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La légende de Little Eagle
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La légende de Little Eagle

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About this ebook

Août 1944 : un très jeune aviateur américain meurt près d’un petit village de Bourgogne en voulant éviter de détruire une maison sur laquelle son appareil endommagé tombait en piqué.

Près de 70 ans plus tard, Hélène Marchal découvre les faits. Et elle a une révélation. C’est grâce à ce pilote, qui aurait pu sauter en parachute, qu’elle a pu voir le jour. Sa mère, âgée de 4 ans à l’époque, se trouvait dans cette maison, qui aurait été détruite s’il ne s’était pas sacrifié. Qui était donc ce premier lieutenant au nom français, John Philip Garreau ?

Hélène – une journaliste – part enquêter dans le Montana, d’où il venait. Grâce à des rencontres et des documents, elle parvient à reconstituer sa vie. Sa légende, puisque ce mot est fortement lié à un événement majeur – en l’occurrence déterminant pour le destin d’Hélène – et indissociable du personnage par lequel il est survenu.

Mais la narratrice découvrira aussi que les mystères du destin peuvent se révéler de manière bouleversante, se tissant au fil de son enquête et reliant tous les protagonistes de cette histoire dans le temps et dans l’espace.

« Un grand roman, un roman dont l'auteur a le souffle nécessaire pour vous entraîner d'un village de Bourgogne au Montana en passant par Londres et la Corse, où le héros noue un lien avec l'écrivain Antoine de Saint-Exupéry, qui joue un rôle non négligeable dans les méandres de ce récit grandiose. »
Daniel Ducharme/Ecouter, Lire, Penser

« Un roman à la hauteur de ce qu’on peut trouver dans les meilleures maisons d’édition. Ce qui confère son unicité à la vie de Johnny Garreau, c’est l’impact qu’elle a eu sur d’autres, impact relevé et illustré par les investigations de la narratrice. La légende de Little Eagle nous apprend que personne n’est jamais seul. »
Thomas Galley/La Bauge littéraire

Florian Rochat, journaliste et écrivain, vit en Suisse. Après Cougar Corridor (2009), La légende de Little Eagle est son deuxième roman.

LanguageFrançais
Release dateNov 28, 2011
ISBN9781465922731
La légende de Little Eagle
Author

Florian Rochat

Florian Rochat is a French mother tongued journalist and writer living in Switzerland. He is fond of nature and loves hiking and cross country skiing. He also likes trekking on different continents, notably North America. He went several times to Montana to research his two novels, "Cougar Corridor" and "La légende de Little Eagle", translated in English under the title of "The Legend of Little Eagle". He has a flatcoated retriever, Kidoo, and wrote a book about her and his former dog Droopy, "Un printemps sans chien". Journaliste et écrivain,Florian Rochat vit au pied des montagnes du Jura suisse, où il pratique de manière assidue la randonnée et le ski de fond. Il aime également "trekker" dans des contrées plus lointaines et est amoureux de l'Ouest américain, notamment du Montana, "terre d'ancrage" de ses deux romans. Les auteurs de ces régions (Jim Harrison, Rick Bass, William Kittredge, Ivan Doig, James Welch, Jim Fergus, Norman McLean, Louise Erdrich, Dan O'Brien) nourrissent ses lectures depuis plusieurs années, mais il admire aussi Philip Roth, Jeffrey Eugenides, Jonathan Franzen, Michael Connelly et John Irving. Florian Rochat a publié deux ouvrages chez des éditeurs traditionnels: un document sur la vie au travail en France, La Saga du boulot, et Cougar corridor, roman écologique sur les lions de montagne. Convaincu des nombreux avantages - pour les auteurs comme pour leurs lecteurs - offerts par les développements de l'édition numérique, il a choisi d'autopublier son nouveau roman, La légende de Little Eagle, sous cette forme dématérialisée. Celles et ceux qui restent réfractaires aux liseuses électroniques, ou qui auraient des difficultés à les maîtriser, en trouveront cependant une version papier sur le site d'Amazon.com.

