activité.
Le seigneur de la guerre écoutait sans la moindre trace d’émotion, le regard rivé sur l’écran de
l’ordinateur central. Au point d’impact des rayons laser la structure du champ de forces souffrait
visiblement, mais le fin lavis bleuté semblait aussitôt irrigué de nouveau par la périphérie.
Sur un écran annexe, se dessinaient les tours d’énergie qui alimentaient le champ de forces.
Lorsque l’extrémité de l’une d’entre elles se mettait à clignoter, traduisant une surchage, l’intensité
lumineuse des autres s’intensifiait et le clignotement ne tardait pas à s’arrêter.
-Il existe bien un système d’équilibrage entre les tours, déclara timidement l’officier Faal. La
surcharge de l’une d’entre elles est aussitôt compensée par les autres.
-Ordre à toutes les batteries de missiles sol-sol de faire feu à volonté, ordonna Krom.
L’officer Faal transmit l’ordre et, dans la seconde qui suivit, les premiers missiles quittèrent leurs
rampes de lancement pour aller s’écraser sur le champ de forces.
Un sourire glacé plissa les lèvres de Krom.
La rupture du champ de forces n’était plus qu’une question de minutes.
**
Le grondement et le fracas des explosions emplissaient la coupole comme le hurlement d’un
monstre avide.
Flaming Bess bondit dans la cabine d’ascenseur et pressa sur un bouton, le coeur battant.
La cabine s’ébranla.
Le tableau de bord du générateur se trouvait juste sous la serre de Tamerlan, mais Flaming Bess
eut l’impression de descendre pendant une éternité.
La cabine s’immobilisa enfin.
Elle poussa la porte et se rua à l’extérieur. Un couloir s’ouvrait devant elle, seulement éclairé par
les lampes de sécurité. Le sol, les murs et le plafond étaient en métal et, quelques mètres plus loin, une
lourde porte blindée interdisait l’accès aux générateurs. Le métal portait de nombreuses traces d’effraction.
Mais le blindage des portes avait été conçu pour résister. Comme le reste du vaisseau, il avait été pensé
pour l’éternité.
-La salle attend que quelqu’un vienne, avait dit Tamerlan avant de mourir. Quelqu’un qui saura
ouvrir les verrous, quelqu’un qui connaîtra leur code...
-Moi, je sais, Maître, murmura Flaming Bess. Moi, la Commandante. Mais le temps a passé, des
millénaires...
Et pourtant, il fallait qu’elle se souvienne...
Flaming Bess s’avança et effleura de la main le métal froid. Sa main glissa lentement jusqu’à ce
qu’elle rencontre une surface carrée un peu moins froide. Et elle se souvint : il y avait là un mécanisme à
microprocesseurs qui réagissait en fonction de la texture de la peau, une «signature» aussi personnalisée
que les empreintes digitales.
Elle sentit un frémissement la parcourir. Sa bouche était sèche et son coeur battait très fort, presque
douloureusement. Puis elle se décida et plaqua sa paume contre le système de verrouillage de la porte.
Flaming Bess appuya de toutes ses forces contre la paroi. Le système ne fonctionnait plus... Peut-
être avait-il été endommagé par les tentatives faites pour le forcer, à moins que la source d’énergie qui
l’alimentait ne se fût épuisée avec le temps ou que le verrouillage fût grippé...
Peu à peu, elle sentit le métal se réchauffer sous sa paume.
Puis elle éprouva une sorte de picotement, comme une légère décharge électrique, et elle entendit
enfin, presque imperceptible au milieu du fracas assourdi des détonations, le grincement d’un mécanisme.

35
C’était comme si les rouages rouillés d’une vieille machinerie s’éveillaient d’un long sommeil en
protestant.
La lourde porte commença à vibrer et le grincement se fit plus distinct. Une ouverture apparut
dans la porte massive.
D’abord étroite, puis de plus en plus large.
Le grincement devenait presque intolérable et, d’un geste instinctif, elle plaqua les mains contre
ses oreilles. La porte s’ouvrit à moitié, puis s’immobilisa.
Mais l’ouverture était assez large pour elle.
Elle sentit un air froid et sec lui caresser le visage et une odeur de poussière et d’abandon lui
monter aux narines. Un couloir sombre s’offrait à elle, plongé dans l’obscurité et à peine éclairé par une
vague lueur rouge.
L’éclairage de secours... Il fonctionnait encore!
Flaming Bess poussa un soupir de soulagement.
De chaque côté du couloir, les portes donnant accès aux cabines étaient restés ouvertes. Au bout du
couloir, une autre porte massive. À droite et à gauche, s’ouvraient d’autres couloirs latéraux.
La Commandante vit la poussière virevolter et elle repensa aux prédictions de Tamerlan.
Lorsqu’elle s’arrêta à la deuxième porte, son coeur cognait dans sa poitrine et quelques gouttes de sueur
perlaient à ses tempes. Elle inspira profondément pour calmer son appréhension en songeant que nul
n’avait plus franchi ce seuil depuis des millénaires.
Puis elle leva la main et, d’instinct, trouva le palpeur du système de verrouillage. De nouveau, le
picotement légèrement désagréable durant la procédure d’identification, puis le grincement de
protestation...
L’éclairage de secours se mit à clignoter. Quelques lampes s’éteignirent, comme si une
surconsommation brutale d’énergie épuisait les réserves des accumulateurs de secours.
Les deux battants s’effacèrent lentement et une lumière brutale inonda soudain la salle des
générateurs du vaisseau.
**
Un clone se tourna vers Krom pour annoncer d’une voix monocorde:
-Signe d’instabilité dans le champ de forces... Premiers symptômes d’une rupture prochaine...
