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L’attente de l’inattendu
Quelques considérations concernant le devenir
transcendent de la nature
Dr. Alexandre S.F. de Pomposo

Introduction.
Le temps et les chaînes de l’éternité.
L’auto-organisation de la matière.
La seconde loi de la thermodynamique.
La téléologie cosmique.
Les niveaux de la réalité.
Ni hasard, ni nécessité : une amnésie ignorée.
Toute science dépassant.
Conclusion.
Références.

Introduction

« La loi de causalité est la synthèse de deux éléments irréductibles entre eux, le


changement et l’identité » 1 est une citation qui reflète bien la forme de la pensé
régnante dans l’épistémologie de la science vers la fin du XIXe siècle. En ce
moment-là la physique, la plus élémentaire des sciences 2 , montrait les limites
de la connaissance humaine sur la réalité cosmique ; encore plus, elle croyait
déjà épuisées les études sur les lois régissant l’univers. En effet, la formalisation
mathématique des lois de Newton, faite par Hamilton, faisait une impression
monolithique sur la connaissance de la mécanique. D’une manière parallèle,
Maxwell avait déjà systématisé les diverses théories de l’électromagnétisme ; on
avait même tendu un pont assez surprenant entre ledit électromagnétisme et
l’optique physique. Bref, il ne restait pas grande chose à rechercher sauf trois
« petits » problèmes, à savoir, l’effet photoélectrique, l’effet Zeeman anomal et
plusieurs questions concernant les phénomènes de la diffraction de la lumière.
La leçon pour la physique fut accablante avec sa position face à la réalité : les
trente années qui suivirent virent la naissance de la mécanique quantique, des
théories spéciale et générale de la relativité, et de la thermodynamique des

1Cfr. Émile Boutroux, De la contingence des lois de la nature. Thèse de doctorat, Paris, 1874. p. 24.
2 Élémentaire en tant que « contient, qui concerne les premiers éléments d’une science, d’un
art » comme le définit Le Petit Robert.
2

phénomènes irréversibles. La science des merveilles 3 ne serait plus jamais la


même.

De leur part, la philosophie et la théologie se débattaient sur des terrains


plus « biologiques », c’est-à-dire plus proches de ce qui est strictement
anthropologique. Le vitalisme bergsonien, l’étude de la formgeschichte et, en fin
de compte, tout le mouvement du sturm und drang romantique touchant à sa fin,
ils montraient l’inachevé des modèles de pensée jusqu’alors intégrés. La vérité
cherchée se montrait plus comme un mensonge consistant (et, en tant que tel,
identifié avec ladite vérité) qui réduisait une bonne partie de l’étude de la
réalité à une taxonomie complexe ; il y avait en elle un reflet d’éloignement des
perspectives que la science cherchait en ce temps-là. Néanmoins, beaucoup
d’efforts se sont faits pour concilier les conclusions obtenues en philosophie
avec ceux de la science physique 4 ; en tout cela, même la métaphysique trouva
un terrain fertile pour orienter sa pensée 5 .

Partant, la science physique étant la plus fondamentale des sciences à


cause de la liaison avec les principes mêmes qui fixent le comportement de la
nature, n’importe quelle autre discipline, scientifique ou non, était seulement le
prolongement de la physique, dans la complexité, ça oui, mais pas plus qu’une
extension. Petit à petit, la mathématique devint le langage sophistiqué de la
physique : son identité non scientifique 6 lui faisait se placer au-dedans de la
physique. C’est de cette manière-là que se sont posés beaucoup de concepts
mathématiques extrêmement fins ; il suffit de se rappeler des géométries de
Riemann et de Minkowski. Cependant, la description des phénomènes de la vie
restait tout à fait de côté, assez méprisés par les physiciens théoriciens. Le
dégrée de complexité de ces phénomènes les faisait, en même temps, être peu
représentatifs de la réalité « forte », c’est-à-dire « objective » (faisant de

3 Il s’agit d’une expression employée par Santiago Ramón y Cajal dans son œuvre « El mundo
visto a los ochenta años » (le monde vu aux quatre-vingt ans), tout en reconnaissant la valeur
fondamentale de la physique face aux autres sciences, la biologie y comprise.
4 Il suffit de considérer le propre Bergson avec son « Évolution créatrice », à Émile Boutroux

dont on a déjà fait mention plus haut, à S. Kierkegaard avec sa pensée juste, bien que complexe,
à l’égard du sens de la douleur et de la souffrance humaines, à M. Blondel qui dans son
« Action » fait un premier effort pour aborder la réalité avec tout le poids de la culpabilité
humaine, et beaucoup d’autres imprégnés d’immenses influences spinozistes, kantiennes ou
hégéliennes.
5 Nous songeons tout spécialement en l’œuvre remarquable de J. Maritain dans laquelle le père

du néothomisme stratifie les dégrées du savoir humain, tout en gardant la place de choix qui est
celle de la métaphysique thomiste. Le prix payé pour cela est l’impitoyable critique déferlée sur
la pensée bergsonienne.
6 Nous disons cela sur la base du fait que la science est une discipline qui naît de l’expérience

des événements de la nature, se retirant ensuite vers l’abstraction (qui est, à son tour,
l’explication du réel par le moyen de l’impossible) en vue de développer le cadre conceptuel qui
convient à de tels événements et, finalement, elle retourne vers l’expérience pour corroborer ou
changer les hypothèses et conjectures initiales. Par contre, la mathématique naît, grandit et
meure dans l’abstraction, sans jamais avoir besoin du recours envers l’expérience vécue de
l’espace-temps. Bien entendu, tout ceci en ayant la mathématique pure (non appliquée) dans
l’esprit.
3

l’objectivité une équivalence du critère de vérité). L’explication de cette attitude


se trouve dans le développement scientifique de la seconde moitié du XIXe
siècle ; c’est au long de cette période que les idées principales de la science
contemporaine se structurèrent, et aussi que le développement ultérieur de la
science et de la technique du XXe siècle se constitua.

C’est Ludwig Boltzmann qui a été la seule exception à ce qu’on a dit


jusqu’à présent. Ce sage trouva que la réalité universelle ne pouvait être
compatible que avec un principe de désordre croissant en imposant ainsi une
sorte de direction préférentielle en l’évolution des systèmes dans la nature.
C’est peut être de trop dire que ses collègues physiciens se sont niés à accepter
de tels propos pour un monde qui manifestait (en apparence) des symétries, de
l’ordre et jusqu’à un certain point la propriété d’être prédit. La causalité
paraissait contredire absolument le second principe de la thermodynamique (la
loi de Boltzmann). Tellement grande avait été la pression exercée sur cet
homme de science, que pour finir il tomba dans une profonde dépression, ce
qui l’a finalement poussé a se tuer par un suicide en 1906. Cependant, ses
théories non seulement ne furent point stériles, mais qu’elles donnèrent le point
de départ pour bâtir le pont entre la physique fondamentale et la biologie, entre
autre choses. 7 Une grande partie du présent article a comme but d’extraire les
conséquences les plus essentielles de ce principe de l’entropie croissante, pas
seulement dans le cadre de la science, mais aussi dans le cadre de
l’épistémologie extrême, de la transcendance. Nous voulons montrer avec cette
analyse quelle devrait être la véritable attitude de l’homme de science face à la
vérité qu’il recherche.

À l’heure actuelle la science compte sur un patrimoine de connaissances


pas du tout négligeables ; toutefois, si bien il est vrai que nous savons trop, c’est
vrai aussi que nous savons trop peu. Même le concept de réalité n’est évident
pour personne et les bases du langage scientifique même semblent trembler à
chaque coup de questions que la philosophie lui adresse. Néanmoins, la
philosophie ne paraîtrait pas apte en ce moment pour résoudre les doutes en
provenance de la science, surtout en ce qui concerne les différences entre le
temps et la durée, entre l’être et l’existence, entre le futur et le devenir, avec les
idées et les concepts qui conviendraient justement à la science. Or, c’est
précisément en notre temps d’aujourd’hui que la science, la philosophie et
même la théologie semblent se diriger vers des point en commun ; plus à la
manière des anciens, vers une vérité qui étant méconnue elle était alors
transcendante, mais plutôt vers la vérité pressentie, là où la dimension
mystérique se manifeste justement dans le processus cognitif, dans la démarche
intuitive, dans la constatation d’une réalité toujours « observable » mais en
même temps toujours « fuyante », voilée. La transcendance dans la nature est
exactement semblable à ce qui arrive dans l’événement fondateur du « big
bang », c’est-à-dire, que loin d’être une explosion dans l’espace et dans le
temps, il s’agit plutôt de l’explosion de l’espace t du temps. Ni les perspectives

7 Vide ad infra.
4

organiciste, mécaniciste ou évolutionniste ne peuvent faire le point de la


démesure devant laquelle se trouve l’épistémologie du devenir cosmique.

Quoi dire eu égard de la dimension anthropologique ? Tout ce qui


concerne le cosmos concerne aussi l’homme, et vice-versa. : mais, en plus, les
devenirs de l’homme et du cosmos obéissent non seulement les mêmes lois de
la nature, mais ils possèdent le même sens. 8 L’évolution a un sens fort ; il est
essentiel de comprendre cela si l’on veut entrevoir l’intention fondamentale de
la création et l’insinuation transcendante sous-jacente au maintien cosmologique
de la réalité. En effet, la téléologie n’assigne pas une valeur utilitaire à la nature
mais encore elle assume les sens cosmologique, anthropologique et
métaphysique de la réalité.

