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RECTO ET VERSO
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HOMÈRE-M POÉSIKUYOUQIÎE HÉSIODE


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M.M'hick CllOISKT

DEUXIÈME BDITIOII

UKVUK ET *.U(»UBNTftK

PARIS
LIBRAIRIE ÏHORIN & FILS
ALBERT FONTEMOING, Éditeur
LIBRAIBEDES *G0U8 PRAItÇ*l8B3d"aTIIÉ5E3 W OB
DU COttèOB ne F.àHCE, DB l'BCOIB MME
ROBMAI.B SOPBRIBUBE,
8S U. SOCitï» Us» hlUUHS
niSTOBIQUES.
RUE LE GOFF, 4

4896
Droits de traduction et de reproduction râerrés.
AVERTISSEMENT
nR
J,Á
SECONDE ÉDITION

Cette seconde édition no diffère do la première par


rien d'essentiel; on s'est efforcé seulement, sans rien
changer ni an plan ni aux idées principales, de tirer pro-
fit de ce qui a été publié de plus important dans ces
dernières années sur la période primitive de la littéra-
ture grecque. La bibliographie en particulier a dû être
complétée et remise au courant. Quelques retouches ont
été faites aussi au texte, surtout dans l'analyse des poè-
mes homériques, pour serrer de plus près certaines
questions. D'une manière générale, l'auteur a essayé de
tenir compte des critiques qui lui ont été adressées et
de celles qu'il s'ost faites à lui-même. C'est un plaisir
pour lui que de remercier ici tous ceux qui ont bien
11 AVERTISSEMENTDR LA SECONDSÉDITION
vaulu approuver ou discuter ses idéesot lui signaler des
fautes à corriger. En apportant tous ses soins à la révi-
sion de ce volumo, il a essayé de le rendre aussi digne
que possiblede leur bienveillante attention et de la fa-
veur que le public studieux lui a témoignée.

Maurice Croisbt.

Mars 189G.
PRÉFACE

C'est une vérité courante aujourd'hui et


presque ba-
nale, que l'histoire d'une littérature, pour répondre aux
exigences de la science, doit être étudiée dans un es-
prit essentiellement historique, et non dogmatique. Cette
vérité banale est pourtant toute récente.
Rappeler com-
ment elle est née, à travers quelles vicissitudes elle a
peu à peu pris possession dos esprits, quels travaux elle
a successivement inspirés, c'est
peut-être, au début de
cette nouvelle Histoire de la littérature
grecque, le
moyen le plus commodeet le plus agréable de dire ce
que nous-mêmes, après tant d'autres, avons tenté de
faire.

Platon veut qu'on commence par définir les choses


dont on parle. Essayons donc de définir, ou,
plus exac-
tement, de décrire l'esprit historique.
IV PRÉFACE
Étudier historiquement une littérature, en n'ost pas,
est.il besoin do lo dire? y chercher des faita historiques
proprement dits. Historiquement, dans cette manière
do parler, s'oppose h dogmatiquement. Or le point de
vue dogmatique, onmatiore littéraire, consistoà confron-
ter los écrits avec un idéal antérieur et supériour, avec
un codo littéraire, par exemple, ou avec un autre ou-
vrage érigé en type. La point de vue historique con-
sislo au contraire à n'apporter dans cette étude aucun
idéal à priori, aucune hâto do condamner ou d'absoudre,
aucune tondanco au panégyrique ou au réquisitoire,
mais un esprit libro, curieux de toute vérité, avide de
comprendre encore plus que do juger, et bien pénétré
do tout ce que signifie ce mot comprendre, quand on l'ap-
pliquo à l'infinio complexité soit do la vie, soit do l'art.
Comprendre un texte, ce n'est pas seulement entendre
le sons oxtériour et superficiel dos mots et voir on gros
do quoi il s'agit c'est discerner, dans leur finesso pro-
pre et distincte, tous les traits qui déterminent an phy-
sionomie ot qui font que deux œuvres, à première vue
assez semblables, sont en réalité fort différentes c'est
rattacher ces traits délicats aux causes qui les ont pro-
duits c'est reconnaître dans chacun d'eux l'héritage
de la race, le caractère du temps, les convenances du
genre, les lois naturelles de l'évolution technique, la
marque personnelle de l'écrivain. Toute œuvre vivante
tient par mille liens à ce qui l'environne. Une phrase
d'un orateur, un vers d'un poète ressemblent à ces mo-
aedes de Leibnilz où le monde entier se réfléchit; fcc
sont des monades littéraires qui concentrent en elles
PRÊFAQE v
mille imagos; chacune d'elles, à la bien regarder, ro-
flèto tout le passé d'une langue, toute l'histoire d'un
peuple, et l'esprit mémo do l'artiste qui lour a donné
la dernière forme. Cos imagos y sont concentrées et
commo latentes il faut loa évoquer, los forcer d'ap-
paraltro et dea'épanouir. Pour s'aider dans ses recher-
ches, lo philologue peut et doit interroger les arts pro-
promont dits, los mœurs, los institutions, l'histoire
politique; il y trouvera dos lumièros sur lo génie de la
race et sur colui du tomps, et cette connaissance éclai-
rera les textes. Mais il faudra toujours qu'il en revionne
aux textes, puisque l'objet précis de son étude ost la
manière dont cet esprit général d'un peuple s'est re-
Hété dans les œuvres d'art qui s'exécutent avec des
mots. Grammaire, histoire do la phrase, histoire du sons
dos mots, voila ce qu'il doit d'abord posséder à fond
pour acquérir l'intelligence de son sujet. L'historien des
lottres rossomblo par certains côtés à l'historien do la
nature il a comme lui sous les yeux des faits qu'il
compare; mieux que lui peut-ôtro, il saisit la liaison des
formes successivos, les conditions mames dos change-
ments comme lui, il est avant toutun observateur im-
partial.
Est-ce à dire qu'il n'ait jamais à juger, et que, sa-
tisfait de connaître, il ne doive pas sentir et apprécier?
Sainte-Beuvo, un des maîtres de l'esprit historique en
matière littéraire, ne le pensait pas « Soyons,disait-il,
comme les naturalistes, faisons des collections; ayons-
les aussi variées et aussi complètes qu'il se peut, mais
ne renonçons point pour cela au jugement déGnilif et
VI PRÉFACE

au goût, cette délicatesse vivu c'est assog quo nous


t'empochions d'èlre trop impationte et trop vite dégoù-
tée, ne l'abolissons pas. La vraie critique, tulle que je
me la déÛnis,consista plus que jamais à étudier chaque
être, c'est-à-dire chaque auteur, chaque talent, selon
les conditions do sa nature, à on faire une vive ot
fldèlo description, à charge toutefois do le classer en-
suite et de lo mettreà sa place dans l'ordre dol'Art*. »
11y a dans los lottre», comme dans la nature, des êtres
vigoureux et beaux, et d'autres qui sont faibles,chétifs,
mal conformés; il y a des avortons, il y a des monstres;
il y a aussi des Ages différents à côté des formes in-
décises et comme ébauchées de l'enfance, la plénitude
de la maturité, puis le déclin. L'observateur doit noter
et dire tout cela. Ce qu'il faut seulement lui demandor,
c'est do no pas mépriser, dans los grâces encore impar-
faites do l'onfanco, les promesses de l'avonir, et de ne
pas prendre un début pour une décadence ou un renou-
vellement pour une barbarie; c'est aussi do no pas con.
fondre l'ignorance d'un idéal particulier avec la mécon-
naissance des lois éternelles et fondamentales de la
pensée. Quant à croire que la vivacité des impressions
littéraires s'émousse dans ces recherches en appa-
rence exemptes de la préoccupation d'admirer, ce se.
rait une grande erreur. Le sens du beau s'affineet s'as-
souplit par la délicatesse et la variété des expériences.
Le goût s'élargit sans s'affaiblir. La raison ne prend plus
pour sottise tout ce qui dépasse l'étroit horizon des pré-

t. Causeries
du Lundi,t. XII,p. 191.
PRÉFACE VII

jugés régnants, maia elle reste inflexible»à l'égard de ce


qui n'est pas raisonnable. Nonquete goût et la raison de
l'historien, même vivement émus, s'expriment volon-
tiers par des jugements formols et tranchants; eosju-
gemonU-là lui semblent toujours peu proportionnés à fa
nature de l'esprit humain; mais l'accent môme do sa
voix le trahit, et il faudrait qu'il fat bien gauche pour
que sa discrétion donnfll lo change aur son sentiment.

II

L'antiquité n'a pas connu l'ospècod'histoire littéraire


que nous venons d'ossayor do décrire. Ce n'est pas
qu'elle n'ait produit, à partir surtout de la fondation
d'Alexandrie, nombre do travaux fort savants sur ses
poètes et ses écrivains de tout genre. Mais c'étaient
invariablement ou des recherches de pure érudition
(l'École péripatéticienne en avait déjà donné l'exemple),
ou des ouvrages de critique dogmatique écrits par des
grammairiens et par des rhéteurs pour l'enseignement
de leurs disciples. L'esprit historique, tel que nous le
concevons, n'y paraissait que dans la mesure où il ne
peut pas ne pas paraître chaque fois qu'un homme in-
telligent parle d'un autre homme quia écrit antérieure-
mant. Les noms de Dcnys d'Halicarnasse et de Quinti-
lien donnent bien l'idée de cette sorte de critique. Le
VIII PBÉKACK
êrutw de Cioéronet le Dialogu*«toiorateurs de Tacite
ont plua historiques peut-être par certains côté», mais
on voit bien cependant qu'il n'y a pas lieu de chercher
là non plull des ancêtres direct. aux historiens moder-
nes des littératures. Du moyen Aga,bien entendu,
rien à diro. Arrivons donc à la Renaissance.
Dès le miliou du xv» siècle, en Italie d'abord, onauito
en France et dans toute l'Europe occidentale. un élan
puissant emporte les esprits vers l'étude de l'antiquité.
La beauté do l'art antiquo, et on particulier de l'art
grec, avait donné le branle aux imaginations l'huma-
nisme fut ta première forme dos études sur l'antiquité.
Le besoin d'approfondir vint ensuite» et produisit la
philologie.
Le xvi*sièclo hérite do ces doux tendances et se
dana sa
partage entre elles, plus philologue peut-être
et lettré dans la so-
première moitié, plus huuiamalo
condo.
Le célèbre manifeste de Joachim du Bellay exprime
bien le sentiment dos purs lettrés à l'égard des anciens:
il no s'agit pas à ses yeux doles étudier en historien,
en spectateur désintéressé, pour le ueul plaisir do sa-
voir au juste et de comprendre ce qu'île ont été il sa-
leur beauté
git avant tout de leur dérober le secret de
toujours jeune. On a hâte de s'abreuver à la source
fratche, vraie fontaine de Jouvence qui fait des mira-
cles. On a mieux à faire, semble-t-il, que de les ai.
mer platoniquement il faut, selon l'expression de du
Bellay, les piller et les dépouiller. Poètes comme Ron-
sard, cicéroniens comme Muret, moralistes comme
PRÉFACE IX
Montaigne, tous demandent à l'antiquité un enseigne.
ment direct, un profit immédiat: l'un, des images et des
rythme»; l'autre, d'harmonieuses périodes le troisième,
des maximes, des actions, des faits. Aucun n'est hihto-
rien.
Les érudits et les philologues, plus attachés aux tex-
tes, aunt mieux dans la voiode l'histoiro. Maisaux aussi
vont au plu pressé, qui est d'abord do publior les tex-
tes, ensuite d'amaaaer les matériaux nécessaires puur
en préparer l'intelligence littérale. Los éditions prin-
cops «o multiplient. Budé.Turnèbo, par leurs Comtnen-
tarii ut tours Adversaria, préparant to Thésaurus.Quand
les principaux textes sont publiés, ou mémo pondant
qu'ils se publient, on les traduit, on les commente. Les
études sur la langue se poursuivant, et l'admirable
Thésaurusles résume. Tout cola non plus n'est pas do
l'histoiro co n'en est quo la préparation, et une prépa-
ration encore assez lointaine. D'autres matériaux s'ac-
cumulent dans les travaux des jurisconsultes sur lo
droit romain, dans tes études dont les institutions anti.
ques sont l'objet. Maisl'idée mémo d'une histoire litté-
raire tello que nous l'entendons ne se dégage pas si
elle a flotté confusément devant les yeux de quelques-
uns do ces philologues, ce n'a été qu'une vague appa-
rition, sans consistance et sans figure.
Tout d'un coup, Bacon parait, et cotte idée, jusque-là
confuse, prend un corps. Il proclame la nécessité de
l'histoire littéraire il en détormine les caractères avec
une netteté d'intuition surprenante; il déplore que per-
sonne encore ne s'y soit appliqué. « L'histoire générale,
X PRÉFACE
sans histoire littéraire, ressemble, dit-il, à une statue
do Polyplième dont l'util serait crevé ce qui manque
«luraau tout, o'oatjustement la partie qui fait le mieux
ouunultro le génie propreet la nature do la personne». »
Avant tout, dit-il encore, que l'historien dor arts cl dos
lettros au préoccupe de co qui eat l'honneur et comme
l'âme de l'histoire politique, c'est-à-dire la liaison des
ofletsot dos causes; il faut qu'il rappelle la naturo du
paya et celle do la race, son aptitude innée ou au con-
trairo son défaut d'aptitude aux diverses acioncos, loa
circonstances historiques favorables ou défavorables, los
influences roligiousos, celles qui viennent dos lois poli-
tiques, enfin le mérite éminent et l'action féconde des
individus pour lo progrès des lettres, et los autros faits
du mémo genre. « Mais, dans l'étude de ces choses,je
veux qu'au lieu dépasser tout son temps, comme font les
critiques, à distribuer têloge ou le blâme, on se place d
un point de vue franchement historique, en disant ce qui
est, et ne mêlant qu'avec réserve des jugements nux ré-
cils*. » Et plus loin: « Il faudrait que l'historien des lot-
très, sans lira absolument tous les écrits d'une époque,
ce qui serait infini, sût au moins les déguster, et, par
l'étude des sujets, du style, de la méthode, évoquer d'en-
tre les morts, commepar une sorte d incantation, te gé-

i. De Augmente Scimliarum, livre Il. chap. iv (tome I, p. 118 et


suiv. des Œuvra philotophîqau de Bacon, édition BonUlet. Paris,
t834).
2. At haec omuia ita tractarl praecipimus ut non criticornm more
in tendant ttanta tempua teratur. eed plane historiée res ipsae
narrentur, judicium parcius interponatnr (p. MO).
PRÉFACE XI
me Huerait* de ce ttmps » N'est-on pas lurpria et
charma do rencontrer, au seuil du xvii* sioclo,une pa.
role aussi luminouio? Il somblait quo l'histoire litlû-
raire, après cette grande clarté, dût faire dos progrès
rapides il n'en fut rion.
Onditquelquofois quo t'érudition, depuis la fin du xvi*
siècle jusqu'au commencement du xix*. subit en Europe
une décadence. Ce n'ost pas bien certain. Pondant cette
période, les grands noms ai los grandes rouvres alio».
dent. La paléographie grecque a Montfaucon,non moins
illustre par ses travaux sur les monuments figurés. La
bibliographio produit un chof-d'oouvro, la Ribliotheca
grxea de Fabricius on quatorze volumospetit in-8° (1705-
1708),plusieurs fois réimprimée, romaniôo, remise au
courant (édition de Harloss, 1790-1809).La critique ver-
bale est représentée par une longuo auite de noms célè-
bres les Français Saumaise, Ménage, Guyet dans la
première moitié du dix-septième siècle; plus tard, les
Anglais ou Hollandais Bentley, Hemsterhuys, Ruhnken,
Porson, l'Allomand Roiske, les Français Brunck et
Schwoighœusor.Je ne cite quo les « maîtres du chœur».
Tous ces érudits savent le grec ou le latin admirablo-
ment. Jamais le style des écrivains anciens n'avait en-
core été étudié do si près, ni avec une plus une intelli-
gence des habitudes de chacun. Ce qui leur manque,
c'est un certain sens du développement historique des

1.Ut es eorum non parlectione, id enim infinitum quiddam


<#*•$, m4 dégustations, et obserratione atgamenti. stylt, mcthodl.
ganins illius temporis litterarius, velntl incantatione qaadam, a
mortois evocetar (p. 120).
XII PRÉPÀCK
ehoaos o'ost l'habitudo et le goût de a'élovor au-dessus
des mots pour saisir dans sa généralité l'esprit antique,
dont ces mots ai bien étudiés et ces œuvres ai doctement
commentées dans leur détail no sont qu'une création par-
tioulièro'. Ce sont des scoliastos, d'admirables scoiiastos,
mais non des historiens.
Cedéfaut de sons historique est pourtant bien plus
sensible choz los lettrés. Car los érudits,en sonimo, pé-
citaient surtout par omission mais ils faisaient bien ce
qu'ils faisaient, et ils amassaient do bous matériaux
no pas ai.
pour l'avenir. Il est d'ailleurs impossible de
mer ce qu'on sait si bien, ot cet amour érudit de l'anti-
ie
quité, sans leur donner encore a proprement parler
sens historique, élargissait du moins leur goût. Les lot.
très, au contraire, ceux qui font de la critique littéraire,
lo
qui jugent et apprécient, montrent sans cesse, dans
même temps, un dogmatisme qui nosait guère qu'oscit-
ler entre la dévotion superstitieuse et la révolto intem-
pérante
Le sentiment historique repose avant tout sur l'idée

du changement. Le3 théories littéraires du xvu* siècle

1. Le petit livre de Tannegul Lefèvre sur les Vit* «tet Poètu grée*
ne saurait faire modifier ce jugement général.
2. Je parle ici surtout des lettrés français, qui tout la loi. pendant
deux siècles, a presque toute l'Europe. Car, pour être juste, il faut
ajouter qu'à l'étranger, et gràee à la forte culture des universités,
les élèves des érudits que je viens de rappeler portaient dans l'étude
de la littérature, quand Us voulait, ut s'en mêler, un goût plua sûr et
plus éclairé. Grimm, par exempte, élève d'Ernesti, jugeait beaucoup
mieux lea Grecs qu'on ne faisait en France à la mémo époque. Voir

Correipond., i« janv. 1765. etc. Mais Ortmm &isait alors moins ces
bruit que Laharpe; et lui-même d'ailleurs portait plutôt en
matières un dogmatisme éclairé qu'un sens profond de l'histoire.
PRÊFACK XIII

reposent sur lidéo d'un dogme immuable, d'un canon


du beau, à jamais fixé pour toua les siècles, Ce que los
humanistes du xvii* siècle avaient fait d'instinct, sans
réflexion, c'est-à-dire d'admirer dans les œuvres des an-
ciens surtout co qu'ollos avaient do plus général et ce
qui s'on pouvait le mieux détacher, et do prendre cos
beautés pour modèles, lo xvii* siècle le fait par règle ot
par systèmo. La poétique d'Aristoto n'ost plus simplo-
ment le résumé philosophique de t'expérience grecque
on matière dopoésie c'ost un code univorsol et absolu.
C'est un texte sacré qu'on commente, une bible litté-
raire à l'interprétation do laquelle on applique, ou pou
s'on faut, les méthodos des théologiens, avec toute la
raidour intolérante d'uno doctrine on possession do l'ab-
solu. Los chofs-d'œuvro dos anciens no sont pas seule-
ment dos créations vivantes et bollos ce sont des types
éternels sur lesquels on n'a plus qu'à se régler. L'abbé
d'Aubignac, dans sa Pratique du Théâtre, lo P. Le Bossu,
dans son Traité du poème épique, sont les docteurs par
oxcollonco do cette scolastique d'un nouveau genre.
Toute la querelle des Anciens et des Modernesest sortie
de là. On adore les anciens ou on les blasphèjine. Pour
la critique littéraire du xvii*siècle. il n'y a que des de-
grés sur une échelle unique do perfection. Les uns met-
tent Homère en haut do l'échelle, et les autres le met-
tent en bas personne, ou presque personne, ne le goûte
historiquement dans sa véritable originalité.
Les grands écrivainsdu xvne sièclesont tous partisans
des anciens. La rectitude de leur raison, leur goût sain
et relativement simple les a tout de suite mis en com-
XIV PRÉFACE

munion avec la belle et droite raison des écrivains d'A-


thènes et dé Rome. Et cependant, qui oserait affirmer
quo le défaut do sens historique n'ait pas nui môme au
goût littéraire d'un Racine ou d'un Boileau? Racine
sentait vivement lo charme littéraire d'Euripide et de
Sophocle, cela n'est pas douteux mais que pensait-il
d'Eschylo ? Et Boileau, l'avocat ai chaleureux d'Homère
contre Perrault, comment jugeait-il, dans le fond de son
Ameet une fois le bruit de la lutto apaisé, certaines naï-
vetés de l'épopéo primitive? Durant tout le xvn* siècle,
on no distingue guère les Grecs des Romains le nom
d'Anciens enveloppe &la fois toutes les fines différences
et ios dissimule. Il y a quelque chose do confus et do
mal défini aussi bien dans l'admiration do ceux qui
aiment le plus l'antiquité quo dans le mépris do ceux
qui l'insultont.
On peut noter quolques exceptions, au moins partiel-
les. Je n'ai pas besoin de rappeler les pages célèbres
de la Lettreà l'Académiefrançaise où Fénelon s'exprime
avec une justesse si délicate non seulement sur Déraos-
thèno (beaucoup de goût suffisait pour les écrire), maia
aussi, chose plus notable, sur le naturel délicieux de la
tragédie grecque, sur « les peintures si naïves du détail
de la vie humaine » dans l'Odyssée, et enfin sur tout ce
qu'il appelle ailleurs (dans sa lettre à La Motte, du 4
mai 1714) « l'aimable simplicité du monde naissant ».
Le Têlimaqus lui-mae. malgré l'abîme qui le sépare
de Yllkàs car te VQégaëe. s» pestai étreécritque par
un homme qui goûtât la poésie homérique comme Fé-
nelon seul peut-être à*cette date la goûtait. Le sentiment
PRÉFACE XV

littéraire, à ce degré «lefinesse, suppose un certain sens


historique. On sait que Fénelon demandait aux histo-
riens d'observer dans leurs récils et dans leuratableaux
la variété des mœurs, ce qu'il appelait il costume. E»
littérature commeon histoire, il sentait d'instinct la dif-
férence dos Ages,et cola donnait à son goût une délica-
tosse bien rare alors. Un peu auparavant, sans qu'on
puisse flxer la date avec précision, Saint-Evremond
(mort en 1703) avait dit, lui aussi, son mot sur la que-
rello des Anciens et des Modernes, et exprimé à ce su.
jet des vues littéraires particulièrement pénétrantes et
judicieuses1 « Si Homère vivait présentement, il ferait
des poèmes admirables accommodésau siècleoùil écri-
rait. Nos poètes en font do mauvais ajustés à ceux des
anciens et conduits par dos règles qui sont tombées
avec les choses que le temps a fait tomber. Je sais qu'il
y a de certaines règles éternelles pour être fondées sur
un bon sens, sur une raison ferme et solide qui subsis-
tera toujours, et qui portent le caractère de cette raison
incorruptible. Concluons que les poèmes d'Homère
seront toujours des chefs-d'œuvre, non pas en tout des
modèles. Ils formeront notre jugement, et le jugement
réglora la disposition des choses présentes » Il est
impossible de mieux dire. Ce sont là debelles exceptions
à l'esprit du siècle, mais enfin des exceptions, et dontle
siècle suivant ne sut pas toujours faire son profit.
On peut dire quo toute la critique littéraire du xvui*

1. DanssoumorceauSurla pointesdesanciens(Œuvrescomplo-
tes,éd.DesMalzeaux.
t. V,p. t!8).
t. Cité par É. Egger, Hellénisme en France, t. II, p. 118-119.
XVI PRÉFAOB

siècle vient aboutir au Cours de littérature de La Harpe.


D'autres critiques, dans le même temps, ont pu avoir
les uns plus d'esprit, les autres plus de fou, d'autres
encore dos idées plus exactes, ou plus originales, ou plus
profondes, sur certaines questions particulières auci»
n'est dans l'ensemble un écho plus fidèle ni un p.as
juste représentant de l'esprit du zvui* siècle. Pour ne
parler ici que do la partie de ce Cours qui est relative
à l'antiquité grecque, beaucoup de choses assurément y
sont à louor, plus même peut-être qu'on ne le dit par-
fois. Et d'abord, l'idée môme do Je professer et de fé-
criro. C'étail, on 1799, une brillante et hardie nouveauté
que culte promièro histoire deslettres grecques, présen-
tée dans la suite régulière et complète do son dévelop-
pement, et écrite en français par un homme de talent
pour l'instruction et le plaisir des gons bien élevés ».
Do plus, chaque fois que La Harpe rencontre dans les
écrivains de l'antiquité de certaines beautés raisonnables
et fermes qui sont de tous les temps ou qu'on peut son
tir sans trop d'étude, il a le goût assez sain pour les re-
connaître, et la plume assez habile pour exprimer son
sentiment avec, chaleur et intérêt. Mais,cela dit, et sans
même nous arrêter aux nombreux contre sens qu'on lui
a reprochés, il faut bien avouer que La Harpe a commis
une faute plus grave encore, mais qu'il partage avec
son siècle: c'est de ne pas paraître soupçonner qu'avant
de prononcer sur des œuvres aussi éloignées de nous

t. L'année1199est oelle-où commence1*publicationdu Coursde


littérature.L'enseignementoral deLa Harpe js'ûtajtouverten 1786,
an l.ycôrf.
PRÉFACE XVII
que cellesdes Grecs, il est bon de se déprendre, s'il est
possible, des habitudes et dos opinions de son propre
temps, qui sont peut-être des préventions et dos préju-
gés c'est qu'on n'entre pas de plain pied, au sortir du
thédtre do Voltaire, dans l'intelligence do colui d'Es-
chyle; c'est queles faits littéraires ont leurs causes, que
les races et les époques ont leur génie, et que le pre-
mier devoir du véritable historien, en matière littéraire
conmcen toute autre, est justement de saisir ce génie,
de l'évoquer,commedisait Bacon, et de renouer la chaine
rompue des effets et des causes. Voilà ce que La Harpe
ignorait absolument.
L'Académiedes Inscripiions etBelles-Lettrescommen-
çait à le comprendre, et il serait injuste de ne pas tenir
compto des efforts qu'ello fit au xviu»siècle pour décou-
vrir dans les œuvres des anciens le reflet des circons-
tances où elles sont nées. Nombrede mémoiresde l'an-
cienne série portent la trace de cette préoccupation. On
veut expliquer avant de juger. Pindare, par
exemple,
était depuis longtemps en possession de scandaliser les
partisans des modernes; il offrait à leur ignorance des
sujets de raillerie trop faciles. Fraguier, Chabanon,Vau-
villiers le justifient en le faisant mieux comprendre.
Les recherches de cette sorte se multiplient. Vers la fin
du siècle, elles se résument et se couronnent dans un
livre qui est à tous égards le chef-d'œuvre de ce genre
d'érudition, le Voyage du jeune. Anacharm, de l'abbé
Barthélémy. C'est la vie grecque dans son ensemble
qu'étudiait le docte abbé. Lalittérature y avait sa place,
etles récits d'Anacharoisfaisaient passer tour à toursous
b
XVIII PRÔF10K
les yeux des lecteurs Platon philosophant à l'Académie
ou au cap Sunium, i'Antigone de Sophocle représentée
au théâtre de Bacchus, Xénophon dans sa retraite de
Scillonte, Le voyageur scythe retrouvait à Thèbes le
souvenir toujours présent de Pindare, à Lesbos celui
d'Alcée et de Sappho. Les écrits des anciens, ainsi rat-
tachés à la terre natale, pouvaient en devenir plus vi-
vants, plus intelligibles aussi. Quelquus-unes des pages
consacrées par l'abbé Barthélemy à la littérature grec-
quo sont au nombre des plus estimables de son livre,
notamment colles où il parle de Pindare. Il y avait
vraiment dans tout cola beaucoup de savoir et la mar-
que d'un excellent esprit.
Le Voyage du jeune Anacharsis était-il donc de tous
points un chef-d'œuvre ? Etait-ce un de ces livres qui
ouvrent à l'osprit dos voies nouvelles, qui creusent à la
pensée son canal pour une ou plusieurs générations? Non;
c'était plutôt encore, ainsi que le livre do La Harpe, une
honorable conclusion à un fige littéraire tormtné qu'un
recommencement et une entière nouveauté. Stendhal en
a parlé quelque part avec son irrévérence habituelle
« Le pays du monde où l'on connaît le moins les Grecs,
dit-il, c'est la France, et cela, grâce à l'ouvrage de l'abbé
Barthélémy: ce prêtro de cour a fort bien su tout ce qui
se faisait en Grèce, mais n'a jamais connu les Grecs. C'est
ainsi qu'un petit maître de l'ancien régime se transpor-
tait à Londres à grand bruit pour connaître les Anglais
il considérait curieusement ce qui se faisait à la Cham-
bre dos pairs; il aurait pu donner l'heure précise de
chaque séance, le nom de la taverne fréquentée par les
PRÉFACE SIX

membres influents, le ton de voix dont on portait los


toasts mais surtout oola, il n'avait que dos remarques
puériles. Comprendre quelque chose au jeu de la ma-
chine, avoir la moindre idée do la constitution anglaise,
impossiblo <.» Stendhal en sommo a raison, malgré la
ton dopersiflage un pou pédantosquo dont il use et abuse.
L'abbé Barthélemy s'attarde trop souvent à décrire co
qui no vaut pas la poinod'âtro regardé, et il no voit pas
l'Amodes choses. Il répand sur son sujet une élégance
terne et monotone qui fausse l'aspect do la réalité. Il n'a
pas senti la joie de cette « pure lumière », ç£o; ôyvôv,que
les poètes grecs ont chantée, ni, avec Socrato marchant
pieds nus, la fraîcheur do l'Ilissus. L'esprit dola Grèce
lui échappe. Malgré ses efforts méritoires pour nous
montrer l'Académie etScillonto, Platon, dans son livre,
garde encoro cette robe do docteur quo Pascal voulait
qu'on lui ôlât, et Xénophon, chassant avec son hôte, a
beaucoup moins l'air do l'ancien chef des Dix-Milleque
d'un académicion du xviu° sièclo lisant à ses confrères
un mémoiro sur l'Art de la chassedans Canliquilé. Los
intentions sont bonnes, le succès médiocre. Il est évi.
dent qu'au temps de l'abbé Barthélémy, et malgré les
progrès partiels dont son livre offre la trace, l'atmos-
phèro littéraire est viciée par trop do civilisation. Il faut
qu'un grand souffles'élèvo pour chasser toutes los con-
vontions, toutes les élégances, pour rendre à l'air de

i. Histoire de la peinture en Italie, livre VI, ehap. exi, note, Stend-


hal ajoute avec bien de la Justesse: « Le seul pays où l'on connaisse
les Gi'ôc». o'estGuBltingue. n
XX PRÉFACE

la fraîcheur, et pour donner à l'hommemoderne le son-


timent des Agesdisparus.
Cetto rénovation s'accomplit à la fin du xvui* siècle
et dans les premières années du xix». Les trois siècles
ce
précédents avaient surtout vu dans les choses qu'elles
ont de général, de simple, do permanent. Maispeu à pou
l'expérience avait découvert que la réalité no se réduit
et
pas si facilement à dos formules immuables raides,
que la vie est plus riche, plus variée, plus changeante
no le croyait. Les voyages, la connaissance ot la
qu'on
comparaison d'un plus grand nombre de littératures,
l'attention donnée aux poésies populaires, l'étude dos
arts, le mouvement général dos idées, la philosophie,
tout, depuis un demi-siècle, préparait cotto tra. jforma-
tion qui brusquement à la fin éclate do tous côtés en
France et on Allemagne, par des manifestations à la fois
diverses et concordantes.
Eu France, c* no sont pas les érudits ni los critiques
de profession qui l'accomplissent ce sont des poètes,
des hommes d'imagination. André Chénier est un pré-
curseur de l'esprit nouveau. Fils d'une mère grecque, il
n'a pas seulement appris l'antiquité dans les livres; il la
sent et il l'aime parce qu'il est de môme race; une affi-
nité mystérieuse et profonde fait tout de suite recon-
naltre, dans ce Français du xvm* siècle, un descendant
so
légitime de Théocrito. Par lui, l'antiquité grecque
rapproche de nous; elle sort do la froide région pédan-
où son ombre seule survivait; elle reparaît vi-
tesque
vante et toujours jeune. Quelques années auparavant,
un Marseillais, Guys,était allé en Grèce,et en avait rap.
PKÉFAOK XXI

porté un livre intitulé Voyatje de la ih-he, ou Lettres


sur fet Grecs ancienset modernes av»c un parallèle tfo
leurs mœurs, Guys avait constaté avec surprise que la
race grecque subsistait, qu'alla continuait de vivra et
de chanter, ot qu'ollo ressemblait a sus ancôtres beau-
coup plus qu'on no s'en doutait. La Voyage do Guys,
pou apprécié, somhlc-l-il, dos savants do co tamps-lh,
préparait do loin pourtant YItinéraire doChateaubriand,
Chateaubriand, voilà lo grand initiateur de l'esprit lus.
toriquoon Franco. Malgré lus vicissitudes do sa ranom-
meo, on pout dire qu'il rosto io maitro incontostablo de
la promièro moitié au moins du xix* siècle, ot qu'il ost
diflîcilod'oxagéror son influonco.Sos défauts sont con.
nus; ilssont éclatants: ily a chezlui bion dol'a-pou-pi'ès,
bien do l'arrangement, bion du charlatanismo parfois.
En outre, ces défauts portent lour date ayant contri-
bué a créer uno mode, ils paraissent surannés depuis
que la modoon est disparue. Mais, avec tout cla, com-
bien cet homme est près do nous La Harpe et Bar-
thélemy, qu'il a pu rencontrer et coudoyer, appartion- •
nent à un autre Agede l'esprit français. Chateaubriand
est séparé d'eux par un abîme, et ce qui l'en éloigne lo
rapproche de nous. Il a les vives curiosités ot les larges
sympathies de l'esprit moderne, avide de tout voir, hos-
pitalicràtoutes les idéos,capable de se plaire tour à tour
sur les rives du Meschacébé et sur celles de l'Eurotas,
sensible à la poésie sombre des mers du nord comme à
l'éclat riant de la nature méridionale, chdtiea et païen,
romantique et classique successivementou tout ensem-
ble, artiste par dessus toutes choses, prompt à se pré-
XXII PRÉFAOB

ter sans so donnerjamais. Chateaubriandte prendde pas-


•ion pour Ossianet pour Millon il cèlèbro avec un en-
thousiasme communicatif les beautés de l'art chrétien,
et l'art le roènoaux confia»de la foi il trace de l'inva-
•iun barbare des tableaux inoubliable» H décrit et
chante loa sauvages de l'Amérique et les forêts vierges;
il vit sous la tmte il traverse l«s déwrts a ohoval il
on
éprouve les sensations des âges primitifs. Voyageur
Italie, en Grèce, en Orient, il puis* a la source et re-
trouve dans sa pureté toute vive et toute fraîche le
sentiment do la poésie bibliquo ot do la plus lointaine
il sorlilo luimômo,
antiquité classique. II se dédoublo
de son tomps et do son pays, pour devenir un contem-
ot il se regarde vivro.
porain d'Abraham ou d'Homère,
Son imagination n'est pas seulement grande, ollo est
vivo ot forte il a lo trait pittoresque, le mot aigu, la
touche hardie et décisive. Par tous ces caractères, il ost
le premier en date des « Enfants du sièclo », le maître
et l'initiateur de tous les autres.
N'oublions pas, à côté de lui, Madame de Stael, bien
moins artiste, bien moins sensible aussi aux mérites
des littératures du midi, romantique ptus que classique,
et juge souvent récusable dos choses grecques, mais in-
na-
telligence ouverte, instruite des choses du dehors,
turellement libre, rendue plus philosophe encore par la
facilité de comparer, et en somme très moderne1.

,i. BenjaminConstant,malgrésonpeu d'actionsur lamare!»gé-


méralod littéraires,mériteponrtantlciansouvenirpourles
esidées
pagesqu'ila consacrée* è HomèredanssonlivreDela Betiglon.On
pourraitanssl, sans sortir du mémecercle,nommerl'allemand
PftftFAGB XXUl
On rait quet grand mouvement intellectuel suivit cet
éveil du siècle, De 1810« 1830. t'esprit historique se
développe et règne partout» non seulement dans l'his.
toiro proprement dite, &laquelle il apporta le mouve-
ment, la couleur et la vio, mais aussi dans la philoso-
phie, dans les arts, dans la littérature. Dèsle premier
quart du xix* siècle, il semble qu'une histoire de la
littérature grecque telle quo Bacon l'avait demandée
pouvait être écrite aiuonuno histoire définitive (il n'y
a riondodélinitif dans la scienco),du moins une histoire
qui mit on œuvre les matériaux accumuléspar les siècles
précédonte en les vivifiant par l'esprit nouveau. Pour
celui-ci, il fallait un hommo qui réunit en lui-même le
savoir exact dos érudits « la puissance d'évocation et
de résurrection que l'écolo historique moderneréclamait.
Malheureusementl'érudition classique, en France, était
languissante. Il semblait d'ailleurs qu'elle se défiât d'un
mouvement littéraire qui avait l'air d'ôtro plus roman-
tique que classique. Elle no comprit pas tout do suite
que l'orientation générale de l'esprit moderneétait chan-
gée, et que le goût classique, on devenant plus libre,
allait devenir en même temps plus vif. Cependantla pré-
occupation de l'histoire était désormais trop générale
pour que le besoin d'un livre où le développement de la
littérature grecque serait retracé dans son ensemble ne
fut pas enfin sensibleà tous et urgent. Schœll.en 1813,
publia une Histoire de la littérature grecque en deux vo-
lumes in.8. Le premier volume seul était consacié à

Angaste-GaiUanme
Schlegelpour son CoursdeUlliraluredramati-
que.
XXIV PRÉFàOK
l'histoire de la littérature grecque profane; le second
renfermait un précis do la littérature saerée.Cette H»-
toire eut du succès. En 1832, l'autour on donna une se-
conde édition, tellement accrueet transformée quec'était
onréalité un travail tout nouveau. Sous cotte nouvelle
forme, l'ouvrage avait huit volumes, exclusivementcon-
sacrés à la littérature grecque profane Des notices
biographiques assez nombreuses complétaient l'étude
le
bibliographiquo et littéraire dos écrivains grecs. Que
travail doSchcellait rendu des sorvices, c'est incontos-
table. Maisqu'il ait été le aw\decette sorte onFranco pen-
dant plus de trente ans, c'est ce qui prouve à quel point
Car
l'esprit historique fut lent à y pénétrer l'érudition.
cette Histoire, en somme.'n'est qu'une compilationmédio-
cre, œuvre d'un homme laborieux sans doute et cons-
ciencieux, mais sans ouvertured'esprit, sans finesse de
la
goût, sans style, et poucapable même d'apprécier
autour de
portée doschangements quis'accomplissaiont
lui. Quelques hommes, dans l'Université française, au-
de
raientpu,dix ou quinze ans plus tard,rofaire l'œuvre
Schœll et l'améliorer singulièrement. Jo ne citerai que
l'excellent auteur des Éludes sur les Tragiques grecs,
H. Patin. Non qu'il y ait toujours, même dans ce savant
livre, toute la liberté d'esprit et de goût qu'on aimerait
à y trouver: on sent parfois, chez cet érudit si exact,
chez cet historien si bien informé, un esprit classique
aussi grec
quelque peu timide; il n'ose pas toujours être
quA nouale voudrions; ila trop de retours involontaires
et de regards en arrière vers le théâtre secondaire et
insignifiant du xviii8siècle ou vers celui des classiques
PRÉFACE XXV

du xtxV Mais quollo copieuse et saine érudition t Quel


goût délicat et profond, et, déjà, rendu libéral par la con-
naissance précise do l'histoire t Malheureusement, ni
M. Patin ni quelques autres, qui l'auraient pu faire, no
songèrent à nous donner l'ouvrage qui nous manquait,
et l'Allemagne prit les dovants.
Là les traditions érudites étaient restées vivantes.
Quand la renaissance do l'esprit historique se produisit,
elle no trouva pas, comme en Franco, une société étran-
gère auxcltosus dol'antiquité, dos collèges encore tout
ébranlés par les secousses violentes do la politique,
des maîtres qui ressaisissaient avec peine le fil rompu
do la tradition dos jésuites, et que leur éducation pré-
parait mal à accepter des idées suspectes d'alliance
avec le romantismo ot par conséquent d'hostilité contre
les classiques du xviiesiècle. En Allomagno,les Jniver-
sités étaient restées des foyers philologiques toujours
actifs. Elles avaient conservé les traditions laborieuses
du xvi*et du xvu* siècle. Elles continuaient de laisser
une forte empreinte sur tous les esprits. Ceux-ci, quel-
que hardis etnovateurs qu'ils fussent, gardaient l'accf>nt,
pour ainsi dire, de leur pays intellectuel, de l'Univer-
sité. Aussi ne cossaient-ils pas d'en être compris. Quand
l'esprit historique se développa, l'érudition devint sans
peine son alliée; non sans quelquesrésistances partielles
assurément, mais l'ensemble fut rapidement gagné.
L'esprit nouveau vivifia l'érudition celle-cià son tour
le soutint et lui fournit un champ fécond à cultiver.
Les études sur les arts plastiques des anciens jouè-
rent un grand rôle dans la préparation de cette réforme.
XXVI PHÉFAUK

Le langage des arts plastiques on effetn quelque choso


do plus direct et de plus libre que celui des écrits. Il
est moins sujet à sa laisser enfermer dans los potils
compartiment* ou les sooliastos coupent les cheveux en
quatre. Il ao fait mieux entendre do l'ftmo tout entière,
m'étant ni séparéd'ello par les difficultés grammaticales,
ni morcelé on mots qui analysent l'idée au risque d'af-
faiblir la sonsatiou. Il était donc naturol quo l'évocation
historiquo do l'Amegrecque se fit d'abord par co moyen.
Cefut l'œuvre de Winckotmann,singulièrement dépassé
depuis sur bien dos points, mais qui out vraiment l'un
des premiers la vision nette et totalo de la beauté grec*
quo. Co que Winckelmannavait fait pour les arts plasti-
ques, Uordorlo lit pour la poésio plus encore, il est vrai,
pour la poésie hébraïque et pour la poésie allemande
quo pour collo do la Grèce, mais los principes posés
avaient une application générale ot s'étendaient à toutes
les littératures >. Dans le mémo temps, une révolution
philosophique égale u collo do Descartes se préparait;
Kant était on train do détacher pou à peu la science de
la poursuite do l'absolu pour la ramener a l'étude du re-
latif, c'est-a-diro à la notion historique par excellence.
Pendant que Kant vieillissait à Kœnigsberg, Hegel étu-
diait à Tubinguo et commençait à tracer dans son es-
prit les premiers linéaments do la philosophie du de-
venir. En 1795, "Wolfpublia ses célèbres Prolégomènes.

t. Déjà Leasing avait écrit sur la poésie ancienne des pages plei-
nes de Justesse, mais piotâi (a la façon de Grlmm ou & S'ôxôrûf, <]«•>
éradits, ses maîtres) par exactitude de savoir et bonne éducation du
goût que par un sentiment historique véritable.
PRÉFACE XXVII
C'était la prise do possession do la philologiepar l'esprit
nouveau. On pouvait contester ses couoluaiuua, ao ré-
volter môme contre ©Iles; mais il était impossible de
ne pas admirer la vigueur do cette intelligence qui, en
facedu plus anciQn monumont littéraire do l'antiquité
grecque, reconstruisait avec une pénétration divinatrice
tout l'ensemble des conditions qui l'avaient produit, on-
trait pour ainsi tliro dans l'Ame mémo du poète, puis
dans celles do ses auditeura, et tirait de cotte résurrec-
tion hardio du passé des conséquences saisissantes do
nouveauté. Jamais regard aussi perçant n'avait sondé le
mystère des origines d'uno littérature. Enfin les lettres
pures obéissaient au mômo esprit. Au souil du sièclo,
pour ainsi dire, se drosso (îootlio,dont l'intelligence se.
reine, à la fois haute et hospituliero, capable do tout
comprendra et de tout aimer, est comme l'imago inânio
do l'esprit nouveau.
L'Université do Gœttinguo, grâce u la réunion de
quelques savants d'élite, prit bientôt la tôto du mou-
vement philologique qui sortit do colte révolution
Berlin pourtant avait précédé. Gœllingue eut Wolcker
otOtfried Millier. Maisc'est à Berlin que vivait Bœckh,
lo véritable maître do la philologie allomande du xix*
siècle, et qui eut 0. Millier au nombre do ses disciples.
C'est Otfried Millier qui donna sur l'histoire de la litté-
rature grecque, en 1840,lo premier ouvragequ'on puisse
appeler sans restriction d'aucune sorte un chef-d'œu-
vre. Déjà, sans doute, l'Histoire de la poésie grecque
d'Ulrici, parue un peu auparavant, celle de Bode, com-
mencée alors, mais non terminée, et surtout l'Esquisse
XXVIII PRÉFACE
de la littérature grteque do Bornhardy t, publiée quatre
années plus tôt, étaient des couvresfort remarquables.
MaisUlrioiet Bodo,qui d'aillours laissent docôté la prose
grecque, sont trop souvent ou des métaphysiciens oude
purs érudits. Chez Bernhardy, le stylo-oatd'une abstrac-
tiun rebutante la penséo est en général pénétrante
ut profonde, mais subtilo aussi parfois, presque tou-
jours hérissoo d'uno toratinologio rébarbative de
plus l'élenduo prodigieuso dos notes, véritablos mer-
veilles d'ailleura de savoir et de critique, rend ce
Uvre aussi difficile à lire qu'utile à consulter. Celui
d'Otfr. Millier, composé à la demande d'uno société an-
glaiso et on vue du public anglais, devait être, par sa
destination mémo, clair et lisiblo, savant sans étalage
d'érudition, agréable mente s'il était possible Le talent
do Müller en fit une œuvre d'art. La forme et le fond y
étaient dignes l'un do l'autre. Un savoir immense, at-
testé pard'admirables travaux antérieurs, avait amassé
les matériaux du livre. Un goût exquis les avait choisis
et disposés. L'intelligence ou, mieux encore, lésons dé-
licat des choses grocquas s'y révèle à toutes les pages;
une sensibilité littéraire à la fois discrète et profonde
les anime et les échauffe. Une veine d'éloquence abso-
lument exempte de rhétorique, toute sortie du fond de
l'âme (fï»9si*î«ppwdî,comme dit Pindare), et soutenue
par une connaissance profonde du sujet, court dans tout
le livre et s'y répand. Il faut se reporter à la date où
On sait que
Utteratur,Balle,1836.
I. GrmdristderGrieehitthen
cetimportantouvragen'a cesséd'êtrecorrigé,remanié,étendu.La
qutriémeéditiona commencé i paraîtreen18T6.
PRÉFACE XXIX

parut ce livre pour on sentir tout lo prix. Sans doute,


certaines parties do l'histoire littéraire avaient déjà été
traitées en France avec dos mérites analogues. Maisc'é-
tait de l'histoire littéraire moderne. L'antiquité grecque
et latino semblait réservée aux historions de l'espèce do
Schœll, Otfried Millier prouva le contrairo. Son œuvre
était si nouvelle que des savants do mérite, parmi ses
compatriotes, ne la comprirent pas ils reprochèrent à
Müller de n'avoir pas fait une compilation érudite.
C'était justement do quoi il fallait le féliciter. Des livres
d'érudition peu lisibles pouvontavoir leurs qualités, mais
quel charme aussi, et quel proQt, d'entrer dans l'étude
des lottres grecques sous la conduite non plus d'un pé-
dant, mais d'un grand etlibro esprit, causant de toutes
choses on « honnête hommo », en philosophe et on ar-
tisto, avec cette solidité d'érudition sans doute qui est
la probité de la vraie science, mais aussi avec cette
éléganco rapide et sobre qui est la fleur exquise de l'at-
ticisme( Onne saurait exagérer à cet égard le mérite
d'O. Mullorni l'impression profondequ'il a produite sur
les esprits. De nombreux historiens de la littérature
grecque sont venus après lui tous ont plus ou moins
subi son influence. Si l'histoire de la littérature grec-
que est devenueaujourd'hui, aux yeux de tout le monde.
une partie do l'histoire générale qui ne dispense pas
ceux qui la traitent de l'obligation de savoir se faire
lire, c'est en grande partie à Millier qu'on le doit.
XXX PRÉFACE

III

Quols que soient pourtant les mérites de son œuvre,


elle n'a pas découragé et ne devait pas on effet décou-
rager les imitateurs.
D'abord elle est inachevée. Müllor se proposait de
conduire son récit jusqu'à l'entrée de la périodebyzan-
tine et chrétienne. La mort l'interrompit. Sondernier
chapitre est intitulé Isocrate. La période attique elle-
même n'est pas finie: l'auteur n'a pu parler ni do Pla-
ton ni de Démosthône.
De plus, les progrès du savoir sont incessants, môme
dans les sujets qui semblent les mieux connus. L'ou-
vrage de Millierdate de près d'un demi-siècle. S'il garde
toujours un grand mérite général de vérité et d'har-
monie, il n'en est pas moins vrai que sur beaucoup de
points il laisse aujourd'hui à désirer. En maint endroit
il serait à retoucher ou à compléter. Il est souvent plus
simple de faire une œuvre nouvelle que de remanier
un livre vieilli.
L'esprit même qui anime tout l'ouvrage de Millier,
cet esprit dont j'ai dit tout à l'heure les rares qualités,
diffère cependant par quelques nuances de celui que
nous portons aujourd'hui dans ce genre d'études.
Otf. MOllerest un idéaliste qui s'arrête avec complai-
sance sur les côtés nobles deschoses et qui les exprime
aussi avec noblesse,en termes graves et généraux. Tout
PBÉFAGE XXXI
ce qu'il y a dans l'art grec d'harmonie, de
grâce, de
mesure, est admirablement senti par lui, et rendu avec
émotion, quoique d'une manière un peu abstraite. Mais
le détail trivial et vivant, les cètés un
peu bas, quoique
réels, les limites mémos de ce génie grec si justement
admiré, tout celas'efface volontiers chez lui et s'atténue.
La littérature,depuis un demi-siècle, sous des influences
diverses, s'est habituée à une franchise plus âpre. Nous
voulons voir à nu la réalité. Nous
exigeons qu'on nous
la décrive avec une sincérité absolue, en
physiologiste
ou en physicien. Que la littérature abuse
aujourd'hui
du scalpel et de l'anatomio, c'est fort
possible; mais
l'abus ne condamne pas l'usage. C'est
par une extension
légitime et durable de la méthodescientifique que l'es-
prit contemporain est devenu quelque peu réaliste en
tout. La critique littéraire ne saurait
échapper à cotte
loi. Les portraits d'O. Millier sont beaux et ressem-
blants ils n'ont pas toujours ce caractère intime, cet
accent familier qui rend la ressemblance criante. Au
risque do n'être pas toujours optimiste, il faut être
vrai.
Enfin les besoins à satisfaire, en matière d'histoire
littéraire, sont assez différents pour qu'un seul ouvrage
puisse difficilement répondre à tous. n faut toujours
faire un choix ou prendre une route
moyenne. Si l'on
s'attache à développer l'exposition des idées
générales,
il est difficile que la bibliographie ne soit
pas sacrifiée.
Si l'on étend la
bibliographie, l'ouvrage devient peu li-
sible. Otf. Mûilorest extrêmement sobre d'indications
bibliographiques. En eùt-il donné davantage, elles se-
XXXII PRÉFIGE

raient aujourd'hui arriérées et par conséquent insuffi-


santes.
Par toutes ces raisons, même après 0. MUllcr,il res-
tait quelque chose à faire, et la carrière demeurait
ouverte. Do nombreux savants s'y sont engagés, mais
à l'étrangor plutôt qu'on France. Ce n'est pas qu'en
Franco même les boaux et utiles travaux nous fassent
défaut. Et, par exemple, pour no citer que les plus con.
sidérablos, ilest certain quo les Études sur les Tragiques
grecsdo M.Patin, constamment remaniées et améliorées
dans plusieurs éditions successives, et, depuis, les tra-
vaux do M. J. Girard, qui forment aujourd'hui quatre
volumos (Sentimentreligieux, Poésiegrecque, Éloquence
attifue, Thucydide), tous inspirés par un sentiment si
profond do l'hellénisme, forment un très bol ensemble
d'écrits sur la littérature grecquo1. Mais ce sont là,
malgré tout, des écrits détachée, qui ne peuvent rendre
tout à fait le même genre de service qu'une histoire
suivie. Quant à nos Histoires proprement dites de la
littérature grecque, celle de Pierron ( la plus ancienne
de beaucoup),celles do MM.Burnouf, Nageotte, Deltour,
ont leurs mérites de clarté et de brièveté*; mais ce sont
des ouvrages fort courts, destinés à l'enseignement se-
condaire. plutôt qu'à l'enseignement supérieur, et qui
ne peuvent entrer en comparaison avec les ouvrages
beaucoup plus étendus des Anglais et des Allemands,

I. Lestravauxd'EmileEgger,ainombreux
etsi estimables, appar-
tiennentplutôtAl'érudition ditequ'àl'histoirelittéraire
proprement
au sansoùnousprenonsicicemot.
3. n faut ajouter iaainteuaul &celle îiulo, l'ouvrage de M. Max
Egger, Paria, I8S2 [note de ta if édition].
PRÉFACE XXXHI

de ces derniers surtout ».En Angleterre, Donatdaon(tra-


ductour et continuateur d'O. MQllor),Mure, Mahaffy
en Allemagne, Bernhardy (pour les éditionssuccessivos
et romaniôesdesonGrumlriss), Nicolaï(2»ôd. 1873-1874),
Munk (réédité on 1880 par Volknum»), Th. Borgk, puis
tout récemment (1886) Karl Sittl, sans parler de
Bonder, dont l'Histoire est une couvre de vulgarisation
un pou sommaire. ont parcouru tour à tour, chacun
suivant sa méthode et son allure propre, la route déjà
suivie par Otfried Millier.Les uns, comme Bernhardy,
ont donné à la bibliographie la première place. Les
autres, comme Bergk, l'ont complètement éliminée La
plupart ont suivi une voio intermédiaire. Tous ont
ajouté quelque chose à l'œuvre de leurs devanciers,
soit des faits nouveaux, soit des idées personnelles,
soit des qualités littéraires originales. L'ouvrage de
Bergk surtout, malheureusement inachevé, est à beau-
coup d'égards un chef-d'œuvre, et, par l'ampleur aisée
de la forme aussi bien quo par l'érudition, un véritable
monument

1. Dans la catégorie des ouvrages scolaires, je signalerai aussi une


Histoire de la liUéralnre grecque écrite en grec moderne par M. Eus-
tathopoulos (2iSvo<Kttjç «EUinvtxîjç YP«|i|ucToXoT(«e. Athènes, 2* éd.,
1885), indice intéressant des efforts tentés par la Grèce pour déve-
lopper chez elle l'instruction classique.
2. Le premier volume seul. sur quatre, a paru du vivant de Bergk.
La rédaction du second et du troisième n'était pas entièrement ache-
vée; il y subsiste des lacunes. Le quatrième a été composé à l'aide
de morceaux divers empruntés surtout à des articles antérieurs de
Bergk.
Dans cette nouvelle édition, je dois mentionner en outre l'ouvrage
de M. Christ, GescMchte der Griech. Liter. (collection des Manuels
d'Iwan Mûller), Nordlingen, i888; manuel bien fait et précieux, mais
sec.
c
XXXIV PRÉFACE
Nous avons cru qu'il restait à tenter en France et
pour la Franco ce que les savants dont on vient doliro
les noms ont fait pour l'Angletorro et pour l'Allema-
gne, c'est-à-dire de rassembler ot do résumer dans un
ouvrage unique, suffisamment étendu, tacite à lire et à
consulter, l'enchaînement des principaux faits ot des
principales idées que les recherches do la philoiogio ont
mis en lumière aur l'ensemble de la littérature grecque
classique. Pour nous, comme pour Otf. Mullor, le vé-
ritablo sujot d'uno histoiro du genre de celle-ci, c'est
moins l'infinie multitude des écrits grecs pris on eux-
mômes et considérés dans un esprit de curiosité biblio-
graphique, que l'esprit grec ao manifestant et se déter-
minant suivant ses lois propres dans la création dos
genres littéraires, dans l'évolution technique do ces
genres, dans le mouvement général do la pensée, dans le
génie particulier dos écrivains, et enfin dans un cortain
nombre d'écrits caractéristiques où toutes ces caupos
convergent et produisent leurs effets. Nous ne parle-
rons pas avec le même détail do tous ceux qui ont écrit
en grec. Les auteurs d'ouvrages étroitement techniques
échappent à notre compétence 1.'histoire de la littéra-
ture n'est pas l'histoire de tous les livres c'est l'his-
toire d'un art, l'art d'écrire. Nous ne considérons comme
écrivains que ceux qui sont en quelque degré des ar-
tistes, et qui, ayant eu sur l'homme et sur le monde
soit une idée générale soit des impressions personnelles,
ont su les exprimer. Nous craindront* plu» cependant
de trop restreindre notre champ d'étude que de trop
l'étendre, et nous n'enfermerons pas dans des limites
PIIÉKAUK XXXV

trop rigourousos les manifestations littéraires do l'otprR


grec. Nous sommes do l'avis do Suiuto-Bou vo «Toutco
qui est d'intclligonco générale et qui intéressa l'esprit
humain appartint do droit à la littérature Il Notre
objet essontiol ost do présenter sous forme d'exposition
suivie, sur chaque sujat, los conclusions qui nous pa-
raissonl les plusjuslos.Dos indications bibliographiques
trbs étendues changeraient entièrement lo caractère
do cet ouvrage. Cependant nous no croyons pas qu'il
soit bon non plus do les supprimer complètement H
faut donnor aux travailleurs los indications essentielles,
celles qui leur permettront d'allor plus loin. Hfaut aussi
marquer les grandes directions do la scionco, les éta-
pes qu'ollo a parcouruos. C'ost une question de mesure
et dochoix. Des notes courantes au bas des pages, dos
notes spéciales en tète dos chapitres satisferont aux
besoinsles plus urgents. Enfin, pour tout co qui touche
à l'intelligence dos œuvres, ce qui ost, en somme, la
partie essentiello d'un travait tel que colui-ci, nous
avons fait les plus grands efforts pour être, commoon
dit, au courant, et nous espérons y avoir réussi dans la
mosurooùitest possibled'y réussir. Les travaux sur la lit.
teralure grecque sont innombrables. Les lire tous est
évidemment impossible, Nous espérons du moins n'a-
voir rien négligé d'essentiel. Est-il besoin d'ajouter quo
l'étude des travaux modernes, si nécessaires à connai-
tre,. mais si encombrants parfois et si dangereux
pour la sensibilité littéraire, n'a jamais été il nos yeux
que le moyen do préparer et de rendre plus féconde
i. Nouveauxlundis,t. VII,p. 154.
XXXVI PKÊFAUK
l'élude immédiate des muvres antiques, ot que, par
goût comme par système, c'est à la source elle mômo,au
texte longuement éludit'tot savouré, que nous sommee
toujoura revenus, puur y puiser, avec la fratcltour et
la vivacité des impressions, «elle intelUgonco directo
et personnelle du passé sans laquelle on ne saurait ni
communiquer à ses lecteurs lu flammo intérieure ni
ajouter quoi que ce aoit à l'héritage do ses devanciers.
La t&choétait diflicilcNol ne le sait mieux quo noua.
Nous l'avons entreprise sans illusion, mais sans défail-
lance, et, pourquoi no pas l'avouer? avec un pou de cet
enthousiasme qui est nécessaire uux wuvres do longuo
haleine*.

Avril «887.

Ai.KRBU
CROISET.

i. Les deux collaborateurs dont les nom» eont associés àla pre-
mière page de cette Histoire se aont partagé la tâche de telk sorte
que chacune des grandes divisions de l'ouvrage fût essentiellement
l'œuvre d'un sent d'entre eux, l'autre n'ayant qu'un rôle de révision
et de conseil. Nous espérons que, grâce à une longue habitude de
penser en commun, t'unité de l'ouvrage ne souffrira pas de cette di-
vision du travail. Quoi qu'il en soit, le nom du véritable auteur sera
toujours placé en tête de chacune des parties du livre.
INTRODUCTION
LABAOKURECOUKET SONliKNIE. – SA L.VXtiUE.–
tiHANOKS
HKHIUDES UK I.'IUSTOIHK
I)KSA MTTÉKATUHK

LARAUSOUECQUKKT«OS»OËNIB.

Lorsqu'on veut suivre l'évolution intellectuelle ot


morale d'un pouulo dans l'histoire do sa littérature, il
parait indisponsublo do déterminer d'abtml, aussi exac-
tement que possible, d'où il est parti. Qu'clait-ii avant
mémo d'avoir unu littérature? Quetles qualités primoi-
ilialcs et distinctives portait-il en lui dans ces temps
d'ignoranco et du naïveté enfantine, où il préparait de
loin, d'une manière inconsciente, ses grandes œuvres
futures? A quoi degré do perfection ces qualités étaient-
elles parvenues, lorsqu'il s'avisa d'en tirer profit dans
ses premières productions poétiques ?q
Ces questions se présentent d'elles-mêmes à l'esprit.
Mais, en ce qui concerne la Grèce, les documents nous
manquent pour les résoudre d'uno manière satisfai-
sante. Avant qu'il y eut une nation hellénique à pro-
prement parler, les éléments ethniques qui devaient un
jour la constituer ont ou séparément leur vie propre,
puis ils se sont groupés ou superposés par'une sériede
combinaisons qui restent encore obscures. Les noms
mêmes de ces pouples primitifs nous sont mal connus;
HM. « I» UU, Qncqat. T. I. 1
a INTRODUCTION
et malgré les découvertes quolidionnos do l'archéolo-
gie, ce que nous entrevoyons do leur état moral et des
caractères do leur civilisation est en somme bien peu de
chose. Nous apercevons dans une sorto do pénombre
ces races préholléniqueg d'Asie-Minouro et des iles, ces
Mlasges répandus un peu partout, ces Danaens et ces
Achéens dont le nom se retrouve sur d'anciens monu-
ments égyptiens. Leurs temples, lours tombeaux, leurs
citadelles nous sont restitues partie! le iiumt par les re-
cherches incessantes des savants. On rassemble et on
étudie les produits plus ou moins grossiors de leur in-
dustrie, ou scrute ces objets (lui étaient pour eux des
(ouvres d'art, on essaie d'y retrouver quelques indices
do leur goût, de lour culture d'esprit, et aussi des in-
fluences étrangères qu'ils ont subies. Hecherche pleine
d'intérêt et do promesses, mais encore pou avancée.
f/histoiro do la littérature grecque ne sera en posses-
sion de son véritable point do départ que le jour où la
science pourra enseigner avec certitude dans quel or-
dre ces races ou ces groupes do tribus se sont succédé
et quels ont été les caractères propres do chacune de
ces sociétés préhistoriques. Alors on pourra voir naître
et grandir le génie grec, on comptera les éléments es-
sentiels dont il so compose, on saura ce qu'il doit à ses
origines lointaines, aux influences étrangères, aux mé-
langes des races, et à sa propre vigueur. C'est ainsi
qu'on étudie les peuples modernes on doit espérer
que la Grèce, dans un avenir prochain, pourra être con-
nue et décrite do la même manière. Quant à présent,
l'application do cette méthode serait trop conjecturale.
Nous égarerions nos lecteurs dans des discussions pro-
longées, ou nous les entraînerions dans de pures hypo-
thèses. Ils en tireraient pou de profit pour l'intelligence
du sujet que nous abordons avec eux.
Ajournons donc ces espérances, et contentons-nous
LA RAGE GRECQUE ET SON GÉNIE 8

d'exposer brièvement co qui est certain. Do quelque


manière que le génie grec se soit formé, nous savons
YWade. Essayons de
qu'U l'était avant la naissance aie
nous le représenter ici dans co qu'il a de plus essen-
tiol et par conséquent de plus primitif, en laissant do
coté les traits secondaires qui no se sont révélés on
lui qu'on certains temps et par l'effet de circonstances
particulières.
Co qu: frappo tout d'abord dans la race hellénique,
c'est la variété de sos aptitudes. Le vieux romain Juvé-
nal rolevait avec amertume, par la bouche d'Unibricius,
la souplesio des Grecs do la décadence, qui envahis-
saient Romo et s'y trouvaient bons pour tous les mé-
tiers Sans prendre trop au sérieux colto boutade d'un
ne
poole satirique on colère, on no peut nier qu'ollu
contionno une part do vérité. Ce que le Romain tour-
nait en ridicule, Thucydide, si sérieux observateur,
l'admirait chez les Athéniens de son temps et les
Athéniens, en cula comme en beaucoup d'autres cho-
ses, étaient los plus grecs do tous les Grecs. Aristoto à
son tour remarquait qu'en général les peuples euro-
péens, habitants des pays froids, avaient de l'énergie,
mais pou de vivacité d'esprit; los Asiatiques, au con-
traire, habitants des pays chauds, de la vivacité d'esprit,
mais peu d'énergie, tandis que les Grecs, grâce à leur
climat tempéré, alliaient l'énergie du caractère à l'in-
tolligence 3. Cet égal développement de facultés diver-
1. Juvén., Sat., III. 73sqq.
Ingeninmvelox, audaelaperdita, sermo
Promptnset Isseotorrentior.Ede quid illum
Esse putes; quemvishominem secumadlulitad nos
Graminaticus,rhetor, geometres,pictor,allptes,
Angur,scb«Bob«<le% me«li«ni»,magn» omnianovit
Oraeulosesuriens, in caelum,jnssetis, ibit.
2. Tlmcyd.,II, 41, 1.
3. Aristoto,Poliliqut,VII, 7 (p. 3276, Bekker).
4 INTRODUCTION

ses a été la cause do l'heureux équilibre ut do l'harmonio


qu'on remarque dans les grandes œuvres do la litté.
rature en Grèce comme dans celles de l'art. L'Holtèno
a toujours ou do la raison dans l'imagination, do l'os-
prit dans le sentiment, de la réflexion dans la passion.
Jamais un no lo voit entraîné totalement d'un seul côté.
Il a, pour ainsi dire, plusieurs facultés proies pour
chaque chose, et c'est on los associant qu'il donne à ses
créations leur véritable caractère,
l'ar là aussi, il est on contact, de inillo manières à
la fois, avec la nature ot avec ses semblables. Los races
lourdes et lentes no sont capables à l'origine du
moins ot avant l'éducation que d'un nombre restreint
d'impressions monotonos qui donnent à leurs idées
quelquo clioso do solide. EUes pensent pou, elles ima-
ginant peu leurs pensées sont bien assises et leurs
conceptions semblent inflexibles. Les Grecs, raco éveil-
lée, active, se comportent tout autrement. D'innombra-
bles impressions so forment sans cesse on eux. La nature
leur parle un langage infiniment varié, toujours écouté
et toujours nouveau. Ils s'intéressent non seulement à
ses grands phénomènes, mais aussi à ses aspects chan-
geants, aux nuances délicates et fugitives de sa vio
éternelle. Et co n'est pas là le privilège do l'Ionien
d'Asie Mineure, ni do l'habitant de l'Alliquo ce n'est
pas mémo celui des populations riveraines do la mer,
qui associent la vie du pécheur ou du marchand &celle
du cultivateur. Le laboureur béotien ou locrien, tel quo
nous le voyons dans les Travaux d'Hésiode, celui qui
travaille durement dans lo pays d'Ascra « froid en hi-
ver et brûlant en été », celui-là même a des impres-
sions d'une vivacité surprenante, et, pour ainsi dire,
mille visions si légères et si transparentes que la gaieté
ou la tristesse des choses se révèlent au travers. Le cri
des oiseaux de passage, l'appel strident de la cigale, la
LA RACE GHECQUE KT SON GÉNIE 5
llor«M<iitdu chardon, toutos ces menues chosoa fami-
lières le touchent comme los propos à la fois mysté-
rieux et précis d'autant d'amas voisinos do la sienne.
Voilà pourquoi toua les Grecs partout ont peuple le
monde de dioux, qui no sont pas dos nain» ni dos puis-
sances inconnuos, mais dos êtres vivants, presque fami-
liers. Kn transformant ainsi la nature, ils lui ont sou-
lomont rendu co qu'elle leur donnait. Li vie du dohom
était vonuo a eux pleine d'imagos et de aousatbus, elle
sortait d'eux et elle retournait aux cho-ios ploine da
ilioux.
Et si le spectacle du monde lus a ainsi émus, enchan-
tés et instruits, celui do l'honirna no tour a pas été
moins protitablo. Lo Grec est éminominent sociable. Il
recherche joyeusement son semblable, parco qu'il a
beaucoup à lui donner ot beaucoup à recevoir de lui,
et quo cet échange est pour lui un dos plaisirs les plus
vifs. llésiodo, qu'on aime à citer comme le plus ancien
témoin do la vie populaire, rocoinmando au paysan la-
borieux do passer devant la forge et la lesché sans s'y
arrêter. C'est là que l'on causo longuement en hiver,
et il sait combien la tentation d'entrer est forte. Ce ne
sont pas les séductions grossières, le vin, la débauche,
qu'il craint pour son laboureur ce sont les séductions
qu'on pourrait appeler délicates, celles de l'esprit plus
que celles des sens. L'âmo hellénique, en général, est
trop ouverte, trop accessible de tous côtés, pour s'en-
fermer dans une passion sombre ot dominante. De là
cette grandi ot précoce expérience do la vie qui se fait
remarquer déjà dans les plus anciennes poésies épi-
ques. L'homme s'y montre plein de contrastes, avec
des nuances inattendues de sentiments et d'idées, avec
des péripéties do passion qui sont admirables il s'y
plie à tous les rôles et s'adapte à toutes les situations
il est chef ou sujet, soumis ou révolté, il est père, époux,
6 INTRODUCTION

ait, ami ou ennemi, te tout non seulement avec natu-


rel vi convenance, mais avec une variété profonde. Le
jeu des facultés humainos n'a peut-ôtre été dans uu-
euna autre race aussi libre, aussi prompt, aussi étendu.
G'ost à cela sans doute qu'il faut attribuer une do»
plus remarquables qualités do la race grecque, sa vive
ot inépuisable curiosité, qui so manifeste do tant de
manières dans tout ce qu'elle a créé En fait do scion-
ces naturelles ou morales, d'histoire, de géographie, do
philosophie, «lo mathématiques, los Grecs ont été dos
curieux dans lo meilleur sons du mot, ot c'est ainsi
qu'ils ont posé los premiers presque tous les grands
problèmes et inauguré presque toutes los bonnes mé-
Ihodos. L'énigme, sous quoique forme qn'ello s'offrit à
eux, les a toujours tentés, cello du monde particuliè-
romont. Partout, ils ont voulu voir ot connaître. Ce bo-
soin d'interroger tout ce qui pout répondre éclate chez
les promiers philosophes physiciens de lionio il s'ex-
prime avec une naïveté et une grandeur merveilleuses
dans tout l'ouvrage d'Ilérodote, si profondément hellé-
nique et, dans l'histoire de toutes les sciences, il reste
comme uno des gloires de l'école péripatéticienne, qui
a ouvert tant de routes à la recherche et attaché tant
d'honneur à la connaissance. Dans la poésie môme,
cette disposition d'esprit se révèle dès la plus haute an-
tiquité. C'était un dos charmes de l'Odyssée pour ses
premiersauditeurs quo ces descriptions qui découvraient
à leurs esprits curieux tant de choses lointaines et in-
connues. Les deux grands poèmes primitifs do la Grèce
sont en un sens deux révélations YIliade fait appa-
raître le fond do la nature humaine, Y Odysséelaisse
apercevoir l'immensité du monde.

1. Platon, Rép. IV, e. il xb çtXo(ia6éç,a în uept tôv naç'i,ffXt ifÀUax'Sv


tic tltiiamto î<S«ov.
LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE 7
A ces qualités supérieures s'attachaient, il ost vrai,
des défauts graves, aussi bien au point do vuo littéraire
qu'au point de vue moral. La facilité à tout comprendre
et à 80 prêter à tout est un privilège parfois dangereux.
On connaît le précepte do Théngnis • Il Sache faire
» comme le poulpe, qui se rond semblable d'aspect à la
» pierre où il s'attache; tantôt suis tel exemple, et tan-
» tôt change do couleur; l'habileté vaut mieux que la
» raidour inflexible (xpîecwy-roiooçt'v)yiyv«m àrpoTrivi;).»
Cotte pensée se trouvait déjà dans un ancien poème, épi,
que ou didactique, où le héros Amphiaraos disait ù son
flls Ampliiloquo, au moment de se séparer de lui « Am-
» philoque, mon enfant, inspire-toi do l'exemple du
» poulpe, et sache t'accommoder aux mœurs de ceux
» vers qui tu viendras; tantôt sous un aspect, tantôt sous
» un autre, montre-toi semblublo aux hommes parmi les-
» quels tu habiteras8. » A vrai dire, ce conseil n'apparte-
nait on propre a personne il exprimait une des tendan-
ces du caractère national. Le souple et astucieux Ulysse
était un des principaux héros do l'épopée, et Hermès re-
présentait le même type parmi les dioux.Ordansrhistoire
de la littérature, ce qu'avait de dangereux cette souplesse
native do la race se montrera aussi clairement que ce
qu'elle avait d'excellent. Elle prendra possession de
l'art avec une facilité remarquable, elle en tirera parti
brillamment, mais elle en viendra souvent à se complaire
par trop dans l'exercice do ses facultés. Cicéron nous
apprend dans une lettre que Posidonios de Rhodes (un
philosophe pourtant et des plus graves) et d'autres en-
core, qu'il ne nomme pas, lui écrivaient pour le prier
do leur envoyer des notes sur son consulat ils se char-
geraient ensuite de les orner; « instabant ut darem sibi
1. Théognie,215-218,(Poetœlyricigr&ci,de Bergk,4*éd., t. II).
2. Athénée,VU, 102.Voirle commentairede Bergk à proposdu
passagede Théognisqui vient d'êtrecité.
8 INTRODUCTION

quod ornarent » On peut voir là sans doute un trait de


la décadence. Mais il ne faut pas oublier quo les déca-
dences no font pas apparaître dans le caractère d'une
race ce qui n'y était pas antérieurement. Déjà Cléon,
chez Thucydide reproche aux Athéniens d'êtro « dos
spectateurs de discours et des auditeurs d'actions »,
c'est-à-dire do considérer les luttes des orateurs à la tri-
bune comme un spectacle et les événements comme un
drame émouvant. C'était là le défaut naturel de la qua-
lité la plus hellénique. Lorsqu'un peuple dispose de fa-
cultés si promptes et si variées, le danger pour lui, c'est
de s'en servir en virtuose, au lieu de les adapter sérieu-
sement à l'œuvre de la vie humaine.
Si maintenant, outre cette aptitude générale, nous
voulons distinguer chez les Grecs quelques qualités
d'esprit, d'imagination ou do sentiment plus particuliè-
res, voici los principales observations qui se présentent
à nous.
La race hellénique est essentiellement fine d'esprit
« Dès les temps anciens, dit Hérodote, l'Hellène s'est
» distingué du barbare on ce qu'il est plus avisé et plus
» dégagé d'une sotte crédulité 4. » Co n'est pas là le fait
d'un temps ni d'un groupe d'individus en particulier.
La finesse d'osprit se montre chez les plus vieux poètes
épiques comme chez les grands tragiques du v» siècle
et jusque chez les sophistes de la décadence. Et dans
l'existence même do la nation, elle n'est pas moins ma-
nifeste que dans la littérature. Elle se mêle à la vie so-
ciale, où elle entretient et excite le goût de la moquerie,
des controverses, des contes, des apologues, des sonten-
ces ingénieuses; elle cherche et trouve son emploi dans
1. AdÂttic. ,11,1.
2. Thueyd.,III. 38, 4.
3. Ingeniorumacumen.Cie.pro Flaeeo,4.
4. Hérod., 1,160 'AnsxpiOr, ix naXartépou toû p<xp«âpou ïOveoç xh 'EX-
X>)vixiv, iàv xa1 ttguâtepov xaV eùr,6eci)c f,).cO!ou Ô7rr,).).af névovpâXXav.
LA RACE GRKGQUE ET SON GÉNIE 9
les affaires, notamment dans la finance et le commerce;
elle domino enfin la vie politique; car, non seulement
à Athônos, mais dans chaque ville do Grèce, nous voyons,
partout où quelque lumière d'histoire vient à nous
éclairer, des hommes qui traitent finement de leurs in-
térêts.
Il ne faut pas se laisser tromper à cet égard par cer.
tains témoignages anciens, trop vilo acceptés, qui ont
besoin d'explication. On oppose souvent, non sans rai.
son, la gravite du génie dorien à la subtilité élégante du
génie ionien; on plaisante encore, d'après l'autorité d'une
fable ésopique, sur la niaiserie des Grecs de Kymé, et on
cite proverbialement la lourdeur des Béotiens. Ce sont
là ou dos vérités relativos fort grossies ou do simples
boutades propagées par la malignité. Les peuples qui ont
l'esprit fin, et par conséquent satirique, sont les plus
portés naturellement à se décrier ainsi eux-mêmes, par
l'effet de certaines différences locales dans les maniè-
res ou dans le langage. Il faut bien se garder de les en
croire sur parole. Sans alléguer ici les grande noms lit-
téraires ou politiques de la Béotie, on ne persuadera
aujourd'hui à personne que les artistes ignorés qui mo-
delaient sans prétention les jolies statuettes de Tana-
gra aient été des rustres et des lourdauds. Et quant à
la gravité dorienno, ce serait une singulière erreur que
de la concevoir comme une sorte de pesanteur d'esprit
incompatible avec la finesse. Les bons mots des Spar-
tiates étaient justement renommés dans toute la Grèce.
Nous en possédons encore, dans la collection des œu-
vres morales do Plutarque, un ample recueil Moins
gracieux et moins légèrement ironiques que ceux des
Athéniens, ils avaient plus de concision et jjj*r§de force.

i. Plutarque, Apophthegmata laconica et Lccxnarum apophtheg-


mata.
10 IN*TI\ODUCTION

Plusieurs sages, célèbres par lours sentences, appurte-


naient à la partie dorienne de la Grèce; et lorsque Cieê-
ron, dans son De Oratore, voulait enseigner à aiguiser
las mots spirituels qui sont une arme pour l'éloquence,
c'était a tous les Grecs, sans distinction de tribus, qu'il
demandait dos exemptas « J'ai rencontré chez les Grecs,
» dit-il, une foule de bons mots les Siciliens excellent
» en ce genre, et aussi les Rhodions et les Byzantins,
» mais surtout les Athéniens » Les Grecs do Sicile en
général sont pour lui Il une nation une et habite à la
» discussion (acuta Ma gens et contraversa natura) s. »
>»Jamais, dit-il, uu Sicilien n'est dans un si mauvais pas
» qu'il no trouve quulquo bon mot à dire » Il suffit
d'ailleurs d'opposer au génie original de la Grèce lo gé-
nie d'un peuple étranger, celui de Rome par exemple,
pour sentir combien la qualité dont nous parlons est
vraiment hellénique. L'esprit romain est sage et fort,
naturellement judicieux et précis, mais sa précision
môme n'a pas l'acuité do l'esprit grec. Plus assuré par
là contre les entraînements téméraires de la logique ou
les subtilités du raisonnement, combien on revanche
il est moins penélrantt t
C'est graso à celte tinasse que les Grecs ont été si tôt
et si longtemps dos muitres dans l'analyse morale comme
dans le raisonnement. C'est par là aussi qu'ils sont de-
venus si aisément des sophistes durant certaines pério-
des de leur histoire, et qu'il y a eu souvent quelque chose
de trop ingénieux chez leurs plus grands écrivains. Il leur
a toujours été plus facile qu'à d'autres de dégager vive-
ment des idées justes, d'apercevoir et do mettre en lu-
mière les côtés les moins apparents des choses, mais

1. Cieéron,de Oratore,54.
2. Id., Brutus,12.
3. Cicéron,in Yerrtm,11,43:Nunquamtam maie est -SifîMlW,
quia
aliquidfaceteet commodedtcant.
LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE t L

aussi ils ont toujours eu quelque peine à no discuter que


ce qui mérite d'être discuté, à no chercher que ce qui
vaut la peine d'une recherche.
En môme temps qu'ils pensaient finement, ils conce-
vaient avec netteté. Les Grecs ont été un peuple d'ima-
gination, mais ils ont cela do commun avec beaucoup
d'autres races. On peut croire sans témérité que dans la
tète d'un Indou, d'un Scandinave ou d'un Germain, il y
a ou généralement autant d'images, et celles-ci aussi
fortes, aussi vivantes, que dans la tète d'un Grec. Mais ce
qui est propre à la facon de concevoir do ce dernier,
c'est quo loulOi ces images qu'il portait en lui-même,
et qu'il renouvelait sans cesse, présentaient des formes
simples et des contours arrêtés. Le vague, l'obscur,
l'indéfinissable n'y avaient, pour ainsi dire, aucune
part. Tout y était éclairé, sinon également, du moins
suffisamment. Il serait exact do dire qu'il ne faisait ja-
mais nuit dans l'imagination d'un Grec. Et comme les
choses démesurées sont forcément par quelque endroit
des choses obscures, toute conception grecque était na-
turellement mesurée. Non quo la mesure en tout soit,
autant qu'on l'a dit quelquefois, un trait essentiel du gé-
nie hellénique. Los Grecs en ont manqué assez fréquem-
ment dans la spéculation philosophique comme dans leur
vie politique. Mais ils la gardaient sans clfort dans les
œuvres de l'imagination. Si cette faculté chez l'homme
est plus que toute autre sous l'influence directe des sens,
il semble que l'habitude de vivre sous un ciel souvent
pur et d'avoir sous les yeux des horizons presque tou-
jours nettement limités puisse être considérée comme
la cause première de cette qualité vraiment nationale.
Accoutumé dès l'enfance à ne jamais rencontrer, en
portant ses regards autour de lui, ni l'infini, ni le vague,
le Grec ne mettait ni l'un ni l'autre dans les images qu'il
*9 INTRODUCTION
se formait à lui-mémo Le monde do ses souvenirs, de
ses fictions ot do ses fantaisies ressemblait nalurollp-
mont à celui qu'il voyait on réalité autour do lui.
Bien n'est plus instructif à cet égard quo sa mytliolo-
gio. Comme elle hppartient à toutes les tribus grecques
simultanément et a la période la plus ancienne de leur
histoire, elle est particulièrement propre à montrer le
tour d'imagination qui a prévalu dès les temps les plus
reculés dans lonsomble de la race. Or n*ast-il pas re-
marquable do voir combien les grands phénomènes na-
turels qui servent do fondement à ses fables y ont pris
tout d'abord des formes nettes et simples, aussi arrêtées
dans lour physionomie que dans leur contour! La plu-
part dos dieux y apparaissent comme des êtres humains.
S'il reste par hasard en eux à l'origine quelque chose de
maldéfini la poésie travaille instinctive monta l'éliminer
On se los représente comme environnés de lumière
Loin de restof à demi plongés dans l'inconnu et dans le
mystère, ils on sortent tout entiers pour s'offrir à l'es-
prit dos croyants dans leur beauté sensible. Et lors mémo
que leur nature première so prête le moins à cotte trans-
formation, ou la leur impose encore autant que possible.
Quand l'imagination grecque personnifie l'éclair et la fou.
dre, les tempêtes, les tourbillons, les éruptions volcani-

1. Onconnaîtlesbeauxvers de la Médée d'Euripideaipropos des


Athéniens $(p£i|i:voixXeivoiâtav trofîav,«el8ià ).a|tnpoT<xTou
patuov-
n; àSpw;ai&èpo;, x. t. i. Cic, de Nat.fleor.,II, 16 Etânimlicet
videreaeutioraingéniaet ad intelligendumapUoraeorumqui terras
iacoUnteas in quibas aerait paras ac tennis,quamillorumqui utan-
tur crassocœloatqua coucroto. E. Reclus,Nouvelle géogr.univ.,
Europeméridionale, p. 89 a Cequi ravit l'artiste dans les paysages
dus golfesd'Athèneset d'Argcs,ce n'est pas seulementle bleude la
mer,le sourireinfinidesflots,la transparencedu ciel,la perspective
fuyantedss rivages,la brusque saillie de3 promontoires,c'est aussi
le profilsi pur et si netdes montagnesauxassises decalcaireon de
marbre on dirait dus marn»»arehiteetarsles,et maint templequi
tes couronnene paraitqu'en résumerla forme.»
L\ RACE GRECQUE ET SON CJÉNIE 13

qnos, c'osl-ù-diro dos forças immonses et déehainéos, elle


les simplitio elles limite le plus qu'ell» peut, Ou no trouve,
rien absolument dan» la mythologie grecque d'analogue
aux concoptions immenses et fantastiques do l'Indo ni aux
rêves obscurs do la raco soandinavu. Les Cyclopes, les
Hécatouchiros, /Ëgéon et Briarôo, Typhœus et los Titans,
dans tour Uitto contre los Oljinpit-ns, sont a.ssuréiuoiit
oo qui s'on rupprooho lo plus; mais il est visdilo quo la
poésie grecque, lursqu'eUo les représente, fait tout .-»ia
possible puur les rendre uiséniuiit concevables sans olro
trop inOdolo à l'idée promièro qui les a créés.; et il faut
hjuiiUt que bien loin do so complairu nrdinairoment à
ces iniages, t«lloles a au contraire do plus on plus négli-
gûes. Los dieux les plus aimés des poètes unt été les
plus humains.
Cette noltcté plastique do la concuption est un des
mérites les plus attrayants (le la littérature hellénique.
Dans lo domaine do l'imagination, tout pour les Grecs
est clair, tuut «st sensible, et comme ces formes si pures
sont do plus bien vivantes, elles ont par là même quel-
que chose qui charme vivement et qui satisfait. Toute-
fuis ces qualités on oxclueut nécessairement d'autres, ou
tout au moins les restreignent d'autant. L'obscurité a sa
poésie comme la lumière ot ce qu'on croit entrevoir à tra-
vers t'ombre est bien souvent ce qui émeut le plus for-
tement. Les Romains ont eu poul-ôlro plus que les Grecs
ce sens de l'invisible et de l'insaisissable. On trouverait
dans Lucrèce et dans Virgile do cos vers profonds qui
nous font sentir ce qu'on no peut voir, et qui ouvrent à
l'imagination des perspectives mystérieuses pleines de
rêve ou d'olfroi

ImpiaqueseUrnamtimueruntœcula noctem.
Et pourtant les Romains non plus n'ont
pas été par na-
ture les poètes du mystère. Cette admirable faculté de
14 INTRODUCTION

rêver en dehors do toutes tua formes précises et de sen-


tir au dolà. dos sensations déllmes ot limitées, nous la
trouvons bien plus dans los poèmes do l'Indojot les ra.
ces germaniques et scandinaves l'ont communiquée plus
ou moins à presque tous les peuples modernes Chez
les Grecs, au contraire, elle est relativement faible. En
revanche, tour netteté do conception les suit jusque dans
les choses abstraitos, ot là aussi elle a ses avantages et
ses inconvénients. Aucun pouplo n'a donné à la meta*
physique plus de réalité concrète. Non seulement los phi.
losophes poètes des premiers temps se font une mytho-
logie à eux qu'ils substituent à la mythologio populaire;
mais, on plein règne de la prose, les disciples do So-
cralo ne procèdent pas autrement. Platon se crée un
moado do dieux avec ses Idéos, il les voit revêtues do
formes merveilleuses et il nous les décrit. Les générali-
sations les moins substantielles dovionnont ainsi vivan-
tes on leur prête, pour ainsi dire, une physionomie et
on se les rond familières. C'est un grand plaisir assuré-
ment, mais n'ost-co pas aussi un danger pour la science
ot pour la saino rai ion? LesGrecs ont mis dans le monde
à eux seuls plus d'entités métaphysiques que tous los
autres peuples ensemble. Combien n'y a-t-il pas de ces
fantômes qui ont l'air d'être quelque chose et qui ne
sont rien 1C'est la finesse et la curiosité de leur esprit
qui on sont principalement coupables, si l'on veut; mais
leur manière do concevoir n'y a t-elle pas aussi contri-
bué pour uno largo part?
Il faut tenir grand compte encore dans l'étude do la
littérature grocquo d'un trait de caractère qui n'est pas
simple, mais qui résulte de presque toutes les parlicula-
t. Victor Hugo,Feuillesdautonine, XXXI.
Car l'âmedu poète, âmed'ombreet d'amour, c-,
Est une fleurdoituuiU %u!o'ûime aprèsla jour
Et s'épanouitans étoiles.
LA RACE GRECQUE ET SON GÉNIE 15
rites déjà décrites. Bienquo la tradition y ait une grande
force, la liberté individuelle y éclate partout. Ouvoit les
mômes sujets so porpétuer à travers do nombreuses gé<
aérations de poètes, mais presque jamais l'autorité des
prédécesseurs n'asservit complètement les nauvoau-ve-
nus, S'ils acceptent si aisément les exemples donués.c'ost
mémo tout juslomont parce que ces exemples ne les gê-
nent on aucune façon, fis ont uno manière à aux de s'ensi
.servir quin'impliqiieaueuno soumission proprement dite,
l/usagedes sujets anciens et môino d«s formes cousucrocs
est pour uux connue celui du langage tout le monde
s'on sort, sans croire pour cola imiter personne. Surtout,
ci' qu'on no rencontre guère dans la littérature grecque,
ce sont ces influences prédominantes qui chez presque
tous les peuples ont substitué d'une manière plus ou
moins durable uno vérité morale «le convention à la vé-
rilû naturelle. Lo Romain a généralement uno certaine
dignité sénatoriale et consulaire qu'il porto dans tout ce
qu'il écrit; il se fait un rôle à la hauteur de sa situation
dans lo monde, et il n'exprime que les sentiments qui
s'y accommodent. On pourrait écrire en télé d'une histoire
do la littérature latine
Ta regtre imperiopopulos,Romane,mtnunto.
Dans nos littératures modernes sans exception, le même
fait s'est reproduit, Le moyen âge est mystique, chova-
loresquo et scolastique. Le xvi6 siècle est érudit et par-
fois pédant. Le xvn6, scit en France, soit on Angleterre,
soit en Espagne, subit la mode de la galanterie raffinée,
du bel esprit, et souvent celle du point d'honneur castil-
lan. Les plus grands génies oux-mèmos, les Shakes-
peare, les Cfaideron, les Corneille sont plus ou moins
'^servis à ces conventions. En Grèce, au contraire, il est
difficile, jusqu'à la période alexandrine, de signaler
quelque chose d'analogue. Et dans la décadence même,
18 INTRODUCTION

lorsque la génie hellénique n'a plus auaai clairement


conscience dosa force ni do son originalité, commo cette
liberté native réparait parfuis avec éclat t Enface do Pline
et de Tacite, si romains l'un et l'autre, voici Pluiarquo,
avec sa bonne et charmante nature hellénique, si naï-
voinent humaine sous la forme un peu maniérée que son
temps lui impose. Entin quand un Syrien, comme Lu-
cien, s'est fait grec par toute son éducation, par toutes
ses lectures, par sa vio tout entière, quelle franchise no
trouve-t-il pas dans cet hollénismo devenu pour lui une
seconde nature Eu fait, los Grecs ont été constamment
plus voisins qu'aucun autre peuple do la simple vérité
humaine. Ce sont eux qui l'ont lo moins perdue de vue
on tout temps ot qui l'ont toujours le plus aisément
retrouvée. Par la hardiesse du jugement, par la fan-
taisio do l'imagination, par la sincérité naïve ou réflé-
chie des sentiments, l'ilollèno échappe a tout co qui
pourrait gêner l'essor de sa nature Rien d'artificiel na
vient se superposer en lui a la pure humanité. Les ca-
ractères propres qu'ollo prend dans ses couvres sont ceux
dont il no pout pas so disponsor, parco qu'il los porte
réellement en lui. Ils ne tiennent ni à un rôle accepté
ni à une discipline quelconque.
U nous reste à dire quelques mots, pour terminer
ceci, de ce qu'on pourrait appeler la disposition morale
prédominante de la race hellénique rien on effet n'in-
téresse davantage l'histoire littéraire. Des divergences
dignes d'attention se sont produites à ce sujet parmi d'é-
minents critiquos. Pour los uns, l'insouciance et la
gaieté, voilà le fond du caractère hellénique. « Les
« Grecs, dit M. Renan, en vrais enfants qu'ils étaient,
» prenaient la vie d'une façon si gaie que jamais ils ne
1. Delà cette personnalitési originalede quelques-unsdes Brands'
hommesdela Grèce.Onnetrouveraità Romeni un Socrate,ni un
Diogène.Calonle Censeur,comparaà eux, sembleraideet gourmé.
LA BACEGRECQUE
ET SONGÉNIE |77
» songeront à maudire les dieux, à trouver la nature
» injusto et porfide envers l'homme » Et ailleurs le
même écrivain nous parle do « cette jeunesse étornelle,
» do cette gaieté, qui ont toujours caractérisé lo vérita-
» ble Hellène, et qui, aujourd'hui encore, font que le
» Grec est commo étranger aux soucis profonds qui
» nous minent » D'autre part, l'auteur du Sentiment
religieux en Grèce, M. Jules Girard, qui a senti si pro-
fondémenl l'i\me hellénique, prend le contre-pied do ces
affirmations. « JI y a eu on réalité chez le Grec, dit-il,
m un souci do lui-même, do sa condition et de sa desti-
« née, qui s'éveilla on môme temps que sa brillanto
» imagination, qui mit dans ses premières œuvres,
quelque énergiques qu'elles fussent d'ailleurs, un ac-
» cent do plainte dont rien chez les modernes n'a dé-
» passé la force pathétique » Ce qu'il y a do vérité
dans cette dernière opinion, nul ne peut sérieusement
le méconnaître. Mais si ello représente avec force lo
résultat d'un examen érudit et attentif, la première ré-
sumo à grands traits, avec une exagération sans doute
volontaire, une impression générale, qui, malgré les
corroctions indispensables, demeure juste dans son en-
semble. Assurément les Grecs avaient l'esprit trop îin
et le jugement trop libre pour ne pas s'aviser de bonne
heure de tout ce qu'il y a d'obscur dans la condition
humaine ot d'injuste ou d'irritant parfois dans la mar-
che des choses. Il était impossible en même temps que
leur vive sensibilité ne souffrit pas des misères de la
vie. Mais s'il s'agit do constater la disposition morale
qui prédominait en eux, celle qu'on peut observer le
plus souvent dans leur littérature, il parait bien vrai
que ce n'était pas en somme cette conception triste des
1. Ia*Apôtres,p. 388.
2. Ibid., p. 339. Cf. E. Beclus. ouv. cité, p. 61.
3. LeSentimentreligieuxen Grèce,2"éd., Paris, 1819,p. 6.
Hist de la Litl. Grecque. T. I. 2
*8 INTRODUCTION
choses que les modernes ont souvent exprimée et
qui
80 montre aussi chez quelques écrivains latins. Us
pou.
vaient sans doute s'écrior avec Théognis, dans un mu.
mont d'affliction ou de révolte « l,a meilleure des
» chuses pour l'homme, c'est de no
pas naître» de ne
» jamais voir la lumière éclatante du
soleil une fois
» né, c'est di> franchir le plus tôt possible les portes
» d'Aïdès, et de se coucher dans la tomhu on amassant
» la terre sur sa tête ».Maisil y a loin de ces plaintes
accidentelles qui échappent parfois aux natures los moins
mélancoliques, à une habitude profonde de lu pensée et
du sentiment. Toute la poésie des Grecs est en détini-
tive la poésie do la vie; lour idéal constant est un idéal
do jeunesse et de beauté, qu'ils cherchent sans cesse ù
réaliser et auquel ils aiment à attacher leur pensée. La
grande cause de la tristesse habituelle, c'est-à-dire lo
sentiment profond d'une disproportion constante entre
ce que l'on conçoit et ce que l'on fait, entre co que l'on
désire et ce que ton obtient, cette causo intime de la
plainte moderne, les Grecs l'ont ù peine connue. Quel-
quos penseurs parmi eux ont pu s'en douter mais la
race grecque, dans son ensemble, a été, plus que toute
autre, amie do la vie, jouissant de ses pensées et do
ses sentiments, et portée par nature à un optimisme
toujours actif 3.
Voilà, dans ses traits généraux, le type hellénique
tel que nous le concevons. L'histoire do la littérature

t. Théognis,4~3-428,
1. «3-428,Bergk.
Berék.
2. Aristote[Problèmes,XXX,1) se demandepourquoiles hommes
supérieurs dans la philosophie,la politique,la poésie ou les arts
sont généralementmélancoliques. Sans doutesonobservationportait
surtout sur des Grecs,mais ellene leur étaitpaa spéciale.Si elle est
complètement juste, cequi peut être mis en doute,ondevraiten con-
clure simplementqueles grandshommesen Grècen'ont pas échappé
traità fait à une loi générale,mais il faudraitbien se garder de
chercherlà un trait de caractèrenational.
LA LANGUE GRECQUE 10

grocquo tout ontière, vue do haut, n'est que ]o déve-


loppement do ces observations fondamentales.

II

u\ i-anuui; ghecque.

La langue d'un peuple est la première révélation lit-


téraire de son génie. Elle est ollo-mômo une œuvre cle
l'esprit, et toutes les autres œuvres de l'esprit dépen-
dent d'elle. Quello que soit l'importance de l'élément
héréditaire qu'elle renferme, son originalité propre,
dès qu'elle on a une, manifeste de la manière la plus
frappante les qualités do la race. Elle devient une dos
formes do son idéal, et elle exorco son influence sur
tout co qui se fait désormais par la pensée et par le
sentiment. C'est uniquement à ce point de vue, tout à
fait différent de celui des linguistes, que nous voulons
considérer ici la langue grecque
Dès les premiers temps de la littérature, la langue
grecque a été finemont et musicalement accentuée.
Dans toutes les langues modernes do l'Europe, y com-
pris le néo-grec, l'accentuation consiste essentiellement
en un renforcement do la voix sur une des syllabes de
chaque mot. Par une conséquence qui nous semble
aujourd'hui nécessaire, la syllabe accentuée s'allonge.
11n'en était pas de mémo dans le grec ancien. L'accent

t. On peutrenvoyeraujourd'hui,pour l'ensembledesquestionsre-
lativesà la constitutionde la languegrecque,à la Grammairegrec-
quedeK.Brugmann(Handbuch d. klassischen
Atterlhums-Wissenschafl
deJ. vonSfulïer,t. II). Onytrouvera,pourchaquequestion en par-
tieulier,unebonnebibliographie.– Toutce qui concernela pronon-
ciation.doitêtre surtoutétudiédans Blass, VeberdieAtmprachedes
3"éd. 1888.
Gtièi!iiav/tm.
3Q INTRODUCTION
effet principal
y était surtout mélodique. 11 avait pour
do faire prononcer la voyelle accentuée sur un ton plus
se-
aigu. Entre cette voyelle et les autres, l'intervalle,
lon Donys d'Halicarnasse, était d'une quinte Que lé-
lévation de la note sur la syllabe aceontuéo ait eu pou
à pou pour conséquence do faire prononcer cette syllabe
avec plus do force et do l'allonger, c'est ce qui résulte
clairement de l'histoire même do l'accent grec, devenu,
dès los premiers siècles de notre èro, à pou près sem-
blable à ce qu'il est aujourd'hui dans le néo-groc. Cette
transformation fut graduolle, et il n'est pas douteux
bonne heure
qu'elle ait commencé à se produire de
mais il ost certain aussi que, pendant toute la période
classique et encore au temps de Denys d'Halicarnasse,
c'était le caractère mélodique (et non le caractère
au moins
rythmique) qui prédominait dans l'accent,
avec et correction.
parmi ceux qui parlaient élégance
On élevait la voix sur la syllabe accentuée, mais on ne
la renforçait que faiblement. Voilà pourquoi la versifi-
cation grecque classique est complètement indépendante
de Pacconl rien no prouve mieux à quel point celui-
ci différait dans l'antiquité hellénique de ce qu'il est
aujourd'hui. La transformation ultérieure de l'accent
entraîna la disparition de ce système de versification
on est en droit d'en concluro qu'il ne se serait jamais
établi si l'accent eût été à l'origine ce qu'il fut dans la
suite. Quand la syllabe accentuée fut distinguée des au-
tres par un renforcement très sensible de la voix et
les
qu'elle fut devenue la seule syllabe longue du mot,
1. Denysd'Halic, Arrangement desmot»,ti i AiaUxxw piv»5v|>gXo«
*v\{urptlteuei««T»)|iim
*$Xeyo|Uv%>«tairfvtt,&i?TY"«»'Un ton*lePaB*
sagequi est fortcurieux.On y voit notammentque les syllabes frap-
péesdel'accentcirconflexeétaientà la foissignes et graves, c'est-à-
dire que la voix, en les prononçant,passait rapidementd'un ton
élevéà un ton plus bas. L'effet.devaitêtre celuid'unevéritablemo-
dalationmasïcale,d'ana sortedechant atténué.
LA LANGUE GRECQUE 31
vers d'Homère et do Sophocle sonnèrent faux. U fallut
créor un système de versification fondé sur l'accent,
puisque celui-ci avait Ont par tout absorber. Mais pon-
dant do longs sièclos, los trois éléments essentiels de la
musique du langage, à savoir l'intensité du son, sa du-
rée et son acuité, étaient restés distincts et indépen-
dants les uns des autres. L'accent grec était donc
délicat autant quo musical Il so posait avec légèreté
sur les mots sans les écraser ni les déformer. C'était une
liuo note qui faisait ressortir une syllabe, mais qui
laissait discrètement aux autres leur valeur. II était en
outre varié. Au lieu do s'attacher exclusivement, comme
l'accont latin, à la pénultième et à l'antépénultième, il
se portait fréquemment sur les finales; et lorsque cel-
los-ci terminaient un membre de phrase, cotte tonalité
élevée frappait vivement l'oreille Dans l'intérieur des
phrases, au contraire, ollo s'atténuait volontairement,
afin de lier les mots les uns aux autres et de donner au
langage plus do fluidité. En somme, par le caractère
général de l'accentuation, la façon de parler des Grecs
devait produire surtout l'impression d'une facilité élé-
gante et variée.
Le môme caractère se montrait dans la constitution
intime des mots on ce qui concerne le groupement des
sons et leur prosodie. Il suffit de lire comparativement
une phrase de Xénophon et une phrase de Tite-Live
prises au hasard, pour remarquer immédiatement com-
bien diffère dans les deux langues le nombre propor-

i. Quelquesdialecteslocaux, en particuliercelui de Lesbos,fai-


saient exceptionà cet égard (R.Meisler,Diegriechiseken Dialecte,
Koettingen, 1883,1, p. 31et suiv.); mais cen'est là qu'uneparticula-
rité sans Importanceau point de vue généralquiest le nôtre. Quant
à l'accentuationdorienne,malgréses caractèrespropres,elle ne de-
vait pas différer sensiblementdu type que nous représentonsici
(Ahrens,deDialectodorica,Gottingœ,1843,p. 26;R. Meiater,Bemvr-
kungensur dorischenAccentuation, Leipzig,1883).
23 INTRODUCTION

tionnol des voyelles et dos consonnes. Pour une même


quantité do voyelles, le latin emploie environ un quart
de consonnes do plus que le grec. Et pourtant la langue
attique, qui est celle de Xénophon, est beaucoup moins
riche en voyelles que celle d'Homère, qui l'est elle-
même beaucoup moins quo celle d'Hérodote. Si l'on éta-
blissait une proportion moyenne, elle serait donc encore
plus favorablo au grec. Parmi les langues littéraires
modernes, l'italien seul lui est comparable à cet égard.
Mais ce n'est pas seulement par le nombro relatif des
voyelles que le grec est remarquable c'est aussi et
surtout par leur indépendance. Le mot grec wspi&pspa
n'a que cinq voyelles comme le mot latin correspondant
circumfercbat, mais trois voyelles au moins du mot la-
tin s'unissent dans la prononciation aux consonnes
suivantes et forment avec celles-ci des sons composés
(cir, cum, bat), tandis que les cinq voyelles du mot grec
sonnent avec puroté, comme si elles étaient isolées. Il
est à remarquer aussi quo les cinq voyelles du mot
grec sont brèves, tandis que, sur les cinq du mot latin,
trois sont longues. En général les voyelles brèves
étaient très nombreuses en grec, bien plus nombreuses
qu'en latin. Dans le vers épique latin, c'est le spondée
qui domino, surtout avant Virgile dans Homère, c'est
le dactyle. Ces syllabes brèves échappaient naturelle-
ment au renforcement de la voix, à cotlo augmentation
d'intensité qui paraît s'être produite très anciennement
pour les syllabes longues par l'effet même de leur du-
rée plus grande. Il en résultait que le rythme général
de la prononciation grecque était plutôt facile et coulant
que coupé et comme martelé par des intonations vigou-
reuses.
La netteté et la finesse de l'articulation devaient par
suite donner au langage beaucoup de grâce c't de clarté
sans exiger un grand effort dos organes. Il est possible
LA LANGUE GRECQUE 93

cette qua-
qu'à l'origine, dans la période préhistorique,
lité ait môme été voisine d'un défaut. 11devait y avoir
dans la langue grecque trop do sons simples formes
d'une voyelle soit isolée, soit accompagnée d'uué seule
consonne Sous coito forme, ello pouvait manquer un
pou do vigueur et gardor quelque chose d'enfantin.
L'instinct populaire y remédia de bonne heure en res-
sorrant les syllabes, principalement par les contrac-
tions. Dans la poésie épique lu plus ancienne, nous les
archaï-
voyons déjà fort on usage. A côté dos formos
nous en trou-
ques, qui sont ouvertes et décomposées,
vons d'autros plus récentes et plus resserrées (par ex-
ou des anciens onow
emple les génitifs on à côté génitifs
et on oo).On sont que la languo achèvo alors do se dégager
do ses manières primitives ot qu'elle tend à un mode
d'expression plus concis et plus viril. Ce progrès, malgré
certains temps d'arrêt (par exemple chez Hérodote),
s'ost poursuivi dans la périodo historique, et le dialecte
attiquo l'a mené à son terme naturel, fort éloigné en-
core de la gravité un pou pesante du latin *>
Le système primitif des consonnes a quelque peu
souffert de cotte fatalité de la prononciation. Dès la
période préhistorique le sigma, non sonore, entre deux
voyelles, avait presque complètement disparu; et le
digamma, qui a subsisté longtemps dans le parler po-
pulaire et même dans l'orthographe des inscriptions
on dehors des pays ioniens et attiques, n'a exercé que
peu de temps son influence sur la langue littéraire. Il
y avait là le germe d'un inconvénient qui aurait pu de-
venir grave. Les mots, en s'altérant ainsi, s'éloignaient

i. O. Meyer,Grieeh.Gramm.,Leipzig,1880,§ 122 Ammeistenhat


das Ioni'icheHérodotegetrennteVocalegednldet; am weitestenin
der Contractiongeht das Attiseho; die abrigen Mnndartennehmen
eiueHUloîstelluiigein, stolienaber im allgemeiueu«IeiuIouischen
tueherats demAttisehen.
34 ISTROOCCTION

trop do leur forme primitivo, et leurs relations mutuel-


los devenaient plus obscures en outre la prononcia.
tion perdait do sa force et par conséquent do sa valeur.
Mais un sentiment instinctif des qualités nécessaires
du langage empêcha ce double dommage do so pro-
duire. Après s'ôtro adoucie et allégée, la langue resta
encore vigoureuse et suffisamment fidèlo à ses origi.
nos
Une chose particulièrement digne d'attention en grec,
c'est la nature des finales. Les mots, quels qu'ils soient,
ne se terminent jamais que par des voyelles ou par
uno des trois consonnes sonores v, p, ç, cette dernière
simple ou composée, et $. Les Grecs fuyaient donc
instinctive mont les désinences sourdes ou rudes. Par
suite, les mots so liaient les uns aux autres avec une
facilité extrême, et la lluidilé du langage on était ac-
crue sans qu'il perdît rien on netteté.
Voilà pour la prononciation. La formation des mots
mérite aussi quelques remarques. Lo fonds primitif du
vocabulaire et les procédés do dérivation familiers au
grec n'ont rien de particulier nous retrouvons dans
d'autres langues de mémo famille, et en latin notam-
ment, les mémos racines et l'emploi de suffixes analo-

t. Les déformations de mots dont il est ici question sont sensibles


lorsque l'on compare le grec au latin, par exemple l'éolien «C»; (pour
a-j<j«;) et l'ionien r,w; au latin aurora, le grec t<k au latin vina. On
trouve dans Hesycliius des formes telles que xaîvîta pour xa<nr»n"|.
On ne peut nier, ce me semble, qu'il n'y ait là un excès. Une langue
s'affuthlit en effaçant ainsi des artieulations caractéristiques. Mais les
Grecs ont en général résisté avec beaucoup de goût à ces tendances
fâcheuses. Les aspirations ont toujours tenu une grande place dans le
langage. malgré quelques divergences dialectales. Denys d'IIalicar-
nasse les louait avec raison (Arrang. des mots, 14 Kpcrrurra jtiv
oîv loxiv ooa toi ?mv|ucT( no).Xrâ)if£Tat. rà 8i Sa<nctxal tJ)v toO mit-
fiato; itpoa6r,XT,v (ïyu) S><ml-(yvt toO TtUtirara elvai ixiXvtx.Et il est a
remarquer que l'usage vulgaire distinguait à peine les muettes fortes
(s. x, t) des aspirées correspondantes (G. Meyer, Gr. Gr., g 296).
I.A LÀKGCE GBECOUK 25

guos, qui permettent de tirer d'une seule racine»un grand


nombre do mots. Il no semble mômepasqu'ily ait do
différence bien uotable à cet égard entre les ressource a
naturelles des doux langues. Mais lo grec a boaucoup plus
profité des siennes que le latin. C'est le développement
intallectuol du peuple qui a produit celui du langage. A
mesure qu'ils ont inventé la rhétorique, la science
morale, la politique, la philosophie, les Grecs se sont
fait sans poine un vocabulaire spécial et complet pour
chacune do ces études nouvelles, et ils n'ont ou besoin
pour cola de rien emprunter à personne. Avant même
la naissance des sciences proprement dites, la variété
de la vie chez ce peuple aux sensations fines et multi-
ples avait eu pour effet naturel de susciter dès les temps
anciens un langage remarquablement riche. La môme
idée était exprimée do plusieurs manières, entre les-
quelles la finesse naturelle do la race établissait bien-
tôt dans l'usage dos nuances délicates
En co qui concerne les mots composés, la comparai-
son du grec et du latin est particulièrement instruc-
tive. La faculté d'associer plusieurs racines ou plusieurs
radicaux pour on constituer un terme nouveau est com-
mune originairement aux doux langues. Mais peu mise
à profit parles Latins, elle s'affaiblit chezeux de bonne
heure au point de disparaître presque entièrement.
Cola tient, semble-t-il, à ce que leur esprit, moins dé-
lié et moins analytique, confondait les idées ainsi asso-
ciées, de telle sorte qu'elles leur apparaissaient bien-

». Comparerpar exempleentre eux lesmots pivo;,(iî-vîç,^êio;,>-


tôt,faiirf;qui appartiennenttous simultanémentà la languehoméri-
queavecle sens plus ou moins accusédecolère.La différenceentre
xtXo;et x<Sto; estbien sentieet finementindiquéedans ces vers ill.,
I, 81)
ef irep Y<4pte X*» Y* «^ <&Apap
xmatdtyy,
iiXi te xal |UT4m<r8ev tgti xitov, ôçpat TgXéwn),
i» orrjtawiv M<ti,
36 INTaODUGTlQX

lût ensemble comme une idéo simple lu distinction


primitive dos éléments sVITuçait et la notion composai)
devenait un tout indivisible». Phénomène bien sensible
encore, mémo pour nous, dans dos mots tels que opù
/et, artifex, tubieen, et une foule d'autres, que l'esprit
no songe plus à décomposer, tant leur dualité urigi-
nelle a disparu. En fait, dans les mots composés latins,
l'un des radicaux, perdant li pou près sa valeur propre,
n'est plus qu'un suflixo. et lu composition n'est guère
dos lors qu'un procédé particulier do dérivation. Voilà
pourquoi elle a cessé bientôt do s'exercer comme une
fond ion régulière dans la vie du langage. Combien les
choses no sont-elles pas différentes à cet égard citez les
Grecs 1 Pour eux, co jeu de l'intelligence, groupant des
éléments divors de pensée dans dcs combinaisons nou-
velles et toujours vivantes, était aussi facile qu'agréa-
blo. Leur esprit vif et leur imagination uotle ne per-
daient jamais do vue complètement les idées ou les ima-
gos distinctes qu'ils se plaisaient ainsi à rapprocher
dans dos composés ingénieux ou sonores. Chacune d'et-
los gardait une part do sa valeur propre, tout en met-
tant, pour ainsi dire, l'autre en commun. Rieu do plus
aisé it constater dans les cpilhèlos do l'ancienne poésie
épique par exemple. Mais peut-être l'étude de la prose
classique ost-elle encore plus décisive à cet égard. Sans
doute les composés qu'on peut appeler descriptifs y sont
devenus fort rares, mais l'aptitude à grouper les idées
sans les confondre se montre aussi vivante qu'autre-
fois. Tandis qu'en latin, les verbes composés n'admet-
tent guère qu'uno seule préposition modifiant In sens
du vorbo simple (jacio, injicio) 1, dans la prose grecque
la plus pure les verbes composés avec doux et môme
trois prépositions no sont pas rares s.
1. Madvig,Gramm,Int., §906,a, K«m,T (trp.rt.netiiw
Theil),
2. Dansun verbetel que nposgôyeiv
par exemple,quel'on rencontre
LA LANGUE GRECQUE 37
Le système de la déclinaison grecque offre un cas de
moins quocolui de la déclinaison lutine et on général
si l'on compare l'état où il se présente à nous dans
lu période historique avec celui de l'ùgo antérieur, on
y remarque une tendance prononcée it simplifier La
languo s'allégeait do tout cequi lui semblait inutile. Un
seul et mémo cas, lo génitif, par exemple, traduisait
assez clairement dans l'usage des rapports de nature
très diverse. Cela suffisait ù faire abandonner l'ablatif,
comme superflu. Toutefois, dans celte simplification pro-
gressive, la langue grecque, par un phénomène eu.
rieux, a longtemps garde les formes du duel, comme
s'il en coûtait il ces imaginations nettes de n'établir au-
cun intermédiaire entre un et beaucoup.
Le système de conjugaison, bien que simple aussi,
lorsqu'on lo compare ù colui de la langue sanscrito par
exomple, est cependant complexe, relativement à la sé-
rie dos flexions du verbe latin Los Grecs ont plus
de formes verbales synthétiques que les Latins. C'ost
ainsi que nous trouvons ongroc un modo de plus qu'en
latin, l'Optatif, un temps de plus, l'Aoriste, et des formes
temporelles plus nombreuses pourl'Infinitif et lo Parti-

chezHérodoteet chez Thucydidepour dire conduhvle premierdes


troupeshorsdu camp,le sens général n'est intelligiblequ'autant que
chacundes trois élémentsconstituantsgarde toutesa valeurpropre.
Et lorsqueThucydideencore,et après lui Xénophon,se servent du
verbeàvteite(iévai,
ils exprimentdans un seulmot quatre idées dis-
tinctes(1»aller,2»horsducamp,3°Il l'attaque,i'potir répondreà celle
del'ennemi),dontaucunene disparaitdans l'ensemble.Detels exem-
ples montrentd'unemanièreconcluantecombienla facultéd'analyse
•Haitinhérenteà l'esprit grec.
1.Ontrouveen grec, commeenlatin d'ailleurs,la tracede plusieurs
cas perdus un locatif,uninstrumental,un ablatif. Voy.Brugmann,
oub.c, g US.
2. G.Curtius (DasVerbumd. griech.Sprache,Leipzig,1876;Intro-
duction)a dressé une intéressantestatistiquedes formesverbales
dansles irote tangues,qui permetde faire aisémentla comparai-
sou.
«8 INTRODUCTION

ripe, en outre une distinction bien mieux observée en»


tro les désinences dostnmps primaires et celle des temps
secondaires, nous y rencontrons aussi, côté de la voix
active et de la voix passive, une troisième» voix, appelée
moyenne, qui permet de marquer par une simple dési-
nonco des nuances délicates dans la manière d'onvisa-
gor le rôle du sujet. Do cotte comparaison, il aorait très
inexact de conclure que les Grecs aient pu traduire dans
leur langage beaucoup de modifications particulières
d'idées ou de sentiments qui échappaient aux Latins.
Rn réalité ceux-ci disaiont à peu près les mômes cho-
ses par d'autres procédés, et c'est encore ce qui nous
arrive à nous modernes, qui parlons des langues plus
analytiques. La différence caractéristique n'est donc pas
dans le nombre ni dans Id nature dos idées exprimées,
mais dans le mode d'expression et dans l'état d'osprit
qu'il suppose. En général, comme on le sait communé-
ment aujourd'hui, le procédé synthétique a prédominé
dans l'histoire des langues, avant le procédé analytique.
Il correspond à une certaine phase do l'évolution du
langage. Ses avantages et ses inconvénients sont aisés
à concevoir. Il donne à la langue quelque chose de ré-
gulier et d'ordonné dans la variété il permet do cons-
tituer autour d'un même radical des séries de formes
parallèles, rattachées les unes aux autres par l'analo-
gie et pourtant différentes par là il a une sorte de
beauté qui tient do celle des œuvres d'art. En outre, il
condense plus fortement les pensées, il met plus de sons
et de valeur dans chaque mot, il en fait des groupes
pleins de vie. Mais l'inconvénient apparaît dans l'a-
vantage même. L'emploi d'un tel procédé est difficile
il exige de l'esprit trop d'attention, trop de suite, trop
de régularité il crée des formes trop voisines les unes
des autres, entre lesquelles le discernement exact ne
peut être fait dans l'usage que par des intelligences ou
LA LANGUE GRECQUE 39
très fines ou très patientes. Voilà pourquoi les peuples
chez qui l'irU^lligonce est plus solide que fine, ou chez
lesquels la préoccupation prutiquo prédomine ordinai-
rement sur le sons de l'art, ont on général fort peu
usé de co procédé ou l'ont abandonné de plus en plus.
A co point do vue, lu langue grecque représente une
sorte do juste milieu remarquable. Elle mélange on efftt,
dan* ses procédés d'élocution, la synthèse et l'analyse
avec une liberté et une grâce tout a fait particulières.
Ello doit aux procédés do l'une cotte régularité, cette
richesse do formos, cette beauté d'ordonnance et do
symétrie, qu'aucune autre langue classique ne possède
au môme degré. Mais en môme temps, elle emprunte
à l'autre une vivacité, une clarté et aussi une aisance
qui ne sont pas moins remarquables. Elle est ainsi éga-
lement appropriée à la prose et à la poésie, aux discus-
sions et aux descriptions, aux besoins du langago cou-
rant et à ceux de l'art oratoire. Et pour en revenir au
point particulier que nous traitons en ce moment, nulle
part cet heureux tempérament ne se révèle mieux que
dans la série des formes verbales. La conjugaison grec-
que a autant de voix qu'il y a do manières réellement
distinctes d'envisager le rôle du sujet, autant de modes
qu'il y a de façons essentielles pour l'esprit de conce-
voir une action, autant de temps qu'il y a de grandes
divisions possibles dans la durée. Mais dans l'usage,
les Grecs, sans s'asservir à une régularité gênante, ont
laissé tomber ce qui était surabondant, ont substitué
le procédé analytique au procédé synthétique là où ils
y ont vu quelque avantage, et ont déterminé avec
une finesse judicieusela valeur exacte des formes qu'ils
conservaient
i. Il suffitde parcourir une liste des verbes grecsdits irréguliers,
pnnrremarquercombiende formes,naturellementindiquéespar l'a-
nalogie,la languegrecquea laisséestomberen désuétudeou peut-
80 INTRODUCTION
Si de l'étude des flexions, nous passons à celle do la
syntaxe, ce qui appelle notre attention, c'ost encore la
liberté intelligente et ingénieuse qui s'y associe tout
naturellement a l'ordre. Quand la langue grecque éta-
blit une règle, e'est-a-dire un usage certain et généra-
lement appuyé sur uno raison, il est rare qu'elle s'y
assorvisso. Ello », pour ainsi dire, sa logique à e^°>
souple, légère, artistique, qui n'est pas du tout la lo-
gitluo impérieuse et inilexiblo do l'école. l»ar oxomplo,
colle-ci, aveu son dogmatisme absolu, défend de moltro
au passif un verbe qui ne comporte pas à l'actif de coin*
plument direct et les langues qui aiment les lois rigou-
reuses lui obéissent ponctuellement. Nous disons en
français je nui* à quelqu'un, et, comino ce quelqu'un est
complément indirect du verbe nuire, nous n'osons pas
diro je suis nui par que/qu'un. Il y aurait là un manquo
de symétrie qui nous paraîtrait barbare. Les Latins nous
ressemblaient à cet égard, ou nous leur ressemblons.
Les Grecs, par respect pour la logiquo, ont, il est vrai,
la mémo règlo mais, avec une liberté (lui a bien aussi
sa raison, ils l'éludent souvent sans scrupnle, surtout
lorsqu'ils peuvent obtenir ainsi une fine et ingénieuse
antithèse
étra momon'ajamaiscréûes.D'une manièregénérale.lalanguedutemps
do PtSriclésoud'Alexandre) est moinsriche quela languehomérique.
Ontrouve pourtantalors dans la conjugaisonquelques formesque
celle-cine connaissaitpas,par exemplelesfuturs passifsen 6r,<ro|ias,
Celaprouveque le procédé
les parfaitsdits aspirés,têts quercfotj>«x"-
synthétiqueétaitencorevivantpour les Grecs; maisles ils continuaient
à en user avecchoixet modération.G'eâtainsi que formessyn-
thétiquesdesmodesdu parfait et cellesdu plus-que-parfait (icXvxto,
étaient fréquemmentremplacéesdans le langage
tâûxoiiu, êXsX-jxetv)
écrit, et sans doutebeaucoupplus souventencoredans l'usagecou-
rant,par lesformesanalytiquestorrespondantes(Utoxù;&.elr,v,qv),
parce qu'elles impliquaientun sens assez complexeque l'analyse
mettaitmieuxen lumière.
f. Xênopn., Banqixt, VIII, 2 Nari-parroî ip&t tî,î pwwwî svt*?*ts».
– Isocr., III, 57 *Hv f«? xaXû; Sjrçsirtai pittùat, noUûv «pzeiv 8uv*r
LA LANGUE GRECQUE si

Les règles do subordination et do corrélation sont


i\ peu près les mômes en grec et en latin. Dans les
deux langues, un arrive par des moyens simples, a l'aide
des modes et dos temps, combinés avec l'usage des con-
jonctions, à marquer très nettement et très finement
le rapport de doux ou de plusieurs jugements que l'on
veut rattacher les uns aux autres. Mais outre l'avantage
que lu grec tire de la richesse do sa conjugaison, il it
encore ici celui d'une logique moins absolue- ot d'une
plus grande élégance tlo procédés Il est curieux de
voir avec quelle facilité naturelle il rompt au besoin le
rapport grammatical dès propositions, pour donner à
l'une d'elles plus de vivacité. Cela est extrêmement
sensible dans les interrogations indirectes. Le latin,
conformément à la logique, les traite invariablement
coin me subordonnées, co qu'il marque on les mettant
au subjonctif. Procédé éminomment rationnel. Pour le
.(Iri'C,c'est lo sons dramatique qui prévaut ici sur lu
logique, et comme en général la question a plus d'im-
portance et frappe plus l'esprit que lo membre de
phrase d'où elio dépend, il on fait io plus souvent une
proposition principalo «4 la traite comme telle Aussi
loin que nous pouvons remonter dans l'histoire de la
langue grecque, nous trouvons la preuve do cette li-
berté intelligente.
Signalons enliri l'usage des particules. On sait cum.

oovîas. – Xénoplt., Banquet, IV, 3! O-jxétt âit£Ù.ûnat, àX).' ïfit, «ire:}.<5


iîi.o;
1. Par exemple,la simpleparticuleav ouxe peutchangerune pro-
positionintentionnelleen propositionrelative danslesverssuivants
(/««< XXIV,73),itt seul signifieraitafinque,tandis que w; xrvsi-
gnifiecomment, ce qui modifiele ton de la phrase
«fypatt! oi tSiia irjxsvbv feoç, wj xsv 'A^tUmS;
Swpwv èx Ilpiâtioto W-/ij.
2. Isée, VI, {3 'Epopévcdv
r,(uâyeî îrj, iv SixsXîxëçaaavàuoôavsïv.
Ondiraiten latin Rogantibusnobisan vkevet,responsumest eum
in Siciliainteriisse.
SrJ INTRODUCTION

bien ces fines attaches des pensées sont nombreuses


et délicates aussi bien dans la poésie homérique que
chez les écrivains du cinquième ot du quatrième siècle,
Ce sont en général des mots anciens, dont le sens et la
valeur s'étaient affaiblis pou à peu. Il n'en est qu«
les Grecs
plus remarquable de voir avec quelle sûreté
se servaient de ces torinos pou significatifs par eux-mê-
mes, mais qui gardaient pourtant quelque chose do
leur sons primitif, Ils les alliaient les uns aux autres,
les combinaient do diverses manières selon leurs affi-
nités, los rapprochaient ou los opposaient, en un mot
les maniaient avec aisance, on vue d'avertir l'esprit,
de faire deviner d'avance la pensée, de rattacher les
cun.
phrases les unos aux autres ou de los mettre en
traste. Et la brièveté même de ces petits mots, qui
semblaient se perdre dans le tissu du discours, permet-
tait do faire de tout cela une sorte de jeu, où l'agilité
intellectuelle du Grec trouvait à s'exercer
Ces observations, extrêmement incomplètes et som-
maires, suffisent cependant à marquer los caractères gé-
néraux do la langue grecque au point de vue littéraire
Sonore et variée, elle se prêtait aussi bien à l'expression
des passions fortes et des idées vigoureuses qu'à celle
des nuances délicates du sentiment et do la pensée. Ex-
cellente pour la poésie par la beauté simple de son ac-
centuation et par l'ampleur mesurée de ses formes,
elle lui fournissait en abondance et avec une égale fa-
cilité soit les expressions éclatantes et descriptives qui
enchantent l'imagination, soit les lormes précis eténor-
ou de
giques qui sont pour l'homme plein do sa passion
son idée commeautant de traits. Elle avait dès le temps

i. Notertout particulièrementl'emploides particules|itv eten«i. qui


ont servi dés les premierstempsde la littératureà étiqueter quel-
sorteles d'un développement, dans l'intérêt de la clarté
que parties
et du raisonnement.
LA LANGUE GRECQUE 33

d'Homèro, des ressources multiples pour caresser l'o»


roillo et pour séduire les esprits, lorsqu'elle coulait
« plus douce que lo miel » dis lèvres d'un orateur
tel quo Jy'oslor, ou « plus pressée que les flocons de
la neige d'hiver » do celles d'un Ulysse; elle en avait
aussi pour les frapper par dos soutences concises, à la
manière de Ménélas apportant dans l'assemblée des
Troyens ses réclamations et ses menaces itsGpx <ùvf
îlli (**>.«Xiyfwî, « quolqucs paroles seulement, mais
nettes et vibrantes, « Et déjà, à voir cette richesse dis-
crète, cette souplesso fine et brillante, on pouvait près.
sentir quelle admirable prose sortirait un jour d'une
telle poésie. La langue d'Homère n'eut qu'à vivre
quel-
quos siècles, il mûrir, pourainsi dire, aux rayons do la
sagesse morale et politique, pour devenir tout naturel-
lement, et sans aucune modification profonde, la prose
naïve et hrillanto d'Hérodote, la prose concise et forte
de Thucydide, lu langage morveilloux de Platon, mêlant
toutes les grûcos et toutes les splondeurs do la
poésio
aux plus subtiles finesses de la métaphysique, le
parlor
simple et précis de Xénophon, si net, si juste, si élégant,
et eulin l'éloquence do Déinosthôno, c'est-à-dire le
pur
langage do lu raison et de la passion, également lumi-
neux et pathétique.
Nous n'avons rien dit jusqu'ici do la diversité des dia-
lectes. C'est qu'elle n'a pour nous qu'une
importance
secondaire à côté de celle des caractères généraux de la
langue. Toutefois, elle est trop brillamment représentée
dans l'histoire de la littérature, pour
que nous la pas-
sions entièrement sous silence.
Les dialectes qui ont été parlés dans la Grèce an-
cienne sont loin d'être encore classés d'une manière
absolument méthodique et déflnitive ». Dans un
pays
i. L'opinionde rauiîqaitê à ce sujet est
expriméepar Strabon
( VIII,i, 2) qui établiten quelquesortele tablenude rrfnorHH™ ,»».
,o
Him. de la UU. Grecque. – T. X. 3
34 INTRODUCTION
divisé on une foule de petits États, qui ne se compo-
saient parfois que d'une ville et de quelques bourgades
confédérées, il était impossible quo le langage parlé
n'offrit pas des variétés presque infinies, Mais ces par-
ticularités locales, oxtrèmemont intéressantes pour la
dans lalittérature. Colle-ci
linguistique, nocomptent pas
no connait l'Ionien, le
que quelques types principaux,
Lcsbien, lo Dorien, l'Attique, et enfin ce qu'on a nommé
la langue commune.
L'ionien a été le dialecte de la poésie épique et plus
tard celui de la prose ù ses débuts. Il se distingue par
sa fluidité, par la multiplicité des voyelles, par sa dou-
dans
ceur, dont on peut voir comme un signe extérieur
la prédominance du son atténué de Vu sur le son plein
do l'a et dans la disparition précoce du digamma. Ces
traits sont plus accusés encore dans le nouvel ionien

que dans le vieil ionien des poèmes


d'Hérodote bonaé-
L'ionien est le grec d'Asie, légèrement amolli
riques.
soit par des influences que :tous ignorons, soit par l'ef-
fet de l'hérédité chez une partie de la race grecque vi-

dialectes. Maisil ne donne que les grandes lignes de cette répartition


et ne s'occupe nullement d'un classement détaillé et vraiment scien-
tifique. Il y a pour lui quatre dialectes répartis en deux groupes
17o«ien et l'Attique constituent le premier. l'Éolien et le Dorien le se-
cond. Le point de vue moderne est tout autre. G. Meyer (GrfeeA.
Gramm., p. xn) l'expose ainsi « L'ancienne division des dialectes
grecs en Dorien, Éolien et Ionien (ce dernier comprenant l'Attique)
ne peut plus être maintenue qu'à la condition de comprendre sous le
nom d'éolien tout ce qui n'est ni dorien ni ionien, sans vouloir créer
une ori-
par là aucun préjugé en faveur d'une parenté reposant sur des re-
commune, » Et plus loin « Donner un exposé détaillé
gine
lations de parenté de tous les dialectes grecs entre eux est une tache
dont la science est actuellement incapable, » Cf. Brugmann, ouv. c.,
et sans
p. 16, qui distingue d'après les ressemblances linguistiques,
rien préjuger sur la question de parenté, sept groupes principaux
1» Le groupe ionio-attique 2° le groupe dorien 3» le groupe de la
Orée© an Nord-Ouest; 4» le groupe de la Grèce du Nord-Est; &>le
groupe de l'Èlide; & le groupe arcadien-cypriote; 7» le groupe paru-
phylien.
LÀ LANGUE GRECQUE 35
vant dans dos conditions particulières t. Dans le vieil
ionien, la force native du parler hellénique résiste en-
core à cet amollissement, et il en résulte une des plus
belles formes de la langue grecque, celle peut-être qui
unit le plus do délicatesse, de variété, de graco à l'é-
nergie primitive.
Le lesbion n'a ou de grande importance littéraire que
dans la poésie lyrique d'Alcôo et de Sapho. Si curieux
que soit ce dialecte au point de vue de la linguistique,
il ne tient donc qu'une petite place dans l'histoire de
la littérature. Lu lesbien avait, comme le dorien, quel.
que chose de mâle et de sonore, avec moins de rudesse
et plus do grâce. Son accentuation, moins variée que
celle de l'ionien, devait le rapprocher davantage du la-
tin, auquel il ressemblait aussi, plus qu'aucun dialecte
grec, par ses flexions.
Tout autre a été le rôle littéraire du dorien. C'est avec
l'ionien la langue de la poésie, et son influence se fait
sentir encore dans la période attique. La poésie lyrique
chorale lui appartient dès l'origine et reste jusqu'à la
lin dans aa dépendance. La gravité était sa qualité pro-
pre. Il recherchait les sons pleins, ceux de l'a et do l'a»
principalement, et conservait les groupes do conson-
nes primitifs (- vrt, v;,) avec une prédilection qui
lui donnait une certaine lourdeur dans l'usago courant i.
i. Olfr.Mûller(Litt.greeq.,t. 1, p. 19de la traductionHillebrand,
in-12)regardait l'ioniencommeune modificationda grec primitif,
(luise serait produited'abordsurlecontinentet de là aurait été trans-
portéeen Asie. On tend plutôtaujourd'huià considérerl'Asieelle-
mêmecommele foyer de f ionisme. VoyezCurtius,Hist.grecque,1.1,
eh. n.
2. Onconnaitla jolie scènedes Syracusaines de Théocrite,on l'é-
trangeralexandrinreprocheà Gorgoetà Praxinoa,qui parlent do-
rien,de prononcertouslessons à pleinebouche(v.88,icXatsii<r8o:<jat
ânavrot).A quoi Gorgorépondfièrement,en assénantà l'interrupteur
un desplus lourds adverbesdeson vocabulaire,qu'ellesparlentpé-
loponnésten,«>«rawwiTT\>«<)tCpïCi toutcommeBellérophonde Go-
rintheen son temps.
S6 INTRODUCTION

Mais lo dorien littéraire y échappait par le molango


do formes, qui ost commun à toute la poésie grecque.
Do tous les dialectes grecs, l'nttiquo est celui dont la
fortune littéraire a été la plus brillante, et dans lequel
se réalise le type lo plus achové do la langue nationale,
l'roeho parent de l'ionien, le dialecte attique lui rossem-
blo par l'atténuation dos sons pleins, mais il s'en dis-
tinguo par une fermeté que ionien a perdue de bonne
heure. Plus serré dans la conloxturo do ses mots, il a
toute la force désirable avec une certaine rapidité élé-
gante et concise. Toutes los qualités propres à la lan-
gue grocque, toiles que nous les avons énumérées pré.
eédemmont.brillonldoncdans lodialocte attique comme
dans leur foyer naturel Nous étudierons dans la suite
avec plus de détails les caractères do la langue d'Athè-
nes au moment du grand éclat de la littérature athé-
nienne. Bornons-nous ici à lui faire sa place à côté des
au'.res dialectes dont il vient d'être question.
11est à remarquer que presque jamais, dans la litté-
rature, aucun du ces dialectes n'a été employé d'une
manière tout à fait exclusive. Grâce à l'autorité im-
mense d'Homère, le vieil ionien de l'ancienne poésie
épique, qui était déjà lui-même un langage mêlé, a
exercé son influence sur toutes les formes de la poésie,
et quel que fût le dialecte prédominant dans tel ou tel
genre, les poètes se sont toujours réservé le droit d'y
mêler des éléments empruntés à ce fonds commun. De
môme, le grand éclat de la poésie lyrique dorienne a
été cause que le dorien est devenu la langue naturelle
du lyrisme choral, et que les poètes dramatiques d'A-
thènes ont gardé l'habitudo de mélanger les formes do-
riennes aux formes attiques et aux formes homériques
i. Lesanciensremarquaientdéjà fortbiencecaractèredo dialecte
attique.qui a empruntéà.ton»les wrtrwqwilqwKMHi*» de leur»qua-
lités propres. Ps. Xônophon,Bip.ath., 11, 8.
DIVISION KN PÉRIODES 5*7

dans los parties chanlôos do leurs pièces. Ce mélange des


dialoctos, habilement ménagé, est devenu ainsi un
moder-
moyen nouveau do variété, dont les langues
nes, co-somblo, n'offrent guère d'exemple.
On appelle langage commun (xonré) celui dont se ser-
vent les prosateurs grocs, sans distinction d'origine, à
en somme, au point
partir du temps d'Alexandre. G'ost
do vue dos formes, lo dialecte attique à peine modifié.
Nous l'étudierons, comme langue littéraire, au com-
mencemont do la période où il domine.
L'étudodo lalanguo, commecelle du type hellénique,
nous amôno donc tout naturellement à la division de
l'histoire littéraire en grandes périodes.