Un sourire fugitif se dessina sur le visage du seigneur de la guerre.
-Sir...
Krom détourna à contrecoeur les yeux de l’ordinateur central. Il fixa Dool et leva un sourcil
interrogatif.
-L’officier qui a pris le commandement des troupes basées à terre souhaiterait nous communiquer
une information...
-Plus tard, lança Krom d’une voix sèche. Après la chute du palais.
-C’est urgent, Sir. L’officier...
-C’est moi qui fixe l’ordre des urgences, coupa Krom avec un calme inquiétant.
Le visage de Dool resta impassible, mais son maître devina le désarroi qui l’agitait.
-Quelque chose d’autre, Dool?
-Non, Sir, répondit le clone avec un soupçon de résignation. Je vais avertir l’officier commandant
les troupes d’assaut de différer sa communication...
Krom avait de nouveau les yeux rivés sur le graphique qui se dessinait sur l’écran de l’ordinateur
central.
Dool serra les dents, manifestant ainsi une mauvaise humeur tout à fait inhabituelle. Il se pencha
vers le micro installé sur sa console et parla à voix basse.
Lorsque, à son tour, il se tourna vers l’écran de l’ordinateur central, une lueur inaccoutumée passa
dans son regard.
**
Flaming Bess resta quelques instants immobile et laissa ses yeux errer sur la salle de pilotage.
L’immense salle en amphithéâtre lui pasaissait à la fois étrangère et familière. Au centre, un
ordinateur géant et son écran éteint. Au premier plan, les consoles des systèmes de pilotage et les écrans
d’ordinateurs secondaires permettant de contrôler toutes les fonctions vitales du vaisseau.
Le regard de Flaming Bess s’arrêta sur le fauteuil réservé à l’officier responsable de la bonne
marche du vaisseau et qui, en cas d’urgence, devait être capable de parer à toute éventualité.

36
Elle s’avança lentement et effleura les accoudoirs du fauteuil comme pour les épousseter mais ses
doigts évitèrent d’entrer en contact avec les touches qui contrôlaient les systèmes électroniques de pilotage.
Le rembourrage du fauteuil avait souffert du temps et, par endroits, la carcasse était à nu. Une
sorte de nostalgie la submergea tout à coup.
Elle oublia le grondement lointain des explosions et elle revit cette salle de pilotage des
millénaires aupravant, bruissante des voix de l’équipage. Elle revit le clignotement incessant de lampes
témoins, le scintillement mat des écrans d’ordinateurs. Elle devina la pulsation réconfortante des moteurs.
Les hommes et les femmes de l’équipage étaient là, de nouveau, à leurs postes, attentifs et
compétents, surveillant la bonne marche du vaisseau qui, après avoir franchi les frontières du système
solaire, avait pénétré dans le grand vide interstellaire.
Comme dans un rêve, ses doigts pianotèremt sur les touches. Quelques voyants s’allumèrent
aussitôt.
D’autres clignotèrent, puis s’éteignirent, puis se rallumèrent définitivement.
Il y eut un chuintement et l’air s’imprégna d’un parfum d’ozone. Le pupitre de la console de
commandes s’illumina d’une mosaïque de couleurs.
Le système de pilotage sortait de son sommeil millénaire.
L’un après l’autre les écrans d’ordinateurs s’illuminèrent. Des mots, des chiffres apparurent sous la
mince couche de poussière. Certains restaient vides, néanmoins, tandis que les écrans du système de
surveillance vidéo dévoilaient des machines inactives depuis si longtemps... La Commandante sentit la peur
lui nouer la gorge: et si elles refusaient de se remettre en route? Si ces énormes structures métalliques, cet
entrelacs de câbles, de tuyaux, si ces générateurs surdimensionnés, ces moteurs surpuissants n’étaient plus
qu’un amas de ferraille hors d’usage?
D’instinct, elle pianota de nouveau sur les touches intégrées dans les bras du fauteuil.
Presque immédiatement, elle vit sur un des moniteurs vidéo un cylindre d’au moins deux mètres
de diamètre cracher une flamme d’un blanc éblouissant.
Plusieurs clignotants d’alarme s’allumèrent. Sur les cadrans de contrôle, les aiguilles entrèrent
dans le rouge.
La Commandante réagit aussitôt et enclencha un programme de détections des avaries.
L’ordinateur se mit instantannément au travail et les premières indications apparurent sur l’écran de son
moniteur.
-CHECK... Tours d’énergie: Générateur 2 et générateur 3 en panne. Générateurs 1, 4 et 7
fonctionnent à 45 pour 100 de leur puissance. Générateurs 5, 6, 8 et 10 fonctionnent à plein régime.
Tranformateurs à 25 pour 100 de leur capacité. Systèmes de transmission endommagés à 61 pour 100 avec
risque de panne complète. Systèmes de commutation automatique bloqués sur sources d’énergie de secours.
-CHECK... Électronique du bord: Systèmes de communication externe faible. Panne partielle du
système de navigation. Système de commutation bloqué sur source d’énergie de secours. Système de
calculs périphériques en panne partielle. Commutation automatique bloqué sur source d’énergie de réserve.
-CHECK... Systèmes de survie à bord: Climatisation en panne partielle. Ventilation en panne
partielle. Contrôle des cloisons en panne partielle. Contrôle de l’état externe de la coque en fonctionnement
normal.
-CHECK... Système d’armement : Générateurs électromagnétique en fonctionnement. Lasers en
panne partielle. Torpilles hors d’usage.
-CHECK... Système de propulsion: Moteurs principaux en panne partielle, moteurs auxiliaires en
état de fonctionnement normal. Système électronique d’allumage en panne partielle. Commutation
automatique sur sources d’énergie auxiliaires...