Le temps et les chaînes de l’éternité

La pensée philosophique de tous les temps est en soi une réflexion sur le temps,
sur sa nature, ses conséquences, sa naissance et son collapse, ses projections
multiples dans l’espace, dans l’esprit humain et dans la besogne divine. De la
même façon, la physique a été fondée comme telle au moment qu’elle est
parvenue à décrire le mouvement des corps et les forces qui causent ces
mouvements ; il aurait été quasi impossible atteindre la déduction des principes
de la cinématique et de la dynamique célestes sans une conception quelconque
de temps. 9

Néanmoins, les points de vue des philosophes et des scientifiques


concernant le temps ne furent pas les mêmes. Les premiers voyaient dans les
trois moments fondamentaux de la temporalité, le passé, le présent et le futur,
une sorte de fluide que simplement passait par l’entonnoir de l’esprit humain,
ayant par conséquence une illusion, la durée. Les derniers voyaient, par contre,
un simple paramètre, c’est-à-dire, un nombre assigné en tant que quantité
contrôlable (paramètre de control) et qui donnait une projection instantanée du
moment dans l’évolution du système considéré. Voilà comment les philosophes
ont considéré le temps d’un point de vue strictement subjectif pendant des
siècles ; à leur tour, les physiciens ont voulu le voir objectivement, en décrivant
la réalité du monde et ses phénomènes comme si nous ne faisions pas partie de
lui. 10

8 Nous entendrons toujours par sens, dans cet article, aussi bien la direction que la signification
des événements dans l’espace-temps ; c’est ainsi que nous sauvegardons le poids ontologique,
la réalité épistémologique et la dimension éthique de tous les actes. M. Blondel se préoccupa
bien de garantir l’intégrité des trois aspects de la connaissance et de l’expérience.
9 Il suffit de considérer les lois de Kepler, la cinématique de Galilée et la dynamique de Newton,

eux tous principes avec un grand pouvoir prédictif et où le temps t n’est qu’un paramètre, c’est-
à-dire, un nombre librement choisi en vue de fixer un moment dans l’évolution du système.
10 Il est important que cette différence de perspectives soit fixée dans notre entendement

puisque c’est l’origine des immenses contradictions entre les deux voies. En plus, ces
5

C’est dans le cadre de ce qu’on a dit à l’égard des perceptions du temps


que se trouvent les recherches de Boltzmann et qu’elles acquièrent tout leur
poids épistémologique. Cet homme de science allemand découvrit le caractère
irréversible des processus de diffusion ; et non seulement cela, mais aussi et
surtout il montrât quel est le pôle qui attire vers lui la nature et la tourne
asymétrique dans une manière telle d’évoluer qu’elle crée une direction
préférentielle : il montrât que c’est l’entropie maximale celle qui correspond à
l’état auquel les systèmes tendent. Le poids épistémologique de cette
conception est le suivant : ce n’est pas le temps qui dans son écoulement est une
illusion persistante de l’esprit humain, c’est plutôt l’idée de symétrie (plus
géométrique que naturelle) qui est une ruse de l’entendement pour systématiser
l’étude de la réalité. Pour cela, comme le disait Einstein, le plus
incompréhensible de l’univers c’est qu’il soit si facile de comprendre. 11 En effet,
la considération du temps inévitablement conduit à des perspectives
particulières sur la connaissance et son sens. Celui-ci est l’un des aspects les
plus controversés derrière les interprétations à l’égard du cosmos et son
devenir. Ceci non seulement du point de vue téléologique, mais aussi en ce qui
concerne l’ « auto-organisation de la matière ».

Sur ladite manière dont la matière est distribuée dans la nature, et qui
semble ne point être uniforme 12 , surgit la question heideggérienne de pourquoi
l’univers est comme il est et non pas différent. Il paraît que le temps, le temps
véritable qui per se modèle la réalité, il opère sur elle et l’organise sous la forme
que nous voyons et mesurons ; nous ne le voyons pas, nous le souffrons, nous
l’endurons, et il se situe au-dessous de mon je indicible et, à la limite,
mystérique. Il ne s’agit pas uniquement d’une appréciation philosophique, c’est
une question surgissant du sein même de la mécanique quantique (à travers le
principe d’incertitude de Heisenberg dans les espaces de position et quantité de
mouvement, et de l’énergie et du temps) et de la mécanique statistique. 13 Dans
le cas de la mécanique quantique, c’est presque de trop de dire que les
hypothèses qui l’ont créée produisent toujours de la polémique au centre de la

divergences sont aussi le point de départ de l’exclusion de toute vision transcendante dans la
physique, tout au moins au long des trois siècles qui suivirent les travaux de Newton.
11 Citation de Wheeler et al. Gravitation. Einstein avait une vision déterministe de la nature ; il

était spinoziste dans son appréciation de la temporalité et donc il n’a jamais accepté le caractère
irréversible des phénomènes (cfr. Lettre à son ami Besso).
12 Elles son nombreuses les conjectures sur la distribution de la matière dans l’univers. Celui-ci

n’est pas le lieu d’exposer les différentes théories à cet égard, mais il nous faut mettre au clair
qu’elles toutes reflètent la forme d’interaction entre l’esprit humain et l’univers matériel, soit en
ouvrant le panorama aux possibilités constructrices de la réalité, ce qui est à partir de ce qui
n’était pas, soit en concluant une réalité autosuffisante et indépendante de n’importe quelle
forme forte de devenir, en diluant ainsi le sens de l’évolution.
13 Il est for recommandé à cet égard de jeter un coup d’œil sur l’interprétation faite par Tolman

sur l’hypothèse du chaos initial dans son livre magnifique « Statistical Mechanics ». Il dit que la
question de si le temps est une réalité en soi ou pas es secondaire ; il est beaucoup plus
important de savoir si le temps est vraiment linéaire, continu ou si ce que nous voyons dans la
réalité n’est que le comportement « statistique » d’une durée qui fait de sauts vers l’arrière, mais
qui en moyenne avance vers le futur. Qu’on est loin de la perspective augustinienne !
6

physique même, où il n’est pas du tout clair si c’est la science qui devrait servir
la réalité, ou vice versa. Dans le cas de la mécanique statistique le problème du
temps est cependant encore plus délicat car il se construit à partir de la
mécanique classique, tout en parvenant à des interprétations ouvertement
asymétriques dans la manière dont les systèmes évoluent ; ça suffit de se
rappeler le théorème H dans lequel l’idée de Boltzmann de l’entropie maximale
es reformulée. 14

Il semblerait que faire référence au temps peut se résumer en une


question de symétrie ou d’asymétrie ; et c’est vraiment ainsi. Pourquoi la
matière a-t-elle la tendance à se grumeler, à s’organiser en « grumeaux »,
cassant de cette façon-là toute symétrie ? Sûrement que la symétrie est une
forme assez commode d’aborder la réalité : il suffit de connaître une moitié et
nous connaîtrons automatiquement l’autre moitié, comme dans une image
spéculaire. Et, au-delà d’une question de pure commodité, cette perspective
permettrait de prédire le comportement des systèmes, parvenant même à
percevoir la vie comme une conséquence logique de la façon dont la matière
s’agglutine. Néanmoins, cette manière de voir les choses contredit en grande
partie ce qu’on observe dans la nature ; en particulier, elle ne rend pas compte
de l’apparition des structures qui n’ont rien à voir avec celles qui l’ont
précédées aux strates de la réalité, de ces formes particulières d’organisation
inattendue qui doivent être définies par le moyen d’un langage autre que celui
qu’on avait l’habitude d’utiliser dans leur description ; c’est comme si les
systèmes « oubliaient » tout d’un coup leur passé et « décidaient » de changer
leur niveau d’organisation en vue de construire une nouvelle réalité plus
efficace et mieux adaptée au changement. Notons d’emblée comment ici le
langage trahit notre inaptitude totale pour décrire ce que nous voulons ; nous
sommes obligés à l’emploi de termes réservés pour le comportement
strictement humain. Nous accordons de la conscience, de la volonté et même de
l’entendement à la matière inerte. L’articulation du sens des mots est toujours
l’un des paradigmes des plus complexes dans l’épistémologie de la science. 15

Or, si le temps n’est ni un paramètre de control, ni une coordonnée de


plus, mais un opérateur, c’est clair que nous ne pouvons pas interpréter les
effets du temps comme une simple facilitation d’écrire nos équations. Nous
traiterons là avec l’un des principes fondamentaux de la réalité et de la manière
dont nous la percevons ; nous serons en train de considérer que, à cause de son
caractère inachevé, l’esprit humain ne peut pas se suffire à lui-même pour
épuiser la réalité 16 . Cela n’obéit à aucune forme de psychologisme où la partie

14 Le texte de Mécanique Statistique de Huang présente une superbe résumée de la déduction


de ce théorème.
15 Jean Ladrière est l’un des rares philosophes qui se sont occupés à faire le point sur la forme

dans laquelle le langage rend comptes des réalités scientifique et métaphysique (cfr, à la fin de
cet article la bibliographie où la source dont nous parlons est spécifiée.
16 De fait, la réalité perçue de cette façon-là est inachevable. Ils ne sont pas seulement le hasard

et la nécessité qui décrivent le monde tel qu’il est ; or, c’est la contingence, malgré son aspect
7

manquante de l’entendement jouerait le rôle d’une sorte de chantage qui


chercherait simplement réveiller la nécessité que quelque chose d’inatteignable,
le tout dans le seul but de consoler cet esprit chercheur de la vérité de sa propre
limitation, Non, ce serait fermer le boucle de la tautologie et nous avons déjà dit
que l’acte humain (et la pensée est une sorte d’acte) possède toujours un poids
de valeur (d’où la composante éthique toujours présente) ; nous assumons que
l’entendement en entrant dans l’analyse de la réalité est honnête et se comprend
lui-même dans ladite analyse. En conséquence la morphologie de la vérité
consiste en jamais perdre l’espérance qu’en dernier terme nous atteindrons
l’impossible par le biais de l’approximation, qui non seulement permet
d’assumer d’une façon consistante les connaissances précédentes ; bien
davantage, et très principalement, il s’agit de maintenir l’ouverture aux
exigences nouvelles surgies pendant la recherche de telle morphologie, même
en détriment (pourvue que ce soit nécessaire) des connaissances précédentes.
Voilà l’attitude de l’homme de science véritable, de celui qui attend l’inattendu.

D’ailleurs, le philosophe qui aspire à rencontrer la consistance des vérités


scientifiques découvertes et à les intégrer à ses systèmes de pensée, il doit
connaître non seulement à fond ce qui meut l’homme de science, mais qu’il doit
aussi ouvrir ces systèmes-là. Omettre ceci peut résulter dans la prise des risques
terribles car, tout en prenant en dégoût les euphémismes, on tomberait
sûrement sur des mensonges consistants qui seraient, à leur tour, une
imposture ouverte face à la science, avec l’éloignement qu’on connaît. C’est
ainsi qu’on ne peut pas facilement distinguer l’attitude du penseur en
philosophie de celle du scientifique. On pourrait dire la même chose de
l’homme de Dieu qui a l’impérieuse nécessité de découvrir la cohérence entre
l’œuvre et son créateur.