III

CARACTÈRES GENERAUX DE LA LITTÊRATOBB GRECQUE.

LES GRANDES PERIODES DE SON HISTOIRE.

La littérature grecque, considérée dans la suite de


son développement, offre cette particularité que tout
y est normal; les changements y sont lents et réguliers;
jamais ils ne prennent le caractère de révolutions.
Les influences étrangères elles-mêmes ont agi sur le
génie grec sans brusquerie et sans violence. Sans doute
les Grecs ont beaucoup appris des autres nations. Ils
ont dû aux Phéniciens l'écriture, aux peuples de l'A-
sie Mineure la musique et un certain nombre d'idées
religieuses qui ont pris une grande place dans leur vie
morale; l'Égypte, l'Assyrie, la Perse, Rome leur ont
tour à tour ouvert des horizons nouveaux, et ils ont
profité de leurs relations intellectuelles avec tous les
peuples qu'ils ont connus. Ce serait donc une idée très
38 INTRODUCTION

inexacte que de se les représenter comme enfermés


en eux-mêmes et tirant tout de leur propre fonds. Mais
voici où se montre bien leur éminente originalité si
importants qu'aient été les emprunts faits par eux aux
civilisations étrangères, jamais du moins ils n'ont ac-
cepté du dehors une forme littéraire toute faite. Diffé-
ronce profonde entre leur littérature et celle des Ro-
mains par exemple. Ghoz ces derniers, l'épopée, la
tragédio, la comédie, l'élégie, la poésie lyrique, l'art
oratoire lui-même, en un mot tous les genres littéraires
ont été importés <lo Grèce déjà organisés, déjà pourvus de
traditions ot soumis à des règles. Il a fallu que le génie
national s'accommodât de ces formes étrangères, et c'est
dans l'imitation qu'il est arrivé pou à pou à se retrou-
ver lui-même. Il en a été ainsi de presque toutes les
littératures modernes, dans leur période de renaissance
du moins. Au contraire, les Grecs, n'ont jamais trouvé
devant eux un genre littéraire tout constitué. Que leurs
idées fussent spontanées ou qu'elles leur vinssent du
dehors, ils les ont groupées ù leur manière, et leurs
«ouvres ont toutes été créées on pleine liberté, d'après
un sentiment purement hellénique.
Dans ces conditions, la formation de ce qu'on nomme
en littérature les genres offre uu intérêt tout particu-
lier. Quand les Grecs ont fait pour la première fois des
poèmes épiques, des odes, des tragédies, ils n'avaient
sous les yeux aucun exemple de tragédie, d'ode, ni d'é.
popée. Rien, par conséquent, ne gênait leur fantaisie, Ils
auraient pu inventer à la fois vingt sortes d'épopées,
construire des quantités d'odes do formes différentes,
enfanter des draines où le caprice individuel se serait
donné libre carrière, Do tollos oeuvres sans doute se se-
raient encore réparties en groupes d'après quelques
grandes ressemblances fondamentales quo l'esprit hu-
main ne peut éluder; mais elles n'auraient pas donné
DIVISION EN PÉRIODES 89

naissance &dos genres proprement dits. La notion même


de genre littéraire suppose certaines convenances re-
connues et acceptées, d'où l'on ne s'écarte plus. Si les
genres sont nés an Grèce en dehors do toute tradition
et de toute influence étrangère, et malgré l'indépen.
dance naturelle à la race hellénique, c'est apparemment
que cette classification naturelle dos œuvres de l'esprit
convenait à ces intelligences nettes et précises. H leur
somblaii que chaque chose devait avoir son caractère
propre et porter en quelque sorte sa destination écrite
sur son visage. De même qu'un temple différait d'un
gymnase, une tragédie n« pouvait pas ressembler à une
comédie. Un instinct très fin et très vif, un discorne-
mont très délicat ont donc établi chez les Grecs, à me-
sure que l'occasion s'en est présentée, un certain nom-
bre de types dont l'excellence n'a plus été contestée.
Mais comme les convenances que chacun de ces typos
représentait étaient parfaitement senties de tous et ré-
pondaient vraiment à des instincts nationaux, les grands
écrivains les ont observées sans effort et par suite sans
timidité scrupuleuse. C'est ce qui explique comment ces
mômes genres, qui ont paru quelquefois une servitude
aux modernes, n'en étaient pas une pour les Grecs. Ils
érigeaient leurs instincts en lois, tandis que nous, bien
souvent, nous avons reçu des lois toutes faites, et nous
y avons plié nos instincts.
11résulte do là tout naturellement que les phases suc-
cessives de la littérature grecque ancienne doivent être
caractérisées par l'importance croissante de la réflexion
dans l'emploi des facultés naturelles, fait essentiel de
toute évolution intellectuelle régulière. A l'origine, c'est
l'imagination et le sentiment, sous leur forme naïve, à
demi inconsciente et spontanée, qui prédominent: non
qu'il n'y ait d^jà dans cette spontanéité beaucoup de ré-
flexion et de calcul mais eu somme los idées sont en-
40 1NTJIQUUCTION

core élémentaires, et lo jugement, faute de connaissan-


ces, n'a pas acquis toute sa maturité. A la fin, c'est le
spectacle contraire qui s'offre à nous: les qualités naï-
ves ont disparu et le savoir raisonneur a pris lo dessus
on tout sur l'imagination. La division on grandes pé-
riodes nous est donnée par cette vue générale. Elle
doit mettre on lumière h>s phases principales do co chan.
gomont lent et progressif.
Nous distinguerons d'après cela quatre périodes dans
l'histoire que nous niions rot racor: la période ionio-do-
rieime, lu période atlifjuc, la période alexandrinc, et la
période romaine.

1. Période ionio-dorienkë ( du x*siècle environ ù la fin


du vi° avant notre ère). C'est en Ionie, sur les riva-
ges de l'Asie Mineure, que le génie grec se révôlo par
ses premières grandes créations. Kntro le x" siècle et
le vin", les chants épiques succèdent aux hymnes. D'a-
bord courts et isolés, ils se groupent bientôt, et finis-
sont par constituer de grands ensembles. La poésie do
l'Ionio est héroïque. Mais elle suscite sur le continent
grec un autro genre épique qui vise à instruire. Ces
doux sortes do poésie, représentées éminemment l'une
par Homère, l'autre par Hésiode, remplissent à elles
seules toute la première partie de cotte période. C'est
donc l'essor do l'imagination qui est le caractère princi-
pal de la littérature de ce temps. Et toutefois la poésie
hésiodique marque déjà un besoin nouveau d'exacti-
tude, de vérité morale et historique, qui dénote un pro-
grès incontestable de la réflexion.
Ce progrès s'accuse dans la poésie lyrique qui s'an-
nonce dès la seconde moitié du vtnc siècle et domine
jusqu'à la fin du vi°. Des sentiments plus personnels,
une habitude de pensée plus mure, un jugement plus
forme et plus varié sur les choses de la vie donnent
DIVISION KN PÉRIODES M

naissance à l'élégie et à l'iambo. Puis les progrès de la


musique, le goût descomhinitisonsrythmiques nouvelles
et aussi l'essor plus libre du la passion produisent la
poésie lyrique proprement dite. Malgré l'éclat dos noms
d'Alcoe et do Sapho qui appartiennent il l'île éolionue
do Lesbos, cotte poésie peut ôlro considérée comme sur-
toutdorienne. C'est à Sparte, c'est dans le Péloponnèse,
c'est dans les villes grecques de Sicile qu'elle grandit et
s'épanouit bientôt par une floraison magnifique. Ce qui
caractérise éminemment cet ôgo, c'est la croissance ra-
pide do la raison qui s'ussocio a toutes les formes nou-
voUes d'une poésie pleine de feco et d'éclat. Presque
tous les grands poètes du temps, Archiloquo, Simonide
d'Amorgos, Cullinos, Tyrtée, Alcée et Sapho, Stésichore,
Arion, Théognis, Pliocylitie, Simonide do Céos et Pin-
dare jugent de haut la vie humaine ils dominent tle
plus on plus l'antique mythologio et l'illuminent par
des réllexions encore respectueuses, mais déjà hardies.
Ou sont que la lumière si; fait dans le monde des idées;
elle ne louche encore qu« les hautes cimes, mais elle
les éclaire vivement.
Dans la lin do eHle période, deux choses nouvelles
apparaissent, la pross et la philosophie. Elles n'y cuit
«ncorc l'uue et l'autre qu'une importance secondaire,
mais leurs premiers essais suffisent à montrer que le
génie grec va entrer dans une phase nouvelle de sou
développement.

H. l'ÉMIODE ATTIQUE (v° et |V° Siècles). C'est sous


l'inlluencc prédominante d'Athènes que ce progrès s'ac-
complit. Dès l'année 510 avant notre èro, Athènes est
organisée on démocratie. Ses victoires dans les guerres
modiques au commencement du v° siècle lui assurent
la primauté on Grèce. Elle devient la plus grande cité
commerçante et en même temps le principal foyer de
43 INTaODUCTION

lumière du monJo hellénique. Ses revers dans la guerre


du Péloponnèse ne lui enlèvent pas cette prépondérance
intellectuelle. Ello la garde encore durant tout le ive
siècle, jusqu'après les conquêtes d'Alexandre, qui chan-
gent la face du monde grec. Tout ce qui se produit de
remarquable dans les lettres pondant ces deux siècles
est plus ou moinsathénien. Soule, la comédie sicilionne
d'Épicharme et de Sopliron fait exception à cet égard.
La grande création poétiquo do ce temps, c'est le
drame sous ses diverses formes, tragédie, comédie,
drame satyrique. De môme que, dans la périodu précé-
dente, le lyrisme avait succédé à l'épopée par un pro-
grès naturel de la réflexion, de môme à présent le
drame prend la place do la poésie lyrique, qui est relé-
guée à l'arrière-plan. Né au siècle précédant, ce genre
nouveau s'organiso avec Eschyle et atteint sa perfec-
tion avec Sophocle et Euripide. Il réalise l'alliance la
plus étroite entre l'esprit de combinaison, c'ost-à-Jiro
l'analyse, et la puissanco créatrice de l'imagination. La
comédie suit, pour ainsi dire, pas a pas les dominées
de la tragédie. Elle s'organise dans la première moitié
du v° sièclo et règne avec éclat pondant toute la se-
condo, grâce au génie d'Aristophane et d'Eupolis. Elle
aussi unit la réflexion la plus mare ù l'essor do l'imagi-
nation, celle-ci prenant chez elle toutes les libertés de
la plus folle fantaisie.
La prose, qui apparaissait seulement à la fin de la
période ionio -dorienne, se perfectionne rapidement dans
la première moitié de la période attique. En même
temps qu'elle devient un remarquable instrument d'a-
nalyse, elle se prête à tous les besoins d'un exposé qui
tantôt se contente do précision et de clarté, tantôt vise
à l'offel dramatique. L'histoire, sortant des mains des
îogographes, est agrandie par Hérodote et aussitôt aprèss
condensée par Thucydide. Le premier on fait un genre
DIVISION EN PÈfilOOBS 48

plein de vie, plein d'instruction curieuse et variée, et


on outre naturellement dramatique. Le second, sans
lui rien ôter de ce qu'elle avait d'émouvant chez son
prédécesseur, enseigne une fois pour toutes aux esprits
réfléchis à la considérer eommo une école de raison
et d'expérience. Après eux, elle reste comme une des
études préférées do tous ceux que le spectacle des cho-
ses humaines intéresse. Xénophon et Ctésias, Éphore
et Théopoinpe, pour no citer que quelques noms illus-
tres, la traitent selon la variété de lours aptitudes per-
sonnelles: car elle invite tala fois ceux qui savent poin-
<ku et ceux qui se plaisent tt juger.
L'éloquence, qui est aussi ancienne que la parole hu-
maine, devient dans le môme temps un genre littéraire,
eu ce sous qu'elle donne lieu à des œuvres écrites qui
la préparent, lui viennent en aide ou la sauvent do l'ou-
bli. Et peut-être, dans ce grand essor de la prose s'éle-
vanl au rang qu'abandonne alors la poésie, est-ce à
elle surtout qu'il est donné du recueillir co que celle-ci
a laissé do passion ou d'imagination sans emploi. Si elle
n'est guère qu'ingénieuse et savante chez les sophistes
«si chez Anliphon lui- môme,elle est déjà vivante, va-
riée, dramatique chez Lysias et Isée, humaine et per-
sonnelle chez Isocrate, puis elle s'affranchit tout ù coup
du ses dernières timidités et révèle l'Âme tout entière
chez Démosthène et chez Kschino, chez Lycurguc et chez
Hypéridc.
La philosophie, a la fin do la période ionio-dorienne,
s'était produite avec hardiesse et grandeur, soit dans
lu prose, soit dans la poésie. Au début de la période at-
tique. devenue plus mûre, elle rompt avec la poésie,
et s'établit, pour ainsi dire, au cœur de la société cul-
tivée. Son influence est grande au temps de Socrate,
plus grande au iv* siècle. Il y a encore un brillant reflet
do l'ancienne poésie dans la prose de l'Ialon. chez Xé-
44 lNTUODUCTiOX

uophon, c'est lu sagesse du sons commun qui s'exprime


seule dans une langue clairo, élégante ot finomont
exacte. Avec Aristote. nous voyons In philosophio deve-
nir une science, aussi bien par la forme que par la nié'
(liode; et toute l'école péripatéticienne reste (idole à la
tradition du maître. Les autres sectes suivent la manie
tendance. On discute, on s'attache aux idées abstraites
l'imagination et le sentiment ne figurent plus dans l'é-
cole que commo des matières d'observation ut do rai-
sonnement.
Ainsi, durant los deux siècles do la période attique,
nous voyons la prose se substituer on Grèce ù la poésie
et la réilexion l'emporter sur le jeu plus naïf et plus
spontané dos facultés. Toutefois la poésie subsiste en-
core dans le iv° siècle, et la comédie moyenue ou nou-
velle, entre les mains d'AnlipImnc, de Diphilo, de i'hi-
léinon et do Ménandre, produit des œuvres aussi char-
mantes qu'instructivos. Mais cette poésie elle-ineiuo sa
rossent de la prédominance de la prose, dont elle so rap-
proche chaque jour. Kilo n'a plus la hardiesse ni la li-
berté lie celle d'autrefois. Elle est sage, réfléchie, pluino
d'expérience et de modération. Kilose tient lo plus près
possible do la réalité, et ello fait do la philosophie mo-
rale commo on on fait autour d'elle, moins le dogma-
tisme qu'elle évite.

III. PÉRIODEalexandhine (ut0 et u8 siècles). Les con-


quêtes d'Alexandre mettent lin à l'importance politique
d'Athènes et par suite à sa primauté littéraire. Le
monde grec voit brusquement reculer ses limites et
agrandir son horizon. Des royaumes helléniques se fon-
lient, des capitales nouvelles surgissent, entourées de
l'éclat que leur donnent des monarchies & demi orien-
tales. Alexandrie, Mtio par lo conquérant, devient en
quelques années une des plus grandes villes du monde.
'i
DIVISION EN PÉRIODES 45;

Los Plolêméos y rassemblent autour d'eux les lilto'ra-


tours et los savants. C'est elle qui est. reconnue alors
comme te foyer principal tlo la haute civilisation groc-
que tandis qu'au second rang d'autres capitales, telles^
«uo Porgamo, Antioche, Syracuse, font do plus on plus
oublier Athènes. Mais, dans le cours du deuxième siè-
du avant notre ère, Homo grandit chaque jour et son
ombre s'étend sur lo mondo grec. lui 146, la Grèce ûV-
viiMttune province romaine, ot les Grecs, lotlrés ou sti-
vants, quittant tour patrie, aftlueut do plus on plus au-
[irt'S do leurs nouveaux maîtres, lies la fin do ce siècle,
Homo est réellement le centro du mondo civilisé, t!
plus do soixante-dix ans avant la bataille d'Actium,
i|iii fora do l'tigypto elle-mèino uno provinco romaine
(M) av. J.-C), on peut diro que la période uloxuudrino
louche ù son terme, puisque tous les regards sont tour-
M>svers un seul point du monde et quo ce point est
Homo.
Los doux siècles qui constituent ensemble cette pé-
riode marquent la dernière phase do révolution uatu-
relle du génie grec. C'est alors qu'il devient surtout
chercheur et raisonneur. H excelle dans les mathéma-
tiques, il s'adonne avec passion à la philosophie et à
l'érudition, et il transforme la poésie elle-même en une
matière do combinaisons ingénieuses, d'où l'inspiration
naïve est absente. On fonde partout des bibliothèques.
La critique et la grammaire se constituent Aristarque
et Cratès partagent l'attention du monde lettré. La my-
thologio so résume et so condense dans de vastes
recueils; l'histoire, si l'on excepte l'œuvre vraiment
originale do Polybo, imite médiocrement les modèles
classiques; la philosophie domine les écoles, remplit les
bibliothèques et se fait admettre jusqu'au foyer domes-
tique la rhétorique succède à l'éloquence. La poésie
devient savante las Callimaqac, les Philctas, les Rhia-
40 INTRODUCTION
nos, les Apollonios do Rhodos sont des érudits en môme
temps que dos poètes. Théoerilo lui-môme, créateur
dans un siècle qui l'est si peu, appartient à son temps
par son goût pour les œuvres concises et travaillées,
d'une facture rare, dont lo mérite consiste en grande
partie dans uno finesse ingénieuse et délicato.

IV. Période rosaire (du iersièclo av. J.-C. au commen-


cement du vie siècle ap. J.-C). – A partir du milieu du
ior siècle avant notre ère, commence dans l'histoire de
la littérature grecque uno nouvelle et dernière période
qu'on peut appeler romaine, puisque Rome alors domine
le monde entier. Elle s'étend depuis Auguslojusqu'à Jus-
tiuien, embrassant ainsi une durée do plus de cinq siècles.
Le génie grec n'a plus alors aucune faculté nouvelle
à mettre au jour. Il use, plus ou moins heureusement,
do son expérience lentement acquise, et il produit
encore nombre d'umvres remarquables, mais dans les-
quelles l'imitation du passé l'emporte sur la nouveauté.
Le siècle d'Auguste est surtout pour les Grecs un siè-
cle d'histoire et de critique. Diodore, Denys d'Halicar-
nasse, Strabon sont les plus grands noms de ce temps.
La poésie n'a plus qu'une existence artificielle dans l'é-
pigramme, dans les improvisations, ou dans des pané-
gyriquos commandés. Les Grecs de ce temps sont à
demi romains par leurs idées, par leurs amitiés et par
leurs admirations.
Toutefois un mouvement d'indépendance se dessine
après la mort d'Auguste et produit bientôt le siècle des
Antonins. L'esprit grec, sans échapper à la prépondé-
rance romaine, tend à relever ses traditions déchues. Il
y réussit en partie dans l'art oratoire avec Dion Chry-
sostome et les sophistes, dont la réputation devient im-
mense au temps d'Adrien, d'Antonin, de Marc Aurèle;
dans la philosophie morale et dans l'histoire avec Plu-
DIVISION EN PÉRIODES 47
tarque, Épiclèlo, Arrion, Appien, Mare-AurMo lui-même,
romain hellénisé, que l'on peut considérer comme un
Croc; dans la prose satirique, avec Lucien.
Mais après cet éclat, le déclin so manifeste d'une ma-
nière définitive. L'histoire, honorée encore par Héro-
dien et Dion Gassîus, disparaît ensuite, ou du moins
cosse d'être ni un art ni une science. L'éloquonce so-
phistique, simple procédé habilement entretenu, semble
par là môme plus durable, et çllo brille depuis le com-
moncoment du m° siècle jusque vers la fin du iva, avec
Philostrate, Himérios, Théniistios et Libanios; mais
ollo n'est on réalité que l'ombre d'un art déchu, et
Julien lui-mémo no lui rend pas la vie. Le roman naît
alors, sans' produire aucune œuvre qui mérite d'être
considérée comme une création originale. La philoso-
phie est peut-être ce qu'il y a de plus remarquable en
c(i temps. Ammonios au n° siècle, Plolin et Porphyre au
m", Jamblique au iv», Syrianos, Proclos, Damascios,
Olympiodoro et Simplîcios au v° et au vie, prouvent, par
une sorte de renouvellement des doctrines anciennes,
que la vitalité do l'esprit grec n'est pas encore éteinte.
Ce temps, si pou poétique en apparence, produit même
une poésie. Nonnos et Colouthos, peut-être aussi Quin-
tus do Smyrne, puis Musée et Triphyodore sont les der-
niers représentants do la tradition hellénique affaiblie,
et annoncent déjà le moyen âgo byzantin, bien qu'ils
appartiennent encore par l'esprit et l'imitation à l'anti-
quité.
Dans cette dernière période apparaissent les écrivains
et les orateurs chrétiens, depuis les apologistes du se-
cond siècle jusqu'aux grands prédicateurs du iv«. Nous
aurons à parler sommairement des plus illustres d'entre
eux, de Clément d'Alexandrie, d'Origèno, d'Eusèbe, de
S. Basile, de S. 4mn
Chrysostome, de S. Grégoire de
Nazianze, etc. Mais il nous sera impossible do les élu.
48 INTRODUCTION
dior ici comme ils lo méritent et do leur accorder toute
l'importance, qu'ils ont réellement. Notre point do
vue spécial ne nous permet «le les considérer que dans
leurs rapports avec riiollénUiue. Pour suivre complète-
ment le développement propre de la littérature grecque
chrétienne, il nous faudrait brisor lo cadre du cet ou-
vrage.
Le spectacle de la longue évolution que nous venons
d'esquisser appelle quelques réflexions indispensables.
Le génie grec a eu. pondant sept ou huit siècles un es-
sor magnifique; puis, pondant une période presque
égale, il est resté inft'rieur à lui. mémo, pour disparai-
tre ensuite dans l'ombre du moyen âge byzantin. Cotte
décadence n'est pas imputable aux défauts do la race
hellénique, bien qu'ollo les ait rendus plus sensibles. Lu
domination romaine eu a été la première cause, puis lu
situation politique de l'Empire a partir du m0 siècle. Ja-
mais, pendant co temps, la race grecque ne s'est trouvée
groupée et constituée dans des conditions de force, d'in-
dépendance, d'unité morale, qui lui aient permis do se
ressaisir elle-môme, Hien un prouve que, si ces condi-
tions lui eussent été oiferles, elle n'aurait pas pu,' tout
en restant fidèle à son génie, renouveler ses traditions,
se refaire pou à pou un ensemble d'idées et do senti-
inents nouveaux, on un mut recommencer une seconde
évolution, analogue à celle dont elle avait une pre-
mière fois offert le spectacle. Le christianisme pouvait
devenir l'occasion naturelle de ce développement, et il
a semblé un instant, au iv° siècle, que cela allait peut.
être se produire. Mais le christianisme a trouvé son
contre en Occident, ot l'Orient, on lutte avec les barba-
res, Porscs, Bulgares, Gotlis, et plus tard Arabes et
Turcs, n'a jamais vu s'établir dans son sein un état de
«hoses qui permit une renaissance hellénique, Il na faut
donc pas se hâter de dire que la littérature grecque a
DIVISION EN PERIODES 49

pris fin parce que l'esprit grec était épuisé. La vérité


est que l'occasion lui a toujours manqué do mettre à
profit ses ressources pour recommencer une vie nou-
velle. Le dé veloppemont d'une littérature est en somme
celui d'une tradition. La Grèco en a crée une première,
qu'ollo a conduite gloriousement à son terme naturel
à travers une sôrio de phases régulières. La fortune
lui a refusé les moyens d'en constituer une seconde.

nï»l.dola LUI.Otucvjuo.
– T. I. 4
CHAPITRE PREMIER

LES ORIGINES

SOMSUIHE
I. Aneieimalê de la poésie un Grèce. – II. Les Muses et lu poésie
lliraoa ou piérienne, Orphée et Linos. Musée, Eumolpe et Pamphos.
III. Le culte d'Apollon et la poésie apollinienne. Olon. IV.
Chryaothimis, Philainmon et Tuamyri». La poésie des hymnes.
V. Les Èoliv'na et lus Ioniens en Asie Mineure. – VI. Les hé-
ros. Les aventuras héroïques. Légendes de la Guerre de Troie et
des Hetours. – VII. Les premiers chants épiques. Récits d'ensem-
ble récits épisodiques. Leur groupement spontané.

L'histoire proprement dite ne commence pour la lit-


térature grecque qu'avec les poèmes homériques, au-
cune œuvre plus ancienuo n'étant parvenue jusqu'à
nous'. De tout ce qui a précédé ces poèmes, il, ne res-
tait dans l'antiquité qu'un souvenir des plus confus,
altéré par des fictions de toute sorte. Et toutefois plus
l'intelligence des choses primitives s'est développée de
nos jours, plus il est devenu impossible de négliger
ces origines. Non seulement elles excitent par elles-mè-

i. FI. Joseph, c. Apion, I, 2, p. 438 (Havorcamp) *OXu«Si n«f-:<


toî; "£XXi)9(voiSiv £[io).OYOÛ|uvov fjpitrxetat Ypâ(i(iatf,; 'Onr,j)ounonf,<J!u;
icpiaSûtepav. Sext. Empir. adv. Gramm. 1. 20, 3 'Apx«iot£r>i -2<rtivr,
'O|tr,pou TToir.oit-icofrrfiaïàp oviîiv îtpeoSwwpovt.xjv tEçiuiâc tnt iuiivou
xoif.uew;. Ci. Schol. l)en. do Thraco, p. I'8ï Bekker.
PREMIER AGE DE LA POÉSIE 51

mes un vif intérêt, comme tout ce qui révèle les pro-


micros tentatives et les premiers succès du génie hu-
main, mais il faut reconnaître de plus, qu'en les laissant
absolument do côté, on s'exposerait à mal apprécier
ce qui a suivi. L'Iliade et Y Odyssée ne peuvent être
bien étudiées qu'après qu'on s'est fait une idée de la
lente évolution poétique dont elles marquent la phase
lu plus brillante. Considérées isolément, elles remplis.
sont l'esprit d'un élonnoment profond on ne les com-
prend qu'en les rattachant à toute une série d'œuvres
antérieures qu'il faut essayer au moins d'entrevoir.
D'ailleurs les découvertes récentes et presque quoti-
diennes de l'archéologie, ainsi que les progrès cons-
tants de la science historique, attirent en quelque sorte
la pensée plus fortement qu'autrefois vers la haute an-
tiquité du peuple grec. Si obscure que suit encore pour
nous la période primitive, elle s'est éclairée pourtant
de certaines lueurs qui encouragent l'imagination. De-
puis que des recherches heureuses nous ont fait con-
naître quelque chose do la vie, dos arts, du luxe même
des anciens habitants de l'Argolido et do l'Attique, de-
puis qu'un s'est mis & suivre, dans les iles de la mer
Egée, la trace des populations successives qui les ont
habitées, depuis enfin que les vieux sanctuaires nous
ont livré quelques uns de leurs secrets, il semble qu'on
soit moins téméraire en cherchant à deviner co que les
hommes de ces temps anciens ont pu penser et do quel-
les créations poétiques ils ont été capables. Ces Achéens,
qui sont nommés dans les monuments égyptiens de
la xixe dynastie et qui envahissaient l'Egypte sous Mé-
néphtah I, vers le xiv" ou le xui°sièclo avant notre ère,
étaient sans doute déjà un peuple puissant Leur vie
matérielle, dont nous recueillons aujourd'hui les indi-
i. Maspira,lllst'.aac.du peupladel'Os Uni,p. 251-253. Cf.Pcmtt,
liât, del'artdans l'antïq.t. VI, {>.57 et surtout p. 1001et auiv.
63 CftAÇITR^ PRKMÏM.. – t«# PRJQJinks
cos. nous autorise à nous représenter en quelque tno-
sure une vie intellectuelle et morale qui en était l'efllo-
fosconeo. Quand on voit los arts décoratifs, bien que
relovant on grande partie de l'habileté manuelle, mani.
fcstor, si longtcmps avant la période historique, l'exis-
toncod'un goût tîéjf»cultivé et jusqu'à un certain puint
indépendant, on se sent disposé i\ croire que d'autre»
arts, ou l'osprit seul entre on j»u, n'étaient pas alurs
complètement Ignorés.
Et on offul ta poésie se laisse outruvoir dans cetto pé-
riode obscure sous doux formos principalos: l'uno plus
libro, à laqucllo appartiennent les chants do deuil et
d'hyménée, les péans, los thrènes au latnentations, et
quelques mélodies populaires accompagnées de parole-.4
plus ou moins expressives; autre plus régulière et
presque hiératique, qui est cello dos hymnes. La pre-
mière contient déjà on gormo quelque chose de ce qui
sera plus tard la poésie nous en parlerons
lyrique plus
loin. La seconde n'est autre chose quo le commence.
mont môme de la poésie & ce titre, elle doit at-
épique;
tirer dès à présent notre attention.

t. Collignon, Archéologie grecque, p. <8 « La civilisation do ce peu-


» pie est empreinte d'une grandeur barbare; l'or est prodigué dans
» les sépultures des chefs achéens de Mycènes. » L'influence orien-
tale est sensible, selon l'auteur, dans quelques-uns des bijoux trou-
Tés à Mycénes par M. Schliemann lors des fouilles qu'il commença
en 1874; mats le plus grand nombre de ces objets est le produit
d'une industrie locale et accuse un style encore rude et imparfait. »
C'est surtout dans Vllitt. de l'art dans VmliquM de MM. Perrot et
Chipiez (t. VI, la Grice primitive, Paris, 1894),qu'il faut étudier cotte
civilisation mycénienne. M. Perrot pense que presque toua les objets
trouvée aur le sol de la Grèce représentent un art national. Cette
opinion, il est vrai, est encore combattue par des juges très compé-
tente, notamment par M. Belbig (Mémoire lu à l'Acad. des Inscript.,
séances du 31 mai et du 7 juin 1895).
LA POtilE PiiniEXXK $»

Il

C'est sur lo versant septentrional du mont Olympe


dans la région nommée l'iérie, qu'une tradition an-
donne plaçait le lieu du naissance des Muscs'. Cette pe-
tito bando de terre montagneuse fut on «flot un des
berceaux do la poésie hclléniquo. Là habitait, dans l'Age
préhistorique. un groupe de tribus thracos, produis
parentes des l'hrygions et des Grecs. Kn un temps où
l'hellénisme n'était pas encore constitué, aucune limita
infranchissable ne séparait ces peuples do leurs voisins
plus méridionaux. L'Olympe et le mont Piéros, qui on
est le prolongement, forment ensemble comme une li-
gno brisée qui va du Sud au Nord, parallèlement au ri-
vage du golfe Tlioriuaîque, sur une longueur d'environ
soixante ou quatre vingts kilomètres, entre l'ombou-
clitiro du Pénéo et celle do l'IIaliacinon. Venus du Nord
ot resserrés à l'Ouest et à l'Est entre cette montagne et
lu mer, les Fierions devaient naturellement chercher une
issue vers le Sud. C'est dans cotto dernière direction
(lu'ilsentrerontencontoctavec les Grecs proprement dit*.
Aune date incertaine, une colonie doces Fierions émigra,
dit-on, vers lo contre do la péninsule hellénique et vint
s'établir au pied del'Hélicon, où ello fonda Ascra-.Quoi
I. Théogonie,
v. 53 Mo5»ai'Ota|un&i;,xoOjaiAi4;aÎYi&xoto, – t«ç
êvlltip:t|KpoviÏTjtixf naxpl\nytUti – Mvr,|tocrûv«j.
Cf.v. 60-02.Sur l'o-
riginedesMuseset leur culte,coosulterDecharme.LesMuses,Paris,
tS69,et aussi le chapitrerelatifau mômesujet daimla Mythologie de
la Grèceantiquedu mômeauteur,p. 223etsuiv.
2. Strabon, IX, 2, £5. Cf. X. 3. Voyezaussi le témoignagede
Pausanias,IX, 29. Il tendà faire nupposerque déjàquelquechose
d'analogueau cultedes Musesexistaiten cet endroit;maisil y a là
unmélangede traditionsanciennesetd'inventionsplus récentesqu'il
est bien difficiled'eclaircir. Sur les Thraces en Piiocide.cf.
Thuc.II, 29.11y avait à Delphes,au ive siccle,un grouped'habi-
tantsqui s'appelaientepaxiSxt(Diod.16,34).
W CHAPITRE PBKMlKfl. – L^8 OqiOlSBa
qu'il faille penser du fait réel qui se cache bous cette
tradition à demi légendaire, la rotation entre la poésie
liêlieonienne el lu poésie piêrienno n'ont pas douteuse
toutes deux rolovuiont »lu minw culto, cl lu plu» rô-
conto, ei»ll»dol'Uélieuii, aimait îksoconsidérer ollo-mtfino
etnnino issuo tic l'autre.
Au reste le prttpr» dus troiltliona est du aiiupliliitr. Il
i»st bien probtiblo «(«'on ftiil ni lu Mario ni l'Ilftlicon n'«»t
ou, tlan« l'histoiro tlo la puônio grecque, tuuto l'iutpiH1-
luuro <|iti lour ost ainsi attribuée. Quanti la civilisation
fut assez avancée parmi les tribu* liollôniquo!» pour qun
riiuutino ptU s'arraclior par iiistunls aux pr»ti>cou|mti.»ns
absorbantes tlo lu viu uiuttTiollo, In poésie roligiouse dut
prendre un pou partout un rupitlo essor. En vouant tlo
l'Orient, ces tribus avaient apporté avec «Ilos des liyiu-
nos plus ou moins semblables à ceux qu'on retrouve
dansl'luilo et on général chez tous lus puuplcs primitif*
diMiiôiao origine Dans las dorniors stîclos do lupériodo
préhistorique, a utesuro quo los sanctuaires ao multi-
plieront ot quo loculto dovint plus ponipoux, cette poésio
roligiouso crùt aussi on importance et so perfectionna.
Co fut vers ce temps probablement quo le e.ullo des Mu-
ses, parti des localités piériennos dt; l'impléa et do Li-
liétbrou, puis établi on Déotiodans la région do l'IIélicon,
prit un éclat nouveau. Son influence s'exerça au loin;
les poètes qui le célébraiont firent écolo; on reconnut
partout les déeslos piériennos pour los dispensatrices
do l'inspiration poétique, et on rattacha il la Piério par
diverses légendes les représentants réels ou fictifs do la
poésio transformée.
L'extrême simplicité moralo et intellectuelle do ces
temps antérieurs à l'histoire so reflétait naturellement
dans ces antiques création» du génie national. Les po-
pulations de la Gr.co, autant que nous pouvons en juger,
cherchaient alors leur subsistance dans le travail dur
LA POÈSIK PIÈRIKNNK 5B

ut obstiné do la lorro: ni iudustrio active, ni grand


ouiniiun-uo; une vie rude, pauvre, asservie ut inquiMo;
lu guorro frôquonlo, v! par couséqiiout lus incursions ut
lus pillugos; tout lit uinndo avait les uruios a lu main
{r.iftx îr, 'ÉXXJ;fatfctjHrç^n)1.Au Hetitto villas ouvert* des
<!iiruintcsfi>rlilli'Oii,bi\tiiisonpiorrosénormosHur dt'S cul-
liuos et là, dus diofr du gtiorro, qui simihdouto «loftiu-
ilaitmt au liosuin l'Iitiniiiiu des clitini|w ot lui duiinimntt
unilu dorriîtru lours rompurts vu eus d(> «lutigur. niuis
ijiii «usai, un lomjis do paix, lu prossuruionl oruellintont
i>l 1'ussujotlissniitut a du lourdos curvûuH. Huns eiito
uxintouco sombro, ht graudujuio, c'était lu roli^iou don
ittio»Mrt>s d Ht1»ftUvH.L'A(»« iiuttiiolluiiiont jHH'ti(|tH'tlo
en puuplo si biuu duiiô a'y dOlu^uit ut s'y rvlruiupuit. Sus
iiiHliuuUd'urdro, d'iditul, do grandeur siiuplo lo prûdos-
liiiuienl à la prièro puûti(|<ioot vliantào, Zoas, l'unciou
ilUiiipôlasgiquo, luitmitru supr^ino, l'Iiuliiluut divin«len
liaiiltsHciinoâ,Zous, l'tHhur diviuisô, pussosseunlc la fou-
tlru, assomblour do nuugus ot bionfuitour Houvoiuiu des
liiiiiiiuus, était ctdtù ù qui s'adrosHuiout principuluniont
IishItuiuniugOHdo lu pnûsio primitivo..Snus eu nom vu-
nûrt' c'était lu naturo niômo qu'on udoruit d'ium inti-
nièro t'i doiiiicunscionte la nature torrildo et soui-îunlo,
iiilinio on uialfaisauco vouiino ou boulé, tautùt .sombro
i:t destructrice, tantôt lutninouse ol duucomoiit apuiséo.
Les Musos, on dovonant helléniques, duvinrent aussi
lus fitlus deZous, qu'elles célébraient constauiinent. Dès
le temps d'Hésiode, lu notion do cotte origine est lixôo
ilans une formule presque invariable: « Muses do l'O-
lympe, filles do Zous qui tient l'égide2. » Vivant auprès
de leur pèro, leur fonction propre est do lu charmer en

l.Tliucyd., I, e. 6. L'historienveut dire simplementpar 14que


e'ùtaitalors l'usaged'étroarmé.Mais,si on l'ôtait,c'estqu'onne pou-
vaitfaireautrement.
î. T/iéogon.,25,52.
4W CHÀ.1UTBE PBEMIKB. g^LKS OUIOIMES

chantant1. Elles célèbrent, pour lui plaire, les dieux,


leur naissance, leurs attributs, leur infinie diversité1,
LuUmémo est lo principal sujet de leurs chanta; c'est
par lui qu'elles les commencent ut les finia»oul\ Ce qui
est attribué aiwti aux Musespar la traditiun hôsiodiquo,
c'est co quo les poète» de la Grèco primitive avaient dû
fuire depuis dos temps recula. Ils chantaient les dieux
h un petipio simple ut croyant, et un les chantant ils
les t'iitfoignaiont. Interprètes de la pensée commune,
mais supérieurs à la foule on raison et en réflexion, ils
dégageaient une a une lus idées qui germaient confuse'
mont on elle, il» notaient les attributs divius vaguement
conçu*, ils inventaient, sous la dictéeinconsciente d'une
multitude avide do mystères, les premiers mythes, ils
marquaient les rapprochements et les contrastes, les
parentés divines cl les hostilités cosmo^oniques, on un
mol ils ébauchaient devant dos auditeurs toujoura cu-
rieux et ravis l'histoirn future de l'Olympe. Si simplo
que fût ce chant primitif, sorle do mélopée gravo et
ilouce, longuement narrative, on ne saurait dire ni
mémoconçu voir aujourd'hui quelles émotions profondes
et quel euohantomonl religieux il fuisuit naître chez les
vieuxCadméunsde Thèbes ou chez lesUaaaSnsd'Argos,
quand il rotontissiiit auprès de l'autel. Qu'un relise,
dans la TMognnie,pour s'on faire une idée, la doscrip.
tion si délicieuse de l'hymne nocturne des Muses, « à la
voix aussi suave que lo lys» « Uoleur bouche, le chant
» s'échappe, charmant et sonore. La '• 'c se répand sou-
,>riante dans la demeure de Zeus qui fait trembler le
1. thiwjmi..5!.
S. TMogon.. H-M. 38, 4l-!>2.65-68.
3. Thiogon.. 47. Z»,v«.««Sv wxlf' *,«i «ai ivïyûv, – ipx«|«v«i »' V-
««<« «t«l >nr«v««t t io«8i${.Co dernier rers eat justement tniipeet en
raison de son incorrection métrique. Mais interpolé ou non, ii a sa va-
leur comme témoignage; car Il n'a pu être introduit là qu'en raison
d'un usage existant et certainement ancien.
i,A pni;<m piftRiitVN'K 57
» monde, ollo se répand avec tour voix doucoot cares-
Il santo. (/écho la répète au loin sur les cimes noigou-
» »oa do l'Olympuet dans lo* palais dos luunorlols »
Du c»s poètes primitif», lent lu rôle fut ai grand pour*
tant dans lo progrès de la civilisation, nous ne savons
rien; et l'antiquité elle-même no les a pas mioux con
nus. Mais pour se dissimuler sou ignorance, ello a créé
un certain nombru de personnalités mythiques, Orphée
«t Limm,Musé», Kmnulpt',Puiuphos, «lotitnous devons
dire quelque» mots t.
Orplii-o ut Linos, prètros et poàtos tous doux, nous
H'inlreprâsoutûs coinmo dos Thracos, fils d» Calliopc1.
Muis,à vrai diru, ni lunu ni l'autro d«<ces doux légen-
des ne sonibtodo nature à nous fournir cet «'lômontdo
vérité historique qu'on trouve dans un grand lomltre
d'Anciensrécits. En 00 qui concerne Linns, on ost a peu
près d'accord uujtturd'liui pour lo considérer eointncun
pursonnago outiôroiuout fuliuloux. Uuovioillo iuvoca-
lion populaire, l'*rXivo;,qui n'était autre chose <jiioles
nuits sttiiiitit|uosai lenu liullûiiisôs,a vraisonililtildoinunt
donné naissmico &sou nom et «a Ingondo4. Uuo fois
h; porsonuago créé, on lui Utune histoire fletivo, quiuo
nous upprond rion sur le développement réel do la not'i-
si<(primitives. Il est inutile d<!la .'ippelcr ici. Orpli«M>,
de sou cote, n'appartient pas plus à l'Iii.stoiroque I-inos,
dont il fut quelquefois considéré comme le frère*. Son

t. Théogon., v. 39 et sulv.
S. Nous ne parlons pas de quelquas noms qui sont simiileraenl des
persunniOcations de peuples Anlkés, «t'Anltiédon en Bâotio, qui Ht
des hymues; Piâroa, de Piôrie, qui chantâtes Mu»«i(Plul., de Uus., 4).
3. Apollolore, I, 3, t.
4. Praller. Griech. Uythol, t. I, p. 371. Dorgk. Griech. Uler., t. I,
p. 3:
S. Élien, Ilist. tarife (Hereher), Hl. 32. Diod.. III, 59. Ot. HAgiotlc,
fr. 132 (Qoellliog).
C Apollodow, I, 3, 2.
^&~ – CHAPITRE PRBMI8R, fcB3 0RI6IHB8

nom no ligure ni dana Homère, ni dans Hésiode; il a dû


être inventé dans un temps postérieur. Quand it appa-
rait dans l'histoire, littéraire, c'est pour servir à autori-
ser toute une littérature apocryphe dont noua aurons à
parler dans la cuite. Arisloto, qui disposait da tant d'in.
formations aujourd'hui pontue*, ne croyait déjà plus a
sou existence son opinion u pr.Wulu do nos jours. La
légende d'Orphée*, si înliîrosNmito t<tsi poétique qu'elle
soit d'uillours, nous ost donc en diMinitivo aussi inutilo
quo colle do Mnns. Elle appartient à la mythologie et à
la fiction, muis elle ost on dehors de l'histoire lilléruiro.
Ou puurrait en diro autant do celle de Musée, xi elle
ne nous laissait du moins entrevoir une des routes quo
suivit la poésie primitivo pour pénîitror dans la Grèco
contralo. Los traditions rotatives ilMuséo sont loin d'ètro
concordantes On faisait de lui te fils do Mené, c'est-
à-dire do lu Lune, le fils ou le disciple d'Grphuo. Thracn
d'origine, il avait éti), ilisuil-im, lo premier prtMre ilus
mystères d'Eleusis. Des poésies religieuses apiwryphes
furent composées plus ou moins anciennement sous son
nom, notamment un hymne ù Uémèter Il représen-
tait donc une poésie sacerdotale rattachée à la l'iérie
par sus origines et ù l'Altiquo par le choix do ses sujets.
Si cette idée liait réellement fondée sur une tradition
< Cie.. deNat.dtor. I, 38 OrpheumpoelmndoeelArltlalelesnun-
quamfuisse. Toutesles questionsrelnllvesa Orphieont été sur-
tout éluciJéc»de nos jours par Lobeckdans «on Aulaopkamus, t. I.
I. h (Kainlgtborg,1829).
S. Apollod.,I. 3. S; I. », 16;I. 9, 23; Apollonius,Argon.1,2t sqq.
HermÉiUaax,fr. 2, v. 1-14{Anlhol. l>jr.de Bergk);l'banoclés,fr. 1
(ibid.);Diod..III, Gi IV. S5;Virgile,Uéoryiquet, IV,v. 453et suiv.;¡
Pausan.IX. 30. GénéalogiesflelivesjuM|u'&Homèreet Hésiode
ContourscTHom. eitl'Utê.{Uet.Op.Ooetlling,p. 351»)Suidas,"O|*r,?oç;
Proctue, VitaHomeri.
3. Hernifiblanux. tr. S,v. 1Set suiv. [A.uhol.lyr. de Bergk);Diad.,
IV, 25;Pausan X. 7, 2; Eurip., Bhésot,945;Suidae,McvoaTa;. –
LégendedeMusée &Albénes, son tombeausur leMusée,Fous.,1, 25.
4. l'ausas.»I. 22.
LA £OÊS|£ FIÊulKKNK M'

solido, ce que nous no pouvons ni nier ni afftnuer, il


faudrait admettre que la poésie piorionuo, on moine
tomps qu'ollo pénétrait jusqu'à l'Ilôlioou par la Thés,
ttalio, dut arriver par mer à Élouais sur k>» cotus do
l'Attique; il n'y a rien là d'invrnisomulatdo. Le nom
«IKumolpo, lo Thrauo, (lui, d'après lit lôgtmdu t, vint s'i-
Inhlir a Éhnisi» ot y célébra avec les lillos «lo KtHéosh<s
rites dos ilôossos, su rattachu nutiirollement ù colui «le
Muséo, qu'on lui a donné tantôt puur jièio ot tnnt<U
piiur fils; au rosto Euuiolpo, amtUre roui ou liclif do
lu fittiiillo «nconlotalo des Kumolpiilos, ùiuit plutôt cun-
sitltnù cimiiiko un iiiiliutuur roligiuux que commo un
jintitoh proprement parler
Kn Attiquo, la vioille puésio ruligiousu a encore un
ttutro roprûseutant dans la porsouno do l'amplios. Au
dira do Pausanias, co serait mùino lui qui aurait «ioni-
pusô puur lus Atliâuious lus liyuinus les plus ancions'.
I.t-s orudits du u* ot du m0 sièclo après J.-C. lui nttri-
liuuiuntdos liytnnos à Dôiuùtor, i»Arlôuu^à Posôïdon, a
Ziîiis, a l'A'us, aux CUariUis, compositions ôvidciiiinoiit
iqxicryplios, qui étaient pcut-iHro toutes rocontos ulors4.
Il n'multo toutefois do cotto attribution quo l'uniphos
«Huitrugardé comme un de ceux qui, par leurs hymnes
sacrés, avaient lixé la tradition roligiouse on Attiquo et
dans la partio voisine do la Bôotio; et comme, d'autre
part, on no lui faisait honneur d'aucune innovation poé-
tiquo ni musicalo, nous avons quoique droit de le con-
sidérer comme un simple héritier do lu vieille tradition
piérionno.
En faisant dans tout ceci, comme il convient, la part
t. Pansas.,I, 38.
2.Suidas(v. K^oXr.oi)ne lui attribue que des poésiesrelativesà
l'institutiondes Mystères.
3. Puusan.,IX.29.
4. Taiwan..I, 38; VII, 21; VIII, 36; IX, 27,29, 35. Philostrale.
Ilé~oïq~r, p. PAS(Ke1ftr),
Vf CUAPITRBPREMIER,– LES T 0BIGINE8
des (luutes nécessaires, il n'en reste pas moina qu'une
dans
poésie roligiouse, aussi élémentaire qu'on voudra
ses formes, mais,considérable par aon influence, eer-
a
taincmeiu existé dans la Grèce continentale dès les
temps préhistoriques. Le premier grand perfoctionne-
ment qu'elle reçut lui vint do son contact avec una
poésio issue dos îles et do l'Oriont grec.

III

La religion d'Apollon, quitte qu'on soit l'origino,


semble avoir pénétré on Grèce à la fois par lo Nord
ot par l'Est, Pytho, qui prit ensuite lo nom do Delphes,
la reçut probablement do la Thessalie, tandis que Dé-
loi, qui en fut le contre pour la Grèce orientale, la rat-
tachait plutôt à l'Asie. Il est probublo que, de part et
d'autro, olle suscita dos hymnes et par conséquent un
mouvomont poétique; mais les témoignages paraissent
établir que la partie oriontalo do la Grèce vit naltro an-
ciennomont une poésie apollinicnno plus brillanto.
Cette poésie a pour représentant plus ou moins lé-
gondoire le lycien Olon. Ce personnage passait, à tort
ou à raison, au temps d'Hôrodolo, pour l'auteur d'hym-
nes qui étaient chantés à Délos par les femmes du pays.
Le témoignage do l'historien est fort curieux « Les
» femmes détiennes, dit-il, se rassemblent pour chan-
» ter un hymne que leur a fait le lycien Olon, et
» dans lequel elles invoquent par leur nom les vier-
» ges hyperboréennes Opis et Argé. Au dire des Dé-
» liens, c'est d'oux que les habitants des Iles et les
» lonions ont appris à invoquer ces vierge» dans dos
» hymnes et à célébrer ces fôtes 4. » Les chants en

i. Hèrutfote.IV,35.
"LX l'ÛÊàlÈ ÀÎMJLÙNIICNNÏ Ct
question se rapportaient au culte d'Apollon, puisqu'un
y invoquait les vierges hyperboréennes, personnages
légendaires» do son cycle. Ainsi Délos se regardait ello-
mùmo comme le foyer d'une poésie religieuse d'origine
asiatique, qui avait rayonné autour d'ollo sur les lies
«ilchez les lonions, et Apollon, aon dieu, était aussi le
dieu do cotto po5»ie. Ce que Pausnnias nous apprend du
j*lua sur Olon n'ajoute pas grawlVImso à cos faits. Hlui
aliribuo un certain nombre do compositions poétiques,
dmil l'autlionticilé évidomniont n'est rioii moins que
vraisemblable et il le proelamo la plus ancien auteur
d'hymnes qu'il y ait eu on Grèce ». Outre cos hymnes
U'Glon, los Hélions citaient encore d'autres Uymnos an-
cious on l'honneur d'Apollon, par exomplo coux qu'ils
attribuaient à la Sibylle Hérophilo, antérieure à la guorro
do Troie'. Ces faits, rapprochés les uns dus autres, mon-
trant assez combien était furto et vivace parmi les lui-
liitants de cette t!o l'idée qu'une grande poésio religieuse
avait pris naissance chez eux, autour du sanctuaire de
luur dieu.
Jusqu'à quel point cette prétention détienne était-ellu
justilioo par los faits? Il ost impossible aujourd'hui do
dire exactement comment les choses durent so passer
dans des temps aussi reculés. Peut-être d'autres points
du mande gréco-oriental, tels que la Crète par exemple,
auraient-ils eu tout autant de droit que Délos à récla-
mer pour eux l'honneur de cette initiative poétique.
Maisce serait là une dispute do médiocre importance. Co
qu'on ne peut nier, ce semble, d'après les traditions allé-

i. Patuan.,1, 18; VIII, 21;IX, 27; hymne à IHIhye;V, 7. hymne


à Aeluea;II, 13,hymneà Hôra.
2. Putiian., IX, 2ï Aûxto;
'ÛX*,v 5ç xat t»Ùî û(ivow; toi; «p-/«'ot«tovî
titoinoiv "EXXtjmv. CalUmaque, Hymne à DêUa, 304 Oî (Uv irai ESoum
»6|»ovAuxloio T*povtoe, – 6v toi ànb EivBoio 6i6itpo«o; JWv 'QM*.
3. Poumb., IX, 18
03 CHAPITRE PREMIER. – LKS ORIGINES

guées, c'est qu'il y ait eu, dès les temps les plus anciens
de l'établissomont du culte apollinion dans ces paragos,
une poésie liée i ce culte, qui se recun unissait olle-
mémo comniu suumise originairement à dos influences
asiatiques. Ces traditions nous permettent do croire que
la poésie on question était indépendante de colle de»
Muses, dont nous avons parle précédemment. Celloci
se rattachait à la l*iério cellolà à la Lycie; l'uno célé-
brait principaloment Zeus elles dieux do son cyclo, Tau-
tro était «onsuerôu a Apollon. Co sont sans doute deux
manifestations a pou près contemporaines du génie hel-
Ionique, nées tuutos deux d'un môme état général de
civilisation et répondant aux mémos bosoins, mais, au-
tant quo nuua pouvons en juger, duos à dos influouces
diverses et niarquéus pur suite du caractères diu*éronts.
l'lus novateurs que leurs frères d'Europe, les tirées
orientaux se sunt toujours montrés moins sévères qu'eux
dans leurs goûts. Ii est donc vraisemblable que leur
poésie religieuse a du, dès l'origine, séparer, pour ainsi
dire, plus richement, en faisant une plus large part &
l'élément musical. Costco que les traditions anciennes
semblent confirmor, lorsqu'elles attribuent à Apollon la
cithare et à Olon l'invention du vors hexamètre.
La phonninx ou cithare (^ôfpyÇ, x(0*piî ou xiOàpot),
bien qu'inventée selon la légende mythologique par
Hermès est proprement l'instrument d'Apollon. La
poésie ancienne a représenté bien des fois ce dieu jouant
do la cithare, tandis que les .Muses chantent dos hym-
nes Il est donc naturel de penser que cet instrument
1. Hymnehomérique à Hermès,v. 25et suiv.Il est facilede voirque
danscettelégendeHermèsjouele rôled'inventeur,simplementparce
quel'inventionut son attribut essentiel;mais la citharene lui ap-
partient pas.
2. lliade.l, 003 .çipsi'-YT'î«»pt*«î*foc,
?,vIx' 'AnWJtov.– Movffiuv
èiù x«M).Les passagesanaloguessont nom-
9' <*îSitîovâjssi6&|uv<ti
breux; voyez notammentHymneà HêyiaàJ,T. i et anW.; 333et
euiv.; l'infot\j, «m.. V. 41et suiv., Bargk.
LA POÉSIE AP0LL1NIKNNE 08
a été des la plus haute antiquité associé à son culte, et
que l'un et l'autre ont ou, à pou do chose près, lesmômes
destinées. La cithare, fort simple à l'origine, convenait
très bien aux chants primitifs Elle se prêtait à mar-
quer fortemont le rythme, et par suite elle dut contri-
buer au perfectionnement qu'il reçut par la création de
l'hexamètre.
Diverses traditions avaient cours dans l'antiquité au
sujet dosoriginos du vers épique. On on faisait honneur
principalement, soit à la proinierc Pythio de Dolphes,
l'Iiénionoë, soit au lycien Olon Cette socondo attribu-
tion est évidemment la plus vraisemblable Lo collègo
sacortlotal de Delphos, on donnant aux oracles la forme
de vers, se proposait do les rendre à la fois plus faciles
ai retenir et plus mojestuoux; il devait do toute néces-
sité su servir pour cela do mètres déjà connus, déjà fu-
iniliors par conséquent a ceux qui venaient consulter
lu «lieu; et parmi les métros do ce genre, il était impos.
sible qu'il no préférât pas ceux qui étaient consacrés
aux hymnes religieux. La poésie a donc servi do ino-

t. On suit on quoi elle consistait essentiellement des cordes, ten-


dues au. dessus d'une sorte cb botte sonore, formée parfois d'une écaille
lu tortue, s'attachaient par leur extrémité supérieure A un joui/ Uwyov)
porto pur deux bras (Kr,z««) lu mubitsien les taisait vibrer soit en tes
touchant du doigt, soit à l'aide d'uoe petite pièce d'ivoire ou de mè-
tul recourbée qu'on appelait le perçussent-
(itXf.xtpov).Le nombre de
«os cordes s'accrut a mesure que l'art musical lit des progrès on
peut dire, sans fixer de dates, qu'il y en eut d'abord trois, puis qua-
tre, dans la périoie primitive.
£. Theod. Srall.ap. tiaisford. Script, lai. rei metriese, S37 « Bletrum
•lactylicum llexametrum inventum primitus ab Orplieo Critias asse-
rit, Damocritus a Museeo, Persinus a Lino, parmulti ab Homero. »
yiein. Strom., I, c. 16 "Etc T«<rl -A *,ptôov-A É$«(mpov *avo9iav &,“
Tjvaîx» 'Iwtflav, oî tk e«i«v, (ifav tûv Tit«vt!c*v, eiptlv. – Phâmonoâ
l'roclus. Chrettom. ap. Photium, cod. 239 (p. 319. éd. Bekker) Kat
{Uta nP4x>o;| 6t. xh ëno; itpÛTOV yXvifiOpt *T,nov6r,f,'A««)iX6)v»çjipo-
çr.ti; U«|Utp«««-/picole xpi)««|Uvi). Cf. Eustath. ad lliad., p. 4, 1.
Ulen Pausan., X. 5. – Traditions divergentes, Plutarque
h Psthif a cesse de parkr en «!>«, p. 621, et Pourquoi
beaucoup d'autres.
fit CHAPITRE PREMIER – LES ORIGINES

dèle à l'oraclo, et nou l'oracle à la poésie Ajoutons,


s'il faut ici un témoignage, que la tradition favorable
à Olen, c'est-à-dire à la poésie apollinienne orientale,
est rappolée et confirmée par uno Béotienno*; ce fait
prouvo que, même dans la Grèce centrale, I09 prête n-
tions de Delphes étaient loin d'être acceptées.
Que faut-il d'ailleurs entendre au juste par l'inven-
tion do l'hexamètre? Il est bien clair qu'un organisme
aussi parfait n'a guèro pu naitre un beau jour tout formé
de l'esprit d'un homme C'est l'expérience seule, selon
l'obsorvation d'Aristote, qui a dà l'approprier à sa
destination On peut se faire au moins uno idée de ses
transformations probables.
Le pied qu'on nomme dactyle est l'élément fonda-
mental de riiexanùlro Deux choses le caractérisent
nettement. Il est composé do deux temps égaux, et le
temps fort y précède le temps faible; ilfuutajouter que
le second temps, bien qu'égal au premier, on diffère
pourtant, puisque l'un est formé d'une longue, l'autre
do deux brèves. Il résulte de là que le dactylo est grave
et bien pondéré, sans monotonie et sans lourdeur. 11
convenait, par suite, mieux que tout autre pied, à des
chants religieux plus solennels que passionnés, et sans
1.L'oraclede Delphesd'ailleursnesembleavoir pris toute son im-
portanceque postérieurementau grand développement de la poésie
épique ionienne.Bouché-Leclorcq. llist. de la divinationdans Fanti-
t. I, p. 359et suiv.
quiîi, Paris, 1879-1883,
2.Bobo,dans Pausan.,X, 5 lïpùto; 8' àpjjatuvfafcavtixttJv«t'àoi-
ïiv.
3. G.Herman,Elem.doclrinsmelricw,p. 331 Necaaneimmerito
divinumquidhaberevisaest hujus verausinventio,etc.
4. Aristote,Poétique,
24 Totï |tttpovte r,pioïxbv àit'otîjçiu(p«cîjptio-
luv(se. TîjtKOirotz).et plus loin aùri]tj çv«{ tilintt ta àp(i4rtov
ait}.
it. Philologtu,
t XI, p. 328.article de E. vonLeutschaur l'Origine
du nomset* pied*grées.L'auteurétablit que le dactyleestle pied le
plus ancienet qu'il ya en d'abordnne poéaiepurementdactylique
(p.349).
LA JPOÊ3ÏB ÀPOLMNÏENNE «5
doute le sentiment dos premiers poètes d'hymnos ne
s'y est pas trompé. Dès qu'on out commencé à cher-
cher un moyen de rythme dans la quantité relative
des syllabes et dans lour groupement, ee qui fut le fait
do l'instinct, on dut reconnaître immédiatement qu'en-
tre les combinaisons élémentaires qui s'offraient d'elles-
mômes, aucune n'était mieux appropriée que celle-là à
l'usage qu'on en voulait faire l.
Mais le dactyle
une fois adopté comme pied fondamen-
tal dans les hymnes il est peu vraisemblable
religioux,
qu'on soit arrivé immédiatement à reconnaître
qui!
convenait d'assemblor les pieds do ce genre six
par six
pour en composer dos groupes toujours identiques.
Si Ton considère lo vers do
l'épopée homérique il
semble qu'on y retrouve encore la trace d'uno soudure
plus ou moins ancienne qui aurait réuni en un soûl tout
doux membres autrefois distincts, bien qu'étroitoment
lt«s. Les césures qui le partagent on deux parties en

1. Bargk {Geachkhte der (,iech.


Lilcrah»; t. 1, p. 3Si et suiv.) e-c
prime une opinion fort différente. Frappé de
li.nportancedu rythme
anapestique dans les chants populaires de l'ancienne Grèce, il pense
que los premier, hymnes religieux et même los premiers
ques durent être composés dans ce mètre, et que l'hexamètre chaléT
sortit
plus tard de la réunion de deux membres
(le premier diminué de son commencement^^Ti^Z^Z
l«mK .1. ""s fj^^d
")- Si lon rapproche bout à bout ces deux
mombres, on a on effet un vers hexamètre; e» réalité le
tout différent. Le moindre défaut rythme en est
de cette combinaison est d'ét™ en-
t èrement arbitraire. D'ailleurs la conjecture
nJTsSr V£Z
fosXlnr'l0ll-'êtreprfbable-n8ei)TOt ^apestedSdaÏÏ
les chants populaires; mais les
hymnes religieux n'ont jamais mTades
ehantspoP»^.es;^ontdaavoiyrattMat^e^
tère de gravité, de solennité,
qui justifiait et J^SS^^L
d'uo rythme particulier. Lo mètre
dactylique était aussi Dabuel à.la
langue gmeque que le mètre anapestique, et il serait absolument in-
m>yable qu'oa elU fait usage de l'un et
ignoré la valeur de l'autre,
jusqu au jour où un heureux hasard en aurait FBVélé révélé to
la b««W-dan8
h«,nu T
une eombi«ai«.ft RM8j
tf!_t i^* * «^«u, fy^™1
«"uosiauttl. Grecque.– T. I. g
66 CHAPITRE PREMIER, – LES ORIGINES

sont comme le témoignage subsistant Un heureux ins-


tinct lit sentir de bonne heure; ot pout-étro môme dès
l'origine, l'avantago do grouper oos membres trop
courts deux à deux. Co groupement dut donner nais-
sance d'abord à une sorto de strophe; puis la soudure
dos deux membres devint plus intime, et le vers épique
se forma. Ce sont là des conjectures assez probables,
mais en somme dos conjectures. Co qu'il importe de
dire, c'est que la constitution déiinitive do l'hexamètre
fut une («uvre dos plus remarquables. La dignité natu.
re Hounie à l'agrément, la grandeur associée à ta variété,
et, avec cela, une sorto d'égalité qui convient aux -longs
récils, telles sont les qualités propres grâce auxquelles
co rythme facilita la naissance do l'épopée et la servit
ensuite mervcilleusomont
11est impossible de savoir où et quand se firont ces
progrès successifs du moire épique. Peut-être fut-il ébau.
ché simultanément par les poètes de la Grèce continen-
tale et par ceux dos fies. Mais ceux-ci sans doute en
tirèrent tout d'abord meilleur parti, et quand leur
poésie vint su fondre avec ccllo du continent, l'essor que
prit le génie hollénique no dut pas pou contribuer au
w
progrès do cet art naissant.

1. G. Hermann, Elem. doclr. melriem, p. 332. Marins Viotoriaus,


1, 19. Iuoisiones ettam versuura, quas Graci toi»à« vocant, ante om-
nia in hexametro necessario observande sunt; omois enim versus
in duo cola formandos est, qui herous hoxameter merito nuncupabitur
si competenti divisionnm ratione dirimatur. Cf. Christ, Metrik der
Grieehen und RBmer, g 303 (2«éd., Leipzig, 1879) et H. Gleiitseb, Me-
Irik d. Griechen und Hômer, S 33 (Manuel d'I. von Mflller).
2. G. Hermann, Elem. doclr. tnetr.. ch. XXVI, S i. Quia est enim
qui, si accuratius ejus naturam considéra verit, non admiretur exi-
miam illam Gneeorum solertiam, qat in ipaia artisprimordiis statim
iliud metruin repererint, in quo omnia que gratam varietatem, ve-
nustatam, dignitatem carminibus adderent, conjancta eernerentur? 't
etc. Arist., Poil.. 24 TG yxç TipwiVov«rosviiuivaTCVxal «txu8«(rtaT0v
t<3v fitfav litxli.
PREMIERS CONCOURS 07

e IV

Delphes somblait ôtro le lieu prédestiné où les in.


llucncos grôco-oriontulos devaient se mêler avec colles
dolaPiério. Par sos origines et ses relations on olïot,
le grand sanctuaire de la Phocide so rattachait à la fuis
au nord do la Thossalio et à la Crète, c'est-à-dire aux
iloux foyers primitifs do la culture liolléniquo, ù colui
du. Nord at ù celui do l'Orionl. Aussi, lorsquo Delphes
sortit do l'obscurité, la fusion de ces deux influences ne
tarda pas à s'y opérer.
La plus ancienne tradition relative aux concours
poétiques de Delphes mot précisément ce fait on pleine
lumièro, « Lo premier concours établi à Dolphos dont
»un fasse mention, nous dit Pausanias, lo premier pour
» lequol dos prix aient été institués, consistait dans lo
» cl~arit d'tai hymme en tleormeur du dieu. Chrysollt6mis
» le Cretois y chanta et y fut vainqueur; on dit qu'il était
»(ils do Carmanor qui purifia Apollon. Après Ghrysothé-
» mis, Philammon, dit-on, fut vainqueur au concours
» du chant, ot, après Philammon, Thamyris, son fils.
Hésiode, à ce qu'on prétend, ne fut pas admis au ton-
» cours, parce qu'il ne savait pas s'accompagner en jouant
» de la cithare »
Que nous apprend en somme cette tradition ? D'abord,
que les premiers concours de Delphes furent des con-
cours de poésie religieuse, ce qui confirme l'idée géné-
i. Pausan.,X, 7. Onsait quel'établissementrégulierdesjeuxpy
tuiquespar décretdes Amp'.iietions date du commencement duvie
siècle(vers585);maisonadmettaitgénéralement qu'ils avaientexisté
longtempsauparavant,commeen témoignela narrationrelativeà la
faussemort d'Oreste dans YÉlertrede Sophocle,et il ne paratt pas
douteuxqu'iln'y ait une part devérité historiquedansla tradition
rapporté»M.
68 UHAPITRK PHKM1KR. LBS ORIGINES
raie quo nous exposons on ee iiiomont; en second Hou»
que cas concours attireront successivement des poètes
venus do la Grèce insulaire et oriontalo, tels que le Cre-
tois Chryaolhnmis, puis «Vautres qui nous sont partout
donnés comme des Thrauos, lois que l'Iiilummon et son
lils Tluunyris; enlln, quo tous cuux qui concoururent u
Delphos chantaient dos liymnos en l'honneur d'Apollon
et s'accompagnaient de la cithare. Si nos conjectures
précède nios sont fondées, go dernier fait ost particulier» •
mont intéressant car il nous fuit voir quelques-uns au
inoins dos héritiers do la tradition jiiériouno acceptant
los invention* nouvelle» do la fir&ui ariaiitalû oi acLoin-
plissuul ainsi la fusion féconda dos doux poosios origi-
nairomeut distinctes. Apollon apportait aux Muses, ou-
tre sos rythmes perfectionnés, l'usago d'un instrument
nouveau qui chantait «in môme temps quo lu poMo «I
donuait a ses vers plus d'écltil et do sonorité, Lt>s Mu-
ses do leur c«Uélui prêtaient sans doute quelque chose
do lu gravité religieuse et m ystiquo do leurs vieilles tra-
ditions. Une ulliunco étroito et déJinitivo so faisait en-
tre ces divinités si hien faites pour s'entendre, Apollon
devenant le maitro du chœur divin, lo dieu do toute poé-
sie et do tout idéal, tandis quo los Muscs, intérieures à
lui on dignité, restaient cependant los dispensatrices
immédiates de l'inspiration
Est-il passible maintenant do faire dans cos événe-
ments généraux la part porsonnelle de quelques hom-
mes ot de démêler un pou de vérité biographique au
milieu des légendes rolativos aux personnages qui
viennent d'olre cités? Voici on quelques mots co que
l'on sait ou ce que l'on peut deviner sur chacun d'eux,
Chrysolhémis n'a, pour ainsi dire, point de légende.
On disait seulement qu'il avait le premier chanté un
v. 91 'Ex fàf Itovv&tv*a\lxn«4Xoa
1. Tkiagon., – av-
'Aft£AX»vo«
ty«CioiJoi&t«tvM x8ov\.5cai xitapioraf.
XFOCLCraKT USSltUSBS «*

nome on l'honnour d'Apollon est s'accompagnant sur lu


oilliaro », Crétois, fils tlo Carmanor, qui passait pour
avoir puriftô Apollon, il poraonnilio cluircuienl, par tous
te* titres a la fois, lu poé*io roligiouao u|iollinii»nfw,
voiuio &Dolphos dus H«mgn.<uqùosdu lu mur Ëgûti.
Co (|ui nous uat rapporté do PUilainnion et do Tltn-
myriH s» réduit égatouicitt a pou do chose. Tous doux
nous sont représentés cotiuno itos Thruces iltt doivoul
dont; tHro rangés dans cette classe «lo clianlours miorés
qnt*la l'iôrio nvnil vuu nuilru et ilui de lai s'ûluil répitu-
duo du us lu (ïrècocontiiiuiiUtlo; inuis tous doux, inutgrô
cvUv urigino, nous sont donnés couuno des ««prit* ou-
vorts aux nouveautés musicales et poétiques. l'Iiilani-
iiiuii pussuit on outro pour avoir institué les myatàros
do Lorno ot appartenait ainsi à lu sério dos înitiatoura
du culto do Dômôtor et do lacchos ». On lui attribuait
uussi des noinos cithurédiques annloguos à ceux de Tor-
pitudro il ost à poino liosoi» do dîro quo cette ntlri-
liiitiun provonait ôvidcuiinoiit d'unu confusion entre les
liynuiOHsucrés dont nous venons du parler, chants d'un
<mr«cl6ro grave et monotone, plus narratifs quo lyri-
ques, et les compositions musicales déjà beaucoup plus
suivantes do Torpandro. Quant aux dates, les anciens
pluçuient lu vio de IMiiliunmon dans la période aulé-
riouri au retour des Héruclides lo vieux poèto aurait
donc été un contemporain des dynasties achéoimcs i'iu
Péloponnèse.
Thamyris, qui passait pour le fils do Philammon, a.
t. Pausan., X, 7; Proclus,chezPhotius,cod.239(p. 320Bekker).
a. Suidas,
2. SnMM,*i>ili(ia>v, 6i|fjpi<; Iliade,II,
~Mtt)n.<,6i4)Mj)tt; ~Me, H. 591;Strabon,
S9t; Stfabon, VIII,
VMï. 25;
as;
Julien, Epist..41 Conon,dans Photius,cod. 186(p. 132Bflkker).Il
estv.-aique, seloa Plutarque,de Mm.4.Philammonaurait été on
Delphien.
3. Pauean..II, 37.Cettetraditionestd'ailleursconsidéréepar Pan-•
aaniascommepeufondée.
4. Suidas,TépnxvSpo;. Plut.. de Mus,,c. 3 et 5.
S. Fiusâi. II, 37.
70 anÂPÎrBB PRBMÎKR. – lûtes ÙitlùINKH – ;– j–
un pou plus de célébrité que lui. Par la lôgendo mythn-
logiquo do son origine, il ao rattachait a la fois à Dulphe»
et à la ThrAoe sa moro, la nympho Argiojio, t'avait
conçu pros du Pffntawe; puis elle avait quitté lo paya,
et lui avait donné le jour ehe* les OJryua» S'il faut
tnttluiro ceci on lungugu historique, il oat difficile, ce mu
aeinht», do no |ms l'interpréter ainsi Tltainyria, coiutno
pitèto, était & lu fois un Piôrion ut un Dolphion, l'iériou
par l'hûritago poétique et religieux qu'il avait reçu et
qu'il garJuit liulphiou pur les innuoucoa apollinionnca
que Philaminon avait Hiibioaavant lui et qui lui furent
lranami*«*.
Mais la rououiuiâa do Thamyria pruvonuit surtout
de aa rivalité légendaire av«<cles Muses, C'est dans
l'Iliade que noua trouvons 1» plus ancien récit do ce
curieux «'pisodo, rappnlé ensuite pur pltiBiours écri-
vains de l'antiquité. On montrait on Mesaénio, près
d'uno rivière nniumée Balyru, un vmlroit aulrofois ap-
pelé Horion; c'était là, disait-on, quo Tliamyris, revenant
d'fficlialia (plus tard Andania), dninoure du roi Eurytus,
avait rencontré les Muses et los avait déliées do chanter
mieux que lui vaincu par ollos, il était devunu aveugle
on oxpiatioii do Ha témérité, et avait oublié son art du
chanteur ol de citharisto Cotto légondi; attesto d'abord
l'introduction très ancienne do la puési<>religieuso dans
la Péloponnèse. Kurytos d'Œchalia, d'après los tradi-
tions, était le contemporain tk Nélvus, père do Nestor
Quant au sens do la lutte do ITIiaiiiyri» avec les Muscs,
il a été généralement interprété d'une manière qui n'est
peut être pas exacte. Le texte homérique nous repré-
sente Thamyris comme vonant do chez Eurytos; par

1. Paaian.. VIII, 33. ·


S. Iliade.II, S9«et miW.;Apotlod.,T,3; Stralwn, VIII. U; Pau-
md., IV. 2.
3. Cri- râsaiie des Wseadte«pp?r(*« p»r PmumbIu.IV, 2.
itiAiiYttts ft~

iuito, Otfricil MUllor ot Borgk ont vu on tui un dos pw-


inion» uède* qui soraiont allait do palais on palais chau-
ler li>*légende* horoïquoi, et il* ont euniùdèro su lutlo
aveu lus Mu»o* comme ovllu do I» poonio prufann nuit»
«iinlt»avec l'uuciouuo pooaiu ri>lî|(itni*u. Lu légende» no
tlit riou du cela. Thamyria passait uu cunlruiio pmir nu
|Mtè|u d'un oaruc^ru h demi Htuwdulul; lunis vuiuins do
voir qu'au diro do l «uuiutiu» il fut vniiu|uo»r uu «t»«-
cmirn du Dolplio* un çliHiitunl un Itymuu à Apultuii; ot
«'«Ko«ipiuiuu «Huit ai liitm collo do l'antit|»iil»! qu'un lui
nttriliuuil uu« Théologie ou trtiin mille vur* Ku mitro
toile opposition ontru la p<H>»iu ruligioutte ol la ptidiîa
jirofimc n'est guùru admUsililo d»nt co« lotujm primitifs,
car la socondo célébrait les Imtos fil» dos tlioux, ot par
cousâi|uunt, bien loin do s'opiMisor à la pr»mi«Nr«,s'un
niitoriaait au contraire pour In compléter. Il fnut Irn-
tlnirn autroinoiil la vioillo tradition inos^niouuo, ot
cota purait faoilo. Audania ou (jRttlialin u «ti? aucionno-
mont un dos sanctuaires rôvôivs do la (irtu-ti Tliamyrin,
on su qualité do chanteur Huen' y compoxiiit ot y récitait
sas Ityinnos, Sans douln, docil» aux influniit'ns dol'Orient
gr«in, il so montra novulour duns non art. l'no tnidition
fuisnit d« lui l'inventeur de I» quatrième cordo do la
citltaro primilivo Sans attacher uno grande valeur à
co genre d'ussortioiiH, un peut croiro du moins qu'il
n'éluit pas considéré &turt coiiuno ayant été uniniô d'un
esprit do progrès. C'est sans doute h quelque innovation
leittéo ou accomplio par lui qu'il faut rapporter la lé-
gende en. question Elle nous laisse deviner quelque
chosu du développement do la poésie dans la Grèce pri-
t. Suidai»,eipvpi;.
S. l'ausan.. IV, 1.
3. Diod.,III, 5».
t. Plino{llut.nul., VII, SO)
altrlbuoà Thamyrla,tans aucuoevrai-
aembiancod'ailleun, rinvenlioa de la musique purementitiBlru-
iwtnlal»• Ci>M>*r>>
»!»»y.f* <hw1«H Tli»mwri»nrimim.
H chapitre prsmïeh, – le» ohioïnes
mitive et de l'opposition contre laquelle loa novateurs
eurent plus d'un© fois à lutter
Kn quoi consistait cette poésie ai complètement
jtor.
d«M»?Par quels»caractère* essentiel* a« distinguait-elle
des chants héroïques qui devaient naître d'elio? On ne
pout mettre on doute qu'ollo na fut surtout énuméra-
liv«. Si les témoignages ancien» relatif* aux chanta do»
Musos no semblent pas «Incisifs îi cet égard, la siinplo
rellexion peut les cumplétor ot lo» cunllrmer. La vie
morult" îttait «ncoro trop simple ot trop naïvo pour que
chaque poète eut dos aontimonU persnmioU il oxprimor.
1/AIAnmiit lyrique, dnn» <u««hymno», devait donc au
rnduiro à dos invocations plus ou moins multipliera; la
nom du dieu y révoltait souvent, entouré d'épithètes
brillantes ou sonores, qui aatiafaiaaient la piété. Le
poèto on développait lo nons, suit par quelque récit rudi-
menlairo, oà los faits étniont soulomont indiqués sans
aucune pointuro dn pnHHions, mût par des furtttulas gé-
néralos qui oxprimnicnt la puissance du dieu. Sans
chercher dans la litléraluro do l'Inde do» exemptas plux
ou moins analogues, nous pouvons on trouver dans la
poésie grucquo ollo-uièino. Il no faut pas songer ici aux
hymnes dits homériquo», qui sont, comme nous lo var-
rons plus loin, des rouvres d'un genre tout dilféront,
issues do la grande épopée. Mais au début dos Travaux
d'Ifésiodo, se rencontre une invocation probablement
ajoutée après coup au poème, qui peut représenter assez
bien le type de ces antiques compositions
« Muses de Piério, dit le poète, déesses des chants
» qui donnent la gloire, venez, célébrez Zous, volnt
» propro père, dans vos hymnes; Zeus, par
qui. sont
i. Si la légendede Thamyiisfut localiséeà Dorion,c'est peut-élre
que ce lt«u,tout proched'Œchalia,était celui des fêtesoù lea hym-
ces étaient clianté».Il eut possibleaussi que lenomdela rivièrevoi-
sine Batyra et l'étymologiepopulaire(inoftiXltivct,vXiîpav,
Pausan.,
IV, t) suffisent&expliquercettelocalisation.
N4TURE DR8 H YMNKS 78
» tons tes mortels, inconnus ou illustra, gloriou* ou
» obscurs soton aa divine volonté. Sans poino, il donne
» la Wot>; sans peine, il lu briso; sans peine aussi, il
u humilie oolut qu'on enviait, et il élève colui qu'on ne
m voyait pua hqiih peine, il redressa et- qui est courbé et
•>nétrit eu qui est glorieux, lui, le diou qui fuit grondai-
» la foudro dans los airs, Zous, assis dans su doimniro
m sublime Prèle l'oreille, vois ut entend*, et quo l'ô-
Il qiiitô rftglo tes jugomonU »
L'archiiïsiiiu dos oxnrossious, ta tuitr liiiindiqiio dos
{lonsées Hoinblunl attester latitiquiti- d«<t;o morcunu. Il
est remarquable par sa forme si'Ut«)miousi) ut par la
multiplicité dus formules. (ta sont là dos traits qu'on
dovait rencontrer souvent dans les anciens hymnes
Mais celui.ci n'exprime quo des pensées générales; il
ne contient aucun récit, ni morne aucune indication do
faits mythiques. D'autres hymnes sans doute àtniont
plus narratifs On peut s'en faire uno idée par plusieurs
passages do la Théogonie hésiodiquo, tels quo la brève
narration relulivo &Styx et à sos onfunts (v. 383-103),
l'éloge d'Hécate et l'énumératiou do sus honneurs
(UMt-152). Seulement il ne faut pas oublier que, dans
un genre unique, les œuvres particulières ont certaine-
meut varie'»,comme toujours on Grèco, avec les temps,
!os lieux et la diversité do caractère des poètes.
D'ailleurs les circonstances, auxquelles ces hymnes
devaient s'approprier, n'étaient pas toujours les mêmes.
Hérodote nous apprend que, clioz les Perses, un mage,
assistant à chaque sacrifice, chantait pendant la céré-
monie une poésie théogonique 3. Quolquo chose d'ana-

t. Travaux,t-9.
2. Cf.la prièred'Achille,Mad,,XVI,233 ZtOSv«,âuBuvrft,Ifc-
tarpxi, tt,M8ivaluv, AuStivr,;(utiwvSj<r/<t|ii?o-j.
3. H£rod., I, 13î M£]fOî ivr,? T.*fi<rtti>: (î% GuffrfJ in«t8« 6t&YO«iqv,
O",v «»!twtvoi Myovoiv tlvai tf.v insoiir.v.
?4 CHAPITRE PHEMIER. – LB8 0R1G1NR8

loguu a pu exister anciennement en Grèce. Le sacrifice


appelle naturellement t'hymne, qui lui donne sa signi-
fleatictn et qui lo consacre. En outre, toute cérémonie
religieuse est une occasion de réunion, et quel moment
serait plus convenable pour parier île» dioux que celui
où l'on se réunit pour los honorer? L'hyitmo dut pur
conséquent à l'urigino faire partie des rites du sncri-
fleo, soit qu'il ftlt chaulé pondautla cérémonie môme
soit qu'on le réservat pour lo reposquien était lu suite1.
Toutefois les trudilion* relatives à Chrysulliéinis, «
Thamyris. àOloi» saitibient attester un autro usago un
peu «titreront de celui-ci, bion que sans duulo simultané.
Los hymnes étaient chantés aussi auprès dus sanctuai-
res, dans les fôtea qui uttiraiant la fuulo, ut où nuqui-
ront sans doute les premiers concours C'est là que le
talent dos premiers abdos de profession dut trouver
l'occasion do se produire avec éclat, et c'est là aussi par
conséquent que la ptiésio, dovenant plus hardie à mo-
sure qu'ollo so sentait plus udmirée, prit véritablement
son essor.
Quoi qu'il on soit d'ailleurs de cette histoire obscure,
on ne peut douter qu'à la période des hymnes ne cor-
respondo un développement considérable do l'esprit
grec, et quo l'iiifluonce de cotte poésie primitive sur
la poésie épique n'ait été furt grande. « Cesont lespoè-
» tes Homère et Hésiode, dit Hérodote, qui ont fait lu
» théogonie grecque, en donnant aux dieux leurs
t. Platon, loi*,III. xv (p. 100H. Est.) Ka(« r,v«!«o;««?,;tù/»'
«(>&«(«où{,£vo|*aai C(ivot<Ka>o0vTo.
On voitdans Callimaque{Hymne
à Zbum, t) quel'hymneest chantéicapàonov8}»(. Cf. Proelas. Chret-
tom.,chel Photius,Biblioth..p. 320,Bokker 'O et supiu;-i|ivo««pô;
wMpav^8«totatûtuv. K. If. llermann, Uhrbuchd. Or.Alt., H, | 29,
note6.
t. Ath.,XIV.54 'Attà |ir,vot àp^aïoimpUXaSov xalî«i<rtxa\ v£|tai;
toù«tôv tiûv û(ivou;çbiv<îit«vt«{ ivt«Iç t<rtii»toiv.
3.. Pausan., X, 7. S '\px<utxatw il if^'i» ivMn pvniiovriovoi
*«'« if* m «j/miuv 5W,« n«u«y (& CflpbfiS),
ùdtii OilVftïSi; ïlv teiï.
OÏStÎNAtlON DB8 HYMNES 7&
n noms, on fixant les honneurs et loa attributs de ehti*
» oun d'oux, on dépoignant lotira formes » Le grand
historien s'est trompé. L'honneur qu'il attribuait a \U>-
mèro ot à Hésioderevient incontestablement aux poft.
toadoa hymnes. Durant une périodo de temps quo nous
na pouvons déterminer, ils ont (.'hanté, avec plus ou
moinsd'art et de talent, les dieux do chaque ehi, et,
lorsqu'ils se mirent à voyager do sanctuaire en sanc-
tuaire, ils contribuèrent à former, on les groupant,
l'Olympehollôniqiie. Ce sont eux surtout qui ont popu-
larise les caractères, les attributs, les formes mAinosdo
c«3dieux; ils ont attacha à leurs uuimi cortninox ôpi-
tluMosqu'une vénération traditionnelle a conservées
par la suite. Dolà vient qu'on rencontre en grand nom-
bre dans la poésie épique des adjectifs archaïques, qui
no répondent plus ni au goût, ni aux habiludos de lan-
gage du temps, mais qui s'y maintiennent par la force
tlo t'usage do là vient aussi qu'on on trouve tantd'mi<
trcs dont le sous général et purement descriptif atteste
qu'ils ont pris naissancedans uno poésioplus religieuse
que dramatique Los hymnes ont été l'écolo des pre-
miers chants épiques, comme eus chants à leur tour ont
été celle de l'épopéo homérique.
i. Hérodote, II, 53.
3. Des qualifications tolte» que «xs).«fifiitr,{, ppir.nuo;, tvuxXio;, ta-
>aû(!tvo(,poûKiç, olc.Bonl corlain«men(|ilutt anciennes que les chant»
héroïques. Cf. Christ, Geieh. der Griech. Lilcral., 14.
:t. Il parait évident en effet que et la poésie héroïque avait créé elle-
mûmoses épithèks, elle le* aurait empruntées &l'ordre d'idées qui
lui éluit particulièrement familier. Or c'est ce qu'elle ne fait presque
jamais. rar exemple, entre les nombreuses épithétes attribuées à la
mer, il n'y a que celle de eipûitopo; qui ait quelque rapport avec les
légendes héroïques.
76 CHAPITRB PREMIER, – I,ES QR101NKS

Ciioieun peuple aussi vif d'esprit que lo peuple grec,


colto poùsio primitive nu pouvait rester bionlungtomps
semblable à otlo-iuomo. Kilo oui certainement son pro-
grès intérieur, ol ce progrès devait la conduire pou à
pou à unu transformation. Les grands événemouts des
xit* et xi* sieelos avant notre oit», – établissement des
Dorions dans io l'éloponnoso, chuta do la puissance
nchûonnts dont Mycèues ôtait te contre, fondation A'n-
tats uuUons ot ioniens sur tu littoral do l'Asie Miuoiire,
tous ces mouvements d'Iionunos, do passions et
d'idées auront sur la poésie une innuenco profundo et
décisive.
Dès la (in du xu* siècle, pout-elro môme avant l'in-
vasion dorienne, il sontblo que lu puissance achuvnno
de Myc&nos soit ébrunlûo. Sous Oreste, fils et vongour
d'Aguinomnon, une grande ômigration ho préparedéjù,
d'après le l6motgnago de Strabon Une partie des
Achéons so lève, quitte ses foyers, vi chercher quelque
part une nouvelle patrio. Ils se rassemblent à Aulis
sous Ponthilos, lils d'Oroste; puis ce chef, et après lui
son lils Arcliéluos et son petit-fils Gras, amènent ces
exilés à travers la Thraco et l'Hellespont jusqu'au nord
do la Troade. Ils traversent la péninsule dardanienne
et viennent s'établir à Lesbos. D'autres Achéens, sous
Kleuas et Malus, également descendants d'Agamemnon,
arrivent pou après do Locride en traversant directement
la mer Egée. Plus hardis que leurs prédécesseurs, ils
prennent pied sur le continent mémo do la « Sainte
Asie », autour do Kyiné, près de l'Hormos. Dans le
1. Consultersur toueces faite le témoignagecapital deStrabon.
Xm, I, 3-«(Meioeke).
ÉMIGRATIONS KN ASIE 77

cours du xi* sioclo, ce mouvement continue. Toute une


st''i'io d'émigrations" ioniounes, qui semblent avoir eu
l'Atliquo pour point do départ, jettent sur le mémo ri-
viigo, mats plus au sud, entre l'Hermos et lo Méandro,
ilrs colonies principalement composées des fugitifs que
l'invasion du Péloponnèse et sos conséquences chas-
saient do tour domicile. A tour tète figurent, selon la
tradition antiquo, dos chefs fils de l'Athénien Codros
et par conséquent issus do la raco pylieuuo des Né-
lidos.
l.'iiistoiro do ces établissomonts grecs d'Asie Mineure
mms est malheureusement presque inconnuo du xi°
siècle au vin*, c'est-à-dire pondant la période où nait
justement la poésie épique. Toutefois, dans celte obscu-
rité mémo, il y a quelques faits essentiels que nous
(levons relever, parce qu'ils ont ou la plus haute impor-
tant:))pour cette poésie.
l.'«xil rapproche les hommes. Dépossédés do leur an-
cienne patrio, les Grt.s d'Asie durent se sentir ou quel-
que sorte plus frèros les uns dos autres. Nous voyons
parmi eux les Ioniens se grouper on confédérafion au-
tour du sanctuaire de Poséidon Héliconios au Panionion
do Mycalo; il est possible que los Achéo-Éolicns du lit-
toral mysien se soient associés entre eux do la môme
manière. En tout cas, il y eut bien certainement dans
co groupe de colonies une communauté de souvenirs,
d'abord inconsciente, dont la poésie no tarda pas à s'em-
parer, Une bonne partie de ces fugitifs venaient du Pé-
loponnèse. Le dernier grand souvenir qui leur était
resté du pays natal, c'était celui de la brillante civili-
sation achéenne d'Argos ot do Mycènes, dont l'image
idéalisée demeurait [empreinte à jamais dans leur es-
prit. Les Achéens do Losbos et de laMysio» qui, sous les
descendants d'Agamomnon, formaient à l'origine le
groupe le plus Jhoiitojjèite, bardaient ce souvenir avec
78 CHAPITRE PRKMIKH. – LES ORIGINES

un attachement particulier; mais les Ioniens, leurs


voisins, n'avaient aucune répugnanco à s'y rallier, car
leurs pères avaient été associés à cette puissance. Donc
tous ces Grecs d'Asie étaient des Grecs d'avant la con-
quête dorienne. Comme nos réfugiés français du
xvu« siècle après la proscription religieuse de Louis XIV,
ils gardaient quelque chose d'antique et vivaient en
imagination dans te passé, ce qui ne les empêchait nul-
loment d'aillours d'appliquer lour intelligence pratique
aux choses du présent. Au milieu mémo de leurs dis-
cordes, les traditions conservées et aimées étaient leur
siguo de ralliement. D'ailleurs ils les enrichissaient et
les élargissaient par dos mélanges incessants. On trou-
vait en Éolide des Béotiens à côté des Achéens; en lo-
nie, à côté des anciens habitants de l'Égialôo pélopon-
nésionno, on trouvait des Abantes, dos Minyens, dos
Gadméjns, des'Dryopes, des Phocidiens,des Arcadiens,
des Épidauriens, des Pylions. La nouvelle Grèce d'Asie
fut comme le creuset où se Ut la fusion de leurs légen-
des il s'y forma, pour ainsi parler, un large Achéismo,
qui fut la première forme de l'Hellénisme.
De plus, ces hommes intelligents et énergiques eu-
rent l'avantage, fruit do leur malheur môme, de se trou-
ver on contact avec des peuples différents. Les Ioniens
durent, pour s'établir à l'embouchure du Méandre,
faire une rude guerre aux Cariens, tribus asiatiques,
que la science moderne tend à rattacher à la racoKous-
chite, et qui avaient en par leur étroite alliance avec
les Phéniciens une période de gloire et de puissance
Les*Achéens arrachèrent le sol de leurs cités futures
aux tribus aryennes des Dardanions et desMysiuns. Les
uns et les autres devinrent voisins des Phrygiens, peu-

anciennedespeuple»de l'Orient,p.238)renvoie
1. Maspero(Histoire
à l'ouvraged'Kckstein,tesCaretdan»tanUquité.
LES LÉGENDES DES GRECS D'ASIE 79

jilo de même origine qu'eux, dont les monuments attes-


tont encore aujourd'hui le génio original et le sons artis-
tique Là se trouvaient aussi les Lydiens, les Lélèges,
plus au sud les Lyciens, races mélangées. Ces ronoon.
très de peuples, môme hostiles, sont toujours marquées
dans l'histoire par des échanges heureux. L'esprit hu-
main n'a pas du moyen de progrès plus efficace quo la
comparaison. La race grecque, en se transportant en
Asie, et ov s'y retrouvant au milieu d'autres races dont
sans doute elle s'était dégagée quelques siècles aupara-
vant, accrut ses facultés natives, emprunta et imita, ot
en môme temps prit une conscience plus nette de sa
personnalité.
Enfin il faut noter encore que l'occupation du littoral
d'Asie, grâce aux avantages naturels du pays, créa bien-
tôt pour ceux qui l'accomplirent des conditions d'exis-
tence toutes nouvelles. Si nousadmettons quelo xiesiè-
cle tout entier, comme cola est probable, fut absorbé
par les difficultés du premier établissement, par les
guerres, par les travaux indispensables, par les fonda-
tions des villes, par l'appropriation du sol, nous pou-
vons fixer approximativomentaux années qui suivirent
l'an 1000 avant notre ère le début d'une période de
prospérité croissante pour les Grecs d'Asie. Les poèmes
homériques, dans les rares allusions qu'ils font aux cho-
ses contemporaines, nous montrent des villes fortifiées
et bien bâties, des routes déjà tracées, des ports et des
chantiers, de grands palais, décorés à la mode assyrienne
de plaques en métal et de vives couleurs, des jardins
fruitiers, des vignobles, des terres bion arrosées grâce
à une canalisation intelligente Nous voyons, dans la
célèbre description du bouclier d'Achille au xvm« livre
1.Maspero,mômeouv., p. 239et suiv.
î. Bochbolz,DiehomerizcheBaaKen, t. II. Leipzig.1883.Cf.Bel-
ing,VÉpopée trad. Trawinski,e. VII-X.
homérique,
80 CHÀPITAB PREMIEU. – LES OJUlïlNKS
de VJltude, une scène admirablo do labour, qui éveille
on noua des idées de fécondité paisible un roi, eest-à-
diro un richo propriétaire, y fait accomplir par ses ser-
vi tours dos travaux bien ordonné», que les dieux bénis-
aont. L'ancienne poésie atteste ainsi par avanco co
qu'Hérodote confirmera plus tard « Los Ioniens qui se
> réunissent au Panionion, dit-il, sont, do tous les
peu-
» pies que jo connais, ceux qui ont bâti lours villes sous
» le plus beau eiel et le climat le plus favorable «. » Et
un peu plus loin « Les Éoliens d'Asiu ont un torri-
» toire uieillour encore quo celui dos Ioniens, bien
que
Il leur climat soit moins excellent s ». H est vrai
quo
['Iliade nous laisse apercevoir aussi, parmi cos images
des choses contemporaines qu'elle évoque trop rare
ment, quelques scènes do guerre, une ville assiégée
qui appelle du secours, une embuscade, des pillages ot
des incondies. Cela prouve simplement qu'au milieu de
cette vie, en somme heurouso et facile on gardait en-
core les armes à la main et l'instinct guerrier au fond
do l'Ame. Circonstance éminemment favorable à une
poésie qui devait retracer des aventures do guerre, mais
qui no pouvait être chautée que dans la paix.
Tout ceci explique suffisammont lo grand essor
que
prit la poésie épique en Asio Mineure, probablement
dans le cours du xe siècle. Nous reviendrons plus loin,
à propos de YIliade et de l'Odyssée, sur cotte question
do date ot de lieu de naissance. Mais il importe,
pour
bien comprendre la suite des faits, de mettre dès à
pré-
sent co grand événement à sa vraie place. A coup sûr,
nous ne pouvons pas affirmer qu'il n'y ait eu dans la
Grèce propre, vers lo même temps, quelque progrès de
la poésie, analogue à celui dont l'Asie Mineure fut

1. Hèrod.,1, 14».
2. Hèrod.,I, 14».
i. tR^WÈROS Çf

alors tomain t, Mais dans ces ombres d08 tompspréhis.


toriques, l'histoire littéraire ne pout saisir que les faits
principaux. Or l'osaor poétique dont nous parlons s'est
produit alors onAsie Mineure d'uno manière si brillante
que tout autro fait analogue, plus ou moins probable,
disparait pour nous. Essayons do nous on rendre compte
maintenant plus complètement, en montrant par quelle
transformation naturelle la poésie héroïque ust sortie
des hymnes.

