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L’attente de l’inattendu
Quelques considérations concernant le devenir
transcendent de la nature
Dr. Alexandre S.F. de Pomposo
Introduction.
Le temps et les chaînes de l’éternité.
L’auto-organisation de la matière.
La seconde loi de la thermodynamique.
La téléologie cosmique.
Les niveaux de la réalité.
Ni hasard, ni nécessité : une amnésie ignorée.
Toute science dépassant.
Conclusion.
Références.
Introduction
1Cfr. Émile Boutroux, De la contingence des lois de la nature. Thèse de doctorat, Paris, 1874. p. 24.
2 Élémentaire en tant que « contient, qui concerne les premiers éléments d’une science, d’un
art » comme le définit Le Petit Robert.
2
3 Il s’agit d’une expression employée par Santiago Ramón y Cajal dans son œuvre « El mundo
visto a los ochenta años » (le monde vu aux quatre-vingt ans), tout en reconnaissant la valeur
fondamentale de la physique face aux autres sciences, la biologie y comprise.
4 Il suffit de considérer le propre Bergson avec son « Évolution créatrice », à Émile Boutroux
dont on a déjà fait mention plus haut, à S. Kierkegaard avec sa pensée juste, bien que complexe,
à l’égard du sens de la douleur et de la souffrance humaines, à M. Blondel qui dans son
« Action » fait un premier effort pour aborder la réalité avec tout le poids de la culpabilité
humaine, et beaucoup d’autres imprégnés d’immenses influences spinozistes, kantiennes ou
hégéliennes.
5 Nous songeons tout spécialement en l’œuvre remarquable de J. Maritain dans laquelle le père
du néothomisme stratifie les dégrées du savoir humain, tout en gardant la place de choix qui est
celle de la métaphysique thomiste. Le prix payé pour cela est l’impitoyable critique déferlée sur
la pensée bergsonienne.
6 Nous disons cela sur la base du fait que la science est une discipline qui naît de l’expérience
des événements de la nature, se retirant ensuite vers l’abstraction (qui est, à son tour,
l’explication du réel par le moyen de l’impossible) en vue de développer le cadre conceptuel qui
convient à de tels événements et, finalement, elle retourne vers l’expérience pour corroborer ou
changer les hypothèses et conjectures initiales. Par contre, la mathématique naît, grandit et
meure dans l’abstraction, sans jamais avoir besoin du recours envers l’expérience vécue de
l’espace-temps. Bien entendu, tout ceci en ayant la mathématique pure (non appliquée) dans
l’esprit.
3
7 Vide ad infra.
4
La pensée philosophique de tous les temps est en soi une réflexion sur le temps,
sur sa nature, ses conséquences, sa naissance et son collapse, ses projections
multiples dans l’espace, dans l’esprit humain et dans la besogne divine. De la
même façon, la physique a été fondée comme telle au moment qu’elle est
parvenue à décrire le mouvement des corps et les forces qui causent ces
mouvements ; il aurait été quasi impossible atteindre la déduction des principes
de la cinématique et de la dynamique célestes sans une conception quelconque
de temps. 9
8 Nous entendrons toujours par sens, dans cet article, aussi bien la direction que la signification
des événements dans l’espace-temps ; c’est ainsi que nous sauvegardons le poids ontologique,
la réalité épistémologique et la dimension éthique de tous les actes. M. Blondel se préoccupa
bien de garantir l’intégrité des trois aspects de la connaissance et de l’expérience.
9 Il suffit de considérer les lois de Kepler, la cinématique de Galilée et la dynamique de Newton,
eux tous principes avec un grand pouvoir prédictif et où le temps t n’est qu’un paramètre, c’est-
à-dire, un nombre librement choisi en vue de fixer un moment dans l’évolution du système.
