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Günter Grass
le dernier mot
Norman Mailer
décevant
Lee Miller
passionnant
Fred Deux
Peinture et poésie
Psychanalyse et Neurologie
le dialogue, enfin !
955. Du 16 au 31 Octobre 2007/PRIX : 3,80 t (F. S. : 8,00 - CDN : 7,75) ISSN 0048-6493
D’UNE QUINZAINE À L’AUTRE
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SOMMAIRE DE LA QUINZAINE 955
ESSAIS LITTÉRAIRES JOSÉ-LUIS DIAZ 14 L’ÉCRIVAIN IMAGINAIRE, SCÉNOGRAPHIES PAR JEAN-M. GOULEMOT
AUCTORIALES À L’ÉPOQUE ROMANTIQUE
PSYCHANALYSE CATHERINE MALABOU 20 LES NOUVEAUX BLESSÉS : DE FREUD PROPOS RECUEILLIS PAR LUCETTE FINAS
À LA NEUROLOGIE. ENTRETIEN
DROIT MIREILLE DELMAS-MARTY 23 LES FORCES IMAGINANTES DU DROIT (III) PAR MONIQUE CHEMILLIER-GENDREAU
Pour tout changement d’adresse : envoyer 1 timbre à 0,54 t avec la dernière bande reçue.
Prix du numéro au Canada : $ 7,75.
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D’UNE QUINZAINE À L’AUTRE
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EN PREMIER
Günter Grass :
le dernier mot
Peut-on, plus de soixante après, approcher l’être qu’ on fut, ses erreurs et ses
errances, son horreur même ? C’ est la tentative de Günter Grass, dans un livre auto-
biographique où il explore sa propre jeunesse, livre qui fit grand bruit l’ été 2006 de sa
publication en Allemagne...
LAURENT MARGANTIN
GÜNTER GRASS à la cause d’un seul, fût-il dément. Non pas la écart du fils aurait pu coûter la vie à toute la
PELURES D’OIGNON volonté de faire le mal, mais plutôt celle famille. Des années après, Grass retrouve
Beim Häuten der Zweibel d’ignorer le mal commis partout autour de l’ami disparu du jour au lendemain, qui lui
trad. de l’allemand par Claude Porcell soi, par amour d’une fiction, celle du chef raconte ce qui s’est passé après sa disparition.
Seuil éd., 412 p., 22,80 euros guidant et regénérant le peuple allemand. Son père, qui avait été député social-démo-
A plusieurs reprises dans ce récit autobio- crate, fut arrêté par la Gestapo et déporté en
graphique, l’écrivain se questionne sur sa camp de concentration. La mère se suicida
propre indifférence et ne cesse de revenir sur quelques jours plus tard. Heinrich et sa sœur
ce sentiment de honte qui le saisit soixante furent envoyés chez la grand-mère. Le père
ans après les événements. Car toutes les réussit toutefois à passer dans le camp russe
rass n’y va pas par quatre chemins. On années de guerre sont remplies de scènes qui
G peut voir d’abord Pelures d’oignon
comme le simple récit des années qui précé-
et finit par retrouver ses enfants, mais dut
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EN PREMIER SUITE GRASS/MARGANTIN
je pu voir disparaître l’ami Heinrich sans brûlèrent et les vitrines furent brisées, j’étais opposé comme dans un miroir déformant
chercher à m’informer à son sujet ? Il se certes inactif, mais j’étais là en tant que spec- l’image d’Oskar, l’enfant du Tambour :
remémore avec horreur que ces événements tateur curieux, j’observai comment une horde monstre éveillé à toutes les horreurs autour
ne l’empêchèrent pas de s’enthousiasmer de SA mirent à sac, dévastèrent la synagogue de lui, tandis que le futur écrivain, lui, ne
pour l’Allemagne et le régime nazi, au point de la Michaelisweg, non loin de mon école ». voyait rien de ce qui se passait. Étrange
de demander à être enrôlé dans l’armée alle- Cette passivité était l’expression d’une conni- phénomène qui serait propre à la littérature et
mande, pour finir dans la Waffen-SS. vence profonde : « En tant que membre des à l’art, et que Grass illustre et explore parfai-
Comment expliquer cet aveuglement devant Jeunesses hitlériennes, j’étais un jeune nazi. tement en mettant toujours en arrière-plan de
le mal absolu ? « Le souvenir aime le jeu de Croyant jusqu’à la fin. (...) Pour décharger le son récit autobiographique les futures figures
cache-cache des enfants, écrit l’auteur du jeune homme et moi du même coup, on ne de ses romans : ce que l’homme pris dans le
Tambour. Elle dissimule. Elle tend à la belle peut pas dire : On nous a séduits ! Non, nous flux de l’histoire ne sait pas décrypter,
parole et maquille, souvent sans nécessité. nous sommes, je me suis laissé séduire ». l’écrivain le peut, déchirant le voile du passé
Elle contredit la mémoire, qui se montre « Pour que paraisse enfin la vérité », écri- à travers la fiction. C’est en cela que Grass
pédante et qui, querelleuse, veut avoir raison. vais-je plus haut. Comme si, en somme, en aurait le dernier mot, malgré tout : dans sa
Quand on lui pose des questions, le souvenir nous dévoilant son ancienne appartenance capacité à regarder fixement celui qu’il fut,
ressemble à un oignon, qui veut être épluché, aux Waffen-SS et son enthousiasme de jeune interrompant l’activité fictionnelle. Mais
afin que puisse apparaître lettre après lettre nazi, Grass nous disait enfin la vérité, après avoir le dernier mot, n’est-ce pas aussi, en
ce qui peut être lu : rarement univoque, avoir longtemps menti. Le fait qu’il se soit tu l’occurrence, ne plus nourrir son écriture
souvent écrit à l’envers comme dans un sur cette faute ne devrait toutefois pas d’un silence honteux, c’est-à-dire achever
miroir ou bien encore énigmatique. » Tout au conduire le lecteur fidèle à oublier ce que l’œu-vre ? (1)
long de son récit, Grass avance d’énigme en doit l’écrivain Grass à cette honte, à ce péché
énigme, cherchant à éplucher l’oignon peau originel : sans elle et sans lui, sans son silen- 1. A signaler la parution également au Seuil
après peau, jamais sûr de bien comprendre ce aussi, jamais les fictions où il est toujours d’un livre de Per Øhrgaard intitulé Günter Grass,
les vraies raisons d’un aveuglement persis- question de l’Allemagne n’ auraient pu naî- l’homme et l’œuvre, qui permet de faire le point
tant. « Lorsqu’après mon onzième anniver- tre. Grass a œuvré à partir de sa connaissan- sur le parcours de l’écrivain (un chapitre est
consacré à Pelures d’oignon).
saire à Dantzig et ailleurs les synagogues ce intime de la conscience nazie, et lui a
ROMANS, RÉCITS
ANDRÉ BLEIKASTEN
NORMAN MAILER historiques la matière de leurs fictions, il Reich et l’un des plus grands massacreurs de
UN CHÂTEAU EN FORÊT reconnaît volontiers sa dette envers les histo- l’histoire humaine ? Comment Hitler a-t-il
The Castle in the Forest riens dans la bibliographie de six pages qui été possible ?
trad. de l’anglais par Gérard Meudal clôt son ouvrage. Mailer n’est pas le premier à se poser la
Plon éd., 458 p., 22 euros Si l’historien s’arrête le plus souvent au question, ni le dernier à vouloir y répondre.
seuil de l’intime, rien n’interdit au romancier Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’y prend
de s’aventurer hors du connu et d’imaginer ce d’une drôle de façon. Le récit revient en effet
qui échappe à l’ordre des faits vérifiables. à un certain DT. ou Dieter, qui se présente
e Château en forêt, paru aux États-Unis Considérant Hitler comme « l’être humain le d’abord comme un ancien SS, auquel
L en février, en est le premier volet. Avant
de l’écrire, Mailer prit la peine de lire tous les
plus mystérieux du vingtième siècle », Mailer
a voulu cerner la psychogenèse du Führer à
Heinrich Himmler avait demandé d’enquêter
sur les origines d’Hitler, mais nous apprend
biographes du monstre, de Hugh Trevor- travers le récit de son enfance et de son au bout d’une soixantaine de pages qu’il est
Roper, Joachim Fest et Ernst Nolte à George adolescence dans une famille de petits bour- en fait un démon chargé de mission par le
Mosse et Ian Kershaw, et ainsi que le font geois autrichiens à la fin du dix-neuvième et « Maestro », c’est-à-dire par Satan lui-même.
désormais, aux États-Unis comme en au tout début du vingtième siècle. Comment A en croire son témoignage, un diable était
Grande-Bretagne, la plupart des romanciers un homme aussi quelconque a-t-il pu devenir déjà présent pendant la nuit de juillet 1888 où
qui tirent d’événements et de figures le maître charismatique et féroce du troisième Hitler fut conçu, et Dieter eut pour tâche de le
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ROMANS, RÉCITS
suivre et de le guider en secret de son enfance le dernier chapitre nous rapporte qu’au terme toujours bon pied bon œil, mais l’écrivain a
à son adolescence et de veiller sur lui jusqu’à de sa scolarité, après une nuit de beuverie vieilli, son égotisme a perdu sa batailleuse
ce qu’il eût accompli sa sinistre besogne de pour fêter sa réussite au dernier examen qui insolence, sa prose son panache. Aux défis
mort. En faisant de cet ange gardien du mal lui manquait, Adolf déchire son diplôme en audacieux ont succédé les paris stupides, au
son narrateur, Mailer a sans doute voulu quatre morceaux pour s’en torcher le cul, ni bouillonnement d’une écriture en quête du
légitimer le point de vue omniscient adopté qu’il se sente « pénétré de grandeur » réel un insipide bouillon. Écrire la vie de
dans le roman. Non seulement ce narrateur
venu de l’Enfer laisse entendre qu’il sait tout
ce qu’il y a à savoir, il n’arrête pas de nous
asséner ses spéculations et ses réflexions sur
Hitler et se flatte de « comprendre parfaite-
ment sa psychologie ». Peut-être faut-il faire
la part de l’ironie du romancier. A supposer
qu’il ne faille pas prendre Dieter tout à fait au
sérieux, quel crédit sommes-nous censés
accorder à son récit et que gagnons-nous à
lire ses pompeux commentaires ? Et que faire
des cohortes de démons et d’anges de
l’extravagante cosmologie mailerienne ?
Dans Un Château en forêt, Mailer ne se
contente pas de récrire l’histoire à sa façon, il
l’escamote entièrement. Ce roman présumé
historique n’est en dernier ressort rien de plus
que la chronique souvent salace d’une famille
de paysans autrichiens à peine décrottés, et
l’auteur a beau nous convier à la lire comme
un épisode de l’éternelle bataille entre « les
deux Royaumes, le Divin et le Satanique »,
l’allégorie reste lettre morte. Il s’en faut du
reste qu’Hitler soit la figure centrale du récit.
Et si l’on peut encore parler de biographie, le
contexte socio-historique n’y tient guère de
place. Peut-être Mailer lui en accordera-t-il
davantage dans les deux volumes suivants.
Pour l’instant son Hitler n’est qu’un sale gosse
grandissant entre une mère trop douce et un
père autoritaire, et sa « psychologie » se réduit
à la plus rudimentaire des psychanalyses.
Pour Mailer, on le sait, le plus important
est d’ordre « métaphysique », et sa concep-
tion manichéenne du bien et du mal le
conduit tout naturellement à diaboliser Hitler,
comme l’avait déjà fait Albert Speer, son
ministre de l’armement, qui parlait de
l’homme qu’il avait vénéré et servi avez zèle
comme d’un « personnage démoniaque »,
« un de ces phénomènes inexplicables qui ne NORMAN MAILER
surgissent que rarement dans l’histoire de
l’humanité ». Faut-il pour autant se laisser lorsque, le lendemain, il se souvient de son Jésus à la première personne était une folle
simplement fasciner par l’énigme du mal ? scandaleux geste de défi. gageure, et elle n’a pas été tenue. Certes, rien
Au rebours de Bertolt Brecht et de Hannah Analité tour à tour conjurée et exaltée. Le n’est tabou pour le romancier. Boulgakov,
Arendt, Mailer ne croit pas à « la banalité du démoniaque, nous explique le narrateur, a Bernanos et Flannery O’Connor réussirent
mal », et son narrateur s’empresse de faire partie liée avec l’immondice. « En tant que chacun à faire du Malin un saisissant person-
état des troublantes rumeurs qui ont circulé au diable, dit-il, je vis dans la proximité immé- nage romanesque. Le diable de Mailer est
sujet d’Hitler : qu’il serait le fruit d’un double diate des excréments sous toutes leurs volubile, il n’est rien moins que sulfureux. A
inceste, que son grand-père paternel aurait été formes, physique ou mentale... Nous les en juger d’après le premier volume, cette
juif, et qu’il n’aurait eu qu’un testicule, mais diables, nous vivons dans la merde et nous en biographie romancée de Hitler sera aussi
personne n’est plus tristement banal que le faisons notre outil de travail ». Pour Mailer décevante que L’Évangile selon le fils. Écrit
petit Adolf évoqué par Mailer. C’est un enfant également, le mal participe de l’analité, et sans allant et alourdi d’assommantes digres-
malingre, pleurnichard, sournois, férocement comme la plupart de ses romans, Un Château sions (de longs développements sur
rancunier et guetté par la mégalomanie, mais en forêt abonde en scènes scabreuses. Le sexe l’apiculture, près de cinquante pages sur le
rien en lui n’annonce un destin exceptionnel. en envahit le texte comme une moisissure. couronnement du tsar Nicolas II !), Un
Seul signe prémonitoire : petit déjà, Adolf Aussi le véritable héros du livre est-il, non Château en forêt ne nous apprend rien que
sent mauvais : « une odeur – un soupçon de pas Adolf mais son père, l’inspecteur des nous ne sachions déjà, et ce qu’il nous
soufre, l’indice de quelque chose de pourri ». douanes Aloïs Hitler, dans le rôle à la fois apprend sur la fascination de Mailer pour la
Angela, sa demi-sœur, ne cesse de lui dire épique et vaudevillesque du grand fornica- sexualité anale n’est pas non plus d’une
qu’il pue : « Bain ou pas, Adolf, tu ne seras teur. bouleversante nouveauté.
jamais une bonne personne [...]. Tu es A quoi bon tout ce débondage sexuel ? Mailer n’aura pas écrit sa Vie de Rancé. La
affreux ! Tu es un monstre ». Que nous importe après tout de savoir que vieillesse des écrivains est rarement une
Le roman est saturé de références aux lorsqu’il se masturbait dans la forêt, le jeune apothéose. Ne soyons pas ingrats. N’oublions
mauvaises odeurs, à l’anus, à la défécation et Hitler répandait sa semence sur des feuilles pas que Mailer a été l’un des plus remuants et
aux matières fécales : « le petit trou du cul mortes ? On aurait aimé que ce roman fût au des plus inventifs parmi les écrivains améri-
d’Adi était aussi immaculé qu’une opale, moins puissamment obscène. Il ne l’est pas, il cains de sa génération. Pourquoi sommes-
minuscule et scintillant... L’enfant né d’un est seulement pornographique, et sa nous au Vietnam ? est un livre magnifique,
inceste doit toujours avoir conscience de pornographie est la plus vulgaire et la plus Les Armées de la nuit un reportage époustou-
l’importance de ses excréments, même s’ils datée qui soit. flant, Le Chant du bourreau un grand roman
sortent d’un petit trou qu’on ne cesse Mailer a été un journaliste superbe et un venu des tréfonds de l’Amérique.
d’astiquer ». Il n’est pas fortuit non plus que pamphlétaire inspiré. A ce que l’on dit, il a Il lui sera donc beaucoup pardonné.
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ROMANS, RÉCITS
Le retour
Michèle Lesbre signe un roman très doux sur un voyage intérieur et
géographique, une manière d’être heureux à nouveau.
HUGO PRADELLE
Une aventure
La vieille tout intérieure
modiste
une certaine forme de fidélité, discrète,
enclose dans un silence que seul le livre brise
espace à un autre. Les images se super- avec une délicatesse de gestes amoureux,
posent, secrète alchimie, profondeur de comme on berce un enfant ou aidons un vieil-
champ où nos ombres semblent plus vraies lard à s’apaiser. C’est un livre sur
que nous-mêmes. Là est la vérité du voyage. » l’obstination féminine, sur l’amitié, la
Dans le vagabondage de ses pensées, dans douleur, la fragilité et l’évidence de la résis-
le transport de ses souvenirs, Anne ne fait que tance. Il faut résister à la nostalgie facile, au
se retourner vers celle qui loge en-dessous de marasme, à l’enfermement stérile, à la
chez elle, la vieille modiste, Clémence paresse de vivre.
Barrot. C’est vers elle, immobile, sise sur son C’est une aventure tout intérieure que
canapé rouge au fond de son appartement Michèle Lesbre nous conte avec ferveur, avec
silencieux, que toute la tendresse et toute la cet élan féminin très fort, c’est de la confu-
nostalgie d’Anne se dirigent. Vers celle à qui sion de la géographie et du sentiment, c’est la
elle lit des vies de femmes pour mieux joie du retour pour mieux repartir, l’élan
partager l’héroïsme ignoré, la douceur et les même du bonheur qu’elle salue, la leçon de
difficultés d’être des femmes, de connaître Clémence, le secret du canapé rouge. Ce
leur vies, de partager leurs émotions et d’en roman laisse dans l’oreille une sourdine
redécouvrir jusqu’à soi. modeste, une sorte de mélodie que l’on
C’est le retour qui importe, jusque dans la connaîtrait sans pouvoir la nommer, une
construction du roman. Le temps se dérobe, impression vague et familière. C’est ce retour
tout se mêle, se croise et fait se changer l’un MICHÈLE LESBRE qui s’opère en nous, évidemment.
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ROMANS, RÉCITS
L’encre du voyageur
Gilles Lapouge est amoureux des rencontres ébouriffantes. Nous voici, en cieux quand, comme aujourd’hui, « les encres
ne vont pas bien ». Le temps est loin « de
compagnie de Rimbaud et de Julien Gracq, embarqués dans un voyage aux confins de l’encre sympathique et facile à produire car
la réalité qui n’existe pas et de l’imagination qui est tout. elle est faite d’un peu de citron et d’un fil
d’urine ».
Les premiers poèmes de Gilles adolescent
étaient consacrés « soit au corps de la femme
GEORGES RAILLARD aimée, soit à l’encre. Moitié-moitié. Je disais
par exemple :
“ J’ai peint mon bateau à l’encre de Chine,
GILLES LAPOUGE vert par le Vent, non par un homme, fût-ce L’ancre elle est de fer, le sel la rouille,
L’ENCRE DU VOYAGEUR celui connu sous le nom de Pedro Alvares Et la Chine
Albin Michel éd., 260 p. Cabral, maître de treize navires. Non, le Mon bateau de paille y fera naufrage.” »
Brésil est né d’un alizé en verve. Son nom, il
le doit au bois de braise, dont Lisbonne Le jeu de mots est peut-être « un peu
s’enivre. Sans ce vent la Renaissance portu- vulgaire ». Il recèle pourtant l’essence du
gaise - ses boiseries, ses couleurs, ses dorures voyage, celle du récit qui n’est jamais
encre du trimardeur n’est pas celle du
L ’ promeneur épris des paysages ouverts, ravi-
vés par « un coup de vent d’Ouest criblé de
- n’aurait pas existé. Et peut-être pas même la
Renaissance tout court.
