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Université Stendhal - Grenoble 3

UFR sciences de la communication


Institut de la Communication et des Médias
Master 2 Sciences de l’Information et de la Communication

Du NOMIC au Sommet Mondial de la


Société de l’Information: Le rôle de
l’UNESCO dans la réduction de la
fracture numérique en Afrique

Mémoire présenté par :

Destiny TCHEHOUALI

Sous la direction de :

Monsieur Bertrand CABEDOCHE

- Année Universitaire 2006 / 2007 -


Que Monsieur Bertrand CABEDOCHE trouve ici le témoignage de notre
profonde reconnaissance pour sa disponibilité et pour l’encadrement
rigoureux qu’il a bien accepté apporter à l’élaboration de ce travail.

Nous tenons également à adresser nos remerciements à Madame


Isabelle PAILLIART, pour ses précieuses orientations dans la rédaction du
mémoire.

Nous ne saurions oublier les chercheurs, sans qui cette œuvre serait
restée inachevée et qui de par leurs réflexions ont enrichi la substance des
discours soumis à notre analyse. Un remerciement particulier à l’endroit de
Madame Annie Lenoble-Bart, Professeur à l’Université de Bordeaux 3 qui, a
bien voulu partager avec nous son avis sur les questions centrales de notre
problématique de recherche. Madame Annie Lenoble-Bart est Animatrice du
GREMA (Groupe de Recherches et d'Études sur les Médias Africains) et
Coordinatrice de l'Axe 1 du programme 2003-2006 de la Maison des Sciences
de l'Homme d'Aquitaine sur " Modèles et transferts dans la mondialisation des
Afriques : Gouvernance, démocratie, transferts et appropriation".

Enfin, notre sincère gratitude à tous ceux qui de près ou de loin, par leur
soutien moral, leur aide intellectuelle et leurs encouragements, ont contribué
aux différentes phases de réalisation de ce travail.

2
Je dédie ce travail :

 A mes chers parents qui ont toujours cru en moi et qui à travers

leur amour et leur soutien m’ont toujours aidé, malgré la distance

nous séparant, à surmonter les épreuves difficiles de la vie et à

relever les grands défis de ma destinée.

 A tous les chercheurs, les institutions, les organisations nationales

ou internationales, les ONG ainsi qu’à toutes les personnes

physiques ou morales qui dans le monde luttent pour la réduction

de la fracture numérique Nord-Sud.

3
SOMMAIRE
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS................................................5
INTRODUCTION......................................................................................6
Première partie : Cadre théorique et méthodologique de la recherche . . .9
Chapitre 1 : Contexte théorique..............................................................10
I-Genèse de la société de l’information : Un bref détour historique........................10
II-Théories et discours sur les TIC : Délimitation d’un champ de recherche...........12
A-Le paradoxe entre déterminisme technologique et déterminisme social......................12
B-Communication internationale au cœur des Théories du développement et du
modernisme.......................................................................................................................14
III-Problématique et objectifs de recherche.............................................................18
A-Problématique...............................................................................................................18
B-Objectifs........................................................................................................................20

Chapitre 2 : Méthodologie de la recherche.............................................21


I-Questions et hypothèses de recherche.................................................................21
II-Intérêt et valeur de la recherche...........................................................................22
III-Méthodes de recueil des données......................................................................23
A-Population d’étude........................................................................................................23
B-Méthode historique et descriptive.................................................................................23
C-Entrevues de recherche.................................................................................................24

Deuxième partie : L’Afrique dans la société globale de l’information......26


Chapitre 1 : Du rapport McBride à la société de l’Information................26
I-L’information à sens unique et la contestation des pays du Sud..........................26
II-Le rapport McBride : « Voix multiples, un seul monde »......................................30
III-Conséquences de l’échec du NOMIC.................................................................33
Chapitre 2 : La facture des fractures.......................................................36
I-Fracture numérique et sous-développement en Afrique ......................................36
A-Fracture numérique et Développement : Quels liens ?.................................................37
B-Le vécu de la fracture en Afrique..................................................................................40
II-Bilan sommaire et critique du SMSI : de Genève à Tunis ..................................43
A-Déclaration de principes et plan d’action de Genève....................................................44
B-Principaux engagements de Tunis.................................................................................47
C-État actuel des lieux .....................................................................................................48

4
Troisième partie : Solidarité numérique en Afrique : Vers une
dépendance technologique accrue de l’Afrique ou une résorption de la
fracture ?.................................................................................................55
Chapitre 1 : Une volonté et une mobilisation internationale manifestes. 55
I-L’e-inclusion à travers la solidarité numérique .....................................................55
II-L’engagement de l’UNESCO : Le PIDC à la loupe..............................................60
III-Les autres institutions internationales : UIT, OMC, PNUD, OIF, BM…..............62
Chapitre 2 : Communication internationale et souveraineté nationale :
Les limites des organisations internationales.........................................66
I-Les enjeux géopolitiques de la régulation de la communication internationale....66
II-Les limites de l’UNESCO dans sa lutte contre la fracture numérique.................67
III-Plaidoyer pour une réappropriation culturelle des TIC en Afrique .....................70
CONCLUSION........................................................................................73
BIBLIOGRAPHIE....................................................................................80
WEBLIOGRAPHIE .................................................................................83

5
LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS
• ATU : Union Africaine des Télécommunications
• BM : Banque Mondiale
• CANAD : Central African New Agencies Development
• CEDEAO : Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest
• CSDPTT : Coopération Solidarité Développement aux PTT
• DOT Force : Digital Opportunity Task force
• FMI : Fonds Monétaire International
• Fonds de Solidarité Numérique
• GRESEC : Groupe de Recherche Sur les Enjeux de la Communication
• IAN : Indice d’Accès Numérique
• NEPAD : Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique
• NOEI : Nouvel Ordre Economique International
• NOMIC : Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication
• OCDE : Organisation pour la Coopération et le Développement Economique
• OIF : Organisation Internationale de la Francophonie
• OMC : Organisation Mondiale du Commerce
• OMPI : Organisation Mondiale pour la Propriété Intellectuelle
• ONG : Organisation Non Gouvernementale
• ONU : Organisation des Nations Unies
• PIDC : Programme International pour le Développement de la Communication
• PIPT : Programme Intergouvernemental Information Pour Tous
• PMA : Pays les Moins Avancés
• PMAC : Pays les Moins Avancés en Communication
• PD : Pays Développés
• PED : Pays en Développement
• PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
• RASCOM : Regional African Satellite for Communication
• SMSI : Sommet Mondial de la Société de l’Information
• TIC : Technologies de l’Information et de la Communication
• UIT : Union Internationale des Télécommunications
• UNESCO : Organisation des Nations Unies pour L’Education, la Science et la Culture
• UNICTTF: United nations Information and Communication Technologies Task Force

6
INTRODUCTION
Le développement effréné des technologies de l’information et de la communication
(TIC) depuis quelques décennies et la nouvelle configuration du monde en réseaux
planétaires est la preuve de la mondialisation de la communication que l’UNESCO définit
comme « le symbole du triomphe mondial de l’économie de marché et de la libéralisation du
commerce international ». L’effacement des frontières et des obstacles topographiques grâce
aux « autoroutes de l’information » permet à la communication internationale d’entretenir
l’utopie macluhanienne du village global, tout en nourrissant les imaginaires et les croyances
inhérentes à la résorption de la fracture numérique mondiale, à la libre circulation des
informations et des données, ainsi qu’à l’échange des connaissances et des cultures dans un
contexte global de rééquilibrage des rapports humains.

Pourtant, à ces grands espoirs s’impose la réalité de «sociétés à deux vitesses», une
société de l’information divisée et fondée sur des bases inégalitaires où se côtoient pauvres
et riches, puissants et dominés, profiteurs et exploités, participants et exclus, savants et
ignorants. Ceci amène d’ailleurs Marcel Merle1 a affirmé que l’évolution de l’histoire a été
scandée par une série d’innovations techniques qui ont mené à deux mouvements
contradictoires à savoir, d’une part la tendance à l’uniformisation de la condition humaine et
d’autre part à la discrimination croissante entre ce qu’il appelle les « bénéficiaires » et les
« laissés-pour-compte » du progrès. Face à la recomposition générale des forces
géostratégiques sous-tendant ces inégalités, certains auteurs comme Ignacio Ramonet se
retrouvent devant le constat que : « Partout alarme et désarroi succèdent à la grande espérance
d’un nouvel ordre mondial. Celui-ci, on le sait à présent, est mort-né. Et nos sociétés, comme
lors de précédentes époques de transition, se demandent si elles ne s’acheminent pas vers le
chaos »2. Mais de nombreux acteurs économiques et institutions internationales ainsi que
quelques auteurs et chercheurs en Sciences de l’information et de la Communication (SIC)
tels que Manuel Castells produisent un discours plutôt dithyrambique et promotionnel des
TIC comme solution salvatrice pour le développement social et humain et comme issue au
chaos géopolitique des inégalités numériques de la société de l’information.

1 MERLE Marcel., Bilan des relations Internationales Contemporaines, Paris, Economica, 1995, pp.40-41.
2 RAMONET Ignacio, Géopolitique du chaos, Paris, Galilée, 1997, p.15.

7
De l’ouverture des débats sur le NOMIC dans les années 1970 jusqu’aux récents
débats du Sommet Mondial de la Société de l’Information (2003, 2005), beaucoup de
réflexions ont été produites. Cependant, durant ces trois décennies les réflexions et
propositions qui ont pris corps à l’UNESCO avant de se déplacer et s’étendre à d’autres
institutions (Communauté européenne, OCDE, UIT, OMC,….) semblent n’avoir pas
réellement contribué à une communication internationale équilibrée et égalitaire à même de
nous faire oublier aujourd’hui la ligne de démarcation symbolisant la fracture « Nord/Sud »
ou plus spécifiquement les inégalités entre pays occidentaux et pays africains en matière de
communication.

Qu’est ce qui explique cette inefficacité des stratégies de l’UNESCO dans la lutte pour
le développement international de la communication? Y aurait-il des enjeux géopolitiques
susceptibles d’argumenter en faveur d’une thèse de manipulation ou d’influence subie par
l’UNESCO et dirigée par la toute puissance états-unienne ou occidentale ?

Dans la première partie de ce travail, nous proposons quelques éléments de réponse à


ces questions à travers des éclaircissements théoriques. Pour ce faire, nous avons tenu à
rappeler par une brève genèse comment la notion de « société de l’information » s’est
graduellement imposée à l’usage. Ensuite, à partir des controverses et critiques légitimant ou
accablant cette société de l’information, nous passerons en revue les discours déterministes
sur les TIC, ainsi que les différentes théories de développement, de modernisation néolibérale,
et d’impérialisme culturel pour déboucher sur une problématique sous-jacente centrée sur le
rôle joué par les organisations internationales et notamment celui de l’UNESCO dans la
régulation du déséquilibre des rapports Nord/Sud en matière de communication internationale.

Une fois ce déblayage théorique fait, nous présenterons l’Afrique dans la société de
l’information en partant du rapport McBride et des conséquences de l’échec du NOMIC pour
vérifier les éventuels liens de causalité entre sous développement et fracture numérique tout
en nous appuyant sur le vécu de la fracture en Afrique. Dans la dernière partie du travail, nous
nous interrogerons sur l’opportunité réelle de la solidarité numérique en Afrique en analysant
les actions de l’UNESCO et ses limites dans la lutte contre la fracture numérique en Afrique.
Puis nous finirons sur un plaidoyer pour la réappropriation culturelle des TIC comme mesure
d’accompagnement de la solidarité numérique, en ouvrant ainsi notre conclusion sur des
perspectives de recherches approfondies dans le cadre du doctorat.

8
Première partie :
Cadre théorique et
méthodologique de la recherche

9
Première partie : Cadre théorique et méthodologique de la
recherche
Chapitre 1 : Contexte théorique

I- Genèse de la société de l’information : Un bref détour historique

La Déclaration de principes de Genève adoptée au lendemain de la première phase du


Sommet Mondial de la Société de l’Information (SMSI) par les gouvernements - avec des
apports importants de la société civile -, signale dans son premier article : « Nous (...)
proclamons notre volonté et notre détermination communes d’édifier une société de
l’information à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement, une société de
l’information, dans laquelle chacun ait la possibilité de créer, d’obtenir, d’utiliser et de
partager l’information et le savoir et dans laquelle les individus, les communautés et les
peuples puissent ainsi mettre en œuvre toutes leurs potentialités en favorisant leur
développement durable et en améliorant leur qualité de vie, conformément aux buts et aux
principes de la Charte des Nations Unies ainsi qu’en respectant pleinement et en mettant en
œuvre la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ». Société post-industrielle, ère
technétronique, société de l’information, société de la connaissance…. Autant de pseudo-
concepts pour qualifier et identifier la portée des changements technologiques caractéristiques
de notre époque. Finalement, c’est l’expression « Société de l’information » qui s’est imposée
comme terme hégémonique et ce comme le précisait Sally Burch, « non pas nécessairement
parce qu’elle exprime une clarté théorique mais en raison du ‘‘baptême’’ qu’elle a reçu dans
les politiques officielles des pays développés en plus du couronnement qu’a représenté un
Sommet mondial organisé en son honneur. »

Cette notion soulève des ambigüités, et des controverses qui la rendent floue et sans
définition précise. Elle ne veut pas dire, par exemple, que chaque personne soit aujourd’hui en
possession d’une grande quantité d’informations et de connaissances, mais indique plutôt un
déplacement de l’activité humaine de la fabrication de biens vers le traitement de
l’information et du savoir. Cette approche fait justement référence à l’apparition du terme
information society en 1973 dans l’ouvrage du sociologue et économiste Daniel Bell intitulé
Vers la société post-industrielle : une tentative de prévision sociale. Fritz Machlup (1962) et
Alain Touraine (1969) précèdent Daniel Bell dans la lignée des précurseurs de la nouvelle
société de l’information. A en croire Jeremy Rifkin, l’ère du capitalisme industriel est bien
finie, nous devons maintenant passer à autre chose : notamment à une société caractérisée par

10
la prééminence du secteur tertiaire, la centralité de l’information et de la connaissance et
l’émergence des nouvelles élites techniciennes et de nouveaux principes de stratification
sociale. Gaëtan Tremblay, dans l’une de ses interventions au cours des séminaires
visioconférences GPB7 organisés par le GRESEC trouvait dans l’expression société de
l’information, « une tentative d’appréhension globale des sociétés contemporaines ». D’autre
part, la « société de l’information », en tant que construction politique et idéologique, s’est
développée dans le cadre de la globalisation néolibérale qui visait principalement à accélérer
l’instauration d’un marché mondial ouvert et « autorégulé ». Cette politique était menée en
étroite collaboration avec des organismes multilatéraux comme l’Organisation mondiale du
commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale afin que les
pays peu développés abandonnent les réglementations nationales ou les mesures
protectionnistes risquant de « décourager » les investissements. Le mythe de la société de
l’information a donc été souvent utilisé pour déréguler les marchés des TIC en creusant
davantage le fossé numérique Nord/Sud. Il n’y a alors selon Anne-Marie Laulan3 « aucun
étonnement devant l’enthousiasme industriel, financier, puis administratif à proclamer la
naissance d’une nouvelle civilisation, fondée sur les dispositifs et systèmes que l’économie
mondialisée maîtrise fort bien, (et à son profit quasi exclusivement). » Manuel Castells4, l’un
des chercheurs qui a le plus développé ce sujet préfère quant à lui qu’on parle de « société
informationnelle » plutôt que de « société de l’information » en signalant que si la
connaissance et l’information sont des éléments décisifs dans tous les modes de
développement, « le terme “informationnel” caractérise une forme particulière
d’organisation sociale, dans laquelle la création, le traitement et la transmission de
l’information deviennent les sources premières de la productivité et du pouvoir, en raison des
nouvelles conditions technologiques apparaissant dans cette période historique-ci ». Ce
fondement d'une nouvelle « société de l'information et du savoir » est largement critiqué par
les chercheurs des SIC qui y relèvent une sorte de déterminisme « informationnel ». Alain
Rallet (2004) le substitue d'ailleurs à la notion de « société numérique », alors que Bernard
Miège5 trouve plus approprié de parler de société de « communication médiatisée » fondée sur
la maîtrise non du contenu, mais des producteurs, et médiateurs de la communication telles
que les firmes multinationales, ou les organisations internationales.

3 LAULAN Anne-Marie, Machine à communiquer et lien social. Un texte prononcé à Tunis (SMSI) en
novembre 2005, à la table-ronde de la SFSIC.
4 CASTELLS Manuel, L’ère de l’information, 3 tomes, Fayard, 1998-1999.
5 MIEGE Bernard, L’information - Communication, objet de connaissance, de Boeck, 2004.

11
Les diverses contradictions et les multiples définitions de la société de l’information
partagent toutes cependant la caractéristique commune d’être empreintes de déterminisme,
que ce déterminisme soit technologique ou social.

II- Théories et discours sur les TIC : Délimitation d’un champ de


recherche

Au carrefour des SIC et des sciences sociales, la question de la fracture ou celle de la


solidarité numérique engendrée par les inégalités de la société de l’information appartient au
contexte global des recherches portant sur l’intégration des technologies de l’information et
de la communication dans les sociétés. Par ailleurs, il s’avère que l’intégration des TIC dans la
sphère publique a favorisé des discours imaginaires, riches en projections voire contradictoires.
Toutes les études menées sur les TIC se doivent alors d’être forgées sur l’adoption d’une
posture technologique explicite ou implicite qui contribue à la fabrication des problématiques,
des méthodes et des axes d’interprétation.

Ainsi, s’agira-t-il pour nous ici de confronter quelques discours et théories sur les TIC, de
souligner leurs oppositions ou convergences, d’être attentifs à leur révision ou à leur inflexion
pour retracer le positionnement de notre sujet par rapport à ces différents courants de pensée.

A- Le paradoxe entre déterminisme technologique et déterminisme


social

On distingue deux principales postures relatives aux discours sur les technologies de
l’information et de la communication. Tandis que le déterminisme technique soutient que les
techniques, les pratiques des outils vont résoudre à eux seuls les dysfonctionnements de la
société ou influer de façon exclusive les formes de rapports sociaux, le déterminisme social
prétend que ce sont les rapports sociaux et les anciennes pratiques qui déterminent les progrès
de la technique.
Rappelons que les origines du déterminisme technique remontent au 19ème siècle
avec la naissance des utopies technicistes qui seront à leur tour relayées un peu plus tard par
des auteurs comme Kropothkine, Geddeser, Lewis Munford, Simon Nora ou encore Al Gore
avec « les autoroutes de l’information » en 1993. Leroi Gourhan n’hésite pas, par exemple à
soutenir que : « Ce qu’il y a de plus humain dans l’homme c’est la technique ». Mais Jacques
Ellul en parlant du bluff technologique en 1988, va plus loin car il est, quant à lui, convaincu
que : « La technique prend le pas sur le rôle effectif de l’homme dans la société. »

12
Cette période est bien d’ailleurs celle de la première génération de chercheurs sur les
TIC. Il y avait d’une part les technophobes pessimistes comme P. Virilio, qui dénoncent les
effets désastreux des TIC tout en les percevant comme les futurs désastres de l’humanité.
D’autre part, les technophiles (prophètes du cyberespace), à l’instar de Pierre Lévy ou de J.
de Rosnay et plus récemment les disciples de Michel Maffesoli, qui soutiennent de leur côté
que les usages des TIC sont en train de transformer radicalement et positivement la socialité
contemporaine. Norbert Wiener s’aligne dans ce courant de pensée quand il considère que
l’organisation sociale fonctionne telle une machine autorégulée.

A l’opposé de cette posture de déterminisme technique, le courant du déterminisme


social appréhende les rapports sociaux et les anciennes pratiques comme les facteurs
déterminant ou influençant la technique. Ce courant s’oppose à la vision de M. Macluhan à
faire du médium le message. La technologie est le résultat d’une construction sociotechnique.
Ici, la technique est pensée en tenant compte de l’antériorité des pratiques sociales. Il est alors
beaucoup plus question d’appropriation progressive ou de détournement des TIC au profit des
individus ou des groupes. C’est dans cette logique que de nombreuses études d’impacts ont
été réalisées par les laboratoires des grands groupes de télécommunication tels que France
Télécom R & D. favorisant ainsi des disciplines comme l’économie, et le marketing afin
d’étudier l’offre de services à partir des différentes dimensions de l’information : marchandes,
cognitives, communicationnelles et politiques.

A priori, notre travail pourrait être inscrit dans une démarche de déterminisme social et
cela reviendrait à soutenir la thèse selon laquelle les relations internationales et notamment les
enjeux économiques et culturels qui les sous-tendent déterminent l’inégale diffusion et
utilisation des TIC. Dominique Wolton précise à juste titre qu'« Il est évident que le progrès
technique et les enjeux économiques poussent davantage vers le thème de la société de
l'information, alors qu’une approche plus critique et sociétale est davantage sensible aux
inégalités et aux interrogations sur les liens des modèles cognitifs et rationnels liés à
l'expansion des réseaux et des théories de la société de l'information »6. Mais au-delà de ce
postulat, il s’agit pour nous d’apprécier le rôle joué par l’UNESCO face au défi d’une société
numérique inclusive dont l’accès est conditionné par une solidarité numérique aux pays
considérés actuellement comme des exclus et des marginalisés.

6 WOLTON Dominique, Information Et Communication : Dix chantiers scientifiques, culturels et politiques,


in Hermès n° 38, 2004.

13
Dans cette perspective d’analyse, nous sommes tenus de rester prudents dans nos
jugements en visant une certaine neutralité et par conséquent une certaine objectivité
nécessaire à toute démarche scientifique ayant pour vocation de relativiser les visions
extrêmes d’un phénomène, qu'elles soient positives ou négatives. Par ailleurs, il est important
de mettre fin ou tout au moins de pouvoir dépasser le paradoxe nourri par les débats sur les
logiques techniques et les logiques sociales. Ainsi, faudrait-il convenir avec Patrice Flichy7
que « la technologie ne tombe pas du ciel mais est un produit sociotechnique. (…) La
technologie est donc le résultat d’une construction sociotechnique que l’on peut analyser
selon trois aspects : le projet d’un inventeur, des contraintes de technologie, d’usage et de
marché, des hasards. (…) ». Bernard Miège critiquant le techno-déterminisme, débouche de
son côté sur la nécessité d’une double médiation sociale et technique et parle, comme Serge
Proulx, d’ancrage social (le social est dans la technique et la technique est dans le social en
permanence). Il est contre l’usage du terme d’insertion sociale des TIC, et nous aussi
d’ailleurs, puisque : « les TIC ne peuvent pas être conçus à l’extérieur du social ».

B- Communication internationale au cœur des Théories du


développement et du modernisme

Quoique favorisant la croissance économique, les TIC compromettent la viabilité de


nombreux systèmes économiques traditionnels dont notamment ceux des pays du Sud compte
tenu de leur retard technologique et leur lenteur d’appropriation de ces technologies. Ce qui
aggrave les inégalités existantes. La réduction de la fracture numérique est ainsi assimilée à
la réduction de la pauvreté. Les pays en voie de développement en général et ceux du
continent africain en particulier se trouvent dans l’obligation de faire appel à l’aide et la
coopération internationale pour sortir de ce fossé numérique et gravir les échelles du
développement. A ce titre, dans son discours de clôture de la Rencontre internationale
Bamako 2000, le Chef d'Etat malien d’alors, Alpha Omar Konaré, réitère son appel à une
collaboration Nord-Sud, en matière de TIC, en estimant que l'Afrique se trouve dans des
conditions politiques et intellectuelles favorables pour une révolution technologique : « Si elle
doit se préoccuper des autres aspects du développement, elle ne peut pas pour autant laisser
passer l'opportunité d'intégrer la Société de l'information. L'appropriation des TIC par les
populations africaines constitue en effet l'un des leviers du développement. »

7 FLICHY Patrice, Technologies et lien social. Colloque national de Paris : Pour une refondation des
enseignements de communication des organisations 25 au 28 août 2003.

14
Cet appel à la coopération internationale a entraîné l’élaboration de politiques de
développement prônées et tant promues par l'ONU, la banque mondiale, le G8, ainsi que par
les organisations de coopération et de développement. Le recours aux concepts « fracture
numérique » et « société de l'information » aurait ainsi permis à ces institutions de recycler les
vieux concepts évolutionnistes et technicistes des politiques de développement et de retrouver
élan, légitimité, et même argent. Du moins c’est ce que pensent de nombreux chercheurs du
Nord et du Sud dont Marie Thorndal, la socio-économiste indépendante, qui, parlant des
organisations internationales affirme qu’elles pratiquent la théorie du « comme si »8, c’est-à-
dire « Toujours faire semblant qu'on va régler les problèmes du monde sans s'en donner les
moyens. Tenir un discours universel en le validant par des événements enthousiastes et
généreux mais sans effet. Faire « comme si » le modèle de développement du Nord était
généralisable, « comme si » la dette allait être remboursée, « comme si » le rattrapage du Sud
était possible, « comme si » la fracture numérique pouvait être comblée. On change de
discours, or ce sont les règles du jeu qui doivent être revues. A terme, c'est tout le système du
multipartisme qui est en danger et l'ONU décrédibilisée. »

En effet, la notion de « société de l’information » et ses corollaires seraient donc


mobilisés pour masquer des relations de domination. Il convient de noter que ce n’est pas à
partir des années 90 que les Nations Unies et d’autres acteurs de coopération internationale se
sont intéressés à l’introduction des TIC en Afrique. Déjà dans les années 1960, des initiatives
avaient été prises pour que des TIC contribuent à l’amélioration de la qualité de
l’enseignement en Afrique, et d’une manière générale contribuent au développement. Yvonne
Mignot-Lefebvre confirme d’ailleurs que : « (…) Les premières technologies de
communication sont entrées dans les pays du Tiers-Monde en accord avec une vision
volontariste véhiculée principalement par les Nations Unies. Elles étaient orientées vers des
objectifs éducatifs, culturels et sociaux. Progressivement leur utilisation est de plus en plus
liée à des objectifs économiques » 9.