10 Il est important que cette différence de perspectives soit fixée dans notre entendement
puisque c’est l’origine des immenses contradictions entre les deux voies. En plus, ces
5
Sur ladite manière dont la matière est distribuée dans la nature, et qui
semble ne point être uniforme 12 , surgit la question heideggérienne de pourquoi
l’univers est comme il est et non pas différent. Il paraît que le temps, le temps
véritable qui per se modèle la réalité, il opère sur elle et l’organise sous la forme
que nous voyons et mesurons ; nous ne le voyons pas, nous le souffrons, nous
l’endurons, et il se situe au-dessous de mon je indicible et, à la limite,
mystérique. Il ne s’agit pas uniquement d’une appréciation philosophique, c’est
une question surgissant du sein même de la mécanique quantique (à travers le
principe d’incertitude de Heisenberg dans les espaces de position et quantité de
mouvement, et de l’énergie et du temps) et de la mécanique statistique. 13 Dans
le cas de la mécanique quantique, c’est presque de trop de dire que les
hypothèses qui l’ont créée produisent toujours de la polémique au centre de la
divergences sont aussi le point de départ de l’exclusion de toute vision transcendante dans la
physique, tout au moins au long des trois siècles qui suivirent les travaux de Newton.
11 Citation de Wheeler et al. Gravitation. Einstein avait une vision déterministe de la nature ; il
était spinoziste dans son appréciation de la temporalité et donc il n’a jamais accepté le caractère
irréversible des phénomènes (cfr. Lettre à son ami Besso).
12 Elles son nombreuses les conjectures sur la distribution de la matière dans l’univers. Celui-ci
n’est pas le lieu d’exposer les différentes théories à cet égard, mais il nous faut mettre au clair
qu’elles toutes reflètent la forme d’interaction entre l’esprit humain et l’univers matériel, soit en
ouvrant le panorama aux possibilités constructrices de la réalité, ce qui est à partir de ce qui
n’était pas, soit en concluant une réalité autosuffisante et indépendante de n’importe quelle
forme forte de devenir, en diluant ainsi le sens de l’évolution.
13 Il est for recommandé à cet égard de jeter un coup d’œil sur l’interprétation faite par Tolman
sur l’hypothèse du chaos initial dans son livre magnifique « Statistical Mechanics ». Il dit que la
question de si le temps est une réalité en soi ou pas es secondaire ; il est beaucoup plus
important de savoir si le temps est vraiment linéaire, continu ou si ce que nous voyons dans la
réalité n’est que le comportement « statistique » d’une durée qui fait de sauts vers l’arrière, mais
qui en moyenne avance vers le futur. Qu’on est loin de la perspective augustinienne !
6
physique même, où il n’est pas du tout clair si c’est la science qui devrait servir
la réalité, ou vice versa. Dans le cas de la mécanique statistique le problème du
temps est cependant encore plus délicat car il se construit à partir de la
mécanique classique, tout en parvenant à des interprétations ouvertement
asymétriques dans la manière dont les systèmes évoluent ; ça suffit de se
rappeler le théorème H dans lequel l’idée de Boltzmann de l’entropie maximale
es reformulée. 14
dans laquelle le langage rend comptes des réalités scientifique et métaphysique (cfr, à la fin de
cet article la bibliographie où la source dont nous parlons est spécifiée.
16 De fait, la réalité perçue de cette façon-là est inachevable. Ils ne sont pas seulement le hasard
et la nécessité qui décrivent le monde tel qu’il est ; or, c’est la contingence, malgré son aspect
7
Jusqu’ici tout est directement ancré sur la conception qu’on ait du temps.
Ce n’est plus le temps en tant que faiseur d’espace (que n’est pas peu de chose),
mais le stimulus sous-jacent des forces de la nature, l’homme y compris, et en
visant dans une direction précise, donnant signification à la réalité. Ceci est
essentiel et, en plus, c’est indépendant de quelle est exactement la fin ou le but
auquel on tend ; la signification provient de la morphologie même de la vérité,
du maintien de la réalité changeante. C’est ainsi que, au contraire de ce qui est
affirmé par Boutroux au début de cet article, l’identité ne dérive pas sa force de
la coïncidence avec le changement, tel que la causalité nue le prétend ; c’est
plutôt le changeant avec une signification ce qui fait que l’identité ne puisse
jamais se construire sur soi-même. Si la causalité semble s’accoupler avec la
réalité, c’est seulement parce que notre perception même est du passe, est un
mirage prétérite. Finalement, donc, l’esprit humain avec sa soif de connaître les
lois de la nature, se trouve enchaîné à la nature du temps. Celui-ci le conduit
vers le sens ultime de l’existence comme un tout et, en même temps, lui fait
frustrant en laissant ouvertes les possibilités de réalité non actualisées, c’est elle donc qui fait
une place au même esprit humain dans le contexte de la réalité.