Si Julien Gracq prise la géographie,
qu’écriture sur écriture : « Un journal de
voyage est un palimpseste. »
Si une écriture primitive, si un vent alizé,
soleil ». Entre les deux écrivains, si l’on cherche Lapouge a un faible pour l’histoire. Il l’écrit, peuvent donner corps à un pays, la
une parenté, on trouve l’Ardenne. L’un par la la récrit, persuadé que tout récit, tout écrit est Hollande, elle, a été créée par ses peintres. «
naissance, l’autre par une dilection. Et aussi, un palimpseste. Au chapitre des anniversaires Il faut dire que le Créateur ne s’était pas
comme chez Lapouge, l’Imagination. Tous trois « une affaire qui tourne rond » (où l’on trou- foulé. Il n’avait même pas achevé son ouvra-
veulent nous montrer des « poissons d’or ». Et ve, pour 2006 trois anniversaires majeurs : ge. » Des pays sont, eux, tout contraste,
les voici à foison. Mozart, Verdun, et le quarantième anniversai- insaisissables : en Inde le sourire et la
Le voyageur – ou l’esquif – vont au-devant re de La Quinzaine Littéraire), Lapouge en violence vont ensemble, on prépare exprès
de rencontres nouvelles : des choses et des tire toute une philosophie : « Le Nouveau des gâteaux pour des fillettes de trois ans,
mots, de la réalité et de l’écriture, du texte et n’existe pas. Il n’y a que l’ancien. les divinités pullulent, et les Sikhs sont si
du palimpseste, du voyageur et de l’écrivain, L’explorateur ne découvre rien. Il retrouve. Il peu « aimables qu’on se demande bien ce
qui sont tout un. ne se rend pas dans une Terra Incognita. Il y qu’ils fabriquent en Inde, ils ont du se trom-
« – Des écumes de fleurs ont bercé mes revient. » per de pays ».
dérades La philosophie de la découverte du même Lapouge, « maître jongleur » est au centre
Et d’ineffables vents m’ont ailé par nous conduit tout droit aux terres où de cette « comédie magnétique ». Il aurait
instants » l’explorateur jette l’ancre, nous mène à beau dire « j’ai seul la clef de cette parade
Comme le bateau ivre, Lapouge pratique la l’homonyme sans lequel rien n’aurait eu lieu. sauvage », il sait s’y prendre pour que nous
navigation hauturière. Le Brésil a été décou- L’encre fait l’entame du livre. C’est auda- jouissions avec lui.
Entretien
La scène se passe dans le 15e arrondissement de Paris, dans le petit bureau en rez-
de-chaussée que l’écrivain-voyageur s’est aménagé derrière ces grandes tours qu’on
appelle Téhéran-sur-Seine. Côté cour, il y a une église évangélique, côté rue une école
de garçons transformée en collège mixte. Il est huit heures ; l’église semble abandon-
née ; l’école ouvre ses portes à un public multicolore ; le bureau se partage entre ces
deux tendances : beaucoup de désordre et plus encore de livres. Nous passons une
heure ensemble à parler de son petit dernier : L’encre du voyageur.
G. L : C’est parce qu’il y avait ma femme. É. P : N’y rien connaître certes, mais en bon
Nous sommes deux personnes et nous ne spécialiste du Brésil, cela vous a donné toute
faisions pas tous les jours les mêmes choses de latitude pour comparer les influences portugai-
notre journée. J’y étais au titre de l’année de ses au Brésil et en Inde. GILLES LAPOUGE
l’Inde pour laquelle ils avaient envoyé là-bas
des écrivains. C’était fabuleux d’ailleurs, un G.L : Tout ce qui est traces du Brésil m’intéresse
mois et demi, deux mois, je ne sais plus très énormément. Tout le côté couleur, carnaval... SUITE
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ROMANS, RÉCITS SUITE LAPOUGE/PHALIPPOU
É. P : Plus encore qu’à ce côté visuel, il me gauche, mais dans aucun parti, ne m’a valu à vole partout pour retrouver son chemin et voit
semble que vous êtes sensible aux gens qui ont l’époque que des critiques. On était encore très par conséquent des tas de choses, ce serait
la nostalgie d’une langue perdue. En Inde, vous idéologue en France et mes amis de gauche plutôt mon cas. C’est vrai que maintenant il y a
rencontrez dans la région de Goa un chauffeur m’ont battu vraiment froid en me disant que un retour quand même aux fondamentaux du
de taxi qui, ébloui par votre pratique du portu- j’avais écrit un livre fasciste, un livre contre le voyage avec, en particulier, la marche à pied, la
gais, ne veut plus vous lâcher à destination. Au communisme. Heureusement, après on s’est marche à pirogue, la marche à cheval et je ne
fin fond de l’Amazonie, vous avez cette histoire aperçu que ce n’était pas si faux cette espèce sais pas quoi. Cela se relie à un autre thème très
avec deux dames qui se croient encore sous le d’horreur que j’ai des utopies. En ce qui concer- important pour moi, le thème du temps. On vit
Paris de la Belle Époque et qui minaudent et ne les nostalgies, c’est comme le cholestérol, il dans un monde où le temps est devenu une
qui en rajoutent avec la madeleine de Proust. y en a une bonne et il y en a une mauvaise. La denrée très rare alors qu’on a tout pour que le
bonne, c’est l’anodine, celle des livres scolaires temps soit plus large avec toutes les aides qui
G. L : Je ne le cherche pas. C’est une chance avec des petites vignettes où l’on voit l’eau qui existent. Je sais par exemple que quand on
extraordinaire, comme dans les voyages on en coule, qui descend et qui remonte en nuages. La monte à présent sur l’Himalaya, on vous dépo-
a. Surtout dans les voyages que je fais où j’en ai mauvaise, dont je crois je suis épargné, ce sont se en hélicoptère à 5000 mètres. On fait les
plus que les autres parce que je me perds les gens qui disent : tout était mieux avant, quelques derniers kilomètres en hauteur mais
complètement, parce que je n’y comprends maintenant les enfants sont désagréables, il n’y on ne fait plus les deux mois de marche qui
rien. Alors je rencontre quelqu’un qui me a plus de solidarité, tout ça. Ce qui est en partie vous mènent jusque là. Deux mois sans lesquels
raconte des choses que je cours vérifier. Ces vrai mais c’est un discours tellement rabâcheur, il n’y a plus de voyage, plus de dépaysement.
deux dames, c’était du côté de Bélem, par un peu ronchon, aigre, très amer, que je m’en Le temps est très important à mes yeux, si on en
hasard un Français qui vivait là m’a raconté leur méfie beaucoup. Quant à avoir de la nostalgie, manque ça va être terrible. Dans le temps, dans
histoire. Puis il m’emmène le lendemain dans je n’ai aucune limite sur ce point. Ça me plait les sociétés traditionnelles, c’est vrai, on avait
sa voiture pour faire trente kilomètres et les même assez d’être triste par nostalgie. du temps alors qu’on aurait dû en avoir beau-
voir... C’est vrai que les histoires de langues coup moins qu’aujourd’hui puisqu’on n’avait
m’intéressent parfois sérieusement, parfois É. P : La grande nostalgie que vous avez pas toutes ces facilités qui nos permettent de
pour leur côté cocasse. Comme ce chauffeur de dans ce livre mais qui, elle, n’est pas ronchon, court-circuiter le temps finalement. Ils faisaient
taxi, c’était émouvant d’une certaine manière, parce que c’est une nostalgie productive de des routes qui étaient faites pour aller lentement
mais cocasse aussi. sens, une nostalgie qui ouvre sur de nouveaux d’ailleurs, pas pour aller vite comme les nôtres.
champs, c’est la nostalgie du temps où vous Dans l’histoire du voyage cet élément du temps
É. P : Paradoxal également, car les Portugais faisiez votre apprentissage de futur « écrivain- me semble fondamental, pourtant on n’en parle
n’étaient plus en Inde en état de sainteté. voyageur » sans le savoir dans des petits trains pas assez. Ce n’est pas la même chose que
qui sillonnaient l’Europe, alors qu’aujourd’hui d’aller voir la cathédrale de Vézelay si je prends
G. L : C’était un type âgé et puis, même si on l’avion vous met à l’autre bout du monde sans le train ou si je marche pendant vingt kilomèt-
ne regrette pas, je suis persuadé qu’il y a une avoir eu le temps de dire ouf. Cette nostalgie res. À bien regarder d’ailleurs, les grands écri-
imprégnation et (c’est une expression banale ouvre les yeux à certains de vos cadets qui vains classiques sont de grands marcheurs, et
que je vais employer) un côté proustien. Je suis réapprennent à marcher pour mieux voir. les prophètes n’en parlons pas, ils ne s’arrêtent
persuadé que même parmi les fellaghas qui ont Nostalgie féconde ? pas de marcher. Ils feraient mieux de s’arrêter
foutu les Français à la porte, qui les détestaient un peu, mais enfin... Jésus Christ, il marche
et qui les détestent, il doit y avoir encore G. L : C’est comme ça que j’éprouve les tout le temps, des petits voyages, lui. Bouddha
comme une odeur de nostalgie... choses et puis c’est aussi un peu polémique. La marche partout, on voit ses pieds partout... et
mode des écrivains voyageurs c’est très bien c’est vrai qu’aujourd’hui il y a un retour. Les
É. P : La nostalgie des langues perdues que mais ça m’énerve aussi parce que les écrivains- gens disent que c’est à cause du livre de
vous comprenez si bien. Il y a en revanche une voyageurs je les connais et qu’en général ils ne Lacarrière, ça je ne le crois pas : Chemin faisant
nostalgie que vous vous appliquez à dénoncer voyagent jamais. Enfin ils voyagent comme est plutôt un symptôme. Maintenant, la plupart
un bon quart de ce livre, c’est la nostalgie des moi je voyage et je ne me considère pas comme des écrivains voyageurs exagèrent aussi, je
paradis perdus. Vous la détestez parce que c’est un grand voyageur. Je suis quelqu’un comme trouve. Maintenant, ils ont pris trop d’élan et ils
une nostalgie qui génère des utopies. tout le monde qui a été obligé de voyager et partent de l’autre côté du cheval. Maintenant,
comme je voyage plus mal que les autres, je c’est la marche à pied en elle-même qui devient
G. L : Les utopies, je les déteste de longue crois que je vois beaucoup plus de choses que l’alpha et l’oméga et, ça, ça ne m’intéresse pas.
date. J’ai même écrit un livre sur l’histoire des les autres. Tous ces gens, ces écrivains-voya-
utopies. C’est curieux d’ailleurs, ce livre que j’ai geurs, ils voyagent un petit peu comme les É. P : Une nouvelle utopie.
publié dans les années, oh ! je ne sais plus, il y oiseaux migrateurs qui ne voient rien. L’oiseau
a longtemps, pour dénoncer les utopies alors migrateur, c’est le contraire du voyageur. Propos recueillis
que j’étais comme maintenant encore plutôt de L’oiseau migrateur qui ne sait plus se piloter, par Éric Phalippou
« ÉLOGE DES fois Maurice Godelier à l’écart des des relevés inédits que l’on attend de partenariat avec Le Nouvel Observateur,
SCIENCES SOCIALES » pièges du catastrophisme et à l’écoute cette constellation de cinq satellites ont décidé le 22 octobre de sortir des
des autres, aideraient à construire une défilant. La NASA, l’agence spatiale cartons de l’Inathèque des archives
Le dernier livre de Maurice Godelier, vraie démocratie, ainsi qu’il se plaît à canadienne et le CNES viennent en effet audiovisuelles relatives à Jules Roy qui
Au fondement des sociétés humaines. l’évoquer et en discutera le jeudi 18 depuis seize mois de mettre en orbite aurait eu, ce jour-là, juste cent ans, lui
Ce que nous apprend l’anthropologie octobre à 19h30 dans la Petite salle cinq instruments de mesures exception- qui s’est éteint en juin 2000. C’est un
(Albin Michel, 298 p., 20 e), se finit par (niveau -1) du Centre Pompidou (Paris nels (Aqua, Cloudsat, Calipso, Parasol descendant de pieds-noirs de la premiè-
une conclusion portant ce titre. Il y est 1er). Entrée libre dans la mesure des et Aqua) pour répondre aux défis excep- re heure arrivés en Algérie dès 1854.
dit que les sciences sociales, n’ayant pas places disponibles. tionnels des temps présents. Ce premier Politiquement il leur emboîta le pas,
pour seul objet de « comprendre bilan est ouvert. Rens. sur http://www.a- tenté même par le séminaire jusqu’à
comment fonctionnent les sociétés » train-lille2007.org/ l’âge de trente ans passé. Le débarque-
mais aussi « d’expliquer les différentes UN COLLOQUE ment des Alliés en Afrique du nord lui
déssilla les yeux. Il s’enrola dans la RAF
façons d’organiser la vie en société », SUR LE CLIMAT et son premier roman, La vallée heureu-
sont la clef qui permettra d’éclairer des QUI SE DÉTRAQUE LACOUTURE
se (1946), rend compte de son expérien-
événements tels que le 11 septembre en COMMÉMORE EN SÉRIE ce de bombardier dans la vallée du Ruhr.
allant en traquer la genèse jusque dans le Mesurer la nocivité des aérosols se
wahhabisme. La guerre d’Algérie sera l’heure pour
disait il y a encore peu dans les milieux « Les jeudi de l’Institut du Monde
Il suffit juste de libérer les sciences Jules Roy d’une seconde prise de cons-
scientifiques : apprécier l’impact des Arabe » ont demandé à Alain Chenal
sociales du politiquement correct et, cience. Désormais il n’embrassera plus
activités humaines sur le climat. Cette d’animer le 18 octobre un débat intitulé :
sans « autant nier que la France, la que le parti des victimes et des popula-
langue de bois, devant l’urgence, est « 40 ans après : relire, réinterpréter la
Grande-Bretagne et d’autres pays colo- tions civiles contre leurs tortionnaires.
mise de plus en plus de côté et les scien- guerre israélo-arabe de juin 67 ».
nisateurs ont su manipuler les différen- tifiques ouvrent leurs cénacles en L’invité vedette s’appelle Jean Jean Lacouture compte au nombre
ces ethniques et tribales (mais aussi reli- Forums. Du 22 au 25 octobre, Lacouture. À 18 h 30 dans la salle du des témoins conviés à parler de cet écri-
gieuses) à leur profit », ne pas imputer à l’Université de Lille et la Région Nord- Haut Conseil (niveau 9). Entrée libre : vain, mais d’autres aussi sont appelés :
« l’Occident colonisateur » – tendance Pas-de-Calais invitent au Grand Palais IMA, 1 rue des Fossés Saint Bernard, Christian Bourgois, Edmonde Charles-
majoritaire aujourd’hui !– « les notions de Lille des chercheurs du Centre Paris Vème, M° Jussieu. Roux... À 18 h 30 dans le Petit audito-
de tribu ou d’ethnie ». National d’Etudes Spatiales (CNES) et « Les grands témoins de la rium du site François-Mitterrand, Quai
Ces réflexions, qui ont tenu tout à la du CNRS à venir parler de l’A-Train et Bibliothèque nationale de France », en François-Mauriac, Paris 13e.
10
ROMANS, RÉCITS
Un désir de changement
Rentrant chez les siens après une visite risquée chez le médecin, le narrateur
de Sous le néflier est plein d’espoir. Et comme il a tendance à beaucoup penser, il se
demande comment engager le changement avec Anne, sa compagne et mère de leurs
deux filles. Mais Anne ne s’intéresse pas plus à lui qu’à « un vase familier posé sur le
buffet. ». Et le néflier du titre se desséchera, comme le reste du jardin abandonné.
NORBERT CZARNY
JACQUES SERENA ses coquillettes, ce bol ouvragé qui appartient cherchant à se reconstruire, le narrateur
SOUS LE NÉFLIER à une série sculptée par l’amant revient rencontre une femme et l’aime. Ainsi
Minuit éd., 176 p., 13,80 euros comme l’objet d’un crime, celui qui le sépare lorsqu’Anne lui revient, au milieu du roman,
d’Anne. dans le studio, et qu’il la regarde, nue jusqu’à
La bouche, lieu du baiser, est aussi ce qui la taille : « Si de l’extra-ordinaire pouvait
en est privé. Et ce baiser qui manque suscite encore subvenir entre nous, nous nous en
les conjectures, engage le narrateur dans une approchions, je l’ai senti, je n’étais pas loin
forme de paranoïa. Anne, de même que Rosa de retrouver sa vraie présence, de me sentir
insi commence le nouveau roman de
A Jacques Serena. Une variation sur le
couple, qui suit Plus rien dire sans toi et
Noske, une photographe qui compte sur le
narrateur pour lui écrire un texte se livre à un
autre. Cet autre, surnommé le « vieux mal
dans le monde. »
C’est pourtant avec la nourriture que tout
débute dans ce roman, avec une drôlerie grin-
L’acrobate. Pas seulement sur le couple, assis », parce qu’il l’a vu ainsi la première çante qui irrigue les premières pages de Sous
d’ailleurs. Comme ses prédécesseurs, Jack fois dans un bar louche, ou « le Letton », a le néflier. Le narrateur rentre en effet au
écrit. Ou plus exactement il fait des lectures quelque chose de dégoûtant. Du moins c’est moment du repas, des coquillettes avec des
de ses textes. Anne, qui a longtemps cherché ainsi que le narrateur le perçoit. On le saucisses, et l’indifférence d’Anne se perçoit
un « espace de liberté » en invitant le pseudo- au moment où ils devraient tous quatre être à
gratin local, essaie en quelque sorte de trans- table, ensemble, pour commencer la nouvelle
former Jack en mondain. Mais comme le vie. Mais rien : « J’ai reposé ma fourchette
protagoniste de Plus rien dire sans toi, il avec la saucisse harponnée intacte. Cernés
résiste, ne tenant pas à participer à quelque par ces trois silences, ma saucisse et moi
« action semi-bénévole pour primo- étions devenus triviaux. » S’occuper de la
arrivants ». avec les « oiseux lourds ». De nourriture était aussi l’une des tâches du
toute façon, c’est trop tard : Anne lui apprend narrateur, qui se définit comme un « rat »,
qu’elle ne tient plus à lui, qu’elle aime un prêt à tirer sur le fil du téléphone pour indi-
sculpteur sur bois « extra-ordinaire », et qu’il quer que la conversation coûte cher, ou inca-
peut s’en aller. Ce qu’il fait, consacrant pable de se concentrer et d’écrire, quand on
l’essentiel de son temps à la rappeler, à tire trop d’eau pour un bain. Jacques Serena
essayer de vivre une autre histoire, ou à se s’attache à ces petits travers qui font la trame
cloîtrer dans le studio qu’il a emménagé, de l’existence. Et de même qu’il passe du
pour manger des coquillettes au thon dans un sordide à l’émouvant, il sait rebondir sur ces
bol. détails pour montrer un ensemble ; figure de
« Toujours dans les détails que se dévoile rhétorique dont la puissance n’est plus à
la qualité des rapports, c’est-à-dire leur démontrer.
niveau de dégradation ». Paraphrasons un On ne dirait toutefois pas grand-chose de
peu la formule très juste de Serena, pour dire Serena si l’on ne parlait pas du rythme de sa
que dans ses romans, tous les détails sont phrase. On pourrait confier à Jack la lecture
révélateurs, parce que leur retour met en dans une bibliothèque ou autre assemblée de
relief la construction du texte. Et autant dire ce roman, tant l’oral y est travaillé. Ce n’est
tout de suite que c’est du cousu-main. jamais gratuit, ni facile. On est d’abord sensi-
Les déambulations de Jack ont constam- ble aux formules qui reviennent et qui parti-
ment à voir avec cette bouche par quoi tout cipent du ressassement angoissé du personna-
commence. La bouche, « lieu de la sustenta- ge, comme le « Ces livres sur la passion que
tion, de la parole et du baiser », est d’abord ce j’avais, écrits par des experts », dont
qui permet de parler. Parler ou se parler, l’ambiguïté fait sourire. Il y a aussi ces phra-
souvent en marchant, ou dans la voiture qui ses coupées à l’improviste, ruptures brutales
file dans la nuit, telle est l’activité essentielle jusque dans les sonorités qui
de ce personnage qui, à un moment enfin, se s’entrechoquent, mais on est surtout sensible
tait pour écouter Anne. Cela arrive assez tard, à ces constructions déséquilibrées qui tradui-
ne songeant qu’au moment où il pourra sent le malaise de Jack. Ainsi quand il tient le
l’appeler puis l’ appelant, laissant des messa- bol fabriqué par le Letton : « Une fois rentré
ges sur son répondeur. chez moi, l’objet sous mon bras, rien que son
Se parler, c’est aussi se raconter l’histoire contact me crispait. » Les puristes hurle-
qu’ils vivent, c’est tourner comme un animal raient, persuadés que la norme seule est belle.
en cage avec la jalousie comme seul horizon. JACQUES SERENA Mais cette phrase de guinguois est une preu-
Le narrateur voit Anne, et il voit son amant ve parmi d’autres qu’à l’instar des plus
mettre la main sur sa cuisse, geste que l’on rencontre plusieurs fois, comme une appari- grands, Serena invente constamment sa
trouvait déjà, qui revenait sans cesse dans tion à laquelle on ne saurait échapper. langue.
