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« CECR : tâche sociale, scénario pédagogique et TIC.

»
Claude Springer, Professeur des universités, université de Provence, France.
Anna Koenig-Wiśniewska, doctorante, université de Provence, France, et université Adam
Mickiewicz, Poznań, Pologne.

C
et article propose de montrer que l’on assiste à une réorganisation
fondamentale de la séquence pédagogique. Nous ferons d’abord de simples
constats à partir de l’analyse rapide de manuels récents de FLE intégrant les
nouveaux concepts du CECR. Nous montrerons ensuite comment ces manuels interprètent la
perspective actionnelle. Nous proposerons pour finir une modélisation des nouveaux formats
qui voient le jour.
Mots clés : CECR, perspective actionnelle, tâche communicative, séquence pédagogique,
scénario, didactique du FLE

1. Constat initial : une nouvelle terminologie et approche dans les manuels


de FLE
Depuis la parution du CECR en 2001, un nombre conséquent de manuels de FLE nous
engagent dans une (r)évolution pédagogique. Une nouvelle terminologie et approche de
l’enseignement / apprentissage font ainsi une entrée remarquée dans le domaine du FLE. Il
nous paraît intéressant d’analyser les slogans publicitaires brièvement afin de voir sous quels
habits la nouvelle approche se présente. Cette présentation nous permettra d’entrer dans le vif
du sujet sans faire le détour fastidieux par la théorie didactique de la perspective actionnelle
(Rosen, 2009).

1.1 Rond Point (2004), Difusion, F. Capucho, M. Denyer, C. Flumian, J. Labascoule,


C. Lause

Rond-Point est la seule méthode de FLE à adopter la perspective actionnelle


que privilégie le Cadre européen commun de référence pour les langues
(CECR). Dans chaque unité, les apprenants mobilisent leurs compétences et
leurs connaissances pour réaliser une tâche finale. Rond-Point 1 couvre les
niveaux A1 et A2 du CECR.

Rond Point (2004) est un des premiers manuels à avoir centré la séquence
pédagogique sur l’approche par les tâches. L’organisation générale en est fondamentalement
modifiée. Les unités sont définies pour permettre aux élèves de réaliser un projet en fin
d’unité, la « tâche finale », c’est l’élément clé de la méthode. On remarque de nouveaux
termes comme « mobiliser des compétences », « réaliser une tâche finale ». On insiste
clairement sur la perspective actionnelle. Les auteurs de Rond Point proposent ainsi une
première interprétation de la perspective actionnelle et du CECR.
1.2 Alors ? (2007), Didier, J.C. Beacco, M. Di Giura

Une nouvelle méthode qui propose des stratégies spécifiques pour


l'acquisition des compétences communicatives, linguistiques et culturelles.
(…) Alors ? Respecte les échelles de compétences des niveaux A1, A2 et B1
du CECRL.

Alors ? (2007) avance une interprétation différente : il s’agit grâce à cette méthode
d’acquérir des « compétences communicatives, linguistiques et culturelles », c’est-à-dire
l’entraînement aux activités langagières du CECR (compréhension, production, interaction et
médiation). Alors ? interprète le CECR comme un prolongement heureux de l’approche
communicative, une version optimale pourrait-on dire, qui doit permettre un véritable
entraînement des compétences langagières définies par le CECR, mais également une prise en
compte du culturel, sans négliger pour autant les contenus linguistiques.
1.3 Scénario (2008), Hachette, A.L. Dubois, M. Lerolle, F. Gallon

Scénario, c'est créer son monde, adopter l'identité de personnages virtuels,


vivre des expériences en français : une approche actionnelle innovante, qui
va de pair avec la rigueur de l'apprentissage linguistique. (…) Une approche
par compétences, un passage systématique à la production orale et écrite
(rubriques Action ! et pages Scénario) (…) l'acquisition d'une compétence
culturelle (pages Culture, cultures). (…) Un projet suivi avec, comme
aboutissement de chaque module, l'élaboration d'un scénario pour créer un
monde virtuel à vivre en français (pages Scénario).

