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L’Agônie

I.
L’erg de plumes

En passant le noir du seuil de son antre sombre,


J’ai trébuché sur des cadavres, des décombres,
Sans noms ni langage et dépourvus de contours ;
Nulle fleur à voir : il n’y avait point de jour.
Trônant en tremblant sur son épaule un bombyx,
Ses ailes aussi noires que les eaux du Styx,
Semblait se gorger des ténèbres familières ;
Tout semblait là vouloir s’épeler délétère.
Le ranci que sa bouche exhalait infernal
Empoisonnait de ses tavelures létales
Mon esprit terni par de si sombres visions ;
Je n’avais rien vu de tel en nulle occasion.
C’était bien le diable qui siégeait devant moi –
Maudissant mon mépris des hommes et des lois,
J’approchais le démon, cela contre mon gré,
Et je vis en ce jour funeste le maugré.

Appelé jadis à servir le créateur,


Dans sa chute il tournoya en apesanteur,
Et s’abattit misérable dans une brèche
A asservir diables, démons et autres drêches.
Appelé jadis à servir le créateur,
Il lui tourna le dos en briguant les hauteurs
Et, frappé en plein visage d’un éclair blanc,
Son ire supplantée par un courroux plus grand,
Il s’effondra de sa station qui fut paisible,
Chut dans les airs humains, livides et pénibles,
Les plumes de ses ailes tombant lentement,
Virevoltant, calcinées, dans les grondements.

Dans sa chute il tournoya en apesanteur,


Bringuebalé dans l’intervalle de terreur
A ne plus distinguer entre cieux et nuages ;
La douleur fut noyée dans un excès de rage
Intense et que rien n’aurait pu rasséréner,
Pas même la mansuétude du paraclet.
Il ferma d’un seul coup ses yeux d’atrabilaire
Et les ouvrit sur les tristes monts de l’enfer.
L’air suffocant de cendres et de soufre acide
Brûlait toute vie et ne laissait que du vide ;
C’est de cet éther qu’il devrait faire sa lèche.

Il s’abattit misérable dans une brèche


Que les cataclysmes découpèrent jadis

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Avant que ne soit édifiée la ville d’Ys,
Et là s’évanouit, bien avant le temps de Seth,
Tandis que de ses fientes naquirent des bêtes.
A demi-mort il croupissait dans une fange
Qu’il avait imaginé lorsqu’il était ange –
Bien que l’âcre odeur lui écorchât les narines
Il en mangeait pour repousser la mort divine –
Et ne dut son salut qu’à ses meutes hagardes
Qui se sacrifièrent pour chasser la Camarde.
Comme récompense il les immortalisa,
Leur donna le goût du sang, ce qui décupla
Leur soif de mal, de crime et de mauvaise engeance :
C’est cette armée qui assurerait sa vengeance.
De ces hardes obtint des monstres qu’il croisa
Entre eux ; encore avec d’autres il s’accoupla ;
Il greva ses légions avec le ciel en esche,
A asservir diables, démons et autres drêches.

Le temps vint malgré pour l’homme d’être conçu,


Le monde en usufruit pour lui ainsi prévu.
Le meurtre inauguré en les terres d’Eden
Ne ferait que repousser le sinistre Amen.
L’homme bâtit cathédrales et citadelles –
Lui voyait cela mi-sourire de son sapropèle.
Le jour l’horizon d’argile rouge abhorré ;
La nuit la voûte fermant le seuil étoilé ;
Il n’y avait d’autre issue qu’une rébellion –
Car il ne craignait plus les châtiments de Sion,
Ne redoutait plus celui qui l’avait puni,
Celui qui lui infligeait les enfers honnis :
Il n’avait plus à frémir que de cette mort
Qui seule viendrait le délivrer de son sort ;
Alors, refermant son poing devant l’étendue,
Tendant l’index vers la terre et non les nues,
Et d’un cri qui fendit les glèbes condamnées
Exhorta ses cohortes d’un âpre : « Allez ! »
Aussitôt les maudits exultant déferlèrent
Et sous forme humaine envahirent cette terre
Que le créateur besognât tant à bâtir :
Soudain, ils firent ce qu’il y avait de pire.

En un instant il enfanta un nouveau mot


En voisant les funestes syllabes : « Chaos. »

Maintenant adoré il gagna en grandeur


Et trouva un réconfort à son déshonneur ;
Les hommes divisés prièrent diable et dieu ;
La terre ne fut bientôt qu’un sinistre lieu ;
Les parfaits séraphins ne savaient plus que faire,

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Alors il décida de réprimer la guerre.
Ne pouvant se figurer les hommes des diables
Il frappait au hasard au milieu des coupables
En les rejetant par-dessus le précipice :
C’est ainsi qu’il conçut à son tour l’injustice,
Car il maudissait les hommes qui le cherchaient,
Ne leur laissait la triste éventualité
Que d’expirer sans pouvoir expier leur péché.

Alors il décida de tout recommencer.