VI

Lo sujet naturel de la poésie épique proprement dite,


ce sont les aventures héroïques.
De nos jours, la mythologie comparée a dissipé un
grande. partie l'obscurité qui enveloppait autrefois les
héros primitifs de la Grèce8. Sans entrer ici dans des
discussions qui lui appartiennent en propre, rappelons
ce qu'ello a mis on lumière Les héros, à l'origine du
moins, étaient conçus en Grèce comme fils ou petits-fils
îles dieux. Quelques-uns d'entre eux étaient en réalité
d'anciens dieux, longtemps honorés d'un culte local, et
plus tard réduits à un ranginférieur par la prédominance
des divinités nouvelles. Thésée en Attiquo, Castor et
l'ollux enLaconic, Idas et Lyncée on Messénio sont des
exemples de ce fait souvent signalé. Dans d'autres lé-
gendes héroïques, telles que celle d'Héraclès, on trouve
un curieux mélange do souvenirs nationaux et de
croyan-
». Légendosà ce sujet ÉUen,ff««.variée.XI, 2 "Oxttjv'Opoiêov-
tiouTpoiïnvJov ïro|«pb'Ourjpev,
»( çcnnvot Tpot^viotX&yau CetOrœ-
bantiosde ïrézène n'estcité aultepart ailleurs,et n faut avouerque
cesXiyoiTpoirtvtotsont une médiocreautorité.
2. Preller,Grieck.Mythol.,t. II. p. i-8 (3*éd., Plew).Decharae,
Mythologie de la Grèceantique,Paris, 1879,t. IV. les Héros.
Hral. de la litt. Grecque. T. I. 0
«9 0HAP1TRK PHKM1EW. LKS ORIOINES

ces étrangères. EnOn beaucoup de récits relatifs aux hé-


ros étaient dos traditions revêtues do formes poétiques,
qui conservaient la mémoire do l'origine dos tribua et
de leurs anciennes relatioua ainsi que do quelques grands
événements do leur histoire. II y avait donc des héros
plus mythiques, pour ainsi dire, et d'autres plus hiato.
i-iques; mais ces distinctions, intérossantos ù d'autres
points de vue, n'ont en réalité aucune importance pourl'
l'histoire littéraire. I.a poésie épique, dans les œuvres
où nous pouvons l'étudier, n'en a plus conscience ù au.
cun degré. Fiction et réalité, tout so confond pour elle.
Elle croit aux héros comme elle croit aux dieux, sans
leur domandor d'où ils viennent. Ce que la science mo-
derne analyse, elle, au contraire, le syuthétiso sponta-
nément. Il n'y a point pour elle d'élémonts divers dans
la légendo; colle-ci esta s ïs yeux quelque chose do vrai
dans toutes ses parties, un ensemble vivant, qui a ses
racines partout et qui s'alimente incessamment à ton-
tos les traditions anciennes.
Il n'est pas douteux que les héros n'aient figuré dès
l'origine dans les hymnes religieux de la Grèce primitive
les uns, parce qu'ils étaient dieux eux-mêmes, les au-
tres, parco que, issus des dieux, ils avaient place natu-
rellement dans dos récits qui embrassaient toutes les
choses divines. Les hymnes formaient une sorte de cyclo
sans cesse élargi; les héros y eurent de jour en jour plus
d'importance.
Bien des choses durent contribuer à les mettre en fa-
veur. Plus ils devinrent distincts des dieux, plus ils fu-
rent aptes à intéresser les hommes. Malgré tout ce que
l'imagination grecque avait pu faire pour humaniser
les dieux, ceux-ci devaient cependant garder, à moins
de déchoir complètement, une grandeur et une puis-
sance qui les maintenaient toujours fort au-dessus de
l'humanité. On leur attribuait, il ont vrai, dos passions,
Il
RÈU1T8 D'AVBNTURKB 88

dos craintes, dus joies, et mémo, dans uno assojs largo


inosuro, doit peines ot des saulfranaas. Toutefois il fal-
fait bien qu'ils éehappaaaont du moins h la mort: cola
suflisait pour qu'il» fuswMit en toutes choses d«ua une
condition dîfféronto do oello dos hommes. Los héros au
contrairo pouvaiont mourir, ot, bien quo doués do qua-
lités merveilleuses, ita étaiont hommes. C'était lu pour
aux, au point do vuo do la poôsio, un avantage notalilo.
l'oMos et auditeurs s'identifiaient avec eux Mon plus
fttuiloment. On vivait de tour vie, on s'axaltait dans leur
forée, un souffrait du lourd anxiétés, ou triomphait do
Untts victoires'. D'ailleurs ils étaient plus attachés quo
lui dioiix à lotir lioudo naissance. Ceux-ci, par leur utt-
tiiro niéiiio, toudaionl sans cosso à duvonir les dioux do
tout le moudo; los héros domouraioiit toujours los re-
l»rti.sculatUsd'un certain groupe d'hoininos. ils n'avaient
|ius«l'Olympoqui leur servit dedotnicilo commun, iUno
loiinaiont pas uuo fatnillo. Lotir lorro natato restait loin1
liuii d'habitation naturel; ils appartenaient iMeiir pou-
pie, et conservaient à jamais dans leur physionomio ses
traits distinctifs. On los on aimait davantage et on s' i-
téressait d'autant plus u tours aventures. Voilà pourquoi,
après avoir figuré dans les hymnes dos anciens temps,
ils no pouvaient manquer, &mesure que la poésie deve.
nuit plus libre et plus vivante, do grandir en importance.
Il est plus que probable quo, dès la période achéenne,
les lieras furent groupés parla légende on dos récits d'a-
ventures communes. Ce groupement no nous parait pas
appartenir, comme on l'a dit, à une phase distincte do
l'évolution légendaire*. Si certains héros, tels qu'Héra-
clès et Thésée, étaient ordinairement représentés comme
isolés, ce n'était pas qu'ils eussent été conçus par la poé-
sie dans un âge plus ancien; cela tenait simplement à
i. Consulterpar exempleà ce sujet Hérodote,V, 67.
9 Bergfc,Qrieek.liter., 1.1, p. 489.
8t cïttfrm* rjnmwt, – iï**tmtmî«ts

l'origine mémo et à la nature des traditions qui leatuii*.


cornaient. Lu logoiule héroïque est libra, complexe ot
eauridouao ollo a pu produire ot ollo a produit de» ré.
cit* de divers» «orlt* wiiiiultsnâmutit. l.i» guornm d«»
tribus, tours alliances, leurs entreprises cammtinos m
sont railûtétts daim dus Notions à demi rt*i*IU'».Tantôt on
il fait d'un auul )iar«uitiiugfl lu rtipronuntuut do tttttl un
|itnii»l»', tautût on a réuni dans lus tégendaa uhiBÙmrit
hltrus, cuuunu un intérêt commun les avait réunin danx
lu rÔHlitô.C'odt iiinni tluu unt|iiirout les récits rolulifitùil
lu guorro dos l.njiiUu's, aux doux gm>rro» do TliMm», h
lu citasse do Mi'déugro, ut livauctiu|i d'uutro» dunt iiouh
rotrtiuvoiiit «ù et là lu truco. Lu (dupurl suiu doute sont
uutorieurs à la colutiUutioit do l'Asie Minuuro, au moins
suus tour rorme iirimilivo. Mais duns l'ignorance nbso-
hio uù nous smnntcHdt) en ifti'iln ôtuimit alors, il doit suf-
lir» du les inotitiunnur ici.
L'ussur d'iinugiiiiititin nu«|u«l donuôruut lieu los grands
inouvomontij do (inuplos signulôs plus haut dévolu»»»
cousidôruldiMiiont cm U'-gondos h<')roïi|uas primitives.
Losôinigruiils 4mi|utrt{ùfliit «v«ceux Unira truditions; «t,
on les mêlant lus iiumsaux autres ou simplement on Im
comparant onlro olloa, ils las enrichissaient. En outre,
la grandeur mômo do lcurs ontreprisos ot do leurs éta-
blissements nouveaux oxerça naturellement son in-
fluence sur tos fictiuns ot les souvenirs qui remplissaient
leur esprit. Beaucoup do légendes anciennes grandiront
alors, tout simplement parce que ceux (lui en étaient les
héritiers avaient grandi eux-mêmes. A mesure que les
fils prenaient une plus haute idée d'eux-mêmes, ils at-
tribuaient à leurs pères des exploits plus merveilleux.
Tydée a dû gagner ainsi aux succès des descendants du
Diomède, et Againernnon a profité de la hardiesse des
chefs qui se disaient issus de son sang. La gloire remonte
aussi bien qu'elle descend. La guerre de Thèbes est de-
LÉOKXOK DR h\ GUERRE UK TKOIK 85
voiiup plus «unglanto à mesura que la Dclion a rendu
|ihu lititgtio et plus terrible collo df Troie, t't oello-d à
-i.mtour n'a put du miiiimdoute lin*r pou d'âelat deaçuii-
i|inUt»s réelle sd<» l'émignition nohéu-èolionne.
Cuite légendw do la guerre du Troio intéresse parti-
riiltoremuut l'histoire littéraire, |tuiHt|u't*llt> u donné
tmissanco h YIliade et à YOdy^êe, II p«| diflltil»' do doter-
miner aujourd'hui ci' <|u'ullu cunlioiil de râalitô. l'oul-
ètre ecttu guurro représonto^-elle moins uno exju'ulitiun
^rumlioso «t uuii|uo qti'uiiu «ûrio d'Iiustiiitéa wiuvunt
rêpÀtéus t'iUro lit puissance lu'liâoiuio du lu Gtim conti-
uuiitiUunt la piiittsttiict»«lnrt!a»icnnr do la Troado. I.urtt-
tjH«l«s ÉuliùtiH, nu xt*8iècl«, prirent piud aur lu cùtu tl'A-
si*1,lorsqu'ils uuront conquis I.oî»Ihiset la rivago mysioii,
rcfouli'ice qui restait encore de Dordanions et b&lides
vill»* au pied d« l'Ida, luit nouvonirs des fuit» anciens
oicM^H à coux dos Avôiioiiionts réoouts durent totidro à
an groupai* «miuno légoudu collective. Do môme qu'une
histoiro poétiquo s'«>sl fuite puiuluiit lu moyen Age au*
tour do Olinrlotnngne, do môme une liistoiro noi: moins
poétique se fit alors autour d'Agamemnon et d'Achillo
l'uu représentait los Acltâens du Péloponnèse, l'autre
ceux de lu l'Ulliio. La vôrittdile. guerre de Troie, trnns-
llgurée grâce u la poésio naissante, devint ainsi une
sorte d'expédition idualo qui résumait toute la gloire
udiéoune. Par là même, elle oxer<;a sur toutes les lé-
gendfs antérieures une attraction naturelle. Chaque cité
et chaque tribu voulut y avoir son représentant tous
los héros vinrent à elle pou à peu et s'y associèrent.
Quelques-uns. même, tels que lopylien Nestor, s'y trou-
vèrent mêlés à dos compagnons d'armes, qui, d'après
la légende, n'étaient pas de leur temps. Mais en géné-
rat les généalogies étaient déjà assez bien fixées par la
poésie de l'âge précédent, pour que ces confusions fus-
w»nldifficiles. Ce fut donc la detiiière génération de hé-
86 GHAPITRK PHKMIER. tSS OHlûlNES
rua qui figura dunaet»U«guerre. D'autre pari, on laralta-
cha h la aôrie dos événement» plus récent» pur lu légende
dos retours, qui ramenait l«mvainqueur» de Truie «huis
tour patrie, c'est-à-dire aux lieux mêmes d'où leurs pu-
tiU-HU,les chef» do lu colonisation éolionno, ttuhouvo-
liaient d'ôtro partis. Celto légende dos retours uo fut
tl'ultonl suiiHduuto qu'un» partie tuut à fuit secomluiru
do la légondu gâuoraiti do la guerre du Troie, dont ollo
formait le dénouement. Mais, peu à pou, ou y môlu lu
souvenir do eatUBtroplioset do crimes doinostiituos qui
avaient oiisttiigluntô dosdoniuurea royales on y lit en-
trer lo récit plus ou ntotiis fictif do voyage* iuvoluutai-
ros accomplispur los cliofsuclioons quota tompôto avait
dispersés elle prit alors uuo importance tout autre.
Les progrès do la navigation et los légondes maritimes
qui su formaientduii8 les ville» grecque»d'Asio Minouro
tendirent à l'augmenter chaque jour, Cofut bientôt, dans
ce cyclo do récits, coinino une suconde partie distincte,
aussi iutércssunlo ot plus nouvelle que la première.
Co grand travail d'imagination et do création poéti-
que no so fit pas on entier, bion certainement, avant
quo la poésieépique fùt née. Cefut elle-mômo qui l'ac-
complit on grande partie, à mesure qu'elle en éprouva
le besoin. Quelques témoignagos anciens peuvent nous
aider à comprendre comment elle s'y prit et quels suc.
cès elle obtint d'abord.

vit

Dans notre moyon-ûgo français, nous voyons la poé-


sie débuter par des compositions qu'on a coutume d'ap-
peler cantÙènet; simples récits versifiés qui étaient
chantés par le peuple, Rien no nous autorise à croire
PKBHresscKiNTkîPiQnDrBs wr

la poésie épi-
qu'il en ait été Je mémo en Grèce. Quand
ce qu'il
que y prit naissance, la poésie religieuse, «
s.'iiiblo, étuit on état do lui léguer un ensemble de pré-
ceptes et d'exemples, qui durent la Ji*peii*or d'uu long
apprentissage. La matière changea, mais la forint» no
fut d'abord qu'à peine modiQéo. Los premiers chanta
un peu
épiques étaient sana doute de véritables hymnes
une invocation t\ un
plus développés, lia débutaient par
dieu puis ils racontaient uno aventuro héroïque au
litui d'oxpuaor un mytlio; lu dilftntiice était insensililo;
ut il ost U8so*prubablo quo lo passugo d'un genrual'nu-
tru su lit, pour ainsi dire, «utro les mains des aèdus,
sans que coux-ci eussent niéino biou clairement cons-
cionco do la truiisfurinatioii qu'ils accoiiiplissaiont.
Le premier fonds de ces chants était emprunté aux
trudilious anonymes qui circulaient alors partout. Main,
ù coup sûr, les poètes de ces temps anciens, loin de ^'us-
servir à ces traditions, en usaient avec elles très libre-
ment. L'imagination d'un peuple jouno esltropeompItM-
suiito pour refuser à ses poètes la droit d'embellir lort
choses. Ceux-ci, qui sentaient on eux l'esprit d'un dieu
ut qui passaient pour elfoctivemeut inspirés, croyaient
même, dans une cortaino mesure, créor la vérité dos
événements pur lainanîèredont ils les racontaient. Lors-
qu'il n'y a encore dans une nation ni histoire, ni criti-
que, lorsquo tout le passé apparait comme obscur et
vague, il est naturel que colui qui éclaircit le mieux
les faits, qui les présente d'une manière à la fois vrai-
semblable et intéressante, qui les coordonne pour les
rendre plus intelligibles, soit cru de tout le inonde sur
parole, pourvu qu'il respecte les données très générales
de la tradition; et lui-même ne peut guère manquer de
considérer son œuvre comme une révélation divine. Le
germe de la légende était donc seul antérieur aux ré-
odyait, vnr»«9.
88 UHAHTKE PREMIER. –"LES ORIGINES

cita «les aèdes; mais on réalité ce furent ces récita qui


dégagèrent la légende et lui pormirent du ho dévolop*
per. Un assentiment Immédiat fut donné a leur» inven-
tions lus plus heureuses, à mesure qu'elles se produi»
Huiotil elles prirent corps et elles deviiiruut quelque
chose d'historique.
Ces promiers chants épiques ne pouvaient t uèro trui*
ter que les grands événements de chaque légende. Il
fallait tirer de l'obscurité lux choses principales pour
qu'il fût possible aux autres d'apparaître. Mais chaque
composition qui obtenait quelque succès devenuit par
lu infime propre à on susciter d'autres qui tu conti-
nuaient ot retendaient. Kilo incitait en lumière quel-
ques faits nouvcaux, autour desquels d'autres épisodes
venaient bientôt Mgrouper. Une sorte du solidarité s'é-
tablit uinsi spontanément entre les aèdes. Sans qu'il y
eût d'entente positive entre aux, ils acceptaient les in-
ventions les uns des autres, lorsqu'ils les trouvaient
admises déjà dans la croyance publique, ut ils s» con-
tontaiont do los enrichir par des additions toujours
croissantes.
Quand la légende fut assez complète et assez connue
du public dans ses parties essentielles, il se produisit
un fait curieux, qui est d'uno importance capitale pour
expliquer la formation de l'Iliade et de l'Odyssée c'est
que les chants nouveaux, à mesure qu'ils naissaient,
commencèrent à se grouper entre eux. On savait d'a-
vance la suito des événements principaux, on connais-
sait le caractère des personnages, leur rôle, tours
grandes actions. Lorsqu'un aède, en racontant un épi-
sode dramatique, avait réussi à exciter particulièrement
l'intérêt ou l'admiration en faveur de tel ou tel héros,
l'esprit de ses auditeurs allait do lui-môme à d'autres
épisodes connus où le même héros figurait, et le désir
du public invitait le poète à les traiter également. Nus
onOtTPKMBNT DES CHANTS ÉPIQUKS 89

|t> poèlo avait ou do suocN d'aliord «vue ses porsonnu-


gos, moinsil pouvait ensuit»' les ulmmltmuor. laiMiièm»
s'itttadiait à eux vu raison «IntttU'itt qu'il avait mis à
It s faire «gjr et parler, Une sorte d'affinité s*otal>ltssuil
«mire aux ut hit il les aimait comme les créations du
mm esprit, pt il revenuil do prôférentui aux acèuos où il
ôiuil quostion d'«u. ouuuiiu l\ collos où il so sontail lu
I»Iih on |iossitsàiou do son génie. Il ni résultait «ju'uii
ttiôimuièile étuit conduit Il traiter pur ox»»mj>lotoute uiio
NÔri»du -sofinos rolativos h Aoliillo un a Iliomèil»» ou h
Ulvssu, on so confuriuunt &cortuinos dimntios gûnt'ralus
<|ti'il ttvttit on pnrtb rt-çuns dr lu tradition, on partie Aè-
ttu'ininéus lui-iiiâuio. Un toi grouponunit 110constituait
pas des épopées à propromont parler c'était uno sorto
«lucyclu,quolquochuso d'intorinédiairo outre les chants
<'iilitV.»montisolés «l lo.s longsdévoloppoinontsciMitiuiiti.
l.o vin* livre do \'0th/.m:c tutus mol sous les youx |t\s
faits quo nous signalons ici ut a co titro, il duit étro
considéré couiino l<>plus iinportuiil docuniont relatif à
l'histoiro do la poûsio épiquu en Grèce.
Ulysso inconnu est uccuoilli chez Alkinoos, roi dos
Placions. Un buuquot a liou lo londcmuin do son urri-
v^t!,d.ins la inatinéo. Uu vieil aôdo aveugle, Déinodo-
cos, y viwnt prendre place. On l'invite à chanter il se
lèvo, et lu musc lui suggère de retracer une querelle qui
eut liou entre Achille ot Ulysse en présence d'Agamem-
non.Cetlequerollo nous est mal connue. Mais ce que nous
voyous très bien, c'est quo l'aèdo est censé choisir à son
gré dans la légende qui ost alors le plus on faveur*
c'est-à-dire dans celle de la guerre de Troie, un épisode
qui met particulièrement en lumière les qualités d'U-
lysse et qui le montre même supérieur à Achille. C'est
donc Ulysso qui est le héros de son chant. Le récit
émeut profondément les auditeurs; à chaque pause du
chantcur, qui ménage ses forces et su» succès, des sic-
90 ÔIUPÏTRK i*«MMIEH. – LKS ORIGINES

clamai ions et des encouragements éclatout, jusqu'à ce


qu'il ait achevé. Voilà bien lu premier fait noté plus
haut. L'aède a dégagé do la légondo un épisode tout à
l'honneur d'Ulyme il a représenté colui-ci d'uuo ma.
nibre si intéressante et si vivante quo son public est
pris d'admiration pour lo héros. Tout naturellement, ce
public rodomandera lo mémo personnage au poète, qui
sera obligé do lo satisfaire.
Kn ftiïot, lo soir, un nouveau banquet a lieu, où le
mônw aèd© et les mêmes convives so retrouvent on pré-
senco.Qunnd lo ropasost lini, l'étranger, encore inconnu,
sa lève; il adresse à l'aède des paroles flatteuses, le
loue de sou talont ot du choix do son sujot, puis il l'in-
vite à raconter un autre épisode lié au premier, colui
du cheval de bois, dernier acto du siège d'Ilios, où
UlysHuu joua le rôle principal « Démodocos, je te loue
» outre tous los mortels c'est la Muse, lillo do Zous,
« qui t'a instruit, ou bien c'est Apollon. Car, ou vérité,
» ton chant est parfait, lorsquo tu dis la destinée dos
» Achéens, co qu'ils ont fait, ce qui leur ost arrivé, ce
» qu'ils ont souffert. Eh bien, donne-nous maintenant
» autre chose à la suite; chante lo cheval de bois que
» construisit Épéos avec l'aido d'Albèné, trompeuse of-
» fraudo que le divin Ulysse fit entrer dans l'acropolo
» d'Ilios, l'ayant rempli d'hommes qui dévastèrent la
» cité. Si tu me dis cola comme il convient, moi, de mon
» côté, je répéterai partout qu'un dieu bienveillant a mis
» on toi le don divin du chant » Ainsi, c'ost bien lo ré-
cit du matin qui est la raison d'être immédiate du récit
du soir; c'est parce que l'aèdo a mis une première fois
on scèno le personnage d'Ulysse avec naturel et pathéti-
tique, parce qu'il a su faire ressortir la grandeur de sou
caractère et la finesso do son esprit, qu'il est invité à
retracer un autro épisode où le mémo personnage va
U Odyssée,VUl,487-498.
GROUPEMENT DES CHÀNTs &P1UU ES âï

roparattro d'une manière non moins glorieuse. Dans


t 0<~M< il est vrai, cola répond aussi à un tout autre
dossoin, qui ost tlo préparer la révélation qu'Ulysse,
encore inconnu dos Phéaeiona, valeur faire de son nom;
mais co dossoin est secret, et celui qu'Ulysse avoue ou-
vertement doit avoir assez do vraisemblance pour le
dissimuler il faut donc que sa demande et la manière
dont il la justifie soiont en accord uvee les usages qui
rognaient on co temps.
Kt maintenant peut-on interpréter cette so<">no d'uno
manière diiïérentc? Est-il possiblo d'admettre pur ex-
oniplo, avec Wolckor •, que Dômodoeos soit censé réci-
ter dos fragments d'un poème proprement dit, d'uno
Petite Iliade, composée antérieurement par lui ? Rien
n'est plus contraire à l'évidence. Le texte homérique ne
nous donne nullement l'idée d'un poème continu dont
un détacherait dos épisodes; il nous montre dos chants
distincts, mais liés entre eux par le sujet, co qui ost
fort différent. Ulysso vient d'être jeté à Skhérie par un
naufrage après un séjour do sept ans dans l'îlo do Ca-
lypso: comment saurait-il si Démodocos a fait un poème
sur tel ou tel sujet ? Co qu'il est censé connaître, ce
sont les événements que la renommée a publiés par-
tout l'un de ces événements étant mentionnés par
l'aède, il peut lui demander sans invraisemblance d'en
raconter un autre qui s'y rattache étroitement. Cet en.
semble de dires qui courant lo monde, voilà manifeste-
ment ce que lo poète homérique appelle ol'jtt],propre-
ment la roule suivie par le récit populaire à travers une
série d'inventions variées
1.Welcker,DerepischeCyelta,1. 1, p. 268et suiv.
2. Odyssée,
VIII, 7* 0^
Il nofautdoncpas donnerAce T?,çt4Tf
£f» xXéoc oùpavivejpùvfxavtv.
mol,par une Interprétationtout arbi-
traireet forcée,lesensdepoème;il désignesimplementune tradition
connueet fixée,à laquelle l'aèdeemprunteles épisodesqui lui plai-
sent.La traditionrelative&la guerre de Troie est l'eTu^<giutrwmo-
ducosdansVOdtjasie met à contribution.
93 CHAPITRE PREMIER. LES ORIGINES

Il est vrai que lo vin* chant do l'Odyssée appartient à


un temps bien postérieur à celui où nous nous plaçons
en ce moment, puisque l'Odyssée, comme nous le ver-
rons, est née après YIliade, et que le vin* chant n'est
peut-être pas un dos plus anciens du poème. Mais n'hé-
sitons pas à dire que cola •• 'infirme en rien les con-
clusions que nous croyons a. uir lo droit d'en tirer. De
quelque façon et en quelque temps qu'ait été composée
cette partie de VOdyssée, elle révèle certainement un
usage qui subsistait encore quand elle fut achevée.
Or, si l'on récitait ainsi des chants détachés, direc-
tement empruntés à la tradition, lorsque l'Iliade et la
plus grande partie de l'Odyssée avaient déjà pris nais-
sance, à plus forte raison devait-on le faire, lorsque
ni l'un ni l'autre de ces grands ensembles n'existait.
Nous pouvons donc être certains qu'au temps où la
poésie épique prit son essor, les choses se passaient
ordinairement ainsi. Les traditions étaient déjà riches,
variées, et fixées dans leurs traits essentiels; le pu-
blic les connaissait en gros les aèdes les lui racon-
taient on détail. Leurs récits, bien qu'indépendants les
uns des autres par la composition comme ils l'étaient
par la récitation, se rattachaient entre eux par suite de
certaines relations naturelles des épisodes et par le
rôle prédominant attribué à certains héros. Il se for-
mait ainsi, à mesure que ces récits partiels naissaient,
non de grands poèmes au sens propre du mot, mais
des groupes de chants, qui pouvaient avoir, selon les
circonstances et le génie des autours, plus ou moins
d'unité intime.
L'Iliade, à sa naissance, ne fut pas autre chose qu'un
de ces groupes, et nous pouvons espérer maintenant,
en l'étudiant de près à la lumière do cette idée, en com-
prendre la formation.
CHAPITRE II
l/lMADE. – AXALYSE CRITIQUE DU POÈME

BIBLIOGRAPHIE
Manuscrits. – Pour l'étude détaillée des manuscrits de
l'Iliade, consulter J. La Roche, Die ftomerm/ie Textkritik im At.
terthum,Leipzig, 1866, appendice. –Résumés utiles: A. Pier-
ron, Iliade, t. 1, Introduction; W. Christ, Iliadis Car mina, Pro-
leg., p. lOu. -Nous ne mentionnerons ici que les manuscrits
les plus importants ou les plus curieux. En voici la liste
par
ordre d'ancienneté probable
1° Plusieurs Papyrus (provenant de tombeaux
égyptiens),
savoir a, un fragment du livre XI, d'une trentaine de vers
environ, trouvé en Egypte dans le Fayûm, et publié par Ma.
haffy en 1891 il peut remonter au m» siècle avant J.-C.
les deux Papyrus de Balissier, appartenant au Musée du
Louvre, l'un probablement antérieur à l'ère chrétienne, et
contenant seulement les débris des 39 premiers vers du
livre I; l'autre, du V siècle ap. J.-C., offrant 61
frag-
ments de vers; c, le Papyrus de Paris (no 3 du Louvre),
ap-
pelé aussi à tort Papyrus de Drovetti, du i« siècle ap. J.-C,
fragment du XIII» livre (28-47, 107-111, 149-173).Ce papyrus
et les précédents ont été publiés in extenso dans les Noticeset
extraits des manuscrits, t. XVIII, 2» partie d, le Papyrus de
Bankes, du i" siècle ap. J.-O., trouvé dans l'Ile d'Éléphan-
tine, XXIV»1., 127-80* e, le Papyrus d'Harris, un peu plus
récent, XVIIIe 1 311-617. – En général, tous ces fragments,
si intéressants par leur antiquité et si curieux au
point de
vue paléographique, sont aussi fautifs que
mutilés la cri-
tique du texte n'a presque rien à en tirer.
2»Le Palimpseste syrien (S, Syriaeus) du British
Muséum, iv
siècle ap. J.-C., fragments des livres XII-XXIV. Édité
par
Cureton, in-folio, Londres, 1851, avec fac-similé.
3» h'Ambntianus, dit Iliade peinte (Iiim
pfcte>, à cause des
«4 CHÀPlTBE Il. – ANALYSE DR î."îtIADR
miniatures dont il est orné; v* siôole ap. J.-C., selon Angelo
Mal; 58 feuillets in-4°, contenant seulement quelques frag-
ment-a du poème.
Ce sont la plutôt des curiosités que des ressources pour
rétablissement du texte. Les manuscrits importants sont
les quatre suivants
4° Le Vendu* ou Mareianm A (Blbllotèquo de Saint-Marc, à
Venise, 431), x« siècle. Manuscrit d'une valeur exception-
nelle, resta inaperçu jusqu'à la Undu siècle dernier, signalé
et réellement découvert par le français d'Anase de Villol-
son, en 1781. 11 contient, outre un texte soigné, les signes
critiques d'Aristarque, et un graud nombre d'anciennes soo-
lies, qui nous donnent la substance des âorlts d'AiusTONi-
oos (liioi <T<u!t«iv'l>ix^«;, i«r siècle uv. J.-G., oxplicatiou des
signos critiques d'Aristarque, selon sa doctrine), de Didymë
Gualcbntèuk (lUoi ti5; 'Apiorrâii^ow môme temps),
(JtoisOwTivç,
d'HÊttouiuN (iXt«xn r.yiVfkiu., h* siôole ap. J.-C.), de Nica-
Non (Ht«) «TTiyui; sur lu poitetuution, même temps). C'est donc
une sorte d'abrogé du l'iuunenso travail critique fait sur
l'Iliade par tes savants les plus autorisés de la période
tilesandrine et romaine
8° Lo Venetusou Marcianus B (Biblioth. de Saint-Marc, 453),
xi* siècle contient toute une série de soolies (les scolies B
de Venise), qui complètent sur quelques points l'immense
recueil du VenetusA.
0° Le LmtrentianuBC (Biblioth. de Florence, XXXII, 3), xi°
siècle, médiocrement correct; quelques bonnes leçons cepen-
dant.
?• Le Laurentianus D (Biblioth. de Florence, XXXII, 1S),
xi" ou xii" siècle, plus rapproché du VenetusA que le pré-
cédent remarquable par l'omission certainement inten-
tionnelle du Catalogue (H, 491-877).
8» Le Genevensis44 (Biblioth. de Genève). La partie primi-
tive date du xm» siècle. Voisin du Laurentianus D, mais plus.
fidèle à la tradition de l'archétype. Ce nis., dont s'était servi
H. Retienne, avait été perdu de vue depuis lors; il a été re-
mis en lumière en 1891 par J. Nicole, qui en a montré la va-
leur (tes scolies genevoises de CIliade, 2 vol., Genève, 1891).

i.On trouvera l'historique de ce travail critique dans l'ouvrage cité


de J. La Roche, Die homer. Textlr., dont il forme toute la première
partis.
BIBLIO€H»APHIE 05
Outre ces manusorits relativement anciens, il yen a beau-
coup d'autres plus récents et de moindre valeur. Nous ne
les énumérerons pas loi. Mentionnons seulement celui de
Cambridge (Cantabriijknsis), que l'on a cru a tort un des plus
anciens sur l'autorité de Bar nos, et les manuscritede Yiemu
G, H, L Iïiii' et XIVe siècles).
L'étude comparée de ces manuscrits a démontré qu'ils re-
montaient tous à une réoension éclectique du m' ou du iv«
siècle ap. J.-C. (Wolf, lliadt, Fréf.,y. xxxvi). Cette réoen-
sion avait pour fondement le grand travail d'Aristarque. De
là vient qu'un certain nombre de vers rejetés par le critique
alexandrin ne figurent dans aucun de nos manuscrits; ils
ont été rétablis dans le texte d'après des citations d'autours
anciens (IX, 458461 cf. Plutarque, De audiendis poclis, 8, et
Ocachilatoreet amico, 33; XVIII, «04-803 cf. Athénée, V, p.
180D). Toutefois la récension éclectique, si Môle a celle
d'Aristarque dans ces passages. s'en écarte dans d'autres.
Tous les manuscrits ont conservé certaines leçons qu'Aris-
tnrque rejetait (XI, 460, mss. Utn ?«»}, Aristarque <x>r'«Sri});
souvent ils préfèrent au texte adopté par lui les variantes de
Didyme et d':Iérodien (11,2S8, 330 I, 1 10). Il résulte de là
qu'ils procèdent d'un type commun contemporain d'Héro-
dien ou légèrement postérieur à ce grammairien mats ils
en procèdent librement, et chacun d'eux avec des variantes
qu'il est bon de comparer (W. Christ, pass. cité). -Àu
reste, tous ces manuscrits ne peuvent nous donner que l'état
du texte de l'Iliade durant la période alexandrineet romaine,
les plus récents même pendant la période byzantine. La
science moderne est en droit de remonter au delà, car elle
en a le moyen.

Sgolies. – Ici encore, nous renvoyons pour les détails à


l'ouvrage cité de J. La Roche. Les scolies de l'Iliade sont
nombreuses et d'origines diverses. Des découvertes nouvel-
les grossissent encore de temps a autre la collection. Bor-
nous-nous aux choses essentielles.
Les plus importantes des scolies de l'Iliade sont les Sco-
lies A DE Venise nous en avons dit et expliqué la valeur
à propos du Venetus A, où elles sont contenues. On peut
dire qu'elles dispensent presque de toutes les autres. Elles
ont été toutefois heureusement complétées sur certains points
99 ÇnTATITRK ». AHAtyse BB i^fcliM&S
(notamment pour le oh, XXI) par les SconKa ofixKvoiaKs
découvertes et publiées en 1801par J. Nicole (voy, plus haut).
– Lks Soûlibs H de Vknisk sont d'une médioore utilité,
Le groupe des Pktitks sgomes comprend ta principale
partie de celles qui étaient seules connues avant la dôoou.
verte de Villoiaon (Seoiia minora, brevia, vetuitti); on le» appelle
aussi Seoliet de Diiiymc; mais elles ne sont en aucune façon
l'œuvre do Didyme Uholcentâre, et elles n'ont d'autre titre
à être ainsi désignées que la reproduction plus ou moins
exacte de quelques remarques de ce grammairien. Édition
priuceps, dite à Jean Lasoaris, in-folio, Rome, «517.
Mentionnons oullu toute une série de scolies addllioniul-
les, généralement de très médiocre valeur tes Siolies du ma-
nuscrit de Townlttj, nulles de Ltipziu qui vont jusqu'au livre
XV11, utiles de Mùwou, do Ltydt, du nmnKsertt Utirkytn, «te.
Décernaient onooio, en «875, M. l'abbû Duohcsue a découvert
un certain nombre de scolics nouvelles au monastôro grec
do Vutopédi. Hekkor a publié à Berlin, 1827, en 3 vol. in-
4», ta collection des Sco/iw sur e Iliade, avec le Lexique d'Apol-
lonius (voy. plus loin) et des Index complets, l'ius récom-
meut, G. Dindorf a donné une nouvelle édition des scelles
grecques sur le imtino poème, Seholittgntecu in HUidem,4 vol.
in-8, Leipzig, 18751877.
A côté des ttcolies proprement tlites, il convient de signa-
ler ici les travaux do quelques critiques anciens, qui eu sont
indépendants les Hevherclteshomériquesdo Porphyro ('O.uquxii
ÎDTnuxTit),dont une édition complète a paru récemment (HT'
phyrii <,uaestionumhomericarum ad Iliadem pertinentium reUquias
collegit H. Sehrador, in-8», Leipzig, 4880-82) l'abrégé d'un
ouvrage du grammairien Zénodore (date Inconnue), Intitulé
Tâvmpt rov«9ri«4mrouà; cet ouvrage comprenait dix livres;
l'abrégé que nous possédons a été retrouvé en 1868 par le
savant français Em. Miller et publié par lui dans ses lié-
langes de littér. grecque, Paris, (808; le volumineux et indi-
geste commentaire d'Eustathe, qui fut archevêque de Thés-
salonique au xn* siècle (n^stxëoW ti; rir» 'Ojtijpou'O#'ta<r«»
xxt •O.tàSa); la partie relative à l'Iliade a été publiée par
Stallbaum, 4 vol. in-i», Leipzig, 1827-4830; enfin le frag-
ment du commentaire de Jean Tzetzès (xne siècle), intitulé
>E$4yw^ tt; rijv Ofxîjpou'Uiâ^a, publié par C. Hermann, ln-8»,
Leipzig, 4844; son'ftrâgtmt iXkv/opnQtivu. en vers politiques
n'est qu'un «TorAgA sans intérêt des poèmes homériques.
8ÏBÏ.J00RA.P1UB 07
Un certain Apolloatua, contemporain d'Auguste, avait
composé un lexique apôoial de VJthide et de VOtlgnée. Un
abrégé incomplet et mutilé de cet ouvrage a été tiré en 1770
da la Bibliothèque de Sftlut-Geruiain<-des.Prés par d'Ange
de VilloiMon et publié par lui en I77J. Oit le trouvera, comme
noua l'avoua dit tout a l'heure, dans le recueil dea scolies
de Bekker. Il a ôtô aussi publié a part (Berlin, <833), 11
faut ajouter que le Grand Êtymotogigut, sans pouvoir être oon-
iiidâré assurément comme un lexique spàoial des poésies ho.
luôriques, oontient, a propos des termes homériques, un
grand nombre d'expl ioations empruntées a ta critique qlexan-
drine. Voir, outre l'édition de Uaisford, lo supplément
pu-
blié par Km, Miller dans «es BIHungestklitttr. grecque d'après
un manuscrit de Florenue. – Lo Lexique d'IIésyeliius offre
également des ressources d'interprétation dues u la criti-
que anoienne,

éditions – (On trouvera une revue assez dôtallléo dos


prinoipales éditions de VIliade dans l'introduction déjà citée
d'A. Piurron; mais cette revue, faite a un point de vue très
systématique, ne nous parait pas donner une Idw juste du
travail critique contemporain.)
L'édition princeps de l'Iliade fut publiée à Florence au
xv° siècle (tlomeri car mina,2 vol. in-foi., H88) par le Greo Dé-
mûtrlus Chalcoudyle, d'après les manuscrits alors en usage
dans les écoles byzantines.
Au xvi» siècle, les principales éditions furent celles des
Alde {première,2 vol. in-80, Venise, 1804. reproduction fidèle
de l'édition princeps, avec quelques vers de
plus; deuxième,
2 vol. in-8°, Venise, 1517, avec d'assez nombreux
change-
ments; troisième,2 vol. in-8», Venise, 1524); – celle des Junte,
2 vol., Florence. 1519; -la Romaine (4vol. in-fol.
1542-1550),
édition princeps des Commentaires d'Eustathe; – l'édition
d'Henri Estienne, Genève, 1366, premier volume de ses Poetae
graeciprincipes heroici carminis; elle était faite d'après les édi-
tions antérieures revisées sur « un vieux manuscrit »; J. Ni-
cole (voy. plus haut) a démontré de nos jours que ce ms,
était le 6«neoensts44; ce texte, fort soigné, a constitué la Fui-
gate; en t588, H. Estienne le publia de nouveau à part, avec
do* corrections et une traduction latine.
C'est celui de toutes les ôdUtaos qui suivirent, jiifW* i«
HiiL de ta LUI.
«l£\ 7
Owoquy^Ve.
t 1 5\
88 CIUPITRK U: ANAUYSK HIB tifLÏADK

fin du xviii1 siècle, La déoouverta «leVlItaUan permit alors


da restituer i. texte de la période ntexandrlne et romaine.
Il en fournit lui-même les élément» dans son édition du Yt•
neiiu A (Ilemeri Mu», ad vtttrit eodieis vtnttifidm rtcewito, lu-
fol., Venise, (788). – F -A. Wolf les utilisa dans aon exoel-
lente récenslon de l'Iliade (2 vol, in-8\ Halle, 1791], à la.
quolle 11 adjoignit en 1793 les célèbres l'fali'gamènei. Cettu
réaenslou, améliorée par Wolf dans plusleur* édition* huo-
coaslvea, donne le teste de VltiuJi toi qu'il était vers le so.
oond sidole de notre ère, après les travaux d'Aristarque et
de tous tes oritlijues qui l'uvaient suivi.
l>uits le cours du xix* siècle jusqu'à nos jours, pliiHicura
tendance* ne «ont inanifestôon i\ j ropos du texte de Vltnutc,
11 y a d'abord des critiques et c'est le grand nombre –
qui piunuont pour bune de toute réaunalon l'excellent truvuil
de Villoison, et qui tondent par conséquent à donner un
texte qu'on pourrait appeler alezan iroromain, o'est-i\*dire
nristnrohlon par bos origines, mais amélioré par la critique
des savants successeurs d*Aristarque pendant la période
romaine. Cette tendance est représentée avec éclat par la
grande édition do Ileyne (Ilomeri earmina oum versioue Mina
et annotationt, 0 vol. in-8°, Loipzig, 1802-1822);elle devait com-
prendre toute la poésie homérique, mais l'Iliade seule a parti,
C'est un vaste et commode répertoire, où l'auteur a réuni
toutes les ressources critiques qui existaient de son temps;
des dissertations spéciales sur un certain nombre de ques-
tions homériques y remplissent cinq volumes. A la même
tendance se rattache l'édition de Dugas- Montbel, accompa-
gnée d'une traduction et de commentaires (9 vol. in-8», Pa-
ris, 1828-31, avec l'Histoire des poésieshomériques).
D'autres ont prétendu ou prétendent encore restituer le
texte d'Aristarque lui-même. Négligeant de parti pris le
travail des successeurs de ce critique, Ils veulent en revenir
&l'Iliade qu'il avait constituée au second siècle avant notre
ère. L'initiateur de ce mouvement a été Karl Lehrs par sa
dissertation De Aristarehl studiis homericU,Kœnigsberg, 1833.
G. Dindorf, qui suivait encore la précédente tendance lors-
qu'il publia sa première édition d'Homère (Leipzig, 1826-28),
reproduite dans la collection Didot, se laisEa convertir en-
tièrement par Lehrs, et sa quatrième édition de t855 est un
essai de restitution du texte aristarebien. Cette méthode
a été appliquée avec une sorte de passion dans Ylliade d'A.
BJBUOOIUPIUE 99
Pierron (I vol. in8«, S» édition, Paris, 1883),qui fait partie
da la oollaollon d'éditions savantes publiées par la maison
HttQhetto. – C'est aussi en somme celle de J. La Rooha tltias,
t vol, Jn-8», Lclpxlg, 1873-74).
La troisième tendanoe, qui nous parait la vraie, constate
a traiter le- texte du l'Iliade avec une entière
Indépendance
a l'égard des critique* anciens, Les progrès de la
philologie
permettent A la scltmae moderne de se faire une idée beau-
aoup plus préolso de ea que devait être a l'origine VIliade
qu'il n'ÔUit permis a Aristarque de le concevoir. S'attacher
docilement à Incrltiqutt alexandrine, c'est donc se faire igno-
rant aana y 4tra obligé. Nous n'en voyons pna le profit, 11
ont vrai que cotte Indépendance peut donner lieu a beaucoup
d'écarts; 1» «agesso consisto à los éviter, ot non A suivre la
routine. Notons en oe genre la bizarre édition de Payne
Knight (Carminiihomerka Ilias et OJyssea, Londres, 1820), pssui
par trop fantaisiste tl'une restitution de l'orthographe grec-
que la plus anoienno; le remarquable travail do Ilekker
(i vol., Berlin, 1843, etQonn, 183S),suivie en Angleterre par
Puloy {The I/imJ of Ilomer, toith enylish notes, in-8», Londres,
«800); la curieuse tentative d'A.. Koeohly, dont nous par-
lerons dans le chapitre suivant (lliadis car mina XVI,schotarum
in muni restitué, Leipzig, 1801 l'édition <le W. Ghrist
{Ihmeri Uiailt carmina sejuncta, discreta, emendata, prukjjommh
et «pparatu eiitieo instructa, Leipzig, «88*),qui présente, avec
discrétion et hardiesse tout &la fois, les plus importants ré.
Hiiltats du travail critique auquel l'Iliade ne cesse de donner
lieu. Celle de A. Fick (Goettingen, 1886)destinée ù rendre
à l'Iliade sa forme éolienne supposée primitive.
Depuis quelques années, les éditions critiques de l'Iliade
se sont multipliées, sous l'Influence du progrés général des
études de linguistique. Il faut citer celles de A. Rzach
(Leipzig, 1886-87), de J. Van Leeuwen et Da Costa (Leyde,
1889),de Cauer (Leipzig, 1892).
Parmi les trés nombreuses éditions à l'usage des classes.
qu'il serait impossible d'énumérer ici, mentionnons seulo-
meut celle d'Amels revue par C. Henze. Rééditée
fréquem-
ment depuis 1868, elle a été tenue au courant de tout ce
qni
s'est fait depuis lors. Le texte, qui était à l'origine très vol-
sin de celui de Bekker, n'a cessé de s'améliorer. Elle est
pré-
cieuse à la fois par l'annotation «t par tes Appendices,
bliés en livraisons distinctes, qui offrent un résumé substân- pu-
100 QHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE

tiel des principales discussions critiques auxquelles chaque


chant a donné lieu.

LisxiguKs. Le» lexiques homériques sont iiw nombreux.


Le Dictionnaire 4'Uomêre et dt$ HbmCridt$de Theil et Halley
d'Arros, très répandu autrefois en France, a cessé depuis
longtemps do répondre a l'étal du texte, amélioré par la cri-
tique. Le lexique d'Autenrleth et celui de Seller, destinés
aux oiaases, méritent tour réputation. Mais t'ouvrago te plus
complet en ce genre est le Lexieonhomtrkut» d'Ëbeling (t vol.
en 3 parties, Leipzig, terminé en 188!>),indispensable pour
l'étude approfondie de la langue homérique. Il été abrégé
pour l'usage des et assea (H. Ebeling, Schulwerttrbuth su Homer,
Leipzig, 1800). – Dans un genre voisin, YIndtx kemerkm dt»
Gehring (Leipzig, Teubner, 1801)peut rendre aussi de grands
services.

SOIMIAlilB.
I. Nécessita d'analyser les poèmes homériques pour trouver Homère.
Division de VIliade en livres et en sections. Il. Livres 1 /.«
Querelle. Sa valeur et son importance. III. Livres XI-X. Rup-
ture du plan primitif. Sujets variés. IV. Livre XL I\otour à
l'idée principale: La Défaile d'Agamtmnon et de m compagnons en
l'absence d'Achille. V. Livres XII-XV. Développement épiso-
dique de la situation L'Attaque du camp et des vaisseaux.– VI.
Livres XV (ûn)-XVII. La Patratlie. VII. Livres XVIII-XXIV.
La fin du poème ou AehiUUde, constituée autour du récit de la Mort
d'Hector (XXII" livre). VIII. Conclusion.

C'est par une analyse critique de YIliade qu'il nous


parait indispensable do commencer l'étude dos grandes
épopées grecques. Tout ce qui se rapporte à leur forma-
tion est obscur et profondément incertain. Par suite,
nous ne pouvons pas ici, suivant la méthode ordinaire,
aller du poète à son œuvre: nous possédons l'œuvre,
DIVISION DU POftME toi

mais non» cherchons lo poôloj V/iieule seule peut nous


apprendre co que cacha la nom d'Homère.
Dans cotto analyse nécessaire, notre dessein ost de
marquer à grands traits los caractères dos
propres par-
lins principales, d'indiquer rapidement par quoi les au-
(rus en diffèrent et comment oitos s'y rattachent néan-
moins, en un mot de laissor pressentir aux lecteurs,
o.'t présence du texte même, les conclusions
que nous
essuierons do dégager dans lo chapitre suivant II est
ln>n do se placer quolquos instants au cœur de la pué-
sio homérique avant do sa risquer à lui demander son
secret.
Un mot d'abord do la division extérieure du poômo,
V Iliade est aujourd'hui comme en
répartie, l'Odyssée,
vingt-quatre livres ou rhapsodies Chacun do ces li-
vres est désigné par une dos lettres do l'alphabet io-
nien, qui devint, comme on le sait, à partir de l'an 403
avant notro ère, l'alpitabot officiel, et plus tard
attique
resta comme l'alpliabot commun do tous les Grecs >.
Dans la Vie if Homère, attribuée a Plutarque, il est dit que

Insistons sur ce point qu'il ne saurait être question d'examiner


ici en détail toutes les difficultés que soulève le texte aotuel de
Vllbide.Nous ne mentionnerons mèmo pas uo grand nombre d'inter-
polations qui sont probables ou presque certaines, mais qui n'inté.
ressant pas la marche du ddvelopp3ment.1Pour cette étude, qui doit
êtrefaite le texte en main, nous renvoyons aux Introductions de Henze,
en tête des Remarques afférentes à chaque cUaut, dana l'Appendice de
l'édition Aineis revue par lui. On y trouvera aussi tout l'essentiel sur
la bibliographie du sujet.
2. Le mot rhapsodies, employé par Eustathe dans son commentaire
pour désigner les livres de Vlliade, est tout à fait impropre, bien qu'il
ait passé dans l'usage, car il semblerait impliquer que chaque livre
a formé, en un temps quelconque, une unité de récitation, ce qui n'est
pas. Le terme de chants, dont on se sort quelquefois, ne convient pas
mieux, et la raison en est la même. Ce sont des Uvre» à propremen t
parler, ou plutôt des tonte;, c'est-à-dire des sections destinées à for-
mer des groupes de même importance ou pou s'en faut.
S. F. Lenormant, art. Alpkabeium, dans le Dictionnaire de» Antiqui-
tésde Daremherg et Saglio.
109 CHAPITRE II. – ANALYSE DE I/IUADB"
cotto division fut Ttouvro du célèbre critique alexan-
drin Aristarque ollo ne remonterait point par consé-
quont au delà du second siècle avant notre ère. Rus.
talhe confirme ce témoignage en l'obscurcissant car,
en môino temps qu'Ariatarquo, it nomme, comme au-
teur tio cotte mémo division, un autro critique alexan-
drin presque aussi célèbre, Zônodotu, sans distinguer la
part do chacun Quel qu'en soit l'autour, il parait cer-
tain qu'elle était inconnue avant les grammairiens
uluxandrins. On ne lu trouve usitée dans aucune cita-
tion antérieure, et elle répond &tout un système da di-
visions que les bibliothécaires d'Alexandrie mirent ù lu
mode. Utile pour l'usage courant, ollo n'a donc en elle-
môme aucune valeur pour l'étude quo nous entrepre-
nons. Ajoutons qu'elle est souvent très arbitraire, comme
on le verra par t'analyse du poème.
Mais à côté de cette divisiou alphabétique, nous en
trouvons une autre plus intéressante. Celle-ci est ropré-
sontéo par dos titres variés, qui désignent brièvement
certains épisodes saillants (Mfôvi;, "Opxta, etc.). Quel-
ques-uns de cos titres figurontehez Platon et chez Aris-
toto, et cps écrivains ne connaissent d'autre division
de l'Iliade que colle-là les autres nous ont été conser-
vés par divers autours, entre lesquels il faut nommer
Élion et surtout Eustathe; ce dernier cite tous ces titres
dans son commentaire «. Quelques uns s'appliquent à
dos morceaux fort étendus 5; d'aulres au contraire no
1. Pb. Plutarque,Vied'Homère,c. 4.
2. Euslathe,Comment, sur l'Iliade,p. 5 (Stallbaum).
3. Arist., Poét.,t6 et 24. Platon,République. 1.X, p. 614B; Cralyle,
C:
p. 438 PelUHippias,p. 364E; /on,p. 539 B.
4. ÉHen,Hirt. variée.XIII, 14. – Cf. la table iliaque de Bovill».
C.I. G., n*612S.
5. Parexemplele titrede Aïo^Sou;àpurtttadésignaitnonaeulement
le V»livre actuel, auquelon l'appliqueordinairement,maisaussi le
Vit-Hérodote.II. ««, eite nn pwwn»»AnVI*Uvreaeluelcommedé-
tachédela AïoiujSovc àpumla.
UVREI 103
conviennent qu'à des scènes très courtes >. Il ne faut
((unispus croire que chaquu morceau pourvu d'un titre
spécial ait dû il t'origino ôtro récité isolément. La ton-
gtiour dos uns, la brièveté dos autres excluent égale-
ment cette hypothèse. Lo plus probable, c'est qu'un cor-
tuin nombre do costitres souloutonl appartenaient à dos
morceaux indépendants; quant aux autres, introduits
puii a pou dans l'usage par une analogie fort naturelle,
ils ont servi à désigner certains épisodes connus; mais
ces épisudes n'étaient jamais produits est public isolé-
ment et ne pouvaient pas t'être.

II

Quoique opinion qu'on ait sur la formation do l'lliatle


et sur l'Age relatif do ses diverses parties, on no sau-
rait douter que le premier livre, dans son ensemble,
no soit le plus ancien de tout le poème. C'est là en effet
qu'en est établie la donnée essentielle, à savoir l'absence
d'Achille. Sans doute, la légende avait bien pu racon»
tcnlfyh qu'Achille et Agamomnon s'étaient un jour que-
rellés a propos d'une captive, et qu'Achille avait eo^sé
par dépit de prendre part pendant quelque temps aux
combats. Mais qu'on y réfléchisse tant que cotte que-
relle n'avait pas été distinguée cin'o tous les événe-
ments- d'égale importance par un chef-d'œuvre, eût-il
été concevable qu'elle s'imposât comme une donnée né-
cessaire à toute une série de chants ? Évidemment non:
ce qui lui a donné celte valeur et cette autorité, c'est
le succès du récit admirable qui est parvenu jusqu'à
1. Letitrede Aoijii;entèteduI"livr« n«d<M»neproprementqu'on
ipisuded'une trentaine de vers. Le reste est désignépar le mot
Mf,
10* CHAPITRE II. – ANALYSE 1>K L'ILIADE

noua. D'ailleurs l'antiquité do ce récit est confirmée par


tous ses caractèroa.
Doux groupes do scènes remplissent co premier livre
en s'équilibrant mutuellement: l'un, qui comprend la
poste et la querelle proprement dite (v. 1-317); l'autre,
où sont racontées los conséquences immédiates do la
querelle et lo développement qu'elle prend par l'inter-
vention dc8 dieux (v. 318-611),
C'est on invoquant la muse selon l'usage tradition-
nel que le poète ouvre son récit (v. 1-7). Sous une forme
très vuguo, une sorte de sommaire des événements fu-
turs est contenue dans cette invocation. Beaucoup de
souffrances pour tes Achécns, beaucoup d'âmes de hé-
ros descendant chez Hadès, beaucoup do cadavres livrés
en pftturo aux chiens et aux vautours, voilà, entre les
choses à venir, celles qu'il nous découvre. On ne peut
s'empocher do remarquer quo le véritable développe-
ment du poème actuel n'apparaît là que très imparfai-
tement. Rien n'annonce dans ce résumé préliminaire
les grands événements qui en rempliront la seconde
moitié, la mort de Patrocle, lo retour d'Achille, sa vic-
toire sur Hector. Le poète, uniquement occupé des re-
vers des Achéons, ne semble pas avoir la moindre idée
de leur triomphe iinal; il voit la colère d'Achille funeste
aux siens, et il ne songe pas au jour où, par une péripé-
tie des plus dramatiques, elle doit se retourner contre
les Troyens et leur devenir bien plus funeste encore.
Quo faut-il conclure do là ? Ces vers, en raison même
de leur pou de précision, ne peuvent pas avoir été com-
posés par un aède pour servir d'introduction au poème
après son achèvement complet. C'ost donc bien l'autour
de la Querelle qui a dû les mettre en tête de son chant;
seulement ne devient il pas probable par là même qu'en
les composant, il n'avait aucune conception arrêtée des
événements qui figurent aujourd'hui dans l'Iliade ?9
LIVRE I 105

L'action commence, et aussitôt elle nous captive par


un intérêt simple et profond. Los Achéens ont pris à
Chrysès, prôtro d'Apollon, sa fille Chryséis elila l'ont don-
née à tour roiAgamemnon; le vieillard, qui veut ravoir
son enfant, vient au camp pour la réclamer, lo front
couronné do bandelettes sacrées et les mains pleines
d'or. Agamomnon le repousse durement. Scène courte,
mais d'un pathétique admirable. La prière du vieux
prêtre désespéré monte vers Apollon; le dieu l'entend,
sa colère éclate, il lance ses traits contre les Achéens.
Pétulant neuf jours, la peste ravage lo camp; au bout
do ce temps, Achille convoque l'assemblée et décide le
devin Calchas à révéler la cause de la colère du dieu.
Culchas dénonce l'outrage fait par Agamomnon à Chry-
sôs. Hn'en faut pas plus pour mettre en feu les passions
d'où naîtra tout le poème. Voilà le chef suprême dési-
gné comme l'autour des maux dont souffre l'armée: fu-
rieux, il invective le devin ot s'en prend à tous les chefs
indirectement: résigné à rendre Chryséis, puisqu'il le
faut, il entend bien du moins être dédommagé de son
sacrifice. Une telle prétention irrite l'impatient Achille
ainsi s'engage la querelle. Les menaces et les provoca-
tions, les outrages et les plaintes amères s'entrecroi-
sent. Aux paroles violentes succéderaient des actes
plus violents encore sans l'intervention d'Hère et d'A-
thùné. Achille avait déjà tiré à demi son épée; il la re-
met au fourreau, mais il jure solennellement qu'un jour
les Achéens regretteront de ne plus le voir combattre
pour eux. En vain le vieux Nestor intervient avec dos
paroles de paix; Agamemnon répète qu'il se dédomma-
gera aux dépens d'Achille en lui enlevant sa captive
Briséis, et Achille de son côté renouvelle sa déclaration
de haine et d'hostilité. L'assemblée se disperse alors et
Achille se retire, taudis qu'Agauie.'titiou su prépare à
renvoyer Chryséis à son père et fait purifier le camp.
106 CHAPITRE H. – ANALYSE DE L'ILIADE

Tout cela se tient et forme un ensemble qui se suffit


à lui-même. On se reprès >nte aisément un tel morceau
comme indépendant. Rien n'y dénote chez le poète la
conception précise d'une suite, arrêtée déjà dans son
esprit. S'il y a des allusions aux événements futurs,
elles sont vagues et n'annoncent rien qui ne pût être
connu des auditeurs par les données générales de la
légende Le poète n'introduit, à proprement parler,
aucun de ses personnages comme nouveau; il n'expose
pas non plus la situation des Achéens au début de l'ac-
tion manifestement, son public sait d'avance les anté-
cédents et les conséquences de la scène particulière qu'il
extrait de la légende. Au début de l'Odyssée, nous sen-
tons la préoccupation do marquer le commencement
d'une grande action, en notant son point d'attache avec
les événements antérieurs « En ce temps-là, nous dit
» l'auteur, tous les autres qui avaient échappé à la
» mort cruelle étaient chez eux seul, Ulysse. »
Cela suffit à nous avertir. Un tel début prouve, à lui tout
seul, qu'au temps où il a été composé, l'Odyssée appa-
raissait déjà comme un grand ensemble. Au commence-
ment de l'Iliade, rien do semblable. Ce sera seulement
au second livre, et d'une manière incidonte, dans un
passage sans doute plus récent, que le rapport chrono-
logique du poème actuel avec l'ensemble de la guerre
sera indiqué. La Querelle est, pour ainsi dire, en dehors
de tout calcul exact de temps, comme une scène qui
avait toute sa valeur par elle-même et qui pouvait se
placer, par suite, à un moment quelconque de laguerre.
La seconde partie du même livre se rattache étroite-
i. Lesseulesallusionsde ce genre sont contenuesdansles paroles
d'Athèné(v. 212814)et dans lesdéclarationsd'Achille.Elles nous
font savoirseulementque les Achéenspaierontchèrementl'offense
faiteà ce héros.Maissi le fait dela querellefiguraitdéjàdansla lé-
gendeavant quece chanteût été composé,ce qui ne parait pas dou-
teux,ses conséquencesgénéralesy figuraientnécessairementaussi.
LIVREI 107
mont à la première, qui aurait pu so passer d'elle, mais
dont elle-même ne peut se passer. Agamemnon envoie
prendre Briséis dans latente d'Achille. Celui-ci la livre,
mais on renouvelant son serment do haine et de ven-
geance. Puis, seul, amèrement affligé, il invoque sur
le rivage sa mère Thélis; plainte admirable, où l'accent
mial so môle à celui de l'orgueil irrité. La déesse appa-
rait, écoute ses plaintes, gémit à son tour dans un sen-
timent de tendresse toute maternelle et s'engage à de-
mander vengeance à Zeus, lorsque ce dieu, absent do
l'Olympe pour douze jours, y sera revenu. En atten-
dant, Achille reste à l'écart, éloigné des combats et des
assemblées, tandis qu'Ulysse, envoyé par Agamomnon,
reconduit la jeune Chryséis à son père qui révoque so-
lennellement sa malédiction. Enfin le douzième jour
arrive Thétis va trouver Zeus, et, par une prière pres-
santo, elle obtient do lui la promesse solennelle que les
Achéens auront le dessous jusqu'à ce qu'ils aient donné
satisfaction à son fils. Le secret de cette promesse est
surpris par Hère, pleine de sollicitude pour les Achéens.
Une altercation vivo éclate entre elle et Zeus. Le fils
d'Hère, Hèphaistos, intervient pour rétablir la paix et
la cordialité après un festin joyeux, les dieux se sépa-
rent pour se livrer au repos.
Comme on le voit, ce groupe de scènes ne constitue
pas un tout, distinct du premier c'est une suite et rien
de plus. Cette suite semble être une sorte d'agrandisse-
ment que le poète a fait subir à sa première création.
Quelques légères contradictions de détails peuvent pas-
ser pour des indices de ce double travail Mais ce qui
1. Laehmannles a notéesle premier(Betrachtungen ùberHomera
llias,éd. Ilaupt, Berlin, 1874,p. 6). Voicila plus grave. Les dieux
sontprésentsdans l'Olympependantla querelle(221-222); et lors de
l'entrevuede Thétis avecson ûls, qui a lieu le mêmejour (v. 318,
318),ilest dit qu'ils sont tous partis la veille pour l'Ethiopie(v.
121).
108 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE

est bien plus instructif à cet égard, c'est quo le second


groupe révèle une certaine imitation du premier. Le
poète reproduit sous des formes nouvelles quelques-uns
dos motifs qui lui ont déjà réussi et dont sa pensée som-
hlo avoir peine à se détacher. Achille, au bord do la
mer, invoquant Thétis, nous fait songer à Chrysès sur
le rivage, invoquant Apollon. Dans la plainte du héros,
la querelle nous est retracée une seconde fois; elle était
en drame tout à l'heure, elle est maintenant on récit.
La prière do Chrysès il son dieu pour l'apaiser offro,
jusque dans la forme, la contre-partie do celle qu'il lui
adressait précédemment pour demander vengeance; le
serment do Zeus est comme le redoublement du serment
d'Achille; enfin la dispute d'Hère ot do Zeus rappelle
do loin colle d' Achille et d'Agamemnon, d'autant plus
que do part et d'autre il s'agit des droits du pouvoir
suprême; et l'intervention même d'Hèphaistos entre
les deux divinités n'est pas sans analogio avec colle de
Nestor entre les deux héros. Cotte seconde partie, tout
on nous montrant le développement naturol dos événe-
n ants do la première, en est donc comme une ingé-
nieuse variation. Par suite, si l'on y roconnait le môme
art et la môme pensée, on peut croire du moins qu'elle
n'a été conçue pour faire suite à la première que quand
celle-ci était déjà en possession du succès.
Quottes ont été les raisons du poète lorsqu'il a ainsi
agrandi son œuvre? Si nous ne nous trompons, la con-
ception de cette seconde partie no s'explique pas uni-
quement par le besoin de compléter la première ou y
sent aussi l'intention de donner plus do force et d'éclat
à un fait capital, l'offense d'Achille; et pourquoi cette
intention, sinon pour préparer d'autres chants qui se-
raient composés d'après cette donnée? Les déclarations
d'Achille y sont renouvelées en présence des messagers
d'Agamemnon, l'outrage est rappelé dans l'entretien
tïVBE r ioa
avec Thétis, le personnage du héros grandit par les
réflexions douloureuses quo sa mère fait sur sa desti-
née, enfin le serment solennel do Zeus avec l'appareil
do majesté et do terreur qui l'ontoure, avec los révoltes
inutiles qu'il provoque dans l'Olympe, donne l'impres-
sion profonde do la gravité des événements accomplis
ot de l'étendue des conséquences qu'ils produiront. C'est
grâce à ce complément remarquable que le chant de
la Querelle a pu devenir la base de tout un édilice de
poésie, et par suite il semble difficile do nier quo son
auteur ait eu, en le complétant ainsi, la peuséo do l'ap-
proprier à cette destination. Mais résulte-t-il do là que
los chants futurs, dont le poète devait avoir dès lors
quelque idée, lui soient apparus à ce moment sous la
forme du poème continu quo nous avons aujourd'hui
sous les yeux? En aucune façon. La prière do Thétis et
le serment do Zous attestent mémo lo contraire. Thétis
demande à Zeus que les Achéens aient le dessous jus-
qu'à ce qu'ils aient donné satisfaction à son Gis, et c'est
là ce que promet Zous Or cotte promesse ne s'accorde
quo très imparfaitement avec l'action du poème; cae
los Achéens donnent complète satisfaction à Achille au
neuvième livre en lui accordant tout ce que Thétis
avait demandé pour lui, et ils n'on continuent pas
moins à subir dos désastres par la volonté du dieu su-
prême leurs affaires vont même de mal en pis, jusqu'à
ce qu'il plaise à Achille d'envoyer Patrocle au combat
et ensuite de renoncer à sa colère pour le venger. Zous
fait donc en réalité dans le poème beaucoup plus qu'il
n'a promis a Thétis au début, et il vient un moment où
il agit par suite d'un engagement qui n'a plus de va-
leur et qui ne peut plus en avoir. A partir du neuvième
livre, il est, pour ainsi dire, à la discrétion d'Achille,
1.V.509.Tifpa 8'ftt»Tpwt<r»itifet xpdhoc,fffp'5v 'Aza«o(
iiïv ip&vttc«etv, ifîXkwaivxi i Ttjttj.'
110 CHAPITRE II. "– ANALYSE DE I/IWEADB

et il semble qu'il appartienne désormais à colui-oi du


lixor l'instant où la colère du dieu devra cesser. Si |o
poète avait au d'avance ce qu'il voulait faire dans la
suite, si en composant la scène du serment de Zeus il
on avait déjà déterminé toutes les conséquences, il n'ost
pas douteux qu'il n'eût adapté plus exactement les ter-
mes de ce serment aux événements futurs. La vérité
est qu'il n'entrevoyait encore ceux-ci que confusément.
Le premier livre dans son ensemble nous parait donc
révéler chez son autour l'intention et lo projet d'uno
continuation, mais en excluant l'idée d'un plan arrêté
d'avance, par conséquent celle d'un poème à propre
ment parler. Ce que nous devinons au travers de son
œuvre, c'est uno conception encore vague de chants
futurs, qu'il se proposait de tirer successivement do la
légende.
Cola étant, lo meillour moyen do reconnaitre dans le
reste du poèmo actuel co qui appartient à ce poète pri-
mitif sera toujours do comparer chaque groupe de scènes
à colles de ce premier livre. Notons-en donc briève-
mont les caractères essentiels. Et d'abord, l'extrême
simplicité des moyens. Très pou de personnages dans
la querelle, Achille et Agamemnon sont comme isolés;
les émotions des assistants n'existent pas pour le poète
il est tout entier à ses acteurs principaux et ne songe
aucunement à la foule. En général, du reste, sa poésie
n'a pas d'arrière-plan toute l'action se passe sur le
devant de la scène c'est un bas-rolief plein de vigueur,
mais sans perspective. Même simplicité dans les des-
criptions. Toutes sont utiles, brèves et fortes; l'effet
en est concentré en deux ou trois traits, quelquefois en
un seul. Le surnaturel prend chez lui quelque chose
de naturel ses dieux sont grands et puissants; ils ont
de la majesté, mais point de pompe; leur intervention
dans les choses humaines est libre et franche; ils ne
LIVBBS 1I-X ilf

go dissimulent pas sous dos visages étrangers; Athèné


et Thétis apparaissont à Achille sans ompruntor pour
cela la forme do mortelles. Tout osl donc simple chez
ce vieux poète, mais en même temps fort et grand. La
vérité des sentiments et des passions lui est familière;
il fait parler et agir ses personnages sans effort appa-
rent, sans subtilité, avec une naïveté pleine d'énergie.
D'ailleurs la douceur et la tristesse ne lui sont pas plus
étrangères quo la force, comme on peut le voir par la
seèno de Thétis et d'Achille; mais il a do la gravité et
de la réserve jusque dans l'attendrissement rien ne lui
«st plus inconnu que la mollesse et la recherche du
brillant.

III

Il faudrait passer par-dessus les neuf livres qui, dans


h pobme actuel, viennent immédiatement après le pre-
mier, pour trouver la suite naturelle du récit qui vient
d'être analysé. Ces neuf livres renferment pourtant
quelques-uns des plus beaux morceaux de l'Iliade. De
là un problème des plus délicats. Disons immédiatement
qu'il se résout assez simplement, si l'on considère ces
morceaux comme étrangers à la conception primitive.
C'est la liaison seule qui est ici défectueuse, et notre ana-
lyse va le montrer.
Voici tout d'abord un indice singulièrement probant:
c'est uno invention capitale qui n'aboutit à rien. Au dé-
but du livre II, Zeus, seul éveillé pendant la nuit, songe
aux moyens de tenir sa promesse et de faire périr beau-
coup d'Achéens auprès des vaisseaux. Après réflexion,
le meilleur parti à prendre lui parait celui-ci il fait ve-
nir Oniros (lo Songe) et lui ordonne d'aller trouver Aga-
lia CHAPITRE U – ANALYSE DE L*ILIADK

memnon pendaut son sommeil: qu'il lui dise d'armer


ses soldats ot do les mener au combat; a'il attaque main-
tenant, il prendra Troie. Comment douter on lisant cela
qua cette fausse promesse ne doive avoir pour effet n<V
cessaire une attaque imprudente dos Achéons, suivie
d'uno défaite sanglante? Uno telle invention, ai elle a
jamais fait partie d'un plan combiné d'avance ou sim-
plement d'un développement régulier, na peut être sté-
rite. II serait absurde d'admettre qu'un poète créateur
a imaginé <:oltu méditation nocturne de Zous et cette
tromperie divine si réHéchio pour n'en rien tirer par la
suite. Voyons dune e«>qui en résulte.
Agamemnon, réveillé au lover du jour, so croit sûr
do vaincre (v. 3540). Il convoque les chefs en conseil
particulier, lour fait connattre le songe quo Zeus vient
do lui envoyer, et, comme il est naturel, proposo do
faire prendre les armes aux troupes. C'est bien là ce que
nous attendions. Mais auparavant, il veut éprouver ses
soldats, chose dont loSonge n'apoint parlé. Cette éprouve,
qui donno son nom au livre II (ITeTpa),estdes plus étran-
ges. Rien do ce que nous avons vu antérieurement ne
la justifie on quoi quo ce soit. Agamomnon, dit-on, veut
s'assurer dos dispositions de ses soldats qui viennent
d'être décimés par la poste et troublés par la retraite
d'Achille. A supposer que cotte raison fût bonne, il serait
en tout cas à remarquer que le poète n'en dit absolu-
ment rien. Nous aurions donc affaire à un nouveau pro-
cédé do composition. L'autour du 1erchant se croyait tenu
de donner ses raisons: tout dans son récit et dans les
discours de ses personnages était clair et motivé: ici,
au contraire, nous devrions comprendre à demi mot, les
choses les plus essentiollos étant désormais passées
sous silence. Mais, tout au moins, cette raison qu'il
faut deviner est-elle bonne ou simplement acceptable?
'l'ant s'en faut. En admettant que les troupes soient dé-
LIVRE II lia
eouragées coinmo on lo suppose, l'éprcuvo imaginée
n'aurait do sons qu'autant qu'Agamemnon serait décide
à on tenir compte. On comprendrait qu'il dit aux oltofs
Il J'ignore les dispasitions do l'armée; éprouvons-la
on proposant le retour. Si les troupes, comme je l'es-
pèro, s'indignent à cette idée et demandent le combat,
nous attaquerons; sinon, nous nous abstiendrons. » Mais
il n'en est rien; son intention est de combattre dans tous
losea*: car il prévoit que la proposition do départ pour-
rait être acceptée ot il recommande aux chefs de se te-
nir prêts a contenir lo mouvement (v. 7a). Et, on fait, les
choses so passeront ainsi. Dans ces conditions, l'idée
d'Agiimemnon est vraiment déraisonnable: il est décidé
ù combattre, il a pleine confiance, ot, au lieu de com-
muniquer cette confiance aux siens, il s'expose volon-
tairement à les décourager. D'ailleurs, il émet celle éton-
nante proposition dans l'assemblée des chefs sans la
motiver le moins du monde; il semhlo que ce soit là
une de ces idées quientrainent d'ollos-mômes l'assenti-
mont: et, on effet, elle est acceptée sans discussion,'sur
une réihxion insignifiante do Nestor. Alors on réunit
l'anné» tout entière en assemblée. L'épreuve a lieu:
Agmnemnon feint de vouloir se rembarquer. Il est vrai
qu môlo à dessain à son discours des raisons propres
à retenir l'armée (v. 1 19-130).Mais ces raisons ne font
aucun effet; à peine a-t-il conclu, que la multitude des
Achéens se lèvo avec des cris de joie et se précipite vers
les vaisseaux. Tout serait perdu sans Ulysse, inspiré par
Hère et Athèné1. Les chefs même, qui savent pourtant
qu'il s'agit d'une simple épreuve, ont couru aux vais-
seaux comme les autres; ni Agememnon, ni aucun d'eux
1. Arist.,(Poétiq..XV,p. 20 Christ)blâmecette interventiondes
dieux,commeune machineépique.il est inconcevableen effetqu'U-
lyssen'agissepas ici par suite de ce qui a été convenuavec Aga-
memnon,m»\n qu'il ait besoin d'nno inspiration particulier*des
dieux.
Hiat. de la Litt. Grecque. – T. I. 8
H4 CHAPITRE Il. ANALYSE DE L'ILIADE

no fait quoi que ce soit pour arrêter la foule; et bien


loin do proclamer alors, comme la vraisemblance l'oxi.
gérait, cotte promesse de victoire reçue de Zeus par l'in-
termédiaire du songe, ils n'en font pas môme mention.
Ce serait l'argument approprié, et cet argument noces
sairo ost entièrement passe sous silence. Seul, Ulysse,
pur son énergie, arrête lo flot humain et ramène les
Achéons à l'assemblée, où il châtie l'insolence de Ther-
sito il prend la parole alors et, rappelant les oracles
anciennement rendus à Aulis, il fait décider que l'un
restera. Quant à Agamemnon, son rôle est nul, et dans
tout cela il n'est toujours pas dit un seul mol du la pro-
messe de Zeus1. Le dieu a voulu tromper los Achéens,
mais sa tromperie n'a aucune inlluenco sur l'action. On
ne peut nier qu'il n'y ait là une série de contradictions
graves et une incohérence do plan inacceptable. Or il est
impossible d'expliquer cette incohérence par dos inter-
polations partielles: car elle tient à ce que les deux faits
principaux, la promesse de Zous et l'épreuve, no sont
pas en accord l'un avec l'autre. Il faut donc nécessaire-
ment que des morcoaux primitivement étrangers au
poème aient été raccordes ici maladroitement8.
1. C'estseulementplus tard, dansle banquetdes chefs,que Nestor
fait peut-êtreallusionà cettepromessedivine(v. 436).Encorecette
allusionest-ollefort incertaine,car les parolesdeNestorparaissentse
rapporter plus naturellementsoit au sacrificequi vientd'avoirlieu
et qui a été accueillipar Zeus(v. 420),soitaux promessesantérieu-
res desdieux (v. 349et suiv.)
2. Kœchly(Opusc,1.1,p. 41)exprimel'opinionque le livre n est
composéde deux récits originairementdistinctsqui ont été fondus
ensemble.Je serais plus porté à croireque l'Épreuveétait unchant
originairementindépendant,dontla plus grandepartie a été conser-
vée et raccordéetant bien que mal au récit de l'lliade actuellepar
l'inventionmalheureusedu songeet duconseildes chefs.Cerécit in-
dépendantdevaitêtrefort beau,à enjugerpar cequi nousreste.Mais
ona remarquéavecraisonqu'ildiffèreassezsensiblementdupremier
chant par.les caractèresdu développement (Ameis-Henze,Anhang,
!•<liv., p. 80-81).L'action y est plus lente, les descriptionsy ont
LIVAB-II «5
Suit tout un long développement Les
épisodique.
Aehéons réunis de nouveau, Nestor propose de les ran-
gor par tribus et par phratries. Do là un double cafalo-
gue, colui des vaùsaaux achéeos d'uuo part (v, 484-785)
et de l'autro celui dos forces troyennes (v. 786 877),
II est reconnu aujourd'hui d'une manière una-
presque
nimo que le premier de ces deux morceaux no convient
pas a la place qu'il occupe, et qu'il a du y être inséré
tardivement1. Quant au second, comme il correspond au
promior, il y a lieu de croire qu'il a été
composé pour
onùlre comme lo complément1.

plus d'ampleur, les comparaisons y abondent, le poète s'arreto à des


détails (sceptre d'Agnmemnon, tOi et suiv.; portrait de Thoralte, 2H
et auiv.)
1.Otfr. MttUer, Hiat. de la litt. gr., traduction Hillebrand, élition in-
iS, tome I. p. 10b et suiv. Kœehly, Disserlatio secimda <le)tiadis car.
minil.us,Oputc, t. ï, p. 21. Bergk. Griech. Uler., t. 1. p. 557. Princi-
palus preuves Contradictions Mégès, fils de Phylée et roi de
Dulichion (II, 028); le mène, roi dds Épéens et habitant l'Élido
(XU1,
692;XV, 519). Melon, navarque dn vaisseau de Philoctète, de Mé-
thone (II, 127); le mémo, chef des Phthiens de Phylaque (XIII,
693;
XV, 334). Ajax de Salamine, à peine mentionné incidemment (557I
550),maigri sa grande importance dans l'Iliade. Nouveautés les
Arcadiens (v. 603414), inconnus dans le de même pour Ni-
rée de Syme. et les Grecs des Iles de la poème; cote d'Asie (v. 671-680); de
même pour les Rhodiens et leur chef Tlépoléme (v.
6S3-670),qui ne fi-
gurent que dans un épisode manifestement interpolé du V*chant. Im-
portance des Athéniens (v. 546-566),et en particulier de leur chef Mé-
nestheus,. «leplus habile des hommes à ranger des cavaliers et des
fantassins couverts de boucliers », éloge que rien ne justifie dans le
poème. En outre, ce catalogue n'est pas à sa place dans un récit
qui s'ouvre la dixième année de la guerre. 11 n'a pas été eomposé
poar la circonstance, car il mentionne les Myrmidons qui ne combat-
tent pas. Enfin il est difficile d'expliquer l'autour énumère
des vaisseaux, lorsqu'il ne s'agit pas de pourquoi
batailles navales, et pour-
il
quoi commence par les Béotiens (d'où le nom de Bowtia
employé
quelquefois comme synonyme de K«t*Xoyoï«5v veôv), ce qui serait na-
turel seulement si le catalogue précédait par
exemple le récit d'une
upêdition partant d'Aulis ou celui d'un débarquement sur la terre
troyenne.
2. O»fr, Huiler, ouvrage cité,
p. i!û. Bcrgfc, 567. On a remarqué
aussi très justement (Ameia. Hanze. ouv. cité,p.
p. 82)que le message
116 CHAPITRE IlV– ANALYSE DE L'IUADE

Le combat va-t-il enfin s'engager ? allons-nous sortir


de ces détours Les deux armées s'a-
déjà compliqués?
vancont Tune contre l'autre; ollos sont sur le point
d'en venir aux mains, lorsque tout à coup un combat
singulier so trouve substitué à l'engagement général
nous attendions. PAris vient de défier les chefs
que
achéens, et c'est Ménélas qui répond au déli. Une con-
vention doit être conclue à ce sujet. – Tandis qu'on
la prépare, Hélène se rend sur les murs de Troie, et là,
accueillie avec une tendresse paternelle par le vieux
Priam, avec admiration par les vieillards troyons, elle
montre A Priam les principaux chefs achéens en les
lui désignant par leur nom; scène célèbre sous le nom
do Tai/ocjumia >. Cependant la convention se con-
clut. Si Ménélas est vainqueur, les Achéens repren-
dront Hélène et recevront do plusun dédommagement
ces avantages, ils lèveront le siège et se
moyennant
retireront si au contraire blénélas est vaincu, its s'en

d'Iris, qui ordonne aux Troyens de se compter, est tout à fait en dé-
saword avec le dessein de Zeus. Celui-ci vent pousser les Troyens
an combat et leur assurer la victoire il leur fait dire justement ce
qui est le plus propre à les empêcher de sortir de leurs murs (v. 796
et auiv.). – Omissions Il n'est rien dit des Uaucones ni des Lélèges,
alliés importants des Troyens, 'souvent cités dans le poème (X, 489,
829; XX. 96, 389; XXI, 86); rien non plus d'Asteropéos. Nouveau-
tés Kcnomos le devin, tué par Achille dans la rivière (II. 861); in-
connu dans l'Iliade. De marne Amphimaque (II, 871). Otfr. Millier re-
marque en outre que Stasinos n'aurait pas mis à la fin des Chants
eypriens un catalogue des alliés de Troie, comme nous savons par
Proclos qVil le fit, si l'Iliade eut déjà contenu nn catalogue sembla-
ble.
i. Cet épisode se rattache mal à l'ensemble du- poème (Ameis-
Henze.ouv. cita, p. 162). Hélène nomme à Paris quatre héros aehéens,
Agamemnon, Ulysse, Ajax et Idoménée. Les deux premiers sont dé-
crits avec soin; lu troisième, Ajax, si important dans le poème actuel,
n'est qu'indiqué (v. 229) en revanche Idoménée occupe fattention
plus qu'il ne le mérite; et il n'est rien dit de Diomède, qui va être
au premier plan dans le en. V. Mais an réalité, ce n'est pas spécia-
lement la Teixooxonte qui se rattache mal à VIliade actuelle, c'est le
groupe entier des chants III et IV.
LIVRESIII ET IV il?
iront sans aucun dédommagement t, Est.ce là une suite
possible do l'action commencé© La fausse promesse de
victoire faite par Zeus au roi Agamomnon devient de
plus en plus inutile. Celui-ci, bien loin de se laisser
tromporpar les paroles dudieu, n'en tient aucun compte.
S'il y croyait, la convention serait
inacceptable. Com-
ment admettre qu'il renonce, sans mémo
délibérer, à
un succès certain et complot
pour l'espoir très incer-
tain d'un succès beaucoup moindre? Cette invraisem-
blance énorme n'est même pas atténuée
par la seule
excuse poétique qu'elle eût comportée,
o'estàdire par
l'entraînement des passions car la convention estcon
due froidement et solennellement, non entre les com-
battants, mais entre les deux chefs suprêmos. On va
chercher pour cela le vieux Priam dans Troie, on l'a-
mène dans la plaine du Scamandre, et là le est
scellé par un sacrifico et des serments, dont pacte le poète
nous donne tous les détails. Le combat
singulier a lieu
la description on est conforme à un
type que nous re-
trouverons plusieurs fois dans l'Iliade. Paris va être
vaincu et tué, quand Aphrodite le sauve, comme elle
sauvera Knée au cinquième livre. Tandis
qu'elle le
transporte auprès d'Hélène et fait succéder, malgré
cello-ci,l'amour aux combats, Ménélas erre au front de
l'armée troyenne, cherchant vainement son adversaire
disparu. Agamemnon alors réclame des Troyens tfexécu-
tion du pacte et les Achéens
appuient à grands cris sa
réclamation.
Nous nous attendons à ce qu'une
réponse quelconque
lui soit faite. Mais
brusquement le poète nous trans-
porte dans l'assemblée des dieux. Zeus se
moque d'Hère
1.Ona remarquéqu'une telle conventionse
la première comprendraitmieux
annéede la guerre que la dixième. Celaeat vroi. Mais
les invraisemblancesde ce genresontdecellesque tousles
permettentsans scrupule. poètesse
ii8 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE

et d'Ath&né qui ont laissé blesser Ménélas, tandis


elle veut
qu'Aphrodite a sauvé Ënée, Hère s'indigne
la destruction de Troie Zeus cède, et elle obtient l'au-
torisation défaire rompre la convention sans cela lu
était finie et le serment de Zeus restait sans ef-
guerre
fet. Pour qu'il n'y ait pas contradiction absolue entre le
rôle joué ici par Zeus et l'engagement pris par lui en-
vers Thétis, on intorprète avec complaisance la pensée
du pcète lodieu fait semblant, dit-on, do se laisser con.
traindre, mais en réalité c'est lui qui excite les déesses.
Nous sommes surpris en ce cas que cela ne soit pas in-
diqué expressément cette antiquo poésie est d'ordi-
naire plus naïve. Les deux déesses poussent lo Lycien
Pandaros à une perfidie. Doloin, tandis que les Achéons,
sur la foi du pacte conclu, sont sans défiauce, Pandaros
lance une flèche à Ménélas et l'atteint. Il semble que
cotte trahison dovrait provoquer un grand mouvement
dans les deux armées. Est-il possiblo que les Achéens
ne protestent pas avec indignation ? qu'il n'y ait pas
un échange de paroles entre les chefs dos deux armées?
Nullement. Agamemnon so lamente, envoie chercher
Machaon pour soigner son frère, mais no s'adresse pas
même aux Troyens. Ceux-ci d'ailleurs s'avancent déjà
en armes, ce qui force les Achéens à s'armer de leur
côté. Il faut avouer que cette offensive brusque des
inattendue. Ils se sont réjouis du pacte
Troyens est bien
conclu (III, Hi et 320-23); ils n'ont aucun intérêt à le
rompre tout au contraire et sans rien tenter pour le
maintenir, sans qu'Hector qui l'a fait conclure (III, 37-
78) intervienne en aucune façon, sans être attaqués ni
à la trahison de Pandaros
provoqués, ils s'associent
d'un mouvement unanime et spontané. Il est trop clair
que le poète a besoin d'un combat et qu'il ne prend
du-
pas la peine de le motiver sérieusement. L'auteur
Ier chant avait un tout autre souci des vraisemblances.
LIVRES V ET VII UQ
Du moins, nous voudrions que cette rupture fût
justi-
fiée par une sorte d'égarement subit, par une folie di-
vine qui ferait perdre aux hommes la raison. Si les
deux armées, a la vue du sang versé, se levaient en
poussant dos cris, si les Achéons surtout, indignés de
la trahison, se jetaient les premiers sur leurs
ennemis,
nous n'aurions rien à dire. Mais Agamemnon,
qui n'a
pas même tenté une réclamation, a pourtant tout le
sang-froid et tout le loisir nécessaire pour passer en re-
vue ses troupes. C'est r'AyajMjMwo; fattrwXu««,
qui se
développe en deux cents vers environ (v. 223-421).
Après cette revue seulement s'engage la mêlée, dont le
récit se rattache en réalité au livre suivant c'est l'in-
troduction des Exploits de Diomède.
Ces deux livres III et IV forment, comme on le
voit,
un groupe qui semble s'être constitué autour d'une
seule invention, celle du pacte. Ce
groupe se rattache
mal à ce qui précède ou même le contredit, et il est
sans influence sur ce qui suit, car il no sora
pour ainsi
dire plus question dans le poème de la trahison des
Troyens. On peut le supprimer tout entier par la pensée
sans inconvénient. Au point de vue littéraire, il offre
certains caractères propres: un développement dont les
parties sont pou liées et où le souci de la vraisemblance
est médiocre, une certaine surabondance de détails
«,
de larges épisodes qui s'intercalent dans le
développe-
ment, rien de la manière rapide et grande du Chant
de la Querelle. L'abus des formules
y est particulière-
ment sensible Cela n'empêche pas d'ailleurs qu'il
n'y ait de fort belles choses dans cette partie du poème.
1. Voyeznotammentla conclusiondu pacte(surtoutIII, 310).
2. Dansles5» premiersversdulivre 111,on trouve
mule'AXt|«v8poc cinqfoisla for-
esoïi&Kà la fin du vers; dansle livre tout entier
(461v.),ontrouve quatorzefois laformule MevéXaoç
ae la mômemanière. Cettemouotouieou'Ap^tXoç placée
cette négligenceest loin
d'êtreordinairedansle poème.
180 CHAPITRE II. – ANALYSE DB L'ILIADE

Le mérite des deux épisodes de la TttjçwjxoTïiaet deT'E-


icMïwXYia»; est frappant mais ils ont l'un et l'autre ceci
de caractéristique, quo ce sont des thèmes poétiques
et non des moments de l'action. Le premier accuse en
outre un goût descriptif qui semble étranger à l'éner-
gique et simple auteur des parties primitivesde l'Iliade •;
le second est remarquable par une symétrie trop appa-
rente, où l'on ne retrouve pas la liberté suprême qui
est la marque du génie
Il paraît bien probable, malgré tout ce qui a été dit
do contraire, quo ces deux livres sont dans leur ensem-
ble l'œuvre d'un môme auteur; mais cet auteur no
saurait être le poète du premier chant, ni même celui du
second. Son dessein manifeste est d'élargir le cadre géné-
ral du poème en retardant l'action, on nous introduisant
dans Troie, en nous montrant quelques-uns dos grands
personnages de la légende qui ne prennent pas direc-
tement part à la guerre, tels que Priam et les vieillards
troyens. Hélène, Pâris et sa protectrice Aphrodito l'ont
spécialement intéressé, et il a tiré de beaux effets du
contraste entre l'ardeur guerrière d'une part, jointe
aux plus mâles vertus, et de l'autre les séductions do la
beauté féminine et l'enivrement do la volupté. Mais si
le poète du premior chant avait conçu lui-même le des-
sein d'élargir ainsi son récit, outre qu'il eût porté dans
son développement ses qualités propres, il était impos.
sible qu'il se montrât si insoucieux des données qu'il

1. Celuici ne décritjamais ses héros autrementque par un mot.


Il ne s'attache pas aux particularitésphysiquesqui les distinguent.
Ici, au contraire,le poètespécifie,dans defortbeauxversd'ailleurs,
leur stature,leurattitude,leur manièremêmedeparler.C'estlà.sem-
plus analytique.Voy.III, 168-170,
ble-t-il,lo faitd'une observation*
193-198, 209-224,226-227.
2. Agamemnon, parcourantlesrangs de sonarmée,adressed'abord
trois éloges à Idoménée,aux Ajax et à Nestor,puis trois blâmesà
Ménesthée,à Ulysseet à Diomède.
LIVRES V ET 1VII *at
avait créées. Son Zeus pouvait trouver en
lui-môme,
«'ans sa sagesse, dans sa justice, dans ses
affections,
des raisons plausibles de suspendre pour un
temps Vae-
complissoment de sa promesse, mais à coup sûr il
n'aurait pas laissé flotter les choses au hasard et sans
suite, comme cela a lieu dans le poème actuel. Au con-
traire, son continuateur a ou pou do souci do la con-
duite do l'action, parce qu'en son
temps, celle-ci étant
déjà connue, l'intérêt se portait do plus on plus sur les
scènes secondaires; et peut-être a-l-il utilisé,
pour
faire du nouveau, d'anciens morceaux
qui avaient ou
à l'origine une tout autre destination.
Avec le dernier morceau du livre IV, commence un
nouveau groupe, qui comprend aujourd'hui la tin du
livre IV (à partir du vers 422) et los livres
V, VI et VII.
C'est le récit d'un grand combat qui
remplit toute une
journée et so termine le soir par la conclusion d'un ar-
mistice.
Considéré dans son ensemble, ce
groupe se rattache
mal à l'action commencée. La promesse de Zeus à Thétis
y est sans effet, car les Achéens l'emportent sur leurs
ennemis. Faut-il croire que le patriotisme du
poète recule
devant la description d'une défaite ? sem-
L'explication
ble au moius insuffisante, car il lui était facile de
rifior les Achéens même dans uno défaite, comme cela glo-
a lieu au livre XI. Rien d'ailleurs n'avertit le lecteur
l'effet de cette promesse ne soit que
que retardé: en réalité,
elle est purement et simplement oubliée, et Zeus
reste
à pou près étranger à
ce qui se passe. Quant à la fausse
espéranco qu'il a fait donner à Agamemnon au com-
mencement du livre II par l'intermédiaire du
elle est bien plus oubliée encore. La bataille Songe,
sans qu'il y soit fait allusion et sans s'engage
qu'elle y contribue
en rien. Il est donc manifeste à
présent qu'elle a été
vaine, ce qui montre assez combien on aurait tort de
138 CHAPITRE Il. – ANALYSE DE L'ILIADE

chercher on tout ceci un plan primitif. Mal relié par


conséquent à l'ensemble de l'action, ce groupe no tient
pas mieux à ce qui le suit immédiatement, En elfet,
ni au moment de la mort de Pandaros, ni lors du défi
d'ÏIoctor, ni ailleurs, il ne sera question du pacte an.
térieurement conclu et violé. Il semble que l'épisode
du pacte n'existait pas encore lo?squo le récit de ce pro.
mier grand combat a été composé.
Prenons à présent ce récit on lui-même. Il se divise
ou plusieurs parties distinctes. La première comprend
la bataille proprement dite, c'ost-à-dire la flndu livre IV
et tout le livre V. C'est le chant des Exploits de Dio-
mède au sens précis du mot, bien que ce titre ait été
étendu dans l'antiquité à ce qui suit. Les deux armées
sont aux prises; Arès et Athèné excitent les combat»
tants colle-ci prèto à Diomèdo une valeur extraordi-
nairo, et, pour lui laisser libre carrière, elle décide Arès
à se retirer. Alors se déroulo, dans une magnifique
narration, la série des exploits du héros argien. Blessé
par Pandaros, il est guéri sur-lo-champ par Athèné
elle l'oxcito de nouveau et lui ordonno même d'attaquer
Aphrodite, s'il la rencontre sur le champ de bataille.
Désormais rien ne résiste à Diomode. Il trouve devant
lui Énéo et Paudaros, montés sur le môme char; il tue
Pandaros, force Énée à fuir et le blesse dans i-.afuite.
Aphrodite, mèio d'Énée, vient au secours de son fils:
Diomèdo frappe et blesse la déesse elle-même. Cello-ci
s'enfuit dans l'Olympe sur le char d'Arès, et là, elle
est consolée par sa mèro DionA, tandis qu'Apollon, par
ses menaces, repousse enfin Diomède et met Ënée hors
de danger. C'est la première partie de la bataille (de IV,
422 à V, 453).
Une chose rend immédiatement suspecte la place qui
lui est attribuée dans l'Iliade actuelle. Comment se fait-il
que, dans la première bataille du poème, le principal
LIVRE V 133

rôle soit attribué, du côté des Achéens, à Diomèdo plu»


tùt qu'à Agamemnon, et du côté dos Troyens, à Éaéo
plutôt qu'à Hector? En co qui concerne Agamomnon, le
rôle offaeé qui lui est donné ici est d'autant plus inac-
ceptable qu'après s'être vanté dans la Querelle do pou-
voir aisément se passer d'Achille, il est moralement
obligé de se signaler plus que personne sur le champ
de bataille. Ajoutonsqu'il a do plus, pour l'exciter à com-
battre, la promesse do victoire apportée par le songe,
promesse si oubliée jusqu'à présent. La prééminence
d'Knce sur Hector n'est pas moins étonnante car Énée
ne sera, dans le reste de l'Iliade, qu'un personnage se-
coudairo, tandis qu'Hector est réellement le premier
dos Troyens. Cedouble renversement des rôles ne peut
guère s'expliquer d'une manière satisfaisante quo par
uno seule hypothèse. Il faut admettre que le chant des
Exploits de Diomède a été composé lorsque los premiè-
res places dans l'action étaient déjà prises. En le com-
parant au livre XI (Exploits d'Agamemnon), on trouve
la confirmation de cotte hypothèse. Le livre XI ost le
modèle; l'autre est une sorte de variation admirable,
qui est certainement d'une dato postérieure Le rôle
doZous peut aussi servir à la même démonstration au-
tant le dieu, au onzième livre, est actif et vigilant dans
l'accomplissement de son serment, autant il se montre
incertain et sans volonté au cinquième.
La seconde moitié do ce livre ressemble à la première,
dont elle agrandit en quelque sorte le thème. L'exploit
do Diomèdo contre Aphrodite, qui est le fait principal
de la première partie, se renouvelle dans la seconde
sous une forme plus merveilleuse par son exploit contre
Ares. Cette rencontre du héros et du dieu est le point

1.Cf.Annuairede l'Association
desÉludesgrecques,1884,p. Si et
nttiv.(Étudessur l'Iliade).
134 CIIAPITRK II. ANALYSE DE L'ILIADE

l'idée pii-
vers lequel tout convergo. Si nous dégageons
mitivo des quelques additions qui l'obscurcissont au-
série d'ôvéne-
jourd'hui, tout se réduit on eflet à uno
ments fort simples qui nous y mènent on droite ligne.
Arès a ranimô le courage des Troyens il marche de-
vant eux avecÉnyo et jette la terreur partout. Diomèdo,
lui-mème, se retire intimidé. Mais alors Hèrô et Athèné
interviennent elles obtiennent l'assentiment do Zeus
et descendent de l'Olympe sur lechamp do bataille. La,
Hère, par son exhortation puissante, rond le courage
aux Achéens, taudis qu'Alhôné do son côte excite do
nouveau Diomède. Elle monte avec lui sur son char à
la place de Sthônélos et la dirige contre Arès. Grâce à
elle, le dieu est vaincu par lo héros, et, blessé, il re-
monte dans l'Olympe la scène qui a lieu entre Zeus et
lui rappelle, par une sorte de symétrie voulue, celle
d'Aphrodite et do Zous à la fin de la première partie.
Ce plan primitif est principalement troublé aujourd'hui
et de
par l'épisode du combat singulier do Tlépolèmo
le reste
Sarpédon(v. 628-698), qui est sans rapport avec
du poème et trahit clairement son origine plus récente1.
Mais il semble bien qu'on outre un certain nombre
d'additions do détail s'y soient introduites peu à peu.
Ce n'est pas le lieu do les signaler ici une à une. Dans
l'ensemble, ce chant des Exploits de Diomède est d'une
belle allure, bien que l'action dos dieux n'y soit pas
mise on scène
toujours suffisamment expliquée et quela
i. Onest fort surpris de rencontrerTlêpolèmeet les Rhodiensiei
et dansle Catalogue Tlépolème,aïs d'Héraclès,appartient
(II, 653-670).
en effotdans la légende,à une générationautre que celledeshéros
dela guerre deTroie.Thesprotedenaissance,il vientà Tyrinthelots
du premierretourdesHéraclides,s'exilede là, par suite d'un meurtre
involontaire,et coloniseRhodes.Il estdonc entrédans l'lliade,avec
les Rhodiens,lesseulsDoriensqui figurentdansle poème,et cela en
unseul passage,quiestcelui du catalogue.Dureste, il n'estplusfait
aucuneallusiondans le reste du poèmeà cette mort de ïlépolèiu*,
quireste ainsi unfait isolé.
LIVRE VÎ 185

puisse paraitre quelquefois disproportionnée aux faits K


H présente d'ailleurs, au point de vue de la légende
et de la mythologie, quelques particularités romarqua-
bles*.
Bien que le HvroYI vise à peu près la situation
qui vient
A'èlvo décrite, on ost conduit àsodomander en l'exami-
nant sicon'estpas une simple pièce de raccord destinée
à encadrer quelques morceaux plus anciens. Ces mor-
ceaux sont au nombre de doux l'entrevue d'Hector
avec Hélène et Paris, et rontreliond'Hoetoreld'Andro-
inaquo ("Exto,:©; x«i 'Av&po(ixy»i; ô;xi>.{«,) qui donne son
iiniii tout l'ensemble.
Taudis que los divers chefs achéens multiplient leurs
exploits 3, Hector, sur les conseils d'Hélénos, se décide
à quitter le champ de bataille le danger
malgré pres-
sant, pour aller prier sa mère Hécubo do porter une
oîiaiuL solonnollo à la déesse Alhôné. Démarche en-
tièrement inutile à l'action, puisque cette offrande sera
Alhèné. qui a quitté le champ de bataille, au début, d'accord
avecArès (2P-36), est de nouveau prisenle au v. 122 et se retire im
prudemment au v. 133. Elle est dans l'Olympe ponr se moquer d'A-
phrodito(v. 417et suiv.). Apollon excite alors Arès à rentrer dans le
combat,sans lui parler du départ d'Athèné (v. 454-459); et pourtant
il est dit au v. S10, qu'il l'excite. « parce qu'il a vu la déesse s'en
aller ». Celle-ci, d'autre part, ne semble plus se soucier du combat ni
de Diomède, jusqu'à ce qu'elle soit avertie par Hèré
(v. 7it et suiv.)
Ellerevient alors sur la champ de bataille en grand
appareil de guerre
avecHère, dont tout le rôle se borne à prendre les traits de Stentor A
la voixd'airain (v. 785) pour exhorter en mots les Achéens.
2. Bôle de Dioné, qui n'est pas nomméequelques
ailleurs dans l'Iliade. Son
discours (38I-4IS), plein de mythes inconnus.. Aphrodite est appelée
cinqfois Kypiis, nom qui ne lui est donné nulle part ailleurs ni dans
illiade ni dans l'Odyssée, mais seulement dans les Hymnes. Ényo (v.
333et 592)est inconnue dans le reste du
poème; de môme Paièon, mé-
decindes dieux (v. 401, 89J, 900). Athènê, dont le nom revient sans
case dans le poème, n'est qualifiée d'Alalcoménéis que dans ce chant
(J.W8)et au début du chant IV (v. 8), etc. (Voy. Ameis-Htnïe
Adang, eh. V, p. 60;.
3.Il est à noter qu'au lieu de Diomède, c'est
Ajax qui prend ici la
premièreplace, sans que cette substitution nous soit expliquée.
186 CHAPITRE II. ANALYSE DE L'ILIADE

sans effet on outre comment no pas remarquer com-


bien le départ d'Hector est mal justifié par la raison
qui en est donnée? Tout autre des nombreux fils de
Priam pouvait aussi bien se rendre auprès d'Hécube à
sa placo, C'est donc là tout simplement un prétexte as-
sez mal combiné on réalité Hector rentre dans Troie
pour donner occasion aux doux entrevues qui vont sui-
vre, En son absence, a lieu sur le champ de bataille
la Rencontre de Diomède et de GlaucosÇv. 119-236), épi-
sode indépendant, sans lion avec l'ensemble, qui mani-
festement a été inséré là plus tard Hector est dans
Troie. Hécubo, d'après son avis, monte avec sus fem-
mes au temple d'Allièné, et supplie vainomont la déesso
do briser la lance do Diomède. Pendant ce temps, Hec-
tor se rend chez Paris, pour le décider à revenir eom-
battre. La scène qui a lieu entre eux est belle, surtout
par le rôle d'Hélène mais il est fort douteux qu'elle
ait appartenu originairement à l'Iliade. Si Paris est ab.
sent du champ do bataille, dans le poème tel qu'il est
aujourd'hui, la raison on est tout accidentelle c'est l'is-
sue do son combat singulier avec Ménélas au livre III
or les paroles d'Hector à son frère et les réponses do ce-
lui-ci ne paraissent pas se rapporter exactement à cette
situation on croit comprendre, en les lisant, que l'ab-
sence de Paris tient à un dissentiment entre losTroyons
et lui, dont l'Iliade ne nous rend pas compte (v. 326 et
338-36). A l'entrevue avec Paris, succède une des plus
belles créations de la poésie homérique, les Adieux
d'Hector et d'Andromaque. Cette scène, si admirable-
ment délicate et touchante, n'a pas été faite non plus
pour occuper la place qu'elle tient aujourd'hui. Mani-
festement, dans la pensée du poète, les deux époux se
i. L'auteur decet épisodes'est si peu souciéde ce qat précédait
qu'il fait dira à Diomède,venantde combattrecontreAphroditeet
contreArès, Oùxâvïfu>-(iScofoiv iiravpavioim (v.129}.
na"/oi|iT|v
LIVREVU i£7
voient alors pour la dernière fois. Les tristes
pressen-
timents de l'un et de l'autro n'ont toute leur valeur
poétique qu'à la condition d'être vrais. Par suite, il y a
trop d'intervallo dans l'Iliade entre ces adieux et la
mort d'Hector, qui n'aura lieu qu'au
vingt-deuxième
livre; do plus, à la fin du septiômo livre, une trêve d'un
jour sera conclue, qui implique nécessairement un re-
tour d'Hector dans Troie. Et pourtant le livre
XXII
qui est, comme nous le verrons plus tard, un dos plus
anciens du poèmo, semble bien imiter en
quelques pas-
sages l'épisode des adieux. Tout dénote donc que ce.
lui-ci a dit être composé, ainsi que l'Entretien avec Pa-
ris, comme un morceau indépendant à peu près dans
lo môme temps quo les chants
primitifs de l'Iliade ou
peut-ètro un peu plus tôt, et sans doute par le môme
poôto.Plus tard un arrangeur l'a rattaché à l'Iliade, en
composant, précisément pour cela, les autres parties du
livre VI.
Le livre VII achève dans l7/»««feactuelle le
récit de
la bataille commencée à la 8n du livre IV
ture du pacte, mais il l'achève do telle après la rup-
façon qu'il est à
pou près impossiblo d'y voir l'œuvre d'un poète
dévelop-
pant régulièrement une idée épique. En effet, sans rai-
son valable, la bataille
s'interrompt tout à coup pour
faire place à un combat singulier.
Athèné, au livre pré-
cédent, avait refusé d'écouter les prières des femmes
troyennes qui lui demandaient do briser la lance de
Diomède;or, malgré ce refus do la déesse,
Diomède en
pleine victoire, disparait do la scène. Hector sort des
rangs et défie les chefs achéens; son défi est
et le sort désigne accepté,
Ajax pour lui tenir tête. Il y a là plu-
sieurs difficultés, Comment les Achéens
vainqueurs
t. Jene veuxpasdire queces deuxmorceaux
se suffisaientà eux-
Blêmes
ment,detontfOrmaieDt lmIout ils deveientappartenirit an développe-
il ne nous resteau'uneD8l'tiA-
128 CHAPITRE Il. ANALYSE DE L'ILIADE

consentent-ils à interrompre eux-raôraos volontaire-


ment leurs succès ? Comment acceptent-ils un nouveau
pacte avec los Troyons après celui qui a été violé le
matin même, et cola sans faire aucune allusion à cette
trahison ? Voilà bien des invraisemblances. Mais au
point de vue de l'art de composer, que penser de cotte
bataille furieuse qui se termine par un combat singu-
lier ? Et ce combat singulier est le second de cette jour-
née et il répète, comme il est naturel, los péripéties
du premier. Il est inadmissible par suite qu'il ait pu
être composé par le grand poète qui à fait l«>sExploits
de Diomède. Lorsqu'on cherche à en dovinor l'origine,
l'explication la plus vraisemblable est celle-ci le récit
dos Exploits de Diomède, une fois misa la place qu'il oc-
cupe dans le poème, avait besoin d'un dénouaient; il
fallait que la journée se terminât d'une manière quel-
conque l'autour du raccord, incapable de créer par lui-
memo des scènes égales aux précédentes, a mis fin illa
bataille par une intervention d'Athèné et d'Apollon, qui
est uno simple machine épique; et, en guise do dénoù-
ment, il a imaginé d'insérer là le récit d'un combat sin-
gulier, dans lenuol l'imitation devait rendre sa tâche
moins lourde La lin du livre VII (v. 313-482), dé-
signée sous lo titre A'Enlècement des morts (Nexpûv cJvat-
fort médio-
peaiî), est un morceau d'un mérita poétique
cre et dénué de toute vraisemblance. Uno trèvo d'un jour
est conclue pour permettre d'ensevelir les morts, et les
Grecs en profitent pour entourer leur camp d'un rem-

t. Hectorseulendit un mot (v.69)en rejetant tout sur Zeus. C'est


là une atténuationassez maladroitede l'invraisemblance signalée.
Elle prouveque l'auteurduVII*livrea enconsciencedecetteinvrai-
semblance,mais il a passé outre par les raisonsquej'indique.
2. On peutsupposerd'ailleursquece récit,composémanifestement
Hénélasau 3«livre, existait déjà
après celui du combatde Paris et estduà
quand le raccord a été Eûtet qu'il un antre poète,très snpA-
rieur à l'auteur du raccord,car il :enfermede fort belleschoses.
LIVREVIII 189
part formidable. L'invention n'ost pas heureuse car
outre que le temps matériel est ridiculement insuffisant
pour un travail aussi considérable, il est clair quo rien
dans la situation ne justifie une mesure de défense qui
n'a pas été priso depuis neuf ans. On peut donc être
assuré que ce morceau a été introduit dans l'Iliade, non
par choix, mais par nécessité; il se relie au livre XII
(l'Assaut du mur), qui ne pouvait être inséré dans le
poème sans cotte préparation.
Le lendemain matin, la lutte reprend: c'est la seconde
bataille do l'Iliade; elle fait le sujet du livre VIII (KéXoç
p/)). Au début, une fort belle scène, où Zeus ordonne
aux dieux do s'abstenir et prononce do terribles mena-
ces contre ceux qui enfreindront ses ordres. Quelle que
soit l'origine de co remarquablo morceau, il est isolé
dans le livre VIII et il n'y est pas à sa place: car Zeus
est mal obéi. Le récit de la bataille, funeste aux Achéens,
est en somme pauvre et presque vide Point de gran-
des phases, point de scènes largement développées. Dès
le commencement, tous les principaux chefs sont frap-
pés de terreur; le combat proprement dit se réduit à
quelques épisodes: rien de la belle et simple ordonnance
du livre XI par exemple, où un sujet analoguo sera traité
d'une manière vraiment homérique. Le poète semble
embarrassé de sa tâche, comme s'il craignait de répéter
des choses déjà dites avant lui; pour se tirer d'affaire, il
raconte longuement une tentative vaine d'Hère et d'A-
thèné cherchant à intervenir en faveur des Achéens.
La nuit arrive, sans que la journée ait été réellement
remplie. Les Achéens sont rentrés dans leur camp; les
Troyens campent dans la plaine entre le Xanthe et les
vaisseaux. Évidemment, un récit ainsi composé n'est pas
».Toutecettesecondebataille est contenuedansleUvreVIII. tan
àUquela premièrecomprendleslivres IV-VIIet la troisièmeles li-
vresXI-XVIII.BUeest pourtantcenséedurerautant que les autres.
Hitt.dela lit». Gwoqoe– T. I. 9
180 CHAPITRE Il. ANALYSE DE L'ILIADE

l'œuvre du poète primitif. Et ce qui achève la démonstra-


tion, c'est que des passages nombreux y dénotent l'imi-
tation des chants précédents et suivants Le huitième
livre a été fait pour rendre possible l'introduction du
neuvième dans le poème la démarche supplianto que
feront les Achéens auprès d'Achille dans ce livre IX
n'était concevable qu'après une grande défaite; c'est le
tableau de cette défaite que l'autour du livre VIII s'est
proposé de tracer, et il a réalisé son dessein en poète,
mais sans liberté et sans essor, avec la préoccupation
visible d'un raccord tardif à opérer.
La nuit a séparé les combattants. Agamemnon ras-
semble les chefs et propose de lever le siège. Cette pro-
position, déjà faite antérieurement, est répétée ici dans
les mêmes termes mais, au livre II, ce n'était qu'une
feinte, tandis qu'à présent elle exprime la pensée réelle
du roi. Un pareil abus dans l'imitation suffit à révéler
un raccord. Le véritable sujet du neuvième livre n'est
abordé qu'au moment où s'assemble la réunion intime
dans laquelle on décide d'envoyer une ambassade à
Achille pour lolléchir (v. 89). Cette ambassade est com-
posée d'Ulysse et d'Ajax, auxquels s'adjoint dans le
poème actuel le vieux Phénix. Accueillis courtoisement
par Achille, ils essayent de l'apaiser, et cette tentative
donne lieu à un échange de discours qui ont été juste-
ment admirés dans l'antiquité et de nos jours. Seul, le
long développement narratif de Phénix tranche par sa
lenteur avec les morceaux d'éloquence naïve et vigou-
reuse auxquels il est associé. Quant aux paroles empor-
tées d'Achille, elles sont comparables aux plus beaux
passages du Chant de la Querelle, dont elles reprodui-

1. Kayser,Homemche Leipzig,1881,p. SI,et suiv.


Abhandlungen,
IX, S4-a8s=U,139-141.
2. IX,tt-25-7 II, 418-118; La comparaison
•lespassagesmontreclairement V«le poètedu UvreIX est l'imita-
tour.
LIVRE IX 131

sont d'ailleurs exactement les qualités distinctives. Nul


duuto pour nous par conséquent sur l'origine vraiment
homérique do tous ces développements. Mais, chose
inattendue, dès qu'on veut se rendre compte de leurs
rapports exacts avec les autres parties du poème, les
plus sérieuses difficultés surgissent en foule.
Thétis, au premier chant (v. 809-SIO), a demandé à
7eus « d'accorder l'avantage aux Troyons jusqu'à ce
que les Achéens donnent satisfaction à son fils et le
comblent d'honneur »; et c'est ce que Zjus a promis.
Or, ici, cette satisfaction est accordée aussi pleinoment
quo possible. Agamemnon se reconnait coupable (v. 1 15
et suiv.); il s'humilie devant Achille par les offres
mêmes qu'il lui fait faire (v. 260 et suiv.). Les Achéens,
dont Ulysse est l'interprète, s'associent à leur roi et
domandent grâce; ils déclarent qu'ils n'attendent lour
salut que d'Achille et qu'ils sont prêts à l'honorer comme
un dieu (v. 230-31 et 300-303). Djhc tout ce que Thétis
a demandé est réalisé. Si Achille n'est pas satisfait,
c'est affaire à lui; mais Zous est libéré do sa promesse,
et dès lors cette promesse ne peut plus être, semble-t-il,
le moteur principal d'une action épique. Si Zjus con-
tinue à servir les intérêts d'Achille, sa conduite devient
obscure et sans règle. Où s'arrétera-til dans ses com-
plaisances ? Il se met dans la dépendance d'une passion
privée, sans que cette obéissance d'un dieu à un homme
ait désormais de terme naturel c'est Achille qui devra
décider à quel moment Zeus. aura fait pour lui tout ce
qu'il devait.
Du moins, savons-nous nettement ce que veut Achille?
D'après quelques passages du poème, il attend pour
reprendre les armes le moment où les Achéens seront
traqués jusqu'à leurs vaisseaux et où Hector menacera
ceux des Myrmidons (I, 400; IX, 650-53; XVI,
Gl-63).
Cette conception est-elle satisfaisante ? Si Achille veut
132 CHAPITRE 11. ANALYSE DE L'ILIADE

humilier Agamemnon, il semble qu'il y ait plus do ca-


price que do raison dans lo fait do déterminer à l'avance
ce moment précis. La véritable humiliation, c'est l'aveu
déjà fait par le roi qu'il no pout se passer d'Achille
cela ost frappant et positif; lo reste est arbitraire. Mais
peut-être Achille vout-il dire plutôt qu'il ne combattra
quelo jour où il aura personnellement intérêt à lo faire,
pour sa propre défense par conséquent et non pour celle
des Achéens, dont il u'attond rien? Celte attitude so
comprendrait et aurait môme sa beauté; mais elle s'ac-
corde mal avec la prière de Thétis, qui a clairement
subordonn le retour de son fils à uno démarche des
Acltéens, et elle est on contradiction absolue avec la
suite du poème.
Ne parlons pas des passages où l'ambassado est si m.
plement ignorée 1. Mais le commencement du livre XVI
révèle chez lo héros de tout autres sentiments. Là,
Achille, prêt à envoyer Patroclo au combat, lui recom-
mandera do modérer volontairement son succès, « afin
que les Achéens lui rendent sa jeune captive et qu'ils
lui apportent do beaux présents M (XVI, 83). En d'au-
tres termes, il veut obtenir au seizième livre, par un
calcul do politique, précisément ce qui lui est offert au
neuvième dans le poèmo actuel et ce qu'il y refuse avec
un emportement appuyé de serments qui n'admettent
pas de retour. Ces deux scènes ne pouvent appartenir
à an môme plan il en résulte que le livre IX n'a pas

i. XI. 608 NOv6fo>neplfoûvat'è|ià irojaeoOcii


'Ax*'»^» Uaaapl-
vtrac.XHI, 115,oùPoséidonrecommande auxAchéensde se réconci-
lier avecAchille.XVI,71 Tàz« x**ïtiSïovte;iva-JXo-JCnX^aeiotv vs-
xian,tX(toixpekav'AyajUiivcavr,inaetien).
2. Il est impossible,malgrél'opinioncontraire de Bergk(Griecli.,
Uter.,1. 1. p. S9t),de considérerle passagedulivreXVIcommeune
irUerpolaliou».car ce passagetient au développementmêmedo l'i-
dée. Il fautabsolumentqu'Acllillerecommandeà Patroclede ne pas
tr«p b'avanoer-etqu'il motivesa recommandation; en outre, une in-
LIVRE IX 133

pu être fait en vue du récit continu que nous lisons


aujourd'hui. Comment résoudre cette apparente con-
tradiction? Voilà un développement magnifique que
nous attribuons sans hésiter au poète primitif; et nous
lo trouvons en désaccord avec les parties nécessaires
du poème. L'explication la plus simple de ces faits
n'est-elle pas d'admettre que lambassade ne figurait
pas dans la série primitive de chants où l'auteur de la
Querelle développait librement son sujet? Son Achille
voulait à la fois une satisfaction matérielle et une satis-
faction d'amour-propre. Ni l'une ni l'autre ne lui étant
offerte par les Achéens, il pensait l'obtenir de leur re-
connaissance et de leur intérêt en laissant aller Patro-
cle au combat, en leur montrant ainsi qu'ils ne pou-
vaient rien sans lui, mais en évitant de les sauver tout
à fait, jusqu'à ce qu'ils eussent expié volontairement
leur faute. Dans cette conception, il n'y avait pas d'Am-
bassade. Et toutefois, ce sujet de l'ambassade, soit qu'il
fût indiqué déjà par la légende, sait qu'il se présentât
simplement comme possible à l'esprit du poète, était si
séduisant qu'il pût céder à la tentation de le traiter,
après coup, sans trop se soucier de le raccorder exacte-
ment à ses autres chants. Plus tard, on l'aura fait entrer
dans l'Iliade, comme les Adieux d'Hector et d'Androma-
que, au moyen de raccords plus ou moins adroits. Ajou-
tons qu'il a subi probablement soit avant, soit après son
entrée dans le poème, une addition importante, celle
du rôle do Phénix tout entier, qui n'appartenait pas à
la composition primitive

terpolationdoit avoirune raisond'être celle-ciserait injustifiable


puisqu'ellecontreditune des plus remarquablesscènesdu poème.
Quelrhapsodeauraitignorél'Ambassade, si VAmbassadeeù.t appartenu
au récit mêmedontil exposaitune partie?
i. Le discourude Phénixest une longuenarration mythologique
quine répondpas au restede la composition.Ona remarqué(Bergk,
Griech.Hier.,1. 1,p. 395)qu'enparlantdes députés,le poètese sert
134 CHAPITRE II. -ANALYSE DE L'ILIADE

Le livre X ou Dolonie raconte une expédition noc-


turne, qui est censée faite par Ulysse et Diomède dans
le camp troyen pendant la môme nuit, à la suite de
l'ambassade. Ils y massacrent le thraco Rhésos et ses
compagnons, nouvellement arrivés au socours des
Troyens, puis, au retour, ils mettent à mort l'espion
troyen Dolon; d'où le titre de l'épisode. Tout ce livre
était déjà considéré dans l'antiquité comme un morceau
ajouté à l'Iliade primitive la critique moderne s'est
ralliée à peu près unanimement à cette opinion qui
s'impose Rhésos et ses Thraces, qui sont représentés
là comme les principaux auxiliaires des Troyens, ne
sont mentionnés nulle part ailleurs dans l'Iliade; ils
apparaissent et disparaissent tout à coup; il en est de
même du merveilleux attelage dont Diomède s'empare.
D'ailleurs l'action de la Dolonie no peut raisonnable-
ment trouver place dans la nuit déjà si remplie d'évé-
nements où a lieu l'ambassade, et elle ne so rattache
en rien ni à ce qui précède ni à ce qui suit. Enfin par
les caractères de l'invention poétique et du style, ce
livre se distingue profondément des parties anciennes
du poème a. On y remarquera le goût des détails, des
descriptions de costumes, de l'arrangement symétrique
poussé jusqu'à la monotonie. Rien ne ressemble moins
à la grande manière de l'auteur de la Querelle et des
Exploits de Diomède.
constammentdu duel, commesi Ulysseet Ajax étaient seuls en
scène v. 182,183,185,198,196,197,198.
1. Eustathe, p. 785, 41 *a<r\ & ot neAotuA ttjv fatyailav TwStt|v V
'Oiufjpou !6fo mér/fica xal \ir\ lpunakir(rfiftvat toïç [ûptai dj, 'IXt'<8»«,(n&
& ïlummçiito\i t$xiyfiai tic tV aolqatv.
2. Duentzer,DieDoloneia{Bomerische Abhandlungen, Leipzig,1872,
p. 302-325). Nitzschlui-même,le défenseurdéterminéde l'unité
primitivede l'Iliade,eonsidéraUla Doloniecommeune addition.
3. Les final tlprjftiay abondent.Notons,commetrès caractéristi-
que en ce genre, remploi du tout ?v£<« (v. 311,398,447),qui ne se
rencontrenulle part ailleurs ni dansl'Iliade ni dans VOdytsée.
LIVRE XI 135

IV

Après la Dolonie, les choses sont à peu près dans le


mémo état qu'à la fin du Ier livre. A travers ces longs
récits, qui vont du livre II au livre X, la situation n'a
pas sensiblement changé. On peut raccorder sans le
moindre effort la XIe livre au Ier. Ce n'est mémo pas
assez dire en réalité, si nous nous les représentons
comme liés immédiatement l'un à l'autre, non seule-
ment les scènes qui vont suivre n'en souffrent pas,
mais elles y gagnent en valeur morale, parce qu'elles
semblent plus naturelles et plus justifiées.
Que nous met sous les yeux ce XI» livre Une grande
bataille, livrée et perdue par les Achéens. C'est le ma-
tin Éris, envoyée par Zeus, prépare tout pour que la
lutte soit terrible et sanglante. Agamemnon, plein de
confiance et d'ardeur, s'arme pour combattre. Rien de
plus naturel après la querelle du Ier livre, mais rien do
moins vraisemblable après les désastres du VIIIe et l'am-
bassade du IX0 Avant que la bataille s'engage, Zeus
manifeste énergiquement sa volonté et prend la direc-
tion des événements (52-55; 73-83). Enfermés dans leur
palais, les autres dieux s'abstiendront; lui seul conduit
les choses à son gré, en vue do venger Achille, comme
il l'a promis à Thétis. Autant son action était jusqu'a-
lors incertaine et mal combinée, autant elle devient
i. Il y a une véritablecontradictionmoraleentre le début du IX*
livre,qui nous montreAgamemnon accablé,et cettepremièrescène
duXI«,où 11est pleind'espoiret d'assurance.Et pourtant, dans le
poèmeactuel,cesdeuxscènesne sont séparéesqueparune nuit,pen-
daut laquellele refus violentopposapar Achilleaux tentativesde
réconciliationd'Agamemnon a dû acheverde désespérercelui-ci.
130 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE

tout à coup ferme et appropriée. Nouvelle preuve du


rapport étroit de ce chant avec celui de la Querelle.
Une fois faction engagée, les événements marchent
avec une rectitude admirable, qui ne nuit en rien à la
variété du récit. Agamemnon, jouant véritablement ici
bon rôle de chef, se signale avant tous les autres, et ses
exploits ont justement donné à ce récit son titre
('Ayaji^avovo; ipwrife). Zeus prévient Hector de rester
à l'écart tant qu' Agamomnon sera là, et de se tenir prêt
à entrer en scène dès qu'il aura disparu. Donc tout se
fait par son ordre, et, dans la victoire même, nous ne
cessons pas un instant de pressentir la défaite. Delà une
remarquable clarté de composition. Vers le milieu du
jour, Agamemnon est blessé et forcé à la retraite. Alors
les choses changent de face. Hector se précipite dans
la mêlée, « semblable à un coup do von*,violent, qui du
» haut de la montagne tombe sur la sombre mer ». La
résistance des Achéens so partage en trois phases dra-
matiques, dont l'émouvante succession aboutit à la dé-
route finale chacune a son caractère distinct et peut
être désignée par lo nom des héros qui y figurent au
premier rang d'abord Diomedoet Ulysse, puis Ulysse
seul, puis Ménélaset Ajax. Tous sont blessés ou repous-
ses. Ajax, resté le dernier, recule pas à pas; Zous, Ûdèlo
jusqu'au bout à son rôlo, le force enfin à céder, et h
champ do bataille ost ainsi perdu.
Tout co récit, qu« (>.1 [crin mutqualifiait de divin
est ou effet un des plus beaux do l'Iliade; mais ce que
nous (Iovoiihsurtout remarquer, c'est qu'il offre préci.
Momentle» mémo» caractères que le livre I. fordun-
nanco on est J'uiio simplicité oxtréino les évànemeiUx
ti'y développant avec ulmndanco,mutit qu'il y uit un
institut do (timfuHinii; Hiuquoporiiiiiinugit principal y
{*»?«H h 8«H»»!•• •!• »«M»> MéH>ttl
<{IIM {Ml'Ai*!
jUIIIMIIi «l'ttM»
I. ti. Itormami,i^i/so,,V,{i,6%
LIVRE XI 187
cun d'entre eux neae mêle avec celui d'un autre. Mais
ce plan si simple comporte une admirable richesse de
récits partiels. En variant les actions et les sentiments,
le poète suscite en nous à son gré dos impressions aussi
diverses que profondes, qui nous conduisent par un
progrès naturel jusqu'au dénoûmont. Et ce qu'il y a de
plus éminent en lui, c'ost ce que nous avons déjà prin-
cipalement admiré au livre I, à savoir le don de créer
des êtres vivants, de faire parler les passions, de saisir
immédiatement dans chaque situation et pour chaque
pnraonnage lo sentiment vrai, enfin d'attribuer à cha-
quo héros sa physionomie propre sans avoir besoin pour
cela de le décrire. Tout ce qui constitue le
lypo homé-
rique est donc là réuni et s'y manifeste au plus haut
degré.
Ces observations s'appliquent à tout le récit de la ba-
taille, c'est-à-dire à la principale partie du livro XI
(v. i-896); mais ellos ne conviennent en aucune ma-
niôro à ce qui suit (v. 597-iln). Cette Un est on effet un
épisode absolument distinct du récit précédent. Nestor
emmène sur son char Machaon blessé. Achillo les
apor-
çoit do sa tonte, mais comme il no roconnait pas lo
blossé, il envoie Patrocle savoir qui il est. Patrocle vient
dans la tente de Nestor et refuse de
s'y arrêter, allé-
guant l'impatience d'Achille. Cela n'empêche pas Nos^
tor do lui adresser un long discours,
étranger à la cir-
constance. En s'en retournant Patrocle rencontre
Eurypyle blcmsé, et oubliant de plus en plus qu'il est
«ttondusi impatiemment, il rosto nv«c lui. Con'est
qu'au
Kvm XV, lorsque l'action aura marché,
qu'à lit vuu du
désastre dos Achéon» il pensera enfin à revenir voi-a ft
Acliillo. H Btiru auprès do lui ait début du XVI»
livro,
muni (ju'ii y Huit fait iinmiii» mont ion
précis» do m» i«-
•m»'. et là ni l'un ni hwirfl nfi ptnmiiuiil an wntvmiïr
•III pl-fllMi0V|Mtlt.'f(llMi«lMHll00M4»t
VHIMIMS, TtMlt illdilfllO
438 CHAPITRE II. ANALYSE DE L'ILIADE

par conséquent que cet épisode do la commission de


Patroclo a été ajouté après coup et probablement altéré
lui-même par dosadditions postérieures. En tout cas,
il ne saurait être considéré comme une partie inté-
grante du beau récit au quoi il fait suite immédiate dans
YUiade«.

