You are on page 1of 32

Lucien Logette : Capitaine Achab

Friedländer
Les années d’extermination
Les enfants du génocide
PAR ENZO TRAVERSO, G.-A.GOLDSCHMIDT

George Steiner
Entretien
L’humanisme auxiliaire de la barbarie

Régis Debray
en Terre Sainte

Stasiland
Entretien avec Anna Funder
964. Du 1er au 15 Mars 2008/PRIX : 3,80 e (F. S. : 8,00 - CDN : 7,75) ISSN 0048-6493
D’UNE QUINZAINE À L’AUTRE

Poésie Colloques Littératures


Musique et communisme
féminines
Daumal, l’Inde et le Tibet
La Cité de la Musique consacre tout le 1er mars
Simone et la journée
internationale des femmes
Du 6 au 16 mars, le centenaire de René Daumal
se fête à la Halle Saint-Pierre (2 rue Ronsard, après-midi à un forum sur la vie musicale en ex-
Paris 18e, M° Abbesses ou Anvers) . Parmi les URSS. Il commence par la projection à 15h du
manifestations proposées, retenons Alain film de Bruno Monsaingeon : Notes interdites,
Kremski qui, le 7 mars, pour clôturer une lecture scènes de la vie musicale en URSS (2004, 55’) et A Bordeaux, les « Lettres du monde » (tél. : 05
des textes du Grand Jeu (18 h 30-21 h) viendra se finit à 17 h 30 par un concert où les solistes de 56 96 71 86) se saisissent du centenaire de
interpréter, sur bols japonais et bols chantants l’Ensemble Intercontemporain interpréteront des Simone de Beauvoir pour fêter la Journée des
tibétains, ses « Variations Daumal ». Le lende- œuvres de Chostakovitch, Denisov, etc. Rens. : 01 Femmes en présence de sa biographe Danièle
main, de 15 h à 17 h 30, carte blanche est donnée 44 84 44 84 ou www.cite-musique.fr. Des tables Sallenave. Elle signera son Castor de guerre
à Christian Le Mellec qui nous parlera, lecture des rondes réunissent aussi des chercheurs. (Gallimard) à la librairie Mollat (le 6 à 18h) ainsi
qu’aux Médiathèques d’Andernos-les-Bains (le 7

Littérature et intimité
originaux et des traductions à l’appui, de Daumal
comme sanskritiste. Table ronde et concert de à 19 h) et d’Artigues-près-Bordeaux (le 8 à
sitar complèteront la journée. (Rens. : 01 42 58 72 10 h 30). Elle participera aussi à un grand débat
89 et www.hallesaintpierre.org). autour du Deuxième sexe organisé par le Conseil
régional d’Aquitaine (sur invitation. Rens. au 05

Femmes poètes d’Israël


La Villa Gillet organise le 6 mars à 19 h 30 une 57 57 84 41).
soirée autour de quelques écrivains qui ont choisi
la littérature pour confier leurs jardins secrets.

Lou Andréas-Salomé
C’est le cas de certains premiers romans comme
Esther Ormer, juive allemande établie depuis ceux de Minh Tran Huy (La princesse et le
25 ans à Tel Aviv, publie chez Caractères une pêcheur) et de Florence Noiville (La donation),
anthologie des femmes poètes et artistes d’Israël : l’une et l’autre invitées. Mais également d’œuvres Figures de femmes dans Ibsen (1892), la
Chacune a un nom. Quarante-six femmes y trou- entières comme on le voit chez Ghislaine Dunant première œuvre de Lou Andréas-Salomé, fut
vent leur place : vingt-trois poètes illustrés par ou encore Pierre Pachet (25 rue Chazières, Lyon traduite il y a peu par Pascale Hummel pour le
vingt-trois artistes, à commencer par Rachel qui, 4e, entrée : 3 euros). Signalons que Pierre Pachet compte des éditions Michel de Maule (Paris,
la première, consacra le renouveau de la langue sera également présent le 5 mars à l’Université de 2007)... qui nous promettent six autres traités à
hébraïque, jusqu’aux figures les plus contempo- Chambéry (27 rue Marcoz, rens. : 09 64 24 78 27). venir. Et cette même œuvre vient de faire l’objet
raines. Autour de ce livre et en l’honneur des 60 d’une traduction partielle en espagnol : il s’agit

Judaïsme et altérité
ans d’Israël, une soirée « poésie et musique » est des pages consacrées au drame d’Ibsen, Hedda
proposée par le Centre d’Art et Culture (Espace Gabler (1890). La revue culturelle quadrimestriel-
Rachi, Paris 5e) le dimanche 9 mars à partir de le Minerva (n°7, 128 p., 15 euros) s’est saisi de la
15 h. Rens. sur www.culture-juive.org Chaque mardi, à partir du 11 mars et jusqu’au représentation de cette pièce sur une scène madri-
15 avril, Sophie Nordmann entretiendra de 18 à lène pour mener à bien cette traduction.

Mallarmé en arabe
20 h son public du Collège International de

Hélène Berr
Philosophie (Amphi B, Carré des sciences, 1 rue

par Isabelle Carré


Descartes, Paris 5e) des éthiques de l’altérité chez
Le Marocain Mohamed Bennis est le premier quelques philosophes du judaïsme : Cohen,
Arabe à s’être risqué, 110 ans après sa 1ère éd., à Levinas et Rosenzweig. Entrée libre (à l’avance
traduire le fameux Coup de Dés. Les contraintes S.V.P + carte d’identité demandée).
n’étaient pas que littéraires mais aussi typogra- Le Journal d’Hélène Berr, qui vient d’être

Deleuze et Guattari
phiques, contraintes qui rejaillissent même sur édité par Taillandier avec une préface de Patrick
l’original français pour l’éditeur – en l’occurrence Modiano (voir Q. L. n°932), donnera matière à
les éd. Toubkal – qui a voulu en fournir une une lecture au Théâtre du Rond-Point (2 bis av.
version bilingue. Voilà un beau sujet de discussion Franklin-Roosevelt, Paris 8e) le 16 mars à 18 h 30
Guillaume Sibertin-Blanc, François Dosse et par Isabelle Carré. Réservez votre place au plus
qui, autour de M. Bennis, verra se joindre : le Manola Antonioli ont mis sur pied une journée
poète et critique Bernard Noël, le poète Lionel vite auprès de lduhamel@tallandier.com (tél. : 01
d’études sur Deleuze et Guattari pour aller un peu 40 46 43 88).
Ray et une spécialiste de Mallarmé. Dans le cadre plus loin que l’engouement actuel autour de ces

Quelques
des « Jeudis de l’Institut du Monde Arabe », le deux penseurs. Ils ont réuni des figures très diver-
13 mars à 18 h 30. (Entrée libre, salle du haut ses, d’Alain Raybaud à Jean-Claude Polack, de

sorties
conseil, niv. 9). 9h30 à 19 h à l’Université Paris 8 Vincennes (bât.
D, amphi D01) le samedi 15 mars. Le dernier

Emily Dickinson en Alsace


grand colloque sur Deleuze remontait à janvier
1997 et était l’œuvre du Collège international de
philosophie. Idée dans l’air du temps, ce dernier
Claire Malroux, elle-même poète et traductrice consacre cette fois-ci le n°59 de sa revue Rue MOI, GÉRARD NOIRET, POÈTE est une
d’Emily Dickinson, sera le 28 mars à Sélestat Descartes à « Gilles Deleuze, l’intempestif » soirée organisée par Claude Guerre dans sa
(Bibliothèque Humaniste, 20 h) et le 29 à (PUF, 124 p., 15 euros). On n’y parle pas, ou peu, Maison de la Poésie (157 rue St-Martin, Paris 3e)
Strasbourg (Galerie d’Art contemporain Artim, de Guattari mais un article traite de « Deleuze en l’honneur et avec Gérard Noiret le 4 mars à
11 h) pour lire et faire partager son admiration lecteur d’Artaud – Artaud lecteur de Deleuze ». 19 h (10 euros, tél. : 01 44 54 53 00).

Romanistes et médiévistes
pour cette grande américaine. James Hirstein la ALICE AU PAYS DES MERVEILLES est le
lira en langue originale et Gérard Eppelé, disciple thème qui a inspiré l’artiste-peintre Catherine
de Dubuffet, exposera à cette occasion ses Curval qui expose dans la galerie « l’espace des
« portraits révélés d’Emily Dickinson ». femmes » (35 rue Jacob, Paris 6e) à compter du
Le 6e Colloque international de la « Typologie

Kiiskinen en scène
6 mars avec un vernissage le 19 à 18 h 30.
des formes brèves au Moyen-Âge » se tiendra le LE VOYAGE DE PRIMO LEVI est un docu-
14 mars au Centre culturel Calouste Gulbenkian mentaire de Davide Ferrario (Italie, 2006, 92 min.,
et le 15 à l’Université Paris-X Nanterre. Rens. + cinémascope) qui sort sur les écrans le 12 mars.
Le Finlandais Jyrki Kiiskinen, nonobstant trois inscrip. : www.U-paris10.fr. ALPHABET de Paul Valéry est monté par

Psychanalyse et subversion
grands prix de poésie (1992 : prix Eino Leino ; Marianne Comtell : il s’agit de poèmes en prose
1994 : prix K. Jäntti ; 2000 : prix de l’Ours longtemps inédits ici mis en valeur par une créa-
Dansant), est seulement aujourd’hui traduit en tion musicale de François Jeanneau. Du 10 au 23
français par Gabriel Rebourcet : Aller-Retour mars, au théâtre « Le passage vers les étoiles »
(Fédérop éd.). Parce qu’il est l’invité d’honneur du Le « Centre Octave et Maud Mannoni » orga- 17 cité Joly, Paris 11e, M° Père Lachaise
Printemps des Poètes, l’Institut Finlandais (60 rue nise à la Mutualité (25 rue St Victor, Paris 5e) les (15 euros, tél. : 01 43 38 83 45).
des Ecoles, Paris 5e) a demandé au Théâtre des 15 et 16 mars deux journées d’études NOCES DE SANG de Federico Garcia Lorca
Tafurs de donner une adaptation scénique des s’interrogeant sur l’actualité de la subversion de la est monté, spectacle là encore doublé d’une créa-
poésies de Kiiskinen. Elle y mêle la voix et la découverte freudienne. Pour les non adhérents de tion musicale, par Farid Paya au théâtre du Lierre
musique, le finnois et le français, et même l’auteur l’« Espace analytique », prière de se rens. et de (22 rue Chevaleret, Paris 13e) du 12 mars au
comme interprète. Le 22 mars, à 20 h, entrée libre. s’inscrire au 01 47 05 23 09. 27 avril (18 euros, tél. : 01 45 86 55 83).

2
SOMMAIRE DE LA QUINZAINE 964

EN PREMIER SAUL FRIEDLÄNDER 4 LES ANNÉES D’EXTERMINATION PAR ENZO TRAVERSO


L’ALLEMAGNE NAZIE ET LES JUIFS
QU’EST-CE QU’UN GÉNOCIDE ? PAR ENZO TRAVERSO
GEORGES-ARTHUR GOLDSCHMIDT
RAFAËL LEMKIN 6
C. COQUIO et A. KALISKY 7 L’ENFANT ET LE GÉNOCIDE PAR

ROMANS, RÉCITS NOTES SUR LA TERREUR PAR NORBERT CZARNY


HUGO PRADELLE
MARC WEITZMANN 8
LES PETITES TERRES PAR
PAR AGNÈS VAQUIN
MICHÈLE DESBORDES 9
CAFÉS DE LA MÉMOIRE
PAR TIPHAINE SAMOYAULT
CHANTAL THOMAS 10
SERGE FAUCHEREAU 11 GASTON CHAISSAC
À CÔTÉ DE L’ART BRUT
LES PETITS ÂGES
DANS LA VÉRANDA PAR OMAR MERZOUG
AGNÈS VAQUIN
ALBERT BENSOUSSAN 12
MADMAN BOVARY PAR
PAR JACQUES FRESSARD
CLARO 13
CESAR AIRA 13 LA PREUVE
J’ÉTAIS UNE PETITE FILLE DE SEPT ANS
DAVID MARKSON 14 ARRÊTER D’ÉCRIRE PAR MATHIEU DUPLAY
FRANÇOISE PALLEAU-PAPIN L’ÉCRITURE DE DAVID MARKSON

HISTOIRE LITTÉRAIRE LA COMÉDIE, LE PARADIS PAR CHRISTINE SPIANTI


MAURICE MOURIER
DANTE ALIGHIERI 15
L’AFFAIRE DU CHIEN DES BASKERVILLE PAR
PAR CLAUDE GRIMAL
PIERRE BAYARD 17
GERTRUDE STEIN 18 FLIRTER AU BON MARCHÉ
ET AUTRES FAITS DE CIVILISATION
GERTRUDE STEIN HENRY JAMES

ARTS HANS BELTING 19 LA VRAIE IMAGE PAR GEORGES RAILLARD


ROLAND RECHT (sous la dir.) LE GRAND ATELIER

PHILOSOPHIE LES LIVRES QUE JE N’AI PAS ÉCRITS PROPOS RECUEILLIS


OMAR MERZOUG
GEORGE STEINER 20
PAR

HISTOIRE RENAUD ESCANDE (sous la dir.) 21 LE LIVRE NOIR PAR MICHEL BIARD
DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
ANNA FUNDER 22 STASILAND PAR GEORGES-ARTHUR GOLDSCHMIDT
ENTRETIEN AVEC ANNA FUNDER PROPOS RECUEILLIS
ÉRIC PHALIPPOU
23
PAR
RÉGIS DEBRAY 24 UN CANDIDE EN TERRE SAINTE PAR PIERRE PACHET

SPECTACLES CAPITAINE ACHAB PAR LUCIEN LOGETTE


MONIQUE LE ROUX
PHILIPPE RAMOS 25
MOLIÈRE 26 L’ÉCOLE DES FEMMES PAR
YASMINA REZA LE DIEU DU CARNAGE

JOURNAL EN PUBLIC PIERRE NAVILLE 27 MÉMOIRES IMPARFAITES PAR MAURICE NADEAU

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE 28 BIBLIOGRAPHIE PAR ANNE SARRAUTE

LA QUINZAINE LITTÉRAIRE 31 ALAIN ROBBE-GRILLET PAR MAURICE NADEAU

Crédits photographiques Direction : Maurice Nadeau.


Secrétaire de la rédaction : Anne Sarraute. Réception des articles : (e.mail : asarraute@wanadoo.fr)
Comité de rédaction : André-Marcel d’Ans, Philippe Barrot, Maïté Bouyssy, Nicole Casanova, Bernard Cazes, Norbert Czarny,
P. 5 D. R. Christian Descamps, Marie Étienne, Serge Fauchereau, Lucette Finas, Jacques Fressard, Georges-Arthur Goldschmidt, Dominique
P. 7D. R. Goy-Blanquet, Jean-Michel Kantor, Jean Lacoste, Gilles Lapouge, Omar Merzoug, Vincent Milliot, Maurice Mourier, Gérard
P. 8 Arnaud Février, Flammarion Noiret, Pierre Pachet, Éric Phalippou, Michel Plon, Hugo Pradelle, Tiphaine Samoyault, Christine Spianti, Agnès Vaquin.
P. 9 Verdier. In Memoriam : Louis Arénilla (2003), Julia Tardy-Marcus (2002), Jean Chesneaux (2007), Anne Thébaud (2007),
P. 10 Ulf Andersen, Seuil Louis Seguin (2008)
P. 11 D. R. Arts : Georges Raillard, Gilbert Lascault. Théâtre : Monique Le Roux. Cinéma : Lucien Logette.
P. 13 D. R. Alph; B. Seny Musique : Claude Glayman.
P. 15 Johanna Markson Publicité littéraire : Au journal, 01 48 87 48 58.
P. 16 D. R. Rédaction : Tél. : 01 48 87 48 58 - Fax : 01 48 87 13 01.
P. 17 Hélène Bamberger 135, rue Saint-Martin - 75194 Paris Cedex 04.
P. 19 D. R. Site Internet : www.quinzaine-litteraire.net
P. 20 Jacques Sassier, Gallimard Informations littéraires : Éric Phalippou 01 48 87 75 41 e.mail : selis@wanadoo.fr

Un an : 65 t vingt-trois numéros — Six mois : 35 t douze numéros.


P. 23 John Gellings Administration. Abonnements, Petites Annonces : Marguerite Nowak 01 48 87 75 87.

Étranger : Un an : 86 t par avion : 114 t


P. 32 Olivia Baumgartner

Six mois : 50 t par avion : 64 t 0Prix du numéro au Canada : $ 7,75.


Pour tout changement d’adresse : envoyer 1 timbre à 0,54 t avec la dernière bande reçue.
Pour l’étranger : envoyer 3 coupons-réponses internationaux.
Règlement par mandat, chèque bancaire, chèque postal : CCP Paris 15-551-53. P Paris.
IBAN : FR 74 30041 00001 15551 53 P0 20 68
Éditions Maurice Nadeau. Service manuscrits : Marguerite Nowak 01 48 87 75 87.
Catalogue via le Site Internet : www.quinzaine-litteraire.net
Conception graphique : Hilka Le Carvennec. Maquette PAO : Philippe Barrot; e-mail : philippe.barrot@wanadoo.fr
Publié avec le concours du Centre National du Livre. Imprimé en France

3
La S
EN PREMIER

Une histoire
ENZO TRAVERSO
SAUL FRIEDLÄNDER sujet essentiel, presque exclusif, de l’histoire, Cela demande la connaissance de l’univers
LES ANNÉES D’EXTERMINATION. vis-à-vis duquel tous les autres acteurs du mental environnant, illustré par des détails
L’Allemagne nazie et les juifs 1939-1945 passé, notamment les victimes, figuraient généralement ignorés par ceux qui
trad. de l’anglais (États-Unis) comme une masse anonyme, passive et sans s’intéressent à l’Histoire (celle, précisait
visage, dans un contexte historique général Georges Perec, qui s’écrit avec une grande «
Seuil éd., 1025 p., 32 euros
par Pierre-Emmanuel Dauzat
extrêmement flou, sinon absent. Ses sources Hache »). Cela exige aussi l’écoute de la voix
étaient les archives de l’appareil d’État nazi, des victimes « ordinaires », restituée par les
exploitées jusqu’au dernier protocole, et son pages d’un journal ou d’une lettre.
parti-pris méthodologique le conduisait à L’interprétation de la Shoah s’inscrit ainsi
ignorer les témoignages, notamment ceux des dans une narration historique vivante, faite
historiographie de la Shoah ne cesse de victimes. d’êtres humains en chair et en os, dans
L ’ s’enrichir, au fil des années, en ouvrant
de nouveaux chantiers de recherche et en
Au fond, l’approche de Hilberg présentait
plusieurs affinités avec celle de Martin
laquelle l’analyse des grandes tendances
s’articule fructueusement avec le récit des
esquissant des perspectives inédites. Broszat – l’ancien directeur de l’Institut für événements et incorpore la subjectivité des
L’innovation, cependant, passe surtout par Zeitgeschichte de Munich, décédé en 1989 – acteurs. Une subjectivité, souligne
des éclairages particuliers : la « Shoah par pour qui l’historisation du nazisme devait Friedländer, qui sollicite et remet en cause, à
balles » en Ukraine, le personnel des unités s’affranchir des contraintes découlant de la son tour, celle de l’historien, en équilibre
spéciales préposées aux opérations de tuerie,

L’interprétation de la Shoah s’inscrit


la biographie de tel ou tel responsable nazi
jusqu’à présent resté dans l’ombre, les pilla-

ainsi dans une narration historique vivante, faite


ges de l’armée allemande dans les territoires

d’êtres humains en chair et en os, dans laquelle


occupés visant aussi bien à nourrir les trou-
pes qu’à financer les déportations, et bien

l’analyse des grandes tendances s’articule fruc-


d’autres aspects. La tendance est au morcel-
lement, à la « micro » plutôt qu’à la

tueusement avec le récit des événements


« macro »-histoire. Puisque les domaines
d’investigation s’élargissent et se multiplient,

et incorpore la subjectivité des acteurs.


il devient de plus en plus difficile d’apporter
une vision d’ensemble.
C’est pourtant ce qu’a fait Saul
Friedländer, dans un ouvrage qui résume le
travail de presque un demi-siècle et qui
s’achève maintenant avec la publication du « mémoire mythique » des victimes. C’est permanent entre « transferts » imprévus et
second volume de L’Allemagne nazie et les précisément lors d’un débat très vif, sous mise à distance critique.
juifs (1). Déjà salué, à sa sortie en Allemagne forme d’un échange de lettres publiques, avec Son tableau prend la forme d’un triptyque.
et aux Etats-Unis, comme un chef-d’œuvre, il Broszat, que Friedländer a amorcé la D’abord les deux premières années de guerre,
constitue un des livres essentiels sur la réflexion méthodologique d’où est né son où la domination nazie s’impose dans
Shoah. On pourrait sans doute le juxtaposer, dernier ouvrage (3). Dépassant les limites l’Europe continentale, d’une part avec le
par son importance, à La destruction des juifs symétriques d’une histoire sans victimes pacte germano-soviétique, d’autre part grâce
d’Europe de Raul Hilberg (2), une autre pièce (notamment l’historiographie allemande) et au succès foudroyant du Blitzkrieg à l’Ouest.
maîtresse dans cette immense littérature, d’une mémoire juive transformée en prisme Puis le début de l’extermination, entre l’été
écrite elle aussi en anglais par un historien exclusif de lecture du passé, Friedländer est 1941 et l’été 1942, entre le déclenchement de
juif de langue allemande originaire d’Europe parvenu à une « histoire intégrée ». l’offensive contre l’URSS et la mise en fonc-
centrale. Mais il s’agit de deux livres profon- Autrement dit, il a élaboré une histoire dans tion des camps d’extermination en Pologne.
dément différents aussi bien par leur méthode laquelle les décisions du régime (la chaîne Et enfin la Shoah, jusqu’à la conclusion de la
que par leurs sources et aussi, sans doute, par complexe de transmission des ordres et guerre.
la conception générale de l’histoire qui les l’interaction entre le centre et la périphérie), Au départ, l’extermination était conçue
inspire. le déroulement du conflit mondial, l’attitude comme une mesure limitée aux juifs résidant
À plusieurs égards, Friedländer est même du monde environnant (les forces alliées, les dans les territoires conquis par l’Allemagne
une sorte d’anti-Hilberg. Ce dernier avait collaborateurs, les sociétés occupées) et les en Europe orientale. Lors de la dernière
reconstitué, avec une rigueur exemplaire, le réactions des victimes forment un tout, un étape, en revanche, elle concernait
système d’extermination nazi, en faisant tableau polychrome qui donne lieu à une l’ensemble des juifs d’Europe, c’est-à-dire,
l’anatomie de sa machine bureaucratique et configuration d’ensemble. Cela implique de selon les estimations de Heydrich à la confé-
en étudiant les étapes du processus de sa mise prendre en compte les structures institution- rence de Wannsee, onze millions de person-
en place, de son expansion, de sa radicalisa- nelles, les idéologies, les choix stratégiques, nes. Convaincu de pouvoir mettre à genoux
tion meurtrière. Adoptant la « perspective de les étapes tantôt planifiées tantôt imposées l’URSS en quelques mois, Hitler envisageait
l’exécuteur », il faisait de la bureaucratie le par l’échec de l’offensive sur le front oriental. sans doute une solution graduelle de la

4
hoah
EN PREMIER

générale
« question juive » : la déportation des juifs intellectuel, cette campagne colonisatrice Certes, on savait que le Vatican ne voulait pas
européens dans un territoire éloigné et isolé, avait été théorisée par un grand nombre de entrer en conflit avec le régime nazi et que les
où ils auraient pu disparaître progressive- savants rassemblés dans une véritable disci- sionistes restèrent passifs, convaincus que le
ment. Il s’agissait vraisemblablement de la pline, l’Ostforschung. Parmi eux, deux jeunes destin des juifs ne se jouait pas en Europe
Russie profonde, où d’un autre lieu, comme chercheurs, Werner Conze et Theodor mais en Palestine. On savait que les soldats
l’île de Madagascar, évoquée comme une Schieder, qui joueront un rôle moteur dans la de la Wehrmacht envoyaient des lettres et des
« vague métaphore » pour indiquer la déju- reconstruction de l’historiographie de photos du front oriental, que le personnel des
daïsation du continent européen. En 1942, l’Allemagne fédérale d’après-guerre. camps de la mort était nombreux et ne vivait
cette solution n’est plus possible : Parmi les nombreuses mises au point dont pas isolé du reste de la société. On savait
l’extermination des juifs devient un des fourmille cet ouvrage, il faut en retenir au aussi que – en publiant les discours de Hitler,
objectifs prioritaires du IIIe Reich dans un
conflit qui s’est radicalisé à l’extrême avec
l’entrée en guerre des États-Unis et la résis-
tance acharnée de l’Armée rouge.
Friedländer demeure profondément atta-
ché à une vision « intentionnaliste » de la
Shoah, un génocide dont le ressort ultime
réside dans l’idéologie nazie. Là se trouve
l’impulsion fondamentale qui rythme le
processus et écarte, au fil des mois, tout autre
considération d’ordre économique ou militai-
re. Contrairement à une thèse aujourd’hui
courante, le pillage des biens juifs n’était pas
la cause de leur extermination mais un des
moyens de sa mise en œuvre (4). Cette impul-
sion idéologique, cependant, s’est traduite en
option pratique pendant la guerre comme une
réponse, souvent empirique, à un ensemble
de problèmes, obstacles et difficultés qui
découlaient de l’approfondissement du
conflit. D’où l’identification, de plus en plus
totale, obsessionnelle, entre les juifs et le
bolchevisme, entre l’extermination des juifs
et la lutte contre les partisans. D’où la recher-
che des solutions techniques les plus effica-
ces pour accomplir un massacre de dimen-
sions gigantesques : la rationalité moderne,
administrative et industrielle, n’explique pas
le crime, elle n’a été qu’un moyen pour le
mettre en œuvre. La création des camps de la
mort avait besoin du concours d’ingénieurs,
d’architectes, de chimistes, de démographes,
de gestionnaires et de techniciens, mais les
vrais concepteurs de la machine exterminatri-
ce, explique Friedländer, étaient poussés par moins une, essentielle : le monde savait. Les Himmler ou Goebbels – la presse allemande
l’antisémitisme. Allemands, en particulier, savaient. La thèse faisait souvent allusion à l’éradication du
Et c’était encore l’antisémitisme qui de leur ignorance n’est qu’une « reconstruc- « virus » juif dans le corps de l’Europe.
donnait à la guerre sur le front oriental sa tion mythique rétrospective ». Friedländer Tout cela était connu, mais c’est
coloration particulière. Il s’agissait, selon la résume un ensemble accablant de preuves l’enchaînement de tous ces éléments qui
définition nazie, d’un Volkstumkampf, d’un déjà fournies par un corpus de recherches donne une perception nouvelle. Quelques
« combat ethnico-racial » qui allait bien au- désormais considérable. Mais il ne s’agit plus notations qui, au premier abord, pourraient
delà des idées traditionnelles de de travaux sectoriels sur la diffusion des apparaître anecdotiques, se révèlent tout à
l’expansionnisme pangermaniste. Ce combat nouvelles dans la presse anglo-saxonne, sur fait éclairantes. Nous apprenons ainsi qu’en
se passait de toute contrainte d’ordre légal, les rapports émanant de la Croix-Rouge et 1942, des convois de déportés étaient ratta-
unissant une visée coloniale – la conquête de des émissaires polonais, sur les images de chés, à Düsseldorf, à des trains passagers, et
l’« espace vital » – à une aspiration quasi reli- Maidanek – avec les chambres à gaz, les que, l’année suivante, les troupes allemandes
gieuse – l’élimination des juifs comme amoncellements de cheveux, valises et lunet- installées à Salonique avaient récupéré les
mission sacrée – et débouchant sur une guer- tes – rendues publiques par les Soviétiques
re totale contre le bolchevisme. Sur le plan après la libération du camp en juillet 1944. SUITE

5
EN PREMIER SUITE FRIEDLÄNDER/TRAVERSO

pierres tombales de l’ancien cimetière juif Né à Prague en 1932 – il a raconté son de. Et c’est sans doute dans sa volonté de ne
pour paver des rues et construire des piscines. enfance et sa survie pendant la guerre, caché pas « domestiquer » le sentiment quasi viscé-
Bref, les camps de la mort n’étaient ni au sein d’une famille catholique française, ral de stupeur et d’incrédulité que suscite un
suspendus dans le vide ni hermétiquement dans des souvenirs poignants (5) –, Saul tel événement, avant d’en donner
occultés. Friedländer caractérise Friedländer est sans doute le dernier, parmi l’interprétation historique la plus systéma-
l’antisémitisme nazi comme une croisade « les grands historiens et narrateurs de la tique et rigoureuse, que réside la grande
rédemptrice », comme une tendance quasi Shoah, a l’avoir traversée. L’Allemagne nazie force de son livre.
religieuse qui, s’attaquant à un « ennemi et les juifs n’est pas un livre autobiogra-
métaphy-sique » perçu comme une menace « phique, car il s’agit d’un ouvrage historique 1. S. Friedländer, L’Allemagne nazie et les juifs.
létale et active » – surtout par l’identification au sens le plus classique du terme, mais son Les années de persécution 1933-1939, Seuil
des juifs aux commissaires politiques de auteur n’ignore pas – ni ne fait semblant (maintenant réédité avec le second volume). Voir
l’Armée rouge – créait un climat de pogrom d’oublier – que son travail demeure hanté par la Quinzaine littéraire, 1998, n° 731.
dans l’ensemble de l’Europe. Il illustre son son vécu. Il n’est pas possible, reconnaît-il, 2. R. Hilberg, La destruction des juifs
analyse à l’aide de quelques exemples saisis- d’étudier la Shoah comme on enquêterait sur d’Europe, Folio-Gallimard, 3 tomes.
sants. En septembre 1940, le festival du ciné- le prix du blé à la veille de la Révolution 3. Voir cette correspondance dans le Bulletin
ma de Venise décernait le Lion d’Or au film française ; la proximité de l’événement ne Trimestriel de la Fondation Auschwitz, 1990, n°
24, et maintenant in S. Friedländer, Nachdenken
allemand Jud Süss. Michelangelo Antonioni, nous le permet pas. C’est pourquoi son über den Holocaust, Beck, Munich, 2007.
fasciste à l’époque, le saluait comme une œuvre contient des pages lumineuses et 4. Voir surtout G. Aly, Comment Hitler a ache-
rencontre réussie entre l’art et la propagande. irremplaçables pour comprendre té les Allemands, Flammarion, 2005.