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    Book preview

    La légende de Little Eagle - Florian Rochat

    Pour

    Jean-Bernard Desfayes, fin connaisseur

    de l’aviation et précieux copilote dans les

    scènes aériennes de ce livre

    et

    Stéphane Jordi, supporter enthousiaste

    de cette aventure, qui a présidé à sa

    mise sur orbite numérique.

    Prologue

    - Les voilà! Altitude environ vingt mille pieds. A deux heures, lança le commandant de vol.

    Tout en amorçant une légère ascension, les cinq escadrilles de douze avions se déportèrent sur la droite pour se placer dans le sillage des quatre-vingt forteresses volantes dont la mission, ce 16 mars 1944, était de pilonner une fabrique de munitions proche de Hanovre. La jonction entre les chasseurs et les bombardiers, qui avaient décollé de différentes bases dans le sud de l’Angleterre, s’était effectuée comme prévu vers 8h45, au-dessus de la Mer du Nord, en vue des Pays-Bas.

    John Philip Garreau sentit son pouls s’accélérer à l’idée de pénétrer bientôt dans l’espace aérien allemand. Il pensa à ses parents, à ses amis. A Jeff Thorsen, son mentor, auquel il devait tant. «Nous y voilà», se dit-il. L’épreuve de vérité. Le baptême du feu. La guerre. Savoir s’il allait se montrer à la hauteur, ou – comme beaucoup d’autres – être tué lors de sa première mission, ces questions l’effleurèrent mais il les chassa sans effort, tant sa concentration était intense. Il fallait suivre le cap imprimé par le chef du groupe, lui-même suivi par le leader de chaque escadrille, pour aller se positionner au-dessus et autour des B-17 que les tout nouveaux P-51 D Mustang étaient chargés de protéger des chasseurs allemands.

    Sur leur base de Metfield dans le Suffolk, les pilotes du 353e groupe de combat de la 8e armée de l’air américaine s’étaient levés à cinq heures trente. Ils s’étaient livrés à une toilette sommaire à l’eau froide dans les lavabos de leurs cantonnements. Certains s’étaient rasés pour éviter l’effet abrasif qu’avait le masque à oxygène sur une rugueuse barbe d’un jour, mais la plupart l’avaient fait le soir précédent avant d’aller se coucher. Ils avaient revêtu leur tenue de vol – chemise de flanelle, pull de laine, caleçons longs, pantalons molletonnés, bottes fourrées, blouson de cuir doublé de peau de mouton, sans oublier l’indispensable foulard de soie sans lequel, à force de bouger la tête des milliers de fois à droite, à gauche, en haut, en bas et en arrière, le frottement de leur casque en cuir aurait transformé la peau de leur cou en charpie après les cinq ou six heures de vol qui les attendaient. Ils avaient ingurgité un frugal petit-déjeuner, pain noir et marmelade, thé ou ersatz de café, rien à voir avec les pleines assiettes d’omelettes, saucisses et pancakes des breakfasts à l’américaine. Dans cette Angleterre soumise à un sévère rationnement, ils n’avaient droit qu’à un œuf par mois, presque pas de viande, un peu de laitages, beaucoup de choux de Bruxelles. Les plus anciens avaient presque tous perdu quelques kilos.

    Puis ils s’étaient rendus à la salle de briefings de la base, où le chef des opérations, un colonel, leur avait révélé la mission du jour. A 7h30, après avoir uriné pour éviter l’inconfort d’une vessie douloureuse en haute altitude, ils avaient rejoint le tarmac, où leurs mécaniciens les avaient aidés à se harnacher dans l’étroit cockpit de leur appareil. Parachute dans le dos, gilet Mae West sur le torse, dinghy autogonflable sous les fesses, radio branchée sur le casque, masque relié à la bonbonne d’oxygène. Ils avaient lancé leurs moteurs de mille sept cents chevaux, les avaient laissé chauffer pendant dix minutes et pris leur envol.