Flaming Bess poussa un soupir de soulagement et interrompit la check-list. Les dégâts étaient
sérieux, mais pas irrémédiables, et le vaisseau était d’ores et déjà en état de supporter un décollage
d’urgence.
Elle alluma l’écran du système vidéo chargé de surveiller les alentours du vaisseau. Lorsqu’elle
découvrit ce qui se passait autour du champ de forces, elle crut un instant avoir une vision de l’enfer et
comprit qu’il ne lui restait que peu de temps.
D’un coup de poing, elle écrasa une touche rouge sombre.
Décollage d’urgence!
Dans les profondeurs, les vieilles machines s’éveillèrent. Un ronronnement d’abord ténu
s’intensifia rapidement, puis une vibration parcourut le palais.
Et le colosse redevint ce qu’il était à l’origine. Un vaisseau interstellaire: le Nova Star.

37
**
Sur le Mortus, un signal d’alarme se mit à rugir.
-Activité énergétique de 1000 mégawatts croissant de seconde en seconde, annonça la voix d’un
clone qui dut presque crier pour couvrir le mugissement de l’alarme. La source de cette activité est dans le
palais.
Krom tourna vivement la tête et dévisagea avec stupeur le clone qui venait de faire cette
révélation. Puis son regard glissa de nouveau sur l’écran de l’ordinateur central. Les tirs de canons laser et
l’impact des missiles avaient endommagé en plusieurs endroits la structure du champ de forces. La rupture
devait fatalement se produire d’un moment à l’autre.
Les tours d’énergie n’étaient plus en mesure de le stabiliser. Sans doute tentait-on, à l’intérieur du
palais, de compenser leur défaillance prochaine en mettant en route des générateurs de secours. Mais ça ne
servirait pas à grand-chose. Que signifiait un millier de mégawatts face à l’ahurissante puissance de
destruction du Mortus ?
Les occupants du palais n’échapperaient pas à leur destin.
Krom pressa sur un bouton pour interrompre le signal d’alarme.
C’est alors que l’officier Dool se tourna à nouveau vers lui.
-Sir, déclara-t-il, il se peut qu’il existe un lien entre l’activité énergétique qui règne actuellement à
l’intérieur du palais et la communication que souhaite faire le commandant des troupes d’assaut.
L’insistance dont il a fait preuve laisse supposer que...
-Taisez-vous, coupa Krom.
C’était dit calmement, et pourtant l’ordre claqua au visage du clone comme une gifle. Une étrange
pâleur envahit son visage, tandis que Krom l’observait avec un détachement feint.
-Vous n’avez pas à vous livrer à des suppositions, expliqua le seigneur de la guerre. Vous n’avez
pas à penser, vous avez à obéir.
-Oui, Sir.
-L’obéissance est la seule chose qui sépare un clone de la mort, Dool.
L’officier ne répondit pas, mais Krom savait qu’il avait compris. Dool fit pivoter son siège et se
concentra de nouveau sur son pupitre.
L’inexplicable obstination du clone irritait Krom. Il hésita un bref instant à demander ce que le
commandant des troupes d’assaut avait bien pu vouloir lui communiquer. Il se pouvait après tout, que cela
eût quelque intérêt.
Le chuintement d’un fauteuil qui pivotait le tira de ses pensées.
-Activité énergétique de 2000 mégawatts, et elle continue de croître régulièrement, annonça un
clone. Aucun signe de stabilisation du champ de forces...
-Alors, à quoi, est-ce que cela peut bien leur servir? se demanda Krom. Est-ce une arme?
Probablement. À moins qu’il ne s’agisse d’un système d’autodestruction, ce qui serait plus vraisemblable.
Ils doivent être décidés à faire sauter le palais et eux avec, en espérant que la déflagration anéantira le
Mortus.
-Changement de position, ordonna-t-il. Horizontale sur 10000, verticale sur 5000. Mettez des
générateurs auxiliaires en activité et concentrez toute l’énergie sur le système de tir.
Le bruit des machines du Mortus devint assourdissant.
Les générateurs s’emballèrent. Un déluge de feu jaillit des propulseurs et le lourd vaisseau prit
lentement de la hauteur. Puis il glissa vers les ruines de la ville, afin de se mettre à l’abri avant d’anéantir le
palais.
Mais à l’instant même où Krom s’apprêtait à donner l’ordre de tirer une dernière salve, le palais
subit une ahurissante transformation.
**
Le Nova Star tremblait.
De la salle des machines montait la pulsation de plus en plus puissante d’un coeur retrouvé. Elle
emplissait chaque couloir, chaque salle, dominant le fracas des explosions, les hurlements des fugitifs qui,
affolés, croyaient leur dernière heure arrivée. Ils couraient en tous sens, persuadés que le champ de forces
venait de se rompre et que le palais allait s’effondrer sur eux. Et le coeur du Nova Star battait de plus en
plus fort, comme un tambour immense annonçant l’espoir retrouvé.
Décollage d’urgence.
Dans le poste de pilotage, le clignotement des lampes témoins s’était accéléré, comme si une folie
subite s’en était emparée. Le sol vibrait et la poussière dansait. Les décharges se succédaient, des étincelles

38
crépitaient aux relais électriques. Une odeur d’ozone et d’isolant surchauffé rendait l’air presque
irrespirable.
Flaming Bess continuait à pianoter sur les touches des consoles de commande avec un
automatisme parfait. Sur l’écran de l’ordinateur de contrôle défilait le détail des procédures de décollage.
-Verrouillage du système de fermeture terminé. Mise en route du système de propulsion.
Attention... Attention... Système de climatisation défectueux. Mise en route du système de ventilation.