8
L’auto-organisation de la matière
17 Assez curieusement la définition la plus claire que nous possédons de l’éternité est celle qui
est proportionnée par saint Thomas d’Aquin : « …interminabilis vitæ tota simul, et perfecta
possessio. » (S. Th. I, q. 86, a. 3).
18 Une bonne partie des discussions des cent dernières années s’est développée autour de ces
qui nous occupe dans cette section n’est pas tellement la nature intime de la
matière, mais les formes extraordinaires que celle-ci trouve pour s’organiser. 19
Ergo, nous avons intérêt à localiser les éléments fondamentaux de concepts tels
que ordre, chaos, conditions initiales, conditions de frontière, etc.
originelle de l’univers ; tout ce qu’on a pu trouver ce n’est que de modèles des fluctuations du
« vide » quantique comme possible origine commune des différentes forces.
19 Le commentaire fait par Ziman dans « Models of disorder » est que derrière l’exubérante
variété des formes adoptée par la matière condensée, il existe une strate commune de concepts,
d’hypothèses, des modèles et de déductions mathématiques qui, en principe, appartiennent à
une seule théorie. Cependant, il souligne aussi la pauvreté de résultats en général, à l’exception
des terrains comme celui de la mécanique statistique et le modèle de Ising pour le magnétisme.
20 Les mots « structure » et « patron » sont la meilleure traduction que nous avons trouvé en
français pour le terme en anglais pattern, c’est pourquoi nous emploierons désormais
indistinctement ces termes lorsque nous feront appel à la morphologie précise adoptée par un
ensemble de particules (depuis 2 jusqu’à 1023).
21 La paternité de cette théorie a été attribuée à Lord Kelvin, étant donné que c’et lui qui a
affirmé, avec pas mal des raisons, qu’un phénomène, par le seul fait d’être là, est de l’intérêt de
la science si et seulement si il peut être mesuré ou il peut être la source d’autres événements ou
phénomènes susceptibles d’être mesurés.
22
On dit épistémique au sens plein du mot foucaultien « épistémè », c’est-à-dire, l’ensemble des
connaissances réglées (conception du monde, science, philosophies…) propres à un groupe social, à une
époque.
23 C’est ce principe recteur qui donna origine au concept abstrait de numéro (et toute la
24 Question frissonnante pour la science, laquelle préfère plus fréquemment penser que le temps
impitoyablement irréversible n’est qu’une illusion. Or penser ainsi conduit vers une autre
contradiction majeure : dans ce sens toute la mathématique et n’importe quelle autre abstraction
serait pure illusion et, véritablement, il n’y aurait aucun sens à aucune activité de
l’entendement.
25 Voilà le caractère foncièrement eschatologique de la connaissance imbue dans le temps,
une relation non simple avec les patrons adoptés par les systèmes, lorsqu’on
change une ou plusieurs variables. Il semble que les systèmes adoptent alors la
structure qui convient le plus au devenir d’eux-mêmes, de tel sorte qu’ils
puissent « survivre » aux changements imposés ; c’est ainsi jusqu’au moment
où les degrés de liberté auxquels ils peuvent s’ajuster s’épuisent et, à ce
moment-là, ils succombent, au moins au niveau de définition que leur avait
déterminé comme tels. En effet, les systèmes ne peuvent présenter un nombre
indéfini de changements sans céder leurs niveaux de réalité par un autre
supérieur, ou tout au moins différent. 28
26 La plasticité des cellules est la capacité qu’elles ont de développer les caractéristiques
nécessaires pour effectuer ses fonctions d’une manière optimale ; cela signifie atteindre le degré
de différentiation qu’il faut pour manifester une ou plusieurs réponses précises. Ainsi,
l’irritabilité, la contractilité, la sécrétion, etc. sont des exemples de capacités de réponses
cellulaires spécifiques ; de là les quatre grands groupes ou familles histologiques des tissus
humains, par exemple (les tissus nerveux, musculaires, connectifs et épithéliaux).
27 Les premières ont à voir avec la géométrie associée au système considéré ; les secondes ont à
voir avec le point de départ dans le temps « espacialisé » que l’on prend pour commencer à
étudier le phénomène.
