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DATAR
1, avenue Charles Floquet, 75343, Paris cedex 07
Directeur de publication
Pierre Mirabaud, délégué à l'Aménagement du territoire et à l'Action
régionale
Comité de rédaction
et d’orientation
Serge Antoine, Comité 21
Agnès Arabeyre, Datar
Nacina Baron-Yelles, Datar
Priscilla De Roo, Datar
Gérard-François Dumont, université Paris IV
Sylvie Esparre, Directrice, Datar
Maurice Goze, université Bordeaux III
Jean-Paul Lacaze, conseil général des Ponts et Chaussées
Claude Lacour, université Bordeaux IV
Nathalie Leroux, Datar
Yves Morvan, CESR Bretagne
Pierre Musso, université Rennes II
Henri Nonn, université Strasbourg I
Jean-Claude Némery, université de Reims
Gilles Pennequin, Datar
Dominique Rivière, université Paris XIII
Jean Robert, université Paris IV
Philippe Thiard, université Paris XII
Maquette
La Documentation française
Cartographie
Coordination générale : Martine Marandola, département de géographie
de l'université Paris XII Val-de-Marne
Parce que nous souhaitons que cette revue soit un lieu de confrontations,
de débats, de critiques, les articles n'engagent évidemment que leurs auteurs
et pas l'institution
2 Territoires 2030
Changement climatique,
énergie et développement
durable des territoires
Éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Point de vue
Les différents éclairages du futur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Serge Antoine
Analyses et débats
L’atténuation du changement climatique :
un atout économique pour les territoires français ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Gilles Pennequin
Études et prospective
Le défi climato-énergétique du territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
Dominique Dron
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Expériences
Le Schéma régional d’aménagement et de développement du territoire
et le développement durable : expérience du Nord-Pas-de-Calais. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85
Sylvie Deprataere
À lire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
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durable et rôle
Délégation interministérielle
au développement durable,
École des mines de Saint-Étienne
de l’État www.brodhag.org
* Christian Brodhag est délégué interministériel au déve- 1. Millennium Ecosystem Assessment Synthesis Report, pré-
loppement durable, et directeur de recherche à l’École des publication, Final Draft Approved by MA Board on March
mines de Saint-Étienne. Il s’exprime ici à titre personnel. 23, 2005.
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spirituel, religieux et les autres avantages non œuvre dans les écosystèmes et les services qu’ils
matériels. » Selon cette étude 60 % (15 sur 24) des procurent sont, pour le moins, lacunaires chez les
services écologiques examinés sont en train d’être décideurs comme chez les citoyens.
dégradés ou d’être utilisés de façon non durable,
Les écosystèmes sont une ressource essentielle à
incluant les eaux douces, les ressources halieuti- gérer correctement pour en exploiter les bienfaits
ques, la purification de l’air et de l’eau, la régulation aujourd’hui comme pour les transmettre aux géné-
du climat au plan régional et local, les risques natu- rations futures. Or en France l’artificialisation du
rels. Cette dégradation rend inaccessibles certains territoire, c’est-à-dire la surface des constructions
objectifs de lutte contre la pauvreté (Objectifs du et des infrastructures, augmente annuellement
Millénaire) et handicapera les générations futures. de 2 % alors qu’il faudrait viser une diminution,
Selon l’Union européenne la valeur financière voire une renaturation qui peut s’avérer difficile,
des biens et services fournis par les écosystèmes certaines dégradations étant relativement irré-
serait proche de 26 000 milliards d’euros par versibles. Cette renaturation est en cours pour
an, soit près de deux fois la valeur de ce que certains fleuves comme le Rhin, ce qui permet de
produisent les humains chaque année . Cette rétablir les services écologiques : épuration, zones
approche renouvelle le regard que nous portons à d’expansion des crues...
l’environnement. Ce n’est pas un luxe que l’on se Si l’on prend l’effet de serre, les chiffres sont du
paie une fois les fonctions essentielles remplies, un même ordre. Il faudra réduire rapidement par
élément des niveaux supérieurs de la pyramide de deux les émissions de gaz à effet de serre au
Maslow , mais bien la base du développement, niveau mondial pour stabiliser les concentrations
comme le considère la charte de l’environnement : à un niveau acceptable n’engendrant pas des
« Les ressources et les équilibres naturels ont changements trop graves et par quatre dans les
conditionné l’émergence de l’humanité ». pays industrialisés compte tenu de leur pression.
La pression sur les espaces biologiquement La France s’est fixé le cap de réduire ses émissions
productifs, que l’on peut mesurer globalement par quatre à horizon de 2050, c’est-à-dire de 3 %
par l’empreinte écologique, dépasse le seuil qui par an, ce qui est considérable sachant que le
permet leur renouvellement. Alors que la surface secteur des transports, par exemple, augmente
disponible par habitant est un peu inférieure à 2 ses émissions de 2 % par an.
hectares, il en faut 5 à 6 pour faire vivre un Euro- Si l’on ajoute le fait que la proximité du pic de
péen et plus de dix pour un américain du Nord. production du pétrole à relativement court terme
Pour généraliser ces modes de vie à l’ensemble de est très probable, et que donc la fièvre actuelle
la planète il faudrait trois ou cinq planètes, ce qui des cours ne serait pas passagère, on comprend
est bien entendu impossible. que le contexte qui est celui du demi-siècle
La Politique agricole commune (PAC), en mettant prochain est radicalement différent de celui qui a
en friche des espaces productifs, a dévalorisé la prévalu le demi-siècle passé.
vision que nous avons de la valeur des terres biolo- Les deux sujets biodiversité et climat ont fait l’objet
giquement productives (terres agricoles ou espaces de conventions signées à Rio, ce qui montre leur
naturels). Et les connaissances des mécanismes en rôle essentiel dans le développement durable.
Ce faisant, ils apparaissent lointains et hors d’at-
teinte pour les acteurs locaux. Selon l’expression
1. Perte de la diversité biologique : faits et chiffres, commu-
niqué de l’Union européenne, Bruxelles, 9 février 2004. d’Olivier Godard le développement durable ne
2. La pyramide de Maslow permet de comprendre la serait pas fractal, c’est-à-dire que les règles du
hiérarchie des besoins de l’homme. Selon Abraham Maslow
la satisfaction d’un besoin ne peut être réalisée que si les niveau global ne peuvent pas être simplement
besoins de niveau inférieur sont eux-mêmes satisfaits. transposées au niveau local. « Des contraintes qui
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Il s’agit de gérer des biens communs par des nées, voire intégrées, de développement durable
processus alliant la responsabilité individuelle et doivent pouvoir se mettre en place à ces quatre
la coopération. Ni le pur marché ni la pure niveaux. Pourquoi intégrées ? Bien souvent les
autorité n’apporteront les solutions, c’est pour- niveaux de diagnostic et de négociation ne sont
quoi l’on parle de gouvernance. Nous en avons pas ceux de la mise en œuvre. La lutte contre
apporté la définition suivante. « Dans le contexte les changements climatiques par exemple est
du développement durable on considère que négociée et décidée au niveau mondial. Ce sont
la gouvernance est un processus de décision les États qui contractent les engagements et la
collectif n’imposant pas systématiquement une plupart des réponses sont au niveau local.
situation d’autorité. Dans un système complexe
Le premier niveau de gouvernance est bien
et incertain, pour lequel les différents enjeux
entendu le niveau international, c’est à ce niveau
sont liés, aucun des acteurs ne dispose de toute
qu’a émergé la nécessité même du développe-
l’information et de toute l’autorité pour mener
ment durable. La France appelle à la mise en
à bien une stratégie d’ensemble inscrite dans le
place de régulations internationales en matières
long terme. Cette stratégie ne peut donc émerger
sociales et environnementales, en se battant sur
que d’une coopération entre les institutions et
deux fronts :
les différentes parties intéressées, dans laquelle
chacune exerce pleinement ses responsabilités 1) le front des négociations multilatérales, en
et ses compétences. » Pour insister sur la néces- défendant la création d’une Organisation mondiale
sité de disposer de connaissances, l’expertise de l’environnement et d’un conseil des Droits
scientifique et les connaissances des acteurs, on de l’homme, le développement des stratégies
pourrait même parler de gouvernance éclairée. Le nationales de développement durable faisant la
concept de gouvernance est dual et comporte promotion d’une bonne gouvernance et de la
un volet pouvoir et un volet cognitif. Ce volet participation de la société civile ;
cognitif couvre les informations les connaissances 2) les cadres volontaires d’engagement des entre-
et les représentations que se font les acteurs de prises comme le pacte mondial qui engage les
la situation, la patrimonialisation des éléments de entreprises au respect des Droits de l’homme, du
leur environnement naturel . travail, de l’environnement et à la lutte contre la
corruption. Un système de rapport de développe-
Quatre niveaux ment durable des entreprises (GRI) est inscrit dans
de gouvernance : la loi (nouvelles régulations économiques) ainsi
que la responsabilité sociétale notamment dans
l’intégration verticale les travaux sur l’ISO 26000.
La gouvernance est un processus qui doit mettre
Ces processus sont liés puisque l’Organisation
en cohérence les procédures et les cadres admi-
internationale du travail (OIT) est présente dans la
nistratifs d’un côté et les stratégies des acteurs
réflexion sur l’ISO.
de l’autre, elle concerne quatre niveaux : mondial,
régional, national et local. Des stratégies coordon- L’objectif est d’éviter les délocalisations dues aux
écarts de régulations environnementales (c’est-à-
dire par exemple avoir des approches mondiales
1. Christian Brodhag, Florent Breuil, Natacha Gondran, de la lutte contre l’effet de serre en impliquant les
François Ossama, Dictionnaire du développement durable,
AFNOR éditions, 2004. secteurs industriels des pays en émergence) ou au
2. Henri Ollagon, « Une approche patrimoniale de la qualité dumping social (travail des enfants ou travail forcé,
des milieux naturels », in Du rural à l’environnement, la ques-
tion de la nature aujourd’hui, Paris, édition L’Harmattan, 1989, pratiques contraires aux droits de l’homme ou à la
pp. 258-268. liberté syndicale...).
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Comment ? Quoi ?
Une dernière question semble être devant nous. régions, s’ils s’ignorent ou s’ils se mettent même
Nous faisons face à la nécessité d’avoir une en compétition.
meilleure coordination entre les secteurs publics
Le développement durable, et l’ensemble des
et privés, entre les acteurs économiques et les
approches qui accompagnent désormais sa mise
pouvoirs publics. C’est la prochaine étape majeure.
en œuvre, peut aussi apporter de la cohérence. La
Le processus initié par l’ISO sur la responsabilité
gouvernance permet d’apporter coordination là
sociétale, l’ISO 26000, peut aider à organiser les
où il n’est pas question d’autorité.
transactions entre les entreprises et les commu-
nautés pour la gestion commune des biens publics On imagine alors un Agenda 21 territorial qui soit
et du développement durable. un outil de concertation et de contractualisation
stratégique entre l’ensemble des acteurs publics.
Dans ces changements lourds de conséquence
L’État pourrait alors y jouer un rôle de partenaire
pour nos territoires les rôles respectifs des collec-
stratégique. Il pourrait exercer son autorité sur les
tivités locales et de l’État doivent évoluer. Le
thèmes qui entrent dans sa responsabilité comme la
découpage, sans hiérarchie, des compétences
cohésion sociale, ou sur lesquels il a contracté des
entre les collectivités (région, départements et
engagements comme les changements climatiques.
communes) favorise l’approche en « silo ». Mais
quel sens peut-on trouver à des Agendas 21 Il serait utile et urgent de réfléchir à ces évolutions
locaux multipliés au niveau des communes, des pour organiser les règles du jeu des futurs contrats
intercommunalités, des départements voire des de plan.
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Mots clés
Agenda 21, changement climatique, développement durable, empreinte écologique, gouvernance.
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Prospective et aménagement du territoire ont Mais l’effet de serre a une autre implication
les mains liées et cela est prouvé, pour la DATAR sur l’action publique, celle de raviver les deux
proprement dite, depuis les années 1960. La mise types d’approche que suscite la prospective : la
en route en 2005 de groupes de prospective « synchronique » et la « diachronique ».
assure la continuité d’un couple qui se nourrit
– L’approche « synchronique » consiste à porter
des deux côtés, d’espérances et de scénarios. Le
un regard photographique sur un certain horizon :
quotidien n’a jamais été pour elle une nourriture.
2020, 2050, 2100 etc. La DATAR ne s’en est pas
La problématique de l’effet de serre renouvelle, privée, elle qui, avec témérité, en 1968 déjà,
pour l’un des groupes mis en place, le regard que avait scruté l’an 2050, avec... quatre-vingts ans
l’on peut avoir sur la prospective. d’avance. Le réchauffement des climats oblige à
Cette problématique confirme d’abord l’appétit aller encore plus loin ; il conforte cette avancée
de « rétrospective » qui fait partie de la discipline. au-delà même de la normale utile pour l’action.
Les évolutions lentes de l’histoire sont essentielles Rappelons que la DATAR avait aussi beaucoup
à prendre en compte : il n’y a pas de « tournant » œuvré en faveur de l’approche « synchronique »
même si le monde s’accélère ; le court terme n’a avec le « scénario de l’inacceptable » de la fin des
pas de sens pour une administration de mission années 1960.
qui ne peut prendre les virages à angle droit. C’est – L’approche « diachronique » est, quant à elle,
ce qu’avait bien compris la DATAR dans les années plus adaptée au souci de la « réponse » et de
1960, déjà, en faisant appel à Fernand Braudel et l’action. Quels sont les changements probables en
en cueillant les données et indicateurs le plus en fonction des évolutions de tel ou tel paramètre ?
amont possible. Trente ans n’ont jamais été de Quelles sont les conséquences en chaîne, directes
trop et une telle pratique n’est pas si fréquente
et indirectes, des politiques décidées ? Le chan-
pour une administration. L’effet de serre confirme
gement climatique interpelle ainsi ce qui peut être
cette nécessité et allonge le tir car le regard doit
de notre ressort dans les différentes périodes des
être porté sur plus d’un siècle pour faire sens.
« futuribles » possibles. Il mesure le fruit de notre
liberté.
Nous devons à la fois courir un sprint (le futur
commence dès maintenant et nous n’avons pas
beaucoup de temps) mais aussi courir une course
de fond sur plusieurs décennies. L’exercice à multi-
* Serge Antoine a été chargé de présider, pendant le premier ples horizons est indispensable. Le mélange entre
semestre 2005, un groupe de prospective sur ces thèmes et
sur celui de la compétitivité régionale. synchronique et diachronique est une nouveauté
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qu’il faut travailler avec plusieurs types d’horizons. temps n’est plus à l’accueil persifleur que j’avais
Pour les responsables de stations de sport d’hiver, reçu en 1967 de la part de la société politique à
les canons à neige peuvent être une réponse qui je l’expliquais, en m’appuyant sur le dialogue
pour les cinq à dix ans à venir, pas pour trente que j’avais eu avec le conseiller scientifique du
à cinquante ans ! Ce n’est pas en effet le même président américain... d’alors !
exercice.
La problématique du réchauffement climatique
renouvelle donc la prospective sans la sacraliser
ni la figer dans une approche qui a été « réin-
En tout cas, le renouvellement de la prospective terpellée ». Elle permet à la DATAR de décliner
en 2005 sur le thème du réchauffement de la l’écologie sous l’horizon long, peu exploré jusqu’à
planète est, pour la DATAR qui ne l’avait pas présent, et de relier par le « développement
pratiqué jusqu’ici, une bonne occasion de montrer durable » les piliers de l’économique, du social, du
qu’elle ne se nourrit pas de « jour à jour ». Le culturel et du géographique.
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Développement
et aménagement Christian GARNIER
École d’architecture de Paris La Villette
durables et désirables *
France Nature Environnement
christian.garnier1@wanadoo.fr
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tion, santé, éducation, droit... La référence aux Ainsi formulé, le concept de « désirabilité » se
aspirations individuelles et collectives premières, trouvait d’emblée inscrit dans une histoire singu-
à un désir partagé est, sinon toujours explicite, en lière et associé à l’idée d’un droit nouveau très
tout cas flagrante. étendu. Or, dans le contexte de la Méditerranée,
Du côté des environnementalistes, promoteurs la qualité de l’environnement résonne intimement
historiques du développement « durable », le avec des modes et une qualité de vie forgés par
vocable de « développement durable et désirable » des cultures millénaires, bien plus que par le
choc, somme toute récent, des pollutions de l’ère
a sans doute été utilisé ça et là en France dès la fin
industrielle – longtemps propre aux pays du Nord.
des années 1980 . Il semble néanmoins avoir été
Une telle perception qui relativise les problèmes
proposé pour la première fois en exergue d’une
de pollution – au risque de les minorer –, conduit
manifestation officielle le 23 novembre 1991, dans
à postuler que la recherche d’un développement
une perspective riche de sens.
durable et désirable vient s’ancrer dans la culture,
Devançant de quelques mois le Sommet de Rio qui s’impose comme une composante majeure.
de Janeiro sur « l’environnement et le dévelop-
Et, parallèlement, elle situe la culture comme
pement », la première conférence sur l’environne-
moteur d’une démarche civilisatrice ouverte,
ment des villes méditerranéennes s’ouvrait dans
épanouissante et plurielle, en lutte contre toute
l’impressionnant Salo de Cent, salle du Conseil
forme de « barbarie », politique, sociale, écolo-
de la Generalitad de Cataluñya, ceinte de magni- gique ou économique.
fiques stalles gothiques. Devant un parterre de
maires de grandes villes représentant la totalité Ce mariage est tout sauf une lubie surgie du
des pays de la Méditerranée – y compris les frères néant. Il s’inscrit en fait dans une tradition huma-
supposés ennemis d’Haïfa, de Tripoli (Liban) et de niste dont on retrouve des prolongements dans
Gaza –, il s’agissait d’esquisser les enjeux propres certains travaux des grandes conférences, de
à cette région, les responsabilités des municipa- Stockholm en 1972 , de Rio, vingt ans plus tard ,
lités et de motiver les élus. et plus récemment, de Johannesburg en 2002.
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répondre à la demande émanant d’« acteurs [qui] culturels urbains » ainsi que sur celle d’« une vision
se rapprochent, dessinant de nouvelles alliances artistique, poétique de la ville ».
pour de nouvelles synergies, afin de relever le De même, en 1987-1988, alors que le rapport dit
défi d’un monde en mutation profonde. L’État Brundtland commençait à peine à circuler, la charte
se doit de construire les moyens de répondre des « 1 000 communes pour l’environnement euro-
à cette demande, de s’adapter à l’évolution en péen » (1 000 CEE) , ancêtre des Agendas 21
cours, de l’orienter dans des directions désirables, locaux français, ébauchait également la notion.
qu’il s’agisse de culture, d’organisation, d’options On y parlait « d’enrichir la culture locale » et de
techniques ou financières ». « permettre à chacun d’avoir réellement envie de
De son côté, en avril 2002, la Commission fran- vivre là où il est » dans le cadre d’« un développe-
çaise du développement durable a pris sur la ment harmonieux, durable » censé « favoriser la
culture – dans l’acception ouverte évoquée plus convivialité » . Il n’est donc pas surprenant qu’en
haut – un avis circonstancié, au terme d’une large juin 2002, la fédération France Nature Environ-
consultation écrite . On y lisait notamment « [...] nement ait tenu son 31e congrès national sous
le concept de développement durable n’est l’intitulé « Vers un développement durable et dési-
rien moins qu’un projet de civilisation [...] » ; « La rable ? Rio 92, quelle mise en œuvre concrète » ?
Commission française du développement durable Poursuivant dans ce registre vers un public beau-
insiste donc sur la nécessité de compléter l’ap- coup plus large, les secondes « Assises nationales
proche du développement durable en intégrant la du développement durable » tenues à Lille en
dimension culturelle au même titre que les dimen- juin 2003, sont venues se placer à leur tour sous la
sions économique, sociale et environnementale ». bannière du « durable et désirable » .
Et la CFDD précisait : « [les] activités culturelles [...]
peuvent être de formidables outils d’évolution et Bref retour sur
d’épanouissement personnels – ainsi que de déve-
loppement de la démocratie [...] ».
la genèse du dévelop-
pement durable
L’idée implicite du « désirable » se trouvait évidem-
ment en germe depuis beaucoup plus longtemps, À ce stade, pour bien saisir l’évolution que repré-
puisque Aristote ne manquait pas déjà de souli- sentent les ajouts étroitement liés de la culture
gner que vivre, ce n’est pas seulement survivre. et du « désirable », un bref retour chronologique
Plus près de nous, en 1984, le long « Manifeste s’avère nécessaire.
pour l’écologie urbaine » publié dans la revue Sans remonter à la nuit des temps, le « développe-
Métropolis, pétri de questionnements et de propo- ment durable » est apparu à la croisée de préoc-
sitions sur la durabilité urbaine à une époque où le
terme restait totalement inusité, ne se bornait pas
à poser des questions épistémologiques autour 3. Lancée à l’occasion de l’Année européenne de l’envi-
de l’écologie, des sciences du milieu et des ronnement (1987-1988) par la fédération France Nature
Environnement, avec le soutien du Bureau européen de l’envi-
sciences humaines. Il mettait aussi l’accent sur la ronnement (BEE), l’opération a consisté à mettre en place des
nécessité d’« un réinvestissement massif [...] dans conventions-programmes de partenariat entre associations
environnementalistes et collectivités locales. L’action s’est
la compréhension des phénomènes historiques et développée pendant plusieurs années dans cinq pays, France,
Belgique (Wallonie et Flandre), Espagne, Italie et Portugal.
Le Parlement européen lui a attribué son prix 1988 de la
meilleure initiative européenne. Elle a été menée dans notre
1. Que présidait Jacques Testard, avant une démission pays en partenariat avec l’Association des maires de France.
collective en mai 2003 ; aujourd’hui remplacée par le CNDD, 4. Préambule de la plaquette de présentation, page 6.
que préside Anne-Marie Ducroux. 5. Dans les actes, cinq axes forts sont dégagés, le premier
2. Avis (no 2002-07) ; la Fédération France Nature Environne- listé étant « culture et représentations : changer les modèles
ment avait adressée une réponse argumentée. et les représentations ».
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cupations matérielles et philosophiques quant au ressources (UICN), que se sont ébauchés le terme
devenir de la nature et du rapport homme-nature, et la notion de durabilité, avant qu’ils ne soient plei-
d’une part, et d’une réflexion plus globale sur la nement explicités et formalisés dans le rapport de
destinée humaine, d’autre part . la Commission dite Brundtland, publié en 1987.
À partir de la fin du XIXe siècle, ce sont principale- C’est d’abord sous la pression des premiers
ment quelques grands naturalistes qui, confrontés environnementalistes et de certains experts du
aux dégâts écologiques et sanitaires de la révolu- développement – notamment l’équipe réunie par
tion industrielle et de la colonisation, ont poussé les Maurice Strong pour la préparation de la confé-
premiers cris d’alarme sur « la planète en danger », rence de Stockholm –, que la notion « d’inté-
tandis que nombre de philanthropes, politologues, gration » (des politiques environnementales, agri-
romanciers et philosophes se penchaient sur les coles, industrielles, urbaines, territoriales...) s’est
« maladies urbaines » et la condition sociale, tels forgée dans les années 1970, avant d’être progres-
Engels, Dickens ou Zola. La « crise de l’environne- sivement repensée et re-formalisée en termes de
ment » ne s’est cristallisée comme sujet politique « développement durable », pour articuler définiti-
que beaucoup plus tard, dans les années 1960 , vement les fameux trois piliers initiaux.
autour de la nature, du paysage et des pollutions. Sans la crise de l’environnement, on n’aurait sans
Pourtant, ô paradoxe, ce sont des personnalités doute jamais parlé de développement durable.
d’horizons variés, inquiètes du bouleversement Ce dernier ne se conçoit pas sans que le premier
des systèmes naturels qui, les premières, ont tenu – l’environnement – ne jouisse d’une très forte
à ce que la « crise urbaine » soit reconnue comme assise ; lequel reste à son tour indissociable d’une
partie intégrante de celle de l’environnement ! très forte composante « nature », nature plus ou
On tend à oublier que l’apparition de l’environne- moins anthropisée.
ment dans les politiques publiques (avec le sens In fine, des politiques menées au nom du déve-
qu’il a pris au cours des années 1960-1970 d’en- loppement durable qui ne garantiraient pas – et il
vironnement de l’homme), puis rapidement dans s’en trouve ! – un réel équilibre entre les diverses
le langage commun, correspond à un glissement dimensions se verraient du coup entachées d’une
accentué (au « basculement »), d’une vision natura- forte suspicion d’illégitimité. L’ajout nécessaire
liste traditionnelle vers une appréhension sociale de la culture aux trois piliers institutionnalisés à
et économique de la relation homme-nature et l’origine ne saurait donc servir d’écran de fumée
homme-milieu. On est en droit de penser que pour passer à la trappe des problèmes environ-
l’approche sociale et économique, consubstan- nementaux – ou sociaux – parfois douloureux,
tielle de la problématique environnementale, est bien au contraire.
largement à l’origine de son succès, tout autant
que son caractère global et systémique. Culture, inégalités
Il est également intéressant de noter que c’est à et développement
la fin des années 1970, dans un cercle pluridisci-
plinaire de spécialistes liés à l’Union internatio- durable
nale pour la conservation de la nature et de ses L’essor du développement durable est intrinsè-
quement lié à celui des problématiques cultu-
relles ; il le sera de plus en plus, comme le montre
1. Cf. Ch. Garnier, in L’homme et sa planète, problèmes du
développement durable, sous la direction de Marcel Boiteux,
chapitre 2, Académie des sciences morales et politiques, PUF,
juin 2003. 3. Équipe qui produisit le concept d’écodéveloppement lors
2. Comme on le sait, du côté de l’État, la DATAR et le Plan du fameux séminaire de Fournex, près de Genève, en 1971.
ont alors joué un rôle essentiel dans ce mouvement. Cf. Ignacy Sachs, L’écodéveloppement, Syros, 1993.