La société globale de l'information est bel et bien devenue un enjeu géopolitique


autour d’intérêts financiers et économiques, et le discours qui l'entoure reste une doctrine sur
les diverses formes d'hégémonie dont les prémisses étaient annoncées déjà depuis la
"révolution technétronique" du géopoliticien Zbigniew Brzezinski dans les années 1960.

8 Cette théorie du « Comme si » évoque une figure rhétorique de la langue française appelée « l’hypostase ».
9 MIGNOT-Lefebvre Yvonne, Des mutations technologiques, économiques et sociales sans frontières, in
Transfert des technologies de communication et développement, revue Tiers-Monde, 1987, PP487-511, p.498.

15
Dorénavant, l'hégémonie mondiale se manifeste à travers une triple révolution : diplomatique,
militaire et managériale menée par les Etats-Unis. C'est l'apparition des stratégies de « soft
power » et de « global information dominance » qui alternent selon les circonstances la
diplomatie des canons et la diplomatie des réseaux (la cyberguerre) pour réorienter le monde
en fonction de ce qu'on appelle la démocratie de marché. La politique extérieure nationale de
Georges Bush dans les années 80 légitimera la diplomatie des réseaux à travers une sorte de
droit international de la propagande : c’est la théorie de l’ingérence, très présente aujourd’hui
dans les relations entre Etats, mais aussi dans la régulation de la communication
internationale. Pour Isabelle Pailliart, la communication internationale mettrait ainsi fin à la
capacité d’un espace territorial à « gérer ses propres modalités d’expression ». Dans la mesure
où à travers ce processus, et toujours selon cet auteur, « les frontières géographiques
nationales se brouillent »10, la communication donne l’impression générale d’un
affaiblissement du pouvoir étatique national. Cette limitation de la souveraineté est « voulue »
ou acceptée par les États à travers de traités, chartes, ou conventions... Exemple des projets
de coopération technique en matière de communication (PIDC : Programme international de
développement de la communication; Canad : Central african new agencies developpement)
et de télécommunications.

Missé Missé dans l’un de ses articles11 rapporte que : « Sous la contrainte de cette
théorie brandie à la fois par les organisations internationales, les opérateurs économiques ou
même les organisations de la société civile africaine et non-africaine, tous les Etats africains
s’engagent dans cette voie, convaincus ou non». Il faut noter que cette globalisation libérale
contemporaine constitue pour le géographe, Yves Lacoste12, «une façon occidentale de se
représenter le monde ». Cette vision du monde, sensée se répandre au nom des libertés et du
bien de l’humanité, impose finalement sa manière d’envisager les rapports humains, leur
organisation, plus particulièrement les échanges économiques mondiaux au détriment du
continent africain auquel on conditionne « l’aide » à l’acceptation de ce modèle économique
libéral, fixé par les institutions multilatérales, FMI et Banque mondiale en tête. Cette étape de
la réflexion nous amène à aborder logiquement la théorie de la modernité ou théorie de la
convergence. A ce sujet, Philippe Laburthe-Tolra et Jean-Pierre Warnier dans Ethnologie
Anthropologie nous rappellent que :

10 PAILLIART Isabelle, Les territoires de la communication, Grenoble, PUG, 1993, p. 78, 233.
11 MISSE MISSE, Communication internationale et souveraineté nationale : Le problème des « ingérences »
dans le nouvel ordre mondial.
12 LACOSTE Yves, « Une autre idée du monde », in Géo, numéro spécial, septembre 2004.

16
« La théorie de la modernité est une théorie de la diffusion des innovations à partir d’un
centre qui est censé les produire : (…) l’Occident à l’époque moderne. Pour Eisenstadt et ses
contemporains, le moteur de cette diffusion, c’est la rationalité scientifique, donc universelle,
qui s’impose à des civilisations particulières fondées sur d’autres modes de pensée, qualifiés
de « pré-scientifiques », « pré-logiques », voire d’« irrationnels »13. La modernisation est
ainsi perçue comme le rouleau compresseur voué à écraser toutes les civilisations pour les
réduire au modèle de l’Occident industrialisé.».

Cette école de la « modernisation », encore appelée école du « développement », a vite


rencontré sa critique, articulée autour de la référence au concept « d’impérialisme », étendu
du politique à l’économique et au culturel : « Le concept d’impérialisme culturel est celui qui
décrit le mieux la somme des processus par lesquels une société est intégrée dans le système
moderne mondial et la manière dont sa strate dominante est attirée, poussée, forcée et parfois
corrompue pour modeler les institutions sociales, pour qu’elles adoptent, ou même
promeuvent les valeurs et les structures du centre dominant du système » (Schiller, 1976).
Toujours dans ce même ordre d’idées, il est important d’évoquer les analyses menées par
Bertrand Cabedoche sur La construction de l’étrangéité dans le discours d’information
médiatique : actualité de l’accusation d’ethnocentrisme des médias transnationaux ? « Les
analyses de la domination se sont seulement affinées, mais elles ne concluent pas toutes pour
autant à la réhabilitation convaincante des lectures néo-libérales. »

En sciences politiques, depuis les années quatre-vingts, on parle de plus en plus


d’« interdépendance inégale » (Coussy14, Hassner, Smouts, Hermet…en 1980), concept qui
permet de sortir des analyses classiques de la domination pour identifier comment ces
processus peuvent être, non pas subis, mais aussi récupérés, réappropriés et réutilisés par des
pouvoirs « dominés » à des fins internes. Le concept permet également de prendre en
considération que les puissants sur la scène internationale tentent toujours d’utiliser leur
pouvoir exorbitant, notamment pour en garantir la reproduction». Tous ces travaux replacent
la réception dans un contexte d’acculturation en remettant en cause les rapports de dominants-
dominés.

13 LABURTHE-TOLRA P., WARNIER J.-P., Ethnologie Anthropologie, PUF, Paris, 1993.


14 COUSSY Jean, « Interpénétration des économies et évolution des rapports de dépendance », Revue
Française de Sciences Politiques, « Les nouveaux centres de pouvoir dans le système international », vol. 30, n°
2, avril 1980, pp. 262-281.

17
En confrontant ces théories, il apparaît légitime de se focaliser sur la communication
internationale dans la « société de l’information » tout en recentrant les questionnements
fondamentaux sur le rôle des organisations internationales dans ces rapports hégémoniques
Nord/Sud ayant hérité dans un passé récent d’une géopolitique de l’information, d’une
histoire des cultures, et de nouvelles lois du marché cachant des conflits d’intérêts et de
pouvoir pas forcément évidents.

III- Problématique et objectifs de recherche

A- Problématique

Depuis trente ans que se sont ouverts les débats sur le Nouvel Ordre Mondial de
l’Information, la communication internationale a semblé stagner, du moins au niveau du sens
de circulation de l’information, bien que celle-ci puisse être considérée comme finalement
décolonisée tel que le recommandait Hervé Bourges déjà dans les années 1970. Si d’un point
de vue économique, beaucoup de facteurs de régulation des flux ont évolué, il demeure que le
contexte géopolitique dans lequel cette évolution s’est réalisée n’a pas profondément changé,
du moins en ce qui concerne les rapports de force entre l’Afrique et les pays industrialisés de
l’occident. Du coup, l’écart entre l’Afrique et les pays du Nord qui était censé se réduire par
les belles promesses de la société mondiale de l’information s’est davantage creusé même si
les populations de ce continent demeurent confiantes et optimistes sous l’effet des croyances
engendrées par les discours de promotion des TIC.

Et pourtant, depuis trente ans, au nom de la « coopération internationale », des


organisations internationales n’avaient cessé de se mettre au devant de la lutte contre la
fracture numérique, affichant leur volonté d’aider les pays du Sud à une appropriation
progressive des TIC et à l’intégration de ces pays dans l’e-inclusion. Mais pourquoi alors,
depuis l’échec du NOMIC jusqu’au lendemain du SMSI à Genève et Tunis, l’UNESCO, en
dépit de sa « solidarité numérique » vis-à-vis des pays africains, n’arrive pas à rééquilibrer les
rapports humains en matière de communication et d’accès aux TIC sans que ces pays ne
demeurent écartés par les critères géographiques et de frontières privilégiant les pays
industrialisés ?

Il importe d’interroger à nouveau l’histoire mais en analysant cette fois-ci les


éventuels enjeux géopolitiques sous-tendus sans doute par des intérêts financiers et

18
hégémoniques des maîtres du monde. Il serait encore plus intéressant et c’est là l’une des
particularités de notre travail, de nous questionner sur les probables pressions et influences
que subirait l’UNESCO. Rappelons que les maîtres du jeu que sont les superpuissances du
Nord n’hésitent pas pour imposer leurs propres intérêts à «discipliner» les organisations
intergouvernementales en les menaçant d’un retrait (comme cela a été le cas pour les Etats-
Unis et la Grande Bretagne qui se sont retirés de l'UNESCO pendant plus de 15 ans), et en
exerçant, à l’encontre de certains récalcitrants, la politique de la carotte et du bâton.

« L’insubordination» et l’attitude hostile à l’égard des intérêts occidentaux ne


manquent pas de générer de nouvelles sanctions, telles l’exclusion de la clause de la nation la
plus favorisée, ou des restrictions à l’exportation. Les actions des organisations internationales
ou intergouvernementales seraient donc soutenues par certains pays industrialisés qui sont les
pays (donateurs) finançant souvent les politiques de lutte contre la fracture numérique
mondiale. L’UNESCO est-elle financièrement indépendante pour mener jusqu’au bout ses
programmes en faveur du développement international de la communication ? Si non, n’est-
elle pas obligée de répondre à certaines conditions ou de satisfaire certaines exigences qui lui
sont imposées ?

Pour répondre à ces questions, nous aurons à pénétrer au cœur de la communication


internationale et de la souveraineté nationale des pays afin de voir de plus près les grandes
actions menées par l’UNESCO, telles que le PIDC ou encore l’organisation du SMSI tout en
vérifiant si les enjeux géopolitiques caractéristiques des rapports de force entre pays du Sud et
pays du Nord ne sont pas les principaux facteurs de blocage ou d’échec de ces programmes.
L’UNESCO, par ses stratégies de diffusion des TIC en Afrique contribue-t-elle davantage à
la dépendance technologique de ces pays ? Ou ces actions favorisent-elles vraiment la
réappropriation des TIC par ces pays?
Il semblerait que le continent africain soit tombé dans le fossé numérique creusé par la
mondialisation de l’information, laquelle mondialisation conditionne l’internationalisation et
la globalisation des échanges y compris ceux de l’information, et des technologies. Et pour
sortir de ce fossé, l’Afrique a-t-elle nécessairement besoin de l’UNESCO ou d’autres
organisations internationales ? Pourquoi une solidarité numérique dans la société de
l’information alors que cette société dans ses fondements sous-entend déjà des valeurs de
solidarité et d’égalité (d’accès universel et de partage de l’information) ?

19
Finalement, l’appropriation ou la réappropriation des TIC par les pays africains ne
devrait-elle pas de ce fait être repensée à un niveau plutôt national, régional et local
qu’international ? Mais les Etats africains ont-ils des budgets suffisants pour une auto-
appropriation de ces TIC ? Sont-ils prêts à prendre en main leur destin numérique ? Avant le
développement économique, à quand d’abord l’indépendance numérique des pays africains
les moins avancés en communication ?

B- Objectifs

Notre premier objectif à travers ce travail est de proposer une autre lecture de
l’évolution de la société de l’information en essayant de montrer que le discours sur la “
fracture numérique ” entre pays du nord et pays du sud n’est pas une nouveauté en soi, mais
une croyance récurrente soutenue par les organisations internationales. C’est une analyse
rétrospective du discours sur l’informatisation ou l’informationnalisation (Bernard Miège)
des pays africains, tel qu’il est promu par l’UNESCO et en même temps une confrontation de
ce discours par rapport à la réalité du bilan des activités et programmes concrètement menés
en vue d’une équitable régulation de la communication internationale.

Le deuxième objectif que nous nous sommes fixés est de démontrer que malgré les
bonnes intentions de l’UNESCO, ses programmes en faveur de la réduction de la fracture
numérique ont tendance à être orientés vers un déterminisme technologique, synonyme à la
fois de modernisation et de développement. En partant du constat que les paradigmes de
l’interdépendance et de la coopération internationale sont nourris par un impérialisme
culturel, et socio-économique, nous souhaitions pouvoir situer la responsabilité de l’UNESCO
dans l’aggravement de la fracture numérique et tirer des leçons de l’échec du NOMIC et des
modestes résultats du SMSI.

Enfin, le troisième objectif et pas des moindres, est de pouvoir à travers ce travail jeter
les bases problématiques et méthodologiques d’une recherche plus élaborée et plus
approfondie à entreprendre au cours des trois prochaines années et comparant les stratégies
d’action de l’UIT et de l’OMC à celles de l’UNESCO face aux enjeux culturels de la
réappropriation des TIC à des niveaux régional et national.

20
Chapitre 2 : Méthodologie de la recherche

I- Questions et hypothèses de recherche

Voici un ensemble de questionnements et de suppositions suscités aussi bien par des


constatations empiriques que par des discours théoriques et qui doivent faire objet de
vérification à travers les tâtonnements de notre recherche :

 L’UNESCO subirait des influences et des pressions dans l’élaboration de ses


stratégies et dans la réalisation de ses programmes d’action en faveur du développement de la
communication. Depuis l’échec du NOMIC et le départ d’ Amadou Mahtar M’bow à la tête
de l’institution, celle-ci ne s’est-elle pas pliée aux exigences des bailleurs de fonds et des
grands financiers que constituent les Etats-Unis et les pays industrialisés ?

 Aujourd’hui, les mesures du progrès vers la société de l’information se font entre


autre par des indices statistiques quantitatifs, élaborés par certaines organisations
internationales. Ces mesures se rapportent généralement aux indications sur les équipements
d’informatique et de télécommunication…comme si la fracture statistique reflétait réellement
la fracture numérique.

 Aux peuples sous-équipés du Sud, on fait miroiter l’ordinateur pour tous comme
un outil miracle pour passer du sous-développement au développement, sans même se
préoccuper de l’adéquation entre technologie et contexte d’utilisation. Sont-ce les ordinateurs
qui créent la richesse ou est-ce la richesse qui permet de s'équiper en ordinateurs?

 Les TIC sont certes abondantes dans la « société de l’information ». Mais elles ne
sont ni abondantes, ni accessibles de la même manière partout à travers le monde pour qu’on
puisse parler aujourd’hui d’une « nouvelle société de l’information » basée sur des valeurs
d’égalité et d’universalité.

 Le C de UNESCO est bien Culture et non Communication : La division de


l’information et de la communication de l’UNESCO est-elle alors vraiment légitime ? Sa
mission est-elle pour autant vouée à l’échec ou du moins reléguée au second plan compte tenu
de la priorité donnée à la culture dans les textes fondateurs de l’institution?

21
 L’UNESCO ne pourrait à elle seule, à travers ses missions, être à la hauteur
du rééquilibrage des rapports Nord/Sud. L’UIT réussirait-il mieux ? Le choix de l’UIT et de
l’OMC pour l’organisation du SMSI devrait-il évoquer l’idée d’une certaine punition infligée
à l’UNESCO qui, sortant de ses prérogatives, compromet les intérêts des Etats-Unis et de
certains pays industrialisés ?

 L’UNESCO, à travers son discours déterministe et déterminé de promotion


des TIC en Afrique, contribue-t-elle à l’instauration d’une bureaucratie supranationale qui
perturberait le libre jeu du commerce mondial (ultralibéralisme ou libéralisme dérégulateur)
en défaveur des pays africains?

II- Intérêt et valeur de la recherche

Ce travail s’inscrit dans le cadre d’une recherche portant sur l’intérêt que manifestent
les organisations internationales (UNESCO, IUT, Banque mondiale, Organisation
Internationale de la Francophonie, etc.) à la question de l’appropriation des TIC par les pays
africains et son corollaire « la fracture numérique » Nord/Sud. Mener une enquête sur une
thématique qui se situe au cœur d’une interdisciplinarité (Sciences politiques - Sciences
sociales et économiques - Sciences de l’information et de la communication) n’est pas une
tâche aisée. Aussi, avions-nous eu dans le cadre de ce travail quelques difficultés
préliminaires pour la délimitation du principal axe de notre recherche. Rappelons que le sujet
pose à la fois la question de la communication à l’échelle planétaire et celle des relations
internationales avec l’arbitrage de l’UNESCO. Quoique la documentation et les théories sur
les TIC et la société mondiale de l’information soit foisonnante, Il ne serait pas superflu
d’évoquer la quasi inexistence d’ouvrages étudiant spécifiquement le rôle même des
organisations internationales dans ce déséquilibre Nord/Sud.

En nous engageant sur cette piste de recherche, nous espérons à travers cette étude,
pouvoir apporter quelques éléments de réponses susceptibles d’éclairer les actions et discours
de l’UNESCO en matière de lutte contre la fracture numérique. Cependant notre travail de
problématisation ne saurait prétendre lever toutes les ambigüités et éclairer les contradictions
actuelles caractéristiques des décisions et mesures internationales prises dans l’anti-chambre
des intérêts des pays industrialisés. L’analyse pourrait être poursuivie dans le cadre d’une
thèse dont le point de départ serait les nouvelles problématiques qui apparaîtront dans les
conclusions du présent travail.

22
III- Méthodes de recueil des données

Après la délimitation de notre champ problématique à travers l’exploration de la


littérature sur les postures de déterminismes technologique et social, nous présentons la
démarche méthodologique appropriée pour la vérification de nos hypothèses et la réalisation
des objectifs de notre recherche.

A- Population d’étude

Nos analyses et investigations portent sur les organisations internationales et plus


précisément sur l’UNESCO. Ce choix se justifie par le fait que cette institution a été la
scène des débats sur la communication dont l’ampleur et les enjeux ont fortement marqué
l’histoire des relations internationales depuis les années 1970. Considérant les nombreuses
actions menées par l’UNESCO à travers le monde, nous avons jugé pour mieux évaluer son
rôle dans la réduction de la fracture numérique, nous focaliser sur ses programmes et ses
actions en faveur de l’intégration de l’Afrique dans la société mondiale de l‘information. Le
choix du continent africain s’avère, en effet, pertinent car les pays africains, et notamment
ceux de l’Afrique Subsaharienne, constituent un échantillon représentatif de pays du Sud où le
seuil de la pauvreté est le plus élevé attirant du coup l’attention des bailleurs de fonds et des
organisations internationales en matière d’aide et de coopération au développement. Laquelle
coopération inclut la diffusion des TIC en occultant parfois les questions d’appropriation et
d’intégration de ces technologies. Laquelle coopération évoque aussi l’idée de la solidarité
numérique : un des axes de notre recherche qui justifie une fois encore le choix de l’Afrique
car c’est le Chef d’État du Sénégal (Abdoulaye Wade) qui a fait à Genève en 2003 la
proposition de constitution d’un Fonds de Solidarité Numérique.

B- Méthode historique et descriptive

Pour comprendre le futur, il convient de revenir au passé. Et comme le remarquait B.


Miège, « Il importe de se positionner par rapport au temps, le temps court » des étapes de
l’innovation, et le temps long des mouvements sociaux ». Aussi, l’interprétation des réalités
actuelles du déséquilibre Nord/Sud et la compréhension de la part de responsabilité de
l’UNESCO passent-elles par un détour historique et une revue de la littérature sur le sujet
devant nous permettre de faire une lecture actualisée de l’évolution de la communication
internationale par les processus de communication depuis le NOMIC jusqu’à l’organisation

23
du SMSI.
Nous remontons l’échelle du temps pour situer notre travail par rapport au contexte
historique du rapport McBride tout en parcourant au préalable une bibliographie sélective des
réflexions menées depuis l’époque.

Analyser les phénomènes de déséquilibre de l’accès à l’information et de fracture


numérique pour situer les responsabilités tout en se référant à un contexte historique de
tensions dans les rapports Nord-Sud pourrait déboucher sur des conclusions biaisées et une
lecture des événements influencée selon qu’on soit au Nord ou au Sud. C’est donc conscient
de ces paramètres et dans le souci de dépasser les stéréotypes fondés sur des prises de position
subjectives, que nous nous proposons de faire une analyse documentaire et une analyse des
discours idéologiques et idéalistes sur les TIC en nous basant ici sur le contenu des principaux
documents officiels élaborés lors du Sommet Mondial de Genève et de Tunis (Déclaration de
principes, Plan d’action, Engagement de Tunis, Agenda de Tunis).

C- Entrevues de recherche

Nous aurions souhaité accompagner les méthodes décrites ci-haut par la réalisation
d’entrevues ou d’entretiens de recherches semi-directifs individuels avec quelques personnes
ressources notamment des chercheurs en Sciences de l’Information et de la Communication,
du nord et du Sud, portant un intérêt au sujet de la fracture numérique. Ceci nous aurait
permis d’observer et de comparer la vision qu’ont ces chercheurs (selon leur origine
géographique Nord ou Sud) de la problématique de la fracture numérique et le rôle joué par
les organisations internationales pour sa réduction en Afrique.

Mais compte tenu de l’indisponibilité des chercheurs que nous avons contactés par
téléphone ou par mails et considérant le court délai fixé pour la réalisation de notre travail,
nous n’avons pas pu obtenir de rendez-vous pour des entretiens en face à face. Néanmoins,
parmi les personnes ressources contactées15, une au moins s’est montrée disponible et a
répondu à notre demande de collaboration en nous envoyant par mail son point de vue sur
quelques questions que nous lui avons posées16.

15 Envois et échanges de mails avec : Claudine Carluer, Anne-Marie Laulan, Annie Chéneau-Loquay, Annie
Lenoble-Bart, Emmanuel Eveno, Ken Lohento, Missé Missé, Alain Kiyindou, Loum Ndiaga, Mamadou
N’Diaye.
16 Vous trouverez en annexe notre entretien par mail avec Madame Annie Lenoble-Bart.

24
Deuxième partie :
L’Afrique dans la société globale
de l’information

« Le numérique est entrain de créer un homme


nouveau dans une civilisation nouvelle, la
société de l’information, dans laquelle n’entre
pas qui veut comme dans les premiers temps
de l’humanité. Cette fois, il faut payer pour
utiliser les équipements coûteux et complexes,
ou rester isolé (…) Au Nord, on possède à la
fois l’équipement et l’argent pour payer
l’accès ou, si on ne possède pas l’équipement,
le prix à payer pour la location, l’accès et
l’utilisation. Au Sud, les exclus. Le Nord et le
Sud communiquent de moins en moins, avec
le risque de ne plus pouvoir communiquer
(…) » Abdoulaye Wade, Président de la
République du Sénégal. « Fossé numérique et
solidarité numérique » in Le Monde, 7 Mars
2003.

25
Deuxième partie : L’Afrique dans la société globale de
l’information
Chapitre 1 : Du rapport McBride à la société de l’Information

I- L’information à sens unique et la contestation des pays du Sud

Une analyse sémantique approfondie du concept d’information à sens unique nous révèle
que le choix du vocable « Information » à la place de celui de « Communication » n’est peut
être pas si innocente et hasardeuse. En effet, La démonstration nous est donnée par Antonio
Pasquali (2002), qui, se prononçant sur la distinction entre information et communication,
argumente: « Informer connote pour l’essentiel la circulation de messages unidirectionnels,
causatifs et ordonnateurs, visant à modifier le comportement d’un récepteur passif, tandis
que communiquer fait référence à l’échange de messages bidirectionnels, donc relationnels,
dialogiques et socialisants entre des interlocuteurs pourvus d’une même capacité, libre et
simultanée, d’émission/réception. Tandis que l’Information tend à dissocier et à hiérarchiser
les pôles de la relation, la Communication tend plutôt à les associer ; ainsi seule la
Communication peut donner naissance à de véritables structures sociales ».

Cette explication illustre bien le flux de circulation verticale de l’information à sens


unique caractéristique d’une société hégémonique de l’information telle que celle qui
légitimait déjà dans les années 1970 les rapports de dominants sur dominés.

Notre raisonnement, peut également s’appuyer sur la théorie de l’Américain Norbert


Wiener, qui en développant le concept d’information, à la base de la notion de « société de
l’information », constatait que ce concept souffrait déjà d’un tropisme originel qui réside dans
le schéma cybernétique même du processus de communication. Lequel processus implique
une vision de l’histoire comme représentation linéaire et diffusionniste du progrès :
L’innovation et la modernité se diffusent du haut vers le bas, du centre vers les périphéries, de
ceux qui savent vers ceux qui sont censés ne pas savoir.

Toutes ces constatations, toujours vérifiables aujourd’hui, dans les relations que nous
qualifions (par simple référence au contexte historique de la géopolitique de l’époque) de
relations Nord-Sud nous renvoient donc à la naissance des débats portant sur les inégalités en
matière d’information et de communication, à l’échelle internationale.