28 Nous verrons dans une section ultérieure l’organisation des niveaux de réalité d’après la
pensée de Polanyi.
29 Cfr. L’étude réalisé par l’auteur sous le titre : « La contingence : le maillon entre
Dans les processus de la diffusion les physiciens ont trouvé l’un des obstacles
majeurs dans la description des phénomènes naturels ; si la difficulté était
venue, comme ce fut le cas, du monde des ondes électromagnétiques ou du
domaine du sub-atomique, telle difficulté aurait été bien comprise aussi bien du
point de vue théorique que expérimental. Or, que le problème se pose dans les
gaz et les liquides, ça était simplement inconcevable. 31 La thermodynamique
était déjà une discipline avec une histoire et, assez curieusement, elle avait
intéressée davantage les chimistes que les physiciens. Toutefois, en fin des
comptes, les hommes de science durent reconnaître que dans son second
principe quelque chose se cachait, qui était plus qu’une règle utile à la
description des gaz ; derrière elle se trouvait l’inclusion même du sens de
l’évolution des systèmes et, éclairée par ce qu’on a plus haut commenté sur
l’auto-organisation de la matière, la signification des structures en elle.
30 Nous n’acceptons pas le modèle des catastrophes de R. Thom puisque celles-ci contreviennent
à la recherche d’un sens dans le comportement de la nature. La stabilité structurale et la
morphogenèse, à une époque où tant de studieux dans le monde dédient leur temps à calculer,
il est fort bien que quelques uns qui peuvent le faire, songent.
31 La raison pour laquelle les académiciens se fâchèrent si âcrement contre Boltzmann était que
32 Pour en avoir une idée juste combien il est grand le chiffre avancé de dix élevé à la puissance
23, on peut imaginer qu’on imprime en papier habituel, en une seule colonne l’énumération
depuis 1 jusqu’à 1023, avec un espace unitaire entre lignes ; et bien, on aurait besoin d’une masse
en papier semblable a celle que la planète Jupiter possède (environ de 317,8 fois la masse
terrestre). 1023 est le nombre de molécules contenues dans une mole de la substance considérée !
33 La réalité cosmique non seulement comprend les choses, l’ego physique (ou chosique), mais
aussi une partie de l’ego psychique, parce que ce dernier dépend en grande partie et se
construit en partant de l’expérience des impulsions alentour.
14
observations. 34 Elle parle non seulement de l’origine des systèmes et de leur état
au moment actuel ; elle a égard surtout à leur comportement futur. Sur ce point
ça vaut la peine de dire un mot autour de la téléologie cosmique.
La téléologie cosmique
34 Cela n’équivaut pas à dire que les précurseurs de Boltzmann aient été strictement des gens
malhonnêtes ; ils ont été simplement forcés par les circonstances scientifiques de leur temps à
simplifier à outrance leurs descriptions, en vue de lucidement regarder la partie essentielle de
ce qu’ils prétendaient décrire. Nous doutons sérieusement que ces géants fondateurs de la
science physique aient prétendu pétrifier leurs trouvailles une fois pour toutes. Ses partisans,
dans pas mal des cas, sont un cas à part.
35 Une grande partie des points abordés dans cette section suivent les excellentes dissertations
de M. Artigas et de E. McMullin. Ils sont des brillants compilateurs des plus récentes
découvertes scientifiques ; ils essayent de trouver les aspects les plus névralgiques desdites
découvertes et de leur donner le sens de transcendance qu’elles méritent.
15
est celui qu’on peut trouver dans l’esprit humain ; en vérité, aucune fleur,
aucun fruit, aucune semence, etc., ne coïncide avec la précédente ; ils ne sont ni
la même matière, ils n’occupent ni le même espace ni le même temps.
L’évolution n’est point formée par des cercles fermés, mais par des formes
hélicoïdales, qui ne semblent fermés que par une projection partielle. Cet
semblant géométrique est tout aussi utile en tant que la poussée empêchant la
fermeture de chaque boucle a un comportement comme celui du temps.