Tout ce qui est compris entre la défaite des Achéens


ot l'intervention de Patrocle (c'est-à-dire les livres XII,
XIII, XIV et la plus grando partiodu livro XV) peut être
considéré soit comme une continuation do ce qui pré-
cède, soit comme une préparation ii\& Palroclie. Cesont
dos chants d'Ages divors et de mérite inégal, au milieu
desquols éclatent dans plusieurs passages dos beautés
de premier ordre, bien que d'ailleurs aucun de ces chants
ne semble avoir fait partie du noyau primitif du poème.
Tout d'abord, l'assaut du mur et la prise du camp
(Tei/ojAx/Ja). Le poète du livre précédent se représen-
tait te camp dos Achéens comme entouré d'un simple
fossé; cela est évident par de nombreux passages Ici
les choses changent, et nous nous trouvons en présttnco
d'un rempart véritable, solidement bftti en pierres, avec
des tours on bois et des parapets; les portes en sont
t. (1. Hormanneutle premierqui ait signaléles difficultésréuni-
tant de e«tt« eomml«»lon &ea
de t'atrocto,et par m» <.b*«rv«tloii»
aujatII a jetAbeaucoupdo lumière leurlot relation»de»partie*<|iii
composantta mllion de VUiade(f'ir interpalatorehimcritw,(tymr.
t. V). – Parmi l«»additions,lit \<\u*a|ipumit« est )« lo»« ruMt<l»
Nualor,peut-Alr«empruntéA ijuoli|u«iinoltueliuuti'|ilim«ttttltmla
«uiiptuiitluud»tiilaeh {Hauctipunk,» iVt»et dullsrtfkiiirituh./"<•
|i, tioi).
3. X|, v. 18,hi, 8», 8H,«M,»«».
LIVRE XII 139

formées par do lourds battants, munis eux-mêmes do


fortos traverses. Ce camp est une place forte; c'est celui
que nous avons vu construire sur les conseils do Nestor à
la findu septième livre, et nous nous expliquons mainte-
nant l'épisode si invraisemblable de cette construction,
quisemblaitoublié; il était indisponsable pour pormeltro
d'introduire dans YIliade le récit d'un assaut. Ce rem-
part merveilleux a été inventé par un poète qui a voulu
donner une suite au récit de la défaite des Achéens
dôsiroux do nouveauté, il a imaginé un assaut. Nous
verrons plus loin que le combat auprès des vaisseaux,
qui forme à la fin du quinzième livro le vrai début do
la Patroctie, est certainement antérieur à l'Assaut. On
avait donc raconté déjà et la porte du champ de bataillo
(XI0 livre) et la lutte furieuse soutonuo ensuite jusque
dans te camp (tin du XV° livre et commencement du
XVI").Quel autre moyen dès lors d'étendre le récit, que
de supposer quelque circonstance intermédiaire? Une
chose semblait môme tout indiquée c'était d'imaginer
que les Trayons avaient été arrêtés tluolquo temps on-
tre les deux phases do leur victoire. Pour les arrêter,
il fallait un obstacle do là, l'invontioti du rempart et
du l'assaut. Le douzième livro est donc uro addition
aux chants primitifs. Mais cette addition no peut-elU;
pas du moins ôtro considérée comme l'œuvre de l'au-
leur môme do ces chants, désireux d'agrandir et de
compléter sa première création? Nous ne lo croyons
I>iiH. L'invention fondainontalo, cotte du rempart, a quoi-
que clio.so d'artificiel, Ce qui distinguo essentiellement
l'ait homérique proprement dit, c'tml la
«implicite **x-
trftniMdm inoymiH, unio h la grandeur do l'wflVt. L'au-
teur du onzième livre n'uuruit cortniiiouH'iit pus «m Imu
Moindo coUo groHH»muiHtnictioii pour «r«w un /iptuudo
•ll'iiiuutiqua il nniiil iim'iiil «MM»*ut jtHUMi<ti(it»)u (i»»{{
ii'iHHifuitoiiiitiit nviu! ralluquo ut In déf»it»n d'un» min
140 GHAPITRB Il. – ANALYSE DE L'IUADE

pie palissade. Le récit est fort beau, cela est vrai; mais
il y a quelque naïveté à posor comme principe que
tout ce qui est beau dans YIliade appartient néces-
sairoment par là même au poète primitif; la vraie
question est do savoir si cela est beau du mémo genre
de beauté que le premier livre ou le onzième. Or il est
difficilede nier quo les narrations du douzième livre ne
dénotent un art plus savant, ot par là même moins
spontané. L'action est plus on dehors des personnages,
elle n'ost pas aussi complètement faito avec leurs pas-
sions, ollo donno plus de place et d'importance aux
événements, et par suite les phasos moralos n'en sont
pas aussi nettemont marquéos. 11faut ajouter que ce
récit introduit le troyen Polydamas comme un person.
nage connu (v. 60), bien quo son rôle appartienne aux
livres suivants, et qu'il met au premier rang Sarpédon
et ses Lycions, qu'on no voit pas (igurordans les chants
les plus anciens du poème
Avec le treizièmo livre, commence un récit d'un ca-
ractèro nouveau, assez apparent encore sous «.'asinter-
polations presque évidentes, récit qui remplit les livros
XIII et XIV, ainsi quo la première partie du livre XV.
Lo camp est forcé. JI soutblc quo l'action devrait se
précipiter; ollo sa ralentit au contraire. Zeus, voyantles
Troyens victorieux et par conséquent la vongouncoqu'il
a promise a Achille ou voie do horéaliser, détourne ses
regards, Il onrésulto quo les événements cossunt d'être
dirigés ot Ilottont au busard. Poséidon, qui était resté
jusqu'ici fort étranger il l'action, qnoiquo ounomi Am
TroyoïiH, prolllo du eo quo Zottaont distrait pour venir
t, Jo ma«lit*
riuitd>«» futuredu rom|wrt.
v, a.aiHurl>trt»ntriiettou
inorA«*u qui ti'«im»«oitHiml«tt>ittilmmItmtl# yti*m« t»i«|«l«<•!
«n
(wutrwtiMiuu»v«Miila*bttbitu&i» tu»i>ly»^muUiiU^ <(«I*i»<M*I*"
lIlNiK
|Mtrll|MU. l(Hl|l«ltt*IlMU»lmi<IAlî
COtllm»Mil*M<llll»M,tlU|i1|IAn'
v1witii
du a¡\UI"(IIHIII\\lRI
11111/11111.
LIVRE XIII 141

au secours des Achéons. Une description pleine d'éclat


et do grandeur nous fait assister à son voyage, assez
inutile d'ailleurs, à travers les mors (v, 10-38), Tantôt
sous les traits do Calchas, tantôt sous ceux d'un person-
nage anonymo, le dieu excite les principaux chefs. A
vrai dire, il s'agite plus qu'iln'agit. Une longue bataille,
extrêmement confuso se déroule devant nous. Mais il
faut subir d'abord un épisode do très médiocre intérêt:
c'est l'entretien aussi languissant qu'inutilo entre Ido-
môtiôoet Poséidon qui a pris maintenant les traits de
Tboas (v. 206-239), puis entre Idoménén et Mérionès
(v. 240-329). Idoménéeet Mérionès du côté dus Achécns,
Kuéoet Déiphobos du côté des Troyens, sont los princi-
[Kiuxbérosducombal: narration toute en épisodes3, sans
progrès sensible jusqu'au moment où Hector, rassem-
blant les sions pour une attaque commune, se porte avec
tout» ta masse des Troyens contre Aja.v, sans que l'osoi-
don, cotte fois, fasse rien pour l'arrêter (v. 723-837).
L'intervention du dieu étant à pou près sans oflut, le
quatorzième livre débute par un conseil des chefs
ncliéuiis, où Againoiniion proposu encore une fois de se
rembarquer. Ulysse, puis Diomèdc, font écarter cette
|ir<)[M>sttion.Tout ce que nous voyons ici rappelle ou ré-
|uMoeu que nous avons déjà vu: c'est un des morceaux
les plus faibli;» de VIliade*, Poséidon rupuruit pour lu

t. Du imtiiiH,iIiiiim]iliiHlaur« du le» partie* 11y en a d'antres fort


liiilli'H(Hiirloiit :mi.«7i'). Ilnu «itiKultàra liié«itlltô ml un do» anruetAroH
il" eut l'iiimu,
t'iml ll'l 1(11.1MUll'IlUVOItIKIllùMlHI|\tnil|ll)U<>ll«lltl illUtlIIIflM|l|UB
iioliihlftHîle VtUml».iti rat dim t>a|t|iUiHoniuitM,l'ylwmàiidH,i|ul a M&
lu» |.if MiiiiiSlm*uu |lvr« V (v, W-'M), mH M m\ \Am\mMin ooi|m
il«i»uulllo luAtioiw ««•*ynHH(V. mitt.(iKU),
• '»ti h vh,i|k viilri tldw» «»Htt r4|iâml<iit wtm, l'iiiîssHitH d« nuu-
'<' i<iifuiiu mulu >ltt itiMii»|utti(ivimlm>i S'iiuirKVitllMt) tutiiMmilu d<>
tt<iiu<:r.ii iuiiùrnû niitr1*,n t*>nt i» m^mn, <\a« ta (.h,'i|«, }<ur lu Imim
iIt" 'l'Auiiiiuniliuii, tiull.iuil i.aHu U|4rit4V4tliiUUHi(Uw|.)(t«4I»'<U
143 CHAPITRE Il. – ANALYSE DE L'ILIADE

quatrième fois sous les traits d'un vieillard inconnu


et il fait lever t'assemblée par une exhortation ardonte.
Au milieu de cos délibérations stériles succédant à des
luttes sans résultat, rion n'avance, Fatigués de ces len-
teurs, nous nous plaignons du sommai! d'Homère, lors-
que tout à coup éclate un brillant et célèbre épisode,
keus trompé (Aio; àfo&m).Hère, sans grande nécessité
réelle, mais pour seconder les dessoins do Poséidon et
détourner l'attention do Zous, vient trouver celui-ci
sur le Gargaron, elle l'enivre de son amour, et, avec
l'aide du Sommeil, elle l'endort. Poséidon, aussitôt pré-
venu, est ainsi misen état d'agir à son gré(v. 153-362),
comme il l'a été déjà au début du livre précédent, mais
plus complètement encore. Il intervient donc pour la
cinquième fois, excite les Acbéons, et lour suggère l'idéo
étrange de faire entre eux un échange d'armures*. Lui-
même marche à leur loto3. Los Troyens plient; Hector,
blessé par Ajax, est emporté par ses compagnons sur
les bords du Scamandro, où il ne reprend connaissance
que difficilement. Pendant ce temps, les Trayons sont
éloignés des vaisseaux, chassés du camp et repoussés
dans la plaine.
Alors Zous se réveillo (XV, 4). Il s'aperçoit de ce qui
se passe, s'irrite et avise à romoUro les choses dans
l'état où elles étaient avant son sommeil. Poséidon,
sommé par lui de se retirer, cède à regret, mais n'ose
résister. Apollon ranime Hector, cl lui-même, se mettant
1. C'estle seulcas dansyIliadeoù undieu prend ainsi uneforme
indéterminée.
».Cetéchange'aeeampllt au milieudela mêlée,enrune«uapensioa
d'arméeelt ImpoMlble,et il n'eneat aucunementquestion.
8. Du moinslu (mitala dit (v. 381-387);
mataIine somblopas que
lo dieuloit vu d'uuauitdes combattant!.Kt dèslor«ia deucrlptloti,
toutebriKaRtequ'olleeut. M rapporteen rJalito a une int»rv«ntn>n
jutfwmMii BuwaW. qu'«aapMrauoadocelleduXIII*li-
<{utus dlUUru
uu
vra,l'oieldan ne |>rimdpanplut qu'auparavantune part elTeoliva
«UMlIlItt.
LIVRE XV J48
n la tète des Troyens, chasse les Achéens vainqueurs,
comble le fossé do leur camp sur un large espace et ren-
verse lo rempart. Tout est donc comme si ce rempart
n'avait jama<a existé, ce qui revient à dire que l'action
se raccorde ici à la situation décrite à la fin du onzième
livre, quand les Acheens, après avoir perdu le champ
do bataille, se réfugiaient auprès de leurs vaisseaux.
Là se termine véritablement l'épisode de l'intorven-
tiun de Poséidon commoncé au début du livre XIII, épi-
sode dont l'artilico d'ilbré forme le centre. Si nous nous
te représentons comme un ensemble, on lo détachant
du reste par la pensée, on no peut nier qu'il ne révèle
mie certaine unité fondamentale do conception; mais,
dans le développement, plusieurs rédactions successives
semblent s'être superposées ou mêlées. Le poète qui en
a conçu la première idée s'ost proposé évidemment do
rattacher son récit à celui du livre XII, dont il accepte
Ics données. Il a voulu introduire dans l'action générale
une péripétie inattendue, soit pour la rendre plus variée,
soit pour que la défaite dos Grecs fût interrompue par
quolquos succès partiels. Ses continuateurs ont enchéri
sur son idée. Malgré les disparates, lour oouvro com-
mune se distingue par certains caractères propres. Les
discours y sont fort abondants et souvent languissants:
ils remplissent un tiers du chant XIII et la moitié du
chant XIV. Le récit est médiocrement conduit'; mais
une imagination très br illante se déploie dans des scènes
isolées, plus descriptives que dramatiques, telle que
l'arrivée do Poséidon (XIII, 10-38), si admirée de Lon-
gin avec raison, Pombrasseinent deZsus et d'Hère sous
li' imago d'or (XIV, v. 340-3X1) ot qiinlquA» tiollott mm-

t. W.UhrltU{ltimlitrarm., l'roleg. p. 41),roiniinjuo,aprd*Hchm-


munit,•iu'autrâta ver*093dulivra Xl et la varaU91dulivre XV.U
ii'!ho|>muadon, »nnfl'A««antdu mur, qui Uhmuvancarl'«ollmiau
<|'i«rt>miU.
<|>»'i
144 CHAPITRE II. – ANALYSE DE L'ILIADE

(XIV, 392 et suiv)1. Les allusions à la légende


paraisons
d'Héraclès 2S0 et suiv.; XV, 23 et auiv.) sont un
(XIV,
curieux à relever, dénoter encore une
indice qui semble
fois l'influence de poésies contemporaines relatives à ce

sujet.
Passons sur deux morceaux de raccord
rapidement
suivent immédiatement. Le premier
(v. 367-591) qui
nous montre, à l'aide de vers généralement
(v. 367414)
Patrocle sortant do la tente d'Eurypylo à la
empruntés,
vue du désastre 'les Achéons et se rendant auprès d'A-
chille; c'est une nouvelle scène ajoutée à l'épisode qui
termine le livre XI, comme pour nous en rappeler lo
souvenir et préparer le rôle de Patrocle au livre XVIS.
c'est
Le second morceau (v. 413-391) est fort supérieur;
un beau récit de combat semble avoir pour but do
qui
remettre exactement encore los choses au point où
plus
les avait laissées le grand récit du livre XI; il est remar-
quable on effet qu'il so termine justement par le même
vers (v. 591, cf. xi, 5»5)*.

t. Hoffmann, Quacaliones Itomerkue, Ulauslhal, 1848, t. II, p. 333


Apparat ejusmodi fuisse bujus poetuo ingeniutu quod luxuriaret in
describoiidia rébus minoribus, quas suunnu cum eiegantiu oxomul,
velut initiam Ubri N et praaclarissimam illaui eomparalionom M 278
et quae leguntur Z384-40(1 at minus aplum fuisse hune pootatn ad ofû-
ciondum clarnm et eoucisum narratiouis progroasuin; pertinent ejuit
carminu ad id genus quod exiuiiu «ingulurmu partium, maxime iniiio-
rum. pulchrituJiuo et vi maj{i« lectoroa deloctat ijuaiu aequebili et
moilesto totlusnarrulioiiiH habilla atque tenore. Le critique croyait
à un autour unique uno étude plus attentive de ces trois livrox
semble avoir prouvé (ii'iflnitiveineut quo c'étuit là uno erreur (Voir
AmoiHflehUe, Appendice da livre XV,p. ilOet milvunt»); mSunmolua,
les reanemblance» «ignalfem «ont n'iolie».
8, l'atruclo, ni pr«»io a ta fin du livre XI, prend loi tout «on tno>|>«,
ut de i-liia 11a complàlomnnt oublia la contiuinniitn dont il ôIhHvliwt'gA
par Aolitlla (aoO-iOij. Voyez mur cm v«r* U«riii(iiiit, Opuif., t. V,
(•. «t.
a. Toutufûia carloluâttfiuntraillGtluuw »'ili« l«t il.Mitll« de na rdoit n»
l<»riualtotil «u*redu croire, tn»ii»u ici.fc «h« lévIttctltiHuiiiquo. Il «»••»
bl<>plitlrtt q»o ta pnétu ait uliH»A les frnuimmi« d'un mwton »*
LIVRE XVI i45

VI

Nous arrivons ainsi à la Patroclie, c'est-à-dire à la


principale péripétie de l'Iliade. Le début de cette partie
du poème est facile à reconnaître à partir du vers 892
du livre XV. Nous trouvons là, on effet, une sorte de
résumé des événements, qui n'a d'autre objet que de
bien déterminer la situation et d'on rappeler les don.
nées essentielles, au commencement d'un récit dont l'in-
térêt en dépend.
Les Troyens, sous la conduite d'Hector, se ruent sur
les vaisseaux. Ajax, que nous retrouvons ici dans le
premier rôle comme à la fin de la partie primitive du
XI0livre, les défend \aillamment. Superbe description
do combat, qui appartient à la plus belle manière ho-
mérique.
Les Acbéons semblent perdus, quand Patrocle intor-
cètlopour eux auprès d'Achille. 11 peint à son ami leur
tiisto situation, telle qu'elle était à la fin du livre Xlo,
ot sans faire la moindre allusion aux événements qui
ont suivi. Malgré le péril extrême, celui-ci refuse de
comhatlro lui-môme, mais il permet à Patrocle do se
revêtir de ses armes et do repousser les Troyens. Il
n'est que temps. Déjà Ajax est refoulé, sa lance est
toisée pur Hector, qui réussit même à mottro le feu a un
v;tissellu. Achille à cette vue presse Patrocle; il fait
nrinttr en hâto ses Myrmidona, et enfin, après une prière
Hiilitiinollo, les envoie au combat. L'arrivée do cette
massa d'hommes on rang* serrés clinugo la face dos
«Imwhh.L'incundio ont éteint, los Troyons soat éloignés

l><mdr»ducoluiqui formaiti>rln)llivomout
IhlinduclmntXI Apar-
!•<«tu»»fshw,
Uni..1» |* Mu, .j», |, 1()
(in,
146 CHAPITRE II. – ANALYSE DK I/ILIADE

des vaisseaux et bientôt forcés de repasser tumultueu-


sement le fossé du camp Rien de plus épique que la
peinture do cette déroute. Une fois le camp délivré,
Patrocle devrait s'arrêter, s'il obéissait à Achille. Mais
il veut achever sa victoire; il coupe la retraite à une par-
tie des fuyards et en fait un grand massacre. Là se
place l'épisode du Combat singulier de Patrocle et de
Sarpédon (v. 419-683), terminé par la mort de Sarpédon
et la fuite des Lyoiens. Ces Lycions du Xanthe semblent
étrangers aux chants primitifs de l'Iliade; il est donc
possible que le récit de ce combat singulier et de ses
suites ait été inséré après coup dans la Patroelie Si
on le laisse de côté, la série naturello des événomonts
n'est pas interrompue. Après avoir massacré les Troyens
dont il a coupé la retraite, Patrocle, tout à fait onivré par
le succès et par le sang, s'élance à la poursuite des autres.
Moment dramatique, puisqu'il décide do sa mort, comme
le poèto l'a fortoment marqué (v. 684 et suivants) En
poursuivant les Troyens, Patrocle atteint Hector dans
la plaine; il tue le conducteur de son char, Kébrionfes,
et une lutte furieuse s'engage autour du cadavre. L'in-
tervention d'Apollon donne la victoire a Hector. Patro-
cle, ù moitié désarmé par le dieu et blessé par Eupbor-

1. L'auteur de la Pativctie ignore le rempart; le camp pour lui est


entouré d'un simple fossé (v. 368. 315-6, 380, 397); oo qui semble prou-
ver que sa composition est antérieure à cette invention. Voilà pour-
quoi l'auteur de la Aàc ànixi\, qui voulait raccorder son œuvre à la foi»
au chant de VAttaut, ou figure le rempart, et à la Patrottit, ou il est
Inconnu, a da le faire détruire par Apollon à la An do «on récit (XV,
361-388).Cette grande et grosse construction disparaît donc aussi mer-
voUleusemeat qu'elle a iilé odlflAo.
2. Un y trouve d'ailleurs doux allusion» au livre XU (v, SI2 et 5.'i$(.
Sur les Lveiena méridionaux et leur rôle dans l'Iliade, voir Christ,
Pmkyiim., | 31. Le récit de la mort de Sar|iédon ont imité de IrA*
liréa do celui <U la mort d'IIoator ait XXII* livre.
8. Le vert* ilKft,oi'i Ion I. y clou» hoiiI nommé», a dn olra léa<\r«nt«nt
Mitxlindaprân l'IiiuBitlim de i'ôpiaoïio iirwimlmu.
LIVRES XVI-XVII U7
bos, est achevé par Hector et meurt en lui prédisant
qu'il sera vengé par Achillo.
La PatrocHe proprement dite est complète dans les
limites de ce récit. Elle se relie tout naturellement aux
parties les plus anciennes du poèmo, c'est-à-dire d'une
part à la Défaite des Achéens (livre XI) qui tient elle-
même au chant do la Querelle et d'autre part à la
Mort d'Hector (livre XXII). Elle présente d'ailleurs les
caractères que nous avons signalés comme propres à
cos chants, la simplicité de l'ordonnance, la clarté do la
progression, le jeu des passions •. Au contraire, olle est
on pleine contradiction avec l'Ambassade et cette con-
tradiction repose sur une conception différente du ca-
ractère d'Achille. Dans l'Ambassade, Achille fait peu de
cas dos satisfactions matérielles qui lui sont offorles
il a été offensé, et il estime quo cotte offense est irré-
parable. Ici, au contraire, sa préoccupation principale
est d'amener les Achéens à composition. S'il permet
à l'atroclo do combattre, ce n'est pas qu'il ait pitié
il'oux, il veut simplement sauver ses propres vaisseaux
(v. 80-82). Du reste, il recommande à son ami do no
pas pousser trop loin sos succès, afin quo les Achéens

1. Toutefois cette liaison n'est pas absolument exacte. Car au Uvre


Xl (v. 84.86) il est midi; et au chant XVI (v. 177), après tant d'événe-
ments intermédiaires, le milieu du jour vient seulement d'être dépassé.
Cela est très cboi{uaQt dans le poème actuel, où tant de choses arrivent
uittro los deux moments ainsi indiqués mais, même en rapprochant
la l'atrocliede la Défaite des Achéens,l'Inexactitude subsisterait encore.
On pont admettre quo le passade du en. XVI Il Hà Interpolé par un
rhapsode qui avatt oublié le chant XI.
ï. U n'y a pas lieu par conséquent de H'arrdter à de très légères par-
ticularité» telle* que l'upostruphe narrative du poète A son héros (v.
-U Tàv ïi î*«p«j«m^uv rposlyr, ll«TpowXêt« tnntO. Cf. v. 58»,G»3,71*
W.Hli>, 84!1|,H peut arriver A uit poéto d'adopter un jour un procédé
•1"en K.uir» tit .l'y renoncer annuité. D'une manière générale, la /'«/.«•
ont lu plu» luiiytit! dm put Huit primitive* do l'IUud*. La pott* y
intorvtAiit plim «(u'ullIoitM; nmU cola peut tenir ù)n Hyiii|mllil« tra*
ma<|u'il Apt.tuvM|t.tnr mou héros et A la trlito rtostiiula du oslul-al.
148 CHAPITRE II. ANALYSE DE L'ILIADE

aient besoin do lui et qu'ils essaient do le Héclur par


des présents (v. 83-86); chose inconcevable, si ces pré-
sents lui ont été déjà offerts et s'il les a formellement
refusés Quant à la relation do la Patroclie avec la
Mort d'Hector, elle est difficile à déterminer. La scène
de la mort de Patrocle rappelle de très près colle de la
mort d'Hector, à laquelle en outre elle fait directement
allusion. On peut se demander on les comparant si la
Patroclie n'a pas été composée après la Mort d'Hector.
Cela n'empêcherait d'ailleurs aucunement qu'elle fut
l'œuvre du même poète et qu'elle ait été comprise par
lui dans la série des chants primitifs qui ont constitué
le noyau de YIliade. C'est là en somme l'opinion la plus
vraisemblable, bien qu'elle ne s'impose pas, nous lu
reconnaissons, ave^uno entière évidence.
Le XVII»livre roule tout entier sur les combats livrés
autour du corps do Patroclo. On conçoit par conséquent
qu'il soit regardé comme indispensable à l'action par
ceux qui voient dans l'Iliade primitive un poème con-
tinu. Patrocle tué, il faut bien, si le récit ne doit subir
aucune interruption, que nous apprenions comment
son corps a été rendu à Achillo. Mais si l'on écarte cette
idée systématique, le jugement sera tout différent. Mal-
gré de beaux passages, lo récit est long, confus ot mo-
notone peu ou point d'invention, pas une situation
vraiment dramatique. C'est un va-et-vient, au milieu
duquel abondent les rémiiiisconces ou les emprunt»
directs, le XIe livre étant particulièrement mis à con-
tribution. Chercher dans cotte composition los parcollu»

t. Il «it vrai que d'imlro part Umv. «l-«:i«nmblimtfiltre allusion 4


ce (|ii'Ar.l.lliaa dit du» mVAmbanmle (IX,OKIMIH'J), Je croit»ij.io l'iillu-
nIoiiont |iur»iu«iilnpparaiite."K»r,vmi v. 01 hIkuIAu« • »">'"BIUH A
««!.»*»(« ». <V<u4 l'âutuur du VAiuluuiulenui n'ont Houvoim<\«<«
|iuhhh(joet (|iit h mU •Un*lit U«mM«tl'Afllilll»)ii«tan.0iitI* }itmi^<> >t<
lui «mil uliriliuétiici.
LIVRE XVIII 149

disporsées d'un récit primitif qui aurait disparu peu à


peu sous les surcharges est une tentative purement t
chimérique. Noua le considérons dans son ensemble
comme un do ces développements tardifs qui sont venus
s'ajouter avec plus ou moins de succès au corps primitif
de l'Iliade. Le dessein principal de son auteur ou de ses
auteurs est d'ailleurs visible on a voulu compléter la
Pntroelie ot préparer certaines parties des chants sui-
vants, qui, à vrai dire, n'avaient aucun besoin de cette
préparation.

VII

Le nom d'Achilléide, qui n'a point de valeur histori-


que. est une dénomination commode, inventée par Lacli-
mann, pour désigner les derniers chants de l'Iliade l
Achille en effet los remplit tout entiers. Par là, ils for-
ment un groupe; mais cela ne veut pas dire qu'ils aient
été créés ensemble, ni qu'ils soient l'œuvre du môme
poète.
Distinguons d'abord dans ce groupe les livres XVIII1
et XIX, qui en forment comme l'introduction.
Lo début du livre XVIII s'offre à nous comme la fin
du récit précédent; mais il est visible qu'il est bien
plutôt le prélude do l'épisode principal qui • suivre,
c'est-à-dire do la Fabrication des armes. Antiloquo ap-
[uirto à Achille la nouvelle de la mort de Patroclo.
Achille est d'abord commo écrasé par la violence de m»
ilouldiir; mm désespoir attira hors des profondeurs do
la m«r Thétis et son cortège do Néréidea. Insontûhln
«uvitoiiNuliUiiuiHot aux «rnintott do m more, lo héros
f.i.iiimmmt
l'appliquât!Aun((«HtiliimiaiiioiU
quirâvuiii)&n«»nrà*
»tu tlMNM XVUUttlii.
»W^ QHAPI5RK «, – A^ALYÔR 1VR t'IUABB
ne songe qu'à venger son ami, et par conséquent il
renonce implicitement à sa uolèro contre lea Achéens
une nouvelle passion prend dans son cœur la place da
l'ancienne. Thétis alors promet à son liU des armes
pour remplacer celles qu'Hector a prises à Patrocle, et
cette promesse est évidemment l'objet principal de la
scène, qui se relie ainsi âtroitoment à tout l'épisode de
la Fabricationdes amies. Quefaut-il d'ailleurs en penser?
L'énumération des Néréides, leur rassemblement dans
la grotto do Thétis, leur arrivée en long cortège auprès
de la tente d'Achille, leurs pleurs, leur départ, tout
cela est d'un goùt plus descriptif quo la vieille poésie
homérique. tin revanche les sentimenta d'Achille sont
peints avec force et grandeur; son désespoir et son dé-
vouomont passionné à l'ami qu'il a perdu noua touchent
profondément; et lorsque, après lo départ do Thétis, il
s'avance au bord du fossé sur l'ordre d'Iris et arrête
par son cri la poursuite des Troyens qui voûtent arra.
cher aux Achéens le corps de Patroclo, l'invention est
saisissante. Aussi a-t-on essayé de dégager dans cette
première partie du dix-huitième livro les éléments an-
ciens des additions postérieures mais cola n'a pu être
fait encore d'une manière satisfaisante, et il parait plus
naturel, quant à présent, do la considérer comme uu
tout, digne de figurer à côté des beaux morceaux du
poème. – Cedébut du XVIIIelivre forme donc un ma-
gnilique commencement de drame, dont Eschyle profi-
tera un jour; mais aussitôt après, l'action se divise
d'une manière fâcheuse; plus d'unité ni de progrès au
lieu d'une construction simple et grande en larges as-
sises, nous avons sous les yeux un agencement ingé.
nieux de petits matériaux. Deux scènes parallèles se
succèdent d'une part ¥ Assembléenocturne des Troycns

t, Voirl'éditiondeW. Christ.
WTwrxvnr l isi
(v. 343-313), où Polydamas consoillo do rentrer dans
Troio, tandis qu'Hector persiste à vouloir attaquer les
vaisseaux dès que lu jour reparaîtra; d'autre part los
Honneursfunèbres rendus pondant la mémo nuit au
oorpsdo I'atroolo par Achille et les Myrmidons(v. 814-
308).L'une et l'autre do ces deux scènes trahissont une
origine récente. La première Bomble avoir été faite
d'après quelques paroles d'Hector au vingt.deuxièmo
livre (v. 100-104);la secondeest un simplecomplément,
assezinutile par lut-màme, mais qui a du sa naissanco
il un besoin do symétrie. 11fallait que les Achéons,
aiinmo los Troyons, tissent quelquo chose pendant cotte
nuit. Épisodes sur épisodes toute la secondo moitié
du XVIII»livro ost romplie par lo récit de la visito do
Thétis à Héphaistos, ot par la bollo description des ar-
mes que lo dieu forgo pour le héros. Dans l'antiquité
ditjù, Zénndote, frappé do voir combien la description
du houclierétait inutile à l'action, la considérait comme
une addition au toxto primitif On a remarqué on ou-
tre quo toute cotte description semble dénoter un son.
timent de l'art plastique plus avancé que celui dont
témoignent les autres parties do l'Iliade* que, com-
paréoaux parties primitives du poème, eilo trahit un
goût moins aévère et un art plus épisodique; qu'on

i. ScoUe
duvers483.
t. Sur la valellr artistique de cette description. voir le chapitre 31 de
l'ouvrage dlielbig sur l'Épopée homérique. L'auteur en a très bien
montré le vrai caractère. Le poète ne décrit pas une œuvre d'art
réelle; il en compose une de sa façon, mais en s'inspirant librement
de ce qu'il a pu voir, particulièrement des vases en métal d'impor-
tation phénicienne ou des imitations grcques de ces vases. Je crois
toutefois que Helbig iui attribue une part d'invention trop grande.
Pour que le poète composât si largement, il (allait, si je ne me trompe,
que l'art plastique eût déjà produit non seulement des scène» iso-
lées, mais des essais de composition, Aproprement parler. Voilà pour-
quoi il me parait impossible d'attribuer à ce morceau un Age très re-
culé.
-te*cnrenTB«^r«-^K»wt*-wt-ii*itii*©«- –
et de «'expri-
croit y sentir déjà les manières de penser
mer qui domineront dans VOdyuée, Tout cela est vrai;
mais en réalité, c'est sans doute l'épisode de Thétis et
entier faut considérer comme
diléphaistos tout qu'il
un complément plus ou moina tardif. H n'est devenu
nécessaire en effet qu'au temps où les chants primitifs
ont été constitués à l'état do poèmo. Il a fallu expli-
de la Mort
quer alors comment Achille, dans le chant
ttfhclor, était rovetu d'armes divinos et cette expli-
cation, que le publio primitif ne demandait pas parco
qu'il la trouvait dana la légendo, on a pris plaisir s la
mettre en forme d'épitiode dans le poèmo lui-môme.
Il n'y a dans tout le dix-neuvième livre qu'une scène
vraiment utile à l'action générale du poèmo c'est cette
de la Réconciliation d Achilleet dt.Agammnon. Tout le
reato est vido ou rempli de détails sans intérêt. Nous
voyons Tliétis intervenir ollo-mômo pour éloigner les
mouches du cadavre de l'atroclo petite besogne pour
une déesse. Puis, après la réconciliation, le temps ao
à
passe discutor si l'on prendra lo repas, oui ou non,
avant de combattre. Sur ce sujet un débat très long n
lieu Ulysse fait tout un discours plein do sentences
généralos finalement, on décide qu'il faut manger pour
mieux combattre. Achillo soul refuse de prendre aucunn
nourriture. En vain on s'efforco de le faire changer
d'avis; il faut qu'Athèné elle-même intervienne pour
le nourrir d'ambroisie à son insu. Rien n'est moins ho-
ces inventions. Ala On seulement, le récit
mérique que
se relève tout à coup, lorsque lo poète nous montre
Achille s'armant, plein de colère, pour aller chercher
i. XXII,r. 316.Il se pourraitbien«oui quece t«p»qui manque
dansquelquesmanuscrits fat une Interpolation. Dansc«cas,l'épi-
«odôdeThôtiset d'IIéphaiatos et dela fabrication desarma serait
tout simplement nue de cesinvention»merveilleuses qui onttté
aux chanta primitifs, l orsque ceux-ci commencèrent ù
surajoutées
paraîtretropsimples.
IJEVSK XIX IW
ot tuor Hector, malgré la prophétie olïrayante do son
oltovalXanthoa doué pour un instant d* la parole. En
si.tumo,le contre de ce livre, c'est la RrconciHation,Ce
morcoau pourrait être regardé comme plus ancien
que
I» reste, à condition d'admettre que le disooura d'Aga-
Miuiiinonait été largement interpolé Maisfaut-il l'at-
trilmor à l'auteur môme de la Querelle Si l'Iliade a été
ditsl'origine un poèmo continu, une seèno do réconci-
liation y était, dit-on, nécessaire, et c'est pourquoi les
partisans de cette opinion considèrent généralomout
toile quo nous possédons comme un débris do la scène
primitive. A vrai dire, cette prétendue nécessité d'une
réconciliationest tout arbitrairo. Achilloa bien
envoyé
l'atrocle au combat sans consulter personne. Rien ne
l'oinuôcherait, ce semblo, d'y courir maintenant de lui-
im'ino avec ses soldats, sans se concertor avec
Aga-
iticinnou. Et en fait, il agira dans les livres suivants
commes'il était soul, et la réconciliation n'aura aucun
t'Ifot appréciablo sur les événements. Il est donc bion
possiblequ'elle n'ait été imaginée qu'on un temps où le
caractère primitif d'Achille s'est adouci et où des mœurs
jtlus délicates ont rendu désirable cet oubli mutuel dos
injures. Mais, en outre, dans la scène mémo do la ré.
conciliation, le personnage d'Acliillon'est certainement
pas celui que nous attendons. On a peine à croire que
l'autour de la Querelle l'eût représenté si apaisé et que
In nouvelle passion puisque c'est elle qui dompte
l'ancienne ne se fût pas exprimée plus fortement
dans son discours. Toute la scène des
présents et des
Hcnnonts,qui suit la réconciliation, est en rapport étroit
avec celle de l'Ambassadedu livre IX. Toutefoisil est
y
1.Il faudraiten retranchertoutela légendedela naissanced'Hé-
raclès(v.91-136). Nousavons tu an livreXVcoo.èlenles lé.
gendesd'Héraelésavaienteudéjà d'influence
sur les iuterpolalioas
d8
l'JJiade.
154 Cn&PITRKII- ANALYSE
DB1,'IUADB
parlé do l'ambassade comme si elle avait eu lieu la veille
(v. IIS et 195), tandis que d'après le poème elle a lieu
vilectivement l'avant-vciUo, Ce détail indique peut-âlro
qu'au moment où la Hécancitiation a été composée,
Ylliuden'était pas encore complètement formée et que
pur suite la chronologio des événements n'y était pan
fixéecommuelle l'olt aujourd'hui.
Nous voici au livre XX; ici commence le combat qui
doit ao torminer par la mort d'Hector. biais au début (v.
1-74),nous aasiatouaà une assemblée générale dos dieux,
qui, sur l'avis du Zeus, se partagent entre les adversai-
res et descendant dans la plaine, où bientôt ils prendront
part aux combats. Ce morceau est visiblement dostiné
à préparer la Théomaehiedu livre suivant, et par consé-
quant ce que noua aurons a dire do l'origino de cet épi-
sode n'appliquera également taces soixante-quatorze
vers. Suivonadoncl'action AchillecliorchoHector Apol-
lon excite contre lui Énée, et do là un combat singulier
qui remplit la plus grande partie du livre (v. 75-382).
Ce récit, a n'on pas douter, est relativement récent. Ou-•
tre qu'il renferme donombreuses imitations, il n'est rien
moins que dramatique; il altoro te caractère d'Achille,
il arrête l'action, et l'abus dos discours y est manifeste.
Notons aussi un emploi du surnaturel bien moins sim-
ple et bien plus éloigné de la vraisemblance que dans
les parties anciennes do l'Iliade1. L'intention do l'au-
tour semble avoir été de grandir le rôle d'Énée, et bien
loin quo la généalogie de ce héros nous fasse l'offeld'une
interpolation, conformément à une opinion assez com-

1.Voirau t. 335dequellemanièrePoséidon sauveÉuée.– CbrUI.


Mali*carmiiia.Proie»,p. 27 AoneaecertamencnmAchilleIllepi-
diMimum etexlaciniisallorumcarminura,atqueeU*mejuadem 11-
= 132-433)
bri (801-208 miteraeontutum,si quodadditamentumIlit-
die.divinoHomerlioganioindigoumest. ut vertHomerum, si hoi
quoquo v enuefeciasoi.
iluruiîUtièô e
âlcsr«sr tc.
LIVR8S XX ET XX! tW
ni une, nous serions plutôt tenté d'y voir la raison d'e-
tro de tout l'épisode. II n'y a en somtno que la Ondo
eu vingtième livre (v. 381-503)qui puisse sembler au
premier «bordappartenir au récit primitif. Le pocle nous
y montre Achille chassant devant lui lafouledes Troyons
qu'il massacre et rencontrant enlin puur lit première
fois Hector, qui est dérobé à sos coups par Apollon, Mai»
ilaua co morceau mémo, le principat épisode, c'est-u-
direle combat d'Achille et d'Hector, est fait d'imitations,
et il en est do mémo de la doscriptirm finale qui nous
fuitvoir le char d'Achille écrasant les mortset tout rougi
dus&ug.tËnoutre, le Merveilleux y présente le même
caractère d'invraisemblance inutile et d'exagération que
dansle morcoau precédoul1. Nous serions porté a croire
en conséquence que cette partie du récit a été ajoutée
au combat d' Achilloet d'Éuoo comme introduction aux
scènes suivantes.
Lu Combatpris du //etiue (livre XXI)fait suite en oflbt
d'une manière immédiate à cotte description. Achille
porteç>ot là le carnage sur les bords du Xantho otdans
lu lit mémo du flouve. Il tuo le Thracu
Astéropào. Le
Jlouvoalors s'irrite contre lui, ut commeAchillole brave,
il cltorchoà l'engloutir soussos eaux soulevées*.Achillo
fuit; le Xanthe lo poursuit; bientôt mémo, il appello à
sonaide le Simoïs: les deux fleuves débordent, inondent
la plaine, roulent les cadavres et les armes. Achillo
pé-
rirait sans l'assistance des dieux; mais Héphaistos, sur
l'ordre d'Hère, vientà son secours. Ses feux dessèchent
les eaux débordées. L'embrasement arrète l'inondation
1.Le traitlancépar Hectorest détournépar le souffled'Athèné,
tandisqu'au V livre,c'étaitavecla mainque ladéesseécartaitde
Diouiede la lanced'Art»(t. 853);et de plusle Irait ainsidétourné
revienten arriéreà son point de départ(v.437-U1). Ceaontlà des
indices d'ungoûttortdifférent.
*• H y a plusieurs difficultés sérieuses dans cette
b!.>Avoir Mi rem:mi6:. partie, qui sent-
156 OH&PITHK Il. AKALYSB DK L'ILUBX
et la rofoulo. Enfin le Xanlho demande grâce, et tout
t>'apaise.Rien n'est plus célèbre que ce récit: c'est l'œu-
vre d'un poète d'un» grande et brillante imaginatiuu,
en qui les qualités dramatiques s'unissent aux qualités
descriptives d'uno manière remarquable mais si l'on
veut y trouver lo caractère homérique, il faut changer lu
sens do ce mot, Ce qui caractérise essentiellement l'art
homérique, toi qu'il nous ost apparu déjà dans le chant
de la Querelle, dans les Exploits d'Agamenmon,dans la
Patroclie, et ailleurs, c'est, noua l'avons dit, la grandeur
del'elfet associéeà l'extrême simplicité dea moyona.Or,
dana la lutte d'Achille et du Xanthe, c'est le contraire
qui nous frappe. l/olfol est grand, mais il est obtenu
par doa moyens extraordinaires. Faire sortir un fleuve
de son lit, puis, comme ai cola mêmo était insuffisant, en
appeler un second à son aide, déchaîner un incendie à
travers une plaine et nous la monlror tout entière eu
feu, mettre on lutte doux éléments, en un mot boule-
verser tout pour un seul homme qu'une simple vaguo
suffisait à engloutir, c'est le fait d'un poète à qui rien
no coûte, pourvu qu'il étonne et qu'il effraye. A ce mor-
ceau succède l'épisode appelé proprement Combatdes
dieux (v. 383*585),qui ost rejeté preaquo unanimement
par la critique. Sana raison, les dieux des partia enne-
mis se provoquent deux à deux, et ces défis n'aboutissent
qu'à des échangos de paroles ou à des rencontres qui
semblent à peine sérieuses. Nulle part, on peut le dire,
l'interpolation n'est plus évidente que là. En comparant
ce morceau au précédent, il semble naturel do penser
qu'il a dû être composé antérieurement et que le com-
bat d'IIéphaistos et du Xantbo est simplement un bril-
lant épisode ajouté après coup à la pauvre Théomaehie
qui existait déjà; à moins que cello-ci au contraire n'ait
été composée pour encadrer cet épisode.
Immédiatement après lecombat des dieux, commence
h+~
UVREXXII 157
(au vers 836) lu sublime récit de la Mort Jllcctor
qui
comprend, avec la fin de ce livre, le livro suivant tout
entier. Tandis que lesTroyonsôperdus rentrent en
fuule
par les portes de la ville, ouvertes aux fuyards sur l'or-
dre do Friara, une ruse d'Apollon
éloiguo pour un ina-
titut Achille qui t'attache à la poursuite d'un vain fun-
lonut. Hector, seul entre los Troyons, s'aricio mi
pied
.Immwi, et l'attend (t. XXII, S). En vain, du haut du
ivmpui, son père et sa mbra lo supplient tour à tuur
il» rentrer: il reste sourd à lours appels
déchirants, dé-
«idAù combattre. Mais voici qu'Acliillo para», et soudain
»w frayeur irrésistible le saisit. H fuit,
poursuivi
mn adversaire, et le poote noua fait assister toutes par les
émotions du cette course ardonte dont la vio d'Hector «si
hsiijou. Rien de plus beau dans tuut lo poômo. Zeus
abniidoniio lu malhuuroux Hueturasa destinée: ulors
Aihftné arrête Achille, puis ollo vient
auprès d'Hector
sous les traits do son froro
Ueipholn» et lui prauaile
<lotenir lôteà celui qui lo poursuit. Los deux
ennemis
S.111Idonc faco à face. Le combat
s'engage. Hector, trahi
par lus dieux, est vaincu «t tombe, lu gorgo peroiio, mais
vivant encore II prie Achille do rospocter du moins sou
«urps, du lo rondre aux siens après sa mort; Achille,
impitoyable, achève le vaincu on l'insultant, et Hector
meurt, non sans prédire à son cruel vainqueur
aussi tombora bientôt. Aussitôt, que lui
pondant que les Achéeiis
so réjouissent en chantant le péan autour du cadavre
du leur terrible ennemi, le poète,
par un contraste aussi
simple qu'émouvant, nous montre la douleur navrante
«lu vieux Priam, cello
d'Hécube, et surtout le désespoir
et loslamentations loucliantesd'Andromaquo». La beauté

1. On admetgénéralementaujourd'huique ces lamentations


•».grossiespar lVuMilioi> ont
d'uneaorte de lieucommunsur le sort de
l'orphelin,morceau«.ntentieuxet d'ailleursfort intéressant,maisqui
..0posaitpan (ivuroir,« rapporterau lilsd'Ilector.
158 CHAPITRE H- – ÀrUL*8K DK L'ILIADE
et la
incomparable do co long récit est dans la vérité
force dos sontimonta, dans la variété des péripéties qui
naissent sans apprêt de la auito naturollo des événe-
ments, dans I» manière puissante dont le poète fait va.
loir les granùoa situations dramatiques et marque les
le
phases principales de l'action. C'osl le chant plus pa-
thétique de VIHade,et il n'en est aucun qui porto à un
distinctifs des
plus haut degré les caractères parties pri-
mitives. Commedans te chant de la Querelle, te poète »«
contente du plus petit nombre possible de personnages
il lui suffit de deux hommes qu'il met face à face pour
lo drame le plus
composer et dérouler sous noa yeux
émouvant et le plus rempli •. Corécit do laMort<t Hector
est visiblemonllo noyau des derniers chants, et les par-
ties suivantes, c'est-à-dire la iln du poème, do même que
les parties précédentes, semblent y avoir été ajoutées
postérieurement. éten-
Le XXU1* livro se compose do doux morceaux
dus. Le premier (v. 1-250) est le récit des funéraillos
Ce qui manque lo plus à ce récit, c'est la
de Patrocle.
lo caractère essentiellement
grundour, par conséquent
Tout y est décrit avec convenance, los son-
homérique.
timonls comme les actions, sans que lo poèto toute-
«'oublier lui-même, ni s'élever au.
fois semble jamais
do «on art. Le court du message d'Iris
dessus épisode

1 Les quelque» allusions, nulles ou apparente», qui, dans te XXII'


livre, ae rapportent &diverses parties de l'Iliade, ne prouvent rien
contre l'antériorité de ce chant. Les ven 48-52ont pu étre introduite
après coup, lorsque Vlliade fat complète, pour rappeler la mort de
et de Polydore; mais il ne me parait pas impossible non plus
Lycaon au-
qu'ici comme ailleurs l'allusion apparente ait précédé le passage
se lui ait donné naissance. Il en est de
quel elle parait rapporter et
même de* vers 100-103,qat comblent viaer la Mène da XVIII» livra
où figure Polydamas; cette scène, dans le récit où elle est interca-
lée, ne tient A rien; n'est-il p88 vraisemblable qu'elle a été faite âpre*
semblent aujourd'hui
«m»^ d'après las vers de la Horl d'Hector qui
destinés à la rappeler?
uv«* xxm «9^
auprès dos vents, qui tardent à venir allumer la flamme
du bûcher de Patrocle, est
caractéristique do cotte ma-
nière; la poésie n'y sort pas naturellement des
mais l'autour s'efforce do les orner chuses
pour les rendre poé-
tiques. Au récit des funémillos proprement dites fait
suite colui des jeux funèbres célébrés
par Achille on
l'honneur de Patrocle (v.
257:897). Ce second morceau
du X\II- livre a été jugé par
quolquos critiques très
supôneur au premier «. Il renferme en offet do réelles
Imnutôsdans sa première partie, mais l'ordonnance
non est rien moins que satisfaisante, Le nous dé-
crit successivement huit jeux différonts, puète est
L'attention se fatigue, «l il en a tollomontcoqui trop.
conscionce
lui-même,qu'il sent biontôt le besoin do se hâter La »
course des chars eat seule racontée en
détail, avec
d'ingénieuses péripéties qui la rendent très
Mai»,ensuite, lu narratour passe rapidement dramatique
sur le pu.
gilat,lalulto, la courao à pied, le combat singulior, lo
jou dit disque, lo tir à l'arc et lo concours dujavelot 1.
Amidésir d'abréger ost particulièrement sensible
lo léett do la lutte, dont il éludo la dornièro dans
partie au
moyend'un artifice Achillodonne des prix égaux aux
doux rivaux, Ajax et
Ulysso, et metfin à tour combat
« altti que d'autres Achéens
puissent aussi concourir »
(v.737). Cotte préoccupation d'ôtro
de sacrifierles complot au risque
n rien assurémentéléments dramatiquesdu développement
d'homériqueJ.
t. Bergk, Grieçh. Hier., 1. 1, 639.
p.
2. il,°8î,i *ral8emW»We trois
que de ces jeux, le comtat singulier,
le jeu du disque, le tir à l'are, ont été ajoutés après
des deux pasMge8 où Achille coup. Cela résulte
(v. 621-623) et Nestor (v. 634-640) ne
monlioDnent que cinq jeux (Lachmann, Betraehl..
p. 80. et Leli» De
i'iuaT" tff hOme>iC' p. *24)- M8ls cette addition
critique subsiste et n'est presque pas atténuée. aupprimée, la
3. Je n'insiste pas ici sur d'autres
arguments l'on donne ordi-
nairement pour prouver que cette description desque
jeux est moins an-
cumneque les parties primitives de l'/fi«fc.On fait
remarquer par exem-
tffiT~ CHAPITRE 1T. -» AHALY9B PB L'1UÀP<

L'objot du vîngt-quatrièmo livre, qui termine l'Iliade,


c'est le Rachat dit corps d Hector fExwjo; Xvcp*). Les
dioux prennent d'Hector de sépulture. Zeus
pitié privé
fait venir Thèlis et la charge de préparer Achille à ren-
dre le corps ttu son ennemi vaincu. De son côté, il en-
voiolris au vieux Priant pour lo décider à allor lui-mémo
demander à Achillo le cadavre de son (ils. Priam part
la nuit, malgré les prières d'Hécubo. Grâce à l'assis-
tance d'Hermès qui viont à lui, sans se laisser recunnai.
tro, il pénètre dans le camp dos Crocs et arrive jusqu'à
la toute d'Achille, H se jette à ses pieds, et dans une
scène adinirublo réussit à le fléchir. Tout est boau dans
co récit justement célèbre. Achille fait laver le corps
d'Hjctor ot donne à Priant l'hospitalité sous sa tente.
Mais avant le jour, Priam, sous la conduite dilermfcs,
le et rentre dans Troie. Là, il assemble
qiiillo camp
tout lo peuple pour pleurer le glorieux guerrier toinM
sous tes coups d'Achille. Au iniliou des fouîmes, Andro-
Uécube, HJlèno se répandent successiveiuoul
maque,
en plaintes touchantes t. La forme symétrique de ces

pie que los héros qui prennent part aux joux, Agituiemnon sont et Diomé>k
notamment, out été bloaaés tout récemment et qu'ils «o depuis
lors abatenus du combat à plus forte raison doivent-ils être burs d'e-
tat do se mêler aux jeux. Ce sont la dos raisons do stricte vraisem-
blance qui ont. je crois, peu de valeur en tout état du cause, et qui n'eu
auraient aucune et ce chant avait été originairement indépendant,
bien que rattaché A la série. Ce qui eat plus significatif, c'est le roto
important d'Ëuméle, fils d'Admète, et d'Êpéios, constructeur du che-
val de bois, tous deux inconnu dans l'Iliade. saut dans le Catahgtf-
t. On a considéré ces plaintes comme une addition postérieur*!
(Selbel, Die Klag* «m Hector, p. 37 et suiv. Cf. Christ, Protegom., p
87). Rien ne me parait moins vraisemblable. Nécessaires la propor-
tion du développement, elles sont parfaitement dans le ton général
du XXIV» livre. On dit que les aêdes ou chanteurs spéciaux des fu-
nérailles sont qualifiés d'i(£pxou; (Y. 161), et que néanmoins, à propos
d'Andromaque, d'Héeabe. d'Hélène, noua voyons employés les ver-
bes t,nt (v. 753). éRpxe (v. 747), tïfy>x«encore (v. 731), ce qui impliqtw
contradiction. L'objection me semble de peu de valeur. Les aèdes do
profession peuveut commencer par une plainte générale, un threne,
LIVRExuv 161
plaintes, qu'on a exagérée en voulant les réduire en
strophes est remarquable et heureusement appro-
priée à la monotonie naturelle de ladouleur. On célèbre
les funérailles d'Hector, et c'est par cette scène d'une
noble triatesase que s'achève le poème.
Govingt-quatrième livre constitue un ensemble dont
l'unité no parait pas douteuse. La scène entre Priam et
Achilleon est le centro; ce qui précède on forme l'in-
troduction, et ce qui suit on est le dénoùment naturel.
Il y a quelque lentour dans la première partie et los
pursonnagosy sont faiblement caractérisés, mais tout
lu livre plait par la délicatesse et la douceur dos senti-
monts, et lorsque le poète mot Priam en présence d'A-
chille, il atteint sans effort au pathétique le plus su.
Mime.Malgré cela, il parait difficile de l'identifier avec
l'autour du viugt-douxièmo chant et des parties les
plus anciennes do l'Iliade. On a remarqué souvont
combienlo rôle d'Ilormès, insignifiant dans le reste du
poème et considérable au contraire dans l'Odyssée,
prend d'importance dans ce récit du Rachat d'Hector.
C'ust là une observation qui a sa valeur, bien qu'après
tout cette innovation ne soit pas absolument inexplica-
ble, même dansl'hypothèso d'un poète unique. Maislos
indices tirés des caractères littéraires nous semblent
plus décisifs. Le ton général est plus voisin de celui
do l'Odysséeque de celui des parties anciennes do 17-
liade. De nombreuses oxpressions sont même emprun-
tées à tello ou telle partie de ce poème D'ailleurs tout
auquelrêpondlecri de douleurdes femmes;puischacunedes pa-
renteslesplusrapprochées commence à son-tour
unelamentation
par-
ticulière,
à laquellerépondencorelemêmecri({niai <mvix<mo
fuval-
«c).Lesdeuxchosesne«'excluent pas.
1.Kœchly, Optoc. phU., II, p. 65.
2. Christ. Wad. carm., Prêt, p. S*. It fout tain le travail de
rap-
prochement soi-méme, à l'aide des renvois notés an bas des pages.
poar constater combSôn ce XXIV* livre eat iésllewéiil wiaiu <1«VO-
duate.
Hial.
d« I» Lilt. Onoqm. – T. I. Ht
les CHAPITRB II. – ANALYSE DK L'ILUDB

ce qui précèdo l'action principale, o'ost -à-direla scène


du conseil des dieux et la partie du récit relative à
Thétis, révèle un imitateur, qui, à vrai dire, semble
môme un pou embarrassé do ses personnagos et ne
réussit que médiocrement à leur donner un rôle digne
d'eux 1.L'idée du vingt, quatrième livre a dû naître du
passage du vingt-deuxième, ouPriam gémit sur la mort
de son Dis et annonce, dans son désespoir, l'intention
d'aller redemander son corps à Achille. Un poète d'un
noblo talent a développé cotte donnée ot en a fait le
dénoùment du poème. Moinsoriginal et moine puissant
que l'auteur des chants primitifs, il a su s'inspirer dos
exemples de, son grand devancier et emprunter quel-
quo chose dosa poésie, on y mêlant ce qu'il y avait dans
sa propre nature de plus délicat et de plus tendre.

VIII t

Résumons-nous. Da l'analyse qui précède ressortent


certaines observations essentielles dont nous aurons
à tenir compte on expliquant la formation de l'Iliade.
Voiciles principales
1° Un petit nombro seulement de parties du poème
sont primitives et portent la marque d'une origine
commune.
2° Si l'on détache ces parties de celles qui les entou-
rent aujourd'hui, on remarque immédiatement que
d'entre elles – et ce sont les principa-
quelques-unes
sans former un poème continu, constituent du
le^
1. Noter aussi les différences de versification. Christ, Melrik d.
Grieehen und BBtner, 2» éd.. p. 166 Dass aueb zwiseben den einsel-
nen Gesangen des Homer ein grosser Unterachied in der Knnst des
Versbaues waltet, wird sien jedem leieht ergeben, der nur einmal die
malodiseses Ver» der M3«« nnd der Jlpe&fe mit den ungelenken
Rhythmen der Afcpa "Extopos verglicben hat.
CONCLUSIONS V$&
moins une série do chants liés par l'ordre dos événe-
ments et par le développement d'une même situation.
Cosont la Querelle (1. I), tes Exploits dAgamemnon
ou la Défaite du Achéem (1. XI), la Patroelie (1. XVI avec
quolquo8partiesadjaccntos),etla Mort d Hector (I. XXII).
Ces chants sont de telle nature qu'ils pouvaiont être
récités isolément, sans qu'il manquât rien d'ossentiel
aux auditeurs, los événements intermédiaires étant ou
superflus, ou suffisamment expliqués par quelques vers
d'introduction qui ont disparu plus tard, ou enfin connus
par la légonde. A coté do ces chants, s'en trouvent
quelques autres, qui leur rossoinblent plus ou moins et
qui no leur sont pas tous inférieurs on mérite, mais dont
la placo dans la série n'est pas aussi nettement mar-
quée par la nécessité même du développement drama-
tique. Cesont ha Exploits de Diomède (1. V), les Adieux
dllector et dAndromaque (fin du livre VI), l'Ambassade
(livre IX sous sa forme primitive), et peut-être encore
quelques autres morceaux (comme par exemple los belles
parties du livre It, la scène d'Hector chez Paris au
livre VI, etc.), sur l'origine desquols il est difficile do se
prononcer aujourd'hui.
3° Les autres parties du poème sont presque certai-
nement dues à divers poètes. Elles ont été ajoutéos plus
vardaux chants primitifs, les unes à titre de libre déve-
loppement, les autres comme pièces de raccord, mais
toutes, à quelques très rares exceptions près, ont été
spécialement composées pour tenir la place qu'elles
occupent.
C'est sur ces données résultant de l'étude mêmo du
poème qu'il faut essayer maintenant de fonder une ex-
plicati on historique de sa formation.
CHAPITRE III

FORMATION DE l/lLIADB

SOMMAIRE
I. Opinion traditionnelle sur l'unité primitive de l'Iliade. Objections
préliminaires. Invraisemblance d'une grande composition au temps
où est né le poème. – Il. Discussion des systèmes d'unité primi-
tive. Ntlisoh et Oftried Muller. III. L'SUadt considérée comme
un assemblage de petits poèmes indépendants. Wolf. Dugas-Mont-
bel. Lachmann. Réfutation de cette manière de Toir. IV. Systè-
mes Intermédiaires. Wolf, God. Hermann. Hypothèse de Urote.
Quignlaut et Koeouly – V. Vérité probable. Le premier noyau de
l'Iliade. Chanll liés en série et chants annexes. VI. Chante de
développement. – VII. Chante de raccord.

L'antiquité somblo ne s'être fait qu'une idée assez


vague de la composition des poèmes homériques. Elle
les étudiait et les admirait sous leur forme traditionnelle
plutôt qu'elle no s'interrogeait méthodiquement sur leur
origine. Une opinion fort répandue, comme nous le ver-
rons plus loin, attribuait au tyran d'Athènes, Pisistrate,
la constitution définitive de ces poèmes. On admettait
donc qu'auparavant, pendant une période de temps plus
ou moins longue, ils avaient dû être dans un état mal
défini, qu'on qualifiait de dispersion Mais cette opi.
1. Êpigr.ane.(Aneed. grattade ViiloiKon,
t. II, p. 183) EtropàSr.v
rt *pW4«86|uvov. Cic,deOral.,III, 34Homerilibros eonfosos an-
tea. Élien,Uist.var., XIII,U Ta 'O^povtin)«pinpovtnpnv^
~8avat1!Z)~B9!.
RÊPL8XK>N9
PRÉLIMINAIRES t«ft
nion, autant que nous pouvons en juger, n'impliquait
on aucune façon qu'on ne crut pas à leur unité primi-
tive. Les grands critiques alexandrins, Aristarquo on
particulier, ponsaiont que des éléments étrangers a'é-
Iniontmêlés diversement à la poésie authentique d'Ho-
mère. Par là mémo, ils attestaient leur croyance en un
poètedo co nom, auteur dol'Iliade ainsi que de l'Odyssée;
et le soin qu'ils prenaiont d'effacer ou d'expliquer les
contradictionsou les divergencesentre les parties de son
iiMivrosupposéo témoigne que, dans leur pensée, cotto
œuvre était uno composition continue et compléta, dont
l'unité première no leur paraissait pas douteuse.
Cottemanière de voir peut doncêtre considérée d'une
façon générale comme colle do l'antiquité. Ello a passé
dosanciens aux modernes par tradition; et coux-cil'ont
reçue d'autant plus aisément qu'elle répondait à l'as-
pect extérieur des poèmes aussi bien qu'à lours propres
habitudes littéraires. Composer un ouvrage, fût-ce un
poèmoépique, d'après un plan arrêté d'avance, devait
sombler chose toute naturelle dans un temps où per-
sonne n'aurait songé à procéder autrement. En outre,
jusqu'à la On du xvni*sièclo, la plupart dos scolies an-
ciennes étant ignorées, on no se faisait pas une idée
exactedosdifficultésaperçues par los anciens eux-mômes
et de l'incertitude do leur tradition relativement à ces
poèmes.
On a vu dans le chapitre précédent combien cette
croyancedogmatiqueet traditionnelle àl'unité primitive
do l'Iliade est inconciliable avec l'étudo attentive et
comparéedes diverses parties du poème. Mais indépen-
damment des innombrables objections de détail qu'elle
soulève, on peut la combattre aussi par certains argu-
ments généraux, que nous devons mentionner icià titre
d'observationspréliminaires. Cesarguments ont été pro.
duits pour la première fois d'une manière vraiment mé-
i«6 CHAPITRE III, FORMATION DK I/iLIADK

thodiquo et savanto par Fr.-Aug. Wolf dans aes célèbres


Prolégomènes,publiés on 4795. Cent cet ouvrage qui a
posé pour 10 monda savant lus quo&lianshomériques
Bien que les idées de Wolfaient été depuis lors réfutées
en partie, nous croyons que co qui en reste est asso*
important et assois vigouraux pnur mériter réltuxion.
Wolf s'était proposa principalement d'établir que l'é.
crituro était inconnue, ou du moins hora d'usage, au
temps uù fut composée ï'Hiade*; et commeun aussi long
travail do composition lui semblait impossible sans le
secours do cet art auxiliaire, il concluait do là ou lais.
sait concluro à sos lectours que lo poème actuel était un
simple assemblago de morceaux anciolls rapprochés les
une des autres par l'industrie des arrangours do Pisis.
tralo. La critiquo, depuis un siècle, a considérable mont
affaibli la partie CHsontiollode sa démonstration. D'une
part, ollo a fait voir combien il «Huithasardeux de fixer
une limito préciso Ala puissance de la mémoire, tin étu-
diant chez divers peuples et ondivors temps les produc-
tions do la poôsio épique primitive, on a recueilli dos
exemplos qui no permettent pas do douter qu'en l'ub-
sencodo l'écriture certains hommes heurouseniont doués
et spécialement exercés ne puissent composeret retenir
un nombre de vers presque prodigieux. D'autre part,
on a dû reconnaître quo la date de l'introduction do l'é-
criture on Grèceétait fort incertaine; et on somme, on
ne saurait affirmer que les aèdes homériques, pourvus
d'une instruction particulière on raison de leur profes-
sion mémo, n'aient pas été en état soit d'écrire cou-
1.Lire.dansla Revue
desDeux-Mondtidu1"mars1)118, unarticle
deM.GalUBky sur Wolf.Un y trouveà la foisd'intéressants
ren-
seignementsbiographiesei un exponA critiquede ui idéessur
Homère.
2. Il avait été préeélé dans cette démonstration par Robert Wood,
.auteur du remarquable Suai tur le génie original d'Homère (en anglais.
Londres. 1769), traduit en français par Uemeunler, l'aris, tuï.
R&FLKXIONS PRÉLIMIIUIIUCS 107
raniment, soit du moins d'aider lour mémoire par un
système de signes. deux siècles peut-être avant lacoin-
•lioneomontdes Olympiades*. Mai*m l'un ne dégage de
codébat obscur où les conjectures ont trop de part, voici
un fait qui subsiste et qui a unu importance capitale.
Quandmême on admettrait quo YIliadea pu être écrit»
dos l'originaou partiellement notée–- ce qui après tout
rtuto douloux, il est bien certain du nuùna qu'elle
n'a pas été faite pour être luo. Orc'est la le point capital,
f/m-riltire, pendant longtemps, n'a Itu étro chez les Grecs
qu'un moyon mnémoniquu: il n'y avait ni livres à pro-
prement parler ni feeteurtt. Cela suffit pour qu'il soit
certainement difficile do concevoirco que l'auteur d'un
si long poème aurait bien pu se proposer.
Pour assigner à son itnmonso travail un but raison-

1. ICnnégligeant l«» traditions fabuleuses des Oroca tur l'origine


ilo leur écriture, dont ils attribuaient l'inrentloti ou l'introduction
soit à Orphée, soit à Marie, soit A Liiiot, Mit t I>aUm«de, on ne peut
laisser ontiéranent de côU le lûmxittmgo d'Ilârotloto (V. 58-80). D'a-
pri» cet historien. les lotiras pliôuldeanes auraient étA Impotl.icH en
(Irico par Cadmoi. puis inodillAa» pou Apou dans leur form» les Io-
nions ho ton seraient approprie» Wn prmnlors «t en auraient fait
usage pour Oorlre sur des peaux préparéoii. Lus plus anciennes las-
erlptiuns grecques connues sont celles de Thâra quelques-unes
(i'eulro olles semblent remonter ait ix< siècle, ou tout ou moins & la
promlère moitié du vin»; olles «ont donc antérieures aux Olympia-
des. 11est clair que l'écritunt elle-même doit être notablement plut
ancienne en Grèce que ces vieux monuments des inscriptions n'ont
de raison d'être qu'autant que la connaissance de l'art d'écrire est
déjà assez répandue. D'ailleurs l'alphabet de Tbéra. bton que IWs
voisin du prototype phénicien, en diffère cependant d'une manière sen-
sible; et ces différences ne s'oxpliqueralent pas sans un assez long
usage antérieur et an oubli plus ou moins prolongé du modèle. Il est
donc probable qu'en effet, comme le dit le vieil historien. c'est bien au
premier établissement des Phéniciens en Grèce, et particulièrement a
la colonie cadmèaune de la Béolie, que doit élr« rapportée l'introduc-
tion de l'alphabet parmi les populations Cf. Lenormant,
art. Atphabelum dans le Lict. des Antiquitésgrecques.
de Daremberg et Saglio.
Consulter aussi Nilzsch. De Uistoi ia Bomeri, faacicul. prior, et Bergk,
Gnen. der gricchuctt. Hier., t. I, p. W5.
tW QHAPtTRJt IÏÎ. – FORMATION DK LÏLIAD8

nable, on doit imaginer de grando. récitations eonli-


nuo», analoguesà reliait qui avaient lieu pluslard à Allié-
nn aux fêtes des Panathénées.Il fallait des occasionsdo
ee genre pour que,le poème pot ne produire dans non en.
tier; et s'il n'avait du être livré au publie quo partielle,
ment, la constructionlaborieuso d'un si vaste onaomblo
était auporfluu. Mais ce»grandes récitations, ai néccssai*
ren à l'hypothèse do l'unité primitive, nous ne les voyons
mentionnées nulle part. VOdysuk, qui met en scène des
afcdos, avec l'intention manifeste do montrer leur art
dans toutu m splendeur, ne connalt rien de somblablu.
Et quand ces récitations apparaiasont dans l'histoire,
ellos nouHsont présentées comme une innovation dont
on fait honneur soit à Sulon, suit un OUdo Pisistrate1.
La croyanceà l'unité primitive de l'Iliade implique donc
tout d'abord une hypollioso,qui, loin de s'appuyer sur
des témoignages anciens, ost en désaccordavec ceux qui
noua sont parvonus.
Il faut ajouter quo cotte hypotlriso est loin d'être sa-
tisfaisante en <Ilo-mômn.Qu'on y réfléchisse en olfot.
Comment ces grandcs récitations ont-elles pu nattro q
La seulo manière vraiseinblablod'on expliquer l'origine,
c'est d'admettre qu'odes se sont organisées pou a peu à
mesure que lo besoin s'en est fait sentir; et ce besoin
a dn résultor tout naturellement do la formation do ces
groupes do chants que nou?.avons signalés les récita.
tions ont grandi on même tomps quo ces groupes eux-
mêmes grandissaient; cola est aisé à concevoir et con-
forme à la nature dos choses. Mais si l'on reconnait
qu'antérieurement à l'Iliade il n'y avait que des chants
de pou d'étendue, et si l'on suppose que la principale
t. Dlog.Laërc«,Solon,il. Pg. Pitton,Hipparque, •«.328,B
'ittxjpxu–%C sà 'O(i^po'j Ix{|»mv«tetr,vfyvtavtipixoi\
ImjKp&To;
^v^xatratoi; jei^tjiBoù; « ûnoXr^lu',
IlavaOr.vatoi; i;ttf,«aùràItiivsi.
~rr.!gvcir~r a%~rr~er.
TRÏrWHCÎCfa* Fft&MMiNÀinKS 1U
innovation homérique a été précisément do créer un
|iooim»proprement dit, il faut admettre du même coup
que lu* grandes récitations n'oxistaieut pus avaut
l'Hùid*;ce qui revient à dire quo l'auteur de oo poèmo,
eule composant, aurait ou 911vue da l'approprier a des
usages emuiro inconnus et de so placer on dolmrs dea
camlitiuusqui étaient alors imposées à la poésie, 11au-
rait fuit à dessein une oeuvre dont le mérite prupru no
pouvaitétro apprécié quo dans dos circonstances tout
a fait uouvolloset en somme fort incertaines, puisqu'il
s'agissait do modifierpuur los produire les habitudes du
publie. On ne peut nier qu'il u'y ait là tout au moins
uiiograve invraisomblanco.
Ktcette invraisomblanco paraîtra saosdouto plus forte
encore pour peu qu'on veuillodonner quelqua attention
à corlainoM oonséquoncos nécessaires do l'hypothèse tra.
ililitinnolli'.Si l'Iliade est l'œuvro d'un poète unique dé*
voloppant un plan arrêté d'avance, ou bienil a composé
sonumvro tout entière avant do la donner au public,
ou hitm il on a réoitv los divorans parties isoléniont à
niKSuroqu'ollos étaiunt achovéos. Examinons ces doux
façonsdifférentes de concevoir les choses.
Si l'on admet quo l'œuvro a été faite d'un snul jet pour
être livrée intégralemant au public dans une do cas
grandes récitations supposées, tout d'abord on rond plus
inexplicablesencore lescontradictions intimes dupoème,
la inarcho flottante de l'action, les lenteurs du dévolop-
limitent; mais, ce qui est plus grave peut-être, c'est
qu'on est condamné alors à se représenter le poète
commeadonné, pendant un temps nécessairement fort
long,à un travail do méditation solitaire et silencieuse,
qui contraste étrangement avec les habitudes d'esprit
decet âge encore primitif. Nous voyons dans l'Odyssée
les aèdes préférer toujours la dernière légende, la plus
Rouvello,et la prendra enquoIqHOMirUtaiimilimimAniA
170 CIUPITHK 111. – FORMATION DB L'ILIADK

do son succès pour en faire le sujet de leur poésie Cela


donne l'idée d'une aorte do concours incessant entra
toua ces hommes de talent pour apporter à leurs audi-
teur» quelque cltoae qui n'eut pas encore été dit. Con-
cevrait-on, dans un tel milieu, un poète laissant vieillir
à dessein la nouveauté enlro sos mains et se taisant
plusieurs années ou vue d'un succès aussi incertain
qu'éloigné? N'est-eo pas dénaturer cette poésie vivantu
et toute voisinodo Mmprovisation que do la supposer
si tente à éclore, si studieuse et ai maîtresse d'elle
mémodans ses longs calculs! Et los nécessités mémo
de la vie et do la profession d'aède, telles qu'on peut
les deviner, permettent-elles cotte supposition?
Dirons-nous,pour échappor à ces difficultés, que le
poète a dû donner au public tea parties de son œuvre
à mesure qu'elles étaient acltovéos? Dans quul ordre
ponso-t-on quo ces parties du poème aient été ainsi
composées et récitées pur leurs autours? Celui qu'olles
occupent aujourd'hui est-il aussi celui do lour publica.
tion? VIliade se refuse il cette hypothèse; qui voudrait
croire par exemple quo le second livre qui n'altoutit a
rien, et tant d'autre» qui sont dans le mémo cas, ont
pu être récités à l'origine sans tes grands épisodes sui-
vants *? Il faut donc admettre que le poète a donné
les principales parties de son œuvre au public avant
les autres. Maissi l'on va jusque-là, quollo nécessité
désormais do lui attribuer la composition du poème

1. o&h* I, v. 351.
2. Pour serrer de prés cette hypothèse, tout un développement m-
rait nécessaire nous non* bornons Ici A Indiquer l'idée. Qu'on ne
nous oppose pas lea romans modernes publié en feuilletons. Leurs
auteurs n'ont pas affaire à un public rassemblé par hasard pour un
banquet ou uno fêle; quand il y a suspension, chacun des lecteurs
sait qu'il aura la suite à échéance fixe; au contraire, l'aéde grec n'é-
tait jsnsei" s*r de prtrwsw \m f»*w«<»wulIlMira. La régularité mo-
derne change ici les conditions du tout au tout.
RÊFLKX10N8 PRÉLIMINAIRES 17!
ciunplolt Les grands épisodes ao suffisaient à ouxwnc»
iiuH. puisqu'ils ont pu être récités isolément. Pourquoi
vouloir à tout prix quo les autres. qui sont de simples
eouiplémonts, soient nés de liwnèniopensée.olorsmômo
qu'ils s'y rattucliont mai et qu'ils portent la marque
d'il ne origino différante?
Une autre raison qui poussait Wolf à mettre on doute
l'unité primitive do {'Iliade, c'est quo les Grecs, selon
lui, ii'avaionl appria que tardtvomont à oonslruiro un
(•usDiublo,II lui paraissait impossible qu'à une époque
tris rorulôe, un liommo, mémo supérieur, eût pu
ogon-
cor los parties d'une aussi vaste cunstruction poétique.
Smiscotlo forme, l'affirmation a évidemment quelque
chose d'arbitraire. Maia on nous invitant à réfléchir a
l'urt do la composition dans {'Iliade, elle nous mot sur
la vnio d'observations peut-être décisives.
Assurément la plupart dos scènes du poèmo sont liées
les unes aux autres, mais «lies losont souvent si logèrc-
mciit qu'olles nous laissont oublier, lorsquo nous los li-
sons, Inur rotation avec l'onsomblo. Voici par exemple lo
cinquième livro, les Exploits de Diomède. C'est un dos
beaux «pisodes du pobmo. Songeons- nous, on l'admi-
rant, à l'action généralo ot on particulier à la vengeance
il'Acliillo, quo cos succès semblent éloigner indéfini-
ment? Y smigoons-nous au sixième livro, lorsquo Hec-
tor est rentré dans Troio,
lorsqu'il adresse à sa femme
et it son enfant ces adieux touchants? Ces scènes nous
occupent tout ontiers; elles sont quelque chose d'indé-
pendant; olles nous détournent et nous retiennent. Le
même caractère est frappant dans toute l'lliade. Les
épisodes s'y insèrent et se développent avec une liberté
qui équivaut à un véritable oubli do l'ensemble. Mais
si nous examinons chacune des
parties du poème en
elliMiiôme, nous ne trouvons plus rien de cette fagon de
composer flottante et capricieuse, partout du moins où
178 CHAPITRK 111. – FORMATION DE L'IMADK
le caractère homérique est lo plus nettement marqua.
Les grandes soènoasont conduites avec une rectitude
et une simplicité parfaitement conformes a toutes los
habitudes de l'esprit grec. Bien loin de so plairo aux
détours, le poète les néglige parfois plus que nous
no lo voudrions. Lorsqu'il noua raconte la querelle d'A.
gamomnon et d'Achille, il est tout entier à cette que-
relle, seul et unique sujet do son récit, et il ne nous
parle ui dos émotions dos assistants ni du liou où les
chosesae passent la poste même, qui pendant neuf
jours dévaste le camp, est indiquée sommairement,
mais non décrite. Nous sontons un esprit attaché à une
aoule grande idéo, qui no voit rien au delà ni à côté.
La même netteté précise, la même rapidité, la mémo
manière de dégager le principal des accessoires nous
frappe dans le récit du combat final entre Achilleot
Hector au vingt-deuxième livre pas un mot des té-
moins ni do leurs sontimonts pondant toute la narra-
tion proprement dite pas un détour, pas un arrêt;
il n'y a pour le poète et pour nous que doux hom-
mes on présence, l'un déjà vainqueur, l'autro qui
retarde sa mort plutôt qu'il ne défend sa vie; l'action
tend à son dénoùment par une auito do progrès rapi-
des, on droite ligne. Voilà ce qui apparaît clairement
dans toutes los grandes scènes de l'Iliade. Il y a donc
un contraste frappant entre l'art do composer qui se
révèle dans les parties considérées isolément et celui
qu'on cherche dans l'ensemble. Autant l'un eat rapide,
star de lui-même el de son dessein, habile à se passer
d'épisodes et à trouver dans le sujet même l'abondanco
et la variété, autant l'autre est lent, incertain, accou-

quelesparentset les
t. Cesilenceest d'autantplusremarquable
amisd'Hectoraontcernésassisteraucombatdu hautdesmarsd'I-
Uoa.et. qu'ayantle combat,Priamet Hécubeontcherchéà obtenir
deleurfilsqu'ilrentrùtdansla ville.
SY8T&MKDR L'UNITÉ PRIMITIVE 178
lumâ à s'égarer et à suppléer par do petits artifices à
l'absence des grandes lignes. En présence d'une diver-
sitéaussi profonde, on est on droit de dire que cet doux
manièresdo faire n'ont pas pu'se rencontrer simultané*
mont chei un même homme, parce qu'elles sont oon-
tradictoires; et par conséquent l'autourdes grandespur-
tioa du poème ne peut pas être onmême temps l'auteur
do l'onsomblo.S'il avait conçu un tout, quolquo gran-
diosequ'il fat, il l'aurait conçu nécessairenuMil selon
ses habitudes d'esprit. Il ne l'a pas fait pareo qu'on ne
pouvaitpas le fairo de son temps, et nous en revenons
uiiisià la formule mémo de Wolf, justifiée par l'obsor.
vatiun, à savoir que les Grecsont appris plus tard sou.
loniontà construire do grands ensembles.
Cusont là les réflexions générales et préliminaires
qui nous paraissent pouvoir être opposées tout d'abord
à l'opinion traditionnelle. Mais pour la discuter d'un»
mnmoroplus précise et plus offleaco,il faut la considé-
rer dans les systèmes modernes qui lui ont donné une
forumscientifique

II

Deux de ces systèmes méritent d'être


particulièrement
étudiés do près: ce sont ceux de Nilzsch et d'Otfried
Millier1. Us représentent ensemble le plus remarquable

I. Nous choisissons Ici Nilzsch elOtf. HOlIer, non Maternent à


cause
de leur notoriété» mais parce que chacun d'eus nous offre une théorie
lMedans toutes au parties. Il a paru d'ailleurs, en faveur de l'unité
primitive, bien d'autres travaux, dont quelques-uns sont fort dignes
d'attention. Nom citerons particulièrement de M. Havet,
De Origine et xmitaU poemalum homericorum. l'ouvrage
Paria. 1M3. C'est un re-
marquable morceau de ariifyM •» point 4« rta naHsJre, plutôt mrtae
discussion détaillée. M. Havet se contente d'expliquer, à titre d'exem-
Ï7Ï aiUPlTWS III. – KORMATIOS ÛB L'ILIADE

clîorl do la critique moderne en faveur de l'opinion tru


(UtionneUo,légèrement amondéo.
Les idéo» do NtUsch soutenues avoo loa roaaourcea
d'une érudition considérable mais singulièrement suit-
lilo et confuse, ont du tour importance à co qu'elles cous-
(Huaient une réaction soiontiltque contro la tentative
do Wolf. liombre, d'après Niltsch, aurait composé {'Iliade
à pou près tulle quo nous la lisons, sauf quelquos inter-

polations duos aux rhapsodes; danscotto grando œuvre,


il aurait mis largement à profit maiuto composition an-
tûriouro où duminait déjà l'idûe d'un doasoin do Z»us
défavorable aux Achôons; maison les faisant entrer dans
aun poemo, il les aurait appropriées a son intention pur-
Himnollo, qui était du représenter la colère d'Achille
d'abord funeste aux Achéons, puis plus fatale encore à
Ini-inomo, ot enfin s'apaisant par l'oirot dos supplications
do Prium1. Tout naturellement cet Hoinèro ainsi conçu

plat, quelques-unes des contradictions nlgnalées dans VIliade. Depuis


lors, la critique antiunilairo a singulièrement forlifiA sa* poeilioas.
Mentionnons, parmi les travaux plus rAconU, la dUMrlation très sub-
Hlanltelle de Raumlelo [l'tiiUtlogui, t. VII); t'ouvrage de R. Volkraann,
GetcAt~·btsund lfrilik der tVol/kchen Profeg.mona su Homtr, Leipzig,
«87»; la» Vindiciat earminum Homericorum ai E. Buohholx. Leiptlg,
1885; l'Élude surClliadt d'Homère i« Bougot, farl». 1888; eoBa la sé-
rie d'articles que NI. Jules (Ururd a donnée au Journal de, savanlt à
propos de la 1" édition du présent ouvrage.
1. Voyo* surtout De haloria Uumtri marimeque de tetiptorum car-
minumaetale meletemata (l« fuse, Hanovre, 1830; 2- fase., Hanovre
1831); Die Sagenpotiie dur Griechen, Leipzig, 1852. – II y a peu de lec-
tures plus pénibles; et en ce qui concerne ce dernier ouvrage particu-
lièrement, on a le droit de te demander, apresjaroir la, si réellement
il peut se lire. M. Qalusky écrivait à propos de Nitzwh en 1848dans
l'article sur Wolf cité plus haut « Ses compatriote. même commen-
cent à se laeser de la barbarie de son langage et du désordre de 888
pensées. » S'il en était ainsi alors, je penae qoe la publication de ce
gros volume a dê tea en dégoûter dofinitiToment. En tout eaa, on peot
répondre du étrangers.
2. De M$lor. Bomeri. p. 112 (faac. prior) Ergo ut dicam quod mihi
none muIt" probalor, Bomeram interpretor eum, qui ex varlis an-
tiquiorum carmlotbus, quao de rebut Trojanls (uerint minora, mai-
SYSTEMS OK L'UNITÉ PRIMITIVE 175
avait dû vivro lorsque la poésie épique touchait déjà au
(ormedo sa floraison, puisqu'on somme il avait plutôt
arrangé selon sa conception personnelle loisinventions
«lesautres, qu'il n'avait inventé par lui-même. Aussi
NiUaclile supposait-il peu antérieur aux Olympiados,
et il arrivait ainsi à rendre assez vraisemblable qu'il
eût employél'éorituro, choseindispensable pour ce vaste
travail do raccordement et do combinaison réfléchie.Son
Ilomèrodevenait donc >,n poèto presque savant, un lit-
térateur plutôt qu'un aède, qui avait composéindustriou-
smiuintun vaste récit épique à l'aide de la vieille poé.
aio, nu moment où celle-ci allait disparaître. Si l'on se
ropurtoà l'analyse qui romplit notre précédent chapitre,
les points les plus Caiblosdo ce systèmo apparaissent
d'nux-mèmes.Tout d'abord il repose sur l'idée fort cnn.
lostubloque l'lliade so ramène tout entière au dévolop-
pomoiitdu caractère d'Achillo'; nous avons vu combien
lu réalité répondait pou à cette manière do voir. Doplus
il supposequo toute.»les parties du poàmo, ou du moins
unlion nombre d'entre olles,ont été accommodéesaprès
coupà la concoption unitaire, tandis qu'en leç étudiant
do|irôson so convainc au contraire qu'olles ont été pres.
qu(!toutes composéos pour tenir précisément la place
qu'elles occupent aujourd'hui. L'hypothèso do Nitzsch
impliqueraitun travail de réparation et d'appropriation
vraimont prodigieux, et il doviont alors inconcevable
lumprofecerit,et quiUiadtm,
quaeanteadeJovIbBouA$fuisse»,
con-
formaveritin hancquamlogimusde ira AchUlis,primumGraecis
gravi,deindem Ipsumverteate,doneePriamimaximeadmonitiono,
la temporantiarahumanaeque sortiaconsciemiamvocatur.In hoc
carminéplurimaex antlquloribus
retentasuapieor.
I. Même ouvrage (tasc. poaterior). eh. V lixadem vero viderat (Aris-
totele»)eam iwlli Trojani condicionem habere, qnae a primia irae
eausia profeeta, omnibus ejns effeetibna exhausiis, in AchUlis animo
ad humanitatem revooalo compositoque Hectoris fnnere consisterai,
'.luol non ita dicimus. quasi \ehillis ira iruil omnibus qaae per Ilia-
dis projjressnm eveaiunt, at subesl tamen.
176 CHAPITRE IJI. FORMATION DE L'ILIADE

qu'un poêled'un esprit aussi puissant se soit donné tant


de peine pour rasaomblor et combiner des morceauxde
mérite fort inégal, au lieu de développer librement par
lui-même le thème nouveau dont il était l'autour. Con.
cevoir le premier la pensée si remarquable d'un dévu.
loppomont moral tiré d'un caractère, et se servir pour
ce développement de matériaux anciens manifestement
impropres à cet objet, c'est là, au point de vue littéraire,
une chose contraire à toutes les lois de l'esprit humain.
La théorio que nous combattons pourrait, en somme, se
formuler ainsi: un génie novateur, d'une hardiesse et
d'une grandeur incomparables, so mottant au servicede
toutes les médiocrités passées pour les faire valoir géné.
reusoment.
Otfried Millier, un des esprits qui dans notre siècle
ont fait lo plus d'honneur à l'Allemagne savante, avait
un trop vif sentiment de la vérité morale et poétique
pour accepter une telle hypothèse. S'il défend, lui aussi,
dans son Histoirede la littérature grecque1, l'unité pri-
mitive do l'Iliade, il la conçoit en réalité d'une manière
toute différente. SonBomèro n'est pas, comme celui de
Nitzsch, un poète doublé d'un arrangeur qui économise
adroitement sa peine et son génie, c'est tout simplement
un poète. Il l'imagine se servant sans doute des œuvres
antérieures, mais s'en servant librement, non pas en
les insérant telles quelles dans sa composition, mais en
l'enrichissant à propos par d'houreux emprunts oud'in-
telligentes imitations. La grande idée de ce poète, pour
OtfriedMillier, c'est d'avoir conçu comme sujet possible
d'un poème épique une série de péripéties purement
morales qui prédominent dans son œuvre sur les évé-
noments eux-mêmes. Rien de mieux que cette façon de
comprendre Homère lorsqu'on la considère abstraite-
4.Chap.V.
SYSTÈME DÉ I/UNITÈ PRIMITIVE 177

mont et en ollo-inèmo; mais, dès qu'on l'étudié sur le


potMno,elle cesso d'être satisfaisante.
Non seulement on eifet les quelques interpolations ad-
mises par Otfried Millier no suffisent pas à
expliquer les
nombreuses différences de manière et les inégalités de
talont que nous avons signalées; mais, ce qui est bien
plus grave, la contexture générale du poème est en
désaccord avec l'idée fondamentale qu'il attribue à son
autour « Sans doute, dit-il, uno vieille légende, bien
» antérieure h Homèro, racontait déjà comment Hector
» [lérit par la main d'Achille pour avoir tué Patroclo et
» comment le (ils do Thétis n'était point venu au secours
» du moiUour de ses amis, parce que, irrité contre les
» lirocs qui lui avaient fait affront, il no
prenait plus
» part à leurs combats. C'est le changement qui
se passe
» dans le cœur d'Achille et qui le transforme d'ennemi
» dus Grecs en ennemi des Troyens, que le poète choisit
» comme le point culminant do son poème, comme le
» moment décisif do l'action ontière. » Cette manière
de voir est la conséquence logique de la conception d'Ot-
frioil Millier. Si en offut lo dévoloppement du caractère
d'Achille a été la raison d'être de l'Iliade, il semble né-
cessaire que le point culminant du poème soit le chan-
gement essentiel de ce caractère. Cela devrait être, mais
cela n'est pas; et il n'y a que la force d'une idée
pré-
conçue qui ait pu tromper sur ce point l'esprit si judi-
cieux d'OtfriedMûller. En réalité, les livres XVIII et XIX,
qui nous montrent précisément Achille passant d'un
sentiment au sentiment contraire, bien loin d'être,
comme il le laisse entendre sans oser insister, les
y plus
beaux ou les plus importants du poème, sont au contraire
du nombre de ceux
qui présentent le moins les caractè-
res homériques. Et si l'on en exclut tout ce
qui est épi-
sodique, tout ce qui a pu être ajouté après coup, pour
considérer seulement la crise morale à
proprement par-
ant, de
la Ull. Grecque. – T. I. 122
m ÇHAKTRÇ «I. FOBMAIION DE L'itlAOS

1er, c'est-à-dire le message d'Antiloquo et l'entrevue


d'Achille avec sa mère au début du dix-huitièmo livre,
ou encore !a réconciliation au dix-neuvième, il est cer-
tainement impossible d'attribuer à ces morceaux la va.
lour exceptionnelle que leur prête Otfried MQllor.Le
message d'Antiloque et l'ontrovue d'Achilleavec samèrea
sont do bellos scènes, mais elles n'ont pas l'ampleur
qu'elles devraient avoir nécessairement si l'hypothèse
ou question était vraie. Je remarque en particulier que
le poète n'a pas tiré du personnage de Thétis ce qu'on
aurait été on droit d'en attendre dans une scène capi-
tale; elle exprime do nouveau des sentiments déjà ex.
primés par elle, mais elle ne tente rien pour changer
lu résolution do son fils; et par suite la passion nouvelle
de celui-ci,fautedo contradiction, n'éclate pas avec toute
la force qu'elle devrait avoir, étant admis que toute la
suite du poèmo on dépend. C'est donc altérer la physio.
nomio vraie de l'Iliade que de vouloir y découvrir un
plan dramatique aussi fortement conçu. En réalité, les
grandes scènes morales sont celles de la Querelle, do
l'Ambassade, de la Mort d'Hector; et on a peine à croire
qu'un poète, qui a été capable de créer do telles choses,
eût produit la médiocre Réconciliation que nous avons,
si, dès le début, ses regards avaient été fixéssur ce mo-
ment décisifde l'action, et si tout son récit eût été mé-
nagé, comme le voudrait Otfricd Millier, en vue de cette
scène unique.
Écartons donc le système de l'unité primitive que
ses plua éminents défenseurs n'ont pas pu mettre en
accord' avec l'observation impartiale du poème et
considérons à présent le système opposé.
i. Voir i ce sujet H. Bonitz, Ueber den Urtprung der homer. Gediehtt,
5* édit., Vienne, 1881. Grâce aux notes, cette dissertation est une vé-
ritable revue des questions homériques.
SYSTÈME DES CHANTS INDÈPENDANTS 179

III
« Dès le xvi* siècle, Soaligor doutait do l'unité des
» compositions homériques A la Un du xva*, d'Au-
» hignao ot Porrault attaquent sur ee point l'opinion
» vulgairo avec plus d'audaco que de bon sons s. Verss
» le. même temps, Bentley tranche la question on trois
» lignes. La Alotte, on 1714, n'est pas éloigné dos
» mêmes doutes. Voltaire, que l'on rencontro partout
moù il faut douter, et même où il no faut pas douter,
» écrit avec insouciance dans son Essai sur h poème
» épique: « Quand Homèro composa l'Iliade (suppose
» qu'il soit l'autour de tout cet ouvrage), il ne fit quo
» mettre en vers une partie do l'histoire et des fables
» doson tomps. » Le fondateur do la philosophio de
» l'histoiro, Vico, par uno sorte d'intuition savanto
» dont sos dovanciers ne coivont pas lui ôtor le mérite,
» car il les connaissait à peine de nom, découvre quo
» lo véritable Homèro n'est autre chose quo la Grèce
» héroïque racontant sos exploits3 il reconnaît volon-
» tiors autant d'Homères qu'il y avait de villes groc-
» quos se disputant l'honneur d'avoir produit le poèmo
» do YIliadeet de l'Odyssée*. »

t. J.-G. Scaliger, Poétique, eh. V, p. li, et eb. XLI, p. 450 (édition


de 1561).
2. Perrault, Parallèle des ancien et des modernes, Paris, 1688. D'Au-
bignac, Conjectures académiques ou dissertations sur FIliade, Paris,
171S.
3. Prineipi di Seiema Nuova. Napoli, 1125 (le livre III est intitulé
Della diseoverta del vero Omero). « Vico, dit Dugas Montbe., est le
premier qui ait compris que les poésies homériques n'étaient pas aeu-
lement une œuvre littéraire, que c'était la poésie d'une époque, la voix
de tout un peuple, en un mot l'énergique expression de la civilisation
héroïque de la Grèce et l'Ionie. » {Hist. des poésies homtriq,, en tète
de la traduction de l'Iliade, p. lxxvii).
4. Egger, Mémoiresde littérature ancienne, p. 74.
180 GHAP1TRB
111- FQBMAT1OH
Bl .iAfiUBft.
Bien que Wolf,incidemment au moins, ait laissé de.
viner dos opinions assez différentes dont noua par.
lerons plus loin, il est tliflicilode no pas le considérer
comme le véritable patron do co système, qui décom-
pose l'Iliade primitive on une foule do petits poèmes
distincts. L'idée qu'on emporte des Prolégomènes, c'osl
quo l'Iliade et VOdysséesont un ossomblago du mor-
ceaux originairomonl distincts, qui ont été créés sépa-
rément par les Iloméridea et réunis plus tard un un
corps par les soins de Pisislrato. En négligeant dV>-
tudier et d'indiquer tout d'abord ce quo cotto multi-
plicité primitive, qu'il entrevoyait, devait contonir
d'unité pour être concovablo, Wolf a ouvert la porte h
toutes los hypothèses hasardeuses qui ne pouvaient
manquer do se produire.
Elles ont trouvé leur expression princi["\lo en Franco
dans l'llistoire des poésieshomériques que Dugas-Mont-
bol a jointe à sa traduction de l'Iliade Là, l'unité
primitivo est niée hardimonl. 1.'autour, plein dos idées
do Wolf et do Vico, se représente les chants qui ont
plus tard formé l'lliade, comme naissant spontanément
à la suite des événements qui on sont l'objet. « A poinc
» dix ans s'étaient écoulés depuis la chute d'Uion,
» écrit-il, quo déjà dans les palais dos rois on chantait
» chaque jour tout ce quo publiait la renommée sur
» les triomphes et tes infortunes dos Grecs. Ce fut
» dans cette contrée do l'Asie Mineure, qui dans la
» suite reçut le nom d'tonie, quo cos poèmes prirent
» naissance co fut là qu'on chanta d'abord la valeur
» d'Achille, do Diomède,des deux Ajax, la puissance
» d'Agamemnon, le courage d'ilector et la noble dou-

1.Éditionde l'Iliade,testeettraductionenregard,9 vol.in-8»,«828-


1834;l'Histoire
despoésieshomériques ut à la findel'ouvrage.Ellea
été réimprimée en têtedela mêmetraduction, publiéechezDidoteu
12vol.in.t.
SYSTÈME DfiS CHANTS INDÉPENDANTS 181
.1leur du vieux Priant, » Do là, dans la ponséo do
l'uuteur, autant du récita poétiques dintincU et untièru-
uiitnl indépendants los uns des uulro»; et «et récits.
swlon lui, seraient dovonus plus tard Vlfiadc, grâco à
un travail d'élimination, d'addition, do juxtaposition
ut do racoord, qui aurait été quol«|uu pou ébauché déjà
|iur les rhapsodes, plus sérieuse mont coinmouué par
Solo», mais réellement entrepris ut achové par Pisis-
truto. l.o véritable Itomèro, puur Ougus-Munlliol, go
rûsulvait dune on une imittitudo do chaiitoui'H, et il
«sprintait cotto idée on s'uppropriunt une phrase do
Vicie « Si los peuples de la Urèut- ont tant discuté sur
Illu patrio dilotuoro, si prosque tous le voulurent puur
» leur concitoyen. c'est que les pouplos grecs furont
u eux innmo» cet Homère. »
l.o systèmo du Dugus-Montuel, malgré les romarquos
du détail quo l'autour a soméos dans sos notes pour lo
confirmer, no s'appuyait pas sur uno analyse cumpl6to
ui sur uno comparaison très attentive dos parties du
pufane. C'étaient surtout des vues générales, qui s'au-
turisuiont des témoignages anciens, relatifs au travail
do Pisislrate otà l'état do dispersion primitif dos poèmes
houiériquos. Les recherches précises autant que hur-
dios de Karl Lachmann vinrent donner à cos hypo-
thèses une force toute nouvelle.
Dans deux mémoires, lus devant l'Àcadémio des
sciences de Borlin, le 7 décembre 1837 et le H mars
I8il Lachmann soumettait toute l'Iliade à uno étude
minutieuse destinée à montrer la diversité d'origine de
ses parties. A vrai dire, il ne se prononçait nulle
part
très nettement sur les relations premières de cos
par-
i. Lea deux mémoiresde Lachmannont été réunienous le litre
«ommnnde um (Uacinh UDer Homera
Ilias et publiésavec quelquea
additionspar na disciplede l'auteur,Moritz H«Hn».Berlin 3*Mi-
lion,1876.
18* «HÀ PITRE 111. – FORMATION DK 1/1 LU DE
ttos entre elles, et il est «lifiloilapar suite do diro eum»
mont il «o représentait la fur mution du poème at'tut<l.
Maialaisser eontplètoinenl de coté, comme il le faisait.
l'unité primitive, quelque opinion qu'il en eût, pour
accuser soulumcmlles diversités des parties, c'était
donner crédit au système quo nous venons d'indiquer.
En nutant uno foute de divorgoncos, il arrivait à dé.
composer l'Iliade ait dix-neuf chants primitifs do di-
mensions et do valeurs diverses ». Sana entrer ici dan»
In critique des dûtails, il y a un grave ut décisif ropro.
olio a furniulur contre cetto manière de fair« c'est
qu'olle met, on apparence tout au moins, tous cas
chanta primitifs sur la mômo ligue, en no distinguant
pas, entre eux, ceux qui ont produit ou attiré les au.
tr«s. La décomposition do VIliade ainsi opéréo nous
donno l'idéo d'uno multiplicité primitive dédiants, ana.
loguo a collo quo concevait Dugas-Montliol;il somblu-
rait, a envisager du cette façon le vieux poomo, quo
ses éléments divers aient été assemblés fortuitomont
ou par un artifice quelconque, sans qu'il y oùt on eux
dos t'origine aucun germe do leur unité actuelle. Or
l'analyse que nous en avons faite nous a montré clai-
roment certaines parties ossontiollos, d'où les autres
ont dû naître par un développement organique. Tout
système qui n'explique pas ce développement, qui n»
le montre pas on action dans la mesure du possible, et
qui détache seulemont los parties les unes des autres,
altère par là mémo très gravement la physionomio
vraie de l'onsomblo. C'est on cela que la méthodo do
Lachmann est condamnable. Mais il faut se hâter d'a-
i. Voicilestitresqu'ildonnaità cesdix-neufchante 1. M?,v« S.
Aitai.3. "Oviipoc- 5.Doiwtia.
4.'Af0(W. 6,'Opxot. 7.T«xo«xoi<(a.
'Aya-
(^livovo; 8. Aiop^Souc
JnisiiXtian. «piateia. 9. "Extopo«
xal 'Avîpoiiô/'i:
teOia.10.npi«6t(a.lt. AoXiiviia.
12.'At«iUiivovoç 4pi<m(«.13.T«i/o-
>oxl«-U-*E*\vauvt|»<5xi-15.Ailsintixtj.10.IlaTpixXtt».
17.'AxiXXr,t;.
18.'ASXot.19."EsTopet Xvrpa.
SYSTÈME DES CHANTS INDÉPENDANTS 183
jouter que se» âtutloa ont été romarquablemunt fécon-
des, et qu'on fait c'est d'elles que procède presque toute
I» critique homérique depuis cinquante ans, tt'uilieur»
ct>qui était resté obscur dans lu pentit'tu ou danslu»
farit» de l.uclmiaim a été éclaira duus unu certaine
uiosuro par quelquesuus do si* nombreux disciples,
«t nous aurons tout à l'Iu'iire ir noter elle* l'un d'eux,
A, Koeelily, une théorie do la formation de VIliadebien
(iIumaynthotique, et par cungéquant plus voisine do la
vtritô, qu'un n'aurait pus'y attendre d'après la méthode
Inip tixuliiHÎvomtintanalytiquedu maître »,
Les iuvruisumWaiiuoado ces systèmes
up|iosés nu
pouvaient manquer da susciter des explications inter-
médiaire». Collos-ciso ramènent toutes à uno distinc-
tionentre VIliade acluollo, résultant d'additions et do
remaniements successifs, et YIliade primitivo, que l'on
clmrclioà reconstituer avec plus ou moins do
précision
et <losuccès. Nous allons examiner
quolques-uiios dos
principulos.

IV

Lo systèmo le plus ordinairement


accepté on ce genre
ost celui qui consiste à représenter l'Iliade primitivo
comme un poème complot, beaucoup moins étendu

1. Ejwer a résumé dam ses Conclusion»sur les


poèmes
(Mémoiresde Ml. anc., p. 96 et sulv.) les idées exposées homériques
lui A 00
sujet dans son cours de 1845-1846. Le savant professeur par
des opinions de Wolf et de Vico « Je ne s'inspirait
pas, disait-il en
» parlant de Schiller (p. 108), qu'an grandcomprends
» préférer l'Homère de la tradition poète de nos jours ait pu
& l'Homère multiple et
• vivant de Wolf et de Vico. » Mais,classique
avec la modération naturelle de
son esprit, il en indiquait plutôt la vraisemblance
«ênérale De
cherchait à les formuler en un système. Ces pages sont encore qu'il
pleines
d'inlérdt,
184 CHAPITRE 111, – FJKMAT1OX HE LIMA DE

que \'Hia<leactuelle, 11semble bien que ce fût la au


fond la pensée définitive du Wolf lui-même, lorsqu'il
écrivait dan* la préfaeo de son édition do YIliade en
1798, postérieurement aux Pratfywtiiw. « Onpourra,
» si je no me trompe, arriver ît démontrer clairement
mqu'il faut n'attribuer a Hombre quo la plus grande
mpartit»dos obanU do ses doux poèmua, le roale étant
» l'œuvre des tloméridcs, qui ont suivi los lignes tra-
itcées par lui «l'avanco». » La mémo idéo ao retrouve,
mais collo fois dégagoo et exprimée avec lûun plus do
netteté, dans la remarquable ot féconde dtssortation sur
los interpolations dans Homère que GodofroyIlormauii
publia on i 832: « Toutes les difficultés seraient réso-
» lues, écrivait-il, si nous admettions quilomèro a
» composé deux poèmes de médiocre étendue, l'un sur
» la Colèred Achille,l'autre sur leRetour d'Ulysse,ot quo
» ces chants, répétés onsuito partout, peu à peu accrus
» et perfectionnés, ont porté à la postérité lo nom
» dilomèro comme colui du plus ancien poeto ».C'est
sur cotte opinion, plus ou moins modifiée dans lo dé-
tail, qu'a vécu presque toute la critique contemporaine.
On la retrouve, pour ne citer ici quo quolquos noms,
dans le cours de Fauriol 3, dans tes dissertations de

I. W..ir, Kkine Scfmftm, I, 211: Id tatnen. ni fallor, poterit efûci.


ut liquido appareat Homero nihil praeter majorent partent curminum
tribuendum obso. rell'jua Ilomoridi», praucripta lineamenia perse-
quentibus.
t. G. liermann, Opine., t. Y. p. 70 Dissipari vero has dubitationes
et solvi facitlima quadam rationo dixi, si slatueremus .lîomerum
duo non magni ambitus carmina de ira Achilfia Ulyr.isgue mditu com-
posuisse, qiiae deinceps a mnitis cantata panlatitnque auala atqi.u
expolita Homeri nomen ad posteroa ut poetae vetaslissimt propa-
gavissent.
3. Ce cours fut professé à la Faculté des lettres de Paris durant
l'année classique 1835-1836. Egger en rendit compte dans le tournai
géntrei 4» eiflrwUo» pukliqu* au un» sorie de douze articles rédi-
gés avec l'aide du professeur lui-môme. Ces articles ont été résumés
SYSTÈME DES CHANTS INDÉPENDANTS 185

Kaysor dans YHistoire do la littérature grecque de


Ilornhardy et dans cotte do Ilorgk, oaflii dans l'édition
critique de 17/iWe do \V. Chris», Très aatisbiHunle à
première vue, ollo offre do sériousos difficultés quand
«m lu poursuit dans sos conséquences. Car, ai \lliadt
primitive était un po&ine complet qui subsiste dans le
pm'<moactuel, on doit pouvoir à pou près l'y retrouver
sua* la farine d'un récit continu et c'est en offol ce
que
In plupart dos critiquus s'ouorcent du fuira. Mais, pour
établir cotte continuité, tout on faisant lus retranche-
mo.iU nécessaires, il faut prendre un
petit morceau
ici, un autre là, ait los découpant assez arbitrairement
u« milieu des parties qu'on délaisse. Et, un outre, on se
heurte à une difficulté beaucoup plus gravo, bien
que
souvent dissimulée par l'adresse du critique c'ost
quo
quelquosunes dos parties indispensables à l'action
semblent dénoter un art inférieur et une origine plus
récente. Que ces morceaux soient regardés comme
pri.
mitifs par los défenseurs do l'unité absoluo, on lo coin-
prond mais qu'ils soient maintenus à leur rang par
ceux qui décomposent le poème d'après los différences
intimes des parties, cola no s'oxpliquo
que par la né-
cessité do faire honneur au système accepté.
L'opinion soutenuo par l'historien anglais Grote, bien
qu'elle mérite d'être indiquée à part, n'échappe aucu-
nement à cette critique ». Pour lui, l'Iliade est formée
d'abord d'une Achilléide primitive, comprenant quatorze
livres du poème actuel (I, VIII,
XI-XXII), d'ailleurs ac-
à l.'ut tourdans l'Annuairede VAtsocialion
étudesgrecque/,1880. pour C encouragement des
). Abhandlungen, p. 43.
2.M. Mahaffy,dane soit ffitloryofgreekliteralure,l'a faite sienne
enla recommandant commela plus vraisemblablede toutes. On
doilsignalerIncidemmentau lecteurl'article intéressantdeMérimée
sur Grote(RevuedesDeuxitondts.l« avril »r*7); l'hyjw^h*,»Jm^.
riquede l'historien anglaisy est exposéebrièvement et approuvée.
186 CHAPITUK III. FORMATION DK L'ILÏADB

crus eux-mêmes et interpolés; puis, du divers autres


chants. originairement distincts ou appartenant à d'au.
très poèmos(livres II à VII, IX, X), qui aont venus pos-
térieurement s'ajouter à X'Achilléide et l'ont transformée
en Iliade entin, do deux chants supplémontaires(livre8
XXIII et XXIV), composés on dernier lieu, Or, pour
n'ompruntor nos objections qu'à l'analysa même du
(mémo, il est visiblo, d'après le chapitre précédent, quo
cotto opinion pèche do plusiollr. manières d'abord en
eo qu'elle admet dans YIliade primitivo dos chanta tels
que lo VIII4 livra, qui manifestement ont été faits à
l'aido d'emprunts et pour sorvir de raccords onsuito
on ce qu'ello n'expliquo pas suffisamment la subordina-
tion des livros II-VIIà la donnée générale du poème,
onliu, on co qu'elle roconnait comme parties intégran-
tes de l'Achilléidedos scènes, qui, pour t\tre nécessai-
ros à l'action, 'n'en sont pas moins, ainsi quo nous ve-
nons de lo dire, d'origino relativemont réconto, 11faut
ajouter qu'olle a encore le grand inconvénient do subs-
tituor à l'acoroissomont organique et naturol un ac-
croissement artificiel, bien moins satisfaisant pour l'es.
prit.
Parmi los tentatives faites pour échapper à ces diver-
ses difficultés, les plus remarquables me paraissent être
colle de Guigniaut d'une part et celle de Koechly de l'au.
tre. Guigniaut, dans sa Notice sur Homère a très bien
vu qu'il fallait attribuer nécessairement l'unité de YIliade
à une conception primitive comprenant l'action dans
touteson étendue, et que, d'un autre côté, la mise en œu-
vre de cette conception dans ses diverses parties no pou-
vait être imputée à un môme poète. Son erreur a été
de se représenter cette conception primitive sous la
forme d'un plan proprement dit, qui se serait transmis
I. EntêteduDictionnaire(VHomère
et desHomêridt*
deTheiletHui-
lezd'Arros.
PRKMIKRÉTAT PROBABLEDU POÈME 187
pur héritage aux Homérideset qu'ils auraient peu à peu
oséuuté. Il est trop manifeste que cette notion d'un
plan distinct de l'ouvrage lui-même ne peut se concilier
«vuela liberté et la souplesse de la vieille poésie épique,
surtout ai l'on admet que l'écriture n'était pas encore
d'un usage courant. Mai»co n\>sl là qu'une ommr do
furme, pour ainsi diro, qui ne doit pas compromettra
ce qu'il y a do juato dans l'idée mômo,
Kouchly, disoi-
plodo Lachmann, et se plaçant eu cotte qualité a un
puinl d« vue tout opposé, néglige trop l'unité do Yltiadr
uetuolle; mais co qu'il a ou le mérite de mettre en lu-
mière, c'est que le premier gormo du poème a dû être
nuit pas un poème, à proprement parler, mais une se-
rio do chants détachés, qui se reliaiont los una aux au-
tron>,Qu'il ait d'ailleurs mal défini cette série primi-
tive, pou importe l'idée n'en reste pas moins. C'est on
combinant ces deux concoptions qu'un pout sans douta
approcher le plus possible do la vérité.

L'analyse do l'Iliade nous a fait reconnaître qu'un


certain nombre de parties du poème présentent des ca-
ractères communs très frappants.
Quelques-unes de ces
parties forment une série chronologique, en ce sens que
les événements qu'elles rapportent occupent nécessai-
rement une place détorminée dans le temps, les uns
par
rapport aux autres. Tels sont le Chant de la Querelle,
t. Homer und dut grieehiaehe Epot, dissertation publiée en 1843dans
la Zeihchrift fur die
AUerthumviitsemchaft, •oproduite dans les Opus-
t«la philologie^, t. II; voir surtout p. Il et J5. Cf. aussi Dissertation
sur ( Odyssée,p. 73 du même volume. L'édition de
l'lliade, publiée par
Koechly dans la collection Teubner en 1860.sous le titre de 'O.,àe m-
*?«. offre seize chante extraite du poème homAriq.m. r.Vnsessbte est
amai détruit. ce qui eat un grave inconvénient, sans nous puis-
sions voir comment les parties procèdent les unes des que autres.
188 CHAPITRE III. – FORMATION DE L'ILIADE

le* Exploits dAgamemnon, lu Patrocliê, la Mort d'Hector.