Il déploya de son envergure infinie


Ses immenses mains qui avaient tout défini,
Et développa son chagrin, et de ses larmes
Engloutit le monde dans un âcre vacarme.
Tous les feux s’éteignirent dans un sifflement,
Et nul ne survécut, sauf ceux des firmaments,
Et les deux par qui les marcheurs devaient renaître,
Que les multitudes devraient nommer ancêtres.

La peine de mort tant attendue ne vint pas,


Et comme un lion en cage en enfer il tourna,
Ne sachant que faire pour que le créateur
Ajoute l’insulte à la blessure, et qu’il meurt.

Il cracha vers les cieux et pleura, abaissant


Cette tête qui souffrît l’opprobre en souriant –
Il entendit venir de là-haut un soupir,
Et comprenant que rien ne pouvait être pire
Que de vivre et de souffrir éternellement,
Il saisit ce soupir, le broya finement,
Et de ces cendres claires une chose surgit
Qu’oncques l’architecte même n’avait saisi :
D’une volute qui éclipsa l’empyrée
Naquit un ange qu’on nommerait Liberté.
Aussitôt, il s’éleva rejoindre ses frères
Parce qu’il était fait de la même matière ;
Mais avant d’atteindre la coupole éternelle
Il se retourna, et d’un seul battement d’ailes,
Offrit le libre arbitre aux hommes à venir,
A ceux qui élèveraient de vastes empires,
Et resterait l’apanage des éphémères.

Contemplant du sol des profondeurs sombrifères


Il croisa les bras, et ni crâne ni honteux,
Il se prit à vouloir patienter pour qu’un vœu
Vienne du zénith et proclamer une trêve ;
Mais Dieu ne semblait plus habiter que les rêves.
Aussi il détourna son regard méprisant,

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Le posa sur le monde humain à son jusant,
S’assit sans hâte sur un sobre piédestal,
Ôta le sang grumelé de quelque féral
De sous ses ongles et, satisfait de sa manœuvre,
Décida de parachever l’étonnant œuvre
Par quelque geste jusqu’à présent inconnu.

De son index il caressa les amples nues,


Se souvint d’une chose à la fois triste et gaie,
Ouvrit les yeux sur l’univers et dit : « C’est fait. »
Il déploya de son envergure infinie
De vastes ailes tels des manteaux d’Erinyes,
Et enveloppa le monde et tous ses espoirs
Dans les plus fins replis de ses élytres noires.

R.B. 24-27/05/2005 Tours

II.
La béance des ténèbres

Poussé délibérément vers le bas, l’abîme –


On l’avait précipité des plus hautes cimes –
Ce n’était pas tant une chute hallucinante
Que le faire d’une volition si puissante
Que nul n’y pouvait résister. Il résista
Tant et si bien que dans son vol il s’accrocha
A quelque scorie d’un nuage de l’aurore,
Mais la foudre vint le frapper plus fort encore.
Son entière volonté freinait sa descente,
Mais la main invisible restait adamante
Et toujours plus bas le tirait. Ses larges ailes,
Qui jadis éclipsaient d’une simple étincelle
Toutes les lumières sauf celle qui aveugle ;
Ses amples ailes, comme un canard qu’on étrangle,
Fouettaient l’éther dans des claquements monstrueux –
Il chutait toujours plus bas, perdu des cieux.
Le bleu des nues tout autour de lui palpitait,
Secoué par un éclair qui sans cesse frappait ;
Et ne comptaient plus ni l’espace ni le temps,
Seul importait l’atmosphère qui se détend
Soudain, juste avant que ne gronde le tonnerre.

Mais c’était sans compter le frottement de l’air.

Bientôt ses plumes d’or qui firent sa fierté


Se consumèrent ensemble jusqu’au duvet,
Même celles qui voletaient derrière lui
Et qui tourbillonnaient depuis un large huis,
Et traçaient le chemin flavescent de sa chute.

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Toutes ces rémiges témoignaient d’une lutte
Ne pouvant qu’être perdue d’avance. Mais il
Ne renonçait pas, ne pouvait renoncer ; il
Se battait avec l’énergie du désespoir,
Ne voulait prendre cette éternité à choir.
Il cahotait, ballotté par les vents robustes,
Cinglé par l’éclair divin symbole du juste,
Et parfois dans un instant de lucidité
Parvenait à distinguer le chemin plumé.

Une à une ses tectrices devenaient cendres –


Il aurait tant aimé pouvoir les reprendre,
Mais elles se consumaient toutes dans le néant.
Et il avait perdu ses plumes de géant,
Sauf une qu’il tenait fermement dans sa main.
Pourtant il souhaitait ne plus voir de lendemain,
Le vrai chemin de la vertu et de l’honneur
Se trouvait là-haut. Parfois, en apesanteur
Il puisait ce souffle venant à lui manquer,
Mais inexorablement il se desquamait.

Puis les vents relançaient le furieux maelström ;


Peu à peu il se sentait moins céleste qu’homme ;
S’il s’extirpait une seconde de la poigne
Il voyait l’abîme en bas, les cieux qui s’éloignent,
L’orée du royaume qui ne l’admettrait plus,
Et il ne voyait rien encore en bas qui fut.