    John Philip Garreau, assis au dernier rang, était resté impassible lors de la présentation de la mission. Tout en écoutant l’officier, il regardait avec un mélange de curiosité et d’admiration les autres pilotes, dont la majorité s’étaient déjà battus, et dont certains avaient une ou plusieurs victoires à leur actif. « Non, ils ne sont pas différents de moi », tenta-t-il de se convaincre. « Ils ont l’expérience du combat, et pourtant ils ont débuté comme moi, bon pilotes, mais n’ayant jamais fait la guerre. Et aujourd’hui, ils sont toujours là, parfois depuis plusieurs mois. Certains sont peut-être des as, avec au moins cinq croix gammées peintes sur le fuselage de leur appareil. Ils vont rentrer sous peu en Amérique… » Ces jeunes hommes avaient entre dix-neuf et vingt-cinq ans, la plupart entre vingt et vingt-trois, et ils ignoraient complètement ce nouveau venu qui avait fêté ses dix-huit ans un mois plus tôt. Aucun d’entre eux n’eut un mot pour lui, ni même un salut. John Philip Garreau ressentait une certaine condescendance à son égard et comprit qu’il lui faudrait quelques missions, et l’arrivée de quelques remplaçants dans le groupe, pour qu’il soit admis dans ce qui lui semblait être un club très fermé dont les membres avaient passé par quelque chose qui les mettait à part du commun des mortels : l’épreuve du feu. Richard Johnson, un capitaine de 22 ans qui allait conduire la formation dont il faisait partie, l’aborda.

    - Bienvenue, lieutenant Garreau. Je dois vous dire que cette mission risque d’être difficile et dangereuse, lui dit-il d’un ton neutre. Elles le sont toutes, bien sûr, mais certaines moins que d’autres… Aujourd’hui, on peut être sûrs que les Schleus vont tout faire pour nous avoir et essayer de descendre les forteresses avant qu’elles n’atteignent leur objectif. C’est leur boulot à eux. Mais le nôtre est de nous battre pour gagner la guerre, pas vrai ? Je vous fais confiance, ajouta-t-il en lui tapant sur l’épaule. Donc je ne vais pas vous donner de conseils, ni vous répéter tout ce que vous avez appris jusqu’ici à l’entraînement. Je dois tout de même attirer votre attention sur deux choses: la discipline et l’esprit d’équipe. C’est le plus important de tout. Si un seul d’entre nous l’oublie, d’autres risquent d’être tués. Ceci encore : l’armée a fait tout ce qu’elle pouvait pour vous former le mieux possible, et si vous êtes là, c’est que vous avez le format. Mais en cette minute, vous devez être conscient du fait que rien encore ne vous a préparé vraiment au combat aérien et à tout ce qu’il implique. Tout simplement parce qu’on ne peut pas s’y préparer. Personne ne le peut.

    John Philip Garreau imaginait bien ce que son interlocuteur voulait dire. La vitesse, la violence et l’anarchie de ces joutes mortelles dans l’azur. Les décisions, bonnes ou mauvaises, à prendre en une fraction de seconde, en fonction de développements aléatoires qui n’auraient rien à voir avec les situations qu’il avait étudiées et les tactiques qu’on lui avait enseignées. La nécessité absolue, permanente, d’anticiper les actions de l’ennemi, et de contrecarrer en un éclair celles que chacune des siennes suscitait chez lui. Les manœuvres les plus folles, parfois à la limite de la résistance de l’avion. Les montées et les virages serrés au maximum, qui faisaient vibrer l’appareil. Les plongées en piqué vertigineuses, dans lesquelles le sang du pilote, qui s’accumulait alors dans le bas de son corps, n’irriguait plus son cerveau sous l’effet d’accélérations augmentant jusqu’à six fois son poids. Le redouté voile noir qui aveuglait alors sa victime pendant des secondes ressenties comme interminables, l’enfermant dans un horrible effroi. L’effort physique du pilotage sur ces chasseurs dont les commandes ne bénéficiaient pas d’assistance hydraulique était intense, parfois même à la limite du possible. Johnny imaginait aussi la panique qui ne manquerait pas de le saisir en sentant son avion touché par l’ennemi, et l’horreur en voyant un camarade tomber en flammes. Le combat aérien était excitant et effrayant. Certains pilotes, lui avait dit un as du Pacifique venu raconter son expérience sur une base américaine lors de sa formation, vomissaient ou se souillaient en vol.