Attention... Attention... Fonctionnement défectueux dans les sections F, X, K, L et W. Mise en route des
générateurs. Attention... Attention... Générateur 1 hors d’état de marche. Commutation sur générateur
auxiliaire 1A. Système de commutation bloqué. Commutation sur générateur 4. Générateur 4 fonctionne à
60 pour 100 de sa puissance totale. Mise en route du système de propulsion auxiliaire. Attention...
Attention... Signe de défaillance dans le système d’alimentation en énergie. Panne impossible à détecter.
Commutation sur le système d’alimentation auxiliaire. Commutation réussie. Attention... Attention...
Système de propulsion en partie bloqué. Cause: présence de corps étrangers dans les tuyères 11, 12 et 15.
Commutation partielle sur le système principal. Attention... Attention... Risque d’explosion en cas de
surpression...
Flaming Bess jura. Il lui fallait absolument limiter au maximum la puissance du système de
propulsion si elle ne voulait pas courir le risque de voir le Nova Star se désintégrer au décollage.
Elle jeta un bref regard au moniteur affichant l’état du champ de forces et constata d’importantes
lézardes. Les tours d’énergie faiblissaient à vue d’oeil. Un clignotement inquiétant se manifestait à leur
sommet et des taches sombres apparaissaient sur leurs flancs de cristal. Elle vit aussi l’ombre monstrueuse
du vaisseau herculéen se déplacer en direction de la ville, tout en continuant à concentrer le tir de ses
canons sur le champ de forces. Flaming Bess enfonça une touche d’un doigt énergique. Un nouveau
moniteur s’éclaira.
-Système de tir Alpha paré. Impulsion électromagnétique en attente... Attention... Attention...
Repérage de cible.
Avec un sourire sardonique, Flaming Bess transféra les données de l’ordinateur de tir sur l’écran
de l’ordinateur central. La cible apparut bientôt et elle régla le système de tir pour l’amener lentement au
centre des cercles concentriques de l’image du Mortus. Puis elle coupla le système de tir avec le
programme de décollage. Ainsi, dès que le Nova Star franchirait le champ de forces qui le protégeait encore
des lasers herculéens, le Mortus serait frappé de plein fouet par une foudroyante impulsion
électromagnétique qui déréglerait aussitôt tous ses systèmes électroniques.
-Enfin, peut-être... soupira Flaming Bess.
Le Mortus était en effet entouré d’un halo verdâtre qui ressemblai fort à un bouclier de
protection...
Les générateurs du Nova Star tournaient maintenant à plein régime.
Toute la carcasse du vaisseau souffrait et ses vibrations devenaient insupportables. Une sonnerie
d’alarme retentit et plusieurs voyants s’éteignirent. Un choc brutal ébranla soudain le vaisseau et la
Commandante manqua être projetée au bas de son siège. Puis un deuxième choc, suivi d’une explosion.
Une partie des voyants de contrôle passa au rouge. L’ordinateur enclencha automatiquement les systèmes
auxiliaires et les voyants passèrent de nouveau au vert.
Le vaisseau tout entier semblait souffrir pour s’arracher au sol. Des gerbes de feu jaillissaient des
huits pieds de la pyramide octogonale, vitrifiant le sol et provoquant un véritable séisme. Ébranlées, les
tours d’énergie vacillèrent sur leur base, puis basculèrent pour exploser dans une lueur aveuglante. De
larges crevasses s’ouvrirent comme si la planète menaçait d’engloutir le vaisseau afin d’empêcher qu’il ne
la quitte.
Mais la puissance du système de propulsion parut grandir encore et, dans un ultime sursaut, le
Nova Star s’arracha à Terminus, brisant les chaînes qui l’avaient retenu prisonnier pendant des millénaires,
pour monter dans le ciel incandescent.
Le champ de forces s’était éteint.
Un choc plus violent que les autres ébranla le vaisseau. Projetée en avant, Flaming Bess n’eut pas
le temps de se protéger le visage et son front heurta violemment une console d’ordinateur. Avant de
s’évanouir, elle eut le temps de voir un éclair pâle apparaître sur l’écran de l’ordinateur central et frapper de
plein fouet le bouclier du Mortus. Le bouclier paru s’embraser et se déchira.
L’impulsion électromagnétique avait attint son but et le Mortus descendait déjà en chute libre.
**
À bord du Mortus, ce fut soudain la nuit.

39
Krom sentit la douleur irradier son corps et les images se bousculèrent dans sa tête.
Le palais de Tamerlan nageait sur un lac de magma en fusion. Le palais crachait des torrents de
feu, tandis qu’explosaient les tours d’énergie. Puis il y eut un éclair - la nuit et le silence. Le vaisseau en
chute libre. Les machines arrêtées... Tous les systèmes électroniques en panne. Les voyants, les moniteurs
éteints... Puis la lueur incertaine de l’éclairage de secours, le ronronnement des machines qui
redémarraient... Trop tard. Le choc. La douleur et de nouveau l’obscurité.
-Non! hurla le seigneur de la guerre.
Il serra les dents, lutta contre l’évanouissement et s’accrocha à son fauteuil comme un naufragé à
sa bouée.
-Ils nous ont eus, pensa-t-il avec rage. Le palais était un vaisseau!
Une main se posa sur son bras, mais il la repoussa avec hargne. L’air sentait la fumée. Une voix se
fit entendre, celle de l’officier Dool.
-Comment vous sentez-vous, Sir? Vous...
-Que s’est-il passé? coupa Krom.
-Le Mortus a été frappé par une impulsion électromagnétique de forte puissance. Notre bouclier
protecteur n’a pu que partiellement l’absorber avant d’être détruit, ce qui a entraîné une panne momentanée
de nos système électroniques. Le vaisseau est alors tombé en chute libre. Le temps que les systèmes
auxiliaires remettent en route notre système de navigation et de propulsion, il était trop tard. Un tiers de
l’équipage est mort ou blessé, et...