Le mot « génocide »
Trois ans plus tard, le film avait été vu par l’interférence inéluctable de la mémoire dans 5. S. Friedländer, Quand vient le souvenir,
plus de vingt millions de spectateurs. tout effort d’écriture de l’histoire du judéoci- Points-Seuil.

RAFAËL LEMKIN économique, culturelle, religieuse, morale et inscrire le crime de génocide n’est pas rete-
QU’EST-CE QU’UN GÉNOCIDE ? même « biologique ») de ce processus nue, sous prétexte que ce mot ne figure pas
trad. de l’anglais (États-Unis) par Alain Spiess d’extermination – soudaine ou graduelle – dans le British Dictionary. Mais Lemkin
d’un peuple. Ce concept est à ses yeux bien gagne sa bataille trois ans plus tard : en 1948,
Rocher éd., 320 p., 22 euros
présentation par Jean-Louis Panné
plus rigoureux que celui, trop vague, de « l’ONU consacre une convention au crime de
meurtre de masse », mais il donne ensuite génocide.
une multitude d’exemples qui en révèlent un Dans une critique du livre publiée en 1946
usage très extensif et finalement tout aussi par la California Law Review, Hans Kelsen
Le mot « génocide » – fusion du grec flou. Il cite bien sûr les juifs et les Tziganes, soulignait que « le nouveau concept de
ancien genos (tribu, race) et du latin caedo mais il les juxtapose aux Polonais, aux “génocide” a une signification plus politique
(tuer) – est né pendant la Seconde Guerre Russes et aux Slovènes, désignés comme que juridique », en indiquant que les actes
mondiale. Son créateur est un juriste juif victimes d’une analogue « extermination criminels désignés par cette notion étaient
polonais, Rafaël Lemkin, professeur de droit massive ». D’autres passages semblent indi- parfaitement punissables en vertu du droit
à l’université de Varsovie avant la guerre. Il quer que cette notion pourrait s’appliquer à international préexistant. Lemkin n’évoquait
est arrivé aux États-Unis en 1940, après une l’ensemble des pays dans lesquels les forces pas encore, dans son livre, l’imprescriptibilité
fuite rocambolesque à travers la Pologne et de l’Axe ont pratiqué des politiques de ce crime. Au fond, l’argumentation de
les Pays Baltes, un bref séjour en Suède et un d’occupation et des transferts forcés de popu- Lemkin semble confirmer les réserves qui
nouveau, long voyage par l’Union Soviétique ont été formulées, en temps plus récents, par
des chercheurs comme Henry Huttenbach

Ce terme est désormais


et le Japon. Il s’intéresse aux crimes de masse
depuis le début des années 1920, lorsqu’il a aux États-Unis et Jacques Sémelin en France,

entré dans notre lexique.


été profondément ébranlé par l’attentat, à au sujet de ce concept controversé. Pour ces
Berlin, d’un terroriste arménien contre derniers, son usage dans les sciences sociales

Nous pourrons essayer


l’ancien ministre de l’Intérieur de l’empire est très problématique. Constatant qu’il a

d’en faire un usage plus


ottoman, Talaat Pacha, un des responsables toujours servi bien davantage à revendiquer
de l’extermination de plus d’un million la reconnaissance d’un crime dans l’espace

rigoureux, mais nous ne


d’Arméniens pendant la Première Guerre public plutôt qu’à en approfondir l’analyse et
la compréhension, ils suggèrent de

pourrons pas l’éliminer


mondiale. Lemkin abandonne alors ses
études de philologie pour se consacrer au l’abandonner et de le remplacer par celui de
droit. Il élabore le concept de génocide dans « violence de masse » ou de « violence extrê-
un ouvrage consacré aux crimes nazis qui me ». Bref, ce livre permet à la fois de
paraît en 1944 sous le titre Axis Rule in reconstituer la généalogie d’un concept et de
Occupied Europe, où il analyse minutieuse- mieux saisir les limites qui le caractérisent
ment un énorme corpus législatif produit par lation, puisque l’extermination physique ne dès sa naissance. Reste le fait que ce terme
le Troisième Reich et ses alliés. Bien que constitue, dans son schéma, qu’un des critè- est désormais entré dans notre lexique. Nous
toujours cité pour son rôle fondateur, ce livre res de définition à côté d’au-tres, parfois pourrons essayer d’en faire un usage plus
n’avait jamais été réédité ni traduit. Il faut assez étonnants comme la diffusion de rigoureux, mais nous ne pourrons pas
donc saluer cette édition française qui, en l’alcoolisme et de la pornographie. Bref, la l’éliminer sinon au prix d’une régression
laissant de côté toute la partie documentaire, distinction aujourd’hui courante entre épura- éthique et politique bien peu souhaitable.
reprend les chapitres essentiels du livre. tion ethnique et génocide, ou encore entre Homme d’action et juriste militant,
Un génocide, précise Lemkin, ne signifie crimes de guerre et génocides, est souvent Lemkin n’avait pas l’envergure théorique
pas nécessairement « la destruction immédia- effacée dans cet ouvrage. d’un Kelsen. La grandeur de son livre est
te d’une nation », mais plutôt « la mise en Pendant l’été 1945, Lemkin participe, en surtout symbolique, car il témoigne d’une
œuvre de différentes actions coordonnées qui tant que membre de la délégation américaine, césure. C’est la première trace perceptible,
visent à la destruction des fondements essen- à l’élaboration des statuts du Tribunal dans le domaine du droit, de la blessure infli-
tiels de la vie des groupes nationaux, en vue Militaire International qui, à partir de gée par la Shoah au visage de l’Europe.
de leur anéantissement ». Il examine ensuite l’automne, va juger à Nuremberg les crimes
les multiples dimensions (politique, sociale, de l’Allemagne nazie. Sa proposition d’y ENZO TRAVERSO

6
EN PREMIER

Tel fut leur enfer !


Nous avons demandé à Georges-Arthur Goldschmidt dont il est
question au début de cet ouvrage d’en faire le compte rendu pour La
Quinzaine littéraire.

GEORGES-ARTHUR GOLDSCHMIDT

L’ENFANT ET LE GÉNOCIDE d’autres et ceux de gens anonymes ou incon- l’importance que tous ces êtres donnaient à
(témoignages sur l’enfance nus, d’auteurs d’un seul livre jamais encore l’écrit, ce que pouvait signifier pour eux
traduit. Toutes ces voix très diverses et l’expression littéraire.
pendant la Shoah) venues de tous les pays occupés par les Ces récits, ces essais racontent
CATHERINE COQUIO Allemands de 1939 à 1945, parlent de l’invraisemblable et on ne cesse d’aller
et AURÉLIA KALISKY l’intérieur de ce qui fut vécu, ce sont des d’étonnement en étonnement car l’extension
Robert Laffont éd., 1376 p., 32 euros
Bouquins témoignages devenus des œuvres littéraires, et la mise en œuvre du crime nazi n’ont pas
rien que d’avoir été écrits. de fin. Chaque texte cité montre les dimen-
La portée de cet ouvrage est encore accrue sions de l’imagination cynique dans
de ce que certains textes ont été rédigés par l’inépuisable invention de la mise à mort,
des enfants qui ne devinrent jamais des comme plus nette encore, plus visible, plus
adultes et dont certains créèrent même une « efficace » lorsqu’il s’agit d’enfants comme
revue littéraire, à Theresienstadt (Hachen- si c’étaient eux qui montraient véritablement
extermination des enfants est, depuis le burg et Peter Ginz). Un auteur dit à ce propos à nu, il faut sans cesse le redire, le vrai fonc-
L ’ début, au centre même de toute
l’entreprise hitlérienne. Dès le printemps
que « l’enfant comprend sa mort parce qu’il tionnement du programme même du

1937 Eugen Fischer, directeur du Kaiser


Wilhelm Institut (Institut de l’Empereur
Guillaume) (section d’anthropologie), un
grand ami de Martin Heidegger, décide la
stérilisation des enfants de couleur et dès le
mois de mai, son collègue von Verschuer
demande aux mêmes fins, la saisie statistique
des enfants juifs. L’euthanasie des enfants
considérés comme sans valeur pour la vie
(lebensunwert) est mise en pratique à partir
de 1939 et conti-nuera jusqu’en 1945 en dépit
de quelques très rares protestations.
C’est à partir de 1941 que l’extermination
des enfants juifs devint systématique, comme
l’une des caractéristiques de base du
nazisme. Le nazisme était meurtrier et crimi-
nel dans son essence, son contenu et ce
jusque dans la moindre de ses manifesta-
tions ; éradiquer les enfants était sa raison
d’être.
À quel point les enfants en furent les
victimes de base, c’est bien ce que montrent
les textes réunis ici par les deux auteurs qui se
sont livrés à un travail aussi énorme
qu’essentiel. Tous racontent la vie de ces
enfants juifs qu’on extermine pour la seule ne cherche pas à la saisir », il n’y a pas de nazisme, la destruction irrémédiable de l’être
raison qu’ils sont nés Ce livre réunit sens et l’enfant a d’emblée vu l’insensé. Le humain incarné par les enfants juifs, les
l’ensemble des textes, qui ressortissent de ce plus insupportable est la disponibilité, enfants tziganes et les enfants « débiles ».
qu’on convient d’appeler le « genre testimo- l’ouverture d’esprit, la curiosité de ces Cet ouvrage réunit les écrits de plus de
nial », sous diverses formes, journaux, enfants dont il ne faut pas oublier, que de deux cents auteurs de toute sorte, plus ou
chroniques, récits, essais. Tous portent sur plus, ils étaient déjà en train de souffrir au moins longs et tous précédés d’une biogra-
« l’épreuve de l’inhumain », vécue par les ghetto de la faim la plus extrême, presque phie succincte, mais explicite, tous classés
enfants jetés dans un univers de terreur, face autant que dans les camps, comme le par pays d’origine. À la fois par la prove-
auquel ils sont encore plus désemparés que montrent les photos prises en 1941 à nance et par les lieux où les récits se
les adultes, mais dont justement ils saisissent l’intérieur du ghetto de Varsovie (2). Le jour- déroulent, c’est presque toute l’aire
d’emblée la nature même. D’un coup, ils nal d’Istkohk Rudashevski assassiné en 1943 géographique de l’Europe qu’ils embrassent
perçoivent, d’une manière ou d’une autre, à quinze ans, avec tant d’autres est un éton- et toutes les classes sociales et les formes
l’essence de ce dont ils sont victimes. nant exemple de maturité tragique et de préci- d’existence les plus diverses. Ce gigantesque
Certains de ces récits ont été écrits sur sion d’observation. travail est précédé d’un remarquable avant-
place au Ghetto de Cracovie (Roma Ligocka) Les poèmes publiés sont saisissants à force propos d’une centaine de pages , à la fois très
ou de Lodz (Oskar Rosenfeld) ou au camp d’être désabusés, clairvoyants et d’une infail- documenté et écrit de sorte à introduire le
ghetto de Theresienstadt comme les poèmes lible intensité. Le plus frappant, ce sont lecteur non seulement au sein de l’univers
du petit Hanus Hachenburg, ce jeune garçon, l’acuité de l’expression et la justesse des concentrationnaire, mais en son centre, là où
né en 1929 extraordinairement doué et qui remarques, comme si la certitude de la mort le nazisme montre sa nature.
sera gazé en 1944 à Auschwitz. On trouve rendait la langue plus indispensable, plus
ainsi mêlés des noms connus, sinon célèbres claire et telle qu’on ne peut pas ne pas 1. Ernst Klee Euthanasie im SS- 1986
tels Imre Kertèzs, Élie Wiesel, Ruth Klüger, l’entendre. Aucun de ces enfants ne se faisait 2. Joe J. Heydecker Das warschauer Getto
Aharon Appelfeld, Serge Moscovci et bien la moindre illusion. Ce qui est saisissant c’est Foto-Dokumente DTV Francfort 1983

7
ROMANS, RÉCITS

« Un roman sauvage »
Les tenants de genres cloisonnés, amateurs d’essais qui sont des
essais, et de romans qui obéissent à des canons bien définis, en seront
pour leurs frais en ouvrant ces Notes sur la terreur, de Marc Weitzmann.
Difficile en effet de décrire ce livre, dont même les notes en bas de page
ouvrent des pistes ou sont des pieds de nez.

NORBERT CZARNY

MARC WEITZMANN porte à vie dans son corps. Victime d’un de plus qu’une série de paragraphes sans
attentat contre un bus à Jérusalem, la jeune issue ? Labyrinthe ou se mêlent tentatives de
Flammarion éd., 250 p., 21 euros
NOTES SUR LA TERREUR
femme a été gravement blessée aux jambes, pédagogie objective, références littéraires,
et ne peut marcher comme avant. Mais nul anecdotes personnelles et le malaise d’une
apitoiement chez elle ou chez l’auteur, juste solitude, d’un indicible déplacement. »
l’envie de comprendre, de lire les signes A cet éparpillement, lisible dans la forme
out commence dans un taxi qui roule dans annonciateurs, de voir comment la terreur du livre, fait de rencontres diverses, de
T New York, où l’auteur se rend pour un
séjour et des rencontres. La ville américaine,
jaillit, et produit ses effets. A peine étendue
au sol, la romancière cherche autour d’elle
digressions, de coq-à-l’âne et de virages
parfois brusques, s’oppose donc le fil d’une
mais aussi Tel Aviv et Jérusalem, Paris et tout ce qui lui appartient. Seule l’obsède réflexion et de la marche. Weitzmann écrit
Bagdad, ou Prague, sont les diverses étapes l’idée de « ne pas se laisser disperser par la parfois comme on avance dans un dédale,
d’un voyage au cœur d’un siècle nouveau, bombe ». Elle ramasse les objets, mais essaie avec ce mélange d’inquiétude et d’audace qui
marqué par la terreur. Laquelle se matérialise exclut tout retour en arrière. Notre monde et
d’abord dans les tours jumelles, et dans les notre siècle sont ainsi faits qu’il est difficile
conséquences aujourd’hui encore, de leur de reculer, même si l’on sait que chaque pas
effondrement. Weitzmann revient sur la diffi- est risqué, que les certitudes d’autrefois ne
culté à identifier tous les corps, les erreurs sont plus. Deux savoureuses notes au bas des
qui sont commises et ce que cela engendre. pages 188 et 191 rappellent quel danger nous
On ne sait pas encore combien de personnes courons dans un monde multipolaire, quand
sont mortes, et peut-être ne le saura-t-on des années d’équilibre de la terreur nous
jamais. La déflagration résonne encore, dans protégeaient, paradoxalement.
ce constat. L’essai est largement consacré à ces stratè-
Quelques écrivains accompagnent le ges et chercheurs, proches des hommes
romancier et essayiste dans ce voyage. Ceux d’Etat américains des soixante dernières
qu’il rencontre, bien sûr, comme Philip Roth années, qui ont réfléchi sur la bombe
ou Don de Lillo à New York, Zeruya Shalev à atomique, ses effets, la terreur qu’elle pouvait
Jérusalem, mais aussi William Carlos engendrer, ou éviter. De Hermann Kahn, qui
Williams, le poète qu’il lit dans l’avion, et servit de modèle au Docteur Folamour à Von
dont il cite des vers à diverses reprises. Faute Neumann, auteur d’une théorie des jeux
d’une définition de ce que Weitzmann appelée « Monte-Carlo » en passant par
nomme la terreur, on peut ainsi reprendre ce Henry Kissinger ou les experts de la RAND
qu’en écrit Williams : « la terreur agrandit Corporation qui ont accompagné Bush junior
son objet tout comme la joie ». Un peu plus et d’autres, Weitzmann dresse une galerie de
loin, l’essayiste rappelle le lien établi par le portraits, en même temps qu’il raconte, de
poète entre terreur, technologie et puritanis- façon elliptique voire décousue, l’Histoire de
me. Peut-être est-ce ce lien qu’a éprouvé la « guerre froide ». Le parcours de ces
Alexandra. hommes fascine Weitzmann. Le fils de
Elle est la première rencontre du livre. communiste qui entendait parler du conflit de
Cette jeune femme d’origine serbe, native de Budapest ou de Cuba dans la cuisine familia-
Novi Sad, a trouvé un peu de paix aux États- le n’a plus de « famille » politique. Ces
Unis après la guerre du Kosovo et le bombar- hommes d’influence, souvent passés dans le
dement de sa ville par l’aviation américaine. giron néo-conservateur, à l’instar d’un
Novi Sad n’est pas une ville anodine en MARC WEITZMANN Norman Podhoretz qui prône toujours l’idée
Serbie : proche de la frontière hongroise, elle de progrès ont façonné ce début de siècle,
rassemble une population composite. On sait pour le meilleur et pour le pire. Ce sont des
peut-être que c’est la ville natale de Danilo surtout, en romancière, de préserver le fil héros de roman, ou de ces personnages qui
Kis, écrivain mal vu du régime en place pour d’une pensée entamée dans un square, puis agissent en sous-main, jouent de leur pouvoir
ses opinions « cosmopolites » dans les années sur le trajet la menant au bus, pensée du caché pour transformer le monde.
soixante-dix. Le bombardement de cette ville roman en cours. « Roman sauvage », Notes sur la terreur
surprend et choque des habitants qui L’idée d’éparpillement, qui traverse ce est aussi l’histoire d’un homme qui va mal,
s’opposent autant qu’ils le peuvent à livre comme elle accompagne le concept de qui a peur, parce qu’il sent revenir les haines
Milosevic. Les rafles qui s’y sont déroulées, terreur, on la retrouve aussi dans une les plus obscures, drapées dans la soie des
pour enrôler des jeunes gens au début de la réflexion de Don de Lillo sur le chaos irakien, bons sentiments. Lorsqu’il est à Paris, au
guerre en Bosnie témoignent de ce qu’est préférable à de multiples chaos. Non que le début des années 2000, et qu’il est encore
cette ville, et de ce qu’est aussi une forme de romancier américain voie là une solution ; journaliste et critique renommé aux
terreur : elle génère une incompréhension comme bien des protagonistes de cet essai il Inrockuptibles, il entend les hurlements d’une
dont des années après, la jeune Alexandra émet des hypothèses, cherche à comprendre. foule qui honnit Israël confondu avec les
garde la trace vivante. La forme du livre fait écho à ce propos : Juifs, et dans les couloirs de son journal on
La trace de la terreur, Zeruya Shalev, « Suis-je en train d’écrire quelque chose ou voit dans les attentats antisémites qui fleuris-
romancière israélienne connue pour Théra, la bien ces notes ne déboucheront-elles sur rien sent alors, un complot du Mossad. Près de

8
ROMANS, RÉCITS

devenir fou, Weitzmann part à Tel-Aviv, qui Et de ce séjour sortira ce que nous tenons d’un roman à venir, d’une œuvre ambitieuse
soumise aux attentats de la deuxième intifa- pour le meilleur texte de Weitzmann, son sur le modèle de ce que proposent les écri-
da, vit dans sa « lente et frénétique atmosphè- Livre de guerre. vains américains que Weitzmann aime tant,

Le Parachèvement
re d’irréalité malade ». Paradoxalement, les Il y a dans cet essai un peu erratique, entre un de ces romans qui prennent le temps de se
attentats l’effraient moins que les cris et réflexion sur un monde transformé en construire, dans le chaos et l’errance. En
propos entendus dans la capitale parisienne. cauchemar, et série de portraits, l’ébauche quête d’une identité nouvelle.

Le récit posthume de Michèle Desbordes est l’ultime trace d’une


langue magnifique, l’aveu discret d’un amour profond, le retour, la
demande sereine devant la disparition.

HUGO PRADELLE

MICHÈLE DESBORDES leurs rencontres, les lettres, l’amour, le jamais été séparé, les morceaux, les frag-
désamour, le manque, le retour, elle évoque ments (bribes, parcelles) unis, indissociables,
Verdier éd., 120 p., 11,50 euros
LES PETITES TERRES
les bouts du bout du monde, la Loire, son les bouts de soi, les bouts d’écriture, (...) le
enfance, la guerre, les livres enfin, toujours. sens de cette écriture présente, morcelée,
Ce livre, l’ultime et douce profération d’un jonchée de morceaux, bribes, parcelles... »
grand écrivain, prend une autre valeur, éton-

Il y a quelque chose
nante, lumineuse. Elle écrit l’aveu, dévoile
avec une pudeur admirable des clefs

d’un bilan dans ce


e dernier livre de Michèle Desbordes,
L comme un archipel, éparpillé, semble
insoupçonnées de son œuvre, réfléchit sur
son travail, explique sa démarche. Les Petites

livre, dans sa force


lumineux et doux, étrangement serein, pris terres constituent un retour, pour mieux dire,
dans une récapitulation très maîtrisée en pour mieux saisir ce dernier récit, celui d’un

même, dans son


même temps que spontanée. Ce récit, d’une amour, de la mort de l’autre, font advenir les

caractère d’ellipse
traite, comme un souffle hébété, rassemble enjeux, les font se rapprocher de nous,
l’œuvre de Desbordes, fait s’en rallier les passant de l’intime circonspect de la confes-

et de dépliement
points – les terres – et les cartographie avec sion qui torture à la douceur du dialogue qui
une ferveur communicative en même temps fait tout se justifier. Les bribes du récit, les
qu’élégiaque, profonde. fragments du discours : « (...) ces éléments
Sur un chemin au bord du fleuve, une dans l’ordre et à point nommé dirait-on, tout
femme regarde un oiseau aller et venir aux cela n’étant faut-il croire qu’un seul et même
bases d’un ciel très gris. Autour de cette tissu, un seul même magma où tout se retrou-
brève promenade, s’organisent toutes les ve se presse et conflue, n’ayant à vrai dire La forme neuve, l’éclat, l’éparpillement
parcelles de ce livre éblouissant – le centre virtuose, permettent à Desbordes, dans le
des petites terres. Michèle Desbordes raconte silence désormais, d’aborder à la fois une
un secret, celui d’un amour, entrecoupé d’une histoire intime et de faire mieux comprendre,
séparation difficile (dans le temps et les reprenant, ses livres précédent – L’Ha-
l’espace), pour un écrivain plus âgé qu’elle, bituée, Le Commandement, La Demande,
de sa disparition. Elle s’attache à la comple- L’Emprise – et ses poèmes narratifs, ses
xité de leur vie au travers des trajets qu’elle obsessions et ses hantises. Il y a quelque
fit vers lui – des visites –, et de l’ultime chose d’un bilan dans ce livre, dans sa force
voyage vers Paris au moment où il meurt. Un même, dans son caractère d’ellipse et de
voyage vers lui. Comme le voyage dépliement, dans la tension presque magique
d’Hölderlin en 1802 qu’elle écrivit, comme entre ce qui doit être dit et ce qui le sera.
celui d’Herzog, au travers des glaces, qu’elle Les Petites terres sont les recommence-
admira. « Toi dont je parle, dont je n’ai ments illimités, les bribes impalpables d’un
jamais parlé, un de ces jours qui venaient tu bonheur qui disparaît lentement, des traces
allais mourir. Insensément. Ta mort allait merveilleuses, comme du sel après le retrait
s’immiscer, s’introduire là dans ma vie, de de l’écume, ou des restes de brumes qui
façon fulgurante l’infléchir, la bouleverser. s’accrochent au paysage, la mort, le saisisse-
J’avais eu le temps d’y penser, de l’imaginer ment tendre par la langue qui se reprend sans
comme on imagine ce qu’on redoute (...) cesse, la langue elle-même mise à nu, comme
ignorant alors que le moment viendrait où il un corps, comme la langue qui se replie dans
me faudrait vraiment parler de tout ça, la bouche, apeurée et brave, provocatrice et
comment le croire, te mettre dans un livre toi patiente. Le dernier récit de Michèle
et le déchirement des choses comme si c’était Desbordes demeure indissociable de son
une histoire, n’importe quelle histoire que style, du travail profond qu’elle exerça sur la
j’écrirais, une histoire pourtant où j’aurais à langue, puissamment, de l’intérieur. « (...) cet
dire les choses comme elles viennent, c’est-à- emportement, cette façon de ne plus pouvoir
dire rompre l’unité et laisser parler toutes les s’arrêter une fois la phrase commencée car il
voix qui ont à parler, car c’est cela et rien semble bien qu’alors ce soit la seule façon de
d’autre je crois qu’il me faut faire main- dire, le temps qui n’en finit pas, le temps
tenant (...) » Elle évoque les différentes immobile et tout ce qui sans cesse recom-
périodes de son existence, leurs voyages, sa
vie sous les tropiques, la mer omniprésente, MICHÈLE DESBORDES SUITE

9
ROMANS, RÉCITS SUITE DESBORDES/PRADELLE

mence. » Au cœur de ce rythme particulier, raître une fêlure. Mais au lieu de se complaire table. « Je suis, j’écris dans la maison sur la
évident, Les Petites terres réfléchissent le dans l’indignité d’un intime exhibé, elle falaise, sur le coteau où poussaient autrefois
dernier livre, la possibilité de la fin. construit la nécessité de le dire, fait corres- la vigne et le safran, où se bâtissaient les
Dans ce court récit, magistral, d’une pondre la biographie et l’œuvre, et surtout belles demeures de pierre blonde. C’est là
lenteur plaisante, presque fluviale, Desbordes nous plonge – et quelle aventure superbe – que j’ai écrit la plupart de mes livres, jusqu’à
nous confronte aux angoisses de la souf- dans la généalogie d’un style, dans le celui-ci dont je me dis qu’il pourrait être le
france, de la perte et de la création, avec une déploiement des tenants et des aboutissants dernier. » La langue de Michèle Desbordes

Clins d’œil et nostalgie


belle modestie, comme en sourdine, sans des choix d’une vie de littérature, nous berce est celle d’un apaisement, celui de la fin peut-
emphase. Elle dévoile un secret, fait appa- dans le rythme serein d’une langue inimi- être, de ce qui a disparu, déjà.