    John Philip Garreau acquiesça gravement et déclara :

    - Vous pouvez compter sur moi, lieutenant.

    - Bon, Johnny, appelle-moi Rich. Notre boulot est déjà assez difficile comme ça sans avoir à nous encombrer de considérations hiérarchiques, conclut Johnson en lui flanquant une bourrade dans le dos avant de se diriger vers son appareil.

    Par groupes de quatre, les Mustang survolaient en ciseaux les formations de bombardiers, afin de les couvrir en permanence. Evoluant à une cinquantaine de mètres au-dessus d’un B-17 situés légèrement sur sa droite, Johnny observa cet avion géant qu’il voyait voler pour la première fois. Il était impressionné par la masse de ce quadrimoteur pesant jusqu’à trente tonnes à pleine charge et doté de treize mitrailleuses pour se défendre contre ses prédateurs du ciel. Il vit l’homme opérant celles – jumelées – de la tourelle située en dessus du cockpit lui adresser un signe amical, auquel il répondit de la main gauche. Aucun de ces mitrailleurs n’avait tiré sur les chasseurs lorsque ceux-ci s’étaient rapprochés des B-17, ce qui était déjà une bonne chose, pensa Johnny.

    Comme tout le monde, il avait entendu dire que ces types-là, sachant que leurs missions relevaient de la roulette russe, et qui étaient eux-mêmes très exposés aux attaques, avaient la gâchette facile. Ces forteresses volantes, en fait, n’avaient de forteresses que le nom. Leur taille et leur lenteur les rendaient vulnérables, et leurs mitrailleurs, par principe de précaution, faisaient fréquemment feu sur des avions qui s’en approchaient avant même d’avoir pu les identifier. Un nombre non négligeable de pilotes alliés avaient ainsi été descendus par ceux qu’ils étaient censés protéger. Mais c’était dans les combats qui se déroulaient autour d’eux que ces mitrailleurs étaient les plus dangereux. Coincés dans leurs tourelles de plexiglas proéminentes, qu’ils faisaient pivoter grâce à des pédales pour affronter l’ennemi dans différentes directions, ils devaient bien sûr tirer pour protéger leur avion, mais tout allait alors si vite qu’ils n’y pouvaient rien : il y avait souvent du plomb pour tout le monde. Les pilotes de chasseurs de leur propre camp, tout en les maudissant, ne pouvaient pas leur en vouloir.

    Ces pilotes-là se voyaient volontiers comme l’aristocratie des aviateurs, l’équivalent de virtuoses à bord de voitures de course, alors que ceux qui étaient aux commandes des bombardiers passaient un peu à leurs yeux pour des chauffeurs de poids lourds. Les premiers prétendaient qu’ils étaient en train de gagner la guerre, avec un ratio de plusieurs victoires de leur côté contre une pour la Luftwaffe dans les duels aériens. Mais au-delà de leur ego, ils avaient du respect et de l’admiration pour les hommes composant les équipages de B-17, lesquels se disaient également convaincus que leurs bombardements étaient bien ce qui rapprochait le plus les Alliés de la victoire en détruisant le potentiel industriel du Reich.

    Les fighters savaient aussi le courage dont ces équipages devaient faire preuve lorsque – quand ils n’avaient pas déjà été abattus par la chasse allemande - ils arrivaient en vue de leur objectif. Le système de visée de ces forteresses les obligeait à voler pendant une dizaine de minutes droit sur leur cible, à travers les centaines de flocons noirs d’obus d’un barrage meurtrier de tirs antiaériens, sans changer ni de cap, ni d’altitude, et désormais sans protection de leurs « petits amis », les P-51 obligés de retourner à leur base. Et le tribut à payer était terrible : en moyenne, un bombardier était abattu après dix à douze missions. En moyenne. Quelques-uns en accomplissaient davantage, beaucoup étaient détruits entre leur troisième et leur huitième sortie. Il y avait dix équipiers à bord. Certains mouraient dans les flammes, coincés ou blessés dans la carlingue. Ceux qui sautaient en parachute se retrouvaient presque systématiquement prisonniers des Allemands. Les équipages devaient accomplir vingt-cinq missions avant de pouvoir rentrer aux Etats-Unis. Le plus incroyable était que quelques-uns des miraculés qui y parvenaient rempilaient après un mois de congé au pays.