A ses oreilles calcinées rien ne venait


Que le hurlement des trombes des alizés,
Que la tempête et les éclairs du créateur
Qui semblait vouloir y dissimuler des pleurs.
Aussi les fulgurances redoublaient de rage,
Et bientôt la voûte ressembla au plumage
D’obscurs corbeaux qui s’envolent en croassant
Au monde ahuri leurs présages tout puissants.
Ses ailes, dont il ne restait que l’armature,
Giflaient son corps foudroyé couvert de marbrures ;
Parfois d’une bourrasque il perdait connaissance :
L’éclat l’éveillait sur un cauchemar plus dense.

Dix éternités plus tard, la main le tirant


Des fines hauteurs où le bleu devenait blanc –
Il n’en finissait de chuter.
Il se saoula
De ce bleu qui imprégnait désormais ses bras,
Mais au vil toucher de l’Apostat la couleur
Perdit son éclat et oublia la pâleur.
Le cobalt alunant s’étarquait asphalté

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Sur le fuselage ceint de putridité,
Toujours et encore, inexorablement,
Le perdant cachectique étrillé de tourments –
Sa hure de jais avilie face aux abîmes
Saignait de ne pouvoir rédimer ses opimes –
Entre-temps dans les syrtes de l’air émeri
Le bleu scabieux désinait d’amples excories.

Un siècle plus tard il recouvrit sa dépouille


Qui ressemblait à un météore de houille,
Un morceau de charbon incandescent mais vif,
Filant dans les sphères sans heurter de récif,
Oscillant au gré des rayons faisant justice :
Toujours il déchoyait par le long précipice.
Dans les turbulences cérusées des sanies
Suintaient hideusement de ses plaies d’infamies.

Soudain il ouvrit les yeux et contempla l’astre


Que son maître avait soutenu par des pilastres.
D’abord apparut un point bleuté minuscule,
Qui croissait comme les cieux prenaient du recul ;
L’ovale de ses contours se définissait ;
Bientôt le précis d’un paysage sensé
S’offrit à sa vue et malgré les afflictions
Il réussit à revenir à la raison.
Il perçut la terre et voulut s’arrêter là,
Ignorant qu’il devrait tomber toujours plus bas.

Sa volonté qu’égalait son opportunisme


Lui fit percevoir, à l’écart, un étrange isthme,
Et battit si fort de ses ramures en ruines
Qu’il parvint à se diriger malgré la bruine
Que l’ouragan divin faisait pleuvoir sur lui.

Il était quelque part au milieu de la nuit.

Filant comme le trait d’un arc décoché,


Il s’approcha de la roche tant convoitée :
Tel un rescapé se raccrochant à l’écueil
Qui causa de tout son équipage le deuil,
Il enserra de ses longs doigts cadavériques
L’espoir apporté par le monde tellurique.
La stupeur que ses membres chutant provoquèrent
Fit trembler les pilastres sur leurs acrotères ;
L’univers entier frémissait de ces secousses,
Même son empyrée hors de portée de tous.
Dieu prit peur, et d’un geste triste et lent et fort
Il fit tomber la pluie et envoya la Mort.
Le déluge eut raison du ténébreux rebelle

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Dont les mains se décrochèrent de la margelle.
Dieu rappela la Mort qui ne consentit point.
Il foudroya l’indigne de plus de chagrin.

Il n’en finissait de tomber.


Ses ailes mortes,
Comme ces culs-de-jatte que rien ne supporte,
Pendaient inertes à ses côtés, et ses yeux,
Saturés de larmes d’agonie et de feu,
Ne désiraient plus s’ouvrir que sur les ténèbres.
Le tumulte des vents, ces arias funèbres,
Berçaient le condamné qui ne se battait plus.
Le monde des hommes, arraché à sa vue,
Luisait loin au-dessus de lui à présent ;
Et le corps mutilé par les divins tourments,
Et l’âme essoufflée dans cette poitrine ouverte,
Et son être pourri par l’erreur découverte –
Il s’effondrait dans un inconnu sans couleurs.

Il souffrait, il gémissait, et il avait peur.


Peu à peu la sphère autour de lui s’empourprait :
Le bleu décoloré par-dessous l’empyrée
Se teintait par instants de milliers de nuances,
S’assombrissait soudain jusqu’à être garance,
Et les éclairs assourdissants frappaient toujours.
Il savait à présent ne plus revoir le jour.
Les siècles se succédèrent dans les abysses ;
La rêche obscurité gagna sur le jour lisse.

III.
La déchéance

Depuis longtemps il avait passé le néant,


La main obstinément plus profond l’emmenant,
Le ballottant dans les vortexs d’un conduit ;
Depuis un temps déjà il ne voyait plus l’huis.
Les corniches n’offraient nulle saillie solide,
Alors il se laissait chuter tel un bolide.
Il savait habiter l’éternité des nuits,
Il savait n’y avoir aucune faille au puit,
Il savait que l’architecte veillait au grain :
Il entendit se fermer le verrou d’airain
Des gigantesques portes de jade marbrées :
A l’instant il sentit son poids de condamné.