Partant, la finalité n’est pas seulement le but poursuivi, mais le périssable de
toutes et de chacune des parties de la nature contingente, c’est-à-dire, d’elle
toute. 36 La fin des évènements habite latent en eux de quelque manière et
mêmes les plus athées des hommes de science s’émerveillent de l’ordre qu’ils
rencontrent dans la nature ; c’el tellement ainsi qu’il paraîtrait qu’il y a une
intelligence supérieure, la conjonction d’une force impulsive, d’un principe
d’entretien et un pôle d’attraction, vers lequel s’oriente la réalité. Même le chaos
présente des patrons de comportement, par le biais de son stricte dépendance
des conditions aux bords (en fin de comptes les conditions initiales sont des
conditions de frontière dans le temps expérimental). 37 Dans ce même contexte
se trouve le point de départ de la présence de l’éternité sous-jacente
constamment à chaque instant et non, comme elle est souvent conçue, comme
un temps (durée) indéfiniment grand, sans limites 38 ; l’indéfini fait penser à un
chiffre immense, aussi grand qu’on puisse l’imaginer et, par conséquent, il suffit
de songer au numéro successeur de ce grand chiffre-là et alors on aura un étant
davantage plus grand, ce qui est une contradiction dans les termes ; en plus,
indéterminé est synonyme d’inconnu, d’ignorance bigote et commode. Par
contre, l’infini évoque l’inconcevable, l’inimaginable et pourtant
conceptualisable ; bien sûr qu’il ne s’agit pas d’un numéro ou d’un chiffre, ce
n’est pas un étant maniable, mais certainement il souligne la transcendance
d’une tendance.
36 Loin de notre pensée quelque forme schopenhauerienne que ce soit de fatalisme annihilant,
d’existentialisme suburbain ou de nihilisme aberrant.
37 Une bonne définition de ce qu c’est un fluide dans ce sens nous est donnée par l’auteur dans
sa thèse de doctorat : un fluide est une sorte de chaos vectorisé (en gardant ainsi le direction et
la signification qui, en soi même, il possède).
38 Il convient ici de se rappeler qu’en français on a la ressemblance phonétique des mots infini et
indéfini ; la distinction est mise au clair dans le texte, apparemment insignifiante et pourtant
fondamentale.
16
aussi. 39 Celle-ci n’est pas du tout un moindre affaire sans importance ; elle a une
relation étroite avec le libre arbitre de l’homme et avec son incapacité radicale
(inévitable à la fois) de créer ex nihilo. Seulement une volonté suprême et
extratemporelle peut créer des futurs contingents dans le souverain désir de
respecter la liberté de l’homme, lequel découvre seulement la contingence
comme conséquence des couses connues dans le passé : l’homme procrée et il n
y a que Dieu que crée. Surprenant le langage auquel nous traîne la téléologie !
Celui-ci n’est pas certes la façon de parler scientifique ; cependant il naît du
besoin sincère de comprendre ou, du moins, de consciemment contempler le
monde. Comment mettre en scène la téléologie dans le cadre de la science ?
Il y a quatre pas que la téléologie doit manifester en vue d’être telle dans
le domaine de la science :
39 Saint Thomas d’Aquin défend formellement la thèse selon laquelle Dieu connaîtrait les futurs
contingents (S.Th. I, q. 14, a. 13) ; cela est une conséquence directe de l’atemporalité du
Créateur, pour qui l’acte d’amener les choses vers l’existence ne possède point de dimension
temporelle.
40 Un exemple de domaine dans lequel ceci est plus qu’évident est la polémique eu égard de
ii) Les fins des processus sont les buts des tendances. Ce qu’on
observe dans les systèmes de la nature, y comprise la matière apparemment
figée et terminée, n’est pas une réalité « objective » mais une ou plusieurs
tendances. Voilà le sens fort de l’évolution ; celle-ci n’est pas une simple
adaptation à une série de circonstances, mais plutôt encore une capacité de
devenir, de tendre vers quelque chose qui la dépasse.
iii) Les buts des tendances sont de facto les résultats naturels avec
des attributs de perfection et de bonté. L’embouchure des processus dans la
nature sont des manifestations d’un goût d’optimisation ; que ce soit sous la
forme des lois d’effort minimal ou d’économie maximale ou des états de la
stabilité la plus grande possible, les brisures de symétrie cherchent toujours à
perfectionner la forme de réponse d’un système devant les changements
imposés du dehors ou, parfois, dès l’intérieur d’eux-mêmes. Également la bonté
desdits états se rapporte à la « bonification » que la nature atteint dans chaque
changement, dans chaque transformation, dans chaque situation adoptée d’une
façon toute nouvelle.
