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Hématologie

A 68

Anémie
Orientation diagnostique
Pr François DREYFUS
Service d’hématologie (Pr J.-P. Lévy), hôpital Cochin, 75679 Paris cedex 14

Points Forts à comprendre Anémies microcytaires


L’existence d’une microcytose traduit une anomalie de syn-
• L’anémie, qu’elle soit à traduction clinique thèse de l’hémoblogine et dans la grande majorité des cas
ou qu’elle soit purement biologique, est toujours est le reflet d’une anomalie d’utilisation du fer.
pathologique. La baisse du taux d’hémoglobine, Ainsi le dosage du fer permettra de différencier : les ané-
n’est pas suffisante pour la caractériser ; il faut mies microcytaires à fer bas (260 µg/100 mL chez la femme
systématiquement obtenir le volume globulaire et 270 µg/100 mL chez l’homme), des anémies microcy-
moyen et la concentration corpusculaire moyenne taires à fer normal.
en hémoglobine. Seuls, ces deux paramètres,
pourront permettre de classer les différents types Anémies microcytaires hyposidérémiques
d’anémie. Elles correspondent à deux situations : les anémies inflam-
• Le chiffre des réticulocytes témoignant matoires, où le fer est stocké dans les macrophages sous
des caractères régénératifs ou non de l’anémie l’action des interleukines de l’inflammation IL6, TNF α ;
est la troisième constante éventuellement à obtenir les anémies par carence en fer.
pour définir le caractère central ou périphérique
de l’anémie. 1. Anémies inflammatoires
Leur diagnostic repose sur :le contexte clinique de la mala-
die inflammatoire (collagénose, infection) ; le contexte bio-
logique de maladie inflammatoire : augmentation de la
L’hémogramme fait de façon systématique ou devant un vitesse de sédimentation, augmentation du fibrinogène, des
tableau clinique évoquant une anémie l’affirme sur un taux α 2-globulines, présence d’une thrombocytose ; le dosage
d’hémoglobine inférieur à 13 g/dL chez l’homme, 12 g/dL du fer bas avec une capacité de saturation de la sidérophi-
chez la femme et l’enfant de plus de 10 ans ; 11 g/dL chez line (CTS) basse (o 50 µmol/L) ; le dosage de la ferritine
l’enfant de moins de 1 an, et de 10,5 g/dL chez la femme normal ou élevé.
enceinte durant le troisième trimestre. L’anémie n’est que le témoin de la maladie inflammatoire,
elle ne nécessite aucun traitement spécifique. Elle néces-
sie rarement des transfusions.
Orientation diagnostique
2. Anémie par carence martiale
La constatation d’une anémie diagnostiquée sur le chiffre • Biologiquement : elle associe un dosage du fer bas avec
bas de l’hémoglobine justifie l’analyse de critères biolo- une capacité de saturation de la sidérophiline augmentée
giques caractéristiques de la lignée rouge : (> 60 µmol/L) et une ferritine basse : le dosage de la fer-
– le taux des réticulocytes qui affirme le caractère central ritine est fiable et reproductible. Il est le reflet exact de la
ou périphérique de l’anémie ; quantité de fer de l’organisme. En cas d’association d’une
inflammation et d’une carence en fer, le taux de ferritine
– le volume globulaire moyen (VGM) qui permet de sépa- augmente toujours pouvant marquer la carence en fer.
rer les anémies microcytaires (VGM < 84 µ3), des anémies • Cliniquement : il faut rechercher une cause à la carence
macrocytaires (VGM > 98 µ3), des normocytaires (84 µ3 en fer. Cette recherche étiologique dépend de l’âge du
< VGM < 98 µ3). patient (tableau) : chez la femme non ménopausée, il faut
La concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine rechercher en priorité une cause gynécologique ; chez
(CCMH) permet de différencier l’hypochromie (CCMH < l’homme ou la femme ménopausée, il faut rechercher en
32 %) de la normochromie (CCMH O 32 %). priorité une cause digestive, tumorale ou non tumorale ; on
Ainsi l’analyse de ces différentes constantes permettra de recherchera en cas de négativité des investigations des
séparer : les anémies microcytaires ou hypochromes ; les causes plus rares, et des facteurs favorisants.
anémies normocytaires/macrocytaires arégénératives ; les – Causes plus rares : hémosidérinurie chronique des hémo-
anémies normocytaires/macrocytaires régénératives. lyses chroniques, parasitose (ankylostome), malabsorption