Jusqu’ici tout est directement ancré sur la conception qu’on ait du temps.
Ce n’est plus le temps en tant que faiseur d’espace (que n’est pas peu de chose),
mais le stimulus sous-jacent des forces de la nature, l’homme y compris, et en
visant dans une direction précise, donnant signification à la réalité. Ceci est
essentiel et, en plus, c’est indépendant de quelle est exactement la fin ou le but
auquel on tend ; la signification provient de la morphologie même de la vérité,
du maintien de la réalité changeante. C’est ainsi que, au contraire de ce qui est
affirmé par Boutroux au début de cet article, l’identité ne dérive pas sa force de
la coïncidence avec le changement, tel que la causalité nue le prétend ; c’est
plutôt le changeant avec une signification ce qui fait que l’identité ne puisse
jamais se construire sur soi-même. Si la causalité semble s’accoupler avec la
réalité, c’est seulement parce que notre perception même est du passe, est un
mirage prétérite. Finalement, donc, l’esprit humain avec sa soif de connaître les
lois de la nature, se trouve enchaîné à la nature du temps. Celui-ci le conduit
vers le sens ultime de l’existence comme un tout et, en même temps, lui fait

frustrant en laissant ouvertes les possibilités de réalité non actualisées, c’est elle donc qui fait
une place au même esprit humain dans le contexte de la réalité.
8

payer le très haut prix, bien que certes indispensable, du vieillissement, de la


douleur, de la décrépitude, de la souffrance, de la mort.

En conséquence, l’opérateur temps n’a qu’une manifestation : le présent.


Il ne s’agit pas d’une manifestation mesurable et à la limite elle n’est même pas
assujettie à l’intuition ; c’est une manifestation strictement existentielle.
Cependant, le temps n’est pas une manifestation ; lui aussi se consolide sur une
base : l’éternité. Ce concept aux teintes quasi exclusivement philosophico
théologiques, se trouve également inscrit dans la science, ça oui, en tant qu’une
possibilité mathématique, foncièrement géométrique, de simultanéité absolue. 17
Ce que nous appelons passé et futur a beaucoup plus en commun avec l’espace
qu’avec le temps, l’un déjà fait et l’autre à faire. Mais l’expérience ponctuelle du
présent est le lieu même de l’esprit humain et de la réalité opérante de la nature.
Celle-ci est la porte d’entrée vers la transcendance dès n’importe quel domaine
que l’on veule considérer. Si le monde a un sens, il l’a maintenant ou autrement
il ne l’a absolument pas.

Comment pouvons-nous situer la matérialité dans une telle perspective ?


Essayer de répondre à cette question est fondamental en épistémologie de la
science, puisqu’en cela se joue le substrat de la spiritualité humaine. Une partie
centrale c’est le cerveau, avec sa nature neurale (qu’on appellera « neuarlité »),
qui incarne la forme où le cosmos se pense à lui-même, comme mécanisme très
efficace de répondre aux stimuli, tout spécialement au stimulus du temps. La
force de la temporalité trouve ses racines en ce qu’on ne pas l’attraper ; tout au
plus on peut le pressentir, l’exister, le souffrir. La matière, pour cela, réclame
une situation exacte dans le devenir qui lui aussi le travaille, le moule, le fait
devenir dans le contexte de la réalité au quelle elle contribue substantiellement
à construire.

L’auto-organisation de la matière

En commençant par la question concernant ce qu’est la matière en soi, on n’a


pas su jusqu’à présent apporter une réponse simple : on a montré l’équivalence
théorique entre matière et énergie, le comportement dual de la matière
(particule et onde), les champs des forces associés aux types divers d’interaction
entre les parties de la matière, les composantes, les sub-composantes, les sub-
sub composantes, etc. sans être parvenus à une conclusion tranchante. 18 Or ce

17 Assez curieusement la définition la plus claire que nous possédons de l’éternité est celle qui
est proportionnée par saint Thomas d’Aquin : « …interminabilis vitæ tota simul, et perfecta
possessio. » (S. Th. I, q. 86, a. 3).
18 Une bonne partie des discussions des cent dernières années s’est développée autour de ces

questions : les théories spéciale et générale de la relativité, la mécanique quantique, la théorie


des champs et celle des particules élémentaires, etc. elles ont toutes essayés de montrer l’essence
de la matière. Toutefois, la théorie du champ unifié est celle qui a suivi l’appel de la source
9

qui nous occupe dans cette section n’est pas tellement la nature intime de la
matière, mais les formes extraordinaires que celle-ci trouve pour s’organiser. 19
Ergo, nous avons intérêt à localiser les éléments fondamentaux de concepts tels
que ordre, chaos, conditions initiales, conditions de frontière, etc.

Ce n’est qu’à partir des années cinquante qu’on a pu commencer à voir la


manifestation de l’intérêt réel sur les règles sous-jacentes à la sélection de
structure, c’est-à-dire, le « patron » choisi par les systèmes en vue de répondre
de quelque façon aux conditions autour desdits systèmes. 20 En même temps le
besoin surgit dans les sciences de décrire d’une manière consistante les idées
d’ordre et de complexité. Même si nous aborderons plus bas, avec un certain
détail, les conséquences de ces idées, nous nous permettons dès maintenant de
dire qu’elles n’on pas encore été entièrement conceptualisées ; au moins pas
d’une forme satisfaisante pour tous les genres de systèmes trouvés dans la
nature. C’est ici que surgit ka conséquence la plus importante de l’action de la
science : mesurer. La théorie de la mesure a été, depuis sa naissance 21 , la clé de
voûte de toutes les sciences et, on pourrait assurer, la différence la plus évidente
par égard au contenu épistémique 22 de la philosophie et de la théologie.

En un système dans lequel on peut pratiquer des mesures, les concepts


d’ordre et de désordre, de prédictibilité et d’imprédictibilité (mesure de la
complexité) sont mis à des dures épreuves de comparaison avec la réalité
empirique et avec les modèles théoriques qui cherchent, d’une certaine façon,
être consistants avec le bagage de connaissances préalablement corroborées. Si
nous tenons compte de fait qu’une connaissance humaine quelconque obéit
toujours au principe de comparaison 23 , exactement sous la même loi régissant
les principes de la poésie et de l’esthétique, nous aurons un cadre conceptuel
essentiellement à la recherche de satisfaire l’esprit humain, en droit légitime de
savourer la cohérence de ses découvertes.

originelle de l’univers ; tout ce qu’on a pu trouver ce n’est que de modèles des fluctuations du
« vide » quantique comme possible origine commune des différentes forces.
19 Le commentaire fait par Ziman dans « Models of disorder » est que derrière l’exubérante

variété des formes adoptée par la matière condensée, il existe une strate commune de concepts,
d’hypothèses, des modèles et de déductions mathématiques qui, en principe, appartiennent à
une seule théorie. Cependant, il souligne aussi la pauvreté de résultats en général, à l’exception
des terrains comme celui de la mécanique statistique et le modèle de Ising pour le magnétisme.
20 Les mots « structure » et « patron » sont la meilleure traduction que nous avons trouvé en

français pour le terme en anglais pattern, c’est pourquoi nous emploierons désormais
indistinctement ces termes lorsque nous feront appel à la morphologie précise adoptée par un
ensemble de particules (depuis 2 jusqu’à 1023).
21 La paternité de cette théorie a été attribuée à Lord Kelvin, étant donné que c’et lui qui a

affirmé, avec pas mal des raisons, qu’un phénomène, par le seul fait d’être là, est de l’intérêt de
la science si et seulement si il peut être mesuré ou il peut être la source d’autres événements ou
phénomènes susceptibles d’être mesurés.
22
On dit épistémique au sens plein du mot foucaultien « épistémè », c’est-à-dire, l’ensemble des
connaissances réglées (conception du monde, science, philosophies…) propres à un groupe social, à une
époque.
23 C’est ce principe recteur qui donna origine au concept abstrait de numéro (et toute la

mathématique qui en découle, c’est-à-dire, toute), comme partitions de l’unité (Dedekind).


10

Comme conséquence, le langage scientifique se traduira concrètement en


forme de recherche morphologique, c’est-à-dire, en quête de formes, de structures
ou patrons de répétitions discernables ; c’est cela qui est justement la mesure.
Un système qui ne présente aucune forme précise d’être connu, précisément
comparé, est un système qui présente peu ou aucun intérêt pour l’homme de
science. Ceci procède du fait que un événement avec de telles caractéristiques
correspond à un événement unique, ou par d’autres mots, extraordinaire. Sur ce
point es née la plus grande des contradictions de la science, à savoir, que d’une
part elle ne peut qu’aborder la connaissance des structures répétitives (i.e.
mesurables) pour les systématiser en modèles permettant de prédire le
comportement des phénomènes ; d’autre part, l’irréversibilité du temps
(garantissant l’évolution des systèmes vers l’efficacité maximale et la finitude
des structures ainsi constituées) marque de son sceau le caractère de non répétitif
des mêmes phénomènes. Comment résoudre ce paradoxe ? Existe-t-elle, de fait,
une solution ? 24

L’une des plus brillantes tentatives pour résoudre ce problème-ci est


dérivé des mathématiques. Les systèmes numériques qui ont recours en eux-
mêmes (des systèmes nichés, des systèmes itératifs) en formant des boucles qui
s’approchent dans la mesure qu’ils se répètent aux mêmes (parlant
opérationnellement) vers un ou plusieurs points appelés attracteurs étranges ; et
pareillement à ces modèles, la conception assez répandue de dimension dans
laquelle on traite que la géométrie desdits attracteurs étranges est de caractère
fractionnaire ou fractal. Non seulement cela crée un langage en apparence plus
adéquat à la recherche des structures dans la nature, mais que en plus il tâche
d’expliquer comment il arrive que la nature, en apparence se répétant à elle-
même, elle ne coïncide jamais avec elle et, par contre, elle se dirige vers des fins
précises. N’empêche que tout cela n’est qu’une abstraction : le problème de la
nature de la réalité reste indemne. Tout semble indiquer donc que le paradoxe
souligné plus haut est le paradigme de la science et, peut être, la source la plus
importante d’étonnement dans la science même ; c’est le garant de la
transcendance depuis la science, puisqu’elle manifeste le sens de la réalité, c’est-
à-dire, le poids téléologique de la connaissance. En d’autre termes, le « style »
que l’entendement des hommes a pour connaître la réalité comporte
inévitablement l’inconnu : c’est le déjà maintenant et le pas encore à la fois. 25
Assez curieusement, les neurosciences montrent en ce moment que la texture
du système nerveux central, c’est-à-dire, l’organisation de la matière neuronale
en des circuits ouverts, permet constamment évoquer l’information contenue et
l’actualiser jusqu’à constituer des « noyaux » des concepts nouveaux.