Cafés de la mémoire et mémoire des cafés. Ainsi Chantal Thomas


apporte sa contribution à la geste bistrotière dont on espère bien ne pas
voir la fin, encore que la profession soit en deuil, depuis le coup porté au
petit noir-cigarette!... En effet, est-il quelque autre lieu d’accueil qui vaille
un café ? : « Et les cafés ? davantage que les églises, les gares et les hôpi-
taux ne méritent-ils pas des noms de saints ou de saintes ? Car s’il est un
lieu où l’on peut souffler et se requinquer, s’encourager, vérifier son
bagage, consulter une carte, c’est bien le bistrot. »

AGNÈS VAQUIN

CHANTAL THOMAS pas méconnaître l’intervention de ces cafés interdits qui enflamment
l’imaginaire et de l’écriture. A Arcachon, l’imagination des enfants. A Bordeaux, Lisa
Seuil éd., 350 p., 20 euros
CAFÉS DE LA MÉMOIRE
enfant du baby boom, Lisa est une petite fille est une étudiante en philosophie tétanisée par
modèle, socquettes et jupes à fleurs. Des le comportement odieux de Monsieur Rogue,
parents sinistres qui ne vont pas au café : « Le son professeur. Au café, heureusement, elle
café est un révélateur que l’on s’emmerde rencontre d’abord un fou de cinéma homo-
e « récit » s’organise bizarrement. En ensemble et ils n’avaient pas besoin de sexuel, ensuite une horde de réfugiés espag-
C ouverture, un texte d’un élan et d’une
sensualité superbes qui concerne le Grand
preuves supplémentaires. » Le grand-père
Félix, par contre, il les fréquente assidûment,
nols dont le leader lui apprend l’amour, sexe
et avortement compris. A Paris enfin, Lisa
Café de Turin, à Nice. A ce nom, quiconque commence par courir les petits boulots. Puis,
s’est baladé là-bas, aux alentours de la vieille aux basques d’un autre amant « bien avancé
ville, reçoit sa décharge d’adrénaline. Fruits dans son expédition en Biturie profonde »,
de mer à toute heure et boissons en accord. elle expérimente nuitamment, de Montmartre
Atmosphère. Pour Chantal Thomas, le à Montparnasse, un compen-dium de la tradi-
contrepoint s’organise entre cette ambiance, tionnelle vie d’artiste. Le clash final la
la rumeur profonde d’une souffrance provo- ramène aux choses sérieuses.
quée par l’état de sa mère dont l’esprit Les amateurs de clins d’œil et de nostalgie
s’absente et qui se meurt non loin de là et les sont comblés, mais on aurait tort d’aussi
frénésies contagieuses du Carnaval qui bat simplement se satisfaire. Les livres annoncés
son plein : « “Carnaval, Roi des dupes”, tel sont très présents dans le texte, longues cita-
est le thème de cette année. » tions à l’appui. A tout seigneur tout honneur.
Le lecteur aborde ensuite une sorte de On a beaucoup dit que cette génération,
roman d’apprentissage en trois parties, lié à c’était celle des enfants de Sartre et de
d’innombrables stations dans d’innombrables Beauvoir. Lisa les aperçoit d’ailleurs un jour,
cafés. Enfance et adolescence : Cafés-vitrines de loin, à la Coupole. Or, les Mémoires d’une
et cafés secrets, à Arcachon. La vie d’étu- jeune fille rangée lui servent de vade-mecum.
diante à Bordeaux, liée au Bar des facultés. Elle y apprend la liberté des filles à l’heure
La vie parisienne, liée au Café des artistes : où Jean-Jacques Pauvert publie l’œuvre du
« Il y a énormément de cafés dans ma marquis de Sade. Toutefois et bien
mémoire, de temps perdu dans les cafés (...) / qu’apparemment rebutée par les études entre-
– Alors tu es une femme savante, puisque c’est prises et très désireuse de mener une vie de
au café que l’on apprend à vivre. / – Jusqu’à bohème, Lisa éprouve assez vite la nécessité
un certain point. Car c’est aussi au café que de fuir toute aliénation funeste : « Ma vie se
l’on se console de ne pas vivre. Voilà pourquoi déroulait par fragments séparés. » Ainsi
je n’ai pas mis toute mon énergie dans les préserve-t-elle « le cristal de la chambre de
cafés, j’en ai gardé pour les livres... » pensée – cette révélation de ma classe de
Le projet de Chantal Thomas paraît donc philosophie qui m’avait donné à croire au
bien de caractère autobiographique. Et pour- dédoublement de notre existence, celle
tant... : « C’est mon grand-père qui avait extérieure étant la moins intéressante. » De là
choisi mon prénom : Lisa. » Un prénom qui effectivement viendra son salut. Le livre se
réapparaît à plusieurs reprises. A bon enten- referme quasiment dans les bras de Roland
deur, salut ! Entre le vécu et la vie rêvée, ne CHANTAL THOMAS Barthes. Thèse de doctorat à l’horizon ?

10
ROMANS, RÉCITS

Pour Lisa, dans les cafés, pas de jeunesse Révolution, mais...je dois le dire... en même Une constatation pourtant : les cafés sont un
perdue. Ils sont le lieu de ses travaux temps, je l’avoue, ce qui est me plaît./ – théâtre et Lisa y peut observer les serveurs.
pratiques. Les hommes, c’est là qu’elle les Quoi ? / – Ce qui est, ce monde me plaît. / Je Mais pourquoi faire référence au serveur
rencontre. Elle les aime parfois, les adopte un ne me sentais pas très à l’aise de dire une sartrien, parangon d’inauthenticité ? Nous lui
temps, elle les quitte comme eux-mêmes sont chose pareille. / – Ce monde lui plaît ! se sont aurions préféré un de ces serveurs chers à
réputés le faire pour les femmes. Une famille, exclamés le vieux poète et les deux gardes Raymond Queneau, si proches de tels autres
des enfants, pas question. L’engagement poli- rouges. » que nous avons connus et appréciés. De
tique ? Soixante-huit ? Hospitalisée à Le plus plaisant, on l’aura compris, c’est le grands acteurs. De grands métaphysiciens,

Pas naïfs
Marseille, elle n’était pas là. Le Grand Soir ? ton de ce récit. Un humour, une autodérision honorant à toute heure les prérogatives de
On en parle au comptoir : « Je crois en la plus ou moins biaisée. Un certain sourire. leur fonction.

La campagne vendéenne, dans les années 1950, ce sont encore


beaucoup de paysans, des petits artisans dans les bourgs, des coins qui
paraissent à bien des Parisiens plus lointains que New York, des adoles-
cents d’autrefois et un Gaston Chaissac qui s’y promène en veste de
velours et en sabots. Dans un récit autobiographique et un texte très
personnel sur Chaissac, Serge Fauchereau revient sur ces années-là.

TIPHAINE SAMOYAULT

SERGE FAUCHEREAU peut se lire comme un pendant des visites du


GASTON CHAISSAC, narrateur à Elstir dans À la recherche du
temps perdu. D’un côté, au début du siècle, le
André Dimanche éd., 200 p., 35 euros
À CÔTÉ DE L’ART BRUT
raffinement, la mondanité, la ville et les
bords de mer, la modernité ; de l’autre, au
André Dimanche éd., 220 p., 22 euros
LES PETITS ÂGES milieu du même siècle, le monde reculé de la
campagne, le brut, la récup’, une autre forme
de modernité, qui se défend d’elle-même.
Sans qu’on puisse parler de révélation
– Serge Fauchereau ne présente pas du tout
les choses ainsi –, on peut voir là comme
aurice, l’oncle de Serge Fauchereau et
M Gaston Chaissac étaient tous deux
cordonniers en Vendée. Vers l’âge de
dans d’autres scènes d’une enfance rurale,
l’origine d’un attrait ultérieur pour les assem-
blages, pour les installations, pour la plasti-
quatorze ans, le jeune Serge et l’un de ses cité des matériaux et des mots (qui s’illustre
copains de Mareuil-sur-Lay allaient en vélo dès la fin des années soixante dans le travail
jusqu’à Sainte-Florence-de-l’Oie passer un de transmission qu’il fera de la poésie objec-
moment avec celui que les paysans consi- tiviste américaine notamment).
déraient comme « fou ou sorcier, à cause de Une autre scène racontée dans Les Petits
ses peintures ». Ce point commun, tant social âges, et qui remonte elle, plus loin, à
que régional, ne doit pas pour autant l’enfance marocaine de l’auteur, Serge
contribuer à étayer la légende d’un Chaissac Fauchereau l’a en partage avec Elias Canetti
misérable et bouseux – légende qu’il a pour qui l’évoque à plusieurs reprises dans son
une part aidé à forger – d’autant qu’il n’a autobiographie : c’est le marché marocain
guère pu exercer son métier, faute de clients avec ses bruits, ses étalages bariolés et ses
et que, bien qu’en grande partie autodidacte, conteurs qui donnent à la fois le goût des
il était un homme d’une très grande culture, choses et de leur possible métamorphose.
ayant aussi reçu des leçons de dessin d’Otto « J’ai même fini par prendre goût aux super-
Freundlich et d’Albert Gleizes. marchés. Le théoricien des objectivistes
Dans Les Petits âges (très beau titre SERGE FAUCHEREAU américains, Louis Zukovsky, soutenait que
emprunté à L’Art de toucher le Clavecin de c’était un lieu d’élection pour un poète qui
Couperin), Serge Fauchereau évoque ses veut connaître les gens et les choses, contre
souvenirs d’adolescence où rien ne se sait l’apprentissage : « Comme je ne connaissais son ami Charles Reznikoff qui tenait pour le
d’avance et où tout se découvre, la sensualité rien du travail des artistes peintres, je n’étais métro et les transports en commun. » Cette
comme l’art, le caractère comme l’avenir. pas vraiment étonné de le voir travailler avec liaison du concret, de la figure concrète,
Dans Gaston Chaissac, à côté de l’art brut, le n’importe quoi, à l’aide de tranchets, de dépendant d’une vie encore liée à la terre, et
deuxième de ses livres consacré à l’artiste fraises, de roulettes et de teintures à cuir. Le de leur possible transfiguration par l’art
après un Gaston Chaissac, environs et fait de récupérer toutes sortes de choses au guide une part des propos de Serge
apartés (Somogy, 2000), il se promène aussi rebut ne me surprenait pas davantage car, Fauchereau en tant que critique d’art.
dans ses souvenirs, l’analyse à la fois très dans les années d’après-guerre, la plupart Soumettant à l’examen les catégories
libre et très approfondie qu’il donne de des gens modestes utilisaient un peu de tout commodes d’art brut, d’art naïf, d’art des
l’œuvre de Chaissac dépendant étroitement pour bricoler. Pour un enfant d’alors, le fous, il propose de très fortes réflexions sur
du portrait qu’il en donne. Les deux livres dépôt d’ordures était un lieu merveilleux (à l’art « autre » que le vingtième siècle a décidé
racontent la même histoire de ces visites au cette passion pour les décharges publiques, de placer dans les musées mais qui se fait en
peintre qui fait l’effet d’une sorte de scène on pouvait déjà deviner que je deviendrais un
originaire ou du moins d’une étape clé de homme de culture). » Cette scène d’atelier SUITE

11
ROMANS, RÉCITS SUITE FAUCHEREAU/SAMOYAULT

dehors des codes esthétiques, qu’ils soient “moderne” avaient abolie, suscitant des fié : une part d’enfance, dont l’exhibition
avant-gardistes ou académiques, en dehors de questions nouvelles ou qu’on avait écartées. telle qu’elle apparaît chez Chaissac, notam-
l’institution et des cultures dominantes. Aussi » S’il convient de remettre en cause la réduc- ment, suppose une prise de risque et une
bien donc, les arts qualifiés de bruts, de naïfs tion des œuvres à des étiquettes souvent conscience de soi. Mis en relation avec
ou de primitifs que les objets rituels, les anachroniques ou témoignant d’un point de d’autres œuvres, d’autres histoires, Chaissac
instruments du folklore ou les dessins vue externe, voire trompeur (en sombrant peut ainsi exister pour l’histoire dans des
d’enfants. « Cette manière de ratisser large dans une folie réelle, l’artiste est le plus proximités, qui ne soient ni des communautés

Le passé retrouvé
dans des formes d’art éloignées recrée une souvent empêché de créer), il faut voir ce qui ni des familles, et pour celui qui regarde
confusion que des siècles de culture subsiste d’inaliénable dans l’art ainsi quali- comme un artiste à part.

Une sincérité touchante, une voix solaire, un style sobre : Albert la nostalgie de Bensoussan pour l’Algérie
ressemble à celui des Grenadins, chassés par
Bensoussan nous convie à explorer avec tendresse l’Alger disparu de son les Rois catholiques.
enfance. « Ce sont souvent des amours secrètes,
celles qu’on partage avec une ville » écrit
Camus à propos d’Alger. Pénétrant dans
OMAR MERZOUG l’intimité d’une famille juive, nous faisons
connaissance avec le père qui module
« inlassablement les psaumes hébraïques du
ALBERT BENSOUSSAN l’expression d’une fidélité à une jeunesse Tehilim », avec la mère dont la peau sent le
vécue dans une atmosphère méditerranéenne sel et le poivre mêlés au cumin et au gingem-
Al Manar éd., 94 p., 18 euros
DANS LA VÉRANDA
avec ses rites, ses odeurs et ses couleurs ? bre, avec la petite Suzanne qui déteste son
C’est à une anamnèse émouvante et délicate, prénom à cause d’« anne » : « “est-ce que j’ai
une remontée vers des tranches de vie, vers une tête d’âne ?” braillait-elle dans ce parler
des regards, des voix, des noms que se livre bâtard d’Algérie où l’on ignorait l’accent
l’auteur. On y retrouve le Bensoussan incon- circonflexe ».
solable d’avoir dû quitter ce pays gorgé de Dans la maison familiale, le petit Albert
ui ne serait pas sensible à la passion d’un soleil, un amoureux se lamentant de savoir observe le monde qui l’entoure. Les jumelles
Q homme pour sa terre natale, passion
tantôt claironnée, tantôt ineffable, à
qu’il n’aura pas le sort que lui vaudraient son
histoire et ses splendeurs. De ce point de vue,
de son père l’intriguent et il n’aura de cesse
de les lui dérober pour mieux observer les
paysages, la darse, les voisins. C’est ainsi
qu’il va devenir le sauveur d’une femme que
son dément de mari, l’honorable Boconfuso,
tente d’étrangler. Grâce au petit Bébert, on
parvient à soustraire la Boconfuso à une mort
certaine. Les péripéties amoureuses
d’Augustine Baudoin sont décrites avec une
verve qui suscite sourires et amusement.
S’étant amourachée d’un chanteur, celui-ci la
déleste de sa fortune et prend, sans crier gare,
la clé des champs. N’ayant plus toute sa tête,
la pauvre Augustine a mis un point d’honneur
« à s’acheter une belle entrecôte le vendredi
saint, menaçant même d’aller voir le rabbin
pour amorcer l’hypothétique conversion » au
judaïsme.
Mais les convulsions de l’Histoire
s’apprêtent à ébranler ce monde qui bascule
dans la tragédie. Le 1er novembre 1954, les
indépendantistes s’insurgent. Une série
d’actes terroristes embrase les Aurès et la
Kabylie. Sur cette terre naturellement fron-
deuse, on pense à une flambée de violence
sans lendemain. Nul n’imagine que Les
Événements annoncent une guerre inexpiable
qui va entraîner le départ de la population
européenne.
Depuis quarante-cinq ans, Albert
Bensous-san vit loin d’Alger, dans un
ailleurs où il n’est pas vraiment lui-même,
est en deuil d’une ville, d’odeurs, d’aromates
et de parfums. C’est de cet exil, à
l’assomption douloureuse, qu’il dépose le
témoignage de sa passion. La nostalgie qui
s’exprime dans ce récit déjoue les pièges du
romantisme pour mieux restituer le charme
de l’enfance. A lire Dans la véranda, on se
rend à ce jugement de Anatole France : « le
passé émeut à l’envi. Toute la grâce du
monde est dans le passé. »

12
ROMANS, RÉCITS

Échos flaubertiens
AGNÈS VAQUIN
CLARO dans la classe. Le texte se mord la queue sur effet, pour Madman, Madame Bovary est un
la même phrase qui constituait quasiment dictame. De ce roman, il attend un effet
Verticales éd., 202 p., 17 euros
MADMAN BOVARY
l’incipit de Flaubert : « Ceux qui dormaient thérapeutique bien déterminé. Il vient de se
se réveillèrent, et chacun se leva, comme séparer d’une femme très aimée, Estée – S.
surpris dans son travail. » L’auteur T. ? – et il exige d’Emma la guérison de son
s’explique à sa façon sur la dynamique ainsi « obnubilant chagrin ». Il ne sera pas déçu :
laro délaisse à l’occasion le roman poli- une alchimie en fonction d’exorcisme se
C cier pour s’occuper d’autre chose. Le
voici qui s’intéresse à Madame Bovary.
déploie sous l’effet d’un mixage
labyrinthique des échos flaubertiens qui
Rappelons que Philippe Doumenc, il y a peu, l’obsèdent – il ne s’en tient pas toujours au
nous a brillamment démontré qu’elle avait été roman – et de ses propres fantasmes suscités
assassinée (1). Claro s’exprime par le truche- par le manque d’Estée. Certains épisodes
ment d’un personnage fou. Son Madman est jouissent évidemment de résonances pri-
une variété d’anti-héros : « Moi qui suis, plus vilégiées : l’arrivée de « Charbovari » dans la
que jamais, super-extra-hyper-composite. » Il classe, on l’a vu, coiffé de « cette chose au-
souffre du mal du siècle, lié à « la farce delà de toute chose ». Ensuite, le mariage
entropique qu’est devenue la vie ». En fait, il d’Emma qui déclenche une plongée épique
rejoint le troupeau, car, c’est notoire, nous dans les décibels d’une « discothèque de
sommes tous Emma Bovary : « Je me décou- province ». On retrouve le bal de La
vre un talent nouveau, ou ancien, peu Vaubyessard, l’infortuné Hippolyte, un
importe, car c’est un chouette talent : celui Homais actualisé et son cadavre chèrement
d’entrer dans le corps d’Emma et d’en sortir, vendu à l’encan. On n’aurait garde de
à ma guise... » négliger le suicide à l’arsenic d’Emma , ciné-
Un livre surprenant, en vérité, plein de matographié par une « équipe réduite. Film
noirceur et d’humour. Le mystère de son de merde. Tout le monde payé au noir ». Ce
agencement sinusoïdal, d’abord. Neuf suicide que Madman s’approprie aura-t-il
chapitres, soumis à la discontinuité de valeur de catharsis ? Ce n’est pas le clochard
séquences inégales numérotées de 1 à 100, final roué de coups au petit matin par les
avec quelques raccourcis du genre : « 42 à vigiles du métro Strasbourg-Saint-Denis qui
66 » ou « 78 à 83 ». On ne s’enlise pas. Le CLARO nous le dira... Et que penser de cet « In
lecteur est ensuite invité à redescendre au memoriam », touche ultime dédiée à « la fée
numéro 1 pour repartir à la hausse avec, entre créée : « Madame Bovary : je te connais par qui vient » ?
autres, quelques bribes de chansons popu- cœur. Tu seras ma salvatrice musique Madman Bovary est une œuvre passable-
laires, un calligramme en miroir consacré au d’ascenseur(...) Lire est évident, comme le ment énigmatique, mais qui attise le plaisir
baiser qu’Emma mourante déposa sur le mouvement de bascule du tabouret quand la de lire, parce que désinvolte, insolente sinon
crucifix et surtout une fantaisie typogra- corde se tend. » La corde du pendu, sans iconoclaste et peu soucieuse de s’appesantir.
phique sur un numéro 49 manquant : six doute... Tout ce qu’on aime, en somme.

Tout peut changer


agrandissements progressifs des pages qui Plus étrange encore, mais semble-t-il
relatent la scène fétiche du roman selon fondateur, est le travail d’ingestion et de 1. Philippe Doumenc – Contre-enquête sur la
Claro, l’inoubliable entrée du « nouveau » digestion que subit le texte de Flaubert. En mort d’Emma Bovary – Actes Sud, 2007.

« Tu baises ? » Ainsi se trouve abruptement interpellée – dès l’orée lieu, porteur de tous les stigmates d’aliénation
que rejettent violemment les deux punkettes
du récit – une collégienne quelque peu grassouillette et mélancolique se lesbiennes. Ce n’est pas pour rien qu’elles ont
disposant après les cours à rentrer chez elle, en ce quartier populaire de choisi de se surnommer respectivement Mao
et Lénine. Elles utiliseront l’endroit sans rien
Flores que l’auteur privilégie sur tout autre à Buenos Aires. y consommer, l’injure à la bouche envers les
employées en jupette qui tentent vainement de
les y contraindre.
JACQUES FRESSARD Littéralement, la jeune Marcia n’en revient
pas. Toutes ses croyances et ses goûts sont

CÉSAR AIRA U ne jeune punkette en noir accompagnée


de sa copine vient de formuler cette
invite provocante, qui n’est pas une plaisan-
soumis à un feu nourri par ses deux inter-
locutrices. Non elles n’aiment pas la musique
du groupe The Cure ni le heavy metal. Oui
LA PREUVE
trad. de l’espagnol (Argentine) terie agressive mais l’expression d’un irré- elles ont envie de frapper la serveuse mysti-
pressible désir soudain et donc marqué du fiée qui affirme « le problème de ce pays,
Christian Bourgois éd., 108 p., 15 euros
par Michel Lafon
signe de l’authenticité, telle une version post- c’est que personne ne veut travailler ». Bien
moderne de l’amour fou qui ne saurait que que tout son système de valeurs vole ainsi en
J’ÉTAIS UNE PETITE FILLE DE SEPT ANS heurter de plein fouet toute convention éclats, Marcia ne peut s’empêcher d’éprouver
trad. de l’espagnol (Argentine) sociale. D’abord ébahie, la studieuse adoles- une certaine fascination pour cette Mao si
Christian Bourgois éd., 122 p., 15 euros
par Michel Lafon cente solitaire passera d’un refus irrité à tranchante, proclamant qu’il n’y a d’autre
l’acceptation d’un dialogue aux tables du
Pumper Nic, une sorte de Mac Donald du SUITE

13
ROMANS, RÉCITS SUITE AIRA/FRESSARD

issue que dans l’amour, qui est « la sortie de le réitérer, quatre ans plus tard, presque mot Roi son père, à travers leur supposé royaume
l’erreur ». Encore faudrait-il qu’on lui four- pour mot, à la dernière page des Nuits de de Biscaye (maman, une psychologue laca-
nisse une preuve de cet amour sans égal qu’on Flores, où le pur amour qui unit deux jeunes nienne « frivole, criarde et superficielle », est
lui offre. garçons livreurs de pizza bouleverse là encore évidemment restée à la maison). S’offrent
« Tu vas l’avoir ta preuve » rétorque l’équilibre des astres : « Il se produisit, cette ainsi à nous, comme en un kaléidoscope, vingt
aussitôt Mao, qui entraîne les deux autres vers nuit-là, une réorganisation des étoiles dans le paysages miniatures et les minuscules
l’énorme local saturé de lumières du super- firmament, [...] ils la baptisèrent la constella- épisodes – poétiques ou cocasses – qui s’y
marché voisin. Après en avoir habilement tion Delivery ». Au lieu de livrer une déroulent : depuis la trouvaille d’une « fibre
cadenassé de l’intérieur les deux portes, nos marchandise, être délivré de la contingence de polygéranium » pour confectionner la robe
deux jeunes punks s’y emploient à semer la du temps et retrouver le seul bien désirable, de la petite princesse jusqu’aux injures toni-
panique comme un éclair d’apocalypse, tail- l’éternelle jeunesse, voilà un sujet inépuisable truantes du perroquet royal qui guérissent de
ladant les briques de lait, éventrant les sacs, il est vrai et qui vient de loin. Il a tenté encore leur ouïe défectueuse tous les sourds du pays.
propulsant les caddies contre les vigiles et le cinéaste argentin Diego Lerman qui s’est L’auteur se souvient tantôt de Lewis Carroll,
mettant le feu aux bidons d’essence, pour la inspiré justement de La preuve pour son beau tantôt des récits provoquants du dessinateur
terreur des familles occupées aux emplettes film intimiste inti-tulé Tan de repente (Tout à Copi, son compatriote parisien (2). Un
hebdomadaires. Avant même que la police ou coup) (1). Oui, nous nous plaisons à y croire : improbable mélange qui ne convaincra sans
les pompiers aient eu le temps d’intervenir Soudainement, tout peut changer et ce qui doute les lecteurs qu’à moitié mais s’achève
tout est consommé, si l’on peut dire. semblait perdu ressurgir. Peut-être sur un rappel souriant de la Genèse : « Ce qui
L’apothéose de l’amour l’a emporté sur la l’indéniable succès de César Aira s’explique- arriva, ce fut l’ascension, entre les plans des
réification des êtres. Par l’ultime trouée du t-il par là, parce qu’il remue chez son lecteur montagnes, d’un canapé colossal, où papa,
brasier trois silhouettes prennent le large, un très secret et profond désir. une fois ses travaux terminés, pourrait peut-
pareilles à « trois astres filant dans le grand * être s’allonger pour se reposer ».
tourbillon de la nuit ». J’étais une petite fille de sept ans manifeste
Cet épilogue échappe évidemment à toute d’ailleurs dès son titre les mêmes vœux
intention de vraisemblance. Il est de l’ordre impossibles sur un autre mode : celui du conte 1. Disponible en DVD avec sous-titres

Dire ce qui peut l’être...


du phantasme mais un phantasme qui séduit de fées ou parfois de sa parodie. La jeune français, éd. Antiprod, 2004.
tellement l’auteur que celui-ci n’hésitera pas à héroïne relate ses voyages en compagnie du 2. Voir Q. L., n°206, 1er septembre 2005.

Tout aurait dû prédisposer David Markson à inventer une écriture


de la démesure. Disciple et confident de Malcolm Lowry (alors étudiant,
Markson fut le premier à consacrer une étude critique de grande ampleur
à Au-dessous du volcan, et cela dès 1951), mais aussi ami de Dylan
Thomas et de William Gaddis, dont l’immense roman Les Reconnaissances
(1955) est à la littérature américaine du XXe siècle ce que Moby Dick fut
à celle du siècle précédent, il n’ignore pas tout ce que le modernisme
tardif doit à l’esthétique de la surabondance et du débordement, voire à
cette forme délibérée de surcharge symbolique que Lowry aimait à quali-
fier de churrigueresque, par allusion aux extravagances architecturales du
baroque espagnol.