Les mots clés tournent autour de l’idée de projet et d’interculturel : « vivre ensemble
une expérience », « projet suivi », « monde virtuel », « compétence culturelle ». On s’inscrit
clairement dans l’approche actionnelle et par compétences en revendiquant l’innovation
pédagogique. Enfin, la nouveauté pour cette méthode, c’est l’adoption du scénario
« simulation globale » : participer à une « aventure virtuelle », adopter « l’identité de
personnages virtuels », « créer un monde virtuel ».
Ces trois exemples de manuels montrent que les différents auteurs proposent, chacun à
leur façon, une interprétation de la perspective actionnelle. Les slogans commerciaux utilisent
des notions qui sont déjà connues ou au moins entendues : le CECR et l’échelle de
compétences avec les niveaux A1, etc. Mais de nouveaux termes apparaissent, moins
familiers en pédagogie, qu’il sera nécessaire d’expliciter et de vivre dans le quotidien de la
classe : approche par compétences, compétence interculturelle, mais aussi perspective
actionnelle, approche par tâche, tâche finale, mobiliser des compétences, scénario
pédagogique, vivre des expériences en français, apprendre en autonomie.
La prise en main de ces nouveaux manuels et leur mise en œuvre dans la salle de
classe vont impliquer de se former à cette nouvelle approche de la pédagogie du cours de
FLE. Tentons de clarifier la notion centrale de tâche.

2. La perspective actionnelle : zoom sur la tâche communicative


Les didacticiens de langue anglaise se sont penchés depuis la fin des années 80 sur la
notion de tâche. Dès 1989, Nunan définit la tâche communicative comme une activité
complexe qui engage l’apprenant à manipuler, produire et interagir pour faire sens plus que
pour réutiliser correctement une forme linguistique apprise. Ellis (2003) propose une synthèse
de ce que l’on appelle « l’apprentissage par les tâches ». Il adopte l’opposition, sans doute
simpliste, entre l’exercice comme activité scolaire dont l’objectif est de mettre en place des
structures linguistiques et la tâche comme activité sociale de communication dont l’objectif
est de faire sens comme dans la réalité sociale. L’exercice renvoie à un travail formel,
méthodique, systématique ; il se situe au niveau de la manipulation formelle et de la mise en
place d’automatismes. Quels sont les critères qui définissent une tâche par rapport à l’exercice
qui est notre pain quotidien ? La définition minimale retient trois critères. Dans une tâche,
l’élève/un groupe d’élèves doit au minimum : être motivé par un but, un besoin personnel,
l’activité doit avoir un sens pour lui, l’élève doit aussi pouvoir se représenter un possible
résultat concret, il réalise une action en interagissant langagièrement.

Que nous dit le CECR ? Il place la tâche au cœur de la perspective actionnelle et


propose la définition suivante (p 121) :

Les tâches pédagogiques communicatives (contrairement aux exercices formels


hors contexte) visent à impliquer l’apprenant dans une communication réelle,
ont un sens (pour l’apprenant), sont pertinentes (ici et maintenant dans la
situation formelle d’apprentissage), exigeantes mais faisables (avec un
réajustement de l’activité si nécessaire) et ont un résultat identifiable.