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22 Territoires 2030
On peut se souvenir pour commencer que parmi – fermement adossés à l’ensemble des principes et
les dictatures les plus violentes et les plus stables, droits humains à portée universelle –, dont la société
la promesse de lendemains qui chantent n’a pas été a manifestement un urgent besoin pour redéfinir le
de peu d’effet. Et que, dans un registre voisin, les contenu de la notion de progrès humain.
politiques publiques menées en démocratie sans un
Si le désirable fait montre de nombreuses utilités
minimum d’adhésion ont rarement connu un franc
sociales, on ne doit pas pour finir se priver de consi-
succès. Autrement dit, si la légitimité des projets
dérer la désirabilité des choses en soi et pour soi.
collectifs se fonde pour une bonne part sur l’accep-
tation de contraintes dont l’intérêt est suffisamment Accepter une vision réductrice du développement
perçu, comme l’impôt ou les limitations de la vitesse durable serait s’enfermer dans un contresens au
routière, ils ne tiennent dans la durée qu’en répon- regard de l’axiome des quatre piliers et tuerait à
dant aussi à des aspirations d’un autre ordre, à une coup sûr tout désir. Un projet qui se veut désirable
envie d’imaginer et de faire ensemble. se présente donc comme le refus de la fatalité
Une telle motivation reste la clef d’une implication d’un monde de plus en plus contraint par des
pérenne des acteurs. Un processus de déve- réponses purement techniciennes et juridiques.
loppement durable s’amorce nécessairement sur Le développement durable doit faire sa place
quelques éléments de consensus relativement à la subjectivité, à la beauté, à l’affectivité, à
faciles à trouver, moyennant un peu d’intelligence l’épanouissement des êtres humains. S’agissant
et de volonté de dialogue. Mais il suppose ensuite du cadre de vie, nous avons certes droit à un
la capacité d’affronter des questions parfois logement et à des conditions matérielles saines et
très complexes, appelant des concessions parfois décentes, mais nous avons également droit à des
épineuses. Que l’on travaille à l’échelle d’une lieux de vie qui puissent nous faire rêver .
commune, d’une région, d’un pays ou au niveau
Par ailleurs, aucune raison valable n’exige de refuser
international, face à des pressions extérieures et
les côtés ludiques qui peuvent entourer un projet.
des enjeux de plus en plus lourds, la mobilisation
des acteurs concernés s’avère indispensable. C’est Si le développement durable comporte nécessaire-
le seul moyen de faire remonter efficacement ment des moments de conflit et des renoncements,
les informations que détiennent les acteurs de on est en droit de considérer qu’il doit être aussi le
terrain, ainsi que leurs attentes, leurs demandes, lieu de l’échange, de la reconnaissance de l’autre,
et leurs propositions, en profitant de leurs savoirs. de la découverte du monde qui nous entoure, de la
C’est aussi le meilleur moyen d’asseoir la légiti- rencontre festive, du retour gratifiant.
mité des projets collectifs, de favoriser l’accepta- Enfin, le projet collectif qui se construit progressive-
bilité de certains sacrifices. Ceci suppose que les ment dans un processus du développement durable
responsables politiques ne se contentent pas de tend vers un nouveau contrat social en vertu
consulter, mais fassent preuve d’une réelle écoute, du principe d’équité, et vers un processus de
acceptent un dialogue approfondi et deviennent démocratie citoyenne en vertu de celui de parti-
les promoteurs d’un projet co-construit. cipation. Il s’inscrit dans la poursuite d’une utopie
Mieux encore, une réelle mobilisation du public d’un nouveau genre, au meilleur sens du terme,
et des groupes concernés dans une démarche de une utopie sans modèle prédéfini, une utopie de
développement durable, pour un projet global et la diversité en devenir, à la recherche de réponses
transversal, offre l’opportunité rare de confronter adaptées aux divers contextes et aspirations, inspi-
des aspirations essentielles. Elle permet d’ouvrir un
débat de société sur les grands enjeux du futur,
1. Cf. Christian Garnier et Philippe Mirenowicz, « Manifeste
de créer une culture commune. Elle contribue pour l’écologie urbaine », Métropolis, no 64-65, 4e trimestre
à construire les nouveaux systèmes de valeurs 1984 (« Écologie urbaine I : nouveaux savoirs sur la ville »).
23
décembre 2005 n° 2
rées par des valeurs universelles d’ouverture et de sur la générosité, au service de valeurs et de biens
solidarité. Peut-on concevoir une telle perspective, communs. Son soutien est en France une question
refusant les hégémonies, économiques, politiques fondamentale et présentement préoccupante, qui
et culturelles, sans l’idée même du désirable ? exige des réponses fortes et réfléchies. En effet,
vouloir faire du développement durable sans tissu
Le désirable associatif d’intérêt général solide et indépendant,
en action ce serait comme vouloir une vie publique sans
partis politiques ou une négociation sociale sans
Pour conclure avec le très vif souci de voir se représentation syndicale structurée. Si l’ambition
concrétiser les bons sentiments, la désirabilité du est aussi d’introduire dans tout cela un peu de désir,
développement durable demandera certes quel- d’innovation et d’enthousiasme collectifs, quelques
ques preuves d’humour et de convivialité. Mais elle encouragements concrets... et durables, ne seront
demandera surtout de s’assurer de l’application sûrement pas superflus.
pragmatique des grands principes et plus encore,
de la qualité de la démarche. Pour cela, quelques Enjeux majeurs
règles élémentaires devront être respectées .
Comme on peut le voir chaque jour dans les
du développement
démarches territoriales, il est nécessaire de tenir durable pour
compte des temporalités : temps de la réflexion et l’aménagement
du travail collectifs, temps des différents acteurs.
Le déroulement du processus doit respecter les du territoire
phases incontournables, avec les organisations Chaque domaine de concrétisation du développe-
adéquates – comités, groupes de travail... En ment durable renvoie à des hiérarchies spécifiques
particulier, la phase la plus amont, qui éclaire les de mise en œuvre. L’aménagement des territoires
finalités de l’action (avant que de parler d’enjeux, fait face actuellement à trois questions majeures
de stratégie et d’objectifs), ne doit pas être court- qui reflètent autant de grandes problématiques du
circuitée : quelle appréhension des choses, quel développement durable.
projet de vie, pour qui, avec qui ? Elle appelle
La première, à laquelle tentent de répondre divers
une large concertation, tout comme les phases de
dispositifs de coopération, est évidemment celle du
diagnostic – diagnostic par lequel on se réappro-
bon emboîtement et de la cohérence des échelles
prie un territoire et ses problématiques –, de suivi
de réflexion et d’action. On voit bien à quel point
et d’évaluation collective.
on est encore loin du compte dans le contexte
Si l’on nourrit l’ambition d’un projet qui soit le français qui souffre d’une complexité et d’une
fruit d’une démocratie citoyenne adulte, on sait le rigidité institutionnelles hors pair, qui poussent à la
caractère névralgique d’une authentique volonté sectorisation et au chacun pour soi. On le voit bien
politique. L’autorité responsable doit s’engager et par exemple dans le domaine des transports et
se donner les moyens d’un travail impliquant forte- des infrastructures, où la cohérence territoriale et
ment habitants, usagers, ainsi que les associations fonctionnelle n’est même pas garantie au sein d’un
citoyennes porteuses d’intérêts généraux (et pas même mode : routes et autoroutes, TGV et trains
uniquement d’intérêts collectifs). Ce tissu associatif Corail, etc.). Du local au global et réciproquement,
spécifique, fort du soutien de l’opinion globale mais premier slogan du développement durable, reste
matériellement très fragile, repose essentiellement encore souvent un vœu pieu.
Second axe majeur, la vulnérabilité des territoires
1. Cf. notamment : Cahiers du conseil général des Ponts et à toutes sortes d’aléas, énergétiques, climatiques,
Chaussées, no 6, septembre 2002, consacré au débat public. économiques, sociaux, politiques, écologiques,
24 Territoires 2030
sanitaires... qui n’avait cessé d’être progressive- sous-estimés, alors qu’ils sont de première impor-
ment réduite depuis deux siècles a pris une direc- tance. C’est notamment le cas pour beaucoup
tion contraire, sur terre comme sur mer. À plus ou de questions de moyen ou de long terme. Or la
moins court terme, des ruptures dangereuses sont construction d’un développement durable ne peut
à nouveau possibles. Cela se vérifie par exemple se concevoir sans approche réellement globale
avec la situation – dénoncée depuis des lustres – de et prospective. Ceci pose à la fois la question de
dépendance financière d’une majorité de la popu- lieux de régulation aux différents niveaux pour ne
lation vis-à-vis de l’automobile et du pétrole ; elle pas retourner au mythe de l’État omniscient, et
peut rapidement prendre un tour social explosif et celle du renforcement d’une forme de société civile
elle résulte pour une part essentielle de politiques citoyenne contribuant à une expertise globale,
publiques en matière d’urbanisme et d’équipe- d’autant que les institutions académiques et les
ment. De même la fermeture inconsidérée des « experts » se sont passablement déconsidérés en
dépôts d’hydrocarbures en région, au profit d’une niant ou minorant les erreurs commises.
hyper-concentration sur quelques zones portuaires Ces trois problématiques sont parcourues de
et de transports routiers dangereux massifs et façon transversale par une quatrième, lancinante,
polluants, s’inscrit dans une rationalité étroite de des inégalités écologiques et sociales. Cohérence
grandes entreprises qui devrait même poser ques- des échelles, vulnérabilités et questions orphe-
tion aux ministères de l’Intérieur et de la Défense. lines ont toutes fort à voir avec les solidarités
On pourrait prendre bien d’autres exemples en que requièrent les populations et les territoires
matière d’agriculture, de tourisme ou d’industrie. les plus fragiles. Elles interpellent une certaine
La logique de grandes infrastructures mal articulées obsession de la compétitivité qui se traduit dans
à – ou parfois en pleine contradiction avec – la beaucoup d’esprits et sur le terrain par une
desserte et l’accessibilité fines des territoires est compétition à outrance et un gaspillage inquiétant
sans doute l’un des problèmes essentiels de notre de fonds publics qui ne semble plus soutenable
pays, dont la richesse est faite aussi de très grandes en plein choc pétrolier. Le changement de siècle
disparités de densités, de topographies, et de est marqué par des bouleversements qui ne font
topologies d’occupation humaine et « naturelle ». que commencer, dont les coûts peuvent être très
Le développement durable passe par la recherche élevés pour les sociétés européennes.
d’une plus grande résilience et d’une plus grande
autonomie des territoires, condition première d’une La société et le territoire français portent déjà les
meilleure capacité d’adaptation et de résistance marques de lourds dysfonctionnements hérités
aux crises, actuelles et à venir. du demi-siècle précédent. À l’inverse, l’espace
national offre encore, malgré tout, une richesse
En troisième lieu, à un moment où la décentralisa- et des atouts spécifiques et de grand poids. Le
tion est passée dans les mœurs, la question se pose principe de précaution devrait à lui seul inspirer un
avec une acuité croissante des lieux de prise en choix stratégique de renforcement des « compé-
charge des questions « orphelines » dont l’État tences » et des potentialités, et non de la compéti-
était jusqu’ici, avec plus ou moins de bonheur, le tion. La priorité donnée à la poursuite de meilleures
protecteur que les ailes marchantes de la société complémentarités, de synergies, de robustesse,
civile se chargeaient au besoin d’aiguillonner. Or on d’équilibres dynamiques et innovants – qui inclut
constate fréquemment dans les débats locaux qu’il l’émulation et une concurrence raisonnable – est
existe des « points aveugles » ou des angles de vue sans doute l’une des premières conditions d’un
qui ne sont pas pris en charge, ou complètement développement durable. Par la recherche de la
qualité, de la finesse des solutions et des solida-
rités qu’elle suppose, elle apparaît aussi comme
1. Cf. Christian Garnier, « Phénix ou serpent de mer », une voie privilégiée du « désirable ».
Le Monde, Idées, 21 août 1981.
25
décembre 2005 n° 2
Bibliographie
BARRÈRE M., ANTOINE S. (coord.) 1994, La planète Terre entre nos mains, La Documentation française.
BOITEUX M. (Dir.) 2003, L’homme et sa planète, problèmes du développement durable, Académie des sciences morales et
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rapport Brundtland, Montréal-Québec, Éditions du fleuve.
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concrète ? 31e congrès de FNE, Paris, FNE.
GARNIER C. 1991, Villes et protection de l’environnement dans le bassin méditerranéen, METAP, Programme d’action Méditer-
ranée (BM, PNUD, BEI, CE), Paris, FMCU/IUTC.
GARNIER C. 2004, « Développement durable, essor ou imposture ? », Annales des mines, Responsabilité et environnement,
no 33, Paris, Eska.
Sites internet
europa.eu.int/eur-lex/fr/com/cnc/2001/com2001_0428fr01.pdf
Résumé
Après un rappel sur les origines du développement durable et plus particulièrement du développement
durable désirable, cet article souligne à quel point cette notion est éminemment culturelle et comment
elle porte en germe un nouveau projet de société induisant l’instauration d’une authentique participation
démocratique et d’un nouveau système de valeurs collectives. Ce faisant, en tant que principe d’action,
le développement durable désirable est un enjeu fort d’aménagement du territoire selon quatre axes
majeurs : la cohérence des échelles, la vulnérabilité des territoires, la prise en compte de certaines ques-
tions orphelines ainsi que des inégalités sociales et territoriales.
Mots clés
Développement durable (histoire), participation, aménagement du territoire, environnement.
26 Territoires 2030
L'atténuation du changement
climatique : un atout
économique pour Gilles PENNEQUIN
27
décembre 2005 n° 2
et de 80 % pour les pays les plus développés cher la rentabilité de court terme et l’avantage
(dit « facteur 4 »). Cet objectif semble presque comparatif qui conduit à ne pas assumer les coûts
hors d’atteinte : notre croissance économique est environnementaux, sociaux et culturels des straté-
corrélée avec la consommation énergétique. Si gies économiques ;
nous gardions jusqu’en 2050 un taux de croissance – la croyance dans les seules solutions techniques
annuelle de 1,7 % (et une efficacité énergétique (issues en partie de la pensée philosophique posi-
inchangée), au lieu de se réduire, la consommation tiviste) qui freine la mise en place immédiate de
énergétique aura encore augmenté de 80 %. programmes ambitieux de maîtrise de la demande
La poursuite de la croissance et la limitation de d’énergie ;
la consommation énergétique paraissent donc – enfin et surtout, une mauvaise perception de
contradictoires. Les décideurs privés et les respon- la temporalité des enjeux. Beaucoup de déci-
sables politiques, désireux de poursuivre une poli- deurs pensent que les technologies vont régler
tique de croissance, sont alors obligés de prendre le problème du réchauffement du climat, alors
des mesures d’adaptation ou d’atténuation des que ces nouvelles technologies ne seront pas
effets négatifs du réchauffement inévitable pour disponibles en masse dans les vingt ans ou trente
la société. ans à venir, période au cours de laquelle doit
s’inscrire pourtant la rupture avec les tendances
Quelles mesures ? Les institutions internationales actuelles. C’est en s’appuyant sur les technologies
demandent aux pays développés d’abord, et aux qui sont les nôtres actuellement qu’il faut inverser
autres États ensuite, d’infléchir progressivement les tendances. À quoi bon avoir dans trente ou
leur mode de développement ; puis d’engager par quarante ans de bonnes technologies, peu émis-
la suite une rupture avec celui-ci, sauf à trouver sives en CO2, si d’ici là, l’atmosphère de la planète
des solutions techniques innovantes qui nous se réchauffe de 5 à 7° supplémentaires ?
dispensent de cet effort de réduction.
Ce processus vertueux connaît cependant un démar- Vers une autre
rage difficile dans l’ensemble des pays directement
impliqués, même si, parfois, des initiatives isolées
croissance
atténuent un bilan globalement peu glorieux. économique ?
De nombreuses raisons expliquent la faiblesse des Il y a trente ans, le Club de Rome lançait déjà un
actions engagées : appel solennel à freiner la croissance, sous le titre
– la faible connaissance, par les élites et par une the Limits of Growth ? Il mettait en garde contre la
large part de la population mondiale, des risques poursuite des prélèvements et le gaspillage massif
majeurs que feront courir, à l’humanité toute de ressources non renouvelables. Mais cette invi-
entière, la pérennisation et la généralisation de tation à reconsidérer la croissance s’accompagnait
notre mode de vie consumériste ; d’un point d’interrogation, signe que les rappor-
– la difficulté pour la communauté scientifique teurs avaient déjà mesuré la difficulté à penser
de décrire précisément l’étendue, l’intensité et la l’avènement d’un « écodéveloppement » sans le
fréquence des dommages qui attendent l’huma- soutien de la croissance économique. Un choc et
nité face à ce réchauffement climatique ; un contre-choc pétrolier plus tard, le concept plus
– le poids du paradigme économique dominant, consensuel de développement durable – né du
renforcé par le fait que les acteurs économiques rapport de Mme Brundtland – s’appuie aussi sur
utilisent avant tout des indicateurs (tel que le PIB l’économie de marché. On cherche désormais à
ou les indicateurs boursiers) de court terme qui ne faire advenir un nouveau mode de développement
reflètent qu’une partie de la réalité ; en intégrant les externalités environnementales et
– la concurrence entre firmes qui pousse à recher- sociales négatives dans les bilans économiques.
28 Territoires 2030
29
décembre 2005 n° 2
30 Territoires 2030
mentation des émissions de gaz à effet de serre, L’OCDE analyse l’impact sur l’emploi des poli-
on constate que certaines régions françaises seront tiques visant à atténuer le changement clima-
particulièrement touchées par les effets du chan- tique. L’institution conclut que le coût oscillerait
gement climatique, ainsi que certains secteurs aux alentours de 1 % ou moins du PIB, tandis
économiques (agriculture, tourisme, transports, que la relocalisation de la main-d’œuvre induite
bâtiments et travaux publics, assurances, etc.). affecterait à peine 0,2 % de la force de travail
Certains territoires seront affectés favorablement totale à l’horizon 2010. Pour l’Europe, la majeure
grâce aux politiques anticipatrices articulées sur partie des études arrive à la conclusion que les
l’efficacité énergétique, la gestion de la demande mesures de lutte contre les changements climati-
d’énergie, le soutien aux énergies renouvelables, ques auront des retombées positives sur l’emploi.
l’utilisation de matériaux locaux de construction. Le « Livre blanc » de la Commission européenne
Les régions littorales ont leurs chances si l’on estime à 500 000 les emplois nets pour 2010 dans
songe au potentiel éolien. D’autres territoires l’Union européenne, créés directement par le
seront au contraire atteints négativement, notam- secteur des énergies renouvelables et à 400 000
ment ceux qui dépendant fortement de combus- les emplois créés indirectement. En France, l’IFEN
tibles fossiles et qui ont des industries fortement annonce 115 400 emplois potentiels à partir des
consommatrices d’énergies émettrices de CO2. énergies renouvelables en 2010, contre 38 900
actuellement. Les gains pour le BTP de la maîtrise
Il apparaît donc essentiel d’étudier la vulnérabi-
de la demande énergétique n’ont pas été mesurés
lité des territoires face aux évolutions énergéti-
à ce jour.
ques et climatiques à venir, afin de reformuler la
nouvelle croissance du territoire qui devrait, dès Les politiques de réduction des émissions de gaz
lors, s’appuyer sur des démarches territoriales à effet de serre favoriseront le développement de
« d’éco-innovation ». Ces dernières se fondent sur nouvelles possibilités de travail, notamment dans
une approche des risques et des opportunités de les secteurs à forte intensité énergétique (dont
marchés, afin d’élaborer les scénarii d’une antici- le BTP), des énergies renouvelables, du contrôle
pation des mutations sectorielles nées de la mise et de l’instrumentation de la combustion et des
en œuvre des politiques de réduction des gaz à matériaux de construction, mais aussi dans les
effet de serre. industries fabriquant de nouveaux produits de
Pour commencer, et pour se convaincre de la grande consommation moins énergétivores (véhi-
nécessité de repenser les stratégies économiques, cules particuliers et utilitaires, électroménager et
il faudrait bien mesurer ce qu’il nous coûte de ne outillage électrique, biens d’équipements...).
rien faire. L’absence de mesures pour contrer les
changements climatiques a des effets budgétaires Valoriser les aménités
et en termes d’emploi. des territoires
– Ce coût de l’inaction permet de réévaluer l’uti- Tous les territoires doivent à la fois rechercher
lité des politiques de prévention du changement à être compétitifs et en même temps attractifs
climatique. Les coûts économiques varient d’un à auprès des habitants des autres territoires. Ils ont
sept en moyenne entre prévention et réparation, besoin de garder leurs forces vives et d’en attirer,
et l’exemple de l’ouragan Katrina en Louisiane le par un travail de marketing d’image.
confirme encore. À l’heure de la globalisation, l’attractivité d’un
– Cette démarche permet d’anticiper les efforts territoire passe aujourd’hui aussi par la qualité
d’adaptation que certains secteurs de l’économie des paysages naturels et urbains, par la maîtrise
nationale auront à fournir pour faire face aux chan- des nuisances (bruit, pollutions de l’eau, de
gements climatiques. l’air, du sol...), par la préservation du patrimoine
31
décembre 2005 n° 2
culturel, par l’offre de services de qualité (hôpi- – les marchés financiers vivent de plus en plus
taux, crèches, halte garderie, haut débit...) : autant souvent dans le très court terme, soumis aux
d’aménités qui peuvent attirer les cadres des rentabilités exigées par les actionnaires ;
entreprises. Cela passera demain par d’autres
– l’administration enfin, qui doit théoriquement
aspects qui ont trait à la compétitivité du territoire garantir les intérêts de long terme, dispose
par lui-même, notamment l’énergie. Pour faire d’outils adaptés de planification territoriale qui
comprendre cet enjeu, il est à noter qu’un point prennent en compte des durées plus longues (ex. :
de PIB aux États-Unis équivaut à deux fois plus les schémas de services collectifs, les SRADT, les
d’énergie qu’un point de PIB européen ; que 20 % SCOT, les PLU...).
du budget des ménages américains est consacré
aux coûts du transport contre 10 % en Europe. Quoi qu’il en soit, ces différentes temporalités
Aussi, les territoires qui seront les plus économes s’accordent mal avec celle du développement
en énergie seront demain les plus performants et durable en général et du changement clima-
les plus attractifs. tique en particulier. L’État, dans le cadre d’une
gouvernance renouvelée, peut plus facilement
Reconsidérer que les collectivités territoriales ou les firmes
privées, être garant des enjeux de long terme
la temporalité et mettre en œuvre des stratégies préventives
de l’aménagement et curatives à l’échelle géographique pertinente,
pour couvrir l’ensemble du territoire national. Mais
du territoire et agir cette démarche descendante doit être croisée
dans l’incertitude d’approches ascendantes, nées des initiatives
Le concept de développement durable porte dans spécifiques des territoires, en fonction des oppor-
sa définition la notion de temps : un temps présent tunités locales. Aussi la gouvernance territoriale à
(les générations actuelles) et un temps long (celui mettre en place et l’articulation des politiques de
développement durable des différents territoires
des générations futures).
qu’elle implique, constituent des éléments essen-
Une première difficulté repose, pour les aména- tiels dans la réussite d’une politique globale de
geurs, dans l’arbitrage entre les aspirations des développement durable.
générations présentes et celles des générations
futures (qu’il est par ailleurs bien difficile d’ima- Devoir agir
giner). À cette difficulté s’ajoute celle de la diffé- sans être totalement sûr !
rence de perception du temps entre les multiples
Les incertitudes scientifiques relatives au réchauf-
acteurs qui agissent en matière d’aménagement
fement climatique se réduisent de jour en jour, à
du territoire. Citons quelques exemples :
mesure que les recherches avancent sur ce sujet.