Depuis les quarks jusqu’aux super cumuli de galaxies, en passant par l’ADN,
une amibe, une forêt ou une vache, eux tous ils exigent une stratification allant
au-delà de la pure catégorie intellectuelle. Les équations décrivent toujours un
fait réalisé. 44 Ce fait accompli est, bien entendu, le phénomène naturel que l’on
prétend décrire, mais c’est aussi le processus psychique de compréhension
grâce auquel l’homme prend conscience du phénomène. Le « nombre » (c’est-à-
dire, nos équations) n’est pas un mode rationnel indépendant, mais qu’il va
plutôt de la main de cet autre mode primaire de notre rationalité propre qu’est
la « parole » (c’est-à-dire la raison limitée qui a écrit les équations) ; et ces deux
modes sont, et l’un et l’autre, des formes de l’ordre contingent qui trouvent leur
origine et leur terme dans l’ordre non contingent (nécessaire) de
l’autosuffisance de Dieu (terme ou finalité insinuée plus haut).
discours ; étant physicien et mathématicien très doué lui-même, il quitta toute sa science à l’âge
de 19 ans, après une nuit d’ »illumination », consacrant tout le reste de sa vie à la métaphysique
(dans laquelle, à part les discussions qu’on peut soulever, il fut simplement brillant).
44 Comme Bergson le dit textuellement dans Essai sur les données immédiates de la conscience : « la
mécanique opère nécessairement sur des équations, et une équation algébrique exprime
toujours un fait accompli. »
19
Notons en passant que cette manière de voir les choses est évidemment
limitée à l’esprit de l’homme ; comme si nous étions un virus qui, en se trouvant
dans le torrent sanguin, aurait à décrire les corps globulaires du sang.
L’ignorance est l’oubli en puissance.
45Employé comme référence par T. F. Torrance dans « Divine and contingent order ».
46Voilà encore un sujet qui mériterait un traitement plus étendu que celui qu’on fait ici. Mais il
suffirait de dire que nous prendrons comme limite microscopique ici le zéro absolu, et pour
limite macroscopique la vitesse de propagation de la lumière.
20
C’est ainsi que chaque niveau de réalité s’ouvre aux niveaux supérieurs
et, relativement, il se ferme aux inférieurs (comme en un verre translucide).
Notons aussi que, en agissant ainsi, nous effectuons une brisure de symétrie.
Est-ce là une erreur de la nature ? En tout cas il est clair que c’est l’ignorance qui
devient oubli et jamais le contraire ; nous ne pouvons rien faire à cet égard, et
celle-ci est une autre manière d’exprimer ce que nous voulions dire au début de
cet article, lorsque nous parlions du caractère opérationnel du temps.
La nécessité dicte qu’une réalité est comme elle est sans avoir pu être différente.
Ainsi, par exemple, les lois de Newton ou le champ électromagnétique sont
nécessaires d’après la science positive ; les corrélations entre les corps obéissent
ces principes « nécessaires » et il n’y a aucune raison d’être instaurés du dehors.
Ceci signifie que, selon cette perspective-là, la réalité est comme elle est et on ne
devrait mettre en doute ses raisons. D’ailleurs, le présupposé métaphysique
disant que dans l’univers il y a quelque chose au lieu qu’il n’y aie rien se traduit
simplement par la chaîne des causes se remontant aux débuts ; des structures
complexes telles que la vie ou l’auto-organisation de la matière s’expliquent par
le biais du recours au hasard. Les règles intrinsèques gouvernant le
comportement de la matière sont comme elles sont sans avoir pu être
différentes, suivant la combinaison du nécessaire et du hasardeux. Une telle
perspective tâche de justifier l’activité scientifique comme la recherche de ce qui
se trouve déjà dans cette immense habitation qu’est l’univers où nous vivons ;
la question se réduirait tout simplement à reconnaître ce que se trouve â
l’intérieur et quelque autre conjecture sur une extériorité serait purement
gratuite e inutile. . Assez curieusement, cette vision appauvrissante de la nature
a laissée la place à la découverte du premier mécanisme de control d’ouverture
et fermeture dans la lecture du ADN au niveau du noyau cellulaire (i.e. la
théorie de l’opéron lac). Toutefois, cette ligne de pensée est franchement
déterministe et, comme telle, elle comporte une bonne mesure de fatalisme
magique 47 . Ce qui est tragique dans cette ligne de pensée est qu’elle exclue
définitivement l’entendement humain de la description qu’elle fait de la réalité ;
elle voit le monde comme si nous ne faisions pas partie de lui. Comme on l’a
déjà souligné plus haut, cette myopie détruit toute possibilité de découverte
réelle, elle élimine d’un coup la possibilité de l’évolution créatrice avec le plein
sens de sa force. En vue d’éviter l’écueil du relativisme absolu elle tombe dans
l’extrême opposé. 48
47 Il paraît clair qu’il s’agit là du fatalisme car il accepte tacitement, tout en se déniant le droit à
se poser des questions de plus en plus profondes à l’égard des la nature et ses raisons ; le côté
magique lui vient d’une acceptation aveugle et ouvertement fidéiste d’assumer les règles du jeu
de la matière.