    Le lieutenant Garreau savait tout cela. Il savait aussi que les escadrilles de bombardiers et leurs équipages, en raison de la dangerosité extrême de leurs missions, étaient souvent bénis avant leur départ par un chapelain de l’armée. L’un d’eux – un New Yorkais d’origine irlandaise - était célèbre et aimé pour la petite phrase qu’il prononçait tout à la fin de son laïus, après son « Béni soit le Seigneur, qu’il vous accompagne dans l’accomplissement de votre devoir et vous permette de rentrer tous sains et saufs. Amen. » Il faisait alors signe à ses ouailles de se rapprocher de lui en un cercle serré et leur murmurait : « Et foutez-leur la pâtée ! »

    Autre point positif ce matin: les conditions de vol de la mission, par temps clair et avec peu de vent, étaient bonnes. Elles devraient empêcher des drames fréquents dans le brouillard ou lors de la traversée d’épaisses concentrations de nuages, quand un B-17, prenant quelques mètres d’altitude, s’en venait heurter un autre sous le ventre ou lui coupait une aile. Souvent, les deux explosaient en vol ou partaient en chute libre.

    Le jeune pilote se sentait faire corps avec son Mustang P-51 D flambant neuf, considéré comme le meilleur chasseur du moment, avec peut-être le Focke-Wulf 190 allemand. Il l’avait dompté quelques semaines auparavant à la fin de son stage d’entraînement aux Etats-Unis, juste avant de s’embarquer sur un cargo pour l’Angleterre, et ses performances l’avaient enthousiasmé. Sept cents kilomètres à l’heure de vitesse maximale en vol horizontal à un peu plus de sept mille mètres d’altitude, plus de neuf cents en piqué. Six mitrailleuses Browning de 12,7 mm. Forte capacité ascensionnelle. Douze mille sept cents mètres de plafond. Sa verrière panoramique, qui apportait une très nette amélioration, question visibilité, par rapport au modèle précédent. Très grande souplesse à la manœuvre. Et aussi trois mille kilomètres d’autonomie, grâce à deux réservoirs largables de deux cent quatre-vingts litres de carburant supplémentaire, fixés sous les ailes. C’était surtout cette particularité qui avait permis à la 8e Air Force de modifier sa stratégie de bombardements sur l’Allemagne, dans un premier temps basée uniquement sur des missions de nuit. Depuis décembre 1943, le nombre et la fréquence de ces bombardements s’étaient accrus grâce aux P-51, capables d’accompagner les forteresses de jour sur l’entier du territoire germanique avant de rentrer à leurs bases, et limiter le carnage que la chasse allemande pouvait occasionner sur les formations de ces bombardiers vulnérables.

    La seule chose qui ennuyait John Philip Garreau était la position qu’on lui avait attribuée dans la formation : tail end Charlie. Le dernier. C’était le lot des nouveaux venus. Mais c’était la place la plus difficile à tenir, car elle obligeait le pilote à des prouesses pour maintenir son assiette dans les turbulences provoquées par ceux qui le précédaient, ou pour réagir à un brusque changement de cap ordonné par le leader. C’était aussi la position la plus dangereuse : lorsque l’ennemi attaquait, il le faisait de préférence par derrière, et le Charlie qui se trouvait en queue de son groupe était souvent leur première victime, parfois sans que ses camarades volant en amont ne s’en rendent compte.

    Après être passés sans rencontrer de résistance au-dessus d’Amsterdam, l’armada avait poursuivi sa route sur un cap plein est en direction de Hanovre, à environ six mille mètres d’altitude. Chacun, à bord de son appareil, scrutait le ciel dans toutes les directions. Mais l’espace aérien semblait toujours vide.