Si l'on suppose ces morceaux récités dans tour ordre
naturel, il» constituent ensemble, non uno épopée pro-
prement dite, puisqu'ils «o su suivent pas sans interrup-
tion, mais un groupo do chaula d'un genre très appro-
chant, puisqu'il* mottont on scène les moments princi-
paux d'uuo mémo action. Qu'ils aient pu ôtro composés
et récités ainsi, colu n'a rion qui duivo surprendra,
puur pou qu'où se représente combien lu légondo déjà
connue permettait facilement aux auditeurs do combler
(tu lamine» du récit; et. d'autre part, dans que! intérêt
ot par quel calcul un grand poète aurait-il traité en dé-
tait dos épisodes secoiiduiros, avant que cos scènes bion
plus importantes eussent été misos on pleine lumière?'t
Allons plus loin lu Patroclie qui présente
moins nettement que les trois autres chants les earuo-
tbros delà composition primitive, n'est pas absolument
indispensable à lu série fondamentale dont nous parlons.
Il aurait suffi au poète do lu Mort d'Hector do rappoler
on dix ou quinze vers le fait connu do la mort do Pulro-
clo, pour que son dornior chant satisfît à toutes los con-
ditions do vraisemblance exigées alors d'ur. morceau
épique.
Une telle série de chants ressemblait en somme od'as-
sez près à collo que nous voyons atlribuéo à Démodocus
au huitième livre do l'Odyssée, et nous avons dit plus
haut comment elle put naître. Voici donc ce qui nous
semble être la vérité sur ce point. L'Odyssée nous ap-
prend positivement que de telles séries ont existé, et
l'lliade, analyséo avec soin, nous livre une de cus sé-
ries encore très reconnaissable dans la masse de poésie
plus récente où elle est aujourd'hui engagée.
Mais, à côté de ces morceaux, nous avons remarque
qu'il s'en rencontrait d'autres <fang l'Iliade, qui sem-
blent également primitifs, et qui pourtant n'ont pas do
PUBSTIBU tTXT PROBABLE DU POEME iSB

place déterminée dans la série indiquéo, bien qu'ils se


rnppurlonl à la môme donnée générale par exemple,
IonAdieux d Hector et (fAndromaque, ou encore l'Amàm-
suite, dégagée des altérations ot des additions qu'elle a
sul'ios. IMondo plus naturel car lo poêle no so sentait pas
uhligo de disposer toutes los situations qu'il imaginait
do li'llo manièro qu'elles se lissent suite rigoureusement
Icsiitios aux autres. Quelques-unes étaient liées clirtmo
|u^ti|uoinont soit; mais pourquoi aurait-il cru nécos-
suiro de s'assujettir partout t\ cette exactitude ? Dans sa
|nui!»te,nous t'avons ditdojà, rontrevuod'llector et d'An-
dm imtjuo était censée avoir liou pou de temps avant
la mort d'Hector c'était là une donnée implicite qui
dominait sois récit; mais quoi besoin pour lui de la tra-
duire d'une manière exprosso? Du moment qu'il no fai-
sait pus un poème, il n'avait pas à assigner, une fois poïir
IiiiiIom,à la scène qu'il composait ainsi une place fixe
dans un développement arrêté; s'il pouvait, dans la ré-
citation, la lier à celle de la mort d'ilector, qui jusqu'à
un certain point lui faisait suite, rien on somme no l'y
obligeait, et ello no pordail pas sa vatuur pour être iso-
lée. Il y avait dans tout cola uno liberté que nous nous
roprésontons mal, dominés que nous sommes par la
superstition du livre, qui impose à l'œuvre uno formo
tinnitiahlo.Do même, le récit de l'Ambassade so rappor-
tait bien, dans la pensée du poète, à un moment où les
Acliôens, vaincus par suite de l'absence d'Achille, se
voyaient réduits à une situation presque désespérée;
mais ce moment n'était pas pour lui une phase déter-
minée d'un récit suivi. Ses auditeurs voulaient de bol.
les narrations poétiques, ot ils se souciaient
peu que
l'ussomblago en fut plus ou moins exact. De tels chants
étaiont donc faits à propos des précédents et, pour ainsi
dire, à côté d'eux; ils les supposaient connus, sans s'y
rattacher rigoureusement.
t«0 CH1PITBK UU – FORMATION Dg L'IU k PB

Voilà donc, selon ce qui nous paraît vraisemblable,


le premier état de l'Iliade dos chants isolés, mais
connexes, les uns liés entre eux par la suite nécessaire
dos événements et formant une série plus ou moins in.
terrompue, les autres flottant autour de ceux-là sans y
être encore attachés par dos liens rigides. Cette con.
ception est-elle d'ailleurs susceptible d'une précision
absolue? Nous ne le croyons pas. Quel était au juste le
nombre de ces chants? Quelle était l'étendue exacte de
chacun d'eux? A quelle date relative ont-ils été compo-
sés? Autant do questions qui sont aujourd'hui et qui
seront peut-être toujours un objet do recherches et de
discussions. Mais qu'importe après tout? Quelles que
soient les réponses et les divergences, elles ne portent
pas atteinte aux vues générales que nous exposons ici.
Une seule remarque au sujet du classement chrono.
logique des parties du poème s'il y a chance d'en dé-
terminer les dates respectives par comparaison, c'est
en s'attachant aux choses mémos, c'est-à-dire au fond
du récit, plutôt qu'à dos détails tels que vers empruntés
ou allusions apparentes Il est clair en effet que le
poème ayant été bien des fois retouché avant de rece-
voir sa forme actuelle, beaucoup de ces traits isolés
ont pu et ont dû y être introduits après coup on se
proposait par là de marquer la place que le morceau
prenait dans l'arrangement général, à mesure que ce- Il.
lui-ci se constituait.
Quoi qu'il en soit d'ailleurs de l'origine et de l'âge
de tel ou tel morceau en particulier, la chose impor-
tante à noter, c'est que le poète, autour de ces premiers
chants, sans avoir fait lui-mémo un poème, a été le vé-
1.Cesemprunted'an chantà un autre sont généralementindiqués
dansles éditionsrécentes.Ils ont été réunisdansl'ouvragede C. E.
Schmidt,IntituléParallel-Homer oderIndexaller homerischen Itérait
in lexicalischer
Anordnung, Gôttingen,1886.
1 tiHASTS PB OÉTELOFFEMENÏ 19i

ritable fondateur du poème actuel. Il n'a pas légué un


plan proprement dit à ses successeurs; mais, ce qui re-
vient au mémo, il leur a légué une action dont le tracé
futur était comme jalonné d'avance car elle consistait
essentiellement en trois ou quatre grandes scènes, qui,
par leur sujet et leurs rolations, constituaient un corn-
moncomont, un milieu et une Jin. « J'appelle un tout,
Il dit Aristote, dans sa Poétique, ce qui u un eommen-
» cornent, un milieu et une On » On ne saurait mieux
dire, et voilà en quel sens l'Iliade primitive, sans être
un poème, était pourtant un tout

VI
Suivons à présent la destinée probable de ces premiers
chants. Comment cette action primitive ainsi ébauchée
arriva-t-elle à se développer si largement et à se trans-
former en un poème continu? Par un accroissement
organique, dont on peut, jusqu'à un certain point, ru-
conter l'histoire.
Tous les chants secondaires de l'Iliade, c'est-à-dire
tous eaux qui n'appartiennent pas au noyau primitif,
se divisent en deux groupes, très inégaux par le mérite
et l'importance; il est nécessaire de les bien distinguer
poi- -omprendre la formation du poème. Ce sont les
chants de développement d'une part, et d'autre parties
chants de raccord.
Les chants de développement sont ceux qui ont été
composésd'après les données des chants primitifs pour
1. Poétique,ehap.Vil. "OXov ai *<mm ï*ovàpxnvxal (léiov%a\xi-
Xtwt^v.
2.Il y avait quelquesrapportsévidemmententreune épopéeainsi
construiteet les trilogiesd'Eschylepar exemple.Quellesque soient
lesdifl-Srences.
c'étaitde partit d'autrele mêmegenre de liaison.
m CHAMTIt»III. POftMATïOÎ?
OB LtLtA&lf
créer de nouveaux épisodes à côté des anciens. Leur nais-
sanco peut être expliquée sommairement.
Représentons-nous lo succès et la nouveauté deschanls
primitifs. Si ces chants avaient rassemblée la masse dos
productions épiques antérieures ou eontomporainos, il
n'y aurait eu aucune raison pour qu'ils devinssent le
gorme d'une floraison poétique aussi considérable. Mais
Us on différaient profondément. Ce qui les distinguait
d'une façon éminente, c'était l'intensité de la vie morale.
Liioinino y avait pris avec éclat la prédominance sur
les événements. Tandis que les aèdes antérieurs et con-
temporains racontuiont sans doute avec une certaine sé-
cheresse des faits légendaires, il s'était rencontré un
pofcte da génie, qui, dans le récit d'une querello, d'une
bataille, d'un combat singulier, avait su mettre on jeu
quelques unes des passions les plus fortes do la nature
humaine; par là même, it avait créé quelque chose d'in-
connu et d'inattendu, l'épopée dramatique et morale.
Rien, ce mo semble, ne pout nous rendre l'impression
profonde qu'une telle nouveauté dut produire. Quelle ad.
miration naïvoot enthousiaste pour ces chants, quiétaient
l'imago de la vie, et dans lesquels on voyait et on enten-
dait de véritables passions! Quand leur autoùr out dis-
paru, après los avoir mis au inonde et récités lui-même
successivement, ils rostôrent comme un groupe d'une
beauté incomparable; supériorité qui explique suffisam-
ment pourquoi d'autres aèdes, en les récitant à leur
tour, eurent l'idée de los accroître.
Mais il faut songer de plus que ces aèdes, ou du moins
un bon nombre d'entre eux, semblent avoir appartenu
originairement à une môme famille. Nous aurons à par-
ler plus loin avec quelques détails des Homérides de
Chios. Il importe de dire dès à présent qu'il y out là très
certainement un groupe d'hommes, unis entre eux par
des lions domestiques et religieux, qui furent à l'origine
CHANTS DR DÉVELOPPBI.ENT 19$
les dépositaires des premiers chants de l'Iliade. Grâce
à eux, ces chants se répandirent promptoment soit dans
los villes du littoral, soit dans les îles, et partout sans
doute furent accueillis avec la même faveur. Combien
par suite tes mieux doués de ces aèdes ne durent-ils pas
m sentir vivement sollicités à créer de nouveaux épi-
sodesà côté dos anciens ? L'idée do respecter une couvre
existante, c'est-à-dire de la conserver dans sa forme pre-
mière par égard pour l'originalité de son auteur, est re-
lativoment moderne. Elle ne pout naitre quo lorsqu'une
grande partie du public en vient, par une éducation lit-
téraire uvancée ot délicate, à chercher l'autour dans son
couvre et à s'intéresser à tout co qui distingue sa ma-
nière. A l'origine des littératures, rien de pareil n'a lieu
l'auteur n'est rien, ot l'œuvre est tout. Tout le monda
indistinctement conspire à l'étendre et à lu compléter,
aussi bien ceux qui l'écoutent que ceux qui l'interprù-
tont. Un récit n'est alors pour les auditeurs qu'une série
d'événements qui les touchont ot les passionnent. Ilsne
demandent qu'à y voir apparaitro dos scènes nouvelles
qui en augmentent et on multiplient l'effot; et los chan-
teurs, qui le rodisont les uns après les autres, trouvent
leur intérêt et leur plaisir à satisfaire en cela leur pu-
blic. Appliquons cela aux Homérides ayant, pour ainsi.
dire, dans leur domaine de famille la source de cette
poésie nouvelle qui enchantait alors tous les habitants
des villes ioniennes, comment l'auraient-ils fermée de
leurs propres mains? D'autres sans doute, à côté d'eux,
continuaient à mettre en œuvre l'ensemble de la légende
i. Cettesorted'accroissementd'un premiergroupedechants peut
u produiremêmedanstanpoèmeproprementdit et dufaitde l'auteur.
M.Galusky (articlecité,p. 885)mentionnele faitsuivant: « Wieland,
»danssesentretiensavecWolf,ne niait pas que les choseseussent
»pu se passer telles qu'elles étaient présentéesdansles Prolégomè-
Mi;it misaitm4m<t1\ eu»t des eonndeaMsIntêtéù&ül6tiMur
»lesadditionssuccessives
additionsmAmA A dont s'était «tes forméson poème à'Obtron.
sur »))
intéressantes
Hitf. d*1* lia. Grwqoe.
– T. I. 13
194 CHAPITRE III. – FORMATION DE L'ILIADE

héroïque: l'Iliade, nous l'avons remarqué, laisse devi-


ner, on maint passage, l'existence do chanta contempo-
rains, étrangers au cycle troyon. Rien ne prouve que les
Homérides oux-mémes aient absolument dédaigna ces
sujets communs; mais les ohants relatifs à la colère d'A.
chilleétaiont leur gloire, etils les préféraient. N'oublions
pas d'ailleurs que les Grecs n'ont jamais conçu la nou-
veauté littéraire tout à fait à notre manière. Quelques-
uns des poètes cycliquos, dout nous aurons à parler un
peu plus loin, ont cru faire du nouveau en complétant
VIliade ci YOdyssée,quand ces deux poèmes furent cons-
titués, Après eux, les poètos lyriques furent novateurs
aussi en traitant les sujets que l'épopée avait épuisés,
aauf à les rajeunir par des scènes dues à leur imagina-
tion ou empruntées à des mythes locaux. Et plus tard
encore, quand la tragédie reprit sous une troisième forme
ces mêmes sujets, on vit des poètes du plus grand génie
s'imiter indé(inimont les uns les autres, on remettant
sans casse sur la scèno los mêmes personnages et los
même» situations. Los Homérides n'ont pas fait autre
chose rois ou quatre siècles plus tôt. Ils ont gardé, de
génération en génération, ce qui plaisait à leur public
dans le legs de leurs prédécesseurs, mais en le renouve-
lant par des additions qui suffisaient à leur goût de nou-
veauté.
Déterminer exactement dans quel ordre chronologi-
que ces additions se sont succédé est chose impraticable
actuellement, et il est fort possiblemême que la critique
n'arrive jamais à ce résultat idéal, bien qu'après tout
il ne soit pas sans honneur ni sans utilité de le poursui-
vre. Maisce qu'on peut faire du moins, c'est de les grou-
per selon leur nature, do manière à mieux rendre raison
de ce qu'ont voulu leurs auteurs.
Et, tout d'abord, il est à peine besoin de dire quelle
grande part a eue l'imitation au développement du groupe
CHANTS DE DEVELOPPEMENT 195

primitif. Les doux parties do la ûiomédie, qui conati-


tuent onsomblo lo V*livre aeluol, semblent bien n'avoir
pas eu d'autre originn: la première partie est une ad-
mirable imitation dos Exploit» tfAgnmemnon (Kl* livre
actuel), et cotte première partie a donné naissance elle-
môum la la seconde, qui n'en est qu'une variante. H y
a là do tollos beautés poétiquos qu'on pout se demander
si eo n'est pas l'auteur moine dos chants primitifs qui
s'est ainsi imité lui-màine. En ce cas, il aurait le pre-
mier donné l'exemple d'un procédé dont sos successeurs
devuiont user largement Bien n'ost plus instructif à cet
égard qua de comparer ontro eux los nombreux combats
singuliers de YIliade. Celui d'Achille et d'Hector on ost
le type et sans doute le premier modèle. Sur ce modèle
ont été faits, avec plus ou moins d'originalité dans l'i-
mitation, ceux do Patroclo ot d'Hector, de Patrocto ot do
SarpmUui, do Tlépolème et do Sarpédon, d'IIoctor et
d'Ajax, de Paris et de Ménélas, d'Achille ot d'Énéo. On
arriverait peut-être, par une étude patiente, a les clas-
ser en série, selon les inventions accessoires qui s'y
ajoutent au motif principal.
Mais l'imitation a été plus souvent un moyen qu'un
motif d'extension. Les aèdes en général no créaient pas
do nouveaux épisodes pour le simple plaisir d'imiter tes
anciens. Ce qui semble avoir surtout déterminé le pre-
mier accroissementde TZ/ta^e,c'est le désirqu'ils avaient
de compliquer la marche des événements et d'embellir
par le merveilleux ce qui paraissait trop simple dans les
inventions primitives. On peut citer, comme exemples
romarquables de cette double tendance, le douzième li-
vre ou YAssautdu mur, et la plus grande partie des
livres XVIH-XXIV. L'autour de la défaite des Achéens
racontée dans le onzième livre actuel se représentait le
camp entouré d'un simple fossé ot d'une palissade à la
fin du combat qu'il avait décrit, les Achéens avaient
108 C1UPITRK III. FOUMATION DE I.'IUÀDE

de
perdu le champ de bataille et étaient rejelêa au delà
oo fossé, poursuivis par Hector, Un aède, d'uno remar-
quablo imagination d'ailleurs, un dos plus grands Ho-
m6ritloa après Homère, a trouvé cola trop simple: il a
conçu la ponséo do représenter le camp comme entouré
d'un véritable mur avec dus crénoaux et dos tours puis-
santos, atin d'avoir l'occasion d'ajouter au récit primi-
tif la description biou plus riche on incidontsd'un assaut.
Un ne peut nier qu'il no l'ait fait on vrui poète. Mais
l'invention fondamentale, comme nous l'avons déjà re-
Ims
marqua, trahit, dans son invraisemblance naïve, un
aoiii de nouveauté quo le poète primitif ne pouvait con-
naître ot qui répugnait môme à la nature de son génie,
Dans los derniers livres, presque tous los épisodes célè-
bres, la Fabrication des armes, le Combat des dieux, lo
Combat d'Achille et du Xanthe procèdent d'une inten-
tion analogue. Il avait anfli au promier poète de mettre
Achille on face d'Hector pour tirer du cotte simple in-
vonlion un des plus beaux dramos que l'imagination
humaine ait jamais créés. Il faut à ses successeurs nu
neuve soulevé, une inondation, toute une plaine boule-
versée par les flots, puis la lutte étrange de la flamme
ot do l'oau, c'est-à-dire uno série d'inventions, frappan-
tes assurément, mais extraordinaires. D'un bout à l'au-
tre du poème, nous retrouvons, comme lo précédent
chapilro l'a fait voir, cette double série d'inventions jux-
vé-
taposées, les unos simples, tiréos tout entières de la
rité morale, les autres merveilleuses et plus ou moins
oc-
compliquées. Et, chose remarquable, les premières
les essentielles
cupent ce qu'on peut appeler positions
du poème, tandis que les secondes sont toujours là par
surcroit, témoignant de l'effort fait par d'ingénioux et
brillants successeurs pour développer l'œuvre de leur
inimitable devancier. Tout le groupe des livres XIII, XIV
et XV, qui a pour centre la scène où Hère éloigne Zeus
CHANTS DE DÉVELOPPEMENT 197
du champ do bataille et qui nous montre l'intervention
do Poséidon rendant un instant la victoire aux Achéens,
tout co groupe qui constitue la prinoipale péripétie do
YIliade avant ta Palroclie, me parait devoir son origine
a la tendance quo je signala ici «.
Un autre motif dont l'influence n'a pas été moins
grande dans l'extension des chants primitifs de l'Iliade,
c'est lo besoin do compléter tes parties déjà existantes;
motif qui devint naturellement do plus en plus fort, a
mesura que la groupe toujours grossissant apparut da-
vantage comme un ensemble.
Ce besoin prit d'ailleurs plusieurs formes. ;Une des plus
curiouscs, co fut le désir de justifier certaines allusions
apparentes des chants antérieurs. Souvent los premier*
aèdes, obéissant à co goût de précision qui est si natu.
rel ù la poésie grecquo, avaient imaginé à titro d'exem-
ples dans les discours fictifs do leurs personnages des
faits de pure invention, qui étaient censés s'être accom-
plis précédemment. C'est ainsi qu'Androtnaquo, dans
son entretien avec Hector, rappelle, pour l'engager à
no pas sortir do la ville et à défendre le rempart, que
trois fois déjà los Acbéons ont donné l'assaut au même
endroit Non seulement cet assaut ne figure pas dans
l'Iliade, mais il n'y a rien absolument dans les autres
chants qui se rapporte de près ou de loin à quelque
chose de semblable. C'est donc une fausse allusion,
que le poète s'est permise pour donner plus de force
t. Il est à remarquerque les Grecsn'ont jamais cesséde grossir
ouderetoucherainsileursrécits primitifspour Us rendre plus mer-
veilleuxou plus romanesques.Lorsquel'on compareles légendes,
tellesqu'ellesfigurentdans l'épopée,aveclesmêmeslégendes,telles
qu'onles trouvechezles mythologuesalexandrinson byzantins,on
s'aper«oitde l'importancedecesadditionset deleurnature.Il serait
tortextraordinaireqae la poésieépique,au temps de sa croissance
la plus active,eût échappéà cettetendance.
Lefaitestr«êm«rnpportéavecquelquesdétailset lesnomsdes
hérosachéensqui y ont pris part sont mentionnés;VI, v. 433-437.
198 CHAPITRE III; – FORMATION DK L'ILIADE

à sa pensée Do mémo dans VOdyssée, Euméo, au


XIV- livro, pour expliquer qu'il ne peut ajouter foi
aux récits de son hôte, raconte qu'il a déjà été trompé
par un Étolien qui prétendait avoir vu Ulysse Cest
là encore un fait imaginé pour les besoins do l'argu-
mentation, en dehors de toute donnée légendairo. On
comprend qno do telles allusions aient du suggérer plus
d'une fois à des aèdes, pendant la naissance de l'Iliade,
l'idée do les justifier en créant précisément les scènes
auxquelles elles semblaient se rapporter. L'épisode do
l'Assemblée des Tmyensm XVIII* livre (v. 243 313), où
Hector repousse les consoils de Polydamas qui veut l'o-
bligor à rentrer dans Troie, me parait être né ainsi dos
paroles prononcéos par le mémo héros au XXII* livre
(v. 100-103). Et c'est oncoro do la mémo manière quo
la célèbre scène du XXIV* livre, qui nous fait voir Priara
aux pieds d'Achille, a dû sortir dos lamontations do
Priam au XXH* (v. 408 429), dont elle n'est quo le dé-
veloppement. Ce fait curieux mérite d'autant plus d'at-
tirer l'attention qu'il est de nature a nous tromper sur
l'âge rotatif do certains morceaux. Nous sommes portés à
croire toujours que l'allusion est postérieure au récit
qu'elle vise or, en plus d'une occasion assurément,
c'est le récit au contraire qui est sorti de l'allusion,
purement fictive à l'origine ».
Mais il y a bien d'autres sortes do morceaux complé-
mentaires dans l'Iliade. Citons particulièrement ceux
qui y ont été insérés dans des vues intéressées. l'lus
l'Iliade grandit et prit de l'importance, plus les chefs
des principales tribus grecques établies en Asie durent
tenir à y voir ligurer leurs ancêtres. C'est ainsi sans doute

i. Odyssée,XIV, 379et suiv.


2. Ce que je signale ici brièvementa été fort bien exposédans
l'ouvrage«JeB.Nf*w Me KnUtehtmg der hameritcheuPoésie,Berlin,
1882.
CHANTS DE DÉVELOPPEMENT 199

que s'est développé le rôle do Nestor c'est ainsi que


ceuxdo Glaucoset de Sarpédon semblent avoir «té ajou-
tés, c'ost ainsi quecelui d'Idoménée et de son compagnon
Mérionè»s'est étendu en dehors même dos convenances
de l'action. Noussommes réduits à cet égard à des con-
joctures plus ou moins plausiblos mais si chacune en
particulier peut être contestée, l'idée dont olles s'ins-
pirent toutes est vraiment hors de doute. Voilà pour les
additions d'intérêt particulier. Il y en a d'autres, qu'on
pourrait appeler complémonts d'intérêt général. Les
premiers chants homériques, on grandissant comme
nouslu voyons, tondirent naturellement à absorber tou-
tes tes légendes rolativos à la guerre do Troie. On ne
voulait pas les laisser perdre, et on ne pouvait guère
los conservor autrement qu'en leur faisant une place
dansce grand ensemble. Bien que le poème fût tout autre
choseà l'origine qu'une histoire complèto de la guerre,
iltondait par son développement à en devenir tout au
moinsune imago abrégée. C'est même là ce qui expli-
que comment plus tard il a servi de noyau à une par-
tie da la poésiocyclique. Mais, bien avant déjà, on peut
se rendre compte ainsi de certaines additions, telles
quo lo Catalogua des vaisseaux au livre II, l'Entretien
d Hélèneet de Priam (tsr/omf»eix)au IIIe, la Revued'A~
gamemnonau IVe, qui ont bien plutôt leur placo natu-
relle dans une Iliade proprement dite, c'est-à-dire dans
un récit complet du siège d'IIios, que dans le poème
au sujet bien plus restreint qui porte aujourd'hui ce
nom.
Enfin il convient de mentionner encore, parmi les
causesd'additions, l'influence de quelques poésies con-
temporaines. Certains discours narratifs, tels que ceux
de Phénix au neuvième livre et de Nestor au onzième,
1.Notamment par le longrécitquilui est attribuaà lafinduXX*
livre.
SOO CHAPITRE III. – FORMATION UK L'ILÏADK

tes longues allusions à la légende d'Héraclès dana plu-


sieurs partiea du poème actuel, semblent témoigner do
ce fait. Toutefois, réduits on cette matière » deviner,
nous devons nous borner à uno simple indication.

VII

A côté des chants de développement, dont nous ve-


nous de parler, nous trouvons dans l'Iliade un certain
nombre de chanta qu'on peut appeler chants de raccord,
car ils n'ont d'autre objet que de rattacher les uns aux
autres des morceaux déjà existants.
Une dos erreurs qui ont fait le plus de tort aux opi-
nions dérivées de celle dé Wolf u été de se représenter
le raccordement général des parties du poème comme
n'est plus
opéré après coup et on une soute fuis. Rion
contraire soit a la vraisemblance, soit aux indications
fournies par le poèmo lui-mémo. Il résulte un olfot de
tout co qui procède que ce raccordement a dû so faire
au moment mémo où naissaient los chants nouveaux,
puisque ceux-ci étaient fait a précisémentpour s'ujustor
aux anciens. L'Assaut du mur par exemple, qui forme
aujourd'hui le livre XII est venu se greffer, pour
ainsi dire, sur le récit dos Exploits d'Agamemnon,
be.
qui forme la principalo partie du XIe. Il n'était
soin là d'aucun raccord. Lo premier des deux chants
servait d'introduction à l'autre, lorsqu'on les récitait
ensemble; mais il pouvait arriver aussi qu'on les réci-
tât isolément; car le poème une fois connu du public,
la si-
personne n'éprouvait de difficulté à comprendre
tuation supposée et continuée intentionnellement dans
le second. De la même façon, la Mort d'Hector, noyau de
la fin du poème actuel, a pu porter successivement tel
CHANTS Dt RACCORD SOI
mi tel épisode précédent ou suivant, qui à son tour on
a porté d'autres. Le mémo «(Tels'oat produit dans chu-
ijiiflgroupa et le plus souvent par conséquent aucun
travail postérieur n'a été nécessaire pour réunir des
morceaux qui naissaient en quelque sorte tout réunis.
Toutefois, comme nous l'avons dit, certaines parties,
ou primitives ou du moins très anciennes, avaient été
compos6es d'une manière plus indépendante tuut en
rucoii naissant la donnée générale, elles no su rutta-
cliaient d'une inanièro étroite et directe à aucun chant
déjà existant, et par suite elles n'avaient point do place
lixo dans la série. Les Exploits de Diomède, les Adieux
d'Hector et d'Andromague, l'Ambassade en sont des
exemples. De bonne heure, les aèdes homériques durent
éprouver le besoin do faire cossor cet état de choses.
A mesure que l'ensemble des chants existants apparais*
suit plus nettement sous la forme d'une longue chaîne
d'événements liés les uns aux autres, il devenait plus
nécessaire de ne rien laisser d'essontiol on dehors do
cet enchaînement. Il fallut donc fixer les chants flot-
tants et c'est pour cela qu'on fit des chants de rac-
cord.
Les Exploits de Diomède durent être un des premiers
chants ainsi fixés. Sa place dans la série fut déterminée
par une considération très simple. C'était une grande
victoire des Achéens. Or entre la défaite qui forme le
sujet des Exploits d'Agamemnon et la Patroclie, il n'y
avait aucun moyen d'insérer le récit d'une telle victoire,
à moins do bouleverser tout ce qui existait déjà. On le
plaça donc au début après le chant de la Querelle. Mais
comme ce récit n'avait pas été composé en vue de cette
destination, il ne se rattachait ni à ce qui précédait ni
à ce qui suivait. En conséquence on sentit le besoin de
séparer ces morceaux mal concordants par des scènes
diverses qui fussent de,nature à atténuer ce manque
809 QHAPITRK III. – FORMATION DE L'ILIADE

do auitu. Il est probable que cola se lit asaoi lentement,


et que cotte partie de YJtiad* est celle qui est restéo lu
ainsi l'es-
plus longtemps ouverte. On peut expliquer
pèce de tioufuaion et d'incohérence qui y repue.
1,'épisodo des Adieux d Hectoret dAndromttqueeul un
sort analogue. Bien quo son autour ne l'eût placé nullo
comme nous l'a-
part à proprement parler, il est visible,
vons dit, quo pour lui cette scène était censée précéder
de pou la mort d Hector. Mais il était impossible, dans la
série d'ôvénoimmts qui s'était organisée pou à pou, de
faire une place convenable à cet épisodo dans la m~
condo portio du récit. Hector no pouvait rentrer dans
Troio ni pondant la défaite dos Achéons, ni pendant
l'assaut du mur, ni pondant la Patroclio, puisque dans
tous ces récits il figurait constamment au premier rang
des combattants. On fut donc forcé do placer son entre-
vue dernière avec Andromaquo au milieu do cos chants
mal cohérents do la première partie, qui eutouront los
l'on
Exploits de Diomède; et on l'adapta du mieux quo
put à ce dernier récit. Le raccord est ici d'autant plus
visible qu'il est moins satisfaisant. C'est au moment où
tout fuit devant Diomède, où les Troyens ont par con-
séquonl le plus besoin do leurs chefs et notamment
d'Hector, que le dévia llélénos conseille tout à coup à
celui-ci de quitter le champ de bataille pour un motif
sans importance. Hector lui obéit, et c'est ainsi qu'il
rentre dans Troio. On avouera qu'il est difficile de choi-
sir plus mal son heure et les justifications qui ont été
désos-
proposées sont de cellos qu'on peut qualifier de
pérées Voilà donc un raccord manifeste. Il en est de

1. Lebesoindecesjustificationst'est faitsentir dès l'antiquité.On


peut voirdans les seoliescellesque proposaientlestant grammairiens
décidésà rendreraison detout. Quand une chosea besoind'ê-
tre justifiés,il est tosjows probableqa'elle ne pe«<p»« »'<«<«•
(Voir
Porphyre, Quaestiones éditionSchrader,1.1. p. 90.)
homericae,
CHANTS DE RACCOItD 203

mttmo du septième livre qui a fait suite à cette scène


dos Adieux <t Hectoret WAndromaçue nous avons ox-
(tMSÔ plu» haut commont lo combat singulier d'Hector
ol tl'Ajftx, qui un est le sujet, ne pouvait guèro s'expli-
quer que par le désir do donner à peu de frais un dé.
nouaient à la bataille racontée dans les Exploits de
Diomède.
V Ambassade était aussi à l'origine un de cos chants
(luttants. La place qu'elle occupe dans le poème actuel
lui fut assignée do même par une sorte de nécessité.
La Patroclie marquait le moment où Achillo, en face
du périt imminent des Achéons, se décidait à faire quel-
quo chose en leur favour l'Ambassade au contrairo le
montrait s'obstinant dans un refus de concours absolu.
Elle devait donc être antérieure. Par là mâme, on se vit
obligé de la placer avant la sério d'événements non in-
terrompus qui aboutissent au départ de Patrocle, et par
conséquent avant le chant dos Exploits d'Agamemnon.
Mnis d'autre part la vraisemblance morale exigeait
qu'elle fut aussi éloignée que possible de la Querelle,
puisiju'Agamomnon no pouvait se décider à une démar-
che aussi humiliante immédiatement après avoir of.
fensé Achillo et l'avoir traité avec tant de mépris. Ces
raisons combinées la firent placer après les Exploits de
Diomède et les chants qui on dépendent. Seulement,
comme ces chants ne rapportaient que des avantages
obtenus par les Achéens et que l'Ambassade no
pou-
vait se comprendre qu'après une grande défaite, il fal-
lut bien créer celle-ci. De là le livre VIII, qui n'ost vrai-
ment qu'un chant de raccord et qui en porte si mani-
festoment tous les caractères.
On pourrait multiplier ces exemples, mais en multi-
pliant aussi les conjectures. Qu'il suffise donc ici d'avoir
indiqué la nature de ces raccords. L'Iliade s'acheva
ainsi peu à peu. Plus elle grandit, plus elle devint une
804 CHAPITRE III. – FORMATION DE L'ILIADE

et serrée, Aucun do ceux qui travaillèrent à l'étendre


et à la compléter ne se proposa sans doute jamais de
la réciter d'un bout à l'autre; l'usage des récitations
courtes et indépendantes avait suf8 à la faim naître et
suffit aussi à la transformer en un poème proprement
dit. Ce n'est donc pas l'artifice d'un arrangeur ni d'une
commission de littérateurs qui l'a faite ce qu'elle est;
ce fut le libre travail de plusieurs poètes, dominés par
la grandeur d'une création primitive qu'ils voulurent
perfectionner on la développant. L'unité était vraiment
en elle tout d'abord; mais à mesure que les vides du
récit primitif se comblèrent, elle apparut de plus en
plus nettement. S'il était permis d'exprimer ces faits
par une image qui les rendrait plus sensibles, on pour-
rait dire que le premier poète avait élevé de sa main
puissante sur l'immense terrain de la légende trois ou
quatre tours superbes pour marquer l'espace qu'il s'y
était réservé; ses successeurs les relièrent peu à peu
les unes aux autres, d'abord par d'autres constructions
poétiques, plus richement décorées, mais moins simples
et moins grandioses; puis par une simple muraille des-
tinée à fermer les intervalles qui restaient ouverts. Ainsi
se forma avec le temps une enceinte continue, et la cité
épique qui s'était constituée de cette manière fut appe-
lée YIliade.
Quand les poèmes cycliques prirent naissance, c'est-
à-dire vers le commencement des Olympiades, au mi-
lieu du viue siècle avant notre ère, tout ce travail était
achevé. L'Iliade était désormais un poème complet et
fermé. On ne pouvait plus rien y ajouter en dedans;
on l'accrut tout naturellement par le dehors.
CHAPITRE IV

LE GÉNIE ET L'ART DANS L'ILIADE

SOHMAIRE.
I. Dimensions et proportions du poème. Unité du
sujet. Marche de
l'action. Variété. Et. Le récit. L'ordre et la olartè associés à la
vie et au mouvement. Vérité morale. Simplification hardie. Art de
composition dans les principaux récits. Grandeur et idéal. Les hé-
ros et la foule. III. Descriptions et comparaisons. Discours.
IV. Les personnages. Caractère d'Achille; son
développement. Les
antres héros. Personnages de femmes;
Andromaque, Hécube, Hé-
lène. Valeur morale et nationale des caractères. V. Les dieux.
VI. La langu et la versification.

Lorsque nous comparons l'Iliade aux œuvres poéti-


ques des âges suivants, sa grande étendue nous frappe
tout d'abord. Elle résulte à la fois de la manière dont
le poème s'est formé et d'une tendance qui est natu-
relle au genre narratif dans sa première expansion.
Toutefois, s'il est vrai qu'à notre point de vue Y Iliade
est longue, et si déjà dans l'antiquité cette longueur
avait fini par en proverbe',
passer nous ne devons pas
oublier qu'elle est singulièrement courte en comparai-
i. Elksbiœ. contre
Ctésilchots, M9 ~9nvp~ac ¡¡np6't&pov 'I7tté~doç.
Cic., ad AtttQ., VIU, il Tanta malorum
impendet 'Uiàt.
206 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE

son dos immenses épopées do l'Intlo. Le Ramayana et


le Mahabharata – ces puissantes créations d'un peuple
du mémo origine que l»s Grecs, mais d'un génie bien
différent – font ressortir par le contraste cette brièveté
relative de l'épopée grecque. Là le récit surabonde et
déborde; un épisode devient un poème; tout y est im.
monso, ot le regard se perd dans les profondeurs d'une
action confuse, comme dans l'obscurité d'une foret im.
pénétrable*. Ce sont dos masses de poésie plutôt que des
poèmes. Dans YIliade au contraire, tout ost mesuré. Il
en résulte quo le poèmo, dans son entier, présente émi-
nommcnt cetto qualité qu'Aristote a si bien définie dans
sa Poétique par lo tonne d'evowvoiwov s. VIliade, comme
il le dit, se laisse bion embrasser d'un seul coup d'œil.
Lorsqu'on vient de la lire d'un bouta l'autre, on n'a pas
d'effort & faire pour se la représenter tout entière les
parties essentielles reparaissent d'elles-mêmes dans la
mémoire, et les autres, moins nettes, no sont cependant
pas tellement effacées qu'elles ne forment comme un
fond à cette image poétique. On no peut s'empêcher
alors do remarquer que l'étendue acquise pou à peu
par le poème dans ses accroissements successifs lui a
donné une grandeur d'aspect que les chants primitifs ne
possédaient pas au même degré. Et l'influence même
qu'il a exercée a prouvé par la suite que cette étendue
n'était pas sans beauté. Eschyle n'aurait peut-être ja-
mais conçu la trilogie dramatique ni Hérodote le plan
do son histoire, si l'Iliade, avec son large développe-

1. Le Ramayana en
a environquarante millevera; le Mahabharata
a deux cent mille; VIliadeen a moinsdeseizemille.
2. Aristote, Poétique, 83 Arô. xal xwixy itmdmoi Sv? avehi "O(«ipoï
irapà toù{ fiXXout, t# |ttl8i tôv ir<SXe|iov,««drap tyoïrm âpxV tD.oç,
imxn<rïj<rai jtoislv fiXov' Xtav yàp âv (téya *«' oùx eâavvoircav i\uX>.tv tans-
Sat trâ pfjiiïu lUTplâCov xaToncenXer|Uvov *9 icos^tXff. NOv 8' Iv |iipo;
&iroXati>v incivoSioi; niy^xcu noXXotc,otov veSv xaTaXiym xal SiXoiç ir.i--
ooSioi;, ot( Siaia^ëâvti xr\v noh|<nv (W. Christ).
DIMENSIONS DU POÈME 207
mont, n'eût été devant leurs yeux comme un modèle.
Tollo qu'elle est, elle fait naître dans l'esprit une idée
do fécondité, large et pourtant mesurée, d'abondance
contenue, qui entre pour une part dans l'admiration
dont elle est l'objet.
Cotte mesure dans l'abondance est d'autant
plus re-
marquable que l'honneur en revient à toute une série
de poètes fort inégaux en mérite. Après tout, il eût été
possible de grossir encore le puèmo actuel, et il n'était
pas tellement formé quand il parvint à son achèvement,
que tout épisode nouveau en fût nécessairement exclu
d'avance. S'il est resté ce qu'il est, c'est qu'à un certain
moment poètes et public ont senti d'instinct
qu'il n'y
avait plus rien à y ajouter, et qu'en le
développant da-
vantage on l'alourdirait au lieu do l'enrichir. Eu ce
sens, les dimensions de YIliade sont un remarquable
indice de l'esprit do mesure qui a été de bonne heure
nn des traits caractéristiques du génie grec. Il faut re-
connaître d'ailleurs que le jugement naturel des
a dû être éclairé et guidé on cela poètes
par les habitudes de
la récitation publique. Celle-ci
imposait une étendue
nécessaire et à peu près uniforme à chaque chant
isolé
cotte étendue des scènes principales détermina indirec-
tement celle du poème tout entier.
Mais tout cela n'aurait pas suffi à faire
que toutes
les parties du poème vinssent se rassembler d'elles-
mêmes sous le regard, sans cette unité intime
qui fut
créée tout d'abord par l'auteur des chants
primitifs et
que ses continuateurs respectèrent. C'est une pure
discussion de métaphysique littéraire que de se deman-
der, comme on l'a fait trop souvent, si le
sujet du
poèmo est la colère d'Achille, ou le dessein de Zeus,
ou toute autre chose de même
genre. Ni les poètes ho-
mériques, ni leur public, ne se posaient de pareilles
questions. Absolument étrangers à ces abstractions
808 OHAPJTBB IV. – L'ART DANS t 'ILIADE

subtiles, ils ne concevaient un sujet poétique que sous


forme de scènes vivantes, liées les unes aux autres.
La première grande scène do l'Iliade était une querollo
à la suite de laquelle Achille jurait que les Achéens,
désormais privés de son secours, auraient à se repentir
do l'avoir offensé. La dernière grande scène devait,
par une véritable nécessité morale, montrer la récon-
ciliation opérée, non par des engagements et des dis-
cours, mais par des faits, par une victoire décisive, par
la mort d'Hector. C'est par lo nom d'Hector qu'Achillo
effrayait les Achéens en se séparant d'eux c'est par
la mort du héros troyen qu'il les rassure, lorsqu'il est
revenu à eux Ces doux scènes qui se répondent sont
le fondomont même de l'unité du poème. Le reste n'a-
vait en somme, à co point do vue, qu'une importance
secondaire, ot l'on s'explique très bien qu'une fois ces
doux -termes extrêmes bien définis cotte unité ait sub-
sisté, malgré tout ce qui semblait devoir la compro-
mettre. On savait d'où l'on partait et où l'on allait: pou
importaient quelques détours de plus ou de moins; on
ne risquait jamais de s'égarer. Et toutefois, ici encore,
nous devons remarquer la rectitude relative du poème.
Étant données les conditions dans lesquelles il s'est
formé, il est surprenant de voir combien l'unité fonda-
mentale a été rospectée, et quels efforts on a faits, là
même où il fallait bien la sacrifier quelque peu, pour
s'on écarter le moins possible. L'Iliade, conçue comme
une œuvre collective, atteste certes d'une manière re-
marquable cette libre et intelligente docilité dont l'es-
prit grec devait plus tard donner tant do preuves écla-
tantes.
1. Iliade,I, 240 THbot' 'À-/iXMjo«*oM|Rmuvî« 'Ax«iûv– <ni|i-
wm«e. – ..t&t'5viraXXolSç'°E*top»«âvtpofdvora– (Mfcntovre;
nl«-
Twai.
2. lUutle,XXII,333. 1Ip£p«9« |4ya xStcf is£$vc|ixv
'EatofaîToT
à>TpûecK«à firru8«<ji &t t&xtT&uvio.
UNITÉ DU SUJET 909

Si d'ailleurs la marche de l'action est quelquefois


lento, si mémo dans la promière partie surtout, cette
lentour va jusqu'à l'embarras, il no faut peut-être pas
trop le regretter. Grâce à la manière dont elle s'ost
formée, YIliade offre, dans son unité, le spectacle d'une
étonnante variété. C'est là une des qualités qui la dis.
tinguont le plus avantageusement d'un grand nombre
do pubmes épiques. Les scènes qui s'y succèdent ne se
rossomblent les unes aux autres quo do loin en loin.
Et cotto variété ne tient pas seulement à ce fait qu'à
côtédus grandes môlées furieusos nous roncontrons des
épisodes de sentiment et de description, comme les
Adieux d'Hector et d Andromaque, Zem trompé par
Hfoé, ou le Bouclier d Achille. Virgile a su inséror éga-
lontoiit dans son poème dos épisodes de diverses sor-
tes, et pourtant VEnéide n'échappe pas complètement à
la monotonie. La variété de l'Iliade est bien plus pro-
fonde. Elle tient à des dilféroncos d'imagination, do sen-
timents, de style mémo ici la grandeur et la simplicité,
là une grâce brillante et presque pompeuse, ailleurs
des inventions merveilleuses; et, tout à côté, le naturel
le plus dédaigneux des artitices poétiques. Si ces dis-
semblances allaient jusqu'aux disparates, elles seraient
oxcessivos, et l'Iliade n'aurait jamais été un poème.
Maisvoilà justement le trait hellénique. Do même qu'au
Parthénon l'inégalité de mérite des sculpteurs qui ont
travaillé sous les ordres de Phidias, si sensible qu'elle
soit, n'a point compromis l'unité générale de l'édifice,
do même celle des aèdes homéridos a'a point détruit
l'unité morale du poème. Tout différents qu'ils aient
été les uns des autres, il y a cependant certains carac-
tères communs de goût, de mesure, de clarté, de vie,
qui se retrouvent chez tous à des degrés divers. Ils
sont fils du même sol, héritiers de la même tradition,
épris des mêmes modèles, dominés par le respect d'une
Hul.
de la Litt. Grecque. T. I. 140\
SiO CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE

mônio œuvre. On ne saurait assez dire combien cette


variété dans l'unité, si heureusement imprimée sur le
a été
premier chef-d'cauvre poétique du peuple grec,
utilo à la liberté de son développement.

II

Si. de cette vue d'ensemble, nous passons à l'étude


so compose la beauté to-
particulière dos éléments dont
talc du poème, la perfection du récit est la première
chose à remarquer. Dans les parties supérioures du
YIliade, cotte perfection est incontestable et vraiment
éclatante dans tes autres, l'art du narrateur est iné-
des exemples et
gai sans douto, mais. sous l'influence
de la tradition, il reste partout à uno hauteur à laquollo
aucune autre épopée en somme no s'est jamais mainte.
nuo.
C'est d'abord par la conception lumineuse des objets
est admirable.
représentés que la poésie homérique
Une vision nette et claire, à laquelle rien d'essentiel
n'échappe. Hommes et choses apparaissent au poète
sans confusion; images distinctes, qui se présentent à
son esprit naturellement dégagées et ordonnées. Une
merveilleuse faculté d'analyse toute spontanée lui per-
met d'apercevoir dans chaque situation tout ce qu'elle
contient d'intéressant les conceptions complexes se
à mesure
décomposent d'elles-mêmes dans son esprit,
est ordre et
qu'elles y prennent naissance; sa pensée
clarté. Mais, dans cette clarté, il n'y a ni froideur ni sé-
cheresse. L'analyse instinctive dont nous parlons n'est
des
pas celle de la réflexion qui ne laisse subsister que au
abstractions. Ici, c'est l'imagination qui décompose,
moment même où elle crée, et tous les éléments qu'elle
LE RÉCIT. OU PRE ET MOUVEMENT 811
sépare sont vivants. Dans une action donnée, elle décou-
vre des phases successives, toutes intéressantes, toutes
tendant à une môme fin dans un sentiment général,
vtto distingue des péripéties morales aussi vraies que
délicates et variées. Le résultat de cette analyso, c'est
donc la vie et le mouvement, mais le mouvement or-
donné, progressif, toujours intelligible, la vie simpli-
Me, dégagée do ses obscurités, devenue, pour ainsi
dire, toute claire et toute transparente Rien d'exlraor-
dinuiro dans de tels récits, presquo point de merveil-
loux, car l'ordinaire, ainsi interprété, suffit à tout. Des
coups de théâtre, parce que la nature humaine en com-
porte, parce qu'il s'en produit sans cesse en nous et
autour do nous, mais dos coups do théàtro vraisembla-
bles, et jamais de ces soubresauts capricieux qui pro-
viennent uniquement dos fantaisies individuellcs d'un
auteur.
Quel récit pourrait être comparé sous ce rapport à
celui du combat d'Hector et d'Achille au vingt-deuxième
livre? Une série de scènos passent sous nos yeux
l'hésitation d'Hector, sa fuite, te jugement des dieux,
la tromperie si dramatique d'Àthèné, le combat pro-
prement dit, et enfin l'admirable dialogue entre le mou-
rant et son vainqueur; autant de péripéties, qui se fus--
sent évanouies entre les mains d'un moindre poète, et
qui, dans l'œuvre homérique, ont toutes leur valeur
propre par la manière étonnante dont chaque situation
a été tour à tour discernée et distinctement
représen-
tée. Qu'on relise par exemple, entre toutes ces scènes,
celle de la fuite. Avec quelle clarté n'est-elle
pas dé-
taillée 1 Comme chaque moment en est indiqué et ca-
ractérisé avec justesse 1 Tout est vu et dessiné d'un
trait, les acteurs, leurs mouvements, le lieu du drame
et les souvenirs qui s'y rattachent, l'action elle-même
et ses phases:
813 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
Hector attendait: Achille vint à lui. semblable à Ênya-
llos, dieu guerrier et bondissant sur son épaule droite, sa
lance, taillée dans un frêne du Pèlion, vibrait dans sa course
d'un mouvement terrible; autour de sa poitrine, l'airain
resplendissait, semblable à la lueur d'un grand feu ou à l'é-
clat du soleil levant. Quand Hector le vit, un tremblement
le saisit, incapable de tenir pied désormais, il n'osa pas
rester auprès des portes, et, terrifié, prit la fuite. Alors le
fils de Pelée bondit après lui, sûr de ses pieds agiles, aussi
prompt que l'épervier des montagnes, le plus rapide des
oiseaux, quand il fond sur une palombe celle-ci, sous les
serres de son ennemi, hâte sa fuite; l'épervier, déjà sur
elle, pousse des cris aigus, et sans cesse se jette en avant,
affamé do la saisir. Tel Achille, avide de sa proie, volait
droit à Hector et le Troyen, tout tremblant, se rappro-
ohait du mur de la ville, d'une course effarée. Et ainsi, au
pied de la tour du guet et du figuier sauvage, tous deux,
serrant le mur de près et suivant la route des chars, ils pas-
sèrent et ils atteignirent les bassins limpides où jaillissent
deux sources du Scamandre tourbillonnant. L'une roule des
flots tiédes, et une vapeur s'en élève, comme si un feu bril-
lait en-dessous; l'autre, en été, coule aussi froide que la neige
ou la grêle, ou que l'eau oongelée. Tout auprès, sont de
vastes et beaux lavoirs de pierre, où les femmes des
Troyens et leurs filles gracieuses lavaient les riches étoffes
autrefois, quand c'était la paix, avant que les fila des
Achéens ne fussent venus. C'est là qu'ils passèrent alors
en courant, l'un fugitif, l'autre acharné à la poursuite; de-
vant, un brave fuyait, mais, derrière, un guerrier bien
meilleur encore le poursuivait d'un pas agile; il ne s'agis-
sait pas en ce moment de gagner uue brebis ou une peau de
bœuf, prix ordinaires proposés aux coureurs; c'était pour la
vie d'Hector dompteur de couraiera qu'ils luttaient de vitesse.
Quand des chevaux habitués à vaincre courent comme em-
portés, ils tournent autour de la borne un grand prix est
proposé au vainqueur, soit un trépied, soit une femme dont
le mari est mort ainsi Achille et Hector tournèrent trois
fois autour de la ville de Priam d'une course effrénée, et les
dieux contemplaient ce spectacle »

Tout est raison et justesse dans cette narration, si


1. Iliade, XXII, 131.
LE RÉCIT. ORDRE ET MOUVEMENT 913
pathétique pourtant. Ni digression, ni réflexions oiseu-
ses, ni remplissages d'aucune sorte, ni omission do cir.
constances loucliantos ou simplemont nécessaires. Le
sentiment lui-même, ai sincère et si fort qu'il soit, n'est
point ce qui conduit le poète; c'est la pensée qui Io
mène, et par conséquent c'est la raison. Jamais son
émotion no l'écarte de son dessein, jamais olle ne l'em-
porte au delà du but. Chaque chose est à sa place ot
reste dans sa mesure; tout a son utilité, dramatique ou
morale; on sont là je ne sais quelle sereine possession
do soi-même, associée à la sensibilité la plus profonde
et à l'imagination la plus forte. Si la personnalité du
poète se montre si peu dans les récits de l'épopée grec-
que et si les choses seules y appellent notre attontion,
c'est précisément en raison de la pureté des imagos
qui viennent tour à tour se réfléchir dans ce limpide
miroir. Il n'y a là que la nature même et la vérité, dé-
couvertes du premier coup par une merveilleuse intui-
tion.
Mais ce qu'il faut remarquer surtout dans les récits
del1 Iliade, comme le trait vraiment hellénique, ou, pour
dire plus encore, vraiment homériquo, c'est la
simpli-
cité hardie de cette raison si nette et si lumineuse.
Nulle. poésie au monde n'est plus pénétrée de cette
croyance, réfléchie ou inconsciente, que l'art est un
choix. Viser à un certain effet, et l'obtenir par une
combinaison simple de moyens appropriés, voilà en
quelque sorte sa formule. Le parti pris si assuré avec
lequel elle passe par dessus les détails inutiles, et même
par dessus ceux qu'on pourrait croire utiles, toutes les
fois qu'elle a besoin d'aller vite, est admirable. La mi-
nutie lui est aussi étrangère que la précision lui est
naturelle. Toute inspirée de la réalité, elle est moins
y
assfrvie qu'aucune poôsiw connue. Les hommes et les
choses no se montrent au poète qu'en ce qu'ils ont d'es-
914 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE

sontiol; ot par suite, pour les poindro, il procède par


largos touches, avec liberté ot grandeur. Ploir d'un»
impression dominante qu'il veut traduire, il sacrifie
tout ce qui no s'y rapporte pas; ou plutôt, il n'y a pas
de saerifleo, car il semble que la justesse puissante do
son esprit ne lui permette seulement pas de s'y arrôter.
Par là encore et surtout, la poésio de l'Iliade est le type
de l'art grec, à moins qu'on no profère diro qu'ollo est
le type do l'art absolument.
Grâce à ces qualités, la composition dos grands récits
de l'Iliade est particulièrement remarquable. On ne sau.
rait dire qu'elle soit étudié© ni savante, tant on y sont
pou le travail ot la préméditation; mais les plus longs
.développements s'y distribuent avec une aisanco et un
ordre qui révèlent assez une conduite réfléchie. Une am-
ple action dramatique, comme la défaito des Achéens au
XI* livre, est embrassée sans peine par le poèie dans son
ensemble. Il y distingue du premier coup d'oeil la chose
essentielle à montrer, qui est, dans ce cas, le déploiement
extraordinaire de valeur dos héros Achéens et l'inutilité
de cette valeur. Il faut que dans cette bataille furieuse
Agamomnon et lossiens se surpassent eux-mêmes, qu'ils
apportent au combat toute leur fougue et toute leur force,
qu'ils soient, pour ainsi dire, humainement vainqueurs,
bien que vaincus par la volonté des dieux. Ce sera une
victoire terminée en défaite, mais qui restera glorieuse
et superbe jusque dans la déroute finale. Voilà l'idée
maftresse, et il est visible qu'elle constitue pour le poète
le seul plan qu'il veuille suivre. Bien différent d'un his-
torien qui so croirait obligé avec raison de nous faire
connaître le terrain, la disposition des troupes et leurs
mouvements principaux, en un mot de nous faire l'ex-
souci que de
posé stratégique de la bataille, Homère n'a
nous en décrire les grandes phases dramatiques le reste,
s'il en est question incidemment, n'est pour lui qu'ac-
COMPOSITION BBS GRANDS RÉGITS 815
eossoire. Cotte idée morale suffit à ordonnertoute la nar.
ration et à en régler le mouvement. Ayant
toujours la
même conception générale présente à l'esprit, il marche
sûrement à son dénoùment, sans lentour ni
précipita-
tion. Il le fait pressentir, puis it l'éloigné, il
prolonge la
victoire par des épisodes qui nous montrent Agamem-
non triomphant et comme invincible, et pourtant il ne
s'attarde pas au point de compromettre l'idée
principale;
il y a dans son récit comme un mouvement général
qui
nous entraino et qui va en s'accélérantèi mesure
qu'ap.
proche le terme nécessaire. Quand Agamemnon blessé a
disparu, quand la défaite commence, Ulysse et Otomède
remplissent un instant la scène, mais déjà leur courage
môme ost marqué du caractère de la défaite; c'est une
sorte de fureur inquiète, plutôt que cette valeur
impé-
tueuse d'Agamemnon qui tout à l'heure renversait tout.
Et lorsque, blessés à leur tour, ils s'éloignent du
champ
de bataille, nos regards et nos cœurs se
portent d'eux-
mêmes vers Ajax, qui résiste seul en reculant
pas à pas,
et on qui se concentrent toute la force et toute
l'espé-
rance dos Achéens. L'unité de ce vaste récit, comme sa
variété et son mouvement, proviennent donc des
qua-
lités que nous signalions tout à l'heure, de la clarté d'une
imagination puissante et de sa hardiesse à simplifier.
La grandeur est, avec la clarté et le mouvement, le
trait le plus saillant du récit
homérique. Elle résulte sur-
tout de ce que le poète a constamment devant les
yeux
un idéal bien supérieur à la réalité. A plusieurs
reprises,
il est question dans l'Iliade de la force merveilleuse des
héros ils soulèvent sans effort des pierres que plusieurs
hommes d'aujourd'hui, nous dit le narrateur, auraient
peine à remuer. Expression naïve d'une idée qui est par-
tout présente. L'humanité dépeinte dans le
poème est
une humanité idéale,
que le poète et ses contemporains
considéraient, il est vrai, comme réelle dans le passé,
916 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'IUA'DB
mais non dana le présent. On imaginait pour elle des
richesses merveilleuses, (les arts tout-puissants; les hé-
ros sont couverts d'or, leurs armes sont ciselées avec
une perfection dont aucun artiste du temps n'était assu-
rément capablo. C'est là lo seul genre d'exagération que
se permette celte poésie si vraie. D'ailleurs, il faut re-
se garde
marquer que, dans l'exagération mémo, elle
naturellement de dépasser une certaine mesure, qui lui
est indiquée par un sens délicat Jo ïa vraisemblance.
Si les héros de l'Iliade sont plus robustos et plus légers
que les hommes les plus lestes et les plus vigoureux,
cette supériorité n'est pas telle pourtant que notre ima-
La
gination ne puisse l'admettre, à titre d'exception.
se souvient de la réalité alors même
poésie homérique
dans ses
qu'elle la dépasse, et elle reste sensée jusque
fantaisies. Elle veut procurer à ses auditeurs le plaisir
de l'idéal; mais comme elle sait bien qu'on le détruit dès
1 Son art est
qu'on éveille le sentiment de l'impossible
de ménager l'imagination, tout en favorisant son essor.
Tout ce qu'elle crée est grand, rien n'est démesuré. Ces
batailles immenses et furieuses sont encore des batailles
d'hommes, et non de géants. Agamemnon et Diomède,
masses
Ulysse et Ajax luttent à eux seuls contre des
d'hommes, mais on ne les voit pas comme Turpin, dans
la Chanson de Roland, tuer quatre cents ennemis en quel.
enfantine
ques instants. Jamais ce genre d'exagération
les grandes narrations de l'Iliade. L'hy-
n'apparaitdans
est audacieuse et magnifique, comme elle doit
perbole y
l'être dans la vraiment héroïque; mais, dans cette
poésie
audace même, il y a une raison solido, qui ne s'oublie
jamais.
Ajoutons que la grandeur homérique ne devient pas
monotone comme celle de tant d'épopées, parce qu'elle
est tempérée par un sentiment profond et constant de
• 1. Chamonde Roland,éd. LéonGantier,v. 2092.
GRANDEUR IDÉALE 317

la faiblesse humaine. Le poète peut bion s' exalter lui-


môme dans ses conceptions, mais combien il sait forte.
mont ce que c'est que l'homme, et comme il compatit à
sos misères! Les plus vaillants héros de l'Iliade ont leurs
faiblesses. Diomôdo est sur le point de fuir, lorsque Ulysse
le rappelle et le relient: « Fils de Tydée, oublions-nous
notre valeur? Allons, ami, viens ici, tiens-toi debout
» près do moi. Quelle honte pour nous, si l'impétueux
» Hector s'emparait de nos vaisseaux! » Et Oiomède,
vaillant entre tous, lui répond avec autant de simplicité
que de vrai courage: « Eh bien donc, je resterai, et je
» tiendrai ferme avec toi. Mais nous n'aurons guère à
» nous en réjouir, car Zeus l'assembleur de nuages est
» aujourd'hui pour les Troyens et contre nous » Voilà
la vérité. Il y en a vingt exemples dans l'Iliade. Ajax
lui-même, l'intrépide Ajax, a peur. Tous ces héros, si
forts ot si vaillants qu'ils soient, sont pourtant des hom-
mes, et le poète nous en fait souvenir à propos, afin que
nous nous attachions à eux davantage. S'il en est ainsi
des chefs illustres, que dire de ces combattants nom-
breux et obscurs qui s'agitent sur le champ de bataille
et tombent le plus souvent sous leurs coups? La grande
foule anonyme elle-même se compose d'hommes, et le
poète ne dédaigne pas do peindre leurs sentiments. Il
nous fait sentir ces larges et puissants courants d'exal-
tation ou de terreur qui passent sur los multitudes, et
par là il nous intéresse à elles. Les armées homériques
ont une &me collective.
« Éris poussa une clameur terrible et aiguë, et elle mit au
coeurde chacun des Achéens une courageuse ardeur de com-
battre et de s'obstiner à la lutte. Soudainla guerre leur de-
vint plus douce que le retour sur les vaisseaux creux vers
leur chère patrie*. »
1.lliade,XI. 319.
S.Iliade,XI, 10.
aia CHAPITRE IV, – L'ART DANS L'ILIADE

Véritablo ivresse de sang et de gloire, à laquelle s'op-


pose un pou plus loin le tableau de la terreur des Troyens
fuyant devant Agamomnon.
« Atride s'acharnait à la poursuite, encourageant les Da-
naëns à grands oris. Les Troyens, fuyant le long du tom-
beau d'Ilos, antique Dardanide, couraient a travers la plaine
en passant près du figuier, pressés d'atteindre la ville. La
clameur d'Atride s'élevait sans cesse derrière eux, car il vo-
lait sur leurs traces, les bras tout trempés de sang. Quand en-
fin les premiers eurent atteint la porte Skôe et le chêne, ils
s'arrêtèrent ets'attendirent les uns les autres. Une partie de
leurs compagnons, encore au milieu de la plaine, couraient
effarés, semblables à des bœufs qu'un lion a surpris pendant
la nuit et qui fuient de toutes parts un seul pourtant est en
proie à la mort; le lion a brisé son cou de sa mâchoire for.
midable, et il lèche son sang en dévorant ses intestins. Tel
l'Atride, le puissant Agamemnon, poursuivait les Troyens,
tuant les derniers des fuyards, l'un après l'autre; les sur.
vivants hâtaient follement leur course, mais beaucoup tom.
baient de leurs chars, sur la face ou sur le dos, frappés
par le vainqueur; car, baissant sa lance, il bondissait en
avant1. »

Certes, la force descriptive est admirable ici; mais ce


qu'il y a de plus étonnant dans le morceau, c'est la puis-
sance avec laquelle le poète a su peindre cette chose
indescriptible, la terreur d'une foule, et lajaire passer
en nous.
Cette profonde et mâle sensibilité homérique a d'ail-
leurs bien souvent aussi des délicatesses et des tendres-
ses qu'on serait tenté d'appeler virgiltermes, si l'on pou-
vait définir un modèle par l'imitation la plus exquise qui
en ait été faite. Le poète s'intéresse à tous ces guerriers
d'un rang secondaire qui succombent sous les coups des
chefs; et à chaque instant, au milieu des récits de mas-
sacre, des épisodes touchants nous sont offerts. Pour

1. «rade, XI, i«6.


r
PART DU SENTIMENT = gi9

nous dire leur mort, il rencontre des mots simples et


profonds, empruntés au fonds éternel des affections
humaines.
te Agamemnon saisit le glaive d'Iphidamas de aa puissante
main, et il l'attira à lui, fort comme un lion; l'épée fut ar-
raehâede la main du vaincu; alors le roi frappa son ennemi
à la gorge, et le fit tomber. Et soudain Iphidamas, roulant
surle sol, s'endormit du lourd sommeil d'airain; infortuné,
il avait quitté sa femme pour porter secours aux Troyens,
sajeuneet chère femme,dont il ne devait plus voirla beaulêLo

Cotte grâce et ce charme de la vie entrevus dans


l'ombre même delà mort, ce dernier sourire de tout
ce qu'on a aimé et que l'on va quitter, Homère, le pre-
mier, en a compris la tristesse infinie et en a fait comme
un élément nécessaire de la poésie héroïque. Mais chez
lui cette tendresse humaine est toujours associée aux
inspirations les plus hautes et les plus viriles. On passe
des unes aux autres sans surprise, mais avec une émo-
tion profonde. C'est l'humanité tout entière, à la fois
grande et faible, mêlant la fureur du combat à la dou-
ceur des plus chers souvenirs, l'humanité résumée dans
quelques contrastes aussi simples que sublimes.

III

La description est en quelque sorte partout dans le


récit homérique, ici développée et formant épisode,
ailleurs introduite d'une façon accessoire sous forme
de comparaisons, plus souvent encore brève et mêlée
au courant même de la narration.
Cette dernière forme de description, celle qu'on
pour-
rait appeler par excellence la description narrative, tant
i. IHadc,XI, 238.
`
830 CHAPITHE IV, – L'ART DANS L'ILIÂDÉ

ello se fond intimement dans le tissu des événements,


est de beaucoup la plus usitée dans YIliade, Elle est,
pour ainsi dire. la forme la plus ordinaire du récit ho.
mérique, car c'est le propre de cette poésie quo do poin-
dre tout en racontant. Elle peint par le choix de l'ex-
pression, par le son des mots, par le tour de la phrase,
mais surtout parla netteté et la force de l'image. Qu'on
prenne au hasard quelques vers dans une des parties
anciennes du poème, non pas un morceau éclatant qui
se détache du reste, mais au contraire un fragment du
récit ordinaire.
« Alors, par leur ardeur, les Donnons brisèrent enlln la
ligne ennemie, et un cri de victoire éclata a travers les rangs.
En tête, Agamemnon «'élançait et il tua un guerrier, Biènor,
chef d'une troupe de combattants, et, avec lui, son compa-
gnon Oïlèe qui menait les chevaux. Bondissant hors du char,
Otlée s'était jeté devant lui mais au milieu de son élan
même, Agamemnon le frappa de sa lance aiguë entre les
deux sourcils, et l'airain massif du casque n'arrêta pas le
fer; la pointe traversa la visière, puis l'os du front, et elle
déchira on dedans tout le cerveau et Oïléotomba en plein
élan 1. »

Toute la narration dans les chants primitifs est ainsi


toujours rapide, brève, et pourtant largement rythmée,
montrant chaque chose un un mot, et jamais rien qui
ne touche ou qui no frappe. Une intuition nette et pré-
cise, sans séchoresse néanmoins; quelques traits qui
dessinent les personnages, indiquent le mouvement,
éveillent l'imagination. Nulle poésie n'est plus sugges-
tive, aucune ne produit plus d'effet avec moins d'effort.
Ce qu'elle décrit ainsi sans chercher cependant à dé-
crire, c'est sans doute une fiction, mais toute composée
de traits réels. Le poète homérique, d'une manière gé-
nérale, doit être conçu comme un observateur et nulle-
1. IKade,XI,90etttuiv.
&SSÛÏUPTÏOXS 93Ï
ment comme unrêvour: il sait a pou près tout co qu'on
pont savoir do son temps, et il le sait bien: les détails,
même techniques, lui sont familiers; il a une idée pré-
cis» de chaque métier: labour, chasse, pèche, fabrica.
tion des armes, tissage des étoffos, construction, stra-
tégie et tactique, médecine môme, rien dos choses
contemporaines ne lui est inconnu Si l'archéologue
y trouve son compte, le simple lecteur en est presque
aussi vivement charmé. C'est la vie entière d'une so-
ciété encore jeune que nous avons ainsi sous les yeux.
L'épopée, traitée de cette manière, ressemble à une his-
toiro finement et familièrement descriptive on ne se
lassopas d'admirer cetto variété do détails dans un ré-
cit pourtant si libre et si grand.
En général, la description, dans les parties les plus
anciennes de l'lliade, est toujours ainsi mêlée à la nar-
ration. Le poète ne décrit pas pour le simple plaisir de
décrire. Mais quand le sujet s'y prête, quand la mise
en scène doit rendre l'action elle-môme plus dramati-
quo, tout naturellement alors les traits descriptifs se
multiplient et se groupont en tableaux
« Chrysèspriait, et Phœbus Apollon l'entendit. A grands
pas,du haut de l'Olympe, il descendit, le cœur courroucé,
1.De là l'utilité et l'intérêtsi vif des ouvragesspéciauxoù sont
expliquéstousces détailsmatérielsde la vie homérique.Citonsau
moinsici celuide E. Bucbholtz,Diehomerische Realien,3 vol.in-8»
en6 parties,Leipzig,1871-1885, véritable encyclopédiehomérique
qu'ona sanscessebesoinde consulteren lisant l'lliadeou l'Odyssée;
et,dansun autregenrele beaulivre de Helbig,Dtu homerische
traduiten françaispar Trawinsky,Paris, 1894.C'estaussi cetteEpos,
cisiondescriptivequi a donnélieu à tant de discussionssur lepré- site
déTroieet auxbellesfouillesde M. Schliemann,résuméesdansson
IUos,qui a été traduit en françaispar M- Egger.La stratégiede
1Iliadea été tout particulièrement étudiéepar un Grecsavantet let-
tré.M.GeorgesNieolaïdôs,'IXtiaoî«tpmqyHrik tantu)) «al Tom>tp«-
?(«,Athènes,1883.Plus récemment,M. Ch. Hanriot a publiédans
le Bulletinde la Facultédet Mires de Poitiers(juin 188S)une étude
degéographie homériquesurla Camptioyeti.
228 CHAPITRE IV. t'ART DANS L'ILIADE

portant sur ses épaules son arc et son large carquois. Et


dans les mouvements de sa colère, aes flèches s'agitèrent
bruyamment, quand 11 prit son élan et il venait vers le
camp, semblable a la nuit. 11 s'assit à distance des vais.
seaux, puis il lança un trait et l'aro d'argent 8t entendre
un effroyable sifflement »

C'est là, disons.lo, la véritable manièro homérique.


Dans los parties plus récentes, nous trouvons dos des.
ont été
criptions plus dévoloppées, plus brillantes, qui
admi-
peut-être admirées davantage et qui sont en effet
rables, mais non pas supérieures, ni ntâme égales. Te 1
est par exemplo lo célèbre morceau, cité par Longin, où
est représenté le voyage de Poséidon à travers les mors,
au début du treizième livre:

Le dieu attela au timon du char ses deux chevaux aux


pieds d'airain, au vol rapide, à la crinière d'or ondoyante;
lui-même se revètitd'une armure d'or: il prit dans ses mains
les rênes formées d'une bande d'or assoupli, monta sur son
char, et s'élança sur les vagues. Les monstres marins bon-
dissaient autour de lui, sortant en foule de leurs obscures
retraites, et ils reconnaissaient bien le roi de la mer. Fré-
nissantes de joie, les vagues s'écartaient; et les chevaux
volaient avec un élan merveilleux et, sous le char, l'essieu
d'airain n'était pas même mouillé »

Si belle quo soit cette peinture, elle se distinguo de


la précédente à deux signes: d'abord elle est moins liée
au récit, moins utile à l'action; l'autre était un acte es-
sentiel du drame, celle-ci n'est qu'un magnifique décor;
ensuite l'art y est plus apparent, et si l'effet en est pres-
que aussi grand, les moyens sont bien moins simples.
On peut donc distinguer plusieurs manières descripti-
ves dans l'Iliade, répondant à divers âges de la composi-

1. Iliade, I, 43-49.
2. Iliade. XIII, 23-SO.
DESCRIPTIONS 328

lion et à diverses origines. Mais si nous remontons au


typepremier, tel que nous le trouvons dans les descrip-
tions les plus anciennes, et que de celles-là nous pas-
sions aux morceaux plus récents, nous aurons lieu
d'admirer comment la tradition poétique primitive s'est
maintenue en somme dans tout le poème, à travers les
variations môme du goût et la diversité des manières.
Une autre forme que prend fréquemment l'élément
descriptif dans l'Iliade, c'est celle do la comparaison.
Luscomparaisons descriptives abondent dans le poème,
aussi bien dans les parties les plus anciennes que dans
lesautres. Évidemment elles se rencontraient déjà dans
leschants héroïques qui ont précédé et préparé la nais.
saaeodo17/iaefe. Dès que la poésie épique prit son essor,
lesaèdes durent chercher à orner leurs récits en même
temps qu'à rendre leurs conceptions aussi vivantes
quepossible. Les comparaisons répondaient à ce double
besoin; l'usage fréquent qu'on en fit contribua à lour
donner bientôt une forme quelque peu convenue. Une
foisquo la ressemblance générale entre les choses com-
parées était indiquée, le poète out le droit de dévelop-
perà son gré les descriptions épisodiques qui s'offraient
à lui C'est cette liberté qui nous frappe tout d'abord
dans les comparaisons homériques. Elles traduisent
avec force et sincérité l'impression voulue, mais elles
nese contentent pas de la traduire, et, autour de cette
impression, elles développent volontiers toute une scèno
quimérite d'être admirée pour elle-même. Grâce à cette
ampleur, elles étendent de la manière la plus heureuse
l'horizondu poème. Dans un récit de guerre, elles nous
font voir incidemment,et comme par d'ingénieuses échap-
i. C'estceque Perrault fans ses Dialoguesappelaitdes comparai-
sonsà longuequeue.Voyez Boileau,Réflexionscritiquessur quelques
magesdurhéteurLongin,VI, oùse trouventdes remarquesfort m-
«ewascsà ce sujet.
384 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE
des épisodes do la
péos do vue, des scènes do chasse,
vio rustique ou urbaine, et, plus souvent encore, les
divers de la nature. Par là, elles ne contribuent
aspects
pas médiocrement a i'agréable vaùété du poème,
Beaucoup d'entre elles d'ailleurs sont remarquables
mettant sous les yeux
par leur valeur descriptive. En
«le ses auditeurs des scènes do la vio commune qui leur
sont familières, le poète sait traduire d'une manière
saisissante l'aspect imaginaire des grandes scènes de
guerre qu'il raconte. Veut-il peindre deux fronts de ba.
taille opposés l'un à l'autre?

« Semblables, dit-il, à deux lignes de moissonneurs qui


s'avancent l'une vers l'autre à travers les sillons dans un
champ de blé ou d'orge, riche domaine, et qui font tomber
devant elles les épis en gerbes épaisses, ainsi les Troyens
et les Achéens, s'élançant les uns contre les autres, frap-
paient devant eux »

Quelquefois elles étonnent notre goût moderne par


une familiarité hardie et expressive. Ajax, pressé par
uno foule d'ennemis, assailli d'une nuée de traits, ne
recule pourtant que pas à pas; toute son énergie s'est
tournée en une obstination héroïque

Tel un âne, qui s'est jeté dans une pièce de terre, s'y
obstine malgré des enfants en vain on lui brise des bâtons
sur le dos; il renverse les blés épais tout autour; les en-
fants le frappent à coups redoublés, mais leurs coups sont
sans effet sur lui, et ils ne le font enfin sortir qu'àgrand'peine
quand il s'est repu à son gré. Tel Ajax, le glorieux fils de
Télamon, assailli par les Troyens ardents et par la foule de
leurs alliés, qui frappaient son bouclier de leurs longues
lances, résistait en reculant K »

Mais le plus souvent, c'est par la force et la grandeur

1. IHade,XL 87 et soi*.
2. Iliade, XI, 558et suiv.
COMPARAISONS 985

quo les comparaisons homériques nous ravissent. La


chasse dans les temps ancien» étant comme une image
naturelle de la guerre, ses épisodes en fournissent d'ad.
mirables au poète. Ulysse oat entouré d'ennemis

« Tandis qu'il avisait au danger, les rangs des Troyens


vinrent sur lui avec leurs grands boucliers, et ils l'envelop-
pèrent de tous côtés, mettant ainsi le péril et la mort au
milieu d'eux. Quand, autour d'un sanglier, des chiens et des
chasseurs ardents s'élancent Il l'attaque, la bête sort du
hallier épais, aiguisant ses blanches défenses dans ses ma-
ohoires recourbées; on se jette sur elle de tout côté, mais
ses dents se heurtent avec bruit, et les assaillants s'arrêtent,
pleins d'effroi. De même, autour d'Ulysse, cher Il Zeus, s'é-
lançaient les Troyens i. »

Les descriptions de la nature, surtout collos des as-


pects divora do lainer, no l'inspirent pas moins heureu-
sement.

« Hector frappait les chefs des Danaëns et après eux la


foule, comme lovent d'ouest, fondant sur les blancs nuages
amassé* pur le Notos, les secoue de son choc impétueux et
les poussa violemment au loin des flots énormes roulunt,
et l'écume soulevée par le vent vole dans les airs, tandis que
la rafale se déchaîne en mugissant. Ainsi Hector renversait
devant lui cette foule de têtes serrées 1. »

II faudrait multiplier à l'infini ces exemples pour


donner une idée exacte de la variété de choses qui figu-
rent ainsi dans, l'Iliade incidemment. Nous devons à
cette façon d'illustrer le récit beaucoup de renseigne-
mente intéressants sur la vie contemporaine. Et ce rap-
prochement perpétuel; de la réalité et de la fiction, si
intimement^ associées l'un» à l'autre, contribue à don-
ner à l'ensemble un air do vérité qui nous charme.

i.Jto«fe,XMUet8»iv.
Uiade.XI. 304et suiv.
Htat. de !» un. Gneqn* – T. T. 15
298 CHAffïRE IV. – L'ÀHT DANS L'ILIADE
Un autre «méritent du récit homérique, ce sont les
discours nombreux prêtés aux personnages; ces dis-
cours font de la narration uno sorte do drame. C'est l'i-
mitation de la vie réelle qui les a introduits dans l'épo-
pée; et, par suite, il y en a, comme dans la vie réelle,
de publics et de privés. Souvent le poète roprésonlo
ses personnages s'entretenant los uns avec les autres,
s'exhortant mutuellement, se déliant sur le champ
de bataille ou se faisant connaître de leurs adver-
saires les paroles qu'il leur prête no sont pas alors
des discours à proprement parler, c'est simplement
l'expression spontanée do leurs sentiments. Mais, à côté
de ces entretiens, il y a de véritables discours publics.
Les chefs délibèrent entre eux et exposont leurs opi-
nions dans le conseil, ils s'adressent au peuple assem-
blé et ils discutent devant lui, ou bien encore ils vont
porter officiellement comme ambassadeurs des propo-
sitions au nom de tous. Nous trouvons là l'image des
mœurs du temps. Il y avait déjà une éloquence publique
dans les cités grecques lorsque l'Iliade prit naissance,
et par suite il y a aussi une éloquence publique dans ce
poème lui-même1. Cette éloquence a été admirée à bon
droit dans l'antiquité comme elle l'est de nos jours;
mais elle l'a été d'une manière qui n'est pas toujours
parfaitement juste. Lé passage principal de Quintilien
sur l'excellence oratoire d'Homère est classique On

1. Consulterà ce sujet Fr. Blass,DiealtischeBerethamkeit, Intro-


duction;G.Perrot L'Éloquence politiqueet judiciaireà Athènes,
ch.I;
MauriceCroiset,De publicaeeloguenliaeprineipiitapvdGraecos in
homericiscarminibus,Paris, 1875.Voir ausai plus loin, t. IV, p. 14
et suiv.
8. Jnstit.oral.,X, 1, 46 Hic enim(Homerus). omnibuseloquen.
Ma*partibusexemptantet ortumdedit; necpoetieamodo,sedora-
toria virtuteominentissimus.Namut de landibut, exhortttionibns,
consolationibus laeeam',nonne«1 nonus liber, quomisasad Achfl-
lem legatioeontinetur,vel in primointer ducesilla eontentio,vel
dictaein secundosentent!» oiuutmIHiuoiae conslHornmcspHcsal
LES DISCOUBS 287

y sont très fortement une tendance fâcheuso, consis.


tant louerchez le poète homérique l'emploi d'une foule
de procédés ingénieux, qui n'ont été classés et dénom-
més que beaucoup plus tard dans los écolos do rhéteurs.
Certes, il y avait de l'adresse déjà et du calcul dans l'é-
Joquenco publique, telle qu'olle a pu être pratiquée par
les contemporains de l'Iliade, et il est tout naturel par
conséquent qu'il y en ait aussi dans les discours que le
poète prête à ses héros. Ceux-ci parlent comme des
hommes habitués à réfléchir, qui ont le sentiment du
l'effet qu'ils veulent produire, et qui ne laissent pas flot-
ter tout ponsées ni leurs paroles au hasard. Que l'on
puisse en conséquence observer chez eux une sorte de
rhétorique, nous en convenons mais c'est une rhéto-
rique toute primitive, tout élémentaire, faite surtout
d'expérience personnelle, d'observation, d'imitation di-*
recto. Elle sort do la vie, et non de l'éc:>lo. Une chose
remarquable dans ces discours, c'est le grand rôle que
le caractère do l'orateur y joue. Les personnages se
jettent, pour ainsi dire, tout entiers dans la discussion
il semble qu'ils comptent moins pour persuader sur
leurs arguments que sur leur autorité personnelle. Ils
discutent peu, ils n'entrent presque jamais dans les rai-
sons de leurs adversaires, ils ne vont pas chercher les
objections pour les réfuter, ils affirment et ils veulent
être crus. D'ailleurs ils ne développent pas, parce qu'ils
ne savent pas analyser. Ils conçoivent les choses for-
tement, mais d'un seul coup, et ils voient chaque pen-
sée comme un tout indivisible. Une courte phrase, un
seulmot même est quelquefois pour eux l'équivalent de
toute une démonstration par l'intensité de passion qu'ils

arlesî. Jam simtlltadineB,


amjliftcationes,exempte,digressos,si-
gnarerumet argumenta,ceteraqueprobandiae refutandi, sont ita
multa,ut e'.lamqui de atUbns scripserunt,plnrimi harnmrerum
testlinoniumab hoc poetapatant. etc.
IV. L'ART DANS L'ILIADE
888 CHAPITRE
la naturello do
y mettent. C'est donc la force et justessede cette élo.
l'affirmation qui font surtout la valeur
est émi-
quence. Par là mémo, son mérite dramatique mot.
nent. Ce sont les grands discours de l'Iliade qui
tent surtout on relief les personnages] ils ne sont pas
seulement un ornement du poème, ils en font la vio et
l'excellence morale.

IV

Le don do créer des êtres Oçtifs semblables àdesélres


réels a été le don homérique par excellence. C'est cotte
autour de l'Iliade
qualité éminente qui a mis le premieret bien
si fort au-dessus doses devanciers1, que ses suc
à cet égard, ils l'ont encore
cessours n'aient pu régaler
imité avec assez do succès pour aiformir la tradition qu'il
avait créée*. “
Il est probable que la plupart dos héros do l'Iliade
le
avaient déjà une personnalité poétique, avant que
premier chant do ce poème eût pris naissance. Quelques-
unes dos épithètos qui s'attachent ordinairement à leur
nom somblontlo démontrer. Ce n'est pas dans l'lliade
la première fois
qu'Achille a été surnommé pour
« Achillo aux pieds légers » (wé8«ç&atfc 'AxOXevî) Aga-
memnon était déjà dans»la poésie antérieure « le roi qui
commando au loin » («if* xPe{wv 'Aw*i*"»). et Nestor
« le doux orateur desPylions »>(Xuyoî\hik\m &i^m<).
coa.
Ces qualifications étaient toutes fort simples; elles
si staient en un seul trait, et elles étaient d'autant plus

1. Arist..Poil., e. 2i 'OU (Homère),ttlT« wo*««tjwvo«.w»4t


010 ts #.QOÇ, %al
clqiY&I.¡..apœ ~1'~ ~°-S
2. Sucle* personnageshomériques,eonsallerles é^es CawtoaUa,
«pêmato
de M.Delorme,Leshomm ÏBomère,Paris 1861.etde M.
le*femmesd'Homère,Toulouse,185*.
LES PERSONNAGES 239
propres à donner l'essor aux imaginations qu'elles leur
laissaient plus do liberté.
L'œuvre de l'épopée fut de développer conformément
au sentiment populaire ces données primitives qui n'é-
taiont encore qu'à l'état d'indications. Ello y réussit en
créant dos situations qui exigèrent de la part des per-
sonnages mis en scène des sentiments forts et variés,
et en les faisant valoir dans de larges récits. Grâco à
cotte origino, les personnages los plus marquants de
l'Iliade sont à la fois très vivants et d'une nature très
simple. Nés de la légende et de l'imagination populaire,
et non d'une conception abstraite, ils sont pleins de réa-
lité. Si peu complexe que soit le caractère do chacun
d'eux, il serait impossible de l'exprimer par une formule;
cone sont pas dos types généraux, mais dos hommos
aux traits bien individuels. En cola, l'épopée homérique
ressemble à l'histoire. Mais elle en diffère par la sim-
plicité. Moins enchaînée à l'exactitude, elle choisit et
elle élimine plus librement. De là vient qu'elle ne laisse
presque rien d'obscur dans l'âme de ses personnages;
comme elle ne s'attache en chacun d'eux qu'à un petit
nombre de traits saillants, elle peut les mettre en pleine
lumière. La vérité morale est chez elle toute en dehors,
et elle éclate sans qu'on ait besoin de la chercher.
Achille, c'est la jeunesse héroïque, une force et une
beauté presque divines dans un mortel. La légende l'a
donné au poète de la Querelle comme un type de grâce
virile, avec l'orgueil de la supériorité et la tristesse de
la mort prochaine. Tout le reste est sorti de la situation
même, interprétée avec un sentiment profond de la vé-
rité humaine. La Querelle lui prête une grandeur ad-
mirable. C'est lui qui prend l'initiative de remédier aux
maux présents. Il promet à Calchas sa protection, et on
sent aussitôt que personne dans l'armée n'est
puissant
contre lui:
330 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILIADE

Sois sans crainte, devin, et dis-nous les choses que tu sais


par révélation. Car j'en atteste Apollon cher à Zeus, le
dieu que tu invoques toi-même, Calchas, quand tu déoou-
vres aux DanaSnsles desseins d'en haut, personne ici, tant
que moi je serai vivant; tant que mes yeux ne auront point
fermés, ne portera sur toi des mains violentes dans l'en
ceinte de ce camp, personne entre tous les Danaëns,' quand
môme celui que tu vas nommer serait Agamemnon, si glo-
rieux d'être le premier des Aohéens*.t.

Point do petitesse d'aucune sorte dans son âme: à la


fois fier ot modéré au début, il montre hardiment à Aga-
memnon son injustice ot lui promet pourtant un dédom-
magement. Mais quand le roi le menace personnelle.
mont, alors sa colère éclate sous l'injure. Cette colère
est toute faite d'un orgueil juvénile, auquel se joint naï-
vement le souci des profits perdus, curieux indice de la
race et du temps; elle est l'expression spontanéo du ca-
ractère, toute colorée du feu de la passion

Ah chef impudent, trop habile chercheur de profit?, quel


Achéen désormais voudrait se prêter a tes désirs, et sur ton
ordre se mettre en route ou engager le combat? Quant n moi,
ce n'est pas en haine des guerriers troyens que je suis venu
ici livrer bataille, car ils n'ont rien fait dont j'aie à me
plaindre. Jamais ils n'ont chassé mes bœufs, jamais ravi mes
chevaux,, jamais ils ne sont venus dans le pays fertile de
Phttaie dévaster mes champs; entre eux et moi, il y a.trop
de montagnes couronnées de forêts, ily a la mer mugissante.
C'est donc pour toi, homme effronté, oui, c'est pour toi que
nous sommes ici, afin de te donner satisfaction; c'est la ven-
geance de Ménélas, c'est la tienne, impudent, que nous ré-
elamons des Troyens. Et voilà de quoi ta n'as ni pensée ni
souci! Il faut que tu me menaces de m'enlever toi-même une
récompense pour laquelle j'ai pris tant de peine et que m'ont
donnée les fils des Achéens Jamais nos parts ne sont égales,
lorsque les nôtres détruisent quelque ville opulente de la
Troade. Les plus rudes taches de la guerre tumultueuse, c'est

i. Iliade, I, 85-M.
ACHILLE <J31
mon bras qui les accomplit, mais quand vient le
partage,
à toi la plus large récompense, à moi un faible
salaire, au-
quel je tiens pourtant; c'est ce que je remporte dans mes
vaisseaux après les fatigues de la guerre. Eh bien donc, je
m'en irai en Phthie, car il vaut bien mieux m'en retourner
chez moi avec mes vaisseaux recourbés; et je n'ai
pas l'tn-
tention de rester ici sans honneur pour t'amasser à toi ri.
chesses et profits «.

L'injuro d'Agamemnon pénètro comme un trait dans


cette âme irascible, et ello
y reste fixée. Rien ne donne
mieux l'idée de son énergie puissante,
que le calme ap-
parent avec lequel lo jeune héros se laisse enlever Bri-
séis, une fois qu'il a arrêté le projet et la forme de sa
vengeance. Cet enlèvement était, il est vrai, donné par
la légende, et le poète ne l'a
pas créé. Mais ce qui lui
appartient on propre, c'est cotte modération dans la plus
violente colère, qui traduit si admirablement la profon-
dour de la blessure et la force du ressentiment:

« Salut, hérauts, messagers de Zeus et des


nommes: ap-
prochez ce n'est pas à vous que j'en veux, c'est à Agamem-
non qui vous envoie ioi à cause de la jeune Briséis.
Allons,
noble Patrocle, fais sortir la jeune Ûlleet remets-la
leur, pour
qu'ils l'emmènent. Mais qu'en même temps ils me soient té-
moins devant les dieux bienheureux et devant les hommes
mortels, et aussi devant le roi violent, si jamais il a besoin
de moi pour écarter des autres un désastre. Car il est en
proie à un vertige de mort, et il ne sait pas réfléchir à la fois
au passé et à l'avenir, pour assurer le succès des Achéens
auprès des vaisseaux »

Dans la scène de l'Ambassade, nous retrouvons la


mémo âme. Rien n'y a faibli. C'est un dramatique spec-
tacle quo le réveil de cette colère après les pa-
grande
roles affables adressées par'Achille aux députés qui sont
»•Iliade, I, U9.
2. Iliade, 1, 334.
832 CHAPITRB IV. – L'ART DANS L'ILIADE

ses hôtes. Le contraste est saisissant entre cette noble


courtoisie, cette fierté douce et bienveillante, et l'em-
portement soudain de la passion qui s'exaspère au moin-
dre contact. L'injure est aussi vive qu'au premier ins-
tant, et toutes tes forces de cette nature héroïque se
soulèvent en tumulte autour du grief unique qui domine
toutes ses pensées. – Passons à la Mort d Hector, Achille
y reparaît avec le même éclat. Une passion nouvelle,
celle de venger son ami, a succédé alors en lui à l'an-
cienne passion, à celle do sa vengeance personnelle. Elle
est nouvelle, mais elle a les mômes caractères que l'an-
cienne. Elle possède l'âme tout entière, elle la soulève
jusque dans ses dernières profondeurs. Tout ce qu'il y
a dans Achille de forces morales, son courage intrépide,
sa confiance en lui-même, sa résolution inflexible en
face même d'une destinée qu'il n'ignore pas, et surtout
son dévouement ardent à un sentiment qui est pour lui
comme une religion, tout cela se dresse à la fois contre
Hector
« Hector, ennemi détesté, ne me parle pas de promesses
mutuelles. Point de serments entre les lions et les hommes;
point d'entente entre les loups et les agneaux la haine, et
toujours la haine 1 De môme, entre toi et moi, ni amltié ni
promesse il faut que l'un ou l'autre meure et qu'il rassa-
sie de son sang Arôs, l'opiniâtre combattant. Appelle à toi
toute ta vertu c'est maintenant qu'il est à propos d'excel-
ler à manier la lance et à combattre. Plus de fuite possible
pour toi: Pallas Athèné va te dompter par mon fer; tu
paieras en une seule fois les deuils de tous mes amis, mas-
sacrés par ton bras 1.»
Si le don suprême de la poésie est de mettre tout
l'homme dans.une passion, jamais peut-être ce don ne
Vest révélé plus merveilleusement. La vengeance de
Patrocle, voilà le seul objet auquel tend toute l'action
1. Iliade,XXII, 26t. ·
ACHILLE 238
d'Achille au vingt-douxièmo livro mais dans ce rôle si
simplo, la richesse de sa nature éclate; sa haine impla-
cable est unie à tous les sentiments qui lui sont propres;
elle les absorbe et les transforme en elle-même, mais ne
.les supprime pas.
Dans les développements ajoutés plus tard à ce grand
caractère, nous relevons deux scènes particulièrement
remarquables; la douleur d'Achille après la mort de
son ami Patrocle et sa générosité en face du vieux Priam.
Ni l'une ni l'autre ne sont tout à fait égales à celles que
nous venons de signaler. La première est plutôt es-
quissée qu'achevée on n'y sent pas toute la fécondité
d'invention du grand poète de la Querellé. La donnée de
la seconde est admirable, mais il ne faut pas oublier
qu'elle était indiquée déjà avec ses principaux détails au
vingt-deuxième livre; quant à l'exécution, elle mérite
tous les éloges par une naïveté profondément humaine
qui associe la vérité du sentiment à la grandeur de l'i-
magination. Si ces deux scènes ne sont pas du poète pri-
mitif, on doit remarquer combien la tradition qu'il avait
créée était forte et à quel point le personnage conçu d'a-
bord par lui s'imposait désormais à ses successeurs.
Ceux-cine savaient pas, il est vrai, autant que leur de-
vancier, déployer à la fois toutes les richesses de'son
âme, mais ils lui conservaient.toujours à quelque degré
la noblesse et la grandeur.
Nous n'étudierons pas ici, à côté d'Achille, tous les
autres personnages de l'Iliade, mais nous devons en
dire pourtant quelques mots. La. variété de leurs carac-
tères est une des beautés du poème. Il est à peu près cer-
tain qu'elle existait déjà dans la légende et dans les poé-
sies antérieures; mais l'Iliade a fixé ce qui était encore
flottant et elle a donné un corps à des créations sim-
plement esquissées. Dans le onzième livre seul, c'est-
à-dire dans lo récit de la défaite que subisaeut les
984 CHAPiniK IV. – L'ART DANS L'ILIADE

Achéens quand ils essayent de se passer d'Achille, les


personnages do Diomèdo,d'Ulysse et d'Ajax, qui se suc-
cèdent au premier rang, sont caractérisés tour à tour
par des traits individuels. Le courage impétueux et la
fougue de Diomède,la vivacité de ses passions qui se
marque dans son apostrophe à Paris ne ressemblent pas
au sang-froid ni à l'énergie réfléchie d'Ulysse, non plus
qu'à l'opiniâtreté muette d'Ajax, dont l'ontôtement hé-
roïque est si hardiment caractérisé par la célèbre com-
paraison traduite plus haut'. L'audaco brillante du pro-
mier, le dévouemont intelligent du second, l'intrépidité
uu pou lourde du troisième ont été conçus si nettement
que tous les détails de la narration, actesou paroles,
descriptions ou comparaisons, tendent également à faire
ressortir ces différences. Et de là ollos ont passé dans le
reste du poème. 11on est do mémo pour les autres
grands personnages. Chacun a sa physionomie propre
le vieux Nostor, avec sa sagesse bionveillanlo et son
indulgence, si heureusement alliée à l'énergie des con-
seils ainsi qu'à une liberté de réprimande qu'il revendi-
que comme le privilège de son grand agoj le noble
Hector, si plein do toutes les affections humaines, si dé-
voué aux siens, si admirable dans la victoire et dans la
défaite; le malheureux Priam, pliant sous l'infortune,
sans forco morale en face de la destinée terrible qui le
frappe, dépouillé mémo un instant de sa majesté natu-
rel lo par l'excès de sa douleur, et réalisant ainsi sous
nos yeux la misère humaine dans toute l'étendue dont
elle paraît susceptible
t. XI. !MUSet Milv, Toiit«, Xtae^p, xipx «r*«i, «a^tvonfnw C'urt
une invsclive «mère et moqueiiae, où chaque mot «tf un trait de raille-
rie et une vengeance,
2. Voir p. 83*. Cf. RollMU, Héfltxluiti teiligu» tur qutlque* fam»,w
du rhilem' Imigin, IX, et U nota de M" D»oler nue ce |>MMy« du XI>
Itvro dam lu W«w«c(yMc«(|ul n«eempign«n( dk IrMnetlon tla Vllimh.
a. Bur FrlNin, >uy«i nbuMiubrimiili (iétttu «I» CkrMlmhme, t. iî,
LES FEMMES 33&
Los porsonnagos do femmes méritent d'être cités tout
particulièrement comme exemples do ce don poétique
de vérité et do variété. Il y en a trois principaux dans
YIliade, sans parler des déesses: Andromaque, Hécube,
Hélène. Los deux premières appartiennent certainement
par les parties les plus ossentiellos de leur rôle au
groupe des chants primitifs.
Le caractère d'Andromaque ost une des plus belles
créations do la poésie ancienne. Épouse et mère avec
cette sorte de passion exclusive qui est si naturello à la
femme, ollo ne conçoit pas lus impossibilités morales
qui empochent Hector do rentrer dans Troie; ollo no
voit qu'une chose, c'est qu'elle veut le sauver, parce
qu'il est tout pour elle et tout aussi pour son enfant:
Hector bien-aimé, ton ardeur to perdra tu n'as pas pi-
tié do ton enfant encore muet ni de moi, infortunée, qui
bientôt serai veuve. Ils vont te tuer, ces Achéens, en s'élan-
tant tous ensemble contre toi. Ah t mieux vaudrait pour
moi, si je viens à te perdre, descendre sous la terre; car, une
fois que la destinée t'aura frappé, plus de oonsolation pour
moi, rien que des souffrances Je n'ai plus ni mon père ni
ma mère vénérée. Mais toi, Hector, tu es pour moi un
père, une mère bien-aimée, uh.frère, tu es mon époux flo-
rissant do jeunesse. Oh! aie pitié; reste ici sur cette tour,
ne fais pus de ton fils un orphelin, de ta femme une veuve;
range nos combattants auprès du flguiar, du côté où la ville
est le plus accessible et où. l'on peut arriver jusqu'au rem-
part en courant »

l.o sentiment est sa raison, et lo


poète lu fait parler
succussivoment avec l'éloqucnco de la tendresse dans
sa prière et avec l'éloquence du désespoir dans son af-
fliction. Mais, quelle que soit l'effusion de son Âme, il
n'oublie jamais do lui garder en toute circonstance une

<*ap.iv la scène du XXIV*livre a'y trouve traduite et analysée,


non«ciiibquelquesubtilité, main avec une graado forcede sentiment.
». Hmfr, VI, 487,
`
336 CHAPITRE IV, L'ART DANS L'ILIADE

grâce noble qui môle à sa douleur un charme de beauté.


Au départ d'Hector. eUe sourit à travers ses larmes en
et quand le cri dos
voyant l'effroi naïf d'Astyanax
a succombé, elle tombe
Troyens lui apprond qu'Hector
évanouie sur le rempart, sans qu'aucuno violence exté.
rieure manifeste co qu'ollo éprouve
Hécubo n'a qu'un rôle secondaire toutefois il est im-
à Hector au début
possible d'oublier sou appel déchirant
du vingt-deuxième livre, et son désespoir à la fin du
môme récit.
Quant à Hélène, les passages où elle figure semblent
être d'origine diverse mais ils s'accordent sur quel-
ques données cssontielles, à savoir les reproches qu'elle
se fait à elle-même et l'admiration quo sa beauté excite
est
parmi les Troyens. La scène la plus caractéristique
colle du sixième livre où est racontéo son entrovue avec
Hector. Il y a une touchanto vérité moralo dans le suis.
timont qu'elle éprouve pour le vaillant héros, quand il
reproche à Paris sa mollesso
Hector, quelle soeur as-tu en moi? Une femme audacieuse,
malfaisante et funeste. Ait pourquoi, le jour où ma mare
me mit au monde, un coup de vent furieux ne m'a-t-il pas
emportée au loin dans la montagne ou dans les flots de la
mer bruyante? Que n'y ai-jo été engloutie avant que tout
ceci n'arrivât 1 Ou du moins, puisque les dieux en avaient
décidé autrement, que ne m'ont-ils donné d'étro l'épouse
d'un homme vaillant qui aurait su s'indigner et sentir l'ou-
trage Quant a celui-ci, nulle volonté en lui, ni maintenant
ni jamais; sa faiblesse lui vaudra plus d'une honte. Allons,
entre chez nous, frère, et assieds-toi sur ce slége, car tu as

t. On peut lire sur Andromaque 1'apprâciation de Chateaubriand,


Géniedu Christian., 1.II, chap. VI, mais plus par curiosité littéraire
qlle pour y «herohwrla vArité; car le parti pris de l'autour a nul «in-
gultèremont à la rectitude de son jugement. Cf. Saint-Marc Girar.lln,
Littérature dramatique, chap. xiv, où le» principales parties du r<M«
d'Andromaquasont traduite» et vainementappréciée». Voyezaussi
une bonne étude de Oamboulfu dans l'ouvrage cité plus haut.
LES FEMMES 837
beaucoup à souffrir à cause de moi, misérable, et à cause de la
faute de Paris; Zeus nom a infligé une triste destinée, afin
que nous soyons dans l'avenir un sujet de chants parmi
les hommes »

Ses lamentations du vingt-quatrième livre sur le


corps d'Hector no sont en quelque aorte quo lo dévelop-
pement do co qui apparaît là à travers ses amers ro-
grets, se montre le souvenir d'une admiration respec.
tueuse et tendre à la fois

• Hector, toi qui me fus cher entre tous les frères de mon
mari, je suis l'épouse d'Alexandre issu des dieux, car c'est
lui qui m'a amenée a Troie que ne suis-je morte aupara-
vant! Voioi déjà la virgtlôme année que j'ai quitté mon
pays et jamais, durant oe temps, je n'ai entendu de toi un
soûl mot blessant ou léger. Au contraire, si quelque autre
dans le palais me parlait durement, soit l'un de mes beaux.
frères, soit une de leurs femmes ou l'une de tes sœurs, soit
nui ltellc-méro, car Priam, lui, était toujours pour moi
comme un tendre père, – qui que ce fut, tu le réprimandais,
et tu me protégeais de ta bonté et de tes douces paroles.
Voila pourquoi je pleure à la fois sur toi et sur moi, le cœur
plein d'une amére tristesse car je n'ai plus personne dans
la vaste Troie qui soit pour mol doux et bon comme tu l'é-
tais je fais horreur a tous ». »

Les potMos qui ont mis ce personnage dans l'Iliade


l'ont plutôt laissé entrevoir qu'ils ne l'ont expliqué.
Peut-être, eu raison do sa situation mémo, le fond de
ses sentiments était-il trop difficile à démêler. L'Hélène
do l'Iliade n'a donc qu'un rôio épisodique, son carac-
tère est pou étudié, mais sa. situation est au-dessus de
l'un et de l'autre elle est la cause do la guerro, et elle
jette sur tout le poème l'éclat de son incomparable
beauté. « Ah t certes, ft'écriont tes vieillards troyens en
la voyant paraitre, il n'y a pas liou de
s'indigner si les
l.lliude. V1.8M.
2 Marte,XXIV, 76*.
838 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILIADE

Troyens ot les Achéens souffrant tant de maux depuis


si longtemps pour une telle femme son visago est tout
semblable à colui d'une déesse '.» »
Mais si le don do créer la vie et do manifester les son-
limentsestmorvoUloux dans l'Iliade, ilnefautpascroiro
pourtant qu'il so montre partout égal à lui-même. Il
y a bon nombre do personnages dans lo poème, mémo
parmi les plus illustres, qui n'ont qu'une physionomiu
indécise tels sont Idoménéoet son ami Mérionès, tels
aussi Eurypylo etlo fils d'H Jraclès, Tlépolèmo, Losll>
inéridos n'ôtaient pas tous dos Homère. Cette inégalité
se fait sentir même dans les parties récentes dos rôles
primitifs. Aeliilto par exemple est absolument médiocre
dans toute la première partie du vingtième livre, où un
nous
poète continuateur l'a mis on présence d'Éntîe j
net-retrouvons là aucun dos traits essontiols de son ca-
ractère ot ce qui lui manque le plus, c'est précisément
ce qui lui est ailleurs le plus propre, la passion.
Entre tous los personnages qui ont souffert do la façon
dont {'Iliade s'est faite, il n'en est aucun qui ait été plus
maltraité qu'Agamomnon. Ici l'inégalité, lo manque de
suite, Tincoaslance du sentiment sont portés au plus
haut degré, et la dispersion dos scènes empêche soule
qu'on n'en soit généralement frappé comme on devrait
l'être. L'Agamemnon do la Querelle, si hautain et si
so retrouve
passionné, personnage superbo d'épopée, ne
dans le poème qu'au XIe livre, où il se montre en héros.
C'est là visiblement la conception première, un roi puis-
sant, chef d'une confédération do princes dont il se fait
les
respecter par sa valeur personnollo autant que par
forces dont H dispose, orgueilleux de sa haute situation
et très jaloux de ses privilèges.
« Va-t'en, dit-il a Aohllto qui le brave, f aia bien loin, si
t. Iliade III, 1S6.
VALEUR MORALE ET NATIONALE 889
c'est là ton bon plaisir; ce n'est certes pas moi qui te sup-
pliorai de rester loi pour ma cause. J'ai auprès de moi d'au-
tres princes qui m'honoreront, et, plus encore qu'eux tous,
Zeus aux sages pensées. Va-t'en donc chez toi avec tes vals-
seaux et tes amis, et fais la maître chez tes Myrmidons» je
suis indiffèrentà, ce que tu penseu, et je n'ai pas souci de
ta colère >. »
Mais à mesure quo le poème s'ost compliqué, rien
n'était plus difficile que do soulonir ce personnage au
travers des péripéties qui doivent le conduire à la ré-
conciliation avec Achille. Los aèdes homérides y ont
échoué. Au IX- livre avant Y Ambassade, au XIV» après
la prise du camp, Agamomnon se montre sans force et
sans volontit. Il no sait plus que pleurer et proposer le
départ'. La vraisemblance morale n'est pas même ména-
gée par la mise en scèno on sent quo los auteurs de ces
morceaux se servent d'une donnée dunt ils ont besoin,
sans l'approprior véritablement à su destination.
Toutefois ces disparates n'ont qu'une faible impor-
tance dans l'ensemble du poème. Les beautés morales
dominont et les font oublior. Los principaux person-
nages du récit se font admiror du nous dans une série
do scènes où nous les retrouvons constamment avec
los grands traits de leur physionomie, toujours vivants
et suffisamment semblables à eux-mêmes. Sans doute,
il n'y a encore chez aucun d'eux développement
régu-
lier et suivi d'un caractère, comme plus tard dans cer-
taiiius tragédies. L'épopée primitive no
ectto étroite liaison des parties ni cette comportait pas
succession sa-
vante de phases qui s'cxpliquont l'une par l'autre. biais
».Iliade.1, 113.
2.J-amanièredontDioinédel'insulteau IX» livre (37-40)caracté-
risabien fortementcettesecondeconception,ei
étrangementmêlée
aujourd'hui la première
Soltï iiâviixo8àMKp&vov naïf *rKvXo|»r,«ft>-
e)tattt6<jt
jMW u. 1Mw.
Ttït- M?!S~Mt'
i>nv «' oi toi 8<Sxiv, 6 t« x;dxoc êarl
péttotc*.
340 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'IUADB

ai elle ne réalisait pas encore pleinement cet idéal de


l'art au service de la vérité morale, elle le laissait déjà
entrevoir avec une remarquable netteté. Los grandes
scènes s'y continuent les unes les autres. Elle sait non
seulement créer les situations émouvantes et les faire
valoir, mais encore y engager si profondément les ac-
teurs dont ollo dispose, que leur nature intimo s'y. ré-
vèle tout entière; elle sait enfin y poser les grandes
questions morales qui doivent apparaitro dès que les
intérêts humains sont on jeu, et qui changent d'aspect
au gré des passions qui s'agitont.
Voilà pour la valeur morale des personnagos du l'i-
liadc; lour valeur nationale en résulte naturellement,
H était impossible à des poètes greesdepénétrorsi avant
dans lu vérité humaine sans mettre en lumière en môme
temps lus caractères propres de leur race. L'idéal bel-
léniquo, tel qu'il se montre dans l'Iliade, est un com-
sans mysticisme,
posé d'intelligence, d'énergie, de piété
do raison pratique, de sentiments d'honneur associés
a un souci assez marqué de l'intérêt personnel. Mais il
n'est pas réalisé dans un personnage cxclustvomont,
qui eu serait comme la froide abstraction. Il est dans
tous partielle ment, inégalement, quelquefois brillant
et plein d'éloquence, quelquefois obscurci par la pas-
sion et il se dégage soit des discussions, soit des ré-
flexions, soit des leçons de l'expérience, c'est-à-dire de
l'action mémo. Il est hors do doute quo le génie grec
s'est reconnu lui-même très promptemont dans cotte
œuvre qu'il avait créée, et que l'Iliade, dès qu'elle sor-
tit de l'Ionio, devint le poème hellénique par excel-
lonco, comme elle l'a été pendant tout la période clas-
sique et au delà
1 Con&auer à cesujetLtaer. GtMchivMe Poeiie.Ber-
der Homeritch.
àt fifeorteHa komtritep*»>,*»rttede
ttn, «Si (p. 5-S8), Sèa'gsfcawt,
l'Iliadede 0. Dlndorfdansta bibliothèqueTvubner.
LES DIEUX 241

A coté ou plutôt au-dessus des hommes, les dieux


jouent dans l'Iliade un très grand rôle >. Nous devons
dire ici quelques mots de ce rôle, au point de vue lit-
téraire exclusivement, puisque la question, si souvent
agitée, du merveilleux dans te poème épique s'y trouve
impliquée.
Et tout d'abord il est vraiment superflu de faire re-
marquer que, pour les poètes homériques, il n'y avait
pas une mythologie poétique différente dos croyances
contemporaines Les dieux do l'épopée étaient aussi les
dieux da la vie ordinaire, On no demandait à i'iroagù
nation du public aucune complaisance et on n'invoquait
aucune convention littéraire pour lus lui faire accepter.
En représentant les dieux comme en représentant les
hommes, le poète mettait en scène ce qu'il considérait
comme une réalité vivante.
Cos dieux, d'après la croyance commune, avaient
une forme humaine oÇ des passions humaines. Toute-
fois, comme la plupart d'entre eux n'avaient été à l'ori-
gine que des porsonnitications des grands phénomènes
naturels, quelque chose do cette ressemblance primitive
avecla nature subsistait encore en eux Le peuple conce-
vait Zt us comme un homme d'une force et d'une majesté
merveilleuses, mais il l'imaginait au milieu des nuages
qui s'assemblaient à son appel, tenant la foudre dans sa
puissante main et capable d'ébranler le monde d'un seul
mouvement de sa létc. La vengeance d'Apollon, quand
1.a. Bertrand.1m dieuxprotecteur»de»hérosgrecsou troytn»dans
riliiule.Rennes,«858;et engénéral,Naegelsbach,
DieHomerischeTheo-
%<e.Xnremberg.1810(2«Mit., par Aulenrlelh,Nuremberg.1861).
2. J. Girard, Lelentimentreligieuxta Grtc*d'N.n,~aiw
n Far~
chap.I.
»iil. il» !• Litt. Grecquo. T. I. 10
248 CHAPITRE IV. – L'ART DANS L'ILIADE

il frappait ses ennemis, participait du mystère et de la


soudaineté des fléaux inattendus qui viennent s'abattre
sur les hommes ses flèches simaient à travers les airs,
et l'on croyait entendre frémir dans los murmures du
veut la corde terrible de son arc d'argent. Poséidon ha-
bitait les abimes transparents de la mor, au fond d'une
il sortait do
grotte, ou il trônait comme un roi; quand
là, on se le représentait traversant los mers on domi-
nateur, apaisant ou soulevant les flots à son gré, en-
touré d'un cortège tumultueux de monstres marins
sorte de terreur religieuse attirait au passage
qu'une
de leur maître. Tout cela était le fond même de la
à tous
croyance populaire ces images étuiout familières
les esprits, et le poète n'avait qu'à les dégager, à lus
rendre plus lumineuses, pour que ses auditeurs recon.
nussent avec une pieuse admiration dans ses descrip-
tions éclatantes ce qu'ils entrevoyaient dans leur propre
pensée. A chaque instant, dans l'lliade, la nature appa-
rait ainsi derrière les dieux, et elle jette sur eux comme
un reflet de sa beauté grandiose D'ailleurs ces dieux
ne sont pas seulement des personnifications plus ou
moins transformées de ses phénomènes changeants. Ils
la représentent aussi en ce qu'elle a d'ordonné. La reli-
dans
gion grecquo, au temps de Yllade, impliquait déjà,
sa conception du monde, d» idées de régularité et
d'unité, dont la notion dos dieux ne pouvait manquer
de profiter. Ces idées se personnifient tout particulière-
ment dans la Destinée, qui se laisse apercevoir dans le
poème comme supérieure aux dieux, eans que le poète
d'ailleurs paraisse songer aucunement à en préciser la
vraie nature ni les rapports exacts avec les passions
divines. C'est une notion obscure encore, mais singu-
lièrement forte et majestueuse, qui donne à toute la
La
philosophie du poème une profondeur remarquable.
même conception fondamentale explique aussi toute la
LKS DIEUX 243
hiérarchie divine, et par conséquent la suprématie de
Zeus. Cette suprématie, il est vrai, est éludée et même
bravée, mais jamais d'une manière définitive. Zeus en
somme se fait obéir de tous; sa volonté n'est pas seule-
ment la plus grande force morale et physique qu'il y ait
dans l'univers, elle est mémo capable de dompter à elle
seule toutes les résistances coalisées, et elle mène de
haut les événements avec une puissance irrésistible qui
ne contribue pas médiocrement à la grandeur du récit.
C'est donc à la fois par ce qu'ils tiennent do la nature
et par ce qu'ils doivent à une philosophie encore élé-
mentaire que les dieux de 1"Iliade s'imposent si forte-
ment à l'imagination. Mais, outre cela, ils entrent pro-
fondément dans l'action' par les passions tout humaines
qui les animent. Si plusieurs d'entre eux sont déjà à
quelques égards les dieux de toute l'humanité, ce ca-
ractère d'universalité n'apparaît encore que bien faible-
ment chez la plupart et n'entraine nullement comme
conséquence l'impartialité. En générai la poésie homé-
rique, dans l'Iliade, les conçoit comme ils avaient dû
être conçus antérieurement par les auteurs dos chants
épiques dont elle procède. Ce sont des dieux nationaux
tout dévoués au peuple auquel ils appartiennent. Apol-
ton est le dieu d'Uios, parce qu'en faitil avait régné sur
la vieille citédardanienne avant que son culte ne s'établît
en Grèce; Hère est la déesse d'Argos; Athèné, celle de
l'hellénisme tout entier sous sa forme achéenne. Il est
vrai que les ennemis de leur peuple les prient aussi
mais ils ont à lutter alors contre une défaveur instinc-
tive de leur part. Les divinités ont un patriotisme dans
la poésie homérique, un patriotisme qui ne tient pas à
une convention arbitraire, mais qui est reconnu par la
croyance commune et attesté par d'antiques traditions:
c'est une des choses qui contribuent le plus à en faire
d'excellents personnages d'épopée.
344 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILIADE

Outre ces préférences générales, il en est d'ailleurs


do particulières, qui sont parfois ou des sonlimeuts pro-
fonds ou de véritables passions. Thétis est mère j elle a
toutes les tendresses et toutes les sollicitudes de l'amour
maternel. Et en général, lorsqu'une divinité s'allie à un
homme dans l'Iliade, ello fait vraiment causocommune
avec lui.

« A présent. dit Athônô à Aohille au XXII» livre, j'espère


qu'à nous deux nous allons remporter unesoit grande gloire, eu
si insatiable qu'il de combattre.
triomphant d'Hector,
Non, il n'est plus possible qu'il nous échappe, quand même
son protecteur Apollon, l'habile aroher, se mettrait en peine
pour le sauver, jusqu a se jeter aux pieds de Zeusme qui tient
l'égide. Allons, fais halte et reprends haleine je oharge
•>
d'aller te le chercher et del'amenor à te combattre en face'.

Le dieu est intimement associé à son héros, il a la


môme ardeur au combat, les mômes haines et les mô-
mes perfidies, il l'aide au besoin à insulter ses ennemis
avant la lutte et après la victoire. Do tels personnages
divins apportent dans les chants où ils se mêlent toute
une somme nouvollo d'émotions variées.
D'aillours lour secours puissant, bien loin de diminuer
l'action personnelle du héros, l'augmente au contraire.
La poésie homérique ne connait pas les subtilités méta-
ne so demande pas, lors-
physiques ni théologiques. Elle
la fureur de Diomède excité par
qu'ollo représente
Athèné, quelle est, dans les mouvements impétueux de
son àme, la part de l'action divine et celle de sa propre
«
nature. Courage, Diomède, dit la déesse, assaillons les
h Troyens je t'ai mis au cœur cette fermeté inébranla-
» ble qu'avait ton père, le cavalier Tydée, au bouclier
» sonore ». » Est-ce là une opération mystérieuse qui

t. Iliade,XXII. 216.
2. Iliade,V. 124-128.
JLKsi DiKUX 845

supprime l'énergie personnelle du héros? Aucun des


auditeurs d'Huinère n'aurait môme pu concevoir pareille
chose. Une parole humaine, l'exhortation d'un chef ou
d'un ami, un regard parfois, suffit à doubler le courage
du combattant. La parole ou le regard d'un dieu produi-
sent les mêmes effets avec une puissance bien supé-
rieure, sans qu'il y ait là plus de mystère. Ni le poète
ni son public ne se posaient à eux-mêmes de questions
difficiles et obscures on face de pareils spectacles; mais
avec leur foi naïve, ils goûtaient profondément la jouis-
sance de contempler ces âmes héroïques, devenues tout
à coup plus héroïques encore par l'influence d'une divi-
nité amie. C'est une dos beautés dramatiques de l'Iliade
que ces rolations incossantes dos héros avec les dieux.
On les voit tour à tour appeler ardemment le secours et
le surcroît do force dont ils ont besoin, se plaindro avec
amertume quand cet appui leur manque, s'exalter dans
l'assurance de la victoire quand il leur est accordé, et
toutefois trouver en eux-mêmes assez do courage soit
pour braver la défaveur divine, comme Ajax, soit pour
défendre leur vie en désespérés, 'comme Hector, quand
il se sent trahi et abandonné. Lo sentiment religieux
n'est donc pas surajouté dans ces chants au sentiment
héroïque; il y est môle si intimement, qu'on ne pourrait
l'on supprimer sans déchirer violemment le tissu dont
leur poésie est faite
Ces observations s'appliquent à tout le poème et toute-
fois il y a aussi, dans cet ordre d'idées, des différences
notables entre les parties anciennes et les nouvelles.
t. J. Girard.ouv. cité, p. 67.«L'étalnatureld'un héros
c'estl'état merveilleux,puisquepartou!.autourdeluiet end'Homère,
lui-même,
il croitvoirousentir la divinité;matacetétat merveilleuxne sup-
primepas son activitépropreet n'affaiblitnullementl'intérêt qu'il
nousinspire. car c'est pour lui-mêmeunesourceperpétuelled'émo-
tions et uneoccasion de développer ta forcepar l'exaltationou par la
lutte.»
846 CHAPITRE IV, – L'ART DANS L'ILIADE

Dans les parties anciennes, les dieux n'interviennent


que par des actes importants. Au livre 1, Apollon lance
ses traits sur les Achéens pour venger son prêtre,
Atlièné arrête Achille au moment où il va tirer l'épée
contre Agamomnon, Thétia vient se concerter avec lui
pour assurer sa vengeance j ce sont autant de scènes
dramatiques et de moments do l'action. En outre le
merveilleux y est à la fois grandiose et discret point
de description pompeuse les dieux se révèlent par un
seul signe et sont reconnus seulement de celui à qui
ils ont affaire.
« Tandis qu'Achille roulait ces pensées dans son âme, et
que déjà il tirait du fourreau sa longue épée, Àthânô vint à
lui, descendant du haut des airs; elle était envoyée par
Hère, qui avait même affection et même sollicitude pour les
deux héros. Elle s'arrêta debout derrière lui, et posant la
main sur sa blonde chevelure, elle lui apparut a lui seul:
aucun autre no pouvait lavoir. Achille fut saisi de surprise;
il se retourna et aussitôt reconnut Athèné car les yeux de
la déesse lançaient des éclairs »
C'est là l'antique et simple manière mais il arriva,
pendant la croissance do l'Iliade, qu'à force défaire in-
tervenir les dieux, les aèdes finirent par s'apercevoir
que le merveilleux était par lui-môme un ornement
très propre à relover certaines parties du récit et peu
à pou, ils en Brent usage comme d'un moyen connu et
commode, soit pour se donner l'occasion do descriptions
brillantes, soit pour remplir des vides, soit tout simple-
ment pour ajouter un agrément do plus à leurs dévelop-
pements. On peut choisir comme exemple do cette ma-
nière lo message d'Iris auprès de Borée et de Zéphyre
au XXIII* livre K Il s'agit là uniquement d'exciter la
flamme du bûcher de Patrocle, et pour une chose aussi
i. Iliade,
1. Wo~e.ï.tMetstttv.
I, î«3etsulv.
2. Iliade.XXIII, 192et autv.
aulv.
LA LANGUE DK L'ILIADE 847

simple lus dieux interviennent, Iris va portor aux vents


les ordres do Zeus, on discourt, on s'agite, comme sile
sujet en valait la peine.
En opposant co passage au précédent, on a les deux
termes extrêmes d'uno longue série qui comprend natu-
rellement une foule d'inventions intermédiaires.
Dans son ensemble, le monde divin de l'Iliade est aussi
vivant, aussi intéressant que le monde héroïque. En se
mêlant à celui-ci, il lui prête sa majesté, et il permet
au poète do faire apparaître, derrière la grandeur pu-
rement humaine de ses héros, une grandeur religieuse
qui devait toucher vivement des âmes croyantes.

VI

Terminons cette rapide étude en disant quelques mots


do la langue deYIliade
La langue homérique offre, dans l'Iliade, un mélange
bien digno d'attention. On y trouve en effet, non seu-
lement dos mots en grand nombre
qui ont disparu plus
tard de l'usage, mais des procédés de déclinaison et de
conjugaison qui lui sont propres, et des formes qui ap-
partionnent à des dialectes divers.