Les cieux laissèrent leur place à la roche dure,


Là, plus de bleu, mais des noirceurs et des bringeures.
Ici la lumière dégageait des chaleurs
Etouffantes et excoriantes, des odeurs

© Copyright Rodolphe Blet 2009


De soufre et de rance et d’arsénite et de feu :
Il était le premier à pénétrer ces lieux.

Un instant en l’air vicié en apesanteur :


Toute la mesure du lieu vu des hauteurs.
Son regard frôlait l’horizon des horizons :
Des cimes acérées et aucune saison,
Des plaines stériles – nulle végétation –
Pas même un lichen sur ces roches en fusion,
Pas un seul être vivant à des infinies :
L’unique accès venait de se murer sur lui.

Un dernier trait zébré venu d’on ne sait où


S’abattit sur sa nuque en craquant de courroux.

Celui qui, jadis, fut le premier messager,


L’ange de la lumière par tous respecté,
Celui qui brandissait les rayons de l’aurore,
Celui qui avait Dieu pour unique mentor,
Tombait plus vite alors que la main l’attirait :
Inconscient, il tourbillonnait sans arrêt et
Il acheva sa course, pareil à la flèche
Perdue de l’archer, assourdi dans une brèche.

Il agonisait. Autour de lui les volcans


Vomissaient leur lave et leurs sombres océans
De cendres, de fumerolles et de poison ;
Partout les cieux étaient recouverts d’un plafond
D’obsidienne enflammée, de lourdes stalactites ;
Sur le sol, pointe en l’air, des dagues de néphrite
Tranchaient la suie balayée par les tourbillons
Que formaient les tornades sans nom. Le brouillon
Des avalanches qui faisaient vibrer la terre
Epelaient sinistrement les lettres : Enfer.

C’était un lieu où le jour était inconnu,


Et de sa nouvelle station nommée Schéol
Voyait pour la prime fois au niveau du sol :
Son horizon était sans cesse retenu
Par maintes crêtes tranchantes comme des haches,
Où le noir dans les ténèbres formait des taches,
Où la Mort n’avait jamais eu à officier,
Où les directions biffées se contredisaient,
Où tout tremblait dans un impensable chaos,
Où tout s’enténébrait, où le bas et le haut
Fulminaient de concert leurs desseins meurtriers,
Où l’atmosphère de poussières saturée
Suffoquait la vue jusqu’aux confins de l’espace,

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Où les éléments mortifères tenaient place.

C’était un bagne où il était l’unique chiourme,


Et faible et impuissant et rongé par la gourme,
La douleur déformait ses traits sur son grabat
Que composait une couche d’épais gravats,
Et invalide et ravagé par les horions
Il glissait doucement dans la dévastation ;
Il grippait ce souffle venant à le quitter
Et l’absence d’éther le faisait haleter.
Dans la profonde misère de sa sentine
Il implorait sa sébile de cicutine,
Pour qu’il puisse rendre au démiurge sa prébende,
Pour qu’enfin cesse cette insoutenable amende.

Son habit de lumière, collé à sa peau,


S’était éteint, rongé en de noirs oripeaux.
Les vexilles de ses ailes carbonisés
Faisaient sûrement de ses frères la risée –
Mais ils n’avaient pas eu le courage de dire,
De dénoncer cette envie qui les envahirent
Tous, du plus humble au plus puissant, du plus radieux
Au moins resplendissant : le seul châtié de Dieu
Devait payait l’hubris de lâches et de pleutres :
Chacun l’avait trahi en ne restant pas neutre :
Ces capons étaient revenus sur leur parole :
Ils avaient jugé qu’il ne valait qu’une obole :
Il était resté seul du côté de sa jauge.

L’indigence forcée de sa sinistre bauge,


Avec sa puanteur, sa chaleur infernale,
Leur donnait raison, pourtant eux n’avaient pas mal,
Ils ne souffraient pas les affres qu’il endurait,
Ils ne connaissaient rien du calvaire des traits
Qui transperçaient peau, tendons et os sans efforts
Et qui vous poussaient plus près du seuil de la mort ;
Ils ignoraient tout des maux du long précipice,
Ils n’imaginaient qu’il eût pu créer supplice
Aussi démesuré, aussi intransigeant :
Pour lui Dieu avait corrompu leur entregent.

Il était le seul à avoir ouvert les yeux,


Et le seul à contempler l’haïssable lieu.

Des mois durant c’est là qu’il devrait s’étioler,


Dans ce bouge immonde et abject et bariolé,
Où rage et honte devraient lui dicter sa gronde,
Là qu’il devrait fomenter en secret sa fronde.
Dieu dans son infinie sagesse avait accru

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Que comme ses outrés pouvoirs s’étaient accrus,
Qu’il était devenu démesurément fort
Et que forcément il n’était jamais d’accord –
Qu’il méritait donc un châtiment exemplaire.