26
En effet, Annie Chéneau-Loquay remarque que les causes premières de la circulation à
sens unique de l’information qui dépouille les Etats du Sud et notamment les pays africains
de leurs prérogatives de gestion de leur territoire, seraient: « Le passage à une gouvernance
internationale qui favorise la mainmise des multinationales sur les infrastructures et sur les
services, la remise en cause d’accords internationaux, et la relative dématérialisation des
nouvelles technologies.»17

Les grands groupes de presse ou conglomérats médiatiques multinationaux (chaînes de


télévision, radios, journaux, magazines,…) ont ainsi exercé un quasi-monopole en écartant
les pays du Sud et en favorisant la circulation de l’information et des produits culturels du
Nord vers le Sud. C’est sans doute le constat qui fait dire à Ozan Serdareglu que « les
émetteurs du Nord assignent une identité à ‘‘l’autre’’ tandis que pour “les autres” (les pays du
Sud), l’enjeu n’est pas de communiquer avec le Nord. »18. Dans ce même ordre d’idées,
Herbert Schiller tout en restant radicalement opposé au point de vue des chantres de la
modernisation du Tiers-Monde, partage néanmoins avec eux la conviction que les médias
sont d’importants agents de l’occidentalisation ou plutôt de l’américanisation du globe.19

Le sentiment de frustration, engendré par ce qu’on pourrait nommer sans exagérer le


« diktat médiatique de l’Occident », a amené les pays du Sud par la voix de certains
chercheurs et de représentants à l’UNESCO à axer leurs analyses sur ces déséquilibres
transfrontaliers en contestant les stratégies de domination inhérentes.

C’est d’abord la notion du droit à la communication qui a été publiquement avancée par
Jean d’Arcy20 en 1969 au moment même où prend forme à l’Unesco le débat sur les libertés
dans le domaine de l’information. Cette notion matrice prône le refus d’une communication
depuis l’élite vers les masses, du centre vers la périphérie, des riches en matière de
communication vers les pauvres et plaide pour le principe de la différence : sans distinction
aucune d’origine nationale, ethnique, de langue, de religion.

17CHENEAU-LOQUAY Annie, Le fossé numérique, l’Internet, facteur de nouvelles inégalités ?, in


revue Problèmes politiques et sociaux, n°861, p.34.
18 SERDAREGLU Ozan, « TV5, quand le Nord et le Sud se recentrent en français : on n’habite pas un pays,
on habite une langue », pp. 187 et s., in Gilles Boëtsch et Christiane Villain-Gandossi (sous la direction de), Les
stéréotypes dans les relations Nord-Sud, Hermès, n° 30, CNRS éditions, 2001.
19 MATTELART Tristan, La mondialisation des médias contre la censure, de Boeck, 2002.
20 JEAN d’ARCY est le pionnier de la télévision française, alors directeur de la division de la radio et des
services visuels au Service de l’information de l’ONU à New York.

27
La Conférence Générale de l’UNESCO organisée à Nairobi (Au Kenya) en Novembre
1976 a finalement été le lieu de formulation des revendications des pays dominés en faveur
d’un « rééquilibrage » de l’information entre le Nord et le Sud. Ces revendications sont
regroupées en trois chefs d’accusation : Le silence autour du Tiers-Monde, la déformation
dont les informations le concernant font l’objet dans les médias des pays du Nord, enfin la
propagande culturelle du Nord en direction du Sud. Dès lors émergea une volonté officielle
proclamée aussi bien par les pays du Sud que par les organisations internationales telles que
l’UNESCO de libérer l’information de l’ingérence étrangère.

Mais l’UNESCO, en libérant l’information de l’ingérence étrangère, ne s’était-elle pas


ingérée dans la gestion des politiques publiques nationales d’information et de communication
des pays du Sud ? Puisque ses actions sont financées par certains pays industrialisés,
l’UNESCO était-elle pour autant redevable envers ces pays en servant éventuellement leurs
intérêts ? D’où une autre interrogation sur l’orientation donnée aux décisions de l’UNESCO
par rapport à sa neutralité effective dans la régulation de la communication internationale. Les
interventions et actions de cette organisation internationale favorisent-elles vraiment le
développement de l’information en faveur d’un rééquilibrage des flux de circulation ou ces
décisions creusent-elles davantage le fossé entre dominés et dominants. Mais avant toutes ces
questions, il est primordial de savoir si l’UNESCO a pour mission de réguler la
communication internationale alors que le terme même de communication n’apparaît pas dans
son sigle.

A ce sujet, Wahid Khadraoui nous apporte la réponse dans son mémoire21 pour l’obtention
du Diplôme d’Etudes Approfondies en Sciences de l’information et de la communication.
Selon lui, quoique le terme « Communication » ne figure pas comme tel dans le sigle de
l’UNESCO, « l’importance de ce domaine d’activité n’a pas moins été reconnue dès la
création de l’organisation ». En effet, « aux termes de son Acte constitutif, l’UNESCO est
expressément chargé de faciliter la libre circulation des idées par le mot et par l’image et de
favoriser la croissance et la compréhension mutuelle des nations en prêtant son concours aux
organes d’information des masses. »

21 KHADRAOUI Wahid, Fractures Nord-Sud : Origines et enjeux de la fracture numérique, l’Afrique comme
exemple, Grenoble : Institut de la Communication et des Médias, 2003, p.36 (Mémoire de DEA SIC).

28
Et en réalité, dans la décennie 70-80, l’UNESCO, avec à sa tête Amadou Mahtar M’Bow,
était effectivement très sensible à cette question de rééquilibrage des rapports en matière
d’information et de communication entre les pays industrialisés et ceux en développement.
C’est d’ailleurs l’adoption systématique par les grands médias internationaux
« prescripteurs » des schémas de pensée des pays les plus riches que dénonçait à l’époque
Amadou Mahtar M’Bow. A la suite du cri poussé par M’Bow, de nombreuses voix se sont
relayées pour se faire l’écho des contestations et revendications des pays dominés. Ainsi en
1978, Hervé Bourges a publié son ouvrage « Décoloniser l’information » dans lequel nous
notons le remarquable travail accompli par Bertrand Cabedoche qui rapporte dans le
quatrième chapitre dudit ouvrage un certain nombre d’entretiens et d’échanges avec des
journalistes du Nord et du Sud, lesquels entretiens constatent et critiquent les lacunes et
stéréotypes forgées sur l’ethnocentrisme culturel22 de la circulation à sens unique de
l’information dans un contexte global de dépendance néocoloniale des dominés vis-à-vis des
dominants. En 1978, les analyses critiquaient donc une construction médiatique occidentale
de l’étrangéité souvent stéréotypée, réductrice et linéaire.23

Mais le regard rétrospectif que nous apportons à la lecture de ces événements nous permet
aujourd’hui avec le recul du temps et en toute objectivité d’appréhender réellement non pas la
responsabilité des médias occidentaux déjà tant accablés par les accusations des pays du Sud
mais plutôt l’ampleur et la violence de l’affrontement diplomatique qui se déchaîna alors à
l’UNESCO. Ce qui coûta d’ailleurs son siège à Amadou Mahtar M’Bow et entraîna le retrait
des Etats-Unis de l’Organisation.

L’UNESCO a été (peut-être d’ailleurs pour la seule fois de son histoire) tellement engagé
dans un combat qui compromettait les intérêts des Etats-Unis au point où le conflit
diplomatique généré par la revendication du Nouvel ordre Mondial de l’Information et de la
Communication a plongé dans une longue crise l’institution qui se proposait de devenir la
« conscience du monde et des organisations internationales ».

22 Pour Michel Lemerle : « Par un véritable ethnocentrisme culturel, les pays riches délaissent trop à travers
les
médias les problèmes du Tiers-Monde. Ils leur renvoient souvent une image déformée d’eux-mêmes, créant ainsi
une sorte d’effet multiplicateur de la dépendance …».
23 BOURGES Hervé, Décoloniser l’information, Paris, Editions CANA, 1978, p.134.

29
Nous sommes revenus sur cette partie sombre mais très importante de l’histoire de
l’UNESCO car elle pourrait justifier aujourd’hui avec le retour des Etats-Unis au sein de
l’organisation d’éventuels motifs d’influence et de pression subies par l’UNESCO et qui
détermineraient sa position actuelle plus neutre et donc moins engagée par rapport aux
questions de régulation de la communication internationale. A quoi donc auront finalement
servi la revendication du NOMIC et le rapport rédigé par la commission internationale
d’étude des problèmes de la communication de l’UNESCO, composée de personnalités de
renommée internationale, et présidée par Sean Mac Bride ?

II- Le rapport McBride : « Voix multiples, un seul monde »

« D’où provient massivement l’information ? Qui la produit ? Qui la diffuse ? Les flux
Nord-Sud n’écrasent-ils pas les cultures sous-développées, balayant les identités locales ou
nationales au profit d’une prise de contrôle du signe par une poignée de puissances disposant
des techniques et des moyens financiers ? » Telles sont selon J. Decornoy les questions
auxquelles avait tenté de répondre la communauté internationale à travers le rapport Sean
McBride, rapport intérimaire sur les problèmes de la communication dans la société moderne.
Ce rapport a été finalement adopté à Belgrade le 25 Octobre 1980.

Notre but ici n’est évidemment pas de revenir sur le contenu détaillé des quatre-vingts
recommandations de ce rapport. Ce serait comme le dirait Armand Mattelart « faire une
exégèse de plus du rapport McBride en tombant dans le panneau que dénoncent les
historiens : les manies de la commémoration ». En effet, les trois dernières décennies nous
laissent constater que les technologies ont sensiblement évolué et leur diffusion s’est un peu
accélérée quoique le bilan reste mitigé d’un pays à l’autre, et en considérant parfois un même
hémisphère géographique (Nord-Sud). Nonobstant l’inconstance géographique du nouvel
ordre économique qui selon certains déterminerait l’ordre mondial de l’information et de la
communication, il ne serait pas superflu d’analyser les directions principales qui ont orienté le
rapport McBride afin de comprendre aujourd’hui si ce rapport était voué à l’échec à travers la
nature de ses ambitions peut être trop idéalistes et ayant fait du NOMIC un projet mort-né.

30
A un premier niveau d’analyse, nous nous arrêtons sur le constat que ce rapport publié
sous le titre « voix multiples un seul monde », a résumé les différents concepts de la théorie
de l’information, qui s’avère encore aujourd’hui d’actualité. En effet les rapporteurs, nous
semble-t-il, se sont inspirés du modèle psychosociologique d’Harold Lasswell à qui l’on doit
le découpage, avec précision, des différents éléments constitutifs de l’information. Selon ce
théoricien, on ne peut décrire « convenablement une action de communication » que si l’on
répond aux questions suivantes: qui dit quoi, par quel canal, à qui, et avec quel effet ?
La description des émetteurs, l’analyse du contenu des messages, l’étude des canaux
de transmission, l’identification des audiences et l’évaluation des effets : tels sont les
principaux pôles autours desquels, doivent s’ordonner les études en communication. Et ces
principaux pôles de recherche sont identiques aux questionnements de la communauté
internationale tels que nous les avions formulés au début de cette section : « D’où provient
massivement l’information ? Qui la produit ? Qui la diffuse ?... ».

Cependant, il existe une autre approche inspirée des sciences politiques : C’est
l’approche « institutionnelle » sur laquelle Francis Balle établit un postulat en forme de
double inégalité (document CIC n°40/1979). La communication, c’est plus que les seules
techniques baptisées médias, mais c’est moins que la totalité des échanges sociaux. Cette
double inégalité invite d’une part le chercheur à mettre en lumière les multiples relations
d’influences, de complémentarités, d’exclusions, ou de substitutions réciproques entre les
différents modes de l’échange social. D’autre part, elle attire l’attention du chercheur sur les
différents modes de la communication sociale; la communication interpersonnelle, la
communication institutionnelle (entre les organisations, entre les gouvernants et les
gouvernés, etc.) et la communication par les médias. Cette approche était sans doute la plus
voisine de «l’approche globale», adoptée par les auteurs du rapport de l’UNESCO précité,
puisqu’elle a été leur cadre de référence en traitant le concept du Nouvel Ordre Mondial de
l’Information.

Le contenu même du rapport McBride met d’abord l’accent sur : « l’élaboration de


politiques nationales de la communication » incluant pour les pays en développement des
stratégies de développement de la radiodiffusion, des capacités de production des
programmes, des télécommunications et réseaux de téléphone, sans oublier le développement
d’agences de presses nationales, et la production nationale de livres.

31
Ensuite, les membres de la commission McBride ont fait ressortir les implications
sociales de la communication et les tâches nouvelles à assigner aux médias en tenant compte
des mécanismes nationaux d’intégration et de réappropriation des TIC dans les secteurs les
plus défavorisés et ceci sans tomber dans le piège de l’acculturation. (‘‘Préservation de
l’identité culturelle en éliminant les situations de dépendance mais en favorisant en même
temps l’établissement de relations avec d’autres cultures…’’).

Enfin, les normes devant réguler les pratiques de collecte de nouvelles et d’opinion
n’ont pas été omises par la Commission qui a insisté sur les mesures à prendre par chaque
pays afin de gérer ses correspondants étrangers.

Le rapport « Voix multiples, un seul monde » fait sauter des verrous mais les
nombreuses controverses et interprétations ayant résulté de sa compréhension par les
différentes forces en présence ont rendu les négociations difficiles au point où l’Assemblée
générale de l’UNESCO réunie à Belgrade en 1980 n’a pas pu approuver le rapport, et s’est
contentée d’en prendre acte. En réalité, la revendication du NOMIC signifiait entre autres une
élimination des déséquilibres et inégalités en communication, une élimination des effets
négatifs des monopoles publics ou privés excessifs, la suppression des obstacles internes et
externes qui s’opposent à une circulation libre et une diffusion plus large et mieux équilibrée
de l’information.

Malheureusement au carrefour des thèses défendues, on note de nombreuses


contradictions entre les socialistes (soutenant la décolonisation complète de l’information), les
occidentaux (dénonçant l’hypocrisie de la démocratisation vue comme une libération par
rapport aux puissances étrangères), et les modérés (soucieux de la sauvegarde de leur
indépendance culturelle). Le rapport McBride ne fait donc pas l’unanimité et l’UNESCO dans
une posture de juge et arbitre n’est pas arrivé à dépasser les controverses pour rééquilibrer le
débat autour d’un consensus qui arrangerait tout le monde.

Malgré son caractère universel, global et multidimensionnel basé aussi bien sur la
dimension sociale que le développement de la communication au nom du principe de la
liberté de l’information, le rapport McBride a fini par accoucher d’un NOMIC mort-né et
l’UNESCO impuissant sombra dans un coma aussi bien structurel qu’administratif et
financier.

32
C’était pourtant prévisible et cet échec était certainement inévitable dans la mesure où
ceux à qui profitaient le système de circulation unilatérale de l’information (en occurrence les
Etats-Unis) contrôlaient bien le phénomène qui était organisé en faveur du centre du système
depuis très longtemps. La grande puissance ne saurait concevoir, de renoncer à sa suprématie
et de céder aux organisations internationales la promotion à une échelle mondiale de ce
secteur stratégique. Dans son ouvrage « The Amazing Race » paru à New York à la fin de
l’année 1983, William Davidson n’a d’ailleurs pas hésité à affirmer, que les Etats-Unis
d’Amérique avaient décidé de quitter l’UNESCO précisément parce qu’elle favorise
l’instauration du NOMIC. Le retour des Etats-Unis ne confirmerait-il pas alors l’hypothèse
selon laquelle l’UNESCO aurait été contraint de revoir ses politiques de développement de la
communication dans un sens qui favorise à nouveau les intérêts des Etats-Unis et ceci après
avoir subi des pressions et des restrictions budgétaires des bailleurs de fonds américains? Il
est en tout cas certain qu’avec l’échec de l’instauration du NOMIC, les rapports Nord-Sud
vont d’abord se crisper, puis retrouveront de nouveaux centres d’intérêts grâce aux enjeux
économiques suscités par les prouesses techniques irréfrénables des années 80-90 (émergence
des débats sur les TIC).

III- Conséquences de l’échec du NOMIC

La conclusion du rapport McBride et l’échec du NOMIC feront naître le thème de la


dépendance culturelle avec Salinas et Paldan : L’analyse du contenu n’est pas importante,
mais c’est l’analyse du processus de production de ce contenu qui compte. Ensuite,
l’UNESCO a décidé d’éradiquer de son langage administratif, jusqu’au sigle de NOMIC. Ce
tabou a paralysé dans l’institution la possibilité d’un retour critique sur le passé et ses
contradictions. Finalement, le nouvel ordre mondial de l’information et de la communication
a été enterré par l’agence des Nations unies, à la fin des années 80, avec la promotion d’une
«nouvelle stratégie de communication» visant à promouvoir une large diffusion de
l’information.

C’est en effet au milieu des divergences sur le rapport McBride que l’UNESCO a
organisé la réunion de la conférence Intergouvernementale pour le Développement de la
Communication (DEVCOM). L’un des premiers succès du dialogue Nord-Sud qui a permis à
A. M. M’Bow de quitter la tête de l’UNESCO par la grande porte, et sur une lueur d’espoir

33
est bien l’adoption par consensus de la résolution 4/21 décidant « d’instituer, dans le cadre de
l’UNESCO, un Programme International pour le Développement de la Communication ».
Nous reviendrons plus loin sur le bilan dont pourrait se targuer aujourd’hui ce programme
notamment en Afrique après 27 ans de coopération internationale pour atteindre les objectifs
fixés depuis 1980.

Le NOMIC a bien vite été oublié et ceci compte tenu des changements qui se sont
opérés dans la décennie 80-90 sur la nature des discours et des débats. Masmoudi Mustapha,
qui était l’un des membres de la commission internationale McBride sur la communication
écrivait dans son ouvrage24 complémentaire au rapport que : « La commission a mis en
évidence les liens qui existent entre le NOEI25 et le NOMIC, ce dernier étant le corollaire et
une partie intégrante du premier. Entre les deux, il existe une relation cohérente qui tient au
fait que l’information est devenue désormais une ressource économique fondamentale, qui
assume une fonction sociale essentielle, mais qui est aujourd’hui inégalement répartie et mal
utilisée. »

Armand Mattelart évoque également ce passage à un nouvel impératif industriel et


économique lors d’un entretien réalisé par Antonia García C. pour la revue Cultures &
Conflits (C&C) sur le thème « Société de la connaissance, société de l’information, société de
contrôle ». Il confie à cet effet que : « Au niveau de la politique internationale, les débats ont
également changé de nature et se sont déplacés sur un terrain purement économique et
technique. Jusqu’au milieu des années 80, les débats sur l'avenir des communications avaient
encore lieu au sein de l’UNESCO, en présence de nombreux représentants des pays émergents
et en développement. Aujourd’hui, les décisions les plus importantes en matière d'information
et de communication sont prises au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), de
la Conférence pour le commerce et le développement (UNCTAD), de l’Organisation pour la
Coopération et le Développement Economique (OCDE), de l’Union Internationale des
télécommunications (UIT) ou de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle
(OMPI). Dans ces instances, les pays pauvres et en développement sont soit peu représentés,
soit soumis à de fortes pressions et menaces de rétorsions. Leur participation aux débats est
donc faible. ». Le même constat n’a pas non plus échappé à Jean-François Têtu qui , lors du

24 MASMOUDI Mustapha, Voie libre pour monde multiple, Paris, Economica, 1986.
L’auteur décrit ici l’évolution et les objectifs du NOMIC de même que ses dimension technique, économique,
sociale et culturelle.
25 NOEI : Nouvel Ordre Economique International.

34
Premier colloque franco-mexicain – Mexico du 8 au 10 avril 2002 : Identité, culture et
Communication, intervint en ces termes : « Si l’UIT a franchi le cap de deux guerres
mondiales, la montée et les désordres des totalitarismes, on voit bien, dans le combat entre les
organismes de "régulation" actuels et les tentations d'hégémonie de la part de quelques acteurs
économiques majeurs, que l'enjeu n'est plus celui de la maîtrise idéologique dans un territoire
(ce qui serait une question de combat culturel), mais celui de la domination des marchés. »
Les enjeux que sous-entend ce phénomène sont certes nombreux et les acteurs concernés par
l’actuelle mutation sociale et économique se manifestent désormais tant au niveau local
qu’international. Les Nations Unies, conscientes de son ampleur et l’ONU se rendant compte
depuis quelques années du besoin d’une approche multipartite sur ces questions, a créé un
groupe d’étude sur les TIC («UN ICT Task Force ») ayant pour vocation de réaliser un travail
de coopération entre les différents acteurs.
Il faudrait tout de même remarquer qu’en dehors des déplacements des lieux des
débats et de la nature des débats, les acteurs qui animent les débats restent pratiquement les
mêmes. Rien n’aurait donc véritablement changé en 27 ans, puisque la communauté
internationale est toujours à la recherche d’un ordre dans un contexte de mondialisation et de
globalisation qui suggérerait ici l’idée de désordre. C’est à croire que nous en sommes encore
à ce que Sylvain Bemba (Congo) préconisait dans les années 1978 : ‘‘assainir la conjoncture
économique mondiale’’ et sa phrase, « le bout du tunnel n’est pas pour demain », semble
toujours être d’actualité.Des bouleversements géopolitiques sont cependant pointés dans le
rapport mondial sur la communication en 1997. L’UNESCO y affirme que si les
bouleversements géopolitiques ont modifié les relations entre pays du Nord, « au Sud de
nombreux pays passent d’un Tiers Monde uniforme et pauvre à un Sud plus différencié ». En
effet, l’UNESCO défend ici l’idée selon laquelle la traditionnelle distinction entre pays
industrialisés et pays en développement apparaît de plus en plus nuancée. Si de nombreux
pays tant qu’en Asie, qu’en Amérique Latine ou en Europe centrale et orientale réussissent
des percées économiques, l’UNESCO précise que ces nouvelles opportunités de croissance ne
peuvent masquer les inégalités économiques majeures tant entre les pays industrialisés et
ceux en développement, qu’à l’intérieur même des pays qui bénéficient de cette croissance.

C’est pourquoi notre échelle d’analyse Nord-Sud ne saurait nous élever à hauteur d’une
quelconque prise de position radicale d’appréhension des rapports géographiques dominés-
dominants, mais reste une simple référence historique au contexte des débats sur les
inégalités.

35
Aujourd’hui, nous notons tout comme l’UNESCO une certaine évolution de l’échiquier
géopolitique qui nous oblige à faire évoluer aussi certains fondements de nos réflexions. C’est
ainsi qu’en dépassant les stéréotypes, nous aborderons la question de la fracture numérique et
celle de la solidarité numérique dans un contexte d’interdépendance inégale26.

Chapitre 2 : La facture des fractures

I- Fracture numérique et sous-développement en Afrique

La problématique des inégalités, notamment entre pays du nord et pays du sud, est
revenue sur le devant de la scène avec l’organisation du SMSI. Toutefois, le contexte a bien
changé et n’est plus le même que celui des années 80 que nous avons analysé dans le chapitre
précédent. De la chute du mur de Berlin au nouvel ordre mondial prôné par la Maison
Blanche, en passant par le développement d’un nouveau capitalisme financier et par la
croissance de l’internet auprès d’une vaste population dans les pays les plus riches, le
développement de la société de l’information n’arrive pas à être évoqué sans la notion de la
fracture numérique telle la bonne senteur d’une rose et la douleur provoquée au toucher par
ses épines. Car en effet, les discours sur la société de l’information sont mirobolants et
insistent sur le développement de cette société en tant que panacée aux problèmes de sous-
développement des pays africains à un point où nous ne pouvons plus nous empêcher de nous
demander : Quels liens pourrait-on véritablement établir entre développement et fracture
numérique ?

Nous tenterons de répondre à cette interrogation en décortiquant le concept


d’imaginaire social de la technique, lequel concept renforce les discours favorables à
l’installation des TIC en Afrique. Et dans un second temps, il s’agira pour nous de confronter
ces belles promesses et théories de développement basées sur les TIC par rapport au vécu
même de la fracture en Afrique.

26 Pour Bertrand Cabedoche, « Le concept d’interdépendance inégale avait fini par concurrencer celui de
dépendance, trop systématiquement associé à l’externalité et à la domination. Celle-ci existait, mais les minorités
n’étaient dépourvues de capacité à révéler leurs particularités et leurs résistances à certains moments. »
Cabedoche Bertrand, « Confondre les Représentations stéréotypés de l’Afrique dans les médias
transnationaux ? Une démarche épistémologiquement problématique », Colloque ‘‘Globalisation,
Communication et Cultures’’, Centre des Nations Unies. Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies
à Brazzaville, le 17 Avril 2007. p.4.

36
A- Fracture numérique et Développement : Quels liens ?

La volonté affichée par les pays non-alignés de mettre en place des systèmes
d’information capables de participer à l’édification nationale au lendemain des indépendances
a été vite étouffée car ces pays manquaient de ressources matérielles et de personnes
qualifiées pour utiliser les nouveaux moyens d’information à de véritables fins de
développement socio-économique. On voit bien donc que l’association de la technologie au
développement n’est pas un phénomène récent dans la mesure où chaque innovation
technologique, liée au secteur de l’information et de la communication était présentée depuis
les années 60 comme une solution pour que les pays pauvres amorcent le développement.
Selon Yvonne Mignot-Lefebvre : « la décolonisation ouvrait pour beaucoup de pays
nouvellement indépendants, la perspective d’un développement autonome. Mais des objectifs
prioritaires s’imposèrent quel que fut le choix idéologique : décoller économiquement afin de
rattraper le plus vite possible les pays riches. La croyance occidentale selon laquelle la
technologie permet de résoudre bon nombre de problèmes et de brûler les étapes était alors
bien partagée. Les télévisions éducatives sont une illustration caractéristique de cette croyance
car elles se situaient dans un secteur résolument de pointe, celui de l’information et de la
communication et s’appliquaient au champ de l’éducation de base qui était la préoccupation
première des responsables de cette période. Celles-ci furent l’objet, au moins en leur début,
d’un engouement extraordinaire de la part tout à la fois des promoteurs, des financiers et des
bénéficiaires.» 27
Les bénéficiaires au rang desquels on compte les pays africains sont justement restés
pendant longtemps des récepteurs passifs rêvant à un développement miraculeux fondé sur
l’imaginaire social des mythes de la technique. Lewis Munford28 affirmait à juste titre :
« Mettre en mouvement les grandes masses, les arracher de la vie normale, les projeter de
l’histoire immobile vers une histoire accélérée ne peut s’effectuer sans la production de
grands rêves sociaux mobilisateurs et des symboles qui les incarnent, (…) ni les idées, ni les
rêves ne font les révolutions mais, comment pourraient-elles se faire sans les rêves qu’elles
secrètent.» Patrice Flichy confirme également que l’imaginaire social permet à une société de
construire une identité à travers l’expression de ses attentes par rapport au futur et une société
sans imaginaire serait une société morte.