Il s’agit bien de modifier le but de la classe de langue : on souhaite que l’élève puisse
réaliser des tâches concrètes qu’il va pouvoir réaliser dans la vraie vie. La focalisation sur la
forme n’est plus l’unique but du cours de langue. L’élève en réalisant des tâches va mobiliser
des compétences qui dépassent le simple fait de maîtriser des savoirs linguistiques. Ce qui
importe c’est le problème à résoudre et donc parvenir à un résultat : on s’est fixé un but et
pour cela on met en œuvre des stratégies et les activités langagières nécessaires à l’action.
C’est au travers des tâches que l’élève va pouvoir développer des compétences : compétences
langagières, certes, mais également compétences générales individuelles.
Mettre la tâche au centre du processus d’apprentissage signifie que l’apprentissage ne
se borne pas à la programmation linguistique explicite du cours. L’acquisition des
connaissances n’est plus la résultante unique de l’explication du professeur et de la
manipulation formelle des structures enseignées. Si l’on schématise, on peut dire que
l’enseignement traditionnel postule que l’acquisition des règles de la langue, la compétence
linguistique, ne peut s’acquérir qu’explicitement grâce au savoir-faire de l’enseignant et à sa
maîtrise experte du fonctionnement de la langue (grammaire et lexique, pour simplifier).
L’exercice formel est dans cette optique l’activité par excellence de l’apprentissage.
Or, la recherche montre que l’acquisition de savoirs est diversifiée. Nous apprenons
les langues tout autant en mémorisant des ensembles lexicalisés (blocs langagiers) qu’en
définissant des règles généralisables explicitement. Les compétences se développent à travers
les tâches sociales. Une tâche, contrairement à un exercice formel, ne va donc pas spécifier de
manière précise la/les structures linguistiques que l’élève va devoir utiliser. C’est à lui de
mobiliser pour réaliser la tâche les connaissances et savoir-faire qui sont à sa disposition à un
moment donné. La tâche engage ainsi l’apprenant à apprendre à résoudre des problèmes
concrets en interagissant et en communiquant avec les autres pour réaliser un but commun.
Il est de ce fait important de bien distinguer différents types d’activités de classe.
Jusqu’ici, les manuels proposent des exercices formels, c’est-à-dire des activités focalisées sur
l’acquisition de contenus linguistiques. L’apprentissage par les tâches nous oriente vers des
activités qui ont avant tout un but social, un résultat social identifiable. La pédagogie du
projet s’inscrit clairement dans cette visée. Nous proposons de schématiser cette évolution de
la manière suivante.
Exercice scolaire Tâche communicative Tâche sociale
Langue Communication Action

Orientée langue Orientée activités langagières Orientée action sociale


Exercice linguistique Micro tâche communicative Macro tâche sociale
(EXL) (MICTC) (MACTS)

Opérations de base : Opérations cognitives Opérations cognitives et


identifier, reconnaître intermédiaires : mettre en sociales complexes : interagir,
réutiliser = acquisition relation, comparer, choisir, se mettre d’accord, organiser,
des savoirs linguistiques analyser = entraînement des réaliser = résolution de
compétences de problème, mobilisation de
communication ressources transversales et
langagières

Exemple : Décrire une Exemple : Écouter un message Exemple : Réaliser la mascotte


photo en posant des pour définir un chemin à suivre de la classe de manière
questions (utilisation de (entraînement à la collaborative en respectant un
la forme interrogative) compréhension orale) plan d’actions.