MATHIEU DUPLAY

DAVID MARKSON prétexte qu’ils furent composés, à l’origine, mystérieuse catastrophe, et livre dans un
ARRÊTER D’ÉCRIRE dans un but alimentaire, tant leur charme apparent désordre des bribes
This Is Not a Novel reste aujourd’hui prégnant –, c’est par un d’autobiographie mêlées de réminiscences
adieu en bonne et due forme au paysage culturelles plus ou moins imprécises et
Le Cherche midi éd., 194 p., 15 euros
trad. de l’américain par Claro
mexicain dépeint dans Au-dessous du volcan d’observations sur la nature et les limites du
qu’il entama ce qu’il considère comme sa langage, au fil d’une série de paragraphes
FRANÇOISE PALLEAU-PAPIN carrière d’écrivain « sérieux » : Going Down très brefs dont la forme aphoristique parodie
ENS éd., 310 p., 29 euros
L’ÉCRITURE DE DAVID MARKSON (1970), qui narre la déchéance d’un groupe l’écriture du Tractatus logico-philosophicus
d’Américains en séjour au Mexique. ou des Recherches philosophiques.
Roman de l’obsession et de la hantise où Quoique radicalisée, c’est la même
rôde, omniprésent et insaisissable, le spectre démarche narrative qui caractérise les quatre
de Lowry, comme pour signifier qu’il n’y a derniers romans de Markson, sorte de tétralo-
est pourtant la voie exactement inverse
C’ qu’il choisit d’emprunter dans son
œuvre singulière, que l’on hésite presque à
d’écriture que dans la coexistence impossible
avec ce qui s’absente et pourtant ne passe
pas, avec les morts dont le souvenir insiste
gie dont Arrêter d’écrire (The Last Novel)
constitue le dernier volet (les précédents,
Reader’s Block, This Is Not A Novel et
qualifier de romanesque tant son art dans ce d’autant plus douloureusement que le temps Vanishing Point, sont parus respectivement en
qu’il a de plus personnel semble consister à efface peu à peu leurs traces. 1996, 2001 et 2004). Plus d’intrigue dans ces
« taire une histoire » plutôt qu’à la raconter, * textes délibérément discontinus, qui procèdent
pour reprendre la belle formule de Françoise La Maîtresse de Wittgenstein (1988) tire par collage de fragments hétérogènes et que
Palleau-Papin. Après avoir commencé par les leçons de cette expérience : la narratrice, seules quelques références fugitives à des
écrire trois polars et un western parodiques Kate, se présente comme l’unique survivante quasi-personnages aux traits imprécis
– romans que l’on aurait tort de négliger sous de l’espèce humaine anéantie par une (« Reader » [« Lecteur »], « Protagonist »,

14
ROMANS, RÉCITS

« Writer » [« Écrivain »], « Author » ou encore nienne d’une écriture minutieusement ciselée
« Novelist » [« Romancier »]) rattachent que le travail de la syntaxe, propice à des
encore aux modes usuels de la fiction ; ou effets comiques souvent irrésistibles, appa-
plutôt une infinie profusion de micro- rente à de la poésie.
intrigues, puisque presque chaque paragraphe *
raconte un épisode touchant, grotesque ou A l’heure où Arrêter d’écrire paraît en
dérisoire de la vie d’une grande figure du traduction française, Françoise Palleau-Papin
monde littéraire ou artistique, tant et si bien signe la première monographie consacrée à
que l’ensemble compose un étonnant kaléidos- l’œuvre de David Markson, depuis le premier
cope narratif où semble se refléter toute la texte de 1956 jusqu’aux écrits les plus
culture occidentale dans sa lutte incessante récents. Au fil d’une série d’analyses subtiles
avec ses propres démons, avec les forces qui, et éclairantes, elle y livre quelques clés d’une
de l’intérieur, préparent sa destruction. œuvre à la fois séduisante et mystérieuse ; on
On serait tenté de parler, à propos de ces appréciera tout particulièrement la manière
textes inclassables, d’une écriture de la réti- dont elle détaille les termes du dialogue que
cence, de la pudeur et du non-dit, si l’on les romans de Markson entretiennent avec la
n’avait pas le sentiment qu’ils visent au tradition littéraire américaine, de Walt
contraire à expliciter tout ce qui s’y prête Whitman à William Faulkner, ce qui, par
encore, dans un monde où le tragique est contraste, permet de mieux en apprécier la
omniprésent mais où la littérature n’a plus la singularité. Le livre de Françoise Palleau-
prétention de résoudre ni de dépasser les Papin livre de passionnants extraits de la
conflits auxquels notre existence est sujette : correspondance que l’auteur entretient depuis
dire ce qui peut l’être, et taire le reste, moins plusieurs années avec David Markson lui-
parce que l’on se résigne à s’accommoder des même, si bien que cet ouvrage critique, dû à
limites du langage que par respect devant ce une très fine lectrice, nous offre de surcroît le
que la vie et la mort comportent d’indicible, rare privilège de pénétrer jusque dans le cabi-
telle pourrait être la devise très wittgenstei- DAVID MARKSON net de travail de l’écrivain.

HISTOIRE LITTÉRAIRE

Dante,
ou l’ombre de bronze
En voyant « L’Homme qui marche » de Giacometti, on se dit, voilà
Dante. Dans le trajet de la Comédie, il est cette silhouette de bronze,
découpée net comme une ombre à midi et qui avance, tranchant le silence.
Dante arpente à grands pas tous les ciels possibles. Il passe d’Enfer en
Purgatoire, et nous traîne après lui. C’est que son élan a la force vitale qui
met l’homme en marche. On ne sait s’il va ou s’il fuit.

CHRISTINE SPIANTI

DANTE ALIGHIERI par le truchement des apparences, du simula- nocturne, une ritournelle, tantôt une musique
LA COMÉDIE cre de l’être aimé, (...) nous en pouvons savante. D’autre part, le traducteur fait précé-
LE PARADIS goûter la douceur, transmise par l’intégralité der chaque chant d’une notice, qui permet de
de l’oeuvre. Sans vouloir tout expliquer ni nous orienter dans le parcours en précisant
Imprimerie Nationale éd., 476 p., 30 euros
Édition et trad. de Jean-Charles Vegliante
comprendre : ou alors comme fugitivement les lignes majeures de l’étape. Enfin, le volu-
l’on comprend quelque chose de la vie. » écrit me comportant le Paradis s’achève sur une
Jean-Charles Vegliante, dans la préface à postface « Quelques traces d’un Dante fran-
cette traduction nouvelle de la Comédie qu’il çais » qui retrace, avec des accents rimbal-
nous donne cet automne aux éditions de diens, le projet de cette traduction : « La
ire Dante, c’est se laisser gagner à cet l’Imprimerie Nationale. Ainsi reliés poéti- poésie en avant sans besoin d’érudition ni de
L élan, énergie impromptue que le mouve-
ment poétique produit, le sens de l’œuvre. Au
quement à l’oeuvre, la fugacité des significa-
tions singulières se multiplie, les interpréta-
détermination religieuse désormais, peut
seule fournir une idée du bonheur dont nous
départ, se délester des orgueils et des préju- tions se déploient. Alors, Dante Alighieri parle Dante, comme elle nous a fait recon-
gés, qui offusqueraient la créativité de la nous fait l’offrande de sa Comédie par delà naître de tout temps des expériences que nous
lecture. « La croyance en une communion les siècles. n’avons pas vécues », écrit Jean-Charles
– laïque en ce qui concerne l’auteur de ces Pour entrer dans le texte de Dante, Jean- Vegliante. La poésie assure la transition, c’est
lignes-ci – par la voix et la musique des vers, Charles Vegliante, poète-traducteur, propose elle qui nous portera vers Dante et avec lui.
c’est-à-dire par l’écho “corporel” d’une d’abord son tempo : tercets et hendécasylla- Dans cette postface, sont également expo-
expérience totale de la beauté, la possibilité bes sont restitués par cette traduction. Ceci sés quelques « traces » d’indécidable, élucida-
de reconnaître en texte ce que l’on n’a pas pour être au plus près d’une cadence qui fait
vécu par soi-même, la montée vers l’invisible du texte original tantôt un chant de désolation SUITE

15
HISTOIRE LITTÉRAIRE SUITE DANTE/SPIANTI

tions de traduction dénouées dans le cours de familles florentines sont relatées. Le chant d’éblouissement en éblouissement : « la
son travail et que Jean-Charles Vegliante nous XIX considère longuement l’indignité des substance lumineuse si intense / à mon
fait partager. L’entrée SOMMEIL attire souverains occidentaux. Le chant XVIII regard, qu’elle ne la soutint pas » (XXIII, 33-
l’attention : le latin somnus a deux accep- s’achève sur une imprécation contre le Pape 34). Cet éblouissement a un guide. Dante
tions : sommeil et songe. Concernant la cupide. Dante fut condamné à l’exil en 1301; marche dans ses pas, se détourne avec elle,
traduction du fameux « Om che sogna » de la il n’a pas pu rejoindre Florence en 1321, confiant : « Quand je vis Béatrice, sur sa
fin du Purgatoire, lorsque l’Enciclopedia année de l’écriture du Paradis. Dans le chant gauche / tournée, regarder tout droit dans le
Dantesca donne le sens de « dort » au mot XVII, l’exil le précipite dans une douleur soleil » ... « son attitude ... me fit / regarder le
« sogna », Jean Charles Vegliante propose sa bien amère « Tu sauras combien il a un goût soleil fixe outre mesure » (I, 45-54). C’est
version : « pour ne plus parler ainsi de sel/ le pain des autres, et comme est dur Béatrice qui indique le point où s’aveugler,
qu’homme en rêve ». Dans une note, il chemin / descendre et monter par l’escalier qui donne sens par des paroles apaisantes à la

La tâche assignée est de témoigner de cette richesse neuve


explique avoir fait ce choix par évocation

qui afflue quand, séparé de tout et affligé, on préserve


d’une phrase de Georges Perec dans l’Homme
qui dort « Cesse de parler comme un homme
le plus précieux en soi grâce à l’indicible jubilation d’écrire.
qui rêve ». Et Jean-Charles Vegliante précise :
« Avec la même superposition entre celui qui
ne veut pas voir et celui qui cède au
sommeil ». Par ce geste, le traducteur rallie d’autrui » (58-60) Car, l’écriture de La fascination de la lumière totale. « Il me
Dante et notre temps, en toute délicatesse, Comédie et tout ce qui y participe doit sembla que jour au jour/ était ajouté » (I, 62).
implique le mot français dans le faisceau des concourir à le libérer de l’exil et le rendre à sa Calme blanc sur blanc, où rien ne peut se
recherches de la littérature contemporaine, ville, à sa citoyenneté et à sa dignité. « S’il dérober et que contemple l’homme désempa-
dans un réseau de connotations que les poètes advient jamais que le sacré poème/ auquel ré : le lieu d’inscription d’un amour absolu.
renouvellent. Le lecteur, grâce au traducteur, ont mis la main le ciel et la terre,/ me faisant Lors, l’intensité de la lumière est à la mesure
pose le lien imaginaire entre L’homme qui par longues années maigrir/ vainque la de la joie véritable : « Par liesse on acquiert
dort de Perec et le Paradis de Dante ici et cruauté qui me tient hors / du beau bercail où là-haut splendeur,/ comme rire ici » (IX, 70).
maintenant. C’est toujours le même sentier agneau j’eus à dormir / en ennemi des loups Dante s’abandonne et se laisse entraîner par
parcouru, mais à une heure et dans une saison qui lui font la guerre/ d’une autre voix désor- la gaieté philosophique de Béatrice, la joyeu-
différentes. mais, d’autre toison/ j’y retournerai poète » se « aussi joyeuse que belle » (II, 28) « telle-
(XXV, 1-12). ment riante de joie » (XXVII -104). C’est elle
Et pour y accéder, tout qui décrypte la lumière, dévoile l’ordre du
doit être mis en œuvre, à scintillement, et rassure et devance les ques-
l’excès, jusqu’aux limites tions. Tandis que maints regards de désirs se
de ce qui peut être vécu. croisent pendant toute l’ascension « Béatrice
« Ce que je vis dépasse/le regardait en haut, moi / en elle » (II-22)
pouvoir des mots, qui cède « Béatrice me regarda, les yeux
à telle vue,/et à tant pleins/d’étincelles d’amour, des yeux si
d’excès cède la mémoire » divins/que mes facultés vaincues renoncè-
(XXXIII, 55-56). Dante rent,/et je baissai les yeux comme perdu » (IV,
s’engage de tout corps 139-142). Et c’est un désir tel que, parfois, il
dans le Paradis qui sans en vient à frapper de stupeur celui qui
cesse se soustrait aux mots. l’éprouve et ralentit ses gestes. « (Béatrice)
Là, ce qui l’anime, le frap- étincela jusqu’à mon regard/ à tel point qu’il
pe, l’exalte, l’alarme, ne ne put d’abord le souffrir;/ ce qui me rendit à
peut être révélé par bouche demander plus lent. » La lenteur, nécessaire à
humaine : c’est un don la douceur qui persiste tout au long des
divin. « Transhumanar... cercles, des cieux. La douceur conforte
per verba » : « Transhu- l’égaré même devant les féeries les plus verti-
mainer ne peut par notre gineuses. La douceur, qui parfait le Paradis.
verbe / être dit ; aussi, que « Sens la douceur/ qu’on n’entend pas si on
l’exemple suffise/ à qui en ne l’a pas goûtée » (III-38). Infinie douceur,
réserve expérience la comme s’il était possible, un au-delà de la
grâce » (I, 70-72). Le joie. « Douceur qui ne peut se connaître/
Paradis, c’est ce qui, en sinon là-haut, où le jouir s’éterne » (X,148).
nous, dépasse la faculté Le Paradis est le défi de l’ombre humaine
humaine. D’ailleurs, au à la lumière. L’homme qui marche qu’a-t-il
risque de s’y perdre. Le vu, dans les brumes du petit matin sur la
lecteur est prévenu du plage du Purgatoire ou dans la nuit des
péril : « l’eau où j’entre ne sentiers en Enfer. Quels signes laisse en
fut jamais parcourue » (II, suspens derrière lui ce solitaire qui traverse la
7 à 9). C’est la vertu place par un matin ensoleillé, qui marche
poétique qui incite à fran- sous la pluie. D’où revient-il ? Dans ces
chir tous les obstacles sans montagnes, ces ascensions, ces gouffres, sur
DANTE fléchir. « A figurer le paradis / il faut au poème ces pelouses, ces sentiers, qu’y-a-t-il de
sacré faire un saut, / comme qui trouve son reconnaissable. Dans quel lieu, pour la
chemin coupé » (XXIII, 61-63). Car enfin, la première fois fut-il présence humaine, là où
Le Paradis maintenant : entrons dans ses tâche assignée est de témoigner de cette elle n’était pas attendu avant une éternité
délices. Les citations par bribes rendront richesse neuve qui afflue quand, séparé de tout « Ce que tu cries agira comme le vent/ qui se
compte de l’oeuvre du traducteur Jean- et affligé, on préserve le plus précieux en soi heurte plus fort aux plus hautes cimes ». Et
Charles Vegliante. Le Paradis comme les grâce à l’indicible jubilation d’écrire. « Tout ce Jean-Charles Vegliante ajoute dans la postfa-
autres volumes de la Comédie est hanté, ça et qu’en vérité, du saint royaume/ j’ai pu conser- ce : « Ne serait-ce qu’en désignant à distan-
là, d’allusions et de discours politiques. ver en moi comme un trésor/ sera la matière à ce, pour aider à vivre... quelque chose qui
Dante, Guelfe blanc, s’est opposé aux présent de mon chant » (I, 10-12). ressemble à un presque paradis (Zanzotto) »
Guelfes noirs qui reconnaissent au Pape auto- Au Paradis, la langue est sidérée « il me Dante est l’ombre de bronze, elle précède et
rité sur les affaires temporelles. Les Guelfes faut passer outre sans rien dire » (XXIII 24) protège le nom de poésie.
blancs étaient partisans d’une conception et pourtant tout s’écrit. Les yeux sont aveu- Note : Déjà parus : L’Enfer (1995) et le
plus républicaine du pouvoir. Le Paradis glés et tout n’est que vision de splendeur, Purgatoire (1999) aux Éditions de l’Imprimerie
n’est pas épargné par les troubles politiques. d’éclat, de scintillements. Le Paradis, poème Nationale dans une traduction de Jean-Charles
Au chant XVI, les luttes intestines entre les de la lumière jusqu’à surexposition, s’étend Vegliante.

16
HISTOIRE LITTÉRAIRE

Bayard, chevalier sans peur


des joutes textuelles
Les gens très intelligents sont bien agréables, d’abord parce qu’ils
nous vengent du crétinisme ambiant, dans lequel l’examen critique des
textes nous immerge souvent. Ils nous permettent surtout d’exercer à la
rencontre ou à l’encontre de leurs élucubrations, les nôtres propres, qui ne
sont pas moins problématiques : fécond et jubilatoire échange de
fantaisies par volume interposé.

MAURICE MOURIER

PIERRE BAYARD d’Herbert Quain (Le Jardin aux sentiers qui


L’AFFAIRE DU CHIEN DES BASKERVILLE bifurquent, 1941) : « Le lecteur de ce livre
singulier est plus perspicace que le détec-
Minuit éd., 166 p., 14,50 euros
coll. Paradoxe
tive. »
Cette lecture argumentée d’une enquête
erronée (en ce qu’elle aboutit à la désignation
d’un faux coupable, d’autant plus inapte à se
défendre qu’étant chien il n’est pas doué de la
parole , ce qui le met aussi hors de portée de
insi l’amateur de jeu littéraire s’amusera-
A t-il considérablement à suivre pas à pas
le cheminement de l’exégèse déliée, marquée
la psychanalyse) n’est elle-même qu’un
coffre à double fond qui cache une vérité
textuelle plus dérangeante encore. Car si
au coin de quelque logique imperturbable et Conan Doyle n’a pas consciemment bâti une
pince-sans-rire, que Pierre Bayard consacre intrigue visant à ridiculiser son héros, c’est
au Chien des Baskerville, l’œuvre sans doute qu’il a lui-même été victime de la perversité
la moins oubliée de Conan Doyle (1902), où du personnage qui est le véritable assassin.
Sherlock Holmes ressuscité démêle l’affaire Comment cette perte de leadership du
la plus enveloppée de fantastique de sa maître théorique de l’intrigue est-elle possi-
carrière. ble ? S’insère alors dans le livre une brillan-
Procédant avec une réjouissante habileté à tissime et (à notre sens) parfaitement déli-
un travail d’élucidation méthodique qui rante thèse dans la thèse, fiction dans la
emprunte alternativement aux techniques de fiction, où Bayard oppose les « ségrégation-
l’enquête policière à suspense et à celles de nistes » – qui ne croient pas à l’existence des
l’analyse textuelle à tiroirs (une hypothèse en personnages fictifs en dehors du texte qu’ils
contient une autre qui ouvre un nouveau informent et par là même en dehors de leur
mystère à éclaircir, etc.) , Bayard repasse par créateur – aux « intégrationnistes » dont il
tous les points du labyrinthe d’une intrigue confesse faire partie. Voici l’intime convic-
hors du sens commun et semble n’avoir tion de ces derniers : « Les personnages
aucune peine, tant son style est limpide, à PIERRE BAYARD littéraires bénéficient d’une certaine
démonter l’insuffisance et le bâclé de autonomie, à la fois à l’intérieur du monde
l’histoire reconstituée par Sherlock Holmes. effet que Le Chien des Baskerville corre- où ils vivent et dans les circulations qu’ils
Il parvient ainsi, avec une grâce il faut le dire spond à la résurrection de Sherlock Holmes, effectuent entre ce monde et le nôtre..(..)..
très convaincante, à innocenter le chien, que Conan Doyle, exaspéré par le triomphe Nous ne contrôlons pas complètement, et
devenu sous sa plume un brave toutou, et à médiatique d’un héros qui occultait l’auteur pas plus que les autres lecteurs,
découvrir le vrai coupable des crimes complètement ses autres livres – auxquels il leurs faits et gestes. ». On aura reconnu, mais
commis sur la lande de Dartmoor, coupable attachait beaucoup plus de prix – avait pour- portée à un degré vertigineux de certitude,
que nous nous garderons naturellement de tant fait mourir en 1893 au désespoir de ses l’idée soutenue par quelques écrivains que
révéler, afin de ne pas ôter un grain de son sel milliers de fans. leurs personnages leur échappent. Doué en
aux ruses déductives de l’exégète. Forcé de le repêcher près de dix ans plus quelque sorte d’une existence réelle,
Pourtant, même cette révélation, si nous tard, l’écrivain, telle est du moins l’astucieuse l’assassin du Chien des Baskerville n’a pas
avions la muflerie d’y céder, n’enlèverait à thèse de Bayard, cède avec réticence aux seulement glissé entre les mains de Sherlock
vrai dire que bien peu de chose au charme de clameurs de la vox populi et produit incons- Holmes, il a faussé compagnie à Conan
ce livre. Car ici une déconstruction réussie ciemment une intrigue qu’Holmes résout en Doyle pour accomplir à son insu des forfaits
cache un tout autre enjeu que celui, déjà se trompant sur toute la ligne. Ainsi est-il qui ne sont d’ailleurs (dernier double fond ou
piquant, de remettre à sa place Sherlock anéanti dans ce qui fait l’essence même de jeu avec la fiction) que la réalisation d’une
Holmes, à qui le meurtrier file littéralement son génie, sa capacité à venir à bout logique- vengeance différée de plusieurs siècles : celle
sous le nez. ment de tout embrouillamini d’apparences. d’une antique victime innocente de la malé-
Tout part d’une interrogation de Bayard L’inconscient de l’auteur s’est vengé de sa diction qui pèse sur le manoir et la famille
sur la curieuse destinée de ce personnage créature. Rien d’étonnant, dans ces condi- des Baskerville.
devenu peu ou prou le parangon de la rigueur tions, à ce qu’il soit nécessaire de faire inter- L’intrépidité exégétique de Bayard, cheva-
policière fondée scientifiquement. S’ap- venir un inquisiteur moderne (Bayard, en lier sans peur des plus dangereux tourniquets
puyant sur sa double compétence l’occurrence) pour confondre les divers faux- fictionnels, ne recule donc devant aucun
d’universitaire et de psychanalyste, semblants du livre de Conan Doyle. Borges le
l’audacieux enquêteur en second remarque en notait déjà, dans Examen de l’œuvre SUITE

17
HISTOIRE LITTÉRAIRE SUITE BAYARD/MOURIER

paradoxe. Nous le savons d’ailleurs coutu- tive du monde ? résonne toujours à notre oreille virtuelle,
mier du fait puisque auteur de joyeusetés Dans ce différent schéma de lecture, moins de Pons que de Balzac, de Bardamu
telles que Comment parler des livres que l’on l’enquêteur célèbre est joué sciemment par que de Céline.
n’a pas lus ? et autres travaux aussi savants son auteur ennemi comme masque. Garant Les Grands Transparents existent sans
que cocasses édités dans la même collection. absolu de vérité pour le commun des aucun doute. Ils circulent avec une divine
Est-il pour autant sans reproche ? Il nous amateurs de romans policiers (n’est-il pas aisance du monde présent et terne aux
semble que non. Car il se pourrait bien aussi celui qui ailleurs n’échoue jamais ? (1)), il mondes invisibles et rutilants d’ici et de
que Conan Doyle eût été conscient et n’eût dissimule seulement pour un temps, aux yeux maintenant, du passé et du futur. Ce ne sont
ourdi son enquête qu’en forme de complot, pédonculaires des nouveaux Dupin, un jeu pas les personnages des livres – qui se
afin d’exciter le talent déductif du plus malin d’esprit fait pour être dénoué, déjoué, entre souviendrait de Nadja, sans Breton ? –,ce
de ses lecteurs. Pourquoi ne pas attribuer au les lignes d’un livre. sont, à la condition expresse qu’ils le méri-
créateur du Chien des Baskerville le talent Les textes qui nous sollicitent encore sont tent, leurs auteurs logés en nos cervelles.
d’avoir créé une intrigue si déceptive et si certes parcourus par des entités plus tangibles
retorse qu’il nous fallût, cent ans après, la souvent et plus vivantes que nombre de nos 1 Ce serait du reste à vérifier. Et si toutes les
décortiquer pièce à pièce pour prouver, contemporains. Mais il s’agit bien moins des enquêtes du fameux policier étaient bidon ? Voilà

Gertrude Stein :
comme l’a fait si excellemment Bayard, que héros créés que de leurs créateurs, bien moins du pain sur la planche pour les loisirs studieux du
Sherlock Holmes est le plus mauvais détec- de Frère Jean que de Rabelais, dont le rire chevalier Bayard.

déshabillage et confusion
Encore une femme de lettres nue. Après Simone de Beauvoir désha-
billée en couverture du Nouvel Observateur, c’est au tour de Gertrude
Stein, l’auteur américaine, en couverture d’un recueil de ses œuvres inti-
tulé Flirter au Bon Marché. Certes il ne s’agit pas d’une photographie ni
même d’un portrait posé, mais d’un tableau peint en 1996, cinquante ans
après sa mort, par Leonard Breger (1).

CLAUDE GRIMAL
GERTRUDE STEIN Phébus en même temps qu’un Henry James du importantes pour la littérature américaine)
FLIRTER AU BON MARCHÉ même auteur. Les deux petits ouvrages sont et on aura plaisir à les lire, mais elles figurent
ET AUTRES FAITS DE CIVILISATION des recueils de textes choisis, présentés et au milieu de textes d’intention et de nature
textes choisis, présentés traduits par Jean Pavans : le premier comporte différentes (essais de circonstance, articles
et trad. de l’anglais par Jean Pavans une quinzaine de textes courts, le second se de journaux, conférences) pour certains
compose de l’extrait « Henry James » tiré d’un intéressants mais qui donnent à l’ensemble
Phébus éd., 140 p., 9,80 euros
Libretto
gros livre de Gertrude Stein, Four in America, du livre disparité et flou : la deuxième
accompagné d’un texte de Henry James sur partie du titre du livre (autres faits de
GERTRUDE STEIN Shakespeare. S’il est très agréable de pouvoir civilisation) semble avouer le petit bonheur
HENRY JAMES lire du Gertrude Stein en français, il n’est pas la chance qui a présidé à un assemblage
précédé de «SHAKESPEARE » sûr que le choix des textes et leur présentation où figurent à la fois le plaisant Flirter au Bon
de Henry James parviennent à mieux faire comprendre cet Marché et l’oubliable articulet « Réflexion
textes choisis, présentés auteur déroutant et superficiellement connu en sur la bombe atomique ». Le sentiment de
et trad. de l’anglais par Jean Pavans France. Pour l’aborder sérieusement il faudrait confusion que provoque la lecture du livre est
Phébus éd., 130 p., 9,80 euros
Libretto des sélections de textes réfléchies et des aussi accentué par le fait que les textes
discours d’escorte précis et informés ; ce n’est couvrent une période allant de 1909 à 1946,
qu’en partie le cas ici. trente-cinq ans au cours desquels les buts et
En effet, tout recueil, piochant dans une préoccupations de l’écriture de Stein
œuvre aussi abondante et peu lue que celle de changent considérablement. L’introduction ne
Gertrude Stein, s’expose à être jugé sur la lève pas ces difficultés car, pour tenter
a peinture, un hommage un peu paro-
L dique au Portrait de Gertrude Stein de
1906 par Picasso, montre l’écrivain assise de
qualité des œuvres sélectionnées et la logique
de leur enchaînement ainsi que sur leur degré
de représentativité ou de cohérence (des
d’expliquer l’œuvre steinienne, elle se satis-
fait souvent des explications opaques faites a
posteriori par l’auteur elle-même et reste
face, entièrement dévêtue, le sein gauche notions qui, pour floues qu’elles soient, ont vague sur ses véritables enjeux.
brutalement coloré de jaune, les cuisses un certain sens). Les livres publiés par Ainsi il est dommage que les éditions
s’ouvrant sur un entrejambe violet. Passons Phébus se soucient peu de ces considéra- Phébus aient partiellement raté l’occasion de
sur les possibles sentiments conscients ou tions ; le Henry James encore moins que porter à la connaissance du lecteur le travail
non qui ont présidé au choix de cette illustra- Flirter au Bon Marché, sans doute parce qu’il d’un écrivain dont la conception de l’écriture
tion et demandons-nous quelles seraient les répond avant tout au goût personnel du est aussi étrange qu’essentielle pour
réactions à la parution d’une édition de présentateur et du traducteur, plus désireux l’esthétique du XXe siècle.
Mauriac, Montherlant, ou Hemingway etc. de faire découvrir des pages qui se rapportent
les représentant en couverture dans le plus à James, son auteur de prédilection, que de 1. Le portrait fait partie d'une idée d'une série,
simple appareil. sélectionner celles qui rendraient le mieux « Gens célèbres nus » (où figurent également
Mais bon. justice à Stein. Freud, Lincoln, etc.), où le peintre reprend,
Flirter au Bon Marché sous sa malencon- Flirter au Bon Marché comporte, lui, semble-t-il, le vieux motif de l'appartenance des
treuse jaquette est publié par les éditions des pages merveilleuses (certaines très plus grands esprits à la corporalité humaine.