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(maladie cœliaque, absorption de terre), hémosidérose pul- lée ou de pseudo-polyglobulie microcytaire ; l’électropho-
monaire, épistaxis récidivant (maladie de Rendu Osler), rèse de l’hémoglobine est normale.
maladie psychiatrique (anémie de Fergeol).
– Facteurs favorisants : troubles de l’hémostase (maladie 2. Anémie réfractaire
de Willebrand), dons de sang répétés. Il s’agit d’anémie réfractaire le plus souvent constitution-
nelle parfois acquise.
3. Chez le nourrisson Le diagnostic repose sur la ponction sternale qui objective
La carence en fer est fréquente et est pratiquement toujours des anomalies caractéristiques des érythroblastes.
due à une carence d’apport alimentaire. La gémellité et la
carence en fer chez la mère sont des facteurs favorisants.

Anémies microcytaires Anémies normocytaires


normosidérémiques ou macrocytaires non régénératives
La normalité du fer sérique doit être contrôlée deux fois
avant de pouvoir affirmer la normalité du fer. Ce sont les plus fréquentes. L’absence de régénération ou
On doit évoquer deux pathologies : les thalassémies et les l’insuffisance de régénération devant une anémie, se défi-
anémies réfractaires. nit par un chiffre de réticulocytes inférieur à 150 000/mm3.
Cette absence de régénération ne peut être affirmée que si
1. Thalassémies le phénomène ayant induit l’anémie évolue depuis plus
Non pas tant le tableau de la β-thalassémie majeure ou d’une semaine. C’est le temps nécessaire pour que la moelle
maladie de Colley mais l’α ou la β-thalassémie mineure produise un chiffre suffisant de réticulocytes. Dans le doute,
ou hétérozygote. on recontrôlera le chiffre des réticulocytes et l’on conduira
• La β-thalassémie atteint le sujet du pourtour méditer- une double enquête étiologique : celle d’une anémie nor-
ranéen et d’Asie du Sud-Est ; réalise au tableau de micro- mocytaire non régénérative et celle d’une anémie normo-
cytose isolée ou pseudo-polyglobulie microcytaire ; le cytaire régénérative.
diagnostic repose sur électrophorèse de l’hémoglobine En dehors de cette circonstance, le caractère arégénératif
objectivant une augmentation de l’hémoglobine A2 O témoigne du caractère central de l’anémie. Cette atteinte
3,5 %. centrale peut être secondaire à une pathologie extrahéma-
• L’α-thalassémie : atteint les sujets noirs et les sujets tologique ou due à une pathologie médullaire.
d’Asie du Sud-Est ; réalise un tableau de microcytose iso-
Anémie normochrome,
macrocytaire non régénérative
due à une pathologie extramédullaire
Cause des carences en fer 1. Anémie due à une insuffisance rénale
chez l’adulte Due à l’absence de production d’érythropoïétine. L’inten-
sité est proportionnelle à l’insuffisance rénale mesurée par
Gynécologiques le taux sanguin de créatinine.
– fibrome ou polype utérin
– cancer vaginal ou utérin 2. Anémie au cours
– déséquilibres hormonaux des insuffisances endocrines
– dispositif de contraception intra-utérin
De nombreuses pathologies endocrines s’accompagnent
Digestives :
d’une anémie non régénérative.
• non tumorales
– œsophagite peptique Thyroïdienne (hypo- ou hyperthyroïdie), insuffisance sur-
– varice œsophagienne rénalienne, hypogonadisme, hyperparathyroïdisme, hypo-
– hernie hiatale * pituitarisme.
– gastrite médicamenteuse ou alcoolique
– diverticule de Meckel 3. Anémie et alcoolisme
– maladie de Crohn/rectocolite hémorragique L’intoxication alcoolique peut par de multiples mécanismes
– angiodysplasie colique entraîner une anémie non régénérative. Sidération médul-
– polype laire au cours d’une intoxication aiguë, macrocytose due à
– hémorroïdes*
des anomalies des lipides membranaires érythroctaires, syn-
• tumorales drome hypersplénisme, carence vitaminique (B12, folates).
– cancer
– syndrome de Kaposi 4. Syndrome inflammatoire débutant
– ampulome watérien
– lymphome Avant l’apparition de la microcytose, l’anémie inflamma-
* Ce sont des diagnostics d’élimination
toire est normocytaire ; le contexte clinique et biologique
permet d’affirmer le diagnostic.