Plus rien dire sans toi. L’angoisse de Jack, L’homme vit dans un bouge, séduit les Une langue qui, comme celle de Gailly ou
celle de perdre Anne, elle se place dans des femmes sur un matelas décoré d’un infâme Oster, pour ne citer qu’eux, décrit un homme
objets. Le téléphone bien sûr, qui la rend à la drap à fleurs. L’atmosphère est poisseuse, qui ne sait pas trop comment vivre avec une
fois proche et lointaine, mais aussi un bol. déplaisante. femme, aujourd’hui. Un homme qui nous
Objet d’abord anodin dans lequel il pioche Le contraste est d’autant plus vif quand ressemble, dans le miroir magique du roman.
11
ROMANS, RÉCITS
Sous Salazar
n’avaient pas jugé utile d’ouvrir le livre d’un
jeune auteur inconnu. Sans le savoir peut-être
contribuèrent-ils au succès de l’ouvrage.
Celui-ci, en tout cas, ne manqua pas d’être
remarqué par le principal propagateur du
Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, et même parfois un « nouveau réalisme », l’essayiste Mario Dionisio
qui, en 1964, lors d’une réédition très remaniée
peu avant, le réalisme – on s’en souvient – refit surface comme un mot indispensable du livre – on était encore et toujours en plein
salazarisme, la dictature la mieux enracinée
autant que difficile à manier. Le discrédit du naturalisme, l’irruption des mouvements d’Europe – le fit précéder d’un remarquable
d’avant-garde semblaient avoir construit définitivement un nouveau seuil. Or des réa- essai en forme de préface où il met pleinement
en valeur l’œuvre, déjà abondante, de Carlos de
lités terribles surgissaient sous les yeux de chacun, dont il devenait impossible de ne Oliveira, en soulignant tout ce que son talent de
pas tenir compte. romancier doit à son génie de poète (2). Le juge-
ment se déplace ainsi notablement. Notre
romancier est crédité d’avoir inventé et de
JACQUES FRESSARD « continuer à inventer un langage ». C’est cette
parole nouvelle qui contribue à nourrir l’œuvre,
CARLOS DE OLIVEIRA manants – sous les coups de boutoir d’une inlassablement relue et remaniée par son auteur
LA MAISON SUR LA DUNE inéluctable modernité, symbolisée par cette et qui s’épanouira pleinement en 1953 avec Une
trad. du portugais par Françoise Laye grand-route qui débouche soudain au beau abeille dans la pluie (3). On aura une idée du
José Corti éd., 173 p., 16 euros milieu du village, et ruine, par le désenclave- talent d’Oliveira en ce domaine à travers
ment du marché, la petite fabrique de tuiles qui l’Anthologie de la poésie portugaise contempo-
devait sauver l’exploitation de Mariano Paulo. raine 1935-2000 (4) proposée par Michel
C’était mettre en avant, bien sûr, face à Chandeigne. Carlos de Oliveira était bien Du
e nouvelles étiquettes manifestent cet
D embarras : néo-réalisme, réalisme social,
voire socialiste, « nouveau réalisme » propose
l’asepsie de la littérature approuvée par le
pouvoir, le jeu déterminant de l’infrastructure
économique.
côté gauche, selon le titre d’un de ses recueils de
poèmes, mais il savait aussi y écouter « La porte
qui se ferme/ inopinément à distance [...] la
ici prudemment Françoise Laye dans la préface Il y a plus étonnant dans le détail si l’on porte qui se ferme dans le passé / faisant tres-
de son excellente traduction de ce premier songe à ce qu’était alors, sur les rives du Tage, saillir l’écrivain et son écriture. » (5)
roman de Carlos de Oliveira, paru en 1943, et le régime de la censure. Vers le milieu de
qui nous retient encore aujourd’hui mais peut- l’ouvrage, un médecin ami du propriétaire 1. La chose fut décrite par José Cardoso Pires –
être pour d’autres raisons. appelle de ses vœux « un chamboulement » et alors exilé à Londres – dans son pamphlet sur « Le
Le sujet abordé n’était pas nouveau mais ne s’exclame « je ne suis pas communiste. Mais il régime de la censure », in Esprit, septembre 1972.
manquait pas d’audace dans le contexte du ne faudra pas vous étonner si je me mets un 2. in Casa na duna, Portugalia Editora, Lisboa,
salazarisme triomphant. En une région rurale 1964, pp. 9-42.
jour à lire Marx [...] je ne peux pas voir des 3. José Corti éd., 1989.
pauvre du nord du Portugal on assistait,à travers hommes vivre comme des bêtes, ou pire encore 4. Gallimard, 2003, coll. Poésie.
trois générations, à la chute progressive d’un ». Les innombrables censeurs au crayon bleu 5. in Sobre o lado esquerdo, Iniciativas Editoriais,
domaine agricole traditionnel – maîtres et (1) s’étaient donc endormis ce jour-là, ou Lisboa, 1968.
12
ROMANS, RÉCITS
13
ROMANS, RÉCITS SUITE CUSK/TERRIEN
fatigue, déception et ennui. Le mode de narra- humains et des circonstances de l’existence qui
tion extradiégétique permet aux voix de se se tisse devant nous comme se tisse le texte,
multiplier, de se soutenir mutuellement, pour jouant sur la récurrence de certains détails, sur
devenir une voix de femme. L’héritage de les variations des commentaires apportés par
Virginia Woolf devient vite évident et sera les personnages. Les réactions du lecteur sont
confirmé par le dernier chapitre évoquant le ainsi anticipées et incluses dans la trame,
dîner de Mrs Dalloway. effaçant la frontière entre réel et fiction.
Juliet, brillante littéraire, héroïne de deux Le voyage au cœur du banal s’achève sur une
chapitres, a renoncé à une carrière de orchestration symphonique où les voix mascu-
chercheuse et à ses rêves pour suivre son mari, lines se font entendre sans étouffer les voix
professeur spécialisé dans les classes difficiles. féminines que le lecteur a appris à écouter avec
Elle végète désormais dans une école pour précision. Le dîner chez Christine et Joe
jeunes bourgeoises et jongle avec le classique reprend le thème de la réception chez Clarissa
emploi du temps de la mère qui travaille tandis Dalloway pour l’actualiser. Alors que Virginia
que son époux récolte l’admiration de tous. Woolf démontrait l’importance véritable
Amanda, maîtresse de maison impeccable se d’actes en apparence futiles puisque le génie de
croit enfin intégrée lorsque quelques femmes Mrs Dalloway était de faire se rencontrer et se
acceptent de venir prendre le café chez elle. parler ceux qui pouvaient influer sur le destin
Mais la visite tourne au désenchantement car la d’un pays, Rachel Cusk montre, sobrement, le
perfection de son intérieur jette un froid et elle caractère dérisoire d’une telle cérémonie dès
ne gardera de ce succès éphémère qu’une horri- lors que le pouvoir a échappé à la classe
ble tache de feutre rouge sur son canapé moyenne. L’intensité des sentiments humains
jusqu’alors immaculé. n’en est en rien diminuée. La modernité du
Maisie, Stéphanie et Christine s’embarquent texte repose sur cette mise au goût du jour de
pour une visite au centre commercial. l’héritage littéraire ; les personnages clés
L’aventure est décrite comme une épopée dans ce roman sont ceux qui passent presque
moderne et dérisoire qui ne peut offrir que inaperçus alors que leurs voix envahissent sans
quelques heures d’oubli à ces femmes, jeunes cesse l’univers des femmes : il s’agit des
mères et épouses déjà vieillissantes. Un épisode RACHEL CUSK enfants, omniprésents, dont l’existence cause
à la fois drôle et sinistre d’essayage de tenues tous les déboires des mères mais justifient leur
pour midinettes résume la vacuité de leur exis- existence. L’éclatement du personnage en
tence pourtant si remplie. Chacune sera à son parfaite car non contaminée par le désordre figures multiples, le caractère absurde de
tour la principale protagoniste d’un chapitre familial. Elle introduit alors dans le refuge l’existence sont les premiers signes du roman
consacré à sa vie de couple soulignant diverses familial des femmes qui lui rappellent que le post-moderne, mais ici l’on est passé à une
frustrations. monde peut apporter plus de richesse qu’une nouvelle étape : l’existence humaine et ses
Solly Kerr-Leigh a l’idée de louer la cham- vie étriquée mais aussi plus de danger. complications s’expliquent par la survie de
bre d’amis pour arrondir les fins de mois Les désillusions ponctuent le récit mais la l’espèce. Chacune de ces femmes, dans
lorsque s’annonce la naissance de son voix narrative s’interdit tout commentaire chacune de ces histoires, doute mais ne
quatrième enfant, renonçant ainsi à la réconfor- direct, tout discours féministe simplificateur. désespère pas car sa fonction de mère assure
tante contemplation quotidienne d’une pièce C’est bien la complexité des sentiments l’avenir.
ESSAIS LITTÉRAIRES
JEAN-M. GOULEMOT
JOSÉ-LUIS DIAZ vienne à questionner le genre biographique gique (milieu, formation, réussite éditoria-
L’ÉCRIVAIN IMAGINAIRE, pour finir par se demander ce qu’est une vie le...) une deuxième, leur réalité texuelle
SCÉNOGRAPHIES AUCTORIALES À d’écrivain ? Le livre magistral de José-Luis comme appareil formel de l’énonciation ou
L’ÉPOQUE ROMANTIQUE Diaz apporte à cette question, dont nul ne instance nominale, une dernière que ce livre
Honoré Champion éd., 635 p., 105 euros peut nier l’évidente pertinence, des réponses explore : les images que donnent d’eux-
informées, théorisées, éclairantes. mêmes ces écrivains. Si l’on se voulait un
On n’est ici ni dans la sociologie ni dans peu canaille, on dirait que le présent livre
l’histoire. Ce qui n’empêche pas José-Luis analyse comment tout écrivain « se la joue ».
Diaz d’y recourir quand le besoin s’en fait Et tout particulièrement à l’époque roman-
epuis quelques années, l’auteur refait sentir. A cet égard, on demeure comme saisi tique. Mais bien sûr aussi au-delà.
D surface. Les biographies d’écrivain sont
des livres à succès et la critique elle-même
de vertige par sa connaissance du XIXe siècle
littéraire. Œuvres des grands et des écrivains
L’ouvrage se divise en deux parties. La
première analyse la notion de scénario aucto-
s’interroge sur ce prétendu disparu. Les ques- mineurs, correspondances, revues, presse, rial, son mode de fonctionnement à l’époque
tions sont certes nouvelles. On n’en est plus, romans, drames et poésies sont analysés, romantique mais en comparaison avec d’au-
grâce peut-être à cette mise à l’écart, au scrutés, démasqués et mis à nu. Dans tres époques. La seconde étudie les « divers
couple célèbre l’homme et l’œuvre. Et il « l’espace-écrivain », trois strates sont repé- imaginaires romantiques de l’écrivain », clas-
n’est pas un historien de la littérature qui n’en rables : une première, leur réalité sociolo- sés selon « cinq grandes scénographies
14
ESSAIS LITTÉRAIRES
auctoriales : mélancolie, responsabilité, triomphe et à cause de lui. Il y a d’abord le Et après ? s’interroge José-Luis Diaz pour
énergie, fantaisie, désenchantement ». Ce qui poète mourant, figure qui culminera avec le conclure. Un bilan des acquis en soulignant
représente un immense et rigoureux travail, suicide de Gérard de Nerval et qui va littérai- que pour l’écrivain la posture choisie
de classement et d’exposition qui ne se limi- rement de Gilbert (poète du XVIIIe siècle) commande une hygiène de vie, une apparen-
te pas au seul romantisme considéré comme jusqu’au Stello de Vigny, puis le poète ce, un choix de carrière, une esthétique.
période-phare parce que l’écrivain se trouve missionnaire, à la recherche d’un au-delà des Remercions José-Luis Diaz d’avoir
placé au coeur de la littérature. José-Luis choses et des apparences, guide de la carava- rappelé l’importance novatrice des travaux
Diaz tente aussi de comprendre comment ne humaine, ensuite le poète de l’énergie et de critiques de Daniel Oster, ami, complice et
s’est produite et ce que signifie une évolution « la force qui va », enfin les scénarios des farouche éveilleur, à qui il conviendra de
qui fait passer l’Homme de lettres (et sa Jeune-France ou l’ironie de Balzac dans le donner toute sa place dans le discours
variante le Philosophe) au Génie, puis au rôle du conteur excentrique, l’artiste critique sur la littérature. De nous obliger
Poète et enfin à l’Artiste comme autant de fantasque avec ses figures du diable, du aussi à admettre que le Flaubert de Sartre,
figures totémiques. « danseur de corde » pour aboutir enfin au trop négligé est un ouvrage essentiel. De
Indiquons d’entrée ce que l’on entend ici désenchantement dont Bénichou, sautant les montrer que cette histoire des postures de
par scénographie auctoriale en rappelant la étapes intermédiaires, s’était déjà fait l’écrivain romantique rend nécessaire une
dette, reconnue, de Jose-Luis Diaz envers l’historien. L’époque est alors au « Saute Pail- histoire de la lecture romantique ou même
Guy Debord, Régis Debray, analystes de la lasse ! » et au « misérable poète ». Le panora- de l’admiration que les œuvres font naître.
société du spectacle d’une part et Daniel ma est vaste et révèle bien des zones d’ombre, Souhaitons que cette recherche en suscite
Oster et Jean Benoît Puech, initiateurs des montrant par là, en tenant compte des décala- d’autres. Et pourquoi pas, entre autres, Le
recherches sur l’imaginaire littéraire. ges et des ambiguïtés, l’efficacité de la notion peintre imaginaire ou même Le critique
J’ajouterais volontiers à ces devanciers le de scénario auctoriel. imaginaire ?
Barthes journaliste de Mythologies, dont il
est aisé de mesurer l’influence. Car c’est
bien des mythologies de l’écrivain dont il
s’agit, que les écrivains se construisent et
que leurs lecteurs acceptent. Le mécanisme
en est complexe. La Physiologie du mariage
de Balzac avait imposé l’image d’ un méde-
cin libidineux, dont il eut du mal à se dépen-
dre. Le refus de la comédie littéraire peut
finir par constituer une image de plus : celle
de l’écrivain hors système, donc différent.
José-Luis Diaz parle de jeux de rôles, fonc-
tionnant à la façon d’un « mécano » de
Mythologies
de l’écrivain
15
ARTS
« Tête la première
et avec courage »
Elle a beau avoir éclaté en mille images de la haute couture aux champs de
bataille, la personnalité de Lee Miller, femme d’une beauté impeccable et d’une gran-
de force animale, garde une unité que cette biographie rend parfaitement.
NICOLE CASANOVA
CAROLYN BURKE du studio de Man Ray, au 31 de la rue
LEE MILLER Campagne-Première. Il est absent, elle le
Dans l’œil de l’Histoire, une photographe retrouve « par hasard » au café du coin. « Il
trad. de l’anglais (américain) ressemblait à un taureau, avec un torse extraor-
par Marie-Claude Rideau dinaire, des sourcils très noirs et des cheveux
Autrement éd., 504 p., 25 euros bruns. Je lui dis crânement que j’étais sa
Man Ray
e livre passionnant décrit un grand nombre
C de photos, mais n’en montre aucune,
hormis sur la couverture et la jaquette. Grâce au
talent de Carolyn Burke, le lecteur voit ces nouvelle élève. Il répondit qu’il ne prenait pas
photos, il les réinvente à sa manière et brûle d’élèves et que, de toute façon, il quittait Paris
d’envie de confronter le produit de son imagi- pour prendre des vacances. Je lui dis que je le
nation aux œuvres réelles de Lee Miller. Un savais et que je partais avec lui. C’est ce que
bon moyen de guérir cette frustration, c’est de j’ai fait. » Man Ray est alors célèbre dans toute
se rendre à Londres, où le Victoria and Albert l’Europe, et Lee, « l’incarnation de la garçonne,
Museum organise une exposition : The Art of une jeune femme provocante et indépendante
Lee Miller, jusque au 6 janvier 2008, « la qui entendait profiter de sa liberté ».
première rétrospective complète de sa vie et de Au bout d’un an, Man a appris à Lee « toutes
son œuvre ». Lee Miller laissa à sa mort plus de ses techniques », y compris cette « solari-
soixante mille photos et négatifs, plus de vingt sation » dont il est l’inventeur. Des visiteurs de
mille « souvenirs », documents et lettres. Man Ray ont laissé – par écrit – des portraits
Elizabeth Miller naît le 23 avril 1907 aux séduisants de Lee : « Un jeune chevrier de la
voie Appienne, hâlé par le soleil. Seule la sculp-
ture pouvait reproduire la beauté de ses lèvres
ourlées, de ses longs yeux clairs et languides,
de son cou en colonne » (Cecil Beaton).