-Je me moque du sort de l’équipage! vociféra Krom. Seul l’état du vaisseau m’intéresse!
-Évidemment, Sir, fit Dool en courbant la tête. Les avaries pourront être réparées avec les moyens
du bord, mais il faudra plusieurs jours avant que le Mortus soit de nouveau en état de naviguer.
-Autrement dit, maugréa Krom, nous nous sommes fait avoir et nous n’avons pas la possibilité de
leur donner la chasse!
Il se tut et leva les yeux vers le ciel grisâtre au fond duquel venait de disparaître le palais de
Tamerlan...
-Le vaisseau ennemi s’éloigne de Terminus à vitesse réduite, déclara Dool. Sans doute n’est-il pas
doté de moteur à antimatière susceptible de lui faire dépasser la vitesse de la lumière. Il va donc s’attarder
dans cette galaxie encore un moment.
-Un vaisseau spatial camouflé, soupira Krom. Et personne ne s’en est aperçu...
-Il ne correspondait à aucun modèles de vaisseaux construits par la Ligue des Étoiles. De plus, ce
palais... euh... ce vaisseau existait sur Terminus depuis des millénaires. Personne ne pouvait se douter de
son existence...
Il se tut, mais son silence laissait deviner qu’il n’avait pas tout dit...
-Parlez! ordonna Krom.
-Souvenez-vous, Sir, avant de lancer l’attaque contre le palais, je vous ai prévenu que le
commandant des troupes d’assaut avait une communication à vous faire...
-Je m’en souviens. Et alors?
-Juste avant l’arrivée du Mortus, un de nos commandos avait, en poursuivant un groupe de
fugitifs, découvert un bâtiment ressemblant à un temple. Le groupe de fugitifs s’y est réfugiée et a opposé
une vive résistance. Nos troupes venues en renfort ont pu néanmoins prendre le bâtiment d’assaut...
-Et alors? le pressa Krom.
-Le temple avait été érigé pour abriter un antique système d’hibernation, baptisé le mausolée de la
Commandante. Une certaine Flaming Bess. Une femme venue de la préhistoire et conservée dans la glace.
D’après la légende, cette Flaming Bess aurait été la commandante du premier vaisseau interstellaire venu
d’un monde mythique baptisé la Terre, planète dont serait originaire l’humanité...
Dool se tut et regarda Krom pour savoir s’il devait continuer son récit.
-Je connais le mythe de la Terre, murmura le seigneur de la guerre dont les yeux brillèrent d’un
éclat singulier. Poursuis.
-Cette histoire n’aurait aucun intérêt si le seul survivant du commando, anéanti par les fugitifs, ne
nous avait pas révélé que la Commandante était sortie de son était d’hibernation pour aider les fugitifs et
n’avait réussi à gagner le palais avec quelques rescapés. Il se peut donc que le palais ait été en fait...
-...son vaisseau, conclut Krom. Le légendaire premier vaisseau interstellaire venu de la Terre. Il
leva les yeux vers le ciel et murmura: Flaming Bess...
-Mais la Terre est un mythe, Sir, hasarda Dool. Même les hommes ne croient pas qu’elle existe
réellement.

40
-Parce que ce sont des fous! s’écria Krom. Parce qu’ils ne savent pas.
Il se tut. Les pensées se bousculaient dans sa tête.
-Je sais à présent quel est ton plan, Flaming Bess, mais je ne te laisserai pas l’accomplir. Tu m’as
volé ma victoire, mais ton succès sera de courte durée. Où que tu ailles, je saurai te trouver et je
t’éliminerai, toi et tous ceux de ton bord.
Son sourire était une promesse de mort.
-Dool.
-Sir?
-Vérifiez si nous pouvons de nouveau recevoir des signaux psychotroniques du contact que nous
avions à l’intérieur du palais.
Dool se hâta d’exécuter l’ordre et Krom se sentit quelque peu rasséréné à l’idée que l’espion
involontaire embarqué au bord du vaisseau lui permettrait de suivre le Nova Star à la trace.
**
Lorsque Flaming Bess reprit conscience, le grondement des générateurs et des propulseurs s’était
tu et l’on n’entendait qu’un ronronnement paisible. Sur la carte du ciel, Terminus n’était plus qu’une petite
tache blanche qui s’éloignait sans cesse.
Elle avait réussi!
Un sentiment de triomphe l’envahit, tandis qu’elle frottait son front douloureux. Mais elle savait
que les Herculéens ne tarderaient pas à se ressaisir et à leur donner la chasse. Réparer les dégâts causés par
les millénaires prendrait du temps, si tant est que cela fût possible avec les moyens du bord.
De toute façon, comparés aux vaisseaux herculéens, le Nova Star relevait d’une technologie
totalement dépassée. Sa vitesse de pointe était légèrement inférieure à celle de la lumière, ce qui ne lui
laissait que peu de chance de quitter à temps cette galaxie. Même si l’ennemi mettait quelques semaines à
réparer ses avaries, il comblerait aisément son retard, car il naviguait plus vite que la lumière. Autant parler
d’un escargot fuyant devant un lièvre.
-Nous avons gagné une bataille, pensa la Commandante. Nous sommes loin d’avoir gagné la
guerre.
Elle entendit un bruit de pas dans son dos et tourna la tête. C’était Ken Katzenstein qui, médusé,
contemplait la salle de pilotage.
-Vous avez réussi, Commandante! s’écria-t-il avec émotion. Vous nous avez sauvé la vie à tous...