27 MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, « Technologies de communication et d’information. Une nouvelle donne


internationale ? », dans Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°138, avril-juin 1994, p.248.
28 MUNFORD Lewis, Du mythe de la machine, t. II, Fayard, Paris, 1974, p. 265-309, in, Patrice Flichy,
L’innovation technique : récents développements en sciences sociales. Vers une théorie de l’innovation, La
Découverte, Paris, 2003, p. 188.

37
C’est de cet imaginaire social que se nourrissent les pays du Sud et notamment les
pays africains ainsi que leurs dirigeants qui sont très ouverts et favorables à tous les discours
d’installation et de promotion des TIC en Afrique puisque comme le rappelle Annie
Chéneau-Loquay 29 , les réseaux de communications corrects et la connectivité à Internet sont
souvent proclamés par les grands organismes de l’ONU, ou de coopération régionale comme
des leviers indispensables au développement de l’Afrique. L’UNESCO aussi défend cette
vision selon laquelle les TIC symbolisent une nouvelle civilisation basée sur l’information et
le savoir en même temps qu’une nouvelle phase de développement économique, social et
culturel. Erkki Liikanen, Commissaire européen chargé des Entreprises et de la Société de
l’information, insiste à son tour sur la nécessité de ne pas isoler les TIC et de plutôt « les
intégrer à une politique globale de développement et au dialogue stratégique avec les pays
bénéficiaires. Telle est en effet la seule manière de profiter des avantages qu’offrent les
nouvelles technologies dans tous les domaines de la vie en société. »

Dans un article sur « Les modèles d’intégration des pays du Sud dans la « société de
l’information : entre assistanat, insertion et intégration», Alain Kiyindou précise que : « la
tendance consiste à faire croire que les nouvelles technologies sont obligatoires pour le
développement, que grâce à elles, le retard accumulé pourrait être rattrapé et tous les manques
comblés. Le rapport du PNUD sur le développement humain, la déclaration de principes du
SMSI, le rapport e-inclusion de la Commission de la Communauté Européenne en sont des
exemples frappants. On retrouve dans la plupart de ces discours, l’argument du leapfrogging
en ce sens que la diffusion des NTIC permettrait d’accélérer le processus de développement
des pays “ en retard ” et comblerait ainsi la fracture du développement.»

De nombreux projets de coopération technique dirigés par des organismes


internationaux ont ainsi vu le jour et visaient à favoriser le développement économique des
pays du Sud à travers l’introduction et la diffusion sur leurs territoires de technologies qui
étaient considérées comme ‘‘nouvelles’’ à l’époque. C’est justement dans ce contexte de la
forte influence exercée par le paradigme de la modernisation sur les théories de
développement de ces années qu’il faut mesurer l’importance acquise par les technologies de
la communication par rapport aux pratiques de coopération et de solidarité internationale.

29 CHENEAU-LOQUAY Annie (Coord.), Quelle insertion de l’Afrique dans les réseaux mondiaux ? Une
approche géographique, in, Enjeux des technologies de la communication en Afrique : du téléphone à Internet,
Paris, Karthala, 2000, pp. 23-61, p.42-43.

38
Le processus de développement par étapes (du simple au complexe, du traditionnel au
moderne), tel qu’il est démontré par Armand Mattelart, place la communication et ses
technologies en avant-poste dans la théorie de la modernisation. Ceci se justifie d’abord par
l’importance de l’amélioration des infrastructures de télécommunication d’une nation dans le
processus de développement de son système d’échanges commerciaux. Ensuite, il faut
reconnaître que les moyens de communication sont perçus comme des agents de
développement dans la perspective évolutionniste d’un passage linéaire de la société
traditionnelle à la société moderne. Ils sont assimilés à des producteurs de comportements
modernes susceptibles de remplacer les habitudes productives et de consommations liées à la
tradition. C’est sans doute pour cette raison que la thèse modernisatrice s’accompagne de la
théorie diffusionniste de l’innovation technologique.

Mais ces théories qui servent parfois de pilier idéologique aux stratégies adoptées par
les institutions internationales pour éradiquer au nom de la solidarité la misère et le sous-
développement des pays africains, constituent une vision déterministe et peut-être trop
idéaliste de la fracture numérique. Continuer à croire aujourd’hui que grâce aux TIC, on
pourrait “ brûler les étapes du développement ”, et lutter plus efficacement contre la pauvreté
est une utopie techniciste de plus. Aux peuples sous-équipés du Sud, on fait miroiter
l’ordinateur pour tous, outil miracle pour passer du sous-développement au développement,
sans même se préoccuper de l’adéquation entre technologie et contexte d’utilisation. D’où la
question qui est souvent posée par les chercheurs en SIC et qui révèle une certaine illusion de
la relation de cause à effet : « Sont-ce les ordinateurs qui créent la richesse ou est-ce la
richesse qui permet de s'équiper en ordinateurs ?». On ne saurait, en effet, apporter une
réponse rapide et tranchée à cette question sans tomber dans un déterminisme technologique
teinté de subjectivisme car la question en elle-même sous-entend un rapport direct entre
l’accès à la technologie et les possibilités de développement. Or quand la notion de « fracture
numérique » est couplée avec le déterminisme technique, elle apparaît plus comme un concept
idéologique ou politique que scientifique. Mais puisque notre démarche s’inscrit dans un
cadre scientifique, nous dirons que cette question pose la complexité de la fracture numérique
face à la relation qui peut exister entre l’incorporation des TIC dans les dynamiques sociales
et la transformation sociale qu’elle implique. L’objectivité à laquelle nous prétendons ne
saurait être remise en cause si nous concédons à Kemly Camacho que la fracture numérique
résulte des fractures sociales produites par les inégalités sur les plans économique, politique,
social, culturel, entre les hommes et les femmes, les générations, les zones géographiques, etc.

39
Cependant, à en croire Pierre Jalee30 « C’est le caractère asymétrique, des relations
d’interdépendance entre le centre et la périphérie qui garantit la pérennité du capitalisme, en
même temps qu’il entraîne le développement du sous-développement ». Mattelart Armand et
Erik Neveu constateront eux aussi que « La mondialisation des économies constitue un
processus de domination qui continue à se produire ».

C’est donc à bon droit que l’on peut s’inquiéter de l’envahissement de la « société de
l’information » par les acteurs privés et les multinationales qui la métamorphosent en un
centre commercial international ou en argument de vente pour ordinateurs familiaux,
réduisant ainsi les pays dits arriérés à un marché de plus à conquérir. De plus, c’est un
excellent marketing pour les grandes entreprises des télécommunications et de production et
commercialisation de matériel informatique que de réduire la fracture numérique à la simple
fracture technologique. Et c’est ce qui ressort souvent des discours de l’UNESCO qui
considèrent le développement des infrastructures comme le principal moyen de remédier à
cette fracture technologique. L’observation des réalités du terrain par le vécu de la fracture
met d’ailleurs vite en exergue le caractère stérile de ces discours.

B- Le vécu de la fracture en Afrique

Afin de bien appréhender les réalités de la fracture numérique en Afrique, une


définition préalable du concept même de la fracture numérique s’impose. Pour ce faire, nous
nous référons à la définition donnée par Elie Michel : « D’une manière générale, le fossé
numérique peut être défini comme une inégalité face aux possibilités d’accéder et de
contribuer à l’information, à la connaissance et aux réseaux, ainsi que de bénéficier des
capacités majeures de développement offertes par les TIC. Ces éléments sont quelques-uns
des plus visibles du fossé numérique, qui se traduit en réalité par une combinaison de
facteurs socio-économiques plus vastes, en particulier l’insuffisance des infrastructures, le
coût élevé de l’accès, le manque de création locale de contenus et la capacité inégale de tirer
parti, aux niveaux économiques et sociaux, d’activités à forte intensité d’information. »31

30 JALEE Pierre, Le pillage du Tiers Monde, Maspero, 1975.


31 MICHEL Elie, « Le fossé numérique. L’Internet, facteur de nouvelles inégalités ? », in Problèmes
politiques
et sociaux, la Documentation française, n°861, août 2001, p.32.

40
D’après cette définition, la fracture numérique ne représenterait donc qu'une toute
petite partie de l'ensemble des inégalités de développement. Ces inégalités caractéristiques du
"mal développement" des pays africains se mesurent par l'usage et l’accès aux TIC comme les
téléphones portables, l’ordinateur ou le réseau Internet. Si l’on considère avec Manuel
Castells32 que l’une des conditions nécessaires à l’intégration des Technologies de
l'Information et de la Communication c’est l’équité, c'est-à-dire le fait de donner les mêmes
chances aux populations rurales et urbaines, aux alphabètes et aux analphabètes, aux femmes
et aux hommes, aux populations du Sud et du Nord…, « on est appelé, tout en s’intéressant à
la réduction de la fracture numérique, à mener en parallèle une réflexion sur les causes de ces
inégalités qui, de l’avis de nombreux experts, dépassent le cadre strictement technologique. »
Ainsi critique-t-on le concept de «fracture numérique» en questionnant le discours dominant
qui fait des technologies l'unique instrument du bien-être collectif de demain. Le rapport
mondial sur le développement humain de 2002 souligne par exemple que malgré la diffusion
des TIC en Afrique depuis une décennie, le revenu des 5% de personnes les plus riches au
monde reste 114 fois supérieur à celui des 5 % les plus pauvres. Ce rapport ajoute qu’au
cours des années 90, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté en Afrique
subsaharienne est passé de 242 à 300 millions confirmant ainsi que la part du commerce
extérieur dans le PNB de ces pays n’a cessé de diminuer et reste même largement inférieur à
son niveau d’il y a 20 ans. Une régression qui s’accompagne logiquement de la baisse de
l’espérance de vie sur un continent dont la population rurale est toujours en recherche d’eau
potable, d’électricité et n’a pas fini de relever le défi de l’alphabétisation et de l’éducation.

James Steinberg, de la Brookings Institution de Washington, n’aurait-il donc pas


raison quand il pense que l'efficacité des TIC comme levier de développement dépend des
facteurs qui se trouvent très souvent «en amont», comme les «ressources cognitives» et le
degré d'alphabétisation. Et sa pensée est renchérie par celle du commissaire européen chargé
des entreprises et de la société de l'information, Erkki Liikanen : «L'accès aux TIC, notait-il,
est tributaire de la nature de l'infrastructure d'information et de communication, de l'état de
développement des systèmes économiques et juridiques et des capacités éducatives et
formatives.»33

32 CASTELLS Manuel, La galaxie Internet, Fayard, 2001.


33 «TIC et développement : combler la fracture numérique», Le Courrier ACP-UE, mai-juin 2002, p.37.

41
Ce serait aller trop vite en besogne que de conclure à partir de ces constats et analyses
que les TIC ne servent qu’à creuser le fossé des clivages socio-territoriaux en donnant plus
d’envergure à l’aspect horizontal de la fracture (entre régions d’un même pays, ou entre
différents pays sur le même continent africain). Néanmoins, nous pouvons nous permettre
d’affirmer sur la base de ces réalités sociales, ou du moins sur la base de ces réalités
statistiques, que ces technologies ne sont ni une réelle priorité, ni comme le prétendraient les
discours tenus par les organisations internationales le facteur principal d’amélioration du bien
être humain. Encore faudrait-il vérifier si ces réalités statistiques traduisent réellement le vécu
de la fracture numérique. C’est une autre manière de se poser la question de savoir si la
fracture statistique34 reflète réellement la fracture numérique ou si elle n’est pas plutôt inscrite
dans une tendance technicienne et marchande. Cette dernière hypothèse apparaît plus
plausible puisque les mesures standardisées du progrès vers la société de l’information par
des indices statistiques quantitatifs élaborés par les grandes organisations internationales du
néolibéralisme se concentrent sur des indications sur l’infrastructure (« l’Indice d’accès
numérique ou IAN » de l’UIT et le «network readiness of economies» de la Banque
mondiale). Ces indications légitiment la volonté de certaines multinationales à équiper la
planète en matériel informatique et en outils de télécommunication. Or, une autre réalité que
nous ne devons pas perdre de face est bien celle de la rapide obsolescence des TIC qui place
les pays du Sud dans une perspective de course sans fin, toujours en retard. Même si leur
connectivité s'améliore dans l'absolu, l'écart technologique perdure.
En définitive, « la techno-utopie d’une modernité dépourvue d’un projet de société a
balayé le rêve émancipateur d’un projet de modernité fondé sur le désir d’en finir avec les
inégalités et les injustices. Les maîtres du monde incitent d’ailleurs ouvertement à croire que
cet idéal est révolu. En lieu et place d’un véritable projet social, le déterminisme techno-
marchand qui institue la communication sans fin en héritière du progrès sans fin. La
performance des systèmes de transmission numérique s’est trouvée propulsée en paramètre de
l’évolution de la grande famille humaine vers l’ultime phase de son histoire. Le marché
comme la technique se muent en forces de la nature. Telle est en tout cas la représentation
dominante des TIC au seuil du troisième millénaire » 35. Et cette représentation se traduit bien
dans les réflexions ressortant des deux phases du SMSI de Genève (2003) et de Tunis (2005).

34 Dr KSIBI Ahmed, De la fracture numérique en Afrique à la fracture statistique, 71th IFLA General
Conference and Council, Du 14 au 18 Août 2005, Oslo, Norvège.
35 MATTELART Armand, Vers quel nouvel ordre mondial de l’information ?, p.273, in L’idiot du village
mondial Michel Sauquet (sous la dir.), Editions Charles Léopold Mayer, 2004.

42
II- Bilan sommaire et critique du SMSI : de Genève à Tunis

Le terme « société de l’information » a été formalisé la première fois en 1998 lors de


l’Assemblée plénipotentiaire de l’UIT. C’est aussi dans la même année que l’ONU approuve
le projet d’organiser un Sommet mondial sur la société de l’information dont l’objectif serait
de : « Faciliter effectivement le développement de la société de l’information et contribuer à
réduire la fracture numérique ». Mais avant la tenue effective du Sommet, il y a d’abord eu en
2000, l’organisation du Forum économique mondial de Davos qui a lancé la Global Digital
Divide Initiative, regroupant des gouvernements, des ONG et surtout de grandes entreprises
comme AOL Time Warner et Microsoft, dans le but de «transformer le fossé numérique en
une opportunité pour la croissance ». Le G8 est ensuite entré en scène avec la publication de
la Charte d'Okinawa sur la société globale de l'information et la mise sur pied de la Digital
Opportunity Task Force (Dot Force). En décembre 2001, la Commission européenne a, de son
côté, adopté un projet destiné, selon les mots du commissaire au développement Poul Nielson,
à «mettre les TIC au service des pauvres de la planète ».Ces stratégies axées sur le
développement s'accompagnent le plus souvent de mesures de privatisation et de libéralisation
qui sont présentées par leurs promoteurs comme une condition essentielle de la baisse des
coûts de connexion et qui sont dénoncées par d'autres comme une aggravation de la
dépendance et des inégalités. Le sommet réussira-t-il à unifier ces points de vue divergents
par rapport aux enjeux ‘‘techno-marchands’’ du couplage de l’informatique avec les
télécommunications pour le tant prôné « accès universel à une multitude d’informations en
temps voulu » ? Pour Koffi Anan, « cette réunion planétaire est un moyen unique pour
développer une vision commune quant aux moyens de surmonter le fossé numérique.» 36

Même son de cloche chez Yoshio Utsumi, Directeur de l'UIT : « le Sommet doit aboutir à une
vision commune entre les chefs d'Etats, le secteur privé et la communauté des organisations
non-gouvernementales quant à la façon d'aboutir à un développement durable grâce aux
technologies de l'information et de la communication». La préparation du Sommet a regroupé
trois conférences préparatoires intergouvernementales (Prepcoms), ainsi que quatre
conférences régionales (Afrique; Europe, Etats-Unis et Canada; Asie et Amérique latine). A
ces réunions officielles, il faut ajouter une longue liste de manifestations et de rencontres
organisées notamment par l'UNESCO qui a toujours joué un rôle déterminant ces dernières
années pour promouvoir la liberté d'expression et la libre circulation de l'information.

36 Brochure d'information du SMSI, éditée par le Secrétariat exécutif du Sommet, Genève, juin 2002.

43
A- Déclaration de principes et plan d’action de Genève

La première phase du SMSI s’est tenue à Genève du 10 au 12 décembre et a eu pour


but d'adopter une déclaration de principes et un plan d'action. Nous n’avons nullement
l’intention de reprendre ici tous les principes de base énoncés à Genève et sur lesquels repose
la construction de la société de l’information. Notre démarche consistera plutôt à faire une
analyse de discours en nous attardant particulièrement sur quelques principes qui, malgré leur
prétendu caractère d’universalité, pourraient en réalité faire plus d’exclus que d’inclus dans
ladite société de l’information. Pour planter le décor, le premier principe s’énonce en tant
qu’une conception commune de la société de l’information : « Nous, représentants des
peuples du monde, réunis à Genève du 10 au 12 décembre 2003 pour la première phase du
Sommet mondial sur la société de l'information, proclamons notre volonté et notre
détermination communes d'édifier une société de l’information à dimension humaine,
inclusive et privilégiant le développement, une société de l'information, dans laquelle chacun
ait la possibilité de créer, d'obtenir, d'utiliser et de partager l'information et le savoir et dans
laquelle les individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en œuvre toutes
leurs potentialités en favorisant leur développement durable et en améliorant leur qualité de
vie, conformément aux buts et aux principes de la Charte des Nations Unies ainsi qu'en
respectant pleinement et en mettant en œuvre la Déclaration universelle des droits de
l'homme. » Des représentants des peuples du monde qui proclament subitement leur volonté
commune d’édifier une société de l’information : n’est-ce pas là le retour vers une pensée
holiste confondant l’humanité à la société des « Nous » ? L'enjeu « consiste pour nous à tirer
parti des possibilités qu’offrent les technologies de l'information et de la communication
(TIC) en faveur des objectifs de développement énoncés dans la Déclaration du Millénaire, à
savoir éliminer l'extrême pauvreté et la faim, dispenser à tous un enseignement primaire ,
favoriser l'égalité entre hommes et femmes et rendre les femmes autonomes, lutter contre la
mortalité infantile, améliorer la santé des mères, lutter contre le VIH/sida, le paludisme et
d'autres maladies, assurer un environnement durable et élaborer des partenariats mondiaux
pour parvenir à un développement propice à l'instauration d'un monde plus pacifique, plus
juste et plus prospère. (…) ». Il importe de savoir à ce niveau-ci à qui renvoie le pronom
« nous » utilisé au début de la déclaration (« l’enjeu consiste pour nous …»).
Qui doit tirer parti des possibilités qu’offrent les TIC ? La logique sociale et le
contexte de la coopération internationale dans lequel cette déclaration a été faite voudraient
que ce soit les pays africains et de façon générale les pays pauvres endettés, analphabètes…

44
Mais dans le schéma de la politique économique globale, c’est d’abord les autoproclamés
« maîtres du monde », les grandes multinationales et entreprises privées américaines de
fabrication d’équipements informatiques et de télécommunications qui sont les premiers
véritables profiteurs de cette situation. Le malheur des dominés pouvant faire le bonheur des
dominants, il apparaît qu’aussi longtemps que les pays du Sud resteraient dans leur état de
nécessiteux envers les TIC pour amorcer le développement, autant perdureront ces discours
fortement imprégnés de déterminisme technologique et dont les intérêts mercantiles sont
camouflés par l’intention affichée et la compassion sur-médiatisée d’aide ou de coopération :
« Nous sommes résolus à donner aux pauvres, tout particulièrement à ceux qui vivent dans
des zones isolées ou rurales et dans des zones urbaines marginalisées, les moyens de devenir
autonomes, d'accéder à l'information et d'utiliser les TIC comme outil dans les efforts qu'ils
déploient pour s'arracher à la pauvreté. » C’est comme si à la face du monde, on mettait en
scène des victimes qu’on vient sauver d’une incendie alors que les auteurs de cette incendie
ne sont rien d’autre que les pompiers37 jouant aux sauveurs et profitant les premiers de la
situation. Ils en profitent les premiers non pas parce qu’ils ont droit à des honneurs et des
médailles après leur acte de bravoure et de sauvetage, mais surtout parce qu’ils en tirent des
primes et des avantages financiers importants pendant que les rescapés (ignorants et « idiots
du village planétaire ») se contentent de la satisfaction illusoire d’avoir été sauvés. Il va sans
dire que les pompiers ici sont les Etats-Unis et leurs vassaux tandis que les victimes sont
concentrées dans les 2/3 restants de la population mondiale. Les TIC représentent dans cette
métaphore l’eau abondamment déversée pour éteindre le feu, qui, symbolise quant à lui le
sous-développement et la misère.
Un autre principe atténue cette vision idéalisée des TIC et de la société « salvatrice »
de l’information telle que décrite dans le principe précédent : « Nous sommes conscients que
les TIC devraient être considérées comme un moyen et non comme une fin en soi. » Puis il est
précisé un peu plus loin que « Dans des conditions favorables, elles peuvent être un puissant
outil, accroissant la productivité, stimulant la croissance économique, favorisant la création
d'emplois et l'employabilité et améliorant la qualité de vie de tous. ». Préalablement donc à la
diffusion et l’intégration des TIC comme outils de développement dans un pays, il faudrait
des « conditions favorables » qui à notre avis se rapportent à la paix, la stabilité politique, la
démocratie et la bonne gouvernance dans un pays.

37 Nous tenons à souligner ici que le métier de pompier est un très noble métier que nous admirons et à l’égard
duquel nous avons un immense respect. L’allusion qui y est faite dans notre métaphore ne devrait donc en aucun
cas être interprétée comme un éventuel dénigrement ou mépris de la profession. Elle reste en effet un simple
rapprochement de faits.

45
Nous en concluons que contrairement à ce qui est communément admis, les TIC ne
sont pas des facteurs directs de développement d’un pays, mais bien plutôt des éléments de
modernisation qui peuvent être très efficaces pour l’essor économique d’un pays si celui-ci
réunit des conditions favorables au développement humain et social et bénéficie d’un bon vent
de relations régionales et internationales. Référence est justement faite dans la déclaration de
principes à l’importance de créer un ‘‘environnement propice’’. « Il est indispensable que les
efforts nationaux de développement en matière de TIC soient étayés par un environnement
international dynamique et propice, favorable aux investissements étrangers directs, au
transfert de technologies et à la coopération internationale, particulièrement en ce qui
concerne les finances, l'endettement et le commerce, ainsi que par une participation pleine et
entière des pays en développement aux décisions qui sont prises au plan mondial. Améliorer
la connectivité et la rendre financièrement accessible à l'échelle mondiale contribuerait pour
beaucoup à accroître l'efficacité de ces efforts de développement…Le meilleur moyen de
favoriser un développement durable dans la société de l'information est d'intégrer pleinement
les efforts et les programmes en matière de TIC aux stratégies de développement nationales et
régionales. Nous nous félicitons du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique
(NEPAD)38 et nous encourageons la communauté internationale à soutenir les mesures liées
aux TIC prises dans le cadre de cette initiative ainsi que celles qui relèvent d'efforts analogues
déployés dans d'autres régions. La répartition des fruits de la croissance alimentée par les TIC
contribue à l'éradication de la pauvreté et au développement durable. »

En outre, la déclaration de principes de Genève a bien mis l’accent et ceci est peut-être
un acquis positif sur « la capacité de chacun d'accéder à l'information, aux idées et au savoir et
d'y contribuer». Ceci passe forcément par le renforcement des capacités avec des mots clés
tels que : alphabétisation, enseignement primaire universel, formation permanente et
formation des adultes, reconversion, apprentissage à distance, sans oublier les capacités
nationales en matière de recherche-développement dans le secteur des TIC….

38 Le NEPAD résulte d'une fusion entre le plan OMEGA Sénégalais, sa composante économique dont
l'objectif est de combler le retard qui sépare l’Afrique des pays développés et le MAP, Millenium African
Plan, élaboré par les Présidents MBeki d'Afrique du Sud, Obasanjo du Nigeria, Bouteflika d'Algérie, et
Moubarak de l'Egypte. Les deux plans ont été fusionnés en un seul qui a été adopté par le Sommet de Lusaka
en 2001 pour devenir la vision de l'Afrique et sa stratégie pour accéder au niveau mondial par la mobilisation
des ressources intérieures et extérieures, en partenariat avec le monde développé. Les TIC sont l’un un des
secteurs super prioritaire du NEPAD.