Le mannequin Un jour, on voit sur le boulevard
Montparnasse Man et Lee attachés l’un à l’au-
tre par une chaîne d’or. En fait, malgré la chaî-
ne, Man Ray respecte ce qu’il admire tellement
Etats-Unis, dans une ville au nom imprononça- chez Lee et qui pourtant le fait souffrir : son
ble, Poughkeepsie. Son enfance est assez chao- indépendance.
tique, entre son père Theodore, directeur On dirait que pour Lee Miller, les hommes
d’usine fortuné, passionné de mécanique, et sa sont des paliers qui lui permettent de changer
mère Florence attentive par intermittence. Très LEE MILLER d’activité – sans que s’affaiblisse jamais sa
indisciplinée, Elizabeth est renvoyée de toutes personnalité. Elle procède par avancées puis-
les écoles. A dix-neuf ans, elle veut aller à santes, allant toujours plus profond, plus auda-
Paris, vivre « parmi les bohémiens dont elle cours d’une progressiste académie de peinture, cieusement vers elle-même. C’est Man Ray qui
entendait parler dans les romans », étudier l’art. l’Art Students League. encourage Lee à « trouver sa propre voie »,
Theodore lui envoie des subsides, l’autorise à Intervient alors l’épisode invraisemblable malgré sa crainte de la perdre. Et Lee devient
prendre des cours d’art théâtral. Quelques aven- (mais dont Carolyn Burke ne doute pas) où photographe pour Vogue. Elle photographie
tures amoureuses ne la bouleversent pas outre Elizabeth manque passer sous les roues d’une d’abord des parfums Chanel, des robes de
mesure et la rendent moins heureuse que Paris, voiture, est vivement tirée en arrière – et tombe Patou, qu’elle met chaque fois en scène dans
ses rues, ses jardins et ses théâtres. Ce sera une évanouie dans les bras de celui qui vient de la des décors très originaux. Puis elle photogra-
constance dans la vie de Lee Miller, où sauver : le richissime et célèbre Condé Nast, phie Paris. Carolyn Burke parle du « surréalis-
manquent des poncifs en principe inéluctables : fondateur d’un empire de presse. Elizabeth, me naturel de ses premières photos de Paris ».
cette biographie ne narre pas de « chagrins belle, moderne, éclatante et déjà « remarqua- « Elle savait composer une image en esprit,
d’amour ». De même, curieusement, parmi tous ble » en tous points, est justement celle que régler l’objectif en fonction de la scène et lais-
les termes qui louent l’extraordinaire beauté de cherche pour se renouveler le somptueux maga- ser le jeu des formes s’exprimer lui-même. »
Lee, on ne trouve pas le mot « distinguée » (on zine de mode Vogue. Elizabeth figure aussitôt En 1930, Lee Miller prend son propre duplex
s’en passe). sur la couverture. Et soudain, tous les photogra- rue Schoelcher. Cela ne signifie pas une
Cette joie de vivre parisienne dure jusqu’en phes de New York se l’arrachent. Le plus célè- brouille avec Man Ray, qui l’introduit dans le
janvier 1926, où sa mère vient la chercher et la bre, à la réputation révolutionnaire, est Edward monde des artistes et aristocrates d’avant-
ramène en bateau. Mais elle ne rêve que de Steichen, pour qui elle pose. Lee dira plus tard garde, les Noailles et Beaumont, les Cocteau,
Paris, hante Greenwich Village à New York, de Steichen : « C’est lui qui m’a mis en tête Lifar, Bérard et autres. C’est ainsi que Lee en
danse dans la revue de la troupe Scandals, où l’idée de faire de la photo. » Elle décide alors vient à figurer dans le film de Cocteau Le Sang
débute Louise Brooks. de changer de prénom et choisit celui, quasi d’un poète, sous la forme d’une statue blanche
Finalement, elle se réinstalle à New York - viril, de Lee. Ainsi rebaptisée, Lee Miller sans bras et une femme en robe du soir.
non plus comme danseuse, mais comme annonce son intention de devenir photographe. En 1932, Lee revient à New York. Elle ne
« mannequin lingerie », tout en suivant les A peine arrivée à Paris, elle frappe à la porte photographie pas seulement des gens célèbres,
16
ARTS
elle fait aussi des photos de publicité, que mais Condé Nast conseille d’abord à Lee une jetée de l’autre côté de la rue et j’ai rebroussé
publie Condé Nast. « Une musique silencieuse « longue période d’essai ». Elle continue donc chemin en courant, me tordant les pieds [...].
semble émaner d’un piano à queue luisant à photographier des célébrités et des modèles Mon Dieu, c’était horrible. »
qu’elle solarise pour une publicité de luxe. de haute couture, quand, le 22 août 1940 les Lee traverse le Rhin avec la 1ère armée
Dans une photo pour des parfums d’Elizabeth raids allemands sur Londres commencent. Les américaine, et le 11 avril 1945, elle entre dans
Arden, Lee disposa les flacons en diagonale sur rues dévastées fournissent à Lee des images le camp de Buchenwald. Elle photographie les
un miroir dans lequel, comme autant de starlet- créées par « les lois insondables des explo- survivants squelettiques, les montagnes de
tes obsédées par leur image, ils semblaient sions ». « Un jour, Lee trouva dans les ruines cadavres et les habitants de Weimar forcés de
admirer leur reflet. » une statue classique abîmée, une barre de visiter le camp. A Dachau, elle voit un train
Un des avatars les plus étonnants de Lee est métal sur le cou et une brique sur la poitrine. entier rempli de cadavres. « Se rapprochant
bien celui où elle apparaît en épouse d’un La perspective oblique renforce la qualité progressivement et adoptant des angles de vue
musulman, le richissime Egyptien rencontré à dramatique de la statue abattue. [...] Ce différents, elle photographia le train sur toute sa
Saint-Moritz, Aziz Eloui Bey – si généreux symbole féminin représente la chute d’une longueur puis [...] depuis un wagon partielle-
qu’il eut pour elle toutes les indulgences. Elle civilisation. En même temps, le titre sarcas- ment vidé : une photo qui place l’observateur
sera longtemps sa femme, légitime et infidèle. tique de Lee, Revenge on Culture, renvoie à du côté du mort. [...] un corps nu avec des
Quand, à Paris, elle rencontre le collectionneur des thèmes personnels. » bottes, près de deux bols d’étain vides. » Lee
et artiste anglais Roland Penrose, celui-ci est De nouveau, c’est un homme, David intitule son reportage « Croyez-le ».
frappé d’un immédiat coup de foudre. Et Le Sherman, journaliste de Time-Life, qui la fait Elle n’est jamais plus bouleversante qu’en
généreux Aziz assure Lee qu’il ne veut pas glisser d’une activité à une autre. En décembre ces années-là, où elle endure la crasse, les vues
divorcer sans être certain qu’elle sera heureuse. 1942 elle obtient son accréditation comme immondes, avec une exultation horrifiée, son
Lee Miller part rejoindre Penrose à Londres, correspondante de guerre du Vogue britannique. corps puissant jamais entravé par l’uniforme où
et c’est par ce nouveau palier que Lee Miller va Et quand les Alliés débarquent en Normandie le elle se soucie peu de ressembler à « un lit sale
glisser vers la guerre, qui d’ailleurs venait à sa 6 juin 1944, Lee veut débarquer elle aussi bien et défait ».
rencontre. Après ce qui fut « le dernier pique- que le front soit interdit aux femmes journalis- En Angleterre, elle souffre de dépression.
nique surréaliste » à Antibes, en compagnie de tes. Sa véritable campagne commence quand on Elle met au monde son fils Antony, essaie de
Picasso, Max Ernst, Leonora Carrington, et l’envoie à Saint-Malo, que l’on croit libérée. En vivre en campagnarde dans la ferme de Roland
même Leonor Fini et Man Ray, Lee et Roland fait, les Allemands tiennent encore la citadelle. Penrose.
arrivent à Londres, le 3 septembre 1939, au « Lee suivit l’ascension du fort par les GI Le 21 juillet 1977, « Lee affronta la mort
moment où retentissent les premières alertes comme si elle avait été l’un d’eux. » Elle dit : comme elle avait tout affronté, tête la première
aériennes. « Je me suis réfugiée dans un abri boche, terré et avec courage ». Carolyn Burke salue
Durant l’hiver 1939, Vogue envoie plusieurs sous les remparts. Mon talon s’enfonça dans pour conclure « le courage joyeux de cet esprit
de ses photographes en reportage de guerre, une main arrachée. J’ai ramassé la main, l’ai rebelle ».
GILBERT LASCAULT
17
ARTS SUITE FRED DEUX/LASCAULT
Depuis 1985, il vit et travaille à La Châtre ; il vient à moi masquée... Un dessin est lent, Fred Deux est encore marqué par une
se promène parfois près de l’Indre : « Après long à approcher ». Il ne veut jamais être ni « souffrance qui ne s’explique pas », mais
un orage, la rivière est comme une femme, les maître ni perdant. qu’il aime. Il la suggère avec pudeur : « Dès
cheveux défaits ». Par les mots, par les lignes, par les signes, ma venue (dit-il) je suis déjà tombé de la
Depuis l’âge de vingt-quatre ans, Fred Fred Deux se considère comme un « puisatier » hauteur du ventre maternel... Une étoile
Deux privilégie assez souvent, dans sa pein- mélancolique qui a vécu, pendant l’enfance, noire este suspendue au-dessus de nous...
ture, les taches, les coulages, les bavures, les dans une cave ; comme un « sourcier de Douleur dans la poitrine, une pointe qui
mouillures. « La tache (dit-il) s’ouvre, s’étale, l’abîme » ; comme un explorateur des s’enfonce... J’aime ma souffrance si elle
se referme... Elle aspire. Elle vit toutes mes « couloirs du corps » et des « gouffres » ; m’aide à avancer, que ce soit dans le noir ou
vies... Elle coule encore, s’étire une dernière comme un cartographe des zones du Désir ; dans la lumière... » Un de ses dessins
fois... Hémorragique aventure... Ma tendre comme un trapéziste qui joue avec l’équilibre s’intitule Blessure cherchant dessinateur
tache... Une tache est un autoportrait... » et le déséquilibre ; comme un zoologue inquiet. (2005). La blessure est une brèche, une
Mais, parallèlement, il dessine des formes Très souvent, il est un rat, « mon rat », et il le liberté amère.
en partie nettes, en partie indéterminées, des découvre dans une radiographie. Il est un Avec persévérance, Fred Deux murmure :
lignes précises. Il est patient : « Chaque fois, corbeau qui fait claquer ses ailes. Il est proche « Je ne m’obstine à dessiner que pour faire
c’est lent à venir... J’attends. Ça ne peut pas de l’araignée de la cave et il tend des toiles. Il reculer la mort ». Sa création est une tentative
ne pas venir... La longue attente du dessin est un piégeur piégé des formes furtives. de renaissance. « Je m’accroche. »
PHILOSOPHIE
Race et État
Éric Voegelin (1901-1985), né à Cologne en 1910, dont la famille s’installa à
Vienne en 1910 et qui vécut dans la capitale autrichienne jusqu’à 1938, avant de
s’enfuir aux Etats-Unis pour échapper à la menace d’une arrestation, doit sa célébrité
à l’ouvrage Les Religions politiques (1). C’est justement ce livre, publié à Vienne,
curieuse coïncidence, en mars 1938, au moment de l’Anschluss, qui avait achevé de
rendre Voegelin suspect aux yeux des nazis.
JACQUES LE RIDER
ÉRIC VOEGELIN corps propres aux communautés politiques Voegelin, il faut concéder que cette théorie du
RACE ET ÉTAT antiques et de l’idée de corps propre à « corps » est parfois difficile à suivre,
trad. de l’allemand par Sylvie Courtine-Denamy, l’imperium chrétien ». d’autant plus que l’auteur emploie le plus
précédé de Pierre-André Taguieff, Au lecteur qui buterait sur cette phrase de souvent le mot Leib, qui désigne habituelle-
« Éric Voegelin, 1933 : Un philosophe face à l’idée ment le corps en tant qu’organisme vivant,
de race et au racisme » alors même qu’il parle du corpus politicum et
Vrin éd., 344 p., 35 euros du corpus mysticum. La traductrice, Sylvie
Courtine-Denamy, explique qu’elle a dû
« traduire uniformément par “corps”,
“corporéité”, “corporel” », ce qui produit un
effet d’étrangeté dans un contexte de théorie
politique. On lit par exemple p. 232 : « La
ans Les Religions politiques, Voegelin catégorie de corpus mysticum, qui a été
D met en évidence la dimension religieuse
des mouvements politiques de masse contem-
élaborée en particulier pour désigner la
chrétienté comme le corps du Christ, doit
porains, en particulier du nazisme, conçu voir sa signification élargie à d’autres
comme religion politique anti-chrétienne conceptions du corps. La phratrie antique ou
apparue dans une culture profondément sécu- la gens sont également un corps mystique,
larisée, comme le retour du religieux après la tout comme la race ; ce n’est jamais un lien
mort de la religion. Sa réflexion originale n’a, biologique réel qui constitue l’unité essen-
de toute évidence, rien perdu de son actua- tielle des différents membres d’un tel corps. »
lité... On reconnaît le type de raisonnement dont
Voegelin, dans Race et État, ouvrage Les Religions politiques apporteront,
publié en 1933, est parfaitement informé des quelques années après Race et État, un nou-
développements des théories raciales à vel exemple : ce n’est pas le lien entre reli-
l’époque contemporaine : la préface érudite gion et politique qui constituerait un fait
de Pierre-André Taguieff permet de mesurer nouveau, mais le retour du religieux antichré-
l’étendue des connaissances de Voegelin en la tien (et antijudaïque, cela va sans dire) dans
matière et de repérer ses quelques lacunes. une culture parvenue au terme d’un long
Mais l’originalité de son livre consiste à processus de sécularisation. De même, ce
affirmer que l’idée de race ne peut surpren- n’est pas le lien entre race et État qui poserait
dre que ceux pour qui « les idées politiques un problème, si l’on admet que la race n’est
depuis le XVIIe siècle sont devenues l’unique que le nouveau nom donné à la « corporéité »
manière naturelle de concevoir une théorie du corpus politicum, mais l’épuisement des
politique ». Car l’idée contemporaine de race représentations traditionnelles et leur
n’est, selon lui, qu’un avatar « des idées de ÉRIC VOEGELIN remplacement par des « fictions dans
18
PHILOSOPHIE
lesquelles l’idée du corps, bien qu’elle n’ait de devenir la doctrine de l’État. Retraçant la comment on passe de l’idée de race élaborée
plus de fondement réel, n’est pas pour autant généalogie de l’antisémitisme, il accorde une par les intellectuels au racisme diffusé dans
abandonnée ». L’État national fondé sur le très grande importance à Renan : « C’est à lui tout le « corps social ». Il ne montre pas non
« corps » du Volk (peuple au sens d’ethnos et qu’on doit l’opposition, étayée par ses plus la voie qu’il faudrait suivre pour
de race) est une communauté post-chrétienne recherches philologiques, entre les Sémites et s’affranchir de la corrélation « Race et État »,
qui s’isole des autres et, selon l’expression de les Aryens. » Voegelin montre que, dans la pour mettre l’analyse du racisme au service
Voegelin, « prétend être le royaume de situation politique et sociale présente de de l’action anti-raciste. Mais reprochera-t-on
Dieu ». Dans le temps présent, chaque corps l’Allemagne, l’idée de « race nordique » se à Voegelin de ne pas avoir trouvé, dès 1933,
national est convaincu d’être la nation élue et heurte à de sérieuses difficultés. « L’idée de la réponse à des questions qui se posent
cherche à accumuler les preuves « scien- race, sur le plan pratique et politique, ne se aujourd’hui plus que jamais ? Il vaut mieux
tifiques » de sa supériorité. En particulier, la définit donc pas tant de façon positive par un rendre hommage à sa remarquable perspica-
race est le corps mystique du nouveau Reich. idéal racial, que négativement par opposition cité face à l’une des plus redoutables perver-
Après avoir montré « comment l’idée de au judaïsme. » sions idéologiques de notre temps.
race pénètre dans les communautés post- Les limites de cet ouvrage original et
chrétiennes », Voegelin s’interroge sur passionnant sont celles de l’histoire des 1. Éric Voegelin, Les Religions politiques, trad.
l’antisémitisme allemand qui, en 1933, vient idées : il n’entreprend pas de montrer Jacob Schmutz, Éditions du Cerf, 1994.
19
PSYCHANALYSE
Psychanalyse et neurologie :
le dialogue, enfin !
En présentant une lecture de Freud radicalement neuve à la lumière des recher-
ches neurologiques contemporaines sur l’émotion et les affects, Catherine Malabou
poursuit ici l’étrange et incomparable itinéraire philosophique qui est le sien et la
conduit aussi bien à écrire sur Hegel et sur Heidegger que sur le cerveau et
l’architecture neuronale. Elle montre tout ce que les blessures cérébrales, par leur
pouvoir métamorphique (pensons à ces malades d’Alzheimer devenus des sujets
méconnaissables), révèlent sur l’inconscient et la subjectivité.
Entretien
CATHERINE MALABOU vivre. L’accident cérébral révèle ainsi la Les « nouveaux blessés » sont tous ces
LES NOUVEAUX BLESSÉS possibilité qu’a le sujet de survivre à blessés psychiques que la psychanalyse tradi-
De Freud à la neurologie : l’absence de sens de ses accidents. C’est cette tionnelle ne peut précisément pas compren-
penser les traumatismes contemporains survie psychique à l’accident cérébral que dre. Leurs troubles ne proviennent jamais
Bayard éd., 362 p., 21 euros Freud n’a précisément jamais admise. d’un conflit affectif et la sexualité n’est
d’aucun secours pour les éclairer. Il s’agit des
L. F. : Vous venez de parler de l’enjeu victimes de diverses lésions ou attaques céré-
« politique » de votre démarche. Les brales, ou des patients de maladies neurodé-
Lucette Finas : Pourquoi vous a t-il paru « nouveaux blessés » ne seraient pas seule- génératives comme la maladie de Parkinson
important d’ouvrir ou de réouvrir le dialogue ment les malades cérébraux mais toutes les ou d’Alzheimer. Plus largement, les
entre Freud et la neurologie contemporaine ? victimes de traumatismes en général (guerre, nouveaux blessés sont tous les individus en
Vous ne vous livrez pas du tout à une attaque viol, attentats,...). état de choc. Sans avoir forcément subi au
contre la psychanalyse. Cependant, vous départ des lésions cérébrales, ils n’en voient
remettez en question une certaine compré- C.M. : Les textes que Freud consacre aux pas leur équilibre psychique altéré et souf-
hension freudienne de l’événement et du trau- traumas, notamment aux traumas de guerre, frent d’une atteinte du « cerveau émotionnel
ma. Pouvez-vous préciser ? sont éloquents. Dans Introduction à « La (emotional brain) ». La frontière entre trau-
psychanalyse des névroses de guerre » matismes organiques et traumatismes socio-
Catherine Malabou : J’ai tenté de réorien- (1919), il écrit : « les affections survenant politiques est très mince.
ter le débat sur des bases plus claires.