Diagramme 1 : Niveaux d’activité et d’entraînement

L’apprentissage par les tâches des années 90 se limite, la plupart du temps, à


l’entraînement des compétences de communication. Cette approche reste dans le giron de la
communication et peut difficilement être définie comme actionnelle. Nous parlerons de
pilotage par la tâche communicative. Certains manuels aujourd’hui utilisent l’expression
« approche par compétences » (ce qui peut perturber les enseignants) pour parler de cela.
L’objectif central est d’entraîner aux activités langagières (compréhension, production,
interaction) tout en programmant l’acquisition de la langue.
Une autre approche fait son apparition. On se situe alors clairement dans l’optique
actionnelle. Nous parlerons de pilotage par l’action sociale. C’est la réalisation d’un projet,
d’une mission collective, qui est centrale et qui constitue la macro tâche sociale. La macro
tâche sociale définit un but général avec un mode opératoire précisant les actions à mettre en
place. Ce canevas ou scénario pédagogique propose des micro tâches communicatives qui
sont en fait les étapes intermédiaires proposées en cohérence avec la réalisation du projet, la
macro tâche sociale. Cette démarche correspond à ce qui peut se passer hors de la classe dans
la réalisation de tâches sociales. L’idée est par conséquent de réduire la cassure entre activités
scolaires artificielles et activités sociales. De plus, l’apprentissage est vu dans sa dimension
collective, on n’apprend pas seul. La mise en place d’un projet permet d’organiser des
interactions authentiques autour des tâches nécessaires à la réalisation du but final. Les
théories de l’activité mettent en avant l’importance de la participation à des activités sociales
qui seules permettent la mobilisation et l’entraînement des compétences. C’est dans ce cadre
social que la médiation pédagogique se réalise le mieux : médiation par les pairs, médiation
par des artefacts, médiation par les experts.
Pour nous résumer, deux pistes se dessinent actuellement : un pilotage par la
communication et les tâches communicatives (l’approche par les compétences, pour les
anglosaxons approche par tâches), un pilotage par l’action et la macro tâche sociale
(l’approche actionnelle). Voyons comment cela se met en scène dans les manuels et les
projets TIC. Nous nous intéressons à l’intégration des TIC.

3. Vers une nouvelle organisation de la séquence pédagogique : le scénario


pédagogique
3.1. Des modes d’organisation différents
Le manuel Alors ? met en avant l’approche par compétences. Rond Point par contre
insiste sur l’approche par tâches. Parle-t-on de la même chose ? Y a-t-il une macro tâche
sociale centrale dans chaque séquence ? Rond Point insiste sur la tâche finale comme but de la
séquence didactique. Alors ? propose des entrées par compétences (compétence culturelle,
interaction orale, réception orale, réception écrite, production écrite). Une différence nette se
précise, Alors ? irait plutôt dans le sens d’un pilotage par la communication et Rond Point par
l’action. Voyons cela de plus près.
Prenons le module 2 « Actions » d’Alors ? On voit clairement une succession
d’activités permettant d’entraîner les élèves à mieux comprendre, interagir, etc.
(« compétences communicatives »). On relève également la présence de nombreux exercices
scolaires dont l’objectif est l’acquisition des formes linguistiques (« compétences
formelles »). Il y a juxtaposition de ces entraînements, l’ordre d’enseignement est modifiable.
À la fin de chaque entraînement on trouve des tâches communicatives sous la rubrique « Et