24 Question frissonnante pour la science, laquelle préfère plus fréquemment penser que le temps
impitoyablement irréversible n’est qu’une illusion. Or penser ainsi conduit vers une autre
contradiction majeure : dans ce sens toute la mathématique et n’importe quelle autre abstraction
serait pure illusion et, véritablement, il n’y aurait aucun sens à aucune activité de
l’entendement.
25 Voilà le caractère foncièrement eschatologique de la connaissance imbue dans le temps,

assumée par elle, malgré elle.


11

L’imprédictibilité de la texture vient de la plasticité 26 des circuits. Or cette


plasticité n’est point un synonyme de détermination établie a priori de telle sorte
qu’elle se découvre sous la forme de causalité a posteriori.

La matière se montre à nous admirablement organisée sous des schémas


relativement simples mais non naïfs. Ce qui surprend le plus est que les règles
du jeu de la nature, étant si peu nombreuses, il suffisse l’altération d’un ou deux
paramètres et les systèmes puissent, selon sa nature, dériver dans des
comportements chaotiques pleinement développés, turbulents et
imprédictibles. Les conditions de frontière et les conditions initiales gardent
27

une relation non simple avec les patrons adoptés par les systèmes, lorsqu’on
change une ou plusieurs variables. Il semble que les systèmes adoptent alors la
structure qui convient le plus au devenir d’eux-mêmes, de tel sorte qu’ils
puissent « survivre » aux changements imposés ; c’est ainsi jusqu’au moment
où les degrés de liberté auxquels ils peuvent s’ajuster s’épuisent et, à ce
moment-là, ils succombent, au moins au niveau de définition que leur avait
déterminé comme tels. En effet, les systèmes ne peuvent présenter un nombre
indéfini de changements sans céder leurs niveaux de réalité par un autre
supérieur, ou tout au moins différent. 28

Dans la science classique le concept de « temps » ressemble à un cadre


vide qui n’intervient dans la constitution interne des phénomènes. Le concept
de « temps » semble, en ce sens, oublié ou même méprisé. Néanmoins, la
science contemporaine commence à sortir de son assoupissement eu égard du
temps ; elle lui donne de plus en plus uns signification d’intégration et de
principe organisateur de la matière. Pour employer une comparaison, le temps
ressemble une substance lubrifiante baignant une machine, lui permettant
d’avancer à une véritable allure. Cela interpelle directement la science (qui fixe
son but dans la connaissance du monde) et la philosophie (qui veut comprendre
comment l’homme atteint la connaissance du monde). 29 Il nous semble
aujourd’hui assez clair qu’une théorie mécaniciste (déterministe) comme celle
de Newton répond seulement à une faim de symétrie et d’ordre dans les idées
et dans les systèmes qui lui précédaient (Copernic, Tycho Brahe, Kepler,
Galilée) ; et, bien entendu, elle répondit d’une façon plus que satisfaisante à
l’urgence de cohérence en cette forme de connaissance, mais elle a aussi

26 La plasticité des cellules est la capacité qu’elles ont de développer les caractéristiques

nécessaires pour effectuer ses fonctions d’une manière optimale ; cela signifie atteindre le degré
de différentiation qu’il faut pour manifester une ou plusieurs réponses précises. Ainsi,
l’irritabilité, la contractilité, la sécrétion, etc. sont des exemples de capacités de réponses
cellulaires spécifiques ; de là les quatre grands groupes ou familles histologiques des tissus
humains, par exemple (les tissus nerveux, musculaires, connectifs et épithéliaux).
27 Les premières ont à voir avec la géométrie associée au système considéré ; les secondes ont à

voir avec le point de départ dans le temps « espacialisé » que l’on prend pour commencer à
étudier le phénomène.
28 Nous verrons dans une section ultérieure l’organisation des niveaux de réalité d’après la

pensée de Polanyi.
29 Cfr. L’étude réalisé par l’auteur sous le titre : « La contingence : le maillon entre

l’irréversibilité du temps et le mal ».


12

largement conditionné toute la perspective qu’on avait de l’organisation de la


matière. Du moment que nouvelles lumières ont apparu sur l’horizon de l’étude
de la nature, le cadre déterministe commença à montrer chaque fois moins
capable de décrire la réalité.

Finalement, les formes de description qui sont employées dans la


physique et la biologie à l’heure actuelle montrent qu’on doit laisser une place
de choix aux formes d’organisation non prévues. Hélas, il faut payer un prix
pour ça : la complexité. 30 Or, la forme explicite qui nous présente la matière en
son organisation est la « maquette » qui nous montre la direction et le significat
de son évolution, c’est-à-dire, de son devenir.

La seconde loi de la thermodynamique

Dans les processus de la diffusion les physiciens ont trouvé l’un des obstacles
majeurs dans la description des phénomènes naturels ; si la difficulté était
venue, comme ce fut le cas, du monde des ondes électromagnétiques ou du
domaine du sub-atomique, telle difficulté aurait été bien comprise aussi bien du
point de vue théorique que expérimental. Or, que le problème se pose dans les
gaz et les liquides, ça était simplement inconcevable. 31 La thermodynamique
était déjà une discipline avec une histoire et, assez curieusement, elle avait
intéressée davantage les chimistes que les physiciens. Toutefois, en fin des
comptes, les hommes de science durent reconnaître que dans son second
principe quelque chose se cachait, qui était plus qu’une règle utile à la
description des gaz ; derrière elle se trouvait l’inclusion même du sens de
l’évolution des systèmes et, éclairée par ce qu’on a plus haut commenté sur
l’auto-organisation de la matière, la signification des structures en elle.

La périodicité, la morphologie, la symétrie et l’asymétrie n’étaient que la


forme de réponse assumée par la réalité physique face à l’impulsion du temps.
On pourrait songer, peut être, comme dans une conjecture, que même l’ego
psychique de l’homme était ce type de réponse, tout à fait semblable à l’ego
chosique de la totalité matérielle. Cependant, le premier ayant un certain pouvoir
de dépassement sur le deuxième, car le devine, l’observe ne fût-ce que
partiellement, le mesure et l’abstrait. La seconde loi de la thermodynamique n’a
que le pouvoir de signaler la direction des évènements ; même comme ça, il
s’agit d’un grand pouvoir puisqu’il casse la symétrie équivoque entre futur et

30 Nous n’acceptons pas le modèle des catastrophes de R. Thom puisque celles-ci contreviennent
à la recherche d’un sens dans le comportement de la nature. La stabilité structurale et la
morphogenèse, à une époque où tant de studieux dans le monde dédient leur temps à calculer,
il est fort bien que quelques uns qui peuvent le faire, songent.
31 La raison pour laquelle les académiciens se fâchèrent si âcrement contre Boltzmann était que

celui-ci prétendait obtenir une règle du comportement de toute la nature, indépendamment de


son échelle, partant de la diffusion des gaz. Au point de vue positiviste de l’époque, cela était
un coup sévère sur l’orgueil des physiciens du prédictible, du déterminé à l’avance.
13

passé. Il nous oblige de considérer à nouveau la mécanique classique et


pratiquement toute la physique construite jusqu’alors : les équations de
Hamilton ou de Maxwell restent sans changements dès qu’on remplace le
temps t par –t et, pour autant qu’on prétende que la nature soit unique et
qu’elle possède un appareil de lois consistantes, il faut qu’il y aie une révision
des principes. Cela a été fait et l’un des plus beaux fruits de cet effort a été la
mécanique statistique, avec sa capacité pour réduire des évènements
macroscopiques à la conséquence de l’effet massif des nombreuses particules (~
1023). D’après cela le monde perçu par la science n’est que la conséquence de la
complexité, du grand nombre des corrélations entre l’immense nombre des
particules. 32

D’autres expériences de la physique et de la chimie, à part la diffusion,


montrèrent que la seule complexité, c’est-à-dire, le grand nombre des particules
constituant le système, ne suffit pas pour expliquer le sens dans son évolution ;
partant des conditions initiales et aux bords (c.-à-d. de frontière), voir plus haut,
on a découvert que les corrélations entre les parties se créent et se détruisent,
d’où l’on perd encore une fois la possibilité d’appréhender complètement le
système. Il paraîtrait que le comportement de la réalité physique, sans bien
entendu évoquer aucun principe métaphysique, est d’une nature telle qu’elle
devra constamment nous échapper ; ce qui veut dire que nous ne serons jamais
capables de décrire dans sa totalité aucun système, qu’il nous sera impossible
nous extraire nous-mêmes d’une telle description. C’est curieux, mais cette
affirmation ressemble par beaucoup à ce qui est établi par les inégalités (ou
principe d’incertitude) de Heisenberg. Il semble donc que nous nous trouvons
en face non seulement de la réalité cosmique créée, mai maintenue aussi. 33 Voici
un fait fondamental ; la matière même est la trace d’un mystère car elle devient.
Qu’est-ce que cela peu signifier ? Que les choses que nous voyons dans le
monde non seulement elles sont créées (cette fois nous voulons le dire
métaphysiquement) mais qu’elles s’organisent, elles changent et évoluent vers
de structures ou des patrons radicalement nouveaux, lorsque les conditions
l’exigent ainsi : celui-ci est le mystère du maintien de l’univers. La question
initiale du pour quoi y a-t-il quelque chose au lieu de rien doit être changée par
une autre, a savoir, pour quoi la réalité est toujours là et non simplement
disparaît.