    Soudain, la voix de John Philip Garreau retentit sur le système radio :

    - De Red Four. Appareils non identifiés à trois heures. Même altitude.

    - Hein ? Où ? s’inquiéta un pilote.

    - Je vois rien ! ajouta un autre.

    - Je ne vois rien non plus, commenta d’une voix neutre le major Lester Brown, qui dirigeait la mission depuis l’escadrille de tête, distante de plus d’un kilomètre, et qui était censé repérer les formations ennemies.

    - Sûr de toi, Garreau ? demanda Richard Johnson.

    - Je confirme. Une trentaine d’appareils, minimum.

    Un silence d’une bonne minute chargé de tension s’installa sur le circuit radio. Il fut brisé par la voix de Brown:

    - De Blue Leader. Confirmé. Estimation : cinquante kilomètres, minimum.

    - Putain, il a des sacrés yeux, ce Garreau ! s’exclama quelqu’un d’autre.

    John Philip Garreau avait décelé l’approche ennemie, minuscule vol d’insectes, à plus de quatre-vingt kilomètres de distance.

    Brown décida immédiatement de la tactique, à savoir manœuvrer de manière à empêcher les appareils ennemis – dans un premier temps du moins – de s’approcher de la formation des bombardiers, afin de protéger ces derniers tout en disposant de l’espace nécessaire pour l’engagement.

    - OK, lança-t-il. Red Flight, Yellow Flight et Green Flight avec Blue. White reste avec les forteresses.

    Tous les pilotes larguèrent leurs réservoirs d’appoint, incompatibles avec les exigences du combat. Le leader vira sur la droite en prenant rapidement de l’altitude pour gagner une position d’interception tout en se plaçant dos au soleil. Les soixante appareils qu’il emmenait volaient désormais à pleine puissance, l’alimentation du moteur réglée sur le mélange le plus riche, les mitrailleuses déverrouillées.

    La main droite sur le manche, avec l’index sur la détente, la gauche sur la manette des gaz, John Philip Garreau sentit son P-51 frémir sous le déchaînement de son moteur Merlin. Il faisait corps avec son engin, il se savait capable de le maîtriser en toutes circonstances, dans des conditions de vol où l’instinct devait prédominer sur tout le reste.

    En face, les pilotes des Messerschmitt-109 avaient aperçu le danger et viré eux aussi pour se porter à la rencontre des attaquants avant que ceux-ci puissent profiter d’un réel avantage. Soudain, les deux formations foncèrent l’une sur l’autre, et le combat s’engagea. La discipline, cela pouvait fonctionner quand le leader du groupe disposait de suffisamment de temps pour déployer ses hommes dans différentes directions, avec l’objectif de fragmenter la bataille et de coordonner l’action. Mais là, c’était désormais chacun pour soi. Ce qui n’excluait pas l’esprit d’équipe. Intervenir, quand c’était possible, pour donner un coup de main à un camarade en difficulté.

    Les pilotes allemands étaient extrêmement agressifs. Les appareils des deux camps se croisaient et se coupaient mutuellement leurs trajectoires dans toutes les directions, zigzaguant pour trouver le meilleur angle de tir, s’attaquant, s’esquivant. Le canal radio des Américains était saturé de cris : « Bill, Kraut à quatre heures ! » ; d’avertissements : « Ed, dégage à gauche ! » ; « Ken, gaffe à tes tes fesses ! » ou d’appels à l’aide dans une fuite désespérée: « Un Jerry me colle au train et j’arrive pas à le lâcher ! » The Krauts (les Boches), the Jerries (diminutif pour Germans), the Fritz, the Huns (les barbares) étaient les surnoms par lesquels les Américains désignaient leurs ennemis.