18
ARTS

Le culte des images


L’Église et le Musée. Les valeurs religieuses et leurs mystères invi- non selon une doxa. Cette « peinture nouvel-
le » est faite du rassemblement en une seule
sibles, la valorisation esthétique. Deux livres passionnants font saisir ce image – un tableau – d’œuvres diverses,
basculement. Deux grands historiens de l’art, Hans Belting et Roland d’images accrochées au touche-touche, voire
se chevauchant. Or le désordre apparent est
Recht, chacun sur son aire, dans des ouvrages complémentaires, peut-être le sujet du tableau : la faculté de
s’attachent à une histoire de l’art liée à la vérité des images. créer du sens de manière libre. Un collage qui
n’est l’image d’aucune réalité, d’aucun
symbole. Au contraire de cette formule
GEORGES RAILLARD nouvelle, le système des pendants imposait
une syntaxe sans confusion. L’image est alors
une figure de la rhétorique.
HANS BELTING formes, voire à se laisser transformer par la Hans Belting, naguère, dans un bel ouvra-
LA VRAIE IMAGE présence des images. La littérature artistique ge sur Jérôme Bosch (Gallimard, 2005) avait
(Croire aux images ? ) anglaise s’attache à la rencontre sensible, les mis en valeur la singularité du triptyque du
Français et les Italiens aux traités normatifs. Jardin des Délices : une forme canonique
Gallimard éd., 280 p., ill., 35 euros
trad. de l’allemand par Jean Torrent
Le bouleversement de l’Occident par mais dépourvue de sa fonction liturgique.
l’invasion des « barbares » contribue à la Une ouverture était ainsi faite au basculement
LE GRAND ATELIER création et à la circulation commerciale de de l’image du culte au culte des images.
(CHEMINS DE L’ART EN EUROPE nouvelles images, des ornements. Autre Belting, dans ses diverses analyses sur
Ve-XVIIIe SIÈCLE bouleversement : celui qui, à l’aube du XVe l’image, s’interroge sur « la vraie image ».
siècle a lieu à la fois aux Pays-Bas et à On peut prendre appui sur les images d’une
Actes Sud éd., 336 p., nb ill., 39,95 euros
sous la dir. de Roland Recht
Florence, introduit dans l’image la troisième réalité virtuelle, ou sur le visage du Christ...
dimension qui détermine un effet d’illusion Des illustrations en montrent les avatars – le
spatiale : « On ne connaît pas l’équivalent, Christ « sémite », rare image, ou les deux
écrit Roland Recht, dans une autre civilisa- épreuves de La Sainte Face de Zurbaran : un
tion du globe, d’un changement aussi radical visage dont les yeux montrent que le Christ
oland Recht fut le maître d’œuvre d’une
R exposition, à Bruxelles, à l’occasion
d’Europalia Europa des « chemins de l’art en
dans le système de représentation symbolique
de la peinture (...). Lorsqu’Alberti écrira dans
son traité De Pictura que “la peinture
porte toute la douleur du monde (en 1631).
En 1658, la tête apparaît encore sur une toile
en trompe-l’œil, mais ne subsiste plus du
Europe ». Ce livre y est lié. Le même s’applique à représenter les choses visibles”, visage qu’une tache rouge illisible, trace d’un
parcours inédit. Des étapes ethnologiques il définit comme singularité de l’art moderne passage ou d’une présence passée. Subsiste
inédites ou se rencontrent ou bien se succè- qui l’oppose radicalement à celui du Moyen aussi la place où les yeux du Christ et ceux du
dent, fidèles et collectionneurs, des œuvres Age qui n’a pas eu l’ambition de “représenter spectateur peuvent se croiser. Le regard est le
uniques ou des pièces pour le commerce. En les choses visibles”, mais plutôt de rendre moteur de l’image.
tout quatorze ouvertures dans une Histoire visible l’invisible ». Quel était le vrai visage du Christ ? Cette
gouvernée par le mot circulation. Il se substi- Les « cabinets » apparus au XVIe siècle question de la « vraie image » est abordée par
tue aux anciens concepts de continuité et accueillent indistinctement curiosités naturel- Belting dans ses ouvrages de ces dernières
rupture, suites du « goût », « influences ». les et œuvres d’art. Une peinture nouvelle en années, en particulier Pour une anthropologie
Cette Histoire, écrite à plusieurs, sous la naît. Elle reflète le désir (condamné par des images (Gallimard 2004), Image et culte :
direction de Roland Recht – qui occupa la l’Église) de connaître le monde par les sens et une histoire de l’image avant l’époque de
chaire européenne au Collège de France –, l’art (Cerf, in. 1998). De quoi l’image est-
écarte les « grandes synthèses ». Elle écarte elle l’image ? « Abstraction faite des mass
aussi le morcellement en écoles, en styles des media, nous ne rencontrons plus aujourd’hui
anciennes classifications. des images religieuses que dans les musées
L’ouverture aux contributions témoigne de où elles sont des pièces de collection d’art
cette circulation sur laquelle l’ouvrage est historique, tandis que la religion ne constitue
fondé : Les artistes : circulation et rencon- plus, pour sa part, un thème de l’art contem-
tres. La circulation des artistes l’emporte en porain ».
pouvoir d’invention et de renouvellement des Aussi « la religion à travers l’histoire des
formes sur celui des traités : « Les styles que images est-elle, avertit l’historien, le sujet de
nous appelons Renaissance, maniérisme, son livre ». La « vraie image » du Christ ne
baroque et classicisme, auraient certes pu se coïncide pas avec ce qu’aujourd’hui nous
propager en Europe et au-delà mais d’une appelons la « vraie image », « qui est mesu-
manière beaucoup moins cohérente ». La rée à l’aune de sa teneur d’information (et)
pratique des artistes, leur rôle social fréquent est devenue aujourd’hui un thème qui relève
(Arcimboldo, maître des cérémonies du de la culture scientifique ».
grand collectionneur Rodolphe II), les Où est l’image, où est la réalité quant à
réseaux nationaux. Pomian montre que la l’image de la réalité se substitue la seule
constitution des collections donnait lieu à des réalité de l’image, qu’elle fait foi. C’est le cas
compétitions acharnées. Avec des retombées : exposé par le culte du Saint Suaire « là où le
celle de la dispersion entre plusieurs capitales corps est manquant, c’est l’image qui prend
des 1410 tableaux de la vente aux enchères de sa place. C’est une loi générale de la produc-
la Collection de Charles Ier. Mais l’Histoire tion des images ».
n’est pas linéaire : à la veille de la Révolution Mais, conclut Hans Belting : « dans notre
française, une seule capitale d’importance monde contemporain, nous sommes si satu-
politique possède un musée : Vienne. rés d’images que nous n’avons pas besoin du
Les œuvres voyagent. Les hommes aussi. Saint Suaire comme image, mais comme
A la recherche des moyens les plus sûrs et les preuve. Et sur ce point c’est la Science qui est
plus plaisants de lire une image. Dans Roger appelée à trancher, puisque c’est en elle
de Piles, dans Winckelmann, le « Grand que désormais réside l’essentiel de nos
Touriste européen » a appris à regarder les CHRIST DE PITIÉ, MAÎTRE FRANCKE, VERS 1425 croyances. »

19
PHILOSOPHIE

« L’humanisme est
l’auxiliaire de la barbarie »
Philosophe du langage, théoricien de la traduction et romancier,
George Steiner évoque dans ce livre singulier la crise des humanités, la
complexité de la condition juive et ses convictions politiques.

ENTRETIEN AVEC GEORGE STEINER

GEORGE STEINER publiquement. M. Sartre, dans un grand compliquées. Il n’y a aucun racisme chez lui,
LES LIVRES QUE JE N’AI PAS ÉCRITS discours, s’est fait fort d’assurer que les le racisme l’ennuyait. Quand, en 1933, il
rapports sur les soi-disant brutalités des aspirait à devenir le Führer du Führer, comme
Gallimard éd., 287 p., 19,90 euros
trad. de l’anglais par Marianne Groulez
Gardes rouges étaient des inventions de la Platon voulait être le conseiller du prince, la
CIA. M Claudel, que j’idolâtre notamment Gestapo fait une enquête sur lui, au terme de
pour son théâtre, écrit l’hymne au Maréchal et laquelle elle conclut qu’il ne saurait être
Aragon l’hommage à la Guépéou « Gardiens question de faire confiance au sujet
Omar Merzoug : Votre parcours de la liberté ». Les savants, que je côtoie à Heidegger, de lui confier un poste élevé. Le
d’intellectuel, de professeur, d’écrivain vous Princeton et à Cambridge, ont quelques jugement de l’officier enquêteur est qu’il
a placé au carrefour de plusieurs cultures. scrupules à débiter des sottises pareilles. s’agit manifestement d’un Privatnazi (un nazi
Que répondez-vous à ceux qui aujourd’hui privé), formule géniale ; je me demande quel
parlent de choc des civilisations ? était le degré d’intelligence de ce gestapiste
pour trouver une formule pareille.
George Steiner : En 1919, Valéry écrivait
déjà : « Nous autres civilisations, nous savons O. M. : Dans votre ouvrage, vous
maintenant que nous sommes mortelles ». consacrez un chapitre à la question juive. En
L’humanisme européen a sombré dans quoi consiste la judéité d’un juif non ortho-
l’inhumain et la question, capitale, qui me doxe ?
hante depuis un demi-siècle, c’est celle-ci :
pourquoi la culture européenne n’a-t-elle pas G. S. : C’est un problème très sérieux. Par
pu résister à la barbarie ? Pis, elle en a souvent certains côtés, je suis, pour l’orthodoxe, pire
été la collaboratrice zélée. Songez que je tiens que le Gentil, le non juif. Le juif orthodoxe
ces propos après environ un demi-siècle de sait qui il est, à un degré que je n’égalerai
bonheur d’enseigner : on peut considérer que jamais. D’autre part, l’immense apport
la fiction, la puissante fiction déshumanise. culturel et humain du juif non orthodoxe,
L’optimisme des Lumières consistait à libéral, réformé à la civilisation moderne est
proclamer : « étudiez les grands textes, appré- un argument qui pèse dans la balance. Quand,
ciez la grande musique et les grands tableaux, le Vendredi soir, à Mea Shaerim, on voit les
vous serez un peu plus humain ». Il se pourrait enfants, après le bain rituel, comme des
que la puissance même de l’imaginaire soit à points de lumière, je me dis parfois qu’ils
l’opposé de la praxis, comme aurait dit Marx, sont dans la bonne voie. Mais je ne le crois
du réflexe immédiat, humain, social. Mais pas. Il est évident que s’il y a une chance de
voyez-vous je n’ai pas de réponse à votre ques- survie, c’est chez eux que ça se produira.
tion et c’est en soi assez grave. J’aurais aimé, L’assimilation et les mariages mixtes concer-
à la fin de ma vie, pouvoir réfléchir à ce mé- nent déjà plus d’un tiers des jeunes juifs. Par
tier que j’aime tellement et y trouver une ailleurs, au moment de la catastrophe, tout le
parade, mais oui, une réponse qui aurait monde se regroupe. Pendant la guerre des Six
contribué à soulager notre condition vraiment GEORGE STEINER Jours, j’étais à Manhattan et tous, munis de
inhumaine, mais je n’en suis pas du tout sûr. transistors, s’attroupaient dans les rues et
s’interpellaient en disant « Moi aussi, je suis
O. M. : Que l’humanisme n’ait pas résisté à O. M. : On reproche à Martin Heidegger juif ». Puisque je suis optimiste, je crois au
la barbarie, et qu’il se soit fait l’auxiliaire de son silence sur la Shoah. Vous, qui lui avez désastre et au formidable ralliement au
l’inhumain, est-ce que cela discrédite le projet consacré un livre, comment jugez-vous moment du désastre.
moderne de l’émancipation par le savoir dont l’œuvre et l’homme ?
Habermas dit qu’il est resté inachevé ? O. M. : Vous écrivez que « la rhétorique
G. S. : J’estime que c’est un géant qui a prophétique de Marx, l’allure et
G. S. : Je ne crois pas à l’optimisme que renouvelé les questions philosophiques l’iconographie qui le caractérisent sont
professe Habermas. L’échange libre des opi- essentielles, « un méchant titan » qui, à l’ins- juives jusqu’à la moelle ». Est-ce que
nions, des doctrines philosophiques ne me tar de Luther, a créé une nouvelle langue alle- l’internationalisme prolétarien n’est qu’une
semble pas garantir un libéralisme humain. mande. Il y a un allemand après Heidegger, extension du signi-fiant juif au monde ?
Hélas, non. Les luttes idéologiques ont bon ou mauvais, c’est un autre problème. Ce
déchiré notre Europe, voire le monde, les paysan madré a écrit de très grands textes qui G. S. : Il n’y a rien de plus juif que Trostky.
haines idéologiques se sont révélées implaca- ont révolutionné la pensée. Si Heidegger Cette vision égalitaire, sans frontières,
bles et ont été propagées par des intellectuels n’avait eu que cette seule formule, « on n’a utopique vient du Livre d’Amos qui contient
brillants et puissants. Deux de mes étudiants, pas encore commencé à apprendre à penser », la révolution dans la totalité de ses dimen-
qui avaient eu l’échine brisée par les Gardes elle aurait été décisive à mon sens. Par sions. Grands dieux, elle n’a pas réussi !
rouges pendant la Révolution culturelle, ont ailleurs, la femme de Heidegger était active- Nous, petites gens, nous ne sommes pas à la
écrit un message au Voltaire de notre siècle, à ment antisémite ; en ce qui concerne hauteur de l’utopie communiste, socialiste,
Sartre, en lui demandant d’intervenir Heidegger, les choses sont beaucoup plus messianique. Mais ça ne veut pas dire que les

20
PHILOSOPHIE

révolutionnaires ont tort, mais qu’ils suresti- viendra de l’Inde bouleversera le monde. ans, quels regards jetez-vous sur le siècle qui
ment les capacités d’altruisme chez l’homme. Pourquoi pas ? L’Europe est très fatiguée. commence ?
Lénine n’a-t-il pas eu cette phrase très
O. M. : Vous soutenez que les Humanités suggestive : « L’Europe, c’est l’archipel de G. S. : C’est une très belle et très difficile
traversent une crise profonde, est-ce une l’Asie ». L’Europe est un merveilleux hôtel, question. J’ai des enfants et des petits-enfants,
crise de croissance ou une crise qui annonce débordé de touristes. Nous vivons du c’est donc le regard du père et du grand-père,
un irrémédiable déclin ? tourisme et après ? Le miracle, après les 70 de celui qui espère qu’ils ne vivront pas
millions de morts entre août 1914 et avril certains événements. Un juif n’a pas le droit,
G. S. : Il se peut que naissent demain un 1945, c’est que, vous et moi, soyons assis pas le moindre, d’être optimiste. Ce serait
Shakespeare, un Beethoven, un Michel- dans le beau bureau de Claude Gallimard et presque une bêtise morale. Et tous les matins,
Ange, un Mozart, mais ni vous ni moi n’en qu’il y ait encore une Europe. Celle-ci est je me dis le néant, le destin, Dieu ou le vide ou
croyons un traître mot. Jamais le destin n’a fatiguée. Ce qui le donne à penser, c’est que, qui que ce soit ne nous a jamais promis un
signé avec une civilisation donnée un pacte dans l’affaire du Kosovo, il ait fallu en appe- monde juste, un monde confortable ou paisi-
qui lui garantirait l’éternité. Les civilisations ler aux États-Unis pour obtenir une trêve ble, il nous a promis un monde intéressant.
naissent, croissent et périssent. Mon intuition dans les affrontements. Cette promesse a été merveilleusement tenue.
me dit que l’explosion de génies, de la créa-
tion scientifique, mathématique, poétique qui O. M. : L’année prochaine, vous aurez 80 Propos recueillis par Omar Merzoug

HISTOIRE

La Révolution,
voilà l’ennemi !
La mode est depuis quelques années aux « livres noirs », tant il est d’autoriser la publication d’un extrait d’un
livre récent, l’autre évoquant dans son texte le
vrai que le genre lui-même est presque assuré d’attirer l’œil du chaland « roman noir » sans peut-être réaliser que le
dans les librairies. Cela pose d’emblée le choix des thèmes retenus pour livre d’accueil allait être si « noir ». Dans
l’absolu, dira-t-on, tout auteur a fort heureu-
créer tout nouveau « livre noir » à ajouter à la « collection », l’Histoire sement le droit d’écrire sur le thème de son
n’étant pas avare en violences en tout genre et en tribunaux redoutables. choix et il ne saurait exister de chasses
gardées. Toutefois, cela implique un problè-
Force est par exemple de constater qu’il n’existe point de « livre noir » de me de sources et de bibliographie, sous peine
l’Église catholique, susceptible pourtant d’évoquer les croisades, de quoi il peut y avoir une simple opération
de réécriture de l’Histoire qui n’a que des
l’inquisition, les bûchers, les conflits fratricides, etc. Cette fois, nous avons finalités partisanes. C’est le cas ici, dans un
affaire à un « livre noir » qui est le livre des « Noirs », au sens donné à ce contexte qui s’y prête de toute évidence,
hélas, puisque ces dernières années ont vu la
mot dans les premiers temps de la Révolution pour désigner ceux qui renaissance de la « Toinettomania » et la
formaient la « droite » de l’Assemblée constituante et, de façon plus large, réédition de Mémoires hostiles à la
Révolution française publiés au XIXe siècle et
ceux qui refusaient la Révolution en cours. repris sans le moindre appareil critique. Et
chacun sait que les opérations de réécriture
de l’Histoire se sont, elles aussi, multipliées
MICHEL BIARD ces derniers temps, bien au-delà de la seule
Révolution française.
L’ouvrage comporte trois parties. La
RENAUD ESCANDE (dir.) la répression des révoltes paysannes, l’autre première est intitulée « Les faits », ce qui
LE LIVRE NOIR les guerres, un troisième la chasse aux d’emblée est supposé lui conférer une autori-
Protestants, un quatrième les dépenses somp- té. Elle comporte 25 contributions. La secon-
Cerf éd., 882 p., 44 euros
DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
tuaires, etc. Que ne dirait-on ! Hypothèse de, « Le génie », rassemble 20 textes qui
fantaisiste ? Que nenni. La quarantaine évoquent des regards portés par des auteurs
d’auteurs qui ont contribué au présent « livre sur la Révolution. Il suffit de donner
n effet, pour la plupart d’entre eux, les
E auteurs ne cachent pas leur mépris, voire
leur haine tenace, pour la Révolution françai-
noir » sont, pour leur immense majorité, de
parfaits inconnus pour quiconque est au
courant de l’historiographie de la période et
quelques noms pour saisir à quel point les
choix sont partisans : Rivarol, de Maistre, de
Bonald, Taine, Chateaubriand, Cochin,
se, d’autant que l’ouvrage s’ouvre par un notamment des travaux des dernières décen- Maurras, Bainville... autant d’auteurs qui ont
texte de Pierre Chaunu extrait d’un livre de nies. Une simple consultation du catalogue de porté à la Révolution française un amour
1984 dans lequel il stigmatisait alors le futur la Bibliothèque nationale suffit à s’en aussi profond que celui du comte d’Artois ou
bicentenaire. Au-delà du thème retenu, se convaincre. D’ailleurs, bon nombre d’entre du prince de Condé, tous deux émigrés dès
pose donc une seconde question : qui sont les eux sont indiqués comme « historien », juillet 1789. La troisième partie mérite bien
auteurs ? Question importante, car imaginons « écrivain », « philosophe », voire même son titre : « Anthologie ». 11 chapitres
un instant des historiens spécialistes du XXe « essayiste ». Tout au plus, peut-on se deman- successifs livrent au lecteur un amalgame de
siècle, voire, « horreur !» – des spécialistes der si certains auteurs ont bien pris conscien- textes d’époque soigneusement choisis pour
de la Révolution française, écrivant un « livre ce de la nature de l’ouvrage auquel ils allaient
noir du règne de Louis XIV », l’un évoquant prêter leur plume, l’un se contentant SUITE

21
HISTOIRE SUITE RÉVOLUTION/BIARD

la démonstration et de textes d’auteurs hosti- bien peuplée !), la république aurait été « autre écrivant ceci à propos de la célébration
les à la Révolution. Pour ne citer que deux décrétée et proclamée » en septembre 1792, du futur tricentenaire de la Révolution fran-
exemples, les arts sont évoqués avec des etc. Je jetterai un voile pudique sur les çaise : « [...] les démographes calculent que,
textes de Marie-Joseph Chénier et de femmes frustrées qui s’acharnent le 10 août en 2030, le nombre de ménages originaires
Grégoire, complètement décontextualisés et 1792 sur les cadavres de gardes suisses, du Maghreb, d’Afrique noire et de Turquie
auxquels s’ajoute un extrait de Taine ; de leur amants « répu-tés » et qui les ont dédaignées, pourrait représenter près de 10 millions de
côté, les élections, qui ont pourtant fait ces ou sur l’ivrognerie congénitale prêtée aux « personnes et 30% des naissances. Vers 2050,
dernières années l’objet de travaux essentiels sanguinaires coupeurs de têtes » ; la le nombre des enfants d’origine étrangère
des historiens, ne seront ici vues qu’à travers Révolution ne serait somme toute qu’un résidant en France métropolitaine devrait
la plume de Taine, autrement dit comme une temps où chacun manie le fer pour trancher et dépasser celui des enfants d’origine françai-
« farce sinistre ». trancher encore. se. Plus d’une génération plus tard, la
C’est en fait la méthode retenue qui relève Mention particulière, en revanche, pour le proportion sera encore plus forte, comme
de la farce. S’agissant de la première partie, « Père Jean Charles Roux, écrivain », qui, sera vraisemblablement plus élevé le pour-
cœur de l’ouvrage bien sûr, les contributions sous le titre « Passion et calvaire d’un enfant centage de musulmans dans cette population.
ne laissent pas d’inquiéter. Outre le fait que roi de France », en une quinzaine de pages Si la logique communautariste qui prévaut
les auteurs ignorent la bibliographie la plus sans la moindre source indiquée en notes, actuellement n’a pas été renversée, si les
récente et se bornent à mentionner des ouvra- nous fait pénétrer dans la prison du dauphin. nouveaux Français ne sont pas devenus des
ges anciens (ainsi, sur le procès de « Histoire sainte », écrit-il... on veut bien le Français de culture, quelle signification revê-
Louis XVI, l’auteur utilise la prose de croire. Mention aussi au texte « Je m’appelais tira pour eux la commémoration de la
Gustave Bord, qui a écrit au XIXe siècle et Marie-Antoinette Lorraine d’Autriche », qui Révolution ? [...] En 2089, les musulmans de
dans les premières années du siècle suivant), s’ouvre avec le citoyen Joly, fossoyeur, qui France voudront-ils célébrer 1789 ? ». Le
la plupart d’entre eux écrivent des erreurs « traîne les pieds » pour aller enterrer le cada- « sans-culotte aviné » est remplacé par le
grossières par dizaines et soutiennent des vre de la ci-devant reine. L’Histoire romancée « musulman fanatique », mais la croisade
énormités : Barère aurait été ministre, les est telle que le lecteur irait presque jusqu’à continue et elle est nauséabonde.
Jacobins réclameraient la république en lire la moindre pensée de Joly. Brisons là, tant On ne saurait trop conseiller aux lecteurs
1791, la déchristianisation durerait de 1793 à les exemples seraient nombreux de cette écri- de ne pas acheter pareil livre, tant sa couleur
1799, la Convention aurait décidé ture qui n’a strictement rien à voir avec un a valeur d’aveu et – c’est là l’essentiel – tant
d’exterminer très exactement 815 000 « travail d’historien. est grande l’indigence de son contenu. Au-
Vendéens » (pourquoi pas 815 304 !), Albert Néanmoins, ajoutons encore que certains delà de ce constat, il convient aussi, plus que
Mathiez aurait fondé la Société des études textes ont des relents pour le moins particu- jamais, de lancer un appel à la vigilance sur
robespierristes en 1935 (tout en ayant le bon liers, celui-ci faisant de Saint-Just un des les usages actuels de l’Histoire. En ces temps
goût de mourir en 1932), 5 000 Jacobins ancêtres du fascisme, celui-là amalgamant la où est à l’œuvre un processus d’abêtissement

La RDA,
auraient imposé leurs volontés à 700 000 Terreur avec le massacre des Juifs et la généralisé, il y a là un devoir citoyen de toute
Parisiens (Paris se trouvant soudainement « mentalité stalinienne et maoïste », enfin un première importance.

un pays sous surveillance


Tout l’intérêt du livre d’Anna Funder sur la police secrète de
l’ancienne RDA (République démocratique allemande) vient de ce qu’elle
peut, comme elle est australienne, regarder, en toute impartialité, les
choses, sans être marquée par l’une ou l’autre Allemagne. Elle fait ressen-
tir de l’intérieur la tension et l’angoisse permanente que ressentaient bien
des citoyens de ce pays.
GEORGES-ARTHUR GOLDSCHMIDT

ANNA FUNDER s’emparer du moindre rouage et jusqu’au pouvoir était totale. Peu de régimes ont joint,
STASILAND plus intime de la vie privée des gens. à ce point, la stupidité à la peur obsession-
Stasiland est à la fois une histoire précise nelle. La Stasi était l’incarnation même du
Héloïse d’Ormesson éd., 368 p., 22 euros
trad. de l’anglais (Australie) par Mireille Vignol
et documentée de la République démocra- provincialisme pusillanime et tyrannique des
tique allemande, telle qu’elle a existé de 1948 « petites gens » si longuement dressés par les
à 1991 et une suite passionnante de portraits pouvoirs successifs, qu’ils ne sont plus
qui s’enchaînent à partir de la première qu’obéissance aveugle. Institutions tyran-
rencontre, celle de Miriam. niques et omniprésence de l’autorité furent
nna Funder a séjourné quelque temps en
A RDA, avant la chute du Mur et elle
retourne à Leipzig en 1994, cinq ans après et
Tout en revient sans cesse à Miriam Weber,
le pivot de toutes ces rencontres, mise en
prison par la Stasi à l’âge de seize ans et dont
toujours le lot de ces provinces de l’Est.
Le livre raconte les derniers jours de
la RDA, l’écroulement de l’un des régimes
en 1996 à Berlin. Elle met des annonces dans le jeune mari, Charlie, a été exécuté, pour les plus obtus et mentalement les plus
les journaux pour pouvoir rencontrer délit de fuite hors de la RDA (Republikflucht) enkystés de l’Histoire européenne. Rare-
d’anciens membres de la Stasi, afin de mieux La Stasi, Staasischerheit appelée aussi ment, se trouvèrent réunis autant de respon-
comprendre à la fois, agents, victimes et MfS (Ministerium für Staastsicherheit) était, sables incultes, timorés, apeurés et éminem-
fonctionnement de ce régime d’enfermement on le sait, l’âme de la RDA et incarnait l’idéal ment qualifiés cependant pour l’espionnage
qui a détourné le socialisme en une obsession inavoué de tout gouvernement un peu digne politique. La pensée ou la simple réflexion
administrative. Celle-ci très rapidement s’est de ce nom, la prise en main totale de personnelle terrifiait les Grotewohl ou
étendue au corps social tout entier au point de l’ensemble des citoyens. La domination par le Ulbricht ou surtout Honecker, anciens

22
HISTOIRE

« présidents » de cette entité. Anna Funder a tion d’environ 16 millions d’habitants il y


rencontré divers membres de l’ancienne avait plus de 173 000 agents et d’indicateurs
Stasi et tous sont plus ou moins marqués par de la Stasi, une personne sur 63 était donc
une espionnite de caractère paranoïde, ainsi plus ou moins à l’écoute, alors que sous le
ce Winz avec lequel elle a rendez-vous en régime hitlérien note Anna Funder il n’y avait
1996, donc longtemps après la fin de la qu’un gestapiste pour 2000 habitants .
RDA et qui met sa voiture loin du lieu de Le personnage principal du livre est sans
rendez-vous pour qu’elle ne puisse savoir où conteste Erich Mielke le chef des services
il l’a garée. Ce personnage est à ce point secrets qu’elle rencontre à Berlin à la suite
obsessionnel qu’il lui demande même ses d’une de ses annonces. Mielke qui fut ensuite
papiers. Sait-on jamais. Il lui indique que emprisonné en RFA, est une des figures
longtemps après la disparition de la Stasi, charnières du système dont il décrit à la fois
celle-ci reste encore active et le fait voir à avec franchise et cynisme le fonctionnement.
ceux sur qui elle peut encore exercer sa C’est de lui que dépendaient les arrestations
contrainte. Du moins ce Winz croyait-il à volontairement arbitraires, il fallait empri-
l’avenir du socialisme. sonner les innocents pour les préserver des
Toute la RDA vivait ainsi dans l’obsession criminels : « Incarcérés sans savoir pourquoi
permanente de la surveillance. Tout acte ni pour combien de temps, les prisonniers
anonyme y était impossible, tout n’y était fait avaient au moins la certitude d’avoir des
que d’entraves, il fallait tout empêcher, et chaussures cirées, les dents blanches et un
surtout les « contacts » avec l’Ouest. Eux et slip propre. » Les sbires du genre Mielke
nous, le bien et le mal, un monde figé dont le étaient à leur insu et sans qu’ils le veuillent

Une amie d’Orwell


fonctionnement est entièrement déterminé peut-être les héritiers du régime nazi et de la
par cette fixation délirante. Pour une popula- ANNA FUNDER Gestapo.