Laissant de côté les questions stériles et pure- L. F. : Vous faites preuve d’une connais-
ment polémiques de l’inefficacité de la sance impressionnante des travaux de Luria,
psychanalyse d’un côté, du tout médicament Sacks, Damasio, Cyrulnik, ou encore de la
et du positivisme de l’autre, j’ai cherché à psychiatrie de guerre (Kardiner, Salmon,
comprendre quel pouvait être le fondement Crocq, Barrois...). Mais votre intuition philo-
de cette polémique elle-même, son enjeu sophique de départ, la plasticité, est bien
philosophique et politique, qui n’avait jamais encore le fil directeur de toutes ces lectures.
encore été dévoilé. Cet enjeu tient à la défini- De La plasticité au soir de l’écriture à ce que
tion de l’événement, plus précisément de vous appelez ici « la plasticité destructrice »,
l’événement traumatique. Je tente de montrer qu’est-ce qui a changé ?
que sous les noms bien connus de « sexuali-
té » pour la psychanalyse et de « cerveau » ou C. M. : L’événement traumatique crée un
de « cérébralité » pour la neurologie nouveau sujet, c’est là sa puissance métamor-
s’abritent en fait deux régimes de causalité phique, que je nomme ici plasticité destruc-
spécifiques, et, par voie de conséquence, trice. Il ne s’agit pas, ou plus, de la plasticité
deux régimes d’événements. créatrice de forme, mais bien de cette plasti-
Il existe une différence fondamentale entre cité explosive, qui forme une identité nouvel-
l’« événement psychique » régi par le par anéantissement de l’identité précéden-
l’étiologie sexuelle et « l’événement te. La blessure cérébrale provoque une
psychique » régi par l’étiologie cérébrale. transformation qui fait surgir d’un lieu onto-
Pour Freud, un « événement psychique » a logiquement et existentiellement secret un
nécessairement toujours deux faces, une part sujet méconnaissable. Je discute, dans la
de survenue inopinée, et une part de prédesti- dernière partie du livre, avec Foucault et
nation. La sexualité est le lieu rencontre entre CATHERINE MALABOU Derrida. Ce qui se passe aujourd’hui n’est ni
l’exogène et l’endogène, l’entrecroisement de l’apparition d’un nouveau chapitre de
l’« énergétique » et de l’« herméneutique », après un effroi ne sont pas des névroses. » l’Histoire de la sexualité, ni l’émergence
du « non sens » et du « sens ». Les blessures à la tête, les troubles fonction- d’une nouvelle écriture inconsciente. La
Le régime d’événements régi par la céré- nels et moteurs, les paralysies, les tremble- plasticité, je le maintiens, est l’avenir de
bralité est d’une tout autre nature. Dans le cas ments, les pertes de mémoire consécutifs à l’écriture en ce qu’elle révèle des modes
d’une lésion cérébrale par exemple, le carac- des lésions organiques saisissables du systè- d’être du système qui ne doivent rien à la
tère extérieur de l’accident reste extérieur au me nerveux n’ont pas, en tant que tels, trace. Les blessures dont je parle se produi-
psychisme lui-même. Les accidents de la d’impact sur le psychisme. Ils doivent, pour sent précisément quand la trace est perdue.
cérébralité sont des blessures qui déchirent le constituer des événements psychiques à part
fil d’une histoire et demeurent « irrécupéra- entière, réactiver un conflit qui ne doit rien à Propos recueillis
bles » alors que le psychisme continue de la guerre : un conflit affectif. par Lucette Finas
20
HISTOIRE
DOMINIQUE GOY-BLANQUET
FRANCK COLLARD l’arme de prédilection des femmes, des orien- siècle des Lumières, observe l’auteur.
POUVOIR ET POISON taux, des médecins juifs, des Italiens. Collard, Permanence également, de la peste de 1348 à
Seuil éd., 300 p., 22 euros qui oublie l’ascendance médicéenne du la grippe espagnole de 1918, imputées l’une
souverain, s’étonne d’une affaire étouffée par et l’autre à une action criminelle allemande
Louis XIV, « inversant les rôles du Français par le biais d’animaux domestiques.
empoisonnement est une continua-
«moyens.
L’»tion de la politique par d’autres
Collard développe sa thèse dans un
atteint par l’Italien empoisonneur ». Plutôt
qu’à ces suspects ataviques, il s’attache aux
catégories visées, évêques, papes, princes,
Les rumeurs de poison faisant plus de
ravages que les substances toxiques, on
s’attendrait à voir prêter plus d’attention aux
ouvrage fascinant et frustrant comme une souverains, en bref tous ceux qui ont quelque écrivains qui s’emparent du thème. Ulysse
bibliothèque de romans policiers auxquels chose à prendre ou à perdre. Les meurtres
manquerait presque toujours la dernière page. réels ou suspectés sont la plupart du temps
L’étendue du champ couvert, l’Occident de des attentats contre un personnage haut placé,
l’Antiquité à nos jours, ne laisse pas le loisir perpétrés par son entourage. Parfois toute une
de refaire l’enquête ni d’examiner en
profondeur le contexte politique des homi-
population sert de cible à un ennemi politique
ou religieux : les viandes, les puits d’une ville
Rumeurs
cides recensés. La mort suspecte était-elle ou sont empoisonnés, par des Juifs qui veulent de poison
non un meurtre, on l’ignore la plupart du détruire la chrétienté, ou des lépreux alliés
temps. Pour un crime avéré, d’innombrables aux Infidèles. L’empoisonnement prend alors
rumeurs circulent sans jamais aboutir à une dans les récits une valeur symbolique, de la
preuve. Quelle était l’efficacité des outils de maladie du royaume ou du pouvoir. L’affaire
détection, ou encore celle des goûteurs, des Poisons sous Louis XIV couvre surtout figure au chapitre des flèches empoisonnées
combien sont tombés raides morts à la table des appétits matériels ou sentimentaux mais mais pas Hercule ni son héritier Philoctète
du banquet ou dans les semaines qui devient une affaire d’État parce que la malgré leur longue descendance littéraire. Le
suivirent, on ne le saura pas davantage. Brinvilliers compte de nombreux clients dans diabolique Henry II occupe le terrain en
D’après les historiens, les armes de la l’entourage royal. Au XVIIIe, ce sont les l’absence de son épouse, la non moins
médecine et l’hygiène alimentaire étaient Jésuites qu’on accuse de collusion avec les redoutable Aliénor que les ballades contem-
souvent plus meurtrières que les assassins Noirs de Saint-Domingue dans un complot poraines accusaient d’avoir empoisonné sa
patentés. Sans parler des tentatives visant à élimiter tous les Blancs, et qui sont rivale « Fair Rosamund », et Catherine de
d’amateurs où le mélange de doigt de pendu, expulsés des îles. « Magnifique permanence Médicis est réservée au seul Alexandre
farine, sang de chauve-souris ou autre de l’accusation d’empoisonnement » au Dumas. Collard s’étonne naïvement qu’on ne
n’offraient pas le résultat espéré. laisse pas les rois détrônés vieillir en paix
Collard s’applique à déceler une évolution dans un monastère, Edward II ou Richard II
chronologique dans une forme d’assassinat aurait pu l’éclairer sur ce point. Il rapporte
dont les mobiles varient peu d’un siècle à l’affaire Lopez sans mentionner les pièces
l’autre : le poison sert aussi bien à éliminer qu’elle inspire, Le Marchand de Venise, Le
un rival qu’à détruire sa réputation, le constat Juif de Malte empoisonneur d’un plein
ne va guère plus loin. On s’y perd un peu couvent de religieuses, ou plus largement la
entre les soupçons, les rumeurs malveillantes riche production du théâtre de la vengeance
et les accusations fondées, ainsi lorsqu’il dont les empoisonneurs rivalisent
évoque à propos de Louvois la fin de Fouquet d’ingéniosité, enduisant de venin les lèvres
trente ans plus tôt : « Signalons que cette d’un cadavre ou d’un portrait aimé. Le
disgrâce, achevée par un décès qui n’était phénomène tient en une phrase sous le titre «
pas non plus exempt de soupçon Poisons du Grand Siècle » : « la société tout
d’empoisonnement, n’avait pas été amorcée entière baigne dans les effluves toxiques : la
par une accusation du même ordre qui littérature, roma-nesque ou théâtrale, s’en
apparut toutefois plus tard et s’avéra donc ressent et fourmille d’histoires
inutile malgré la notoire dilection du surin- d’empoisonnement, notamment dans l’œuvre
tendant pour la chimie pharmaceutique. » de Shakespeare ». A ce stade quelques
Plus on s’élève sur l’échelle du pouvoir, plus bonnes plumes, Saint-Simon, Voltaire, appor-
le poison circule dans les corps et les esprits. tent leur goutte de vitriol à l’index des mots
Collard cite à ce propos une phrase de Vigny vénéneux. Désormais le poison se dédia-
: « Il y a deux choses que l’on conteste aux bolise : après les derniers feux napoléoniens,
rois : leur naissance et leur mort ; on ne veut « il ne reste d’actualité qu’au titre d’intrigues
pas que l’une soit légitime ni l’autre anecdotiques et de cabales superficielles qui
naturelle. » Cependant certaines époques, ne remettent plus guère en cause la marche
certains types de société semblent plus prop- de l’État et encore moins le salut des
ices à la propagation des poisons, celles peuples ». Avait-il ce pouvoir aupa-ravant, le
notamment où le pouvoir s’isole et rend plus livre de Collard malgré sa fabuleuse richesse
difficile l’usage des armes conventionnelles. d’exemples ne l’établit pas tout à fait. Quant
Les périodes plus ouvertement violentes au dernier chapitre, qui voit pas-ser Staline «
connaissent une « pause toxique », comme la le super-Borgia du Kremlin », des espions
Révolution française, qui rend hommage au assassins, et des armes de destruction
tyrannicide Brutus et verse le sang au grand toxiques, apanage à l’en croire des régimes
jour. non démocratiques, il contredit un peu ce bel
Sans grande surprise, le poison passe pour LA VOISIN optimisme.
21
HISTOIRE
PIERRE LAGAYETTE
HENRY ADAMS conquiert son espace vital, et s’étire sur tout parce que l’épistémologie d’Adams se nour-
L’ÉDUCATION DE HENRY ADAMS un continent, puis l’étoffe se déchire, on frôle rit de parallèles et de divergences, et de la
The Education of Henry Adams le chaos avec la guerre de Sécession, enfin la nécessité d’ordonner le désordre de l’univers.
éd. de Pierre-Yves Pétillon nation réunie se précipite dans une course au Véritable saga du savoir, son « Education »
trad. révisée par Régis Michaud progrès qui, au tournant du siècle, en fera la est profondément géographique et aven-
et Franck L. Schoell première puissance économique du monde. tureuse, conformément aux canons du récit
Imprimerie Nationale éd., 424 p., 28 euros Henry Adams entre avec elle dans son d’initiation. Mais Adams se promène aussi
troisième siècle, celui de la modernité, de la dans le temps, comme il sied à l’historien, et
science toute-puissante et des empires finan- avec lui le lecteur revisite pratiquement
ciers. Le vieil homme résiste comme il peut à toutes les époques de l’humanité. L’« Éduca-
l’effritement d’un monde que son intellect tion » est encyclopédique et les références
avait cru pouvoir savamment maîtriser. Mais érudites ne manquent pas ; pourtant jamais le
il n’est plus temps : celui qui s’était décrit lui- lecteur n’est laissé, livré à lui-même, sur le
h, bien sûr, le nom de famille nous dit
O quelque chose, il y a des quasi-
homonymes à la télé, mais sorti de là, seules
même comme un « anarchiste chrétien
conservateur » reste confronté à une anarchie
qui remet en cause tous les systèmes par lui
bord du chemin de la connaissance.
L’aventure est aussi la sienne. Car Henry
Adams était un pédagogue, au sens noble du
quelques poignées d’initiés sont capables de savamment élaborés pour donner sens à terme, à la plume alerte, ironique souvent,
retracer la généalogie de cet historien améri- l’accélération de l’histoire. Les soubresauts mais toujours accessible.
cain, né en 1838 et mort en 1918, au moment des décennies passées, voire des derniers Imprimé à compte d’auteur en 1907,
même où se conduisent les dernières offen- siècles, semblent défier toute prétention à distribué à quelques amis pour tester leurs
sives de la Grande Guerre. l’ordre et à la raison. Alors Adams, ex- réactions et solliciter leurs corrections, ce
Il vient d’avoir 80 ans et a connu, si l’on professeur d’histoire médiévale à Harvard livre paraît ici dans sa version originale,
peut dire, trois siècles : celui des Lumières, (l’école communale de la famille), remonte le magnifiquement traduite dans les années
dont il est héritier et d’où est issue toute la temps pour aller se griser d’architecture goth- trente par Régis Michaud et Franck Schoell.
culture familiale, attachée à l’aristocratie de ique, de cathédrales et de clochers, de vitraux Par la magie des célébrations centenaires, la
l’esprit et aux principes fondateurs de la et de retables, jusqu’à ce que la Vierge lui voici à nouveau disponible, livrée à un public
République. Pensez, les Adams ont donné, en apparaisse – pas à Lourdes, mais à Coutances dont Adams n’aurait jamais osé imaginer
peu de temps, deux présidents aux Etats-Unis et à Chartres – comme la seule force à avoir qu’il pût un jour être aussi vaste. Plus intime,
d’Amérique, le second et le sixième, des jamais unifié l’activité humaine, mieux que moins copieuse que l’édition de 1918, celle-
ambassadeurs et deux historiens, Henry lui- toute politique, mieux que toute philosophie, ci fait l’impasse sur la guerre de Sécession,
mieux surtout que ces machines qui vécue de l’étranger (Londres) par Adams et la
fredonnent la chanson du Progrès dans les fin des années 1860. Mais elle dispose, en
grands halls des expositions universelles, revanche, d’un appareil critique exceptionnel
notamment celle de Paris, en 1900, dont qui la rend plus abordable et compréhensible.
Une nouvelle aristocratie l’ombre plane sur les derniers chapitres de D’abord, la présentation de Pierre-Yves
de l’esprit cette biographie. Pétillon, lumineuse, parfaite pour bien
On dira bien biographie car, malgré le percevoir les lignes de forces qui courent
sous-titre, « An Autobiography », ajouté à dans le texte richissime d’Adams. Et puis un
l’édition commerciale de 1918, il s’agit bien ensemble de notices biographiques, une
pour Henry Adams de prendre une sorte de chronologie commentée et un index, qui sont
même, et son frère Brooks. Le XVIIIe siècle a distance narrative par rapport à l’histoire autant de repères pour mieux accompagner le
installé la famille dans l’élite politique, révo- d’une vie afin d’en dégager, si possible, une capitaine de cette croisière historico-
lutionnaire et patriotique, de la nouvelle rassurante unité, à défaut d’avoir pu en culturelle inouïe. Enfin, incluses dans la
nation. Ce sont des fondateurs, des discerner une dans l’histoire du monde. chronologie, le lecteur trouvera des vignettes
« Brahmins », comme on les appelle à Adams met en scène son propre personnage explicatives, des bijoux de concision et de
Boston, dont les racines plongent dans la dans l’acte périlleux de l’initiation, le suit sur limpidité, sans lesquelles des notions telles
terre cultivée par le premier Adams – déjà les chemins de la connaissance, pour finale- que l’« unitarisme » ou le « Free Soil Party »
prénommé Henry – venu en 1636 avec la ment conclure, socratiquement, qu’il ne ou des événements comme la « Convention
grande migration protestante en Nouvelle- connaît rien sinon l’étendue de son ignorance de Hartford » ou « L’exposition de Chicago »
Angleterre. Ils sont l’incarnation même et que tout est à refaire (on aimera le voir demeureraient obscurs.
d’une nouvelle aristocratie de l’esprit, celle clore néanmoins son récit sur la formule opti- Henry Adams disait lui-même qu’il s’était
qui peut donner le plus de profondeur miste de Lucrèce, « Nunc Age »). mis à l’écriture de l’histoire pour combattre
historique et culturelle à la jeune Amérique. Ce « mannequin » qu’Adams habille de l’ennui. Ce n’est pas entièrement vrai mais
Henry Adams est aussi l’enfant du ses propres espoirs, préjugés, doutes ou cela colle bien à l’image de ses origines
XIXe siècle, inscrit comme à contre-cœur convictions, séduit finalement assez le patriciennes. Le lecteur, lui, ne risque rien ; la
dans son temps, mais attentif à toutes les lecteur, probablement davantage que ne lassitude ne le guette à aucun moment.
transformations de la société américaine, l’aurait fait le vrai Henry que l’on découvre
comme se doit de l’être l’historien qu’il est plus intimement dans sa volumineuse corre- Pierre Lagayette est Professor of American
devenu par métier. Le temps n’est plus bien- spondance. Il le promène dans l’espace : cette Studies et directeur du Centre de Recherche :
tôt aux dynasties politiques, ni à la noblesse éducation est un grand périple, de « L’Ouest américain et l’Asie/Pacifique anglo-
des pensées ou des sentiments : l’Amérique Washington à Berlin, de Londres à Chicago, phone ».
22
DROIT
SUITE
guetteur du changement soit aussi portent leurs fruits. Mais l’urgence du moment
l’accoucheur du renouveau ? Alors que la n’autorise pas la patience.
23
DROIT SUITE DELMAS-MARTY/CHEMILLIER-GENDREAU
l’horizon. Une nouvelle architecture du monde au profit d’un super État. Ce n’est ni l’un, ni rasser l’humanité du double fléau d’une part de
semble se construire par hybridation. Et l’autre et il en sera de même pour le monde. Les la montée des armements, des peuples aban-
l’ouvrage porte bien son nom : les forces imagi- compétences et les solidarités doivent désor- donnés, des prédations légitimées ou garanties
nantes du droit, car la communauté mondiale mais être distribuées en harmonie avec l’échelle par les armes et d’autre part, de la réponse par
est sommée d’inventer. Cette communauté des besoins. Le tout naturellement n’est possi- le terrorisme ? La communauté politique
mondiale à venir ne fera pas disparaître les ble qu’en cessant de se référer à un droit natu- universelle, matrice de protection des commu-
communautés nationales, mais entrera dans une rel qui ne l’est que pour certains. L’évolution nautés politiques nationales, régionales ou
nouvelle complexité juridique avec elles et des hommes et de leurs technologies fait que les communales, est la seule voie pour ramener
aucune ne pourra plus être nommée souveraine. valeurs sont relatives dans le temps. Mais elles tous les candidats à la violence (celle des États
Car le mot de souveraineté doit être réservé au peuvent avoir une dimension universelle dans ou celle des réseaux) à former un lien avec tous.
« souverain bien » évoqué par Spinoza dans le un espace mondial politisé. Car là est le cœur
Traité sur la réforme de l’entendement. Ce ne de l’enjeu de la paix. Une communauté de
peut être un attribut imprudemment affecté à valeurs doit être une communauté politique, 1. Le premier avait pour sous-titre : Le relatif et
une personne ou à un groupe. Le grand malen- c’est-à-dire un groupe au sein duquel les l’universel. Seuil. 2004 et le second, Le pluralisme
tendu sur l’Europe, laboratoire du monde, est valeurs se débattent et se forgent dans ce ordonné. Seuil. 2006.
venu de ceux qui ne savaient penser le politique mouvement des humains conscients de leur 2. Mireille Delmas-Marty. Le flou du droit. Du
qu’en termes d’États. Soit l’on gardait les États destin qu’Hannah Arendt appelait « l’agir poli- code pénal aux droits de l’homme, 2e éd. PUF,
souverains préexistants, soit on les supprimait tique ». Comment pourrait-on autrement débar- Quadrige. 2004.
SPECTACLES
Cinéma italien, an 07
Nous le regrettions déjà l’an passé, à pareille époque : la folle dérive de
l’exploitation ne touche guère les cinéastes italiens. Aux quinze films transalpins
présentés chez nous en 2005, ont succédé dix films en 2006. Pas des moindres, certes,
puisque l’on a pu voir Le Caïman de Moretti et Romanzo criminale de Michele
Placido, tous deux traités ici, et dans un registre moins spectaculaire, Libero de Kim
Rossi Stuart, et Un silence particulier de Stefano Rulli. Cette première semaine
d’octobre serait presque riche en italianité, puisque deux films sont à l’affiche à Paris,
l’un de façon confidentielle, et après un an et demi d’attente, Le Metteur en scène de
mariages (Marco Bellocchio), l’autre, Mon frère est fils unique (Daniele Luchetti) avec
un meilleur affichage, dû à sa sélection cannoise. Mais la voie vers une meilleure
connaissance de ce cinéma voisin n’est toujours pas dégagée.