– l’élu local pense souvent son action sur une Cependant, face aux faisceaux de preuves scien-
douzaine d’années, soit deux mandats ; tifiques, le thème est pourtant sujet à moquerie,
– les acteurs industriels, qui avaient traditionnel- quelquefois à diabolisation dans certains milieux
lement des stratégies sur une vingtaine d’années, scientifiques, politiques, ainsi que parmi les intel-
ont désormais des stratégies de plus en plus lectuels et les médias. Certains ont vu dans le
courtes à mesure que s’est développée la désin- principe de précaution un rejet du progrès, un
retour à l’âge de pierre !
termédiation bancaire pour l’investissement. Le
marché s’est progressivement substitué au réseau Il y a bien là une difficulté à penser en dehors de
bancaire qui gérait une relation à la clientèle dans « la modernité » actuelle, à se détacher des inté-
une temporalité beaucoup plus longue ; rêts économiques liés au modèle dominant. L’un
32 Territoires 2030
des freins au changement repose sur la difficulté Si on se réfère aux différentes expériences déjà
à dater les catastrophes naturelles qui vont se menées en France et à l’étranger, les politiques de
produire, leur intensité, leur fréquence et leurs maîtrise de la demande d’énergie et le soutien aux
conséquences sur le développement économique énergies renouvelables (ENR) seraient des options
et/ou sur l’homme en général. particulièrement efficientes. Il importe aussi de
En dépit des efforts du GIEC, les chiffres avancés prévenir les risques potentiels de crise énergétique,
n’indiquent qu’une probabilité de réchauffement, qui auraient notamment de lourdes conséquences
étalée sur une période d’un siècle. Cette four- sur la sûreté et la souveraineté nationales, sur la
chette de temps est difficilement intégrable dans compétitivité des entreprises et des territoires,
la stratégie des décideurs économiques. Si le voire sur la cohésion sociale du pays.
marché peut participer à la résolution d’une partie
des problèmes écologiques de notre planète, il
ne peut anticiper l’ensemble des phénomènes. Conclusion
La raréfaction des énergies non renouvelables et
l’apparition de pics de consommation dans les
années à venir n’ont pas encore réellement d’im- Face aux enjeux du développement durable, il est
pact sur le prix du baril, qui fluctue surtout au gré impératif d’engager le plus rapidement possible
d’aléas conjoncturels. Le marché ne peut prévoir un processus qui conduise progressivement à
les effets de seuil qui peuvent transformer un une inflexion, voire à une rupture par rapport à
problème écologique mineur en une catastrophe une économie de flux fondée sur les énergies
irréversible. émettrices de gaz à effet de serre. Cette inflexion
Face aux incertitudes sur l’intensité du réchauffe- appelle nécessairement l’élaboration d’une
ment climatique, sur l’état des réserves énergéti- nouvelle politique d’aménagement du territoire,
ques, sur les stratégies que les états et les firmes créatrice d’emplois et compétitive. Ce processus
pourront déployer, il est essentiel que la stratégie doit s’inscrire dans les politiques publiques, qui
d’atténuation énergétique et d’adaptation au viendraient en appui et en complément des stra-
changement climatique réponde aux impératifs tégies déjà menées par de nombreuses grandes
de durabilité. Il y va du rang de la France qui devra firmes françaises.
éviter d’avoir une position décalée au regard des L’échelle régionale apparaît comme adaptée pour
stratégies des autres États et des marchés, dans le construire, avec l’État, cette stratégie. La période
contexte de la globalisation. de renégociation des fonds européens et des
contrats de plan serait opportune pour préparer
Engager une stratégie ces nouvelles politiques avec des acteurs terri-
sans regret toriaux et des partenaires privés qui ont de
Une stratégie économique territoriale « sans plus en plus conscience des enjeux. La difficulté
regret » devrait combiner la création optimale réside cependant dans l’articulation des politiques
d’emplois diversifiés, le soutien aux activités territoriales entre elles. Il appartient à la DATAR
économiques orientées vers les marchés futurs, et aux autres acteurs publics de proposer un
assurer l’équilibre spatial des activités et le degré nouveau cadre de négociation, qui s’appuie sur
d’efficacité énergétique des mesures, (analyse en des territoires adaptés aux différentes politiques
cycle de vie, en calcul d’empreinte écologique...). à engager.
33
décembre 2005 n° 2
Résumé
Le changement climatique et les évolutions énergétiques imposent de repenser rapidement notre
modèle de société en s’orientant vers une autre croissance économique moins productrice de gaz à effet
de serre et plus économe en énergie. Une telle orientation pourrait se traduire par une réduction du
flux des échanges au profit d’un développement qui s’appuie sur la biocapacité des territoires et par le
développement de l’avantage coopératif entre territoires, facteur d’émergence d’une nouvelle cohésion
territoriale adaptée aux biocapacités de ceux-ci. L’aménagement du territoire au sens large apparaît
donc comme le moyen de réduire la vulnérabilité des territoires et de garantir une certaine efficience
économique. Mais cela suppose d’en reconsidérer la temporalité et en même temps de continuer à agir
dans l’incertitude.
Mots clés
Développement durable, aménagement du territoire, facteur 4, changement climatique, biocapacité,
cohésion territoriale.
34 Territoires 2030
Métabolisme territorial
et développement Thanh NGHIEM
Institut Angenius
durable thanh@angenius.org
1. M. Wackernagel, W. Rees, Notre empreinte écologique, 2. S. Erkman, Vers une écologie industrielle, Paris, éditions
éditions Ecosociété, 1999. Charles Léopold Mayer, 2e édition, mars 2004.
35
décembre 2005 n° 2
TERRITOIRE
Industries
Stocks de
ressources Infrastructures
Flux entrants : Flux sortants :
Bâtiments Commerces
36 Territoires 2030
37
décembre 2005 n° 2
38 Territoires 2030
L’empreinte écologique
« L’empreinte écologique d’une population est la surface de terres et de mers biologiquement productives
requises pour produire les ressources que cette population consomme et pour assimiler les déchets qu’elle
génère, étant donné les technologies du moment. »
Cette demande humaine en surfaces, exprimée en hectares globaux , est comparée à la bioproductivité
disponible, c’est-à-dire à la surface de sols (cultures, forêts, pâturages, mers) disponibles sur la planète
pour la production de ressources naturelles renouvelables, dans la limite des capacités de régénération des
écosystèmes.
L’empreinte écologique mondiale est actuellement de 2,2 hectares globaux par personne, alors qu’il n’y a
que 1,8 hectare global de biocapacité disponible par personne (sans compter la biocapacité qu’il faudrait
réserver pour le maintien de la biodiversité). L’empreinte écologique de l’humanité dépasse donc de plus
de 20 % la capacité de porter de notre planète. Autrement dit, nous utilisons actuellement 1,2 planète,
alors qu’il n’en existe qu’une de disponible.
Bien sûr, l’empreinte écologique est loin d’être uniforme selon le degré de « développement ». Comme le
note le rapport du Global Footprint Network pour l’Europe, « l’empreinte écologique de l’Europe repré-
sente une surface deux fois supérieures à celle de l’Europe. Les Européens dépendent du reste du monde
pour compenser ce déficit écologique sans cesse croissant. » En effet, dans les dix années qui ont suivi la
conférence de Rio, l’empreinte écologique par personne a augmenté de 8 % dans les pays riches, alors que
les 2,2 milliards de personnes les plus pauvres ont vu la leur réduite de 11 %.
Empreinte écologique par personne
Figure 1 : Empreinte écologique par personne, 1961-2001.
5
Nombre d'hectares
4
Europe des 25
0
1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000
1. WWF, UNEP, WCMC and Global Footprint Network, Rapport planète vivante 2004, 2004, WWF.
2. Hectares pondérés par les facteurs de rendement des différents types de sols, afin de les rendre mesurables dans
une même unité.
3. La capacité de porter d’un système est « la charge maximale qu’il peut supporter avec persistance » : W. Catton,
Carrying capacity and the limits to freedom, Paper prepared for Social Ecology Session 1, XI World Congress of Socio-
logy, New Delhi, India, 1986.
4. Global Footprint Network, Europe 2005 : the ecological footprint, rapport pour l’Union européenne, GFN, WWF,
mars 2005.
39
décembre 2005 n° 2
40 Territoires 2030
Plusieurs voyages
d’étude ont été orga-
nisés pour permettre
à des experts, des
entreprises et des
collectivités fran-
çaises de voir et
d’analyser en toute
transparence les
forces et faiblesses
du programme. Ces
voyages d’étude
ont permis aux
visiteurs de prendre
conscience de ce
qu’était un métabo-
lisme durable, en
leur permettant de
« toucher » les choses
et d’observer les
modes de vie in situ.
Le fait de comprendre les choix qui ont été faits, de voir ce qui fonctionne et ne fonctionne pas, fait partie
du processus d’apprentissage et d’appropriation : le métabolisme durable n’est pas une science exacte,
c’est avant tout un processus évolutif qui permet aux concepteurs et aux habitants de corriger le tir pour
optimiser le fonctionnement du système et se l’approprier. La recherche de solutions locales, l’ingénierie
et l’ingéniosité (boucles énergie, matières, flux de personnes) sont développés par le collectif et appliqués
au cas par cas.
L’après Bedzed : incubateur de projets et recherche-action
À partir de ce laboratoire, un programme appelé One Planet Living (OPL, littéralement « vivre avec une
seule planète »), a été lancé par les concepteurs de Bedzed. C’est un programme ambitieux de métabolisme
territorial, qui vise à réduire l’empreinte écologique des sites et des habitants des deux tiers (passer d’une
empreinte de trois planètes, à une empreinte d’une planète). Dix principes techniques et une documenta-
tion détaillée ont été établis avec des bureaux d’études.
Le principe est le même qu’à Bedzed, mais il est appliqué à une échelle supérieure afin d’intégrer de
manière économique dans le programme les infrastructures et les équipements (énergie, eau, déchets) et
une partie des productions de biens et services (alimentation, matières organiques dont bois et textiles).
Il s’agit de programmer des sites et leurs usages très en amont, en intégrant les usagers et les solutions
techniques dans des boucles d’optimisation locales.
L’ensemble de ces projets pilotes permet d’échanger en réseau des informations en temps réel sur ce qui
fonctionne et sur ce qui ne fonctionne pas. Le réseau constitue de fait un « incubateur » de projets de méta-
bolisme durable, chaque site entrant dans un cycle de « recherche-action ». La connaissance est ouverte et
partagée, tout acteur peut accéder à la connaissance en contactant les membres du réseau.
41
décembre 2005 n° 2
42 Territoires 2030
43
décembre 2005 n° 2
Parce qu’elles sont appropriées et « maintenues » Un métabolisme territorial durable est porté par
par les utilisateurs, ces solutions montrent qu’elles les collectivités qui « habitent » l’écosystème : la
fonctionnent dans la durée (exemple de Bedzed). solidarité et la mémoire collective constituent la
Cependant le processus ouvert lui confère un base d’un lien social résilient. On pourrait dire
caractère de science expérimentale qui pour- que le développement durable est une relecture
rait être discriminant pour certains planificateurs. moderne des valeurs et du patrimoine naturel,
Une analyse contextuelle (opportunités, faisabilité, historique, culturel et industriel d’un collectif
objectifs de calendrier et volonté d’ouverture) est donné, afin d’en faire le socle légitime des orien-
nécessaire en amont. L’analyse des résultats des tations d’aménagement du territoire.
pilotes de recherche-action permettra par ailleurs À ce titre, nous constatons que les sites où les
d’améliorer la méthode en continu. approches de métabolisme « prennent » le plus
naturellement en France sont situés dans des
régions ayant connu des crises et qui ont conduit
des reconversions importantes (territoires miniers
et pollutions du Nord-Pas-de-Calais et de Saint-
Étienne par exemple). De même, les acteurs
privés les plus enclins à suivre cette démarche
sont souvent proches de l’économie solidaire
(mutuelles d’assurance telles que la MACIF, caisses
d’épargne par exemple).
1. Le plus connu est Linux, mais des outils tels que le WIKI
et SPIP Carto permettent aux utilisateurs de coproduire
librement des sites en ligne ou des cartes (voir Wikipedia,
première encyclopédie en ligne co-produite par les utilisa-
teurs).
44 Territoires 2030
45
décembre 2005 n° 2
Sites internet
Analyses de flux de matières : www.conaccount.net et //www.wupperinst.org/
Bedzed et One Planet Living : www.bioregional.com
Écologie industrielle : France-ecologieindustrielle.org/
Empreinte écologique : www.footprintnetwork.org
Modes de vie durables : www.angenius.org
Résumé
Terme issu de la biologie, le métabolisme est une notion qui a été peu à peu transposée à d’autres
domaines tels que l’entreprise ou le territoire. Le métabolisme territorial est ainsi le produit d’une analyse
écosystémique de l’économie qui emprunte ses méthodes à l’écologie industrielle tout en touchant
au domaine de l’aménagement du territoire. L’empreinte écologique est ainsi un essai d’application
pratique de la notion de métabolisme territorial. Utilisée dans le cadre de l’aménagement de quartiers
urbains, comme celui de Bedzed à Londres, elle offre des pistes pratiques à la mise en œuvre du déve-
loppement durable, même si ces dernières reposent davantage sur la mobilisation des populations que
sur des mesures purement techniques.
Mots clés
Développement durable, métabolisme territorial, empreinte écologique, écologie industrielle.
46 Territoires 2030
Nucléaire et développement
durable : quel rôle et
quelles exigences pour Claude NAHON
le nucléaire demain ?
Directrice du développement durable, EDF
claude.nahon@edf.fr
Il y a quelques années, il paraissait incongru d’ac- des parades locales et de court-moyen terme à
coler ces deux mots « nucléaire » et « développe- un impact global et des parades de long terme,
ment durable » sans soulever une véritable polé- voire de très long terme qui ne répareront pas le
mique. Aujourd’hui, la question du changement dommage.
climatique, l’épuisement des ressources, rendent Les tensions sur les ressources se succèdent pour
cette idée non seulement acceptable mais sans des motifs différents depuis le début de l’année,
doute pertinente, peut-être même inévitable. qu’il s’agisse de la rareté des ressources fossiles,
Le changement climatique est très différent de des besoins des pays émergents comme la Chine
la pollution en ceci qu’on ne voit pas les consé- ou des effets des aléas climatiques.
quences de nos actions sur le climat. Le lien entre Les enjeux environnementaux et parmi eux les
une activité et ses conséquences sur l’environne- enjeux climatiques, vont devenir des détermi-
ment change. On est passé d’impacts locaux avec nants majeurs face à la croissance des besoins
Source : EDF
47
décembre 2005 n° 2
énergétiques. Le rôle du CO2 dans le changement Mais ceci doit être précédé par la mise en œuvre
climatique est aujourd’hui reconnu, la maîtrise des des moyens de production d’électricité les moins
émissions de CO2 devient un enjeu majeur. émetteurs, ce qui va du nucléaire à l’hydraulique,
en passant par les autres renouvelables (comme
Or, l’électricité dans le monde représente 40 %
l’éolien).
des émissions de CO2 anthropiques du secteur
« énergie ». Même si en France le parc électrique Sans oublier bien sûr d’investir dans l’innovation
est très peu émetteur en CO2, il faut garder et la recherche pour développer de nouveaux
en mémoire que ce n’est pas le cas général : la moyens de production carbon free : séquestration-
ressource primaire la plus utilisée pour générer capture du carbone, nucléaire de génération 4,
de l’électricité est le charbon, ce qui explique renouvelables (solaire...).
notamment que le secteur électrique est un très
On voit que dans ce contexte le choix du nucléaire
gros émetteur de CO2. Le graphique montre
est alors posé car il permet de produire à un coût
très nettement la contribution du nucléaire pour
raisonnable une électricité sans émission de CO2.
atteindre des émissions par tête plus faibles.
Pour donner un ordre de grandeur, on peut dire
Or la demande en énergie et plus particulièrement que si on arrêtait le nucléaire dans le monde,
en électricité dans le monde va aller croissant : les cela représenterait 600 millions de tonnes de
pays émergents comme la Chine, l’Inde ont des CO2 par an, soit deux fois plus que l’effort de
besoins croissants et considérables. On évoque un réduction demandé par Kyoto à l’ensemble des
doublement des capacités de production d’électri- pays signataires !
cité dans les vingt ans qui viennent.
Ce faisant, le particularisme français s’estompe.
La recherche d’une production d’électricité à très L’Energy Act des États-Unis propose clairement
basse teneur en carbone, dite carbon free devient une relance du nucléaire. Au Royaume-Uni, cette
un véritable challenge qui peut se traduire pour un relance fera partie du débat pour le nouveau « Livre
producteur d’électricité de plusieurs façons. blanc » sur l’énergie que prépare le gouvernement
britannique. La Finlande a quant à elle entrepris la
D’abord, il peut s’agir bien sûr de la promotion
construction d’un réacteur à eau pressurisée (EPR).
de l’efficacité énergétique et de la maîtrise de la
demande en énergie sur l’ensemble de la chaîne D’une manière globale, en Europe, les échéances
(production, transport, distribution et consom- de renouvellement des centrales nucléaires et
mation) : c’est un enjeu majeur car les ressources thermiques classiques se situent dans la prochaine
sont limitées. Celles-ci devraient s’accompa- décennie. Il est donc indispensable d’avoir mis en
gner d’un développement significatif de la place les outils nécessaires à la prise en compte
production d’électricité décentralisée. Pourtant, du CO2 dans les décisions. La directive euro-
si l’efficacité énergétique, y compris la baisse péenne sur les permis d’émissions ne donne pas
de l’intensité énergétique et le développement cette visibilité indispensable : il est urgent de
des énergies renouvelables sont indispensables, stabiliser le cadre et de trouver une gouvernance
ils ne suffiront pas à atteindre les objectifs de mondiale intégrant les pays en développement
réduction nécessaires à la stabilisation de la et les États-Unis.
situation climatique.
La production d’électricité d’origine nucléaire est
L’amélioration du rendement carbone des centrales un atout dans la lutte contre le changement clima-
existantes – de l’amélioration de rendement simple tique et peut ainsi contribuer au développement
à la substitution totale ou partielle de combustible durable mais cette relance du nucléaire doit s’ac-
avec les nuances du gaz à la biomasse –, doit être compagner d’au moins quatre conditions :
recherchée. – le maintien d’un très haut niveau de sûreté, dans
48 Territoires 2030
un cadre structuré et crédible de contrôle ; cet état d’esprit qu’EDF y participe. On commence
– le renforcement de la transparence et du à mesurer que les débats que nous avons sur les
dialogue ; déchets nucléaires à vie longue – qui posent la
– le traitement de la question des déchets question de notre legs aux générations futures –
nucléaires à vie longue ; sont les préludes à ceux que nous devrons avoir
– la recherche sur de nouvelles filières, plus perfor- sur les conséquences de nos activités sur l’environ-
mantes, sûres et moins génératrices de déchets. nement climatique, tout particulièrement en ce qui
concerne les émissions de CO2.
Les débats qui se déroulent en ce moment en
France vont dans ce sens. En tout cas, c’est dans
49
décembre 2005 n° 2
Résumé
Le réchauffement climatique pose en des termes nouveaux le débat sur l’énergie nucléaire. En effet, la
production d’électricité par ce mode pourrait constituer une solution intéressante dans la perspective
d’une diminution des émissions de gaz carbonique, ce dont témoignent les débats qui se tiennent dans
certains pays (États-Unis, Royaume-Uni, Finlande). Mais toute relance du nucléaire devra s’accompagner
d’au moins quatre conditions : le maintien d’un très haut niveau de sûreté, le renforcement de la trans-
parence et du dialogue, le traitement de la question des déchets nucléaires à vie longue, la recherche
sur de nouvelles filières, plus performantes, sûres et moins génératrices de déchets.
Mots clés
Énergie nucléaire, réchauffement climatique, déchets radioactifs.
50 Territoires 2030
Le défi
climato-énergétique Dominique DRON
du territoire
École des mines de Paris
dominique.dron@ensmp.fr
Par la dimension et l’intensité des processus en dans le monde sont dans de nombreuses régions
cause, le changement climatique pose à toutes du monde la production électrique et globalement
les sociétés humaines une question inédite et l’explosion des transports. Cette énergie émane de
vitale, qui converge avec la transition énergétique ressources carbonées à 87 %. Ces consommations
qu’imposent d’une part la proximité des pics se doublent d’une élévation rapide des émissions
de production pétrolier et gazier, d’autre part la de CO2 anthropique, à des niveaux jamais atteints
saturation des capacités de régulation de notre depuis 10 millions d’années (380ppm à ce jour,
atmosphère vis-à-vis des gaz à effet de serre (GES) deux à trois de plus par an), élévation mesurée dans
et notamment du gaz carbonique. Ces questions les carottages glaciaires et pour la période récente
ne se posent pas seulement aux structures de directement au centre du Pacifique.
production et de transport d’énergie, mais bien à Les résultats paléologiques montrent que les
toutes les composantes de nos économies et de grandes oscillations passées de la température et
nos options d’aménagement du territoire, depuis du CO2 planétaires furent concomitantes, toujours
l’agriculture jusqu’aux transports en passant par comprises entre 200 et 280ppm pour le CO2,
toutes les activités humaines et leurs cadres politi- à un rythme principalement lié aux paramètres
ques et culturels. astronomiques. Des épisodes d’oscillation rapide
et régionale de température existent aussi. Mais
Dimensions la succession des variations d’ampleur planétaire
des phénomènes associant température et CO2 montre que hors
ces cycles astronomiques, aucune régulation atté-
climatiques nuante ne semble exister entre ces deux para-
L’explosion de la population mondiale est très mètres ; effectivement, les interactions naturelles
récente et correspond à l’injection croissante de relevées jusqu’ici vont toutes dans le sens d’une
combustibles fossiles dans les économies, à partir auto-accélération du processus : des océans plus
de la révolution industrielle. L’accès à ces ressources chauds et plus acides absorbent moins le gaz
étant relativement facile et peu onéreux, non seule- carbonique ; des systèmes végétaux deviennent
ment la consommation d’énergie suivit et favorisa peu à peu émetteurs nets de carbone car l’activité
le passage en deux siècles de 1 à 6 milliards d’hu- microbienne des sols est encore plus favorisée par
mains, mais chacun d’eux consomme aujourd’hui la chaleur que la croissance des plantes ne l’est par
huit fois plus d’énergie qu’à la fin du XIXe siècle. la teneur en gaz carbonique ; la fonte de la banquise
Les deux principaux moteurs des émissions de CO2 réduit fortement l’albédo terrestre et stimule donc
51
décembre 2005 n° 2
l’absorption de chaleur qui a son tour intensifie la En outre, la molécule de gaz carbonique vit de
fonte ; le réchauffement accroît la vapeur d’eau en 100 à 300 ans dans l’atmosphère : la réduction de
haute atmosphère, gaz radiatif elle-même etc. Sans nos émissions doit donc prendre ceci en compte.
parler des hydrates de méthane jusqu’ici retenus De plus, la température du globe mettra plusieurs
dans les pergélisols aujourd’hui menacés et dans siècles pour se stabiliser, après stabilisation des
les fonds océaniques que pourrait déstabiliser une concentrations de CO2, et le niveau des océans,
température plus haute. Or la prochaine glaciation poussé à la fois par les fontes des glaces et par
ne devrait se manifester que dans plus de 30 000 le gonflement thermique, plusieurs millénaires à
ans, ce qui nous laisse le soin entier d’atténuer le son tour. La dérive climatique en cours constitue
choc thermique en préparation. donc une remise en cause extrêmement rapide et
puissante des conditions de vie de l’humanité et
Il faut parler de choc, car pour les climatolo-
de toutes les espèces vivantes. Ce que nous ferons
gues, non seulement 2 °C de plus de température
dans les vingt ans qui viennent décidera des carac-
moyenne du globe représente déjà un demi-degré
téristiques climatiques et pour certaines géographi-
de plus que ce que notre espèce a jamais connu, à
ques des prochains millénaires. Faute de pouvoir
l’Holocène, mais encore l’évolution surprend tout
espérer une autorégulation naturelle, il nous revient
le monde par sa rapidité, qu’il s’agisse de phéno-
de faire en sorte que ce phénomène ne débouche
mènes ponctuels dont la fréquence est appelée à
pas sur une nouvelle extinction massive, peut-
croître (telle la canicule de 2003), ou d’évolution
être en moins d’un siècle, et en tout cas sur une
continue : l’effondrement de pans de la plate-forme
période extrêmement violente, dont nous pour-
antarctique, la fonte des glaciers sur le globe ou les
rions compter parmi les premières victimes.