À vrai dire, nous n’avons répondu aucune de ces deux questions ;


pourtant c’est étonnant ce que peut nous permettre remarquer l’observation
honnête du monde. La seconde loi de la thermodynamique est l’une de ces

32 Pour en avoir une idée juste combien il est grand le chiffre avancé de dix élevé à la puissance
23, on peut imaginer qu’on imprime en papier habituel, en une seule colonne l’énumération
depuis 1 jusqu’à 1023, avec un espace unitaire entre lignes ; et bien, on aurait besoin d’une masse
en papier semblable a celle que la planète Jupiter possède (environ de 317,8 fois la masse
terrestre). 1023 est le nombre de molécules contenues dans une mole de la substance considérée !
33 La réalité cosmique non seulement comprend les choses, l’ego physique (ou chosique), mais

aussi une partie de l’ego psychique, parce que ce dernier dépend en grande partie et se
construit en partant de l’expérience des impulsions alentour.
14

observations. 34 Elle parle non seulement de l’origine des systèmes et de leur état
au moment actuel ; elle a égard surtout à leur comportement futur. Sur ce point
ça vaut la peine de dire un mot autour de la téléologie cosmique.

La téléologie cosmique

Le sens du monde garde un rapport intime envers l’auto-organisation de la


matière. Rappelons-nous que par sens nous voulons dire direction et
signification ; de cette façon-là, la téléologie équivaut à la capacité de prédire
l’évolution (bien que pas seulement). Les perspectives strictement organicistes
et mécanicistes sont ainsi dépassées ; la vision évolutionniste, elle ne suffira pas
non plus pour faire le compte attendu par la science et pourtant elle montre du
doigt la forme (i.e. la morphologie) de la pensée qui doit être adoptée si l’on
aspire à placer la ligne des systèmes dans leurs changements vers les structures
radicalement nouvelles.

Il est aussi nécessaire, au moment d’évoquer la téléologie, d’avoir


présente dans l’esprit la contingence des lois de la nature et de toute la matière
et de l’énergie qui s’y contient. 35 Au-delà des sélections qui ont lieu dans
l’évolution des systèmes, une chose est claire : si dans la nature il y a des
évènements d’organisation de la matière et des brisures de symétrie, c’est
justement parce que les systèmes évoluent et non pas à l’envers. Si quelque
chose est comme elle est mais qu’elle pouvait être autrement, cela est nécessaire
et suffisant pour qu’elle possède un sens. En d’autres mots, contingence,
évolution et téléologie s’enchaînent d0une façon directe et possèdent entre elles
des frontières mal définies.

Toutefois, on doit ajouter que parler de contingence c’est aussi faire


référence à la finalité des processus naturels. En effet, tout ce qui a des limites
exhale une odeur de mort ; or, il s’agit de la mort de son niveau de définition
comme tel, faisant place à une structure aussi bien nouvelle que vitale. La fleur
doit céder son niveau pour que, en mourant à lui, naisse comme un fruit ; à son
tour, celui-ci meurt comme tel et libère la semence qui, en pourrissant dans le
sillon donnera le nouvel arbre qui formera d’autres fleurs et ainsi ad infinitum.
Mais vraiment, ad infinitum ? Certes non ; le seul infini présent dans la nature

34 Cela n’équivaut pas à dire que les précurseurs de Boltzmann aient été strictement des gens
malhonnêtes ; ils ont été simplement forcés par les circonstances scientifiques de leur temps à
simplifier à outrance leurs descriptions, en vue de lucidement regarder la partie essentielle de
ce qu’ils prétendaient décrire. Nous doutons sérieusement que ces géants fondateurs de la
science physique aient prétendu pétrifier leurs trouvailles une fois pour toutes. Ses partisans,
dans pas mal des cas, sont un cas à part.
35 Une grande partie des points abordés dans cette section suivent les excellentes dissertations

de M. Artigas et de E. McMullin. Ils sont des brillants compilateurs des plus récentes
découvertes scientifiques ; ils essayent de trouver les aspects les plus névralgiques desdites
découvertes et de leur donner le sens de transcendance qu’elles méritent.
15

est celui qu’on peut trouver dans l’esprit humain ; en vérité, aucune fleur,
aucun fruit, aucune semence, etc., ne coïncide avec la précédente ; ils ne sont ni
la même matière, ils n’occupent ni le même espace ni le même temps.
L’évolution n’est point formée par des cercles fermés, mais par des formes
hélicoïdales, qui ne semblent fermés que par une projection partielle. Cet
semblant géométrique est tout aussi utile en tant que la poussée empêchant la
fermeture de chaque boucle a un comportement comme celui du temps.
Partant, la finalité n’est pas seulement le but poursuivi, mais le périssable de
toutes et de chacune des parties de la nature contingente, c’est-à-dire, d’elle
toute. 36 La fin des évènements habite latent en eux de quelque manière et
mêmes les plus athées des hommes de science s’émerveillent de l’ordre qu’ils
rencontrent dans la nature ; c’el tellement ainsi qu’il paraîtrait qu’il y a une
intelligence supérieure, la conjonction d’une force impulsive, d’un principe
d’entretien et un pôle d’attraction, vers lequel s’oriente la réalité. Même le chaos
présente des patrons de comportement, par le biais de son stricte dépendance
des conditions aux bords (en fin de comptes les conditions initiales sont des
conditions de frontière dans le temps expérimental). 37 Dans ce même contexte
se trouve le point de départ de la présence de l’éternité sous-jacente
constamment à chaque instant et non, comme elle est souvent conçue, comme
un temps (durée) indéfiniment grand, sans limites 38 ; l’indéfini fait penser à un
chiffre immense, aussi grand qu’on puisse l’imaginer et, par conséquent, il suffit
de songer au numéro successeur de ce grand chiffre-là et alors on aura un étant
davantage plus grand, ce qui est une contradiction dans les termes ; en plus,
indéterminé est synonyme d’inconnu, d’ignorance bigote et commode. Par
contre, l’infini évoque l’inconcevable, l’inimaginable et pourtant
conceptualisable ; bien sûr qu’il ne s’agit pas d’un numéro ou d’un chiffre, ce
n’est pas un étant maniable, mais certainement il souligne la transcendance
d’une tendance.

La téléologie et l’éternité sont corrélatives entre elles car la première


indique une tendance et la seconde signale la fin de la tendance ; en plus,
puisque l’éternité n’est pas du tout le prix gagné sur le podium de la mort, mais
le mystère actif sous-jacent à la tendance même, elles cohabitent, elles
s’entremêlent et se construisent l’une à l’autre. Partant, la finalité n’est pas
forcément la mort ontologique, mais la mort des concepts humains ; ceux-ci
ayant été créés comme des simples catégories taxonomiques ou des principes
didactiques, ils doivent mourir comme tels pour que l’entendement évolue lui

36 Loin de notre pensée quelque forme schopenhauerienne que ce soit de fatalisme annihilant,
d’existentialisme suburbain ou de nihilisme aberrant.
37 Une bonne définition de ce qu c’est un fluide dans ce sens nous est donnée par l’auteur dans

sa thèse de doctorat : un fluide est une sorte de chaos vectorisé (en gardant ainsi le direction et
la signification qui, en soi même, il possède).
38 Il convient ici de se rappeler qu’en français on a la ressemblance phonétique des mots infini et

indéfini ; la distinction est mise au clair dans le texte, apparemment insignifiante et pourtant
fondamentale.
16

aussi. 39 Celle-ci n’est pas du tout un moindre affaire sans importance ; elle a une
relation étroite avec le libre arbitre de l’homme et avec son incapacité radicale
(inévitable à la fois) de créer ex nihilo. Seulement une volonté suprême et
extratemporelle peut créer des futurs contingents dans le souverain désir de
respecter la liberté de l’homme, lequel découvre seulement la contingence
comme conséquence des couses connues dans le passé : l’homme procrée et il n
y a que Dieu que crée. Surprenant le langage auquel nous traîne la téléologie !
Celui-ci n’est pas certes la façon de parler scientifique ; cependant il naît du
besoin sincère de comprendre ou, du moins, de consciemment contempler le
monde. Comment mettre en scène la téléologie dans le cadre de la science ?

La téléologie est le meilleur pont auquel on peut penser lorsqu’on veut


mettre en rapport la science avec la transcendance ; la finalité des phénomènes
serait donc la conséquence de l’ordre, de la rationalité (i.e. de l’intelligibilité du
cosmos) et d’un projet, celui-ci prédéterminé non pas en tant qu’à chaque
instant jusqu’à la fin, mais à la fin même et ceci en garantissant la liberté de
chaque instant (dont le poids spécifique, on l’a vu, est l’éternité). Où nous
conduit-elle cette transcendance dans la nature ? Assurément vers le sens
(signification et direction) du monde, avec l’homme à l’intérieur, bien entendu.

Quelques hommes de science peuvent argumenter à ce qu’on vient de


dire : « parler comme ça n’a aucun sens car c’est prétendre assigner une
intentionnalité à la matière et, tout semble l’indiquer, la matière est
intentionnellement neutre ». Cette objection ne peut pas être prise au sérieux
étant donné que la téléologie a indéniablement une partie du reflet
phénoménologique de la part de la pensée humaine, qui donc a besoin de
consolation face à son incapacité et même ainsi elle doit avancer dans la
connaissance et l’interprétation de la réalité comme vérité inachevée. On
compte toutefois sur la rigueur scientifique qui, heureusement, a petit à petit
augmentée au cours des dernières trente années ; on trouve ces faits non
seulement en physique mais aussi en chimie et en biologie. Et c’est la science
elle-même qui dit sa grande soif d’absolu et de transcendance pour se soulager
du déterminisme aveuglant et autolimitant. 40

Il y a quatre pas que la téléologie doit manifester en vue d’être telle dans
le domaine de la science :