    Ses pensées circulant à la vitesse de la lumière, John Philip Garreau se demandait si quiconque pouvait réagir vraiment à ces interjections et comment il se faisait qu’il n’y ait pas encore eu plusieurs collisions dans cette incroyable mêlée. Il se remémora les règles de base du vol en combat : se placer autant que possible dos au soleil pour attaquer ; regarder sans cesse autour de soi et derrière soi ; ne jamais voler plus de trente secondes à l’horizontale, cela donne du temps à un adversaire pour vous mettre en joue; bien regarder à l’arrière quand on sort d’un nuage : avec un peu de malchance, on peut se retrouver juste devant un Kraut, lui offrant sa cible la plus facile de la journée.

    Il remarqua soudain un Me-109 en train d’effectuer un virage serré sur sa gauche, légèrement au-dessus de lui, et pointer son fuselage dans sa direction. A l’instant où il poussa le manche en avant pour se dérober en plongeant, il vit des balles traçantes passer à deux ou trois mètres au-dessus de sa verrière. Il vira brusquement sur sa gauche avant d’amorcer un looping à quelque deux cents mètres de distance, au moment même où l’Allemand parvenait à tourner pour revenir sur lui.

    Lorsqu’il bascula sur le dos pour replonger à la fin de son ascension, son regard capta l’image d’un pilote descendant en parachute, mais trop vite pour découvrir à quel camp il appartenait. Amorçant un piqué, il jeta un coup d’œil derrière lui pour s’assurer qu’il n’y avait pas de danger et repéra un peu plus bas son assaillant qui manœuvrait pour échapper à la trajectoire plongeante du Mustang. Il y avait toujours des avions en dessus, en dessous et de tous les côtés, mais là où il se trouvait, l’espace était partiellement dégagé, pour quelques secondes du moins. Les gaz à fond, profitant du gain de vitesse procuré par son angle de descente, il fondit sur le Messerschmitt, quasiment de face, mais au moment où l’angle de tir lui sembla idéal, à environ quatre cents mètres de sa cible, John Philip Garreau jugea qu’il était trop loin pour faire feu avec l’efficacité voulue.

    Son adversaire, lui, s’attendait à se faire canarder, car il cassa sa trajectoire en virant sur l’aile à quatre-vingt dix degrés pour amorcer un large arc de cercle destiné à lui permettre de se repositionner. Le lieutenant Garreau réagit en déclenchant un renversement : il cabra son P-51 afin d’effectuer une ascension d’environ trois cents mètres. Il enfonça le palonnier gauche pour faire basculer son appareil dans un plan presque vertical, comme s’il pivotait autour de sa queue, et se retrouver à nouveau en piqué dans la direction opposée à celle qu’il avait choisie en engageant sa manœuvre.

    Le Me-109 était à nouveau juste en face de lui, un peu plus bas dans le même axe, mais de dos, incapable de faire feu sur le Mustang. Trois cents mètres… Deux cent cinquante… Deux cents… John Philip Garreau pressa sur la détente pendant trois secondes, arrosa l’avion ennemi sur toute la longueur de son fuselage et redressa pour passer bien au dessus de l’Allemand. Il vira plus loin et vit alors le Messerschmitt qui tombait en vrille, moteur en flammes. Le pilote, sans doute tué par la rafale, ne sauta pas. Tout à l’excitation de cette première victoire - qu’il ferait homologuer au retour grâce aux images de sa cinémitrailleuse – John Philip Garreau suivit durant quelques secondes l’appareil ennemi dans sa chute, puis redressa et regarda autour de lui, cherchant un nouvel adversaire.

    Il en dénicha un, quelque peu isolé des duels insensés qui se poursuivaient, et manoeuvra pour tenter de le surprendre en position de faiblesse. L’autre parvint à s’esquiver, forçant son assaillant à tenter une autre approche, une autre feinte. « Andrews, Green 2. Mon moteur tousse. Je rentre ! », capta-t-il dans la cacophonie du système radio. Dans ce théâtre aérien sans cesse changeant, il se trouva soudain en face d’un Mustang placé sous l’attaque latérale d’un Messerschmitt, un appareil de Blue Flight. « Attention Blue 3 ! A quatre heures ! », hurla Garreau, sans connaître le nom du pilote qu’il mettait en garde. Trop tard. Il aperçut une fumée blanche sortant du ventre du P-51, à l’arrière de son fuselage, où était logé le radiateur de glycol, le liquide de refroidissement du moteur, qui allait se gripper en l’espace de quelques minutes. Le pilote déclencha un demi tonneau et sauta.