modifications des conditions climatiques régionales
– avec les changements de faune et de flore asso-
ciés, marines et terrestres –, mais aussi les risques Observations
(incendies de forêt ou à l’inverse inondations par et perspectives
exemple) correspondants. Or, 2° C de plus, c’est le
Les graphiques 1 à 2 illustrent quelques aspects
bas de la fourchette des possibles calculée par les
de l’ampleur et de la vitesse du phénomène, qu’il
chercheurs rassemblés dans le GIEC depuis 1988.
s’agisse d’évolution des températures moyennes
Historiquement, nous constatons que même deux et maximales, des zones de précipitations ou au
degrés représentent bien plus que les variations contraire de sécheresse intensifiée, de quintu-
liées au fameux « petit âge glaciaire », sans doute plement attendu (scénario A2 du GIEC, proche
en partie suscité par un affaiblissement des taches du tendanciel) de la fréquence des canicules, de
solaires et des variations dans l’activité volca- la migration observée d’espèces végétales et
nique, et qui déclencha déjà de grands change- animales, et des évolutions spectaculaires tracées
ments notamment en Europe. Or 2 °C de plus de par l’INRA et l’ONF pour le siècle qui vient quant
température moyenne globale, c’est 3 de plus en aux conditions thermiques et hydriques des forêts,
Europe de l’Ouest. Que dire alors de 4 voire 6 des cultures et des écosystèmes dont nous dépen-
degrés (ou plus pour certains) en un siècle, soit dons. Répétons-le : la rapidité de l’évolution clima-
6 à 8 sous nos latitudes ? Dans un très lointain tique est dix ou cent fois supérieure à celle qui
passé, l’humanité réagit aux variations climatiques autoriserait une adaptation « normale » des écosys-
comme les glaciations (seuls 4 à 5 degrés nous tèmes notamment végétaux. Ainsi, pour l’ONF, les
séparent de la dernière d’entre elle, le Würm) en arbres se « déplaçant » moins vite que leurs rava-
migrant vers des latitudes plus clémentes ; mais geurs remontant du sud, les changements en cours
nous étions peut-être mille fois moins nombreux équivaudront à des invasions rapides de maladies
qu’aujourd’hui où toutes les terres occupables le ou de prédateurs tels que la processionnaire du
sont, avec des densités parfois gigantesques. pin, les chancres etc. Les conditions thermo-hydri-
52 Territoires 2030
6000
5000
4000
3000
2000
1000
0
1860
1865
1870
1875
1880
1885
1890
1895
1900
1905
1910
1915
1920
1925
1930
1935
1940
1945
1950
1955
1960
1965
1970
1975
1980
1995
1985
1990
2000
EMP - D. Dron - DATAR 2005
Source : Schilling et al., IEA (1997), Observatoire de l'énergie (1997), Musée de l'Homme
ques séculaires de nos vignobles et cultures ont, touristiques. Ceux-ci toucheraient aussi la produc-
elles aussi, déjà progressé de près de 200 km vers tion d’électricité et le transport de personnes, de
le nord. Pour ce qui concerne les villes, pour des marchandises, d’énergie et d’informations. Il ne
pluies de même intensité, la crue « 1910 » à Paris s’agit pas d’une « fin du monde » devant laquelle
serait plus haute de 70 cm environ compte tenu il n’y aurait plus qu’à renoncer, mais d’une révision
de l’imperméabilisation explosive du XXe siècle, sérieuse de nos priorités d’investissement et d’allo-
concernerait 880 000 personnes et 170 000 entre- cation des ressources, tant publiques que privées.
prises ; pendant au moins un mois, l’approvision- En effet, même un remboursement assurantiel ne
nement en eau potable serait perturbé à 50 %, répare pas les interruptions massives d’activités, et
le métro et le RER à 70 % ; 200 000 personnes se en outre les assurances ne remboursent pas tout...
trouveraient sans téléphone, et un million sans surtout lorsqu’un aléa devient un phénomène récu-
électricité, pour un coût total évalué à 30 milliards rent (cf. graphique 4) ! Pour nos voisins britanni-
d’euros (source CGP 2005). Or les pluies extrêmes ques, il est déjà clair que les dégâts dus aux seules
jusqu’ici « centennales » seront plus fréquentes et inondations, grandes marées et érosion côtière
plus intenses du fait du réchauffement global. accélérée en scénario tendanciel coûteraient beau-
À ces modifications de régime météorologiques coup (30 milliards de livres de dégâts pour la seule
sont associées la multiplication et/ou l’intensifi- inondation de Londres par exemple), plus cher que
cation des risques de tempête, d’inondations, les politiques d’atténuation de la dérive climatique :
de glissements de terrain, de stress hydrique et le gouvernement évoque six mois de retard de
d’incendies (comme l’ont illustré l’été 2003 en croissance en 2050 pour financer une politique
France et l’été 2005 en Espagne et au Portugal), correspondant à une réduction de 60 % des GES
un accroissement des aléas agricoles, forestiers et nationaux à cet horizon.
53
décembre 2005 n° 2
Données Fourchette de
Observations, hémisphère Nord, données estimées observées Projections variation des
différents
modèles
54 Territoires 2030
EMP - D.
Source : Dron - DATAR
Météo-France 20032005
60
50
40
30
20
10
0
1950 1960 1970 1980 1990 1998
13 16 29 44 72
Source :
EMP - D.Swiss
Dron ré
- DATAR 2005
55
décembre 2005 n° 2
56 Territoires 2030
Pour ce qui concerne la France, depuis l’adoption faisant passer l’énergie mondiale primaire de 89 %
de l’objectif « facteur 4 » par le gouvernement fin à 50 % de fossiles en 2050, avec 15 % de nucléaire
2002, à l’instar de ses principaux partenaires euro- et 35 % de renouvelables, ne conduirait qu’à une
péens, plusieurs scénarios sectoriels ou généraux stabilisation des émissions actuelles sans une
ont été tentés ou sont en cours d’élaboration. Très réduction globale de moitié des consommations.
rapidement, et pour faire fond essentiellement
– Parmi les diverses façons d’atteindre le facteur
sur celui élaboré par la Mission interministérielle
4, les choix énergétiques primaires raisonnables
de l'effet de serre (MIES) en 2003 et publié par le
passent par la réponse à plusieurs questions en
gouvernement mi-2004 , soulignons trois points :
suspens pour encore dix à quinze ans sans doute :
– Le facteur 2 serait atteignable dans les délais jusqu’où pourra-t-on stocker l’électricité (marge de
avec les technologies et organisations connues, manœuvre des sources intermittentes et des trans-
dont la mise en place peut commencer immédia- ports) ? Jusqu’où pourra-t-on séquestrer sûrement
tement notamment dans le secteur du bâtiment le carbone (marge de manœuvre des fossiles
et, pour l’aménagement du territoire, dans l’orga- au-delà des 3Gt acceptables par la biosphère) ?
nisation des circulations en agglomération, sans Jusqu’où pourra-t-on produire, stocker et trans-
oublier la question de l’évolution fonctionnelle et porter l’hydrogène (autre marge de manœuvre
spatiale des villes et celle des transports longue des transports notamment aériens) ? Et, interro-
distance. Ajoutons-y une indispensable prise en gation cruciale pour nos démocraties, comment
compte accrue dans les schémas de développe- assurer une robustesse sociétale suffisante au
ment des risques « naturels » intensifiés. cours des trente ans de transition chaotiques que
– La part des substitutions énergétiques ne comp- nous commençons à connaître ?
tera sans doute que pour une petite moitié dans le Enfin, le changement climatique même maîtrisé
résultat final, l’efficacité énergétique tous azimuts (et nous pouvons sans doute encore éviter les trois
se taillant la part du lion (ordre de grandeur : quarts des dégâts prévisibles du scénario tendanciel)
division par deux à quatre selon les secteurs) et s’accompagnera de phénomènes météorologiques
donnant d’autant plus de marges de manœuvre plus violents, qu’il faudra consacrer plus de finan-
économiques et politiques à la société qu’elle sera cements à prévenir (robustesse des constructions,
performante. Quelque « bouquet énergétique » isolation contre la chaleur, révision des systèmes
que l’on retienne, ce passage par une économie agricoles...) et à réparer (inondations, incendies,
« énergétiquement allégée » est absolument indis- perturbations des transports, interruptions de
pensable, en particulier pour les bâtiments, les centrales...). C’est dire que les scénarios sectoriels
transports et l’agro-alimentaire. En ordre de gran- ou stratégiques, élaborés par des groupes d’acteurs
deur, retenons par exemple que pour la France, les publics ou privés, ne doivent pas oublier que les
bâtiments devraient être trois fois plus économes capacités de financement de la société ne sont pas
et si possible sans fioul, que les systèmes de infinies, et que la question de l’affectation réaliste
transports devraient ne plus dépendre que pour et adaptée des ressources, d’où qu’elles viennent,
un tiers des hydrocarbures, consommer deux à se posera sans doute rapidement d’une façon
quatre fois moins et n’émettre plus qu’entre le renouvelée. C’est dire aussi que l’eau d’une part,
cinquième et le dixième des gaz tendanciels. les écosystèmes et leurs capacités de migration
Notons aussi qu’au niveau mondial, un scénario d’autre part (couloirs Natura 2000 notamment, mais
très volontariste du Conseil mondial de l’énergie, non exclusivement), qui sont nos deux « bouées »
d’adaptation principales, doivent être considérés
comme des facteurs de sécurité de premier ordre,
1. Cf. Pierre Radanne, La division par quatre des émissions
de gaz carbonique en France en 2050, MIES, 2003, (www. et explicitement et effectivement devenir des objec-
effet-de-serre.gouv.fr). tifs stratégiques prioritaires sur les territoires.
57
décembre 2005 n° 2
arboricultue
culture (rotation)
forêt feuillus
forêt résineux
investissements
comportements
bâtiments
infrastructures
procédé industriel
modèle auto
bien consom.
0 20 40 60 80 100 120
vie
Peak oil 2020 T° F : + 4 + 3 ou + 2°c
T° F : + 3 + 4 ou + 1,5°c
Peak gaz 2030
Fact 1,2 ou 4
D. Dron.
Source : D. Dron
58 Territoires 2030
Le premier pic de production attendu, quand le les circuits de production, distribution et consom-
débit quotidien de production sera dépassé par le mation, la forme des villes, les échanges interna-
rythme de la demande, à moins de cinq ans pour tionaux. C’est ainsi que par exemple le système
les uns, plus de vingt pour les autres, est celui du des hypermarchés de périphérie induit douze à
pétrole conventionnel, combustible de 90 % des soixante fois plus de consommation de carburant
transports mondiaux, utilisé lui-même à 60 % pour et d’émissions de CO2 que les commerces de
les transports. La conversion de charbon ou de proximité, même fournis par camion et propo-
schistes bitumineux en pétrole (la seconde se heur- sant des tournées de livraison aux clients. Nous
tant à des limites de rendement fortes), qui offre sommes donc devant une mutation de fond de
des horizons plus lointains, est plafonnée par les nos organisations, doublement induite par la raré-
capacités d’absorption du CO2 de la planète. Les faction des ressources (énergies conventionnelles,
ressources sont par ailleurs de plus en plus concen- sans oublier eau et biodiversité) mais surtout par
trées hors des zones de consommation et dans des l’urgence climatique. Ces organisations structurent
régions plutôt instables. largement les aménagements territoriaux, et repo-
sent sur des réalisations coûteuses et très inertes :
Or le transport abondant et bon marché, par terre,
un bâtiment existe pour un demi-siècle à un siècle
mer ou air, fut durant tout notre XXe siècle jusqu’à
(ou plus), une route, une voie ferrée ou un aéro-
aujourd’hui la principale variable d’ajustement des
port en tant qu’objets pour un à deux siècles au
stratégies urbaines, industrielles, commerciales,
minimum ; ils correspondent à des investissements
locales ou internationales ; il a largement déterminé
très lourds, déterminants par ce qu’ils permettent
59
décembre 2005 n° 2
mais aussi par ce qu’ils interdisent ensuite. Là La question se pose au niveau national, mais elle
encore, le renouvellement des conceptions s’im- est déterminante au niveau européen : l’Union
pose, car tout ce qui est construit maintenant vivra européenne sera dépendante à 70 % de l’extérieur
bien plus longtemps sous conditions d’énergies pour son énergie d’ici vingt ou vingt-cinq ans
chères, d’aléas climatiques forts et de contrainte contre 50 % aujourd’hui du fait de l’épuisement
carbone, que dans notre contexte hérité du siècle de ses ressources pétrolières et gazières. Le
passé (cf. graphique 5). Or les représentations du contexte énergétique et climatique lui donne dès
futur, majoritaires dans la population, ne semblent maintenant la possibilité de définir des objectifs
pas toujours en rapport avec celles de leurs de robustesse, d’efficacité et de moindre dépen-
représentants élus (cf. tableau 1). Une fois de dance, faciles à comprendre, riches en emplois et
plus, l’emploi des ressources publiques et privées politiquement unificateurs. Nous pouvons, à mon
et son explicitation sont fortement et immédia- avis, estimer sans exagération que cet ensemble
tement sollicités. D’autant que l’expérience des d’États, déjà attractifs pour de nombreux pays
investissements d’efficacité énergétique réalisés du monde, pourrait construire et proposer un
en réponse aux chocs pétroliers des années 1970 mode coopératif efficace et pacifique permettant
et 1980, ont été remboursés deux fois depuis par d’affronter la mutation de fond qui se présente à
les économies réalisées, comme les projections tous. À condition bien sûr que l’Union européenne
économiques du « facteur 4 » en France, même adapte dès maintenant ses critères, ses décisions
avec un baril à 35 $ en moyenne sur 50 ans . et ses moyens, notamment institutionnels , au
nouveau contexte, tant en matière de transports,
d’énergie que d’agriculture ou d’urbanisme...
60 Territoires 2030
61
décembre 2005 n° 2
Résumé
Le changement climatique en cours nous pose une question collective d’une ampleur inédite, qui dans
les scénarios les plus extrêmes, menacerait la survie de nombreuses espèces dont la nôtre. Nous pouvons
encore éviter les trois quarts de ces effets, qu’illustrent déjà la montée des événements météorologi-
ques extrêmes, la fonte des glaciers, la migration vers le Nord des espèces animales et végétales, en
maintenant le réchauffement global à + 2 °C au plus. Il en résulte au milieu de ce siècle une réduction
de moitié des émissions mondiales et une division simultanée par quatre à cinq des gaz à effet de serre
des pays ayant une économie industrielle. Les substitutions énergétiques seront loin de suffire, le triple-
ment moyen de notre efficacité générale est indispensable, et atteignable. En outre, nous devons nous
adapter aux effets prévisibles d’au moins 2 °C de plus sur la planète à la fin de ce siècle, soit 3 °C de plus
en Europe occidentale. Or les décisions d’aménagement du territoire concernent des objets (bâtiments,
villes, plates-formes industrielles, écosystèmes naturels, zones agricoles et forestières, infrastructures...)
de coût élevé, et dont la durée de vie excède souvent le siècle. Nous devons donc dès maintenant
penser l’aménagement du territoire national et européen en fonction de cette double révolution de
notre contexte, tant en termes d’impératifs que d’opportunités.
Mots clés
Réchauffement, gaz à effet de serre, facteur 4, pic énergétique, aménagement du territoire.
62 Territoires 2030
Facteur 4
et aménagement Pierre RADANNE
du territoire
63
décembre 2005 n° 2
ils sont perçus davantage comme menaçants dramatique des conditions d’habitabilité sur terre
que rassurants, tandis que l’État renonce à toute qui est enclenché pour ce siècle. Si le processus
planification. Cela se ressent évidemment au plan de l’effet de serre ne fait plus aucun doute, la
de la prospective territoriale. Si ces processus vitesse de sa propagation, ses conséquences
sont d’essence globale et dépassent largement sur les écosystèmes et les régimes agricoles et
la gestion des territoires, ils ont un impact direct sa distribution régionale contiennent de grands
considérable sur l’avenir de leurs activités et sur écarts d’appréciation.
la portée des décisions des élus et des acteurs La question maintenant posée est celle de savoir
économiques locaux. comment stabiliser le climat. Les simulations indi-
Nous allons maintenant aborder l’avenir avec quent que pour contenir le réchauffement déjà
comme point d’entrée les impacts de cette troi- enclenché à 2 °C, il faut au moins diviser par deux
sième force, celle des limites qui découlent de la les émissions mondiales de gaz à effet de serre.
lutte contre le changement climatique et de ses Dans le processus naturel, les émissions et les
effets sur la problématique des territoires. absorptions de gaz carbonique se compensent :
à la respiration animale correspond la fixation du
Un objectif pour carbone de l’atmosphère via la photosynthèse par
les végétaux. En libérant des quantités massives de
2050 : le facteur 4 carbone contenues dans les combustibles fossiles
Ce siècle sera sans nul doute très différent du enfouis, l’activité industrielle a déséquilibré ce
précédent. Une humanité de 9 milliards d’habi- cycle naturel. Restabiliser le climat implique de
tants autour de 2050 devra suivre son parcours contingenter nos émissions dans l’atmosphère au
en évitant de se comporter en prédateur des niveau de ce que les océans peuvent absorber : de
ressources rares et de dégrader l’environnement l’ordre de 10 milliards de tonnes de CO2 par an.
et le climat. Depuis le début de l’industrialisation Cela correspond pour une humanité de bientôt
la concentration de dioxyde de carbone dans l’at- 9 milliards d’habitants à une émission d’un peu
mosphère a augmenté d’un tiers. Cela constitue plus une tonne de gaz carbonique par personne
un écart équivalent à celui qui existe entre une et par an. Un chiffre à comparer au niveau moyen
période glaciaire et une période interglaciaire. Les français actuel de 7 tonnes. C’est dans ce contexte
climatologues ont reconstitué depuis vingt ans les qu’a été fixé un objectif de division par quatre des
changements du climat de la planète causés par émissions pour la France dès 2050.
les variations de la trajectoire de la terre autour Si les émissions des pays en développement
du soleil, de l’inclinaison de son axe et de l’activité sont encore faibles, elles croissent vite et il n’est
solaire, et ce depuis près d’un million d’années. évidemment pas possible que ces pays puissent
Ensuite, à partir de l’analyse des mécanismes de progresser dans un type de développement à bas
l’effet de serre, les climatologues ont construit niveau d’émission sans que les pays industrialisés
des modèles pour simuler les effets à long terme aient accompli d’abord de nouvelles percées
de l’accumulation dans l’atmosphère des gaz à technologiques et orienté les styles de vie en
effet de serre. Les projections font apparaître un conséquence. Il n’y aura pas de stabilisation des
réchauffement de 1,6° à 5,8 °C d’ici 2100. À titre émissions mondiales sans maîtrise des émissions
de comparaison, l’écart de température entre une par les pays en développement, qui elle-même ne
période glaciaire et une période interglaciaire peut découler que de réussites décisives dans les
est de 6 °C. Ainsi, il y a 10 000 ans, la banquise pays d’industrialisation ancienne. Le protocole de
descendait jusqu’à une ligne Londres-Amsterdam- Kyoto constitue l’amorce de cette convergence
Munich et le niveau de la mer était 120 m plus Nord-Sud indispensable. Les moyens d’interven-
bas qu’aujourd’hui. C’est donc un changement tion résident dans des quotas contraignants fixés
64 Territoires 2030
à un horizon de moyen terme (actuellement 2010) de serre résulte du chauffage des bâtiments,
pour chacun des pays du monde. la mise à niveau de l’isolation du patrimoine
bâti est prioritaire. Or, cette tâche de longue
L’une des questions les plus difficiles est de trans-
poser cet objectif de division par quatre des émis- haleine qu’est la réhabilitation du patrimoine
sions françaises de gaz à effet de serre, exprimé ancien dépend essentiellement des collectivités
dans la loi d’orientation sur l’énergie adoptée en locales. Toutefois, l’extension de la climatisation
juillet 2005, dans une prospective territoriale. Il fait craindre une amplification de l’effet de serre
faut par ailleurs souligner qu’au moment où ces du fait des pertes de gaz fluorés par des appareils
questions font irruption, nous sommes de nouveau souvent médiocres. Il faut privilégier la protection
confrontés à un choc pétrolier. S’il provient d’un contre le rayonnement solaire direct et la qualité
déficit d’investissements de production, de trans- de l’isolation. Les autres possibilités de gains de
port et de raffinage, il précède un déclin plus ou consommation sont aussi importantes : éclairage
moins proche de la production pétrolière mondiale, basse consommation, appareils électroménagers
la mise en exploitation de nouveaux gisements ne performants ou réduction de la puissance des
parvenant plus à compenser le processus de taris- matériels électroniques en veille. Il est pour ces
sement des anciens. Notre société est ainsi prise usages possible de stabiliser sinon de réduire la
en tenaille entre la menace climatique et le déclin facture énergétique, à qualité de vie conservée,
du pétrole, source d’énergie qui assure à elle seule tout en diminuant fortement les consommations
la fluidité des transports, fondamentale pour la de combustibles fossiles. Les réponses techniques
mondialisation de l’économie. du côté de l’offre consistent à recourir au gaz, à
améliorer les rendements et à utiliser les énergies
Pour progresser dans la réflexion, une analyse renouvelables pour la production de chaleur (bois
sectorielle est toutefois nécessaire. et géothermie pour le chauffage, solaire ther-
mique pour l’eau chaude sanitaire).
Réduire les émissions Ces consommations ménagères peuvent aussi
liées à la vie domes- être classées selon deux rapports au temps. À
tique et à la consom- échéance de quinze à vingt ans, tous les appa-
reils de chauffage ou électroménagers seront
mation alimentaire remplacés a minima par des équipements moyens
Premier domaine, la prospective concernant la aujourd’hui en vente (mais qui sont déjà de
vie domestique présente peu d’incertitudes : meilleure qualité que les anciens) ou mieux par de
évolution lente du patrimoine bâti, accroissement nouvelles gammes aux meilleures performances
régulier mais modeste de la taille des logements, (l’innovation technique étant stimulée par la hausse
amélioration de la qualité de la construction. des prix des énergies). Second pas de temps, celui
Les consommations d’énergie et les émissions du patrimoine bâti : la durée de vie des bâtiments
polluantes découlent maintenant en France essen- est de l’ordre du siècle tandis que les principales
tiellement d’actes de consommation relativement composantes du bâtiment (toiture, huisseries)
proches de la saturation : le chauffage, la produc- sont remplacées tous les vingt à vingt-cinq ans.
tion d’eau chaude, la cuisson, les machines de Ainsi, quand on construit un nouveau bâtiment
lavage et l’éclairage. Les nouveaux usages de aujourd’hui, il faut prendre en compte qu’il vivra
l’énergie : audiovisuel, téléphonie, informatique ce siècle et tous ses événements. Les choix écono-
présentent par comparaison des consommations miques doivent donc prendre en compte non
énergétiques faibles. Les taux de croissance de seulement les dépenses d’investissement mais
ces consommations sont de l’ordre de 1 % par aussi de combustible et d’électricité (en intégrant
an. Comme un tiers des émissions de gaz à effet l’enchérissement de leur prix).
65
décembre 2005 n° 2
66 Territoires 2030
67
décembre 2005 n° 2
(transports collectifs urbains, réseaux TGV pour les croissance des trafics qui s’opère au même rythme
personnes et les marchandises, voie d’eau). que le PIB (2 % par an). Pourtant, une modification
Cet enjeu concernant les transports va devenir des comportements, la rationalisation du choix
aussi déterminant pour l’aménagement du terri- des véhicules, la réduction des coûts de transport,
toire que pour l’urbanisme. Il va dans le sens d’un l’optimisation de la logistique des entreprises,
urbanisme compact en renouvelant la ville sur le renforcement de la planification spatiale, une
elle-même par réaffectation des friches et des localisation des activités plus en cohérence avec
sites d’urbanisation ancienne afin d’atteindre une les données démographiques et géographiques
forte densité urbaine qui permettra d’optimiser et un remaillage ferroviaire peuvent permettre une
le fonctionnement des réseaux, notamment de inflexion majeure. Mais la plupart de ces pistes
transports collectifs et de lutter contre l’étalement d’action nécessite du temps, des années pour
urbain. les premières, des décennies pour les secondes.
L’optimisation de la fonction transport au plan de
La prospective en matière de transport doit la consommation d’énergie et de l’émission de
distinguer les déplacements sur courte distance, gaz à effet de serre pourrait devenir un facteur de
pour lesquels des alternatives au pétrole existent concurrence entre territoires.