48 En parlant de relativisme nous nous rapportons au psychologisme que la science ne peut pas
permettre, ayant amplement raison pour cela, de faire irruption dans ses systèmes de pensée.
Cela serait fatal puisqu’on aurait une source de nouvelles formes de superstition, de faux infinis
21
et d’absolus relatifs, d’impostures toutes aussi graves que celles qui sont produites par le
nécessitarisme et le hasardisme (pardon pour les néologismes).
49 En plus, cette apparente fermeture d’esprit monodienne laisse parfaitement ouverte la
possibilité de dialogue entre la science et la foi car elle n’ajoute aucun ingrédient vraiment
solide donnant une explication réelle, complète et alternative de la réalité cherchée par la
science. Il nous semble simplement qu’il s’agit là d’un préjugé positiviste monumental qui doit
être dépassé en vue d’une honnêteté de pensée à toute épreuve.
50 L’apparente tautologie dans la fondation de la science se résout avec l’ouverture de la pensée
Il ne nous reste que voire quelles sont les conséquences concrètes vis-à-
vis de la transcendance suggérée jusqu’ici comme ouverture de la connaissance
scientifique ; le même mot de transcendance fait appel à une série
d’interprétations et de compromis pour l’homme de science et, certainement,
pour l’homme de Dieu qui ne peut pas non plus mettre en travers le monde
(par la même honnêteté qu’on espère du scientifique), en se détachant de son
devoir le premier : être un homme intégral.
« Alors surgit involontairement l’idée que si la mort est aussi horrible et les lois
de la nature aussi puissantes, comment peut-on en venir à bout ? » 53
51 Aucune branche de la connaissance humaine n’est plus concernée par ceci que les sciences
biomédicales et, assez curieusement, la théologie. Ce serait un effort affaiblissant et épuisant
que les deux disciplines essayèrent de se développer indépendamment l’une de l’autre, sur ce
terrain. C’est ainsi car en parlant de la maladie, on ne peut pas s’empêcher en même temps
d’inévitablement évoquer les abîmes de la douleur et de la souffrance, ainsi que l’apothéose de
la solitude que nous appelons la mort.
52 En paraphrasant Thibon qui affirme que toute paix dans ce monde est une paix armée.
53 Citation de L’idiot par Dostoïevski.
54 Comme c’est le cas dans la pensée freudienne avec une téléologie assez misérable et qui
définit comme modèle de normalité la meilleure définition de médiocrité qui puisse exister :
l’équilibre entre le éros et le thanatos, pourvu qu’on évite, selon Freud toujours, l’écueil de la
23
L’être humain a deux chemins possibles : soit qu’il se replie sur soi-même
comme dans la pensée monodienne franchement narcissiste, ou bien il « vit »
son cosmos dans l’eschatologie du devenir. En la première branche de
l’alternative se trouvent les définitions esthétiques du mal, ainsi comme son
partenaire, la fuite ; ceux-ci sont les deux mirages qui font courir l’homme pour
étancher sa soif à une source imaginaire. La deuxième branche est celle d’une
science qui dépasse toutes les limites d’un savoir totalitaire ; et celle-là est
malgré tout, la science permettant la possibilité du mal physique sans le mal
moral. La cause de ceci se trouve dans le dépassement de l’ego psychique par
lui-même, lui permettant de transcender les lois de la nature contingente,
devenant quasi entièrement libre, même si son corps reste soumis aux dites lois.