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Hématies en larme. Aspect caracté- Hématies avec Plasmodium falcipa- Schizocytes, témoignant
ristique sur lame, avec des globules rum, responsable d’hémolyse aiguë infec- d’une anémie hémolytique d’ori-
rouges allongés ; témoignant de la pré- tieuse. gine mécanique.
sence d’une fibrose médullaire.

5. Hémodilution hydrie histamino-résistante avec absence de facteur intrin-


Il faut la suspecter quand l’anémie apparaît dans un sèque, démontrée par son dosage dans le liquide gastrique
contexte évocateur : insuffisance cardiaque gauche, splé- ou par un test de Schilling avec ou sans facteur intrinsèque.
nomégalie, présence d’un pic à l’électrophorèse des pro- S’il ne s’agit pas d’une maladie de Biermer, il faudra
tides au niveau des β2 ou α-globulines. rechercher une infection par le botriocéphale ou un syn-
En dehors de ces circonstances, une exploration de la drome de malabsorption.
moelle s’impose par une ponction sternale dans un premier 3. Syndromes myélodysplasiques
temps. Ils touchent essentiellement les sujets âgés ; l’anémie nor-
Anémie normochrome mocytaire ou macrocytaire non régénérative est le stigmate
due à une pathologie médullaire biologique le plus fréquent.
Leur diagnostic est réalisé par la ponction sternale qui per-
La ponction permettra ainsi de différencier plusieurs met en outre de préciser le pronostic. En effet, les anémies
aspects cytologiques : l’absence de lignée rouge médullaire réfractaires sans blastes ont une durée de vie longue de plu-
ou érythroblastopénie ; des anomalies morphologiques des sieurs années alors que les anémies réfractaires avec un
cellules médullaires soit à type de mégaloblastose, soit à excès de blastes vont évoluer rapidement vers une leucé-
type de dysmyélopoïèse. Enfin, la ponction est peu riche mie en quelques mois.
en cellules ou normale, imposant alors la biopsie médul-
laire. 4. Moelle envahie
1. Érythroblastopénie La ponction sternale permettra d’objectiver un envahisse-
ment par des cellules tumorales hématopoïétiques (leucé-
Elle réalise un tableau biologique assez caractéristique mie aiguë, lymphome, myélome) ou extrahématopoïétiques
puisque outre l’anémie, le taux des réticulocytes est nul et (métastases). Le plus souvent, l’anémie s’associe à une
que la lignée rouge de la moelle n’est pas représentée. On myélémie ou à une érythroblastémie assez caractéristique.
distingue les érythroblastopénies aiguës survenant au
décours d’une infection à parvovirus B19 ou après une prise 5. Moelle pauvre ou normale
médicamenteuse ou lors de l’évolution d’une leucémie Devant ce résultat du myélogramme, il faut proposer une
lymphoïde chronique et les formes chroniques : chez biopsie médullaire. Seule, en effet, la biopsie permettra de
l’adulte, devant faire rechercher une tumeur bénigne thy- faire le diagnostic d’une aplasie médullaire devant une
mique, chez l’enfant, un syndrome de Blackfan-Diamond. moelle désertique, d’une myélofibrose en précisant son
importance, une lésion métastatique non vue au myélo-
2. Mégaloblastose gramme ou enfin un tableau de myélodysplasie à moelle
Elle réalise un aspect cytologique médullaire typique pauvre.
témoignant d’une carence en acide folique ou en vitamine
B12. Il convient après le dosage de ces vitamines et avant
tout traitement (ou transfusion) de rechercher en premier Anémie normocytaire
lieu une carence en folates. Elle est le plus souvent due à ou macrocytaire régénérative
une carence d’apport ou à un excès d’utilisation (grossesses
répétées, alcoolisme, médicaments antifoliques) ; moins Le caractère régénératif (réticulocytes O 150 000/mm3)
souvent, elle est due à une carence d’absorption (entéro- affirme la nature périphérique de l’anémie. Il faut recher-
pathie exsudative, chirurgie digestive extensive). cher en premier lieu un syndrome hémorragique, une
Si aucune cause n’est retrouvée, il faut rechercher une hyperhémolyse, et en cas de négativité de ces deux causes,
carence en B12 dominée par la maladie de Biermer. Son dia- il faut évoquer la réparation d’une insuffisance de l’éry-
gnostic repose sur : un dosage vitaminique bas et une achlor- thropoïèse.