-C’est Tamerlan qui nous a sauvés, répondit Flaming Bess d’une voix songeuse. Sans lui, je
n’aurais jamais imaginé que le Nova Star était encore en état de décoller. C’est d’ailleurs un miracle après
tout ce temps...
Katzenstein s’approcha d’elle à pas lents.
-Je suppose, murmura-t-il en jetant un regard circulaire, que vous allez avoir besoin d’un bon
ingénieur pour remettre le vaisseau en état. Je crois être l’homme qu’il vous faut.
-Je n’ai guère le choix, de toute manière, plaisanta Flaming Bess. Mais j’accepte de grand coeur
votre proposition. Le plus urgent est d’abord de rassurer nos passagers. Je suppose que ce doit être la
panique... De plus, j’ai besoin de quelques hommes de confiance pour interdire l’accès de cette salle à des
visiteurs indésirables. Je n’ai aucune envie de voir McLasky ou Lady Gondelor rôder dans les parages. Il
faut aussi faire une estimation des stocks de vivres dont nous disposons et...
Un signal électronique l’interrompit.
Elle se retourna vers l’écran du radar représentant la carte du ciel et vit un point lumineux se
déplacer à grande vitesse entre les étoiles. L’ordinateur couplé au radar calcula que l’objet non identifié
atteindrait le Nova Star dans quinze minutes. Puis une image apparut sur un moniteur. Il s’agissait d’un
vaisseau aux formes curieuses: deux disques tournant en sens inverse et reliés par un cylindre.
-S’agit-il d’un vaisseau herculéen? demanda Flaming Bess.
-Non, répondit Katzenstein. Et il ajouta tandis qu’une pâleur subite envahissait son visage: De ma
vie, je n’ai encore jamais vu de vaisseau de ce type.
Ils échangèrent un regard.
-Les Drakhanes, murmura la Commandante.
Chapitre 9
Flaming Bess ferma les yeux.
-L’appel, pensa-t-elle. L’appel de Tamerlan...
Et elle revit le vieil homme mort sans savoir que, de l’immensité du vide, les Drakhanes avaient
envoyé un vaisseau au secours des hommes.

41
Mais ce vaisseau n’était plus qu’une épave.
Sur le disque supérieur, on apercevait un trou béant, et ce n’était pas la seule blessure. Le blindage
de protection avait fondu en partie, le cylindre central était comme lacéré et le disque inférieur parsemé de
cratères, comme s’il avait été criblé par une pluie de météorites.
Lorsqu’il s’immobilisa à un kilomètre à peine du Nova Star, on aurait dit un nain à côté d’un
géant, et Flaming Bess se demanda comment il avait pu franchir autant de milliers d’années-lumière. Mais
peut-être s’agissait-il d’une simple embarcation de secours, qui avait pu quitter à temps un vaisseau de plus
grande taille.
-Les Herculéens! s’écria Ken Katzenstein. Ces maudits bâtards ont osé attaqué un vaisseau
drakhanes!
À cet instant, une silhouette se profila sur le seuil de la salle de pilotage. Flaming Bess se crispa
une fraction de seconde, puis se détendit en reconnaissant l’homme du clan. Ka la contemplait avec fierté et
admiration.
Il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche.
-Vous arrivez à point, lança la Commandante coupant court aux explications. J’ai besoin de vous
pour aller inspecter le vaisseau, dit-elle en montrant l’épave sur l’écran du moniteur. Katzenstein, vous
resterez en communication avec nous. Deux minutes pour vous montrer le fonctionnement de l’ordinateur
central et le schéma de pilotage... Ah! placez des gardes sûrs à la porte. Je vous laisse le commandement
pendant mon absence... Au travail...
-Espérons que le Mortus ne se pointera entre-temps, s’inquiéta Katzenstein quand tout fut paré.
Sa voix résonna légèrement déformée, dans les écouteurs du casque de Flaming Bess. Elle venait,
ainsi que Ka, de revêtir un des scaphandres permettant de quitter le Nova Star et ils s’apprêtaient à entrer
dans le sas de dépressurisation.
-Ne vous inquiétez pas, lança-t-elle à Katzenstein. Tout n’est pas encore perdu. Les Drakhanes
vont peut-être pouvoir nous donner un coup de main.
-Si toutefois ils ont survécu à l’attaque herculéenne... Nous n’avons pas détecté la moindre activité
à bord de ce vaisseau et je me demande s’ils peuvent encore quelque chose pour nous... si tant est qu’ils en
aient eu l’intention, maugréa Katzenstein. Pourquoi feraient-ils une différence entre les Herculéens et nous?
Ces clones nous ressemblent tellement.
-Ne perdons pas de temps, coupa Flaming Bess. Surveillez les alentours du vaisseau et prévenez-
moi si les Herculéens montrent le bout de leur nez.
-Entendu, se contenta de répondre Katzenstein en soupirant. Mais pas de risque inutiles, hein?
Vous êtes prêts?
Flaming Bess leva un pouce et Katzenstein verrouilla la porte du sas.
Quelques secondes plus tard, Flaming Bess et Ka actionnaient les réacteurs de leurs scaphandres
qui les propulsèrent en douceur vers le vaisseau drakhane.
L’épave était dans un état inquiétant et la Commandante redouta que le pessimisme de Katzenstein
ne fût fondé.
Quelques minutes plus tard, ils posèrent le pied sur le disque supérieur du curieux vaisseau, qui
semblait comme labouré par une monstrueuse charrue. Malgré leurs semelles magnétiques, ils ne purent
trouver d’adhérence. Si le disque était en métal, ce qui pourtant semblait le cas, il était antimagnétique.