Ce n’est pas pour cela qu’on peut prétendre que le corps soit la cause de la
chute de l’âme ; c’est l’union du corps et de l’âme qui fait l’homme (non pas
comme le vin dans une bouteille, mais comme l’alcool dans le vin) et son esprit
se situe au plus haut niveau de la création ; pour ça, le mal collera davantage
sur l’esprit que sur n’importe quelle autre chose.
Or, qu’est-ce que nous voulons dire par cela ? Puisque l’esprit en se
dépassant se libère du mal moral, est-ce cette libération totale ? Il paraît que oui
et alors c’est quand le mal attaquera le corps physique ; que celui-ci se dépasse
comme le fait l’esprit n’est pas du tout évident, surtout dans le contexte de la
philosophie laquelle est une activité intellectuelle avec les yeux fixés sur en la
compréhension des sujets et objets de la connaissance, tout aussi comme dans la
connaissance elle-même. Et cela n’est pas évident non plus dans le contexte de
la physique, dû précisément aux lois de la nature.
névrose. Heureusement, nous pensons, le monde a donné quelques névrotiques géniaux qui
nous ont donné la science et l’art dont nous pouvons être fiers en tant que lignée humaine.
55 Nous disons ça en appelant justement ce qu’on a dit dans les sections précédentes : l’âme
(anima) trouve son équivalent dans l’ego psychique husserlien et la vie est justement l’animation
de la matière dans la complexité de son organisation, non pas pour la complexité elle-même,
mais pour la capacité radicalement nouvelle et inattendue de se penser pensant.
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l’exception. Nous entrons ainsi dans un terrain qui n’appartient pas à celui du
savoir englobant ; le savoir limité par les lois de la nature (physique), ou le
savoir des processus de la connaissance (philosophie) ne suffissent pas. La
science du savoir sans savoir ne peut être limitée car elle irait directement
contre sa propre nature. Soulignons-le un fois de plus 56 , c’est l’univers même
qui s’écrie de toutes ses forces, par son comportement, qu’il est en devenir et
qui nous montre par là la porte d’entrée vers cette science dépassante :
La science actuelle se trouve plus que jamais en son pouvoir avec les
éléments nécessaires pour reconnaître que sa force lui vient de sa faiblesse, de
son incapacité radicale pour répondre à la question ultime : quel est le plan de
l’œuvre ? La science et l’art sont les deux plus grandes œuvres sorties des mains
des hommes ; leur grandeur provient de que leur origine et leur fin se trouvent
hors d’elles. La démesure est la vraie mesure de l’homme, c’est la conclusion de
la science dépassante. Des chemins différents mais une même conscience, ce
sont et Dieu et la science.
Conclusion
mieux gardés de la nature ; toutefois, c’est très tôt que l’esprit scientifique
remarqua que, si bien les bases du fonctionnement du monde sont simples, leur
développement est bien loin d’être simple. Malheureusement, les tendances
subjectivistes qui ne mettaient en question rien rendu par des autorités déjà
disparues, empêchèrent que la science avançât au long de presque tout le
Moyen Âge, étant la superstition et la fermeture d’esprit les seuls conducteurs
du savoir ; ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle que l’on a commencé à entrevoir le
fond de la connaissance humaine et de son rôle joué dans l’interprétation des
phénomènes naturels.
58 Songeons que la seconde moitié du XIXe siècle a été l’une des époques des plus brillantes de
la science en général ; c’est pratiquement tout ce qui a été récolté et développé au long du XXe
siècle qu’était né au siècle précédent (les hommes de science y compris).
59 Nous remarquons aujourd’hui l’immense changement de la structure mentale que la
formulation des théories comme celle de la mécanique quantique, les théories spéciale et
générale de la relativité, les modèles cosmologiques, etc., a exigé et le tout sur une période de
temps si court que l’esprit humain n’a pas su suivre le pas au rythme de la volonté.
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60 Citation par K. Wilber dans son essai magnifique Questions quantiques ; écrits mystiques des
physiciens les plus fameux.
61 Michael Faraday.
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