maintenant à vous ! ». Enfin, à la fin du module 2, un projet est proposé, mais il pourrait se
réaliser indépendamment des entraînements constitutifs du module (« Organiser une fête des
langues »). Ce projet, macro tâche sociale, identifié dans l’introduction comme « projets sur
tâches » s’inscrit parfaitement dans la perspective actionnelle, mais il n’est pas intégré à la
séquence didactique. Les auteurs disent qu’il permet de « sortir » du manuel. En conclusion,
le manuel Alors ? est un bon exemple de pilotage par la communication, il permet d’entraîner
les différentes activités langagières définies par le CECR en maintenant une programmation
linguistique forte.
Prenons cette fois l’unité 4 de Rond Point. Les auteurs s’inscrivent explicitement dans
l’apprentissage par les tâches. L’objectif de l’unité est clairement identifié dès le départ :
« Nous allons mettre au point un produit qui facilitera notre vie ». Il s’agit de la tâche finale
ou tâche ciblée, qui constitue l’aboutissement de l’unité. Pour la réaliser, les élèves travaillent
en petits groupes et vont devoir mobiliser les ressources et compétences que les micro tâches
intermédiaires développent. On obtient ainsi une bonne cohérence d’ensemble entre les
différents entraînements : compétences de communication, apprentissages linguistiques pour
la réalisation d’une tâche sociale. La préparation à l’action proposée donne du sens aux
différentes activités d’apprentissage. Les activités langagières sont mises en place de manière
réaliste et plus naturelle, les élèves ont besoin de discuter, se mettre d’accord, évoquer les
acquis, pour réaliser la macro tâche. Les auteurs insistent sur le fait que « l’enseignant et ses
apprenants se fixent donc, séance après séance, des objectifs qui relèvent toujours d’un
« faire », d’une action à entreprendre en commun. » La tâche finale est centrale, elle ne vient
pas en complément, on a bien affaire dans ce cas à un pilotage par l’action.
Ces deux manuels diffèrent donc très nettement dans l’objectif et la conception de la
séquence pédagogique. Alors ? se situe dans une approche communicative et une vision de
l’apprentissage guidé par le professeur. Il s’agit d’acquérir des compétences communicatives
(activités langagières). Rond Point propose un pilotage par l’action. Les élèves ont un rôle
actif et participent plus facilement aux décisions pédagogiques nécessaires au bon
déroulement de la séquence. On propose une dynamique actionnelle qui permet de mobiliser
connaissances linguistiques et compétences communicatives pour réaliser ensemble une
macro tâche sociale.
Un mot sur le manuel Scénario. Il a choisi une double perspective : la séquence
pédagogique principale suit la logique communicative et se rapproche du manuel Alors ? ;
mais le manuel propose aussi un deuxième fil conducteur, basé sur la simulation globale
(Debyser, 1996), qui en fait va donner du sens à la programmation didactique. Les élèves vont
devoir s’approprier le projet, s’organiser progressivement, réinvestir ce qu’ils ont appris. La
simulation globale constitue un nouveau scénario pédagogique qui se développe actuellement
en FLE et inspire ce manuel et d’autres. Les TIC sont proposées comme complément dans ce
manuel pour la recherche documentaire. Le travail se fait par groupes, l’important est de
donner du sens aux apprentissages en impliquant les élèves dans un monde fictif qui se
rapproche des mondes virtuels d’internet. On se situe dans une perspective actionnelle de type
fiction artistique qui doit pouvoir motiver les élèves.

