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Mais, plus encore, c’est le croisement de leurs esquisses qui nourrira le lecteur
pour sa participation à un débat qui nous concerne tous ; les artistes ne sont-
ils pas, de par leur sensibilité au monde, les premiers à réagir à l’évolution de
nos sociétés ?
Comme dit CharlElie, « l’artiste est un éclaireur ».
Notre initiative souhaite ainsi rendre un hommage original à tous les artistes
en affirmant qu’ils sont, plus que jamais, au premier plan des tensions qui fabri-
quent le liant de notre humanité, que leurs inquiétudes sont les nôtres, que
leur devenir en dira long sur nous-mêmes et nos manières de vivre ensemble…
Le problème ?
Entre autres l’évidente « question du surnombre », posée telle quelle par le
philosophe et sociologue Pierre-Michel Menger : « En 2020, il devrait y en avoir
beaucoup plus encore. Bonne nouvelle ? Pas si sûr. »… un constat qui semble
bien partagé.
Monique Dagnaud, ancienne conseillère du CSA, tente même les chiffres,
« dans Paris, sur 104 000 chômeurs indemnisés, 33 600 sont des comédiens, des
photographes, des musiciens, des metteurs en scène ou des intermittents du
spectacle – en 2006, ils étaient seulement 7 800 ». De quoi justifier la mise en
débat d’un « bouclier artistique » afin d’envisager une autre organisation du
partage où, au-delà d’un certain revenu, les superstars reverseraient leurs royal-
ties dans une caisse commune…
De fait, la disparité s’accélère, à la limite de la disparition. L’ancien rédacteur
en chef du Monde de l’Éducation, Jean-Michel Djian, voit l’artiste de demain
« noyé dans l’anonymat », car « devant la constante augmentation de l’offre
artistique non hiérarchisée, c’est désormais l’artiste médiatisé qui occupera
le terrain ».
Aura-t-on le choix ?
C’est le même thème qui motive Pierre Sauvageot, artiste multiforme et adepte
de l’espace libre : « L’histoire retiendra que 2020 sera l’année où l’Académie
française procédera à l’avènement de deux nouveaux termes : l’art-money
pour l’ensemble des pratiques artistiques reproductibles, et l’art-tisanat, pour
les actes artistiques vivants. »
Bien sûr, on comprendra que le Net est passé par là et qu’il s’impose à tous
comme un vecteur de tensions, de « guerre » même pour reprendre le terme
employé par Jean-Robert Bisaillon, musicien québécois et aujourd’hui « consul-
tant en approches numériques appliquées à la mise en marché musical ».
« Paradoxalement, les artistes n’étaient pas préparés à vivre un tel choc ; ils
avaient soudainement à charge de protéger leurs idées et d’assurer leur futur,
tout en prenant la défense d’une innovation que certains pointaient comme
la source de l’érosion de leur métier » diagnostique-t-il dans sa fable futuriste
intitulée La falaise.
Paradoxe ou paradigme ?
On estime que la dématérialisation des œuvres détruit leur rivalité. Mais sup-
prime-t-elle la concurrence dans le monde du « tous artistes » ? Déjà, dans son
parallèle scientiste, Jean Audouze indique que, aujourd’hui, « le monde de l’art
ressemble aussi à celui de la recherche scientifique sur un [autre] point, celui
d’une concurrence exacerbée ». Alors demain ?
Gilles Castagnac,
directeur de l’Irma