Flaming Bess et son compagnon parvinrent néanmoins à se faufiler par ce qui avait dû être la porte
extérieure d’un sas, mais le battant avait été arraché de ses gonds. La porte intérieure, en revanche, avait
tenu bon.
Ka sortit alors d’un sa c un rouleau d’un matériau blanc laiteux dont il se servit pour obstruer
l’orifice extérieur du sas. Malgré sa minceur, la résistance de ce film était tell qu’il pouvait soutenir une
brusque pressurisation du sas lorsque s’ouvrirait la porte communiquant avec l’intérieur du vaisseau. Il y
eut une brève incandescence aux endroits où le film entra en contact avec le métal et la soudure fut
instantanée.
Puis Ka ausculta la porte intérieure du sas avec un appareil de détection miniaturisé qui lui permit
de trouver rapidement l’emplacement du système de verrouillage. Il disposa alors un explosif, puis entraîna
Flaming Bess à l’écart. L’explosion fut presque immédiate. Il y eut un éclair blanc et la porte bascula
lourdement à l’intérieur du vaisseau drakhane. Le film synthétique qui obstruait l’orifice extérieur fut
soumis à une brutale pression lorsque le sas se retrouva pressurisé, mais il tint bon.

42
Flaming Bess consulta un manomètre sur la manche gauche de son scaphandre et constata avec
soulagement que la pressurisation à l’intérieur du vaisseau reproduisait une atmosphère assez semblable à
celle de la Terre et de Terminus.
À peine eurent-ils franchi l’entrée du sas, qu’ils se sentirent brusquement collés au sol.
-Attention, avertit Ka. Gravité artificielle.
Flaming Bess fit signe qu’elle avait compris, puis déverrouilla son casque. L’air était froid et un
peu raréfié en oxygène. Une odeur de métal et de fumée mêlée à une sorte de parfum exotique lourd et
sucré monta à ses narines.
Ils avancèrent le long d’un couloir étroit et bas de plafond, dont les murs lisses et blancs étaient
couverts par endroits de symboles complexes. Le sol descendait en pente douce et aboutissait à une salle
ovale.
Un Drakhane y était étendu, immobile.
Il gisait dans une flaque de liquide verdâtre. Son corps n’était guère plus grand que celui d’un
enfant et son dos couvert d’écailles épaisses donnait l’impression d’une sorte de carapace. Son ventre pâle
et humide faisait penser à celui d’un poisson, malgré les membres courts terminés par des sortes de pinces.
La tête ressemblait à celle d’un batracien: lèvres épaisses et proéminentes, orifice nasal réduit à deux trous
minuscules, yeux immenses que voilait une épaisse membrane.
Flaming Bess se rappela ce que lui avait dit Tamerlan sur la puissance et l’ancienneté de la race
des Drakhanes et ne put que s’étonner de découvrir un être apparemment aussi désarmé et solitaire, gisant
dans ce qui lui tenait lieu de sang.
Ce cadavre était-il le seul occupant de ce vaisseau où régnait un silence absolu? On se serait cru
dans un tombeau.
Elle considéra de nouveau le corps étendu au centre de la salle et aperçut sur son flanc droit une
profonde entraille. Elle se pencha, tendit la main et retourna le Drakhane sur le ventre. Le corps était lourd
et totalement inerte. En le déplaçant, elle constata que le Drakhane était allongé sur un entrelacs de
connexions électriques calcinées et à demi fondues sous l’effet d’un court-circuit. Était-ce là la cause de la
mort? Elle se redressa en poussant un soupir.
-Peut-être trouverons-nous des survivants dans la salle des machines ou au niveau des ponts
inférieurs...
-Non...
La voix avait résonné, fragile et froide. Ka et Bess en restèrent figés de surprise.
Flaming Bess tenta de réagir, mais ne put esquisser le moindre geste. Du coin de l’oeil, elle
aperçut Ka, tout aussi paralysé qu’elle. Puis, tous les deux se tournèrent vers le Drakhane, comme si une
volonté étrangère leur dictait leur geste...
Le Drakhane n’était pas mort. Ses paupières frémirent, puis s’ouvrirent sur des yeux immenses,
vert émeraude.
Flaming Bess se sentit transpercée au plus profond d’elle-même. Elle comprit que toute résistance
était inutile face à un pouvoir télépathique aussi absolu. Aussi s’abandonna-t-elle totalement et le
Drakhane, outre les événements récents, découvrit son enfance, ses études à l’université et sa formation
d’astronaute à Houston, puis son départ à bord du Nova Star vers le vide interstellaire...
De nouveau la voix télépathique.
-J’ai parcouru une très longue distance. J’ai traversé les vallées de la vie et ne suis qu’au pied de la
montagne du savoir, mais j’accéderai à son sommet rayonnant.
La voix se fit murmure et la Commandante comprit que c’était un mourant qui s’adressait à elle.
-La mort n’est qu’un passage parmi beaucoup d’autres que notre âme doit franchir. Lorsque notre
vie physique s’achève, elle quitte notre dépouille pour accéder aux sommets du savoir. Je ne crains pas la
mort et ne redoute que le poids de la vie qui me retient dans cette prison de chair et m’impose le fardeau de
tâches matérielles sans cesse recommencées et jamais achevées...
-Pourquoi es-tu venu? pensa Flaming Bess. As-tu entendu l’appel? Es-tu venu à notre aide?
-J’ai suivi le chemin tracé. Je suis Pra-Yaswân, celui qui va là où personne ne s’aventure. J’ai lu
les livres du temps et retrouvé les vieilles traces. J’ai compté les étoiles et contemplé l’écho du passé dans
leur luminescence. J’ai traversé le vide où le Verbe n’existe pas et je suis le Verbe qui remplit le vide. Je
suis celui qui sait, mais mon savoir n’est qu’un grain de poussière dans l’étendue de la connaissance.