(déplacements individuels quotidiens et livrai-
sons urbaines de marchandises) des autres. Pour
les déplacements de longue distance, il n’existe
Réduire les émissions
par contre aucune alternative aux combustibles liées à la production
liquides : l’aérien, le transport maritime et le d’énergie
camionnage longue distance. Dans le premier cas,
la voie de désengagement du pétrole consiste à La division par quatre des émissions de gaz
convenir d’abord d’une redescente en gamme des à effet de serre concerne ensuite la produc-
véhicules produits (réduction du poids, de la puis- tion d’énergie. Les seules ressources françaises
sance et surtout de la vitesse maximale), ce qui sont aujourd’hui les énergies renouvelables : l’hy-
facilitera le passage à l’électricité. Si les moteurs draulique, le bois produit essentiellement par la
électriques sont de loin plus efficaces que les moyenne montagne, la valorisation des déchets
moteurs à combustion interne, le facteur bloquant (biogaz de décharge ou produit par méthanisation
reste les piètres performances des batteries de des déchets, incinération), la géothermie pour ce
stockage de l’électricité. La technique de tran- qui concerne les techniques traditionnelles. À elles
sition est constituée par le véhicule hybride (qui s’ajoutent maintenant le solaire thermique pour la
valorise au mieux un moteur thermique par une production d’eau chaude sanitaire et une base de
production électrique maximale grâce à un alter- chauffage, les biocarburants, l’éolien et le photo-
nateur et à l’alimentation en ville d’une propulsion voltaïque. Ces ressources renouvelables n’assurent
électrique). En complément, la part de la voiture actuellement que 6 % de l’approvisionnement
dans les déplacements devra être réduite en favo- énergétique français (dont 15 % pour la produc-
risant les modes doux (vélo, roller, marche) et les tion électrique). La hausse des prix des hydrocar-
transports collectifs urbains. L’avenir des territoires bures rend leur utilisation économiquement plus
va fortement dépendre des solutions qui seront intéressante. Avec les techniques existantes et
trouvées pour les transports sur courte distance. À les potentiels nationaux mis en évidence, il serait
l’évidence, l’avenir des transports longue distance, possible de satisfaire environ 40 % des besoins
plus rigides, va dépendre du succès de cette opti- énergétiques actuels. Les développer, c’est trans-
misation des véhicules. Il est bien évidemment diffi- former des sorties de devises en autant d’emplois
cile d’imaginer une division par trois des émissions valorisant des ressources locales. Le caractère
de CO2 dans les transports en raison de l’actuelle diffus de ces ressources renouvelables rend diffi-
68 Territoires 2030
cile leur émergence, car cela suppose la mobilisa- véritablement en compte. Bien évidemment, cette
tion d’un très grand nombre d’acteurs industriels, faiblesse de la prospective handicape fortement
de professions relais et de maîtres d’ouvrage. tous les acteurs locaux, privés ainsi des repères
Mais progressivement, leur ancrage s’effectue indispensables.
(avec des performances variables selon les pays Quel est le scénario de la réussite d’un point de
et les filières) et elles renforcent les économies vue territorial ? Investir dans la qualité du patri-
locales. En outre, ces énergies renouvelables ne moine bâti en étant très attentifs aux projets neufs,
présentent ni impact environnemental et sanitaire développer les ressources renouvelables, renforcer
irréversible, ni dépendance d’approvisionnement, les politiques d’urbanisme, développer les trans-
ni vulnérabilité économique en fonction des désor- ports collectifs et l’intermodalité. À l’évidence, un
dres du monde. mouvement de balancier s’esquisse : à un processus
Situer l’horizon 2030 sur la trajectoire de division de dérégulation enclenché depuis une génération
par quatre est très difficile. Sur une génération, est en train de succéder un nouveau mouvement
le panier de technologies ne sera guère modifié. de régulation lié au long terme.
Deux questions se posent particulièrement : L’effet de serre comme la gestion des ressources
– Quel est le délai de déploiement des investisse- pétrolières sont des enjeux globaux. Rien n’impose
ments et des infrastructures ? aux acteurs locaux de lutter contre le changement
climatique, le gaz carbonique n’est pas un polluant
– Comment les données économiques peuvent
directement nocif pour l’environnement ou pour la
varier sur la période ?
santé. Pourtant, puisque les enjeux principaux se
En fait, les questions techniques ne seront pas les situent au niveau du chauffage des bâtiments, des
plus déterminantes. La transformation profonde transports, de la valorisation des ressources renou-
de la consommation d’énergie dans tous les velables et plus largement dans l’évolution des
secteurs nécessite un comportement le plus cohé- comportements individuels, les collectivités terri-
rent possible de l’ensemble du corps social. Or, toriales et locales sont en première ligne. Puisque
pour le moment, si une sensibilisation aux enjeux la division par quatre des émissions dépendra de
climatiques est maintenant effectuée, notamment millions de décisions individuelles, elle va consti-
depuis la canicule de l’été 2003, on reste loin tuer un enjeu démocratique considérable. Au-delà
d’une compréhension partagée de la mutation des technologies, c’est la qualité de l’organisation
qui va s’opérer. On en revient là aux trois forces collective (logistique des entreprises, schémas
explicitées au début. Les scénarios de long terme, d’urbanisme et de transport) et la capacité à
présentés par les pouvoirs publics en France, au influer sur les attitudes individuelles qui régleront
plan européen comme par les institutions interna- la réduction des consommations de pétrole et
tionales, présentent une image brouillée. Ils font d’émission de gaz à effet de serre. Les collectivités
la part belle à la poursuite de la croissance des locales vont devoir jouer un rôle culturel décisif de
consommations en mentionnant les contraintes transformation des comportements à travers le
de ressources énergétiques et la perspective de lien humain direct qui relie les collectivités publi-
l’effet de serre, mais finalement sans les prendre ques locales, les entreprises et les ménages.
69
décembre 2005 n° 2
Résumé
Trois forces contradictoires qui déterminent les futurs possibles de ce siècle sont désormais à l’œuvre : la
mondialisation, l’essor des nouvelles technologies d’information et de communication, la confrontation
de l’humanité aux limites de la planète. Sur ce dernier point, l’objectif d’une division par quatre du rejet
des gaz à effet de serre, tel qu’il figure désormais dans la législation nationale, n’est vraiment envisa-
geable qu’à la condition de prendre certaines mesures pour une action à court, moyen et long terme.
La réflexion présentée ici est une synthèse de ces interventions possibles dans les domaines de la vie
domestique, des activités économiques, des transports de courte et longue distance, de la production
d’énergie.
Mots clés
Facteur 4, réchauffement climatique, gaz à effet de serre, planification urbaine, aménagement du terri-
toire, transport, industrie, politiques énergétiques.
70 Territoires 2030
et facteur 4
Agence internationale de l’énergie
cedric.PHILIBERT@iea.org
Les transports contribuent sans cesse davantage vivants sont désormais bien identifiés et commen-
aux émissions mondiales de dioxyde de carbone cent à être quantifiés. Moins reconnus, les effets
(CO2), le principal gaz à effet de serre. L’effort de de coupure et morcellement des écosystèmes
maîtrise des changements climatiques anthropi- jouent un rôle certain mais difficile à apprécier
ques ne semble donc pas pouvoir s’exonérer dura- dans l’érosion de la biodiversité.
blement d’une action puissante dans ce domaine.
C’est cependant le rôle des transports dans les
En parallèle, l’augmentation du prix des hydrocar-
changements climatiques qui retiendra ici notre
bures ressuscite les angoisses de « fin du pétrole »
attention, car il est très loin d’être maîtrisé. Avec
alors que les transports dépendent à 90 % de
5,9 milliards de tonnes de CO2 en 2003, soit 24 %
cette seule source d’énergie. Nous examinerons
des émissions mondiales, le secteur des transports
d’abord les moyens technologiques pour réduire
est la deuxième source d’émissions de CO2, après
les émissions de CO2 des transports ainsi que leur
la production d’électricité et de chaleur (10 Gt CO2)
dépendance au pétrole. Puis nous envisagerons
mais devant le secteur résidentiel et tertiaire . Les
les politiques à mettre en œuvre.
émissions des transports ont doublé depuis 1971,
tandis que celles dues à la production d’électricité
Nuisances augmentaient de 170 % (IEA 2005a).
et dépendance Un tiers du CO2 mondial dû aux transports est
Les nuisances des transports, notamment des émis en Amérique du Nord. Les transports y
transports routiers et aériens, ne se limitent pas contribuent pour 30,9 % du total des émissions,
à leur contribution aux changements climatiques. contre 26,3 % en Europe, 15,9 % dans les pays en
Malgré les progrès considérables obtenus dans la développement et 11,9 % dans les économies en
réduction des polluants « classiques » (NOx, VOC, transition (Russie et autres). En France, du fait de la
CO, PM), résultats de l’amélioration des carbu- forte proportion d’électricité d’origine nucléaire et
rants, des systèmes de combustion, des techni- hydraulique, la contribution des transports atteint
ques de dépollution des effluents – eux-mêmes 33 %. Le potentiel de croissance des émissions
suscités par un constant durcissement des normes
d’émissions dans tous les pays industriels et quel-
ques autres – voitures, camions et deux-roues 1. Cependant, le secteur résidentiel et tertiaire est le principal
émetteur de gaz à effet de serre si on lui affecte les émissions
restent l’une des sources principales des pollutions liées à la production de l’électricité qu’il consomme. Tous les
atmosphérique et sonore en ville et à l’échelon pourcentages de l’article se rapportent aux seules émissions
de CO2 liées à la production, transformation et consomma-
régional. Les effets multiples de cette pollution sur tion de l’énergie.
les bâtiments, objets d’art, écosystèmes et êtres
71
décembre 2005 n° 2
600
$ 2000+
milliers de barils/jour
400
1986-1995 1995-1999
nouvelles technologies nouvelles technologies
200
1986 technologies
existantes
0
1975 1985 1995 2005 2015
reste particulièrement important dans les pays en La fin du pétrole n’est certes pas pour tout de
développement. De 1990 à 2002, les émissions suite. Les prix actuels reflètent l’inadéquation de
des transports ont augmenté d’un peu moins de l’offre à la demande, pas nécessairement l’épuise-
50 % en Afrique et en Amérique latine, de 67 % en ment final. Malgré l’augmentation continue de la
Asie (hors Chine), de 73 % au Proche-Orient, et ont demande mondiale de pétrole à un rythme estimé
doublé en Chine. de 1,6 % (IEA 2004a), il n’y aura sans doute pas
de véritable pénurie avant 2030 et peut-être bien
Dépendance au-delà. Au niveau de prix actuel, les pétroles non
conventionnels prennent progressivement le relais
et fin du pétrole des pétroles conventionnels, dont le progrès tech-
Les transports dépendent du pétrole à quelque nologique devrait toutefois améliorer encore le
90 %, et cette proportion frôle les 100 % en ce taux de récupération, comme ce fut le cas en mer
qui concerne les transports routiers, l’aviation et du Nord (AIE 2005c, cf. graphique 1), le potentiel
les navires. L’inverse n’est cependant pas (encore) total pouvant s’élever jusqu’à plusieurs fois les
vrai : les transports consomment 57,8 % du pétrole quelque mille milliards de barils déjà extraits et
brûlé dans le monde aujourd’hui, contre 42,3 % brûlés (cf. graphique 2).
voici trente ans (IEA 2005b). Il se pourrait cepen- Cependant, les meilleures choses ont toujours une
dant que les prix élevés du baril accélèrent les fin, et une croissance exponentielle rencontre tôt
substitutions plus aisées dans les autres usages – ou tard les limites ultimes d’un monde fini. Selon
industrie (20 %), chauffage, agriculture et produc- nombre d’experts, plusieurs milliards de barils de
tion d’électricité – laissant plus rapidement aux pétrole manqueront à l’appel chaque année à la
transports une quasi-exclusivité de la production fin de ce siècle (BAUQUIS 2004). L’épuisement
pétrolière mondiale, à l’exception peut-être des des ressources conventionnelles de pétrole n’est
usages « matières premières » (6,6 %). À terme d’ailleurs pas forcément une bonne nouvelle pour
cependant, même cette production tout entière le climat, car l’exploitation des huiles extra lourdes,
ne suffirait plus aux seuls transports. sables asphaltiques et schistes bitumineux, tout
72 Territoires 2030
73
décembre 2005 n° 2
revêtements routiers, amélioration de l’aérodyna- par le moteur thermique dans le régime de vitesse
misme, notamment sur les camions (de 15 à 20 % pour lequel il est conçu en rechargeant au passage
de réduction possible). Mais bien sûr, le couple les batteries. Enfin, on peut solliciter les deux
moteur-carburants reste au cœur du problème. moteurs quand une puissance supplémentaire est
requise – mais seulement pour un temps, au risque
La gestion électromagnétique des soupapes
d’épuiser les batteries. Ce pourrait d’ailleurs être
pourra réduire de 20 % la consommation d’essence
une manière d’introduire souplement cette limite
des moteurs à allumage commandé. Des alterno-
de puissance que certains appellent de leurs
démarreurs puissants permettent de couper le
vœux, observant qu’en conduite urbaine comme
moteur à chaque arrêt, nombreux en conduite
sur route ou autoroute à vitesse stabilisée, deux
urbaine – un système déjà adopté sur la Citroën
voitures identiques en tous points mais dont les
« C3 » Stop and Start (8 % de réduction). L’équipe-
vitesses maximales diffèrent ne consomment pas
mentier Valéo met également au point un système
les mêmes quantités de carburant. Avec l’hybride,
de récupération de l’énergie du freinage, et un
la pointe de vitesse reste possible mais ne saurait
système de refroidissement optimal des moteurs.
durer très longtemps .
Associées, ces quatre innovations permettraient
de réduire les consommations d’essence de 30 La Toyota « Prius », première voiture hybride de
à 40 %. De quoi concurrencer sur leur terrain les série, n’avait pas convaincu. La « Prius II » a raflé
moteurs diesels, dont les progrès ont été spec- tous les prix, témoignant de progrès considéra-
taculaires, voire les premiers véhicules hybrides bles en quelques années à peine. Conséquence
– dont les performances de consommation et de son succès, presque tous les constructeurs
donc d’émissions de CO2 sont pour l’instant à s’attellent à concevoir des hybrides, en commen-
peine supérieures à celles des meilleurs diesels. çant par les modèles plus luxueux, plus lourds
et plus consommateurs. Il est impossible de
L’hybride branché : mettre dire aujourd’hui jusqu’où l’hybride pourra aller
un Li-Ion dans son moteur dans l’amélioration de l’efficacité énergétique des
Cependant, le schéma hybride offre des perspec- véhicules. Mais il semble possible de combiner
tives alléchantes à long terme, si la fabrication de plusieurs voies d’amélioration, et par exemple
masse, les progrès technologiques envisageables l’association d’un diesel moderne avec une chaîne
sur leurs divers composants et les effets d’appren- électrique pourrait s’avérer difficile à battre. Au-
tissage relatifs à leur assemblage permettent d’en delà, l’hybridation ouvre la voie à une substitution
réduire les coûts et améliorer les performances. accrue des carburants par l’électricité, selon le
L’association d’un moteur thermique et d’une concept de l’hybride dit « pluggable » (plug in en
chaîne de traction électrique est d’abord source anglais – on peut préférer « raccordable » ou, pour-
quoi pas, « branché »), c’est-à-dire raccordable au
d’efficacité accrue, non pas seulement, comme on
réseau. Le véhicule tout électrique est handicapé
le croit, par la récupération de l’énergie mécanique
par son autonomie réduite, et le temps long de
à la décélération, mais davantage par la possibilité
recharge de ses batteries . Les progrès récem-
de réduire la taille et la puissance du moteur ther-
mique, et d’en réduire l’étendue des régimes de
rotation. Il s’agit d’utiliser en priorité le moteur 2. Les constructeurs peu soucieux d’associer l’hybride au
électrique au démarrage, et d’organiser le relais bridage peuvent toutefois, plutôt que réduire le moteur,
programmer la désactivation des cylindres, choix de Honda
avec son « Accord » hybride, semble-t-il quand même un peu
moins efficace.
1. Par exemple, selon l’ADEME, 104 g/km CO2 pour la 3. Une pompe à essence présente un débit d’énergie poten-
Toyota « Prius » contre 125 g/km pour une « C4 » HDI, et 153 tielle (celle du carburant délivré) de plusieurs mégawatts,
g/km pour le modèle essence comparable. Certes plus petite, auquel doivent se mesurer les recharges rapides des véhicules
la « C3 » HDI émet 109 g/km. électriques. Seul le changement de batteries standardisées,
74 Territoires 2030
ment constatés avec les batteries Lithium Ion (ou (160 g CO2/MJ !). L’usine sud-africaine SASOL est
Li-Ion), successeurs annoncés des batteries Nickel d’ailleurs la plus importante source ponctuelle de
Cadmium, et ceux annoncés par les groupes CO2 dans le monde. La capture et le stockage du
Dassault et Bolloré, pourront sans doute élargir gaz carbonique sont ici indispensables pour que
les niches de marchés accessibles aux voitures et l’usage de tels substituts ne détériore pas grave-
deux-roues exclusivement électriques, mais ne ment le bilan climatique des transports (GIELEN,
permettront pas d’attaquer de front le cœur du UNANDER 2004).
marché des véhicules privés ou utilitaires.
Le gaz offre pourtant d’autres possibilités, et
À l’inverse, le véhicule hybride reste dépen- d’abord sous forme de gaz naturel véhicules
dant à 100 % d’un carburant carboné. L’hybride (GNV). Des modifications mineures sont néces-
branché, lui, peut fonctionner en tout électrique, saires sur les moteurs à essence. On évalue à
par exemple pour des trajets quotidiens, tout en 0,5 % le pourcentage de véhicules au gaz naturel
bénéficiant d’une autonomie égale à celle d’une dans le monde, surtout présents en Argentine, au
voiture « normale », voire supérieure, du fait de sa Brésil, en Inde, en Italie, au Pakistan et aux États-
plus grande efficacité énergétique, pour les trajets Unis. Le ratio d’émissions s’élève à 56 g CO2/MJ,
interurbains ou en rase campagne. Les gains de sans accroissement des émissions amont, ce qui
consommation, et donc d’émissions, sont encore donne au gaz un léger avantage du point de vue
plus importants sur les bus et véhicules utilitaires climatique. Ses avantages véritables sont à recher-
urbains. Ainsi pourrait-on diviser deux fois par cher dans une dépendance au pétrole moindre, et
deux la consommation de carburant – la première surtout dans une réduction des pollutions locales
fois par l’hybridation, la seconde par substitution – d’autant plus forte que la comparaison se fait
de l’électricité aux carburants. Quand le facteur avec un parc de véhicules anciens.
deux sonne deux fois, le facteur quatre n’est pas
loin... Du point de vue de l’effet de serre, cela n’a Le méthanol et le di-méthyle éther (DME) peuvent
toutefois de sens que si la production électrique être produits à partir du gaz, du charbon ou de la
n’émet pas ou peu de CO2, qu’elle repose sur le biomasse. Le DME peut être utilisé en substitu-
nucléaire et les renouvelables ou qu’elle soit asso- tion du gazole. Deux usines sont opérationnelles
ciée à la capture et au stockage du CO2. en Chine, à partir de charbon, et d’autres sont
prévues. Plusieurs projets sont en cours au Proche-
Carburants alternatifs Orient. Ces carburants offrent des ratios d’émis-
fossiles sions légèrement inférieurs à ceux du gazole (65
On a évoqué la fabrication d’essence ou de gazole et 67 g CO2/MJ), avantage parfois perdu par un
à partir du gaz ou du charbon, qui se pratique léger surcroît d’émissions amont. Ils n’offrent donc
déjà au Qatar pour l’un, en Afrique du Sud pour pas d’avantage significatif au plan du climat.
le second, et bientôt en Chine pour les deux.
Les émissions de CO2 au niveau du véhicule sont Biocarburants
strictement les mêmes qu’avec des carburants L’utilisation des biocarburants s’est singulièrement
conventionnels (soit de 73 g CO2/MJ), mais les développée depuis quelques années, notamment
émissions amont sont supérieures avec le gaz au Brésil et aux États-Unis, ne dépassant toute-
(25 g CO2/MJ contre 5 à 10 dans le raffinage fois pas 0,5 % de la consommation mondiale de
du pétrole), et très supérieures avec le charbon pétrole. La France s’est fixée pour objectif 5,75 %
du total des carburants dès 2008. Or la photosyn-
thèse est un mécanisme de captation de l’énergie
sur le modèle des changements de chevaux des relais de
poste, paraît pouvoir atteindre des « puissances » égales ou solaire peu capitalistique mais très consomma-
supérieures. teur d’espace au sol. Ainsi, la substitution de
75
décembre 2005 n° 2
5 % de l’essence consommée en Europe et aux celle-ci, son bilan carboné dépendra de son
USA nécessiterait 5 % des surfaces cultivables en mode de fabrication. Énergies renouvelables
Europe, 8 % aux États-Unis. La substitution de 5 % et nucléaires ont des émissions de CO2 nulles,
du gazole nécessiterait 13 % des surfaces cultiva- mais il n’en va bien sûr pas de même avec la
bles aux États-Unis, 15 % en Europe (IEA 2004b). combustion des fossiles, du moins tant que la
Quant aux coûts, ils restent supérieurs aux actuels capture et le stockage du CO2 ne sont pas la
prix élevés du pétrole, sauf pour l’éthanol de norme. Actuellement, la quasi-totalité de l’hydro-
canne à sucre du Brésil, grâce à la combinaison de gène est produite dans le monde par réformage
rendements élevés en climat tropical, d’un faible vapeur du gaz naturel. On peut envisager de
coût du travail et d’installations bien conçues réduire les émissions associées en substituant à
générant à la fois carburants et électricité. la partie du gaz utilisée comme source d’énergie
des centrales nucléaires ou solaires à haute
Le Brésil exporte déjà une part de sa production.
température (autour de 800 °C). On peut réduire
Le développement des exportations des pays
plus fortement ces émissions en capturant et
tropicaux pourrait permettre de remplacer jusqu’à
stockant le gaz carbonique. À plus long terme,
10 % de l’essence et 3 % du gazole consommés
on pourra également produire de l’hydrogène
mondialement. Des pourcentages qui seraient
sans émissions de carbone à partir de charbon
naturellement plus grands si on améliore l’ef-
associé au stockage de CO2, ou de nucléaire ou
ficacité des véhicules et qu’on les électrifient
de solaire à très hautes températures. Enfin, on
partiellement. Mais à moins de choisir de nourrir
sait bien sûr – mais c’est plus coûteux – fabriquer
les voitures plutôt que les hommes, il sera difficile
de l’hydrogène par électrolyse de l’eau, et donc
d’aller très au-delà dans l’état actuel des techno-
avec la même versatilité d’énergies primaires que
logies. Il est possible que des progrès scientifiques
l’électricité.
et technologiques permettent des cultures ligno-
cellulosiques plus productives à l’hectare. Enfin, les L’utilisation d’hydrogène comme carburant auto-
bilans énergétiques et d’émissions carbonées sont mobile soulève de nombreux problèmes. Il est dix
contrastés. Par rapport aux carburants pétroliers, fois plus coûteux à transporter et cent fois plus
et compte tenu de tous les intrants nécessaires, coûteux à stocker que les carburants actuels – et
l’éthanol de grains européen ou américain ne encore ce stockage ne semble-t-il pas pouvoir
réduit les émissions que de 20 à 40 %, contre plus être durable, ce qui est gênant. Certains experts
de 80 % pour l’éthanol de canne à sucre brésilien doutent que le progrès technique puisse jamais
(IEA 2004b). réduire significativement l’écart (BAUQUIS 2004).
Certes, le couplage de piles à combustibles à
L’hydrogène des moteurs électriques constitue une chaîne de
traction grosso modo deux fois plus efficace pour
La voiture à hydrogène fait rêver, promesse d’une
utiliser l’énergie chimique de l’hydrogène que le
propreté absolue. Mais il y a loin de la coupe
moteur thermique pour utiliser celle du pétrole.
aux lèvres. Et les difficultés ne se résument pas,
Mais il faudra réduire le coût des piles d’un facteur
comme on l’écrit parfois, au problème bien connu
40 environ pour approcher la compétitivité. Bref,
de « la poule et de l’œuf » – comment mettre sur
l’hydrogène a peut-être plus d’avenir en substi-
le marché des véhicules hydrogène si les stations
tution des produits pétroliers dans le transport
services n’en délivrent pas, comment transformer
aérien que dans le transport terrestre. Malgré
les stations services tant qu’elles n’ont pas de
tout, Gielen et Unander (2004) estiment que l’hy-
marché, etc.
drogène pourrait jouer un rôle à partir de 2020, et
L’hydrogène n’est pas une source d’énergie, capturer de 10 à 15 % du marché des combustibles
c’est un vecteur, comme l’électricité, et comme pour les transports vers 2040-2050.