« – Un faux ventre avec une caméra au ches déchirées à la va-vite par les agents de la thèque et met la main sur « La Ferme des
creux du nombril. Un arrosoir truqué équipé Stasi en 1989. D’autres fiches noyées d’eau à animaux, un livre interdit naturellement ».
d’une antenne pour retransmettre les conversa- défaut, faute de temps, d’avoir été brûlées. Seulement ce qui la sauve, c’est que le petit
tions tenues dans les jardins publics. Des mous- Toutes ces fiches contenaient une foule cochon de la couverture brandit un drapeau
rouge, victoire ! Le comble de l’absurde, ne
taches autocollantes. Des déguisements de d’informations sur une foule plus grande encore serait-ce pas justement ces références à Orwell,
toutes sortes. Des bocaux pour conserver des de personnes. Il y a même à Nuremberg des récurrentes dans la bouche de vos témoins ?
échantillons d’odeur humaine à partir des sous- “femmes-puzzles” ainsi appelées car elles Autre exemple : Klaus Renft, qui fut tenu pour
vêtements usagés dérobés par des agents de la essaient de reconstituer les fiches détruites. J’y le Mick Jagger du rock est-berlinois, fut un jour,
Stasi au domicile même de tel ou tel particulier. suis allé car Myriam, ma témoin principale dans lui et son groupe, convoqué par la Stasi. Ils
Ces agents avaient par ailleurs des chiens ce livre, désirait savoir ce qui était arrivé à son pensaient qu’il s’agissait d’une simple audition
dressés pour détecter quelles odeurs des bocaux conjoint mort lors d’une garde à vue par la (je veux dire un contrôle de routine) mais la
censure fut radicale et ils s’entendirent dire
étaient identiques à celles qu’on leur avait fait Stasi. J’ai vu aussi le pissoir de “Big Brother” : d’entrée : « Vous n’existez plus ». Le lende-
renifler aux pieds du Mur, de bâtiments interdits Erich Mielke. Toutes sortes d’instruments pour main, leurs éditions musicales sortaient un
au public, ou de la résidence d’un dissident. enregistrer à distance avec des microphones nouveau catalogue où ils brillaient par leur
Quoi d’autre ? Des sacs aussi volumineux pouvant se camoufler dans les arbres, d’autres absence. Commentaire désabusé du chanteur :
qu’une personne humaine et contenant des fi- dans les boîtes à lettres. Enfin tout... » « Il s’est passé très exactement ce qu’ils nous
avaient dit : nous n’existions plus. COMME DANS
ORWELL ».
ENTRETIEN AVEC ANNA FUNDER
A. F. : Cette question d’Orwell est très
intéressante à plusieurs niveaux. Oui cet auteur
La Quinzaine littéraire : ...Tout ce que même té sociale qui m’attira beaucoup dès que figurait sur l’index et on ne pouvait donc pas
le James Bond le plus fou n’a pas encore ima- j’appris l’allemand. Et l’« horreur », c’est ce trouver librement ses œuvres en Allemagne de
giné. Et pourtant cette liste, c’est celle des que ce mot est devenu quand on a voulu en faire l’Est ; ça rejoint aussi notre thème de
choses exposées dans les Musées que une réalité. La confluence de ces deux éléments l’absurdité. Je suis pour ma part une grande fan
l’Allemagne réunifiée donne à voir de ce pays m’a vraiment intéressée, d’où l’absurde que je d’Orwell et j’avais, avant d’entreprendre ce
que vous appelez « Stasiland ». On dirait plutôt relève dans les situations et chez les gens de travail sur Stasiland, lu presque toute son
un collage surréaliste à côté de quoi la Stasiland. Cela ne veut pas dire que je me œuvre, à l’exception de 1984. Quand j’avais
machine à coudre de Lautréamont fait bien moque d’eux ou qu’eux-mêmes s’en commencé, il y a dix ans, à écrire ce livre je me
piètre figure. Ce bric-à-brac ne pouvait pas moquaient, mais comme le dit Julia, une suis dit : « il y a certainement des coïncidences
rêver de meilleur nom que celui que vous lui personne rencontrée pour ce livre : « Si on n’en troublantes avec le livre d’Orwell, évitons de le
avez trouvé, aussi composite et loufoque avait pas vu l’absurde, on se serait pendu ». lire pour faire mon truc et se garder des paral-
qu’un mot-valise à l’allemande : « romance- Pour survivre à pareille oppression, vaincre sa lèles ou de choses un peu trop proches, ensuite
horreur ». souffrance, il faut développer un sens qui lui on verra... » J’ai donné mon manuscrit à mon
échappe, un certain esprit. C’est le sens de éditeur en Australie et alors seulement j’ai
Anna Funder : Il y a une grande différence l’absurde. Julia, par exemple, a toujours eu, ouvert 1984. Quel choc ! Ce livre a été écrit
avec le surréalisme : c’est la joie de vivre. Ce jusqu’en prison, la présence d’esprit de se dire : avant la fondation de la RDA mais tout y est
système n’en avait aucune mais fut bizarre. À « Qu’est-ce que c’est que cette histoire, c’est prédit. Orwell a tout vu de ce que serait ce
situation inédite, il fallait trouver un mot absurde ! » même si ça la faisait souffrir. système de surveillance, à moins que... Quand
étrange pour en donner un aperçu. La partie je me suis rendu dans le bureau qui fut celui
« romance » de ce mot composé renvoie à Q. L. : Peut-être est-ce pour cela que la d’Erich Mielke pour le visiter, il y avait son
l’espoir qu’il y eut pour le peuple en Allemagne plupart des anecdotes, même tragiques ou pissoir, sa télé, un masque mortuaire de Lénine
après la guerre de construire un nouvel État cruelles, dont se souviennent vos interviewés sur son bureau, il y avait aussi une histoire que
plus juste inspiré des idéaux du communisme. sont truffées d’absurde ? Comme quand j’ai trouvée si absurde que j’ai reculé à la mettre
Pas de prostitution pour les femmes et les Myriam Weber vous narre une fouille à son
enfants. Ni drogue, ni chômage mais une égali- domicile. L’inspecteur inventorie sa biblio- SUITE

23
HISTOIRE SUITE ENTRETIEN AVEC ANNA FUNDER

dans Stasiland et je ne l’ai finalement pas mise. besogne en exécutant à la lettre les indications Mon livre y était exposé dans l’ancienne salle de
Je le regrette. La femme qui m’accompagnait d’Orwell ? bal de l’ex-bâtiment de la Stasi. Quels coups
m’a rapporté que Mielke, l’homme qui fut ici d’œil ne m’ont pas jeté alors, colères, les anciens
pendant près de quarante ans le chef de la A. F. : Oui, c’est tout à fait cela, ils ont pris membres du Parti et fonctionnaires de la Stasi
police secrète et avait véritablement la stature Orwell pour un manuel. Les exemples ne qui étaient là à prendre des notes pour me faire
du Big Brother d’Orwell, voulut à tout prix que manquent pas. Julia raconte très bien dans mon peur, et tous partis avant la séance de questions
son bureau portât le numéro 101. La salle livre comment, lycéenne, elle en avait assez car ces gens-là n’aiment pas discuter. Quant aux
« One-O-One », c’est celle où Winston craint d’obéir aux prescriptions de l’école et de devoir, journalistes de l’ex-RDA qui discutaient avec
tant d’aller, celle où les prisonniers confessent chaque soir, regarder la télévision nationale pour moi, il y en avait presque toujours un parmi eux,
tout dans le livre d’Orwell et celle que voulait écouter des nouvelles qui n’en étaient pas : les à Dresde ou à Rostock, pour me demander, telle-
habiter Mielke. Seulement il occupait le récoltes en progrès et toute cette salade qu’on ment ils ont peu l’habitude de la liberté des
deuxième étage du QG de la Stasi à trouve dans 1984. Julia me le raconte en riant car écrits, ce qui me pouvait bien me donner le droit
Normannenstrasse où les bâtiments sont de il vaut mieux en rire, c’est tellement horrible. Il d’écrire sur eux et de déballer leurs petits secrets
grandes tours de béton bien alignées et ordon- y a aussi cette volonté de tout savoir sur tout le au lieu de parler de la question aborigène. Tous
nées où son bureau devait porter le numéro monde, non pas parce qu’ils auraient été des de me brandir leurs : « Vous n’avez pas le droit »
deux cent quelque chose. Pour que le numéro puritains – ils n’en étaient pas – mais des espions et « S’ils étaient encore au pouvoir, vous n’auriez
101 lui soit attribué, il est allé jusqu’à renom- zélés faisant la chasse aux indésirables. Quand je pas pu faire cette chose détestable... ».
mer le premier étage Mezzanine. Même moi poursuivis en 1987-88 mes études à Berlin-
qui adore l’absurde, il m’aurait été impossible Ouest, je fis alors la connaissance d’un écrivain Q. L. : Peut-on appeler çà un « roman »
d’imaginer une chose pareille, à plus forte déjà d’un certain âge qui, parce qu’auteur d’un comme l’éditeur le mentionne en couverture ?
raison de l’écrire. Quelles furent ses motiva- journal littéraire clandestin, le Mikado, avait été
tions, l’humour ? Un type comme Mielke n’en expulsé de RDA. Poursuivre les écrits est A. F. : Certainement pas, ce n’est pas un
avait aucun, à moins qu’il se soit s’agit d’une quelque chose qui continue. Quand je suis roman. C’est ce que l’on appelle en anglais :
farce macabre... retournée en Allemagne pour assurer la promo- « Creative Non-Fiction », catégorie qui n’existe

Régis Debray
tion de ce livre, sorti là-bas en 2004, je suis pas ici.
Q. L. : ...ou la simple volonté de bien faire sa passée par la grande foire du livre de Leipzig. Propos recueillis par Éric Phalippou

en Terre Sainte
l’État syrien dans un couvent, « le coup de
pistolet au beau milieu d’un concert spirituel »
(Stendhal). « Le vilain et vivace aujourd’hui »
(Mallarmé). Sans parler de tout ce qui m’a
échappé. Le plus irrésistible, qui parfois tourne
au procédé, c’est l’anachronisme délibéré, qui
accole l’antique au plus contemporain, ou
simplement raille l’américanisation culturelle
Ce livre est d’abord un reportage au Proche-Orient : Israël, territoires occupés du monde, et multiplie donc les expressions
anglaises, type « le fast-food à Nazareth », ou
de Palestine, Liban, Jordanie, qui à la fois tâche de coller au présent et, fidèle à son s’amuse à trouver au Saint-Sépulcre et à ses
titre, s’intéresse de façon privilégiée à la « Terre sainte », dans le sillage des Évangiles, environs un « genre Moulin de la Galette et
Crazy Horse ». Peut-être aussi que ce qui
avec leur flou géographique, et un œil fixé sur quelques grands prédécesseurs comme oriente le plus souvent son regard et l’aiguise
Chateaubriand ou Flaubert. C’est aussi « par certains côtés » un rapport de mission, (et la région en est riche), c’est le « saugrenu »
une mission commandée par Jacques Chirac : d’où la dédicace à ce dernier, ainsi qu’à (expression chère à Malraux), avec des trou-
vailles, comme la vision de Hannah Arendt
François Maspero, alliance de noms surprenante, qui manifeste une ouverture d’esprit, arrivant à Jérusalem pour le procès Eichmann,
une indépendance revendiquée. horrifiée par « la foule orientale », « très
Katharine Hepburn dans African Queen ».
Le sujet de ce livre est grave, l’histoire et le
PIERRE PACHET présent de la région abondent en tragédies et en
impasses, comme en occasions ratées. Sous le
regard de Régis Debray (en qui le « médio-
RÉGIS DEBRAY excellent ambassadeur en ces régions, un utile logue » réputé, à la vue du mur édifié par les
auxiliaire de la politique française, cultivé et Israéliens, se mue un instant en « murologue »,
Gallimard éd., 462 p., 22,50 euros
UN CANDIDE EN TERRE SAINTE
conscient des complexités de l’Histoire, et non son dernier néologisme), les choses de là-bas
sans sagesse, comme il arrive à ceux qui ont semblent vouées au pire, et je suis tenté – seule-
participé à des entreprises un peu folles, telle ment tenté – de le croire sur parole et de lui
que l’équipée menée aux côtés du Che en donner raison. Mais c’est le côté littéraire du
Bolivie en1967, qui se termina pour Debray par livre qui provoque le plus en moi intérêt et
quatre ans de prison. perplexité. Le brio omni-présent, je me
ar d’autres côtés, ce livre bourré de savoir, Le brio de Régis Debray, c’est d’abord
P nourri de lectures et relectures, de conversa-
tions, de réflexions sur l’histoire et pas seule-
l’invention de formules qui résument,
condensent, actualisent, font communiquer en
demande s’il ne frise pas souvent le lieu
commun journalistique qu’il cherche à éviter
(ainsi quand Debray pose une question à « un
ment celle des religions dont il est spécialiste raccourci cultures, lieux et textes. Ainsi d’une jésuite du cru, peu suspect de complaisance »).
(avec une maîtrise étonnante des nuances et comparaison entre les tonalités de l’Ancien et Ce voyageur si savant et cultivé et qui se veut
dénominations multiples qui abondent dans la du Nouveau Testament : « Par l’ampleur et le modeste voyage sans trop de difficultés dans un
région), de bouffées d’autobiographie, est aussi souffle, la deuxième version, abrégée, de la monde compliqué, dont on dirait que, malgré
et surtout un exercice de style, brillant, fulgu- Révélation fait historiette à côté de la grande son évidente sensibilité, les aspérités ne
rant parfois. Le constat de quelques pages (368- Histoire, rocambolesque et haute en couleur, l’affectent guère. Il se moque des « dîners en
375) auquel il aboutit - que la politique du fait avec ses carnages, son érotisme, ses monstres ville » (l’expression vient plusieurs fois sous sa
accompli menée par Israël dans les territoires, sacrés, ses rois truculents, ses prophètes déjan- plume) et du tourisme ; mais il suffit de
avec colonisation, fortifications, incursions, tés, son Iahvé interventionniste, incorrect en comparer son récit avec celui, plus bref mais au
routes interdites, barrages routiers infranchis- diable... » Ironie, largeur de vues, science, et sujet souvent identique, que Jean Rolin avait
sables, assassinats dits « ciblés », encerclement insolence, le lecteur est comblé, quelquefois fait dans Chrétiens (POL, 2003) pour regretter
des bourgades arabes, etc., rend irréalisable en même encombré. La culture, y compris un peu ce dernier, son regard de piéton empêtré
l’état des choses le projet d’un État palestinien scolaire, se lève comme spontanément sous la et perplexe, au ras du macadam et des cailloux,
– ce constat est utile, il est rédigé en termes plume du rédacteur. À propos de Tel-Aviv : qui cherche moins à voir et à comprendre qu’à
mesurés, et non sans autorité. Mais l’essentiel « Tant d’Occident et si peu de mystère aux éprouver, au risque de la désorientation : sous
est-il là ? Au terme de ces pages, c’est à Régis bords mystérieux du monde oriental » ses yeux se lèvent des coins de rues, des pans de
Debray, à son talent, à sa personnalité qu’on (Hérédia). À propos des patriarches chrétiens murs, des personnages complexes et inattendus,
s’est intéressé, et l’on se dit – il se l’est sans d’Orient : « Ces saintetés sans divisions blin- des voisinages douloureux dont la singularité
doute murmuré à lui-même – qu’il ferait un dées » (Staline). Devant la photo du chef de nous atteint comme elle a atteint l’écrivain.

24
SPECTACLES

Le côté de Nantucket
Les deux grands films que, dans notre dernière chronique, nous
nous réjouissions de voir annoncés ont été présentés. La peu ordinaire
beauté du premier, Le Bannissement (Andréi Zviaguintsev), et le prix
d’interprétation masculine décerné à Cannes 2007 à son acteur
Konstantin Lavronenko, ne l’ont pas sauvé du naufrage : dès la deuxième
semaine d’exploitation, son offre s’est réduite à quatre salles parisiennes,
avec une seule projection quotidienne dans trois d’entre elles. Si la loi
d’airain du tiroir-caisse triomphant se révèle aussi implacable, le second
titre, Capitaine Achab, sorti le 13 février, ne sera plus visible, au début du
mois de mars, que sur quelques écrans chichement répartis. Ce qui serait
dommage.
LUCIEN LOGETTE

PHILIPPE RAMOS aventures maritimes spectaculaires ou Inspiration libre, qui conduit à une recréation
CAPITAINE ACHAB portrait psychologique intrigant. Ramos ne non étouffante : quelques signes, des outils
prend le héros de Melville que comme d’ébéniste, un mur d’église nu, des fermetu-
prétexte à dérive (comme le délirant capitaine res à l’iris ovales en forme de portraits
Achab du Bob Dylan’s 115th Dream) : d’ancêtres, des vêtements qui donnent
ommage, car dans un cinéma français « librement inspiré de Moby Dick », précise l’impression que les acteurs s’y sont glissés
D récent où l’on n’échappe à la calamité
Astérix que pour slalomer entre Enfin veuve
le générique. En réalité, seules les ultimes
minutes du film (le chapitre 5), où l’on voit
naturellement, suffisent pour représenter sans
sécheresse. Et le découpage en parties auto-
ou Ça se soigne ?, le film de Philippe Ramos apparaître le Pequod et son second Starbuck nomes s’accompagne à chaque épisode d’un
apparaît comme une étonnante bouffée de (et un Queequeg silencieux) – et, quelques changement de manière, chacune adaptée au
fraîcheur, le produit assurément le plus secondes tout de même, la baleine blanche – propos d’un narrateur différent (le père, la
remarquable du millésime 2007 : ainsi, il est réfèrent directement au roman. tante, le prêtre, la maîtresse, le second : le
encore possible de mener à bien un projet Tout le reste, découpé en quatre chapitres, film est constitué de ces cinq regards sur
aussi peu formaté et qui ne ressemble à rien n’est que reconstruction imaginaire du trajet Achab) : longs plans moyens du chapitre 1,
de connu, un film artisanal avec finitions à la qui a mené Achab de sa naissance à sa mort, ambiances closes du 4, horizons maritimes
main, construit comme un chef-d’œuvre de du sexe maternel en gros plan, qui ne peut pas du 5, sans que jamais le film ne tourne à
compagnon du tour de France, dans lequel ne pas évoquer L’Origine du monde, à son l’exercice de style ou perde sa respiration
chaque élément paraît mis à sa juste place. (1) engloutissement final, accroché par son profonde.
Nulle improvisation apparente à la Kechiche, harpon à son obsession funeste : l’itinéraire Ramos a puisé dans un fonds d’acteurs
aucun de ces plans-séquence dans lequels on va d’un liquide matriciel à l’autre, via un long solides, pas forcément habitués aux premiers
pourrait tailler quelques dizaines de mètres voyage métaphysico-aquatique, dans le rôles, quelques noms exceptés (Jean-François
sans que quiconque s’en aperçoive, pas de chapitre central, dans lequel le jeune Achab, Stévenin, Dominique Blanc, Denis Lavant-
laisser-aller : Capitaine Achab est un film laissé pour mort dans une barque, renaît en Achab, qui, pour une fois, joue justement la
parfaitement tenu, sans graisse, dont aucune arrivant sur le rivage atlantique. « Je suis démesure) : Jacques Bonnaffé, Bernard
de ses 105 minutes n’est pourtant sans saveur. Achab » hurlera-t-il plus tard, face au large, Blancan, Carlo Brandt, Philippe Katerine,
Et dans la mesure où son réalisateur en est en affirmation à rapprocher du « Je te salue, tous excellents, font un tour et puis s’en vont,
même temps le scénariste, le décorateur et le vieil océan ! » de Ducasse. Le parrainage de le temps d’un chapitre. Et Hande Kodja,
monteur, on peut lui accorder la pleine Maldoror est fondé : Achab, durant toutes ses image primitive de l’amour qui hantera
responsabilité de cette réussite. enfances, est en révolte. Contre son père, Achab jusqu’à ce qu’il la remplace par sa
Ce que nous ne connaissions de l’auteur - dont il cause la mort en l’envoyant combattre haine pour Moby Dick, troussant sa jupe en
un moyen métrage, L’Arche de Noé (1999) et son rival amoureux, contre son beau-père, déclarant à son amant : « Je vais te montrer le
un premier long, Adieu pays (2002) – ne lais- qu’il défie malgré les coups de fouet, contre Saint Esprit » (et celui-ci tombe à genoux en
sait pourtant en rien pressentir la surprise ; en son père d’adoption, le prêtre qui l’a sauvé et murmurant « Nom de Dieu ! ») renvoie au
tout cas, l’ombre d’Herman Melville ne plane dont il rejette l’enseignement religieux, même geste de la mendiante de Buñuel
pas sur les souvenirs que nous en gardons. Et contre, devenu adulte, le monstre marin qui « photographiant » la Cène sacrilège dans
pourtant, elle devait y être en filigrane – l’a mutilé et qu’il ne cessera de poursuivre Viridiana. Il y a là une correspondance qui,
comment expliquer sinon son obstination à jusqu’à sa fin : « Je frapperai les cieux s’ils quand bien même elle serait involontaire,
réanimer le capitaine Achab, déjà objet d’un voulaient m’arrêter » – et là, Ramos retrouve nous ravit. En attendant la suite, nous
court métrage en 2003 ? Philippe Ramos les accents de l’Achab de Huston face à la pouvons ranger Capitaine Achab sur notre
n’est certes pas le premier cinéaste à créature mythique. rayon des films pairs, pas si nombreux.
s’inspirer de Melville ; et si l’on excepte Leos Au-delà de Melville, c’est toute une cultu-
Carax et son très oubliable Pola X (adaptation re de l’Amérique des pionniers que le film 1. Dans la production hexagonale de ces
en 1999 de Pierre ou les ambiguïtés), le mobilise, costumes, décors et paysages derniers mois, notons L’Homme qui marche,
romancier a donné l’occasion à plusieurs compris : le peintre ambulant du premier premier film d’Aurélia Georges, qui présente les
réalisateurs de signer des films mémorables : chapitre est vêtu comme Stevenson dans son mêmes qualités, sous une forme un peu plus sévè-
Voyage avec un âne dans les Cévennes (tente re.
le Moby Dick de John Huston (1956), 2. Sans oublier The Sea Beast (Jim le harpon-
évidemment, mais aussi Billy Budd (1962) de de camping incluse), les deux rôdeurs du neur), adaptation inavouée de Moby Dick réalisée
Peter Ustinov, Benito Cereno (1968) du fleuve qui « tuent » Achab enfant viennent de par Millard Webb pour Warner Bros en 1926, dont
méconnu Serge Roullet et le Bartleby (1977) chez Mark Twain (Les Aventures Ramos utilise opportunément quelques plans dans
de Maurice Ronet. (2) Mais aucun d’entre d’Huckleberry Finn), les paroissiens du la dernière partie de son film (emprunt non signa-
eux ne sortait du cadre imposé par le modèle, chapitre 3 sortent de Washington Irving. lé au générique).

25
Quel rire ?
SPECTACLES

Daniel Auteuil joue actuellement au Théâtre national de l’Odéon


dans L’École des femmes de Molière, mis en scène par Jean-Pierre
Vincent, et Isabelle Huppert au Théâtre Antoine dans Le Dieu du carnage
de et par Yasmina Reza. Qu’ont en commun deux spectacles si dissem-
blables, outre le statut de ces deux interprètes ? Le rire qu’ils provoquent
de manière délibérée.