LUCIEN LOGETTE
ANNECY CINÉMA ITALIEN 2007 règnent les multiplexes, avec les mêmes compétition, six étaient des premières (dont
25e ÉDITION conséquences qu’en France (rotation rapide Baciami piccina, Roberto Cimpanelli, Prix
Bonlieu scène nationale Annecy des titres, élimination immédiate des films en du public) ou secondes œuvres (dont Riparo,
23 septembre – 2 octobre cas d’insuccès) ont déterminé une fronde Marco Simon Puccioni, Grand Prix). Le
inédite : le regroupement d’une cinquantaine niveau de l’ensemble était même si relevé
de réalisateurs et scénaristes, vite multipliés que l’on aurait pu remplacer les noms des
(on parle désormais du “ mouvement des Cent vainqueurs par d’autres, Andrea Molaioli ou
ertes, dix films accessibles en 2006, c’est Salvatore Maira, sans trouver cela autrement
C mieux que rien, un peu plus que
l’Argentine ou le Danemark (neuf), un peu
auteurs “), réclamant des mesures permettant
d’assurer leur survie. Revendications à la fois
économiques, quant au financement des
injuste. L’inspiration un peu « jeune » de la
sélection 2006 (plusieurs films d’ados,
moins que l’Espagne (onze) ou la Chine œuvres, et politiques, sur la place que le d’ailleurs plaisants) a laissé place à des sujets
(douze), mais c’est insuffisant pour garder le système peut encore offrir à une expression plus variés, plus ou moins directement poli-
contact avec une cinématographie aussi culturelle libre, qui recoupent le discours tenu tiques - l’immigration, la Mafia, le terrorisme
vivace. Car le cinéma italien existe, forte- par Pascale Ferran lors de la remise des – ou sociaux – le chômage, les croisements
ment, ne serait-ce qu’en audience locale : Césars, discours courageux mais qui n’a pas urbains –, sans que la thèse prenne le pas sur
pour la première fois, les films nationaux ont encore éveillé dans l’Hexagone l’équivalent de la narration. Même les films de genre, poli-
dépassé, en 2007, en Italie, les 40% de parts ce mouvement. Que sortira-t-il de ces “ états cier (La ragazza del lago, Andrea Molaioli)
de marché (25% les années précédentes), généraux du cinéma “ ? Les faits sont têtus et ou thriller (Notturno bus, Davide Marengo)
c’est-à-dire bien au-dessus de la moyenne l’industrie vaincra, mais on suivra avec intérêt échappent à leur cahier des charges : le
européenne. Il ne faut pas rêver non plus : les cette lutte pleine d’enseignements. premier, constamment tenu, elliptique
produits les mieux accueillis, Natale a New Le festival d’Annecy demeure irrem- jusqu’à l’austérité, parvient à donner à ses
York, Manuale d’amore 2 ou Ho voglia di te, plaçable pour prendre ponctuellement des protagonistes une épaisseur rare sans jamais
se placent, selon ce que l’on en sait, plus du nouvelles de ce cinéma si proche et si peu forcer le trait, et Toni Servillo, en Maigret
côté des Bronzés 3 ou de Camping que de fréquenté. Même s’il ne s’agit que d’un état campagnard, y est, comme d’habitude,
Lady Chatterley. Le gros public demeure le des lieux partiels - en tout vingt-cinq films remarquable. Le second navigue entre débor-
gros public. récents projetés dans les différentes dements sanglants et comédie à l’américaine
Mais les difficultés causées aux réalisateurs sections –, le panorama est toujours riche de (Valerio Mastandrea et Giovanna
indépendants par les circuits d’exploitation où découvertes : parmi les neuf films en Mezzogiorno en héritiers de Cary Grant et
24
SPECTACLES
Katharine Hepburn), jouant sans faillir sur les la Mezzogiorno, la beauté du profil casqué de En revanche, on verra certainement ici,
deux registres de la violence extrême et du Valeria Solarino (Valzer, Salvatore Maira), celui-ci représentant l’Italie aux Oscars, La
marivaudage, sauvant par un dialogue sur les l’aisance d’Anita Caproli (Non pensarci), sconosciuta de Giuseppe Tornatore. Pour ne
pointes l’aspect mécanique de l’intrigue. toutes capables de se transformer d’un film à pas avoir toujours été convaincu par l’auteur
Plus que tout autre, le cinéma italien est un l’autre en demeurant inoubliables. de Cinéma Paradiso, on ne peut que recon-
cinéma d’acteurs. Les « grands », Marcello, Formellement, Valzer est sans doute naître la puissance de son dernier-né. Entre
Vittorio, Ugo, ont disparu, mais leurs l’œuvre la plus intéressante du festival. Au- un scénario remarquablement construit qui ne
successeurs ne déméritent pas, même si leur delà de sa performance acrobatique — un dévoile que très lentement ses motifs, une
renommée, à l’exception de Michele Placido plan séquence de 87 minutes qui parcourt un direction d’acteurs étonnante, avec un
(présent ici dans trois films), ne dépasse pas hôtel de luxe, des sous-sols aux étages –, et Placido méconnaissable et, surtout, une
encore les frontières. Mais la puissance de la manière dont l’auteur parvient à faire éblouissante Xenia Rappoport, inconnue au
comique dérangeante de Neri Marcorè s’entrecroiser ses personnages, mêlant dans bataillon, nous sommes là devant une œuvre
(Baciami piccina), le jeu retenu mais capable le même mouvement narration au présent et de première importance qui vaudra d’y
d’éclairs de Mastandrea (Non pensarci, retours en arrière sans que jamais l’artifice revenir le moment venu.
Gianni Zanasi, Notturno bus), la force de gêne, Maira réussit une belle variation sur la Pierre Todeschini, fondateur et infatigable
David Coco (prix d’interprétation pour tromperie et l’identité (après dix ans de animateur des rencontres d’Annecy depuis
L’uomo di vetro, Stefano Incerti), l’immense prison, un père découvre que les lettres de sa 1983, est mort brutalement au mois d’août ;
présence immobile de Toni Servillo, déjà vu fille étaient écrites par une autre). Le prix des son ombre a plané sur cette 25e édition, et la
dans les films de Paolo Sorrentino, sont des cinéma d’art et d’essai qui lui a été attribué qualité de cette dernière sélection n’a fait
qualités bien rafraîchissantes pour qui a vu laisse espérer qu’il atteigne un jour les spec- qu’accentuer la tristesse de son absence. Jean
sept fois dans l’année Mathieu Amalric ou tateurs français (ce qu’aucun des titres laurés A. Gili, cofondateur et directeur artistique du
François Berléand. Quant aux interprètes en 2006 n’a pu faire), ce qui nous consolerait Festival, reprend seul le flambeau. On sait donc
féminines, on reste pantois devant les yeux de de voir sortir tant de films inutiles. que l’on peut attendre en confiance la 26e.
Un théâtre en apesanteur
Claude Régy crée Homme sans but d’Arne Lygre à l’Odéon-Théâtre de
l’Europe, dans le cadre du Festival d’Automne. Inlassablement il continue à faire
œuvre de découvreur et cette fois il révèle une pièce accordée à son art singulier de la
mise en scène.
MONIQUE LE ROUX
ARNE LYGRE recueil de nouvelles et un roman, quatre duire, se répéter entre les survivants. Dans
HOMME SANS BUT autres pièces ont suivi. La première, traduite une filiation qui passe par Knut Hamsun et
Mise en scène de Claude Régy par Terje Sinding, grand passeur des littéra- Jon Fosse, Arne Lygre refuse la référence à
Odéon-Ateliers Berthier tures scandinaves, lue à la « Mousson d’été », Ibsen. Comme lui il dissémine des indices de
jusqu’au 10 novembre la manifestation annuelle organisée par prime abord indéchiffrables ; mais il ne les
Michel Didym en Lorraine, a été publiée dès dévoile pas au rythme d’une mécanique
2000 par les Solitaires intempestifs (2), sans inéluctable. Sa singularité réside dans le
susciter un intérêt comparable à celui rencon- maintien du doute et de l’incertitude, du
algré ses premières déclarations lors de
M sa nomination à la tête de l’Odéon-
Théâtre de l’Europe, Olivier Py a conçu une
tré dans d’autres pays. A travers l’évocation
de soixante années, depuis la seconde guerre
mondiale, elle témoignait déjà d’une belle
simulacre et du faux-semblant.
« Ainsi, dans Homme sans but, la vie est
ouverte à la multiplicité des scénarios possi-
première saison équilibrée, qui associe liberté dans l’écriture des dialogues et de bles, imaginaires » écrit Claude Régy dans le
diverses générations, alterne répertoire et fréquents monologues, dans le jeu de la programme (4). Et il ajoute : « Chez Arne
écriture contemporaine ou les présente en temporalité. Elle ménageait insidieusement, Lygre, ce qui n’est pas écrit appartient aussi
parallèle dans les deux lieux, la salle à l’ita- par les répétitions et les variations d’une à l’écriture. Très peu est écrit, c’est ce qui
lienne au cœur de Paris ou les espaces trans- génération à l’autre au sein d’une même donne au texte une sorte d’apesanteur ». La
formables à la périphérie. Après avoir briève- famille, la progression vers un dénouement pièce conserve un ancrage spatial : la rive
ment repris ses Illusions comiques, il chargé d’une sourde violence, imprégné de d’un fjord, une chambre d’hôpital, une salle
programme aux Ateliers Berthier le travail fantasmes cauchemardesques. vide dans la maison de Peter après sa dispari-
d’un créateur octogénaire sur un jeune Homme sans but, la quatrième pièce tion.Mais elle est désarrimée des repères
écrivain norvégien quasiment inconnu en toujours traduite par Terje Sinding, mais temporels : la variation des perspectives, le
France et sur le plateau historique une éditée par l’Arche (3), paraît aussi se situer passage, au milieu de chacun des trois actes,
première mise en scène d’ après Molière. dans un contexte familial. Sur les six person- d’une adresse directe à un commentaire à la
Associant, sur les traces d’une très illustre nages, cinq sont désignés par le lien de paren- troisième personne par les mêmes locuteurs,
troupe, Les Précieuses ridicules, Tartuffe, Le té : frère, femme, fille, sœur, ou de subordi- s’accompagnent de sauts temporels, de
Malade imaginaire, Eric Louis présente Le nation : assistant (auparavant propriétaire), au plusieurs décennies ou de quelques minutes.
Bourgeois, la mort et le comédien (1) comme protagoniste, Peter, le seul doté d’un prénom. Ainsi seules dix années séparent l’acte I et
le spectacle d’une compagnie, « la Nuit Mais peu à peu cette assignation semble l’acte II, le projet urbanistique et la mort de
surprise par le jour », groupe de comédiens relever d’un autre type de relation, d’un jeu Peter après sa réalisation; une semaine
issus de l’École de Chaillot, la dernière année de rôles stipendié. Dans un délire de toute s’écoule avant l’acte III, les règlements de
de sa direction par Antoine Vitez, et des puissance, peut-être l’architecte Peter ne compte et ceux de la succession. Dans une
ateliers de Didier-George Gabily. s’est-il pas seulement emparé, par la force de anticipation fantasmatique, la ville a pourtant
Né en 1968, Arne Lygre semble, lui, s’être la menace et le pouvoir de l’argent, des rives déjà vingt ans lors des festivités de son
tenu longtemps à l’écart du théâtre avant vierges d’un fjord pour y construire sa ville. anniversaire et trente ans lors de son premier
d’écrire Maman et moi et les hommes, vite Et dans ce cas, même après sa mort, cette
reconnu et monté en Norvège. Outre un emprise sur les êtres ne pourrait que se repro- SUITE P. 30
25
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
PETITS FORMATS
EVELYNE PIEILLER
GÉRARD POMMIER te, examine précisément les apports ALESSANDRO BARICCO archaïsmes, choisit de proposer des
COMMENT LES NEUROSCIEN- des neurosciences, pour à la fois en HOMÈRE, ILIADE récits sous forme subjective, et
CES DÉMONTRENT LA souligner les apories, le travail de s’autorise quelques adjonctions, qui
l’idéologie dans la construction trad. de l’italien par « amènent en surface des nuances
PSYCHANALYSE
Flammarion (Champs), 432 p., 10 e
Françoise Brun
Gallimard (Folio), 244 p., 6 e
scientifique, et la signification de que l’Iliade ne pouvait dire à voix
leurs éclaircissements. Et c’est haute mais cachait entre les lignes ».
émerveillant. Et c’est enthousias- En bref, il s’agit de « ramener
mant. Sa réflexion s’organise autour l’Iliade dans l’orbite des récits qui
de la pulsion « qui anime le nous sont contemporains ». Pauvre
psychique en même temps qu’elle L’auteur se fait un plaisir de nous Iliade, pauvre récits contemporains.
Ce n’est pas tout à fait nouveau, intègre le somatique », force en informer : son Iliade fit l’objet de Et donc, « Ulysse, c’était celui qui
qu’on réduise l’amour à une ques- psychique étayée sur les besoins et deux « readings », qui eurent plus de faisait travailler son cerveau », et
tion d’hormones, ou qu’on rende les orifices correspondants du corps dix mille spectateurs payants : pas Pâris dit à Hélène « Viens ici,
compte des troubles de la mémoire – localisées dans l’aire corticale de doute possible, l’œuvre doit être faisons l’amour », comme il se doit,
chez les personnes âgées par la droite, et du langage. A la naissance, sensationnelle. Il faut dire qu’Ales- la « féminité » est une dimension
« mort » des neurones. Ces explica- le matériel neurobiologique dépasse sandro Baricco a fait le nécessaire. Il importante du produit, qui porte la
tions-là n’ont pas seulement le char- les nécessités physiologiques, les a soigneusement tenu compte, dans tendresse et l’amour de la vie,
me prenant du cercle vicieux, elles neurones non connectés sont un sa version de l’Iliade, du « public comme il se doit, l’Iliade est censée
séduisent également parce qu’elles support organique en attente de d’aujourd’hui », « qui a besoin être un « monument à la guerre », et
renvoient à une conception du corps potentialités. Ces neurones non d’identification », et, ma foi, à sa beauté, mais nous devons trou-
comme machine, ce qui est à la fois affectés vont être modelés par le d’action: donc il coupe, supprime ver à aimer une « autre beauté ».
réconfortant – une machine se répa- langage, chose matérielle, d’abord les « répétitions », « crée des L’ensemble est d’une niaiserie cari-
re – et délicieusement humiliant – sensations pulsionnelles que l’infans séquences plus resserrées », évacue caturale, d’une pauvreté torpillante
nous ne sommes que rouages et mémorise et associe puis représenta- les dieux (« si l’on enlève les dieux d’ennui, on peut supposer que
chimie, habitants pas tout à fait tion des mots de l’Autre. Et c’est de ce texte, reste une histoire l’adaptation de Moby Dick que
responsables d’une mystérieuse grâce au refoulement de la pulsion éminemment humaine ») élimine les Baricco envisage aura le même
usine qui distille notre plus secrète, par la parole que le sujet peut exis- succès : vive le chef-d’œuvre
et étrangère, identité. Mais, Dieu ter: et l’enfant rit quand il babille... sympa.
merci, il ya les experts: qui sauront rit de n’être plus pulsion dévorante MICHAEL ONDAATJE
prescrire la bienfaisance ritaline aux et menacée. Les expériences les plus BILLY THE KID
enfants agités, castrer à coup de récentes, ainsi que les travaux sur les ŒUVRES COMPLÈTES
médicaments les déviants sexuels, disfonctionnements (hystérie, épi- POÈMES DU GAUCHER
adoucir les trop longs deuils, et ainsi lepsie, accidents cérébraux, etc.) JEAN-HENRI FABRE
maintenir l’ordre, et la sérénité. Les confirment cette irréductibilité du trad. de l’anglais (Canada) par
Michel Lederer LE SCARABÉE
tenants de l’organicisme peuvent fonctionnement psychique à la
Points-Seuil, 135 p., 5,50 e
désormais s’appuyer avec confiance physiologie du cerveau,la mise en Textes choisis et présentés par
sur les découvertes des neuroscien- tension de l’organisme par le corps Jacques Brosse
La Table ronde (La petite vermillon),
308 p., 5 e
ces, quant à la psychanalyse, elle ne psychique, et il y a une splendeur
peut, scientifiquement, qu’être hon- poétique immense, bouleversante, Des petits poèmes tourbillon-
teusement dépouillée de sa préten- qui permet d’appréhender l’humain nants et mystérieux, des récits
tion à être autre chose qu’une non plus dans l’obscurantisme d’un hachés, des grands éclats lyriques et
coûteuse méthode Coué. Gérard scientisme en impasse, mais dans sa des compte-rendus familiers, des
Pommier, psychiatre et psychanalys- capacité de faire corps avec le sens... coupures de presse, des photos C’est en 1879, à cinquante-six
grisâtres, des visions, l’ouvrage ans, que Jean-Henri Fabre s’engage
d’Ondaatje est une fulgurance, dans la publication de ses Souvenirs
ANDRÉ GREEN Jean-Luc Donnet, cette élaboration herbe, alcool, folie, succession entomologiques, dont la parution
lumineuse et poignante de la notion d’éclairs et d’histoires horribles, s’échelonnera jusqu’en 1909. C’est
NARCISSISME DE VIE définitivement un « original », un
de « blank », de l’espace inoccupé, sang et fureur, Billy. Pat Garrett,
NARCISSISME DE MORT
Minuit (Reprises), 315 p., 11,50 e
vide, qui signe le désinvestissement Sally Chisum composent un chant aventureux, que ce solitaire, qui dut
par le Moi des représentations, ce obsédant et violent aux « planètes de gagner sa vie à quinze ans, sut néan-
qui le laisse « confronté à son vide sang dans la tête ». Ce livre est moins devenir professeur, mais
constitutif », solitude intolérable, hanté, et stupéfiant comme un délire préféra aux honneurs d’une belle
Ce recueil composé pour impossibilité de penser, impulsion qui donnerait la fièvre à celui qui en carrière les joies de l’observation
l’essentiel de contributions parues envahissante du corps. Le narcissis- est spectateur. minutieuse, rusée, et folâtre. Il
entre la fin des années soixante et le me négatif se construit quand le sens gagne sa vie en écrivant des manuels
début des années quatre-vingt n’est est perdu, quand par exemple la scolaires, et il étudie la mouche, la
pas d’une lecture facile, ce qui, mère, brusquement, change et H. G. WELLS mante religieuse, l’araignée... en
d’une part, fait le plus grand bien, « s’absente », le Moi, pour soutenir L’AMOUR ET M. LEWISHAM marge de tout courant, comme il
car la vulgarisation péri-psychanaly- son illusion de toute-puissance, va Histoire d’un très jeune couple l’entend. Jacques Brosse, dans les
tique est ravageuse de sottise, et chercher l’immortalité en se refu- dix gros volumes de Souvenirs, a
d’autre part, n’empêche pas les sant à la blessure du désir. Du mythe trad. de l’anglais par Henry-D. choisi des textes consacrés aux
concepts proposés par André Green à Proust, de l’étude du transfert au Davray et B. Kozakiewitcz scarabées, qui passionnèrent dura-
d’éclairer le lecteur. Appuyée sur la Roi Lear, de la bisexualité à Gallimard (Folio), 347 p., 7,20 e blement Fabre. Il y a de quoi. On est
discussion de l’usage qu’en fait l’examen de l’héroïsme, de la étonné par le scarabée voyou qui
Freud, sur les théorisations qu’en « belle âme » hégélienne à vole son congénère, épaté par le
font les héritiers et dissidents remar- l’évocation de cures, c’est à la fois C’est bien après ses grands dévouement maternel du Copris, et
quables, en fraternité avec le tenace, l’inventif « désir de l’Un » romans de science- fiction que on reste tout rêveur devant le
Winnicott, la réflexion d’André qui est analysé, jusqu’en son secret Wells écrit ce roman charmant, Minotaure Typhée, ses trois cornes,
Green définit un narcissisme « posi- « désir du neutre », jubilation, souriant, désolant, qui conte son courage, et son abnégation.
tif », lié à l’unification du moi par le malaise, masochisme ou mélancolie l’histoire d’un jeune homme pauvre Mais il arrive qu’on se lasse par-ci
biais des pulsions sexuelles, et un de l’individu, et aussi bien la tenta- et méritant, tout dévoué aux études par-là des mœurs des bousiers,
narcissisme « négatif », qui tend à tion de la mort qui semble marquer et à l’idéal socialiste, porté par le d’autant qu’inévitablement, Fabre,
« l’abaissement au niveau zéro de aujourd’hui les civilisa- désir d’apprendre et de faire carriè- au fil des volumes, s’est un peu répé-
toute libido ». On retrouve là tions...narcissiques. Autant dire que re, et qui tombe amoureux, et qui va té. En revanche, on ne se lasse jamais
l’émotion, l’aventure intellectuelle cet ouvrage, plus encore sans doute enterrer tous ses rêves, sans toujours de ses commentaires et digressions,
bouleversante qui naissaient de la qu’à sa première parution, il y a près parvenir à se leurrer. Les hommes gambadeurs, souriants, savants et
lecture de L’enfant de ça, qu’André de vingt-cinq ans, est de façon ordinaires sont des hommes extraor- gais : on retrouve là un pur bonheur
Green écrivit en collaboration avec secouante, indispensable. dinaires contrariés... d’enfance.