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décembre 2005 n° 2
80 000
Houston
Phoenix
Detroit
Denver
60 000
Los Angeles
San Francisco
Boston
Washington DC
Chicago
New York
40 000
Toronto
Perth
Brisbane
Melbourne
Adelaïde
Sydney
20 000
Hambourg
Francfort
Stockholm Zürich
Paris Bruxelles
Londres Munich
Berlin-ouest
Copenhague Vienne
Amsterdam Tokyo
Singapour
Hong-Kong
Moscou
0
0 25 50 75 100 125 150 175 200 225 250 275 300
78 Territoires 2030
et autres alternatives à l’automobile – outils régle- Après de bons débuts, les réductions semblent
mentaires d’aménagement, conditions d’accès au toutefois marquer le pas, avec un rythme annuel
crédit bancaire, prix des carburants, voire instru- de 1,8 % au lieu de 3,3 % comme il serait néces-
ments économiques de contrôle et de répartition saire. De plus, ces chiffres ne tiennent pas compte
des plus-values foncières (taxation ou échanges de des différences entre les cycles de test, qui n’in-
permis négociables). cluent pas, par exemple, l’usage de la climatisa-
Il peut être utile de rappeler ici les leçons d’une tion, et les conditions réelles de circulation. De son
étude réalisée pour l’ADEME voici quelques côté, les gouvernements australien et canadien
années, sur la comparaison de deux modèles ont signé chacun des accords avec leurs industries
d’approvisionnement des ménages : le modèle automobiles pour une réduction progressive des
urbain, avec des supérettes de quartier desservies émissions des voitures et utilitaires légers neufs,
par des utilitaires plus ou moins lourds mais où s’élevant en Australie à 18 % en 2020.
chacun va à pied plusieurs fois par semaine, et Il est naturellement possible d’aller beaucoup plus
le modèle de banlieue, où l’on remplit son coffre loin avec ce type de mesures – on a évoqué ci-
une fois par semaine. Le modèle urbain génère dessus l’arme forte des limitations de puissance –
infiniment moins de nuisances que le modèle de mais il convient de prendre garde au caractère
banlieue, et on peut parier que ce bilan ne serait relativement imprédictible des progrès technolo-
guère détérioré si on le complète par des livrai- giques, qu’illustrent les déboires californiens. Par
sons à domicile avec des utilitaires légers urbains ailleurs, introduire de la souplesse entre construc-
– donc électrifiables. teurs dans la réalisation d’objectifs portant sur les
flottes de nouveaux véhicules, par exemple par
Normes et standards le truchement de permis négociables, ne peut
dans l’industrie, application qu’aider à faire accepter ces objectifs.
au cas de l’automobile
Il s’agit d’intervenir par voie réglementaire ou Taxes
négociée sur l’efficacité énergétique des véhi- et permis négociables
cules, ou plus globalement sur leurs niveaux Les instruments économiques pour la protection
d’émissions. L’exemple historique reste celui des de l’environnement – taxes et permis négociables
Corporate Average Fuel Economy standards améri- – complètent la panoplie des outils de politiques
cains, normes efficaces dans les années 1970 mais publiques pour réduire les émissions de gaz à effet
restées inchangées depuis à 27,5 miles per gallon de serre des transports. Les prix du pétrole actuels
(mpg, soit 8,5 l/100 km). Ces normes sont de plus rendent probablement encore plus difficiles l’in-
massivement contournées par l’essor des Sport troduction de taxes nouvelles sur les carburants.
Utility Vehicles et autres utilitaires utilisés comme Il serait cependant utile que les dispositifs exis-
des voitures, réglementés depuis 2004 à 22,2 mpg tant, bien que sans rapport à l’origine avec les
(10,6 l/100 km). De son côté, la Californie poursuit questions d’environnement, voient leur légitimité
une approche d’introduction de 10 % de véhicules réaffirmée par la nécessité de faire supporter à
à émissions nulles mais a dû à plusieurs reprises chaque activité les coûts qu’elle occasionne à
non seulement en reporter la date de réalisation la collectivité – de la construction des voies aux
mais également affaiblir le critère d’émissions. accidents, dommages de la pollution et du bruit,
En 1998, la Commission européenne a négocié etc. Par exemple, les seules dépenses de l’État
avec les associations de fabricants automobiles et des collectivités locales pour l’entretien et
européens, Coréens et Japonais (ACEA, KAMA et le développement de la voirie représentent en
JAMA) une réduction des émissions moyennes des 2004 plus de la moitié des 30,5 milliards d’euros
voitures neuves à 140 gCO2/km d’ici 2008-2009. de recettes fiscales liées à l’utilisation de la route
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80 Territoires 2030
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décembre 2005 n° 2
de croissance (27,6 % contre 23,9 % entre 1990 pement des alternatives à la voiture individuelle,
et 2002). Une plus grande élasticité de la demande supposant investissements publics et décisions
pour l’aviation, notamment pour le tourisme, peut courageuses d’affectation de voiries réservées.
expliquer cette différence. De plus, alors que des
Du côté des véhicules et des carburants, la voie de
trains à grande vitesse peuvent en partie se subs-
progrès la plus importante nous paraît celle d’une
tituer au transport aérien, le transport maritime
hybridation poussée à son terme : des véhicules
est bien plus efficace que son substitut potentiel
fonctionnant tantôt à l’électricité du réseau (qu’on
(selon les destinations naturellement), le transport
suppose à faibles émissions carbonées), et tantôt
routier. D’un autre côté, le transport maritime offre
à partir de carburants liquides, biocarburants
peut-être des potentiels d’amélioration d’effica-
compris, avec une bien plus grande efficacité
cité énergétique plus important que le transport
grâce au mode hybride.
aérien, en particulier avec la généralisation des
chaînes de propulsion électriques. Eh oui, l’hy- Enfin, l’inclusion des transports dans les échanges
bride, ça marche aussi sur l’eau ! de permis d’émissions est peut-être, aux prix
actuels des carburants, la seule voie ouverte pour
internaliser les coûts de l’effet de serre. Le modèle
Conclusion : agir « amont », qui intervient sur tous les déterminants
à tous les niveaux des émissions, semble à privilégier, à condition que
la rente retourne au public, et même si l’élasticité
En guise de conclusion, on ne peut guère faire au prix est faible à court terme, car peu importe où
moins qu’insister sur la nécessité de jouer sur tous auront lieu les réductions d’émissions financées par
les leviers d’action à la fois pour réduire la dépen- les automobilistes ou les transporteurs routiers.
dance pétrolière, et surtout réduire les émissions
À défaut ou en complément, l’imputation aux
de CO2 des transports terrestres, aériens et mari-
constructeurs de la responsabilité des émissions
times.
des véhicules vendus pourrait être d’introduire
La maîtrise de la demande est une affaire de dans un durcissement progressif des normes
longue haleine sur les formes et les fonctions d’émissions la souplesse économique requise
urbaines, conditionnée par la recherche d’une par l’incertitude inhérente au développement
densité minimale. Elle va de pair avec le dévelop- technologique.
82 Territoires 2030
Bibliographie
BAUQUIS, P.-R. 2004, « Quelles énergies pour les transports au XXIe siècle ? » Les cahiers de l’économie, no 55, IFP, Rueil.
FULTON L. 2004, Reducing Oil Consumption in Transport : Combining Three Approaches, IEA/ETO Working Paper, IEA, Paris.
GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) 1999, L’aviation et l’atmosphère planétaire, rapport
spécial des groupes de travail I et III du GIEC.
GIELEN D., UNANDER F. 2005, Alternative Fuels : An Energy Technology Perspective, IEA/ETO Working Paper, IEA, Paris.
IEA 2002, Bus Systems for the Future, IEA/OECD, Paris.
IEA 2004a, World Energy Outlook, IEA/OECD, Paris.
IEA 2004b, Biofuels for Transport, IEA/OECD, Paris.
IEA 2005a, CO2 emissions from fuel combustion, 2005 IEA/OECD, Paris.
IEA 2005b, Key Energy Statistics, IEA/OECD, Paris.
IEA 2005c, Resources to Reserves, IEA/OECD, Paris.
IEA 2005d., Act Locally, Trade Globally – Emissions Trading for Climate Policy, IEA/OECD, Paris.
NEWMAN P., KENWORTHY J. 1989, Cities and Automobile Dependence : An International Sourcebook, Gower Publishing
Company, Brookfield, Vermont.
RAUX C., FRICKER E. 2001, L’effet de serre et les transports : les potentialités des permis d’émission négociables, Conseil
national des transports, Paris.
Résumé
Les émissions de CO2 des transports participent des changements climatiques anthropiques et la dépen-
dance du secteur au pétrole ne faiblit pas, ce qui à terme ne manquera pas de devenir problématique.
De nombreuses options existent pourtant pour réduire les émissions et la dépendance au pétrole en
améliorant l’efficacité énergétique des véhicules et en réduisant l’intensité en carbone des énergies utili-
sées. Les incertitudes sur les développements technologiques à moyen et long terme ne permettent pas
d’identifier à coup sûr les technologies « gagnantes », ni de prédire leur déploiement à grande échelle. Si
la voiture à hydrogène continue de faire rêver, le véhicule hybride, alliant moteur à combustion et chaîne
de traction électrique, facilitera une électrification croissante des transports. Les biocarburants pourront
constituer un appoint utile. Par ailleurs, le développement des transports publics et la maîtrise de la
croissance des déplacements de biens et personnes seront également indispensables.
La mise en œuvre de ces options nécessite de la part des pouvoirs publics de jouer sur de nombreux
leviers, des choix d’infrastructures aux normes techniques. L’insertion des transports dans les systèmes
d’échange de permis d’émission, qui pourrait prendre des formes diverses, permettrait de gérer de
façon souple la participation des transports aux efforts globaux de réduction des émissions de gaz à
effet de serre.
Mots clés
Facteur 4, transports, route, moteurs hybrides, permis d’émissions.
83
décembre 2005 n° 2
Le Schéma régional
d’aménagement et de
développement du territoire
et le développement durable :
expérience Sylvie DEPRATAERE
Conseil régional Nord-Pas-de-Calais
du Nord-Pas-de-Calais S.Depraetere@nordpasdecalais.fr
Après plusieurs années de projets et d’expérimen- C’est ainsi que la région Nord-Pas-de-Calais s’est
tations en matière de développement durable, fixée en 2000 l’exigence de faire évoluer l’en-
la région Nord-Pas-de-Calais s’est dotée, dès semble de ses politiques et modalités d’inter-
janvier 2000, d’une stratégie intégrée de déve- vention par la prise en compte de six principes
loppement durable. L’ambition était la suivante : d’action qu’elle énonçait :
construire des orientations et des modalités d’in- – l’adéquation aux besoins effectifs des acteurs,
tervention qui permettent d’entraîner un boule- en facilitant leur expression ;
versement et les nécessaires mutations qu’exige – la rationalité économique : le développement
la mise en œuvre effective du développement durable comprend la notion de développement
durable dans toutes les interventions de la région économique bien évidemment, mais l’histoire
sur son territoire. économique et industrielle du Nord-Pas-de-Calais
a bien démontré la nécessité d’intégrer d’emblée
Une approche les effets croisés, les coûts globaux, et le temps
aux calculs de rentabilité ;
englobante mobilisant – l’équité sociale ;
tous les leviers – l’équilibre territorial : puisque tout déséquilibre
qui s’accroît fragilise la pérennité du dévelop-
d’action de la région pement et donc n’est pas soutenable dans le
Pour cela, l’exécutif régional a présenté, en séance temps ;
plénière, un rapport d’orientation qui explicite – la préservation de la ressource, bien sûr ;
sa définition du développement durable et la – la transversalité comme modalité d’intervention
manière dont, compte tenu de l’histoire spécifique et de décision.
du Nord-Pas-de-Calais, cette définition s’applique Pour mener à bien cette ambition et assurer la
à l’action de la région, grâce à la construction des transformation, la région préconisait la mise en
outils et méthodes visant à cette prise en compte place de deux outils :
généralisée. – une équipe interne d’animation et d’ingénierie,
85
décembre 2005 n° 2
86 Territoires 2030
Par extension, l’idée est née de disposer d’élé- En 2003, forte de ces deux ans de concertation, la
ments relatifs à l’évolution du développement région a entrepris d’évaluer comment la stratégie
social de la région par le choix d’indicateurs de développement durable de 2000 avait porté
adaptés. La région a entrepris pour cela le calcul, ses fruits.
à l’échelle du Nord-Pas-de-Calais, des indicateurs
Elle a présenté en mai 2003, en séance plénière,
proposés par le Programme des Nations unies
un bilan de la mise en œuvre des projets spéci-
pour le développement (PNUD) :
fiques de la stratégie de 2000 et une évaluation
– l’indicateur de développement humain ;
exhaustive de la manière dont chaque politique du
– l’indicateur de pauvreté humaine ;
– l’indicateur de participation des femmes à la vie conseil régional a intégré les principes d’action du
politique et économique. développement durable.
Ces calculs sont sur le point d’aboutir. Les résultats étant clairement positifs, l’ensemble
de ces analyses a été croisé avec les orientations et
Associés au PIB, ils offriront une image équilibrée perspectives du SRADT. Appuyé sur le diagnostic
du développement de la région dans toutes ses partagé et la concertation du SRADT, l’Agenda
composantes. 21 régional a ainsi vu le jour. Il a été adopté en
D’autres orientations du SRADT, directement commission permanente le 26 janvier 2004.
issues des débats, sont fortement imprégnées des Il affiche l’ambition de poursuivre l’évolution de
principes d’actions du développement durable. tous les moyens d’action de la région vers le
Citons ainsi : développement durable et dessine de nouveaux
– l’identification de l’enjeu de la lutte contre la
chantiers.
périurbanisation à la fois en termes d’aménage-
ment, d’urbanisme, de dépenses publiques, de De fait, au nombre de ces chantiers figurent
transports, de lutte contre les inondations ou plusieurs orientations prioritaires du SRADT :
contre le changement climatique ; – mettre en place des moyens de lutte contre la
– l’établissement, à l’échelle du Nord-Pas-de- périurbanisation ;
Calais, d’une trame verte et bleue, maintenant ou – mettre en œuvre la trame verte et bleue ;
rétablissant la biodiversité, les continuums verts et – poursuivre les travaux de mise en place d’indi-
biologiques, le cadre de vie... ; cateurs adaptés à la prise en compte de l’équilibre
– les enjeux de la transversalité dans l’action du développement...
publique et l’intérêt d’assurer l’observation de
D’autres sont également prises en compte :
manière croisée et partagée, dans la suite directe
– la consolidation de filières de développement
de la concertation qui a guidé les travaux du
économique appuyées sur l’environnement ;
Schéma.
– généraliser le recours à la Haute Qualité envi-
ronnementale (HQE) pour toutes les interventions
Et c’est ainsi que de la région ;
le SRADT a entraîné – mettre en place un système de transport repo-
la mise en place sant sur une mobilité raisonnée ;
– développer et structurer les filières du commerce
d’un Agenda 21 éthique et équitable ;
Un diagnostic partagé, des modalités d’obser- – mettre en place un système de management
vation partagées, des enjeux prioritaires, des environnemental dans les services ;
indicateurs, des calendriers... tous les ingrédients – mettre en place des outils pour une consomma-
permettant d’établir un Agenda 21 étaient réunis. tion durable.
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décembre 2005 n° 2
88 Territoires 2030
Bibliographie
NORD-PAS-DE-CALAIS 2004, Atlas régional du développement durable, Éditions de l’Aube, 122 p.
NORD-PAS-DE-CALAIS 2003, Agenda 21 régional.
NORD-PAS-DE-CALAIS 1999, « Séminaires réflexions et prospectives », Études prospectives régionales, no 3.
NORD-PAS-DE-CALAIS 2002, « Objectif 2020 », Études prospectives régionales, no 6.
NORD-PAS-DE-CALAIS 2004, « Le développement durable en question », Études prospectives régionales, no 8.
NORD-PAS-DE-CALAIS 2005, « Les études du SRADT », Études prospectives régionales, no 9.
NORD-PAS-DE-CALAIS 2005, « Les indicateurs régionaux de développement humain en Nord-Pas-de-Calais-et-Wallonie »,
à paraître, Études prospectives régionales, no 10, décembre.
Sites internet
www.2020.nordpasdecalais.fr
www.atlas.nordpasdecalais.fr
www.nordpasdecalais.fr/dd
Résumé
Le SRADT Nord-Pas-de-Calais élaboré dès l’année 2000 en référence aux problématiques du déve-
loppement durable a débouché trois ans plus tard sur l’adoption d’un Agenda 21 régional. Ces deux
documents complémentaires, à forte dimension prospective et élaborés dans un cadre de concertation
élargi, se donnent des objectifs communs tels que la mise en place des moyens de lutte contre la
périurbanisation, la mise en œuvre de la trame verte et bleue, la poursuite des travaux de mise en place
d’indicateurs adaptés à la prise en compte de l’équilibre du développement.
Mots clés
SRADT, Agenda 21, indicateurs environnementaux.
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décembre 2005 n° 2
Territoires, biodiversité
et énergie : l’expérience Jean-Luc SADORGE Conseil régional d’Alsace
Biodiversité et énergie sont deux enjeux majeurs Mettons-nous bien d’accord d’emblée : la terre n’a
de la politique environnementale de la région pas besoin de la biodiversité. Depuis 5 milliards
Alsace : d’années, elle a vécu une longue aventure, a vu
– La biodiversité, dans une région aussi densé- naître et disparaître de nombreuses espèces,
ment peuplée – 209 habitants par kilomètre carré sans aucun « états d’âme ». Ce n’est pas la
en moyenne et 425 dans la plaine –, représente planète qui a besoin de la biodiversité pour vivre,
à la fois un enjeu majeur pour les espèces et la c’est l’espèce humaine. C’est pourquoi il convient
qualité de vie des habitants et, en tant que facteur de réfléchir en fonction des objectifs à atteindre :
limitant, un indicateur de la qualité des politiques qui dit biodiversité dit continuité biologique pour
publiques. permettre aux espèces de se déplacer sur l’en-
semble de la planète. Cette stratégie n’est réali-
– L’énergie est une seconde priorité pour l’avenir sable que si elle est mise en œuvre sur chaque
de la planète en ce début de siècle où il convient de territoire, à l’échelle locale.
passer d’urgence de l’usage des énergies fossiles
au développement massif des énergies renouve- Déjà en 2005, la frontière entre l’urbain et le rural
lables et à la baisse drastique des consommations est devenue très tenue : pour l’INSEE, seules 8 %
pour lutter contre le réchauffement climatique. des communes alsaciennes sont encore classées en
zone rurale ce qui concerne une partie des vallées
Biodiversité et énergie présentent donc une carac- vosgiennes. Tout le reste du territoire de notre
téristique commune : pour être efficace, il convient région est considéré par les statisticiens comme
de les gérer à l’échelle des territoires dans le cadre étant sous influence urbaine. On peut, sans prendre
d’un plan d’action régional. de risque majeur, projeter que cette tendance ne
fera que s’accentuer dans les prochaines années. Il
Entre noyau dur ne faut donc plus raisonner la biodiversité comme
et corridor, l’apanage du monde rural, mais la penser comme
un tout : imaginer l’urbain et le rural comme une
quelle biodiversité continuité de ce point de vue.
en plaine d’Alsace ? Il est clair qu’aujourd’hui, en 2005, l’urbain a large-
« L’homme n’est moral que lorsque la vie de la ment « la main » : le béton et le goudron gagnent
plante et de l’animal aussi bien que celle des chaque jour du terrain. De ce point de vue, le rural
humains lui est sacrée » (Albert Schweitzer). n’est pas mieux loti : la monoculture et le labour
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décembre 2005 n° 2
progressent également chaque jour sur la haie et forêt (plantée), l’urbaniste doit devenir un acteur
la prairie. de la biodiversité.
La voie d’avenir est donc de penser d’abord la De même, l’agriculteur doit intégrer la diversité
place de la biodiversité en Alsace : des « noyaux biologique dans ses itinéraires techniques. L’agri-
durs » qui représentent les espaces majeurs néces- culture de demain sera plus complexe, s’appuiera
saires au développement de la vie, et une « trame davantage sur la vie du sol et les espèces présentes
verte » qui va relier ces espaces de nature entre sur les parcelles. La parenthèse de la pétrochimie
eux. En effet, la protection stricte de la nature, sera terminée et l’agriculteur sera un producteur
si elle est indispensable, n’est pas suffisante. Un de biocarburants et de biomatériaux.
rapport de l’UICN réalisé en 2004 montre que les La nature, après s’être frayée un chemin dans
objectifs en matière de réserves naturelles sont en le territoire agricole, pénétrera dans les villes
voie d’être atteints au niveau planétaire, et pour- alsaciennes qui seront devenues de plus en plus
tant, les espèces ne cessent de disparaître à une grandes. Elle sera présente le long des cours d’eau,
vitesse qui va en s’accélérant. dans les parcs ou plutôt les prairies urbaines, le
Il convient donc de penser la préservation de la long des murs et sur les toits : les toitures végéta-
biodiversité aussi au travers de la préservation de lisées sont aujourd’hui une réalité et la façade du
la nature ordinaire. La méthode proposée, appli- Musée des arts premiers, en plein cœur de Paris,
quée pour la plaine d’Alsace et le piémont des est couverte de plantes.
Vosges, consiste à identifier les « noyaux durs », On sait par ailleurs dès maintenant parfaitement
ainsi que la trame verte existante qui représentent gérer techniquement les passages à faune pour les
tous deux 150 000 hectares et qu’il convient de infrastructures de transport. Il convient par contre
préserver. Par ailleurs, il s’agit aussi de repérer de bien les prévoir dans les nouveaux projets.
les connections manquantes ou « corridors » qu’il
Soyons clairs : le problème de la biodiversité n’est
conviendra de restaurer. Pour l’Alsace ces corri-
pas qu’entre les mains des agriculteurs, des fores-
dors ont été évalués à 7 500 hectares.
tiers et des gestionnaires d’espaces protégés. Il
Du coup, la feuille de route est tracée : s’agit de mettre en œuvre de manière concertée
1) préserver strictement les noyaux durs par des une stratégie d’aménagement du territoire qui est
moyens réglementaires ; de la responsabilité des élus régionaux, départe-
2) préserver la trame verte existante en l’inscrivant mentaux, locaux et des administrations de l’État.
dans les documents d’urbanisme, SCOT (Schémas Le tout en partenariat avec les associations et sous
de cohérence territoriale) et PLU (Plans locaux le contrôle des citoyens.
d’urbanisme) ; Mais par ailleurs, la région Alsace a souhaité
3) mettre en place un dispositif qui permette aux assumer sa compétence d’aménagement du terri-
acteurs locaux de préserver et de rebâtir les « chaî- toire en se dotant d’un dispositif permettant à
nons manquants ». terme la mise en place de cette trame verte.
Ces principes étant posés, les solutions sont
perceptibles. Il s’agira d’inventer un nouveau Le dispositif
mode d’occupation de l’espace où les espaces
publics et de loisirs feront une large place à la
de la région Alsace
nature. Par exemple pour des ensembles d’habita- Ces dernières décennies, la faune et la flore
tion construits autour d’un lac (artificiel) ou d’une subissent de plein fouet la transformation du
paysage alsacien : un tiers des espèces végétales
et animales présentes en Alsace est en régression
1. Union internationale pour la conservation de la nature. plus ou moins marquée.
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Avant d’élaborer le projet de « trame verte », la La deuxième action consiste – et c’est la plus
région Alsace a réalisé une étude sur la situation cruciale pour préparer l’avenir – à inscrire la
des milieux naturels en plaine et sur le piémont trame verte existante dans les documents d’urba-
vosgien, en concertation avec les acteurs concernés nisme. Cette mission est en cours et l’accueil est
réunis au sein d’un comité de pilotage comprenant partout très positif sur le projet. Il est par contre
la région, les départements du Bas-Rhin et du évident que les arbitrages ne seront pas forcé-
Haut-Rhin, l’État, un représentant des parcs natu- ment faciles.
rels régionaux, un représentant des pays, Alsace
La troisième action consiste à intégrer le projet
Nature, la chambre régionale d’agriculture, les villes
dans les infrastructures de transport, en travaillant
de Strasbourg, Colmar et Mulhouse.