-Je connais les hommes.
-J’ai entendu l’appel, mais je lis dans ton esprit que celui qui l’a lancé a quitté la vallée de la vie.
-Nous aideras-tu? pensa Flaming Bess.

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-L’aide se trouve en vous. Je suis venu me libérer de mon ultime fardeau, accomplir mon ultime
tâche. Alors écoute: L’ennemi que tu redoutes tant est chair de ta chair. Nous sommes vieux. Ton chemin te
conduit vers le passé. Nous sommes froids. Ton chemin se termine là où il commence. Nous attendons. Je
te connais, toi qui as peuplé la Terre. Je sais d,où tu viens et où tu vas. Tu crois savoir et tu ne sais rien.
Ceux qui sont venus après toi ont oublié que tu portes en toi l’héritage de la Terre. Viendra bientôt le jour
où tu te souviendras, et alors poindra une aube nouvelle pour toi et ceux de ton sang. Alors écoute, être
humain. Tu sollicites de l’aide. Tu aspires à des réponses. Tu cherches ton chemin. Je suis Pra-Yaswân,
celui qui va où nul ne s’aventure. Je cherche comme toi. Mon sang est froid, le tien est chaud. Je suis vieux,
tu es jeune. Je suis fatigué, tu es forte.
-Remonte ton chemin jusqu’à sa source. Tu y trouveras de l’aide et des réponses. Ne crains rien.
La mort suit tes traces et elle a un visage semblable au tien. La mort t’accompagne, mais n’est pas ton
maître. Au bout du chemin règne l’ombre et mes yeux ne peuvent la percer et je ne sais ce qui t’attend, de
la victoire ou de la défaire. Mais ton chemin est le seul qui mène à ton but. N’hésite pas. Va.
Ses paupières se fermèrent lentement sur les yeux émeraude.
-Mais je ne peux pas! s’écria Flaming Bess. La Terre est trop éloignée et mon vaisseau...
La voix du Drakhane se fit de nouveau entendre dans sa tête, de plus en plus faible.
-Le temps court. L’ennemi approche. Va!
-C’est impossible! cria Flaming Bess. Le Nova Star n’échappera pas aux Herculéens. De plus, des
millions et des millions d’humains sont leurs prisonniers et je ne peux pas les abandonner à leur sort.
-Va au-delà des étendues vides. Fais le premier pas. Va là où règne le Saurien. Et plus loin au-delà
de la Voie Lactée. Tu sais où trouver la Terre. Trouve-la, et c’est alors seulement que tu pourras sauver les
prisonniers. Va.
La voix se tut et la pression télépathique disparut.
Pras-Yaswân était mort.
Flaming Bess se tourna vers Ka.
-J’ai entendu ce qu’il t’a dit, murmura l’homme du clan. Il savait qu’il allait mourir, mais il est
grand quand même venu pour te délivrer son message.
-Et à quoi ça nous aide? Nous ne vaincrons pas les Herculéens avec des mots!
-Il t’a montré le chemin. Rejoignons la Terre.
-Nous ne l’atteindrons jamais, nous..
Elle se tut. Un signal l’avertit que le Nova Star souhaitait entrer en contact avec elle. Elle mit sa
radio sur écoute et la voix de Katzenstein résonna dans les écouteurs.
-Revenez vite à bord, Commandante. Nous avons décelé la présence de plusieurs vaisseaux qui
sont probablement herculéens. Ils nous auront rejoints dans moins d’une demi-heure...
-Nous arrivons, répondit-elle avant de couper la liaison radio. Puis elle se tourna vers l’homme du
clan et soupira: Les dés sont jetés, Ka.
-Nous nous battrons pour mourir honorablement.
Flaming Bess verrouilla son casque et emprunta le couloir qui conduisait au sas. Elle tira son arme
pour détruire le film qui obstruait la sortie et la dépressurisation brutale les projeta, elle et Ka, à l’extérieur.
À peine s’étaient-ils éloignés de quelques dizaines de mètres, que Ka l’alerta:
-Commandante, regardez!
Elle pivota sur elle-même et vit le vaisseau drakhane se désagréger. Les deux disques se séparèrent
du cylindre pour partir à la dérive, mais le cylindre lui se mit à les suivre. La voix du Drakhane résonna
alors une dernière fois dans sa tête:
-Va, être humain. Dépasse les étendues vides où règne le Saurien.Le chemin est long, mais accepte
ce cadeau. Va...
Ils regardèrent le cylindre et comprirent tout à coup.
-Le moteur antimatière! s’écria Ka. Le moyen de propulsion pour franchir la vitesse de la lumière!
-La Terre! pensa Flaming Bess. La Terre enfin à notre portée. Merci, Pra-Yaswân. Je suivrai le
chemin que tu m’as indiqué, quoi qu’il puisse arriver, je te le jure.
Puis elle observa le Nova Star, pensa à Muller McLasky, à Lady Gondelor, à l’ennemi inconnu qui
se cachait parmi les fugitifs et aux vaisseaux herculéens qui approchaient.
Mais elle savait que c’était à elle et à personne d’autre de retrouver la Terre.
Aussi fut-ce avec un sourire un peu crispé qu’elle rejoignit le poste de pilotage tandis que le
cylindre contenant le moteur à antimatière se posait soixante-dix mètres plus bas, sur le sol de la salle des
machines.

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À peine fut-il en contact avec le navire qu’il se mit à scintiller d’une lueur éclatante. Le vaisseau
fut parcouru d’un long frémissement.
Les étoiles s’éteignirent.
Le Nova Star était en route vers la Terre.

Thomas Ziegler

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