46
Tous ces principes fondamentaux de l'édification d'une société de l'information
inclusive ont été formulés autour des résolutions de respect de la diversité culturelle, de
reconnaissance du rôle des médias, et de prise en compte des dimensions éthiques de ladite
société. Ils trouvent leur traduction dans un plan d'action rédigé sous la forme de mesures
concrètes, le but étant d’atteindre progressivement les objectifs de développement arrêtés à
l'échelle internationale, notamment dans la Déclaration du Millénaire, dans le Consensus de
Monterrey et dans la Déclaration et le Plan de mise en œuvre de Johannesburg. Reste
maintenant à savoir si les gouvernements et toutes les autres parties prenantes pourront
réaliser ces objectifs en coopérant et en travaillant de manière solidaire malgré les conflits
d’intérêts qui sont volontairement occultés dans les débats pour donner l’impression que le
« Sommet des Solutions » tiendra toutes ses promesses. En effet, la seconde phase du SMSI
sera l'occasion d'évaluer les premiers progrès qui auront été réalisés dans la réduction de la
fracture numérique.

B- Principaux engagements de Tunis

La phase de Tunis visait à approfondir les thèmes liés au développement et à effectuer


une première évaluation des actions mises en œuvre depuis le Sommet de Genève. Mais dans
les principaux engagements pris à Tunis, on note l’emploi très répétitif de la locution verbale
« Nous réaffirmons » ou de l’adverbe « Egalement ». Si le plan d’action de Genève a été une
prise de conscience de la fracture numérique, les engagements de Tunis auront été simplement
une réaffirmation de cette prise de conscience et une certaine exhortation des gouvernements,
du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales à œuvrer ensemble
pour appliquer les engagements énoncés : « Nous réaffirmons ce qui a été énoncé dans les
paragraphes 4, 5 et 55 de la Déclaration de principes de Genève. Nous reconnaissons que la
liberté d'expression et la libre circulation des informations, des idées et du savoir sont
essentielles pour la société de l'information et favorisent le développement….Nous
réaffirmons les engagements pris à Genève et nous nous en inspirons ici à Tunis en nous
attachant aux mécanismes financiers destinés à réduire la fracture numérique, à la
gouvernance de l'Internet et aux questions connexes, ainsi qu'au suivi et à la mise en œuvre
des décisions de Genève et de Tunis, visées dans l'Agenda de Tunis pour la société de
l'information. » Nous remarquons en outre que les questions de mécanismes financiers, et
d’adoption des TIC par les petites, moyennes et micro-entreprises (PMME) ont fait l’objet
d’une insistance particulière dans les engagements de Tunis :

47
« Nous reconnaissons qu'il est nécessaire de mobiliser les ressources, tant humaines que
financières, conformément au chapitre 2 de l'Agenda de Tunis pour la société de
l'information, afin d'accroître l'utilisation des TIC au service du développement et de réaliser à
court, à moyen et à long terme des projets d'édification de la société de l'information, dans le
cadre du suivi et de la mise en œuvre des conclusions du SMSI… ». On retient également de
Tunis la demande faite à l'Assemblée générale des Nations Unies de déclarer le 17 mai
Journée mondiale de la société de l'information. Ceci contribuerait à sensibiliser l'opinion,
chaque année, à l'importance de ce moyen de communication universel et aux questions
évoquées dans le cadre du Sommet, en particulier aux perspectives qu'ouvre l'utilisation des
TIC dans les domaines économique et social, ainsi qu'aux possibilités de réduction de la
fracture numérique.

Aujourd’hui, deux ans après que les rideaux soient tombés du côté de Tunis, il urge de
savoir le sort qui a été réservé à tous ces discours et résolutions. Qu’est-il advenu de la mise
en œuvre des décisions prises à Genève et à Tunis ? Tous les efforts se sont-ils arrêtés avec la
fin du sommet ? Un bref aperçu sur l’état actuel des lieux assouvira sans doute notre curiosité
sur l’après Tunis.

C- Etat actuel des lieux

Nous ne saurions faire un état actuel des lieux et un bilan au lendemain du SMSI sans
préciser qu’il n’y a que deux ans qui ont séparé les phases de Tunis et de Genève et que nous
sommes aujourd’hui à peine à deux années après la clôture du sommet. Entre le Sommet sur
le développement durable de Rio, en 1992, et celui de Johannesburg, en 2002, dix ans se sont
écoulés. Pourtant ces dix années n'ont pas suffi à une réelle mise en œuvre des accords de Rio.
Considérant donc l’intervalle court de temps ayant séparé les deux phases du SMSI et les dix-
huit mois qui viennent de s’écouler au lendemain du sommet, il s’avère qu’une évaluation de
la mise en œuvre du plan d'action de Genève ne peut être que très sommaire. Cependant nous
analyserons tout au moins la teneur même des décisions prises lors du sommet afin d’en peser
la faisabilité et de nous projeter sur les réelles retombées du SMSI.

48
A la première phase du SMSI à Genève en 2003, l’objectif était bien de formuler de
façon parfaitement claire une volonté politique et de prendre des mesures concrètes pour
poser les bases d'une société de l'information accessible à tous, tout en tenant pleinement
compte des différents intérêts en jeu. Ont répondu présents à cette grande messe de
l’information 50 chefs d'État ou de Gouvernement et Vice-présidents, 82 Ministres et 26
Vice-ministres de 175 pays, ainsi que d'éminents représentants d'organisations internationales,
du secteur privé et de la société civile. Ils ont apporté un appui politique à la Déclaration de
principes de Genève et au Plan d'action de Genève qui ont été adoptés le 12 décembre 2003.

Mais pour Jean-Louis Fullsack, « le plan d’action de Genève a été peu suivi des faits
parce que sa rédaction, pour le moins, laisse quand même des lacunes importantes ou des
flous qui empêchent les actions développées. Je pense qu’une des grandes lacunes du plan
d’action est qu’il n’a pas réussi à travers toutes ces propositions qui sont telles un catalogue
des grands magasins. Il n’y a aucune priorité, aucun échelonnement dans le temps, aucun
calendrier et a fortiori aucun financement (…) Le plan d’action est un document tout à fait
intéressant parce qu’il contient toute la problématique qu’il faut résoudre mais sans en donner
ni un déroulement, ni surtout des priorités.» 39 Et à Alain Kiyindou de renchérir : « le plan
d’actions de Genève ressemble beaucoup au plan Marshall parce qu’il est question
d’investissement, de voler au secours de populations démunies, de prêts, de donner du
matériel à des personnes qui en ont besoin. Ce qu’on oublie souvent, c’est que le contexte
n’est pas le même. Le contexte géopolitique a changé parce qu’à l’époque du plan Marshall, il
y avait des intérêts économiques bien sûr, mais il y avait surtout des intérêts stratégiques qui
étaient évidents. Mais aujourd’hui, ces intérêts n’existent pas. Donc ce plan d’actions qu’on a
mis en place aujourd’hui n’est pas accompagné de moyens de réalisation.»

Deux ans plus tard à Tunis, il s’agissait justement cette fois-ci de mettre en œuvre ce
Plan d'action de Genève et aboutir à des solutions ainsi qu’à des accords sur la gouvernance
de l'Internet, les mécanismes de financement, et le suivi et la mise en œuvre des documents de
Genève et Tunis.

39 Colloque Open Forum 2005 organisé par l’Agence Universitaire de la Francophonie. Entretien avec Jean-
Louis Fullsack, Alain Kiyindou et Michel Mathien. A voir sur le site de la Chaîne Colloques et Conférences
canalc2.tv :http://canalc2.u-strasbg.fr/video.asp ?idvideo=4218

49
Quoique la mobilisation ait été plus forte qu’à Genève (Plus de 20 000 participants
représentant 174 pays, 92 organisations internationales, 606 ONG, 226 entreprises et 642
journaux, soit environ deux fois plus qu’à Genève) et même si cette deuxième phase du
sommet s’est achevée par l’adoption le 18 novembre 2005 de l'Engagement de Tunis et
l'Agenda de Tunis, le sommet a eu du mal à éclairer les controverses, notamment sur le rôle
et l'influence de la société civile. Il a pu au demeurant insister sur les questions inhérentes au
développement, à la souveraineté nationale, à la liberté d'expression, à l'éducation, à la
diversité culturelle ou encore au droit international. Ces sujets ont été directement engagés et
privilégiés dans la profondeur des analyses par rapport à la question de fond, celle de la
réduction de la fracture numérique autour de laquelle les débats ont tourné mais sans jamais
mieux faire que de s’arrêter à des engagements et des promesses en lieu et place des solutions
concrètes très attendues.

Il est ainsi regrettable que la communauté internationale n’ait pas réussi à trouver les
moyens de transformer les principes de Genève en action afin d’éviter la cassure du monde
entre ceux qui sont dans l’économie de l’information et de la connaissance et ceux qui restent
à sa marge. Aujourd’hui, malgré tous les espoirs suscités au lendemain du SMSI, l’euphorie
des TIC a cédé place à une «perspective enivrante d'un monde entièrement interconnecté »40,
un monde dans lequel les réalités des inégalités demeurent toujours très alarmantes du point
de vue de l’écart qui ne cesse de se creuser particulièrement entre les pays développés et les
pays africains : Un Africain sur 40 a le téléphone, et il y a toujours plus de téléphones à
Manhattan que dans toute l'Afrique subsaharienne ; 90% des humains sont exclus des réseaux
de communication électronique ; 70% des 660 millions d'internautes vivent dans les pays
riches (16% de la population mondiale), 5% dans les pays les plus pauvres (40%) ; sur 10
Suisses, 7 ont un ordinateur et 5 surfent sur le Web. En Afrique, 1 habitant sur 130 a un PC et
1 sur 150 a accès au Net.

Shashi Tharoor (Sous-secrétaire général pour la communication et l'information


publique, Nations unies) affirme que « Nous vivons à l'ère de la révolution de l'information,
(…) une révolution qui offre beaucoup de liberté, un peu de fraternité et aucune égalité.». Et
le SMSI, au regard de ses résultats modestes, semble être effectivement un engagement
symbolique en faveur de plus de libertés, en faveur d’un peu de fraternité ou de solidarité,
mais pas d’égalité. Solidarité ‘‘numérique’’ ? Oui. Egalité ? Non. Car la solidarité n’a de sens

40 RIFKIN Jeremy, L'âge de l'accès, Paris, La Découverte, 2000, pp. 295-296.

50
que s’il existe des inégalités. Eliminer toutes les inégalités et se retrouver dans un monde
égalitaire est une représentation holiste, expression d’une certaine hypocrisie des
superpuissances, qui en réalité auraient beaucoup à perdre à ce que les principes d’égalité
déclarés à Genève et réaffirmés à Tunis soient transformés en actions, puis en réalité. Ces
superpuissances et en chef de file les Etats-Unis perdraient d’abord leur domination sur le
monde, avant de voir hypothéqués leurs intérêts économiques inhérents à la
commercialisation de l’information marchande et la diffusion des TIC dans les pays pauvres
sous le prétexte de solidarité numérique légitimé par les Nations-unies. Pourtant la question
de réduction des inégalités liées à la fracture numérique était très attendue au SMSI au point
où ce sommet était qualifié au départ du « Sommet des Solutions »41. A l’arrivée, la
Déclaration de la société civile au SMSI, le 18 décembre 2005, intitulée « Bien plus aurait pu
être réalisé » résume bien le constat général que le SMSI s’est achevé sans la résolution des
deux principales questions dont cette conférence des Nations Unies devait traiter : le
financement de l’infrastructure et des services pour « mettre les TIC au service du
développement » et la «gouvernance d’Internet ».

Le sommet a néanmoins le mérite d’avoir développé les réseaux humains Nord-Sud,


d’avoir fait naître de nouvelles collaborations et d’avoir créé des opportunités d’affaires, en
associant tous les pays, les gouvernements, la société civile et les entreprises, à un débat
habituellement réservé aux décideurs des métropoles technologiques. «Le tout premier
résultat de cette grande messe de l’information et de la connaissance, c’est le processus lui-
même. Dans l’esprit de ses initiateurs le SMSI devait sensibiliser les décideurs des pays en
développement à l’immense potentiel (des TIC) pour l’expansion future des économies,
l’amélioration du bien être des populations, la cohésion sociale et l’extension de la
démocratie.»42 Quoique cet objectif, particulièrement virtuel, fût largement atteint, il demeure
un objectif facilement muable en projet hégémonique de gouvernance mondiale via la
construction de l’intégration du monde par les technologies.

Mais l’UNESCO, puisque c’est sur cette institution que repose nos analyses, a-t-il été
réellement impliqué dans ce projet hégémonique ? Nous sommes au premier abord tentés de
répondre par la négative vu qu’elle n’a pas obtenu l’organisation du SMSI qui a plutôt été
confiée à l’Union internationale des télécommunications (UIT).

41 Cette expression a été utilisée la première fois par Yoshio Utsumi, Directeur de l'UIT.
42 RENAUD Pascal, SMSI : Avancée symbolique, résultats modestes, in Sciences au Sud, n°33.

51
Ce choix apparaît d’ailleurs assez ambigu puisqu’il n’est précisé nulle part dans le
mandat de l’UIT des questions se rapportant à l'éducation, la liberté d'expression, le respect de
la diversité culturelle, la propriété intellectuelle qui ressortent plutôt des prérogatives de
l’UNESCO. Ce choix ne saurait non plus prétendre s’être basé sur une quelconque expérience
de l’UIT sur le plan des enjeux politiques et sociaux de la société de l'information. Beaucoup
d’observateurs dont Antonio Pasquali (ancien Sous-directeur général de l'Unesco pour le
secteur de la communication) en viennent alors à la conclusion que le choix de l'UIT « est une
façon d'institutionnaliser la sourde oreille faite aux revendications sociales, de donner la
mauvaise réponse infrastructurelle à de bonnes questions super-structurelles, et de maintenir
la décision à l'intérieur de la sphère du pouvoir » : une certaine volonté d'évincer à priori des
thèmes sociaux et politiques controversés de l'agenda du Sommet.

Cependant, l’UNESCO n’est pas pour autant resté complètement écarté de ce sommet
et des débats qui y ont été tenus. Au contraire, on note son intervention aussi bien en aval
qu’en amont de l’organisation du SMSI. En aval parce que l’UNESCO est l’instigateur d’une
longue liste de manifestations et de rencontres préparatoires au sommet auxquelles ont
participé une coalition d'ONG concernées par la société de l'information 43. Et en amont parce
qu’il lui a été assigné trois rôle importants dans le processus de suivi et de mise en œuvre des
résultats du SMSI : En effet, l’UNESCO est chargé de mettre en œuvre les activités concrètes
du Plan d’Action de Genève dans le cadre de son budget et programme régulier. Avec l’UIT
et le PNUD, l’UNESCO s’est engagé à formuler la coordination multi-partenariats des
coordonateurs des lignes d’actions. Enfin, l’organisation doit aussi contribuer à faciliter la
mise en œuvre cohérente des lignes d’actions dans ses domaines de compétence. Elle agit
ainsi comme coordonnateur pour les lignes d’actions suivantes : Accès à l’information et au
savoir (C3), Téléenseignement (C7), Cyberscience (C7), Médias (C9), Diversités et identités
culturelles, diversité linguistique et contenu local (C8), Dimensions éthiques de la société de
l’information (C10). Ces lignes d’action font d’ailleurs directement partie de la stratégie en
quatre volets développée par l’UNESCO pour combattre la fracture numérique.
Malgré toutes ses missions assez nobles, du moins en apparence, et un peu favorisée
par le fait que l’organisation du SMSI ne lui ait pas été attribué, l’UNESCO reste toujours la
cible de critiques qualifiant ses discours de « pieux discours » qui n’arrêteront pas l’illusion
du numérique. Référence est souvent faite aux expressions ‘‘baguette magique du
développement’’, ‘‘numérique, salut pour les nations pauvres’’ utilisées par l’UNESCO au

43 CRIS (Communication Rights in the Information Society).

52
SMSI et faisant de l’instrument (les TIC), une finalité (le développement). En réalité, il
faudrait peut-être reconnaître avec Divina Frau-Meigs44 qu’« en tant qu’agence de l’ONU,
l’UNESCO n’est habilité ni à trancher, ni à s’autosaisir des débats. Elle ne fait que refléter les
tensions qui existent et se faire l’écho des voix contradictoires. Les étouffer serait contraire à
son mandat. ».

Mais si nous nous entendons sur le fait que l’UNESCO n’est qu’un messager, qui
d’une façon ou d’une autre subirait des pressions de l’ONU en se voyant obligé de tenir des
discours d’un certain type, alors il nous serait facile de comprendre que l’UNESCO soit la
cible de moult critiques puisqu’il est plus facile de « tirer sur le messager » que sur le
message. Parlant de messages, arrêtons-nous sur celui délivré par les représentants des pays
en développement et proposant l’idée d’un fonds de solidarité numérique. La solidarité
numérique est-il le dernier espoir de développement des pays africains ? Cet espoir sera-t-il
transformé en résignation et frustration comme l’ont été les revendications d’un NOMIC ?
Quel rôle tiendra l’UNESCO dans la concrétisation de cette solidarité ? Celui d’un messager
neutre, celui d’un arbitre influencé ou celui d’un parrain engagé ?

44 Professeur à l’Université d’Orléans, rédactrice en chef de la Revue française d’études américaines et membre
du comité de rédaction de Média Morphoses (INA-PUF).

53
Troisième partie :
Solidarité numérique en Afrique :
Vers une dépendance technologique
accrue de l’Afrique ou une
résorption de la fracture ?

« Nous passons d’une idéologie de


compétition à une idéologie
universelle de solidarité.»
Adama Samassekou, Extrait d’une
déclaration faite à l’issue de la
Prepcom de Tunis. (Juin 2004)

54
Troisième partie : Solidarité numérique en Afrique : Vers une
dépendance technologique accrue de l’Afrique ou une résorption
de la fracture ?

Chapitre 1 : Une volonté et une mobilisation internationale manifestes

I- L’e-inclusion à travers la solidarité numérique

Le 17 Mai 2006, lors de la célébration de la première journée mondiale de la solidarité


de la société de l’information, l’UIT a décerné à Maître Abdoulaye Wade, Président du
Sénégal, le prix UIT de la société mondiale de l’information. Un prix que le récipiendaire
considère non comme une récompense mais plutôt comme un encouragement à poursuivre
avec toutes les bonnes volontés la vulgarisation de l'ordinateur et l'accès du sud au Web. En
effet, c’est suite au succès du « Sommet de Lyon », qui a réuni en décembre 2003 plus de 300
élus du monde entier pour débattre des grands enjeux de la société de l’information au 21ème
siècle, que les villes de Lyon, de Genève, la province du Piémont et la République du
Sénégal ont engagé une initiative mondiale sur la solidarité numérique.

L’idée45 du Fonds de solidarité numérique a été ensuite officiellement lancée par le


Président Sénégalais à travers une proposition des pays en développement au Sommet de
Genève. Cette idée a alors pris forme dans l’un des principes de la Déclaration de Genève à
l’issue de la première phase du SMSI : « Nous reconnaissons que l'édification d'une société
de l'information inclusive exige de nouvelles formes de solidarité, de partenariat et de
coopération entre les gouvernements et les autres acteurs, c’est-à-dire le secteur privé, la
société civile et les organisations internationales. Conscients que l'objectif ambitieux de la
présente Déclaration - réduire la fracture numérique et garantir un développement
harmonieux, juste et équitable pour tous - nécessitera un engagement ferme de la part de
toutes les parties prenantes, nous lançons un appel à la solidarité numérique, aussi bien à
l'échelle des nations qu'au niveau international. »

45 « J'ai toujours pensé qu'une société de l'information plus équilibrée et plus harmonieuse devrait être fondée
sur une généralisation de l'accès à l'outil informatique pour éviter aux pays en retard dans ce domaine les risques
d'une marginalisation irréversible. Donner à tous la possibilité de se connecter, d'être à l'écoute, de se faire
entendre et de suivre la marche du monde: tel est le sens fondamental du Fonds de solidarité numérique.»
Maître Abdoulaye Wade, Président du Sénégal.

55
De Genève à Tunis, le principe s’est transformé d’abord en un pacte de solidarité
numérique visant à instaurer les conditions propres de la mobilisation des ressources
humaines, financières et technologiques nécessaires pour que tous les hommes et toutes les
femmes participent à la société de l'information naissante. Puis ce pacte s’est mué en
engagement à Tunis : « Nous nous engageons à travailler ensemble à la mise en œuvre du
pacte de solidarité numérique visé au paragraphe 27 du Plan d'action de Genève. La mise en
œuvre intégrale et rapide de ce pacte, dans le respect de la bonne gouvernance à tous les
niveaux, nécessite en particulier une solution rapide, efficace, complète et durable au
problème de la dette des pays en développement et, le cas échéant, un système commercial
multilatéral universel, reposant sur des règles, ouvert, non discriminatoire et équitable, qui
soit susceptible par ailleurs de stimuler le développement dans le monde entier, dans l'intérêt
des pays à tous les stades de développement ; elle nécessite également la recherche et
l'application effective d'approches et de mécanismes internationaux concrets afin de renforcer
la coopération et l'assistance internationales en vue de réduire la fracture numérique. »

Aujourd’hui, le résultat est bien là, faisant du Fonds de solidarité numérique (FSN), la
première réalisation concrète de l’Agenda de Tunis, une nouvelle organisation mondiale
entièrement dédiée à la lutte contre la fracture numérique et créée pour financer le
développement d’une société de l’information plus équitable. Mais pour Meryem Marzouki,
« s’il a déjà commencé à fonctionner et affiche désormais l’ambition d’ancrer dans le droit
international le principe d’un financement innovant pour réduire la fracture numérique », le
FSN n’en a pas moins fait l’objet de controverses entre les États comme au sein de la société
civile. Les gouvernements du Nord, en particulier ceux de l’Union européenne et des États-
Unis, ont fait valoir leur scepticisme vis-à-vis du fonctionnement des mécanismes de
financement existants, notamment en ce qui concerne la transparence de la gestion et de
l’attribution des fonds, et l’évaluation de leurs résultats en termes de financement du
développement mondial.» 46 Au fait, ce que ne semblent pas avoir compris les pays du Nord,
c’est qu’il ne faudrait pas confondre les financements de la coopération bilatérale et le fonds
qui serait engagé au nom de la solidarité numérique. Ces pays voudraient que l’Afrique utilise
les mécanismes de coopération déjà en place, en les perfectionnant au besoin. Or, la solidarité
numérique est un plus qui vient s’ajouter aux mécanismes existants de coopération.

46 MARZOUKI Meryem, Le SMSI, un Sommet pour rien ? Les principaux problèmes demeurent à l’issue du
Sommet des solutions, Communication au séminaire international « La société de l’information dans la
coopération au développement. Un nouveau défi pour les bibliothèques » 4-5 mai 2006, Séville.

56
D’ailleurs dans cette nouvelle coopération, le rôle des entreprises privées et surtout celui
des villes et des pouvoirs locaux est déterminant car ils ont été les premiers à appuyer la
création du Fonds mondial de solidarité numérique. Signalons au passage que la ville de Lyon
est au cœur de cette solidarité puisqu’elle abrite le siège de l’Agence mondiale de solidarité
numérique47 qui a pour vocation de favoriser la mise en œuvre de projets de solidarité
numérique notamment à travers les mécanismes de la coopération décentralisée. L’agence
informe, conseille et fournit l’appui technique nécessaire à la généralisation des bénéfices de
la Société de l’information en agissant comme catalyseur dans la mise en œuvre de projets.
Elle facilite les synergies entre les porteurs de projets, l'expertise nécessaire pour les mener à
bien, les bailleurs de fonds susceptibles de les financer, et toutes autres entités pouvant
contribuer à la construction d'une société de l'information créative et solidaire. En outre,
l’Agence appuie la mise en œuvre du Plan d’action du Sommet Mondial sur la Société de
l’Information (Genève 2003 -Tunis 2005) et la mise en œuvre des engagements issus du
Sommet des Villes et des Pouvoirs locaux (Lyon 2003-Bilbao 2005). S’agissant des modalités
de financement et mécanismes d’investissement devant assurer la survie du fonds, le FSN
propose un mécanisme de financement innovant pour le développement et spécifiquement
consacré à la réduction de la fracture numérique (consistant pour les collectivités à introduire
une « clause de solidarité numérique » dans leurs appels d’offres relatifs aux technologies de
l’information. Cette clause prévoit le reversement de 1% du montant total du marché au FSN.)
Le principe du « 1% de solidarité numérique» basé sur la décision volontaire d’institutions
publiques ou privées, permet à tous d’agir concrètement pour l’édification d’une société de
l’information plus équitable. Prélevé sur la marge bénéficiaire du fournisseur, il n’implique
aucun coût direct pour l’institution qui l’applique. Clairement spécifié lors de l’appel d’offre,
son application ne peut faire l’objet d’une interprétation ou d’une négociation. Par
conséquent, il respecte les règles de la libre concurrence. Les sommes prélevées sur les
marges bénéficiaires des fournisseurs de biens et services relatifs aux TIC sont directement
réinvesties dans le même secteur d’activités. Cette contribution n’est donc ni un impôt, ni un
don, mais un investissement dans les marchés de l’avenir. Les institutions qui appliquent le
principe, ainsi que les fournisseurs qui répondent aux appels d’offre reçoivent le label de la
solidarité numérique et bénéficient de ses avantages .

47 L'Agence est reconnue par la Commission “Société de l’information” de Cités et Gouvernements Locaux
Unis comme l’instance spécialisée dans le soutien aux projets de coopération décentralisée dans le domaine de la
solidarité numérique.

57
En somme, on pourrait affirmer que le FSN n’est qu’une fondation privée comme il en
existe déjà de multiples, dont les ressources proviennent « des contributions volontaires
souscrites par les citoyens, des financements des institutions publiques locales (villes et
régions) et nationales, ainsi que du secteur privé et de la société civile ». Rappelons tout de
même que ce Fonds récolterait pour l’instant un montant de 8 millions d’euros avec l’espoir
chez ses promoteurs, à terme, de canaliser chaque année des dizaines de millions.