à réparer les dégâts, mais surtout à intégrer la
Il ressort de ce travail minutieux, mené en milieu dimension trame verte dans les projets.
rural et urbanisé, que :
La quatrième action qui rejoint, mais en partie
– les grands espaces naturels d’un seul tenant
seulement, la deuxième consiste à préserver des
représentent 15 % de la surface de la plaine dont
espaces péri-villageois et à faire en sorte que l’on
un tiers se trouve dans un état partiellement
ne passe pas directement du lotissement d’un
dégradé ;
village au lotissement du suivant. C’est une action
– sur les treize unités paysagères dénombrées en
difficile, car elle demande une réflexion portée
Alsace (ried, piémont, vignoble, plaine rhénane...),
sur notre mode de vie : l’image de la maison
sept n’offrent plus un paysage de qualité ;
individuelle, aussi petite soit elle, reste fortement
– il conviendrait de multiplier par cinq le nombre
ancrée dans tous les esprits. Des actions sont en
de connexions existantes entre les espaces natu-
cours pour préserver les vergers. Ce ne sera pas
rels pour maintenir la biodiversité.
suffisant : nous ne ferons pas, dans une région
À partir de ce diagnostic, des propositions d’amé- aussi densément peuplée que l’Alsace, l’économie
liorations de la trame verte existante ont été faites d’une réflexion sur l’usage de l’espace. C’était
par la région. d’ailleurs le thème principal des « Rencontres alsa-
Le conseil régional a voté un dispositif pour ciennes de l’environnement » de 2005 .
favoriser la réalisation des ces propositions en La cinquième action consiste en la construction
juin 2003. de nouveaux corridors. Certaines communes et
communautés de communes ont déjà pris des
Les principes mesures avec le soutien financier de la région.
Pour réussir, elles auront besoin du renfort des
d’action agriculteurs alsaciens.
de la trame verte La sixième action consiste à lancer la trame verte
L’étude est maintenant terminée, le dispositif à la conquête des villes. Des projets commen-
est en place à titre expérimental. La première cent à voir le jour. Des exemples existent dans
action consiste à informer l’ensemble des acteurs d’autres villes européennes sur lesquels l’Alsace
locaux des enjeux et des moyens disponibles, pourra s’appuyer. Dans ce domaine, il ne s’agit
qu’ils soient élus de communes, de communautés
de communes ou membres d’associations. Des
plaquettes déclinées pour chacun des dix pays 1. La région organise tous les deux ans des « Rencontres
alsaciennes de l’environnement » qui permettent de débattre
d’Alsace et pour le SCOT de l’agglomération avec les collectivités locales, les services déconcentrés de
strasbourgeoise ainsi que des affiches viennent l’État et les associations, à partir d’indicateurs actualisés
dans les domaines de l’eau, de l’air, des milieux naturels, des
d’être éditées et diffusées largement et notam- déchets, de l’énergie, de l’éducation à l’environnement et de
ment à tous les maires d’Alsace. l’occupation de l’espace.
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filières (bureaux d’étude, installateurs, fabricants, chargé de communication et bien entendu les
financeurs...) ; équipes de la région et de l’ADEME.
– accompagner les acteurs dans le montage
Le programme est une réussite. Les objectifs
des dossiers de demande de subventions et les
fixés étaient de passer de 11 000 m2 de capteurs
démarches administratives ;
solaires fin 2002 à 34 000 m2. Ils devraient être
– apporter une assistance technique dans les
phases étude et réalisation des projets concernés atteints avec six mois de retard. Pour les chau-
par les énergies renouvelables ; dières, l’objectif était de passer de 173 chaudières
– aider à la médiatisation des réalisations. (142 individuelles et 31 collectives) à 610 (470
individuelles et 140 collectives). Ces objectifs
Chaque animateur a des objectifs chiffrés très seront atteints.
précis à réaliser sur son territoire.
Au-delà de ce « décollage » du nombre d’installa-
Mais le programme Energivie n’est pas qu’un tions, le programme a permis d’avancer dans les
programme de mobilisation de terrain : il s’agit
domaines du lien entre la recherche et l’industrie,
d’un programme régional qui comporte sept
de la formation et de la mise en place d’une stra-
actions :
tégie de développement économique de l’Alsace
– mieux informer sur les énergies renouvelables ;
centrée sur les énergies renouvelables. Par ailleurs,
– former des prescripteurs « énergies renouvela-
il a permis d’étudier de près d’autres filières que
bles » ;
– amplifier la communication ; celles du soleil et du bois, de réaliser un atlas du
– utiliser les énergies renouvelables pour stimuler potentiel éolien, d’étudier le développement du
le développement économique alsacien ; biogaz et un inventaire du potentiel géothermique
– développer les énergies renouvelables dans est programmé.
l’agriculture et le tourisme ; Surtout, grâce à un très important dispositif de
– mieux intégrer les énergies renouvelables à communication, il a permis de rendre crédibles les
l’échelle de quartiers urbains ; énergies renouvelables auprès des élus locaux et
– anticiper pour préparer l’avenir. des industriels. En résumé, les Alsaciens ont voté
Le programme est coordonné par un comité « avec leur portefeuille » en investissant dans des
de pilotage présidé par la vice-présidente de la capteurs solaires et les communes ont suivi en
commission agriculture environnement du conseil installant des chaudières au bois. Les industriels se
régional et comprenant l’ensemble des partenaires joignent à leur tour au mouvement : la région vient
concernés : élus, associations, professionnels, de lancer un appel d’offres dans leur direction en
chercheurs, établissements d’enseignement... Il se leur proposant de financer des études de projets
réunit tous les deux mois pour faire le point sur les innovants impliquant des énergies renouvelables
dossiers et engager les actions nouvelles. et les propositions arrivent déjà.
En plus des animateurs de terrain, sont également
impliqués un coordinateur du programme , un
le Parc naturel régional des ballons des Vosges, la ville de
Mulhouse, la communauté de communes de l’agglomération
mulhousienne, l’Agence locale de la maîtrise de l’énergie de
1. Les partenaires du programme sont : la région Alsace, la l’agglomération mulhousienne (ALME), le conseil régional de
Direction régionale de l’environnement (DIREN), la Direction l’Ordre des architectes, la fédération et les corporations des
régionale de l’industrie, de la recherche et de l’environne- entreprises de chauffage (FEFICA, COPFI), l’ANVAR, l’INSA
ment (DRIRE), le Secrétariat général pour les affaires régio- de Strasbourg, l’Agence de développement de l’Alsace
nales et européennes (SGARE), les chambres d’agriculture, (ADA), la Fédération des interprofessions bois forêt d’Al-
la chambre régionale des métiers, la chambre régionale du sace (FIBOIS), les corporations des entreprises d’électricité,
commerce et de l’industrie, l’Agence de l’environnement et l’Association pour la formation des adultes (AFPA), l’Agence
de la maîtrise de l’énergie (ADEME, délégation Alsace), Alter BASE (Basel Agency for Sustainable Energy), Thur Ecologie,
Alsace énergies, le Parc naturel régional des Vosges du nord, Agriculture et Paysages.
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Résumé
Alors même que différentes études montrent plusieurs atteintes à la biodiversité et aux paysages en
région Alsace, le conseil régional s’est engagé dans la réalisation d’une trame verte, décomposée en
« noyaux durs » qui comprennent de grands espaces naturels et des corridors qui les relient, les chaînons
manquants dans ce domaine devant être reconstitués. Six actions ont ainsi été programmées pour la
mise en œuvre de cette trame verte. Par ailleurs, du côté des énergies renouvelables et dans le cadre du
contrat de plan État-région, l’Alsace s’est engagée dans un programme Energivie censé accompagner
les initiatives particulères et collectives en matière d’énergies renouvelables (chauffage au bois, énergie
solaire).
Mots clés
Biodiversité, corridors écologiques, planification des sols, énergies renouvelables, facteur 4.
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L’étude de cas présentée ici a été réalisée, à la que celles inhérentes à toute enquête consistant
demande de l’ADEME, dans deux stations de à recueillir les réponses des interviewés. Cepen-
sports d’hiver des Alpes du Sud et vise plus parti- dant, deux concepts-clés restaient à définir avant
culièrement à répondre à une double question. même de procéder aux questionnaires envisagés.
Il s’est agi tout d’abord de tester la capacité des Que fallait-il entendre, en effet, par « climat ». Que
habitants à percevoir le changement du climat, fallait-il entendre par « adaptation » ?
et de repérer par quels signes ou critères ce On semble supposer que ces deux termes sont
changement était perçu. Ensuite, dans le cas où clairement perçus, que leur sens va de soi, qu’ils
cette perception était avérée, nous avons voulu sont évidents. Or il n’en n’est rien.
savoir si les habitants étaient en mesure ou non de
s’adapter à la nouvelle situation. Ce qui signifiait
pour eux :
Éléments
– soit qu’ils étaient prêts à modifier leurs activités de problématique :
et dans quelle mesure ; les définitions
– soit qu’ils acceptaient d’y renoncer pour se
Prenons le terme « climat » : pourquoi avons-nous
tourner vers d’autres activités ;
besoin de l’élucider ? Parce que la perception du
– soit qu’ils projetaient de changer de lieu pour
changement de climat (son réchauffement, puisque
continuer à exercer le même type d’activité ;
tel est l’objet de notre enquête) suppose qu’on ait
– soit qu’ils préféraient ne rien changer à leurs
déjà perçu quelque chose comme un état antérieur
habitudes au risque de nier qu’il y ait un quel-
du climat, de façon à pouvoir juger s’il y a ou non
conque changement de climat.
perturbation. Or, étrangement, le climat est une de
Énoncée ainsi, la double question posée par ces notions qui restent vagues, quelque précision
l’ADEME, paraissait ne poser d’autres difficultés que la science puisse apporter à son appréhension.
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D’abord parce que c’est un phénomène invisible , tique ? » la plupart des interviewés répondent « oui »,
difficile à percevoir, bien que physiquement présent. sans hésiter. Mais tout de suite après commencent
En tant que modalité sensible de l’environnement, les hésitations, les doutes : « Finalement quand j’y
participant à la composition d’un « milieu », il est pense... ». Le doute concerne la fiabilité des signes
difficilement isolable des autres éléments constitu- auxquels on peut percevoir un tel changement et,
tifs et il est donc perçu, de manière confuse, comme les réponses se diversifient alors, ou sont fuyantes.
une enveloppe de différents traits. Climat exprime, Elles ne manifestent plus la belle unanimité de la
par exemple, le ton général, l’atmosphère d’une première réponse. On peut trouver une explication
réunion ou d’une situation. De ce point de vue, la à cette disparité, en évoquant le niveau cognitif qui
perception du climat est comparable au sentiment est sollicité par la généralité du concept climat, et
indéfinissable que provoque une mélodie. Climat le niveau empirique perceptif, sollicité par l’expé-
exprime aussi, dans l’expérience concrète que nous rience du « temps qu’il fait ». Tout le monde peut
en faisons, le temps qu’il fait, et il est assorti d’un s’accorder sur un savoir commun, mais dès qu’on
grand nombre de variables subjectives, qui résis- interroge l’expérience de chacun, les choses ne sont
tent à la schématisation. D’autre part, le climat plus aussi claires.
peut être analysé dans une perspective descriptive,
géographique par exemple . Nous savons, car nous De plus, les théories de la perception, depuis l’an-
l’avons appris, qu’il y a différents types de climats : cienne mais toujours efficace théorie de la gestalt,
océanique, continental... et qu’il y a, pour en parler nous ont appris à nous méfier de la perception
savamment, des météorologistes. Ainsi, à propos du naturelle spontanée, des données sensorielles
climat, nous nous trouvons d’une part devant ce que sans médiation. Les perceptions que nous croyons
nous savons ou croyons savoir avec un certain degré toutes simples et « vraies » sont soumises à des
de certitude (scientifique), et d’autre part devant des conditions de toutes sortes. En ce qui concerne
impressions sensorielles et des jugements de goût, la perception du climat, elle est informée par la
que l’on a du mal à caractériser. Toute l’ambiguïté profession ou l’état : un agriculteur ne percevra
du projet de recherche sur la perception du chan- pas les mêmes réalités qu’un commerçant de
gement climatique vient de cette double source la neige, un citadin qu’un rural, un marin qu’un
de connaissance. En bref, nous pourrions avancer montagnard. Le niveau d’attente joue aussi son
que si nous saisissons bien ce que tend à signifier rôle. L’attente va de l’angoisse d’un éleveur devant
la notion de climat, nous ne sommes pas capables la sécheresse, à la quasi-indifférence du citadin qui
d’en appréhender la réalité. C’est d’ailleurs ce que travaille dans son bureau.
viennent confirmer les interviews que nous avons Nous avons donc été obligé de tenir compte tout
réalisées dans le cadre de cette enquête. En effet, à au long de cette enquête du milieu – conditions
la question : « Selon vous, y a-t-il changement clima- de vie, profession, activités, milieu social –, à partir
duquel les réponses sont apportées. La variabilité
de ces réponses en est directement issue.
1. « [...] les plus grands dangers écologiques actuels relèvent
du domaine de l’invisible, de l’inodore, de l’incolore et de l’in- La seconde notion à définir est celle d’adapta-
sipide [...] », Dr Pascale Morand-Francis, dans son intervention
au colloque de Chamonix, 29 et 30 juin 2000. tion. On distingue généralement, en biologie, le
2. On se souvient que « climat » correspondait chez les processus d’adaptation de l’état d’adaptation.
anciens au terme « zona » ou ceinture. Ces ceintures ou zones
partageaient la terre en territoires, du Nord au Sud, du froid Adaptabilité n’est pas adaptation. Dans le cas
au chaud. Schéma conjectural sans contrepartie concrète qui nous intéresse ici – l’adaptation au change-
qui traçait les limites de l’habitable et assignait aux zones
extrêmes les territoires désastreux, proprement invivables et ment climatique –, il s’agit du processus qui doit
donc inhabités. S’en suivent toutes sortes de fantaisies que conduire à l’adaptation, et non à l’adaptation
Pline l’Ancien nous a rapportées. Cette distinction géogra-
phique en zones délimitées participe de la construction de la comme état stabilisé (appelé, par les biologistes
nature telle que les anciens la concevaient. « accommodation » ou « naturalisation »).
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avons noté que ces réponses à tendance néga- Pra-Loup qu’elle ne sert pas à grand-chose dans
tive sont le fait de personnes exerçant la même la configuration actuelle qui nécessite des techni-
profession : directeur des remontées mécaniques ques radicalement nouvelles, une grande différence
ou directeur de pistes. existe cependant dans la manière dont la mémoire
de l’origine est traitée et dans l’importance que
Sur la responsabilité du gaz à effet de serre,
revêt pour Le Sauze une certaine idée du passé.
la réponse, semblable est un « je ne sais pas ».
Et sur la responsabilité des hommes à ce sujet, Enfin sur la neige, son mythe, sa valeur, les
elle est aussi la même de part et d’autre « oui, discours des deux côtés ne sont pas très prolixes,
sans doute ». Quant à savoir qui doit régler cette avec peut-être une légère sensibilité à la poésie à
question et réduire les émissions de gaz, même Pra-Loup. L’engouement pour la neige, le début
réponse : c’est l’État. du mythe de la neige est situé à la même époque
par les deux stations, mais avec plus de précisions
Sur les informations, mêmes réponses aussi : on historiques au Sauze.
n’est pas assez informés et ce qu’on peut savoir
vient en premier lieu de la télévision. Les médias – Les dissemblances : c’est sur l’adaptation, les
ne sont pas fautifs, ils sont souvent bons, même si subventions et la mémoire du passé que les diver-
la météo se trompe le plus souvent. gences sont les plus fortes. Mais on peut consi-
dérer ces trois thèmes comme un seul, car ils sont
Sur la nature, les opinions sont aussi les mêmes : interdépendants. Pas d’adaptation sans une poli-
c’est un cycle naturel qui conduit au réchauffe- tique pour les subventions, et pas d’adaptabilité
ment. Car il est douteux que les hommes y soient sans un certain rapport à la mémoire du passé.
pour quelque chose, et d’autre part ni Le Sauze ni
L’adaptation est perçue au Sauze comme déjà
Pra-Loup ne sont responsables, il faut arrêter de
faite, au moment de l’invention du tourisme et du
les accuser, allez voir plutôt les grosses industries.
ski dans les années 1934-1939. Ce qui reste à faire,
Sur l’histoire des canons à neige, le fond commun c’est de préserver et développer cette initiative.
des arguments pour la défense de la neige artifi- Sous la pression des événements climatiques, mais
cielle est bien rodé. aussi des conditions sociales (la RTT, les vacances
plus courtes, la concurrence), il faudra sans doute
Sur l’eau, la forêt, la végétation, les émissions
diversifier les loisirs à offrir aux touristes, mais il n’y
nocives, tous les arguments sont en place. Notons
a rien d’urgent. Mais de toute façon, on gardera
seulement qu’à Pra-Loup le discours est beaucoup
toujours le ski, les canons et la neige artificielle.
plus nuancé et que plusieurs voix s’élèvent contre
L’adaptation se fera donc à la marge. Et pour
la neige artificielle.
l’avenir, on compte sur le contrat de pays et donc
Sur l’adaptation, notons d’abord quelques points sur la communauté de communes pour le mettre
communs : dans tous les cas – sauf un à Pra-Loup sur papier et demander les subventions nécessaires.
–, et dans la plupart des cas au Sauze, on admet À Pra-Loup en revanche, le fait de devoir s’adapter
qu’il va falloir s’adapter au manque de neige. C’est est pris au sérieux. La diversification est étudiée
dans les moyens et dans le rythme de l’adaptation de plus près, la montagne, les lacs et les torrents
que les opinions se séparent. fournissent des points forts qui sont déjà mis en
pratique et qu’il faudra réaménager plus largement ;
Sur les subventions, on observe des points
le coût des sentiers de randonnées a été chiffré.
communs également, sur lesquels on ne peut
On ne compte pas sur un plan, ni plan de pays, ni
qu’être d’accord, par exemple leur réduction à
un quelconque autre plan et on sait qu’il faudra se
plus ou moins brève échéance.
débrouiller pour obtenir des aides. Pour cela on
Sur la mémoire du passé, on repère là encore des fait confiance au maire, à la commune, à Transmon-
points communs : si l’on pense au Sauze comme à tagne, et on fabrique de bons dossiers. On ne met
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pas de côté les investisseurs et l’immobilier tient souligné plus haut. Pra-Loup a fait soi-même sa
une grande place dans les calculs – aspect qui n’est propre maquette qui relate, sans recours aux
même pas évoqué au Sauze. C’est une attitude anecdotes historiques, les conditions tarifaires, le
combative, active. L’idée de devoir partir s’installer nombre de lits, les commerces et ce qu’on peut
ailleurs n’est pas non plus dédaignée, ce qui prouve trouver dans le coin, alors que Le Sauze publie
une mobilité assez grande et une souplesse de des photos prises en 1934 et l’état de la station
pensée. En effet plutôt que de voir des concurrents « avant et après » les transformations. Les soixante-
dans les pays de l’Est, on les conçoit comme des dix ans de la station ont fait aussi l’objet d’une
nouveaux terrains à explorer (et exploiter). brochure commémorative, autour du père fonda-
Les subventions, qui sont la condition même de teur, biographie et photographie comprises.
l’adaptation projetée, sont vues au passé à Pra-
Loup, mieux informé sur les restrictions à venir, Comparaison
tandis qu’elles sont toujours vues au futur au Sauze. des rationalités du centre
Pra-Loup se trouve donc forcé à agir tandis que Le et des rationalités du local
Sauze attend la manne qui devrait venir de la colla- – Le changement de climat : Au niveau local, la
boration avec les autres petites communes. réponse est « Oui, il y a des changements » mais
La mémoire du passé est extrêmement différente « au fond on ne sait pas » parce qu’auparavant il y
dans les deux villages et cette différence explique a eu aussi des périodes de réchauffement clima-
pour une grande part l'écart d’adaptabilité que tique suivies de refroidissements prolongés. Au
nous avons cru percevoir entre les deux stations. niveau central, en revanche l’hypothèse de base,
L’histoire du Sauze, son invention par un de unanime, est bien qu’il y a changement de climat.
ses habitants, ses débuts, et sa transformation – L’information : le centre dénonce le catastro-
moderne, sont l’objet d’une quasi-vénération au phisme des médias et croit dans le discours des
Sauze même. Brochures, dépliants, journaux célé- savants. Au local, on est un peu sceptique quant
brant la naissance du Sauze nous ont été géné- aux médias, mais globalement on y croit. On
reusement distribués. La mémoire de ce passé écoute et regarde la météo à la télévision. Ce à
« historique » est très présente. Il y a là comme un quoi on ne croie pas, c’est au discours des savants
bloc sans faille qui assure l’identité des habitants, et des météorologues.
de leur famille, de leur terrain. Monolithique, ce
bloc n’admet pas de discussions ni de variantes. – La nature : le discours du local sur la nature est
Rien de semblable à Pra-Loup, entreprise privée très spécifique. Quand la nature se détraque, le
en difficulté, sauvée ensuite par le conseil général local la répare et il fait même mieux qu’elle. Il y a
et donc sans père fondateur attitré. La station bien de la pollution, mais c’est dans les grandes
semble avoir été le résultat d’une entente entre villes avec de grandes industries (à Fos-sur-Mer
différentes sources d’investissement, le départe- par exemple), mais pas à la montagne. Ce n’est
ment et la région et elle tient son existence de pas aux « locaux » de la montagne de diminuer
la rencontre d’événements comme un certain une pollution inexistante, c’est aux grandes villes,
engouement pour le ski, l ‘avancée du social, et... aux grandes industries de le faire, en somme c’est
de bons maires. On parle peu de l’origine, à Pra- à l’État d’agir. Sur le lien pollution/changement
Loup et beaucoup de l’avenir. climatique, on ne sait rien au local. Chacun de ces
points est différent au centre : soit qu’il ignore les
La différence entre Le Sauze et Pra-Loup à ce sujet
efforts locaux pour remédier aux difficultés de la
se manifeste ouvertement dans les « plaquettes »
nature, soit qu’il les condamne (canons à neige).
que l’office du tourisme offre aux visiteurs.
Plaquettes au sujet desquelles il y a eu conflit à la – L’adaptation : l’adaptation, au local, passe par le
communauté des communes comme nous l’avons canon à neige, qui restitue l’eau qu’il emprunte un
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deux systèmes de lecture , dans un monde où les insérés dans un milieu déterminé. Souplesse contre
systèmes eux-mêmes ne se soutiennent que par raideur. Critique contre dogmatisme.
la gestion des contradictions qu’ils engendrent, L’adaptation demande non seulement une atti-
avec un équilibre toujours remis en question, la tude critique envers l’existant (on critique la situa-
monorationalité fait office d’antiquité. Mais elle tion sinon le régime ou des acteurs déterminés)
est surtout parfaitement inefficace pour suivre le mais aussi une situation critique (au sens de crise).
train du monde et s’avère particulièrement résis- C’est l’alliance des deux qui rend un individu
tante à l’adaptation. « préadaptable ».
Or multi et monorationalités semblent bien être les Ce qui revient à dire qu’il ne s’agit pas de volonté ou
deux logiques qui opposent Le Sauze et Pra-loup de décision au sens classique, avec les trois étapes
et, de même que les contradictions et les conflits bien enchaînées de la délibération (on évalue) du
internes à un système sont aussi ses moteurs choix (on opère une sélection) et de l’exécution,
d’évolution, l’univocité, la rigidité d’une rationalité comme si tout se passait en terrain parfaitement
unique tend la plupart du temps à l’entropie. Ainsi neutre, égal en toutes ses parties et sans aucune
ferions-nous volontiers du marqueur « multiratio- pression de l’extérieur. Non, il s’agit, en réalité,
nalité » une condition de l’adaptabilité . de réactions entrecroisées entre l’environnement
Imaginaire de l’adaptation (dangereux, alarmant ou simplement incertain) et la
souplesse de l’individu qui s’y trouve confronté.
Au-delà d’une mémoire commémorative qui
verrouille ou d’une mémoire vive qui permet le Cette souplesse se traduit par la faculté de saisir
projet, comment qualifier l’imaginaire du change- l’occasion. Autrement dit de faire les choses qu’il
ment ? Au-delà d’une multirationalité qui permet faut, quand il faut, au bon moment.
d’envisager plusieurs issues simultanément, de Les anciens représentaient le temps comme un jeune
quoi se nourrit l’imagerie de l’adaptation ? homme tenant une balance à la main, car le temps
Ici encore nous avons trouvé des éléments auxquels se pèse et hésite, équilibre fragile entre le temps à
nous ne nous attendions pas : l’adaptabilité dépend saisir et celui où la chance est déjà passée. Autre
paradoxalement de facteurs qui peuvent être consi- figure du temps : les enfants jouant aux dés. Deux
dérés comme négatifs : la fragilité, l’impuissance, figures d’êtres inachevés, l’adolescent et l’enfant.
l’incomplétude. Ces propriétés ne sont pas néga- Tous deux fragiles, tous deux perfectibles. Tous deux
tives, elles donnent possibilité de modeler les « adaptables ». Tous deux « en suspens », l’un avec sa
balance au bout des doigts, l’autre au moment où il
comportements suivant la situation. C’est une
jette les dés et avant qu’ils ne retombent.
possibilité que n’ont pas des individus trop bien
À travers cette iconographie, nous pouvons inférer
quelle est la nature imaginaire de l’adaptation, c’est
1. Cf. la notion de « surcode », définie par Lucien Sfez dans celle qui permet de projeter devant soi une image
Critique de la décision, Presses de Sciences Po, 4e édition, des temps à venir sans être retenu par la mémoire
1992. Le « surcode » n’est pas un code, mais un lieu de
frottement des différents codes entre eux. Là où la commu- de ce qui a été et en acceptant de rester en suspen-
nication entre sous – systèmes est brouillée et tordue par ces sion, dans une attention à l’événement favorable ;
frottements. Ce frottement emporte des latéralisations des
messages initiaux venus d’un seul code et donc des innova- état que l’on peut qualifier de « veille » .
tions et transformations. Le « surcode » est le lieu où il y a un
taux maximum de multirationalité.