Repensant à cela, souriant sur l’enfer,


Il se remémora l’anicroche fatale,
Celle qui lui valu d’être enclos sous la dalle –
Bien entendu qu’il avait convoité sa place,
Qu’il se considérait plus apte à faire face,
Qu’il toisait le birbe podagre cacochyme,
Qu’il lui avait craché au visage son chyme.

Dieu l’avait jugé félon et incontinent :


Exilé sur le plus fangeux des continents,
Telle prononcée fut la sentence divine.
Il n’avait eu le temps d’accomplir sa rapine,
Et le faisant observer au grand architecte
Celui-ci lui répondit un patient : « Correct. »
Et avait poursuivit en lui disant, brisé :
« Le péché est commis dès lors qu’il est pensé. »
Le grondement de la tempête avait surgi,
Et l’index vers le bas il lui dit : « ci-gît. »
Aussitôt un sourire aigri se dessina
Sur son visage que le soufre burina :
De tous les affronts qu’il avait dû endurer
Un seul faisait le ressentiment perdurer :
La perte de ses ailes. Il ne comprenait pas
Pourquoi Dieu n’avait point désiré son trépas.
Cela lui semblait un bien écœurant mystère :
Toujours Dieu s’attachait à apparaître austère.
Comme s’il était capable de tout prévoir !
C’était impossible, il n’avait pas ce pouvoir.
Sinon il aurait dû étouffer sa révolte
Dans l’œuf ; mais l’on n’obtient que ce que l’on récolte.
Il méprisait du créateur l’omnipotence,
Lui-même s’était essayé à l’expérience
De l’œuvre : il en avait entrevu la puissance.
Il créa un être grâce à ses manigances.
Son être en cirrus avait péri sous la foudre,
Lui qui avait passé tant de temps à le coudre ;
Mais il n’avait nul chagrin : il en créerait d’autres.

Ce fut fait. A ses pieds, piaffant dans une vautre,


Les démons nés des saumâtres fientes jouaient
Avec les restes d’un fiasco d’horions roué.

IV.
En le noir de la tombe

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Abîmé des ans dans l’évanouissement,
Il s’était éveillé au mitan d’excréments ;
L’air fétide à l’intérieur de la brèche sale
Enfanta des démons au lieu d’être létale.

Il passa des saros ainsi puis il sentit


Au gré des jours qui se précisaient sans bruit
Un mal sourdre de ses intestins nouveaux-nés :
Il avait sur son corps l’impression du toucher –
Une vive douleur lui dama l’estomac,
Et avant même de comprendre, il empoigna
Une créature ruisselant de ses fèces
Puis l’engloutit.
Il dut souffrir d’horribles vesses.
Pour la première fois il devait se nourrir.
Et ce besoin si physique le fit souffrir.
Vomissant mais continuant à dévorer,
Une nouvelle sensation là l’étreignait :
Il insulta Dieu car il connaissait la faim :
A chaque bouchée il devenait plus humain.
Réalisant cela il décida souffrir
L’appétit plutôt que de servir son désir.
A partir de ce jour il ne mangea plus rien,
Et pour tromper ce sein qui criait son besoin
Il se mit à rêver. Des temps ainsi passa
Inerte au fond de sa grotte en piteux état.
Fit des rêves qui sustentèrent son esprit,
Pensa avoir vaincu la douleur enfouie.
Mais machinalement en son sommeil crochait
Quelque sbire trop curieux qui s’était approché.
Il s’éveilla un jour baigné d’hémoglobine
Et comprit, la gueule empâtée aruspicine,
Qu’il ne gagnerait en force qu’en ingérant :
Ses troupes rameuta et à grands coups de dents
Fit des monstres ses enfants un large festin
Ce n’est qu’après trois jours qu’il domina la faim.
Ayant recouvré ses forces ne lui restait
Que l’espoir de le supplanter à retrouver.
Il se releva, grigna, vacilla un peu,
Fit quelques pas, chut, et la hargne dans les yeux
Se redressa puis résolu mais malhabile
S’approcha du seuil de l’antre pestilentiel,
Attendit un moment, prit son inspiration,
Sentit sourdre en lui le désir de création,
Fit un pas au dehors.
Au sortir de sa grotte,
Contemplant l’horizon il créa la garrotte ;
Il fit un pas au dehors, conçut l’échafaud ;

© Copyright Rodolphe Blet 2009


La guillotine lui vint en songeant la faux ;
Il pensa le meurtre en imaginant le glaive ;
Inventa la guerre en éradiquant la trêve ;
Il comprit le feu grégeois et la catapulte
En considérant les volcans et leur tumulte.

Sondant l’enfer il n’aurait su dire comment


Et pourquoi il se sentait dans son élément ;
Il régnait là un tel chaos, un tel fracas
Que les sens en étaient déboussolés, et là
Et ici dormait tout le nécessaire au crime –

Il s’aperçut que Dieu le regardait des cimes.


Son regard traversait le chemin de sa chute,
Traversait éther, océans, magma et buttes,
Ignorait les plumes brûlées tombant encore,
S’achevait sur sa nuque et appréciait son sort.
Il détourna les yeux pour croiser ce regard :
Il crut voir Dieu comprendre qu’il était trop tard.
Car en le désignant comme son seul rival
Il en avait du même coup fait son égal.