1. La langue de l'Iliade comme celle de l'Odyssée doit être étudiée


dans les lexiques spéciaux. (Voir ci-dessus la bibliographie à la
page
107.)Elle a en outre servi de matière à un eert- 'n nombre d'ouvrages,
parmi lesquels nous citerons Ahrens, Formenlehre des homerischm
Dialectes, Gôttingen, 1852; Van Leeuwen et M. B. Mondes da Costa,
Grammaire de la langue d'Homère, traduite par Keelhof, lions 1887
D. B. Monro. Bomeric grammar, 2» éd., Oxford,
1891 J. van Loen-
wen, Ënchiridion leetùmis epicae, Lugduni Batavoram, 1892-1895.Con.
sulter aussi l'étude de A. H. Sayce, à la fin du 1" vol. de l'hietoire
de la littérature grecquo de Mahaffy. en anglais. Les Prolégomènes
•!«*iritulis curmina de W. Christ contiennent également d'excellentes
lemarques sur ce sujet ainsi que tes Grundfragen dey Homerkrilik de
P. Caner, Leipzig, 1895.
818 CHAPITRE iV. – L'ART DANS L'il.IAUK

Toute l'antiquité a cru que lu puésio homérique, cun-


temporaine do plusieurs diulectos coexistant*, avait ont-
pruntô do côté et d'autre ce qu'elle croyait bon dt<s'ap-
proprier. Du la était résultéo, pensait-on, uno sorte do
langue composite, dont lu fond était le dialecte ionien
do ce temps, mais qui admettait aussi un assez grand
nombro de formes éulienues et même doriennes. « Il
» ne suffit pas à Homère, dit Won Chrysostume, do mêler
» ensemble les diversos façons du parler des Hellènes,
» et de s'exprimer tantôt on éoliou, tantôt on dorien, tan-
» tôt on iunien il faut encore qu'il parle olympien (&u«tî
» $!e<X:y*7$xt) » On peut voir chez les grammairien»
et co;ninontulours anciens un certain nombre do formes
homériques qui sont signalées par eux comme éolionnes
ou comme dorîonnos, et dont ils semblent attribuer de
mAino l'origine à un choix plus ou moins arbitraire du
poète.
Toutefois une observation plus éclairéo et plus me
thodique a permis do reconnaître qu'il n'y a point dans
la langue de l'Iliade do formes doriennos. Celles qu'on
qualifiait ainsi ont été ou corrigées ou désignées autre-
mont. Tout se réduit on réalité à un mélange d'ionismc
et d'éolismo
Les formes éoliennes se trouvent d'abord dans un
grand nombre do locutions traditionnollos, formules ou
épithètos 3. C'est là un fait très important ît noter, car
il prouve évidemment que la poésie homérique est sur-
tout éolionne par ce qu'elle a de plus ancien. Ces fur-

4, Orationes,XI.23.Cf.Plutarque,de Vitaet poesiIlomeri.B.eh.8


Ai|n U hoixîXti toi; inô nivut JioOixtou
«|^pi)|âivo(, tô>v"EWr.vituv x»-
paxTijpa;èr»r(il|uUv->EÏ&vtôfri;i«ri icS««vït,v 'E'û.ita tet>.tùvx»i
sfivI6vo«.
2. Christ,Uiaditcarmina,Prolégomènes.p. 127.
3. Sur les éoliimes d'Homère,voir Uinrichs, De Homericae elocu-
tionisvesttguBaeolicit,IéUa,«75,et 0. C.Warr, Theaeolicélémentin
thelliadand Oâgms(CtoiicoJhteiew,î, p. 35et 91;.
LA LAKOUKDE L'ILIADE 840
mules ont été créées dans une langue éolienne. non dans
une langue ionienne, et plus lard, consacras par l'u-
sage, elles ont gardé lourformo primitive. Mais l'emploi
du rèotismo dans la langue homérique n'est pas restreint
à ces vioillos choses souvont rôjiétéosot presque imtnua-
lilos. On trouve, on dehors dos formules et des epithe-
tes consacrées, dos formes éoliennos substituées à dos
formes ioniennes quand la nécessité rie lu mesure
l'exige; on les trouve même 1a où elles sont non pas in-
dispensables, mais simplement plus commodes ou plus
sonores. II est clair par suite quo la poésio homérique
s'adressait originairement la un auditoire pour lequol
ces formos n'étaient ni inconnues ni désagréables. Los
Ioniens qui entendirent d'abord l'Iliade avaient donc
assez d'habitude de i'éolisme pour reconnaitro immé-
dinlomont les formes propros à co dialecte, ot ils trou-
vaient peut-être uno certaine saveur particulière ù dos
sons qui n'étaient pas tout à fait ceux dont ils se ser-
vaient quotidiennement.
Lu langue ionienne de 17/iWe différait d'ailleurs olle-
mômoassoz notablemont du celle qui était alors courante.
Formée par une succession potil-etro déjà longue de poè-
tes, elle conservait par héritage un assez grand nombre
d'archaïsmes d'une part, ot do l'autre des expressions
ou des locutions que ces poètes avaient créées pour leur
usage.
Pour expliquer cet état de la langue homérique, on
a supposé récemment que les chants de l'Iliade avaient
été composés d'abord en éolien et traduits plus tard en
ionien. Los formes éoliennes subsistantes seraient alors
celtes qui auraient résisté à cette transposition en raison
des difficultés métriques Le texte de l'Iliade ne se

t. A.Flek,Diehomerische
Odystetin der urtprilnglichm Sprachform
Gwllingan,1883,et Oiehomerische
ztcdcrhergitleltt, ttias nacAihrer
350 CHAPITUE IV. L'ART DANS L'iLÏÀDB

prôto pas à cette hypothèse car d'abord il renferme


itua forrwusèulîonncs qui auraient pu, une inconvénient
et en
pour la mesure, être transposée» en ionien
second lieu, ai elle était exacte, il devrait y avoir de» dif-
férences notables, au point de vue du nombre d«s for-
mes éotiuuncs, entre les parties anciennes ainsi tra-
duites et 1»'bplus récentes qui no l'auraient paa été; or
en fait, celto inégalité n'oxiatc pas. D'ailleurs, aila lun-
gue éulienno avait produit dis ces tomp» anciens un»
oauvro lollo quo VIliade, il serait absolument impossible
de concevoir Pour quollo» raisons cotte couvre aurait
passé ensuite dans une langue diiïéronto au lieu de gur-
dur sa furmo primitive. On no pourrait a'en rendra
compte qu'en supposant une décadence profondo du
l'éolismo entre doux périodes brillantes, l'une épique,
représentée par Vlliade et l'Odyssée, l'autro lyrique, par
l'écolo lesbionno il n'y a aucune circonstance histori-
que qui rende cola vraisemblable.
Mais cette supposition n'est pas nécessaire. L'étal do
la langue de {'Iliade s'explique sans peino par Ins origi-
nes do ta poésie grecquo. Coilo-ci a pria naissance dans
lu Grèce ccnlralit sous formo d'hymnes, puis elle a
grandi dans los villes éolienncs d'Asie Mineure sous
forme do chants épiques de médiocre étendue. Ello s'est
fait ainsi un langage qu'elle a consacré dès l'origine par
son caractère religieux et ensuite par ses succès. Plus
tard la grande épopée est née en Ionie sur les confins de
l'Éolide. Tout naturellement clio a parlé ionien, mais un
ionien mélangé d'éolismos que la tradition lui suggérait
et que les mœurs acceptaient. Toute l'explication du la
langue homérique est dans ces quelques faits. C'est donc

Bntttehungbelrachletundmil derurtprùngliehenSpraehformwiedrr-
htrgetMU,Gôttingen,1985-86.
1. Voir la discussionde Monro, Hommeùrammar, £•«tiitfùn.
386,et tea<)bMrvaMens
p. aM, Cauer,eM.
ou»,etM,
lesobservationsde P. CitMef. cité,pp.. 98et 8.
LA LANGUE 01 L'itlADB 851
um>langue composite, mais co n'ont pas un mélange
arbitraire du tout U* dialectos contemporains. Le poète
qui I* parle a souvent le choix entre plusieurs termes,
doqui don no à sa diction beaucoup do souptusso et de
variété, mais ces formes no sont pas prises au hasard
outro Imites collos quo lui offruit l'usage do son
temps;
oncuromoins «ont elles fabriquéespar lui artiflcîolloinenl
a i'aidoli'uliongoinonis ou du raccourcissements cosont
ou dos formes anoionnos eonsorvôos par lu poésie
pour
«in usago particulier ou des formes contemporaines
appartenant au dialoclu du poèto. ||«»i dwte tantôt vu-
tunhiiromunt archaïque, tantôt flilèloà l'usage régnant.
Sa liberté est grande, plus grande assurément, et do
houucoup,que ne lo fut dans la suite en Grècecollo des
écrivains do l'ago ctassiquo, mais c'est une liberté rai-
sonnée ot rcspccttiouHodo la tradition.
Co quo nous disons ici des formes verbales peut
s'ap.
pliijuorégalement ait choix dm mots. Il est visible quo
lus poètes homériques se funt uno règle constante de
ne pus employer le vocabulaire ordinaire, coluido tout
le monde ot do tous losjours, afindo donner leur récit
plus do noblesse. Ils mo"ent en pratique pour cela plu.
simirs procédés traditionnels fort simples. Comme ils
aiment les formos archaïques, ils ont aussi le goût des
termes anciens. Quelquefois, mais exceptionnellement,
ils nous les signalent eux-mêmes comme appartenant
à lu langue des dieux, distincte de celle des hommes

I. Iliade.XIV,MO f.vt*« Spunn– XaX-


xî«»xixlfrmtmfcol,X"Opv»«. ityupr,ivaWYXtoc,
81«i(uv«iv.
vifitc Cf.1,403,Briarteet /Egétm;
XX,74,Xanlhaet Seamandre. C'estcequeles anciensappelaientla
dionymie homérique. Le grammairien Ploléméed'Alexandrin avait
écritIhp!tfrf«t«p*'O|t<p^8wvu|tla«««pà xal iveptinoit.
«lot; J'inler-
pr.'leicila dionymiecommelescommentateurs ancienssemblent l'a-
voirgénéralement interprétée.Cettefaçondevoira étécontestée de
nosjourstrèsfortement,mais&tort,selonmoi.VoirLobeck, Aylao-
Vluimus, II, p. 838sniv.;Nauck,dansles Jahrbmhtr de Jahn.Snp-
1114 UHAmHK IV. – L'A UT DANS L'ILIADK

Maisordinairement ils les mêlent tout simplement aux


«nota contemporains, ann do donner à la pliraio quoi»
que chose d'insolite qui la relève La longue liste drsa
XmÇ ripuplvs de YIliade est évidemment formée on
grande partio d'éléments arcliaTquoade ce genre.
Un autre moyen dont iUusent pour ennoblirlour élo-
oution, c'osl l'emploi des mots composés,l'rolltant d'uno
faculté naturelle à lu langue grecque, ils créent, avec
une hardiosto quo le langago ordinaire no pouvait pas
admettre, dos expressions brillances ol sonores, formées
d'un groupod'élômonU qni parlonttousà l'imagination.
Cesont surtout les adjectifs qui deviennent ainsi comnio
les ornomenU naturols du discours poétique. Ils lui
apportent une magnificence do sons et d'images qui
préio au récit épiquo richesse otgrandeur. Maisco qu'il
taut remarquer dans cotte richesse, c'ost qu'elle ne nuit
un rien à la clarté. Les mots composés do lapoésie épi.
quo différent on cela très notaMoinoit'ido ceux que créa
plus tard la poésielyrique, on particulier le ditliyrambu.
Presque tous sont formés d'un radical do nom et d'un
radical d'adjectif qui lo qualifie (XiuxwXjvo;,
SoXiyôoxw;)
c'est le procédé do composition lo plus simple et lo plus
clair: quand la languehomérique associoentre eux d'au-
tres éléments, elle lu fait toujours dans le même esprit,
do façon que lu sens du mot nouveau ressorte avec éclat.
Indépendamment des expressions composées, il y a beau-
coup d'autres créations poétiques dans la langue d'Ilo-

plém. VIII. p. M8 auiv. Bernbardy, tlriech. Lit., I, p. 182. Cf. sur ce


sujet J. van ï-eeuwen. lie lingua deorum, Hnimotyne, XX, p. t il
(18M).
I. Arialote, Poétique, eliap. s» et axit. – A vrai dire, il est fort dif-
ficile «ujonrd'nui de déterminer lûrement l'âge des mots dans le telle
homérique. On est réduit sur ce sujet à des conjectures mais plu-
sieurs sont à peu près certaines. Arislots signale i?r,TT,ppour Upric
{Iliade, h 91; Arist., Poil., cb. xxi) comme un mot fabriqué («noir,-
l<év«v);n'est-ce pas plut6t un de ces mots anciens?
LA LANGUI OS L'ILUDS 153
mère, Nous nous bornons à signaler celles qui sont d»
l'essence môme de toute poésie, comme en général
toutes tes métaphores et toute* tas manières indin-ctoadn
traduire ta ponsée. On no peut trop admirer à cet égard
et las ressources qu'elle sait trouver et l'art avec loque I
ollo on use. Elle a autant do force et de grandeur que d«
linusso et do grâce; olle sait décomposer ou au contraint
russorror une expression selon le bosoin elle possèdi*
à la fois l'abondance et la vigueur Il est bien romar-
i|»ub!o en purticuliur de voir couibion ce soin de gran-
dir ut d'vnibellir l'élocution est éloigné d'unu faussa
nulilfsso. Partout les chosos simples aonlôuoucoos situ-
|iluinoiit, les mots propres sont employés à propos suit
pour éviter des longueurs, soit pour donner de la forci!
au style, et lus périphrases, quandelles so mdlontaulit-su
du discours, servent non à ramollir, mais à lo rendm
plus brillant
(«astructure dos phrases et dos propositions est sou-
plu ut variée avec une extrême simplicité. Los assem-
blages compliques do pensées sont absolument inconnus
de la poésie hoinérîquo, mémo dans les discours, continu
nous l'avons fait observer plus haut, et à plus forto rai-
son dans le récit. C'est la juxtaposition qui est la loi or-
dinaire de ce stylo naïf et clair. Lorsque) par hasard iu
pltrase se prolonge, – ce qui est exceptionnel, tes
uonséos successives s'ajoutont les unes aux autres dans
t'ordre où elles se présonlont à l'esprit jamais elles no

t. Uaintilten,X, 46 Hunenemoin malnis rébus subUmilate,in


parvisproprietatesuperaveril.Idem '.aelusac prewu?,jueundubet
gravie,tum copia, tum brevttateuiirabllig. – Plut.,Oracltaenprose,
t. H 'Api<rroriX/)«
(ùvolv (iivov"O|ir,pov 4v4|iatamietv
tytft xivoi!|uva
îsi t»i»{v«?Y«,»y.Cf. Philémon.fr. 97(Kock).
2. Iliade,ï, 88 Offrit<|uOCûvto;xallui yfim\e»pxo(iivoio.
Ces der-
nieramotséquivalenttafi).{itovr6,mais il n'est personnequi nesente
ce qu'ils ajoutentde forceA l'affirmationen mêmetemps que de
toute extérieureà l'expression.
S64 GHAPITBB IV. – L'ART DANS L'ILIADG

sont déplacéesen vue d'enfermer par exemplelespropo-


sitions incidontes dans la proposition principale ou de
partager toute la pliraae on groupes aymétriques. Duni
cette série d additions qui constitue le développement
mémo de la pensée, le poète use d'ailleurs d'une grande
liborlé. La rigueur de logique et d'analt)gie que le pro.
grès de l'osprit analytique introduisit plus tard dans la
langue lui est oncore étrangère On peut qualifier
d'inexpérience ce laisser-aller, et il est certain qu'il tient
en effet à un étui d'esprit caractérisé par une réflexion
encore éléinoutuire mais il faut reconnaîtra qu'ils'tis.
socie furt bien duns la tauguo homériqueà unocunnuiV
sauce fuimlièrode tous les seci-olsdu style. Cotte phrase
flottante et si peu liée a parfois une vigueur extraor-
dinairo. Elle se rodrns*o brumquemont, se précipite ou
s'arrdte avec un sentiment juste de l'offot qu'ulle doit
produire. Hienduns sua allure qui rappelle l'uniformité
un pou traînante dos récits populaire». Elle a don tours
pteins do vivacité, des surprises, doit élans imprévus,
elle sait détacher un mot comme un trait, ou le fuire
pénétrer comme un coup d'épéo. Elle décrit commeolle
veut, par le son des mots, pur lour place, par la façon
dont olle les groupe ou les sépare C'ost un art con-
sommé, associé li une naïvoté incontestable.
La langue homérique est d'aillours fort bien servie
en cela par une versification à la fois très simple et très
rythmée'. Au temps où los chants de l'Iliade naquirent,
»,Voyez»arcesujetlasréflexion* deG.Heramnn dansu disser-
tation Delegibiu quibutâamtubtitioribut
lermonithomericiiflpiuc,
t. II,p. 18-58).
2. Notez des yen tels que eeloi-ei, remarqué et cité par Denys (De
compot. cerborum. S).
Aiftt Bitft,v*vpn U |Ùt' fax". U»o 4' &«rci(.
L'art te plu rafûaô uV rien imaginé de plus descriptif ni rien fait de
plus habile.
S t»"îiB'i iiffr SUT
ce CaJÇî XX"USÏBSnf%fRS?J? IVtn 9I"MP»W m«a«w*
• mman^
tbal, 1848; Drobiaeb, Vnterêuehungen ûberdie Format dtt Hexameter
LA LANOUK D8 L'ILIADE 955
l'hexamètre avait atteint déjà toute sa perfection.Grâce
fiune longue pratique, la raideur primitive avait coin-
|it6lentontdisparu. La variété de formes dont août par-
lions tout à heure permettait au poète d'éluder avec une
extrême facilité les gènes apparentes de la quantité. La
structure du vers n'était assujettie qu'à un très petit
iiiimbrode règles absolues. La variété dus césures un
particuliuroffrait au génie poétique de grandos ressour-
ces et ae prétait à une foule d'effets. La pensée pouvait
sans inconvénient dépussor les limitesdu vors; elle rem-
plissaitau besoin plusieurs hoxamètros ou s'arrôtuil uu
milieu do l'un d'entre eux; c'était le privilègo do vu
rythme si net, ai aisé à saisir, qu'on le brisant ainsi on
ne tedétruisait pas. Maisai tout était possibledanscette
versificationai appropriée à l'épopéo, rien n'y était in-
différent. Elle mo'.tait en relief admirablement ce qu'on
la chargeait do faire valoir, et {'Iliade altodto, dans ses
partieslus plus ancionnos, à quoi point les vieux poètes
épiquesdo l'Iouio avaient le sentiment profond et déli-
cat do ce qu'ils pouvaient demander à un instrument
ni excellent. L'appropriation du vers et do ses artilicos à
la pensée et surtout au sentiment ost choz eux admira-
ble. C'est un partie l'habileté de leur versification qui
nousfait voir los choses, quand ils décrivent, ou enton-
dre jusqu'à t'accent dus personnages, quand ils los font
parler1.
des Vifu'U,Horai und //orner, Bericlite d. k. SOohs, Oes.d. Wissanseh.,
Pliiiol..hiBt. CI., XX (1863); W. Harlel, Homeritche Siudien, 1-111,
Vienne, 1871-187*.
f. Qu'on relise par exemple ces qaatre ver» des menaces d'Aga-
ueuinoa à Chry*éa (I, i9-32)
"n,v 8' iyùkeu Xùat*. «plw|uv *A ifijpat fruiaiv
r,iiïzlft? M atwf, iv "Àffytt, ti)Xitt «âtprit,
totbv imixo|Uvi)v «ai ipâv Ujot iv«<ci«rav
«XX'itti, nr, |i* ipétiïc, (xa(ittpo{ û{ « vir,«i.
Il n'est personne qui ne sente ce que la coupe de ces vers en quelque
856 CHAPITRE IV. L'ART DANS L'ILUPB
De tout cela résulte la beauté propre do la poésie do
Vttùide. Elle est de tette nature qu'il n'est besoin d'au-
aune réflexion pour ia comprendre Une richesse infi-
nie de pensées et do sentiments dans une transparence
incomparable le langage et de versification, voilà on
quelque sorte sa formule. Coqui la caractérise éminem-
ment, c'est qu'eUo est avant tout une poésie parléo ou
chantée, et non écrite. Pou importe ici la date do l'é-
criture et la question do savoir si on fait aucuno parti»
du pob:no n'a été écrite par son autour. Dans l'onsom
ble, la puéaio do l'Iliade donne l'improssion de la parolu
vivante. Elle en a la naïveté, la liberté, la Kiardicssod'ul
ture et la simplicité de réflexion. Pour lo mouvement il
la vie, ello n'a point d'égale.
sort»martelée,la variitédoleurallure,la compositionproBO.lijuo
desmotietenftuleurplaceontdevaleurdramatique.
CHAPITRE V

l/OUYSSKK. ANALYSE tW POÈME

BIUMO0fUI>IIIK
M*Nirs«RiTS. – Nous n'avons
pour VOdyate ni papyrus an.
cien, comme pour Vltiad», nt manuscrit
comparable ou
valeur au Vtnetm A. Los plus anciens manusorits do
l'Odys-
*!« no Hombloiit pas remonter uu delà du xu« aieelo.
Voir,
comme pou.- les mss do l'Iliade, La Roche, Uomer.
Ttxkritik,
p. 433 ot suiv., ot en outro les Pnliqomùnet do soit édition du
l'Odyssée, ainsi que la préface (3« partie) do celle de Huyman.
Gf, DiuJorf, préface des aoolie.s (voir plus
loin). Ils sont
tous sans oxcoptiou médiocrement corrects.
Los plus importants sont lo Patatinuf, les trois manuscrits
do Mitan [Ambrotianf), le Uarleianus, les manuscrits de
Vienne,
«eiui do Hambourg, VAugmtunm de Munich, les manuscrits
de Paris.
Ces manuscrits ne nous donnent par eux-mêmes
que l'é-
tat du texte pendant le moyen-âge byzantin. Mais on
peut,
grâce aux indications qu'ils contiennent, remontfr souvent
plus haut, et il n'y a pas grande exagération à lire
texte alexandrin de l'Odyssée nous est en somme que le
presque aussi
connu que celui de l'Iliade. Au reste, la
remarque faite plus
haut sur les manuscrits de l'IKarfs
s'applique également à
ceux de l'Odyssée. La science philologique a le droit de ne
pas
s'enchatner aujourd'hui à un texte qui ne représente qu'une
tradition médiocrement éclairée.

SCOLIES. U en ut des scolms comme des copies mannscri-


tes celles de l'Odyssée sont loin de valoir celles «1avin*
HUl. ds la UU. Ontqa». – T. I. J7
858 CHAPITRE V, – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

Lus plus anciennement connues sont les Schalia vutgata ap.


Ce recueil
pelée* aussi PedtttSeolteau Seolieidit ?»•«»?«•JM<fy»ie.
nous a été transmis comme un ouvrage Indépendant, et non
aou» larme de notes marginale» c'est un abrégé d'un coin-
monlulro nnoltm, qui comprenait des notes empruntées aux
urltlques alexandrins et à leurs héritiers, en particulier a
UiJymô; 11 est regrettable quo l'auteur de cet abrégé n'ait
pas su mieux proUter de tant de resaouroea. L'édition pria-
oups est de 13i8, in-8, Venise.
Eu outre, un grand nombre des manusorits de VOdym'e,
con-
disparues dans les diverses bibliothèques de 1'Kurope,
tiennent des notes marginales, dont beaucoup sont encore
Inédites. La plupart de ces notes sont «uns intérêt, soit parée
lus PetiM Scoliet, soit
qu'elles répétant ce qui est dit dans
font double emploi avec lu Commentaire d'Ku-
parou qu'elles
stattie, que nous possédons. On les désigne par la nom des
mnuuserlU auxquels elles uppurtlennent (ScftoKo Narciuna,
ScfcoliaAm&roitoriu,etc.). 11est inutile de lo«énumérer Ici. Lus
inoiUoin-oi sont les Soolios dit manuscrit harlôïan (Scholia
llarldtma), reouollllen par Poraon, Cnunor et Dindorf.
Toutes les Scolies do VOdymfeqai ont paru mêritor quel.
soul recueil par Din-
que attention ont 6t6 publiées on un
dorf {Seholiagraecu in Oilymam ex coilkibus aucla et emendittu
edidil G. Dindorflus, *2 vol. in-8, Oxford, m&).
A côtô dos scolies proprement dttos, nous dovrions mention-
ner ici pour VOdysste, commo nous l'avons fait pour VIliade,
nous ont ôtô con-
quelques travaux de critiques anciens qui
servés. Nous renvoyons, pour éviter des répétitions Inutilen,
& cette partie de la bibliographie de l'Iliade (voir plus haut,
a
entête du oh. H). Le commentaire d'Ëustathe sur l'Odyssée
été publié par Stallbaum en deux volumes, Leipzig, 1823-20.

la
S Éditions.– L'Odyssée se trouve réunie avec l'Iliade dans
savantes ont été indiquées ci-des-
plupart des éditions qui
Florence
sus. Rappelons donc simplement ici celles de
d'Henri Estienne
(t488), des Aides, de Rome (1342-1530),
la source de la
(1366) – cette dernière signalée déjà comme
Vulgate, l'édition de S. Clarke (1729- 1740),améliorée par
Ernesti (1759-1764) et par G. Dindorf (1824), celles de Wolf
une c«»lation du manuscrit har-
(1804-1807),de roreon, avec récension a été re-
léïen (1800), de G. Dindorf (1827), dont la
enûn de Bekker (1858).
produite dans la collection Didot,
BIBLIOGRAPHIE 359

En oulre, VOiyute a été plusieurs fois publiée a part, et


surtout de notre temps» on l'on a mieux compris que les
un certain
queutions relative» à ce poéma étaient jusqu'à
et pu tout cas dUtlnottia do oalles qui
point indépendantes
touuhent Al'Iliade.
L'édition de Baumgarlen-Crusius (3 vol., Leipzig, 1822.
mi) contient, en forma de notos, doa extraits bien choisis
.lu commentaire d'Eustathe ot dea principales SooUes.
O, Dlndorf a donné en I8SS, a Oxford, une récenslon nou-
vt'lle du poùine. – Parmi leâ éditions récentes, les plus con-
nue» aont celles de J. Lu Rooho (Lelpzig, <8-i7.08) avoo des
I>rol6gomânea et 11 fao-almile de manusorits; celles do A. Pier-
ron (Paris, 1878), do A. Kirohhoiï (Berlin, 1879), avec do re-
mnrquablos appendices sur la formution et la composition
du poôme; les éditions anglaises de II. Hayman, Londres,
|g«B-7»,ot de Merry, Londres, 1878; celle de J. Van Leouwen
<>tMendes du Costa, Leyde, «890-92. – Nous devons slgna-
lur aussi, A tltio do teutative intéressante, bien qu'à notre
iivi-; fort hasurdeusa, la rostitution do VOtlyssôodans sa pré-
tondue forme prlinittvo, o'ost-à-dlro éolionno, par G. Fiek
(Ouotlingen, m,3).
lin fuit d'éditions a l'usago dos classas, los plus dignes
d'attention sont celles de J. Il. Fuesi («849), do Il. Dttutzer
dus notes
(1863),et surtout do li. Amois revuo par Henzo avec
oxplioatlves en allemand ot des appendices critiquos d'un
grand intérêt; sans cesso améliorée, YOâyssie de Ameis est
souvent rééditée; la 0» édition des douze premiers livres a
paru de 1890 & 1893.
800 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

SOMMAIRE.

I. Indépendantedes questionsrelatives à VOtlyaiie,


Leaquatrepre-
mierslivrai. –II. Livre*V-VUI Ulyssecliai les Phéaciena.–
III. Livres 1X-XI1I les récits d'Ulysae CAXxtvov i*<SX»toi).
IV. LivreaXIII-XVI la rentréed'Ulyssoa Ithaque. V. Livrer
XVIIXX les éprouvezU'Ulyssedans son palais. VI. Livre»
XXI-XX1Vla vengeanced'Ulysse.

L'Odyssée est lo second cbof-d'œuvro do l'épopée grec-


que. Do moine quo l'lliade, elle s'olïro à nous sous la
forme d'un long poèmo continu, attribué à un seul et
môme auteur, qui est encore Homère. Il est clair que
si l'unité primitive de l'Iliade n'est pas admise, celle de
l'Odyssée devient par là mémo fort douteuse. Ces deux
grands développements narratifs se ressemblent en effet
tellement malgré les différences particulières, qu'il pa-
rait presque impossible au premier abord do no pas ap-
pliquer à l'un les observations générales qui convien-
nent à l'autre. C'est la toutefois une simple impression
qui ne peut pas tenir lieu d'une étude raisonnée. Après
tout, il aurait pu arriver que l'Iliade, en se constituant
comme poème, servit de modèle à l'Odyssée, née un peu
plus tard. Dans ce cas, il n'y aurait rien de contradic-
toire à admettre que celle-ci ait été dès sa naissance ce
que celle-là n'est devenue que tardivement. Les ques-
tions relatives aux deux poèmes sont donc indépendant
LIVRESHV 961
tesles unes des autres ot elles demandent à être traitéos
séparément'.
L'Odysséedébuto par quatre livres qui peuvent être
considérés ensemble commo une introduction'. On les
désigne quelquefois sous le titro colloctif do Tiléma.
chie, parco que le jouno Télémaque, fils d'Ulysse, en
est le héros1.
Et d'abord, comme dans l'Iliade, une invocation à la
Muso,accompagnéed'une sorte dosommairodos événo-
monts qui vont être racontés. Le manque do suite qui
s'y fait sentir dans les idéos dénote plusieurs remanie-
monts et des additions4. Ce qui semble primitif dans ce
morceau ne vise que la première partie du poème, les
voyages d'Ulysso et tout ce qu'il a souffert loin de son

t. L'analyse critique AeTOdyssie a été vivement éclairés par Kirch-


lioll'tlans les notes et appendices de l'édition citée pins haut, où il a
résumé ses travaux antérieurs sur le même sujet. Nous avons pro-
fité largement de ses remarques, tout en nous écartant souvent de
ses opinions. Borgk, daus son llist. de In liltér, grecque, a présenté
aussi une analyse détaillée du poème. Mentionnons encore l'ouvrage
tris utile de A. Jacob, 'Vbsr die Entstehung d. Ilias und d. Odyssee,
Berlin, 1856,et celai de Bonttz déjà eltê (p. 185). Enfin Wilamowitz-
MoollendorfF.dans ses Homerische Vntenuchungen, Berlin, 1881, a re-
pris à nouveau ce sujet avec la critique souvent téméraire, mais in-
génieuse, érudite et pénétrante qui lui est propre.
2. La division de l'Odyssée en vingt-quatre livres ou rhapsodies est
entièrement analogue à celle de l'Iliade. Nous renvoyons le lecteur à
ce qui a été dit plus haut à ce sujet (p. £01).
3. Principale étude spéciale sur la Télémaehie, Hennings, dans les
NeueJahrbùcherfùr Philologie, 8» vol. des Suppléments, p. 133 et sniv.;
publié &part, Leipzig, 1858.
4. Les vers 6-9, relatifs au crime commis par les compagnons d'U-
lysse envers Hélios, semblent intercalés dans un morceau plus an-
cien. Ils donnent une importance exagérée à un fait qui tient peu de
place dans le poème, et dont le récit, comme nous le verrons plus
loin, n'appartient pas aux parties primitives. Quant aux vers 15-19,
ils rompent l'enchaînement naturel des idées, qu'il serait aisé de ré-
tablir, comme l'a remarqua Kirehhoff, en rapprochant du commence-
ment du vers 15 (h mcioai YXayupoîm)la fin du vers 1 9(8eo\8'iXfattpov
ScMTtt).
309 CHAPITRE V. ANALYSE DE L'ODYSSÉE

pays: il n'y est nullement question de co qui remplit


les douze derniors livres do l'Odyssée, c'est.à-diro do la
lutte ouverte ou cachée du héros contre les prétondants.
Toute cotte seconde série d'événements n'apparaît qu'un
pou plus loin, dans une allusion assez vague (v. 18), au
milieu d'un passage qui rompt l'onchaînomonl des idées,
et qu'il est difficile par suite donc pas considérer comme
ajouté plus tard. On peut conclure do là que cette sorte
dp prélude poétique a dû être composé en vue d'un
groupe do chants qui comprenait les événements nota-
bles do la promiero partie, dans un temps où la seconde
n'existait encore qu'à l'état de légende.
Le récit proprement dit commence. Dans une pre-
mière scène, le poète expose son sujet avec une sim-
plicité ploino do grandeur. Tous les héros achéens de
la guerre do Troio sont morts ou rentrés chez eux;
sout, Ulysse, est encore retenu loin de sa patrie par la
nymphe Calypso, malgré l'ardent désir qu'il a do re-
voir la fumée do son toit et sa terre natale. Los dieux
ont pitié de lui, sauf Poséidon, qui l'a pris en haine,
depuis qu'il a tué le Cyclopo, son fils. En l'absence de
ce dieu, Athèné, la déosso protectrice d'Ulysse, inter-
vient on sa faveur auprès de Zeus. Elle obtient qu'Her-
mès soit envoyé immédiatement à Calypso pour lui don-
ner l'ordre do laisser partir Ulysse. Autant cotte scène
(v. 16-87) est bien conçue, autant la façon dont elle se
termine trompe notre attente. La demande quo vient
do présenter Athèné reste sans effet; Hermès ne se
met pas même on devoir d'accomplir son message, et
il faudra, au commencement du livre V, que la même
scène soit répétée à l'aido do vers empruntés pour ra-
mener une seconde fois la même décision, qui auracnOn
ses conséquences naturelles. Il est bien difficile par
suite de douter que cotte assemblée des dieux du livre 1
n'ait été primitivement l'introduction du livre V; on
LIVHES MV 963

l'en a séparée pour donner place à tous les récita inter.


médiaires qui constituent aujourd'hui los quatre pre-
miers livres
Ces récits s'ouvrent par la descente d'Athené à Itha-
que. La déesse, sous les traits do Mentes lo Taphien,
ancien hûto d'Ulysse, vient trouver lu jeune Télémaque
dans son palais envahi par les prétendants. La raison
évidente de cotte invention, c'est de donner un motif
divin, et par conséquent conforme à l'usage épiquo, au
voyage de Télémaque. La déesse, accuoillie Itnspitalière-
mont, s'entretient avec le jeune homme et lui suggère
ta conduite qu'il tiendra dans h suite immédiate du ré-
cit. L'entretien est long ot peu dramatique, et les con.
seils de la déesse no sont rien moins que précis. La
soute chose qui on ressorte avec netteté, c'est qu'il fo-
rait bien d'aller auprès de Nestor a Pylos et do Méne'las
ii Sparte, pour s'enquérir du sort do son père. Ainsi est
introduite la donnée du voyage do Télémaque. Alhèné
disparait dès qur le poète n'a plus besoin d'elle, et nous
voyons alors les prétendants se livrer dans le palais à
la bonne chère et & la joie (MvTirr/ipwvtwa/ix), tandis
que l'aède Phèmios lour chante le retour des Achéons.
Il n'y a rien dans cotte description qui révèle la vigueur
originale d'un grand génie. On n'y admire vraiment
que la courte scène où est représentée Pénélope descen-
dant au milieu des prétendants (v. 328-367), épisode
gracieux qui reparaîtra presque dans la même forme
au livre XXI (v. 57 et suiv., 343 et suiv.); la comparai-
i. Wilamowitz(ouv.cita, p. 12)objecteque l'occasiondudiscours
àeZeusestle meurtred'Égisthe.faitdont il n'est pas questiondans
les partiesanciennesde l'Odyssée,tandisqu'il apparaît dansla Tèlt-
machie commeala grandenouveauté». Jeneméconnaispas laforcede
l'objection,mais il ne me semblepas qu'elledoive prévaloircontre
la presqueévidencedu rapprochementproposé par KirchhoiT. On
peutadmettreou quela légendede la vengeanced'Orestea été long-
tempspopulaire,o« que le discoursde Zensa été remanié,lorsqu'il
fat incorporéà la Télémachie.
80« CHAPITRE V. – ANALYSE DB L'ODY8SÉE
son des doux passages ne permet guère do douter que
celui du XXI*livre ne suit l'original. La journée «a ter-
mine avec le banquet quelques paroles échangées
entre Télémaquo et les prétendants accusent plus for-
tement peut-être l'hostilité déjà connue; mais on est
surpris d'entendre le jeune homme, en annonçant l'as-
sembléodu londomain, révélor d'avancece qu'il compte
y faire, et par là détruire lui-mômeun meilleure chanco
do succès. C'est l'indicod'une cortaino faiblessud'inven-
tien qui paraft d'autours dans tout ce promier livre t.
Le second a pour sujet principal VA$m»We('ltontu-
oîuv etyopcS,),dont le départ do Télémaquo (TtiX«;iiyou
etao&npfo forme la suite naturelle. Point do dissonance
notable à lignaler dans ce livre Le poèto représente
habilement dans une sério do discours la variété des
sontimcnts quo la discussion mot en jeu. Télémaque
dénonce au peuplo les violences des prétondants; mais,
malgré les encouragements do quelques amis, il n'ob-
tient rien, pas mêmo lo vaisseau qu'il domande pour
aller à la recherche de son père.
Dans ce débat plein de mouvement, chacun des per-
sonnagos voit los choses selon sa situation ou ses pas-
sions, et tous disent avec force et naturel ce qu'ils ont
à dire. Toutefois il s'en faut do beaucoup des
qu'aucun
caractères soit mison relief avec la grandeur qui éclate
dans lo premier livre do l'Iliade Après quo l'asscm-
1. Je ma rallie aujourd'hui à l'opinion de Kirchhoff (Odyuée. Ex-
cars. I), qui veut que la plus grande partie du i- livre ait été com-
posée après le second et par un autre poète. Sa démonstration me
parait concluante. Cf. Wilamowitz. ouv. cité, p. 6 et auiv., où cette
démonstration est encore confirmée par d'excellentes remarques. qui
font voir dans l'auteur de 1**chant an médiocre imitateur.
t. L'interpolation la plus considérable est le passage du discours
d'Anlinoos (v. 93-110), dont l'original est mis ailleurs dans la bouche
de Pénélope elle-même (XIX, 138-156).Voyez Kirchhoff, Odyssée, note
relative à ce passage.
3. Parmi ces personnages, celui de Mentor est a remarquer. Aux
LIVRES MV 965

Idée a'ost dissoute, Télémaquo, dont toutes los tloman-


dos ont été ropousaôos, ho rond tristement au bord do
tn nior comme Achille après la querelle, ot là il pria
Athàtté du lui venir on aide. La rvssemblaura avec
['Iliade est ici frnppanto. ot elle permet de croire qu«
l'iiuitutiuii du promior chant do ce poème n'a pas pou
contribué à suggérer à l'autour do la Télèmachie cette
scèno de VAssemblée, qui a»t inutile à l'action propre-
ment dite, mais qui mot en relief los caractères. Grâce
Il lu déosse, qui proiul los traita do Montor, lïilétnnquo
h» prueuro ba moyens d'entreprendre son vtijugu; lu l!u
•lu livre II nous fait assister a ses prépuralifs ot à son
départ; sujet màdiucro en lui-mémo, dont lo poète a tiré
parti non sans habiloté.
Télémaque so rend d'abnrd à Pykis chez Nestor, ot Jo
séjour qu'il y fait ost lo sujet du livro III (x&îv 1IÛX<;>).
L'arrivoo du jounn homme ot do sus compagnon)*, la
description do la fête célcbruo par Nestor en l'hon-
nour do Poséidon, l'accueil du vieux roi et ses récits,
la disparition d'Athèné et to sacrifice qui lui est offert,
enlin le départ do Télémaquo pour Sparte ou forment
tes épisodes. Aucune interpolation grave dans co récit.
Considéré dans son ensemble, il se relie naturollement
au livre précédent comme au suivant. Onno peut douter
que ce n'aient été là dès l'origine los parties d'un même
tout. Le dessein du poète de la Télémacitie se poursuit.
Télémaquo étant son héros, il lo grandit ingénieu-
sement, en nous le montrant si bien accueilli par le no-
blo Nestor. Nous nous habituons ainsi à voir en lui le
digne fils d'Ulysse. La représentation dos mœurs et

ver*22*et sutv., il est dit qu'L'iyaseen partant lui avait confiéle


gouvernementdeIl maison.Celanea'accordenullementavecla se.
condepartiedu poeiusoiil ne joi» aucunrôle. I .'autoura» \t, tm-
maoAi«laconnàinait cependant,maisil se souciaitpoudetant d'exac-
titude.
866 CHAPITRE V, ANAI.YSK DK l/ODYSSÈK

des caractères, moins dramatique que danaI'd«NMi6/fr


«lu livra Il en raison même «lu la différence des ttu«-
tion», est pourtant agréable par un naturel «mplo et
gracieux, qui décèle lu «nôme art, plu» ingénieux que
vigoureux.
Au quatrième livre, TY'lémnquoarrive uSpurto, clioas
Ménélas. «îolui-ci est on train do célébrer to double ma-
ri»go do son fils et de aa (ille. La magnitlccnco do son
pnillii et collo do la fèto w»nt décrites avec cumplaisaucu
par le |wiôte. Télémaquo, reconnu pour lu IIU d'Ulysse,
oal accueilli avec joie Ménélfts et Hélène hofinit un plut-
sir do louer devant lui hiih phro. puis, quand il aW
ropoiô, Ménélas lui raconte o.o qu'il a lut-ntéino appris
de la boucho du dieu Protée au sujet d'Ulysso. Il no fau-
drait pas concluro de l'ôtt-ntluotlo acsrâciU quo la nar-
ration primitive ait iH«'* plus tard développée. Los avon.
tures glu Monélns ont paru a l'auteur de ta TM'mac/iie
un sujet, flpiswliquo hiuis doute, mais fort propre a in-
térosBor ses auditeurs par lonr curactèro fantastique.
La façon tn«Wn«doi.l il présoulo Ménôlas, la splondeur
dont il l'entoure, tout exige quo les récits mis dans sa
bouche aient une certaine ampleur ot quoique chose de
merveilleux. Après ces récit», la narration est interrom-
pue inopinément. Télémaquo, qui annonce son intention
do repartir aussitôt (v. 590) et qui reçoit même do sos
hôtes les présents dir départ, va cependant rester un
mois entier à Sparte. Il ne se remettra on route qu'au
livre XV, oh la scène des présents sera répétée textuel-
lement. Maladresse évidente, mais nécessaire, si la
Télémachie, comme nous le ponsons, a été composée
après le reste du pofcmo. Télémaque en effet no devait
n'avait
pas rentrer à Ithaque avant son père, puisqu'il
aucun rôle à y jouer en l'attendant; et, d'autre part, le
poète ne pouvait juntifior par aucune raison acceptable
la longue durée do son séjour à Sparte. Il a préféré la
LIVRESHV 807
dissimuler phi.> oumoins habilement, et c'est en sommo
ou qu'il avait do mieux à faire. Nous noua éloignons
(Uhwdo lui brusquement, et nous revenons sans lui ft
Ithuquo. Les prétendants s'aperçoivent Je l'absence de
iVloinaquo; il* s'entendent pour le perdre à son retour,
Al, dans cedossein, préparent une embuscade Leurs
révélés ftl'énèlopo pur Médon In remplissent
préparatifs
d'inquiétude. Maiselle est rassuré» en aongo parle fan-
lottip do sa sœur Iplilimé mio lui envoie Aligné. Ainsi
i<hIexposée coiiiplètoinciit la situation sur laquelle ao
ttiritiino rinlnulurlMm du poèine.
|lu tout cola rossortoiît les qualités et los défauts qui
sont propres à l'autour docotto introduction. Sa manière
cM plus narrative que dramatique, ot d'une ubundunco
un pou prolixe. Los curaclùros do Ménélas et d'IlûKuio
pliu'Huntau lecteur, et toutefois il y a chez l'un ot l'un-
hv, mnis surtout cliez Ménôlas, un certain abus do pa-
rôles, un goût do déclarations exagérées, qui truiieho
avec, la simplicité d'autres parties du poèrne
Sitns ontrer encore duns l'élude du la limitation do
{"Odyssée,qui fera le .sujet du chapitre suivant, nous
avons deux choses â retenir coinnio résultat principal
•lu l'analyse do cos quatre premiers livres. D'une part,
ils interrompent mal à propos l'action commencéo ait
début du pobmo par l'assemblée dvs dieux, et par là ils
se désignent eux-mêmes comme l'cjouvre d'un ou do
plusieurs continuateurs. Leurs caractères propres témoi-
gnent égaloment do cette origine; c'est une poésie été-
1.Uncurieuxindicede l'dgerelativementrécentde cettepartiedu
poômoa été relevépar Klrcbhoff(note du vers 640).Il est fait allu-
siondansce v«r»Eumée, qui n'est pas nommé,maissimplement
appelûle porcher,ouStâtr, Celaest très simplepour nous quiavons
lu lasuitedu poèmeet qui connaissonspar conséquentle porcheret
t importancede son rôle; mais il était impossiblequ'on s'exprimât
ainsiavant que cettesuite fûtconnue.
2. Voyez notamment v. 404-110 et 469-182.
908 UHAPINIK V. ANALYSE DK I. 'ODYSSÉE

gante, facile, qui a do la grâce et do la vie, mais qui


manque do force ot do coneiaian. Le» comparaison»y
sont rares ot pauvret. Le don du pathétique»,qui est ai
remarquable chez la poèto des livres V, VI et VII, fuit
surtout défaut a l'autour du premier chant. il point dos
situations touchantes sans nous toucher réellomont. Si
l'autour dos chanta primitifs do VOdyuto avait ou fin.
tention do donner à ses récits une introduction do cetto
sorte, il est hors do douto qu'il l'ont faite bion plus couru*
et par là mémo bien plus émouvante. Sa grande imagi-
nation, voulant poindre l'audaco dos prétondants et lo
pillago dos richesses d'Ulysse accompli sous les yeux du
son fils, lui aurait fourni sans poino dos traite bien au.
tromont énorgiquesotorigiimux. Nons concluons de là
sans hésitor quo ces quatre livres sont une addition aux
chants primitifs. Mais, d'un autre coté, nous nous rofu-
sons à croiro qu'ils aient ou jamais une exiatence indé-
pondante L'idée d'une Télémachie, d'abord distincte'do
l Odyssée,ol plus lard réunio &co poèmo.doit être abso-
lument écartée. Quoi qu'on puisso dire, il n'y a pas ma-
tière à une série de récits indépendants dans cos quatre
livres, par la raison qu'il n'y a pas d'action. Co n'on
est pas une qu'un voyage dont lo principal actour se
borne à écouter ce qu'on lui dit. Les quatre premiers
livres n'ont donc pu ôtro composés quo pour tenir lu
place qu'ils occupont t. •
4. Kirchhoff {.ùdyitie. IV, 6W, note) suppose que les quatre premier»
livres se reliatonl primitivement au livre XV et qn'ils constituaient
ensemble on rAssttqat a 616 pins tard disloqué et dont quelques par-
ties senlemen'. sont entrêes de» l'Odyuée. L'hypothèse est compli-
Ici.
quée, mais ?He n'améliore en rien l'opinion que noua combattons
WilamowMz croit aussi à l'indépendance primitive des chants relatifs
aux voyages de Télémaque. Pour t'admettre. il faudrait supposer ao
BKrfa» qw «*• wy-g« » pr«la»g«U«nl M gna l'auUur laUait ainsi
raconter aux chefs achéeos eux-mêmes un certain nombre d'épisodes
de la guerre et du retoura. Rien n'autorise cette hypothèse, et il se-
UVRES V-VI1I 960

II

Avec le cinquième livro, commence la plus belle


purUede l'Odyssée,Ello embrassa los livros V, VI, VII et
pout-etra uno partio du livro VIII. Ce qui la caractérise
umiiioinmoiii,outro la force créatrice de l'imagination,
o'ostle don du pathétique.
l'our la reconstituer, il faut naturellement faire dis-
piu-uilro la scèno de la socondo assemblée des dieux uu
début du cinquième livre (v. 1-28); simple raccord, fait
du vers empruntés, qui ont été arliflciolldinent soudés
ttt* ttns aux autres'. Cette scène écartée, nous l'qirouous,
|iutir lu remplacer, la scène analogue, que nous avons
dt'jù rencontrée et admirée au début du premier livre
i'IIo se rallacho en effet, sans la moindre difficulté, a
m qui suit Dès lors, tout marcho à souhait. Zous eu-
voie Hermès u Calypso pour lui ordonner do laisser par-
tir celui qu'elle retient. L'ordre est porté, et le poète
proittl soin do nous décrire les oiicliantoinonts do i'îlo
tl'Ogygio, avant do nous faire voir Ulysso assis à l'écart,
dédaigneux do tout ce qui pourrait charmer ses yeux,
pleurant sur le rivage, et regardant au loin & travers

rait surprenant quo de tels récits eussent étO délaissés et perdus,


quanti VOdyuie eo constitua.
t. Tout le discours d'Athéné (v. 7-20) se décompose ainsi 7-13 =
II, 230-836; 13-17 = IV. S5G-560; 18-20 = IV. 700-702. Ce n'est rien
autre chose qu'un centon.
2. Il ne serait pas surprenant certes que, dans les remaniements
signalés, plusieurs vers eussent disparu. M. Kirchhoff a montré ingé-
ni.:us«iueut qu'il suffisait d'un seul vera pour raccorder le vers 87 du
livre I au vers 29 du livre V, en supprimant la Wimachie qui les sé-
pare aujourd'hui; et pour rendre la démonstration plus sensible, il
rétablit ainsi Gavwb, par «mj^inre, es l'empruntant à V!Saie{X7ï,
ii* comme une des formates usuelles de l'épopée: 'Q; Efat. ïfxt*. o~r
ovS*
ir.iirfli r.xiTfi àvîpàv ti Otùv w atyu â'à'p' ». t.i.
870 CHAPITRE V. – ANALYSE OS L'ODYSSÉE
l'immensité do la mer. L'impression est saisissante;
l'homme nous est immédiatement révélé.
Les plaintes do Calypao on réponso au message d'Iler.
mes siint en quelque aorlo l'exprossion sensible do lu
dure captivité qui posait sur Ulysse. H faut quo nuus
sontiuns combien le lion est difficile à rompre pour que
lu délivrance du héros ait toute son importance morale.
f/ordro de Zous met fin à la rûsislancode Calypso, mais
le ponte a soin que la volonté pcrsonnollo d'UIysso so
manifeste aussi dans cette rupture. La déesse vient a
lui, paréo, ploino do séductions, cllo lui annonce qu'il
est libro et qu'il va préparer son départ; et, comme il
doute, elle confirme sos paroles par les serments les plus
solennels; mais en mémo temps, elle cherche &lui ins-
pirer le regret do co qu'il va faire et ello veut lui faire
sentir combien Pénélope lui est inférieure en tout.
Ulysse se montre tout entier dans sa réponse. Ce que
Calypso lui dit, il le sait, et il en convient sans diffi-
culté. Oui, la traversée est pleino do périls; oui, Pénis-
lopo n'est qu'une femme, et elle ne peut se comparer ù
une déesse; mais, malgré cela, ce qu'il veut, ce qu'il es-
pero, c'est de rentrer chez lui, c'est de voir luire lo jour
du retour. Cette noble obstination de l'homme dans los
sentiments humains, cet attachement du mortel à ses
affections morlelles, voilà dès ce début la source pro-
fonde du pathétique.
Ulysse se met à l'œuvre. Il fait son radeau do ses
propres mains. Il part, et le voilà seul sur les flots, as-
sis au gouvernail nuit et jour. Dix-sept jours se pas-
sent la terre des Phéaciens est on vue. Alors Poséidon
entre en scène. Il aperçoit son ennemi qui va lui échap-
per par son ordre, la tempête se déchaîne, et Ulysse
lutta contre les éléments bouleversés. Cette lutte ad-
mirable, c'est toute la seconde moitié du récit. Avec
une imagination aussi puissante que docile à l'idée pre-
LIVRES V-VIII 87i

inièro, le poète en varie les péripéties, non pour lo plai-


sir do décrire, mais alin do mettre on lumièro ploiuo-
iiiont la nature morale do son personnage. Pour lui»
Ulysso est tout. C'est lui qui attire nos regards au mi-
lieu dos flats ses émulions, une à une, so répètent on
nous; nous partuguons son accabloiuent, nous nous as-
socions à soa doutes ou à ses résolutions, noua jouissons
dosoi» courago, et à la fin nous triomphons do son su»
ct's lorsqu'il touche le rivage, lorsqu'il adressa au (louve
hospitalier uuo si touchante prièro et lorsqu'il t>mbra»so
IMutiseiiiont lo sol nourricier.
Itiou de suspect dans tout co beau récit, que quelques
vers isolés et i?ans importance. Nous nous sentons la
en présence de l'wuvro d'un poète créutour, impres-
sion qui ae conlinuo dans les livres suivants.
Les livres VI et VU font étroitement suite au livre V.
Mais autour du personnage principal, toujours lo menu1,
Il, scène chango à vue d'inil, do façon à nous char-
mur par la plus agréable diversité. Au lion de lu
uusr et do la lompelo, le calme d'une hello campagne,
lus rives d'un fleuve largo et fécond; puis l'uctivilé tou-
jours intéressante d'une grande et richu ville maritime,
un port, des chantiers, une agora, et à l'écart un su-
perbo palais aux portes d'or et d'argent, paisible et
pourtant joyeux au milieu des riches vergers qui l'en-
tourent >.Tel est le fond du tableau. Quant aux person-
nages, l'imagination du poète n'est pas moins heureuse
pour les créer. C'est d'abord la jeune et gracieuse Nau-
t. Loiraisonsqat ontdéterminé MM. Friedlander(Philologue,1831,
p. 669et aulv.)et Kinhhoffà considérercommeune interpolationla
descriptiondeavergers d'Alkinooset ce qui précèdeimmédiatement
(v.10313 1}ne meparaissentpaeconcluantes.Le changement de temps
(leprésentsuccédantAl'imparfait)estun simpleprocédéde styledes
plusnaturala;«t il n'y a rien a induire d«<w<jh«I*pnAto«Mrritdon
chosesqu'Ulyssene peutvoir;car cetteremarques'appliqueraitaussi
bienà la descriptionprécédenteque l'on ne songepas à suspecter.
873 CHAPITRE V. – ANALÏSB DE L'ODYSSÉE

aicaa entourée do ses compagnes. La scèno célèbre où


elle accueille Ulysso est vraiment admirable par la vivo
lumière qu'elle jette sur le caractère du héros. Dans
cette nature si énergique apparaissent ici tout naturel.
lomont la douceur, lo respect pour dos jeunes nilos, un
don de porsunsion incomparable, quelque chose do eu-
rossant dans lo tangage, ot une touchante fierté jusquu
dans ta supplication la plus humblo. C'est unu sorte
do repos quo cet ontrotion après l'action tourmentée
du livre précédent, mais un repos qui est encoro pro-
fitable au développement du caraclèro principal.
l.csscènos suivantes, c'ost-a-dire l'ontréo d'Ulyssn
dans la vilto dos Phéacions, son urrivéo au palais, l'ac-
cueil du roi Alkinoos ut do la roino Arèté, nu sont pas
moins profondément empreintes du dessein original «lit
l'autour. Au milieu des descriptions, c'est toujours lo
personnage d'Ulysse tlui prédomina. Assis on suppliant
dans lu coudre du foyer uu invité par lu roi u prtmdro
pluco auprès do lui,, il garde sans effort su dignité nntu-
relle. Quelque chuso do supérieur, qui est on lui, lu ro-
lève du son humiliation et so fuit sentir soit duns lu
beauté simple de sa prière, soit dant la gravité forle cl
modeste de son récit.
Toutefois c'est avec ce premier récit d'Ulysse (VII, 241
et suiv.) que commencent d'assez sérieuses dillicullôs.
Tout d'abord 10 début mémo de ce récit, par certaines
maladresses évidentes trahit un raccord Puis Alki-
noos promet par doux fois à Ulysse do lo faire recon-
duire chez lui le lendemain matin (Vil, 189-191 et 318).

1. Comparer les vers 2(4-216 et 2SI-255.


2. Ii est fort probable que M. Kirchhoff a très bien vu en suppo-
sant que primitivement les récits d'Ulysse (1. IX-XIII), ou du moins
les parties anciennes de ces récits, étaient placèea là. Mats il a tort, je
croie, de suspecter la fin dn livre VII, qui, même eu ac«ï-u.r.i s
supposition, se justifie de la manière la plus naturelle.
LIVJRKS V-VIII 873
Or en réalité Ulysse passera chui les Pitéaciens toute
la journée du lendemain à des jeux, il emploiera la nuit
suivante on récita, et en définitive no partira que le sur-
lendemain soir, sans quo ce retard s'explique d'aucune
manière. Il paraît donccertain quo cotto partie du poèmo
a du être allongée. peut-être même a plusieursreprisoa,
H est fort difficile do dire quelle part doit être faite à
ces romaniomonts dans la tin du VU*livre, et ce qui a
été tenté à cet égard n'a qu'une valour trop conjecturale.
Hnrevanche, la plus grande partie du huitième livre peut
liiuu être considérée comme formée d'additions, car tout
ou presque tout y est purement épisodique. C'est une sorte
d'intermèdo entre l'arrivée d'Ulysse et ses récit», «t un
no peut nier que les scènes dont il se compose, quoi
quo soit le mérite propre de quelques- unes, no fassont
longuour dans l'onsoniblo. L'assemblée dos Phoacions
(VIII, 1-45) n'offre que pou d'intérêt, «t Athèné y joue
mmsnécessité lo rôle do héraut (v. 7}, comme au second
livro de l'lliade. L'épisode du premior chant de Démodo*
cos(v. 02-93) est uttuchaiU, et l'on a eu tort de considérer
la peinture do l'émotion d'Ulysse comme une irtitation
|mslériouro du passage analogue qui se trouve à la Gn
du mùmelivre (v. 521et suiv.),carc'ost surtout par l'effet
produit sur Ulysse que ce premier chant nous intéresse.
La description des joux, bien que peu utile à l'action,
est adroitement combinée pour mettre en relief à la fois
la fierté d'Ulysse, sa force et son adresse. En revanche
le récit des Amours d'Ares el d'Aphrodite, mis dans la
bouche de l'aède, est entièrement étranger au sujet;
on outre, cette sorte de satire, légère et
moqueuse, dont
les dieux sont l'objet, semble bien
peu d'accord avec
l'esprit de gravité religieuse qui règne d'ailleurs dans
tout le poème et il faut ajouter que ce morceau est
loin de se relier naturellement à ce
qui précède, car
de toute façon un tel chant no peut guère être accom-
Hi*.<hla Litt. Clreoqaa.– T. r. 18
274 CHAPITRE V, – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

pagné dune danse. comme cela résulte de la forme ac-


tuollo du récit. Des critiques anciens, comme l'attos-
tout les scolies, en suspectaient déjà l'origine. Il y a
donc lieu de le considérer comme intercalé après coup
dans l'ensemble du'livre VIII.
La fin de ce livre nous offre le tableau du repas du
soir et nous fait assister à un second chant de Démodo-
cos, qui provoque encore l'émotion d'Ulysse. Cotte émo-
tion éveille la curiosité amicale d'Alkinoos, et ainsi est
amené dans le poème actuel le commencement dos ré-
cits d'Ulysse, que ce huitième livre prépare, avec une
intention évidente, mais un peu longuement.

III

Les récits d'Ulysso choz Alkinoos ('AXxivoo«forait)


forment dans l'Odyssée un groupe do chants des plus
curieux à étudier. C'est là en effet que nous saisissons
pout-ùtro le mieux la diversité des éléments qui ont
constitue le poème.
Le neuvième livre comprend les épisodes des Kicones,
des Lotophages, des Cyclopes. Les deux premiers sout
présentés sous une forme'sommaire, sans qu'aucune des
scènes particulières qui les composent soit développée.
H semble que nous ayons là sous les yeux un spécimen
de la manière narrative qui devait être en usage avant
l'épopée homérique et qui probablement se maintint
assez longtemps encore à côté d'elle. L'épisode du Cyclope
(KuxXwwta)commenceà cet égard commeles précédents,
mais presque aussitôt la forme change le récit s'élar-
git et s'anime, et, au lieu d'une simple esquisse, nous
voyons se dérouler une admirable narration, à la fois
descriptive et dramatique, qui met en scène des person-
LIVRES IX ET X 375
nages pleins do vie. D'une part, la férocité du Cyclope,
sa naturo bestiale, et, parmi ses instincts sauvages, un
attachement touchant pour les animaux qui partagent
sa misérable vie; de l'autre, les émotions des compa-
gnons d'Ulysse, lours angoisses, le courage du héros,
sa ruse, son sang-froid, et à la fin cette imprudence
héroïque qui lui fait braver un danger inutile pour
insulter son ennemi. Malgré cette différence profonde
entre le* parties du neuvième livre, il est difficile do
croire qu'il ne soit pas tout entier du même poète et
qu'il n'ait pas été conçu en une seule fois; mais ce poète,
solon toute vraisemblance, travaillait sur des récits
poétiques antérieurs qui lui servaient en quelque sorte
de matière >, et tandis qu'au début il s'y attachait avec
une sorte do timidité, dans l'épisode du Cyclope au con-
traire il s'est livré hardiment à son inspiration 1.
Le dixième livre a dans son ensemble un caractère
beaucoup plus fabuleux que le neuvième. Les inventions
y sont plus merveilleuses, quoique moins dramatiques.
C'est d'abord le séjour d'un mois dans l'ilo flottante
d'Éolo et le don que ce dieu fait à Ulysse d'une outre
où sont renfermés les vents contraires à son retour. Il
est à remarquer qu'il n'y a aucune trace dans le reste
do l'Odyssée do la domination attribuée ici à Éolosur les
vents (v. 21-22). Nous avons donc affaire visiblement à
une fiction mythologique moins ancienne que les récits
primitifs. En outre, d'un bout à l'autre de la narration,

1. Kayser{Abhandhmgen.p. 34)a que,dans


cesrécits d'Ulysse,Athénéneremarquéfort
tous justement
joueaucunementlerôlede protec-
triceacUvequ'ellea dansle reste du poème.C'estlà une différence
trèsfrappanteen effet,et il est biendifficiled'en rendre
trementquepar la diversitéd'origine.Cf.plus loin,p. 886. compteau-
2. Onen trouveune preuvedansle débutmêmede cet épisode.Le
poètey décritles Cyclopesd'aprèsunedonnéeévidemment tradition-
nelle(v.103-H3),dontil s'écarteradansla suite asseznotablement.
Les motso08*ôXXiîXmv &4r<>umv de cepassagene sont pas en confor-
mitéavecles vers399et suivants.
876 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

règne uno insouciance vraiment étonnante dans l'in-


vraisemblable. Ulysse s'endort juste au moment où il
aporcovait déjà la terre d'Ithaque (v. 29 et suiv.); puis
il raconte en détail ce que ses compagnons ont dit pon-
dant son sommeil, ce qu'il n'a pu ontendre par consé.
qnont*; enfin les vents déchaînés ramonent précisément
le vaisseau en arrière a Vilo flottante qu'il a quittée
depuis neuf jours. C'est là un merveilleux inutile, pu-
rement artificiel, et fort différent de celui du livre pré-
cédent. – Le môme caractère est sonsiblodans l'épisode
des Lestrygons qui suit immédiatement (v. 77-132).
Ulysso raconte encore ici co qu'il n'a pu voir par lui-
mémo ni apprendre do personne (v. 103 et suiv,); et
tandis que les Lostrygons sont dos géants anthropopha-
ges, la fille du roi Antiphato ne se distinguo en rien
des femmes ordinaires (comparer lOo-ilO et 111-112).
En outre l'épisode dans son onsemble n'est qu'une va-
riante de cclui du Cyclope, mais uno variante sans va-
leur originalo. Fuyant avecun seul vaisseau, Ulysse
arrive dans l'ilo d'.Eajn, qu'habite Circé. Il faut noter
ici, en passant d'un épisode à l'autre, la monotoniedes
transitions (IX, 565; X, 78 et 133) qui sont copiéesuni-
formément sur le vers 103 du neuvième livre (IvQcv U
Twforépo)7cXéoji.6v r/roji).C'est co dixième livre,
aîx*/Yi[t£vo'.
à vrai dire, qui rend impossible toute géographie de l'O-
dyssée,parce quesonautour n'en a eu aucune lui-même
dans l'esprit, à la différencode celui du neuvième livre,
qui se représentait avec une certaine précision l'itiné-

i. M. Kirchoff a cru voir dans ce fait la preuve que ce récit n'était


pas primitivement dans la bouche d'Ulysse, et il a cru qu'une appro-
priation maladroite lui avait donné plus tard sa forme actuelle, en
substituant la première personne à la troisième. Cette appropriation
toute mécanique me parait fort difficile à admettre, et l'hypothèse est
vraiment bien inutile, puisqu'elle ne supprimerait qu'une seule invrai-
semblance dans un récit ou l'invraisemblable abonde.
LIVREX «77
rairo de son héros ». La trait caractéristique de l'épisode
de Circé, c'est la magie, qui ne figure nulle part ailleurs
dans YOtjysiée*. Muis, outro cela, la récit ao distinguo des
parties anciennes du poème par les mômes caractères
que nous venons déjà do signaler. Là aussi Ulysse ra-
conte ce qu'il ne peut savoir, et là aussi le poète se con-
tente d'amuser son public sans aucun scrupule de vrai-
semblance. L'intervention dos dieux ost pour lui un
simple procédé qui le dispense d'invention s. Les inci-
dents, les détails curieux, tels que la description des
quatre servantes do Circé (v. 348 et suiv.) ou la ntôla-
morphoso dos compagnons d'Ulysse (v. 391 et suiv.),
romplissent presque tout le récit, aux dépens du vérita-
ble intérêt dramatique, qui est très faiblo. Nulle étude
profonde do sentiments, ni chez Circé, qui reste si in-
férieure à Calypso, ni chez Ulysse. Il y a plus l'oubli
du vrai caractère du héros ost manifeste. Tandis que
l'autour du cinquième livre nous le montrait chez Ca-
lypso uniquement préoccupé de son retour, co qui est
la donnée essentielle du poème, celui du dixième livre
nous le fait voir endormi dans le bien-être et ne son-
geant au départ que sur les instances pressantes de ses
compagnons (v. 467 et suiv.). C'est avec la même indif-
férence à l'égard des vraisemblances et de la partie
morale du sujet que le poète invente l'épisode final, où

1. Ératosthène disait, selon Strabon (I, p. 3t, Meineke), que pour dé-
terminer l'itinéraire d'Ulysse, il faudrait d'abord retrouver l'ouvrier
qui avait cousu l'outre où étaient enfermés les venta. Il y avait beau-
coup de vérité dans ce bon mot; car une fois l'outre ouverte, nous
sommes perdus.
2. Il est à remarquer qu'en effet Circé n'opère pas ses métamor-
phoses par un pouvoir divin qui soit en elle, comme font ordinaire-
ment les dieux homériques, mais à l'aide de drogues et d'une baguette
merveilleuse, ce qui constitue proprement la magie. De là l'épithète de
iroX-jjipiiaxo;(X, 876)qui est caractéristique.
Z. Rftle inutile d'Hermès, r. 27S et saiv. Notez surtout les vois 303-
306. Merveilleux inutile et tout artificiel v. 570-574.
978 CHAP1TRK V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉK

Circé fait savoir à Ulysse qu'il doit ao rendre chez les


morts pour consulter Tirésias. Aucune raison valable
n'oit alléguée à l'appui de cet ordre qu'Ulysse accepte
en gémissant, mai» sans la moindre discussion, 11ost
trop clair quo le poète so propose ici tout simplement
do rattacher son propre récit à un récit antériour, celui
du voyage choz les morts, que nous allons étudier dans
lo livre suivant.
On voit déjà quo lo dixième livre dana son ensemble
ost unoaddition manifeste aux chants primitifs. La vraie
nature de cetto additionnousappuraHra plusclairomont,
lorsque nous retrouverons le personnage de Circé au
douzième livro.
Le livre XI est rompli toutonliorpar lo voyaged'Ulysse
chezlesmorts(proprementlo Sacrifice nux morts, NéVuui).
L'ensemble on est égal aux beaux récits du nouvième
livro: mémo simplicité d'invention, mémo naturel et
môme pathétique dans les sentiments, mémo conduite
dramatiquo du récit'. Quolquospassagesajoutes au récit
primitif se laissent aisément reconnaître, ot il suffira
quo nous les signalions chemin faisant. Dès le début,
une vingtaine do vers do raccord ù noter; quand le di-
xième livre a été inséré dans lo poème, ils ont servi ù
le rattacher ù celui que nous étudions. Aussitôt après,
commence le développement narratif original. Ulysse
sacrifie, et les morts accourent en foule autour de l'au-
tel multitude confuse, décrite en quelques vers pleins
d'effroi et de pitié, dont Virgilo s'est souvenu pour les
traduire. Parmi les morts, est Elpénor, compagnon
d'Ulysse,que nous venons de voir périr par accident à
la fin du dixième livre dans le palais de Circé tout ce
qui le concerne (v. 51-83) est donc lié à ce dixième livre;
1.OnpeutliredanslesOpusculapMlologicadeKœchly, t. IT,p.393,
étudôsurceXI*livreia YOigsstevoire»wi*«»
uneiniéressaulo
lesBorner.
lea8omer. do
Unlerauch.
Unttnueh.
deWilamowitz
Wilamowitz le chap.spéciei
pécialqnts'yrapporte.
quis'y rapporte.
LIVRE XI 870
et, on fuit, la moindre attention dûmonlro que «ot ôpi-
soilono tient pas au roato du récit, avao los dotmt<ea
duquel Hest absolumont on désaccordt. Mais voici, au
miliou du lu foulo, Aitticlée, la nuVo d'IUyano twlui-ei
l'i'carto tout d'aburd, bion à cuulro-eiuur, pour «coûter
Tirésias.
La roponso du vieux dovi» Bombloavoir été altâréo
ussoe gravomont, Ulyaso,à ce moment, ignora encore
quel dieu lu poumuil du sa culèru; ildumando <|iiollo
puissaiico lui forme lo cltoinin do mn pays, Tin'-slas
tldil dune-d'«lw>rdlui noutiner mn ennemi, – et c'est
ce qu'il fuit doua los premiers wm dosa répo»su(v. 101-
102) puis, lui apprendre comment il l'apaisera, – et
c'est lo sujet du la dernière partie de son discours (v. 121•
llii). Maisaujourd'liui ces deux morceaux no ao raccur-
«loiilpas, et ils sunt aépares l'un do l'autre par un dévo-
loppouumtsurrinimitiô d'IUMiosotaur lu mort dos pré.
tendants. Codéveloppement, étudié on lui-même, donne
prise à dos critiquoa sérieuses, et de plus il vise dos
choses qui semblent étrangères au groupe dos chants
primitifs. Il y a donc lieu decroiro qu'il a été inséié là
tardivement et qu'il en a chassé un passage qui manque
aujourd'hui.
Alors a lieu la magniGquo scène entre Ulysse et sa
inèio, entrevue profondément touchante, et l'une des
belles inspirations do l'épopée homérique (v. {52-224).
Le contraste est grand entre cet entretien pathétiquo
et le long épisode du défilé des femmes illustres
(v. 226-
332), qu'il parait impossible dfattribuer au mémo poète.
i. Ulysse s'entretient avec Elpénor, bien qu'il ne veuille adresser la
parole à aucun mort avant d'avoir interrogé Tirésias et qu'il écarte
même sa mère pour consulter le devin. Elpénor parle, t \nsavoir ha
te sang des victimes. Enfin on retrouve dans cet épiuode l'esprit
sceptique du poète qui se plaît à faire ressortir lui-méme les luvrai-
sâmMaucea de son récit (v. 88). C'est bien le même qui au <X«livra
décrivait à sa façon le Mol// (X. 304-306).
**0 GHAPITRKV. – ANALYSEOK L'ODYSSÊ'E
C'eut on réalité un simple catalogue ou dénombrement
h la manière Iiôaiodiqui'.aantrUiiidodramaUquo, Uly*«t>
nejouodani tout ce morceau aucun râle effectif; il est
là comme un «impie nomenelatuur, et lo poète ne nous
apprend rien de ao»sonlimonts, ce qui ost justement lo
conlrniro de la manière liomériquo.
Los récits d'Ulyaso ont déjà rompit doux livrai et
demi sans interruption. Uno court» suspension a lieu
âpre* lo dénatnbromentdo» femmes, par conséquent au
milieu môme do ha Mxutx (v. 328-3H4).Gummo cotte
scènnépîsndique ne paraît avoir d'autre objet quo de
dégager Alkiuoos do sa promesse du VII*livra on mou-
lant d'un jour le départ du héros, il y a lieu do croiro
qu'ello a été insérée là, lorsque l'allongomont graduel
du récit primitif eut rendu l'accomplissement do celte
promesso impossible.
La second» partie do la Ni'xwt a pour sujot los entre-
vues succossives d'Ulysso avec ses anciens compagnons
d'arme», Aganieinuon,Achille, Ajax«. Toute» cesscènes
sont pleines do sentiments justes et profondu, sans mer-
voilloux inutile, toutco qu'elles ont do pathétiquo étant
tiré do la nature humaine. On est ému de la tristesse
qui ptY*osur ces grandes Ames, do leurs souvenirs, de
leur attachement à leurs affections terrestres, enfin de
leur regret de la vie1. La plainte d'Achillo est admirable;
la sombre colère d'Ajax ne l'est pas moins. Mais après
qu'il s'est éloigné sans parler, commence un morceau
bien différent (v. 865-626).C'est unedescriptionde quel-
ques personnages mythologiques fameux, punis ou non
dans les enfers. Cemorceau est en désaccord manifeste

t. Elle commence au yen 385 par un raccord visible. Le rôle


attribué APersépbonée semble snggorô par le vers 635 du même livra,
mais il n'est en accord ai avec ce vers, ni avec la donnée générale,
car Peraâphoné est au fond de l'Aidés et ne doit pas paraître ni agir.
S. Le dialogue avec Agamemnon semble avoir subi des additions.
LIVRK XII 881
avec l'ensonibto do la description, comme les scoliastes
anciens foui fait remarquer déjà dans dea notes
tées. Jusqu'ici en offet, noua avion* sous loa répé-
youx une
grande prairie, d'abord déserte, puis remplie pou
à peu
par la foule des morts qui sortent de l'Èrebe. loi au con-
traire les poraonnagea dont parle le
poète ont néeos-
ssiromont un séjour lixe: c'est Minossur son
tribunal,
Tityos étondu ot lié sur le sol, Tantalo plongé dana sou
murais, Sisypho roulant unu ruche pesante sur le flanc
d'une montagne. Evidemment cos deux
sont contradictoires. Cela suflit à prouver conceptions
que ce mer.
eonua été ajouté à la Nèxui*primitive». Sion le rotran-
che purement ot simplement, lesderniors vers du livre
XI (628-635)se rattachont sans difficulté au
départ d'A-
jax (v. 868), et la narration commencée s'acbèvo ainsi
nalurollemonl.
Colivro se compose donc en résumé d'un récit d'uno
grande beauté, dans lequel ont été intercalés trois ou
quatre morceaux facilement rcconnaissablos.
Le douzième livre au contraire ost tout entier d'ori.
gino plus réconlo, et nous y retrouvons, h n'en pas
douter, le poète du livro X avec sa manière
propre. Les
événementsqui le remplissent sont le retour d'Ulysse et
«loses compagnons auprès do Circé, les
prédictions et les
avertissements do la déesse, te départ, Tépisodo des Si-
rônes, celui de Charybdo et de Scylla, l'arrivée dans l'île
de Thrinakié et le sacrilège commis là sur les
du Soleil, la tempête, ta mort des troupeaux
compagnons d'Ulysse,
enfin les souffrances du héros
lui.même, jeté seul
au bout de neuf jours
d'éprouves dans l'ile de Calypso
i. WHamowiU le croitd'origineorphiqueet l'interprèteen con-
séquence;voirdansl'ouv.citéle chap.sur la Nekyia et Vuuum
1«la paao109.J'y verrai»plutôt,pourm» » w
viohumaine, part, allégoriede la
qui rappellebeaucouples mytheshésiodiques et qui
pourraitbienêtredu même temps.
*88 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSfcK

où il doit séjourner sopt ans. Commeau livroX, toutici


est fantastique. Le goùl do l'extraordinaire, la roclior-
oho du merveilleux pour lui-même s'y révèlent à cha-
que instant; ol, commuai! dixième livre aussi, ce mer-
veilleux prédomine sur l'intérôl inoral, quiostmédiocro.
Avec cola, une géographie purement imaginairu t. La
poète n'a d'ailleurs, ici encuro, qu'un souci extrême.
mont faiblodo la conduitedu récit oldea vraisomblancos
de détail, Pourquoi au début ramonc-t-il Ulysse et ses
compagnons cho* Circé? Son seul motif ost le désir do
placor dans ht bouchetle la déessoune prédiction, qu'on
pourrait appeler lo programme du spectacle Il so plutt
tant à ces morvoilioaqu'il tient à nous los montrer ainsi
doux foisdo suite, en abrégé d'abord et comme do loin,
puis d'uno manière plus détaillée et plus sonsible dans
dos descriptions dont quelquos-iinos sont, il est vrai,
d'un grand mérite. Los petites difficultés continuent à
ne pas l'urrôlor. S'il a besoin d'éloigner Ulysso do ses
compagnons pour que ceux-ci puissent immoler les
bœufs du Soleil, il raconte simplomont quo le héros
s'en va dans l'intérieur de l'Ile prier les dieux do lui
enseigner la route du retour, et qu'il s'y endort (v.333
otsuiv.). Quand lesbœufs sont immolés, son Ulysse sait
ce qui s'ost passé entro Lampétié et Hypérion, et, ici
encore, l'auteur, selon son habitude, accuse lui-même
l'invraisemblance par une explication qui l'aggrave (v.
389-390). Ce sont là des traits qui ne permettent pas do
le méconnaître. Son genre d'imagination, songoùt pour
l'extraordinaire, ne sonlpas moins reconnaissables dans
la description si peu homérique dos prodiges qui s'ac-
complissent après que les boeufsont été dépecés (v.394-
397). Enfin il faut ajouter qu'il ne se préoccupe guère
de raccorder ses récits à l'ensemble de ceux qu'il déve-
I L'Ileà'Mt&n eatà l'Orient,carc'estlà quelesoleilselève(XII,
d'accordercettedonnéeaveclerentedurécit.
3-1).Il est impossible
LIVRE XII 883

luppo.Car, évidommont, c'est lui qui a introduit dans


l'Odysséelemotif delacolèro d'IIélio*Hyperja», inconnu
au poète primitif. Pour celui-ci, Ulyssen'a d'autre en-
noini quo Poséidon qui vongo soit fila Polyphème 1.
L'auteur du douzième livre lui on adonné un second,
ut c'est lui par suite qui a dû égatamont motlro dans le
|iiiùinoles doux allusionsa cotlo seconde inimitié qui se
trouvent, l'uno au XI*livro dans la prédiction de Tiré-
sitts (XI, 104-113), l'nutro au premier, dans l'eNordo
(1,0-9)'.
Il résulte do co qui précède quo les 'AXxfvw«rtj>.syot
se composont do deux récits çntromolés, l'un primitif,
qui comprend les livros IXet XI, sauf les intorpolations,
l'Autre, plus récent, qui ost constitue par les livres X
et XII ot qui a été relié au précédont par quelques rac-
cords assez facilos à découvrir. Co second récit a pour
héroïne Circé, flllo dilélios et sœur d'Éétes, roi do Col-
cliide, l'un dos principaux personnages de la légende
des Argonautes. Or c'est aussi dans cette parlio do l'O-
dysséeque se trouve l'allusion célèbre aux chants rela-
tifs a cette légende (XII, 70, "ApywzSLnjaîJuhjo*). C'en
serait assez pour soupçonner quo ces développements
du récit primitif ont été composés sous l'influence do
poésies contemporaines qui avaient pour objet l'expé-
dition des Argonautes. Co soupçon, commo l'a démon-
tré M. Kirchholï3, se change presque en certitudo, lors-
qu'onnote cortaines ressemblances tout à fait frappantes
1.Il n'estquestiond'Hypérion
ni dansl'ansemblée desdieuxdu
premierlivre,ni dansle cinquième,lorsqueUlyssequittel'Ile de
Calypso. Danscesdeuxcirconstancesdécisives,c'estPoséidonseul
quiest l'ennemid'Ulysse.VoyeznotammentI, 19,6rolt'tlia:(.m
KTOvttcvi«f i llop«8£<t>voc.
Le poètequiparleainsine saitriende
lahained'unautredieu.
2. Ce qui est tout à fait probant A cet égard, c'est que les deux pas-
sages en question ro.npent l'ua et l'autre la suite naturelle des idées.
3. Odyssée, 1» parti'}, Exc-.rsus II, p. 287 et suiv.
S)84 CHAPITRE V. ANALYSE »« I/0DY8SÊB

ontro la légende dos Argonautes et plusieurs passages


dos développement» on quoation Ajoutons quo lu ca-
ractèro même du récit eomplètorait encore cette prouve,
s'il était nécessaire. Los inventions fantastiques que
nous avons notées sont d'un mervoilloux moins simple
quo les invontions ancionnos do YOdyssée,et il«"est pas
douteux que ce goût noao soit principalementdéveloppé
on Qrtco aprbs le grand essor du lu poésie homérique,
lorsque l'épopée, i'orcéodo so renouveler, recourait aux
légondos do la Golchidoet de la Thossalie.

IV

Avec le treizième livre, commence la seconde partie


de YOdyssée. Les voyages d'Ulysse sont finis; il est dan:)
son ilo et bientôt dans son palais; il y prépare sa ven-
geance, et, quand l'houro en est venuo, il l'accomplit.
Cette seconde partie est manifestement une continua-
tion du la première ou du moins des récits primitifs de
celle-ci elle les suppose connus et le poète y fait allu-
sion fréquemment. Mais cotte continuation a des carac-
tères propres, que nous allons essayer do faire ressor-
tir en l'analysant. Le plus remarquable, c'est la lenteur
de l'action et la grande placo fuite aux entretiens qui
deviennent presque la forme principalo do l'action. Les
grandes qualités dramatiquesy sont subordonnées d'une
manière générale à la peinture délicate des sentiments.
D'ailleurs cette seconde partie est d'une nature presque
aussi composite que la première. La manière dont les
Ois qui forment la trame du récit sont entremêlés sein-

I.
1. M.
»t. KtMhhaa
Kîrchfca8
r&ppraeha cscmpteavecraison
psf exesspie
rapprochapar t'tpiM<~*»
STeetaiseB l'épisode
Lostrygonsdu débarquementdes Argonautesà Cyzique,et les ro-
chesPUne'.aedesrochesSymplégades.
LIVREXIII 885
ble nous avertir déjà qu'il y a eu là aussi plusieurs tK>s-
soins auccossifs. L'tHudo des détails et l'observation <|e«
différences littéraires confirment pleinement o««tlo|>ro-
mioro impression, mai» elles ne doivent pas nous faire
méconnaître une véritable unité do conception que no-
tro analyse muttra en lumièro t>t dunt nous rendrons
compte dans lo chapitre suivant.
Lo livre XIII raconte d'abord ta départ d'Ulysso quit-
Imit l'ilo des Phéacions, aa navigation iiuclurnu, son ar-
rivât) a Ithaque où un lo tlépuso oudonni sur ta rivage
aveu»80» trésors, et le prodrgo qui traiWormo on rocher
lu vaisseau phéacien canfcrrtrt6tttant à un ancien oracle.
Cotto promière moitié du livro XIII (v. 1-184) a du êtro
considérée nécessairement comme la On do l'Qdym'e
l>rimitivo par coux qui lu conçoivent coiniuu un poèmo
c(iii)|(Iotet distinct de sa continuation Sans ce coin-
plument on oflbt, co premier poème n'aurait pas do Ai-
luiAinoitt, et par conséquent Co no serait pas un poôrne.
Mais si l'on conçoit los choses d'une manière plus li-
bre, analogue a celle quo nousavonsappliquéc à Iliade,
il n'y a aucuno raison pour couper ainsi en deux le
treizième livre. Au point de vue moral et poétique, les
deux parties en sont réellement inséparables. La se-
condo nous montre lo réveil d'Ulysse dans son Ho, ot
nous fait assister à son entretien avec la déesse Athèné,
sa protectrice, qui vient d'abord à lui sous la forme
d'un jeune pAtre et bientôt se révèle sous son vrai nom.
L'objot do cet entretien est manifestement d'introduire
dans les chants nouveaux le personnage d'Athèné
qui manquait dans un certain nombre des anciens, et
de justifier cette différence, ce que lo poète fait ingé-
nieusement. Athèné allègue qu'elle n'a pas voulu com-
battre Poséidon (v. 341-343). Mais cette justification

i. C'estl'opinionde M.Kirchhoffnotamment.
8*6 CHAPITRE V. – ANALYSEOS L'ODYSSÉE
mônto, tout habile qn'ollo mi, révèlo lo continuateur,
uoucii'ux «loraccorder sos propres conceptions, avec h>
plu* do vraisemblance possible, il de» créations poéti-
quos déjà célèbres t. Tout lu treizième livre porto
d'ailleurs au plus haut degré les caractères qui vont
doiiiinor dans los inoillour* chants do la (lu du poème.
Lo rouit y est pou dramaliquo, mais d'une poésie sint-
|ito «t puro, qui a parfois au grandeur ol qui attacho
par la vérité morulu », 1,'autour au plail aux Notionsros-
semblant à la vérité, tollos que lo récit do puro in-
ventiou fait par Ulysseau jouno pfttro. 11est contour
avant tout, et il l'est avec un grand agrémonl. Lo mer.
vcilloux est pour lui un élément traditionnel qu'il om-
gloio a propos, plutôt qu'une ressource poétique au limi
d'cn user, comme fauteur des chants rolatife & Circ6,
pour le plaisir d'olonuor, il s'en sert discrètement pour
los besoins de son récit, mais il n'y attacha aucune im.
portance, parce que l'intérêt a ses yeux est ailleurs.
C'est par la flnosso délicate du sentimont qu'il oxcoIIk,
et la grâce spirituelle est innée ou lui. I/entretion du
héros et do la déesse, si ingénieusement varié dans ses
diversos phases, est à eut égard un véritable chef-d'tâu-
vre, bien que peut-être le charme n'on puisse être com-
plbtoment senti aujourd'hui que par des esprits bien
préparés.
Une chose importante à noter, c'ost que cet entre-
tien d'Ulysse et d'Athèné est évidemment une intro-

1. Il est &peine besoin de faire remarquer combien la raison don-


nés par Atliéné est insuffisante attfond. Car antérieurement &l'offense
faite par Mysaa a Poaéidon, elle n'agit pas plus en sa faveur qu'aprô3,
et de plus cette réserve qu'elle s'attribue ici n'est guère en accord
avec l'initiative hardie qu'elle prend dans l'assemblée du premier
livre.
2. Aristote \foét. c. Si) a touS î« rscit da débsïqBesMS*, •» remar-
de
quant que le talent du poéte empêche seul le lecteur d'être choqué
l'invraisemblance des événements.
LIVRE XIV 287
«diction aux récits qui remplissant la fin du poème. Si
dune,il u été composé avant ces récits, il faut admettre
t|iio coux^i ont été connus dès lors par lo paùlo, sinon
cuinino un puèmo continu, du moins comme un groupe
110chants qui devait dans sa pensée comprendre au
moins tr«w actes essentiels auxquels il faisait par
avance allusion, lo'JSéjour chez Eumée (v. 401 et suiv.),
VKpraivr damle palais (v. 33S336 et 403-404), et lu
Vengeance{\. 3!li-3(Jli). Nouscroyons que cotto hypo-
llt&joest vruio, ot l'analyse des chants suivants lu eon-
111iiiuru
Ulysso, débarqua a Itliaquo, chorcliu d'abord un abri
tluus la campagne; il arrivo choz sun vieux serviteur,
lu porchor Kumûo, qui lui donne l'hospitalité cette
urrivéu chez Euméo, cet accueil foriiiuut lo sujet du
qunloreièiuo livro, un dos meilleurs du la seconde par-
liù dt) l'Odyssée. C'ust un dos actes annoncés, coiniuo
nous venons du le voir, dans l'entretien d'Athoné et
•l'Ulysse au livro précédent. L'intention principalo du
jtnMtisemble avoir été do nous faire sentir d'une ma-
nière dramatique combien les plus (idoles amis d'Ulysso
désespéraient de son retour, au moment môme où il
était déjà ronti é dans sa terre natale c'est lit ce qui
r url en effet de toutes les paroles d'Euméo, si dé.
ù son maître et 'si découragé. Et on môme temps
<ulu aussi mettre en oeuvre cette donnée, si émou-
s par ollo-memo, Ulysse traité en étranger dans
son propre domaine par un serviteur excellent qui ne
le reconnaît pas. Il y a réussi admirablement. Le ca-
ractère d'Eumée, bon, religieux, hospitalier, aussi fidèle
I. Ala finde l'entrottea,Athènédit quelquesmotsà Ulyssede non
filsTiHémaque qui ostà Sparte(v. 413-428),
et, quandelle le quitte.
c'estlà qu'elleso rend pour l'enramener(v. 439440).Ces-deux pas-
tsgssas peuventêtre quodes raccords,s'il est vrai, commenous le
croyons,queles voyagesde Télémaqueontété composésaprès la se-
condepartiede l'Odyssée.
988 CHAPITRE V. ANALYSE DE L'ODYSSÉE

après vingt ans qu'au premier jour, mais on même


temps dôHant comme un homme qu'une longue expé-
rience a instruit, est point de la manière la plus déli.
calo et la plus naturelle. Deux personnages remplissent
seuls la scène, et il n'y a pas d'action à proprement
parler, car tout se passe en récits. Mais les sentiments
de ces deux personnages et leur situation nous intéres-
sent profondément. En outre lo tableau de la vio rus.
tique qui sort de fond à cette scène lui prête un charme
tout particulier. Si la longueur des récits n'est pas «n-
tièrement justifiée par l'intention principale qui vient
d'être indiquée, c'est que le puète, comme nous l'avons
déjà signalé, se plait à ce genre d'inventions. Remar-
quons d'ailleurs qu'en vue mémo do la récitation, il
sentait certainement le besoin de donner à son récit
partiel une assez grande étendue pour qu'il pût se suf-
lire à lui-même et constituer la matière d'un chant
isolé*».
Autant le quatorzième livre est facile à embrasser
dans son ensemble, autant le quinzième l'est peu. Ce
n'est plus une scène qui se développe régulièrement,
c'est un assemblage do pièces et de morceaux. On
nous tranporte successivement à Sparte et à Ithaque,
et tout ce va-et-vient ne tend visiblement qu'à relier
les situations exposées au commencement du poème
avec celles qui vont suivre. Le retour de Télémaque
(v. 1-300) forme la première partie du livre. Athèné,
qui a quitté Ulysse à Ithaque après l'entretien du XIII*
livre, arrive à Sparte, où nous avons laissé Télémaque

1. n n'y Aguèreà signalerdansce livre, commeadditiondequel-


que importance,que les vers 174-184, relatifsau voyagede Téléma-
que à Pylos.Nouales supprimonscommetousles passagesdumême
genrequi dans cettepartiedu poèmese rapportentà Télémaque,et
l'on peut voir, en étudiantle texte de près, que cette suppression
est toutnaturellementindiquéepar la suite mêmedesidées.
LIVBE XV 389

chez Ménélas à la fin du livre IV «, Elle apparaît en


songe au jeuno homme et l'exhorte au départ, Au point
de vue moral, son discours (v. 10-42) s'accorde bien peu
avec le reste du poème, car il défigure le personnage
de Pénélope; et au point de vue littéraire, il offre
l'exemple d'emprunts singuliers. Il a de plus le tort de
nous faire remarquer l'invraisemblable durée du séjour
do Télémaquo à Sparte. Ce séjour a duré en effet tout
près d'un mois, bien que Télémaque eut manifesté dès
la lendemain de son arrivée la ferme intention de re-
partir immédiatement et que rien absolument n'ait mo-
tivé depuis lors un changement d'idée de sa part. La
scène des adieux de Télémaque et de Ménélas ne prête
pas moins à la critique, malgré ses mérites. Ménélas y
offre à son jeune hôte un présent qu'il lui a déjà offert
au livre IV, et cela dans les mêmes ternies3, sans qu'il
soit possible de supprimer ces vers ni dans l'un ni dans
l'autre de ces deux passages Télémaque quitte alors
à
Sparte, passe Pylos sans s'y arrêter, et s'embarque pour
revenir dans son îlo. Sur le rivage de Pylos, il rencontre
et recueille le devin fugitif Théoclymène et l'emmène
avec lui à Ithaque. C'est un personnage inutile pour le
moment, mais qui aura son rôle au vingtième livre. Le
sort de cet épisode, au point de vue critique, est donc
lié à celui de ce livre ou tout au moins du passago de
ce livre où figure le devin; l'un et l'autre ont dû être

i. Elle y arrive dans la nuit, quand Télémaque est endormi, bien


qu'elle ait quitté Ithaque le matin. C'est là une de ces petites contra-
dictions auxquelles ne pouvait échapper un poète préoccupé de rac-
corder les uns aux antres des morceaux originairement distincts.
2. Comparer v. 10 et suiv. avec III, 312 et snlv.
3. IV, 613-619et XV, 113-119.
4. Nous croyons qu'ils appartiennent originairement au livre IV et
que toute cette partie du livre XV n'est qu'un raccord. Elle ressem-
ble beaucoup aux premiers livres du poème par les caractères de l'in-
vention.
Hiat. de 1» Utt. Grecque. – T. I. 199
290 CHAPITRE Y, – ANALYSE DE I/ODYSSÉE

insérés dans lo poème en même temps. Tandis que


Télémaque est en mer, le récit nous ramène brusque.
ment à Ithaque (v. 301492). Une nuit et un jour se
sont écoulés depuis que noua avons laissé Ulysse chez
Eumée; ce temps est resté sans emploi; Ulysse est tou-
jours chez Eumée, et nous assistons à un nouvel entre-
tien q« se prolonge dana la nuit. Il est clair qu'après
la conversation si intéressante de la veille, celle-ci est
sans objet. Elle ne sort qu'à donner à Télémaque le
temps d'arriver. Eumée raconte à Ulysse comment il a
été enlevé tout enfant par des pirates phéniciens et
vendu à la femme do Laerte. La narration est atta.
chante en elle-même, mais comme un conte étranger à
l'action du poèmo. Il semble évident qu'un tel dévolop.
pement n'est devenu possiblequ'après que le rôled'Eu-
méo out grandi, grâce aux chanta postérieurs, à celui du
Massacre des prétendants en particulier. Lorsqu'on l'out
vu combattre à côté do son maître, lorsqu'il fut devenu
ainsi presque un héros, on comprend que l'intérêt pu-
blic tût excité en sa faveur; on prit plaisir alors à sa-
voir quelque chose de son origine, de ses aventures
antérieures, do sa vie. Son récit servit donc à la foisde
complément et de raccord aux chants primitifs
Télémaquo était censé naviguer pondant ce temps. A la
fin du livre, noua quittons Eumée et Ulysse,pour assis-
ter à son débarquement. Il envoie ses compagnonsà la
ville avec le vaisseau, et s'achemine seul vers la de-
meure d'Eumée.
Le père et le fils se trouvent ainsi en présence. Leur
reconnaissance mutuelle est la principalo scène du sei-

i. Eumée raconte, à partir du vers 420, des choses qu'il n'a pu sa-
voir nous avons déjà noté ce genre d'invraisemblance dans les livras
X et XIÎ. Ce procédé narratif, ans lois admis, «# pouvait en efltet
manquer d'être imité, en raison même de la facilité qu'il donnait au
narrateur.
LIVRE xvi 89i

zièmo livre. dont elle remplit la première partie. Mais


le besoin d'assurer la continuité du récit on reliant les
unes aux autres les scènes primitivos y a fait ajouter
ensuite toute uuo seconde partie aingulièromimt infé.
rieure en mérite.
Télémaquo arrive chez Euméo; le vieux serviteur
accueille son jeune maître avec uno joio touchante
et lui présente son hôte, Ulysse, qui s'ost donné pour
un Crétois et dont Télémaque n'a garde de deviner lo
secret. Pour quo la reconnaissance soit possible, il faut
que le poète éloigno Eumée. Il imagine do te faire en-
voyer par Télémaque à sa mère Pénélope pour l'infor-
mer secrètement de son retour. On no peut s'empêcher
de remarquer combien cette invention, qui serait bonne
on elle-même, concorde mal avec la fin du livre précé-
dont. Los compagnons de Télémaque sont déjà rentrés
ù Ilhaquo, sans qu'il leur ait recommandé le silence sur,
son retour; ils on ont répandu la nouvelle, et Eumée la
trouvera parfaitement connue. Gomment donc Téléma-
quo peut-il lui recommander de no parler do son retour
Il personne qu'à sa mère, de pour que ses ennemis n'en
soient instruits?Doux scènes qui se contredisent si mani-
fostomont ne sauraient être attribuées au même poète.
Dès qu'Euinée est parti, Ulysse se fait reconnaître de
son fils, moment plein d'émotion, auquel le poète a su
donner une beauté à la fois noble et touchante. Puis le
père e»,le 61s se concertent sur ce qu'ils ont à faire.
Dans cette délibération, figure une sorte de catalogue
des prétondants (v. 245 et suiv.), dénombrement fort
suspect, qui excitait déjà la surprise des critiques an-
ciens une véritable armée passe devant nos yeux; on
sont là ce goût d'exagératioj» que nous avons déjà si.
gnalé dans les parties récentes de l'Iliade. Quant aux
instructions d'Ulysse à son fils (v. 281-298), Aristarque
les rejetait, comme empruntées au début du livre XIX,
893 CHAPITRE Y, – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

où nous les retrouvons on effet textuellement. On a dé.


montré do nos jours que le passage du seizième livre
était au contraire le modèle dont celui du dix-neuvième
est l'imitation ».
A côté de cette bollo scène, tout le reste du seizième
livre aecuse une infériorité de conception notable on
môme temps quo co manque do aoltcté dans l'ordon-
nance qui trahit los raccords. Tout le mondo s'y agite,
sans qu'il en résulte rien do vraiment utile ni rien
qui intéresse lu lecteur. Les compagnons do Télémaque
arrivent à Illiuque. Les prétendants, qui l'apprennent,
sortent du palais, fort inquiets. On se rappelle qu'a la
fin du quatrième livre, c'est-a-diro un mois auparavant,
ils avaient envoyé quelques-uns des tours sur un vais-
seau pour attendre le fils d'Ulysso à son retour de l'y-
los. L'embuscade a été déjouée, et ceux qui s'en étaient
chargés reviennent justement à ce moment. Ainsi
réunis, tous les prétendants délibèrent, mais leur déli-
bération n'aboutit a rien. Ils rentront dans la grande
salle du palais, où Pénélope, sans raison suftisante, vient
essayer do los détourner de tours mauvais desseins
contre son fils. Eumée cependant a quitté la ville, et
nous le voyons revenir auprès do Télcmaque, à qixi il
rend compte de sa mission.
H est bien clair que ces deux parlies du seizième li-
vre ne sauraient être jugées de Ja même manière. La
seconde n'a ni unité, ni valeur dramatique originale;
elle est indispensable à la continuité du récit, voilà tout.
La première au contraire constitue par elle-même un
chant complet, et à ce titre elle aurait pu figurer dans
une série primitive. Toutefois il faut remarquer qu'olle
implique la donnée d'un retour de Télémaque arrivant
chez Euméo après une absence plus ou moins longue.
Un a supposé qu'à l'origine, dans la forme primitive
i. Kirchhoff,Odyssée,
2»partie, ExcursusII.
LIVRE XVI 298

du récit ot avant l'invention de la Télëmachie,Télôma-


(juo arrivait, non d'un voyage lointain, mais simple-
ment de lu ville. Cela n'est pas impossible; l'addition
de la Télémachia aux chanta plus anciens do l'Odyssée
» certainement ontrainû dos remaniements profonds,
dont nous surpronons à chuquo instant la trace, et il ost
évident quo cela est vrai surtout du rôle de Télémaque,
Maisc'est précisément parce quo ces remaniements ont
été assez importants, que les conjectures sur l'état de
certains chants primitifs sont aujourd'hui fort husur-
tli'uses. Il est pout-êtro plus sage de s'on abstenir et de
se borner à faire voir l'état réel des choses'.

Lo groupe des quatre chants qui suivent nous mon-


tro Ulysso daus son palais, où il roàto inconnu, déguisé
on mendiant, où il est outragé et maltraité par les pré-
tendants, tandis qu'il emploie toute sa force d'amo à
dissimuler on épiant l'occasion do la vengeance. La si-
tuation est si émouvanto par elle-môme, elle mettait si
bien en relief quelques-uns des traits du caractère liai-

i. Je ne puis m'empêcher de soupçonner quant à mot que les cor-


rections faites aux chants primitifs ont été plus profondes qu'on ne
le suppose. dans cette partie du moins. Il y a des passages du livre
XVII, où la conduite de Télémaque en face des outrages faits A son
père ne s'explique pas suffisamment par la convention conclue entre
eux. On se demande en les lisant si primitivement la reconnaissance
n'était pas postérieure à ces scènes. Peut-être avait-elle lien plus
plue tard dans le palais, et il y a bien quelques indices de cela dans
le récit actael du Uvre XVI (v. 163, le mot |iir<*P<>v;v. 202>*vSov
livra). Quand on inséra la Télémachie dans l'Odyssée, on dut tout na-
turellement changer cet ordre, afin de ménager un retour intéressant
à Télémaque, et la nouvelle reconnaissance fut composée avec tout
ce qu'on put garder de l'ancienne.
994 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

léniquo, et par conséquent elle devait intéresser ai vive.


ment les auditeurs do l'Odyssée,qu'on «e peut s'étonner
do voir les scènes primitive» grossies d'additions assox
nombreuses, quelquefois difficilesà démôler.
Le dix-Hoptièiiiolivro ost proprement la récit de la
Rentrée d Ulyssedam son palais. Maisil débute par uno
do ces scènes accessoires, qui attoslont comment le der-
nier ordonnatour de l'Odyssée a du procéder pour no
laisser aucun personnage on arrière dans le développe^
mont général tluJ'uction, Telcmaque a pris les devants.
Il arrive leprouiiur au paluis où sa ntôro l'accueille avec
une tendresse pleine dejoio1. Lo récit qu'il lui fait do
ses voyagesest on grande partie un asscmblago do vers
empruntés au livre IV, c'esl-à-diro a la dernière partie
do la Tëlèmachie; et il faut avouer quo ces emprunts
dénotent une composition plus oxpéditivo qu'adroite ou
réfléchie, car Télétnaquo y rôpôto mot pour mot des uf-
finnatioiisdoMéiiélus dont lo mouvement inéine tsomblo
singulier dans la bouche d'un narrateur parlant d'a-
près ses souvenirs*. Après ce début emprunté, com-
mence le récit original. Nous y retrouvons toutes les
hautes qualités qui font le prix des livres XIII et XIV.
Tout y est juste et dramatique, d'une invention simple
et frappante. Ulysse et Eumée cheminent ensemble

1. Les paroles par lesquelles Pénélope accueille Télémaque sont


précisément les mêmes que celles par lesquelles Eumée l'accueillait
un peu auparavant. Il est assez singulier que le langage de la ten-
dresse maternelle soit identique A celui da dévouement domestique.
Cette répétition Inopportune atteste le genre de négligence qui est si
aisément explicable dans les raccords de YOdysiée.
2. Voyez en particulier vers 132 et suiv. II s'exprime même par-
fois de façon que Pénélope ne devrait pas pouvoir le comprendre.
L'expression yipuv «Xio«du vers 140, qui désigne Protée. est parfaite-
ment claire dans le passage identique du livre IV, lorsque ce per-
soasags mythetogiqsc vient d'être nommé et décrit, mai» tel «H« est
absolument inintelligible pour Pénélope,' qui ne sait pas que Ménélas
a consulté Protée.
LIVRE XVII 895
vers la ville. et arrivent & la sqwpm oà est l'autel dos
Nymphes, Ils y roncontront le chevrier Mélanthous,
serviteur insolent et porvers, qu! insulte ot frappe le
mendiant. Puis l'arrivée au palais, avec la peinture si
délicato des sentiments d' Ulysse,l'épisodo admirable du
chien Argos reconnaissant son maitre ot mourant à ses
pieds, et enfin la acèno tout homérique qui nous repré-
souto Ulysse d'abord assis sur le seuil do la grande
salle, ensuite allant mendier do table en table, insulté
ot frappé par Antinous, qu'il maudit. Tout cela est plein
de vio, et le mouvement dos sentiments y ost aussi pro-
fond que naturel. Plus on dégage ces grandes parties
du poème, pins elles apparaissent dans leur beauté.
Ala On de ce dix-soptièmo livre, Pénélope, prévenue
do l'arrivée du mendiant, le fait inviter par l'intermé-
diaire d'Euméo à venir la trouver pour lui dire ce qu'il
sait. Ulysse lui fait répondre qu'il s'entretiendra avec
elle après lo départ dos prétendants. Lo sujet futur du
XIX.0livre, c'osUVdiro précisément cet entretien de
Pénélopo avec Ulysse déguisé, est donc visé ici expres-
sément par dessus le dix-huitième, et il en résulte que
le dix-septième et le dix-nouvièmelivre forment ensem-
bleun groupe. Au contraire, si l'on compare ce même
dix-septième livre au quatorzième, on s'aperçoit qu'il y
a entre eux à la fois accord et divergence. La façon
dont Eumée annonce et fait connaitre le mendiant à Pé-
nélope se rapporte bien à ce qu'il en a appris lui-même
dans lours entretiens du quatorzième livre. Mais quand
Ulysse, interrogé par les prétendants, leur raconte ses
prétendues aventures (v. 419-444), la narration qu'il
leur fait diffère notablement de celle qu'il a faite précé-
demment à Euméo (XIV, v. 199 et suiv.); or celui-ci est
présent à ce second récit, et par conséquent Ulysse,
par cotte contradiction, se compromet ici sans aucune
nécessité aux yeux d'un homme qu'il doit ménager. Ne
890 CHAPITRE V. – ANALYSE DS L'ODYSSÉE

peut-on pas conclure de là que le dix-septième livro


n'était pas destiné à faire suite au quatorxièrae? Il ap-
partenait primitivement à un groupe différent, qui tansa
doute supposait la connaissance des faits racontés dans
les chants précédents, mais qui s'y rapportait sans au-
cun scrupule d'exactitude rigoureuse.
Une série d'épisodes, dont aucun n'est indispensable
à l'action générale, voilà le dix-huitième livre. Le pre-
mier, de beaucoup supérieur aux autres, nous ropré-
sente le mendiant Iroset sa lutteavoc Ulysse (v. 1-157),
invention ingénieuse et dramatique, qui fait ressortir
la force du héros sans la révéler complètement. Quelle
qu'on soit l'origine, il est difficilede croire qu'il ait été
composé avant les grandes scènes qui suivent dans le
poème actuel. C'est un de ces récits secondaires qui ont
dû se grouper naturellement autour des principales si.
tuations indiquéespar les chants primitifs ».– Le second
épisodeest celui dolavisite de Pénélope aux prétendants
(v. 158-303).Nous retrouvons là un motif poétique qui
figura à plusieurs reprises dans l'Odyssée et dont l'ori-
ginal semble être au livre XXI.Toutefoisla démarchede
Pénélope a, cette fois, un but différent. Ello vient pour
se faire donner dos présents par les prétendants en les
trompant sur ses intentions, et elle y réussit; Ulyssequi
la voit faire est charmé do son adresse. Bien que cette
scène assurément ne doivopanêtre jugée avec nos idées
modernes, il faut avouer qu'elle semble peu conforme
au caractère réservé que le poète primitif avait attribué
à Pénélope. Un plus grave inconvénient, au point de vue
dramatique, c'est qu'elle met les deux époux en pré-
sence l'un de l'autre avant le moment opportun. Le

i. Onpeuten trouverunepreuvededétaildansl'allusionduvers
158quiparaitvier levers28*da livrexfcïl, *v«w> de
nnadifférence
noms(*A|tf2vo|u>(pour*A|tfipttuv),duesansdoutesoità unsouve
nir inexact,soità unefautedetexte.
LIVRE XVIII 997

poète du dix-septième livre avait différé leur entrevue


afin d'en faire l'objot d'un récit spécial; dans sa pensée
la baauté de la situation devait consister surtout en ce
qu'Ulysse, après vingt ans d'absence, se retrouverait
tout à coup en présence do sa femme, sans qu'il lui fût
permis de trahir son émotion; or ici, à propos d'une
circonstance insignifiante, voici que le héros revoit Pé-
nMopo: l'effet dola scène principale on est affaibli d'a-
vance comme à plaisir. Et, chose remarquable, l'autour
oublie môme do nous signaler ce fait, dont l'importance
morale est pourtant si grande dans le développement
do l'action. Comment douter dès lors que l'épisode en
question n'ait été ajouté aux récits primitifs, lorsqu'on
cherchait à les grossir par des inventions accessoires?t
Remarquons seulement qu'il est postérieur à celui d'I-
ros, auquel il ae réfère par une allusion diroctc (v. 233
et suiv.). La scène qui suit (v. 301-343) n'est pas
moins inutile à l'action générale. Los servantes viennent
pour éclairer la salle pendant les danses des préten-
dants. Ulysso veut les congédier; mais, insulté par l'une
d'ollos, Mélantho, il ne peut les renvoyer qu'en les mena.
çant. L'insolente Mélantho est visiblement une copie du
grossier et brutal Mélantlieus du XVII" livre; la ressem-
blance môme des noms accentue celle dos sentiments
et des actions. On ne comprendrait guère que le poète
primitif se fût ainsi imité lui-même et presque répété
sans motif. C'est donc là encore un épisode ajouté, pos-
térieur lui aussi à celui d'Iros comme le prouvent les
vers 333 et suivants. Le récit de l'insulte faite à
Ulysse
par Eurymaque clôt cette série de scènes à peine liées
entre elles. Nous avons là sous les yeux une variante
do l'épisode d'Antinoos au XVIIe livre, mais la
copie
reste fort inférieure au modèle. En somme, tout ce dix-
huitième livre paraît étranger au groupe des chants
primitifs, et l'impression qu'il donne estcelle d'une sorte
'496 CHAPITRE V, – ANALYSE DR L'ODYSSÉE

d'intermède, formé d'uno auito de développements qui


ont été greffa*le» uns sur les autres.
L'ontrovuo et do Pénélopo fû&wretu; x«i
d'Ulysse
ïlwiXoxiiat outXfc), annoncéo dès le dix-septième livre,
entièrement lu dix-neuvième. Toute.
remplit presque
fois, uvimt cotte ontrovue, Ulysse, Télésitaque et la déesse
Athènê emportent les armes hors do la grande salle,
où los prétendants ont l'habitude de so réunir, et vont
los déposer dans uno pièce intérieuro; morceau épisodi-
inséré tardivement t. Au début de
que qui a dû élro là
l'entrevue, Ulysse ost encore insulté par Mélanlliu, quo
réprimande Pénélope; ai la rùlo de Mélantlio n'ost pan

primitif, il y a ou là nécessairement un remaniement.


Mais passons surdos détails. L'entretien dos deux époux
dans tout son développement est digne dos bulles par-
tios du poomo. Pénélope, qui ignore qu'olle ost en prû-
sonce d'Ulysse, laisse voir par tout ce qu'elle dit coin-
bion elle est attachée à son absent. Les récits
époux
du héros déguisé sont conduits do manière à exciter

t. Ce morceau a 6t6 fait certainement d'après un passage des ins-


tructions d'UlyBse à son fils au seizième livre; plusieurs vers sont
même reproduits textuellement. D'autre part, il eat en rapport direct
avec le passage du XXII (v. 141), où Mélanlhios dit aux prétendants
a J'irai dana la chambre socrèto vous chercher des armes pour vous
» en revêtir; car sans doute, c'est là, au fond dea appartements et
non ailleurs, qu'Ulysse et son fils ont déposé les armes. » Toutefois
le morceau en question ne s'accorde pas complètement avec le XVIe
livre. L'auteur du XVI* livre a supposé que l'enlèvement des armes
devait se faire furtivement sur un signe d'Ulysse, et par conséquent
en présence des prétendants, tandis qu'ici cet enlèvement a'accomplit
dans de tout autres conditions. De plus, d'après le XVI*livre. Télé-
maque devait ré.-erver des armes pour son père et pour lui, ce qu'ilil
ne fait pas au XIX°. L'intention du poète me parait elru de rester ici
en accord avec le XXII* livre, où ces armes réservées ne figurent pas.
On peut conclure de là que tout ce morceau est un raccord et une con-
ciliation entre le XVI» livre et le XXII*; ces deux récits contradictoi-
res se font, pour ainsi dire, des concession mutuelles par son inter.
médiaire, et la contradiction est ainsi affaiblie au point d'échapper à
un lecteur ou à un auditeur médiocrement attentif.
L1V11E XX 899
dans coite Amoimpressionnable un©variété d'émotions
qui donne à toute cette soèuo lo naturel le plus tou.
chant. D'ailleurs lo poète y a introduit à propos un élé-
ment dramatique on y intercalant la reconnaissance
d'Ulysse «t do sa vioillo nourrice Euryclée». On s'ima-
gine aisùmùnlcMc Entrevue d'Ulysie et de Pénélopesous
sa forme primitive, différanlseufcmont do co qu'ollo est
aujourd'hui par l'absence de quelques raccords, moins
i-tmiUmioiilrattachéopar conséquent aux autres parties
du récit, et jusqu'à un certain point indépendatito dans
la série do scènes quo l'imagination du poète tirait li-
brement do la léguudo
Après cotte scène si largomont faite ot si bien ordon-
ntto, nous retrouvons une série d'épisodos à peine liés
ontro oux, quoique cliuso d'anuloguo au dix-liuitiômo
livre c'est lo vingtième. Los anc.ens sim-
l'uppoluioiit
plcinent Avant le massacre des Prétendants (Ta «pô rôç
Mwionit:o7«y;««), et en effet co litre, qui ne dit rien, ost
lo seul qui convienne à un récit sans unité. Quelques-
unes do ses parties sont pourtant bellos et même utiles
à l'action générale; le réveil d'Ulysse au
par exemple,
i. Il convient seulement d'en retrancher, comme une addition ma.
nifesl. le long récit relatif à la blessure d'Ulysse (v. 398-461),expli-
cation inutile, jetée mal à propos, sous la forme d'une narration dé-
veloppée, au milieu d'une scène pleine de sentiment.
i. Dans son état actuel, le dix-neuvième livre se relie au vingt et
unième par l'idée de l'épreuve de l'arc que Pénélope soumet à son
hâta à la fin de l'entretien et que celui-ci approuve. Mais cette liaison
pourrait à bon droit être regardée comme l'œuvre d'un arrangeur. Au
XXI' livre, en effet, le poète nous présentera comme l'effet d'une sug-
gestion immédiate d'Athéné (XXI, i et saiv.) ce que nous voyons ici
décidé d'un commun accord entre Ulysse et Pénélope- D'ailleurs, à
la fin de l'entretien, la proposition de Pénélope n'est nullement en
accord avec l'ensemble de la scène, puisque l'entrevue même suppose
qu'elle conserve encore quelque espoir de revoir Ulysse et que les
discours du mendiant. ainai que le songe quelle raeoni», ont <)>con-
firmer en elle cet espoir. Cette proposition se présenta donc là de la
manière la plus inopinée, et Pénélope ne'prend aucun soin de la jus-
tifier (XIX, v. 5T7et sniv.).
300 GHAPITBB V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

lever du jour dans la cour du palais et les pronostics


qui l'accompagnent; ou encore l'arrivée du bouvier Phi.
lœtioa, dont lo caractère ost tracé avec une exquise
vérité. Coït un second Euméo, aussi dévoué quo le pre-
mier a son maltro absent, et il no pourrait guère figu-
rer commo il le fura nu vingt-douxième livre dans lo
massacro dos prétondants, s'il n'avait été auparavant
présenté déjà au public. Il faut donc bien quo cette par.
tio au moins du vingtième livrosoituntérieuro au vingt.
deuxième. H y a aussi une grandeur uainissanlo dans la
prédiction du dovin Théoclymène annonçant la mort
prochaine dos prétendants et dans la description de la
folio subito qui s'empare do ceux-ci. Mais ces beautés
de détail no peuvent nous empocher de remarquer le
défaut d'ordonnance de 1'onsonibloet lo manque d'uno
invention simploqui groupe ces scènes diverses en un
ensemble vraiment dramatique. Onest surprisd'ailleurs
do voir Télémaque (au vers 144)sortir pour se rendre
à l'assemblée indiquée; on no l'est pas moins d'onton-
dro parlor dos préparatifs d'une fête splendide en l'hon-
neur d'Apollon (v. 186 puis 276 et suiv.), fôte dont, à
partir de ce moment, il no sera plus qu'à peine question
d'une manière incidente (XXI, 258). Enfinl'outrage fait
à Ulysse par Ctésippe n'est qu'une répétition do ce que
nous avons déjà vu à deux reprises. La véritable nature
de ce vingtième livre est par suite fort difficile à déter-
miner, et nous ne croyons pas qu'elle ait été encore com-
plètement éclaircie. Il ne serait pas impossible qu'il ait
été composé comme une sorte d'introduction aux
grandes scènes qui font suite. On remarquera on effet
qu'il pouvait suppléer dans une certaine mesure à tout
ce qui précède, puisqu'il offrait comme un résumé de la
situation, et qu'ainsi il formait avec les livres XXI et
XXII une véritable unité de récitation «.
1. L'allusion aux fêtes d'Apollon a 618expliquée par M. Kirchhoff
UVREXXI 301

VI

Nous louchons au dénoûmont du poème. Tout ce qu'il


y d'essentiel est contenu dans les livres XXI, XXII et
a
•tans la première partie du livre XXIII, Ces scènes, aux-
i|uulles aboutissonttoutes les autres, ont dû figurer dans
la plus ancion développement donné par un grand poète
it cotte seconde partie de la légende d'Ulysse. Aussi
n'ttvous-nous affairo ici qu'à un polit nombre d'interpo.
lations, de médiocre importance, qui n'ont altéré en rien
1» phystonomio primitive de l'œuvro.
Lo XXI- livro nous met sous les yeux l'éprouve de
l'arc, qui est la préparation immédiate du massacre des
prétendants. Le récit, d'une simplo et bello ordonnance
so fait remarquer par la flno pointure des sentiments,
qui, sans ôtre passionnés, sont intéressants et animés.
L'âpopéo ici, on nous dépeignant la vaine présomption
dos concurrents, la diversité de leurs défis, et les nuan-
cos du dépit qui vont chez eux do l'humiliation il la co.
lùro, so rapproche plus do la nouvelle comédie que de
la tragédie; et toutefois l'élément tragique y est forte-
ment représenté par le personnage d'Ulysse dont la dis-
simulation couvre àpoino la colère toujours grandissante
et dont la force vengorosso se révèle déjà. Signalons,
comme épisodes, d'abord la scène entre Pénélope et son
fils(v. 343-358), déjà rencontrée plusieurs fois dans le
poème sous forme d'imitations; puis la reconnaissance
d'Ulysse par Eumée et Philœtios (v. 188-244), moins

comme résultantd'un emprunt &un autre récit aujourd'huiperdu.


quiauraitété plus ou moins,fondudansle récitactuel.C'estune con-
jecturebienhasardeuse,maiail fautavouer qae àe toute façonil y
alà de sérieusesdifficultés.
808 CHAPITRE V. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

pour sa beauté dramatique car le poète semble l'a-


voir un pou sacritiôo – que pour la manière dont elle
varie ce que la scène principale aurait pu avoir de
monotone; enfin la description d'Ulysse essayant son
arc (v. 401-432), morceau admirable de tout point, qui
semblait fait pour servir un jour do modèle soit à un
pointro, soità un sculpteur.
Dès qu'Ulysse a en main cotte arme redoutable, le mo-
ment de la vengeance ost venu. Le vingt-deuxième livre
est le récit du. combat, qui se termine par un massacre 1.
Si l'on peut reprocher à l'ensemble quelques longueurs,
il est impossible en revanche do ne pas admirer la force
d'imagination qui éclate presque partout. La révélation
d'Ulysse an début est saisisse nto, et la façon dontla lutte
s'engago jette tout d'abord dans l'âme du lecteur uno
émotion profonde. L'effroi des prétendants, l'éclat ter.
rible de la colère du héros, la prière do ses ennemis,
la violenco superbe do son dédain, autant de coups do
théâtre d'une incomparable grandeur. Le récit du com-
bat lui-même, malgré sa beauté, est moins parfait; une
sorte do symétrie dans les mouvements y donne à l'or-
donnance générale quelque chose d'artificiel on dirait
que le poèto, bien différent de celui do Iliade, a besoin
do péripéties empruntées à des causes extérieures, la
lutte elle-même ne lui offrant pas assez do ressources.
En revanche, il se retrouve tout entier dans les scènes
finales, qui suivent le massacre, lorsque la violence des
passions s'apaise et qu'à la fureur du vainqueur se mêle
quelque clémence. L'horreur de la vieille Euryclée à la
vue de son maître tout couvert de sang et entouré do
cadavres est d'une invention aussi forte que hardie

i. Touty sembleprimitif,sauf peut-êtrel'épisodedel'intervention


du fauxMentor (v.201-340) et un léger remaniementdans les veto
890-291qui fontallusionà l'outrage de Ctésipperacontéprécédem-
mentdansun passagesuspectda vlngUéme.tttW.
LIVRE XXIII 803
(v. 398 et suiv.); et la purification solonnollo du palais
après to châtiment dos servantes coupables clôt digne-
mont par une scène d'une gravité religieuse cette série
de tableaux d'une grandeur terrible et sinistre.
On ne peut douter que la partie principale du
vingt-
troisième livre, c'ost-à-diro la Méconnaissance d Ulysse
et de Pénélope, n'ait été conçue et racontée dès l'origine
dans la farmo où nous la possédons par l'autour mémo
des scènes précédentes. En effet, si le sommeil merveil-
leux qui s'empare do Pénélopo au XXI»livre (v. 3S7) la
dispense heureusement do prendre aucune part aux évé-
nemonts sanglants du XXII8, il implique nécessairement
que le poète lui ménageau ré voil la surpriso par laquelle
ses longues éprouves vont prendre fin. Nous retrouvons
d'ailleurs, dans la scène mémo de la reconnaissance,
l'art délicat qui le caractérise: là comme partout, il ex-
celle conduire au but los sentiments do ses porsonnages
par dos détours un pou lents, qui en font valoir les nuan-
ces et multiplient d'une manière ingénieuse les péripé-
ties*.
1.
Quand les deux époux se sont reconnus, quand Ulysse,
redevenu le maître de son palais, y a retrouvé la ten-
dre affection' de sa femme, nous avons
épuisé la série
des scènes vraiment intéressantes que fournissait la lô-
gendo. Aussi les plus judicieux critiques de l'antiquité,
Aristophane do Byzance et Aristarque, considéraient-ils
lo vers 296 du XXIIIe livre comme marquant la fin do
1. M.Kirchhoffsupprimede cette«cèneles vers 111-176,pendant
lesquelsla scènede la reconnaissance
est commesuspenduepar l'en-
tretiend'Ulysseet de Télémaquequidélibèrentsur les conséquences
probablesdu meurtredes prétendants.Cettesuppression me parait
inutileet mêmefâcheuse.Il est biendansla manièredn poète d'in-
terromprela scèneprincipalepar un épisode.Quantaux préoccupa-
tionsd'Ulysseau sujet de la vengellncedesparents.desprétendants.
ellessonten sommefort naturelles, et elles ontpn figurerlà avant
la composition duvingt-quatrièmechant, qui est un développement
ultérieurde l'idée exposéeici.
804 CHAPITRE Y. – ANALYSE DE L'ODYSSÉE

l'Odysiée ». La plupart des modernes se sont ralliés à


cette opinion. Les morceaux principaux dont l'assem-
blage forme la fin du poème actuel doivent donc être
signalés surtout comme exemples dos additions qui ont
constitue le texte définitif.
Les récits d'Ulysse à Pénélope (v. 300-343), sorte de
résumé rapide de ceux qu'il a faits antérieurement à
Alkinoos, allongent aujourd'hui fort inutilement la scène
de la reconnaissance, alors qu'elle est absolument ter.
minée. Le départ du héros pour la campagne où habite
son père Laërte (tin du livre XXIII) n'est qu'un raccord
entre ce livre et la principale partie du XXIV*.
Au début du vingt-quatrième livre se place l'épisodo
que l'on appelait ordinairement dans l'antiquité la se-
coude Nesunec.C'est un de ceux qui trahissent le plus
clairement une origine postérieure. Les âmes des pré-
tondants, conduites par Hermès, arrivent chez les morts,
où Agamemnon déplorait son malheureux sort en s'en-
tretenant avec Achille. Le récit que fait le prétendant
Ampliiinédon de la vengeance d'Ulysso fournit à Aga-
memnon l'occasion de louer la fidèle Pénélope en la
comparant à Clytemnestre, et cette comparaison semble
être l'objet principal de tout cet épisode, d'un si médio-
cre intérêt. On peut voir dans les scolies les nombreuses
raisons qu'Aristarque faisait valoir contre l'authenticité
de la seconde Nfcuia. Ces raisons sembleront générale-
ment inutiles aux modernes; car, outre la faiblesse du
morceau, ilfait doubleemploid'une manièrosi choquante
avec la première Néxuix, qu'il paraît impossible de l'at-
tribuer au même poète.
La fin du poème nous fait assister à la reconnaissance

1. Kustathe, p. 1493 'Ioréov il gT> xatà rf)v twv «ataOv liropii»


'ApiaïCtpxQt xa\ 'Apurroçàviic, o\ xopvçaïoi t<ôv tite -jp«[i.ii<Kix<ôv,
e!« tb,
me èppiti). « àonâaioi XéxTpota noXatoO 6e<r|t%v Cxovto », mpatoOsi ^i'
'OSiaociav.
HVBB XXIV 805
d'Ulysse et de son père Laërte, puis au combat qu'ils
soutiennent contre les parents des prétendants et enfin
àl'arrangoment qui rétablit la paix dans Ithaque, Ces sca-
nos no sont pas isolées les unes dos autres; elles for-
ment un tout qu'il faut accepter ou rejeter dans son en-
tier. Leur principal tort est de venir à un moment où
l'intérêt est épuisé et d'arrêter notre attention sur des
tableaux qui rappellent do trop près quelques-uns de
ceux qui précèdent. Au reste, la reconnaissance entro
Ulysse et Laerto, prise on elle-même, n'est inférieure à
aucune des scènes analogues du poème, et si la fin est
traitée sommairement, avec une sorte de hâte d'en finir,
c'est là une inégalité qui n'aurait pas lieu do nous sur-
prendre beaucoup chez l'auteur de la seconde partie de
l'Odyssée. Toutefois une raison au moins empêche de lui
attribuer ce dénoùmenl supplémentaire; c'est la concep-
tion du personnage de Dolios. Dans les chants précé-
dents, Dolios figure comme le père do Mélanthcus, et son
nomest évidemment caractéristique dosa nature perlide,
dont son fils est l'héritier. Ici, au contraire, c'est le type
duvieux serviteur fidèle, un autre Eumée, aussi dévoué à
Laërte que le premier l'est à Ulysse.II est peu probable
que le môme poète se soit ainsi contredit lui-même, et il
semble plus naturel de voir dans ce dernier chant l'œuvre
d'un disciple ou d'un continuateur, qui a voulu mener
les choses jusqu'à leur terme extrême.
Cette analyse laisse entrevoir déjà la constitution vé-
ritable de l'Odyssée. Elle est moins simple que celle de
l'lliade, et elle implique des séries de chants qui res-
semblent bien plus à des poèmes continus. Nous allons
essayer d'éclaircir cette idée en montrant comment le
poème a pu se former.