3.2. La séquence pédagogique communicative et le scénario pédagogique actionnel


Tentons de clarifier cette évolution de l’organisation pédagogique. Petit rappel.
L’approche communicative a repris l’organisation structurale des activités d’apprentissage
selon une progression ternaire : exposition des nouveaux contenus, mémorisation et
entraînement formels, mise en application plus ou moins « libérée ». La cohérence de chaque
unité est donnée par l’acte de parole que l’on souhaite faire acquérir (niveaux débutant et
intermédiaire) ou le texte choisi (niveau avancé). L’apprentissage est soigneusement découpé
et délimité dans le sens d’une progression linguistique (la grammaire et le lexique) et
communicative (les actes de parole). Cette organisation pédagogique dominante permet de
graduer les savoirs et savoir-faire langagiers à faire acquérir et d’organiser les apprentissages
de manière supposée optimale pour que les objectifs linguistique, communicatif et culturel
soient atteints, au fil d’un nombre variable de séances consécutives. L’évaluation doit
permettre de dire si l’élève a acquis les savoirs et savoir-faire enseignés. La plupart des
manuels revendiquent ce type de rationalité, insistant sur la rigueur de la progression
proposée, sur le sérieux des activités d’apprentissage formel.
L’évolution actuelle consiste à mieux définir les objectifs intermédiaires grâce au
CECR. L’approche dite par compétences va dans ce sens. Les séances intermédiaires vont
pouvoir se focaliser plus fermement sur l’entraînement d’une activité communicative
(compréhension, production, interaction). Beacco (2007, p 257) explique que l’approche par
compétences pose un problème de cohérence à la séquence pédagogique. On peut en effet
envisager chaque séance focalisée sur une mono-compétence. Mais ce schéma offre une
cohérence d’ensemble réduite. Il permet toutefois de développer une évaluation certificative
basée sur les descripteurs qui sont justement mono-compétence. Le risque est de vérifier de
manière morcelée l’atteinte des critères définis par exemple en A2 pour la compréhension
orale, puis la compréhension écrite, et ainsi de suite. On se retrouve alors dans les travers bien
connus de la pédagogie par objectifs. C’est donc la mise en articulation des activités
communicatives qui doit être pensée. L’articulation la plus connue est lire pour écrire. Dans
cette nouvelle optique le « séquencement » des activités langagières doit être soigneusement
programmé.
L’optique de l’action semble vouloir sortir de ce cadre organisationnel classique. Nous
avons un premier schéma, représenté par Rond Point, qui donne à la tâche sociale finale un
rôle fédérateur. Les séances intermédiaires constituent des micro tâches d’apprentissage liées
à la réalisation de la macro tâche finale. Les entraînements à la maîtrise des activités
langagières et à l’acquisition de nouveaux savoirs sont déterminés par la réalisation de la
tâche finale. L’élève doit de cette manière trouver du sens à ce qu’il fait.
Mais, une autre possibilité d’organisation pédagogique, dans l’optique actionnelle, fait
son apparition. Elle est représentée par Scénario. La notion de scénario nous renvoie à l’idée
de canevas, de trame écrite et détaillée, de déroulement concerté et pré-établi d’un événement,
d’un projet. Il n’est pas possible de tout contrôler, de tout prévoir à l’avance, mais d’envisager
un déroulement, de définir les rôles, de préciser les actions et le résultat final. Beaucoup de
jeunes habitués aux jeux de rôles connaissent cette façon d’aborder la nouveauté. Le cadre est
défini mais il n’y a pas qu’un seul chemin tracé à l’avance. Le scénario pédagogique est
fortement lié à la réalisation d’un projet, c’est-à-dire la tâche sociale. La simulation globale a
clairement défini un canevas pédagogique qui va permettre aux élèves de vivre des
expériences ensemble, de construire ensemble une fiction.
L’idée de scénario pédagogique est surtout liée à la volonté d’intégration des TIC. Le
scénario de la quête/mission virtuelle (voir webquest http://webquest.org/index.php) est
aujourd’hui un format stable et bien documenté. La quête/mission virtuelle est un scénario
pédagogique dont l’objectif est de permettre aux élèves de rechercher des informations
authentiques sur la Toile afin de réaliser ensemble un projet ou tâche sociale, de résoudre des
problèmes qui nécessitent analyse, jugement critique, synthèse. Les parties constitutives d’un
scénario TIC sont les suivantes :
- Mise en situation : concevoir un environnement attrayant et authentique ;
- Les tâches : définir une tâche sociale authentique et les rôles à tenir ;
- La méthode : un processus collaboratif permettant d’aboutir à des résultats similaires
à la vie sociale ;
- Les ressources : préparer les sources et matériels, proposer des aides
méthodologiques ;
- L’évaluation : proposer dès le départ des évaluations authentiques sur le processus de
collaboration, le résultat obtenu ; nouveaux critères : écoute des autre, implication
personnelle, respect des échéances, apports personnels, créativité, travail d’équipe, etc.

Un exemple parmi d’autres : le scénario conçu par Bourgain Monier (2006)


(http://membres.lycos.fr/marbou056/ranucci/index.htm), destiné à des étudiants de FLE de
niveau avancé, illustre bien la quête/mission virtuelle dans laquelle les élèves vont s’engager
ensemble dans une affaire qui est actuelle et socialement importante.

3.3. Pour nous résumer : trois nouveaux formats d’organisation pédagogique


Le CECR a permis de faire éclater la séquence pédagogique traditionnelle, héritage de
la méthodologie audiovisuelle et structurale. Nous avons pu repérer trois formats différents
d’organisation pédagogique. Il est possible de les situer sur une échelle de critères (voir
Brassard, 2003) :
Flexibilité de la séquence : < fixe / ouverte >
Conception théorique : < communication / action >
Rôle de l’enseignant : < dirige / guide >
Rôle de l’élève : < passif / impliqué >
Type de travail : < individuel / collaboratif >
Orientation de l’activité : < scolaire / sociale >
Résultat de l’activité : < reproduction / création >
Évaluation : < sommative / autoévaluation >
Nous proposons une modélisation en trois formats qui s’appuient sur notre analyse. La place
des TIC est tout à fait envisageable dans la séquence tâches, elle est souvent proposée. Nous
distinguons la séquence scénario avec TIC intégrées pour les séquences qui ne pourraient se
dérouler sans TIC. Le type d’évaluation diffère selon ces trois formats.