26
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
JOURNAL EN PUBLIC
MAURICE NADEAU
un journal, fût-il en public, on se confie. agonie (...) Notre langue s’est épuisée (...) Un renouveau. J’en vois le signe dans ce
A Vais-je avouer que, voulant confier à ce
journal, dire à ce public, ce que je pense de ce
Nous sommes les contemporains d’un effon-
drement... » Décidément, les choses ne
numéro 20 de la revue Contre-temps : Marx
hors-limites, pour qui « les défis de la
deuxième tome des Œuvres complètes de s’arrangent pas. Marie Étienne pense qu’il y mondialisation ont donné à sa pensée (la
Stendhal dans la Pléiade, je me trouve embar- a « beaucoup de choses justes » dans le pensée de Marx) un regain d’actualité ».
rassé ? A propos de ce volume. A propos de pamphlet de Richard Millet. Je lui demande « Elle alimente dans le monde entier des
Stendhal. Qui fait partie de moi comme en d’en rendre compte pour La Quinzaine, recherches novatrices sur les questions de
font partie Montaigne, Flaubert et Rimbaud, pensant à part moi, que Richard Millet, non l’écologie, de la production de l’espace, les
mais devant qui je refuse de plier le genou. plus, ne va pas très bien. études de genre ou les études postcolonia-
Bien sûr, comment faut-il les appeler? ce sont les... » Un signe encore dans ce « poche » :
les beylistes, les stendholâtres qui m’agacent e requinque Petit éloge de la douceur Les dépossédés de Daniel Bensaïd, Karl
un peu, mais ce pourrait bien être également
le maître des lieux, son côté bel esprit, soyons
M que publie Stéphane Audeguy. Un, qui
ne penserait pas que la littérature est « entrée
Marx, les voleurs de bois et le droit des pau-
vres, des articles de Marx publiés en 1842
vulgaire : casseur d’assiettes, pour tout dire en agonie » et qui l’a prouvé, par la Théorie dans La Gazette rhénane sur le droit de glana-
salonnard, comme l’avait jugé l’ermite de des nuages et par Fils unique. « La douceur ge ou de ramassage de bois mort par les pau-
Croisset. Confier cela à son journal, c’est se est vouée à une irrémédiable minorité. Son vres, droit coutumier de plus en plus contesté
montrer ridicule. Le dire en public, ce n’est charme est secret. C’est précisément pour- par les propriétaires d’alors. Quels rapports
faire preuve ni de goût ni d’intelligence. quoi, il me semble, toutes sortes de forces, avec nous ? Avec le capitalisme triomphant
C’est que la moutarde me monte au nez à politiques, sociales, morales s’acharnent à la d’aujourd’hui ? Daniel Bensaïd les énumère :
propos de ce Lucien Leuwen qui constitue falsifier. Toute force réactive hait la douceur à propos des brevets d’invention, du téléchar-
l’essentiel de ce deuxième volume et que je et cherche à la remplacer par d’odieux simu- gement sur le Net, de la propriété intellectuel-
ne parviens pas à lire bien que je me sois lacres : la mièvrerie, la niaiserie, l’infanti- le, du droit opposable au logement... Il oppo-
appliqué à cette lecture depuis plus d’un lisme, le consensus ». se le « domaine public » (comment le
mois. A bien dire, je le trouve, tel qu’il est ici Kundera a écrit sous forme de récits allé- définir ?), l’intérêt commun, au calcul égoïs-
présenté, illisible. Peut-être parce que je l’ai goriques un éloge de la lenteur. Bienvenu, cet te, au droit de propriété. C’est en ce moment
lu, et rudement apprécié ce Lucien Leuwen, éloge de la douceur, qui n’est pas non plus que le combat se livre. Qui triomphera ?
quand j’avais vingt ans, que je l’ai relu et une valeur révérée. L’auteur écrit au débotté,
admiré à quarante présenté par Henri sous forme d’abécédaire. J’y ai plaisir à t ce Che Guevara d’Olivier Besancenot et
Martineau, relu à cinquante dans l’édition de
V. del Litto, ces deux admirables passeurs, et
rencontrer Roland Barthes dont me revient en
souvenir le tempérament en effet très doux.
E Michael Löwy ? « Une braise qui brûle
encore », osent-ils dire. Il avait bien quelque
que je ne le reconnais pas dans le salmigon- Dieu sait s’il avait des opinions, et sur toutes chose de marxiste cet ex-médecin argentin
dis de ce « manuscrit autographe » reproduit choses, tous personnages, des convictions devenu ministre de l’économie cubaine avant
ici. On sait que Stendhal laissait son ouvrage aussi, bien sûr, et le coup d’œil décapant, de finir en guerillero. Certes. Un marxiste,
inachevé. Fallait-il donner le spectacle de ses mais l’ayant pratiqué durant quelques années, disent les auteurs, qui ne craignait pas de
imperfections sous prétexte d’inviter le je me souviens de mon peu d’étonnement à le critiquer Marx, par exemple quand celui-ci
lecteur à mieux comprendre « la création voir me refuser, sans formuler de refus, fait l’éloge de Simon Bolivar, « grande figu-
littéraire » ? Je prends en grippe l’érudition. d’apposer son nom à certain manifeste. re de la libération en Amérique latine au
Elle me gâche le travail de Romain Colomb, « La philosophie n’est pas étrangère à une XIXe siècle ». Parce que, disent-ils encore, les
l’ami et exécuteur testamentaire, qui de certaine violence » remarque Stéphane révolutionnaires n’ont pas forcément les
l’ouvrage laissé en plan par son auteur avait Audeguy. Il évoque les fabricants de systè- bonnes réponses sur tous les sujets, parce que
su tirer Le Chasseur vert, elle me renvoie, et mes, les totalisateurs, Hegel par exemple. le marxisme n’est pas un dogme, mais « un
c’est une chance, à Martineau et à del Litto, J’ai le nom de Marx sur les lèvres. A cause de guide pour l’action ». Cette énième biogra-
lesquels n’ont pas eu l’honneur ne serait-ce Staline, le faux disciple, à cause de l’oppro- phie du Che n’est pas une hagiographie, un
que d’être salués dans l’« avertissement » du bre dont Marx a été l’objet ces dernières poster pour rockers. Ce sont des questions
deuxième volume de cette nouvelle Pléiade. décennies. Oubliant qu’il refusait de se dire que se posent les auteurs et qu’ils posent à
J’ai en même temps conscience de mon « marxiste », et que la lecture de ses œuvres, celui qui n’y répondra plus mais dont la vie et
incompétence. J’ai demandé à un connaisseur telle que me l’a enseignée Pierre Naville, la pensée peuvent fournir des pistes de
de Stendhal de dire à nos lecteurs ce qu’il consiste à constamment dépasser la lettre. Le réflexion. « Quelle image avait-il du socialis-
pense de ce bégayant Lucien Leuwen. marxisme, me disait Naville, est une méthode me, de “l’homme nouveau”, de la société
d’explication, un moyen d’y voir clair dans enfin émancipée du cauchemar capitaliste ?
uvrant à nouveau un des Lucien Leuwen ces ténèbres que le capitalisme a le plus Voilà les questions qui nous occupent dans ce
O de Martineau (Editions du Rocher, 1945),
j’y trouve ce billet manuscrit, écrit par mon
grand intérêt de faire régner sur la réalité des
rapports humains. Nous voici loin de la
livre, sans avoir la prétention de livrer la
réponse ».
épouse, décédée en 1984, à ma fille, toujours douceur. « Chaque fois que l’on fait apparaî-
Stendhal, Œuvres romanesques complètes, II.
bien vivante : « Le Rendez-vous de demain tre une violence là où l’ordre social feint de Edition établie par Yves Ansel, Philippe Berthier
soir avec Mahia Simon est annulé. Elle te télé- voir un simple état de fait, on paraît violent, et Xavier Bourdenet, Bibliothèque de la Pléiade,
phone demain matin ». Maïa Simon était une on se voit reprocher son cynisme, etc. » Gallimard,
amie de Claire, camarade du Cours Simon. (Stéphane Audeguy, article « violence »). Richard Millet, Désenchantement de la littéra-
Elle vient de partir se faire euthanasier en ture, Gallimard,
Suisse. Je pense à un autre suicide récent. A la ’a-t-on pas l’impression qu’il n’était pas
vérité, je ne cesse d’y penser. N nécessaire qu’advint le scandale pour que
Marx reprenne de la vigueur ? Je vois que des
Stéphane Audeguy, Petit éloge de la douceur,
Gallimard,
Contre temps, Marx hors limites : une pensée
e tombe entre les mains Désenchan- éditeurs qui ne passent pas pour révolutionnaires devenue monde, Textuel
M tement de la littérature de Richard
Millet. « Nous serons bientôt seuls. Nous
se mettent à republier, l’un, le 18 Brumaire de
Louis-Napoléon Bonaparte (voir Q. L. 953),
Karl Marx, Critique de l’économie politique,
traduit de l’allemand et précédé de « De la
critique du ciel à la critique de la terre » par
cheminons dans la désolation et dans un autre Critique de l’économie politique (les Kostas Papaioannou, Allia,
l’angoisse, mais aussi dans une jubilation qui « Manuscrits de 1844 »). L’actualité s’y prête- Daniel Bensaïd, Les dépossédés, La Fabrique
n’appartient qu’à nous. Jamais nous n’avons rait-elle ? Ce n’est pas tout à fait un hasard si éditions,
eu à montrer plus de courage, surtout si l’on Vuitton accepte de publier avec La Quinzaine Olivier Besancenot, Michael Löwy, Che
accepte l’idée que la littérature est entrée en un « Marx en voyage ». Guevara, essai, Mille et une nuits.
27
ÉCRIVAINS toute une foule d’esclaves Hans Werner Kettenbach par S. Estournet et S. Seago
BIBLIOGRAPHIE TRADUITS DE
noirs libérés, Blancs en
fuite, prostituées, voleurs,
Verglas noir
(Glatteis)
Gallimard, 208 p., 17 e
Un roman noir par James
déserteurs... trad. de l’allemand Sallis, poète, traducteur,
Aharon Appelfeld
ÉCRIVAINS est l’auteur d’ouvrages sur
l’art et d’œuvres de fiction : Badenheim 1939 Stuart Dybek
par Marie-Claude Auger
Christian Bourgois,
essayiste et nouvelliste.
DE LANGUE FRANÇAISE Crier gare, L’homme au (Yr Nofes) Les quais de Chicago 252 p., 25 e Mihail Sebastian
gant... trad. de l’hébreu (The Coast of Chicago) Enquêtant sur la mort de la Théâtre
5 auteurs par Arlette Pierrot trad. de l’américian femme de son patron, un Avant-propos
nouvelles Félix Guattari L’Olivier, 168 p., 17,50 e par Philippe Biget Allemand moyen décide de Georges Banu
Bleu autour, 5 e (coffret) Ritournelles Au printemps 1939, Finitude, 224 p., 17 e d’employer des mêmes trad. du roumain
5 nouvelles signées de Sait Lumes (35 av. Malraux. une station thermale Mêlant la vie quotidienne à moyens pour assassiner son par Alain Paruit
Faik Abasiyanik, Marie- 37000 Tours), 136p., 9 e fréquentée par la bour- l’onirisme, ces nouvelles se épouse. L’œuvre de L’Herne, 464 p., 19 e
Hélène Lafon, Saadat Texte poétique « entre geoisie juive se transforme situent dans le Chicago Keffenbach, journaliste, a « Le théâtre tendre et
Hasan Manto, Annie le poème comme fragment « en antichambre de la populaire des quartiers été « comparée à celle de miniatural, proche de
Saumont et Leïla et le travail sur la mémoire “délocalisation” vers la polonais et mexicains. Simenon, de Patricia l’intime et des êtres qui
Sebbar. et la schizophrénie ». Pologne ».. Highsmith... » frôlent l’anonymat... »
Jules Feiffer Recueil de quatre pièces.
Huguette de Broqueville Benjamin Guérif Jakob Arjouni Harry, Norman Mailer
Lydia Pietro Querini Devoirs d’école salaud avec les femmes Un château en forêt Mark Haskell Smith
l’éclat de l’inachevé Les naufragés de Röst (Hausaufgaben) (Harry, the Rat with (The Castle in the Forest) Delicious
Michel de Maule, Rivages, 322 p., 20 e trad. de l’allemand Women) trad. de l’anglais trad. de l’anglais
212 p., 22 e Récit d’aventures inspiré par Marie-Claude Auger trad. de l’anglais (États-Unis) (États-Unis)
Lydia découvre en son d’un fait réel : la dérive, au Christian Bourgois, (États-Unis) par Gérard Meudal par Benjamin
arrière-grand-mère, XVe siècle, d’un bateau de 154 p., 16 e par Lazare Bitoun Plon, 470p., 22 e et Julien Guérif
femme âgée, aveugle et commerce vers la Norvège Un certain visage de Joëlle Losfeld, 192 p., 24 e Voir ce numéro. Rivages/Thriller,
presque sourde, une et son naufrage dans l’île l’Allemagne d’aujourd’hui Le premier roman publié en 272 p., 19,50 e
héroïne de la résistance désolée de Röst. raconté à travers la 1963 et réédité cette année Katherine Mansfield
dans la Belgique des situation familiale d’un aux États-Unis de Jules Juliet Zadie Smith
années 1943-1944. Pierre Guyotat professeur, pur produit de Feiffer, l’un des maîtres de trad. de l’anglais De la beauté
Formation l’après 68. la bande dessinée « intel- par Henri Prémont (On Beauty)
Raphaël Confiant Gallimard, lectuelle » américaine, et Marie Rivet trad. de l’anglais
Case à Chine 238 p., 17,50 e Laurence Block romancier, scénariste et Ed. de Paris, 96 p., 13 e par Philippe d’Aronson
Mercure de France, Un enfant, né au début de la Le Blues du tueur à gages auteur de livres pour Commencé en 1906, à l’âge Gallimard, 560 p., 23,50 e
450 p., 20 e Deuxième Guerre mondiale, (Hit Parade) enfants. de dix-sept ans, un premier Deux professeurs, intel-
Les destins croisés dans une famille catholique, trad. de l’anglais roman resté inachevé de lectuels aux idées politiques
de trois familles de décide, à l’adolescence, (Etats-Unis) Steve Hamilton Katherine Mansfiled. et affectives différentes,
Chinois qui comme des d’écrire. par Frédéric Greillier Un chapeau dans la neige s’affrontent ainsi que leurs
milliers d’autres essayèrent Seuil/Policiers, (Ice Run) Juan Mayorga familles sur un campus
de s’intégrer à la vie Nancy Huston 344 p., 21 e trad. de l’anglais Hamelin universitaire américain.
urbaine de La Martinique Passions d’Annie Leclerc (États-Unis) trad. de l’espagnol Zadie Smith est l’auteur de
au XIXe siècle. Actes Sud, Mario de Carvalho par Laurent Bury par Yves Lebeau Sourires de loup et
360 p., 23 e Fantaisie pour deux Seuil/Policiers, Les Solitaires intempestifs, L’homme à l’autographe
Jean-Claude Dorchies A travers la vie et la colonels et une piscine 304 p., 19,50 e 96 p., 11 e couronnés de prix
Le Promeneur de la fin littérature dont elles parta- (Fantasia para dois Coronéis Juan Mayorga enseigne la littéraires.
des terres gaient le même goût, Nancy e una piscina) Kathryn Harrison dramaturgie à l’École
Le Riffle, 184 p., 15 e Huston nous dit qui fut trad. du portugais Envie Royale Supérieure d’Art Antonio Tarantino
La Cornouaille n’est plus Annie Leclerc, l’écrivain et par Marie-Hélène Piwnik trad. de l’anglais dramatique de Madrid. Il Vêpres de la Vierge
seulement la toile de fond l’amie qu’elle vient de Christian Bourgois, (États-Unis) est l’auteur d’une trentaine Bienheureuse
du récit « mais un person- perdre. 180 p., 25 e par Sylvie Schneiter de pièces qui ont, presque trad. de l’italien
nage à part entière qui Sur fond de post-Révolution J.C; Lattès, 300 p., 19,50 e toutes, été jouées. par Jean-Pierre Manganaro
oriente le voyage... » Armel Job des Oeillets, les aventures Un psychanalyste en proie à Les Solitaires intempestifs,
Les mystères de deux couples, colonels à des fantasmes sexuels Mayra Montero 64 p., 10 e
Jean-Pierre Ferrini de sainte Freya la retraite et leurs épouses, comprend, par hasard, la La Havane, 1957 Peintre, Antonio Tarantino
Bonjour Monsieur Robert Laffont, dressent un portrait du raison de ses obsessions. (Son de Almendra) commence à écrire pour le
Courbet 294 p., 19 e Portugal contemporain. trad. de l’espagnol (Cuba) théâtre en 1992. Ses pièces
L’Un et l’autre Tout en enquêtant sur une Robert Hill par Serge Mestre connaissent rapidement le
Gallimard, 160 p., 16,90 e religieuse canonisée par Robin Cook Tout est bien qui finit Gallimard, 336 p., 22,90 e succès.