HiaLdela Liu.Oreoque.– T. T. 20
CHAPITRE VI

FORMATION DE l'OOYSSBB

souwAine.
I. Systèmede l'unitéprimitive Ntlzuchet OtfriedMUller. II. Sys.
tèmedes chante indépendants la Télé'tacMe,les Récits(VUtysst,
leschantsdela secondepartie. III. Essaisdereconstitutiondes
groupesfondamentauxKœohly et Klrehhoff.–IV, Naissancede
l'OdysséeMarnentprimitif.– V. Développement de l'Odysséepar
la continuationdu récit. VI.L'achèvementdu poème.

Avant de tirer de l'analyse qui précède nos conclu.


sions au sujet de la formation de l'Odyssée, nous de-
vons exposer rapidement, comme nous l'avons fait pour
YIliade, los diverses explications qui ont été données
de l'unité actuelle de ce poème.
La plus simple, en apparence du moins, c'est de so
représenter un seul poète imaginant le développement
dans son entier, se faisant à lui-même un plan, et le
réalisant successivement dans toutes ses parties. Cette
façon de concevoir les choses a été celle de toute l'an-
tiquité, pour l'Odyssée comme pour l'Iliade. Rappelons
les paroles d'Aristote à co sujet quoi qu'on pense de
l'opinion exprimée par le philosophe, il n'est permis ni
do l'ignorer.iri de lu traiter légèrement « Homère, qui
l'emporte en tout sur les autres poètes, a eu en parti-
SYSTÈME DE L'UNITÉ PRIMITIVE 307

culier le mérite do bion voir, soit par sa connaissance


de l'art, soit par instinct, ce qui fait l'unité d'un poème.
Quand il a composé l'Odyssée, il n'a pas pris pour sujet
tous los événements de la vie d'Ulysse, par exemple la
blessure qu'il reçut sur le Parnasse, ou la folio qu'il
simula au moment où se rassomblait l'arméo car au-
cun de ces deux événements n'était tel quo l'autre dut
on sortir nécessairement, ni même vraisemblablement.
Au lion de cela, il a composé toute l'Odyssée autour de
et*que nous appelons une action unique, et do même
pour l'Iliade «, » Cette actiou unique de l'Odyssée, Aris-
toto a pris soin do la résumer lui-même dans un autre
passage « Toute l'Odyssée peut être exposée en quel-
quos mots. Un homme est absent de chez lui depuis
plusieurs années; retenu au loin par Poséidon, il est
seul; do plus, la situation do sa famille est cause que
ses bions sont dissipés par des prétendants qui médi-
tent la mort do son fils. Il arrive, échappé à la tempête
diverses reconnaissances ont lieu; il attaque sos enne-
mis, se tire lui-même du danger et los fait périr. Voilà
l'ussontiel du poème tout le reste n'est qu'épisodes »
Ce qui frappe Aristote, c'est donc l'unité du
plan. Il est
vrai qu'il le simplifie en l'exposant, puisqu'il omet en-
tièrement la Télémachie et le séjour choz les Phéaciens.
Uno seule pensée principale régulièrement
développée
1. Poil. ch. vjii «O8' "Ofuipoc, ûarrop xotlta «tt« Stotfipst,
x«ltO0t'
ifotxe**Xw; i&ïv{jto«Siàtéz«iv 8ià çimv. 'OSàcaetav Y«p «otfflvoùx
èsoir^ev ôsavta 8<raaixi? (ruvISn. otovir>riW«'|ttv4vIlapvaffvÇ, (i«-
vivmti icpoaito^oaoS»! h t$ *T«PI»^. &voMlve«té?o«ï(vo(i4vou àvKf
xrtov»)v?,t\xi( ïàtepovfevIaSai,*U««ep\ |i!av«pSïtv.ofavMyotuv,xip
•O8ii<T<r«iav ôjiofw;ïi x«triiv 'IXiât*.
(n»vé«»i<«v,
2. Poil., ch. xvh Tîjc fàp '05utr«ca« nixpbc à l«To{ iwrlv. 'AneSrr
lioOvri; tevo; ïn) uoUà x«l icapafjXano|tivau 4itb toO IIo(rec8ûva; xtA |m5-
voj ?vtoç, Stt Si tûv otxot oCtmî
ix<m>v âare ra xP>ili«a 5«b (iviioT^puv
ivaX!<nte(»9«i«al tbv «ti>v inigouXnSeaSa», oùtic 21 àçtKveÎTai Xeinaofle(;, xak
fexT'upteaî «và<a£ï«îï tBi«i|«v*t «isït (Uv tuAHn, TOÙ«8* MpoÙs 8tlo-
To |iiv oîv Hiov toOto. ti 8*ax« mki<x68i«.
8*>f>ev.
308 CHAPITRE VI. FORMATION DE L'ODYSSÉE

et des récits aceessoiros intimemonl môles à ce déve.


loppement dès son origine, telle est on somme sa con-
ception de l'Odyssée,
Cotte manière de voir ayant été contestée de nos jours,
comme nous le verrons un pou plus loin, les défenseurs
do l'unité primitive dos deux poèmes homériques l'ont
naturellemont reprise et défondue. Ici encore, e'ust
Nitzsch et QtfriedMuller que nous pouvons choisir comme
les représentants les plus considérables d'une opinion
t.
qui a pour elle un très grand nombre de partisans
M'Ussch se ralliait sans réserve aux idées d'Aris.
loto1, et il les commentait on ces tonnes: « Aristote
avait bien observe que l'Odyssée, dès son début, viso
à son dénoùment, qu'on outre elle amène habilement
Ulysse a une situation esquissée par les premiers livres,
enfin qu'après avoir grossi pou à pou la culpabilité des
prétendants elle le fait apparaîtro comme vengeur,
tout cela au moyen d'une combinaison si savante qu'il
n'en est point do comparablo aillours » II est à remar-
l'exactitude do ces
quor tout d'abord qu'on admettant
observations, on ne serait nullomont obligé d'en con-
clure l'unité primitive du poème. Car si la Télémaclik
nous
par exemple a été ajoutée postérieurement, comme
le pensons, à un groupe de chants primitifs, il est fort
naturel qu'elle fasse pressentir et qu'elle prépare le
dénoùment du poème, puisqu'elle était faite juste-

1. Pour la critiquedu systèmeunitaire,on consulteraavecfruitla


dissertationd'Henn. Bonitedéjà citéeà proposdel'Iliade, Vtbtrden
Vrspmngderkomeritchen Gedichte,5«édition,Vienne.1881.
2.ErkUrendeAnmerkungea sur Odyssée,t. II, Préface.
3.HistoriaHomeri,fasc. poster.,cap. v Persuasissimumbabemus
conaiderateAriatotelem ac meritoetiamdescriptioniatandemcarmi-
nibushomerieis praecipuamdédisse.ObaervaveratOdysseam,sta-
tim ab iniUoin exitumintentam,eo artiflcioUlyeum ta adumbra-
tam prioribaaUbriscondicionemadducereauctaequeaenaimculpao
vindicemaiaterent cnmbujusoperisimpllcationeac sollertianullum
poasetcarmencomparari.
SYSTÈME DE L'UNITÉ PRIMITIVE 309

mont pour s'y i accorder. De même, pour co qui est de


la culpabilité d«9 prétendants pou à pou grossio par les
scènes successives do la sooondo partie, n'ost-îl pas
évident que touto invention nouvelle en co genre de-
vait produire précisément l'effet quo l'autour de l'ob-
sorvation citée attribue sana hésiter à la conception
première? Il faut donc reconnaître que cette vue d'en-
semble, bien que spéciouso, est en réalité sans force
pour résister aux objections de détail qui se dégagent
de l'analyse précédente. Mais il y a plus on est on
droit d'on contester la justesse, Est-il vrai par exemple
quo la culpabilité des prétendants soit grossie progres-
sivement jusqu'au dénoùment? Aucun lecteur attentif
ne pourra lo pensor. Le dix-septième livre, qui est le
premier où Ulysse se trouve on face do ceux qui ont
envahi sa maison, est aussi celui où la réprobation
qu'ils oxcitont est la plus forte. Bien loin qu'elle s'ac-
croisse dans la suite, c'est à peine si l'on peut dire
(|u'ollo no s'affaiblit pas. Ne sommes-nous pas on droit
par suite do retourner l'argument que nous discutons ?
Si un seul poète avait conçu toute la seconde partie do
l'Odyssée d'après un plan bien arrêté, il n'aurait pas
manqué, ce semble, de répartir les humiliations et les
injures d'Ulysse en deux ou trois scènes de plus en plus
frappantes, selon la véritable ordonnance homérique,
de manière à pousser aussi loin que possible l'impa-
tience de ses auditeurs avant de faire éclater la ven-
geance. Le défaut de progression qui règne dans cette
partie du récit actuel n'est-il pas l'indice le plus certain
du manque d'unité dans la conception première q?
Otfried Millier n'est pas moins affirmatif sur la ques-
tion qui nous occupe « L'unité du sujet, écrit-il, rè-
gne incontestablement dans l'Odyssée aussi bien que
i. Hist.de la UUér.gr., chap.v trad. HUlebrand.in-12,1.1, p.
113.
810 CHAPITRE VI. FORMATION DE L'ODYSSÉE

dans l'Iliade, ot on no pourrait supprimer aucune dos


parties essentielles de ce poème sans laisser une lacune
dans le développement do l'idée principale. » C'est dans
cette seconde proposition qu'est toute la difficulté.
Quelle est cette idée principale? Quelles sont ces par.
ties essentielles? La Télémachic par exemple cst-ollo
de co nombre ? Otfried Mulicr a raison incontestable-
ment do remarquer qu'il y a uno véritable unité dans
l'Odyssée, mais il s'agit do savoir comment cetto unité
s'est formée ot do quelle nature elle est au juste. Trou-
vons-nous dès le début du poème une conception notte
de l'ensemble? et toutes les parties du développement
semblent-ellos ôtre sorties, chacune solon lour ordre
actuel, do cette idée première? L'affirmation d'Olfriod
Millier, sous sa forme générale, no jette aucune lu-
mière sur cotte question. D'ailleurs le point de vue cri-
tiquo qu'ello suppose est-il oxact ? Faut-il juger l'au-
thenticité des parties de l'Odyssée d'après le rapport
plus ou moins étroit qu'elles ont soit avec le dévelop-
pement do l'action, soit avec celui du caractère princi-
pal ? Nous en viendrions ainsi à concevoir dos doutes
sur quelques-uns des plus beaux morceaux du poème.
Voici par exemple l'épisode de Nausicaa ou encore celui
de l'entretien d'Ulysse et d'Eumée? Est-il vrai de dire
qu'on les supprimant on créerait uno lacune dans l'ac-
tion ? Assurément non. Sont-ils du moins indispensables
à la peinture du caractère d'Ulysse? On ne peut guère
le soutenir. Ils le complètent, ils y ajoutent quelques
traits délicats et agréables, sans aucun doute mais s'ils
manquaient, l'Odyssée n'en subsisterait pas moins, avec
son enchaînement régulier d'événements et son unité
morale. Les réflexions de cette sorte ont donc plus d'ap-
parence que de force réelle elles ne sont point de na-
ture à nous faire passer par dessus les divergences de
SYSTÈME DE L'UNITÉ PRIMITIVE 311

détail qui ont appelé notre attention dans le chapitre


précédent.
Outre le défaut de progression dans la seconde partie
du poème, la grande objection d'ensemble contre l'unité
primitive sort naturellement du rôle de Télémaquc. La
façon si peu satisfaisante dont lesquatre premiers livres
se relient au récit principal et l'imperfection évidente
dos raccords dans la seconde partie jusqu'au seizième
livre inclusivement ne semblent pas pouvoir se conci-
lior avec l'hypothèse d'uno seule idée première déve-
loppée solon un dessein arrêté. Do plus, pour V Odyssée
comme pour l'Iliade, le point faible du système de l'u-
nité primitive, ce sont les concessions indispensables
dont il ne peut se défondre. Si l'on admet, pour 17/ftnfe,
que la Dolonie, c'est-à-dire un épisode développé, cons-
tituant aujourd'hui tout un livre, a été ajouté postérieu-
rement au récit primitif, on avouo implicitement par là
môme que ce récit est resté, pondant un certain temps
au moins, ouvert à dos additions étrangères, qui, une
fois admises, devenaient une partie intégrante du tout.
Cefait étant reconnu, le principe du système est mani-
festement détruit il n'y a dès lors à débattre qu'une
question de plus ou de moins. Il on est de même pour
l'Odyssée. Les défenseurs les plus résolus de l'unité pri-
mitive ne peuvent guère se refuser à une concession
au moins, en reconnaissant que la seconde Nâcutet,
c'ost-à-dire l'épisode de l'Arrivée des prétendants aux
Enfers au XXIV8livre, est l'œuvre d'un poète qui a sura.
jouté ses inventions à d'autres inventions déjà existan-
tes. Le même raisonnement devient alors applicable ici.
Tout morceau qui ne tient pas étroitement au plan gé-
néral, ou qui no porte pas l'empreinte manifeste du
génie du premier poète, est suspect; et, de proche en
proche, c'est l'unité primitiveelle-même qui est attaquée.
3i8 CHAPITRE VI. FORMATION DE I/QDYSSÉE

Ces considérations, s'ajoutant aux objections dodétail


que nous avons signalées, nous paraissent décisives ».

II

Toutefois il est manifeste, d'après l'analyso du poème,


que celui-ci se prête encore moins que l'Iliade à uno
décomposition complète. Aussi bien cette tentative n'a-
t-elle jamais été faite d'une manièro méthodique. Wolf
n'avait fait que poser la question et Dugas-Montbol,
qui, s'inspirant librement des Prolégomènes, admet en
principe que les deux épopées homériques ont été
fabriquées de pièces et de morceaux, n'a pas poursuivi
méthodiquement, comme il aurait dû le faire, la démons-
tration de ses idées En fait, la plupart des chants de
l'Odyssée révèlent clairement qu'ils ont été composés
en vue de leur destination actuelle et ne se prêtent point
à l'hypothèse d'un isolement primitif. Quelques-uns
seulement, on petit nombre, auraient pu à la rigueur
exister par eux-mêmes, en dehors du groupe auquel ils
appartiennent maintenant. Mais nous croyons que, pour
ceux-là même, une étude attentive est pou favorable à
cette idée.
Ce sont d'abord les chants relatifs à Télémaque. M.
Kirchhoff, qui a tant fait, dans son édition do l'Odyssée,
pour éclaircir les questions relatives à la formation de
1. Il fautciterencoreparmiles principauxpartisans del'unitépri-
mitivede VOdyttée Qrote, Biatoryof Greece,II, 166 Dûntzer,
Kirehhoff, Kœchlyvnddie Odyssée, Cologne,1812;et E. Kammer,Die
Einheilder Odyssée, Leipzig,1874.
2.Voir l'Histoiredespoésieshomériquesen tète de.la traductionde
VIHadt,et notammentles passagesdtis au coap. ixxda présentvo-
lume,p. 180.Consulteraussites notesquiaccompagnent latraduction
de l'Odyssée du mêmeauteur.
SYSTÈME DES CHANTS INDÉPENDANTS StS

co poème, a cru y voir les débris d'un poème distinct


dont Télémaque était le héros*. Nous avons dit et noua
devons répéter qu'un toi poème parait entièrement in-
concevable. On ne saurait imaginer un personnage
moins propre à jouer Je premier rôle dans un poème
épiquo qu'un jeune hommo irrésolu, timide, qui acons-
cionce do sa faiblesse et demande conseil à tous ses amis
successivement. D'ailleurs lo prétondu sujet du poème
n'est pas même à proproment parier un sujet. Une série
do voyages peuvent bien servir do matière à un roman
moral et didactique, toi que lo Télém«que de Fénelon,
oii l'intérêt de l'action ost on somme secondaire dans
la pensée mémo do l'auteur il s'agit là d'instruire, et
par conséquent de mettre sous les yeux du lecteur le
plus grand nombre possible d'exemples sous forme
d'événements imaginaires; l'action ne sort qu'à faire
naitre ces exemples, on y mêlant un élément dramati-
quo qui no devient jamais prédominant. Mais on ne se
représente vraiment pas un poème épique ainsi consti.
tué. Si les chants relatifs à Télémaquo nous semblent
déjà longs et languissants dans l'Odyssée, combien ne
seraient-ils pas plus dénués d'intérêt, s'ils nous étaient
présentés comme quelque chose do distinct et s'ils pré-
tendaient nous attacher par eux-mêmes. Unetelle hy-
pothèse est contrairo à l'évidence même des choses.
Destinés dès l'origine à servir d'introduction, ces
chants ont tiré de là leur caractère propre, et si l'im-
perfection des raccords trahit un arrangement, ce n'est
pas une raison pour méconnaître le dessoin manifeste
du poète qui l'a opéré.
Un autre groupe qui pourrait, dans l'Odyssée actuelle,
se prêter à l'hypothèse d'un isolement primitif, est ce-
lui des récits d'Ulysse chez les Phéacions. Sur ce point,
».C'estaussi l'opinionde Wilamowilzdans sesHomeriache Bnfer-
wclmngen. Voir plus haut p. 281,notei.
314 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODVSSÊB

il importe de bien s'entendre. Si l'on veut dire simple-


ment que ces récits ont pu exister en tout ou on partie
sous une forme primitive avant d'être mis dans la bou-
ehe d'Ulysse, nous l'admettons et nous chercherons
mémo à l'établir un peu plus loin. Mais si l'on prétend
chose que ces
quo les récits de l'Odyssée ne sont autre
chants antérieurs textuellement reproduits, sauf les
modifications do désinences nécessaires pour les mettre
dans la bouche du héros lui- môme, c ela nous parait im-
M. Kirchhoff a soutenu cette opinion
possible à accepter.
de ces récits X et XII), on faisant
pour uno partie (livres
raconte dans plu-
remarquer ingénieusement qu'Ulysse
siours passages des choses qu'il ne peut savoir invrai-
semblance qui disparaîtrait si le récit était fait, non
par le héros, mais par le poète parlant en son propre
nom. Si spécieuse que soit cotte raison, elle doit être
écartée ici. Les morceaux on question, comme l'a re-
une origine
marqué M. Kirchhoff lui-même, trahissent
les autres des récits d'Ulysse
plus réconto quo parties
celles-ci oxistaiontdoncdéjà, lorsqu'ils prirent naissance.
Comment concevoir dès lors qu'ils aient pu constituer
à ce moment un groupe indépendant, différent des au-
tres par la forme, quand ils onétaiont en réalité la con-
tinuation et le développement ? Une invraisemblance
de détail, qui est certainement devenue de très bonne
heure une convention poétique, ne peut prévaloir con-
tre les difficultés d'une telle hypothèse.
Enfin quelques critiques modernes » oui pensé que
toute la seconde partie de l'Odyssée se composait de
chants primitivement isolés, réunis plus tard par un ar-
à
rangeur. Que ces chants n'aient pas formé l'origine
un poème proprement dit, nous l'admettons; mais qu'ils
autre relation des uns aux au-
aient été composés sans
l. VoyezR. Volkmann.Commentationes epicae,p. 19et suiv.;Meis-
er, dans le Phitologua. t. VIII.
GROUPES FONDAMENTAUX 315

très que lo fond commun de la légende, et cela par des


puèUts différents, c'est ce que démont, à notre avis,
tout» étudo attentive do leur état présent.
Nous pouvons donc dire en somme que toutes les
parties de l'Odyssée, sans exception, ont été composées
en vue de lour destination actuelle, bien qu'elles n'aient
été ni conçues simultanément, ni exécutées parle même
poète d'après un plan primitif. Il reste à expliquer com-
ment olles sont nées les unes dos autres pour former
l'unité que nous avons sous les yeux.

III

La première chose à faire pour résoudre ce problème,


c'est évidemment de rétablir autant que possible les
chants de l'Odyssée dans leur forme première, afin de
pouvoir les comparer entre eux et déterminer ainsi
leurs rapports mutuels. Co travail a été entrepris plus
tard pour l'Odyssée que pour l'Iliade; mais il se pour-
suit aujourd'hui avec activité. Nous dirons ici quelques
mots dos essais de Kœchly et do M. Kirchhoff, en raison
de leur importance.
Kœchly divise l'Odyssée primitive en groupes et cha-
cun de ces groupes en chants'. La première partie du
poème, comprenant les douze premiers livres et le pre-
mier tiers du treizième, forme deux groupes: le Voyage
de Télémaque et le Retour d'Ulysse. Le Voyage de Télé-
maque se compose de quatre rhapsodies, la première
postérieure aux trois suivantes; le Retour d'Ulysse, de
cinq rhapsodies, comparables aux cinq actes d'une tra-
i. Oputcula phUologica, 1. 1 De Odymae carmtuOtus dissertationes,
I. II, III (1862-1863);t. II, Ueber dm Zusammenhang und die Bestand-
theile der Odyssée (1862) et Ueber das etfle Bueh der Odyssée (1864).
316 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L*ODYSSÊE

gédie, savoir: Calypso, Nausicaa, Ulysse chez les Phéa-


ciem, l'Aventure d Ulysse, le Retour d Ulysseproprement
dit. Laseconde partie du poème est formée de huit rhap-
sodios principales, auxquelles se sont ajoutés plus
tard quelques autres développements; ces huit rhapso-
dies sont: F Arrivée d'Ulysse à Ithaque, Ulysse et Eu-
mée, la Reconnaissance d'Ulysse et de Télémaçue, Ulysse
en présence des prétendants, Ulysse en présence de Pé-
nélope, le Massacre des prétendants, l'Arrangement, la
seconde Scène chez les morts.
Ce qu'il faut approuver dans cotte tentative, quelques
critiques de détail qu'elle soulève, c'est qu'elle tient
compte des deux faits essentiels qui ressortent d9 l'a-
nalyse du poèmo, c'est-à-dire do son unité et do sa mul-
tiplicité. Kœchly fait la part très grande à l'unité, et
cela de deux manières d'abord on reconnaissant que
toutes les parties du poème ont été faites les unes pour
les autros. les plus récentes ayant été composées en
vue de s'adapter aux plus anciennes puis en admet-
tant l'existence de groupes primitifs qui réunissaient
plusieurs chants. bien qu'il fût toujours possible de ré-
citer ceux-ci isolément. C'est une manière de concevoir
les choses qui répond trop bien à l'impression même
que nous donne l'étude du poème, pour n'être pas très
voisine de la vérité. Mais ce qui a surtout compromis
cette tentative aux yeux des critiques prudents, c'est
que, dans un sujet où la certitude est impossible, l'au-
teur n'a jamais su ignorer. Nous devons signaler en
cela un des torts les plus fréquents de la critique ho-
mérique moderne. Kœchly et ceux qui l'ont suivi veu-
lent reconstituer jusque dans les moindres détails les
chants primitifs dont ils signalent l'existence et cédant
à la tentation naturelle des esprits trop ingénieux, ils
les recomposent au moyen de vers empruntés de côté
et d'autre, qu'ils rapprochent avec une adresse merveil-
GROUPES FONDAMENTAUX 817
louso «. Il est clair qu'une telle méthode se détruit elle.
môme par ses propres résultats car si réellement les
chants primitifs ont subi des remaniements qui les aient
ainsi défigurés, jamais une science prudente ne vou.
dra croire qu'il soit possible de les reconstituer. La cri-
tique ne peut procéder avec quelque certitude que sur
des ensembles bien caractérisés; il y a contradiction
évidente à signaler la traco de remaniements successifs
aussi profonds et à vouloir déterminer avec tant d'exac-
titude l'état primitif de l'œuvre poétique.
M. Kirchhoff a été on général plus prudent, et sa
critique do l'Odyssée est dans son ensemble une des
œuvres remarquables de la science moderne.
Le poème actuel, pour M. Kirchhoff, se compose
essentiellement de trois éléments bien distincts. Le pre-
mier, c'est le vieux Retour d'Ulysse, qui remplit aujour-
d'hui six livres et demi environ (V-XIII, v. 184) l'ar-
rivée d'Ulysse chez les Phéaciensj ses récits chez Alki-
noos et son départ, tel en est le sujet sous sa forme
primitive, cette composition était d'un tiors environ
plus courte qu'elle n'est aujourd'hui. Le second élé-
ment, c'est la fin du poème actuel, à partir du moment
où Ulysse est à Ithaque (XIII, v. 185) il faut en retran-
cher des additions très considérables qui l'ont grossi
postérieurement; cette seconde partie est une continua-
tion du récit primitif, et jamais elle n'en a été indé-
pendante. Enfin le troisième élément comprend la plu-
part des grandes additions qui ont donné au poème sa
i. Voicipar exemplequelleest pour Kœchlyla compositionde la
rhapsodiequ'il intitule le Retourd'Ulysse('OSutnr&oc àitinXouç)v,
i-3;X,363-369; v, 4-9; 8. 392-820;v, S9-35;6, 417-422, 428,430-434.
«0448;v, 36-63;9, 457-469; v, 63-69.Les élémentsensont doncdis-
persésdanstrois deslivresactuelsdu poème,et tellementdispersés
trois versd'an côté.cinqde Vantrn, pourreeonsti- •
qu'ilfaut reprendre
tuer l'ensembleprimitif (Kœchly,Opute. philolog.,t. I, p. 187et
«oiv.).
318 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L 'ODYSSÉE

forme d6linitive, par conséquent les Voyages de Télé.


moque avec tout ce qui en dépend.
Lo grand mérite do cette conception, c'est de jeter
une vive lumière sur le développement organique du
poème. Au lieu do le décomposer on morceaux indé.
pendants, M. Kirchhoff nous le montre grandissant pou
à peu par une sorte d'évolution intérieure qui amèno
lo germe à produire tout ce qu'il contient. Son tort, à
nos yeux, c'est de so représenter constamment VOdyssée,
aux différentes phases do colto évolution, comme un
poème complot; de là résulte en effet l'obligation do
trouver dans le groupe primitif une action aboutis-
sant à un dénoùmont, et dans la seconde partie, déga-
gée des additions plus récentes, une continuité qui no
peut être obtenue sans effort. Ici encore, c'est en com-
binant deux systèmes divers, on empruntant à l'un
l'idée du développement organique, à l'autre celui d'uno
certaine indépendance des parties, que nous croyons
pouvoir approcher plus près de la vérité J.

IV

Lorsque l'auteur du premier livre de l'Odyssée nous


montre l'aède Phémios racontant aux prétendants pen-

i. Nous ne discuterons pas ici des hypothèses plus hardies, telles


que celles de Niese ou de Wilamowitz. Le premier suppose qu'origi-
nairement Ulysse se faisait reconnaitre de Pénélope dès leur pre-
mière entrevue, et qu'alors les prétendants se retiraient d'eux-mêmes.
Il est clair qu'un tel bouleversement du sujet ne saurait être admis
par une critiqua prudente sur la foi de quelques indices, toujours sus-
ceptibles de diverses interprétations. Le second maintient le dénou-
ment sanglant par le massacre des prétendants, mais il veut aussi
que Pénélope, dans le récit primitif, ait reconnu Ulysse à la fin de
leur première entrevue (Homer. Vnters., o. 3, p. 47-60). Bien que la pré-
tentiou soit plus modeste, elle dépasse encore de beaucoup co qu'au-
torise la démonstration tentée.
CHANTS PRIMITIFS 319

dant le repas le Retour des Achéens,il sembleattester par


là que, de son temps encore, on n'avait pas perdu la tra-
dition de cea chants d'ensemble embrassant sommaire.
ment toute une longue série d'événements. On no p<mt
douter qu'en réalité le Retour des Achéens n'ait étéaintâ
chanté avant la naissance do l'Odyssée. S'il en fallait
une prouve, nous la trouverions dans le rôle d'Athèné.
Dès qu'Ulysso a ou sa légonde particulière, Alh&né est
devenue sa protectrice, sans doute à cause d'une cer-
taine ressomblance do caractère qui est notée dans un
passage de l'Odysséet. Et pourtant les événements mé-
mos de ce pobme sont inexplicables si la poésie ne l'a
pas représentée à un certain moment comme irritée con-
tro tous les Achéens et par conséquent contre Ulysse
lui-môme. Poséidon en effet n'est l'ennemi du héros qu'à
partir du jour où celui-ci s'est vengé du Cyclope Poly-
phème mais, antérieurement, Ulysse n'a-t-il pas été déjà
écarté de sa patrie par la tempête ot jeté sur dos côtes
inhospitalièroà? Quelle divinité l'a éprouvé ainsi, sinon
Athèné elle-même, irritée contre tous les Achéens in-
distinctement'? Il a donc fallu que la poésie racontât
ces choses et qu'elle en établit la tradition avant que cette
déesse fût devenue l'amie particulière et la protectrice
toujours bienveillante d'Ulysse, c'est-à-dire avant qu'il
y eût des chants particuliers relatifs à ce héros. Nous
rattachons ainsi avec certitude les parties anciennes de
l'Odyssée à des compositions poétiques antérieures qui
embrassaient dans un développement sommaire toute
la légende des Retours sous sa forme élémentaire. Les
aventures d'Ulysse n'étaient alors qu'un simple épisode
dans un ensemble relativement restreint.
Le poète qui eut l'idée do les en détacher fut le créa-

i. XIII, 296et suiv.


S. Oâj/Mêe, V, £03 'Aràp èv v6tcio *A8nvat»iv iUxovn, – î) oçiv lic&p*'
Svcfôv Tt xay.ôv xat xû|Urta paxpâ.
380 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODYSSÉE

teur de l'Odyssée. C'ost dans les Récits d'Ulysse ehes Alki-


noos(k partir du livre IX), que nous croyons surprendre
son premier essai. Un caractère frappant de ces récits,
c'est on effet leur inégalité, qui semble attester encore
quelque hésitation. Certaines parties sont de simples
sommaires qui rappellent l'ancienno manière préhomé-
rique, d'autres au contraire sont développées avec ara*
pleur Rien de plus naturel, si nous les concevons comme
l'œuvre d'un aèdo qui met à profit des chants existants
et tantôt se contente d'une légère appropriation, tantôt
s'étend avec complaisance sur les épisodes qui plaisent
à son imagination. La forme de ces récits ost certaine-
ment de son fail: c'est lui qui a ou l'idée de les mettre
dans la bouche d'Ulysse lui-même. Mais cela n'implique
pas nécessairement qu'il eût d'abord raconté on détail
l'arrivée du héros chez los Phéaciens. Dans le Retour
qui existait déjà, le séjour chez les Phéaciens, peuple
merveilleux, était évidemment mentionné comme la
dernière étape dos voyages d'Ulysse. Il était donc tout
naturel de lui faire raconter là ses aventures, pour que
le cycle en fût peu près complet. Los auditeurs étaient
mis au courant, si cela était nécessaire, au moyen do
quelques vers d'introduction, qui rattachaient ces chants
nouveaux et particuliers à un groupe do récits légen-
daires déjà connus. Quiconque est tant soit pou familier
avec les épopées homériques, sait à quel point cotte
façon de raccorder un épisode à une sério d'événements
était ordinaire dans l'art de ce temps.
Toutefois, nous l'avons vu, une partie considérable
des récits d'Ulysse semblent avoir été ajoutés postérieu-
rement, à l'imitation des premiers, et pour multiplier
des sujets de chants qui charmaient le publie d'alors.
Laissons-les donc de côté. Les plus anciens,' c'est-à-dire

I. Voyezau chap.précédentl'analysedulivreIX.
CHANTS PRIMITIFS 331
ceux des livros IX et XI, sont l'élémont primitif do
l'Odyssée, ot ce sont coux-là dont nous nous occupons.
L'Arrivée tf Ulysse chez iesPhéaeiens (livres V-VIII)
on est, dans l'Odyssée, l'introduction naturelle, et c'est
la plus bolle partie du poème. En la comparant avec
certains épisodes des récits d'Ulysse, celui du Cyclope
par exemple, nous sommes frappés de la ressemblance.
Il parait donc naturel d'admettre quo c'est l'autour de
ces récits, qui, encouragé par son succès, a développé
ainsi cette introduction. C'était lui en somme qui avait
donné, par sa précédonto invention, une importance par-
ticulièroau séjour d'Ulysse chez les Phéaciens. Ce thème
iui appartenait; il le mit en œuvre avec la grandeur
d'imagination qu'il avait déjà montrée, mais avec une
liborté toute nouvelle, parce qu'il n'était plus assujetti
à suivre aucun récit antérieur.
Le livre V (avec son début naturel, c'est-à-dire l'As-
sembléedes dieux du premier livre), les livres VI, VII, et
peut-être quelque chose du livre VIII, sauf la part à faire
aux additions et aux remaniements, sont le fruit de cette
grande idée. La pensée dominante du poète fut do met-
tro on lumière le caractère d'Ulysse dans une sorte de
drame librement créé. Il avait raconté déjà ses aventu-
res, il no pouvait y revenir; mais, d'après la légende, sou
héros après avoirerré trois ans, en avait passé septdans
l'île d'Ogygie c'est au terme de ce séjour qu'il plaça
le premier acte de son drame, Calypso, c'est-à-dire l'af-
franchissement. Le second acte, Nausicaa, le troisième,
Ulysse chez Alkinoos, succédèrent naturellement. Il est
impossible de dire aujourd'hui si c'est à tort ou à raison
que quelques critiques croient entrevoir sous ces larges
développements une forme de récits plus simple. Rien
sans doute n'empêche de croire que le poète ait lui-même
peu à pou modifié et agrandi son couvre. L'épisode de
Nausicaa, par exemple, a bien pu n'être ajouté par lui
Hi«t.d« la Utt. Grecque,– T. I. 21
839 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODVSSÈE

qu'ultérieurement: mais comme nous n'avons aucun


moyen de résoudre ces questions, il est inutilo do les
soulever.
Ainsi fut constitué l'élément primitif de YOdyssée
d'une part les récits d'Ulysse, do l'autre, avant ces récits,
une aorte d'introduction dramatique, qui, en fait, les
dépassait do beaucoup en importance. Cen'était pas un
poème, car il n'y avait pas de dénoùmonl, ni même de
régularité dans lo développement de l'action: c'était un
groupe de chants, et rien do plus. Maisce qui on faisait
déjà l'unité profonde, ot co qui allait en faire la fécondité,
c'était l'admirable conception du caractère d'Ulysse,
c'était l'intérêt puissant que lo poète avait su donner à
cet iminonsoet unique désir de la patrie et du foyer do-
mestique, sifortement imprimé dans l'Amede son héros.

v
Il en fut de l'Odyssée comme de l'Iliade. Le premier
groupe de chants qui apparut en suscita d'autres par
son succès môme. Mais il y eut une différence notable.
Les premiers chants de l'Iliade laissaient entre eux
des intervalles d'action, que les premiers continuateurs
se mirent naturellement à remplir. Ceux de l'Odyssée
formaient une série plus continue: il n'y avait rien d'in-
téressant à insérer entre l'arrivée d'Ulysse chezles Phéa-
ciens et ses récits»; les récits eux-mêmes pouvaient, il
est vrai, être augmentés, et ils le furent effectivement,
mais ce développement ne se serait pas prolongé sans
monotonie. D'ailleurs, avant de les étendre, il y avait
mieux a faire: c'était de ramoner Ulysse dans sa patrie.
I.« prnrnior groupe de chants avait rendu le personnage
1.Ony inséra pourtant la plusgrandepartie dulivre VIII, en plu-
sieurs fois, maisle videmêmede ce développement accusela stéri-
lité du sujet
CONTINUATION DU BÉCIT 333

populaire. Or sa légende n'était pas épuisée le vieux


Retour, qui servait alors de matière à une poésie plus
hardie, parlait aussi, plus ou moins brièvement, de sa
rontréo à Ithaque et do la manière dont il avait repris
possession do son palais. C'était là un thème magnifique
à développer.
L'aède qui s'on chargea n'était pas complètement l'é-
gal du premier. II n'avait ni la mémo force d'imagina.
tion, ni la môme grandeur naturcilo; mais c'était encore
un admirable poète, nourri des meilleures traditions,
ot doué d'un sentiment aussi délicat que profond de la
vérité morale.' Quelques-unes des situations qu'il a trai-
léos ont pu lui être fournies par des chants antérieurs t;
mais la peinture des mœurs lui appartient en propre,
et il y oxcollo.
Autant que nous pouvons en juger, il dut réaliser la
pensée qu'il avait conçue en développant successive-
mont dans des chants séparés los principales situations
qui s'offraient à lui dans la légondo ou que son imagina-
tion créait. Son premier mérite fut do les dégager, le se-
cond do donner à chacune d'elles une valeur propre qui
la rendit à jamais attachante. C'est ainsi sans doute
qu'il chantait le Débarquement d'Ulysse(1. XIII), Ulysse
chez Eumée (livre XIV), la Reconnaissance d'Ulysse et
de Télémaque (partie du livre XVI), Ulysse en présence
des prétendants (l. XVII), Ulysse inconnu en présence de
Pénélope (1. XIX), Philœtios (partie du livre XX), enfin
l'Épreuve de l'arc, le Massacre des prétendants et la
Reconnaissance d'Ulysse et de Pénélope (l. XXI, XXII
et partie de XXIII), ces trois derniers chants étroitement
unis ensemble et formant un groupe presque indissolu-
ble. Il serait téméraire de vouloir déterminer aujour-
d'hui avec précision dans quel ordre chronologique les
1. Voyezla note d'Ottr. Mûller (Bist.de la lit 1er.grecque,t. 1, p.
in; sur l'arc d'Eurytos,et aussi les notesdeM. Kirchhoffsur cette
partiede l'Odyssée.Tout celad'ailleursest extrêmementconjectural.
334 CHAPITRE VI, – FORMATION DE L'ODYSSÉE

différents actes de cette longue série épique ont été pro-


duits. Dans leur état actuel, ils sa font suite les uns aux
autres, mais les premiers no sont pas si indispensables
aux derniers que ceux-ci n'aiont pu existerd'abordsans
les autres. 11est donc possiblo que le poète, allant d'a-
bord aux situations principales, ait onsuite agrandi son
cuuvro à loisir. Tout en co genre lui était permis, ot
chaque jour lui apportait son inspiration.
On peut dire que l'Odyssée, on cet état, devait avoir
un charme et uno beauté, qui, loin do s'être accrus dans
la suite par des perfectionnements apparents, en ontété
plutôt diminués. Nous voyous trop aujourd'hui, dans la
seconde partie, un poèto qui se donne de la peine pour
monor parallèlement plusieurs récits; et en somme un
certain nombre do scènes sont plus utiles que vraiment
intéressantes. Au contraire, tout était attachantet vivant
dans ces scènes primitives qui se succédaient sans être
liées. Poésie sans entrave, sans scrupule dogmatique,
sans raideur d'aucune sorte, essentiellement souple et
indépendante, qui choisissait librement dans un vaste
sujet les parties aimables et fécondes, et n'avait aucun
souci d'être complète, pourvu qu'elle fût dramatique et
qu'elle plût. L'imagination des auditeurs suivait celle
du poète et ne lui imposait pas d'exigence pénible. Nulle
habitude de prose ne se mêlait encore à ce délicieux
commerce de pure poésio entre des esprits également
jeunes. On ne demandait pas à l'épopéo de ressembler
à une chronique, ni de marcher sur une grand'routo à
pas comptés. Fille de l'imagination, elle avait des ailes
et osait encore s'en servir pour voler. Cen'était plus, il
est vrai, cet élan superbe, qui, au temps de YIliade, la
soulevait si puissamment et l'emportait dans la plushaute
région de poésio; mais c'était encore un vol charmant,
plein de grâce et de fierté, qui errait au-dessus des
servitudes de la terre.
CONTINUATION DU RÉCIT 335

S'il parait probable que les scènes mentionnées sont


l'oauvro d'un même poète, il no faut cependant pas être
trop afflrmatif à cet égard. Dans un temps où l'essor
poétique est uni à une docile simplicité, il se peut fort
bien quo l'œuvro du disciple se confonde avec celle du
maître. En tout cas, en admettant que toutes les scènes
principales aient été produitesparun seul et môme génie,
il no parait guère possiblo de ne pas attribuer à des
imitateurs les scènes secondaires qui les grossissent
aujourd'hui. II sufflt on effetde se représenter la série
de chants que nous venons d'indiquer, pour comprendre
combien le succès qu'elle obtint devait engager do nou-
veaux aèdes à la développer par des chantsaccessoires.
Ceux-citrouvaient place tout naturellement au milieu
des précédents, et tantôt ilsétaient liés dans la récitation
à quelques-uns d'entre eux, tantôt ils s'en séparaient.
Tous les épisodes du dix-huitième livre, par exemple,
la lutte avec Iros, la visite de Pénélope aux préten-
dants, l'insolence de Mélantho, l'outrage d'Eurymaque
à Ulysse, peuvent être considérés comme des additionsde
cegenre. Nous nous contenterons ici de signaler d'une
manière générale ces chants accessoires. On les re-
connaîtsouvent à leur caractère d'imitation; il arrive
mémo que des emprunts textuels plus ou moins consi-
dérables contribuent à les déceler. L'étude de ces em-
prunts est, pour l'Odysséecomme pour l'Iliade, une des
ressources les plus importantes dont disposelacritique,
quand elle veut s'instruire de l'origine et de l'âge re-
latif des parties du poème.

VI

Ce fut sana doute l'achèvement de l'Iliade qui dé-


termina celui de l'Odyssée. Nous avons vu comment
l'Iliade, en grossissant peu à pou par des chants in-
386 CHAPITRE VI. – FORMATION DE L'ODYSSÉE

tercalés, finit par former un ensemble qui no pouvait


plus s'élondro sans inconvénient, et comment alors,
sous l'influence sans doute de l'instinct historique qui
commençait à naitre. quelques raccords plus ou moins
habilos lui donnèrent la forme d'un poèmo achevé.
V Odyssée subit naturellement les mémos modifications.
Elle aussi tendit de plus en plus à devenir un poème.
Dans l'état où nous venons de la décrire, olle était
assez notablement inférieure à Iliade en étendue. Il
semble que le poète qui l'acheva ait été préoccupé du
désir de rendre les deux poèmes aussi semblables
que possible l'un à l'autre.
Sa création principale fut la Télémachie, c'est-à-diro
le groupe des quatre premiers livres actuels. L'Odyssée
primitive étant constituée comme nous l'avons dit, il
était impossible, à moins d'un remaniement complet,
de tirer de la légende môme du retour d'Ulysse la
matière d'un préambule quelconque. Les récits du
héros chez Alkinoos, avec les chants d'introduction,
l'embrassaient en effet tout entière. Le poète y suppléa
de la manière la plus ingénieuse. Il s'avisa de grossir
l'Odyssée par des emprunts à la légende générale du
retour des Achéens, et pour cela il mit en scène quel-
ques-uns des compagnons d'Ulysse racontant leurs
aventures. Le personnage du jeune Télémaquelui servit
fort heureusement à renouer cette addition il la série des
chants déjà existants. En racontant ses voyages chez
Nestor et Ménélas, il ajouta toute une partie préliminaire
au poème. Cette addition entraîna par une conséquence
naturelle des remaniements assez profonds dans la
seconde partie. Comme Télémaque y jouait déjà un rôle,
il fallut le ramener à Ithaque après l'en avoir éloigné;
et de là les raccords médiocrement heureux que nous
avons signalés en analysant la partie du poème qui
s'étend entre les livres XIII et XVI.
ACHÈVEMENT DU POEME 337

Si les dernières scènes du vingt-quatrième livre,


c'est-à-dire la Reconnaissance «TUlysseet de Laërte et la
Combat avec les gens d'Ithaque, no constituent pas une
des additions mentionnées tout à l'heure, c'est sans
doute aussi à ce poète qu'il faudrait les attribuer. L'O-
dyssée en effot, telle qu'elle allait sortir de ses mains,
n'était plus une série de scènes, c'était une action com-
plète, agencée dans toutes ses parties, et qui devait par
conséquent aboutir à un déooûment. Si ce dénoûment
n'existait pas encore, il ne put faire autrement que de
l'ajouter.
Grâce à ce travail d'achèvement, l'Odyssée devint le
poème que nous possédons, sauf peut-êtro quelques
interpolations postérieures sans grande importance.
Quelles que fussent les dissemblances qui subsistaient
entre ses parties, elle prit l'aspect extérieur d'une
composition qui aurait été faite d'après un plan arrêté
d'avance. L'arrangement de cet ensemble eut même, en
apparence, quelque chose de plus réfléchi que celui des
parties de l'Iliade. Cela provint de deux causes d'abord
de l'idée primitive qui avait fait d'Ulysse lui-même le
narrateur de ses propres- aventures, idée qui avait eu
l'influence la plus profonde sur la constitution de la
partie la plus ancienne du poème; en second lieu, de la
manière dont le poème avait été complété par la 7e-
lémachie. Un heureux instinct poétique et une nécessité
avaient ici collaboré, malgré l'intervalle des temps. Il
n'y avait en réalité rien de savant dans la combinaison
qui en était résultée.
CHAPITRE VII
t b
LE GÉNIE ET L'ART DANS L'ODYSSÉE

80UMAIRE.
I. Étendue et proportions du poème. Unité du sujet; marche de l'ac-
tion. 1/ Odysséemoins variée que l'lliade. II. Le récit. Caractères
nouveaux moins d'émotion et pins de curiosité. Les grandes scè-
nea la Tempête, la Mort des prétendants. Ton général du poème
rareté des comparaisons, vraisemblance et finesse du récit. L'homme
et la nature; l'habitation d'Eumée. Fantaisie. Le naturel dans le
merveilleux le Cyclope. III. Les personnages Ulysse; valeur
poétique et morale de son caractère; sa prééminence dans le poème.
IV. Personnages secondaires les alliés d'Ulysse, Télémaque,
Eumée et Philœtios; ses ennemis, les prétendants. Personnages lé-
gendaires Alkinoos, le roi hospitalier; Nestor et Ménélas. – V.
Les femmes Pénélope Arèté et Hélène; Nausicaa. VI. Les
dieux dans l'Odyssée. Ils sont plus unis et plus moraux que dans
l'Iliade. Différences de détail. Rôle d'Athèné. – VII. La langue de
l'Odyssée.

En quoi l'Odyssée, au point de vue de l'art, ressem-


ble-t-elle à l'Iliade ? En quoi s'eu distingue-t-ellc ?q
Essayons de complétor et de préciser ici ce qui ressort
déjà des précédents chapitres à cet égard ».

i. Les différences entre les deux poèmes homériques ont été assez
vivement senties déjà dans l'antiquité pour que deux critiques alexan-
drins, Xénon et Hellanicos, aient mérité le nom de ehorhontes en
ÉTENDUE ET UNITÉ DU POÈME 339
L'Odyssée, considérée dans son ensemble, est, comme
l'Iliade, un poème facile à embrasser d'un coup d'oeil,
èîicrvwisTov.Même ampleur ot môrao mesure à la fois
dans le récit: lorsqu'on le lit de suite, on arrive à la
fin sans avoir rien oublié d'essentiel. Comme l'Iliade
aussi, l'Odyssée se partage naturellement on scènes
dont l'étendue semble avoir été principalement déter.
minée par les habitudes do la récitation publique. Ces
scènes, grâce à la manière dont le poème s'est formé,
so répartissent môme plus facilement en groupes que
celles do l'Iliade, et ce groupement spontané vient en-
core en aide à la mémoire pour retenir la suite des
événements. De là résulte que l'Odyssée est un des
poèmes épiques les plus attrayants, celui peut-être où
l'on se retrouve le plus vite ot avec le moins d'effort.
C'est un de ses mérites que de coûter très peu de peine
pour être bien connu.
Que faut-il penser toutefois de la proportion des par.
ties L'analyse nous a montré combien l'étendue des
scènos particulières y est pou en rapport avec l'influence
qu'elles out sur la marche de l'action. Dans VIliade, il
est vrai, on voit aussi des épisodes secondaires déve-
loppés avec une ampleur qui nous étonne^ mais les
grandes scènes du poème, celles qui attirent le plus le
regard, sont en même temps les plus nécessaires chose
naturelle, puisque l'action a été tout d'abord dessinée
dans son entier par le poète créateur. Il n,'en est pas
de mémo dans l'Odyssée. Là, comme on vient de le
voir,
les scènes particulières semblent choisies et
dévolop-

refusantd'attribuer l'Odysséeà Homère;leur opinion fut vivement


combattue par Aristarque.Consultersur ce
rusadisserl.prior, p. 56et suiv.La questionsujet Sengebusck,Home-
ainsi poséeétait encore
débattueau temps de Sénèque(Debrevitatevitae,13).Les chorizon-
tes, peunombreuxdans l'antiquité,ontcertainementpour eux lama-
joritédes critiquesmodernng.
830 CHAPITRE VII. L'ART DAXS L'ODYSSÉE

pées bien plus d'après l'intérêt qu'elles offrent par


elles-mêmes que d'après leur rapport à l'action géné-
rale. Dès le début, les longs récits de la Télémachie en
sjnt un exemple frappant. Puis, voici le groupe central
du poème, c'est-à-dire l'arrivée et le séjour d'Ulysse
chez les Phéacions, où presque tout est épisodique,
sans en excepter le VI* livre avec le rôle do Nausicaa.
Dans la seconde partie, qui ne sent combien l'étendue
des entretiens chez Eumée est hors do proportion avec
leur importance dramatique? De même pour l'entrevuo
d'Ulysse et de Pénélope. De telle sorte qu'à une ou
deux exceptions près, les scènes les plus connues et
les plus largement développées sont aussi celles dont
l'action générale du poème pourrait le plus aisément
se passer. C'est là un fait qu'on ne saurait trop remar-
quer. Lorsqu'on loue la composition de l'Odyssée comme
plus savante que celle de l'Iliade, on se laisse tromper
par une simple apparence. En réalité, il n'y a de com-
position savante, à proprement parler, ni dans l'un ni
dans l'autre des deux poèmes mais les fondements de
l'Iliade oalètë jetés par une main plus puissante, à qui
est due l'extrême simplicité de la construction. L'Odyssée
au contraire, plus vaguement dessinée à l'origine, s'est
prêtée à des combinaisons plus complexes, mais moins
profondes et par suite elle laisse voir plus clairement
la disposition d'esprit des poètes de ce temps, pour
lesquels l'action générale était en somme peu de chose,
et qui s'attachaient à chaque scène selon l'intérêt qu'elle
leur offrait.
Donc plus de laisser aller, en ce qui concerne les pro-
portions, dans l'Odyssée que dans l'Iliade. En outre,
une liaison moins nécessaire entre les parties. L'Iliade
sort tout entière d'une situation morale et, pour ainsi
dire, d'une passion; on ne saurait trop admirer la puis-
sance et la fécondité du génie qui a tiré cette situation
ÉTENDUE ET UNITÉ DU POÈME 881
de la légende, qui l'a rendue tout d'abord si intéres.
sante. et qui a marqué avec tant do vigueur les deux
i ou trois phases principales de son développement.
Dans YOdyssée, les événements du poème ne sont pas
les conséquences d'une situation morale posée dès le
début. La destinée d'Ulysse est indépendante de sa
volonté, on grande partie du moins; il la subit, mais
il ne la fait pas; par là même, les phases do l'action sont
moins fortement liées les unes aux autres.
Toutefois l'unité de l'Odyssée ost évidente, et Aristolo
a ou raison de la mettre on lumière comme il l'a fait.
Mais elle n'apparUont pas comme celle de l'Iliade à un
seul auteur: elle est Pœuvro commune des trois poètes
principaux dont nous avons distingué dans le poème
actuel les inventions successives. Le plus ancien, l'au-
teur des Récits d'Ulysse et de son séjour chez les Phéa-
cions, en a déposé le germe dans ses chants en prêtant
à Ulysse une pensée dominante, celle de rentrer dans sa
maison; l'unité totale lui doit plus qu'à tout autre. Après
lui, l'auteur des principaux chants do la seconde partie
a développé ce germe en prenant précisément comme
sujet l'accomplissement de cette pensée d'Ulysse; c'est
grâce à lui que l'aventure du héros est devenue un tout,
puisqu'il lui a donné sa fin naturelle. Enfin le poète de
la Télémachie, loin do méconnaître ou d'oublier cette
unité, a plutôt cherché à la fortiBor, en faisant entrevoir
et désirer, dès le commencement du
poème, le retour et
la vengeance d'Olysse, qui en forment le dénoûment.
Malgré cette collaboration si intelligente, non seule-
ment les événements de l'Odyssée sont moins fortement
liés que ceux do l'Iliade, mais ils sont aussi moins con-
densés. Quel que soit le nombre des épisodes dans l'Iliade,
le tissu du poème est remarquablement serré. Tous les
événements principaux y tiennentdans un court espace
de temps. Depuis la promesse de Zeus à
Thétis, au pre-
838 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE

mier livre, jusqu'à la mort d'Hector, au vingt-deuxième,


il ne s'écoule que cinq jours. Dans un récit fort étendu,
l'action est pressée; cola tient à sa nature mémo une
situation violente produit ses conséquences rapidement.
En agrandissant les donnéos primitives, on a du accu.
muler les scènes secondaires entre des scènes principa-
les peu distantes les unes des autres. Aussi lo récit est-
il chargé, parfois môme avec excès. Dans YOdyssée au
contraire, les événements remplissent un pou plus d'une
trentaino de jours; c'ost une durée six fois plus longue;
et il faut remarquer quo cos événements sont fort pou
nombreux, car les aventures proprement dites d'Ulysse,
présentées sous formo do récits épisodiques, sont cen-
sées s'espacer dans une période de dix ans qui est en
dehors du poème. Si donc l'Iliade est trop remplie, l'O-
dyssée no l'est peut-être pas assez. Le développement en
est trop étendu pour le sujet, et on croit y sentir dans
certaines parties la préoccupation d'atteindre, en dépit
de la matière, aux dimensions on quelque sorte typiques
de l'lliade.
Inférieure à l'Iliade pour la structure, l'Odyssée l'est
aussi pour la variété. Cela est d'autant plus remarqua-
ble, qu'à considérer seulement le sujet on pourrait s'at-
tendre à co qu'il en fût autrement. Toute l'action do
l'Iliade so passe dans un camp; il semblo que nous no
devions avoir sous les yeux que des scènes de guerre.
L'action de YOdyssée au contraire se déroule sur plu-
sieurs théâtres très différents, tantôt sur les mors, tan-
tôt dans une îlo merveilleuse, tantôt à la campagne,
tantôt dans le palais d'Ulysse. Mais c'est là une variété
plus extérieure que profonde. Celle qui vient du poète
lui-même, de ses inventions personnelles, est moindre
dans l'Odyssée que dans l'Iliade. Toute la Télémachie
est d'uu mémo ton, qui, malgré la brièveté relaMvn de
cette partie du poème, no laisse pas que d'être mono-
ÉTENDUE ET UNITÉ DU POÈME 933
tone. Maisc'est surtout à partir du treizième ohaat jus-
qu'à la On, quo ce manque de variété se fait sentir. Nous
notrouvons pas là, commedans YIliade, ces alternatives
puissantes, eus scènes gracieuses ou touchantes, mêlées
à des scènespassionnées, ces différences de ton et de ma-
nière qui réveiilont sans cesse l'attention Rien ne ré-
vèlo mieux la différence d'âge dos deux poèmes. Quand
l'Iliade se fait, la poésie épique, toute jeune encore,
laisseà l'initiative de chaque poète une ample liberté
au contraire, au temps de l'Odyssée,los traditions sont
(lovonues plus assujettissantes l'art a ses procédés qui
lo rendent plus facile, mais aussi moins original: l'aède
a moins d'efforts à faire, et, par une
conséquence néces.
sairo. il est moins personnel.
Ajoutons que l'Odyssée, selon la remarque bien con-
nue d'Aristote et do Longin, est moins
dramatique quo
l'lliade La narration y tient souvent la place do l'ac-
tion 3. On no peut nier, ce me semble,
que le poème par
suite ne languisse on plus d'un passage; on y sont quel-
quefois ce que l'autour du Sublime appelle la vieillesse
(l'flomèro, et ce quo nous appellerons, nous, l'affaiblis-
i. La critique de la Harpe à ce sujet n'est pas aussi
injuste qu'on
l'a dit quelquefois, malgré son exagération évidente, a La marche de
l'Odyssée,dit-il, est languissante. Le poème se tralne d'aventures en
aventures, sans former un nœud qui attache l'attention, et sans ex-
citer assez d'intérêt. La situation de Pénélope et de est
la méme pandant vingt-quatre chants, etc. » (Cour* Télémaque
de littérature,
cUap. tv, section première ) Tout cela est plutôt dur dans la forme,
qu'entièrement inexact quant au fond.
t. Aristote, Poét., c. 2t 'H (iiv 'IX,à; i,««v»x4v. tï 'OMo^ia.
J,
r,0:xi;.
3. Traité du Sublime, chap. vu (traduction de
Boileau) « De là
vient, &mon avis, que, comme Homère a composé son lliade durant
qne son esprit était dans sa plus grande vigueur, tout le corps de son
oavrage est dramatique et plein d'action, au lieu que la meilleure par-
tie de l'Odyvae se passe en narrations,
qui est le génie de la vieil-
lesse tellement qu'on peut la comparer dan* w dernier
soleil quand il se couche, qui a toujours sa même osrxagc au
grandeur, mais qui
n'a plus tant d'ardeur ni de force. h
834 CHAPITRE YH. – L'ART DANSL'ODYSSÉE
semont. pou sensible encore, mais pourtant réel, de la
poésio épique, après lo grand effort qui avait produit
VHinde.

Il

Ces différences générales entre los deux poèmes, nous


les retrouvons jusque dans le récit. Non que l'art nar.
ratif do l'Odyssée soit autro quo celui do l'Iliade: la ma.
nière de composer un récit, de le conduiro h sa lin, de
le varier, en un mot l'onsemble des procédés instinctifs
ou traditionnels, noditibre pas sonsibloment d'unpoèmo
à l'autre. Ce qui est nouveau dans l'Odyssée, ce n'est
pas la forme do la narration, c'est l'esprit du narrateur.
Les grandes scènes à proprement parler, celles qui
oxaltent puissamment l'imagination et qui nous remuent
jusqu'au fond du cœur, y sont aussi rares qu'elles étaient
fréquonles dans l'Iliade. Et il ne faut pas dire quo cola
tient au sujet et à la nature môme dos choses. Le mèmo
sujet pouvait être traité d'une manière toute différente.
Il oùt été facile à un poète d'une âme ardente, comme
l'était l'auteur dos scènes primitives de Iliade, d'inven-
ter des épisodes, qui, sans modifier la marcho légen-
daire do l'action, lui auraient donné un autro aspect.
Nous imaginons sans peine une Odysséeoîi les voyages
tiendraient moins do place, où le séjour chez Euméo
serait à peine indiqué, et qui se concentrerait presque
entièrement dans le récit de la vengeance, grossi de
quelques scènes pathétiques; un poème tragique, animé
d'un soufllo guerrier, quelque chose comme les Nieùe-
UmiffMhalléntftés. Si lo poète qui a créé l'Iliade avait
aussi créé l'Odyssée, il nous bemblo qu'il l'aurait ainsi
conçue. Nous no pouvons soupçonner assurément tout
LE RÉCIT 335
ce que sa puissante imagination aurait tiré do son sujet,
mais nous sommes certains qu'il aurait su, d'une ma-
nière ou d'une autre, remplir son œuvre des passions
énorgiques do l'Iliade. Il ost clair qu'aucun des autours
do l'Odyssée n'avait cette fougue ni cet essor de pensées.
Sans doute te temps même où ils composaient les pré-
disposait à un goût différent. Autour d'eux, on admirait
moins qu'autrefois la force du guerrier et le déchatne-
ment brusque des passions; on su détournait do plus en
plus do la violence; on appréciait clmquo jour davantage
les qualités qui sont propres à la vie civile, la justice,
l'intoUigenco, la sociabilité. En toutes choses, l'idéal
était désormais plus humain. Et dans la poésie même,
on voulait moins d'ùproté, moins do grands élans peut-
être, mais plus do finesse, plus d'observation délicate,
plus de détails vraisomblablos et curieux. Le plaisir de
l'esprit se mêlait do plus en plus a celui du sentiment.
A coup sur les auditeurs demandaient toujours au poète
de les émouvoir, mais ils préféraient une émotion plus
tempérée, qui laissait à l'intelligence la liberté de s'ins-
truire et de reconnaître les choses dont on lui parlait.
L'ûpopée, pour leur plaire, devait donc se rapprocher
do l'histoire, c'est-à-dire de la réalité.
Il n'y a guère dans V Odyssée que deux scènes, qui
rappellent par des effets grandioses ou terribles certains
passages do l'Iliade: la description de la tempête, au
V°livre, et celle du massacre des prétendants au XXII*.
La première a précisément le genre de grandour que
nous avons noté dans l'Iliade', quelques effets simples
et frappants, produits par un petit nombre de traits
énergiques, qui rossortent d'autant plus que la descrip-
tion est moins chargée de détails
« En parlant ninai, Poséidon rassembla las nueges, et «al*
ms.siuttà deux mains son tridont, tt boulovoraa la mer.
Ton* ton Houfflosdos vents ao déchulnôrest a la toi de tous
830 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYSSÉE

oôtôs; un voile épais de vapeurs enveloppa soudain la terre


et la mer; et du olel une masse de ténèbres descendit.Euros
et Notos fondirent ensemble sur tes flots, et avec eux Zè-
phyre au souffle terrible, et Borée né au plus haut des deux,
roulant devant lui les flots amoncelés < Comme en un
jour d'automne, quand Borée chasse a travers la plaine des
ronces arrachées aux buissons, qui s'enlacent étroitement
en faisceau, alnel, a travers la mer, les rafales pouasaient
Ulysse ça et la: et tantôt le vent du Midi le lançait comme
un jouet au vent du Nord, tantôt la vent d'Est le livrait au
vent d'Ouest qui le ohassait devant lui*, »

Toutes les terreurs et toutes les violences de la tom-


pète sont ici comme rassemblées en quelques mots. Ett
cotte impression île grandeur ne résulte pas seulement
d'un ou deux passages du récit, elle subsisto depuis lo
commoncement jusqu'à la fin. Mais, outre que cela est
exceptionnel dans YOdyssée, il faut reconnuitru quo là
mémo les caractères nouveaux du récit épique apparais.
sont. Si importante quo suit par elle-niômo la descrip-
tion do la mer décliainée, il y a quoique chose duns ce
morceau qui attire davantage l'attention, cV,st la lino
et curiouse analyse de ce qui se passe dans la ciour d'U-
lysso. Nulle part dans l'Iliade on no trouverait une suc-
cession de sentiments aussi exactement déduite quo
collo qui remplit cos deux cents vers. Et il ne s'ugit pas
seulement des émotions principales, abattement, retour
d'énergie, défiance, obstination, elforts héroïques, priè-
res, élan de joio; dans chacune de cos phases, que do
moments divers à distinguer I comme lo poète mplaît à
cette analyso toujours juste, où il cxcellol Suivoz-lo pas
à pas; voyez-le créer ingénieusement descireonslaneos»;
point do minutios assurément, niais que du fimmaodéjà
dans cotte peintura, si largo encore I
Si cola est vrai do colla grandu scouo de la U>ninM<s
i. <i(iytté$,
v, aoo-ww.
B.ttdyêiét,V, »i7-lUJ.
LE RÉGIT 337

combien plus encore du massacre dos prétendants t Ici,


la différence avec l'Iliade ost d'autant plus frappante,
qu'il y a plus d'analogie dans le sujet. Rappelons-nous
les bataillos épiques qui ont été précédemment étudiées.
Ne somblait-il pas qu'on dehors môme dos passions por-
sonnellos des combattants, chacune d'ellos eut sa vie
propre ? Les diverses heures du jour, les accidents du
combat, surtout l'intervention dos dieux, produisaient
tour à tour dans le développement do la lu*te dos varia-
tions dramatiques. Derrière les roncontros individuel-
los, quelque chose d'immense apparaissait, la bataille
ello-meme, avec ses redoublements de fureur ut ses al-
ternativos do succès. Rien de semblable dans la scène
du massacre. La furce de la conception y éclate surtout
a doux moments au début, dans l'admirable révélation
d'Ulysse, à la fin, lorsque la tuerie est achevée, et que
nous avons sous les yeux la cour pleine do morts et la
salle pleine do sang. Quant au combat lui-même. c'est
par l'étude dos caractères et par l'ingénieuse invention
des péripéties qu'il nous frappe. Lo triomphe du poète,
c'ost de nous montrer d'une part la colèro implacable
d'Ulysse, sombre ot sur do sa vengeance, de l'autre les
sentiments variés des prétendants, leur olfroi, tours
vaines adresses, leur désespoir; c'est do cola qu'il fait
son drame, ot celui qu'il compose est admirable. Mais
l'épopée ainsi conçue fait déjà pressentir l'histoire.
Est-co à dire que lo récit dans l'Odyssée manque gé-
néralement do grandeur? Rien n'est plus loin de notre
pensée. Mais c'est une grandeur plus calme et plus
é#ulo. L'Iliade nous ravit d'admiration, s'empare de nos
ninos et les exalte puissamment. L'Odyssée nous élève
dmiciiitiont jusqu'à une région de poésie serein®, dont
i)l|o déroule duvaul nous lot» large» ut euriouaes perspec-
tives.
Uutto diirorouutt no marqua, peur aluni diro, ostoriou-
iiiai, ii«ii mu. oi.^h*. t.i, as
838 CHAPITRB VII. L'ART DANS L'ÔDYSSÊE

remont dans un fait significatif, qu'on a plusieurs fois


noté. Los comparaisons abondent dans l' Iliade, ollos
sont très rares dans YOdyssée.N'est-ce pas parce que la
comparaison.'telle que les anciens poètes l'employaient,
était une manière briUanto d'idéaliser les choses, qui ne
répondait plus au goût nouveau? Lo récit du massacre
des prétendants offrait au narrateur bien des occasions
do mettre en usago ce procédé traditionnel; il los a
toutes négligées. Lo combat est raconté dans les trois
cents premiers vers sans une seule comparaison, et c'est
seulement à la fin, pour poindro la dispersion effarée
des vaincus et l'acharnoment des vainqueurs, que le
poète revient par exception à l'ancienne manière i. Ce
n'est pas tout; non seulement le nombre des compa-
raisons est beaucoup moindre dans YOdysséeque dans
Ylliade, mais un outre culles qu'on y trouve ont un eu-
ractèro différent. Lo plus souvent, elles sorvont, non
plus ù agrandir los conceptions, ni à ornor le récit, mais
à expliquer les choses représentées. Lorsque Ulysse,
avec l'aide de ses compagnons, onfonce le pieu brûlant
dans l'œil du Cyclope, le poète le compare à un char-
pentior qui, à l'aide d'uno tarière, perce une poutre, ot
il nous fait voir le mouvement de l'outil, tiré alternati-
vement dans les doux sens par doux équipes d'ouvriers
Recherche d'exactitude, qui prouve assez quo le besoin
de décrire avec précision commençait à prédominer
dans la poésie sur le désir d'idéaliser. Et cola est plus
sonsiblo encore, quand, aussitôt après, le narrateur nous
dépoint l'horrible blossure du Cyclope:
« Lorsqu'unforgeronplongedans l'eau froide une lourde
haoheou unedololra qu'il veut tremper – carc'eutlà ce qui
donne au fur 8»force. – le mitai boutiiaut om au inltiau

i. OdjfiiM XXH,'|9»-»O9,
8. ojj/n^ ix, au-a»i.
LE RÉCIT 339
de la vapeur; ainsi l'œil du monstresifflait autour du pieu
'd'olivier'.»a
Si un des poètes do YIliade avait ou à traiter ce pas.
sage, on peut e'ro assuré, co mo sembla, qu'il n'aurait
pas décrit do cotte manière. Co qui l'eût préoccupé,
c'oùt été dotraduire par une comparaison hardie et sai-
sissante la force de la douleur subite qu'éprouvo le
monstre ou l'intensité elïroyablo do ses clameurs. Par
instinct, il aurait cherché l'offot dramatique, là où le
poète de VOdt/sséecherche plutôt la justesse descrip-
tive.
Si cotte manière nouvelle ost inférieure à l'ancienne
par certains côtés, il faut reconnaître qu'elle a mis àla
dispositiondes poètes dos rossources qui ont bien leur
prix. Ce qu'ils perdent on puissance, ils le regagnent
en agrément. Les chants do l'Odysséequi représentent
Ulysse chez Eumôe marquent vraiment l'avénement
d'une poésie nouvelle. C'est dans cette partie du poème
pcut-ôtroqu'il y a le moins d'action mais c'est là aussi
quo se laisse le plus délicatoment sentir ce qu'on pour.
rait appeler le mérite propro do l'Odyssée. L'épopée,
tout en gardant sa noblosso native, se fait là presque
familière; le poèto est tout près do devenir conteur; il
so plaît aux petites choses, et il sait en dégager admi-
rablement tout co qu'ollos contiennent d'aimable ou de
touchant. La nature agreste, qu'on entrevoyait seule-
ment çà et là dans l'Iliade par ces échappées de vue
dont nous avons parlé, prend icibien plus d'importance.
Sans doute, ce n'ost encore qu'un fond de scène, et
l'action reste toujours, pour le narratour comme pour
nous, la chose principale. Mais ce fond de scène n'est
pan un décor indifférent il prête à l'action un char m o
[iiAÏuuiUav,ut U nous occupa uuaot agréablement pour
t Odyuto,IX,301-30».
340 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE

qu'elle puisse se ralentir sans quo nous songions à nous


en plaindre. Qui no sait grô à l'épopée grecque d'avoir
un pou oublié ses traditions do grandeur idéale pour
nous poindre, comme elle l'a fait, la demeure rustique
du bon Euroêe?

« Ulysse le trouva assis devant sa maison: là était une


haute étable, grande et belle, située sur un point élevé, et
accessible de toutes parts. Le porcher l'avait construite lui.
radine pour ses animaux, après le départ du roi, sans l'or-
dre de Pénélope ni du vieux LuiirtQ il l'avait faite en
grosses pierres et avait garni le mur de prunier sauvage.
En dehors, il avait enfonoé en terre une longue série de
pieux très serrés, tous taillés dans du cœur de chêne. En
dedans de la cour, il fit douze hangars rapprochés, pour y
loger les porcs. Dans chacun de ces hangars, cinquante
truies étaient couchées sur le sol, destinées a l'accroissement
du troupeau; les mâles dormaient au dehors, bien moins
nombreux, car les prétendants, divins héros, en avaient pris
beaucoup pour leurs festins. Tout auprès, des chiens.
semblables à des bêtes féroces, veillaient, la nuit; Us étaient
quatre, nourris par le porcher, chef des serviteurs. Eumée
était occupé alors & attacher &ses pieds ses chaussures, a
l'aide de courroies qu'il avait coupées dans un solide cuir
de bœuf. Des autres serviteurs, trois étaient allés de divers
côtés avec les troupeaux de porcs le quatrième, Eumée
l'avait envoyé aila ville, pour conduire un porc aux préten-
dants orgueilleux. – dure nécessité, afin qu'après le sacrifice
Us eussent de quoi banqueter &leur aise >.»

Cette représentation des choses familières, si fine-


ment exacte sans être jamais fatigante ni surchargée,
nous la trouvons partout, et toujours avec plaisir, dans
cette seconde partie do l'Odyssée. Ici, c'est la campagne
ailleurs la grand'route, la source des Nymphes où les
passants ont coutume do s'arrêter, le palais, avec ses
cours, ses salles, l'appartement des femmes, les pièces

I. Odyuée, XIV. 0-88,


LE RÉCIT 341
où sont gardées les armes, les dépendances où vont et
viennent les serviteurs. La vie rustique et celle quuii
menait alors dans les demeures des grands nous sont
racontées et décrites avec une foule de détails aussi
variés qu'intéressants. Voici par exemple le retour des
troupeaux à l'élablo et le sacrifice qui précède le repas
du soir:

« Ulysse et Eumée s'entretenaient ainsi, lorsque revinrent


à l'êtable les troupeaux do porcs accompagne de leurs gar-
diens. On sépara les animaux par groupes pour la nuit; et
un grand bruit s'éleva quand ils se précipitèrent dans leurs
étables. Alors Euraôo dit a ses compagnons « Amenez-moi
le plus gras de ces animaux, afin que je le sacrifie enl'hon-
neur de l'étranger, notre hôte. Nous en profiterons aussi,
nous qui prenons tant de peine pour les élever et les garder.
Le fruit de nos fatigues, ce sont des étrangers qui le consom-
ment. » –En parlant ainsi, il fondait du bois avec sa hache.
Les autres amenèrent un porc de cinq ans, bien engraissé, et
ils le tinrent debout près de l'autel. Le porcher n'oublia pas
les dieux, car c'était un hommo religieux. Il jeta dans le
feu, comme prémices, quelques poils coupés sur la tête du
porc aux dents blanches, et il pria tous les Immortels pour
que le sage Ulysse revint dans sa maison. Puis, soulevant
un lourd morooau de chêne, qu'il avait mis de côté en fen-
dant le bois, il frappa la victime; celle-ci tomba. Les hommes
l'égorgèrent alors et 1* firent rôtir; ensuite, ils la découpè-
rent. Le porcher, prélevant les prémices de chaque membre,
les enveloppait dans la graisse; et les saupoudrant de la
furine sacrée, il les jetait dans le feu. Le reste fut partagé
en morceaux et grillé sur des broches Le porcher se leva
pour servir, car il savait ce qui est juste. Il divisa le tout en
sept parts; la première, il l'offrit en priant aux Nymphes et
à Hermès, fils de Maîa; les autres, il les distribua aux con-
vives. A Ulysse, il attribua la part d'honneur, un morceau
du dos du porc aux blanches dents. Et il réjouit le cœur du
f(«i Aussi le sage Ulysse loi dit-il – « Tolsses-tu, Euiuée, êlre
aussi agréable à Zeus que tu as su l'être à ton hôte, toi qui
in'hoiioro3 ainsi, dans l'état où je suis. » – Et le porcher Eu.
iiiro lui répondit; – « Munge, hôte vénérable, et profite do ce
349 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE

que noua avons. Les dieux peuvent donner on refuser, selon


qu'il leur plait, car tout est en leur puissance »
Cette manière de peindre les hommes et les choses
par des détails familiers, cette fino naïveté qui sait
choisir, ce goût do l'exactitude piquante, cet art de don.
ner une valeur à des actions et à dos réflexions on ap.
parence insignifiantes, voilà bien co qui est nouveau
dans l'Odyssée et co qu'on no so lasso pas d'y admirer.
11avait fallu plus de génie sans doute pour représenter
les masses d'hommes qui so heurtaient avec fureur
dans la plaine d'Uios; mais, pour tracer ces charmants
tableaux, il fallait plus d'esprit et presque autant de
poésie.
Un autre trait propre aux récits do l'Odyssée, c'est la
part qu'ils font à la fantaisie, du moins dans les chants
où Ulysse raconte ses voyages. Ces longues chaînes
d'aventures morveilleusesno ressemblent guère à la sé-
rie des scènos guerrières de l'Iliade. Do narrateur épi-
que qu'il était autrefois, le poète s'ost fait conteur, pres-
que à la façon dos Orientaux. C'est là encore un des
charmes propres de l'Odyssée nous l'aimons pour son
merveilleux, comme nous aimons l'Iliade pour son hé-
roïsme.
Ce qu'il y a d'exquis dans ce merveilleux, c'est qu'il
concilie constamment, et sans le moindre effort, deux
choses qui semblent s'exclure, la naïveté enfantine des
invontions et la vraisemblance morale la plus délicate 3.
Cette Une étude des sentiments que nous venons de
signaler comme le trait caractéristique de la seconde
partie du poème, elle ost aussi partout dans ces aven-
tures merveilleuses, mais elle y est, sans contrarier en
1. Odgssée,XXV,«0-«5.
2. Nousn'avonsen vue ici que la partie anciennedes récits d'U-
lysse,telleque nous l'avonsdéterminéeprécédemment.Pour les par-
ties plus récentes,il faudraittaire desréserves.
LE RÉGIT 343
rien la liberté gracieuse de l'imagination. Ce sont do
vrais contes d'onfants quo les récits relatifs aux Lo-
tophages ot aux Cyclopos, mais qu'il y a do vérité hu-
maine et d'art inaperçu dans cos contes I/ôpisoilo du
Cyclope ost le chef-d'œuvre on co genre. Avec quelle ha-
biloté, peut-être instinctive, co géant fantastique n'est-
il pas placé dès Io début du récit dans un milieu qui lui
prête, pour ainsi dire, touto la réalité dont il est sus-
coptibio t Nous no Io voyons pas tout d'abord; mais
voici au grotte, son troupoau, tout co qui atteste la
présence d'un habitant; ot avec cela, en quelques mots,
une sorte de description préalable du monstre, do son
humour faroucho, do ses habitudes, comme pour nous
accoutumer à lui

« Quand nous arrivâmes au rivage voisin, nous vimes de-


vant nous, a la lisière de l'lie, une grotte, tout près de la
mer; elle était haute et tapissée de lauriers; des troupeaux
nombreux, brebis et chèvres, y reposaient; un mur entou-
rait leur parc; clôture formée de pierres qu'on avait dA traî-
ner jusque-là, et achevée avec de longs sapins et des chênes
à la cime superbe. C'est 14 qu'habitait un homme gigantes-
que, qui gardait ses troupeaux, seul à l'écart; jamais il ne se
mêlait aux autres, mais il restait dans sa solitude farouche,
ennemi de toute justice. C'était un monstre prodigieux; il
no ressemblait pas à un homme habitué à se nourrir de bié,
mais & un pic couvert de forêts, qui se détache seul au mi-
Hou d'une chaîne de montagnes »

Le voilà bien, tel que la légende naïve le représen-


tait aux contemporains du poète, mais l'adroit conteur
ne nous le laisse voir ainsi que dans le lointain. Dans
toutes les scènes qui suivent, l'homme-montagne est
devenu tout simplement une sorte de sauvage, d'une
taille gigantesque, d'une nature inculte et grossière-
meut cruelle, dont la bestialité native est tempérée

»• Odguie, IX, 180-192.


SU CHAPITRE VII. – L'ART DANS 1,'OimSÉE

pourtant par une sorte d'attachement domestique pour


son troupeau. Ainsi représenté, le Çyelope n'est plus
un simple épouvantail, propre à terrifier des enfants,
c'est un être vivant, qui devient concevable pour nous,
qui est accepté par notre imagination, et qui dès lors
nous interosse, tout en nous faisant horreur. Cette trans-
formation s'opère insensiblement dans le récit par les
détails choisis, par les entretiens, moyens bien simples
on apparence, grâce auxquels le narratour nous révèle
pou à pou dans cette brute gigantesque une sorte d'âme,
domi-humaino, domi animale, où s'agitent des instincts
conformes à sa nature. Voilà comment nous no som-
mes pas choqués de le voir rapproché d'hommes sem-
blables à nous, aussi vivants, aussi naturels que le sont
dans le môme récit Ulysse et ses compagnons.
Quel que soit donc l'aspect sous lequel nous envisagions
le récit homérique dans l'Odyssée, nous en revenons
toujours à ce mérite prédominant d'un fin naturel et
d'une délicate vraisemblance. C'est par là que celte
admirable composition s'est fait aimer si profondément
de l'antiquité grecque avant de charmer les autres
peuples. L'Iliade était le poème héroïque par excellence,
colui dans lequel l'àino nationale reprenait sans cesse
conscience de ses plus hautes qualités; mais l'Odyssée
était à la fois un rêve charmant, qui donnait à l'ima-
gination un délicieux essor, et le plus aimable tableau
de la vie antique dans sa simplicité primitive, où tant
de Qncsse se mêlait si agréablement à tant de naïveté.

III

Ce que nous venons de dire du récit s'applique assez


bien, d'une manière générale, aux caractères des pot-
ULYSSE 345

sonnagest. Moins fortement conçus que ceux de]' Iliade,


ils plaisent par une vérité délicate et souvent familière,
grâco à laquelle plusieurs d'entre eux, dans des situa-
tions fort analogues, se distinguent pourtant les uns des
autres.
Ulysse est le digne héros du poème, dont il soutient,
pour ainsi dire, presque tout le poids. On ne saurait
douter qu'avant même la naissance des premiers chants
de l'Odyssée, son caractère n'eût été dé jà asseznettement
esquissé par les récits poétiques qui avaient cours. Dans
l'Iliade, il est représenté à la fois comme brave et
comme habile; sa réputation de prudence énergique et
de savoir-faire est déjà bien établie; mais rien dans le
poème ne justifie l'épithète de icoXûrXoc;,« durement
éprouvé », qui y revient à plusieurs reprises. Si donc
elle n'a pas été introduite dans l'Iliade postérieurement
à l'Odyssée, ce que nous croyons pou problable, elle
fait allusion à une légende déjà formée, relative aux
voyages du héros. C'est de cette légende qu'a du sortir
la première esquisse du rôle. Ulysse par conséquent s'est
offert au plus ancien poète do l'Odyssée comme un type
d'homme avisé, endurci à la peine, indomptable dans la
souffrance, et constamment en possession des mer-
voillousos ressources de son esprit comme de celles de
son courage.
Voilà ce que ce poète a reçu, mais voici maintenant
ce qu'il a créé de lui-même. Cette énergie intelligente
d'Ulysse, il a su la rendre vraiment dramatique, en
nous la présentant dans un récit tout nouveau, non
comme une sorte de vertu naturelle, mais comme
l'effort d'une volonté généreuse appuyéo sur un motif

i. L'éditionde l'Odyssicdo IJaj-mancontientdans l'appoiiJicBE


uneanalyseassezdétailléeducaractèredes principauxperepnnages,
Ulysse,Pénélope,Télémaque,Pallas, Antinoos,Eurymaque,Méné-
las,Hélène.
346 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE

profondément humain. Son Ulysse n'ost pas seulement


un hommo qui souffro avec cuurago; co qu'il y a do
vraiment supérieur en lui, c'est l'attachement à son
idée, qui ello-màinoest au fond uno affection. H veut
revoir sun foyor, et rien no peut étouffer on lui co désir
ni môme le diminuer. C'ost une passion moinsardente,
moins tumultueuse surtout, quo colle d'Aelii'lo, mais
aussi fortement enracinée. Ello tient à l'homme, et c'est
par elle saule qu'il agit. Quand il parait pour la pro-
inièro fois dans le poème, retenu encore chez Calypso,
c'est dans l'aititudo do l'oxilé qui n'a qu'uno seule pen.
sée, cellodu pays natal
« Tout le jour, assis sur les rochers et sur le sable du ri.
vage, usant ses forcesdans la douleur, dans les larmes et
dans les gémissoments,il tenait ses regards attachas a l'ho.
rizon des flots, les joues humidesde pleurs »
Co regard, qui cherche Ithaquo à travers l'étendue
inlinie des mers, nous explique du premier coup le rôle
tout entier. Il y a un amour profond dans ceUo Amesi
forte et si maîtresse d'ollc-memo, un rogrot comploxo,
celui de la famille, du foyer, des lioux ou l'on a vécu,
des êtres que l'on a chéris. Lorsque Calypsocherche à
inspirer du moins à Ulysse un peu d'hésitation, cet
amour so révèle tout entier on quelques mots
« Déesse,ne te fâchepas contre moi pour ce que je vais
dire. Je sais, moi aussi, que Pénélope n'a point ta beauté
ni ta taille divine; elle est mortelle,et toi tu es Immortelle
et toujoursjeune. Mais,malgré cela, ce que je veux, ce que
je désiresans cesse,c'est de revenirchez moi, c'est de voir
luire le jour de monretour.Et si quelquedieu doit mefaire
souffrirencoreau milieu de la mer sombre,eh bient je sup-
porteraicela,carj'ai un cœur habitué a la souffrance.Déjà
j'ai enduré bien des peines et bien des fatigues sur.les flots
f. Odyuée,
V, 185-159.
ULYSSE 947
et dans les combats; que ge mal nouveau s'ajoute aux maux
que j'ai subis précédemment I »

Ulysse, dana V Odyssée, esl le type do l'humum qui


veut parce qu'il aime, et qui réussit parco
qu'il veut.
Colto conception, si frappante ot ai noble, ost d'ailleurs
exempte do toulo raidour. Dion loin do s'ondurcir dans
une sorte d'obstination méprisante et surhumaine, l'umo
du Itéras reste ouverte à toutes les émotions, Ln swtif-
franco semble toujours neuve dans ce eiour ci exerce à
souffrir. Rien de plus touchant que sa plainte
quand la
tempête le saisit au milieu do la mer
« Ahl trois et quatre fois heureux ceux des Donnons
qui
ont pôrl dans la grande plaine do Troie pour
venger lof-
fenso des Atrides 1 Moi aussi. que ne
suis-je mort avec eux 1
Que n'ai-je vu le terme de ma destina, le jour où les Troyens
on masse m'accablaient sous leurs javelots d'airain autour
du cadavre d'Achille Si j'étais tombé là,
j'aurais ou de glo-
riouses funérailles, etles Aohêens auraient oôlôbré mon nom.
Au lieu qu'à présent, voici l'horrible mort
quo le destin m'a-
voit réservée». »

II gémit, il espère, il se réjouit tour à tour avec une


naïveté qui nous enchante. Quel tableau que celui de
sa délivrance, quand il aborde à l'embouchure du fleuve
dans l'île des Phéaciens

« Écoute-mol, ô fleuve, quel que soit ton nom. Avec


qaet
désir je viens Atoi, échappé des flots et sauvé des menaces
de Poséidon 1Il est digne de la pitié des
Immortels, l'homme
qui vient à eux vagabond, comme je viens aujourd'hui vers
tes eaux courantes, comme je me jette à tes
genoux, ô diou,
brisé par la souffrance. Pitié, roi de ces eaux
je suis ton
suppliant. » – Il parla ainsi; et le fleuve soudain suspendit
sou cours; il calma ses vagues, et devant le malheureux il
étendit ses eaux en une nappe unie, et il le laissa trouver
1. Odyi»* V, 155-159.
2. Odyssée,V, 303-313.
318 CHAPITRE VII. l/ART DANS L'ODYSSÉE

un refus* dans son estuaire. Alors Uyase fliolilt le» deux


genoux et l«U«a retomber ses bras robuMea, car la vague
avait brbô son courus». Son eorps était enflé, I'e«u «al*«
coulait de «a bouche et de se» narines; sans aouftl» et «an»
voix, il restult étendu sur ta aot, à ddml-raort; une fallgat»
douloureuse le pénétrait. Muta quand 11eut repris haleine,
l'é-
quand le sentiment sa réveilla en lui, il rejeta au loin
oburpe dino. et faisant quelques pna pour a'ôcarter du
fleuve, il sa coucha dan» les roseaux du bord et il battu la
terre, nourricière des hommes •<»

Sa douceur, quand il s'u,lrosso à Nausicaa, sa dignité


chez ses hôtes phoaciens, furniiuil uutant de nuances
délicnlos dans son caruclôrc et riivôlonl une nature ri.
che dans sa simplicité.
Une fois qu'Ulyaso est h Ithaque, c'est-à-dire élans
toute la socondo partie du aa force d'aino se uton-
poème,
tro à chaque instant par la contrainte qu'il exerce sur
lui-moire jusqu'au dénoumont, on ao dissimulant soit à
ses ennemis, soit uiôiao h ses amis. C'est un grand et
touchant spectacle que celui do cet homme qui est enfin
dans sa patrie si désiréo et qui no peut en jouir comme
il le voudrait. Mais lorsque de plus il est insulté par le
chevrier Mêlant heus ou môme outragé et maltraité
devient vrai-
par Antinoos, alors cette dissimulation
ment dramatique, car elle impliquo une lutte torri-
blo de la volonté contre la plus naturollo des pas-
sions
€ Tout en parlant, Antinoos avait lancé l'escabeau qui
et le cou. Il
frappa Ulysse à l'épaule droite, entre le dos
resta ferme comme un rocher, inébranlable sur ses pieds.
Le projectile d'Antinoos ne la fit pas même chanceler; mais,
ses pen-
muet, il secoua la tête, sombre et absorbé dans
sées »
à cet admirable rôle
S'il y a quelque chose à reprocher
1. Odyuie, V, 445463.
1. Odyssée,XVII. 462-405.
>.
UtYSSB 349
dans cotte partie du poème, c'est
peut-être un certain
«ces danscoUo possessiondo sui-mômo.Kous
voudrions
que dos aantimouls si durmnont contenu* vUmmil tout
à coup à m décharger. Il. éclatent au XXII»
livre, au
commencement du massacra dos prétendant*, dans l'es-
plosion do colère par où débuta cotte scène:
• Ahl chlon»,vouano ponsloipus reviendraisehet
moldu paya lotntaln d'IUo»,torduequeje VOtt*rulnie» ,“» mal.
son, lorsque vou»fahiei violenceAin«*«ervnntet,
molvivant, voua «ourtUle»ma largue
femme,«an»oruinUreni !••
.lious.qul habitant le va«t«el»l,ni la vongeancofuturdd'au-
«in homme.Eh bien!aujourd'hui, tant que vouaètw,
vou»voici dons lea liens de la morttous,
«.»
Colaest suporbo, mais nous voudrions un
Il y avait dautros passions dans l'âmo pou plus.
d'Ulysso
colère et la aoif de so vongor. Ces alFoctionssi quo la
profondes
tjui sont rostéos vivantos dans aon cajur depuis vingt
uns, nous avons besoin do les voir déborder libromont
après cotte violente contrainte. Kilosho montrent assu-
riiinonl dans les scènes do reconnaissance do cette se-
conde partie. Maisil semble que le narrateur ait
quel.
que scrupule d'insister sur ces divines faiblesses du
cœur et qu'il nous on ir '<nugolo
spectacle d'une ma-
nière bien parcimonieuse. Ulyasoest
plus tendre, plus
profondément humain dans los chants do la première
partie il devient plus dur dans ceux de la seconde, où
lacontrainte est une nécessité de son
rôle, et l'idéal do
fonnoté que le poète a devant los
yeux ôte à son génie
quelquechose de sa liberté.
Quoi qu'il faille penser do ces légères défectuosités
qu'on rencontre dans toute œuvro humaine, la hauto
valeur poétique et morale do ce caractère ressort d'elle-
même et frappo immédiatement tous les
yeux. Si les
«<%M^.xxu.35.il.
350 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYS8t*
nature exceptionnelle,
éprouves d'Ulysse sont d'une
ollos ressemblent cepondanl à toutes les épreuve» poa-
sibles par lo«souffrances qu'elles infligont à celui qui en
ost victime et par les qualités morales ou intellectuelles
en jeu. Nous avons donc la
qu'elles l'obligent à mettre
sous les yeux l'exemple d'inquiétudes, de regrets, d'an.
ou inoins ana.
gois.as. de craintes, d'humiliations plua existence
dans toute
loguoi à cellos qui ne rencontrent
humaine; à ce point de vue, le rôle d'Ulyssoest unique
dans l'épopéo il noua oflro comme un raccourci des
nous sommes su-
épreuves et dos douleurs auxquelles
du triomphe
jota, et il noua donne lo spectacle fortifiant combien
do l'intelligence associéo à l'énergie. On sait
l'antiquité en a été frappéo. MÔmosans la Télénmhie,
la Péloponnèse et
YOdysséeaurait été populaire dans subsis-
particulièrement à Sparto; des allusions qui
tont encore dans plusieurs fragments du poète Aie-
man prouvent qu'ello y fut Wonconnue 8t aiméo». Rien
do plus naturel. Le héros do l'Odyssée était on quelquo
sorte lo typo do la vertu lucédémonionne, avec moins
de raideur toutefois ot plus d'adresso. Plus tard la phi-
Elle
losophio a repris cotte idée et l'a encore exagérée.d'en.
a semblé prêter aux vieux poètes dos intentions
auraientnuià leur
seignement qu'ils n'ont pu avoirot qui
ne tenait pas
exquise naïveté*. La poésie homérique
écolo de morale. Mais, commotoutea les grandes poésies,
elle servait la morale en représentant le vie humaine
ordre didéos, la
qui ne saurait s'en passer. Dans cet
nobles qu'elle
figure héroïque d'Ulysso est une des plus
ait créées.
1. Part. Iffieigmci d» B«rgk. Aleman. tt. M42, il «te.
S. Horace, Êpitrtt, I, >, r. 17 et ratv.
Rartumquldvlrlu*etqnldMpisnUa poMtt
UUleproposaitnoblsexemplur,UiyMwm.
AMISST BNNBMISD'ULYSSE 351

IV

l,o sujetinéiiiudoVOtijfuég,non muinsque la coudutte


dit poème, donne au pontonnago d'Ulysso une préémi-
m>uceexcessive.
Acôté do son rôle, il n'en est aucun qui ait l'impor.
luiiuodes rôles sooundairos do VIliade. C'est môme là
uno des cause. qui tont que eu dornior poème est plul
varia. On ne saurait comparer, au point do vue drama-
lit|uo, niTôléinaquo, niEuméo, ni Antinoos à Agamom-
uu», ù Diomèdo. à Hector, à Priam. Tout co qui parait
dan*l'lliadc oslgrund dans VOdyuét, il n'y a do gran-
deur quo chez Ulysse il suffit quo les autres personna-
gus soient vrais ot diveraoment intéressants.
Nommons d'abord Télémaquo, puisqu'il romplit les
premiers chants et rosto on scène jusqu'à la lin. Ce que
nousavons conjecturé de la formation du noùino expli-
quo les incertitudes de son caractère. Tclôinaquc n'u
dù figurer d'aborddans loschants primitifs de la seconde
partiequ'à titre d'auxiliaire indispensable du son pare,
parconséquent dans une situation subordonnée. Plu8
tard, l'auteur de la Télémachieet des raccords do la se-
conde partie on a voulu faire un vérilablo personnage
d'épopée.Il semble s'être inspiré principalement pour
cela du rôle du jeune homme dans le vingt-el-uniômo
chantactuel. Il a voulu représenter on lui, au point do
vue moral, la transition entre l'adolescence et la viri-
lité.Conceptionsingulièrement difficileà réaliser, puis-
qu'elle excluait d'avance tous les traits accusés qui
conviennent le mieux à la grande poésie épique. On ne
peut nier ni le succès partiel du poète, ni les défauts de
sonoeuvre. Suu Téléuittque ue nous est pas indifférent
M» CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE

il y a en lui une sorte d'ingouuUô flère qui nous nt-


tache, et on même temps un sentiment de sa faibles^*
qui parfois le rondtouchant. Mais,avec cela, nous no|«
comprenons pas entièrement. On ne soit trop ee qu'il
vout ni co qu'il ationd de sa mère. Il y a môme à cut
égard do véritables contradictions dun* le puent»*,
Qu'ollos proviennent do surcharges plus ou muins ré-
cuntus, coluse peut mais cos surcharges mômes nu-
raiont été impussiblus si la concoplion première eut élv
plus uello. – A coté du Télémuque, il suflil du mention-
ner lu vieux l.utirto, dont il est surtout (|uostion dans tu
seconde partie du poème. Il no paruit on pornwiimt
qu'au vingt-quatrième chuitt. Tuut sou rôlu est contenu
dans une seule scène, bien touchante, cello de sa recon-
naissancesavec Ulysse. Ello a le tort pout-ôtro do renou-
voter un gonru d'émotion que les réeils antérieurs out
à pou près épuisé. Mais, isolée de co qui précède, clin
échappo à cot inconvénient, ot elle garde lo churm;
élornel de tout cj qui est vrai et profond.
Toutefois, parmi los auxiliaires d'Ulysse, celui qui
tient le premier rang, ce n'est ni son père Laêrte, ni
môme son fils Télémuquo, c'ost l'excellent serviteur
que Fénolon appolait gracieusement « le bonhomme
Euméo » ». Si l'on admet quo la création du personnage
d'Ulysse appartient surtout à l'autour du groupe primi-
tif, on sorait tenté do dire que le rôle d'Euméo est le
chef-d'œuvre du poète de la seconde partie. Plus fin
moralisto ot plus agréable conteur que narrateur pa-
thétique, il a trouvé dans la peinture do ce caractère
i. Comparer notamment. XIX,S30,avecl'enwmbledq caractère.
Nuttepart.dansVOdyuie. Télemaque ne Joueauprèsde«amèrele
rile Indiquépir cesvers.
9. Fénelon, Lettre à l'Aead.. art. V. « Cette simplicité de mœurs
emble ramener l'Age d'or. Le bonhomme Eumee me touche bien plu»
qn'uo héros de Clétie oa de Cléapâlrt. Les vaine préjugea de noire
t«raps aviU&Mfil de teil«s bM&lis. »
AMIS KT ENNEMIS D'ULYSSE 863

l'occasion d'utiliser ses plus charmantes qualités, Kumée


est un vioillard; les grandes passions sont étrangère»
il son flgo commu à ait situation c'est donc surtout par
le lin naturel don sentiments qu'il devait plaire, et le
j.uèto qui l'a représenté y a ploinomont réussi. II agit
|itw et ce qu'il fait est do médiocre importance. Mais il
non» intéressa et nous attache sans agir. Son dévoue-
mont et sa fidélité à l'égard d'Ulysse et dos siens n'ont
rien d«>servite. C'est chez lui un sentiment ancien et
la reconnaissance» et
profond qui a grandi peu à pu
l'intérêt mémo y ont ou part au début puis l'Iudiitudo
s'ost furméi', ot avec l'Ago cotte aUoctiou reap«etuouiM»
ont dovenuu coiiuno uno socondo nature; l'ahsencu
malheurs de et do Télémaquo
d'Ulyssi', les l'énélopo
l'ont avivée. Eumée jouo auprès d'eux le rolo d'uno
surto du protecteur, liion luunblo et bien impuissant,
mais iililo pourtant par son expérience et son dévoue-
munt. Il voillo avec un soin jaloux sur lo bien do son
inuîlro absent. Il est bon, hospitalier, pieux, et avec
cola actif comme il convient 11un homme chargé d'in-
térêts importants, déliant, ou tout ou moins prudont,
comme on l'est toujours plus ou moins quand on a beau-
coup venu. Il aime a parler, co qui est bien do son Age,
et il parle surtout do son maître, dont sa ponséo ne se
détache jamais. On est ravi de voir comment le poète
a su faire de lui une figure épique et lui prêter même
une sorte do majosté patriarcale, sans le grandir pour-
tant au delà dos convenances de sa condition. Le
bouvier Philnetios n'apparait pas dans le récit avant le
XX'chant. Son rôle est donc beaucoup moindre que
celui d'Buméo, auquel il rossomble par son dévoue-
ment. H se peint tout entier dans les paroles qu'il
adresse d'ahord à Ulysse sans le connaître (XX, 199-
223). Rien de plus délicatement observé que la manière
dont le souci de son intérêt personnel se mêle sure
niil. de te LUI. Grecque. – T. I. ~3
SSt CHAPITRS VII. L'AWT DANS L'ODTSSÉÏ

gret qu'il a de no pas voir revenir son maître. G'esi


une nature droite ot honnêto, bien qu'un peu vulgaire,
un bon et courageux serviteur, dont le poète n'a pas
voulu faire un héros. Ajoutonsqu'on aimo chez ce»
deux humbios porsonnages la simplicité do la vie an-
tique, une résignation courageuso aux peines néces-
saires, l'acceptation tlu labour quotidion, l'attachement
au foyer. Tout un état social, dont l'histoire no nousdit
rion, revit en eux. G'ost là une cause accessoire d'inté-
rèt, qui ost puissante.
Le groupe des onnomis d'Ulysso est inférieur on va-
leur po6tique à celui de ses amis, Le poète qui a crûû
les citants fondamentaux do la seconde partie do l'O.
dysséen'avait rion de l'osprit d'Archiloque. Il était sana
douto trop bon lui-même pour bion représenter tos mé-
chants. Los prétendants sont dans te poème ce qu'ils
ont dû"être dans la légende, uno foule bruyante, dissi-
péo, insolente parfois, mais ils n'ont pas la rudesso do
mmurs ni la violence d'instincts quo supposo leur rolo.
Quand Horace les qualifie en badinant do nebulotws
il emploie une expression juste, bien que légère. Co
sont on effet de « mauvais sujets » plutôt que des «lé-
chants. Quels sont leurs sentiments à l'égard de Télé-
maquo? Ils veulent le faire périr, sans doute, mais il
n'y a pas uno scène où lour haine s'exprime d'une ma-
nièro qui la ronde effrayante. On la suppose parce
qu'elle est nécessaire, plutôt qu'on ne la sont. Il faut
ajouter que parmi eux il n'en est presque aucun qui ait
une physionomie très distincte. Antinoos et Euryma-
que sont à peu près les seuls qui ne se confondent pas
dans la foule. La scène de l'outrago qui met en lumière
la dureté insolente d'Antinoos ost une des plus fortes
de la seconde partie. Cellede l'épreuve de l'arc les mon-

t. Horace,ÉpUret,1,s, 27.
AMIS KT ENNEMIS D'ULYSSB 365
tre aussi tous doux sous un aspect vivant et intéres-
sant. Il n'en est pas moins vrai qu'il n'y a pas là en
face d'Ulysse un sou! adversaire digne de lui. Le poète
de !a Télémachien'a pas surpassé à cet égard celui de
la seconde partie. Plusiours des discours tenus dans
l'assombléed'Ithaque au deuxième livres sont pleins de
vigueur. Maisc'est l'action surtout qui dans une épopée
doitmettre en reliof les porsonnages prééminents.
Passons rapidement sur le rôle peu étendu dea ser-
viteurs infidèles, Mélantheus et Mélantho. Mélantheua
est lo modèlo dont MélantUo est la copie. La courto
scènedu XVII*livre, où le chovrior insulto son maitre
déguisé, est excellente, mais ce n'est qu'une scène.
Tous les porsonnages dont noua venons de parler
sont aussi près do la réalité que la poésieépique le per-
met. Il n'en est pas tout à fait de même du roi des
Phéacions Alkinoos, non plus que do Nestor et de Mé-
lUilas.
Alkinoos n'est pas, à proprement parler, un person-
nage qui ait un caractère, et il est aisé do comprendre
pour quollos raisons. Les Phéaciens, sur lesquels il rè-
gno, sont un peuple merveilleux en eux se porannni-
fientplus ou moins distinctement quolquos-uns des rê-
vosque les marins grecs d'Ionio emportaient dans leurs
navigations lointaines et quelques-unes des légendes
qu'ils en rapportaient. Opulence et bien-être, joie per-
pétuelle, palais lambrissés d'or, vergers enrichis par un
été sans cesse renaissant, voilà ce que le poète primi-
tif do l'Odyssée a imaginé pour les caractériser. Alki-
noospar suite est moins pour lui un personnage hu.
main, semblable aux autres, que le représentant idéal
doce peuple, tout idéal lui-même. Son seul caractère
doit consister, et consiste en effet, à se montrer fas-
tunux et hospitalier mnnnn un monarque de féerie.
C'ostun roi riche et heureux, exempt de soucis, chez
356 CHAPITRE; VII. – L'ART DANS L'ODYSSÈB

lequel on fait bonne olière, on danse, on écoulo d'excel-


lents aèdes et on raconte ou l'on entend des histoires
merveilleuses. Horace, élève des philosophes ot inter.
prète de leurs jugements, l'on a gourmandé très mal à
propos en s'adressant au jeune Lolltus
Alolnotque
In oute ouranda plus eequooperata juventu*,
Cul pulohrumfuit in médiasdormira dieset
Ad atrepltum ollhurcoeeisaluuiduceroouram.

Uc qui scandalisuit ainsi les moralistes grecs et latins


faisait aucontraire l'admirationdu poèlo primitif coinmo
do ses auditeur8; ot la postérité lour a donné raison nu
point de vue littéraire C'est un excollont décor épi.
que quo cette vio phéacionno, un instant entrevue ut
goùtéo par le malioureux naufragé et Alkinoos resto
pour nous comme environné do l'éclat qui rayonna
dans le pobmo autour do lui.
A coup sûr, Nestor et Ménélas n'étaient pas, pour lus
auditeurs do l'Iliade et de l'Odyssée, dos personnages
d'uno nature aussi idéale. Mais il semble quo l'auteur
do la Tétémachie, quand il voulut les représenter, se
soit souvonu, volontairement ou non, do cette hospita-
lité d'Alkinoos qui hantait les imaginations. Il faut ajou-
ter quo l'Iliade, on popularisant ces héros, leur avait
aussi prêté une grandeur merveilleuse, que l'admiration
populaire augmentait chaque jour. Do là cette repré-
sentation complaisante du luxe et du bonheur glorieux
qui los entourent. Ils apparaissent dans YOdysséecomme
des héros d'un autre âge, témoins des grandes choses
du passé, jouissant en paix de leur gloire, et biensupé-
rieurs à tous les hommes qui vivent auprès d'eux.
LES FEMMES DE L'ODYSSÉE 337

Los femmes do l'Odyssée sont presque aussi nombreu-


sus que collos do 1//<acf< et ai loura rôles sont moins
pathétiquos, la délicate pointuro de lours sentiments
los rond néanmoins fort attachantes
Au premier rang parmi elles, figuro l'énélopo. Dans
t'état actuol du poème, l'éludo générale do co caractère
est rendue un pou difficile par les remaniements qui
l'ont altéré. Pour en reconnaître les traits essentiels, il
faut les cltorcher dans ios scènes primitives do la se-
cundo partie. Los plus caractéristiques sont l'Entrevue
tt Ulysse et de Pénélope, l'Épreuve de l'arc, et la Recon-
naissance des deux époux. Dans l'entrevue, Pénélope,
on face du mondiant inconnu qu'ello interroge, se mon-
tro pleine do prudence et d'Iiubileté son intelligence
iléliéo, qui apparait à la fois dans ses récits et dans sos
quostions,ju8lifio l'épitlièlo d'avisé; qui est comme at-
tachée à son nom, zepiçpwvIluvaXomisc.En mémo temps,
elle plalt par le double ebarmo de la beauté et do la
tristesse. Somblable dans sa démarcho aux déesses
Aphrodito et Artémis, ollo exprime ses regrets ot sa
douleur avec uno dignité simple qui n'ôte rien à la
force de ses sentiments. L'Épreuve de tare nous la fait
voir au milieu des prétendants, imposant le respect
par une sorte de noblesse royale qui est en elle; elle
règne dans le palais, elle y fait reconnaîtro son autorité,
mais elle cède à son fils, dès que celui-ci revendique
son droit. Dans la Reconnaissance. nous retrouvons les
mêmes traits: la prudence y domine, poussée même
jusqu'à une défiance qui semble excessive mais quand
i. Voir,dansl'ouvragedéjàcitéde ûamboalin{Lesfemmes
d'Homère),
les études sur Hélène,Nausicaa,Arété,Euryeléeet Pénélope.
368 CHAPITRE VII. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
cette défianceest dissipée, la tendresse éclate et tous
les sentiments contenus débordent à la fois. Voilà les
traita principaux du caraotère. S'ils ne font pas de Péné.
hpoun personnage égala l'Andromaque de VIliade, ils
lui constituent du moins une nobleet touchante physio-
nomie.
Toutefois il y a, au fond de ce caractère, quelque
chosed'indécis, qui tient en partie à la légende même et
en partie, semble-t-il, à la conception trop peu précise
du poète qui a fait les principaux chants de la continua-
tion. Pourquoi Pénélope n'oppose-t-olie pas aux préten-
dants un rofus absolu? Pourquoi les amuse-t-elle par
dos paroles trompeuses? Que gagno-t-elle à leur laisser
croire qu'elle se décidera plus ou moins prochainement
en faveur de l'un d'entre eux? Redouto-t-olloleur vio.
lence, ou résorve-t-olloi'avenir Onsedemande parfois
si ces deux idées n'ont pas eu chacune leur tour dans
la série des scènes auxquelles elle ost môlée. La pre-
mière a surtout pour elle une sorte de tradition vague
et d'impression générale mal raisonnée au fond, il est
difficilede comprendre en quoi Pénélopo pourrait em-
pirer sa propre situation ou celle de son fils en décla-
rant formellement qu'elle entend rester à jamais fidèle
au souvenir d'Ulysse: ce sont ses propres hésitations,
réelles ou apparentes, qui. donnent une sorte de pré-
texte au séjour persistant des prétendants dans le pa-
lais. Il y a donc là, dansla situation même, quelque chose
d'obscur qui jette une ombre sur son caractère. Il sem-
ble probable que, dans la légende antérieure à l'Odyssée,
Pénélope, au moins à l'origine, devait être partagée en-
tre deux sentiments, le désir de contracter, dans le cas
où Ulysse serait mort, une nouvelle alliance, propre à
lui assurer un protecteur et une maison, et l'espérance
de voir reparaître encore son époux absent et perdu.
Cette donnée expliquait fort bien comment ses délais
LES FEMMESOE L'ODYSSÉE 359
n'étaient jamais des refus. Le poète de la seconde par-
tie do VOdysséel'a trouvée trop bien établio pour la me
difier profondéinout mais, on fait, il a donné aux cho-
ses un tout autre aspect; les calculs do la Pénélope
primitive ont disparu, et sa fidélité a pris un caractère
entièrement désintérossé. La physionomie du person-
nage est devonue ainsi conforme à un idéal nouveau,
qui tendait alors à se former t Toutefois ce qui restait
dans ce râle des données anciennes ot légendaires y a
maintenu au fond une sorte do contradiction, que l'art
du poète dissimule le plus souvent, mais ne supprime
pas.
Les autres personnages de femmes dans l'Odyssée
sont épisodiques. Nous ne dirons qu'un mot de Calypso
et de Circé, qui ont à peine droit de figurer dans ce
groupe, étant immortelles. Calypso,au cinquième livre,
apparaîtplus comme femme que comme déesse; le ca-
ractère est esquissé avec franchise et netteté: il y a
quolques traits de passion fortement indiqués mais ni
la marche de l'action, ni peut-être les habitudes mora-
les du temps n'ont permis au poète de les développer.
Circéest fort inférieure à Calypso il n'y a en elle ni
passion, ni même, à vrai dire, aucune ébauche de ca-
ractère elle est magicienne, et son rôle, par suite, ap-
partient plus à la fantaisie poétique qu'à l'observation
morale.
Arèté, Hélène et Nausicaa nous attirent bien davan-

t. Et ainsi transformée, elle est demeurée pour la postérité ce que


l'Odyssée l'a faite, le type de réponse fidèle consumée par le regret
de son époux absent. Plante, dans son Stichtu, traduisant les Frire»
amis de Ménandre, faisait chanter à Pliilumena, privée, elle aussi,
de son mari Credo ego miseram – fuisse JPenelopam, – soror, sno
ex animo, quae tam diu vidua viro suo caruit. C'était un sou-
venir fidèle des vers admirables de la Nixuta
oiCvpal U ot aiel
vuxter xt xal ^potra SaxpuxtoOor).
<p6(vcvvtv
360 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYSSÉE

tago. Arèté, la femme d'AIkinoos, n'oat guère qu'entre-


vue dans le poème. Il est possible que certaines retou-
ches aient diminué son râle. Toujours est-il que, dans
son développement actuel, il no répond pas complète-
ment aux promesses du poète. Arèté nous est présentée
commo toute-puissante sur l'esprit de son mari et sur
celui des chefs du pouple il semble qu'elle exerce
comme une royauté morale à Skhérie. Nous la voyons,
dans un passage célèbro, assise à son foyer et filant la
laine, tandis quo les convives se livrent dans la mémo
sallo à la joie du festin. G'ost olle qui accueille Ulysse
suppliant et qui l'intorrogc mais son rôle so borne la.
Nous no retenons d'elle qu'une image gracieuse et no.
ble, qui reste dans l'esprit comme un des beaux souve-
nira du poème.
Hélène est uno des meilleures créations do la Télé-
machie. Réconciliée avec son époux, elle a repris sa
place au foyer domestique, sans que les souvenirs du
passé s'élèvent entre elle et Ménélas. Si elle les rappelle
pour s'accuser, il est le premier à rejeter sur les dieux
la faute et à témoignor que tout ressentiment est éteint
en lui. Cotte situation est touchée délicatement par le
poète, avec plus do grâce d'ailleurs que de force ou do
profondeur. Partageant l'existence heureuse et opulente
de Ménélas, Hélène est de moitié dans son hospitalité,
Elle a, comme lui, pour le jeune Télémaque, une bienveil-
lance charmante, qui se distingue de celle de son époux
par une nuance féminine, presque maternelle, fort gra-
cieusement indiquée.
Mais de tous les rôles secondaires de femmes dans
l'Odyssée, il n'en est point qui soit égal en mérite à ce-
lui de la jeune Nausicaa. Un tel personnage ne pouvait
évidemment figurer dans la légende, qui ne s'arrête
point aux scènes puroment épisodiques il nttt d& tout
entier à l'auteur du sixième livre actuel. C'est lui qui
LKS FEMMES
DE l/ODYSSÉE 30t
a conçu co type si élégant de jeune flllo, et qui a su
mêler fort heureusement oa ello, grâoe à l'admirablo
délicatesse do son génie, la linoase do l'osprit, la grâce,
la buulé, la timidité même avec une certaine bardiosse
do race qui la distingue entre ses compagnes. Rien de
plus charmant que l'adrese ai féminine avec laquelle
ello demuudu à son père la permission de sortir en char.
Un aongo lui a donné ie pressentiment de son prochain
mariage; elle veut être prête, et pour cola elle propose
d'aller laver au neuve les pièces do toile qui doivent
servir à confectionner les vêtements de fôlo; mais ci>
motif vrai, elle le dissimule sous une fine invention
eCher père, ne voudrais-tu pas me faire préparer le char
tilevô, aux roues bien construites, aflu que j'aille laver au
lleuveles toiles fines qui ont été laissées de côté? Il faut que
tu ales de beaux vêtements pour tenir ta plaoe au conseil
entre les premiers de ta oito. Et tes cinq OUqui sont là dans
le palais, deux sur le point de se marior, trois encore tous
jeunes, ne veulent-ils pas toujours dos vêtements fralche-
mont blanchis pour aller danser C'est a moi de songer a
tout oela »

Cette dissimulation si naturelle est aussi gracieuse


que délicate. Mais à cette grâce s'ajoute une u'erté har-
die qui est le trait distinctif du personnage. Lorsqu'au
bord du fleuve, Ulysse, sortant du fourré, apparaît tout
à coup, encore couvert de l'écume des flots, les che-
veux en désordre, cachant à peine sous un peu de feuil-
lage ses membres nus et robustes, toutes les jeunes fil-
les, saisies d'effroi, s'enfuient. Nausicaa seule reste et
attend, pleine de courage et de dignité:
« Toutes tremblantes, les jeunes filles avaient fui en tous
sens vers le rivage; seule, la fille d'Alkinoos resta car
Athèué lui avait mis au cœur un courage ferme, et empé-
1. Odyssée.
VI, 57-55.
3«3 U1IAP1TKK Vil. – L'ART DANS L'ODYSSÉE
ohail que la orulntene la lit fuir. Elledemeuradonc,vclltwtt
«au vltage >,»
Athené la traite ioi comme les héros sur le champ de
bataille, puisqu'elle no dédaigne pas de lui inspirer uno
intrépidité extraordinaire. II y a, par suite, de la gran-
dour dans co rôle, si joune d'ailleurs et ai délicat. Il y
on a dans l'attiludo mémo do la jeuno Qlle, debout,
écoutant lo suppliant agenouillé devant elle à distants?,
et bientôt le rassurant par de douces paroles. Maia lu
poète, toujours fidèle à la vérité, so garde bien d't'xa-
gérer cet aspect do son personnage. Quand Ulysse,après
s'etro baigné et couvert d'un vêtement digno do lui, ro
paraît devant son yeux, ellu le contemple avec admi-
ration, assis non loin d'elle au bord de la mer; et se
penchant vers quelques-unes do sos compagnes, ollo
leur dit à voix basse, avec cette naïveté qui est un des
traits les plus charmants de la poésie homérique:
« Écoutez-moi,chères amtes ce n'est pas sans la volonté
desdieux habitantede l'Olympe,que cet étranger est arrivé
chezlea Phéaoiens égaux aux Immortels.Tout à l'heure, Ii
me paraissait laid; mais à présent il ressembleaux dioux,
qui habitentle vaste ciel. Plot aux dteux qu'étant tel il vou-
lût habiter ici pour devenir mon époux et qu'it lui ptat de
se fixeren ce paye »

Impossiblo d'indiquer plus finement cette sorte d'ad-


miration discrète, qui n'est pas encore de l'amour, mais
qui est toute prête à le devenir. Aussi le poète du VIIIe
chant a-t-il été heureusement inspiré, ce me semble,
quand, avant le départ d'Ulysse, il a voulu amener une
dernière fois Nausicaa auprès de lui.
« Elle se tint auprès de la porte de la salle, admirant
1.Odytsie,
VI.ISS-iii.
2. Odgisée. VI, 239-2*5.
LESDIEUX 863
UlyaMqu'elle voyait devant elle, et elle lui adressa«et pa.
roi»»:– Adieu,étranger, et qu'un jour «tantta patrie il ta
«ouvlenned« mol, a qui tu «loi*le prix do ton salut ». »
Dana un râle en somme très roslroint, c'est ft un <a-
facture complot, et la légèreté du dessin n'ampôcho
pas que la phyaionomio no os détache avec des traits
tout personnels, Nauticaaest peul-ôtro, après Pénélope,
cului de tous los porsonnages féminins de YOdysséequi
rassemble le plus, par la valeur moral» ot drumulique,
parl'intensité de la vie, aux personnages d« VIliade,

VI

L'homme, dans YOdysséecomme dans {'Iliade, est


on rapports fréquents, pour no pas diro incessants,
aveclos dieux. Ces dieux sont d'une manière générale
les mêmes dans los deux poèmes; mais cette identité
extériouro et myf wlogique couvre des différences
sonsibles.Benjamin Constant, dans un ouvrage célèbre,
les a signalées avec force, mais non sans quelque
exagération. Nous devons les rolovor ici sommaire-
ment
Tout d'abord les dieux do l'Otlyssée ne sont pas di-
visés les uns contre les autres comme los dieux do
l'Iliade. Poséidon soul, au début, est en dissentiment
avec le reste de l'Olympe au sujet d'Ulysse. Mais ce dis.
sentiment no prend jamais dans le poème la forme
d'une lutte, ni même d'une querelle ouverte. Il est au
contraireatténué partout, ot il disparaît complètement
1.Odyuée, VIII,458-162.
2. Benjamin Constant. De la Beliaion. t. III. Rwgk, 4ttm son Bist.
«e ta tilt, gr., noté ces différence» avec précision. Nous croyons
y ajouter pourtant quelques traits nouveaux.
86* «JtUPITRB VII. – L'ART DANS L'ODYSSÈB

nu iroixièmo livre. « aemblo donc qu'au temps de Ï'O-


<fy.wV, ai la croyanoo commune acceptait encore loi
discorde* des dinux eomm» une chose po**ible, «ur lit
foi do» grand* témuignagos poétiques partout répèléa,
une piété nouvelle ot pîus déHeato, cti détournait du
moins, l'imagination dos poètes. On no niait pus oncuro
eus diacordos, mai» un n'aimait plus à los décrire. Tan-
dit que los auditeurs de YUiwh trouvaient plaisir i\
voir les diaux aux pris»», coux do VQdytsée prôféraioul
sa les rourt^oulor unis, Lu* nfctlos étaient naturnllt>-
tntîtit à cet égard l«» interprètes du «oultmoitt pulilic
Uno remarque très importante à c» point do vuo, «'est
que les prétendants do l'Odyssée n'unt aucun dieu pour
eux. Les divinités môme qui, dans ta première partie du
publias avaient do» griafa contre le héros no prAtont pus
un sont institut luur socourtt a sot ennemis. Lo fait est
d'autant plus digne d'attention que bien des raisons
poétiques militaient on fuvour d'uno conception dilN-
ronto. l/oxomplo do l'Iliade, qui tire on purtio son puis.
Haut intérêt Jrur 'nUquc du couflit dos dioux, devait en-
gager des poètes nouveaux & fairo usage des munie*
di-
moyons; olon ne peut nier que l'intervontion d'une
vinité en faveur des prétendants aurait pormis & un
grand poèto d'introduire dans les chants de la seconde
partie uno variété qui y fait défaut. Si donc ce moyen
facile et opportun a été laissi de côté, ce no peut être
d'ci.
par un olfot du hasard. Doux conjectures s'offront
les-mêmes. Ou bien l'on n'a pas voulu montrer les dieux
en lutto los uns contre les autres, et un tel scrupule
est un indice remarquable de la force nouvelle que
commençait à prendre l'idée do l'unité divine. Ou bien
il a paru peu convenable d'accorder la protection
spécialod'uno divinité à des hommes viotents et rajustes;
mais ce second sentiment n'est p*» moina nouveau que
le précédent, auquel d'ailleurs il se rattache intinie-
LESDIEUX 365
mioiU.l.'Itùidt n'a point do tels ménagement». Il y a dea
dieux pour protégar Pari», le ravUsour d'Ilélouo il y
eu n môme pour seconder Pandaros, quand il viole
tiuvortomont la fui juréo. Si donc la morale, dans l'eu*
Hùiiibtodol'<i</y«t^,atentd'iiilUionco sur lu ctmeeplioli
du râla des dieux qu'elle prévaut manie eontru des rai-
nons d'art ut du poésie, c'est là uno uliuao tuut à fait
curncléristu|iio, qui d/uiuto certuineutoiU un progrès do»
iiltnis ontro lo» doux puèmus,
A eus rumarques générait», oupourrait ujoulur liouu»
i.iupd'olunrvAli.Hi» dnd«U»il qui «ppitrlieiuiont plutôt
2ila inytlinlogio qu'a l'Iiistuiru littéraire. Il siiflirfl do
signalor ici d'un mot lo« principales. iris porto les
niessttgos do Zous dans l'Iliade; c'est lionnes qui rom-
(ilit lo mômo uflico dans VOdyim'e. (.«* idôos rolativ»1»
nu Hûjiiur des inirts aomhlont beauctiup plu» pnkiâoa
iIiiiih le second poème que (Ihiih lo promicr. I<ohiiiani*
ftwtntit>ns de» dieux ntles-môinos y sont ditrérnntos.
Iliade montro volontiors lour puissance mm un»
forma plus sonsiblo et par conséquent plus innlériollo.
Xons y voyons Apollon descendant ta grands pus «lo
le
l'Olympo et semblable à la nuit; nous entendons
Itrtiildo Bon curquois; Aria estun guerrier gigantes-
dont lu cri ost «gui & celui do plusioui-s milliers
(|iiu,
«riio.iunes; Itéré terrifie aussi sesennomis par la puis-
mincedo sa voix; Poséidon parcourt ios mors sur un
char magnifique, suivi de tout un cortège monstrueux
et fantastiquo. Cette façon de réaliser en quelque sorte
la puissance des dieux, do la mesurer aux sons de
t hommeet de la lui faire voir ou entendre, est fami-
libreaux poètes do YIliade; elle s'offre d'elle-même à
leur imagination. Si au contraire elle apparait çà et là
dans l'Odyssée, c'ost à l'état do souvenir, dans des des-
eriptions traditionnelles ou dans des passages imités,
mais elle ne s'y rajeunit plus dans des créations nou-
806 CHAP1TRKVil, – L'A1\T DANSL'ODYSSÉE
vullua, parce qu'elle a cessé de répondre au aentiment
public. D'un poème à l'autre, l'intorvalt» s'est fait plusIl
grand entre le ciel et la terre.
Le rôle d' Athènéest particulièrement à considérer
dans l'OJgisét. Nous ne voyons pas dans VItiadt une
divinité liée avec un mortel par uno sympathie aussi
iiitolligonto. En général les dieux do l Iliadene ron-
dont pas raison de Jeurl favours ou do leurs préféren-
ces un sent qu'elles sa fondent aur des traditions ou
des légundes que le poète accopte, sans chercher autre-
ment à «'on rendre compte. Hère aat la déesse d'Argus,
Apollon ost le dieu de Pcrgamo; ils pronnont parti cliu-
oun pour leur villo. L'AUtènédo l'Odysséeest tout autre.
Entre Ulysseet elle, il y a sympathio de nature, et leur
amitié est faito d'intolligonco. C'est une déesso d'esprit
(lui aime un homme d'esprit. La scène du treizième livre
où la dooasoet lo mortol s'onlrotiennont familièrement
ensemble, ot où Athèné jouit des invontions importur.
bablos do son protégé, est tout h fait nouvelle dans la
poésio grecque. Iliadeno nous offre rion do sombla-
hle. On y sent uno religion qui s'épuro. La puissance
divine s'y allie par un instinct nouveau à l'intelligence
humaine, olle se donnn à elle commeà l'objet naturel
do sa préférence. Philosophie encore inconsciente, dont
l'inslinct poétique est te révélateur.
blais, choso remarquable, lo rôle de la déesse n'ost
pas en rapport, dans lo développement du récit, avec
l'idée de cette alliance. Athèné, qui s'est faite l'amie
di-
d'Ulysse, n'agit pas pour lo secourir d'une manière
d'elle. Son intervention ost rare et faible. Elle
gne
I*é-
chango at rechange sos traits extérieurs, elle vient
clairei lorsqu'il transporte lesarmes, elle apparaît enfin
un instant sous la figure do Mentor pondant le massa-
crôdôs prétendants. Quels que soieoi les autours des
morceaux auxquels nous faisons allusion, aucun d'eux
LA LAN0US DK L'ODYSSÉE 3fl?

n'a pu imaginer une scène oùle rôlo do la déesso eût la


grandeur que nous attendions, Était «ce seulement in-
suflUanoede leur part ? ou plutôt ne aubissaiont-ils pas
là l'effetnécessaire du changement des idées ? Athèné,
devenant pou à pou lu représentation divine do l'intol-
ligence, n'était pins proproacombattre parmi les hom-
mes. Elle avait cesséd'dtre la robuste déesse qui faisait
criar sous son poids l'essieu du char do Diomèdo.Sa
puissance était désormais tout intérieure elle habitait
tluns l'esprit d'Ulystto, et si elle figurait encore dans
reposée, ce n'était plus quo grAoe à uno convention,
celle du merveilleux traditionnel.