39 Saint Thomas d’Aquin défend formellement la thèse selon laquelle Dieu connaîtrait les futurs

contingents (S.Th. I, q. 14, a. 13) ; cela est une conséquence directe de l’atemporalité du
Créateur, pour qui l’acte d’amener les choses vers l’existence ne possède point de dimension
temporelle.
40 Un exemple de domaine dans lequel ceci est plus qu’évident est la polémique eu égard de

l’origine et de la fin de l’univers ; les astrophysiciens aujourd’hui contemplent que la possibilité


la plus cohérente avec ce qui est observé, est un univers fini et illimité (i.e. que poursuivra son
expansion de plus en plus lentement, mais sans jamais s’arrêter). De fait, l’idée qu’au « big
bang » suivra un « big crunch » est incompatible avec la température proche du zéro absolu (c.-
à-d. ~ -273°C) que l’on a mesurée dans l’espace interstellaire, car une séquence d’explosion-
implosion-explosion-… serait comme dans un matériel élastique qui en s’étirant et se relâchant
de manière successive finit par augmenter sa température (sous la forme d’énergie interne).
17

i) L’existence de la fin des processus ; on a déjà traité le poids


conceptuel de la finalité qui est plus qu’une limite : elle est aussi un but.
L’expérience faite par la science quotidiennement soutient ce pas ; l’idée que la
matière ni se crée ni se détruit mais qu’elle ne fait que se transformer a dû être
nuancée en grande partie pour pouvoir continuer ses découvertes sur de
nouveaux principes de conservation. La physique des particules élémentaires,
la chimie des processus autocatalytiques, la biochimie de la phosphorylation
oxydative, l’intégration des textures dans le système nerveux central de
l’homme et des vertébrés, ne sont que quelques exemples des domaines dans
lesquels la science a éprouvée la « douloureuse » nécessité de dépasser ses
propres concepts précédents. Si bien la décodification du génome humain
représente un grand pas dans la connaissance des bases de l’héritage (et il s’agit
là bien davantage d’un développement technique que scientifique), ce n’est à
peine que l’alphabet avec lequel on doit écrire toute la littérature de la réalité
biologique de l’homme ; et cette littérature-là n’est même pas tout à fait
contenue dans l’ADN (ou DNA par ses sigles en anglais). Il serait comme si l’on
prétendait que don Quichotte se trouva entièrement inscrit dans l’alphabet
castillan ; il manquerait certainement l’inclusion du génie qui l’écrivit,
l’inspiration, la lumière qu’imagina des manières si géniales de dire l’indicible,
la transcendance. La finalité est aux processus ce que le notes sont à la
musique : la musique n’est point dans les notes. 41

ii) Les fins des processus sont les buts des tendances. Ce qu’on
observe dans les systèmes de la nature, y comprise la matière apparemment
figée et terminée, n’est pas une réalité « objective » mais une ou plusieurs
tendances. Voilà le sens fort de l’évolution ; celle-ci n’est pas une simple
adaptation à une série de circonstances, mais plutôt encore une capacité de
devenir, de tendre vers quelque chose qui la dépasse.

iii) Les buts des tendances sont de facto les résultats naturels avec
des attributs de perfection et de bonté. L’embouchure des processus dans la
nature sont des manifestations d’un goût d’optimisation ; que ce soit sous la
forme des lois d’effort minimal ou d’économie maximale ou des états de la
stabilité la plus grande possible, les brisures de symétrie cherchent toujours à
perfectionner la forme de réponse d’un système devant les changements
imposés du dehors ou, parfois, dès l’intérieur d’eux-mêmes. Également la bonté
desdits états se rapporte à la « bonification » que la nature atteint dans chaque
changement, dans chaque transformation, dans chaque situation adoptée d’une
façon toute nouvelle.

iv) La perfection de la nature impliquerait 42 un type de rationalité,


celle-ci traduite en l’existence d’un plan ou dessein supérieur. En effet, la nature

41Paraphrase de Gustave Mahler.


42 Implication qui mérite une justification. Pour le moment il devrait nous suffire la logique
intrinsèque des concepts que nous avons employés jusqu’à présent, à savoir, l’intelligibilité du
monde (rationalité au poids ontologique), la capacité de l’homme pour aborder avec son
18

est toute entière source d’émerveillement et de contemplation dans la mesure


que l’on reconnaît le filigrane d’un sens ultime des événements. Peu importe
combien on mesure, on modèle, on conjecture, on débatte, on contredise (en
apparence) la réalité, elle ira toujours au-devant des plus extraordinaires de nos
rêves : l’homme se fatigue d’imaginer avant que la nature de pourvoir. 43

Néanmoins, la téléologie met en évidence que nous devons prendre la


réalité très au sérieux à cause de la parabole qu’elle nous adresse aux hommes
de science. Il paraît que le seul fait de la percevoir, de la connaître, de
l’appréhender, etc., nous rend responsables d’elle ; c’est-à-dire, elle nous oblige
à chercher la réponse en nous-mêmes. Or ceci ne se passe pas dans cette partie
de nous-mêmes qui se partage avec toute la matière cosmique, obéissant les
mêmes lois, mais dans cette partie qui est transcendance pure, ce dire, finalité,
tendance, perfection et bonté, dessein. La réalité comporte donc des niveaux qui
demandent à être situés dans l’entendement, hiérarchie de vérités visibles et
invisibles.

Les niveaux de la réalité

Depuis les quarks jusqu’aux super cumuli de galaxies, en passant par l’ADN,
une amibe, une forêt ou une vache, eux tous ils exigent une stratification allant
au-delà de la pure catégorie intellectuelle. Les équations décrivent toujours un
fait réalisé. 44 Ce fait accompli est, bien entendu, le phénomène naturel que l’on
prétend décrire, mais c’est aussi le processus psychique de compréhension
grâce auquel l’homme prend conscience du phénomène. Le « nombre » (c’est-à-
dire, nos équations) n’est pas un mode rationnel indépendant, mais qu’il va
plutôt de la main de cet autre mode primaire de notre rationalité propre qu’est
la « parole » (c’est-à-dire la raison limitée qui a écrit les équations) ; et ces deux
modes sont, et l’un et l’autre, des formes de l’ordre contingent qui trouvent leur
origine et leur terme dans l’ordre non contingent (nécessaire) de
l’autosuffisance de Dieu (terme ou finalité insinuée plus haut).

Lorsqu’on parle des structures nouvelles on fait référence à des


structures dissipatives (i.e. toute structure formée par l’échange d’énergie en
dehors de l’équilibre, mais aussi à ce qui constitue les niveaux de réalité dans le

entendement la réalité, même sans l’épuiser (épistémologie) et la valeur inévitable de la


connaissance de ladite réalité (éthique).
43 B. Pascal, Pensées. Ce savant français pourrait bien être une sorte de paradigme de notre

discours ; étant physicien et mathématicien très doué lui-même, il quitta toute sa science à l’âge
de 19 ans, après une nuit d’ »illumination », consacrant tout le reste de sa vie à la métaphysique
(dans laquelle, à part les discussions qu’on peut soulever, il fut simplement brillant).
44 Comme Bergson le dit textuellement dans Essai sur les données immédiates de la conscience : « la

mécanique opère nécessairement sur des équations, et une équation algébrique exprime
toujours un fait accompli. »
19

modèle de M. Polanyi 45 . Ce modèle exprime clairement comment la science est


parvenue à montrer au long du XXe siècle que la nature est constituée par
différents niveaux de la réalité physique. Partant, la description mathématique
des diverses structures atomiques et moléculaires peut difficilement se
comparer avec celle qui correspondrait au comportement social d’un groupe
animal ou même à celle d’une nébuleuse planétaire. Comme on l’a déjà
souligné plus haut, les changements de structure, au fur et à mesure qu¿on se
déplace en ordre croissant de complexité, sont justement plus qu’une simple
augmentation dans la complexité ; il s’agit d’une nouveauté authentique, avec
la révélation d’une topologie complètement distincte (aussi bien dans l’espace
que dans le temps). C’est pour cela que chaque nouvelle structure apparaissant
dans la nature peut être légitimement considérée comme un niveau de réalité.

En nous déplaçant du monde microscopique au macroscopique 46 , nous


découvrons cette stratification des structures. C’est comme si l’on parlait d’un
tronc de palmier, ces « étages » s’enveloppant mutuellement les uns les autres,
gardant un « mouvement » évolutif vers des niveaux supérieurs ; et
l’avènement de ceux-ci est chaque fois inattendu, faisant place à une véritable
brisure de symétrie, altérant comme ça le cadre auquel nos yeux s’étaient déjà
habitués.

Cependant, nous pouvons nous demander s’il est équivalent de se


déplacer du microscopique vers le macroscopique. ou vice-versa ; cette question
a du sens car la formuler équivaut à poser le problème de la sélection de
structure, ainsi comme celui de l’irréversibilité du temps. En nous situant à
l’intérieur de l’un de ces niveaux de réalité, nous pouvons mieux discerner ce
qui arrive concernant ses rapports avec les niveaux immédiatement au-dessus
et au-dessous. Comme on l’a déjà dit, par rapport au premier nous ne pouvons
rien savoir, étant donné que c’est précisément notre ignorance à son égard ce
qui fera la cause de la surprise de son avènement (l’inattendu). Par contre, le
niveau inférieur ou précédant a déjà eu lieu et, d’une certaine façon il doit
laisser quelque trace de lui ; toutefois, celui-ci n’est pas tout à fait
reconnaissable dans la nouvelle structure, elle s’estompe, car la deuxième
enveloppe la première. On dirait qu’il y a une sorte d’ « oubli » partiel par
rapport au niveau inférieur.

Notons en passant que cette manière de voir les choses est évidemment
limitée à l’esprit de l’homme ; comme si nous étions un virus qui, en se trouvant
dans le torrent sanguin, aurait à décrire les corps globulaires du sang.
L’ignorance est l’oubli en puissance.

45Employé comme référence par T. F. Torrance dans « Divine and contingent order ».
46Voilà encore un sujet qui mériterait un traitement plus étendu que celui qu’on fait ici. Mais il
suffirait de dire que nous prendrons comme limite microscopique ici le zéro absolu, et pour
limite macroscopique la vitesse de propagation de la lumière.
20

C’est ainsi que chaque niveau de réalité s’ouvre aux niveaux supérieurs
et, relativement, il se ferme aux inférieurs (comme en un verre translucide).
Notons aussi que, en agissant ainsi, nous effectuons une brisure de symétrie.
Est-ce là une erreur de la nature ? En tout cas il est clair que c’est l’ignorance qui
devient oubli et jamais le contraire ; nous ne pouvons rien faire à cet égard, et
celle-ci est une autre manière d’exprimer ce que nous voulions dire au début de
cet article, lorsque nous parlions du caractère opérationnel du temps.