Des siècles durant il fit pulluler ses bêtes,


Attendant de pouvoir les déchaîner sur Seth,
Fouaillant ses légions à la recherche de traîtres :
Ces hères-là devenaient les bras droits du maître.
A tous il leur donnait des noms, sans exception,
Car il voulait l’ordre dans la contradiction,
Il voulait que toutes ses légions obéissent :
Il procédait donc souvent à des sacrifices.

D’un tesson de ténèbres il se fit des élytres ;


De ses déjections il enfanta des bélîtres ;
D’un bris d’obsidienne il se forgea une épée ;
D’un mélange de chair et de sang très épais
Il accoucha de cent noms sinistres : vouivre,
Tarasque, dragon, hydre, charognard et guivre,
Et puis encore djinn, drée, chimère et basilique :
Une sombre engeance, féroce et famélique.

Il n’avait que faire du ciel, ce galetas :


Il foulait l’infini de l’enfer sous ses pas :
Il avait des armées à son commandement
Il se voyait perdre dix mille régiments
Sans sourciller, sans même un soupir de dégoût :
Il s’imaginait remplir de morts les égouts
Du paradis et de la terre des humains :
Il s’augurait créateur en un tournemain :
Puis revenait à son esprit sa décadence :

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Il devenait subitement songeur et rance.

Il rêvait d’atroces barouds manichéens,


De conquérir le firmament marmoréen ;
Il voulait retrouver sa lumière bénie,
Recouvrer sa splendeur de jadis là honnie,
Se venger de l’humiliation, de la défaite,
Sillonner comme autrefois la ligne de faîte
Des montagnes d’où il préparait le grand œuvre
De l’architecte.
A présent il se sentait pieuvre
Et ne lâcherait sa proie qu’une fois défunte :
Il regardait Dieu qui surveillait de l’enceinte :
L’avait-il épargné intentionnellement,
S’agissait-il d’un sibyllin agissement ?
Avait-il survécu car il appartenait
Au divin continent cousu d’éternité ?

Il décida n’y avoir aucune réponse.

Il laissa tomber son morceau de pierre ponce,


Contempla quelques instants son ténébreux glaive,
Et d’un cri guttural brisa la longue trêve :
Les noirceurs opaques, à l’instar de la mer,
Déferlèrent en vagues, lançant leur poing en l’air ;
Et d’un bond majestueux il prit son envol,
Ses élytres fouettant qui les monts qui les cols,
Et s’éleva plus haut, atteignit le plafond,
Contempla un instant ses terribles légions,
Puis d’un formidable coup d’estoc et de taille
Brisa les chaînes qui fermaient le haut portail :
Enfin les gémonies étaient ouvertes en grand,
Enfin résonnait les cris, les appels au sang ;
Puis, bandant son poing fermé au-delà des portes,
Tendant son index, désignant aux cohortes
Non le ciel mais l’astre dans l’espace étoilé :
La terre, puis hurla à ses sbires : « Allez ! »

Tandis que les damnés franchissaient l’huis maudit,


Tandis qu’au même instant s’ouvrait le paradis,
Il regardait la plume en son poing conservée,
La seule qu’il avait pu des foudres sauver.

Dieu sur terre avait lancé ses cohortes d’anges


Afin d’exterminer les troupes de la fange.

Sa ruse fut plus efficace qu’un transfuge,


Car il avait humanisé les lucifuges
Usant de la tare par Dieu inoculée :

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Ainsi les colonnes d’êtres immaculés
Pouvaient bien agiter leurs ailes de géants,
Car les démons se confondaient avec les gens.

Jamais il n’avait vu de spectacle aussi beau :


Il sut spontanément qu’il s’épelait : « Chaos. »

Pendant un temps régna la pire confusion ;


Les démons gagnèrent les villes, les bastions,
Villages et cantons ; investirent les lieux
Où les hommes vivaient ; des peuples les plus vieux
Jusqu’aux cités les plus récentes ils convoitèrent,
S’infiltrant insidieusement dans les artères –
Ils semèrent une telle pagaille invisible
Que les séraphins même taisaient l’indicible :
Personne n’aurait pu faire la différence
Entre les hommes, bons ou mauvais, et l’engeance.

Il y avait une variété de démons


Incroyable qu’il en oubliait tous leurs noms,
Mais en tous il mettait sa confiance tranquille :
Bientôt à lui seraient le monde et ses cents villes.

Il avait inventé maints vices et maints outrages,


Mais dans les hommes et les femmes de tous âges,
Il trouva d’audacieux disciples plus amènes
Que les servants de Dieu ou des catéchumènes.
Il passa le flambeau aux hommes sans vergogne
Qui d’un côté étaient démons, de l’autre cognes :
L’ubac maléfique et l’autre versant humain.