    John Philip Garreau dégagea, puis vira pour revenir sur le ME-109, dont le pilote semblait l’ignorer en cherchant à se positionner pour sélectionner une nouvelle cible. Depuis une distance d’environ quatre cents mètres, un peu au jugé, il lâcha une longue rafale en direction de l’appareil ennemi qui choisit de fuir en piqué, une tactique souvent dissuasive pour le poursuivant car éprouvante pour les nerfs. Mais lorsqu’il aperçut plus bas la corolle blanche du parachute du pilote de Blue Flight, il ne voulut pas laisser cette attaque impunie. Il suivit le Messerschmitt dans son vertigineux plongeon vers la terre et s’en rapprocha jusqu’à une distance de deux cents mètres. Les deux chasseurs avaient les gaz à fond et leur vitesse était sur le point de dépasser les limites de leur enveloppe de vol. Au-delà, c’était la désintégration pure et simple.

    Le pilote du Mustang se concentra pour placer la queue du Messerschmitt dans son viseur, mais contrôler son appareil qui commençait maintenant à vibrer de toute sa structure et tirer en même temps était très difficile. Il lâcha tout de même quelques brèves rafales et eut l’impression que l’avion allemand avait été touché, mais pas endommagé, car il poursuivait son effrayante descente en une trajectoire parfaitement maîtrisée. En très peu de temps, les deux appareils avaient plongé de six mille à deux mille mètres.

    John Philip Garreau avait bien sûr testé plusieurs fois son Mustang en piqué, mais jamais sur une telle distance. Ses yeux étaient rivés à la fois sur sa proie et sur le sol, qui se rapprochait de manière dantesque. Il lui semblait que son corps pesait une tonne. A l’évidence, l’Allemand espérait que l’Américain allait craquer dans cette poursuite suicidaire, et il devait l’y forcer en maintenant son plongeon jusqu’au dernier moment. Mille mètres, cinq cents, trois cents… Il fallait être un as pour redresser un avion volant à une telle vitesse à une si basse altitude. L’Allemand voulut amorcer une ressource, mais il le fit une seconde trop tard et creusa, comme disent ses pairs du monde entier en pareilles circonstances, un grand trou dans un champ.

    John Philip Garreau avait eu la prescience de tirer sur le manche juste avant ce qu’il estimait être le dernier moment mais ne commença à remonter qu’à une cinquantaine de mètres du sol. Ce fut comme si on avait placé un voile noir devant ses yeux. Pendant quelques secondes, il vola au hasard, d’une manière erratique, plongé dans une angoisse presque impossible à maîtriser. Puis sa vision revint petit à petit. Ayant regagné un peu d’altitude et stabilisé son avion en vol horizontal, il réduisit les gaz. Il avait mal aux oreilles et à la tête, et il était trempé de sueur. Il arracha son masque à oxygène et respira goulûment l’air du cockpit, qui sentait les gaz, l’essence et le métal chaud. Son sang remontant dans sa tête, il eut l’impression de voler désormais dans un brouillard, qui se dissipa au bout d’un moment.

    Il vérifia son altitude, environ mille mètres, ainsi que ses instruments, qui étaient tous au vert. Il contrôla à plusieurs reprises ses commandes et vola un moment à vitesse réduite au-dessus de la campagne allemande, puis revint au-dessus de l’endroit où le Kraut s’était crashé pour photographier le point d’impact et les débris du Messerschmitt. Il amorça alors une ascension circulaire pour rejoindre le coin de ciel où se poursuivaient les combats. Certains pilotes, dans de telles circonstances, avaient parfois de la peine à retrouver leurs escadrilles, déportées de plusieurs kilomètres dans l’espace au gré des engagements. Mais, sa vision retrouvée, il localisa bientôt la bataille aérienne qui se poursuivait.

    Les B-17 devaient

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