2. Ce concept de multirationalité est au centre de Critique
de la Décision, op. cit.. Dégagé depuis 1973 dans l’affaire 3. Une autre image est celle que nous offre Héraclite dans
Rangueil-Lespinet (fruit d’un contrat de recherche avec la le fragment 52 (traduction Bollack et Wismann, éditions de
DATAR) et dont le récit a été publié par les Annales en 1976. Minuit, 1972. « La vie est un enfant qui enfante, qui joue. À
(Article de Lucien Sfez, Anne Cauquelin et Jean-François l’enfant d’être roi. »
Bailleux), ce concept a été illustré et vérifié dans un grand 4. De la même manière que l’on parle souvent de « veille
nombre d’affaires depuis cette époque. technologique ».
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LA SOUDIÈRE (de) M. 1999, Au bonheur des saisons, éditions Grasset.
LE POULICHET S. 1991, Environnement et catastrophes, éditions Mentha.
LE TREUT H. et alii 2004, Science du changement climatique : acquis et controverses, éditions Claire Weil.
MAC FARLANE R. 2004, L’esprit de la montagne, éditions Plon.
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décembre 2005 n° 2
Résumé
Cette étude, réalisée par Lucien Sfez et Anne Cauquelin dans le premier semestre 2005, répond à une
demande de l’ADEME (Agence gouvernementale de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie)
concernant l’adaptation au changement climatique dans les régions les plus particulièrement touchées
par ce changement. La région choisie se situe dans les Alpes du Sud et la recherche a porté sur les
stations de skis que le changement de climat met en position critique. L’enquête repose sur une tren-
taine d’interviews très ciblées et détaillées. Elle permet d’analyser les variations de représentations des
populations et des acteurs économiques face au réchauffement. Il en résulte qu’en fonction d’un certain
rapport au passé et à la mémoire collective, les groupes sociaux apparaissent plus ou moins adaptables
aux changements prévisibles.
Mots clés
Représentations, comportements, changement climatique, tourisme.
ARTHUIS J., La globalisation de l’économie et les délocalisations d’activité et d’emplois, rapport d’information,
n° 416, juin 2005, Sénat, 102 p. plus 217 p. annexes.
Ce rapport d’information, réalisé au nom de la commission des finances du Sénat, établit que
202 000 emplois devraient être délocalisés, s’agissant du seul secteur des services, entre 2006
et 2010. Il montre le risque d’une planète organisée entre une Chine « usine du monde », une
Inde « laboratoire du monde », voire un Brésil « ferme du monde »... et une Europe – ou une
France – se consacrant à la mise en rayons, dans ses supermarchés, de produits fabriqués par
d’autres. Il s’agit dès lors de rendre compatible un modèle français, qui dévie vers le « moins
cher – moins d’emploi », avec une économie vivant désormais à l’heure mondiale. Taxer les
produits, et non plus la production, réformer le Code du travail, promouvoir la sincérité dans les
relations commerciales, autant de défis à relever pour que les délocalisations ne constituent pas
une fatalité.
BAUDRY M., DUMONT B., « R & D publique, R & D privée et efficacité du processus d’innovation : quelles pers-
pectives ? », Les Cahiers du Plan, n° 10, août 2005, 51 p., bibliographie.
Si l’objectif ambitieux que s’est donné l’Union européenne au sommet de Lisbonne de
mars 2000 de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique »
d’ici l’an 2010 peut désormais sembler inaccessible, tout du moins à l’horizon initialement fixé,
la question de la R & D n’en demeure pas moins l’un des enjeux majeurs pour un pays comme
le nôtre, face à l’évolution de la concurrence internationale. À cet égard, la question posée n’est
pas seulement celle de l’ampleur globale de l’effort de R & D mais aussi celle de sa répartition
entre le secteur public et le secteur privé.
Cette étude montre qu’à montant donné de dépense, l’effort total de R & D est dans l’ensemble
aussi productif dans l’Union européenne – et notamment en France – qu’aux États-Unis, à en
juger par le nombre de brevets sur lequel il débouche. Elle confirme en outre que la France
gagnerait à rééquilibrer son effort global de R & D en direction du secteur privé.
Elle plaide enfin pour que davantage d’enseignements soient tirés des facteurs institutionnels,
culturels ou organisationnels qui font la force des pays les plus en pointe pour l’innovation, en
particulier en Europe du Nord.
BOISSON J.-P., La maîtrise foncière : clé du développement rural, Journal officiel, avis et rapports du Conseil
économique et social, n° 5, 2005, 204 p.
L’espace agricole et forestier est encore trop souvent considéré comme une réserve foncière
au profit de l’urbanisation, des infrastructures et des autres activités économiques. Tous les
dix ans, c’est l’équivalent d’un département de taille moyenne qui est soustrait à l’agriculture.
Le Conseil économique et social considère, dans une perspective de développement durable,
qu’une maîtrise foncière fondée sur une approche plus cohérente, au niveau régional, des droits
d’utilisation du sol, stable dans la durée, est nécessaire pour concilier les divers usages du sol.
BONREPAUX A., GISCARD D’ESTAING L., Rapport sur l’exécution des contrats de plan État-régions et la program-
mation des fonds structurels européens, rapport d’information, n° 2421, juin 2005, Assemblée nationale, 126 p.
Les contrats de plan État-régions et les fonds structurels européens : des leviers essentiels pour
l’investissement public dans les régions/une exécution retardée/l’exécution des contrats de plan
État-régions au niveau local/un retard provoqué par des causes structurelles et conjoncturelles/la
consommation des fonds structurels européens/vers une nécessaire réforme des contrats de plan
État-régions.
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BRUNET R., Le développement des territoires. Formes, lois, aménagement, Paris, éditions de l’Aube, 2005, 95 p.
(« Intervention »).
Roger Brunet nous montre dans cet ouvrage qu’à travers le monde et malgré la diversité des
cultures, les rapports des sociétés à leur territoire dessinent leurs besoins élémentaires, leurs
modes de pensée, leurs motivations et principes d’actions. Les figures spatiales qui en résultent
ont du sens, elles nous disent quelque chose du processus en jeu, des dynamiques à l’œuvre,
des stratégies des acteurs, des tendances, des évolutions et de la société qui les produit.
Ce livre révèle, à travers les figures connues du maillage, de l’arborescence, des passages et des barrières,
les grandes lois de l’organisation des espaces géographiques : division spatiale du travail, mise en réseau,
attraction, cantonnement...
CADIOU S., MAUBERT C., « Au centre des forces locales. Éléments et enjeux d’une réflexion prospective »,
Les Cahiers du Plan, n° 7, juin 2005, 95 p.
Ce cahier se présente comme un outil d’accompagnement de la réflexion prospective initiée par
le groupe Racines sur les rapports entre l’État et les pouvoirs locaux. Appuyé sur une démarche
progressive d’analyse des différents échelons locaux – les villes, les départements, les régions –,
il repère les enjeux territoriaux d’avenir par un croisement de données socio-économiques,
culturelles, juridiques et politiques et par une inscription dans des perspectives d’ensemble.
CARAYON B., Politique industrielle : les outils d’une nouvelle stratégie, rapport d’information, n° 2299, mai 2005,
Assemblée nationale, 100 p.
Depuis dix-huit mois, l’idée d’une politique industrielle volontariste n’est plus taboue.
L’expression de « politique industrielle » est à nouveau employée dans le discours politique.
L’enchaînement des délocalisations et l’interrogation sur la perte de substance industrielle de
la France ont suscité un regain d’intérêt collectif. Une mauvaise appréciation du périmètre
industriel, ainsi qu’une approche européenne dogmatique de l’économie, ont jusqu’ici empêché
toute anticipation et servi d’alibis à l’inaction. Aujourd’hui, sans initiative française, la nouvelle
donne économique mondiale et les défis énergétiques et démographiques condamneront
l’Union européenne à un sous-développement durable. Il est urgent d’agir, d’autant que nos
grands concurrents, États-Unis, Japon ou Chine, mènent une politique industrielle active. La
prise de conscience de la nécessité d’une véritable politique industrielle est aujourd’hui réelle,
ainsi que l’attestent la création de l’Agence de l’innovation industrielle et celle des pôles de
compétitivité. Reste à adopter une véritable stratégie et à mettre en cohérence les structures et
les outils juridiques, financiers et fiscaux de la politique industrielle.
CHAPUIS J.-Y., CHALAS Y., ASCHER F., LEVY J. et al., Villes en évolution, Paris, La Documentation française,
2005, 187 p., bibliographie (« Villes et société »).
La ville s’étend, la ville triomphe, la ville évolue ; mais de quelle ville s’agit-il ? En publiant les
synthèses des conférences-débats, organisées en 2002, 2003, 2004 autour de cette question par
la délégation aux formes urbaines de Rennes métropole, l’Institut des villes souhaite partager
une réflexion pour contribuer à créer de la culture urbaine et architecturale entre les élus et les
services des communes et des agglomérations. La diversité des intervenants, experts, chercheurs
et praticiens, permet de donner une analyse approfondie et diversifiée de la ville de demain qui
s’invente aujourd’hui.
COMMISSARIAT GÉNÉRAL DU PLAN, GROUPE DE TRAVAIL MANON, Horizons 2020 : conflits d’usage dans les
territoires, quel nouveau rôle pour l’État ? Paris, CGP, 31 mars 2005, 194 p.
Oppositions aux aménagements routiers, ferroviaires ou aéroportuaires, réactions à la pollution
des eaux et de l’air par les activités de production ou d’élimination des déchets, antagonismes
liés aux projets de protection, rivalités entre adeptes des activités de loisirs : les sources de
conflits d’usage sont nombreuses dans les espaces ruraux et périurbains. Leur généralisation
peut freiner l’activité économique mais aussi la préservation des ressources des espaces ruraux.
Ces conflits, dans lesquels l’État apparaît à la fois comme arbitre et comme acteur mis en
cause pour des opérations d’aménagement ou de protection sous sa responsabilité, posent la
question de fond des formes de participation démocratique utilisées pour régler la concurrence
entre usages. Le groupe de travail prend position en définissant de façon précise la notion
de concertation, souligne son importance mais récuse, de manière argumentée, l’idée de
codécision. Il montre qu’à l’horizon de quinze ans, plusieurs modes dominants de résolutions des
conflits peuvent s’imposer et analyse leurs possibles conséquences positives comme négatives.
DELBO R., La décentralisation depuis 1945, Paris, Dexia éditions, LGDJ, 2005, 118 p., (« Politiques Locales »)
De l’après-guerre jusque dans les années 1970, la décentralisation fut d’abord une grande
idée portée par les débats sur l’aménagement du territoire et le renouveau régional. À partir
des années 1980, la décentralisation est un véritable projet politique qui va bouleverser
progressivement l’organisation institutionnelle de la République.
Cet ouvrage, construit autour de vingt-cinq dates clés, apporte un éclairage précis sur les
différentes étapes qui ont marqué l’histoire de la décentralisation ces soixante dernières années.
DUFAU J.-P., BLESSIG E., Rapport d’information sur les instruments de la politique de développement durable,
rapport d’information, n° 2248, avril 2005, Assemblée nationale, 157 p.
Le développement durable s’impose avec force dans la vie politique d’aujourd’hui. Quelles
en sont les références ? Comment le faire entrer dans les politiques publiques, européennes,
nationales, locales ? Comment mesurer l’efficacité des actions entreprises dans ce domaine ? Ce
rapport d’information s’est attaché à cerner ces questions. Après une analyse de l’historique du
concept de développement durable, et une description des stratégies et des politiques menées
par la France dans ce domaine, il formule quatorze propositions pour des instruments de mesure
et d’action, une meilleure prise en compte du développement durable dans le débat public et
son intégration dans le débat parlementaire.
DUMONT G.-F., LECLERC P., LYAZID M., GWIAZDZINSKI L., « Vieillissement et territoire », Population et Avenir,
n° hors-série n° 674 bis, septembre 2005, 23 p., cartes.
Ce document riche en cartes procède à un diagnostic du vieillissement général de la population
en étudiant les disparités géographiques et les facteurs de ces disparités, les tendances et les
perspectives du vieillissement, les paradoxes de la gérontocroissance projetée, les effets de
vieillissement des migrations. Il propose des actions innovantes en matière de politique territoriale
du vieillissement et d’offre de services pour le maintien à domicile des personnes âgées.
DUPUCH S., MOUHOUD E.M., LAZZERI Y., MICHALET C.-A., JAYET H., « La localisation des activités et les stra-
tégies de l’État : contributions au débat », Les Cahiers du Plan, n° 5, mai 2005, 58 p.
Intégration, élargissement et divergences structurelles en Europe : quel avenir pour les régions
périphériques ?/vulnérabilité des zones d’emploi au commerce international/délocalisations : une
nouvelle grande menace industrielle ?/évolutions sectorielles et évolutions géographiques.
FRÉMONT A., Géographie et action, l’aménagement du territoire, Paris, éditions Arguments, 2005, 218 p.
L’aménagement du territoire, apparu sous la Quatrième République et consacré par la
création de la DATAR en 1963, a offert à beaucoup d’universitaires, et particulièrement à des
géographes, des possibilités d’action en dehors du champ académique tout en valorisant celui-
ci. Armand Frémont a eu l’opportunité de combiner géographie et action publique comme
professeur de géographie à l’université puis dans différentes fonctions de caractère administratif
et politique. Cet ouvrage est un recueil de textes qui jalonnent ce parcours dont le terrain
principal est la Normandie.
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GAUDIN T., La prospective, Paris, PUF, 2005, 126 p. (« Que sais-je ? » n° 3737)
Depuis toujours, l’espèce humaine cherche à appréhender son avenir. Cet ouvrage propose une
histoire de la prospective, depuis la divination pratiquée sous l’Antiquité jusqu’à nos jours où elle
prend une allure scientifique. Il présente également les outils les plus actuels de la prospective :
modélisations démographiques, économiques, écologiques, techniques d’animation... et prend
spécialement en considération l’ethnotechnologie (étude des interactions technologie-société),
car le passage de la civilisation industrielle à la civilisation cognitive bouleverse les métiers et les
pratiques sociales.
GIBLIN B. (dir.), Nouvelle géopolitique des régions françaises, Paris, Fayard, 2005, 976 p.
En deux décennies, la France a considérablement changé et ce sont ces changements que les
auteurs ont analysés selon une approche géopolitique.
Sur le plan de l’organisation politique et administrative, la mise en place de la régionalisation a
profondément fait évoluer les rapports de pouvoirs entre les différentes collectivités territoriales,
communes et départements. L’accroissement des compétences octroyées à chaque niveau de
pouvoir a entraîné celui de la responsabilité des élus et aussi parfois leurs rivalités. Les lois de
décentralisation n’ont en aucune façon affaibli les pouvoirs des communes et des départements
au profit des régions, bien au contraire.
À cela, il faut ajouter de nouveaux territoires de gestion que sont les intercommunalités et
qui sont loin de n’être que des territoires où se règlent des questions techniques (logements,
déchets…), ce sont avant tout aussi des lieux de pouvoirs.
GRALE, « Le financement des politiques locales », in : Annuaire 2005 des collectivités locales, Paris, CNRS éditions,
2005, 639 p.
Avec la nouvelle réforme de la décentralisation, on parle beaucoup des finances locales : l’État
compense-t-il vraiment les transferts de compétences ? Qui est responsable de la hausse de la
fiscalité ? Mais on parle beaucoup moins du financement des politiques locales. Au-delà des
problèmes budgétaires généraux, les collectivités territoriales définissent en effet des politiques
et recherchent les moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Chaque politique sectorielle révèle
alors des spécificités de financement qui condamnent l’idée d’uniformité et de globalisation.
Les moyens budgétaires ne sont plus seuls en cause ; au contraire, on cherche à mobiliser des
ressources extérieures par des formes variées de partenariat, dans le secteur public ou avec
le secteur privé, marchand ou non marchand. Il en résulte des procédures particulières, des
contraintes différentes et des coopérations à géométrie variable. Chaque politique publique
locale se révèle alors pour ce qu’elle est : un champ de forces et un système d’action, dans
lequel le financement est une ressource décisive dont dépend, bien souvent, l’ampleur ou le
succès de la politique entreprise.
GREFFE X., La décentralisation, nouvelle édition, Paris, La Découverte, 2005, 122 p. (« Repères »)
Cet ouvrage présente le dossier de la décentralisation et l’agenda des réformes en cours, en
montrant la tentative d’échapper à une culture de la centralisation qui continue de marquer les
milieux politiques et administratifs et en comparant l’expérience de la France avec celle des
autres pays européens.
GUILLAUME R. et al., Globalisation, systèmes productifs et dynamiques territoriales. Regards croisés au Québec
et dans le Sud-Ouest français, Paris, L’Harmattan, 2005, 327 p., bibliogr. (« Géographies en liberté »).
Cet ouvrage vise à éclairer, à partir de l’analyse de cas concrets au Québec et dans le Sud-
Ouest français, l’impact territorial de mutations économiques qui s’expriment dans un contexte
concurrentiel exacerbé et (ré)activent un jeu d’acteurs locaux dont l’ambition est double. Il s’agit,
dans le cadre d’une action publique rénovée, de renforcer la dimension relationnelle interne
à ces configurations territoriales et de susciter une meilleure connectivité avec des réseaux
productifs qui se déploient à l’échelle planétaire.
LACASSE F., VERRIER P.-E. et al., 30 ans de réforme de l’État. Expériences françaises et étrangères : stratégies
et bilans, Paris, Dunod, 2005, 246 p., bibliogr. (« Management public »)
Réformer l’État est sans doute la chose la plus difficile qui soit, tant notre conception de la
sphère publique est ambivalente : les usagers veulent moins d’impôts mais plus de prestations,
les syndicats défendent le service public en bloquant parfois son fonctionnement, les haut-
fonctionnaires attendent leur retraite pour suggérer les réformes nécessaires et les responsables
politiques s’autorisent toutes les audaces… quand ils sont dans l’opposition. Passer des projets
de réforme à leur mise en œuvre n’est pas facile et pourtant les choses bougent sous la pression
des contraintes budgétaires et des évolutions de l’environnement. En France et à l’étranger, les
trente dernières années ont été marquées par des changements notables dans l’organisation et
le fonctionnement de l’État.
C’est le bilan de ces réformes que retrace cet ouvrage, issu du colloque international de la revue
Politiques et Management Public organisé en novembre 2003 à Strasbourg.
LACOUR C. DELAMARRE A. THOIN M., 40 ans d’aménagement du territoire, 2e édition actualisée, Paris,
La Documentation française, DATAR, 2005, 153 p.
Créée en 1963 par le général de Gaulle, la Délégation à l’aménagement du territoire et à
l’action régionale fête aujourd’hui ses quarante ans. Une occasion de retracer les grandes étapes
de la politique d’aménagement du territoire. Des métropoles d’équilibre aux reconversions
industrielles, des aides en faveur des zones rurales aux aménagements touristiques, d’un acteur
prépondérant – l’État – à la montée en puissance des collectivités locales et de l’Europe, voici
quelques repères clés de ce grand chantier qui a marqué la deuxième moitié du XXe siècle.
LEVET J.-L., « Localisation des entreprises et rôle de l’État : une contribution au débat », Les Cahiers du Plan, n° 2,
avril 2005, 60 p.
L’étude qualitative menée par Jean-Louis Levet a pour but d’expliquer les raisons qui poussent
de nombreuses entreprises industrielles françaises à demeurer sur le territoire national, à partir
duquel elles essaient de croître et d’accéder à des marchés plus vastes. Ce rapport propose :
une synthèse des opinions, analyses et représentations des personnes rencontrées, les enjeux
auxquels sont confrontées ces entreprises, les relations qu’elles entretiennent avec les territoires
et un ensemble de principes pour l’action publique et d’orientations susceptibles d’être mises en
œuvre.
LONG M. et al., Égalité et services publics territoriaux, CNFPT, LGDJ/Dexia éditions. 2005. 211 p., bibliographie.
Principe fédérateur de notre ordre juridique, le principe d’égalité semble devoir entrer
directement en conflit avec celui de décentralisation. Pour autant, l’égalité telle qu’elle est
définie aujourd’hui, n’est pas l’uniformité et, selon la terminologie retenue par le Conseil
constitutionnel et le Conseil d’État, le principe d’égalité implique simplement de ne pas traiter
de façon différente des situations identiques, sauf pour des raisons liées à un intérêt général en
rapport avec l’objet du service.
Dans ces conditions, se pose la question de savoir si le principe d’égalité, tel que le conçoivent
les citoyens, n’est pas un mythe. L’objet de cet ouvrage sera de confronter ces deux grandes
notions du droit public que sont le principe d’égalité et la notion de service public. Il permettra
d’examiner si la territorialisation de ce dernier met en danger le principe d’égalité ou au
contraire lui donne un nouveau souffle en l’adaptant aux réalités locales et en répondant au
mieux aux besoins de différenciation des usagers.
MÉCHINEAU A., MARGERIT V., Des leviers financiers pour les politiques TIC des territoires. Approche euro-
péenne, nationale et locale, Paris, La Documentation française, 2005. 192 p. (Collection « Cahiers du GERI » ; série
« Tic et Territoires »).
Cet ouvrage fait suite à un premier livre du GERI consacré à un état des lieux de l’accès au haut
débit dans les territoires.
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Avec celui-ci, le GERI propose aux lecteurs une synthèse de l’ensemble des leviers financiers
disponibles pour leurs projets TIC pour permettre aux collectivités locales de tirer parti des
opportunités financières dont elles peuvent bénéficier dans leur action.
L’enjeu est ainsi de contribuer au développement des nouvelles technologies dans tous les
territoires, quelle que soit leur densité démographique ou leur dynamisme économique.
ROZET P.-J., Communes, intercommunalités, quels devenirs ?, Journal officiel, avis et rapports du Conseil
économique et social, n° 11, 2005, 115 p.
Le développement rapide depuis dix ans de l’intercommunalité à fiscalité propre – communautés
urbaines, communautés de communes, communautés d’agglomérations – conduit à poser de
façon radicalement différente la question des politiques publiques au niveau local.
Persuadé de la nécessité d’achever la carte de France de ces communautés et d’améliorer la
représentativité de ces structures, le Conseil économique et social propose des mesures propres
à renforcer le couple communes/intercommunalités et à préserver l’originalité de la construction
intercommunale française fondée sur le volontariat.
SAFFACHE P., Glossaire de l’aménagement et du développement local, Matoury : Ibis Rouge éditions, 2005,
205 p., bibliographie (« Documents pédagogiques – Géographie »).
Gestion du territoire, maîtrise de l’espace, développement local, sont autant d’expressions et de
concepts que les médias emploient quotidiennement et qui reflètent une seule et même réalité :
la nécessité de gérer correctement l’espace.
Ce glossaire volontairement simplifié est un outil à destination des étudiants et des décideurs; il
présente en quelques lignes les notions les plus utiles.
VADELORGE L. (dir.), Éléments pour une histoire des villes nouvelles, actes du séminaire « Temporalités et
représentations des villes nouvelles », programme d’histoire et d’évaluation des villes nouvelles, Paris, éditions Le
Manuscrit, 2005, 269 p.
VICENTE J., Les espaces de la net-économie. Clusters TIC et aménagement numérique des territoires, Paris,
Économica, 2005, 148 p., bibliographie. Collection « Nouvelles technologies de l’information et de la communi-
cation ».
Cet ouvrage propose une lecture des évolutions de la géographie économique autour de deux
enjeux majeurs. D’une part le développement des « clusters TIC », à savoir l’émergence récente
de nombre d’agglomérations d’entreprises dédiées aux technologies de l’information et de la
communication.
D’autre part, l’aménagement numérique des territoires, à savoir le rôle des dynamiques
concurrentielles et institutionnelles qui gouvernent le déploiement des infrastructures
numériques.
Cette rubrique à été réalisée par Isabelle Poirat du service documentation de la DATAR.