Séquence compétences Séquence tâches Séquence scénario


Approche par compétences Approche par tâches Approche projet/mission
Optique communication Optique action Optique action sociale avec
TIC intégrées
Articulation des activités Articulation macro tâche et Canevas de mise en situation
langagières entrainées micro tâches avec rôles, ressources,
Évaluation des compétences Évaluation à la fois des produit
selon modèle certificatif compétences langagières et Autoévaluation, portfolio,
(compétences langagières) des compétences liées à la évaluation « authentique » :
réalisation de la tâche on évalue les compétences
(compétences individuelles et langagières et sociales
sociales) mobilisées pour le projet

L’optique action suppose de nouvelles modalités d’évaluation pour tenir compte de


l’implication réelle de l’élève et donc des compétences générales (exemple : savoir collaborer,
gérer le temps, respecter la distribution de la parole pendant la discussion).
Le diagramme suivant montre le type d’intégration des TIC selon les pilotages et
séquences pédagogiques :

Diagramme 2 : Type de pilotage et intégration des TIC


Pour conclure
Nous avons voulu montrer comment les principes du CECR ont influencé et
influencent de manière fondamentale la pédagogie de la classe de langues. Il est crucial de
permettre aux enseignants de se former, de prendre du temps pour comprendre et aborder ce
nouveau changement pédagogique. L’organisation pédagogique est fortement touchée. Nous
avons pu repérer trois formats nouveaux. Le format scénario est le seul à offrir une intégration
maximale des TIC. Il n’a pas été possible de développer en détail la question de l’évaluation.
Mais il est clair que celle-ci évolue en conséquence. Ces trois formats impliquent de nouvelles
pratiques. La perspective actionnelle conduit à une prise en compte du réel social et donc de
la complexité inhérente à la communication.

Bibliographie
Beacco, J.C. (2007), L’approche par compétences dans l’enseignement des langues, éditions
Didier.
Brassard, C. & Daele, A. (2003), « Un outil réflexif pour concevoir un scénario intégrant les
TIC », Colloque Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, Strasbourg.
http://www.cegep-ste-foy.qc.ca/csf/fileadmin/educenligne/pdf/Outils__reflexif.pdf.
Cadre européen commun de référence pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer (2001),
éditions Didier.
Debyser, F. (1996), L'Immeuble, Hachette FLE.
Ellis, R. (2003), Task-based language learning and teaching, Oxford : Oxford University
Press.
Nunan, D. (1989), Designing Tasks for the Communicative Classroom. Cambridge :
Cambridge University Press.
Rosen, E., « La perspective actionnelle et l’approche par les tâches en classe de langue », Le
français dans le monde, numéro spécial 45, janvier 2009, "Recherche et applications".
Springer, C. (2009), « La dimension sociale dans le CECR : pistes pour scénariser, évaluer et
valoriser l’apprentissage collaboratif », in Rosen, E., « La perspective actionnelle et
l’approche par les tâches en classe de langue », Le français dans le monde, numéro spécial 45,
"Recherche et applications".

Manuels et sitographie
Alors ? (2007), Jean-Claude Beacco, Marcella Di Giura, éditions Didier.
Rond Point (2004), F. Capucho, M. Denyer, C. Flumian, J. Labascoule, C. Lause, éditions
Difusion.
Scénario (2008), Anne-Lyse Dubois, Martine Lerolle, Fabienne Gallon, éditions Hachette.
Webquest http://webquest.org/index.php
Bourgain Monier (2006) http://membres.lycos.fr/marbou056/ranucci/index.htm

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