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ANÉMIE

Syndrome hémorragique D’autres anomalies de la membrane (elliptocytose, acan-


thocytose) peuvent donner le même tableau.
Il est souvent évident parfois, s’inscrivant dans un contexte • Anomalies de l’hémoglobine : la drépanocytose homo-
particulier (troubles de l’hémostase, prise d’anti-inflam- zygote et parfois hétérozygote responsable d’hyperhémo-
matoires, traitement anticoagulant), parfois plus difficile, lyse. Le diagnostic, outre l’enquête familiale, repose sur
si l’hémorragie n’est pas extériorisée. Il est donc impor- l’électrophorèse de l’hémoglobine.
tant de rechercher un contexte évocateur, des signes de L’hémoglobine C et les hémoglobines instables sont les
choc, des signes d’anémie aiguë (pâleur cutanéo- deux autres causes d’hémoglobinopathie provoquant une
muqueuse, sensation de soif, vertiges, asthénie brutale). hyperhémolyse.
• Anomalie enzymatique : de très nombreux déficits enzy-
Hyperhémolyse matiques peuvent provoquer une hyperhémolyse. Deux
résument la grande majorité : glucose 6 phosphate des
Si l’anémie s’accompagne de stigmates d’hémolyse, outre hydrogénases (G6PD) et pyruvate-kinase (PK).
la régénération, on note l’effondrement de l’haptoglobine Le déficit en G6PD, touchent essentiellement l’homme et
et l’augmentation de la bilirubine libre. réalise des crises d’hémolyse au décours de la prise médi-
camenteuse (antipaludique, sulfamide) ou de fièvres.
1. Hémolyses extracorpusculaires Leur diagnostic repose sur l’histoire familiale, la présence
de corps de Heintz sur le frottis sanguin et le dosage de
Le globule rouge est normal, il est détruit par un agent ou
l’enzyme à distance de la crise hémolytique.
un mécanisme qui lui est extérieur. Pour en faire le dia-
Le déficit en PK est plus rare touchant également l’homme
gnostic en cas de difficultés, la durée de vie d’un globule
et la femme ; le diagnostic se fait par dosages enzymatiques
rouge allogénique compatible peut être d’un apport impor-
et par le test d’autohémolyse corrigé par adhénosine tri-
tant. Leur durée de vie diminuée confirme la nature extra-
phoshate. ■
corpusculaire du phénomène.
Il faut évoquer une cause infectieuse, paludisme septicé-
mies à gram-négatif ; une intoxication par le plomb ; une
morsure de serpent, une valve cardiaque mécanique ; une
microangiopathie thrombotique ;un effort physique impor-
Points Forts à retenir
tant (hémolyse du marathonien) ; une cause immunolo-
gique avec mise en évidence anticorps anti-érythrocytaire, • Ce n’est que grâce à une analyse soigneuse de la
par le test de Coombs. numération que l’on peut orienter correctement
Ainsi, le contexte clinique est évocateur. En plus des signes les recherches étiologiques devant une anémie.
d’hémolyse, le contexte fébrile conduira à faire pratiquer Toute interprétation inexacte d’une de ses trois
une goutte épaisse et des hémocultures. Une anémie méca- valeurs, conduira à des demandes d’examens
nique fera rechercher des schizocytes, dont la présence inutiles.
confirme le mécanisme de l’hémolyse. En cas de suspicion • Parfois, l’anémie a des causes multiples et c’est
d’hémolyse, la réalisation du test de Coombs permettra de par la confrontation clinique et biologique, que
confirmer sa nature immunologique sans que ce dernier l’on pourra déterminer l’ensemble des causes de
puisse préciser le caractère auto-immun, allo-immun ou l’anémie.
immuno-allergique de l’hémolyse. • La surveillance de l’évolution de l’anémie au
décours du traitement permettra de conforter la
2. Hémolyse corpusculaire justesse du diagnostic.
Elle s’inscrit le plus souvent dans une histoire familiale
qu’il faut rechercher ; elle peut être due à des anomalies ;
• Membranes : la plus fréquente des anomalies est la mala- POUR EN SAVOIR PLUS
die de Minkowsky-Chauffard ou microsphérocytose héré-
Bernard J, Lévy JP, Varet B. Hématologie. Parisss : Masson, 1990.
ditaire, caractérisé par le caractère familial ; l’autohémo-
lyse augmentée, corrigée par adjonction de sucre fait le Wintrobe MM. Clinical hematology. 7th ed, Philadelphia 1975.
diagnostic.

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