Ni hasard, ni nécessité : une amnésie ignorée

La nécessité dicte qu’une réalité est comme elle est sans avoir pu être différente.
Ainsi, par exemple, les lois de Newton ou le champ électromagnétique sont
nécessaires d’après la science positive ; les corrélations entre les corps obéissent
ces principes « nécessaires » et il n’y a aucune raison d’être instaurés du dehors.
Ceci signifie que, selon cette perspective-là, la réalité est comme elle est et on ne
devrait mettre en doute ses raisons. D’ailleurs, le présupposé métaphysique
disant que dans l’univers il y a quelque chose au lieu qu’il n’y aie rien se traduit
simplement par la chaîne des causes se remontant aux débuts ; des structures
complexes telles que la vie ou l’auto-organisation de la matière s’expliquent par
le biais du recours au hasard. Les règles intrinsèques gouvernant le
comportement de la matière sont comme elles sont sans avoir pu être
différentes, suivant la combinaison du nécessaire et du hasardeux. Une telle
perspective tâche de justifier l’activité scientifique comme la recherche de ce qui
se trouve déjà dans cette immense habitation qu’est l’univers où nous vivons ;
la question se réduirait tout simplement à reconnaître ce que se trouve â
l’intérieur et quelque autre conjecture sur une extériorité serait purement
gratuite e inutile. . Assez curieusement, cette vision appauvrissante de la nature
a laissée la place à la découverte du premier mécanisme de control d’ouverture
et fermeture dans la lecture du ADN au niveau du noyau cellulaire (i.e. la
théorie de l’opéron lac). Toutefois, cette ligne de pensée est franchement
déterministe et, comme telle, elle comporte une bonne mesure de fatalisme
magique 47 . Ce qui est tragique dans cette ligne de pensée est qu’elle exclue
définitivement l’entendement humain de la description qu’elle fait de la réalité ;
elle voit le monde comme si nous ne faisions pas partie de lui. Comme on l’a
déjà souligné plus haut, cette myopie détruit toute possibilité de découverte
réelle, elle élimine d’un coup la possibilité de l’évolution créatrice avec le plein
sens de sa force. En vue d’éviter l’écueil du relativisme absolu elle tombe dans
l’extrême opposé. 48

47 Il paraît clair qu’il s’agit là du fatalisme car il accepte tacitement, tout en se déniant le droit à
se poser des questions de plus en plus profondes à l’égard des la nature et ses raisons ; le côté
magique lui vient d’une acceptation aveugle et ouvertement fidéiste d’assumer les règles du jeu
de la matière.
48 En parlant de relativisme nous nous rapportons au psychologisme que la science ne peut pas

permettre, ayant amplement raison pour cela, de faire irruption dans ses systèmes de pensée.
Cela serait fatal puisqu’on aurait une source de nouvelles formes de superstition, de faux infinis
21

Celui-ci est la pensée résumée dans Le hasard et la nécessité de Jacques


Monod, pleinement accordé avec la science strictement statistique qui exclue de
l’intérêt de la science tout évènement unique et isolé. Selon cet auteur, le destin
est écrit au fur et à mesure qu’il s’accomplit, jamais à l’envers ; notre destin
n’existait point avant l’apparition de l’espèce humaine. C’est ainsi que la
téléologie est définitivement bannie du contexte scientifique. Or, on l’a déjà dit,
cela équivaut à fermer la porte en plain visage à l’organisation de la matière
sous la forme de structure dissipative ; ou, autrement dit, ça équivaut à définir
le monde comme limité et fini, en pleine contradiction avec ce que
l’astrophysique moderne annonce. 49 Cependant, le paradigme principal que la
science a en ce moment est celui de l’apparition de ce que nous appelons
« vie » ; son origine semble pour quelques uns comme un « hasard miraculeux »
(phrase celle-ci n’exprimant rien en soi) conséquence de la rencontre fortuite
entre certaines substances comme un évènement de l’histoire. Mais les
changements comme ceux qui ont conduits à l’apparition de la vie, arrivent
toujours dans l’univers ; c’est pour cela qu’on trouve assez méritoire le fait de
fouiller dans la signification des changements et des transformations. Le sens
du phénomène de la vie ou de n’importe quel autre, ne peut pas être entrevu si
ce n’est qu’à travers un système de pensée ouvert qui, en attendant l’inattendu,
permette le devenir dans le cosmos.

On disait, en parlant des niveaux de la réalité, que c’est l’ignorance qui se


transforme en oubli et jamais le contraire, conséquence ceci du caractère
irréversible du temps physique. Et bien, si le hasard et la nécessité étaient
l’explication de ce qui se passe dans le monde, de son ordre, alors par le même
principe, l’oubli pourrait être ignorance et l’amnésie deviendrait la règle. Quelle
sorte de science peut se bâtir en ayant l’oubli comme règle ? Ce n’est pas que le
hasard et la nécessité n’existent guère ; nous croyons, au contraire, que oui, ils
existent, mais point dans le contexte d’un monde en devenir, d’un monde qui
n’est pas autosuffisant, d’un monde inachevé. Les conséquences sont
nombreuses et très lourdes en importance pour la science : en n’étant pas
suffisant à lui-même, ce monde qu’est l’objet de l’étude de la science, empêche
cette dernière de se fermer sur elle-même dans un repli maladif
d’autosuffisance et qui finit par trahir le but principal qui s’était fixé depuis sa
création, à savoir, la connaissance de la vérité naturelle par l’emploi des outils
fournis par la nature même. 50 La rigueur ascétique que la science possède est
indéniable ; les colosses de la pensée scientifique historique, nous en sommes

et d’absolus relatifs, d’impostures toutes aussi graves que celles qui sont produites par le
nécessitarisme et le hasardisme (pardon pour les néologismes).
49 En plus, cette apparente fermeture d’esprit monodienne laisse parfaitement ouverte la

possibilité de dialogue entre la science et la foi car elle n’ajoute aucun ingrédient vraiment
solide donnant une explication réelle, complète et alternative de la réalité cherchée par la
science. Il nous semble simplement qu’il s’agit là d’un préjugé positiviste monumental qui doit
être dépassé en vue d’une honnêteté de pensée à toute épreuve.
50 L’apparente tautologie dans la fondation de la science se résout avec l’ouverture de la pensée

qui sait qu’il n’y a ni vérité fermée ni fausse ouverture.


22

persuadés, seraient sûrement les premiers à se réjouir devant le panorama


ouvert de la pensée scientifique, incluant ce qui concerne l’esprit humain.

Nous ajouterons, finalement, qu’étant donné que la biologie est le


problème majeur posé à la pensée scientifique moderne, c’est justement elle qui
donne le coup de grâce à la pensée monodienne, en présentant non seulement
la vie per se, mais cette forme disloquée et anormale de vie qu’est la maladie. On
ne peut pas prétendre aborder la connaissance de cette réalité avec la froideur
du hasard et la nécessité sans « justifier » la souffrance de l’humanité. Non, la
science a inévitablement un poids de valeur, une veine éthique au quelle elle
doit déférence et fidélité. La dimension du mystère est pleinement touchée du
doigt par la science lorsqu’elle aborde ce genre de situations. 51 Partant, l’effort
scientifique doit prendre au sérieux non seulement son objectif d’analyser le
fond du comportement cosmique, des théories qu’il formule, mais aussi et
surtout les hommes qui les formulent ; ceux-ci possèdent un esprit propre, des
éléments strictement anthropologiques qui ne peuvent être sous-estimés en
prétextant qu’ils ajoutent du « bruit » à l’étude de la réalité. C’est pour cela que
toute vérité humaine est a fortiori partielle. 52

Il ne nous reste que voire quelles sont les conséquences concrètes vis-à-
vis de la transcendance suggérée jusqu’ici comme ouverture de la connaissance
scientifique ; le même mot de transcendance fait appel à une série
d’interprétations et de compromis pour l’homme de science et, certainement,
pour l’homme de Dieu qui ne peut pas non plus mettre en travers le monde
(par la même honnêteté qu’on espère du scientifique), en se détachant de son
devoir le premier : être un homme intégral.

Toute science dépassant

« Alors surgit involontairement l’idée que si la mort est aussi horrible et les lois
de la nature aussi puissantes, comment peut-on en venir à bout ? » 53

Il suffira pour nous de considérer encore un cas qui échappe à tout


schéma préétabli par in dualisme naïf. 54 Quand on parle du problème du mal

51 Aucune branche de la connaissance humaine n’est plus concernée par ceci que les sciences
biomédicales et, assez curieusement, la théologie. Ce serait un effort affaiblissant et épuisant
que les deux disciplines essayèrent de se développer indépendamment l’une de l’autre, sur ce
terrain. C’est ainsi car en parlant de la maladie, on ne peut pas s’empêcher en même temps
d’inévitablement évoquer les abîmes de la douleur et de la souffrance, ainsi que l’apothéose de
la solitude que nous appelons la mort.
52 En paraphrasant Thibon qui affirme que toute paix dans ce monde est une paix armée.
53 Citation de L’idiot par Dostoïevski.
54 Comme c’est le cas dans la pensée freudienne avec une téléologie assez misérable et qui

définit comme modèle de normalité la meilleure définition de médiocrité qui puisse exister :
l’équilibre entre le éros et le thanatos, pourvu qu’on évite, selon Freud toujours, l’écueil de la
23

on comprend deux projections fondamentales, à savoir, le mal physique


(maladie, douleur) et le mal moral (souffrance). De ce qu’on a dit jusqu’à
présent il est clair que presque toujours le mal physique se fait accompagner du
mal moral (étant donné l’extension cosmique du corps). Est-ce possible
s’imaginer un mal purement physique sans aucune conséquence pour l’ego
psychique ? Cela nous laisse dans la confusion puisque, comment pourrait-elle
se faire la division entre le corps et l’âme tout en restant comme un être vivant ?
Une telle perspective, il nous semble, pourrait s’employer plutôt dans le cas des
végétaux ou des minéraux, pour lesquels les maux physiques paraissent n’avoir
aucune conséquence morale.

L’être humain a deux chemins possibles : soit qu’il se replie sur soi-même
comme dans la pensée monodienne franchement narcissiste, ou bien il « vit »
son cosmos dans l’eschatologie du devenir. En la première branche de
l’alternative se trouvent les définitions esthétiques du mal, ainsi comme son
partenaire, la fuite ; ceux-ci sont les deux mirages qui font courir l’homme pour
étancher sa soif à une source imaginaire. La deuxième branche est celle d’une
science qui dépasse toutes les limites d’un savoir totalitaire ; et celle-là est
malgré tout, la science permettant la possibilité du mal physique sans le mal
moral. La cause de ceci se trouve dans le dépassement de l’ego psychique par
lui-même, lui permettant de transcender les lois de la nature contingente,
devenant quasi entièrement libre, même si son corps reste soumis aux dites lois.
Ce n’est pas pour cela qu’on peut prétendre que le corps soit la cause de la
chute de l’âme ; c’est l’union du corps et de l’âme qui fait l’homme (non pas
comme le vin dans une bouteille, mais comme l’alcool dans le vin) et son esprit
se situe au plus haut niveau de la création ; pour ça, le mal collera davantage
sur l’esprit que sur n’importe quelle autre chose.