MONIQUE LE ROUX

MOLIÈRE d’interprétations qui assombrit la pièce et sublime reconnu comme évident au fil des
L’ÉCOLE DES FEMMES voit déjà en Arnolphe un Alceste, qui corre- siècles de la réplique « Le petit chat est
Mise en scène de Jean-Pierre Vincent spond à une tendance dominante par rapport mort » ou du dialogue sur « le (ruban) » pour
Théâtre national de l’Odéon au répertoire comique. « Comme si la conclure : « ce mystère s’attache à la grâce de
Jusqu’au 29 mars profondeur ne se rendait visible qu’aux la comédie », à « sa facilité même ».
Tournée en France : janvier-février 2009 dépens de la gaieté » (2). Et dans le « L’émoi de la vie commune, le souci le
programme du spectacle, il explicite son plus quelconque et le plus partagé, porté dans
YASMINA REZA choix : « Rire est une arme. Rire, ici, est en la langue ordinaire » : ce en quoi Denis
LE DIEU DU CARNAGE soi politique. Aujourd’hui, le théâtre (je veux Guénoun voit la véritable nature de la
Mise en scène de Yasmina Reza dire : le théâtre d’Art, notre théâtre) s’est lais- comédie définit bien Le Dieu du carnage.
Théâtre Antoine sé voler le rire, qui est parti du côté des “one Deux couples, « entre quarante et cinquante
man/woman shows” et de la télévision. La ans », se rencontrent « dans une atmosphère
pente de l’époque va au tragique, comme si le grave, cordiale et tolérante ». Le fils de l’un,
théâtre se sentait pétrifié dans l’unique voca- onze ans, a été frappé au square par celui de
in janvier Paris-Match consacrait sa
F couverture à Daniel Auteuil, après la
première de L’École des femmes, son article
tion de concurrencer le réel sur son propre
terrain. “Le monde est un chaos” est un
slogan qu’on entend beaucoup au théâtre.
l’autre, du même âge. La mère de l’enfant
blessé, Véronique (Isabelle Huppert), a pris
l’initiative de recevoir avec son mari Michel
de tête à Isabelle Huppert : « La voici dans Revenir au rire relève alors de l’opération (André Marcon), au domicile familial, les
une comédie, Le Dieu du carnage, écrite par santé. On ne rit que de ce que l’on comprend. parents du responsable, Annette et Alain
l’une des plus célèbres “money makers” du On peut trembler de ce qu’on ne comprend (Valérie Bonneton et Éric Elmosnino) dans
théâtre parisien : Yasmina Reza. Comble de la pas. Le rire est intelligence ». un esprit de conciliation. La pièce va
provocation, c’est dans une salle privée, le En son ami Daniel Auteuil, Jean-Pierre d’ailleurs se terminer dans un climat presque
Théâtre Antoine, qu’elle se produit » (1). Vincent a trouvé l’interprète idéal du rôle apaisé à propos d’un hamster, à la fois cata-
C’est que ces deux grands acteurs, qui ont ainsi conçu, gardant comme la trace de leur lyseur du conflit et objet de diversion. Entre
beaucoup joué sur les planches, ont plus première collaboration pour Les Fourberies temps le « dieu du carnage » se sera déchaîné
encore tourné de films. Ils connaissent le de Scapin en 1990. Il l’inscrit aussi dans une entre les deux couples, puis au sein de chacun
vedettariat associé à une carrière ciné- référence moliéresque par le choix du d’eux.
matographique de premier plan, qui amène costume (Patrice Cauchetier) et la simplicité Yasmina Reza maîtrise une dramaturgie de
toujours au théâtre des spectateurs attirés par du dispositif scénique (Jean-Paul Chambas), la crise, ses accalmies et ses reprises, avec
la présence réelle sur le plateau, prompts au centré sur une tournette et de hauts murs vomissements, lancer de téléphone dans un
rire dans le cas d’un spectacle comique, peut- cernés de noir. Dans sa direction d’acteurs, il vase, décapitation de tulipes, consommation
être proches de ce public du parterre pri- s’inspire des indications même du texte, qui immodérée de rhum... Mais elle concentre la
vilégié par Molière dans La Critique de témoignent de l’agitation d’Arnolphe : « Je principale violence dans les échanges
l’École des femmes et dénigré par le suis en eau : prenons un peu d’haleine ;/Il verbaux, des arguties sur les termes en
snobisme de ses détracteurs. faut que je m’évente et que je promène ». apparence acceptées aux attaques grossières,
En ridiculisant ses adversaires, Molière Mais le soir de la première Daniel Auteuil, dont Denis Guénoun, à propos d’autres
donne des indications sur sa propre interpré- peut-être porté à la surenchère comique par répliques, ne peut que constater la brutalité
tation d’Arnolphe, critiquée par l’auteur l’accueil de la salle, n’atteignait vraiment la complaisante : « ça vous a requinquée de
jaloux Lysidas : « Quelque chose de trop complexité du personnage que dans la grande dégobiller », « un petit coup de gnôle et hop
comique et de trop outré au cinquième acte, scène du cinquième acte, les vaines supplica- le vrai visage apparaît ». Et souvent elle en
lorsqu’il explique à Agnès la violence de son tions d’amour face à une Agnès impavide, fait jaillir la virtualité comique : « On n’a pas
amour, avec ces roulements d’yeux extrava- Lyn Thibault, la révélation de ce spectacle. envie de baiser en chantant L’Agnus Dei »,
gants, ces soupirs ridicules, et les larmes Il peut sembler incongru de rapprocher un « Elle ne veut pas être enterrée avec mon
niaises qui font rire tout le monde. » Il chef-d’œuvre de Molière de la dernière pièce père. Elle veut être incinérée et placée à côté
confirme ainsi la virtualité comique du de Yasmina Reza (3), le travail d’un grand de sa mère qui est toute seule dans le Midi.
personnage, victime d’une présomptueuse metteur en scène de la mise en place réalisée Deux urnes qui vont discuter face à la mer.
assurance fondée sur le choix, comme future par l’auteur. Mais les déclarations de Jean- Ha ! ha !... »
épouse, d’une enfant de quatre ans élevée Pierre Vincent sur le rire semblent faire écho Le rire semble naître souvent d’un plaisir
dans la réclusion et l’ignorance, d’un quipro- au livre de Denis Guénoun, Avez-vous lu de reconnaissance ou de reconnaissance de
quo durable lié à sa double identité de « bour- Reza ? (4). Cet homme de théâtre, professeur ses voisins, tant « la présence du présent »,
geois gentilhomme », Monsieur de La à la Sorbonne, s’étonne en philosophe de la selon l’expression de Denis Guénoun,
Souche confident involontaire de l’amour situation singulière d’une œuvre mondiale- s’affirme. Les interruptions incessantes du
partagé d’Agnès et du jeune Horace. S’y ment reconnue et diversement appréciée en portable apparaissent à cet égard exem-
ajoute la dimension farcesque due au choix France. Il s’interroge sur le statut de la plaires, d’autant qu’elle correspondent à une
de deux paysans comme serviteurs comédie, à laquelle il finit par attribuer une conversation professionnelle cynique et à
d’Arnolphe. fonction de résistance face au cliché du l’affirmation, par Alain, de sa supériorité
Jean-Pierre Vincent a souhaité renouer désastre, dans une critique toute brechtienne d’avocat international sur Michel, grossiste
avec cette conception des origines. Il rompt de la tragédie. Et il prend comme exemple
ainsi avec une tradition de lectures et L’École des femmes, tente de cerner le SUITE P. 31 

26
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE

JOURNAL EN PUBLIC
MAURICE NADEAU
e le cherchez pas dans les librairies. Il postérité qui lui rend aujourd’hui hommage Comment, dans le camp de prisonniers il
N n’y est plus depuis longtemps.
« Achevé d’imprimer : mars 1987 ». Sur
tant par de fréquents colloques que par
l’existence d’un centre d’études qui lui
apprend l’assassinat : « en me penchant sur
l’épaule d’un camarade qui déployait
Internet peut-être. « Pierre Naville, est consacré. Encore ignorais-je que ma l’Éclaireur de l’Est je lus ces trois lignes :
Mémoires imparfaites, Le temps des guer- correspondance avec lui, généralement “Mexico. Léon Trotsky a été assassiné dans
res, Editions La Découverte ». familiale et sans grand intérêt politique, sa maison par un nommé Franck”. Plus
Un livre que j’ai lu en son temps, dont je figurerait elle aussi, avec beaucoup tard seulement, j’appris que ce meurtre
me suis gardé de parler, dont je ne me d’autres, dans ces Archives. Et je n’étais avait eu lieu le 20 août. » Commentaire :
sentais pas capable de rendre compte, pas préparé, non plus, à ce qu’un jour de « C’était une fin pour lui, pour moi une
d’autant que l’auteur avait été un de mes 1977 il m’envoyât, sous le titre Le Temps du conclusion...Trotsky disparu ? C’était pour
maîtres à penser, qu’il me traitait en ami, Surréel, il est vrai sans dédicace (le seul), le moi treize années d’action constante avec
une amitié qui a duré jusqu’à sa mort, en récit de sa vie surréaliste, une époque de lui, de réflexion, d’instruction, comblées
1993. Et que ce livre, après une trentaine son existence qui tout le long de son par l’attente et la recherche d’une révolu-
d’ouvrages : politiques, philosophiques, combat politique et même auprès de tion qui venait de s’enliser et d’échouer
sociologiques, je ne m’attendais vraiment Trotsky lui revint en boomerang. Je recon- dans la fosse encore à peine ouverte de la
pas à sa venue. nais qu’en la retraçant il montre du même guerre – treize années qui prenaient fin
Certes, de Pierre Naville j’avais publié, coup la nature « révolutionnaire » du d’une façon que rien ne parviendrait à
et republié (1963, 1979, 1988) un Trotsky mouvement et les motifs tout à fait autres renverser. La mort, si souvent prévue [par
vivant qui tenait du récit-témoignage, mais que personnels par lesquels il rompit avec lui, et par nous tous, qui nous disions “trot-
quoique « imparfaites » ces « Mémoires » Breton. En outre ce Temps du Surréel n’est- skystes”], était enfin là. Et cette mort
relevaient évidemment de la confidence et il pas annoncé comme le premier tome ouvrait pourtant un champ de réflexions
du souvenir, révélaient, par la pratique du d’un projet hautement scientifique : dont je suis resté tributaire, presque un
« journal », bien que tenu irrégulièrement, « L’espérance mathématique » ? demi-siècle plus tard » (le moment où il
une intimité, ce que Naville avait générale- écrit ces lignes).
ment et surtout pour lui-même en horreur. ans ces Mémoires imparfaites que trou- Libéré, il va rejoindre Denise à Agen où
Il ne s’était pas voulu philosophe (en
dépit de son admiration pour Hobbes et son
D ve-t-on ? D’abord des « Carnets de
guerre ». Naville est fait prisonnier par les
il postule et obtient un emploi dans les
services d’orientation professionnelle. Il
Léviathan), il avait fait bon marché de la Allemands en 1940, mis derrière les vient me voir en Saintonge où je me suis
« psychologie » (se proclamant adepte barbelés en Champagne avec des milliers momentanément retiré pour fuir la Gestapo
d’une science du comportement behavio- d’autres. Il y restera jusqu’en avril 41, parisienne qui vient d’arrêter, à la sortie de
riste), et ses travaux sociologiques portaient libéré après une maladie judicieusement chez moi, plusieurs camarades. Il n’entend
sur la formation professionnelle, exploitée. Beaucoup de notes sur la débâcle pas participer à la Résistance gaullienne
l’automation dans le travail, le salariat militaire. Rares confidences intimes sauf pas plus qu’à celle préconisée par le P.O.I
(jusques et y compris en URSS). En 1945 il celle de son amour pour Denise, son (le parti qu’il a fondé et dont il est exclu)
avait polémiqué avec Jean-Paul Sartre, taxé épouse, dont, juive, il ignore longtemps le pour la raison qu’avec le chambardement
d’idéalisme au nom d’un marxisme qui ne sort. Peu de rapports avec ses compagnons opéré par la guerre, il croit sans effets les
paraissait plus de saison auprès des disci- hors les travaux des champs ou de la appels au défaitisme révolutionnaire,
ples de Heidegger et autres « existentia- cuisine. Aucune nouvelle de ses camarades encore moins à la fraternisation avec les
listes » des Temps Modernes. Il répudiait le et amis d’avant 1939. Naville se réfugie troupes nazies. Bref il n’est plus « tro-
terme d’« intellectuel », membre d’une dans la lecture de la bibliothèque du tskyste » au sens qu’on donnait à ce mot en
« classe à part » formalisée par Sartre, il se château puis de l’hôpital : Milton et son 1939.
voulait porteur d’un projet politique qu’on Paradis perdu, Châteaubriand, qui suscitent Dans ses Mémoires de 1987 c’est pour-
pourrait caractériser en gros « pour une ses réflexions, beaucoup de livres tant un nouvel hommage qu’il rend à
société socialiste » et qui, avec la Seconde catholiques, mais, heureusement aussi l’assassiné de Coyoacan. Il rappelle les
Guerre mondiale, venait de subir de rudes Anna Karénine, Guerre et Paix (dont il mesures de protection « prises par les plus
assauts. Il fallait repartir, sinon de zéro, du vante la « merveilleuse architecture »). Il responsables d’entre nous » auprès de celui
moins de Marx et Engels. C’est le projet de « déteste Dostoïevsky », mais « chez qu’on savait, surtout après les Procès de
La Revue internationale auquel il Stendhal, je jubile complètement, tout m’y Moscou, menacé de mort par Staline. « Ce
m’associa avec Gilles Martinet et Charles correspond ». rôle, tout simple et nécessaire, nous le
Bettelheim, et qui dura jusqu’en 1951. Ces Carnets de 1940 ont-ils de l’intérêt tenions pour prioritaire ; non seulement
Ces Mémoires imparfaites, publiées si pour les lecteurs de 1987 ? Sans doute aux parce qu’il était dû à l’histoire, à la valeur
tardivement, relevaient plutôt, à ma yeux de Naville. On y voit un homme soli- insigne du combattant de l’avenir, mais
surprise, d’un projet biographique qui, me taire, coupé de tout, peu soucieux de rela- parce qu’à l’échelle de nos faibles forces
souvenant du Trotsky vivant, ne datait pas tions avec ses compagnons d’infortune – quelques milliers de militants de par le
d’hier. Pierre Naville fuyait la subjectivité dont seuls lui importent les comportements monde – la personne de Trotsky représen-
et tout étalage du « moi », c’est vrai, mais physiques (de jardinier, de palefrenier, de tait le modèle politique unique autour
était soucieux de laisser une trace qui ne cuistot...). Cependant il note : « Le 23 août. duquel nous étions formés. Trotsky absent,
serait pas seulement celle de ses travaux. – Jour douloureux, anniversaire de la mort nous-mêmes serions livrés à des incerti-
Un jour que je m’étonnai auprès de lui du de L. D (Trotsky). C’était un ami... tudes politiques qui pouvaient nous
soin qu’il prenait de constituer des archives Aujourd’hui, je ne me sens pas capable d’y dissoudre sans recours. Sa présence et son
personnelles auprès d’une institution repenser sur le papier. Dans la masse des activité, au contraire, nous donnaient tout
comme le Musée social, « on me connaît deuils, connus et inconnus, voilà ce qui notre sens. »
très bien en Italie, pourquoi ne me connaî- pouvait me frapper le plus... » Il se souvient. Quand, parmi les délégués
trait-on pas également en France ? » me des communistes français, il l’a rencontré
répondit-il. Sans cesse à la recherche d’un rotsky ? Il y revient. Longtemps après : pour la première fois à Moscou, en novem-
éditeur, il ne s’estimait pas compris comme
il aurait dû l’être par ses contemporains.
T dans le livre que je publie en 1963, puis
en préparant ces Mémoires publiées en
bre 1927, le lendemain même de

Il n’avait pas tort de compter sur une 1987. SUITE

27
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE SUITE JOURNAL EN PUBLIC/MAURICE NADEAU

l’exclusion par Staline de « l’artisan qu’étions-nous, si jeunes et manquant son souci scientifique, ce qu’il appelait
d’Octobre et ex-chef de l’Armée rouge ». d’expé-rience, sinon de dévouement ? Peu « l’espérance mathématique », a pu coexis-
« J’avais vingt-trois ans... » Il est allé de chose sans doute, comme la suite le ter avec l’intimité des confidences (son
retrouver l’exilé en Turquie, à Prinkipo en prouva ». Avant d’être assassiné, cette suite, amour pour Denise, ses notes journalières
1929, l’a revu en France, « toujours lié à ses Trotsky lui-même l’avait prévue. Elle était retrouvées après sa mort) j’en trouverai
perspectives et parfois à ce qui me parais- « sinistre » quant « au sort qui nous peut-être la solution dans la biographie très
sait ses erreurs, sans parler des cas où nos attendait, moi comme les autres ». Après complète Pierre Naville (1904-1993)
différends politiques le portait vers une cinq années de guerre « les données tradi- « Biographie d’un révolutionnaire marx-
rudesse qui m’était fort pénible... Combien tionnelles d’un mouvement révolutionnaire iste » que m’apporte Alain Cuénot au
d’épisodes légers ou graves me revenaient à socialiste sont bouleversées », « mais moment même où je termine cet article.
l’heure où je m’efforçais, isolé comme je Trotsky n’était plus là pour en tirer les
l’étais dans cette défaite française, de leçons ». Ne reste plus, pour Naville Outre Les vies de Pierre Naville
réfléchir à notre avenir comme à notre qu’« une option fondamentale, celle qui (Septentrion, 2007) dont j’ai rendu compte
passé ! » relève du marxisme, ou plutôt de Marx ». (Q. L. n°948), on lit avec profit :
Il revient sur ce passé. « Notre fidélité au Après La Revue internationale, qui cesse Michel Eliard, Naville, la passion de la
programme socialiste de Trotsky était sa parution en 1951, Pierre Naville joue un connaissance, Presses Universitaires du
entière et fervente, mais n’était pas aveugle. rôle politique éminent dans les organisa- Mirail, 1996,
Centre Pierre Naville, Des sociologues
Elle ne préjugeait pas de différences tions de la gauche socialiste (le PSU face à Pierre Naville, ou l’archipel des
d’appréciations sur les événements et les notamment), mais sa « passion de la savoirs, L’Harmattan, 1997,
situations, et de désaccords sur les person- connaissance » (comme l’appelle un des Le Pierre Naville (1904-1993) d’Alain
nes, mais à tous égards elle était aussi commentateurs de ses travaux sociolo- Cuénot est publié par les Éditions
ferme qu’elle était raisonnée. Sans lui giques) a de plus vastes horizons. Comment Bénévent, BP 4049, 06301 Nice Cedex 4.

BIBLIOGRAPHIE
Michèle Gazier atomique, une révolution Martin Provost Philippe Rey,
Un soupçon d’indigo féministe et bien d’autres Léger, humain, 190 p., 16 e
Seuil, 276 p., 18 e catastrophes, pires encore... pardonnable Un jeune garçon sort de
La disparition d’un homme Seuil, 240 p., 18 e l’enfance en même temps
dans une île antillaise Georges Londeix Un second roman d’un qu’il découvre la lecture.
bouleverse les différents Ma traversée du secret cinéaste avec trois films à Un premier roman.
ÉCRIVAINS siècle, entre Angers et
Saumur. Il y passe tous ses membres d’une famille. Rocher, 352 p., 19 e son actif (Tortilla y cinéma,
DE LANGUE FRANÇAISE étés depuis vingt-cinq ans et Georges Londeix, roman- Le ventre de Juliette, Avril Ventura
raconte ses joies et ses Emmanuelle Heidsieck cier (Football, L’Adoration Séraphine). Ce qui manque
Philippe Adam déboires. Il risque de pleuvoir des mages...), publie un Seuil, 224 p., 17,50 e
Ton petit manège Seuil, 128 p., 15 e « roman vécu » en racon- Nathalie Quintane Un premier roman d’Avril
Verticales, 126 p., 14,90 e Didier Daeninckx Le monde de l’assurance, tant les années 60 à travers Grand ensemble Ventura qui travaille à
Douze nouvelles sur la vie Camarades de classe « avenir radieux du monde ses voyages et ses rencon- P.O.L., 180 p., 16 e France Culture.
et ses tracas. Gallimard, 174 p., 15,90 e contemporain ». tres. « Un fantôme nous hante,
Que sont devenus d’anciens insatisfait de sa commé-
Yves Berger enfants d’Aubervilliers, Serge Joncour Chevalier de Méré moration (L’Année de
Œuvre romanesque élèves de la même classe en Combien de fois je t’aime Œuvres complètes l’Algérie, 2003), qui le ÉCRIVAINS
Préf. par Dominique 1964 ? Flammarion, 216 p., 18 e Préf. de Patrick Dandrey célébra pour mieux l’effacer TRADUITS DE
Fernandez Nouvelles, rencontres, Klincksieck, encore. Ce livre donne un
Grasset, 1220 p., 26,50 e Georges Duhamel histoires pour dire qu’on 646 p., 45 e corps à ce spectre. » J. G. Ballard
Vie et aventures s’aime... Ami de Ménage et de Le monde englouti
André Bonmort de Salavin Pascal (1607-1684), le Isabelle Rossignol suivi de Sécheresse
L’âge de cendre Préf. d’Antoine Duhamel Pierre Lafargue théoricien des rapports en Au-dessous du genou trad. de l’anglais
Sulliver, 100 p., 11 e Omnibus, 810 p., 25 e Ongle du verbe incarné société dont Sainte-Beuve Joëlle Losfeld, par Michel Pagel
Méditation lyrique sur les Une réédition de cinq Verticales, 88 p., 10,50 e écrivait « ... et si aujour- 112 p., 13,50 e Denoël, 460 p., 25 e
malheurs de notre civilisa- romans commencés en Pierre Lafargue a publié d’hui on veut étudier Au cours d’une croisière sur Une réédition de deux
tion. 1920. L’honneur se porte moins un des caractères les le Nil une jeune femme romans de science-fiction.
bien que la livrée (1994), plus en honneur au XVIIe rencontre un Égyptien
Anne Brochet Annie Ernaux Tombeau de Saint-Simon siècle, on ne saurait séduisant et sûr de lui. Joseph Boyden
La fortune de l’homme Les Années (2000)... mieux s’adresser ni surtout Là-haut vers le nord
et autres nouvelles Gallimard, 254 p., 17 e plus commodément Simenon (Born With a Tooth)
Seuil, 156 p., 16 e Au travers de photos Thierry Laget qu’à lui ». Maigret trad. de l’anglais (Canada)
La femme, « la fortune de et de souvenirs retrouvés, Portraits de Stendhal Omnibus, 780 p., 24,50 e par Hugues Leroy
l’homme ». Annie Ernaux veut faire L’un et l’autre Paul Morand Ce dixième volume Albin Michel,
ressentir le passage des Gallimard, 220 p., 18,50 e Fin de siècle regroupe uniquement des 290 p., 20 e
Frédéric Brun années et « inscrit A travers ces éclats de vie, L’Imaginaire nouvelles. Ces nouvelles racontent la
Le roman de Jean l’existence dans une forme Thierry Laget exprime son Gallimard, 236 p., 6,90 e vie des gens vivant au nord
Stock, 166 p., 15,50 e nouvelle d’autobiographie amour pour Stendhal. Recueil de nouvelles Chantal Thomas de l’Ontario.
La vie d’un homme venu à impersonnelle et publiées en 1963. Cafés de la mémoire
Paris pour devenir artiste. Il collective ». Franck Laurent Seuil, 250 p., 20 e Kay Boyle
écrit des paroles de chan- Le voyage en Algérie Nimrod Chantal Thomas (Les Le cheval aveugle
sons célèbres et travaille Bouquins Le Bal des princes Adieux à la Reine, Thomas (The Crazy Hunter)
pour tous les grands Carine Fernandez Robert Laffont, Actes Sud, 224 p., 19 e Bernhard, Souffrir...) racon- trad. de l’anglais
chanteurs de l’époque : La Saison rouge 1088 p., 29 e Un jeune professeur, revenu te son enfance, sa jeunesse, par Robert Davreu
Piaf, Chevalier, Montand, Actes Sud, 176 p., 18 e Auteurs connus, méconnus au village de son aïeule, ses errances, de 1945 à Rocher, 218 p., 18 e
Greco, Salvador... Dans une maison isolée ou oubliés ont écrit sur sert de médiateur entre un 1969. Voir ce numéro. Féministe, activiste poli-
d’un pays arabe, une l’Algérie coloniale (1830- colonel de l’armée tique, emprisonnée pour ses
Michel Bugnon-Mordant femme, attendant le retour 1930). tchadienne et le chef du Jean Tournay idées, Kay Boyle (1902-
Le Secret du céladon de son mari, devient folle village, illustre chef de Air de la Méhaigne 1992) dont l’œuvre est
Philippe Picquier, de solitude. Philippe Le Guillou guerre. La Table Ronde, pourtant considérable, est
274 p., 18,50 e Fleurs de tempête 88 p., 12 e peu connue en France.
Ce roman d’aventures se Isabelle Fiemeyer Gallimard, 174 p., 14,50 e Erik Orsenna Musicologue et facteur de
déroule à Kaifeng, la capi- Les 3 noms d’Esther Philippe le Guillou est La chanson clavecin, Jean Tournay Josh Emmons
tale de la Chine des Song, Maurice Nadeau, l’auteur de Les sept noms de Charles Quint publie un récit poétique Le Cas Léon Meed
au IXe siècle chinois. 126 p., 16 e du peintre (prix Médicis Stock, 198 p., 18 e qui nous promène le long (The Loss of Leon Meed)
« Destruction et tragique 1997)... Deux frères vivaient de la Méhaigne, affluent trad. de l’américain
Patrick Cauvin reconstruction d’une dans la même ville mais de la Meuse. par Judith Roze
La maison de l’été femme dans une quête Michel Lequenne aimaient de manières Actes Sud, 480 p., 23,80 e
Nil, 192 p., 18 e hallucinatoire (... ) d’une La révolution de Bilitis différentes : l’un, d’amour Paul Vacca Les réactions, en Californie,
Patrick Cauvin a acheté un vérité qu’il ne faut pas Syllepse, 264 p., 20 e unique. l’autre d’amour La petite cloche de différentes personnes,
immense manoir du XVIIe dire. » Après une Grande Guerre « morcelé ». au son grêle fort dissemblables,