La vie et l’expérience d’un Jean-Paul II, ce polar se Erreur fatale (When All Is Said And La fin du règne de Battista
homme en osmose avec moque des milieux trad. de l’américain Done) à la Havane en 1957. Mayra Javier Tomeo
Courbet et son ecclésiastiques. par Pierre Reignier trad. de l’anglais Montero, cubain, est Le regard de la poupée
œuvre. Albin Michel, (États-Unis) l’auteur de plusieurs romans gonflable
Yves Lériadec 496 p., 21,90 e par Emmanuelle Fletcher et vit à Porto Rico. (La mirada de la muneca
Nicolas Fromaget Les hommes ont aussi Un thriller médical par Rivages, 160 p., 17 e hinchable)
Le cousin de Mahomet besoin d’amour Robin Cook, médecin Scènes de la vie quoti- Bahiyyih Nakhjavani trad. de l’espagnol
Anacharsis, 240 p., 17 e L’Arpenteur, 144 p., 12,50 e reconverti en auteur de best dienne racontées, tour à La femme qui lisait trop par Denise Laroutis
Une peinture de la société Yves Lériadec anime des sellers mondiaux. tour, par un couple tout au (The Woman Who Read Christian Bourgois,
ottomane du XVIIIe siècle ateliers d’écriture et publie long de leur vingt ans de Too Much) 180 p., 16 e
par Nicolas Fromaget, ce premier recueil de Hassan Daoud mariage. trad. de l’anglais Auteur de nombreux
mort en 1759, ami de nouvelles. Le Chant du pingouin par Christine Le Bœuf romans, Javier Tomeo, né
Lesage et co-auteur avec (Ghinâ’ al-batrîq) Oriza Hirata Actes Sud, 418 p., 23 e en Aragon, s’exhibe cette
lui de certaines pièces. Martin Melkonian trad. de l’arabe (Liban) Gens de Séoul A la cour du Shah, au fois, « en voyeur solitaire,
Seul de tous ses ouvrages, par Nada Ghosn
Des mots pour jouir 1919 XIXe siècle, une poétesse affalé sur son canapé, entre
ce roman écrit en 1742, Intervalles, 264 p., 14 e Actes Sud/Sindbad, trad. du japonais fort connue, Tahirih sa poupée gonflable et le
connut le succès et fut Journal intime de Martin 160 p., 19 e par Rose-Marie Makino- Qurratu’-Ayn, osa affronter fantôme de sa mère ».
souvent réimprimé. Melkonian, l’auteur de Utilisant le monologue, un Fayolle le clergé, les théologiens et
Désobéir, Le camériste... fils handicapé raconte sa Les Solitaires intempestifs, les interdits de l’époque.
Jérôme Garcin (sous la dir.) vie quotidienne au sein de 192 p., 13 e
Nouvelles Mythologies
Seuil, 192 p., 14 e
Eric Michel sa famille, dans une HLM
située probablement au
Créée le 28 septembre, Alan Pauls POÉSIE
Algérie ! au théâtre de la Criée à La vie pieds-nus
S’inspirant des Mythologies Algérie ! Liban à la fin du XXe Marseille , ce second volet (La vida descalzo) Jean-Paul Auxeméry
de Barthes, Jérôme Garcin Presses de la Renaissance, siècle. d’un ensemble de trois trad. de l’espagnol Les animaux industrieux
a demandé à une 492 p., 24 e pièces poursuit la saga (Argentine) Flammarion, 192 p., 18,5 e
soixantaine d’écrivains Un couple subit les réper- E.L. Doctorow d’une famille de papetiers par Vincent Raynaud Jean-Paul Auxeméry a
et de journalistes cussions de la guerre La marche japonais établis en Christian Bourgois, publié Parafe, Codex... et a
d’écrire une mythologie d’Algérie en France. (The March) Corée. 128 p., 15 e traduit nombre de poètes
sur un sujet contemporain Un premier roman. trad. de l’anglais Pour étudier la plage, son américains.
(les 35 heures, le plombier (États-Unis) Jonathan & Faye Kellerman histoire et sa signification,
polonais, les séries Patricia Reznikov par Jacqueline Huet Double homicide Alan Pauls puise dans la Jean-Claude Dorchies
télévisées...). Le paon du jour et Jean-Pierre Carasso (Double Homicide) littérature, le cinéma et ses Imagier pour Manhattan
Rocher, 268 p., 16 e L’Olivier, 384 p., 22 e trad. de l’anglais propres souvenirs et quelques îles
Hervé Gauville La fuite dans les montagnes Pendant la guerre de (États-Unis) d’enfance. Riffle, 156 p., 15 e
Pas de deux d’un homme blessé, Sécession, Sherman écrase par Marie-France de
Verticales, 130 p., 14,90 e sa solitude et son amour les forces confédérées en Paloméra James Sallis Jean-Yves Masson
Ancien journaliste à des papillons qui détruisant les villes du Sud. Seuil/Policiers, Cripple Creek Neuvains du sommeil
Libération, Hervé Gauville l’obsède. Il entr28aîne derrière lui 282 p., 19,50 e trad. de l’américain et de la sagesse
28
Cheyne, 128 p., 15,50 e me une contre-morale. événement historique et un Publiés en un recueil,
Second volet d’un triptyque Brigitte Munier phénomène esthétique différents textes de Guattari BIBLIOGRAPHIE
dont le premier publié, il y Quand Paris porteur de valeurs qui lui écrits à partir du journal et
a onze ans, s’intitulait Les était un roman sont propres ». de la correspondance de
firme que la révolution « a La discrimination négative
Onzains de la nuit et du La Différence, Kafka.
transformé le monde de Seuil, 142 p., 11,5 e
désir. 480 p., 35 e
façon définitive et qu’elle La situation des « jeunes de
Promenades dans le Paris Anne Levallois
Philippe Rahmy du XIXe siècle, décrit par PHILOSOPHIE Une psychanalyste dans continuera à le faire
évoluer ».
banlieue », aujourd’hui en
France, surtout lorsqu’ils
Demeure le corps les nombreux romans de l’histoire
sont issus de l’émigration
Chant d’exécration l’époque, évocateurs Alain Badiou Préf. de Michel Tort
Marie-Claude Smouts est le fait de sociétés qui
Cheyne, 64 p., 14,50 e souvent des événements du Le concept de modèle Campagne Première,
(sous la dir.) proscrivent les différences
Philippe Rahmy continue temps. Fayard, 216 p., 15 e 280 p., 20 e
La situation postcoloniale de traitement entre les indi-
à « questionner son Réédition, augmentée d’une Anne Levallois (1935-
Préf. Georges Balandier vidus en raison de leur orig-
corps malade dont Alessandro Piperno préface, d’un essai publié 2006), psychanalyste et
Presses Sciences PO, ine mais les pratiquent
l’aventure loin d’être close Proust antijuif en 1969 et devenu introuva- anthropologue a fondé le
456 p., 20 e massivement.
sur elle-même, n’est pas (Proust antiebreo) ble depuis trente ans. collège des psychanalystes
sans trad. de l’italien en 1980 et a été directrice Les postcolonial studies
dans le débat français vien- David Le Breton
lien avec les tumultes du par Fanchita Gonzalez Barbara Cassin de la revue Psychanalystes.
nent des universités anglo- En souffrrance :
monde ». Liana Levi, 224 p., 18 e Avec le plus petit et le plus Elle interroge ici
phones. Ces études dénon- adolescence et entrée
Proust et la bourgeoisie inapparent des corps les conditions de la
cent entre autres choses les dans la vie
Jules Roy israélite, pour mieux Fayard, 130 p., 12 e pratique analytique et
lenteurs de la France à Métailié, 368 p., 18 e
L’homme à la licorne s’intégrer dans les salons A travers ces courts confronte l’histoire à la
prendre en compte les Sociologue, David Le
Albin Michel, 112 p., 12 e parisiens, gomme ses origi- textes, Barbara Cassin, psychanalyse.
réalités postcoloniales. Breton étudie les souf-
Pour le centième anniversai- nes comme en témoignent philosophe et philologue,
frances et les diffcultés du
re de la naissance de Jules son œuvre et sa correspon- met en récit un certain
Javier Teixidor passage de l’adolescence à
Roy, sa femme a réuni ces dance. nombre d’opérations de
poèmes inédits qui, à discours et en montre les POLITIQUE Hommage à Bagdad
CNRS, 144 p., 15 e
l’âge d’homme en ce début
de XXIe siècle.
travers les siècles, Alain Rey effets, constitutifs
renouent avec les images Miroirs du monde d’une vie. Marc Joly Javier Teixidor, Professeur
honoraire au Collège de Paul Virilio
de chevalerie. Une histoire de Le mythe Jean Monnet
France (chaire d’antiquités L’Université du désastre
l’encyclopédisme François Gachoud CNRS, 240 p., 15 e
sémitiques) fait revivre du Galilée, 160 p., 25 e
André Velter Fayard, 264 p., 19 e Par-delà l’athéisme Pour Marc Joly voir en Jean
VIIIe au Xe siècle la splen- « Le monde de demain sera
Le Haut-Pays Depuis l’Antiquité classique Préface de Luc Ferry Monnet le « Père
deur de Bagdad, capitale une lutte de plus en plus
suivi de La traversée du et chinoise jusqu’à l’ère de Verdier, 180 p., 25 e fondateur » de la construc-
des califes ‘abbassides avec serrée contre les limites de
Tsangpo l’informatique, l’aventure Luc Ferry avait proposé la tion européenne, serait une
ses traducteurs et ses lettrés. notre intelligence »,
Gallimard, 200 p., 14 e des savoirs humains, leur conception d’une transcen- idée reçue qu’il analyse
annonçait Norbert Wiener...
Une unité de lieu : l’altitude mondialisation par la dance dans l’immanence. comme un mythe politique
Gilles A. Tiberghien « A ce confinement s’ajoute
du Tibet et de l’Himalaya. « science » et les problèmes L’auteur en dégage une produit par les élites
Finis terrae aujourd’hui non seulement
« celle de ce Toit du Monde qu’ils posent. éthique fondée sur la recon- dirigeantes de l’Union.
Imaginaires et imagina- l’effet de serre du réchauf-
qui ne recouvre rien mais naissance de l’autre.
tions cartographiques fement climatique, mais
donne sur le ciel dans une Alain Rey
Bayard, 208 p., 21 e aussi celui d’une incarcéra-
autre lumière ». L’Amour du français Bénny Lévy
Une réédition. contre les puristes et Pouvoir et liberté HISTOIRE Les différents types
d’investissement imaginaire
tion dans les limites de plus
en plus étroites d’une
autres censeurs de la Verdier, 192 p., 13 e
dans la fabrication des sphère d’accélération... ».
langue Édition de 4 cahiers dépo- Olivier Bosc
Denoël, 300 p., 18 e sés à la Fondation Benny La foule criminelle cartes et dans leur consulta-
tion si bien que les atlas
ESSAIS LITTÉRAIRES Pour Alain Rey, lexicolo- Lévy qui subsistent comme Politique et criminalité
restent pour nous des
HISTOIRE LITTÉRAIRE
gue, éditeur des dictionnai-
res Le Robert et de très
témoignage du livre
d’entretiens que, sous le
dans l’Europe du tour-
nant du XIXe siècle machines à rêver. SCIENCES
nombreux ouvrages sur la même titre, Satre avait eu Fayard, 502 p., 27 e HUMAINES
Jean Alaux langue, « le génie d’une en tête de 1975 à 1980. Grâce au livre d’un jeune Pierre Vidal-Naquet
Origine et horizon langue, c’est le produit de criminaliste italien Scipio Les images de l’historien Jean-François Mattéi
tragiques son histoire, notamment de Sighele (1868-1913), la dialogue avec François Le regard vide
Presses univ. Vincennes, toutes ses évolutions et de Serge Margel foule devient simultanément Soulages Essai sur l’épuisement de
196 p., 21 e tous ses métissages ». De l’imposture objet sociologique et acteur Klincksieck, 86p., 11 e la culture européenne
Quels points communs Jean-Jacques Rousseau politique. Dans cet entretien réalisé le Flammarion, 306 p., 20 e
entre l’écoute d’un public Jean-Xavier Ridon Mensonge littéraire et 9 mai 2006, François La culture de l’Europe
grec du Ve siècle av. notre Le poisson-scorpion fiction politique Florence Dupont Soulages interroge Pierre menace de s’éteindre en
ère et celle du spectateur Nicolas Bouvier Galilée, 146 p., 20 e Aristote Vidal-Naquet sur la place raison d’un regard
ou du lecteur aujourd’hui ? Zoe, 112 p., 8 e Le « lecteur » et le « légis- ou le vampire du théâtre de l’image et de la profondément critique
Jean-Xavier Ridon est lateur » constituent les occidental photographie dans le travail devenu profondément auto-
Thomas Browne l’auteur de Le Voyage en deux grandes figures de Aubier, 320 p., 22 e d’un historien. critique.
Le Jardin de Cyrus son miroir et Essai sur l’imposteur, que Rousseau Aristote inventait avec
trad. par Bernard Hoepffner quelques tentatives de réin- situe à l’origine de toute La Poétique, il y a 2500
José Corti, 128 p., 16 e
Tentative d’acclimater le
ventions du voyage au 20e
siècle.
société. ans, une machine de guerre
contre le théâtre SOCIÉTÉS ANTHROPOLOGIE
baroque dans la littérature
anglaise, la dernière
Jean-Clet Martin traditionnel encore
M. Pinçon &
ETHNOLOGIE
Daniel Sangsue Constellation présente aujurd’hui.
œuvre de Thomas Browne La relation parodique de la philosophie M. Pinçon-Charlot
François Laplantine
(1605-1682) devenue un José Corti, 386 p., 21 e Kimé, 254 p., 25 e Orlando Figes Les ghettos du Gotha
Ethnopsychiatrie
classique. Le sens de la parodie, un Un panorama de la philoso- La Révolution russe Seuil, 302 p., 19 e
psychanalytique
genre célèbre et mal connu. phie actuelle. 1891-1924: la tragédie Grâce à un réseau d’asso-
Beauchesne, 238 p., 26 e
Laure Himy-Piéri d’un peuple ciations, de comités, de
Ces textes dispersés dans
Paysages avec figures Eric Trudel Chris Younès Préf. de Marc Ferro conseils, de cercles, la
différentes revues, augmen-
absentes La terreur à l’œuvre Henri Maldiney trad. de l’anglais grande bourgeoisie se
tés d’une réédition revue de
Philippe Jaccottet Théorique, poétique et Philosophie, art par Pierre-Emmanuel protège des autres.
L’Ethnopsychiatrie (PUF,
Zoé, 110 p., 8 e éthique chez Jean Paulhan et existence Dauzat Que sais-je? 1988)
Presses univ. Vincennes, Cerf, 224 p., 18 e Denoël, 1110 p., 39 e constituent la genèse de
Annie Leclerc 224 p., 23 e Conférences et entretiens Par un historien anglais, l’ethnopsychiatrie, posent
L’Amour selon Madame
de Rénal
Eric Trudel, enseignant aux inédits de et avec Henri spécialiste de l’histoire SOCIOLOGIE les principaux jalons et
États-Unis, propose une Maldiney, l’auteur de moderne et contemporaine examinent certains des
Actes Sud, 80p., 10 e nouvelle lecture de l’œuvre Penser l’homme et la folie, de la Russie. Zygmunt Bauman travaux de Laplantine.
Un court livre posthume de Jean Paulhan. L’Art, l’éclair de l’être... La décadence
resté inachevé où Annie Eric J. Hobsbawm des intellectuels
Leclerc s’est identifiée à René Wellek Aux armes, historiens des législateurs
Madame de Rénal et peut-
être aussi à Julien Sorel
De la critique
quatorze essais
Deux siècles d’histoire de
la Révolution française
aux interprètes CORRESPONDANCES
trad. de l’anglais
sur la crise des idées PSYCHANALYSE Postface inédite de l’auteur par Manuel Tricoteaux Gustave Flaubert
Richard Millet
Désenchantement
Etabli, prés., trad. de
l’anglais (États-Unis) par
PSYCHIATRIE trad. de l’anglais
par Julien Louvrier
Jacqueline Chambon, Lettres à sa mère
d’Égypte
272 p., 24,80 e
de la littérature Ernest Sturm MÉDECINE La Découverte, Entre sociologie et histoire L’Amateur, 200 p., 15 e
Gallimard, 72 p., 5,50 e Klincksieck, 344 p., 30 e. 156 p., 14,50 e des idées, trois siècle Choix de lettres envoyées
Un écrivain se révolte René Wellek (1903-1995), Félix Guattari Revenant sur les lectures et d’histoire des intellectuels par Flaubert, d’Égypte,
contre lui-même, met la admiré des uns et méprisé Soixante-cinq rêves de interprétations qui se sont occidentaux. à sa mère, et de photos
civilisation et la littérature des autres, « pour qui Franz Kafka succédé depuis deux prises par Maxime du
actuelle en question et affir- l’œuvre est à la fois un Lignes, 64 p., 10 e siècles, Hobsbawm réaf- Robert Castel Camp.
29
BIBLIOGRAPHIE LA QUINZAINE LITTÉRAIRE
Georges Nivat
Pepita Dupont
Vivre en russe
La vérité sur Jacqueline et
L’Age d’Homme,
Pablo Picasso
480 p., 35 e
Le Cherche Midi,
Orthodoxie, poésie, mythes
288 p., 17 e
fondateurs, littérature,
Journaliste à Paris-Match,
Goulag, les différents pans
Pepita Dupont raconte sa
de la culture russe sont ici
longue amitié avec
examinés par Georges
Jacqueline Picasso rencon-
Nivat, spécialiste du monde
trée après la mort du peintre.
slave et traducteur d’auteurs
russes.
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LA QUINZAINE RECOMMANDE
Littérature
Mahmoud Darwich Comme des fleurs d’amandiers QL 954
Auxeméry Les animaux industrieux Flammarion
Éric Reinhardt Cendrillon QL 952
Jean Hatzfeld La stratégie des antilopes QL 952
Philippe Forest Le nouvel amour QL 952
Éric Chevillard Sans l’orang-outan QL 952
Pierre Michon Le roi vient quand il veut QL 953
Juan Jose Saer Grande fugue QL 952
William T. Vollmann Central Europe QL 954
Michael Ondaatje Divisadero QL 954
Patrick Modiano Dans le café de la jeunesse perdue QL 954
HARMONIA MUNDI
Yannick Haenel Cercle QL 954
Rééditions
Umberto Eco De la littérature Livre de Poche
Karl Marx Critique de l’économie politique Allia
Karl Marx Le dix-huit brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte QL 953
Albums
Apollinaire Je pense à toi mon Lou Textuel
Michel Delon Sade (2 vol. emboît.) Textuel
Revues
Rue Descartes Penser et créer au Mexique PUF
Contre-temps Marx hors-limites Textuel
Cahiers du mouvement ouvrier (juil.-sept.) N°35
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La Quinzaine littéraire bimensuel paraît le 1er et le 15 de chaque mois – Le numéro : 3,80 t – Commission paritaire : Certificat n° 1005 I 79994 -
Directeur de la publication : Maurice Nadeau. Imprimé par SIEP, « Les Marchais », 77590 Bois-le-Roi Diffusé par les NMPP – Octobre 2007