Or, qu’est-ce que nous voulons dire par cela ? Puisque l’esprit en se
dépassant se libère du mal moral, est-ce cette libération totale ? Il paraît que oui
et alors c’est quand le mal attaquera le corps physique ; que celui-ci se dépasse
comme le fait l’esprit n’est pas du tout évident, surtout dans le contexte de la
philosophie laquelle est une activité intellectuelle avec les yeux fixés sur en la
compréhension des sujets et objets de la connaissance, tout aussi comme dans la
connaissance elle-même. Et cela n’est pas évident non plus dans le contexte de
la physique, dû précisément aux lois de la nature.

Avec ce qu’on a énoncé nous voulons souligner le caractère


extraordinaire de pouvoir concevoir un mal physique sans le mal moral, pour
un être qui, comme l’homme, possède une âme. 55 Comme il a déjà été suggéré
plus haut, c’est le mystère qui meut l’homme à son action ; la science n’est pas

névrose. Heureusement, nous pensons, le monde a donné quelques névrotiques géniaux qui
nous ont donné la science et l’art dont nous pouvons être fiers en tant que lignée humaine.
55 Nous disons ça en appelant justement ce qu’on a dit dans les sections précédentes : l’âme

(anima) trouve son équivalent dans l’ego psychique husserlien et la vie est justement l’animation
de la matière dans la complexité de son organisation, non pas pour la complexité elle-même,
mais pour la capacité radicalement nouvelle et inattendue de se penser pensant.
24

l’exception. Nous entrons ainsi dans un terrain qui n’appartient pas à celui du
savoir englobant ; le savoir limité par les lois de la nature (physique), ou le
savoir des processus de la connaissance (philosophie) ne suffissent pas. La
science du savoir sans savoir ne peut être limitée car elle irait directement
contre sa propre nature. Soulignons-le un fois de plus 56 , c’est l’univers même
qui s’écrie de toutes ses forces, par son comportement, qu’il est en devenir et
qui nous montre par là la porte d’entrée vers cette science dépassante :

« Je suis entré où je ne sus,


et je demeurais ne sachant
toute science dépassant » 57

Et cette science dépassante (transcendante) ne peut se développer qu’à travers


la découverte de cette finalité absolue du monde, de ce Dieu qui est Amour et
qui est digne d’être aimé, incluant la vérité. Cet amour n’est pas l’amour des
passions sentimentales ; il est au-delà. Il ne s’agit même pas (une fois franchie la
porte) d’un effort dont l’origine se trouverait seulement dans l’homme. Il y a
un pôle d’attraction que le mène à reconnaître son incomplétude et sa faim de
mystère. Tel qu’il existe la thèse, l’antithèse et la synthèse, la science doit suivre
les pas où il y a du savoir, du non savoir et du savoir qu’on ne sait pas. En effet,
ceci n’est pas du tout une preuve de transcendance ; non. Il s’agit plutôt d’une
consécution de la responsabilité acquise avec l’intérêt sincère pour la réalité qui
devient.

La science actuelle se trouve plus que jamais en son pouvoir avec les
éléments nécessaires pour reconnaître que sa force lui vient de sa faiblesse, de
son incapacité radicale pour répondre à la question ultime : quel est le plan de
l’œuvre ? La science et l’art sont les deux plus grandes œuvres sorties des mains
des hommes ; leur grandeur provient de que leur origine et leur fin se trouvent
hors d’elles. La démesure est la vraie mesure de l’homme, c’est la conclusion de
la science dépassante. Des chemins différents mais une même conscience, ce
sont et Dieu et la science.

Conclusion

Si l’homme ne se suffit pas à lui-même, tout acte humain sera forcément


incomplet et aura besoin de quelque chose ou de quelqu’un que puisse donner
un sens à sa besogne. Il y a eu pas mal d’efforts tout au long de l’histoire de
l’homme pour comprendre le monde, sa réalité, son origine et son devenir ;
mais peu parmi eux ont été tellement grands comme ceux de la science. Des
géants de la pensée scientifique sont parvenus à percer quelques secrets des

56Celui-ci est le noyau de cet article.


57
Saint Jean de la Croix, dans le castillan originel : « Entréme donde no supe, y quedéme no sabiendo,
toda ciencia trascendiendo ».
25

mieux gardés de la nature ; toutefois, c’est très tôt que l’esprit scientifique
remarqua que, si bien les bases du fonctionnement du monde sont simples, leur
développement est bien loin d’être simple. Malheureusement, les tendances
subjectivistes qui ne mettaient en question rien rendu par des autorités déjà
disparues, empêchèrent que la science avançât au long de presque tout le
Moyen Âge, étant la superstition et la fermeture d’esprit les seuls conducteurs
du savoir ; ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle que l’on a commencé à entrevoir le
fond de la connaissance humaine et de son rôle joué dans l’interprétation des
phénomènes naturels.

À partir de ce moment-là, la peur du retour aux visions limitantes


moyenâgeuses conduit à l’exclusion, tout doucement, de l’entendement humain
du cadre conceptuel de la science. C’est la physique qui ouvre le feu dans cette
expulsion de la pensée et de ses intentions ; ils ont été nombreux les triomphes
obtenus par cette science-là au moyen de l’élaboration des modèles d’une
grande beauté conceptuelle. Cependant, à partir de la seconde moitié du XIXe
siècle on commença à étudier non seulement théoriquement, mais
expérimentalement aussi (avec beaucoup d’efforts et des possibilités de mesure)
des mondes si petits que ni les microscopes ni aucun autre instrument ne
pouvaient faire accessibles (molécules, atomes, particules élémentaires, etc.) et
des mondes si énormes et tellement distants qu’aucune imagination n’était
capable de conceptualiser. 58 Le défi majeur que tout cela a signifié c’était qu’il
fallait réviser les fondement des connaissances les plus solidement établies, des
« hérésies » faisant leur apparition, ainsi que des « excommunications » au sein
de la science même ; la philosophie positiviste est l’un de ces essais de fixer à
l’avance la pensée scientifique. La philosophie, la métaphysique et même la
théologie, étant des vieux « ennemis » de la science, furent entremêlées
nécessairement avec les réalités recherchées par ladite science, ayant d’objectifs
communs ou, tout au moins, semblables. 59

La science a sur son compte à l’heure actuelle une quantité monumentale


d’information à l’égard du comportement du cosmos, dans ses multiples
niveaux de réalité. Les plus on connaît sur le monde et son comportement, le
plus il semble avoir du sens, mais non pas à la manière de la pure consistance
ou de la non contradiction, mais comme direction et signification précises ; on
dirait que monde aurait une intelligence propre, Néanmoins, la tentation de
l’organicisme et celle du mécanicisme, toutes deux déjà vaincues, ne sont même
pas évoquées comme des possibles explications ; l’évolutionnisme même,
malgré son ouverture conceptuelle, n’offre pas non plus la signification
profonde de la réalité. La seule position qui lui reste à l’entendement est celle de

58 Songeons que la seconde moitié du XIXe siècle a été l’une des époques des plus brillantes de
la science en général ; c’est pratiquement tout ce qui a été récolté et développé au long du XXe
siècle qu’était né au siècle précédent (les hommes de science y compris).
59 Nous remarquons aujourd’hui l’immense changement de la structure mentale que la

formulation des théories comme celle de la mécanique quantique, les théories spéciale et
générale de la relativité, les modèles cosmologiques, etc., a exigé et le tout sur une période de
temps si court que l’esprit humain n’a pas su suivre le pas au rythme de la volonté.
26

l’inclusion de l’inattendu dans la formulation des modèles aspirant


sérieusement à englober d’une façon unificatrice la complexité qui nous
entoure.

En effet, l’homme de science est en train de se rendre compte que s’il


exerce son activité en pleine honnêteté, avec tout ce qu cela implique, il aura
chaque fois à ouvrir davantage les portes à l’émerveillement, à la
contemplation, à l’attente de l’inattendu. Des disciplines comme la biologie, les
neurosciences, les sciences biomédicales, ne peuvent plus être considérées
comme des sciences de seconde classe, étant donné que l’homme fait partie
inévitablement de la description qu’il fait du monde ; à chaque reprise qu’il fait
une mesure, il perturbe et il modifie ; chaque fois qu’il pense son monde, il
l’intègre dans son structure personnelle de manières radicalement nouvelles et
originales, uniques, individuelles et impossible de répéter dans le temps.
L’irréversibilité du temps est en train de nous faire la grande leçon d’avoir à
reconnaître au centre de la science que devons avoir foi. Oui, c’est de la foi ce
qu’est demandé à l’homme de science.

Dans une époque comme la nôtre, au moins en occident, le scepticisme


diffuse très facilement, le fruit du désenchantement de l’agir humain ; les
religions ont de grandes difficultés à trouver des véritables hommes de foi ; on
pourrait penser que la science fût un succédané de la religion en ce sens. À cet
exposé, c’est le père de la mécanique quantique, Max Planck, qui a donné une
réponse : « non pas pour une attitude mentale sceptique ; parce que la science
exige elle aussi un esprit croyant. Toute personne ayant participé sérieusement
dans n’importe quel type de travaille scientifique sait bien qu’à l’entrée du
temple de la science est inscrit sur la porte : ‘il te faut de la foi’. Voilà quelque
chose dont les scientifiques ne peuvent pas s’en passer. » 60

La parabole de la science est très claire en ce moment : la réalité est non


seulement ce qu’on peut mesurer. L’esprit humain peut se mesurer tout au plus
dans ses limites ; mais un horizon inachevé de possibilités s’entrevoit juste au
point où l’on pensait se trouvait la dernière limite. Face à ce panorama il ne
nous reste à ajouter que « rien n’est trop merveilleux pour être vrai » 61 .

60 Citation par K. Wilber dans son essai magnifique Questions quantiques ; écrits mystiques des
physiciens les plus fameux.
61 Michael Faraday.
27

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