Du mitan des houris parurent les catins,


Les argousins se distinguèrent des butors,
Des tire-laines naquirent dans tous les ports,
Les schabraques officiaient en toutes guérites,
Les soudards bambochant faisaient la chattemite,
Le colback de travers et rien qu’un liard en poche,
Aux maritornes qui ne semblaient plus si moches.
Ses armées commettaient mille et une rapines,
Mais l’homme se sentait si bien dans les sentines,
Vêtu de guenipes, à manger des graillons,
Plutôt que d’arpenter le dévot raidillon,
En quête de ce Dieu qui ne se montrait pas,
Alors que l’autre guidait chacun de leurs pas.

Désormais adoré avec faste et splendeur,


Sentant se résorber sa plaie de déshonneur,
Il décida de lui aussi venir sur terre,
Pour se débarrasser des anges lucifères.

© Copyright Rodolphe Blet 2009


D’un geste rageur Dieu les fit tous remonter –
La lame obsidienne frappa la voix lactée –
A l’abri dans les glorieuses sphères célestes :
Il aurait pu les vaincre eut-il été plus leste.

V.
Les derniers mots

Les cieux un instant par le glaive disloqués


Furent aussitôt par lui, l’œuvreur, désobliqués.

Voyant celui qui oncques fut son protégé


Voltiger vers la terre et non son hypogée,
Il décida de mettre fin à cette guerre.

L’index droit de sa main qui perça les sphères


Se figea sur les contrées par le mal rongées.
D’une voix muette il leur ordonna : « Ouvrez ! »
Les foudres incisèrent un large précipice –
Les vents s’engouffrèrent sifflant dans cette fisse –
Et des milliers de gens périrent dans ces affres,
Précipités au plus obscur de la balafre.

Ainsi succombèrent ensemble pèlerin


Et pécheur – mais l’architecte n’y pouvait rien.
Il n’avait qu’un moyen pour châtier les coupables :
Frapper tout ce qui était de fait condamnable.

Il comprit l’oukase de cette décision :


Il n’y aurait bientôt plus que des avortons.

L’ange injustice ainsi créé vola vers lui.

Il vit que rare furent ceux qui avaient luit


Avec autant d’ardeur ; alors il sanglota.
Alors, comme l’autre, il comprit et complota.

Ainsi naquirent le nombre, puis le zéro ;


Ainsi il désigna un, puis un autre, héraut.
Il vit dans les nombres palpiter une histoire ;
Du zéro émergea un ange nommé : « Moire »
Qui vint grossir les rangs de ceux qui servent Dieu ;
Il vit cet homme et cette femme entre les pieux,
Leur accorda ce pardon qu’il ne donnait pas,
Celui qu’il devrait pourtant offrir à Judas,
Et d’un geste lent et pénible et laborieux
De ses vastes mains qui façonnèrent les cieux
Il ouvrit l’empyrée et déchaîna ses foudres ;
Et les pluies tombèrent d’abord en fine poudre,

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Puis déferlèrent sur tous les panoramas
Où l’homme avait vilipendé de son damas
Les familles et les ouvrages de ses pairs ;
Les trombes ensevelirent les ossuaires,
Les déluges biffèrent les œuvres malines,
Etouffèrent les brasiers rasant les collines,
Et ni homme ni démon ne fut épargné
Et les ténèbres bleues churent sur le charnier.

Les nombres poursuivirent leur divin décompte,


Et les deux qui n’avaient jamais connu la honte
Egrenèrent les chiffres qui firent les jours
Et à l’horizon l’ample bleu vibrait toujours.

Dans un accès de rage il dissona leur perte


Et de son souffle pestilentiel inalerte
Ballotta le frêle esquif du bon nautonier.
Il voulait qu’il abjure, qu’il en vienne à nier –
Dut-il l’envoyer incontinent par le fond –
Noé le nocher finissant en goémon,
Il anéantirait l’espoir de l’ennemi :
Il devrait gâter ou le sol, ou le semis.

Mais rien n’y fit : les eaux étaient de leur côté.


Pantelant de hargne et contraint à s’accoter
A un colossal éperon, blanc et splendide,
Il laissait sa bave maculer son égide,
Mêlait ses pleurs aux sombres flots des océans :
Le sel de ses larmes chaula tous les brisants ;
Des peuples mauvais germèrent dans les abysses ;
Ainsi il se souvint avoir créé le Styx.
Il ne patienta point pour voir proliférer
Les hommes qu’il avait voulu légiférer :
Il regagna l’enfer.

Il crut devoir mourir


Là et non sur terre. Un seul de ses sourires
Etait né d’innombrables souffrances communes,
Avait jailli d’autant de gouttelettes brunes.

Accroupi, meurtri en la scotie d’un ravin,


Il serra les dents de rage puis il devint
L’Héosphoros, resté seul parmi les élus,
Le son d’une étoile qu’on ne reverrait plus,
Perdu dans l’haleine des souffles hespériens,
Et qui, au rebours de ces nantis, n’avait rien.

Il n’y avait plus du mal qu’une particule


Dans la clarté opaline du crépuscule.

© Copyright Rodolphe Blet 2009


Il avait les mains dans la fange de la fosse,
Lui qui naguère fut le grand Héosphoros,
Celui qui voyagea jusqu’au noir hespérion
Envolant au devant de lui le globe albion,
Illuminant le tapis de nuages blancs –
Comment laver l’affront d’une chute à néant ?