28
BIBLIOGRAPHIE
confrontées à l’apparition Dan Lungu millions d’exemplaires ce Les difficiles rapports des
d’un sculpteur septuagé- Je suis une vieille coco ! roman d’aventures raconte Allemands réfugiés, en
naire récemment porté Trad. du roumain l’initiation d’un jeune étu- 1943, en Colombie entre
disparu. par Laure Hinckel diant chinois qui doit eux et avec la population.
Jacqueline Chambon, apprendre des tribus je n’ai pas bougé l’imagination et les frontiè-
Peter Godwin 236 p., 20 e mongoles comment survivre Vendela Vida P.O.L., 116 p., 16 e res de la langue par un
Quand un crocodile Se souvenant de sa vie, dans la steppe au milieu des Soleil de minuit Elisabeth de Vautibault écrivain tchadien.
mange le soleil dans les années 50 et 60, loups. Jiang Rong (pseudo- (Let the Northern Lights Les événements visibles Jean Pavans
(When a Crocodile Eats une Roumaine tente de nyme) a transposé sa propre Erase Your Name) Préf. de Léon-Paul Fargue Heures jamesiennes
The Sun) comprendre comment on expérience qui s’est trad. de l’anglais (États-Unis) Ed. de Jean José Marchand La Différence, 176 p., 18 e
trad. de l’anglais (États-Unis) peut ne pas regretter aujour- déroulée pendant onze par Adèle Carasso La Différence, 160 p., 15 e Jean Pavans, spécialiste de
par Dominique Kugler d’hui un régime totalitaire. années, lors de la L’Olivier, 240 p., 21 e Elisabeth Bollée, (mariée à l’œuvre de James, The
Fayard, 400 p., 23 e Révolution culturelle. Une femme part à la Gilbert de Vautibault) (Le Sacred Fount (La Source
Peter Godwin, grand Lucio Victorio Mansilla recherche de son père Mans1908-Richmond 1984) sacrée) et publie une
reporter et écrivain, revient Une excursion Goliarda Sapienza biologique, pasteur irlandais poète française, patronnée nouvelle de lui élaborée en
à Harare où il est né. Dans au pays des Ranqueles Le Fil d’une vie vivant en Laponie. par Jean Paulhan et Léon- forme de pastiche, « traite-
ce pays déchiré par les (Una excursion a los Indios trad. de l’italien et préf. Paul Fargue. ment jamesien d’un sujet
conflits politiques, l’auteur Raqueles) par Nathalie Castagné Virginia Woolf propre à l’expérience
découvre des secrets de trad. de l’espagnol Viviane Hamy, 256 p., 22 e La chambre de Jacob personnelle du pasticheur ».
famille. (Argentine) Le Fil d’une vie rassemble (Jacob’s Room)
par Odile Begué deux récits autobiogra- trad. de l’anglais ESSAIS LITTÉRAIRES Jorunn Svensen Gjerden
Michal Govrin
Sur le vif
Christian Bourgois,
670 p., 28 e
phiques publiés en Italie en
1967 et 1969 : d’abord
par Agnès Desarthe
Stock, 260 p., 18,50 e HISTOIRE LITTÉRAIRE Éthique et esthétique
dans l’œuvre
trad. de l’hébreu Cette excursion dans la l’enfance de l’auteur en Une nouvelle traduction. Elisa Bricco et Christian de Nathalie Sarraute
par Valérie Zenatti pampa argentine du XIXe Sicile puis sa descente en Les deux précédentes ont Jérusalem (sous la dir.) Le paradoxe du sujet
Sabine Wespieser, siècle montre la singularité enfer alors que, convaincue été publiées en 1942 et en Christian Gailly, L’Harmattan, / Solum
470 p., 26 e ethnique des Indiens d’être folle, comme sa 1993. « l’écriture qui sauve » Forlag, Oslo, 254 p.
Née à tel Aviv, Michal Ranqueles Cette oeuvre, mère, elle est soignée par la Publ. de l’univ. de Saint- Une lecture de l’œuvre
Govrin, romancière, poète l’une des plus grandes du psycha-nalyse et les électro- Avraham B. Yehoshua Étienne, 184 p., 20 e sarrautienne à la lumière de
et directrice de théâtre a XIXe siècle argentin, est de chocs. Un feu amical Chercheurs italiens et fran- la philosophie d’Emmanuel
publié de nombreux livres Lucio Mansilla (Buenos (Ech yedidoutit) çais ont étudié lors d’une Lévinas.
et des textes dans les revues Aires 1831-Paris 1913), Joanna Scott trad. de l’hébreu journée d’études le parcours
du monde entier. journaliste, militaire, Tourmaline par Sylvie Cohen littéraire du romancier en
écrivain, député, diplomate trad. de l’anglais Calmann-Lévy, éclairant les diverses facet-
Frode Grytten et grand voyageur. (États-Unis) 408 p., 21,90 e tes de son œuvre. PHILOSOPHIE
Ne réveillez pas l’ours par Philippe Mikriammos Avraham B. Yehoshua, l’un
qui dort Juan Marsé Le Cherche midi, des grands écrivains Marie-Odile Delacour et Emmanuel Alloa
(Flytande Bjorn) Le fantôme du cinéma 300 p., 17 e israéliens, est traduit en Jean-René Huleu La résistance du sensible
trad. du néo-norvégien Roxy Cinquante ans plus tard, un France depuis 1974 Le voyage soufi Merleau-Ponty critique de
par Céline Romand- (Teniente bravo) homme revient sur l’île avec Trois jours et un d’Isabelle Eberhardt la transparence
Monnier trad. de l’espagnol d’Elbe pour enquêter sur enfant (Lettres Nouvelles, Joëlle Losfeld, 264 p., 21 e Préf. de Renaud Barbaras
Denoël, 288 p., 20 e par Jean-Claude Masson une histoire trouble jamais Denoël éd). Un essai autour de la vie et Kimé, 136 p., 17 e
Un cadavre remonte à la L’Imaginaire élucidée dans sa famille de l’œuvre d’Isabelle
surface d’une rivière Gallimard, 168 p., 7,50 e mais qui causa sa perte. Alejandro Zambra Eberhardt, première Euro- Christina Buci-Glucksmann
norvégienne et réveille les Réédition de trois nouvelles Bonsaï péenne à vivre le soufisme Philosophie de l’ornement
habitants de la ville plongée où Juan Marsé recrée son Rachel Seiffert trad. de l’espagnol (Chili) au Maghreb, auteur de plus D’Orient en Occident
dans la crise économique et enfance et son adolescence Lendemains de guerre par Denise Laroutis de deux mille pages écrites Galilée, 186 p., 29 e
dans l’ennui. au lendemain de la Guerre (Afterwards) Rivages, 96 p., 11 e en dix ans, née à Genève Le retour à l’ornement,
civile. trad. de l’anglais Pour se consoler d’un dans une famille contre le style Le
Henry James par Bernard Cohen chagrin d’amour, un homme d’aristocrates russes, en Corbusier-Gropius et sa
Nouvelles T. 3 Haruki Murakami Robert Laffont, 360 p., 22 e se consacre à la culture 1877, et morte à l’âge de signification aujourd’hui.
trad. de l’anglais et prés. L’éléphant s’évapore Un ancien soldat qui faisait d’un bonsaï. vingt-sept ans à la suite
par Jean Pavans trad. du japonais partie des troupes britan- d’un accident (un oued en Christian Jambet
La Différence, 848 p., 49 e par Corinne Atlan et niques combattant en crue). Mort et résurrection
Vingt-sept nouvelles Véronique Brindeau Irlande se trouve confronté en Islam
présentées, œuvre par Belfond, 426 p., 21,50 e à ses fantômes alors que POÉSIE Philippe Desan L’au-delà
oeuvre, dans la préface. Une réédition d’un recueil son passé resurgit et le Montaigne chez Mulla Sadra
de nouvelles. conduit peu à peu à détruire Dominique Dou Les formes du monde et Albin Michel, 310 p., 19 e
Yoram Kaniuk son amour pour une femme. L’Énergie de l’erreur de l’esprit Après avoir exposé les théo-
Adam ressuscité Salvatore Niffoi Dumerchez, 76 p., 17 e PUPS, 224 p., 16 e ries de l’islam sur l’au-delà,
(Adam Ressurected) La légende Jan Struther Une lecture des Essais par Christian Jambet expose
trad. de l’anglais de Redenta Tiria Mrs. Miniver Jacques Izoard Philippe Desan, spécialiste celles du philosophe shî’ite
par Jean Autret (La Leggenda di trad. l’anglais Lieux épars de l’histoire des idées, du XVIIe siècle, Mullâ
et R. Fouques Duparc Redenta Tiria) par B. Vulliemin La Différence, directeur de la revue Sadrâ avec des extraits
Stock, 430 p., 20,50 e trad. de l’italien et J. Chicheportiche 160 p., 15 e Montaigne Studies et inédits de son œuvre.
Réédition d’un roman sur la par Dominique Vittoz Mercure de France, éditeur d’un Dictionnaire
descente en enfer d’un Flammarion, 190 p., 20 e 220 p., 18 e Philippe Jones de Michel de Montaigne. Machiavel
clown juif, rescapé d’un Tous les habitants d’un Cet unique roman de Jan Au-delà du blanc Il Principe / Le Prince
camp de concentration, village sarde, lorsqu’ils Struther, adapté à l’écran en Préf. de Pierre-Yves Soucy Marie-Catherine Huet- suivi de L’Art de régner de
après avoir accepté de arrivent à un certain âge et 1942 avec Greer Garson, fut Le Cormier, 130p. Brichard (sous la dir.) Agostino Nifo
distraire le commandant du sentent la fin imminente se publié d’abord en feuilleton. Ce texte « signale une Présence de José Cabanis Nouvelle éd. critique par
camp. passent la corde au cou, Les Anglais s’arrachèrent matière sensible, une Via Romana (5 rue du Mario Martelli
jusqu’au jour où... ce roman publié en un descente en soi et au coeur Maréchal Joffre 78000 introd; et trad.
Sahar Khalifa Romancier (Le Facteur de volume en 1939 qui devint des choses... » Versailles), 350 p., 25 e par Paul Larivaille
Un printemps très chaud Piraferka...) Salvatore un immense best seller dans Actes d’un colloque univer- Les Belles Lettres,
(Rabî’ Hâr) Niffoi est enseignant en les pays anglo-saxons. Jérôme Lhuillier sitaire consacré, en octobre 390 p., 35 e
trad. de l’arabe (Palestine) Sardaigne où il est né. En cette grande époque 2006, à l’œuvre (romans, Une nouvelle traduction
par Ola Mehanna Kerstin Thorvall Flammarion, 110 p., 15 e écrits autobiographiques, dans une édition bilingue.
et Khaled Osman Karl-Heinz Ott La rage d’être libre critique, essais) de José
Seuil, 314 p., 20 e Enfin le silence (Fran Signe till Alberte) François Montmaneix Cabanis. Machiavel
A travers le destin de deux (Endlich Still) trad. du suédois L’Abîme horizontal Mandragola / La
frères, Sahar Khalifa brosse Trad. de l’allemand par Martine Desbureaux La Différence, 128 p., 15 e Jean Mainil Mandragore
une fresque de la réalité de par Françoise Kenk Le Serpent à plumes, Don Quichotte en jupons suivi d’un essai
son pays et s’interroge sur Phébus, 240 p., 18,90 e 446 p., 21,50 e Pierre-Yces Soucy ou des effets surprenants de Nuccio Ordine
l’avenir de la jeunesse. Un thriller métaphysique Le récit de Après la montée du jour de la lecture Texte critique établi par
par l’auteur de Ins Offene l’affranchissement d’une Le Cormier, 70 p Kimé, 256 p., 25 e Pasquale Stoêlli
Ron Leshem couronné par le prix femme et sa reconquête de Bosquet de Thoran Introd et trad.
Le destin romanesque de
Beaufort Schiller. la liberté. Mémoire de l’outil lectrices du XVIIIe siècle par Paul Larivaille
trad. de l’hébreu Le Cormier, 60 p. Les Belles Lettres,
anglais et français.
par Jean-Luc Allouche Jiang Rong Juan Gabriel Vasquez 196 p., 37 e
Seuil, 348 p., 22 e Le totem du loup Les Dénonciateurs Fernand Verhesen Nimrod Une nouvelle traduction
Un roman sur la guerre au trad. du chinois (Los informantes) L’instant de présence La Nouvelle Chose dans une édition bilingue.
Liban et un portrait de par Yan hausberg trad; de l’espagnol Le Cormier, 80 p. française
jeunes combattants et Lisa Carducci (Colombie) Actes Sud, 128 p., 16 e Bernard Stiegler
israéliens engagés dans Bourin, 576 p., 25 e par Claude Bleton Jean-Jacques Viton Une réflexion sur l’essence Économie
« cette guerre sans fin ». Vendu à plus de vingt Actes Sud, 384 p., 22,80 e Je voulais m’en aller mais de l’exil, le territoire de de l’hypermatériel

29
BIBLIOGRAPHIE
étude de quelques grands Gerlich sur sa vie et sa Armes et bagages.
sites classiques. philosophie de l’Histoire. SOCIOLOGIE Journal des Brigades
Denis Langlois Christophe Prochasson rouges
Slogans pour les L’Empire des émotions Milad Doueihi trad. de l’italien
et psychopouvoir L’homéopathie expliquée prochaines révolutions les historiens dans la La grande conversion par Gérard Marino
Entretiens avec Philippe pour tout le monde. Seuil, 10 e mêlée numérique Les Belles Lettres,
Petit et Vincent Bontems Augmenté d’un guide Une anthologie des slogans Demopolis, Seuil, 290 p., 19 e 328 p., 19 e
Mille et une nuits, d’automédication par un de mai 68. 256 p., 24 e Comment cette technologie, Journal, mémoires,
140 p., 17 e médecin généraliste, Alors qu’aujourd’hui, mobilisant un milliard confessions d’un brigadiste
Bernard Stiegler formule enseignant à la faculté de Philippe Artières et avec l’entrée des d’usagers, peut-elle modifi- depuis l’époque où il
les enjeux des technologies pharmacie de Montpellier. Michelle Zancarini-Fournel témoins sur la scène er la vie de chacun, le lien n’est qu’un simple sympa-
culturelles et cognitives (sous la dir.) de l’histoire, les émotions social et certains de nos thisant jusqu’a sa vie en
(nouvelles technologies Jackie Pigeaud 68 envahissent tout travail repères: écriture et lecture, prison.
de la communication Poétiques du corps une histoire collective critique, comment prendre identité, présence, propriété,
et de l’information) Aux origines de la (1962-1981) la distance nécessaire archives et mémoire.
mais aussi des biotechnolo- médecine La Découverte pour présenter une
gies et des nanotechno- Les Belles Lettres, De la fin de la guerre analyse cohérente des Immanuel Wallerstein SOUVENIRS
logies. 708 p., 40 e d’Algérie à l’accession de événements du passé. L’Universalisme européen
Cette histoire de la pensée la gauche au pouvoir, les De la colonisation au droit Elie Barnavi
Pierre Verstraeten médicale est consacrée à années de la génération de Patrick Rotman d’ingérence Jean Frydman
L’anti-Aron l’imaginaire des médecins. mai 68, partout dans le Mai 68 trad. de l’anglais tableaux d’une vie
La Différence, monde. raconté à ceux (États-Unis) Seuil, 370 p., 21 e
128 p.., 15 e qui ne l’ont pas vécu par Patrick Hutchinson Jean Frydman, résistant, a
L’opposition entre la pensée Vincent Denis Seuil, Demopolis, 142 p., 15 e travaillé dans la presse et la
de Sartre et celle d’Aron, en POLITIQUE Une histoire de l’identité 170 p., 12 e Le colonialisme se justifiait publicité, s’est engagé en
matière de morale, analysée France 1715-1815 Analyse du mouvement par la lutte contre politique et dans le combat
par un philosophe anti- Luciano Canfora Champ Vallon, de 68 en France et l’esclavage ; le « droit pour la paix au Proche-
humaniste. Exporter la liberté 470 p., 30 e des raisons pour d’ingérence » est-il en train Orient. Il s’entretient avec
Échec d’un mythe La genèse des moyens lesquelles le terrorisme de prendre le même Elie Barnavi.
Slavoj Zizek trad. de l’italien et des pratiques qui ne s’y est pas développé. chemin ?
Fragile absolu par Dominique Vittoz permirent d’établir l’identité Georges Walter
Pourquoi l’héritage Desjonquères, 98 p., 10 e individuelle. Nicoletta Salomon Souvenirs curieux d’une
chrétien vaut-il A partir d’exemples Venise engloutie espèce de Hongrois
d’être défendu ? empruntés à l’histoire, Armelle Enders Essai subjectif SCIENCES Tallandier, 687 p., 29 e
trad. de l’anglais
par François Théron
Luciano Canfora dénonce
les motifs d’ordre moral qui
Nouvelle histoire du Brésil
Chandeigne, 288 p., 20 e
sur l’âme de Venise
trad. de l’italien
HUMAINES Journaliste, éditorialiste,
grand reporter, chroniqueur
Flammarion, 242 p., 20 e font entrer en guerre les Cette histoire du Brésil, par Marilène Raiola judiciaire, littéraire et
« Le cœur subversif gouvernements sous Tom L. Beauchamp &
depuis la préhistoire, prend Mille et une nuits, romancier, Georges Walter
de l’héritage chrétien prétexte de défense de la James F. Childress
en compte la diversité et les 256 p., 15 e raconte...
est bien trop précieux pour liberté. Les Principes de l’éthique
contradictions de la société Penseurs, écrivains
être abandonné aux inté- biomédicale
brésilienne. et artistes donnèrent
grismes et à la multitude une idée de Venise
trad. de l’américain
ESSAIS
des spiritualismes New HISTOIRE Renaud Escande que Nicoletta Salomon,
par Martine Fisbach
Les Belles Lettres,
Age. » (sous la dir.) spécialiste de l’Antiquité Le livre : que faire ?
Flagrants délits sur les 648 p., 39 e
Le Livre noir de la révolu- grecque, cherche La Fabrique,
Champs-Elysées Une nouvelle version sans
tion française à saisir. 100 p., 12 e
Les dossiers de police du cesse modifiée et augmen-
Cerf, 882 p., 44 e Des spécialistes de l’édition
PSYCHIATRIE gardien Federici Voir ce numéro. Shushi Tharoor
tée d’un essai (publié aux
États-Unis en 1979 et resté
tentent de trouver des solu-
PSYCHANALYSE (1777-1791)
Ed. prés. et annotée Rafaël Lemkin
Nehru
L’invention de l’Inde
inédit en France) sur les
tions pour sauver le livre
indépendant menacé par le
MÉDECINE par Arlette Farge Qu’est-ce qu’un trad. de l’anglais (Inde)
nombreuses questions
éthiques soulevées par la
livre industriel.
Mercure de France, génocide ? par Dominique Vitalyos
Alain Bottéro 410 p., 20 e pratique de la médecine
Prés. par Jean-Louis Panné Seuil, 288 p., 20 e Abdelwahab Meddeb
Un autre regard sur la Quand, en 1777, la prome- contemporaine.
Rocher, 320 p., 22 e « Une réinterprétation Sortir de la malédiction
schizophrénie nade des Champs Élysées Une analyse du régime à la fois d’une vie et L’islam entre civilisation
Odile Jacob, 400 p., 27 e devient un lieu public, imposé aux pays de d’une trajectoire et barbarie
Alain Bottéro, psychiatre,
porte un regard critique
le comte d’Angiviller,
directeur des Bâtiments
l’Europe occupée par
les régimes de l’Axe.
extraordinaires et de ce
qu’elles ont laissé en
BIOGRAPHIES Seuil, 286 p., 19 e
Un « traité de guérison »
sur la notion de schizo- du Roi, la dote d’un gardien Un essai publié en 1944 héritage à chaque AUTOBIOGRAPHIES pour un islam malade. Par
phrénie, une notion inventée Federici, entouré de quatre par Rafaêl Lemkin (1900- Indien. » l’auteur de La Maladie de
il y a cent ans. soldats, et obligé d’écrire 1959) qui forgea le terme l’islam et Contre-prêches.
Carl Bernstein
un rapport chaque de « Génocide » découvert
Geneviève Delaisi de semaine. pour la première fois dans SOCIÉTÉS Hillary Clinton : une
femme en marche Michael Wex
Perceval ce livre. Voir ce numéro. Kvetch !
Famille à tout prix trad. de l’américain
Maria Beltrao Eric Meyer par M. Leroy-Battistelli le yiddish ou l’art de se
Seuil, 398 p., 22 e Le peuplement de Ernst Nolte Bon chat chinois plaindre
Un essai sur la révolution et C. Arnaud
l’Amérique du Sud Entre les lignes de front prend la souris Baker Street, 730 p., 24 e trad. de l’anglais (Canada)
familiale engendrée par Essai d’archéologie trad. de l’allemand Chroniques par Anne-Sophie Dreyfus
l’assistance médicale à la Cette biographie de Hillary
Une approche par Jean-Marie Argelès de la vie ordinaire Clinton révèle les arcanes Denoël, 320 p., 20 e
procréation. interdisciplinaire Rocher, 160 p., 18 e Seuil, Le yiddish, ses origines,
de la vie politique américai-
Riveneuve, 166 p., 28 e Ernst Nolte, ancien élève de 240 p., 17 e ne dans les années 70. ses liens avec la religion,
Bernard Long Une synthèse des connais- Heidegger, spécialiste des Récits insolites sur les son évolution à travers le
Vivre avec l’homéopathie sances actuelles sur la régimes totalitaires, changements de la société Enrico Fenzi temps et la culture
Indigène, 386 p., 30 e préhistoire du Brésil et une s’entretient avec Siegfried chinoise. ashkénaze.

La Quinzaine littéraire
40 000 chroniques indexées depuis 1966 à nos jours
sur www.quinzaine-litteraire.presse.fr
(site en accès libre)
et www.quinzaine-litteraire.net (archives)
Une semaine de consultation gratuite
des 16 000 articles disponibles en ligne offerte
aux étudiants et aux abonnés de la revue
Achat des articles à l'unité : 3 euros
Abonnement : – particuliers : 75 e – étudiants et abonnés journal : 40 e
– abonnement groupé (archives et journal) : 105 e
– institutions : ql@quinzaine-litteraire.net

30
LA QUINZAINE LITTÉRAIRE

Suite Monique Le Roux travaille à mi-temps dans une librairie d’art et


d’histoire », avant plus tard de les dénigrer :
ble ». Chez Molière il correspond à la défaite
du protagoniste, qui incarne la complicité de
« ça déteint sur tout maintenant ton engoue- la religion et de l’oppression morale, la
ment pour les nègres du Soudan ». Les quatre volonté d’oppression et de manipulation.
interprètes forment un quatuor parfaitement
en articles ménagers. La relative accordé à cet air du temps, Isabelle Huppert
et André Marcon témoignant d’une compli- 1. Paris-Match, n°3063, 31 janvier 2008.
homogénéité sociale, quant au niveau de 2. Jean Golzink, Comique et comédie au siècle
langue, au lieu d’habitation, est en effet cité particulière dans l’hilarité. Mais quel des Lumières, L’Harmattan, 2000.
traversée de légers décalages, comme dans rire ? Chez Yasmina Reza, il renvoie tous les 3. Yasmina Reza, Le Dieu du carnage, Albin

Alain
Trois versions de la vie. Michel s’empresse personnages dos à dos et marque le triomphe Michel, 2007.
d’ailleurs de mettre en avant les activités de du « dieu du carnage » sur une tentative de 4. Denis Guénoun, Avez-vous lu Reza ?, Albin
son épouse : « Véronique est écrivain et pratiquer malgré tout « l’art de vivre ensem- Michel, 2005.

Robbe-Grillet
La mort d’Alain Robbe-Grillet nous a remis en mémoire les
nombreux articles de La Quinzaine consacrés à son œuvre (n° 22, 48, 87,
105, 182, 226, 288, 345, 432, 503, 645, 817, 832, 887, 912). Nous repro-
duisons ci-dessous un passage du Journal en public à propos d’un numéro
de Critique consacré à Robbe-Grillet (Q. L. n° 817).

n anglais, cela s’appelle, je crois, un curiosité de relire ce que j’écrivais à


E comeback. Avec un roman, un numéro de
Critique à lui consacré, un épais volume
l’époque. Je ne vais pas me citer, mais ce que
je remarque dans l’article que Jean Piel
d’entretiens, Alain Robbe-Grillet, pour ses m’avait demandé pour Critique, c’est le
quatre vingts ans, fait un glorieux comeback. sérieux avec lequel Robbe-Grillet, Nathalie
L’affaire a été bien préparée, elle porte ses Sarraute, Michel Butor ont entrepris de savoir
fruits, tant mieux ! Robbe-Grillet a de la ce qu’ils font quand ils prétendent à la fois
chance. s’inscrire dans une tradition romanesque –
Tout cela nous rajeunit. Dans notre présen- Balzac, Stendhal, Flaubert, Zola, Dostoïevski
te Quinzaine Maurice Mourier retrouve – et récuser cette tradition. Au fond ce qu’ils
l’enthousiasme de ses vingt ans. Pour lui rien veulent, c’est vivre avec leur temps, et ce
d’important chez nous dans le genre après le temps leur est brusquement tombé dessus,
Nouveau Roman. Voilà qui va faire plaisir vide en ce qui les concerne mais plein d’un
aux actuels romanciers des Éditions de monde sans repères, un monde qu’ils ressen-
Minuit et à quelques autres, tant masculins tent comme hostile et qui pourrait se passer
que féminins, qui briguent aujourd’hui les d’eux. Comment l’affronter, comment
prix littéraires. l’apprivoiser ? Il y a quelque chose de pathé-
L’Histoire, dans ces domaines : philoso- tique dans l’obstination de Nathalie Sarraute
phique, littéraire et artistique, est aussi cruel- à traquer « l’humain » chez ses évanescents
le que celle des révolutions et changements personnages, comme celle de Robbe-Grillet à
de régimes. Depuis soixante ans elle a envoyé décrire dans ses infimes détails les armes et
ad patres le Surréalisme, puis l’Existen- machines de guerre de l’ennemi. Ils se
tialisme et sa littérature « engagée », le veulent l’un et l’autre « objectifs » alors
Structuralisme et Tel Quel, la notion qu’ils suent la peur et investissent de leurs
d’« auteur » et celle d’« œuvre », Barthes et désirs un réel plus terrible dans ses mystères
Foucault, la mort de Dieu et la mort de qu’il ne le fut à leurs glorieux aînés. Ce n’est
l’Homme, elle a mis en cause le freudisme et pas par goût du paradoxe que j’intitule un de
est en train, selon Jacques-Alain Miller, mes articles : « L’univers halluciné de Robbe-
d’évacuer Lacan, un vrai massacre. Le Grillet » . Je lui fais, comme tout critique, la
Nouveau Roman aurait-il fait exception ? On leçon : « ...Pour l’artiste il n’existe pas de
sait bien que non. Il a eu des détracteurs monde “objectif ”, de monde dépourvu de
jusqu’aujourd’hui. Heureusement demeurent “valeurs” et de “significations” » après avoir
les auteurs, qu’ils aient fait allégeanceOau voulu le convaincre (ou convaincre le lecteur)
non. Grandis ou rapetissés par les années. que La Jalousie me fait penser à Conrad,
Aimés ou détestés. Demeurés lisibles ou non. Dans le labyrinthe à Balthus et que Robbe-
En dépit des coups de balancier de l’Histoire, Grillet est en fin de compte un poète qui
le comeback de Robbe-Grillet tout de même s’ignore. Je suis sûr que Maurice Mourier, « On n’ose pas dire que ce livre est beau
étonne. célébrant l’habileté de son auteur à tricoter à pleurer. Mais on le pense »
J’ai vécu cette Histoire. De près et de loin. des histoires policières, pense de même... Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur
170 p. 16 e
Comme journaliste, comme éditeur nomade.
Tentant moi aussi de me rajeunir j’ai eu la MAURICE NADEAU HARMONIA MUNDI

31
LA QUINZAINE RECOMMANDE

Littérature Sylvain Dzimira


Joé Friedmann
Marcel Mauss, savant et politique
Langages du désastre
QL 962
Nizet
Amos Oz Vie et mort en quatre rimes QL 961 Marc Weitzmann Notes sur la Terreur Ce N°
Anna Funder Stasiland Ce N° Robert Bonnaud Victoires sur le temps La Ligne d’Ombre
Boris Pilniak Récits d’Extrême-Orient QL 962 Alain Badiou De quoi Sarkozy est-il le nom? Lignes
José Saramago Les Intermittences de la mort QL 963 Daniel Bensaïd Éloge de la politique profane QL 961
Cormac McCarthy La route QL 962 Patrick Rambaud Chronique du règne de Nicolas Ier Grasset
Anne Thébaud Sentinelle QL 962 Éric Vigne Le livre et l’éditeur Klincksieck
Jorge Volpi Le Temps des cendres QL 962 F. Caradec, A. Weill Le Café-concert (1848-1914) QL 962
Annie Ernaux Les Années Gallimard
Serge Fauchereau
Serge Fauchereau
Les Petits Ages
Gaston Chaissac
Ce N°
Ce N°
Œuvres rassemblées
Éric Laurrent Renaissance italienne Minuit Henry James Nouvelles. Œuvres complètes 3 La Différence
Ernst Jünger Journaux de guerre I et II Pléiade
Biographies, Journaux, Essais Jerome Rothenberg Les Techniciens du Sacré Corti
(version franç. Yves di Manno)
Heidelberger-Leonard Jean Améry Actes Sud
Jacques Le Rider L’Allemagne au temps du réalisme QL 963
Dir. René Major Derrida pour les temps à venir QL 963
Rééditions
Clément Rosset La Nuit de mai Minuit Walt Whitman Feuilles d’herbe (1855) Corti
André Gorz Ecologica Galilée Gobineau Nouvelles asiatiques Éd. du Sonneur
Saul Friedländer Les années d’extermination QL 961 Machiavel Le Prince, bilingue Belles Lettres
L’Allemagne nazie et les juifs 1939-1945 Machiavel La Mandragore, bilingue Belles Lettres

En 1943, dans une clinique en


Allemagne, une jeune femme, sous le
poids des malédictions en chaîne et du
manque d’amour, se déclare morte. Elle
dit s’appeler Blandine.
Vivante, elle s’appelait Esther. C’est
aux États-Unis qu’elle se trouvait, avec sa
famille exilée après la défaite allemande
de 1918. Puis ce fut le retour en
Allemagne, le nazisme, les déchirements
familiaux.
Destruction et tragique reconstruction
d’une femme dans une quête hallucina-
toire – à travers des signes, des traces, une
nature hirsute et des fantômes bien réels –
d’une vérité qu’il ne faut pas dire.

Isabelle Fiemeyer, née en 1964, journa-


liste, critique pendant treize ans au
magazine Lire, a publié Coco Chanel, un
parfum de mystère (Payot, 1999, réédi-
120 p. 16 e
tion poche 2004) et Marcel Griaule,
HARMONIA MUNDI citoyen dogon (Actes Sud, 2004).

JE M’ABONNE À LA QUINZAINE
65 euros
J’ABONNE UN AMI UN AN
ÉTRANGER 86 euros
NOM : PAR AVION 114 euros
ADRESSE : 35 euros
ABONNEMENT  RÉABONNEMENT  POUR UN AMI 
6 MOIS
ÉTRANGER 50 euros
PAR AVION 64 euros

UN AN : 152 t
MIEUX ENCORE : SOUSCRIVEZ UN ABONNEMENT DE SOUTIEN

135, RUE SAINT-MARTIN, 75194 PARIS CEDEX 04 RÈGLEMENT PAR :


CCP 15551-53 P. PARIS – MANDAT POSTAL
IBAN : FR 74 3004 1000 0115 5515 3P02 068
– CHÈQUE POSTAL
BIC PSSTFR PPPAR
La Quinzaine littéraire bimensuel paraît le 1er et le 15 de chaque mois – Le numéro : 3,80 t – Commission paritaire :
– CHÈQUE BANCAIRE
Certificat n° 1010 K 79994 – Directeur de la publication : Maurice Nadeau. Imprimé par SIEP, « Les Marchais », 77590 Bois-le-Roi
Diffusé par les NMPP – Mars 2008

You might also like