Il importe de s’interroger sur la contribution réelle de cette solidarité numérique pour la


réduction de la fracture numérique en Afrique puisque c’est un choix fait par les Africains
eux-mêmes. Aujourd’hui adopté par la plupart des nations du monde, le FSN serait-il un
instrument de légitimation et d’accentuation de la dépendance du continent en matière de
transfert de technologies vers le Sud? Ou bien le FSN conduira-t-il vraiment vers une
réduction de la fracture numérique ? C’est bien ce que semblent répondre les discours en
faveur de l’e-inclusion de l’Afrique qui fusent de toutes parts (ONG, puissances du Nord,
multinationales œuvrant dans les TIC...). Tous ces acteurs brandissent tel un trophée les
efforts consentis au nom de la solidarité numérique. Ceci est bien rapporté à travers un certain
nombre d’entretiens effectués par Ndzana Mvogo Godeffroy48, envoyé spécial du CIPUF
(Carrefour International de la Presse Universitaire Francophone), au lendemain de la clôture
du SMSI à Tunis : « "Nous, en Provence-Alpes Côte-d’Azur, nous nouons des partenariats de
solidarité numérique avec les pays de l’Afrique méditerranéens, nous leur faisons des
dotations en matériel informatique et nous procédons à des sessions de formation des
formateurs ", confie le chef de la délégation de cette région de France. A la question de savoir
pourquoi il n’existe pas de partenariat numérique avec l’Afrique subsaharienne, le chef de la
délégation considère qu’il appartient aux pays de l’Afrique méditerranéenne de prendre le
relais. Microsoft, quant à lui, contribue à la solidarité numérique par des formations en
informatique disponibles sur son site ou sur support CD. Cette formation prend le nom de "
curriculum ". Après entretien avec le représentant de cette corporation, nous constatons que
ses partenaires privilégiés dans le cadre de la solidarité numérique sont en fait les pays de
langue anglaise en Afrique. Interrogé à ce sujet, il répond que " pour nouer des partenariats à
des centaines de milliers de kilomètres, on a besoin de contact physique ", ce qui, de son avis,
n’est pas encore évident en Afrique francophone. »

48 NDZANA MVOGO Godeffroy, Sommet mondial de l’information : L’Afrique à la remorque du


numérique,
Novembre 2005.

58
Il ressort de ces analyses que la solidarité numérique se réduit à l’installation des
réseaux en zone rurale par voie satellitaire, à des dotations en matériel informatique, et à la
formation des formateurs. Mais, en prenant en considération le problème d’alimentation en
électricité de nombreuses régions en Afrique subsaharienne, on est en droit de s’interroger
sur l’effectivité de telles initiatives. Si Internet ne profite qu’aux habitants des grandes
capitales africaines, alors on comprend mieux pourquoi la région Provence-Alpes-Côte-
D’azur ne noue des partenariats en matière numérique qu’avec des pays de l’Afrique
méditerranéenne en excluant l’Afrique subsaharienne. L’e-inclusion est donc partielle et s’il
est exagéré d’assimiler dès maintenant la solidarité numérique à une solidarité géographique
fondée sur des intérêts économiques de sécurisation des marchés, et de maîtrise de
l’information en tant que capital, nous pourrions en revanche soupçonner que la solidarité
numérique soit partiellement un facteur d’aggravation de la dépendance technologique. Bien
qu’au Sénégal, par exemple, des jeunes Sénégalais des écoles sont mis en connexion avec des
jeunes Canadiens, ou que la télémédecine a commencé par être une réalité dans beaucoup de
pays d’Afrique, ce serait tenir un discours de fascination « naïve » que de se mettre tout de
suite à applaudir le FSN. Une chose est de transférer les technologies, et une autre est de
penser à l’adaptation des utilisateurs à cette technologie. A ce niveau, il serait déjà
souhaitable que les technologies soient adaptées aux utilisateurs envers lesquels ils sont
destinés ou tout au moins que leur transfert prévoie des mesures d’accompagnement pour leur
appropriation facile par les bénéficiaires. Ce constat remet en cause le modèle de l’assistanat
critiqué aussi par Alain Kiyindou dans les Modèles d’intégration des pays du Sud dans la «
société de l’information ». L’assistanat consiste pour l’essentiel à « doter les populations de
matériel nécessaire en attendant que les utilisateurs s’adaptent à la technologie. C’est cette
vision qui anime encore beaucoup de donateurs qui trouvent d’ailleurs dans la solidarité
numérique, l’occasion de se débarrasser des ordinateurs obsolètes. » Une réelle intégration ou
inclusion de l’Afrique dans la “Société de l’information” équivaudrait donc à adopter une
démarche différente de celle observée jusque-là, « qui consiste essentiellement à greffer les
nouvelles technologies dans ces pays. Il s’agirait plutôt de faire en sorte que les nouveaux
outils soient complètement en accord avec les capacités et les besoins des utilisateurs, de les
intégrer dans les tissus social et économique existant. C’est en tous cas ce qu’essaie de faire
l’UNESCO et les États concernés avec la mise en place des Centres Multimédias
Communautaires.

59
II- L’engagement de l’UNESCO : Le PIDC à la loupe

Le PIDC ou Programme International pour le Développement de la Communication est


le seul forum multilatéral du système des Nations Unies dont l’objectif principal était depuis
sa création en 1980 d’aider les pays en développement, sur leur demande, à « identifier les
besoins et domaines prioritaires… et à élaborer leurs plans de développement de l’information
et de la communication ». Le PIDC vise également à apporter l’appui requis pour
l’élaboration des projets de développement des infrastructures à travers l’assistance d’experts
ou de consultants de l’UNESCO. Conformément à la résolution de Belgrade ayant abouti à
son adoption, le programme accorde une priorité décroissante aux entreprises de dimension
régionale, puis sous-régionale et enfin nationale. Ainsi est confirmée la volonté des fondateurs
du PIDC : « d’accroître en particulier la contribution des moyens de communication à un
développement économique, social et culturel, endogène et de favoriser l’échange
international de l’information ». La spécificité du PIDC est que non seulement ce Programme
apporte une assistance aux projets relatifs aux médias, mais il vise également à établir les
conditions favorables à l’essor de médias libres et pluralistes dans les pays en développement.

Les efforts du PIDC ont eu un impact important dans un grand nombre de domaines
dont le développement des médias communautaires et des organisations de radio et de
télévision, la modernisation des agences de presse nationales et régionales, et la formation des
professionnels des médias. Le PIDC a distribué quelque 90 millions de dollars pour plus de
1000 projets dans 139 pays en développement et pays en transition. Depuis 1980, le PIDC
aide donc les pays en développement à accroître leurs capacités en matière de communication
et à améliorer la formation dans ce domaine. Le programme intergouvernemental «
Information pour tous » (PIPT)49, mis en place plus récemment en janvier 2001, est une autre
plate-forme de réflexions et d’actions pour soutenir le PIDC tout en contribuant à la réduction
de la fracture numérique.

49 Le PIPT est un programme intergouvernemental créé en 2000. Il est étroitement intégré aux activités du
Programme ordinaire de l'UNESCO, en particulier dans le domaine de la communication et de l'information. Le
PIPT travaille en étroite collaboration avec d'autres organisations intergouvernementales et des ONG
internationales, en particulier avec celles qui sont spécialisées dans la gestion et la préservation de l'information,
comme la Fédération internationale des associations de bibliothécaires et des bibliothèques (IFLA) et le Conseil
international des archives (CIA). Au début de 2006, on dénombre déjà plus de 50 comités nationaux pour le
PIPT qui concrétisent l'orientation du Programme au niveau des pays et permettent d'interpréter et de
promouvoir la vision du PIPT dans les communautés locales.

60
Mais depuis bientôt trois décennies, le PIDC dont la création était intervenue dans un
contexte justifié de déséquilibre des flux transfrontières et de revendication d’un NOMIC et
qui avait pourtant pour but de « réduire l’écart entre les divers pays dans le domaine de la
communication » n’arrive pas à prendre un véritable envol. Selon l’expression de l’un de ses
initiateurs, Mustapha Masmoudi, le programme donne aujourd’hui l’image d’un mécanisme
qui « tourne dans le vide ». En effet, le frein au développement international de l’information
et de la communication s’explique par les difficultés financières pour faire face aux urgences
multiples dans les pays les moins avancés. Entre temps, le nombre de ces pays, au lieu de
régresser avec les programmes de redressement structurels de la Banque mondiale et du Fonds
Monétaire International a, au contraire, progressé passant de 25 pays en 1971 à 49 en 1991.
Ceci nous fait penser à un probable «développement du sous-développement » en référence à
l’expression de Pierre Jalee.

Quoiqu’il ait approuvé en vingt ans 700 projets relatifs à la communication dans 130
pays en développement, le PIDC n’a financé que le tiers des projets présentés. Le montant de
ces financements s’est élevé à 78 millions de dollars, mais ceci reste une somme de loin en
deçà des besoins. « Même multiplié par dix ou vingt fois, le budget du programme ne
parviendrait à satisfaire les besoins de la communication du Sud. Il faut explorer de nouvelles
pistes de financement » estime le Vénézuélien M. Antonio Pasquali, ancien sous-directeur
général de l’UNESCO faisant remarquer que « le progrès technologique caractérisé par
l’obsolescence artificielle des TIC et du matériel informatique rend dérisoire tout effort de
rattrapage ». Face à l’indifférence de la plupart des pays industrialisés du Nord (excepté
l’effort financier remarquable de la France et des pays scandinaves) par rapport à la situation,
la mission du PIDC semble relever en plein parcours de l’impossible. Comment, en effet,
développer la communication et en équilibrer la circulation quand on sait que le taux de
connexion Internet en Afrique ne représente que 0,04% du taux mondial ? A en croire les
experts en communication ayant travaillé sur le PIDC, son bilan après des années d’existence
se résume à la somme d’un certain nombre de carences s’énonçant en termes de lenteur de
procédures, difficulté d’apprécier la manière dont un projet s’intègre dans le plan de
développement général d’un pays, de la justifier et de l’évaluer, insuffisance de crédits,…
Peut être que les modestes résultats du PIDC et l’impression de blocage qui se dégage de son
bilan de fonctionnement trouveraient leurs explications dans les raisons similaires à l’échec
du NOMIC puisque le programme était entre autre un instrument stratégique pour baliser
l’environnement à un nouvel ordre mondial tant réclamé par les pays du Sud.

61
Heureusement qu’il y a aujourd’hui un regain de confiance des donateurs ayant amené
le Bureau du Programme international pour le développement de la communication (PIDC) à
décider de financer 74 projets de développement des médias (dont 31 concernent l’Afrique)
dans 59 pays en développement, lors de sa 51ème réunion annuelle (du 27 au 29 mars 2007 au
Siège de l’UNESCO). Les pays donateurs qui soutiennent le PIDC ont augmenté de manière
significative leur contribution financière en 2006, ce qui a permis au programme de recueillir
cette année près de 2,7 millions de dollars à consacrer à des projets de développement des
médias.

Les principaux donateurs ont été le Danemark (445 000 dollars en 2006), l’Espagne
(531 000 dollars en 2006), les Etats-Unis (305 000 dollars en 2006), la Finlande (250 000
dollars en 2006), la Norvège (654 000 dollars sur deux ans) et la Suisse (501 000 dollars sur
trois ans). La Finlande et la Norvège ont doublé leur assistance financière au PIDC, tandis
que la contribution des Etats-Unis a été multipliée par cinq et celle de l’Espagne par dix.

Nonobstant ce regain d’intérêt des pays donateurs, les espoirs sont beaucoup plus
tournés aujourd’hui vers le Fonds de Solidarité Numérique. Le FSN réussira-t-il là où
le PIDC semble être tombé en panne sèche (par manque de carburant financier
nécessaire pour conduire ses nombreux projets jusqu’à terme) ? Ou l’histoire n’est-elle
qu’un éternel recommencement et que la solidarité numérique est juste l’invention
d’un nouveau concept pour entretenir les imaginaires sociaux de la technique en
Afrique et ressusciter les espoirs des actions entreprises dans le cadre du PIDC ?

III- Les autres institutions internationales : UIT, OMC, PNUD, OIF, BM…

L’UNESCO s’appuie dans son combat contre la fracture numérique sur un large
éventail de partenaires du système des Nations Unies (PNUD, UIT, OMPI et la Banque
mondiale). Il est également assisté par d’autres organisations internationales et
régionales (telles que l’Union européenne), des ONG et communautés professionnelles
actives dans ses domaines de compétence et bien sûr le secteur privé. Nous ne nous
intéresserons ici de façon brève qu’à quelques organismes internationaux dont le rôle
devient de plus en plus déterminant en terme de contribution financière par rapport aux
intérêts économiques et culturels en jeu dans la maîtrise de l’’information et de la
communication sur l’échiquier international.

62
En effet, les institutions internationales et régionales jouent pour la plupart un
rôle clé lorsqu'il s'agit d'intégrer l'utilisation des TIC dans le processus de
développement et de mettre à disposition les ressources nécessaires pour édifier la
société de l'information et pour évaluer les progrès réalisés. Les Nations Unies, en
particulier, constituent une arène intergouvernementale aidant à la prise de décision
concertée au niveau mondial. Elles représentent des plateformes multi-acteurs basées
sur le dialogue. Elles favorisent la réflexion, la prise de décision et l’action autour de
problèmes globaux majeurs qui ne peuvent trouver des solutions qu’à travers une
véritable concertation internationale. De plus en plus, elles rassemblent les différents
acteurs de la société autour d’une même table de négociation, comme ce fut le cas lors
du Sommet Mondial sur la Société de l’Information (SMSI, Genève – Tunis).

Mais face au débat sur le financement des mesures visant à réduire la fracture
numérique, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) est la première
organisation internationale à avoir reconnu officiellement le principe de solidarité numérique
et à avoir contribué financièrement à la dotation initiale du Fonds de Solidarité Numérique
(FSN). Certains observateurs pourraient expliquer cette prompte diligence de l’Organisation
Internationale de la Francophonie par le fait qu’il a à sa tête le Président Abdou Diouf, ancien
Chef d’Etat du Sénégal qui a transmis le pouvoir à Maître Abdoulaye Wade, actuel président
du Sénégal et initiateur du FSN. Toujours est-il que l’OIF n’est pas reconnue par les Nations
Unies comme le chef de file des institutions internationales pour l’édification de la société de
l’information.

Ce privilège revient plutôt à l’Union Internationale des Télécommunications (UIT)


dont « Les compétences fondamentales dans le domaine des TIC - assistance pour réduire la
fracture numérique, coopération internationale et régionale, gestion du spectre des fréquences
radioélectriques, élaboration de normes et diffusion de l'information - sont déterminantes pour
l'édification de la société de l'information. » Le choix de l’UIT comme institution onusienne
organisatrice du SMSI, au détriment de l’UNESCO traduit la tendance «technico-
économique» de la priorité stratégique pour les bailleurs de fonds états-uniens d’accélérer la
diffusion des réseaux au Sud. L’intégration des TIC dans toutes sociétés est la priorité
affichée aux dépens de son développement culturel et intellectuel. C’est la volonté
d’équipement de la planète toute entière, en réseaux et en ordinateurs qui semble prioritaire
afin de permettre la croissance économique via l’ouverture de nouveaux marchés.

63
C’est la raison pour laquelle, nous allons nous attarder particulièrement sur cette agence
spécialisée des Nations Unies en charge du secteur et du domaine des télécommunications.
Créée depuis 1865, l’UIT, avec ses 189 Etats membres et plus de 676 opérateurs du secteur,
est selon le terme employé par Jean-Louis Fullsack 50 « la vieille dame des
télécommunications ». Elle a pour mission principale de favoriser le développement et
l’extension des réseaux et services de communication et des TIC dans le monde entier. D’où
son projet présenté au SMSI et intitulé «Connecter le monde» : un projet qui vise à connecter
800.000 villages à l’horizon 2015. Mais ce projet ne saurait pour l’heure qu’être une
incantation récurrente et sans grande crédibilité. L’Union Internationale des
Télécommunications a également signé un mémorandum d’accord avec la société Oracle et
avec Cisco Systems en vue de créer cinquante centres de formation dans le monde. Mais
l’UIT reconnaît que ses ambitions ne suffisent pas pour relever le défi de la fracture
numérique. L’UIT lance alors un appel à d’autres organisations pour appuyer ses actions :
« Les efforts déployés en vue d’utiliser ces technologies pour réduire la fracture numérique,
ne relèvent plus du domaine réservé de l’UIT »51.

Cet appel n’est pas tombé dans des oreilles de sourd puisque très tôt, la Banque
mondiale a pris de multiples initiatives, dont son célèbre Programme d’information pour le
développement (InfoDev). InfoDev vise notamment la diffusion des conseils sur la politique à
suivre en matière d’utilisation des TIC pour le développement et sur la conduite à tenir à cet
égard.

Le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) n’est pas en marge
de cette forte mobilisation internationale autour des inégalités socio-numériques de la planète.
Avec son réseau unique 132 bureaux et son équipe de conseillers spécialisés régionaux et
mondiaux, le PNUD est en bonne position pour promouvoir l’utilisation à grande échelle des
TIC au service du développement grâce à sa vaste expérience dans ce domaine, notamment
les projets et programmes de TIC au service du développement : « Certes, il est indéniable
que nombre des merveilles technologiques qui fascinent le Nord ne sont d’aucune utilité pour
le Sud. Il n’en demeure pas moins que les activités de recherche et développement ciblant des
problèmes qui touchent plus spécifiquement les pauvres — de la lutte contre les maladies à
50 Membre du Conseil d’administration de CSDPTT. Directeur-adjoint honoraire de France Télécom, ancien
Expert principal près l’UIT. Il a rédigé un article intitulé « L’UIT, la vieille dame des télécommunications, dans
la tourmente néolibérale » et dans lequel il dénonce les dérives de l’UIT à travers ses choix et décisions
contestables contraires aux intérêts de la communauté mondiale, en particulier à ceux des PeD, et en tous cas
contre-productifs pour leur développement.
51 www.itu.int/ITU/PDE/2128-089-FR.doc

64
l’enseignement à distance — prouvent immanquablement que, loin de se contenter de venir
couronner le développement, la technologie en est un instrument indispensable. »52

En outre, à la demande du G8, le PNUD réfléchit avec la Banque mondiale aux


moyens de réduire la fracture numérique en encourageant des partenariats entre les secteurs
privés et publics. Disposant d’un Fonds d’affectation thématique spéciale TIC, le PNUD a
entrepris d´aider les pays d´Afrique en commençant par la création de milliers de
"cybercafés". Le rôle du PNUD est, avant tout, celui d´un catalyseur de projets plutôt que d
´investisseur. Le PNUD a par ailleurs des contacts avec des grandes entreprises occidentales
du secteur dont par exemple la société américaine Hewlett Packard 53 qui a annoncé son
intention d´investir pour un milliard de dollars, de manière non lucrative, dans les pays en
développement sur un projet d´équipement en site Internet que piloteront des fondations
privées. Il ne serait pas superflu de signaler que la plupart des organismes des Nations Unies
sont concernés par les technologies, soit parce qu’ils les utilisent, soit parce qu’elles ont une
incidence sur le contenu et l’exécution des programmes de coopération technique.

C’est d’ailleurs pour cette raison que la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le
développement (CNUCED), grâce à son Programme relatif aux Pôles commerciaux, cherche à
encourager les petites entreprises des pays en développement à se lancer dans le commerce
électronique afin de s’intégrer aux marchés internationaux et aux filières de plus-value. Un
autre constat important au niveau de tous ces efforts déployés par les organisations
internationales est celui du manque de coordination entre ces projets. Cette pléthore
d’initiatives témoigne certes d’une prise de conscience récente de la communauté
internationale sur la question des fractures. Mais on en sait peu sur l’efficacité réelle de ces
programmes et projets qui, profitant souvent des frontières poreuses de la communication
internationale, en viennent même à concurrencer les initiatives locales, les politiques
publiques en défiant ainsi la souveraineté nationale des pays censés bénéficier de ces projets.

52 PNUD, Rapport mondial sur le développement humain : Mettre les nouvelles


technologies au service du développement humain, De Boeck, 2001.
53 Hewlett Packard a lancé World e-inclusion, un projet qui prévoit la livraison de matériels informatiques
aux pays en sous-développement pour une valeur d'un milliard de dollars. Cette livraison, qui doit concerner
"près de 1 000 villages" en Afrique, en Inde ou encore en Chine, sera en partie gratuite et en partie financée par
des programmes de développement gouvernementaux ou internationaux.

65
Chapitre 2 : Communication internationale et souveraineté nationale : Les
limites des organisations internationales

I- Les enjeux géopolitiques de la régulation de la communication


internationale

Armand Mattelart54 nous rappelle que :« C’est à l’Unesco qu’à l’occasion du débat sur le
Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) et plus tard au Gatt
qu’il apparaît que l’autodétermination dans le champ de l’information et de la communication
est imbriquée avec l’autodétermination dans les domaines politique, social, économique et
culturel, et que la souveraineté nationale, l’identité culturelle, l’économie nationale et même
la sécurité nationale des pays dits en développement sont menacés par la communication
internationale. »
Les TIC ont ainsi profondément recomposé le monde depuis que la chute du mur de
Berlin a consacré de nouvelles doctrines militaires et diplomatiques basées sur la maîtrise de
l’information, ou la information dominance, socle de nouvelles façons de faire la guerre et la
paix, d’exporter le modèle de la démocratie de marché. La mondialisation ou globalisation de
l’économie et des échanges a été ensuite accélérée par les processus de dérégulation, de
libéralisation et de privatisation orchestrés par les organisations intergouvernementales avec
le soutien des politiques d'aide au développement des pays industrialisés.
C’est cet environnement qui selon, Ignacio Ramonet, nous conduit à une géopolitique du
chaos, inhérente à la révolution de l’informatique et de la communication ayant entraîné
l’explosion des marchés financiers et des réseaux d’information : « La transmission de
données à la vitesse de la lumière (300 000 kilomètres par seconde) ; la numérisation des
textes, des images et des sons ; le recours, devenu banal, aux satellites de
télécommunications ; la révolution de la téléphonie, la généralisation de l’informatique dans
la plupart des secteurs de la production et des services ; la miniaturisation des ordinateurs et
leur mise en réseau sur Internet à l’échelle planétaire ont, peu à peu, chambardé l’ordre du
monde » 55. La communication, au cœur de ce « système hégémonique instable et conflictuel
alternant phases de stabilités, de tensions et d’affrontements »56, devient alors un enjeu dont la
régulation est l’objet de grands débats car dessinant une cartographie mondiale des rapports
de richesse et de puissance.
54 MATTELART Armand, Passé et présent de la "société de l’information": entre le nouvel ordre mondial de
l’information et de la communication et le sommet mondial sur la société de l ‘information, p.12-13.
55 RAMONET Ignacio, Op.Cit., p.72.
56 CARROUE Laurent, Mondialisation – Globalisation : le regard d’un géographe, APHG - Régionale de
Caen - 22 novembre 2006.

66
Les autoroutes de l’information globales annoncées en 1994 à Buenos Aires à
l’occasion d’une conférence générale sur le développement et les télécommunications sous les
auspices de l’UIT, ont conduit en 1995 à la « société globale de l’information », appellation
adoptée à Bruxelles par le G7 des pays les plus industrialisés. Cette société globale est
présentée par les partisans du free flow comme assise d’un Nouvel ordre mondial de
l’information (NOMI) qui était rejeté quelques décennies auparavant par les mêmes acteurs.
Un balbutiement de l’histoire avec peut-être un nouveau départ : celui d’une ‘‘société de
l’information’’ érigée en véritable enjeu géopolitique. Solveig Godeluck57 écrit à cet effet que
« Le réseau (...) se déploie autour d'un hypercentre américain, presque en étoile, alors que la
vertu supposée d'Internet est justement sa décentralisation ». C’est là que réside la vraie
fracture numérique. Une fracture apparemment masquée par la volonté des grands pays,
détenteurs de la technologie et producteurs de contenus. Derrière ce masque de bon
samaritain, les pays industrialisés imposent, ou plutôt diffusent leurs normes et leur pouvoir.
Dans cette logique, l’invocation de la souveraineté nationale serait, quant à elle, un moyen
pour certains régimes autoritaires des pays du Sud de clamer leur exaspération face à la
menace d’une technologie qui les contourne. L’UNESCO, dans sa mission de rééquilibrage de
la circulation de l’information, a la possibilité de profiter du terrain balisé par la subversion
numérique des territoires pour transpercer le système informationnel des nations
indépendantes et pénétrer dans leurs politiques intérieures publiques. N’y aurait-il pas des
limites contraignant parfois l’UNESCO à rester dans un cadre bien circonscrit de ses
compétences ? Ne se heurte-t-il pas à des résistances idéologiques locales ou régionales ?