Il revint à l’endroit qui avait vu sa chute.


Une empreinte étrange en contrebas d’une butte
Se silhouettait sur le socle rocailleux :
Son profil recroquevillé et inglorieux
A son point de chute dessiné par la suie
Qui inlassablement tombait comme la pluie,
Se détachait en un fœtus ineffaçable.
Sa destitution s’enténébrait implacable.

Il appela alors la Mort qui ne vint pas.

Il sut qu’elle n’obéirait à aucune loi,


Divine ou démoniaque. La sombre injustice
Du bâtisseur se décupla en maléfice :
La belle et grande Mort avait désobéi –
Pourtant c’est lui qui se retrouvait amuï.
Ni alliée ni ennemie – mais fondamentale :
Elle tuerait jusqu’à l’hémisphère vespéral.

Il perçut son destin, sa fonction, toutefois,


Se sentant des affinités il se nomma
Pâtre des morts, et assidûment il tentait
De la soudoyer, de l’allouer à son côté.

Mais jamais il n’y parviendrait, ni Dieu d’ailleurs :


Toujours ils seraient obligés par ses humeurs.

Une fois de plus Dieu l’humiliait en roupie.


Il pleura, serra les dents, mâcha son dépit
Et le cracha à la face des cieux placides.
De ce crachat vétuste rien ne voudrait naître.
Les soupirs, seuls, apportent à ceux qui regrettent.
On sait qui naquit d’un soupir, ce qui advint
De cet être qui valait tous les séraphins.
L’ange alloua d’une malice bienveillante
Le libre arbitre aux hommes.
Devenue vacillante
L’humanité sombra un peu plus dans l’abîme,
Plus rien ne semblait habiter les muettes cimes :
Dieu édicta l’ultime parole suprême :

© Copyright Rodolphe Blet 2009


« Que le silence éternel soit leur anathème. »

Quand l’aurore empourpra l’orient ce nycthémère,


L’espoir fut pétrifié pour le peuple éphémère.
On pensa ne pas y avoir de rédemption,
Mais c’était sans compter le fils venu de Sion.

Pendant que Dieu au mitan des humains prêchait,


Que la joue tendue il rachetait les péchés,
Que l’absolution anticipait son pardon,
Lucifer, sis en sa fulminique prison,
Détourna son regard saturé de mépris
Des nues qui ne dévoilaient plus rien de nouveau,
Se cura les ongles de quelque malappris
Et décida de quelque geste ab ovo :
Il ne tirerait plus son pouvoir du phosphore
Mais des mystères abyssaux de la métaphore.

De son index alors il caressa les nues,


Se souvint d’une boîte à mille contenus,
Ouvrit les yeux sur l’univers et dit : « C’est fait. »
Ni Dieu ni diable n’en pourraient voir les effets
Que si l’un d’eux venait à maudire le monde :
Mais aucun ne se satisferait des émondes.
Ni l’un ni l’autre n’abdiquerait ce royaume :
Chacun profiterait de la gloire de l’homme,
Chacun pourrait alors affirmer son pouvoir
En affirmant son existence aux yeux des moires.
Dieu vivrait mais devrait recommencer toujours
Son œuvre qui monopolise son amour.
Lui, l’Héosphoros, devrait patienter dans l’ombre,
Faire accroire que rien ne vient après la tombe,
Mesurer sa puissance à l’aune du néant,
Ainsi conquerrait-il son âme de géant.

Sûr de sa primauté il défiait le zénith.

Son destin est gravé dans le noir du granit.

Il déploya de son envergure infinie


De vastes ailes tels des manteaux d’Erinyes,
Et enveloppa le monde et tous ses espoirs
Dans les plus fins replis de ses élytres noires.

Les hommes quêtèrent les instances divines :


Tous se heurtèrent au mur aphasique d’éden.
Tous cherchèrent indifféremment démon et Dieu,
Et bien entendu ne trouvèrent aucun des deux.

© Copyright Rodolphe Blet 2009


C’est ainsi que sur mon chemin, grâce à la lune,
J’ai vu cette grotte qui n’en était point une ;
Mes pas criminels aimantés vers l’intérieur
Passèrent des cadavres noirs dans les noirceurs,
Et dans l’obscurité sans nom, dans cette cave
Qui jadis avait expectoré de la lave
Sur les contrées inexplorables de ce globe ;
Au plus profond des profondeurs luminophobes
Siégeait un être qui longtemps avait chuté.
A présent on doutait qu’il eût bien existé.

Sis sur son épaule quelque insecte vibrait –


Un bruissement d’ailes en murmure obombrait
Les épontes acérées de cents stalactites –
Ça puait le soufre et la haine et la panclastite,
Et mes yeux que ne cherchaient ni diable ni Dieu
Durent contempler le gangrené le plus vieux.

L’Héosphoros plongea son regard dans le mien –


Cela mis à part, je ne me souviens de rien.

© Copyright Rodolphe Blet 2009

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