II- Les limites de l’UNESCO dans sa lutte contre la fracture numérique

L’UNESCO situe la lutte pour l’accès universel au cyberespace dans le cadre d’une “
info-éthique ” respectant la diversité culturelle et linguistique, garant du dialogue entre les
cultures, sans lequel le “ processus de la globalisation économique serait culturellement
appauvrissant, inéquitable et injuste ”. Ces politiques de lutte contre la fracture numérique
comportent quant à elles généralement deux volets : d’une part, l’aide à la diffusion de
l’ordinateur ; d’autre part, la formation des adultes dans le cadre de centres d’accès publics
tels que les bibliothèques, les médiathèques, les associations…Nous revenons ici sur
l’exemple des centre multimédias communautaires. Il s’agit en effet de centres locaux où sont

57 GODELUCK Solveig, La Géopolitique d'Internet, Paris, La Découverte, 2002, 247 p.

67
mises à la disposition du public des technologies de l'information et de communication. Le
terme “communautaire” se réfère à la fois à la propriété de la communauté et à l'accès de la
communauté au centre multimédia. Aujourd’hui, on parle de plus en plus de télécentres
communautaires polyvalents (TCP), qui sont des structures offrant une gamme des services
dans différents domaines (éducation/formation aux affaires, de la santé au gouvernement
local). Une étude récente pour la Banque mondiale, sur les politiques concernant les
télécommunications, remet tout de même en cause la rentabilité de ces télécentres dont le
fonctionnement est financé par des bailleurs de fonds externes. Les télécentres, selon l’étude,
ne peuvent pas être rentables car ils sont conçus davantage en fonction d’une vision des
bailleurs de fonds qu’en fonction de ce que les communautés sont réellement capables
d’assumer. D’ailleurs le premier problème et l’un des plus cruciaux qui se posent au niveau de
ces télécentres et face auxquels l’UNESCO reste indifférent pour des raisons d’insuffisance
budgétaire est bien le défaut de maintenance. C’est un problème essentiellement lié au
vieillissement du matériel qui est accéléré compte tenu des dures conditions climatiques. Etant
donné le coût élevé de l’électricité, rares son en effet les télécentres qui sont climatisés. Ou
soit, même quand le budget des factures électriques est alloué par les organisations
internationales, les gérants desdits télécentres détournent ces ressources financières et se
sentiraient contraints de couper la climatisation pour ne pas avoir à pays de leurs propres
poches les factures élevées. On ajoute à ces problèmes de conditionnement des appareils et
des technologies, celui du manque de personnel qualifié pour assurer la maintenance
informatique même des ordinateurs et fichiers dans le cas des télécentres.
Mais l’UNESCO essaie surtout dans ces actions d’intégrer toutes les dimensions
socioculturelles afin de contribuer à la réduction de la fracture numérique en plaçant la
personne humaine au centre des objectifs de développement. C’est d’ailleurs l’importante
contribution de l’institution à la préparation du SMSI qui se résume dans les quatre points
suivants :
- s’accorder sur les principes communs qui doivent régir la construction des sociétés du
savoir ;
- accroître les possibilités d’apprendre en donnant accès à des contenus et systèmes de
prestation des services éducatifs diversifiés ;
- renforcer les capacités en matière de recherche scientifique, de partage de l’information et
d’échanges culturels ;
- promouvoir l’utilisation des TIC aux fins du développement des capacités, de
l’autonomisation, de la gouvernance et la participation sociale.

68
L’UNESCO participe profondément sur la base de ces stratégies à la formulation de
politiques au niveau national et réalise des projets pilotes pour mieux explorer les possibilités
d’action multisectorielle sur le terrain, analyser les difficultés réelles, les problèmes les plus
urgents et tout ceci afin de proposer des voies de solutions suivant les différents contextes
socioculturels.

Cependant, l’UNESCO rencontre tout de même dans son combat pour la réduction de la
fracture numérique en Afrique des obstacles de natures diverses dont certains ont déjà été
évoqués au cours de ce travail. Nous citons entre autres : le problème des infrastructures
inadaptées, autant pour les sources d’énergie que pour les équipements informatiques, l’état
embryonnaire des réseaux de télécommunication et de diffusion de masse ; l’insuffisance des
ressources financières; l’analphabétisme persistant ; l’absence d’un environnement
scientifique apte à accueillir ces technologies ; le manque de formation à l’utilisation des
TIC ; la maintenance ou l’assistance aléatoire ; les contenus inadaptés voire inutilisables pour
des raisons linguistiques ou culturelles. Par ailleurs, l’UNESCO rencontre également des
résistances de type idéologique et des réticences relevant de l’ordre de la technophobie.
Notons que compte tenu de l’effet promotionnel des discours sur les TIC, il y a plus de
simples réticences technophobes que de véritables résistances idéologiques traduisant
éventuellement le refus des populations africaines (fortement conservatrices) à recevoir ces
technologies pour des motifs de préservation de leur identité culturelle. Le Président
Abdoulaye Wade se montrait d’ailleurs plutôt rassurant en affirmant que : « l’identité
culturelle ne signifie pas que je ne vais pas prendre l’avion parce que mes ancêtres ne l’ont
pas inventé. Il est certain que lorsque l’on utilise ces technologies au niveau populaire, le
peuple s’y exprime et y crée selon sa culture. Apprenez à des enfants à dessiner avec un
ordinateur, l’enfant du Sénégal ne dessinera pas comme un petit Norvégien. C’est un moyen
d’expression culturelle à la disposition de tout le monde. De plus, notre culture sera mieux
connue à travers le monde grâce aux nouvelles technologies.» C’est justement cette dernière
phrase qui confirme l’existence des croyances qui ont fini par s’ancrer dans la mentalité des
populations africaines qui, sous l’effet des discours répétitifs élogieux entretenus par les
promoteurs des TIC et relayés par les organisations internationales sont aujourd’hui
presqu’entièrement convaincues de l’utilité rédemptrice des TIC.
Il ne serait pas superflu de mentionner que le contexte des transferts de technologie du
Nord vers le Sud suit la logique du schéma de la communication tel que décrit par Shannon et
Weaver avec un émetteur (les pays industrialisés) et un récepteur destinataire (les pays

69
africains). L’émetteur apporte la technologie (message) vers les pays africains (destinataires)
sans tenir compte du bruit généré par les interférences culturelles du cadre de réception de la
technologie. Ici, seul le canal importe réellement, la production du sens n’est pas de mise.
L’information est ainsi coupée de la culture et de la mémoire. Et ceci pourrait être aussi une
autre justification de l’attribution de l’organisation du SMSI à l’UIT, qui est un organisme
technique des Nations Unies au détriment de l’UNESCO qui est la mémoire intellectuelle et
culturelle de la communauté internationale. Ce raisonnement sémio-épistémologique permet
de comprendre que l’OMC traite la culture comme un « service marchand » à l’égal des autres
à l’heure même où la diversité culturelle est au cœur des débats.

III- Plaidoyer pour une réappropriation culturelle des TIC en Afrique

L’ancien Président français, François Mitterand, déclarait : « Il serait désastreux d’aider


à la généralisation d’un modèle culturel unique. Ce que les régimes totalitaires, finalement,
n’ont pas réussi à faire, les lois de l’argent alliées aux forces des techniques vont-elles y
parvenir ? »58. Cette question posée depuis 1993 reste toujours d’actualité et nous fait penser
que la représentation idéologique59 de l’univers symbolique des techniciens, pour ne pas dire
des technocrates des TIC, serait de trop oublier les différences des cultures. Aussi une réelle
appropriation culturelle des TIC en Afrique s’avère-t-elle nécessaire pour nous rappeler qu’il
n’y a de richesses que de cultures. Pour affranchissant l’esprit humain John Perry Barlow,
dans sa Déclaration d'indépendance du cyberspace, réclame une indépendance de la liberté de
penser, de cliquer et de surfer dans un univers pluriculturel. « Gouvernements du monde
industrialisé, géants fatigués de chair et d'acier, je viens du cyberspace, le nouveau domicile
de l'esprit. Vous n'avez aucune souveraineté sur le territoire où nous nous assemblons. Nous
n'avons pas de gouvernement élu, et il est peu probable que nous en ayons un jour : je
m'adresse donc à vous avec la seule autorité que m'accorde et que s'accorde la liberté elle-
même. Je déclare que l'espace social global que nous construisons est naturellement
indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. Vous n'avez aucun droit moral à
nous gouverner, et vous ne possédez aucun moyen de faire respecter votre autorité que nous
avons de bonnes raisons de craindre.»
Divisée par des fractures sociales, numériques et cognitives, la société de l’information
est un alibi idéal pour ajouter de façon subtile à l’hégémonie économique, une autre

58 Le Monde, 25 Octobre 1993.


59 MATTELART Armand, « Les nouveaux scénarios de la communication mondiale », in Le Monde
diplomatique, Août 1995, p.24.

70
hégémonie qui réduira le monde à un seul modèle de pensée : l’hégémonie culturelle. Comme
l’écrit l’administrateur du PNUD, M. Malloch Brown, dans la préface au rapport sur le
développement humain (2004), « si l’on veut que notre monde atteigne les objectifs de
développement du millénaire et finalement éradique la pauvreté, il doit commencer par
relever victorieusement le défi de savoir construire des sociétés intégratrices, qui respectent
les diversités culturelles ». Pourquoi un plaidoyer pour la diversité culturelle60 ? Tout
simplement parce que comme nous l’avons vu tout le long de ce travail, le néo-libéralisme
drainé par l’hégémonie économique affirmée de l’hyperpuissance américaine innerve par une
hypocrisie sociale de solidarité toutes les actions globalisantes d’un rééquilibrage des
échanges à travers le monde. Il ne s’agit pas dans la présente démarche d’essentialiser en
prescrivant le type de discours à adopter ou en indiquant la voie à prendre. Chaque peuple doit
pouvoir trouver la voie qui est la sienne non pas en se détachant de l’héritage de l’histoire,
mais en découplant le passé du présent, et en portant un regard nouveau vers l’Autre. Avec ce
regard nouveau porté sur l’autre, l’on ne saurait s’aligner ni derrière les fervents détracteurs
de l’occidentalisation du monde au risque de demeurer africanophiles, ni derrière les militants
de la décroissance, au risque d’être traités d’anti-développementistes. Et c’est en cela que ce
plaidoyer va plutôt en faveur de l’écoute et de la rencontre des cultures en faisant le pont entre
ces différentes positions fortement ethnocentristes.

De ce fait, la « diversité » ne devrait pas être perçue comme la promotion d’une


« disparité » contre l’« homogénéité » ou la « singularité ». Aujourd’hui, la diversité culturelle
remplace l’exception culturelle et vise à garantir le traitement particulier des biens et des
services culturels par le biais de mesures nationales ou internationales. Synonyme de dialogue
et de valeurs partagées, cette notion pourrait être utilisée comme base d’une réappropriation
endogène des TIC par les pays africains. D’où le paradigme de glocalization et son fameux
leitmotiv : « Think global, act local ». Armand Mattelart au cours d’une interview, confiait
justement que pour sortir du néodarwinisme informationnel : « Il faut se réapproprier les
nouvelles technologies en construisant une alternative à la société de l'information. Or,
aujourd'hui, ceux qui osent parler d'alternative sont aussitôt taxés de technophobes. Il n'y a
aucune réflexion sur la question essentielle. A savoir : face à un projet qui se réduit de plus en
plus à une techno-utopie, à un déterminisme techno-marchand, peut-on opposer des projets
sociaux et d'autres formes d'appropriation de ces technologies qui pénètrent la société ? »

60 La 33ème Conférence générale de l’Unesco, réunie à Paris, a adopté, le 20 octobre 2005, la Convention sur
la protection et la promotion de la diversité culturelle.

71
La question reste posée et pourrait faire objet d’une étude approfondie à partir d’une
démarche ethnométhodologique pour la compréhension des usages des TIC par l’observation
de certaines populations africaines en situation de pratiques. La certitude que nous avons à
notre niveau est que l’e-inclusion ne saurait se faire sans une démarche dans laquelle les
populations concernées prendraient une part active en choisissant les technologies dont ils ont
besoin et en les introduisant dans leur espace culturel.

Loin de viser des simples transferts, les démarches d’e-inclusion, devraient aider les
populations en marge de la “société de l’information” à acquérir les clés d’accès (techniques,
économiques, culturelles, etc.) leur permettant de s’insérer de façon dynamique dans les
systèmes de communication mondialisés. L’initiation à la création de logiciels, la maîtrise des
logiciels existants, l’apprentissage de la programmation, la production des TIC à un niveau
local, voilà autant de variables du processus d’appropriation qui, à notre avis, ne devrait plus
appréhender les usages sous le seul angle des consommateurs ou récepteurs passifs des
technologies que sont jusque là les pays africains.

Pour Alain Kiyindou, il s’agit « de promouvoir le processus par lequel les gens
deviennent les principaux acteurs de leur propre développement». « Le mot développement,
écrit justement Bertrand Cabedoche61 en conclusion de son livre, Les Chrétiens et le Tiers-
Monde, a pu perdre de son attrait au contact de trop d’expériences décevantes. Il reste le seul
vocable que partagent tous les humains pour dessiner leur espoir. » Et dans le prolongement
de cette pensée, B.Cabedoche constate qu’en « accordant une place fondamentale aux
expressions culturelles, certains cherchent à y retrouver aujourd’hui la voie d’une alternative
économique, hors développement » 62. L’approche de la diversité culturelle, qui est la nôtre,
trouverait bien sa place dans cette logique alternative.

61 CABEDOCHE Bertrand, Les chrétiens et le tiers-monde, Paris, Karthala, 1990 (Coll. « Économie et
développement »), p. 255.
62 CABEDOCHE Bertrand, « Confondre les Représentations stéréotypés de l’Afrique dans les médias
transnationaux ? Une démarche épistémologiquement problématique », Colloque ‘‘Globalisation,
Communication et Cultures’’, Centre des Nations Unies. Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies
à Brazzaville, le 17 Avril 2007, p.18.

72
CONCLUSION

Des analyses faites dans les chapitres précédents émerge une série de constats
concernant en premier lieu le type et la nature des discours et théories développées sur les TIC
aussi bien par des auteurs en SIC que par des organisations internationales ; en deuxième lieu
les liens entre le sous-développement de l’Afrique et le vécu de la fracture numérique ;
ensuite le bilan du SMSI, et enfin les enjeux de la solidarité numérique à travers l’engagement
de l’UNESCO dans la lutte contre la fracture numérique en Afrique.

Par rapport aux discours sur les TIC, nous avons pu noter qu’ils se fondent soit sur la
théorie du déterminisme technologique, soit sur celle du déterminisme social, ou soit encore
qu’ils se positionnent au milieu de ces deux théories sous un paradigme interactionniste entre
sphère sociale et sphère technique qualifié par certains de déterminisme socio-technique.
L’aspect politisé de ces discours sur la fracture numérique a été dévoilé par des exemples
concrets de déclarations de certains dirigeants africains. Ces déclarations prouvent que la
finalité de ces discours est que les États africains soutiennent la demande en matière de TIC
dans un contexte caractérisé par la libéralisation et l’internationalisation des marchés de
télécommunications. Il s’agit là des discours « prospectifs ou préfiguratifs » (Jean Guy
Lacroix63), à finalité idéologique et politique, et ayant pour but de convaincre la population de
la nécessité de la « nouvelle technologie » pour assurer l’avenir et le progrès d’une « nouvelle
société » basée sur les dispositifs techniques de communication. En outre, il y a les discours
promotionnels, dont la finalité est économique et commerciale. Ces discours ont pour but de
convaincre la clientèle visée de l’utilité, des avantages et de l’efficacité supérieure de la
technologie proposée. Enfin toujours selon la catégorisation de Jean Guy Lacroix, nous avons
pu relever dans nos analyses les discours de type prescriptif, au sens strict du terme, dont le
but est d’initier l’usager aux utilisations prévues et la finalité est organisationnelle ou
éducative ».

63 LACROIX Jean-Guy, « Entrez dans l’univers merveilleux de Videoway », dans De la télématique aux
autoroutes électroniques. Le grand projet reconduit, sous la direction de Jean- Guy Lacroix, Bernard Miège et
Gaëtan Tremblay, Québec, Presses de l’Université du Québec, et Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble,
1994, p. 137-162.

73
L’UNESCO alterne ces trois types de discours selon les éventuelles pressions et
influences qu’il subirait (de la part des Nations Unies, des bailleurs de fonds, des
multinationales privées,….) dans le cadre de la réalisation de ses programmes d’action en
faveur du développement de la communication sur le plan international. Ceci confirme
partiellement notre hypothèse selon laquelle l’UNESCO à travers son discours déterministe et
promotionnel des TIC en Afrique, contribuerait à l’instauration d’une bureaucratie
supranationale qui perturbe le libre jeu du commerce mondial (ultralibéralisme ou libéralisme
dérégulateur) en défaveur des pays africains. Mais l’organisation a pris actuellement à cœur
ces dernières années le combat pour la diversité culturelle. Ce qui sans directement infirmer
notre déduction prolonge tout au moins le délai de vérification de l’hypothèse susmentionnée.

Au-delà des discours parfois tendancieux et sectoriels64 des organisations


internationales, nos réflexions développées sur les conséquences de l’échec du NOMIC après
l’étouffement du rapport McBride nous ont amené à vérifier les liens de causalité sous-tendant
la relation entre sous-développement et fracture numérique. Il nous a été donné de démontrer
ici que les statistiques émises par certaines organisations internationales ne reflètent pas
réellement le vécu de la fracture numérique en Afrique. Ces statistiques s’inscrivent dans une
logique technico-marchande qui réduit la fracture au manque d’équipement en justifiant par
là-même la nécessité de diffuser les technologies et d’équiper en matériel informatique et de
télécommunications les pays considérés comme les exclus de la société de l’information. A
cet effet, Eric Guichard remarque avec pertinence à travers les résultats d’une enquête réalisée
en 2001 « la totale disparité entre une utopie cognitive (l’acquisition des savoirs via les TIC)
et sa prétendue mesure au travers de taux d’équipement » 65. A la question formulée dans son
article « La fracture numérique existe-t-elle ? », il répond en définitive : « Oui, la fracture
numérique existe, et elle n'est que la traduction d'une violente ségrégation culturelle et
intellectuelle, qui ne fait que s'amplifier avec les « technologies ». Mieux, elle apparaît
finalement, selon la conclusion de l’atelier du vendredi 8 Novembre 2002 à Bucarest lors de
la Conférence régionale Europe-Amérique sur la diversité culturelle et la pluralité
linguistique, comme une « superposition de différentes disparités nationales et

64 Jean-François Soupizet distingue en effet deux courants principaux issus du cloisonnement initial des TIC et
de leur application : une approche sectorielle du domaine des TIC et une approche plus générale de leur impact.
La première place le développement des infrastructures de télécommunications au centre des préoccupations
tandis que la seconde approche élargit l’analyse en y incluant les différents aspects des TIC, tels que l’accès
cognitif, les usages, les évolutions économiques et sociales qui les accompagnent. (SOUPIZET Jean-François,
La fracture numérique Nord-Sud, Ed Economica, Paris, 2005, pp. 5-6.)
65 GUICHARD Éric, « La ‘fracture numérique’ existe-t-elle ? », Atelier Internet, n 2.
<http://barthes.ens.fr/atelier/geo/Tilburg.html>.

74
internationales : facture géographique, énergétique, technologique, linguistique, éducative et
culturelle, mais surtout sociale et économique.» Et cette conclusion est valable à nos analyses
sur les réalités de la fracture numérique quoique nous nous accordons avec Annie Chéneau-
Loquay sur le fait que « l’emploi de cette notion reflète la persistance d’une vision linéaire et
déterministe du progrès qui, du courant cybernétique des années quarante avec Wiener à
Castels aujourd’hui, et malgré les graves échecs de la « nouvelle économie », voit toujours
dans la réduction de cette fracture la voie royale vers le développement et la réduction de la
pauvreté66 ». On ne devrait pas, en effet, oublier que tout le monde ne peut pas se développer
partout au même rythme. Ainsi, « en mettant l’accent sur les inégalités et sur les retards des
pays pauvres, on occulte le fait que tout développement est par essence inégalitaire». C’est
d’ailleurs sur cette idée réductrice de l’universalité d’accès au savoir comme édification
mythique67 d’une « société de l’information » plus égalitaire et plein d’opportunités de
développement pour les pays du Sud que s’est fondée l’organisation du SMSI de Genève et de
Tunis. Un sommet dont le bilan s’avère mitigé dans l’ensemble, mais assez positif sur le plan
organisationnel selon le point de vue des observateurs présents. La participation de la société
civile est reconnue comme une originalité. Mais en réalité, la société civile était mise en
vedette au moment où dans l’ombre, les représentants du secteur privé (pour la grande
majorité des Américains) influençaient les débats et l’orientaient en tissant les ficelles en
arrière plan. Car dans le nouveau contexte d’interdépendance globale et selon la « nouvelle
donne internationale68 », les États-Unis au lieu d’affronter les organisations internationales les
transforment en véritables vecteurs d’expansion du libre-échange généralisé.

De l’ethnocentrisme affiché depuis les années 70, à la tentative d’imposition d’un


modèle de modernité aux sociétés considérées comme traditionnelles, en passant par
l’impérialisme néo-libéral, la géopolitique de l’information a fini par dessiner une nouvelle
cartographie et un nouvel ordre du monde, favorable à l’assouplissement des tensions
internationales et au développement de la coopération et de la solidarité numérique.

66 Les fractures numériques en question, quels enjeux, quels partenariats : Thème du colloque international de
Hourtin du 25 au 28 août 2003 dans le cadre de l’Université d’été de la communication
67 Pour Michel Mathien, il s’agit de « mythes et de réalités » qui opposent une représentation holiste du
monde
à travers des rapports égalitaires aux réalités d’une société mondiale tourmentée et déséquilibrée par des rapports
de force. (MATHIEN Michel, « La société de l’information » : Entre mythes et réalités, Bruylant, Bruxelles,
2005, 432 p.)
68 MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, « Technologies de communication et d’information. Une nouvelle donne
internationale ? », in Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°138, avril-juin 1994, p.256.

75
La solidarité numérique, nous l’avons vu, est un projet porteur d’espoir et le premier résultat
concret du SMSI. Mais face à l’indifférence des superpuissances, le secteur privé s’accapare
de ce concept et y investit le plus. Ce qui dénote une nouvelle fois d’enjeux économiques
prioritaires de pénétration des marchés au détriment d’un véritable esprit de collaboration
Nord-Sud. Un constat qui soulève la tendance d’une certaine dépendance technologique
accentuée par cette solidarité censée faciliter l’intégration des pays africains dans la « société
de l’information ». La solidarité numérique envers l’Afrique pourrait bien être une
équivalence de « la politique de la main constamment tendue » par les pays africains. Le
processus d’e-inclusion vient à peine d’être lancé comme palliatif à la fracture numérique que
nous nous interrogeons sur les véritables enjeux de cette société inclusive et sur le sort
réservé à la solidarité numérique. Une chose est certaine : les actions menées par l’UNESCO
pour le développement de la communication internationale, notamment l’installation au Mali,
au Bénin, au Burkina, au Sénégal et en Côte d’Ivoire… des « Centres Multimédia
Communautaires », ainsi que l’engagement de l’Organisation à travers le PIDC se révèlent
être très insuffisantes pour la réduction de la fracture numérique. La plupart de ces actions et
de ces projets souffrant de manque de financement, sont souvent entamés mais ont du mal à
aboutir et finissent parfois à être abandonnés aux populations qui n’arrivent même pas à s’en
servir car ces technologies sont la plupart du temps « inadaptées ». Ce qui confirmerait que
l’Afrique soit un véritable cimetière des technologies, des technologies inadaptées.

Mais même avec des solutions régionales privilégiant l’adaptabilité des technologies
aux réalités locales, force est de remarquer que le coût élevé des projets retarde leur mise en
œuvre. C’est par exemple le cas du projet volontariste de constellation de satellites africains
RASCOM (Regional African Satellite for Communication) qui peine à être une réalité compte
tenu justement du coût de la connexion des zones rurales aux satellites et aux câbles. Tout
ceci nous amène à la conclusion des travaux de Raphaël Ntambue-Tshimbulu et d’Annie
Chéneau-Loquay : « La coopération avec l'Afrique subsaharienne en matière de TIC s'inscrit
dans un contexte où les coûts et les processus de mise en œuvre des projets d'insertion des
réseaux télématiques dépassent les capacités financières et techniques locales et exigent à la
fois l'intervention extérieure et la participation africaine. »

76
Quoiqu’il en soit et sans pour autant nous enfermer dans une critique de la
coopération Nord-Sud qui condamnerait la manière dont l’aide et la solidarité sont apportées
aux pays du Sud, nous lançons un appel à une profonde réflexion sur cette solidarité qui
semblerait toujours garder les mêmes caractéristiques de l’aide classique perpétuant depuis
toujours la domination historique des pays du Nord sur ceux du Sud. Qu’il nous souvienne, à
cet effet, les propos très illustrateurs de Serge Latouche69 : « La main qui reçoit l’aide est
toujours en dessous de celle qui la donne ».

Cet épineux problème de financement et celui de l’inadaptabilité des technologies est


renforcé par d’autres difficultés telles que celle des infrastructures inadéquates, de délestages
fréquents et de manque d’énergie électrique dans les régions enclavées et même dans les
grandes capitales africaines. Nous avons ainsi montré que toutes ces difficultés limitent les
actions de l’UNESCO et posent la nécessité de créer un important fonds monétaire régional et
autonome pour la conduite des politiques nationales d’appropriation des TIC en Afrique.

En complément et non en concurrence aux engagements internationaux, le Fonds de


Solidarité Numérique pourrait, s’il était décentralisé (ce qui suppose une délégation de gestion
par grandes régions géographiques, linguistiques et culturelles) et bien géré dans des
environnements propices de bonne gouvernance, insuffler une réelle dynamique à la réduction
de la fracture numérique en Afrique. De plus, des programmes tels quel le Programme
Information Pour Tous (PIPT) de l’UNESCO, dans le cadre duquel les gouvernements du
monde entier se sont engagés à mobiliser les nouvelles opportunités pour créer des sociétés
équitables grâce à un meilleur accès à l'information, devrait pouvoir être assez valorisé pour
appuyer le PIDC et soutenir le rôle des médias face aux défis de préservation du patrimoine
culturel et immatériel (savoir) dans le processus d’appropriation locale des TIC en Afrique.

69 Cité par Anne-Cécile Robert, L’Afrique au secours de l’occident, Paris, Editions de L’Atelier, 2004.

77
Perspectives de recherches : Vers une nouvelle problématisation

Ce travail jette les bases d’une recherche qui débouche sur des perspectives
d’approfondissement. Nous avons situé nos questionnements dans une analyse historique
contextuelle en procédant à un recadrage élargi sur les divers points de vue et prise de
position des différents acteurs du rapport McBride et des revendications du NOMIC jusqu’au
SMSI. Nous avons pour se faire mobiliser une revue de littérature sur les enjeux de la
communication internationale à travers les rapports de forces auxquels sont livrés les
différents acteurs dont les prises de position varient selon le côté duquel il se situe par rapport
à la ligne fictive de démarcation entre inclus et exclus de la « société de l’information ».

Quelques lignes directrices peuvent cependant être développées dans des recherches
ultérieures sachant que :
1- Les débats sont loin d’être clos suite à la prise de conscience internationale et civile
des enjeux d’une solidarité numérique au lendemain de Tunis.

2- La solidarité numérique est un concept émergent dont l’évaluation nécessiterait un


temps d’observation plus long (2 à 3 ans et voire plus) pour être à même de mieux
apprécier les résultats concrets de cet engagement international et la gestion faite du
Fonds de Solidarité Numérique FSN.

3- Fractures numériques ou solidarités numériques : Les options sont encore ouvertes,


face au rôle éminent que doivent jouer les États africains par rapport aux politiques
publiques en matière de TIC pour appuyer les actions de la société civile en vue d’une
véritable réappropriation locale des TIC.

4- La diversité culturelle peut être un atout à la réappropriation des TIC par les pays
africains et un élément catalyseur de la société inclusive dont l’UNESCO pourrait se
servir dans sa lutte contre la réduction de la fracture numérique en Afrique.

5- L’hégémonie culturelle américaine et les stéréotypes qui s’y rattachent resteront


irréductibles dans la politique étrangère70 des Etats-Unis et ceci est une source
permanente d’influences sur la communication internationale et sur les actions des
organisations internationales parfois contraintes de s’orienter pour des raisons

70 Avec l’actuel gouvernement américain, nous sommes loin de la sagesse et de l’humanisme du Président John
Fitzgerald Kennedy qui affirmait : « Tous les pays ont leurs traditions, leurs idées, leurs ambitions. Nous ne les
recréerons pas à notre image ».

78
financières vers la doxa : « ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour le reste du
monde ».

6- La pluralité des usages sociaux des technologies ne saurait être analysée selon l'unique
univers symbolique des représentations historiques des relations Nord-Sud, dans
lesquelles les cultures minoritaires subissaient la globalisation passive des standards
culturels.

Nous souhaiterions contribuer à l’approfondissement de ces axes de recherche à


l’occasion d’une thèse doctorale au cours de laquelle notre travail sur les trois prochaines
années consistera à :

 Approfondir les lectures et confronter les différentes théories sur l’interdépendance


dans les relations internationales afin de réaliser une revue critique de la littérature sur
le caractère déterministe de l’imaginaire social entretenu par les discours sur les TIC
en arrière plan de la géopolitique culturelle de l’information. (Première année)

 Réaliser une enquête en prenant comme terrain d’enquête l’UNESCO et deux ou trois
pays de l’Afrique Subsaharienne. Il s’agira pour nous de prendre contact avec les
responsables des commissions nationales de l’UNESCO ou les conseillers régionaux
en information et communication dans ces pays afin de les soumettre à des entretiens
semi-directifs pour pouvoir évaluer l’efficacité des stratégies d’action réelles de
l’UNESCO dans sa lutte contre la fracture numérique et comparer ces stratégies par
rapport aux attentes des gouvernants et des populations dans le contexte de promotion
de la diversité culturelle. Il s’agira de faire une analyse qualitative par théorisation
(Pierre Paillé). Nous procéderons à une élaboration progressive des catégories
d’hypothèses, dans un aller-retour permanent avec les acteurs de l’Organisation
(UNESCO) après avoir exploré les événements et les opinions (y compris celles des
populations bénéficiaires des TIC) par rapport à l’impact final réel de la lutte contre la
fracture numérique dans ces pays. (Deuxième année)

 Vérifier les hypothèses en les confrontant aux résultats collectés, interpréter puis tirer
les conclusions – Relecture et correction du travail (Troisième année)

79
BIBLIOGRAPHIE
 OUVRAGES
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• CASTELLS Manuel, La galaxie Internet, Paris, Fayard, 2001.

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Afrique : du téléphone à Internet. Avec le cédérom Internet au Sud, Paris, Karthala,
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• GABAS Jean-Jacques, Société numérique et Développement en Afrique : Usages et
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• MATHIEN Michel, « La société de l’information » : Entre mythes et réalités, Bruxelles,


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• MATTELART Armand, La mondialisation de la communication, Que sais-je ?, Paris,
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découverte, 2002.
• MATTELART Tristan, La mondialisation des médias contre la censure, De Boeck,
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• Mc BRIDE Sean (sous la direction de), « Voix multiples, un seul monde », Paris,
UNESCO, 1980.
• MIEGE Bernard, L’information - Communication, objet de connaissance, de Boeck,
2004.
• NOORDENSTRENG Kaarle; SCHILLER Herbert, Beyond National Sovereignty and
International communication in the 1990s, Norwood, Ablex, 1993.
• PAILLIART Isabelle, Les territoires de la communication, Grenoble, PUG, 1993, p. 233.

• RAMONET Ignacio, Géopolitique du chaos, Paris, Galilée, 1997.

• ROBERT Anne-Cécile, L’Afrique au secours de l’occident, Paris, Editions de L’Atelier,


2004.
• SOUPIZET Jean-François, La fracture numérique Nord-Sud, Paris, Economica, 2005.

• WOLTON Dominique, L’autre mondialisation, Paris, Flammarion, 2003.

80
 ARTICLES SCIENTIFIQUES ET DE REVUE
• BENCHENNA Abdel, « Réduire la fracture numérique Nord/Sud, une croyance
récurrente des organisations internationales. », www.tic.ird.fr/article.php?id_article=110
• CABEDOCHE Bertrand, « La construction de l'étrangéité dans le discours d'information
médiatique : pour une nouvelle problématisation », in Pascal Lardellier, Des cultures et
des hommes. Clés anthropologiques pour la mondialisation, Paris, L'Harmattan,
septembre 2005, pp. 113-134.
• CHENEAU-LOQUAY Annie, « Manœuvres autour des télécoms africaines », in Le
Monde diplomatique, 574, janvier 2002, p. 28.
• DECORNOY Jacques., « Aux ordres du Nord », in Médias, mensonges et démocratie,
Le Monde diplomatique, Manière de voir, n°14, février 1992, pp. 42-45.
• FULLSACK Jean-Louis, « L'UIT, la vieille dame des télécommunications dans la
tourmente néo-libérale. », www.globenet.org/csdptt/doc_csdptt.php3?id_article=148
• GUICHARD Éric, « La ‘fracture numérique’ existe-t-elle ? », Atelier Internet, n 2. <http://
barthes.ens.fr/atelier/geo/Tilburg.html>.
• LACOSTE Y., « Une autre idée du monde », in Géo, numéro spécial, septembre 2004.

• LACROIX Jean-Guy, « Entrez dans l’univers merveilleux de Videoway », in De la


télématique aux autoroutes électroniques. Le grand projet reconduit, sous la direction
de Jean- Guy Lacroix, Bernard Miège et Gaëtan Tremblay, Québec, PUQ, et Grenoble,
PUG, 1994, p. 137-162.
• LIIKANEN Erkki, « TIC et développement : combler la fracture numérique », in Le
Courrier ACP-UE, n°192, mai-juin 2002.
• MATTELART Armand, « Les nouveaux scénarios de la communication mondiale », in
Le Monde diplomatique, Août 1995, pp. 24-25.
• MATTELART Armand, « Passé et présent de la "société de l’information": entre le
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www.eptic.com.br/portugues/Revista%20EPTIC%20VIII%20-%20ArmandMattelart.pdf
• MISSE MISSE, Communication internationale et souveraineté nationale : Le problème
des « ingérences » dans le nouvel ordre mondial. Article consultable en ligne sur :
www.ugrenoble3.fr/les_enjeux/2000/Misse/index.php
• MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, « Transferts des technologies de communication et
développements », in Revue Tiers Monde, t. XXVIII, n°111, Juillet-Septembre 1987, pp.
245-277.

81
• MIGNOT-LEFEBVRE Yvonne, « Technologies de communication et d’information. Une
nouvelle donne internationale ? », in Revue Tiers Monde, t. XXXV, n°138, avril-juin
1994, pp. 245-277.
 TRAVAUX ACADEMIQUES
• CABEDOCHE Bertrand, La presse régionale à l’écoute du tiers-monde ? Analyse et
essai d’interprétation de l’image des pays du Sud dans Ouest-France, premier
quotidien régional de France., Rennes, CRAP, 1982, 419 pages (Mémoire de DEA
Études politiques).

• DAKOURE Évariste, Le rôle de l’État dans l’insertion sociale des techniques de


l’information et de la communication au Burkina-Faso, Grenoble : Institut de la
Communication et des Médias, 2006. (Mémoire de MASTER 2 SIC).

• DUMONT Xavier, Le déséquilibre Nord-Sud de l’accès à l’information : Contribution à


l’analyse du développement des autoroutes de l’information dans la Francophonie,
Louvain (Belgique) : Université catholique de Louvain, 1999,105 p. (Mémoire de fin
d'études en Sciences politiques - Relations internationales).

• KHADRAOUI Wahid, Fractures Nord-Sud : Origines et enjeux de la fracture numérique,


l’Afrique comme exemple, Grenoble : Institut de la Communication et des Médias,
2003. (Mémoire de DEA SIC).
• LOHENTO K., 2003, "Usage des NTIC et médiation des savoirs en milieu rural
africain : études de cas au Bénin et au Mali", mémoire de DEA, Université Paris X,
Nanterre, Ecole doctorale Connaissance et Culture, année 2002-2003. En lien sur
http://www.africanti.org/resultats/documents/externes/dealohento.pdf.

 RAPPORTS – COLLOQUES & CONFERENCES


• CABEDOCHE Bertrand, « Confondre les Représentations stéréotypés de l’Afrique
dans les médias transnationaux ? Une démarche épistémologiquement
problématique », Colloque ‘‘Globalisation, Communication et Cultures’’, Centre des
Nations Unies. Intervention au sein de la délégation des Nations-Unies à Brazzaville, le
17 Avril 2007.
• GEORGE Éric, « Les dessous des discours sur la fracture numérique », Conférence
Internationale “TIC & Inégalités : les fractures numériques” Paris, Carré des Sciences,
18-19 novembre 2004.
• KIYINDOU Alain, «La fracture numérique en question», in Questionner
l’internationalisation, actes du 14ème congrès national des Sciences de l’information et
de la communication, Université de Montpellier 3, 2004.
• La Francophonie au Sommet mondial sur la société de l’information, Tunis, 16–18
novembre 2005.
• PNUD, Rapport mondial sur le développement humain, De Boeck, 2001.

82
• RENAUD Pascal « SMSI : Avancée symbolique, résultats modestes ». Sommet de
Tunis, 15 au 18 novembre 2006.
• Sommet mondial sur la Société de l’information, déclaration de principes, secrétariat
général du sommet, Genève 2003.
• Sommet Mondial sur la Société de l’Information, Plan d’action, secrétariat général du
sommet, 2003.
• UIT, Indicateurs des télécommunications africaines, Rapport de l’UIT, Genève, 2001.
• UNESCO-IBI, Rapport général de la conférence Stratégies et politiques informatiques
nationales, Torremolinos, 1978, p. 17.
• UNESCO, Rapport mondial sur la communication et l’information 1999-2000, Paris,
Editions de l’UNESCO, 1999.

WEBLIOGRAPHIE
• Conférences régionales de Bamako : http://www.geneva2003.org/bamako2002

• Coopération Solidarité Développement aux PTT (CSDPTT) : http://www.csdptt.org

• Fonds mondial de Solidarité numérique : http://www.dsf-fsn.org

• Observatoire des Nti en Afrique - AFRICANTI (U. Bordeaux) :

http://www.africanti.org/projet.htm

• UIT: http://www.itu.int/wsis/

• UNESCO : http://www.unesco.org/webworld/mdm/fr/index_mdm.html

• UNESCO : Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle, 2001. http://

www.unesco.org/culture/pluralism/diversity/html_fr/index_fr.shtml.

• WSIS : http://www.wsis-online.net/

• WSIS/Geneva : http://www.wsisgeneva2003.org/

83
Annexes :
- Annexe I :

ENTRETIEN AVEC ANNIE LENOBLE-BART

- Annexe II :

CARTOGRAPHIE DE LA FRACTURE NUMERIQUE

- Annexe III :

EXTRAIT D’UNE INTERVIEW ACCORDEE AU PRESIDENT


ABDOULAYE WADE, LAUREAT DU PRIX UIT 2006 DE LA
SOCIETE MONDIALE DE L’INFORMATION

84
Annexe I : Entretien avec Annie LENOBLE-BART
Madame Annie Lenoble-Bart est Professeur à l’Université de Bordeaux 3 et Animatrice
du GREMA (Groupe de Recherches et d'Études sur les Médias Africains). Elle est aussi
Coordinatrice de l'Axe 1 du programme 2003-2006 de la Maison des Sciences de l'Homme
d'Aquitaine sur " Modèles et transferts dans la mondialisation des Afriques : Gouvernance,
démocratie, transferts et appropriation". C’est en nous référant à ces nombreux travaux sur
l’insertion des TIC en Afrique subsaharienne et en particulier à son article intitulé « Infos
riches et infos pauvres : le fossé numérique et la solidarité numérique dans la cyberpresse en
Afrique », que nous avons souhaité échanger avec elle et avoir son point de vue d’experte
dans le cadre de notre présente recherche. Elle a ainsi accepté se prêter à quelques-unes des
questions que nous lui avons soumises par mail. Voici ses réponses.

 Question 1 : Quel regard portez-vous aujourd’hui avec le recul du temps sur les débats et
revendications du NOMIC dans les années 1970 ?
A.Lenoble-Bart : Ces débats étaient assez « Intéressants mais utopiques » par rapport aux
espoirs qu’ils nourrissaient.

 Question 2 : L’actuelle « société de l’information » reflète-t-elle réellement un nouvel


ordre mondial de l’information ou n’est-elle que le prolongement du rêve macluhanien ?
A.Lenoble-Bart : « Elle n’est que l’illusion d’une société égalitaire toujours basée sur les
anciens rapports verticaux (Nord-Sud) de dominants-dominés. »

 Question 3 : Les principes et engagements de Genève et de Tunis peuvent-ils apporter, tel


qu’ils sont énoncés, des avancées importantes dans les stratégies internationales de lutte
contre la fracture numérique ?
A.Lenoble-Bart : « Je trouve que ce sont, comme toujours, de beaux discours qui
n’aboutissent sur rien de concret. »

 Question 4 : Les discours tenus sur les TIC par les organisations internationales en général
sont-ils des discours relevant des utopies technicistes ou sont-ils vraiment réalistes et à
vocation sociale?
A.Lenoble-Bart : « Ce sont surtout des discours convenus pour être dans l’air du temps ! »

85
 Question 5 : La solidarité numérique serait-elle une nouvelle forme de dépendance
techno-culturelle des pays africains vis-à-vis de ceux industrialisés et développés ? Ou serait-
ce plutôt une vraie réponse à l’exclusion numérique ?
A.Lenoble-Bart : « Je pense les deux. La ‘‘vérité’’ est souvent ambivalente… Et les effets
pervers ne sont jamais bien loin mais surtout difficiles à imaginer : ils sont souvent là où on
ne les attend pas. Qui vivra verra. »

Annexe II : Cartographie de la fracture numérique en 2005

86
Annexe III : Extrait d’une interview accordée au Président
Abdoulaye Wade, Lauréat du Prix UIT de la société mondiale de
l’information. (17 mai 2006).

M. le Président, que signifie ce prix pour vous?


« En portant son choix sur ma modeste personne comme colauréat avec le professeur
Muhammad Yunus de ce prix de la société de l’information qu’elle décerne pour la première
fois, l’Union internationale des télécommunications honore en réalité mon pays, le Sénégal,
mon continent, l’Afrique, et mieux encore, tous les Africains qui ont voulu, ensemble, donner
corps à une idée que j’avais simplement émise. Ce prix va tout naturellement à l’Afrique, car
c’est en décembre 2003, ici même à Genève, que j’avais proposé le concept de Fonds pour
la solidarité numérique.

J’accepte volontiers ce prix, moins comme une récompense qu’un encouragement à


poursuivre, avec toutes les bonnes volontés, la vulgarisation de l’ordinateur, l’accès du Sud
au web, c’est-à-dire à la formation et aux connaissances, pour combler le retard.

J’ai toujours pensé qu’une société de l’information plus équilibrée et plus harmonieuse
devrait être fondée sur une généralisation de l’accès à l’outil informatique, car il faut éviter
que les pays en retard dans ce domaine risquent une marginalisation irréversible. Donner à
tous la possibilité de se connecter, d’être à l’écoute, de se faire entendre et de suivre la
marche du monde: tel est le sens fondamental du Fonds pour la solidarité numérique.

Voilà pourquoi, au-delà même de l’honneur qui m’est fait, j’apprécie positivement que l’UIT
maintienne ce dossier de l’information au cœur de l’agenda international. »

Certains considèrent l’internet comme une panacée, d’autres le diabolisent.


Quel est votre avis?
« Le web, dans ses différentes applications, fait désormais partie de la vie de tous les jours.
Que l’on soit du Nord ou du Sud, notre vie est influencée par les bouleversements de
l’internet.

On communique pour le meilleur, et hélas, on communique aussi pour le pire. Nous sommes
donc tous concernés par le numérique, soit par nos propres actes, soit par les conséquences
que nous subissons. Toute la dimension de la mondialisation, portée par les valeurs des
technologies de l’information et de la communication, se résume en ces termes. On ne
choisit pas de participer à la mondialisation: elle s’impose à nous.

Comme je le disais lors d’un séminaire que mon Gouvernement a consacré récemment à la
mondialisation, même si on n’est pas d’accord sur le fait que la Terre tourne, elle continue
quand même son mouvement.

C’est ce constat d’une rationalité toute simple qui fonde mon pari sur la vulgarisation des
technologies de l’information et de la communication. C’est un rendez-vous avec l’histoire
que nos peuples ne devraient pas manquer.

87
J’ai eu l’occasion de rappeler que le monde, depuis sa création, se divise de plus en plus en
deux communautés: celle qui communique, et celle qui ne communique pas. Et,
heureusement, aujourd’hui, l’internet nous permet de combler ce fossé numérique, et le
Fonds pour la solidarité numérique nous offre en la matière un mécanisme approprié.

Je demeure convaincu que la rencontre des cultures n’aura jamais facilité autant le
rapprochement des hommes qu’avec l’application des nouvelles technologies. Le web, à
l’image des anciennes écoles de la Grèce antique, doit être vu comme un immense espace
où le donner et le recevoir de l’esprit et de la connaissance se rencontrent sans frontières et
sans préjugés — comme dirait Léopold Sédar Senghor. »

Que fait le Sénégal pour réduire la fracture numérique?


« Par sa superficie, sa dimension démographique et son potentiel en ressources naturelles,
mon pays n’a pas d’atouts particuliers. Nous avons donc misé sur la qualité de nos
ressources humaines, et c’est pourquoi je consacre 40% du budget national à l’éducation et
à la formation — je crois, d’ailleurs, que mon pays est le seul à atteindre cet objectif, alors
que l’objectif de l’Union africaine est de 20%. C’est pour cette raison que l’Organisation des
Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (l’UNESCO) a classé le Sénégal
comme leader mondial de l’éducation. En faisant confiance au génie créateur du peuple
sénégalais, j’ai pour ambition de créer un système intégré où, du préscolaire à l’université,
l’usage de l’ordinateur soit et reste une constante.

Nous avons ainsi, il y a quelques années, inauguré le concept de la Case des tout-petits, où
les enfants de deux à six ans apprennent à se familiariser avec les jouets modernes dont
l’ordinateur de jeu: la génération de la Case des tout-petits sera une génération très
particulière, qui vivra avec son siècle. Je considère, en effet, que l’outil informatique est
avant tout un outil. Cependant, cette lapalissade est contrariée par la fracture numérique. »

Mais n’est-ce pas un luxe de penser à donner à tous l’accès aux TIC?
« En effet, la fracture numérique fait de l’ordinateur, par exemple, une fin, ou encore un luxe
dont les seuls bénéficiaires sont nécessairement choisis selon des critères qui échappent à
tout esprit épris de connaissance et de réalisation. Car, il faut le rappeler, l’esprit sincère qui
a pour culte le savoir sait qu’en le partageant il lui donne l’opportunité de grandir pour le bien
de tous. Le programme «un étudiant un ordinateur, un enseignant, un ordinateur», que j’ai
lancé il y a quelques années au Sénégal, s’inscrit dans cette démarche.

Cela n’est plus un rêve depuis que le maire de Besançon et le Président-directeur général de
la Compagnie AXA m’ont offert 30 000 ordinateurs à reconditionner. Cela veut dire que le
réseau de solidarité numérique que je suis en train de créer au Sénégal recevra peut-être
plus d’ordinateurs qu’il n’en faut. Mais il en suffira d’un par sénégalais et je serai satisfait.
Car l’ordinateur n’est pas un luxe, contrairement à ce que l’on croit. Quelqu’un a dit, «mais le
Président Wade, au lieu de nous parler de l’ordinateur, pourrait nous parler des moyens de
nourrir nos populations». Eh bien, c’est mal comprendre le problème, car l’ordinateur est
aussi utile dans l’agriculture que dans les bureaux ou dans les usines. Beaucoup de fermes
modernes sont gérées aujourd’hui par l’ordinateur, et elles fonctionnent d’autant mieux grâce
aux économies de toutes sortes, et aussi grâce à la recherche de l’efficacité. »

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Pouvez-vous nous citer d’autres initiatives entreprises par le Sénégal dans le
domaine des TIC?
« J’ai lancé l’Université du futur africain (UFA) qui est en construction avancée. L’UFA a pour
vocation de recevoir, sans distinction de pays d’origine, tout étudiant africain remplissant les
critères pédagogiques et bilingue.

Cet établissement universitaire futuriste sera équipé d’infrastructures de télécommunications


de pointe pour permettre à ses étudiants de se connecter à un réseau d’universités
partenaires afin de suivre des cours en temps réel par satellite. A la fin de leur cursus, ces
étudiants, qui n’auront pas besoin d’aller aux États-Unis ou en Europe pour accéder à la
connaissance, recevront les mêmes diplômes que ceux décernés par les universités
partenaires, et non des équivalents. Nous comptons par ce moyen contribuer à la lutte
contre la fuite des cerveaux dont souffre le continent africain.

Autre initiative, l’intranet gouvernemental qui relie les différents pôles de l’administration
locale au Sénégal, en attendant la connexion avec nos représentations extérieures. Avec cet
intranet, nous avons déjà réduit de manière considérable la facture téléphonique du
gouvernement. Nous avons d’ailleurs lancé un programme intranet au niveau de la CEDAO
(Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) et bientôt au niveau de l’Union
africaine et ceci avec la coopération de certaines sociétés internationales spécialisées.

J’apprends que le Sénégal a été le deuxième pays au monde, après le Japon, à avoir relié
ses administrations par un réseau unique à fibres optiques. Cette réalisation, produit de
l’expertise de jeunes Sénégalais, rendue possible grâce à l’appui financier de la Banque
mondiale, a été facilitée par les réformes institutionnelles qui ont abouti à la création de
l’agence de l’informatique de l’État du Sénégal. Cette agence a permis à des ingénieurs et
informaticiens sénégalais formés et travaillant à l’extérieur de rentrer dans leur pays et d’y
valoriser leurs compétences.

En outre, le Sénégal travaille actuellement avec une compagnie partenaire pour lancer un
logiciel en wolof, l’une de nos langues nationales. »

La solidarité numérique se traduit-elle uniquement par des partenariats Nord-


Sud?
« La nouvelle dimension de la coopération Sud-Sud dans le domaine de la solidarité
numérique est tout aussi importante. En effet, l’Inde et l’Afrique viennent de lancer un
ambitieux programme de coopération pour la télémédecine, la gouvernance et la formation à
distance, lequel repose sur un réseau à satellite reliant tous les pays africains à l’Inde, et
dont le noyau se trouve à Dakar. Le potentiel de la solidarité numérique, par la diversité des
moyens mis en œuvre et la variété des domaines d’application, offre à l’humanité une
chance sans précédent de vaincre l’ignorance, de combattre la pauvreté et d’assurer à tous
des conditions de vie décentes car compatibles avec la dignité humaine.

La formidable révolution en cours ne doit laisser personne au bord de la route, et cela est
possible. Les jeunes du Sud, mis dans les mêmes conditions de concurrence que ceux du
Nord, sont parfaitement capables de se dépasser. Comme je le dis souvent, l’ordinateur est
le domaine de la démocratie parfaite: un Sénégalais, un Indien, un Chinois, un Américain, un
Français ou un Suédois, placés devant le même ordinateur, avancent tous à la même
vitesse — celle de la lumière. » Source : http://www.itu.int/itunews/manager/display.asp?
lang=fr&year=2006&issue=05&ipage=laureates1&ext=html

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