VU

il nous reste, pour terminer cette étude, a dire quel-


ques mots do la langue do l'Odyssée Ici encore nous
devons commencer par reconnaître quo les ressemblan-
tes avec YIliade sont des plus frappantes. C'ost lo ma me
vocabulaire, à pou do chose près, do part et d'autre;
ce sont les mêmes flexions, la même syntaxe. Certai-
nes formes de conjugaison, qui plus lard furent d'un
emploi assez commun, manquent également aux doux
pnùmes homériques Dans l'ensomble, it ost incon-
testable que les chants de l'Odyssée et ceux do l'Iliade
appartiennent à une même période do l'histoire de la
langue grecque.
Mais une langue vivante n'est jamais immuable. Si
donc les chants de l'Odyssée, d'une manière générale,

1.Voir les lexique»et ouvragesspéciauxcités plus haut (p. 100


et 241).
2. Par exemplelefutur passifen 8r,«oiiai,
l'optatifdufutur actif,le
fiàiTsi!aspiré.Curitus,dos Verbum,t. I, p. 8.
868 CHAPITRE VII. L'ART DANS L'ODYSSÉB

sont plus récents que ceux do l'Iliade, il est impossi-


ble qu'il n'y ait pas entre tes uns et los uutres quelques
différences d'élooutîon. Et il semble mémo qua I» con-
naissance do l'évolution ordinaire des langagos hu
mains nous perniHle de diro d'avance en t|uui eih's
doivent consister essentiellement. On doit voir tomber
en désuétude iluns l'Odyssée certaine* formes eucuru
florissantes dans l'Iliade, et d'autre part ou duit y as-
sister à la naissance du mots nouveaux, particulièrement
do mots abstraits. C'est on effet ce qui a lieu.
h' Iliade contiont un certain nombre de formules qui
romontaient évidemment à un temps plus uncien. Tellu
est par exemple ta qualification do « bou et granit »
(r.'J; « ^Y*« *•)» appliquée & plusieurs héros. On a re-
mnrquo qu'elle revenait vingt-cinq fois dans l'Iliade,
et trois fois seulement dans l'Odyssée •. Le fuit est d'au-
tant plus remarquante qu'évidemment l'autorité tlo
Iliade dovait avoir pour effet naturel de faire ilurtir
do tottos manières de parlor. Le rare emploi qu'un fuit
l'Odysmfeprouve que celle autorité ne suflisuit pasft réu-
condamne à l'ou-
gir contre le mouvement naturel qui
bli les vieilles choses.
Les noms abstraits donnent lieu à des observations
bien plus significatives encore. La langue homérique
ne comprend qu'un nombre minime do substantifs ser-
vant à exprimer des états ou des qualités. On peut s'on
rendre compte en parcourant un lexique spécial de
cette langue et en romarqnant combien il est rare d'y
trouver &côté de l'adjectif lo substantif dérivé. Toute-
fois l'Iliade est bien plus pauvre à cet égard que l'O-
corn-
dyssée. Sans vouloir dresser ici une statistique
plèto, nous croyons utile do donner po irtnut quelquesà
indications précises. Los terminaisons qui servent

dansla revued'A.Kuhn,XXVII,2, p M-
1. Artide deH. CoUHz
LA LANQUB DE L'ODYSSÉE 360

former lo plus grand nombre de substantifs abstraits


iltms la langue honuMquo sont les trois suivantes
fn, aÙYi\,et tv;, H est curieux decotnparvr dans Wdeux
fiuèmus eu qu'on pourrait uppetor lu fécondité relative
ilo ces trois formations.
l,u terminaison iûv» est représentée dans la langue
homérique par vingt-six mois; sur co numbre, il y eu
n su" qui appurlioiuicnt eu propre à VIliade, et QHHtarsr
qui no figurent que dans VOtlyssfo.
X lu tériiiinuisuu fa se rapportent soîautte-dh tnut*
dt>la langue liontériquo; ilix-wjit mnl «'aininium aux
douxpubines vinyt-tm ne se truuvonlquo dans l'Ilùule,
Imite-deux dans ['Odyssée soulomeiil.
Knfinla terniinaisun ta; est représentée pur diir~$e/)t
mots; sur lesquels, trois sont communs aux doux poô-
mes, cinq propres à l'Iliade, ut neuf h i'Odyssêe «.
il résulte de ces indications que, pour chacune de
cen trois terminaisons, mtti soiilenient lo nombre dos
mots employés dans l'Odysst'e est notablement supii-
rieur à colui qui ligure dans VIliade, mais, de plus, quo
l'on voit, pour ainsi dire, se dévolopper dans XOdyssée,
pur une extension naturelle duc à l'analogie, des pro-
cédés du formation qui ne font encore qu'apparaître
dans 1*Iliade.Ces faits sont d'autant plus remarquables
que certainement les poètes de {'Odyssée s'appliquaient
à imiter la langue de l'Iliade et qu'ils se défendaient
par tradition des expressions trop nouvelles du langage
courant. C'était donc malgré oux, par la force naturollo
des choses, que l'abstraction entrait peu à peu dans la
langue poétique.
Mais cette observation s'impose bien plus fortement

1. Il y doncen somme81mots abstraiteen h,, oûvr)et tO«dans le


Inique de VOdyutepour58dans celui del'Iliade.La proportionest
a peuprés cellede 7 à 5. Il est impossibleévidemment
d'expliquer
celapar le hasard,ni mêmepar la différencedes sujets traités.
HisLit U Utt. Oncqo*. – T. I. 24
370 QHAP1THBVil. – L'ART DANSL'OÏ»YS8ÉE
encore, si, an lieu do st> contenter d'uno simple statis-
un examine do près l'histoire do quoique» mut*.
tiquo,
Voici pur exemple le terme vérité (dXufebt). Noua ne le
rencontrons que doux fuis dans Iliade, et encore dans
les doux derniers livru» (XXIII, v. SOI, et XXIV, v. 407),
au milii'U do développements quo, pour d'autres rai.
nons, nous «vous dû attribuer aux derniers temps do
lu forniulion du poème. On peut donc dire, sans exa-
gération, que go mot n'appartient pus à la languo de
VUitule. Or il ligure sept fois dans l'Odyssée. La dilfôrenee
ost frappanto, surtout pour un terme qui. en rainait du
m signification mémo, a dû être appelé à un emploi fré-
queut. dès qu'il a été on usage «. l/adjoctif bienfaisant
est entièrement inconnu h ['Iliade il se trouve
(«ùifyo;)
trois fui» dans l'Odyssée, et il y dnnno naissance au
substantif nouveau (évadant). Ve mot
bienfaisance
n'est pas dans l'Iliade nous lo trou-
r'j9p07iiv») (joie)
vons cinq fois dans l'Odyttt'e. N'ost-il pas évident t\vo
du tollos comparaisons, faciles A multiplier, nous fout
saisir sur le fait, sinon la naissance do nouvelles idttas
moralos, du moisis une transformation décisive qui Iok
faisait alors passer dans le domaino public *?
On peut donc diro en somme quo la langue de l'O-
est plus abstraite que celle de l'IHade ot qu'olle
dyssée

1. Il faut remarqua en outre qu'il sert plusieurs fois dans VOâyisie


a opposer la réaliti 4 la fiction. Cette opposition devenait «ans doute
alors plus nette. plus courante. Cela seul dénote un grand progrès
de l'esprit critique, c'est-à-dire du jugement.
S. En outre, VOdijuie admet'des mota que VIliade évitait «ans doute
d'employer commetrop nouveauxou trop populaires, par exemplelemot
ç\.T»j.qui est toujours remplace dans VIliade par fit* ou «Mo; (?<&c
no Ognreqne dans la Dolonie, oft il revient trot» fois). K«*tt«uo<,inconnu
à l'Iliade, se trouve six fois dans VOdyuée. La location otpniu; x«-
«XtÇov ne figure dans l'Iliade que par nn passage de la Dolonie et
par on autre da 81*chant, c'est-à-dire dans des morceau d'origine
récente; elle est,d'un emploi courant dans VUdytUe, oit elle revint
Jusqu'à t3 fois.
LA LANGUE DE L'QDYSSÉE 371

dispose d'un plus grand nombre do termes pour expri.


Kior los choses créées par l'esprit. II n'est poraonno qui
no comprenne immédiatement quello est la valeur d'un
toi indice, suit pour ta nxation de l'Age des doux poèmes,
suit pour les questions relatives à leur origine ».

1. L'itude de U métrique conduit d'an» minière aussi évidente «ix


m.!uiai eonolualoni. N'eat-ee pu un Mument ilécUir par exemple
<lti.ideoonitalerqtt« Ueoupi «ppel** htpti féminin par les tnétricien»
«Mdent Vttiatte oelle d'un vers mr o«nt, Undii qu'elle n'eil plus iUdi
VOdysaft que «elle d'un vers tar deux centif Voir L. Havel, t'omi
éltmeitlairt dt mitriquê, p. 18; parle, 1893,
CHAPITRE VIU

UOMKlltO ET LES HOMKIUDËS

BOUIOIRE.
I. Les biographies d'Homère. Il. L'histoire probable l'élément
ôolion et rétament ionien. Les Homérides de Chios. – III. Diffu-
sion de la poésie homérique. Les aèdes. Voyages des Homirides.
Les Créophyliens de Samos. IV. Les rhapsodes. Accueil fait
aux poésies homériques dans diverses cités. Lycurgue, Solon, Pi
sistrate. V. De la chronologie homérique.

en elle-môme,
Après avoir étudié la poésie homérique
il nous reste à rattacher autant que possible l'histoire
de son développement à des lieux et à des temps déter-
minés t.
S'il était prouvé historiquement qu'il y a eu un grand

1. On trouvera un utile résumé de ces questions, avec les textes


principaux et beaucoup d'indications bibliographiques, dans les deux
Dissertations homériques de Sengebusch, déjà citées plus haut. Rap-
pelons qu'elles se trouvent en téta de l'Iliade et de l'Odyssée de G. Din-
dort dans la Bibliothèque des auteurs grecs et latins de Teubner. La
première se rapporte spécialement aux écrits des anciens sur Ho-
mère, la seconde aux questions homériques elles-mêmes. Voir aussi
Nitzsch, Meletematum de hUloria Uomeri, ia.ee. II, pars altera (Ses
tentiae velerum de Homeri patria et aetale aeeuratius digermtur) Kiel,
1834.
LES BIOGRAPHIES D'HOMÈRE 373

poète nommé Homère, nous devrions, d'après nos pré-


cédontes conclusions, essayer de déterminer à présent
quelle a été sa véritable part dans la formation soit de
l'Iliade, soit do YOdyssée, soit do l'un et do l'autre poème,
ot il est clair que la solution de ce problème résulterait
assez naturellement de ce qui a été dit jusqu'ici. Mais
il s'en faut de beaucoup qu'il en soit ainsi. Les traditions
anciennes relatives à Homèro présentent en grande
partie le caractère do fables, et ce qu'elles renferment
do vérité historique semble s'appliquer bien moins à un
homme qu'à une succession de poètes. Nousdevons tout
d'abord les faire connaltre sommairement, et nous es-
saierons ensuite d'y démêler, à travers la légende, ce
qui peut appartenir à l'histoire.
Il nous reste huit biographies ou notices anciennes
ayant Homère pour objet t. Il y a quelque intérêt à
analyser, comme un spécimen du genre, la plus consi-
dérable, – celle qui porto, bien à tort, le nom d'Héro-
dote.
C'est une sorte de roman biographique, qui n'est pas
absolument dénué de mérite. Au moment de la fonda-
tion do Kymé en Éolide, nous dit l'auteur, il se fit là un
grand rassemblement de Grecs d'origines diverses
parmi eux était un pauvre Magnésion, Mélanopos, fils
d'Ithagène, fils de Kréthon; il épousa à Kymé la fille
d'Omyrès; de ce mariage naquit Kréthéis, qui devait être
la mèro du poète. Voilà donc les ancêtres d'Homère dé-
terminés ce sont des Ioniens d'un côté et des Éoliens
de l'autre. Mélanopos, en mourant, confie sa fille déjà
grande à son ami Kléanax d'Argos. Bientôt Kréthéis de-
vient enceinte du fait d'un inconnu. Kléanax, ne pou-

1. Westermann,Vitarumscriptores,I-V1II,Brunswiek,1845.La
secondebiographie,celledu Pseudo-Plutarque.n'est reproduite
qu'in-
complètement dans cettecollection.– Consultersurtoutesces bio-
graphiesla premièredissertationdeJSengebusch, p. 1-13.
874 CHAP. VIII. – HOMÈRE ET LES JIOMÉR1DES

vant la garder chez lui, l'envoie alors dans la ville


nouvelle de Smyrno, chez son ami le béotien lsmônias*.
C'est à Smyrne, sur les bords du fleuve Môles, que naît
l'enfantde Kréthéis, ot, en souvenir do cette circonstance,
il est appelé Mèlésigène, Ainsi le père reste ignoré, l'au-
tour ne connait que la mère ot le lieu de naissance. Quant
à l'onfant, sa vio commence d'une manièro heureuse. Il
est recueilli avec sa mèro, à Smyrne même, par le mai-
tre d'écolo Phémios; dovonu bientôt après l'époux de
Kréthéis, Phémios fait l'éducation do Mélésigèno. Celui-
ci montro dbs son enfance do merveilleuses aptitudes.
Arrivé à l'Age d'homme, il voit mourir son second père
et sa mère Kréthéis, mais il recueille leur héritage, et
continue ù Smyrne avec un grand succès la profession
do Phémios. La réputation de son école attire vers lui les
étrangers qui venaient commercer on Ionie. Parmi eux,
so trouve un marchand de Loucade, Montes, hommo in-
telligent et instruit, qui se lie avec lo jeune mattro, le
décide à quitter son école et sa ville natale pour voyager
et s'instruire on observant.
Représentons-nous donc Mèlésigène parcourant le
monde, comme Ulysse, sur le vaisseau de Mentes; sa
vive curiosité s'intéressait à tout, il questionnait tout le
;0
monde, et sans doute môme, nous dit gravement l'au-
teur, « il prenait des notes sur ce qu'il voyait ». » En re.
venant de Tyrrhénie et d' Ibérie, les voyageurs relâchent
à Ithaque. Mèlésigène y est-atteint d'une affection do la ï
vue, qui oblige Mentes, partant pour Loucade, à le lais- s
ser là, confié aux soins de son ami Mentor. C'est pendant
ce séjour à Ithaque, dans la maison hospitalière de l'hon-
1.Lesoucidela vraisemblancese fait sentir jusquedans ceston-
taisies lamentasestessentiellementun nomthébain; Klèanaxcon-
Tientbien ta glorieuseArgos.
2.g6 Elxà;«4tuv$v%»\pnuniiowia Il nousa prô- i;
itivrav-jpiçeotou.
eedemmentavertis que probablementil songeait déjà à s'adonner
&la poésie laat ykpx«\t$ notr,«itfa TfSt'inevir.
tarf^ototen.
LES BIOGRAPHIES D'HOMÈIIE 375

note Mentor, que Mélésigène recueille les traditions re-


latives à Ulysse.Bientôt Montés revient, reprend son ami
plus ou moins guéri, et leurs voyages recommencent,
jusqu'au jour où, à Colophon, le pauvre Mélésigène de-
vient complètement aveugle. Il retourne à Smyrne, et
c'est alors qu'il débute comme poète.
La aussi commencent ses malheurs. Réduit à la mi-
sère par suite de son infirmité, il mène désormais une
vie errante. Nous lo suivons d'abord à Néontichos, où
il est accueilli par le bon Tychios, ouvrier en cuir, qui
devait un jour figuror dans l'Iliade comme fabricant
du bouclier d'Ajax. Il récite là, pour gagner son pain,
la Thébaïde et les Hymnes; l'autour dit avoir vu en-
core la place où il s'assoyait; un peuplier noir y avait
poussé depuis lors. Do Néontiehos, Mélésigène revient
à Kymé, patrio do sa mère, et dans cette ville, comme
à Néontichos, il charme ses auditeurs par ses poésies
ot ses entretiens; on s'assemblait autour de lui dans
les « leschés des vieillards »; encouragé par ses admi- ·
ratours, il ose demander au sénat de la ville do lui as-
surer l'hospitalité au nom do l'État, promettant de
payer en gloire ce qu'on forait pour lui. Mais les séna-
teurs de Kymé n'étaient ni intelligents ni généreux.
Un d'entre eux fit valoir que, si l'on recueillait ainsi
tous les aveugles (ôpjpou;) 1, les caisses publiques se-
raient bientôt vides. Mélésigène ne gagna donc à sa
démarche que le nom d'avougle ("OjAiipoç),qui lui resta
désormais. Devenu ainsi Homère, il s'éloigne de Kymé,
après avoir exhalé sa douleur et son indignation dans
des vers qui nous sont rapportés, et il se rend à Pho-
cée. Là, mômes récitations dans les loschés. Son succès

i. L'auteurnousassure que les gens de Kyméappelaientainsiles


aveogies.Ce témoignage,confirmépur la secondebiographiequi est
attribuéeà Plutarque et par cettede Proclos,n'en reste pas moins
fortsuspect.
37G QIUP. VIII. – HOMÈRE KT UKS 1IOMÉIUDES

inspire au maître d'duul» Theatoridès l'idéo d'un mur-


ehé singulier. Il proposu au poète de tu nourrir, à con-
dition que celui-ci lui permullrii do s'nttribiior ses poo-
sies. Homère accepte, et compare puur lui lu Petite
Iliade et la Phaciïdr. Avec ce bagage poétique, 't'hos-
toridès abandonne Wioeéo et va s'établira Chios, pun-
sant avec raison qu'il se forait plus aisément passer
pour puote devant des auditeur* qui ne 10coiumil raient
pas. li réussit on âlfut, et bientôt lo bruit do sos succès
pousso Huiuôro a quitter l'huuôe pour aller à Ohius dé-
masquer l'imposteur. Il se rend dans celte iiilenlion à
Krytliréos, y truuve dos pécheurs qui refusent d'abord
de lo transporter, mais qui, bientôt, rejetas à la côte par
10vent et les flots, sont forcés do coder à ses prière».
Ils le pronnont avec eux et le déposent ..ur le rivage
de Chios, près do Bolissos.
Accueilli par le pauvre chovrier Glaucos, Homère lo
charme par ses récits. Glaucos lo conduit à Bolissos et
l'introduit auprès do son maître, qui confie ait poète
errant l'éducation do ses enfants. Uomôro compose pour
eux la Batrachomyomachie et d'autres poésies du même
genre, qui le font bientôt connaître jusque dans la villo
roêmedeCbios. Tliestoridès offrayé s'enfuit; et Homère
vient alors s'établir comme maître d'école à Chios, où
11amasse quelque fortune, se marie, et devient père
de deux filles. C'est là qu'il compose YIliade et l'Odyssée,
où il fait figurer par reconnaissance sosanciensamis Men-
tes. Mentor, Tychios. Sa renommée se répand dans toute
la Grèce; pour en jouir, il forme le projet de se rendre soit
à Athènes, soit à Argos. Il se met en mer et débarque
d'abord à Samos; une prétresse l'écarté d'un sacrifico,
et il la maudit; au contraire, une phratrio l'admet à son
banquet de fête, et il la récompense par des éloges gra-
1. On remarqueraque ce matlred'êcoleporte le nompatronymi-
que de Calchas(«., 1,89).
LES BIOOIUPHIES D'HOMÈRE S7Î
meus. C'«sl là aussi qu'il composa pour dos potiers lo
K««;mvo;, «t qu'au retour du printemps,
«ctcuiipugiià
d'une troupe d'unfuiiU, il va chanter do porte ou porte.
•lovant loa maisons des riches, l'B'pi'nuivr,. II h'emliar-
t|tio cependant pour Athènes. Un malaise le force ù ro-
lAehor dans lïl» d'fos, on «leseufunts lui proposant uno
ûiiigmo qu'il na pout résoudre, Sa inuliulio H'uggravo,
ut il mourt à los. Un tmttboau ltsi est 61#~véat<rt<' nv')gM
pur ses t;oiii|tagnons do vaisseau «I son cf>uijfitriotos.
l.'nutour acheva son récit en démontrant à m fa«un
i|ii'tfumèru était l'^iliin vi non louion, et qu'il naquit
six cont vingt-doux ans avant J'ox|)6ililion dit Xorxè*
(on 1102 av. J.-C. par conséquent).
Il est bien superflu, après cette nimlyao, do dAm»n>
tror quo ce coato n'oat pas d'IWrodoto, malgré l'«n-
nonce du début «. Non seulement l'autour n'ost pas
«l'accord avec lo grand historien sur la chronologie ho-
mériquo ni sur l'origine dos poàuios du cycle, (mais,
co qui est bien plus grave, il n'y a rien do commun on.
tre la bonne foi simple do l'un ot tes combinaisons in-
dustrieuses au moyen dosquelles l'uutro disf'.nulo
son ignorance des faits réels. Son roman est visiblement
composé de trois éléments, qui sont quelques tradi-
tions localos de Kymé, do Phocée, de Smyrno, do Neon-
tichos, de Chios, de Colophon quelques poésios ancien-
nes d'origines diverses, épigratnmos, fragments
épiques,
inscriptions, oracles, chants populaires, énigmes, qu'il
s'arrango pour introduire dans son récit; enfin ses in-
ventions porsonnelles, empruntées soit à des réminis.
ceheos des poèmes homériques, soit à une vraisem-
blance générale qu'il apprécie à sa manière.
Voilà donc comment on traitait' l'histoire d'Homère
en un temps qui ne dovait pas être éloigné du siècle
t. 'Hp«8oToe 'AX<xa?v<«r<nù;»npl"O|in?ouytvimo;«al x«t
»,t rxtt irtipriM,tr,xi,aa(ixtUMtt*el«tb ârptsinarov. Vtxlnc fl w-
378 Q1IAP. VIII. – ItOMfcltK KT LK8 1IOMÈR1DKS

«l«s Anloniu» Lo «redit obtenu |»nr un toi récit, <|iti


a'o»t Iraiisiuia juaqu'à noua à travera les éoolea by tau-
linoa, munlro aasoi combien l'on Ainil dépourvu «lu
ruiisoigiiumonlii autlionliquust. U'ohI cp quu eoullriiKiiil
il'uillours loa uutrott notant» », On s'ucotirdait à |»ou prôa,

t. La date de cette prétendu* biographie ««t Incertain», et «lia « é(A


fort «liecnlfa; V6y*l S»ngebu«cli, Uomeiica tlhierf, prior, p. I el auiy.
It m» MmUl*qu'on y •*>t»tIn manier* <!•«><•liUtirlont •ophidttttqnl
tmlUlenl lUro lolael .lonl l.ueion »"mt mcmué, U'aillaur* t'*eo!» U'Ilo
roèi» i Smyrna y tt\ iviiiaimntnl 001141111 &pou de chose prA«, «omm*
rnNi/.7<.iiyd'au iirufùuour if ilûquanco, Lenteur se nprAtnnlo te vieux
poi'lo coinmo Polèmon, at tan peraonnaga renewl>l« à ceux qui fluu-
ront UuttHlo» l'fr* a« t'biloatrale.
S. Noua avons aoua le nom da l'Iutnrqun une aort< <t«traité en J»mi
livre*, Intitulé Ci* «I |iwiii* ailomht (lltoi i«0 [litu x«l «^ ««tf,«(u;
'«)(«r,pov,l'Iulurchi vnjralid, M, Diilot, t. III, p. IU0). (!a« doux livr.i»
eoitnlltuant en riSutlti deux uuvrtiKe» «lifT.iiunls. l.o |irittnl«t- tout «ut
biutiraplilque. I/nultiur y .«piu>rl» U'une p:ut la («' mol^natiad'Çpliora
lur la naltaanco d'Ilomire, d« l'aulra celui d'Arlnlolo. Celui d'Èphon
s'anoor.lc A peu |ni>H «vec le récit analyxi plua haul. aauf quelque»
détallt Muna importance. et une par«nl< rubulsuto aveo IKalodo, Imt-
Kluùo par l'Iilatorien pour hunorar sa pnlrin. Quant au récit ImputiS
ta Ariululc, c'ost un» pure légende; llumiio y «si reprùavotA comme
Ala d'un tmlyrt ou du <|neli|uo aulro divinité champâlro sa mère OU
IhAia épnuso Méon, roi de Lydie, etc. 11 eut évident quo si ces fa-
ble» figuraient râellumont dana tu IroiaUtme livre du IUp\ ntintfiv d'A-
riatote, comme l'affirme l'auteur. elles y étaient nipportôe» comme
tables par le philosophe, qui ne gardait bien d6 les prendre Ason
compte. Le second livre du traite de Plutttrque est une inlrodurtioo
grammaticale. littéraire. philosophique, religieuse. médicale. astro-
nomique, etc.. la lecture de l'Iliade et de VOdyuie. II n'est pas im-
posai Wjque ce curieux recueil soit une couvre de la jonnoase de l'iu-
tarque, propre ù donner une idée de lu façon dont on commentait
alors la poésie épique ancienne dans les ècoles.
Une aulre notice se trouve mêlée an récit anonyme intitulé Homère
et Hésiode, leur origine el leur concours (H;pl toû 'O|ir,pou x«l 'Hiwtcu
fivou; x«l toO iï<ivo; «itûv, dan« les Vitarum teriplore* de Weslor-
mann. n* 8, et daim l'Hésiode de Gœllling). Cela ressemble bcaneonp
comme genre aux inventions du faux Hérodote. C'est l'œuvre d'an
lettré du second aiécle, qui écrivait, sentble-t-il, peu après la mort de
IVuapwaur Adrien /|3>. Ou y trouve dea détails précis sur quelques
poèmes perdue du cycle, et, en outre, d'autres poésies qui semblent
anciennes et que l'auteur a mises a profit comme documents. (Voir
sur cet fierit MarckschefTel, Hetiodi fragmenta, p. 33- t2.)
L'HISTOIRE J'HOBAHLK 379
il mi vrai, à rapréwntur lu vieux poète comme avou-
glo et «rraitt. Mai*eo allaient pas là de» trait*: vrai.
ment individuels. Il* fuUuiunl partie du type môme de
l'aède car Jus poète» chanteur* utlaient do ville on
villa, ut la poésie était purfoi* une rosguurcu pour
«nix quo Ih céeitô privuit d'uutiL's iimyi'iis d'oxiskuicp.
.Nous voyous flgurur dam \'()dy$sée lufede
uvouglo tlè*
iiiodiKo», otu» puDHiigodu 17/i<n/eeit6 pféc^tbinmont
(p. 70) iium* ravititto ciHiiiiinnt \v* Miwt's privMmt d«
lu vuo tu puât» Tliatnyris; vnliii l'uèdo do
l'%ww »>
Aputfan Détien m douta aussi puur avouglt». K» rÀaiitâ
donc, lorsque l'antiquiU') prétuud nous raconter l'hifitoiro
(t'IIoiiiîsre, elle compose lu romutido l'ufcdo ionien muis
«H«10 composo dans l'intontion nianif(t.sto do concilier
don tradition* divergentes en accordont
quoique c|«wo
à olmeuno delloH, et par cotisw|uout
d'après cerltiines
données réolloHquo,nmiadevouH niaiiiteiiunt nous
appli-
«|u«r « dàgngor.

II
Nous avons vu quoi' Iliade et YQdi/ssée reposaient sur
une légende dont l'origine éolienuo ne saurait étro
mise on doute. L'Iliade on particulier unit les traditions
achéonnesd'Argosàcollosdo la Phthiotide thessalienne.
Elleest donc comme la poésie naturelle do ces Aclicons
'lui so sont réunis pour fonder les colonies éoliennes
d'Asie Mineure >.
Si nous chorchons, parmi les légendes
biographiques
dont il vient d'êtro question, ce qui est en accord avec
». Signatonasimplement,à titre de curiosité, l'opinion de B.
Thiarschqui fait d'Homèreun Une d'Europe.antérieur au retour
*» Héraelides Jahvhacherfur elass.Philologie.
1.1 (1826),p. 433-I68,
et (/~<-fefa~
2eilallerrrud Valerlauddes Hon:Er,Halberstadt,1826et
18liî.
380 U1IAP. VIII. – 1IOMÉHK ET LES HOMÈRIDES

cett« dunnéo capitak, nous romnrquona immédiate-


mont quo les plu» miUirisôo» rapportent I» naissance ou
l'origine d'tluurëro a deux 'villes éulicnnoa «l'Asie, Kym£
etSmyrnu*, Toutefois vos doux ville» n'tint pas des litres
égaux. Kymt»miux osl représeutûo tuunino la patrie du
KrtHhôia, mèro «lu poMo;«'est à cette vîllo que Bovntlu-
ohe 84 mulornilt'»; tuais fV*l &Hiiiyriu>>«ubord du Ilonvo
M»HtNa, qu'oll» dtmno lu jour à son enfant, d'abord appelé
MéléHigèno. Huu-ôo uiilia et Nôontifluw, autres villes
«'uiHonnPs,n«ius sont citées coimiio des lieux où il aurait
séjourné. D'uutro part, taraquo lluinèr» est dovonu
homme, lorsque* déjà la gloiro liai somltlo assurée, Kyim'i
lo ropousao, et il tbandonno Smyrno do lui-mémo pour
aller s'établir dans l'ilo ianionno tle Ohios. Il n'ont pns
douteux que nous n'ayons là du précieux indices pour
l'ttistairovraio do la poésio homérique. Kymépoutétro
considéréo avec vrnisomlilance comme lo premier foyor
de la poésie héroïque dan» la Grèce d'Asie; c'est là sans
doute que, dans l'Age iininédiatemont antérieur à l'lliade,
les premiers chants épiques rolatifs à la guerre de
Troie, au roi do Mycones Agamemnon,au héros achéon
Acitillo, se sont formés et répandus. En ce sons, c'est
en ce pays éolion qu'Homère a été conçu, car c'est lu que
l'épopée future a puisé les premiers éléments de la vie,
et il n'est pas indifférent de remarquer quo le nom do sa
mère lictive Kréthéis rappelle de près celui de Kré-
thous, un des 01s d'Éole et l'un des ancêtres dos tribus
éoliennes. Kymé fut longtemps la position avancée de
PÉolide grecque avant d'en être la capitale olle tint
tète aux Pelages de Larissa et elle bâtit contre eux la

1. Je dis les plus autoriséespar la vraisemblancegénérale,et non


par le créditpersonnelde leurs auteurs.Carle plus remarquable des
critiques,Aristarque,faisaitd'Humèreun AtbisiCBÇr et S»biogra-
phiede Westermann).
2. Strabon,XIH, 3. 3.
1/IU3TO1RBl'ROllADLK 381
fart» place do IN'éontichas (le nouveau rempurt). <|ui
linit par lasi réduire. Au milieu du ers population» guor-
riôroà naquirent los chants rudes et belliqueux, qui
lurent la source prochaine des grandes inspirations do
YIliade.
Do Kymé, la légond» nous transport» à Smvrne, tou-
juiirs un pays éulitw. lUimèro y voit tu jour, allais il no
s'ttppullti pus encore Huinfiro. C'est lu un détutl qu'il
faut r«iimrqu«r, car il no ti'oxpUquo que pur la nécessité
du rospocler uau trudition uneiunuu. A Siiiyrno, la lé<
sentie hoinériquo a un caractère mythique, ho nom du
Molusigouo ifitliquo cluiruinunt qu'à l'uriginu lo poète y
«'•luitconsidéré comme le (Hadu fleuvo C'était une nia-
nii-ro allégoriquo du marquer l'originu locale do la poésie
lioinùriquo; elle était née pour los habitants do Smyruo
du ilouvu qui coulait près de tour ville, cmnino los pre-
inittrs rois d'Allionos étuiunt nés pour lus Alhéiiions du
sol iui-mômo. En langage historique, cela veut dire
qu'il Smyrne ont lieu la promièru éclosion brillante do
(tiii-sioépique. Kymé n'avait produit quo des chants
iMicorc rudes; co germe est venu éclore à Smyrne,
comme l'enfant quo Krélhéis portait dans son soin est
venu naitre sur les bords du Mêlés. Est-ce à dire quo les
premiers chants doVIliade aient été composés à Smyrne ?q
Uiondo moins probuhlo, d'abord parce qu'il faudrait alors
so livrer à des combinaisons plus ingénieuses que soli-
des pour expliquer l'emploi du dialecte ionien dans ces
premiers chants; on second lieu, parce que la légende
nous représente Ilombre composant ses grands poèmes,
nonà Smyrne, mais à Chios.Lapoésio épiquede Smyrne
a dû être une poésie éolienno dans la forme comme

1.Traditionconservéedans plusieursdes noticesprécédemment


in-
diqaces,notammentdansle rivoc 'O^pouqui figuresonste numéro4
dansles Scriploretvitarumde Weslermann Kati «'êviouç("O^poç
4to>it,t»|{
utbsJp)MéXT.to;toOitot«|ioO
x«l Kpi6i){Sac
vvnçr.ç.
S8a CHAP. YIH, – HOMÈRE ET LES UOMÊRIDKS

dans lo fond; elle n'a produit ni Vltiade ni l'O«fo«/r,


mais elle « donné naissance à dos chant* déjà remar-
quublea, sans loiquol» l' Iliadeet rodyswtosorsiput inox.
plioables. Homère a donc été là vraiment a l'école de
Pliômiug,puisque le génie poétique éolion y a donné au
génie ionien Ion grandes laçons dont celuUci a si admi-
rablonuml profité bientôt après.
En réalité, c'osl Cliios (lui est la patrie d'ilomèro, au
senH propre iiu mot, car c'est bien là que s'est roncoiw
trô le grand poèto qui a jotô, comme nous l'avons dit,
los fondements do l'fliad* t. La légende nous repré-
sento Homère abordant on premier liou à Bolissos, sur
la côlo occidontalo do f Ho,au pied du mont Pélininnos,
évidemment un détail aussi précis a sa signification,
et coîa d'autant plus qu'en venant d'Érytbroos il n'était
pus naturol quo lo poète prit terre sur ce point. Étionno
do Uyzanco nous apprend que Bolissosétait une ville
éolienne. Des Éolions étaient doncvenus s'établir là au
milieu do la population ionienno do l'ilo. Sans doute ils
y apportèrent avec eux los légendes et les chants hé.
roïques qui étaient alors florissants à Smyrne. Des aè-
des éoliens de cette villo durent y être attirés dès qu'ils
trouvèrent la des hommes de leur race, et ainsi la poâ-
sie épique éolienne pénétra dans Chios.
Des témoignages anciens irrécusables attestent qu'il
existait à Chios dans les temps historiques un yfw; qui
lui-même et qu'on appelait les Homérides
s'appelait
Quo la de ce nom ait été éten-
( *O(U)p{$«t) signification

t. Les principaux «moins en faveur de Chio» sont Acusilaos, Pin-


dare, Simonide et ïbncydide. Ptndaee, semble-t-il, hûslUU entra
Smyrne et Chiot; on voit avec quelle raison. Consulter la première
dissertation de Sengebnscb, p. 157, i<3, lU.IM.
2. HarjHMtfaUon, Ust/jus, Hi^Jtsf, 8tn*w, XW, as, gaia*s. U-
xiyjt, 'Oi»r,p(8«t; Pseudo-Lucien, Éloge de Démostkéne, «;SeoliaBt8
de Pindare, Ntmttnnu, II, 1. On trouvera les teste» anciens sur les
L'HISTOIREPROBABLE 389
et» dans l'usage à lie simples amateur» de poésie Un-
onMque, cela «al possible muta l'existence du yivo;
doGliiosn'on reste pas moine un fait certain. Los IIu-
ntérides se donnaient pour les doseaiitants du poètu
Hom&ro.Cette prétention, attostéo déjà par te vieil liis-
lurionAcuailans,s'expliquerait fort naturellement, si lu
jini'jiit)homérique, et par conséquent lu personnalité (le-
tivc d'Homère, était l'œuvre des Iloméridc». C'osl dune
oopoint qu'il faut ossnyer d'éolaircir. Voici on peu do
iiiutHcomment on peut se représenter leur histoire t»l
Imirrôle;
l.«s Huméridog éclataient sans doute déjà à Cliioa
cmtiineyt*n, lorsque la poésie ôolionno, vonuo do
Smyrnopar ilolissos, commença à s'y répandre. D'on
lour venait ce nom 1 Nous l'ignorons, ot il snrait aussi
vaindo le rechercher que de su demander quelle u été
t'origine historique do la plupart des Yévnathéniens
Tousse rattachaiont à un ancêtre, réol ou imaginaire.
quiéchappe absolument à l'histoiro, les Ruta<lesà llu-
tès, les Kérycos it Kéryx, etc. Il en était do même du
Y^vo;do8 Homéridesdo Chiosavant son illustration: sun
ancôtro,Homéros, homme ou domi-dieu, appartenait à
la inomo classe. C'est chez ces Homéridos que naqui-
rentlos poésies homériques. Il se rencontra parmi eux
un certain nombre d'aèdes, los uns créateurs, les au-
HomérldeBrassemblésdansla secondedissertation
de Sengebuscb,
p.*7oteatv.
1. Voyez la seolie de Pindare citée dans la note précédente. Ct.
Isocrate, Éloge d'Hélène, 33; Platon. Ion, p. 530; République, p. 599;
Phèdre,p. 851.
2. Les étymologies les plul diverses ont été proposées pour le
nom d'Homère ({|»D afptiv, rassembler; Smt<>(,otage: ô^po;, aveu-
gle.etc.). Aucune n'est certaine. Et pEU importe vraiment tous les
noms propres ont eu un sens à l'origine, mate les gene avisés n'ont
jamais cru Jusqu'ici que chacun d'eus lut. &cause de cela, une notice
biographique en abrégé. Pour la discussion de ces étymologies,
voir Songebnseb, Dits, homer. poster., p. 89 et sulv.
341 CHAP. VIII. UOMÊUB ET 1.K8 1IOMÊRIDKS

Iros contimiutoiir», auxquels duit être attribuée toute


cetto longue élaburation poétique qui a ôtô analysât)
plus haut. Cola no veut pas diro, commo on l'a compris
quolquufoi* à lurt, quo lo ylvo; do» llomérides fût une
sorte d'association d'uèdea; il est biou rare qu'un Grèce
iiMiiHvoyous le mot yiw; servir à désigner une gosiété tlo
ce genre. C'était simplement, eom.im tous los Y<v»», un
groupe de fnntiUuHqui «o rnltucliaioul 6 un mémo un-
cùtro; entre ces fauitllos, il y an avait uuo uu plusiuurs,
où, 80Ion l'usage du Ioiu«m, la discipline poétiquo se
truusmottait plus ou inoind régulièrcmunt duspëroa aux
enfanta; loua ussurémont n'ôtaiont pus publos, main il
suflisait que chaque génération fournit un petit nombre
d'iioutnios qui avaient à cœur do conserver et d'iuig-
monter lu trésor domestique. Ainsi s'expliquent le» pas-
sages de IMutou et d'Isocrate, qui représentent les Ko
mérides comme on possession d'unu sorte do dépiU tlo
poèmes ot de traditions, dont ils étaient les gardiens
Un de ces Ilomérides, Kyniuthos, (tout la date est d'ail-
leurs tout à fait incertaine, nous est particulièrement
désigné comme l'autour do nombreuses interpolations
dans les poésies homériques'. L'auteur de l'hyinno ù
Apollon Uélieii, que ce soit co môme Kyniothos ou tout
autre, était certainement aussi un do ces Homérides, car
il se don no lui-même pour habitant de Chios, et su ma-
nière le rattache étroitement à la tradition do cette fa-
millo. Enfin d'autres Homérides encore, un Thestor, un
Partliénios, d'aillours inconnus, sont mentionnés comme
poètes épiques II y a dans ces faits réunis une bien

p. 599;Isocraie,
1.PI «Ion,Phèdre,p. 252;/on, p. 530;République,
Éloged'Hélène.6S.
II,
2. Seoliaste,Néméennei, iicifivdctrivovtoot««P1
"OiMipiîôv
Kûvai9ov,oO«çaotsoXXitw» êm»v *«.<«.;« tç&Oa* dî -rip '«««f»
Ut.
3. Eudocie,Violarium,
LES AÈDES 385

frappant» concordance avec les oonclusions qui rossor.


tout du l'étude moine des poèmes attribuas à Homère.
Ces poèmes révèlent un long travail successif, une sé-
rie d'additions coordonnée»; les témoignages nous mon-
trent à Chiog, dans te yfat dos Homérides, lu possibilité
do ce travail, l'explication vivanto de ces additions, si
bien adaptées les unes aux autres. Nous trouvons là
une série du poèlos, une tradition pieusement conser-
vée, un esprit du famille au service d une grande couvre
poétique. Nuus ne pouvons faire uutreinenl que du leur
attribuer la création et le développement de VIliade et
do l'Ody$$?'?.
On comprend très bien quo, dans cette grande fa-
mille, l'univro do chacun fût anonyme. Co n'était pas
lu poésie de tel ou tel, c'était cette dos Iloincriiles. Mais
après plusieurs générations, quand tes souvenirs pur-
sonnels furent obscurcis, il devait arriver ut il arriva
que cette poésie do famille, qui faisait la gloire «les Ho-
muridos et qui portait partout leur nom, fût attribuée
par eux et par tours auditeurs &l'ancétro de leur yévo;
c'était on ell'ol la poésie d'Ifomàro, puisque ceux qui
l'avaient créée étaient eux-mêmes les fils d'Homère.
L'ancêtre norsonniHait la famille; la gloire commune
do ses descendants lui appartenait naturellement.

III

Ces aèdes homérides de Chios ne durent pas rester


enfermés dans leur ile natale. Bien qu'ils eussent là
leur domicile ot la source de leur poésie, ils s'en éloi-
gnaient sana cesse. pour y revenir. Membres d'une fa-
milleet rattachés à on même culte, ils n'ea avaient pas
moinsles mœurs et les habitudes qui étaient alors cel-
26
388 CHAP. VIII. HOMÈRE ET LES HOMÈWDES

les do tous les poètes chanteurs, quels qu'ils fussent.


L'aède était essentiellement nomade. Changer fré-
quemment de public était une nécessité de sa profession:
il évitait ainsi de lasser ses auditeurs. D'ailleurs, lors-
qu'il avait acquis quelque réputation, on n'attendait
pas qu'il lui prit fantaisie de venir, on l'appelait, comme
on appelait le médecin, ou le devin, oule charpentier.
Il était roçu dans les palais des princes, et il prenait
part à leurs festins; la manière dont Phémios et Dé-
modocossont traités dans l'Odyssée montre combien
lour art ctait apprécié d'unu aristocratie, qui goûtait
do plus on plus les plaisirs élégants et délicats. Nous
avons reproduit ailleurs on partie (p. 90) la scène entre
Ulysso et Démodocos on se rappelle les paroles Bat-
teuses du héros à l'égard des aèdes « Tous les hom-
» mes qui habitent sur la terre, dit-il, honorent et vé-
» nèront les aèdes, à cause des récits que la Muse leur
enseigne car elle aime la race des aèdes » Cette
haute estimo tenait, comme on le voit, à l'idée partout
répandue que l'aède, était inspiré par les dieux. Maisil
ne faut pas se méprendre sur la valeur de ce privilège
ni oublier qu'on ce temps toute habileté supérieure était
censée venir des dieux. Le forgeron renommé, l'archi-
tecte, le constructeur de vaisseaux passaient pour ins-
pirés dans la pratique de leur art, aussi bien que l'aède3.
La Muse était pour celui-cice qu'Héphaistos ou Athèné
était pour les ouvriers habiles ou les artistes et tout
en croyant fermement à la suggestion divine, personne
n'ignorait qu'il devait en grande partie son talent à un
apprentissage régulier.
Il fallait en effet que l'aède sût jouer de la cithare et

t. Odyss., XVII, 388et Bniv., surtout 386 OJtoi Y«pxXi]tof?e ??o-


tiSv». imtlamm yctav.
2. Cdyss., Vni, 179-481.
3. Odyu., VI, 232-235.
LES AÉDES 387
chanter. Il est vrai que cette partie technique de son art
était fort simple. Avec un instrument tel que celui dont
il disposait, l'effet musical ne pouvait être que subor-
donné à l'effet poétique. L'aède préludait par quelques
notes qui annonçaient le chant et lui donnaient le ton;
c'est là ce qu'on appelait &m&£Xka<sb%\ (commencer)1. Le
récit suivait. Sans doute la cithare ne servait plus qu'à
soutenir la voix de loin en loin, car il est évident qu'il
ne pouvait être question d'un véritable accompagne-
ment. Le chant lui-même se réduisait à une sorte do
récitation mélodramatique L'aèdo s'interrompait de
temps à autre, soit pour se reposer, soit pour réveil-
ler l'attention de ses auditeurs. Ceux-ci, comme nous
le voyons au VIIIe livre de l'Odyssée, l'encourageaient
alors par des acclamations et le pressaient de conti-
nuer 3. Ignorants des formes poétiques plus savantes
que l'art devait un jour produire, ils trouvaient un
plaisir naïf et profond dans ces longues et pathétiques
narrations, qui étaient pour eux l'image idéalisée de la
vie.
Les aèdes en général ne se contentaient pas de débi-
ter les poèmes déjà connus. Ceux de l'Odyssée sont évi-
demment conçus comme les auteurs des chants qu'ils
récitent, puisque la Muse est censée les leur avoir en-
seignés, et on ne peut douter qu'au temps où la poésie
épique était on plein essor, il n'en fût ainsi le plus
souvent. Le véritable aède était donc un poète, et, outre
l'aptitude naturelle, il avait besoin, à ce titre, de pos-
séder une réelle science acquise. Cette science consis-
tait dans la connaissance pratique de la versification,
dans le maniement familier de la langue épique, et enfin

i. Odyss.,
1. (MyM.,V
VIH, 266 Aùtàp
III,266 AMp t<'H' ~~Mme xcù~v~fSMt.
2. Cettemanièrede chanter,la
i seule
seule qui pniaseconveniran
âve6<4»*roxaXôv àciSeiv.
récit
récit
épique,est encorecelle deschanteursserbeset russes.
3. Odyss.,VIII, 87, 90-91.
388 CHAP. VIII. HOMÈRE ET LES IIOMÉRIDES

dans la connaissance dos légendes qui formaient le fonds


naturel do toute poésie. Bien qu'aucun témoignage coti-
l'édu.
temporain ne nous apprenne comment so faisait
cation technique des aèdes, il est permis d'affirmer qu'il
on était do cet art comme des autres, de la divination
ou do la médecine par exemple. Les maîtres le trans.
mettaient à des disciples, et souvent les pères à tout s
enfants. Lorsque Phémios, dans l'Odyssée, dit qu'il est
son propre maître », il n'entend certainement pas affir-
mer par là qu'il n'ait reçu les leçons do personne dans
son enfance, – chose manifestement impossible. Il vout
dire simplement qu'il no récite pas les poésies dos au-
très, mais qu'il crée lui-môme tes siennes, sous l'ins.
piration dirocto d'un dieu.
Les aèdes du y&o; des Homéridos ne différaient en rien
dos autres. De Chios, ils durent, dans leurs voyages,
d'Asie et
porter leurs chants dans los villes de' la Grèce
dans les ilos voisines. Les rolations dos cités ioniennes
entre elles favoriseront particulièrement la propagation
de leur poésie. Plusieurs do ces cités avaient gardé dans
les temps historiques des traditions relatives à Homère,
ces
qui pourraient bien s'expliquer en grande partie par
et ces séjours dos Homérides L'aède de l'Hymne
voyages
à Apollon Délien venait ainsi de la « rocheuse Chios »
aux fêtes de Délos, et demandait aux jeunes Déliennes
la petite
d'y conserver son souvenir. Les habitants de
ile d'los montraient le tombeau d'Homère, et, sur la foi
de leurs déclarations, les biographes font mourir lo
grand poète dans cette ilo; quelques-uns même, parmi
lesquels Aristote, croyaient que sa, mère en était origi-
naire. Il est peu probable que cette tradition n'ait ab-
solument aucun fondement; elle peut s'expliquer par
le séjour et la mort à los de quelque aède homéride,
1. Odysi.,XXII. 8*7 AitoSiômetoî 8' «(«'•8«n{« (wiè»fj-wAv ot|wî
– «avrofactviçuar».
LES AÈDES 389

peut-être d'un des autours do l'Iliade et de l'Odyssée.


Bien entendu, les Homérides n'étaient pas les seuls
on ce temps à composer dos chants épiques. Plusieurs
passages de YIliade et do l'Odyssée font allusion à des
légendes poétiques alors on vogue, parfois môme à des
chants où ces légendes étaient développées. Nous avons
mentionné, à propos do la formation do l'Odyssée, l'in-
fluence que les chants relatifs au navire Argo semblent
avoir eue sur ce poème. On y trouve également, semble-
t-il, des allusions à une Orestie La Thédaide anonyme,
qui plus tard fit partie du Cycle, pourrait bien avoir été
aussi, en partie du moins, coitteinporaino des poèmes
homériques. Il est donc probable qu'à côté des Homéri-
dos qui travaillaient h YIliade et à l'Odyssée, beaucoup
d'autres aèdes, dans les villes d'Ionie, produisàiont des
chants épiques, ot qu'une influence réciproque des uns
sur los autres s'exerçait incessamment8. La faiblesse
doces aîdes fut do n'ètro pas associés entre eux comme
les Homérides. Au lieu de grandes épopées, ils ne pro-
duisirent que des chants détachés, qui disparurent bien-
tôt, tandis que l'œuvro homérique subsistait.
Gréophyle de Samos semble avoir été le chef ou l'un
des membres principaux d'une famille samienne qui
présente quelque analogie avec le yéw; des Homérides
de Chios 8. La tradition mettait Créophyle en rapports
personnels avec Homère. Selon les uns, il aurait reçu de
lui, comme prix de l'hospitalité qu'il lui donna, un
poème, la Prise dOEchalie, qu'il aurait ensuite publié

1. Welcker,Episch.Cyelus,t. I, p. 297.
2. On nesait que penser de ce Mélésandrede Milet,auteur d'un
Combat des Lapilheset des Centaures,
qu'ÉIien mentionne(Hist.var,,
XI,2)commeantérieurà Homèreet qni n'est citénulle part ailleurs.
Commeil figuredans ce passageà côté de Darèsle Phrygien,son
existenceest plusquesuspecte.
3. Sur tes Gréophyliensde Samos.voir Weleker,ouv. cité,t. 1,
p. 219et suiv., avecles témoignagesanciens.
390 GHAP. VIII. – HOMÈRE KT LES HOMÉRIDES

sous son propre nom, avec l'autorisation d'Homère selon


d'autres, Créophyleauraitaucontrairecomposôlui«môme
la Prisa tfOEchalieet l'aurait ensuite attribuée à Homère,
qui aurait bien voulu par reconnaissance en prendre la
responsabilité Il semble probablequo cette historiette
fait allusion à dos relations réelles, et sans doute à des
échangos poétiques, qui eurent lieu entre les lioméridea
do Chiosot.des aèdes de Samos. La légende d'Héraclès,
dont la prise d'GEchalion'était qu'un épisode, a cortai-
noment oxorcô, comme nous l'avons vu, une influence
appréciable sur quelques parties do l'Iliade. D'autre
part, Plutarque rapporto quo Lycurguo recueillit los
poésies d'Iloiuèro à Samos, où elles lui furent transmi-
ses par les Créophyliens*.S'il y a quelque fondde vérité
dans cette légende, ceux-ci étaient entrés en partage
du trésor littéraire qui s'était formé originairement en-
tre les mains des Homéritlos.Co sont là des faits qui
nous permettent de nous représenter avec quelque pré-
cision les échanges d'idées et do poésie que la simple
vraisemblance nous obligorait d'aillours à concevoir, en
l'absence mémo do tout témoignage. Pythagore out en-
core pour maitro à Samos un descendant de Croophyle1.
On no p?ut douter en somme qu'il n'y ait eu réellement
une famille samienne, qui, sans atteindre à la gloire dos
Homérides, tira quelque illustration, elle aussi, d'une
culture héréditaire de la poésie épique.

IV

Aux aèdes succédèrent plus tard les rhapsodes. A

1. Strabon, XIV, p. 638.


2. Plutarque, Lycurgue, e. 4.
3. Porphyre, Vie de Pythag., 1; 3ambHque, Vie de Pylkag., 2, 9;
Diog. Laerce, Vies des philos., Vlll, t; Suidas iiu9«ï4p««; Apulée,
Flarida, II, 15.
LES RHAPSODES 301

quel momentce nouveau nom se substitua-l-il à l'ancion


ot quelle fut h l'origine sa significationessentielle? Noua
l'ignorons,
L'otymologio du mot reste encore à écluicir1. Une
chose du moins ust certaine; c'est que los rhapsodes,
comme les aèdes, récitaient des morceaux épi(|iios di-
vers, qu'ils ajustaient les uns aux autres, do manière à
on constituer dos groupes. Voilà pourquoi Pindaro les
appelait, on jouant sur lour nom, dos chanteurs de
« morceaux ajustés »*. Aucune distinction donc no dut
(Mro faite tout d'abord entre rhapsodes et aèdes. Mais,
pou à pou, le mot rhapsode prit une signification plus

t Dés l'antiquité. quelques-uns le faisaient dériver de f >8So;(ba-


guette) et de cul&iv (chanter, de telle sorte que le mot, d'après ou*,
mirait désigné originairement les chanteur* de poésie épique qui re-
noncèrent les premiers à la cithare et débitèrent les vloux poèmes
sans las chanter, en tenant à la main une branche de laurier, Mais U
ed tort difficile de comprendre comment lea deux radicaux on ques-
tion ont pu former le mot £*}i<j>86e. Pour échapper à cette difficulté,
on avait imuginé lo mot 2a68<jittfc» cité par Eustathe; pure fantaisie
grammaticale, qui n'est jamais entrée dans l'usage. D'autres, on plus
grand nombre, tirent le mot JttJiuSic.des éléments fiâiraiv et àoi8»i.
loi encore les lois de l'étymologie ne sont guère respectées, car le
changement da n en<|> demeure inexpliqué. Au reste, en admettant la
possibilité de cette formation, il y a encore doute et divergence sur
l'interprétation. Que signifie £âit«iv iotW,v? est-ce assembler des mor-
ceaux divers? ou bien ajuster des vera les une à la nulle des autres,
de façon à former un discours poétique continu, par opposition aux
strophes de la poésie lyrique? ou enfin n'est ce paa tout simplement
composer?L'usage homérique du mot pâirteiv confirmerait plutôt cette
dernière hypothèse. 'Pâtrceiv. en poésie, signifie, d'après le Lexique
d'Apollonios, combiner, produire quelque chose par cimMnitison (|WTa-
et on trouve dans Homère, xaxi
fofjixûcftnxatJtotoc %<Ax<xra<nc«uiC«!v).
faitt.iv ttvi (Od., III, 118; XVI, 423; Iliade. XVIII, 367), ?4vov, 9«v«-
tov, |i«povéimeiv (Od., XVI, 379,' 431). Le rhapsode, en ce sens, ne
serait autre chose qu'un poète. C'est avec cette signification sans
doute que l'expression f inrtiv ioiî^v figure dans les vers attribués
à Hésiode par le ecoliaste de Pindare (tiêm., II, 1) 'Ev ^\u> *6n
npùTov(yi) %a\ "O|*ripo< àoiîol MiXito|iev,dv veopoîç«[ivoii pà^a^tet
âoitàiv, «PoTBov 'AnôXXuvaxpwàopo*' &vT'xe At)t<ô.
2. Ném. II, t 'Pantûv Itiuv. âoi8ol.
393 CI1AP. VIU, UOMËRB UT LES HOMÊR1DES

précisa. Tandis qu'on appelait indifféremment«Afestous


le» chanteurs, aussi bien ceux qui figuraient dans les
funérailles et y faisaient entendre les thrèno» funM>rtw
que lus interprète» do la poésie épique, lo nom de rhnjh
sodés fut attribué exclusivement à eos derniers, et on
t'habitua à ne plus les désigner autromont. Cette non-
velle dénomination prit faveur en un temps où l'usago
de luphorminx commençaità être abandonné dans
récitations épiques. Sana doute los progrès nouveaux do
la musique avaient rendu lus auditeurs plus difficile*;
cet accompagnement primitif semblait monotone et in-
signitiaut; on y renonç.».En outre, comme le ^énie épi-
que allait s'aHaiblisaant, ces artistes qui récitaient los
vieux potmies cessèrent tl'Mro eux-mêmes des poètes.
Ainsi le mot rhapsodes prit dans l'usage un sens déter-
miné qu'il n'avait probablement pas eu à l'origine. 11
désigna ceux qui récitaient en public, sans accompagne-
mont musical, des poésiesépiques, dont ils n'étaioiit pas
les autours'.
Si l'histoiro des rhapsodes nous était mieux connue,
celle des poésies homériques le serait parla mémo; car
ils furent incontestablement les propagateurs de cette
l'arri-
poésie à travers le monde groc*. C'est sans doute
vée de rhapsodes saluions Sparte que la tradition men-
tionnée par Plutarque représentait allégoriquement,
sa
quand elle attribuait à Lycurgus l'introduction dans
des recueillies par lui dans la
patrie poésies homériques
Grèce d'Asie8. Le génie dorien, à ce qu'il semble, fit

1. Quandnouslisons,dansAthénée(XIV.e. xu),quedespoésies
d'Archiloque, de Simonide,dEmpédocle ontétérhapsodiétt,celaveut
dire par conséqueutqu'ellesontétérécitéessans accompagnement
muelcaletsurunescène,avecl'appareilordinairedesrhapsodes.
cf. Sengebuscb,
8. Surlesrécitationsrhapsodiques, premièredis-
sertation,p. et, Us, Ml.
8. Plutarque, Lycurgue, Élien, Var Mst., H; Héraclide de Pont,
de Mûl-
Thf\ woXtttiûv, Petit. Laced.. 2, dans les Hittor. graec. firagm.
1er, t. Il.
LES RHAPSODES 393
d'abord quelque résistance à cette poésie vonuo du de-
hors; mais enfin il se taissa séduire complètement, et il
y eut à Sparte, en Crète, à Gyrône, des concours de
rhapsodes, ou tout au moins de solonnolles représenta-
tions rhapsodiquos*. Hérodote mentionne expressément
dos concours de rhapsodes qui avaient lieu h Sicyone au
vi* siècle et que lo tyran ClUthène fit cesser1. Argos,
glorifiée «lana Vfliade, ne dut pas et ro moinshospitalière
pour los rhapsodes, et il n'est pus douteux qu'ils n'aient
ligure dans les fêtes homériques que cette ville, d'après
tut toiuoignuge ancien, célébrait périodiquement Mais
l'accuttil que leur tit Athènos a une importance toute
particulière, à cause de l'inlluonco qu'elle out sur la
constitution ot la conservation du texte écrit des poèmes
d'Homère.
Si nous en croyons Diogèno Lnerco, le grand légis-
lateur d'Athènes, Snlon, no dédaigna pas d'imposer un
règlement public aux rhapsodes. Co seul fait montre
assez quclle importance avaient prise alors leurs ré-
citations. L'État, qui organisait les fêtes publiques et
qui on arrêtait le programme, y faisait place officielle-
ment à l'épopée, en l'obligeant à se montrer dans

1. Max.de Tyr, XXIII,5 '0^1 plv Tàp r, Snc.pt>) p^wBtî,tyl Si


x«lt| Kp^tt).6<Jil
îi *«lt4 Auptxoviv Atjûtj-j<vo«. Voir à ce propos
Marckschoir>)l,Utslodifragmenta,p. 210, D'après le scoliastede
Pindarecité plus haut {Ném.,II. 1).ce serait Kyntethosqui auraitle
premierrhapsodieles poèmeshomériquesa Syracusedans la 69»
Olympiade Cettedate tardiveest suspecte,et pourrait bien
(804-501).
provenird'unesimpleerreurde transcription.Euslathedit aussi, fort
obscurément (Comm. de Miad.,p. <6et 17; ToOànayyinmrip *O|i<-
pou>mtr,nvmataotilam àfxv>Inoifaa.xo KOvwSo; &Xloc.
2. Hérod.,V, 67.
3. ConcoursdBom'ereet d'Hésiode, g 18. Il est dit, dans le même
récit,qu'Homèrea rhapsodieses poèmesà liorinthe.Il y a là proba-
blementuneallusion&l'éclatdesrécitationsrhapsodiquesdanscette
villo.Onsait qu'unépiaodaAt>V(My*»*> flgnrait«orle «offrecélèbre
dansl'histoirede l'art sous le nomde coffrede Kypsélos(Pausan.,
V.!9,7).
394 CHAI». VIII. HOMÈBB ET LKS HOMÉRIDES

toute sa grandeur. Malheureusement, le texte de Dio-


gène Laorce, qui contient cette intéressante mention,
soulevé do graves difficulté», qui l'ont rendu suspect,
en tout ou on partie. Peut-être ces difficultés ont-
elles été exagérées. « Solon, dit le biographe, ordonna
» que les poésies homériques seraient réciléos par los
» rhapsodes d'après un texte écrit, du tollo sorte que
« chacun d'eux commencerait au point où la précédent
» aurait fini. Solonaa doncplus fait pour mettre Homère
» dans tout son jour que Pisistrato, comme l'a dit Dieu-
» chidas dans le cinquième livre do sos Mégariqucs ».
L'autour veut dire évidemment que, jusqu'à Solon, les
soumis à
rhapsodes, qui récitaient à Attlènos, n'étaient
aucun contrôle. Ils choisissaient dans l'Iliade et dans
l'Odysséeles morceaux qui leur convenaient le mieux,
et les groupaient selon leur fantaisie. Solon décida qu'il
les récita-
y aurait désormais un ordre officiel, et quo
tionades rhapsodes seraient surveillées et réglées, sinon
en vue de l'exactitudo absolue des détails, du moins afin
d'assurer la succession régulière des morceaux. L'Iliade
et l'Odysséedevaient ainsi, dans la pensée du législa-
teur, se déroulor tout entières devant l'imagination at-
tentive des Athéniens, commedes récits historiques non
interrompus
i. Diog. Laerce, I, 2, 57 Ta w 'O^pou U 0*o«oXSjc ?iYfWP*#«*»"
letatai. otov Snou & «pffitot &»i!ev, iwte«v Spx«o««t *iv tx«|«vov itâttov
oîv SiXuv "O|ir,poï èij<A«a«vr, Heiffiorpotoc, àï<pr,(n Auvx««{ tvité|ure<|>
Hermann. dans
M«t«P«»»- La difficulté vient des mots *ifrKo«o»,«. G.
une solide dissertation (Oputc., t. III). a démontré que ces mots et-
gniflaient nécessairement a d'après un texte qu'an souffleur rappelait
eu rhapsode ». Ce sens ne parait pas en accord avec l'explication
donnée par Diogène. Il semble en effet que l'auteur ait pris les mots
en question comme synonymes de « iitoi^nat, a en se succédant sans
interruption ». On a conclu de là que l'explieation avait été ajoutée
au texte après coup et qu'elle n'était pas de Diogène. Cela n'ôteratt
rien en tout eau à la valeur du témoignage principal, qui est ii»««-
Mais je crois
pendant de la proposition interprétative subséquente.
avoir montré en traduisant qu'on pouvait laisser aux mots n im>6o-
LES RHAPSODES 805

Uno tollo réglementation dut être d'abord diflioile à


appliquer. Kilo supposait en effet un texte invariable,
1 seul reconnu par l'Etat. Or co texte n'existait pas. Lors-
que les rhapsudes étaient en désaccord sur l'authenticité,
la place ou la forma exacte de toi ou tel morceau, il n'y
avait aucune autorité pût trancher le différend. On
qui
dut vivre d'accommodements pendant un temps plus ou
moins long; mais l'inconvénient était trop vivement
senti pour qu'on n'y cherchât pas un remède. De là le
grand travail accompli par Pisistrate ot par ses fils,
(lu travail est connu par une tradition ancienne dont
nous [trouvons l'attestation chez plusieurs auteurs. Dos
divergences légères de détail et dos inexactitudes évi-
dontes no doivent pas faire mettre on doute le fait lui-
mémo L'intention do Pisistrato fut do doter Athènes

V,î lo sens indiqué par Hermann et néanmoins consorver la seconde


proposition, à condition do considérer ce qu'elle énonce, non comme
une interprétation, mais comme une conséquence. La récitation de-
vient continue par ce seul fait qu'elle est assujettie à un texte.
t. Êplgr. anon. (Antli. Jacobs, t. IV, p. 186)
ait |i> tvpavvifaavta To»aur«xi{ ig:8lcoÇ<
îîj|io« 'Epixt^ot, Si; 8' inavi)r<<Y<TO,
tov niyav iv (JouXaZ;HetaftrrpaTov, 6; tbv "O|ir,pov
T,6potoa,<jitopôÎT|V xh np\v iei64|tevov.
Gic. de Oral., 111, 3i Quis doetlor iisdem illis tomporibus aut cujua
eloquentia litteris instructior fuit quam Pisiatrati, qui primus Ho-
meri libros, confusos antea, sic disposasse dicitur, ut nunc habe-
mua? Pausan.. VII, 26. Élien. Var. /M., XIII, 14. Libanius
Socratis apologia, t. III, p. 25, Keiske. Suidas, "O|ir,pa«.– Eusta-
the, Comm.sur l'lliade, 1. I, v. 1 et 1. X, v. 1. Wilamowitz (Ho».
Unters.,2*partie, I, die Pisislralische Recemion, p. S35 et suiv.) a bien
fait sentir comment cette tradition avait subi l'influence des mœurs
de l'époque alexandrine. Le Pisislrate qu'elle représente ressemble
à.Ptolémée, et sa commission au groupe des philologues du Musée.
Celaest évident. Mais H ne faut pas aller pour cela jusqu'à nier l'exis-
tence de cette commission et son travail. Elle a du s'occuper peu des
détails, mais eUe a pu et dû faire un classement des vieux poèmes et
de leurs parties. (Voir Cauer, Grand fragen d. Homerkrit.. p. 80 et suiv.)
KUe accepta d'ailleurs beaucoup d'interpolations, même des plus
récentes.
– HOMÈRE ET LES HOMER1DES
300 QHÀP. VIII.

d'un texte tléflnitif dos poésiei homériques, texte qui


serait imposé aux rhapsodes et qui d'ailleurs se recom-
manderait de lui-môme par m grande autorité. Pour
le constituer, il forma une commission, dont le princi-
d'Athènes K On
pal porsonnago fut lo poète Ûnomticrite
devine au travers des légendes ce qui dut se passer s.
La commission appela à ollo tes rhupsodos les plus ru-
nommés elle les écouta, elle fit écrire los doux po{--
mes entiers sous leur dictéo.ot son travail propre con-
sista surtout à les mottre d'accord. L'Iliade et XOdym'e
étaient alors achevées depuis bien longtemps, mais
comme on no les récitait guère que partiellement, bien
con.
peinte personnes savaient au juste tout co qu'ollos
tenaient. Certains morceaux do mérite inférieur, comme
la Dofonic par exempte, étaient considérés par les uns
comme authontiquos {£r d'autres comme étrangers
au poème primitif. Voilà comment on a pu dire que
Pisistrate les avait introduits dans l'Iliade. En fait, il
était impossible qu'une commission s'entendit pour
une fraude do co genre. Le rêveur mystique Onoina-
crito/qui avait composé de fausses poésies de Musée
dut respecter néanmoins les vieux poèmes ioniens, et
on ne saurait trop faire remarquer, pour mettre ce
fait important hors de doute, qu'ils no portent nulle
La
part la moindre trace do ses idées personnelles.
4.Scoliede Tzetzôs.publiée en latin par RMsctal(De bibtiotheeit
alexandrmlsetCovollar.disputât,debiblioth.alexandrinsdequePisis-
et eo grecpar H. KeU,Rheinisch.
trati curishomericis) Muséum, 1M8;
autres commissaires
reproduitepar Sengebnsch,Dits,poster.Les
nomméssont Zopire d'Héradée, Orphée de Crotoneet un certain
Conchylos;la lecturede ce dernier nomest incertaine. de
2. On peut voir ces légendesdans deuxscoliessur un ouvrago
deVilloison, t . II, p. «82;etSon-
Denysde Thrace(Anecdotagvaeea
gebusch,Di».potier., p. 36-38). com-
3. Sur OBoaaerite.consulterH*r«loto,VII, 7. qui raconte faux
Lasos d'Hermione d'avoirfabriqué de
mentil fut convaincupar
oraclesde Muséeetchasséd'Athènespour cefait. Cf.Pausan.»•
LES RHAPSODES 90?

grande uuivro dos coininissuifos de Pisjstruto, ce fut do


mettre fia a toutos les dtvergoncos et du cunalidu-r un
toslo complut. Ce texte différait Bans doute fort pou do
oului qui est venu jusqu'à nous. Dès qu'il fut établi, il
s'imposa toute la Grèce, non seuiomont parce qu'AtluV
iu<hexerçait déjà une véritable prépondérance iutellec*
liiollo, mais plus encore peut-être parce que co travail
du cullecttatt ot d'élimination, qui avait mis {in ù beau»
cn(i|i tl'incortitutlos, rôpoiiiluil vi'uimont à uu husoin du
lnui|Ks.lai manuscrit d'Athèuos fut dtuic copié et n'1»
pnndti par le commerco dans los grandes villes grec*
<pu>K.(m n'explique ainsi comment notro texte d'IIo<
mttro portu si inuiiifosluiiiont dans sa langue les trace»
ihiiio inlluence attique. Doux sièclos et demi plus tard,
<lt>sexemplaires de cos copies revinrent do plusieurs
points tlu inonde grec à la bibliothèque d'Alexandrie et
survirent au travail du comparaison critique dos savants
alexandrins. Co sont los Éditions tics vilics {x.xxi-i'ku;),
mentionnées dans nos scolios. En réalité, elles no ra-
présentaient, elles aussi, quo la tradition atliénienno
avec de légères variantes do détail 1.
Apres Pisistrato, l'un de sos fils, Hipparquc, d'après
le témoignage de l'auteur du dialogue platonicien qui
porto co nom ordonna que les poèmes d'Homère se-
raient récités par les rhapsodes aux Panathénées, et
qu'ils le seraient d'un bout à l'autre usage qui subsis-
tait encore au temps où co dialogue fut composé. Un

1. Surces divers points,voir lesdiscussionsde Wilamowitz(Ilom


Uni.,p. S35et suiv.)et deCauer(Grundfragend. Bomerk., p. 75-87).
2. Ilipparque,p. 228,B 'ïmtipxv &*T" 'O|i^povSitunp^To;ix4|iias»
(esogirationévidento,quiprovientsansdouted'une
ci;tt,vTilvTa-jnjv!
fausseinterprétationdu fait qui sait) xotlifiif%atnxoù;(Sa^mBoù;
Ilav-
a9i|vafoic
è£ijtoXtjiJuw;éfe(^caùtà SiiivaiûnrepvCvtn o78eitoioOai.–
H avait aaasi
II yyavait aussi desrécitations analoguesdans te
des récitationsanalogues le d4mede
dème de Branton;
Brauron;
Hésychios, – Voir;nr toutcelala dissertationspéciale
de Nitzseh,Bpaupuvloic-
Derhapsodiséetàtisatticae,Keil, 1835.
398 CHAP. VIII. HOMÊRB *T LES HOMÊRIDKS

autre dialogue platonicion, Won, nous représento, do la


manière la plu» vivo, co qu'étaient ces grandes repré-
sentations rhapsodiquos au W- »ièele, Le rhapsode, re.
vêtu d'un costume de coulours variées et portant une
couronne d'or, déclamait en acteur les vieux récits, qui,
se en
grâce à une mimique passionnée, transformaient
un véritable drame. Ce n'était plus l'ancienno épopée,
c'était une
grave et modérée jusque dans le pathétique,
immenso tragédie, qui arrachait des larmes un public
à
innombrable ot excitait en lui los émotiuns les plus va.
riées L'art des rhapsodes, devenu de plus en plus
semblable à celui des acteurs tragiques. contribuait
à
ainsi, autant que les bibliothèques et les écoles, per.
pétuer la gloire d'Homère*.

n'avons presque rion dit jusqu'ici do la chrono.


Nous
a été tenté, la
logie. C'est qu'en dépit de tout ce qui
des dates, un ce qui concorne les po5-
détermination
mes homériques, no peut être qu'approximative.
d'abord de bien la question. Si tous
Essayons poser
anciens s'accordaient, à quelques années
les historiens
sur les dates de l'existenco d'Homère, nous au-
près,
rions à interpréter ces dates d'après les idées que nous
au sujet do la formation des poèmes
avons exposées
Mais il n'en est rien, et les divergoncos
homériques.
sont telles qu'elles constituent un écart d'environ cinq

6 535. B.
t. Platon, Ion; en particulier, ce qui est dit au 8 (p.
delà de la pé-
°2DGe?art, ainsi compris et pratiqué, vécut bien au à celle
Boriswnt à la cour d'Alexandre,
riode classique. On le voit a
des Halémfcw.el dans les pancgyrfcs WotJeaBW. ft p^homône.
la romaine (C. G., 1583-1587; Athénée.
Tiiespies. pendant période
de <«*# re> *• 2>'
XII, p. 538. et XIV. p. 620; Plut., Prop.
GHRONOLOUIK HOMÉHIQUS 300

cents ans t. Philostrato rapporte en effet que quelques-


uns plaçaient Homère vingt-quatre ans après la prise
du Troie en d'autres termes, ils lo considéraient
eoiiiino contemporain des événements qu'il avait ra.
contés. D'autres au contraire, tols que l'historien Théo.

puinpo, estimaient qu'il avait vécu cinq cents ans après


eus événements » Voilà bien l'écart indique. Entre ces
«Iom.v opinions oxirdmes, dont la première faisait d'Ho-
imVo le contemporain d'Oresle, tandis que la seconde
le ramonait jusqu'au temps d'Archiloquo, une foule
d'autres avaient place, et presque toutes s'appuyaient
sur dos autorités considérablos, telles qu'Ératosthène,
Aristoto, Hérodote, Phitochore, etc. Il est impossible
aujourd'hui de critiquer directement ces témoignages,
parce que nous ignorons entièrement sur quel calcul
chacun d'eux était fondé. Ce qu'il importe de remarquer,
c'ost que, d'après les idées émises précédemment,
la formation des poèmes homériques a dû romplir une
assez longue période do temps, et que par conséquent
nous ne sommes tonus on aucune façon de chuisir une
dato précisa à l'exclusion do toutes les autres il pour-
rait so faire à la rigueur qu'elles fussont toutes vraies
simultanément. Considérées ensemble, elles détermi-

f. Voyez Clinton, Fasti hellenici. et Songebusch, Dûs. homer. pos-


ter., p. 15 et suivantes, dont le système est résumé par ces mots
« ViJatur hoc commune fuisse omnibus fere civitatibus in quibus
Homericaescholae reperirentar, ut eo tempore Homerum natum esse
sibi persuadèrent, quo quaeque ipsa Homericae poeseos particeps
reddita esset » (p. 84). Malheureusement ces dates de l'introduction
des poésies homériques dans les principales villes d'Asie sont elles-
mêmes le résultat de combinaisons bien fragiles.
i. Héroïque. XVIII. 1.
3. Théopompe, dans Clément, Slromata, 1 (p. 388, Pott., p. 441
Sylb.). Clément rapporte dans ce passage la plupart des témoignages
des auteurs grecs relatifs à cette question. Cf. Tatianus, Oratio ad
Graeco*,«h, M (Otto); G. Syneelle, Chtvnographia, p. tSO D.
4. Tous ces témoignages ont été recueillis par Clinton, Pasti heue-
nici, t. I, p. 145-U8.
400 CHAP. VIII. – HOMÈBS ET LES HOMÉRIDES
nent une vaste é tondue de temps, qui est bien celle
pendant laquelle les poèmes homériques ont dû naître
et grandir. Elle commence au douzième siècle avant
notre ère, et elle finit avec le huitième: limites extrê-
mes qu'il somble impossible d'élargir, ne fût-ce qu'on
raison de l'uniformité d'art et de langue qui y règnent.
Mais est il possible d'arriver plus do précision ? C'est là
ce que nous avons à examiner.
Et tout d'abord les faits historiques, que nous avons
essayé de dégager des légendes dans les pages précé-
dentes, nous permettent déjà de rapprocher la pre-
mière limite. D'après la chronologie d'Ératoslhènu, qui
semblela
pour les grands faits de l'histoire primitive
été les Éoliens
plus solide, Lesbos aurait occupée par
cent trente ans après la prise de Troie, soit en l'an 1053
avant notre ère. L'émigration ionienne, d'autro part,
aurait eu lieu en 1044 la fondation do Kymé en 1033,
celle do Smyrne on 1015. Si l'ou se rappelle que la poé-
sie homérique se rattache par ses premières origines
à ces deux villes, il devient évident qu'elle n'a pu nailre
avant l'an 1000. Mais il faut nous souvenir en outre que
nous n'avons pu attribuer soit à Kymé, soit à Smyrne
et non
que des chants préparatoires en quelque sorte,
ceux qui constituent aujourd'hui l'Iliade. Ceux-ci sont
nés à Chios sous une influence éolienne, par conséquent
après que la poésie épique des Éoliens avait pris déjà
son essor et que la légende de la guerre de Troie était
devenue populaire. Bien qu'il soit impossible évidem-
ment d'apprécier le nombre d'années nécessaire à ces
divers progrès de la poésie, on voit que les premiers
chants de l'Iliade ne peuvent remonter au delà du mi-
lieu du dixième siècle avant notre ère (950).
Mais est-il certain ou môme probable qu'ils soient
aussi anèieus? L'eûsômbl© de VlHadeétait certaine-
mont achevé depuis peu de temps vers le commence-
CHRONOLOGIE HOMÉRIQUE 401

ment dos Olympiades, c'est-à-dire au milieu du hui-


tième siècle, lorsque les premiers poètes cycliques,
Arctinos do Milet notamment, entreprirent de racon-
ter les événements qui avaient précédé ou suivi ceux
du poèm3. On ne comprendrait pas on effet comment
le mouvement poétique qui avait produit VIliade, et qui
allait produire le cycle, aurait été interrompu pour re-
prendre quelque temps après.
Si donc l'Iliade avait été commencée au dixième siè-
clo, il aurait fallu doux cents ans pour conduire ce
poèaio à sa fin. Il y a plus de vraisemblance, somble-t-il,
à supposer que la période préparatoire, celle qui a eu
pour théâtre Kymé et Smyrne, s'est prolongée pendant
le dixième siècle tout entier; ce serait alors, à partir de
l'an 900 onviron que les premiers chants do l'Iliade au-
raient pris naissance. Nous nous trouverions ainsi à peu
près d'accord avec Héro Joie, qui pensait qu'Homère avait
vécu quatre cents ans avant lui (vers 850)*. Une fois
commencé, le poèmo dut tendre sans interruption à son
achèvement, sollicité en quelque sorte par la force d'or-
ganisation que le premier germe portait en lui-même. Tl
est donc probable que « le gros œuvre «fut terminé peu
après 850, dès'letomps de la génération d'aèdes qui sui-
vit immédiatement le premier auteur. Mais alors aussi,
par une sorte de loi fatale, le mouvement se ralentit, et
il y a lieu de croire que les additions dernières,
qui ont
achevé le poème, devinrent déplus en pluslentes. Quel-
ques-unes, comme le XXIVechant, semblent appartenir
au temps de l'Odyssée; d'autres, telles que le Catalogue,
à celui d'Hésiode; la Dolonie est peut-être plus récente
encore. Même quand le poème proprement dit fut
achevé, la période des petites interpolations ne se trouva

1.Hérodote,II, Sa «ttrloîovxal "OW«vftrejr.vmpaxorfoinUw


«ma*|»evirps<r6vtipov«
vtvfotott,xaloi nïloai.
Hbt. del.Liu. Oreeqao. T.I, 26
403 CIIAP. VIII. – HOMÈRE ET LES HOMÊHIDES

fit subir au
pas close pour cola: il est probable qu'on
texte des remaniements de détail plus ou moins inv
la fin du vi» siècle, au moins. Mais
portants, jusqu'à
tout cela n'avait plus, depuis longtemps, qu'une im-
secondaire. Ce qu'on peut appeler « la créa.
portance
tion >»do YIliade est le grand fait littéraire et moral
du ix* siècle.
L'Odyssée, comme nous l'avons vu, est certainement
Toutefois elle
postérieure dans son ensemble à l'lliade.
ne peut l'être de beaucoup. La partie la plus ancienne
du poème, colle qui raconte les voyages d'Ulysse, a dû
naître avant le grand essor do la navigation hellénique
en dehors de l'Archipel, c'est-à-dire avant le mouve-
ment de colonisation du huitième siècle. Elle suppose
une connaissance très vague encore des régions de l'A-
la Sicile, de
frique qui sont à l'occident de l'Égypte, do
l'Itulio méridionale. Tous ces pays no sont entrevus par
le poète qu'au travers des légendes. Cotte partie du
ancienne que la
poème ne peut donc pas être moins
moitié du huitième siècle, et il est plus vrai.
première
semblable qu'elle remonte à la fin du neuvième (un
à la seconde partie, bien que
peu avant 800). Quant
plus récente, elle n'aurait guère pu s'adapter à la pre-
mière, si celle-ci avait eu une longue existence indé-
pendante. D'ailleurs, le fait que nous signalions à pro-
pos de l'Iliade a dû se produire également ici. Quand
une œuvre collective grandit au milieu d'un succès uni-
versel, il y a nécessairement dans sa croissance une pé-
riode d'essor. C'est certainement le spectacle de l'Iliade
en train de prendre sa forme définitive qui a inspiré
l'autour des premiers groupes de chants de l'Odyssée.
Celui-ci ayant ouvert par un coup de génie une voie
nouvelle, d'autres s'y sont jetés aussitôt. La Télémachie,
été le dernier élément consti-
qui semble avoir grand
tutif du poème, est antérieure aux Catalogues hésiodi-
CHRONOLOGIE HOMÉHIQUE 403

ques et pout-ôtro d'un assez grand nombre d'années.


GelasufOt à prouver que, pour l'Odyssée aussi, l'essentiel
do la construction se fit assez rapidement. Nous croyons
que le poème existait dans sa forme généralo dès 750.
Reste, comme pour YIliade, la question toujours ouverte
dos additions partielles et des interpolations de détail. A
cet égard, co que nous venons do dire du premier de
cas poèmes est aussi applicable au second
Ce rapide coup (l'œil sur la suite des temps qui ont vu
naitro la poésie épique nous conduit naturellement à ce
qu'on nomme le cycle. Nous trouverons, dans l'étude
que nous allons en faire, une confirmation indirecte de
co qui vient d'êtro dit.

1. Le fragm. 34 des Calalogues (Kinkel) oat manifestement inspiré


par Od. UI, 404, comme l'a très bien vu Kirohhoff (Odyssée, exe. IV).
2. Le caractère de ce livre et les limites qui lui sont assignées ne
nous permettent pas de discuter, ni môme d'indiquer ici en détail les
tentatives qui ont et6 faites pour donner une date plus ou moins pré-
cise a telle ou telle partie des poèmes homériques. On peut consul-
ter a cet égard, 8i on le désire, les excursus des éditions de l'Iliade
de Christ et de VOdyssée de Kirchhoff, l'ouvrage souvent cité de Wi-
hmowilz-MœllondorlT, l'Homerio iijnchronism de Gladstone, et aussi
l'Épopée homérique de l'archéologue Helbig, sans parler des chapitres
afférents à ce sujet de certaines histoires de la littérature grecque.
Ou fera bien seulement de remarquer que beaucoup d'indices de dé-
tail, qui semblent assez probants au premier abord, n'ont guère de
valeur solide, soit parce qu'ils peuvent être interprétés autrement,
soit parce qu'ils peuvent avoir été introduits apréa coup dans un texte
plus ancien.1 Voilà pourquoi il faut peut-être faire plus de fond sur
des raisons du genre de, celles qui viennent d'être exposées, bien
qu'elles puissent paraltre à quelques-uns trop générales, que sur des
combinaisons d'une précision purement apparente.
CHAPITRE IX

LA POÉSIE CYCLIQUE

BIBtIOORAPnlB

Éditions. – Les fragments du cycle, avec l'extrait de la


Chmtomathte de Proclus qui s'y rapporte, ont été publiés et
traduits en latin dans l'Homère Didot, UomeHcarmina et Cy.
eli epici reliquiae, Paris, 1837-56, d'après la récenslon de G.
Dindorf. – Les autres éditions sont oelles de C.*G. MMlor,
Leipzig, 1829, aveo traduotion latine; de H. Dûntzer, Colo-
gne, 1840; de G. Kinkel dans le tome I de ses Bpicorumgracco-
vum fragmenta, Leipzig, 1877.
Les fragments de la Thêbaide ont été édités séparément
avec un commentaire par E.-L. von Lentsch, Gœttingen,
1830. Quelques débris des Chanta eypriem se trouvent dans
les Parerga Plndarka de Tycho Mommsen, Francfort, 1877.
F. Wûllner a aussi rassemblé des fragments du cycle avec
des extraits de la Chreslomathiede Proclus dans son ouvrage
intitulé De Cycloepico poetitque eyelicis commentatio, Mûnster,
1828.
Ce qui reste de Pisandre de Rhodes se trouve dans l'Hé-
siode Didot, Paris, 1840, dû à Fr. Dûbner, et dans les Epico-
non graecorumfragmenta de Kinkel cités plus haut.
La Chreatomathiede Proclus a été publiée en entier, avec
VEncMridion d'Héphœstion, par Gaisford, Leipzig, 1833, et
Oxford, 1883; puis par R. Westphal, dans le tome premier
de ses Scriptores metriei graeci, Leipzig, 1866.
IDÉE GÉNÉRALE DU CYCLE 405

SOMIMinE

I. Idée générale da cycle. II. La partie iroyaune du cycle. Atotl-


nos de Milet, ÊlhhpUle et Prit» <f/«o*. Leaohèa, Petite Iliade. Sta-
ginos de Chypre, Chants Cyprient. Agias, tes Retours, Eugaromon,
La Ttttgonie, III, Les poèmes cyoliquea Ihébain». La ThébaUle.
Les ï&pigonea.l'OBdipodie – IV. Les autres poèmes cycliques. Tita-
nomachk, Danatde, Guêtre des Amazones, Ninyade. Prist d'CEchattt,
eto, V. Piaindre de Rhodes. VllératU». Us Thiof/amies hemï-
{MM.

Qu'est-ce que le cycle? Comment sont nés les poèmes


qui le composent et comment so sont-ils groupés? Quels
sont leurs rapports avec l'Iliade et l'Odyssée? Quelques
mots suffiront pour répondre à ces questions.
Roprésonlons-nous d'abord l'état des légendes épiques
vors lo commencement dos Olympiades, lorsque l'Iliade
ot l'Odyssée furent achevées. La partie do ces légendes
qui figurait dans ces deux poèmes venait de prendre
un développement disproportionné avec son impor-
tance réelle. La querelle d'Agamemnon et d'Achille
d'une part, le retour d'Ulysse de l'autre, simples épi-
sodes dans l'ensemble des récits relatifs à la guerre de
Troie, avaient mis dans l'ombre tout le reste. Il est
vrai que les autres événements de cette guerre avaient
été traités dans des chants plus anciens, qui sans doute
subsistaient encore; mais ces chants, sommaires et peu
dramatiques, ne pouvaient en aucune façon se raccorder
aux grands poèmes dans lesquels une manière entière-
ment nouvelle venait do prévaloir. D'un côté, une action
riche et variée, fertile en incidents, en descriptions, on
scènes émouvantes; des discours, des entretiens, de l'é.
400 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE

do la vie; do
loquonce, on un mot le spectacle mémo
l'autre, une simple énumération d'ôvénomonts, qui dé.
sonnais semblait pauvre et insignifiante. C'étaient deux
la poésie do
genres do poésie différents et inconciliables,
l'onfanbo, naVvo,timide, superficielle, et celle do la jou-
nosso, ardente, vigoureuse, pleine d'idées et de passions.
L'œuvre dos poètes cycliques s'explique tout entièro
doux cents ans envi-
par co simple contraste. Pondant
ron, dopuis le milieu du huitième sièclo jusqu'au conv
monoomont du sixième, dos hommes do talent, épris
do la poésie épique, travaillèrent à raccorder ces vieux
chants, tombés dans le discrédit, avec les poèmes bril-
lants et grandioses do l'âge homérique. Ils s'efforcèrent
do rendre, autant quo possible, aux diverses parties dos
Ils voulurent,
légendes leurs proportions primitives.
do l'Iliade et do
pour linsi dire, ramener les récits
dans un grand
l'Odyssée à lour rang de simples épisodes
à la manillre nou-
ensemble, et pour cola, reprenant,
antérieurs ou
velle, les principaux événements, posté-
rieurs à l'action de ces doux poèmes, ils se mirent à
les traiter avec d'amples développements, de façon à
leur rendre l'importance relative qu'ils avaient perdue.
Une toile tentative était sans doute fort naturelle.
En ce temps, où la poésie épique était l'histoire mémo,
il n'y avait aucune raison pour sacrifier certains grands
événements. La Grèce, de plus en plus curieuse de savoir
et do mettre on ordre ses connaissances, voulait embrasser
d'un coup d'œil tout son passé, dont ses grands poètes
Le rapt
épiques vonaient de glorifier quelques parties.
à
d'Hélène, le rassemblement des Grecs Aulis, leur dou-
de villes et les
ble débarquoment on Troade, les prises
incidents divers qui étaient censés avoir rempli neuf
ans avant la querelle par laquelle s'ouvre l'Iliade, et
d'autre part la mort d" Achille, la défaito des derniers
alliés de Priam, et entin la prise môme dilios, tout
IDÉE GÉNÉRALE Hli CYCLE 407

cola ne pouvait désormais rester perd» 'lans do vieux et


obscurs récits poétiques qu'on n'osait plus chanter. Et
les retours des chofs, et lour dispersion, et leurs mal-
lie ura domestiques, et les fondations de colonies loin-
taines, n'était-ce pas là une masse vivante de souvenirs
nationaux qui appelait la poésie, qui réclamait son con-
cours, et qui se plaignuit d'être injustement oubliée?'t
Malheureusement, ai impérieuse que fut cette nécessité
morale, tout essai do ce genre était condamné à de mé-
diocres résultats. V Iliade et l'Odyssée avaient absorbé
par avance ce que le génie épique pouvait créer do
meilleur. Après tout, les genres littéraires no sont pas
inépuisables. Il était au-dessus dos forces humaines do
construire désormais, sur le même fond de légondes,
de longs récits, sans y ramener des situations analo-
gues, dos sentiments presque identiques, des porsonna-
ges déjà connus sous d'autres noms. Et ce n'était là que
lo moindre inconvénient de l'entreprise; le plus grave
tenait h une raison plus intime. L'Iliade, dans sa lente
élaboration, avait trouvé son unité, comme nous l'avons
montré, dans un fait moral simple et prédominant la
colèro d'Achille, ses phases et ses conséquences. L'O-
dyssée avait grandi de même autour du personnage
d'Ulysse, attaché à un seul sentiment. Mais comment
donner ce genre d'unité aux récits nouveaux, où tant
de choses devaient trouver place.? Qu'on imagine, par
exemple, la situation d'un poète essayant detraiter les
événements de la guerre troyenne antérieurs à l'Iliade.
Pour se conformer à la manière de son modèle homé-
rique, ce n'était pas un poème seulement qu'il se se-
rait vu obligé de composer, c'étaient vingt ou trente
grands poèmes; la véritable unité ne se trouve en
effet que dans des sujets relativement restreints, parce
que seuls ils peuvent être droninéa par un même per-
sonnage et montrer le développement d'une même si-
403 CHAPITRE IX, – LA POÉSIE CYCMQUK

tuttlkm morale. Sous cette forme, l'entreprisoétait irréa«


lisable. Quo fallait-il donc faire ? Choisir quelques évé.
noments notables et négliger tous les autres, c'est-à-
dire se résigner à être incomplet ? L'esprit historique,
Voilà comment
qui grandissait, s'y opposait absolument.
on dut rassembler do longues séries d'événoments dans
chaque poème nouveau, et compter par années, là où les
On
poètes de i'àge précédent comptaient par journées.
out ainsi dos narrations épiques, amplement dévelop-
dont
pées sans doute relativement aux chants primitifs
elles s'inspiraioht, mais sommaires et complexes tout
à la fois relativement à l'Iliade et à l'Odyssée; dans ces
conditions, l'unité qu'on peut appeler homérique était
impossible. Pourquoi dès lors nous étonnerions-nous
do ce quo le secret do la composition semble s'être
à dire
perdu après 17/iWe, et VOdgssdef On avait trop
Un narratif nouveau
pour bien composer. procédé
se substi-
,répondait à des besoins nouveaux, et il
tuait à l'ancien comme l'histoire a succédé un jour à
à la C'est une loi commune
l'épopée et la prose poésie.
la force des
qui est entrée en jeu ici du moment que
choses imposait au de génie épique encore survi-
peu
vant la conservation dos vieilles légendos dans leur
entier et lour adaptation aux d'Homère, il était
poèmes
vers la
impossiblo que l'épopée ne s'achominàt pas
chronique.
Prenons donc les choses telles qu'elles sont. Le cycle
marque un nouvel âge de la poésie épique. L'indépen-
dance créatrice dominait dans le précédent l'imitation
et l'adaptation sont les caractères principaux de celui-ci.
Les auteurs n'ont plus la môme liberté. Tandis que les
aèdes homérides créaient des incidents nouveaux et
des scènes entières à leur gré, batailles, rencontres de
héros, assauts, aventures merveilleuses, les nouveaux
se vi-
venus, historiens en même temps que poètes,
IDÉE GÉNÉRAL®DU CYCLE «09
rent obligés, à co titre, do suivre pas à pas des séries
d'événements données. S'ils ont produit ainsi do moins
belles couvres, ce n'est pas une raison pour les dédai-
gner leur manière caractérise une phase importante
de l'histoire littéraire. Ceci posé, venons-on aux faits
eux mêmes.
Le principal témoignage ancien relatif au cycle, le
plus propre à en bien expliquer la nature, est celui do
Proclus rapporté par Photius « Proclus, dit celui-ci,
» s'étend ensuite (dans le second livre de sa Chresto-
» mathie) sur ce qu'on appelle le Cycle épique. Ce cycle
» commence à l'union fabuleuse du Ciel et de la Terre,
» d'où naissent trois géants à cent bras et trois Cyclopes;
» il continue on parcourant les autres fables des Grecs
» rotatives aux dieux, ainsi que les quelques traditions
» vraies qui peuvent s'y trouver mêlées; et enfin, en
» réunissant les œuvres combinées de divers poètes, il ar-
» rive à son terme, c'est-à-dire au débarquement d'Ulysse
» dans son tle d'Ithaque, où il est tué par son fils Télé-
» gonos qui ne le roconnait pas. Proclus dit que les
» poèmes du cycle épique subsistent encore et qu'ils sont
» recherchés généralement, moins pour leur mérite que
» pour les événements dont ils présentent la succession.
» II indique le nom et le lieu do naissance do ceux qui
» ont composé le cycle épique » Il résulte de ce té-
moignage qu'il existait au temps de Proclus, au second
siècle de notre ère, une série continue de récits, for-
1 Confonduà'tort avecle célèbrephilosophenéoplatonicien du v*
siècle,ce Proolusétait probablementle grammairienEutychiusPro-
cluade Sieea,l'on desmaîtres de MarcAnrèle.Il avait composé,
sousletitrede Xp^trcoiiàSsict une sortedeCoursde littéra-
Ypa(i(iattxV),
tureen quatre livres, qui nousest connupartiellementsoit par l'a-
nalysesommairequ'enadonnéePhotiusdanssa Bibliothèque (n°239),
soitpar quelquesfragmentsimportantstrouvésdans deux manua-
eritsd'Homère(CodexEscorialensis et CodexVenetus,
484);voy.laBt-
bliographieen têtede ce chapitre.
S.Photius,BiU.. 239;dans l'Homèrede Didot,p. 581.
410 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE

méo de poèmes entiers ou de fragmenta de poèmes


combinés entre eux, qui ombrassait toutes les princi-
et héroïques. L'Iliade et
pales légendes mythologiques
comme nous l'apprenons d'ailleurs par un
l'Odyssée,
morceau conservé du même ouvrage de Proclus, étaient
incluses dans cette série. On rappelait le cycle (xûxto;,
formait comme un vaste corclo do
cercle) parce qu'eUe
connuissanees l.
de lui.
Ce cycle ne s'était pas entièrement organisé
môme. Il avait été probablement constitué par le gram.
mairien alexandrin Zénodoto au commence.
d'Éphèse,
ment du m» siècle avant notre ère Son travail dut
consister à choisir, entre do nombreux poèmes, ceux qui
so prêtaient le mieux à former une série continue et qui
étaient on môme temps les plus intéressants, à on ox-

1. Cette appellation n'apparaît pour nous qu'au second siècle; maia


il ost probableqa'oile remonte jusqu'aux temps alexandrins. Déjà, au
temps d'Arlstote, le mot i-pwuXuKdamnait tout ce qui faisait partie
du cercle d'idées et de connaissances d'un homme bien élevé. car le
philosophe appliquait ce mot à ses toutes exotériques, c'est-à-dire
populaires (Êth. Nie. I, 3; De eœlo. I. 9, avec le commentaire de Sim. et
plicius). Les Grecs de ce temps se représentaient donc ces idées
ces connaissances comme une sorte de cercle. On comprend dès lors
que le mot tetxb; xûxtac a dû nattre de lui-même pour désigner l'ensem-
ble des récits épiques qui constituaient la légende héroïque connue
de tous. Cette légende, commune et rebattue, ne comprenant que les
grandes choses, s'opposait pour les érudits aux légendes rares et neu-
ves dont ils faisaient collection. De là l'idée de banalité que Callima-
dont le mot la-
que (Anthol. XII. 43) attachait à l'adjectif xuxXtxAcet
tin eyeUeus avait hérité.
8. Welcker, DerEpisehe Cyelus, 1. 1, p. 8 et suiv. Cela résulte du
double tèmoiiraase d'un scoliaste d'Aristophane et du poète Ansone.
Scolie de Caecius (Tzetzès) sur le Plutus d'Aristophane (Didot, Scho-
lia graeca in Arislophanem. Proleg., p. xxn) Alexander Aetoluset
Pto-
Lycophron Ghalcidensis et Zenodotns Epbesius, iinpulsuin régis
artis poetices libros nnum col-
lemaei, Philadelphi eognoroento.
legerunt et in ordinem redegerunt, Alexander Iragoedias, Lycophron
comoedias. Zenodotus vere Bomeri poemala et reliquorum illustrium
29 Qaîqa* saeri laeerum eolleg"*
pœtarum. – Ausone, Bp.. XYTII,
corpus Homeri. Le nom d'Homère désigne ici toute la poésie épique
primitive.
IDÉE GÉNÉRALE OU CYCLE 411

dure par conséquent un certain nombre d'autres, puis à


lixor le texte dos poèmes choisis, ot enfin à los grouper
dans un ordre fixe au moyen d'un catalogue. Co fut on
somme une savante et ingénieuse classification; et cela
seul suffirait presque, indépendamment des témoignages
cites, à dénoter l'intervention d'un des bibliothécaires
aloxandrins.Il est probable quo les poèmes ainsi associes
no s'ajustaient pas toujours exactement les uns aux au-
tres; nous verrons par exomple un peu plus loin que la
prise d'Ilios avait été racontée à la fois par Losehès et
par Arctinos. Si donc io critique alexandrin n'avait pas
mutilé ces anciens textes pour los faire entrer nrlificiol-
loinont dans sa combinaison, il devait y avoir dans son
cycle des répétitions. Elles disparurent sans doute plus
tard, puisque l'analyso de Proclus n'en porto aucune
trace. Do quello façon ? Peut-être, après Zénodote, lo
cycle subit-il une sorte de rétrécissement, afin de s'ac-
commoder de plus en plus aux besoins et au goût des
lecteurs; ceux-ci, selon le témoignage cité, y cher-
chaient plutôt un exposé complet de la mythologie et
dos légendes héroïques que de beaux morceaux de
poésie voilà pourquoi ils laissèrent de côté ce qui fai-
sait double emploi
Il résulte de tout cela que, pour étudier la poésie cycli-
que en elle-même, il no faut pas tenir trop de compte des
diverses combinaisons anciennes, qui sont en somme
artificielles. Leur seul mérite pour nous, c'est de laisser

1. Ce travail fat Opéré sans doute par les mythographes de l'époque


romaine. Denys, appelé « le cyclographe », composa, vers le temps de
Marins, un « cycle historique » (xûxXo; tcrropix&c)qui offrit aux lec-
teurs, probablement sous forme d'analyses et d'extraits, un résumé
continu, de tontes les légendes héroïques (Diodore, III, 66). Nous con-
naissons encore de nom d'autres cycles analogues, notamment celui
de ThAodore (G. ï. &. 618S). Il non» est impossible d» ««voir snjonr
d'hui en quoi Us différaient les uns dés antres c'était apparemment
dans les combinaisons de détail plutôt que dans les grandes lignes.
413 CHAPITRE IX – LA POÉSIE CYCLIQUE

apercevoir un autre groupement, celui-ci primitif et


spontané, beaucoup moins rigoureux, sans loqool elles
auraient été impossibles. En essayant do lo dégager,
nous verrons dans quels rapports les divers poèmes du
cycle étaient entre eux à l'origine, et nous nous ren-
drons compte ainsi de l'influence que les anciennes
compositions épiques exerçaient les unes sur les au-
tres. Étudions dans cette intention d'abord les poèmes
troyens, puis les poèmes thébains, et en dernier lieu
tous les autres

La partie troyonno du cycle a été de beaucoup la plus


dans l'antiquité, et do là vient qu'elle est
populaire
aussi la mieux connue. Un dos fragments conservés

1. Le classement alexandrin des poèmes du cycle n'a pu être resti-


tué que d'une manière hypothétique, en combinant les indications
de l'inscription Borgia (C. J. G.. 6126) avec celles de la Chrestomathie
de Proclus, et en s'aidant encore de la chronologie fabuleuse. Cette
restitution est donc fort conjecturale. Voici la série complète, telle
que la donne Welcker (Cyctus, t. I, p. 35) 1 Titanomachie, 2 Danaïde,
3 Althide ou Amazonie. Œdipodie, 5 Thébaïde ou Expédition d'An»-
9
phiaraos, 6 Épigonss ou Alcmlonide, 7 lUingade, 8 Priae d'~cl~alie, 13
Chants cypriem, 10 IlioJle d'Homère. Il Êthiopide. 12 Petite Iliade,
Prise d"Ilios, 14 Rr.taurs, 15 Odyssée d'Homère, 16 Télégonie. – L'ins-
cription Borgia, ici mentionnée, est un fragment d'une table iliaque,
trouvée à Vélitres; elle est aujourd'hui au musée de Naples, après
avoir appartenu à l'antiquaire Stefano Borgia, d'où son nom. On ap-
pelle Tables iliaques des tablettes de marbre ou d'une matière analo- la
gue, sur lesquelles étaient représentés en relief des épisodes de de
Sur l'usage de ces tables, voir la dissertation
guerre troyenne.
Bœckh (C. J. G., 6125).
Parmi les études récentes auxquelles a donné lieu le cycle, nous
devons mentionner celle de Wilamowitz-Moellendorff dans ses Home-
rische Untersuchungen. L'auteur s'y montre très sceptique sur lus ira
ditions relatives aux noms et à la personne des poètes. Voir aussi
H. Weil, Rev. de PMI. XI, p. 1-5 et 5.9.
PARTIE TROïENNE DU CYCLE 413

do la Chrestomathie do Proclus nous donne l'analyse


presque complète des poèmes qui la constituaient », et
diverses représentations figurées, ainsi que de nombreux
témoignages antiquos, viennont à l'appui do cette
analyse.
Il y a de fortes raisons de croire que les plus anciens
de ces poèmes sont YÉthiopide et la Prise dJIios d'Arc-
tinos de Milet. Ce poète vivait au commencement des
Olympiades, par conséquent vers le milieu du vm" siè-
cle avant notre ère a. Son premier mérite fut de bien
comprendre où en était YIliade. Au lieu de chercher,
comme los aèdes homérides l'avaient fait jusque-là, à la
grossir par le dedans on y intercalant de nouveaux épi-
sodes, il entreprit résolument de la compléter par le
dehors on la continuant. Pensée féconde, qui marqua la
find'une période et le commencement d'une autre.
L'Iliade s'arrêtait à la mort d'Hector. Arctinos se mit
à raconter les événements qui avaient suivi, jusqu'à la
chute d'Ilios. Son œuvre comprenait une longue suc-
cession de scènes sans unité intime 3. L'Amazone
Penlhésilée venait avec ses compagnes au secours des
Troyens. Elle était tuée par Achille. Thersite insultait le
héros en se moquant de son amour pour la belle guer-
rière tombée sous ses coups. De là, meurtre de Thersite
par Achille, dissentiments violents parmi les Achéens,
et enfin purification d'Achille par les soins d'Ulysse
dans l'île de Lesbos. Après l'Amazone Penthésilée, Mem-
non, fils de l'Aurore, arrivait à son tour comme allié du
vieux Priam, et une nouvelle série d'événements com-

1. llomeri carmina et Gycli epici religuiae, éd. Didot, p. 581.


2. Soldas, 'Apxrtvoc. Saint-Jérôme, Chron., 01. 1 et OL IV. Geor-
ges le Syncelle, 01. 1.
3. Voyez l'analysa de Pioelua luttilionnée pins haut et la table ilia-
que du musée du Càpitole (C. I. G., 6125, avec une planche qui repro-
duit les scènes en question).
414 CHAPITRE IX. LA POESIE CYCLIQUE

ensuite
monçait. Memnon tuait Antiloquo et périssait dans
do la main d'Achille. Mais celui-ci succombait sa
victoire mémo, atteint par la flèche de Paris que diri-
Alors lo poète décrivait los funérailles
geait Apollon. la
d'Antiloque, puis celles d'Achille, et querelle d'Ulysse
et d'Ajax au sujet de ses armes, avec la mort d'Ajax
Cette série de scènes constituait, d'après Proclus, le
livres, et
poème appelé Êthiopide, qui comprenait cinq
do la Destruction d'Ilios dont
que l'on distinguait alors
nous allons parler.
Il est à peine besoin de dire que cette division ne
saurait être attribuée à Arctinos lui-inôme. Celui-ci ne
il complétait la
composait pas des poèmes distincts
série do chants qui constituaient VIliade par d'autres
chants, qui devaient peut-être, dans sa pensée, s'in-
De même que les
corporer au groupe déjà existant ».
chants do l'Iliade étaient connus sous les noms de Chant
de la querelle, Exploits de Diomède, Patroclie, etc.,
de même sans doute ceux d'Arctinos s'appelaient
sans quo
l'Amazonie, YÊthiopide, la Destruction dllios,
la division de
l'usage do ces dénominations impliquât
son œuvre en plusieurs poèmes formant chacun untout3.
Ce fut donc plus tard que les récits d'Arctinos, n'ayant
leur indépendance
pas été incorporés à l'Iliade, acquirent
défluitive, contrairement à l'intention de leur auteur.

1. L'analysede Proclus doit être complétéepar SchoLPind.fe-


thst~.III, 53.
2. Le débutmêmedu poèmese rattachait de la manièrela plus.
intimeà la findel'Iliade. Celle-cise terminepar ce vers Q; otT
4MU*ov *4Çov "ExropoctariffM. Le scoliastenous apprend
Xte«Ap«-
autretexte portait "Qco?Y'*«»* tS?ov"ExTopo^-»considère ce
Càv -'Apw ftofav (KT«Wbbpo« -*c«Mpwo. Weleker En
d'Aretinos.
dernier vers eomWle commencement de i'Élhiapide
tout cas, tfeit au moins une transitionqui ne pouvaitservir qu*
lier Êthiopide'k l'iliUde. • v.
3. Cf.Bobert,PMI.JJntenueh.V, 223.
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 415

On en forma alors deux sections sous les deux noms


i'Êtniopide et do Destruction d'Ilios.
Cette Destruction d'Ilios n'est en réalité que la suite
do l'Éthiopide. Elle comprenait les épisodes de l'enlè-
vement du palladium «, du cheval de bois, de Laocoon, de
Sinon, le retour des Achéens devant Troie et leur en-
trée secrète dans la ville, puis les massacres et le par.
tage des captives, enfin l'incendie da la ville, tels à peu
faite Vir-
près qu'ils sont connus par l'imitation qu'en a
de l'Enéide 9.
gile au second livre
Quelle était l'originalité d'Arctinos dans le dévelop-
pement de ce sujet? Nous voyons clairement qu'un
certain nombre de scènes avaient été faites d'après des
scènes connues de l'Iliade. Par exemple, le rôle de
Thersite dans l'Éthiopide, son insolence, sa méchanceté
agressive rappelaient certainement quelques passages
du second livre de l'Iliade. Antiloque, tombant sous les
coups de Memnon et vengé par Achille, ne pouvait pas
ne pas ressembler à Patrocle, tombant sous les coups
d'Hector et vengé par le môme Achille. D'autres rap-
prochements analogues s'offrent d'eux-mêmes 3. L'anti-
quité n'avait donc pas tort, lorsqu'elle considérait Arc-
tinos comme un disciple d'Homère L'Iliade était son
unique modèle, et il l'avait toujours présente à l'esprit,
soit volontairement, soit à son insu'. Mais ce disciple dut

i. Cetépisoden'est pas mentionnépar Proclus;maisvoyezDenys


d'Halie.,Antlq.rom.,-1,69.
2. Le secondlivre de l'Éneide,d'après Macrobe{Saturn.,V, 2, 4),
seraitpresqueentièrementtraduit de Pisandre.S'il en est ainsi. Pi-
sandrelui-mêmeavaitsuividetrès prèsArctinos car l'analysedePro-
clusmontreque celui-ciavait traité précisémenttoutescesscènes.
3. Voir dansWeleker,Cyelu»,t. IL l'étudesur les deux poèmes
d'Arctinos.
'Orôpov.Artémon,dans Suidas,'Ap*tîv««.
4. M*6r[riie
5.n est plus difficilede dire si Arctinosa imitécertainesparties
qui sont parmi lesmoinsanciennes,ou si au contraire
de l'Odyssée,
les auteursdecesparties (Récitsde Nestor ,rdled'Ajaxdansla Né-
418 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE CYCLIQUE

être en môme temps un vrai poète: la populatité dont


de Memnon
jouirent les personnages do Penthôsiléo et
atteste qu'il y avait dans son récit des parties fortes et
brillantes, des scènes pathétiques, dos caractères atta-
chants. Il Pindaro et Eschyle, ce qui est déjà un
inspira
honneur
Leschès ou Leschéos, (ils d'vEschylinos, était un Les-
bien, de Mitylène ou do Pyrrha, et appartient au siècle
suivant. Il vivait vers la 30e Olympiade (660-657), en.
viron cent ans après Arctinos et une trentaine d'an.
nées seulement avant Alcée et Sapho, c'est-à-dire à peu
Son couvre, connue sous
près au temps d'Archiloque
le nom de Petite Iliade (TkAi {*«?*), se rattachait à celle
d'Arctinos, mais avec bien plus d'indépendance que
celle-ci ne se roliait elle-même à la grando Iliade. Il
semble que la pensée do Leschèâ ait été non seulement
do compléter les récits d'Arctinos, mais aussi de les re-
nouveler partiellement. Proclus, dans l'ouvrage que
nous ne cessons de suivre ici, analyse quatre livres
de la Petite Iliade, qui vont de la folio d'Ajax jusqu'au
moment où les Troyens viennent do faire entrer le che-
val de bois dans leurs murs. Leschès prend donc pour
point de départ un des événements principaux racontés
la mort d'Achille, mais il suppose qu'a-
par Arctinos,
et avant ceux suivaient immé-
près cet événement qui
diatement dans le récit d'Arctinos, d'autres sont inter-
venus qui n'ont pas été racontés précédemment il en
*vta,deuxièmeNi*»»)ont imité Aretinos.Les réponsespeuventva-
rier pour ces divers passages.
1. Pindare (Ném.III, B943).lorsqu'Uveut direbrièvementceque
fat AchilledevantTroie,s'inspirenonde l'Iliade,maisde VÉthiopide.
Le héros y avaitévidemmentgrandi son rôle y était plus merveil-
leux.Le mêmepassagenous montrepar allusion quelétaiU'éclatdu
rôle de Memnonet aussi de celuid'Hélénos,qui sansdouterempla.
çait H«ttér de wM*d««Troyen».
2. Georgesle Syncelle,01, XXX.Pausan., X. 25,3. Table iliaque
du Capitole(C. G.,6125).
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 417

fait la matière propre de ses chanta. Ses héros sont


Philoctèto et Nôoptolèmo, personnages nouveaux dans
l'épopée, et Ulysse, personnage anoien, dont l'impor.
tance a singulièrement grandi sous l'influence de Ï'O-
dyssée. C'est lui qui, au début, obtient, de préférence à
Ajax, les armes d Achille c'est lui encore, qui s'empare
du devin troyen Hélénos et le force à révéler que Troie
succombera sous les coups de Philoctète. Il va chercher
à Scyros le jeune Néoptolème, qui devient dans ces ré-
cits un second Achille, quand il a reçu d'Ulysse les ar-
mes de son père. C'ost encore le roi d'Ithaque qui s'in-
troduit dans la ville et prépare avec Hélène la trahison
décisive il y rentre pou après avec Diomède et enlève
le Palladium. Enfin, s'il ne construit pas lui-même le
cheval de bois, œuvre d'Épéos et d'Athèné, il dirige du
moins l'exécution du stratagème, et il est le véritable
chef des guerriers qui pénètrent ainsi dansla ville. Ce
fut pout-étro pour grandir aussi le rôle d'Ulysse dans
l'épisode final, que Leschès refit, après Arctinos, une
description de la prise de Troie. On ne peut douter on
effet que cette description ne figurât dans son poème,
bien que l'analyso de Proclus ne la mentionne pas. Cela
est prouvé par plusieurs témoignages Cette simple
analyse laisse deviner ce que valait l'esprit ingénieux
et indépendant de Leschès; quelques courts fragments
encore subsistants confirment cette impression 2. C'est
sans doute parce que Leschès avait refait à sa manière
un récit déjà fait par Arctinos, qu'une légende ancienne

i. Aristote,Poétique,ch.23.Pausanias,X, 25,26,27.Cedernierdé-
crit,dans cespassages,letableaude.Polygnotereprésentantla prise
de Troie,composé,dit-il expressément,d'après la Petite Iliadede
Leschès.
2.Nom.«c'm. et oycliepfcireüq., éd. Didot,p. S9aet sniv., parti-
culièrement fr. 4et 9. Mônélas épargnantHélèneà causede sa beauté
(tr.15)est un sujet dontles arts plastiquesout tiré profit;J. Martha,
Archéologie
a
étosque,
_h.
p. 107. n·r
hui. de la Lut. Greoqa». – 1. 1. «»
413 CHAPITRE IX- – LA POÉSIE CYCLIQUE
le représentait, en dépit de la chronologie, comme ayant
concouru avec ce poète D'après cette légende, il sa.
rait même sorti vainqueur de ce c&aoours. Cet hom-
mage lui était dù Arctinos n'avait fait que continuor
l'Iliade; Leachès, plus hardi, avait tenté de renouveler
ce qui existait déjà, en partie du moins; son succès fut
assez grand pour que son œuvre méritât d'ètre appelée
la Petite Iliade et de figurer sous ce titre à côté do la
grande Iliade. Cela môme «omble indiquer qu'elle ne
s'y rattachait pas très aisément et qu'elle constituait
en fait une série do chants distincte.
Le nom de Stasinos do Chypre est inséparable do ceux
d' Àrctinos et do Leschès a. Aucun renseignement chro-
nologiquo relatif à ce poète ne nous est parvenu mais
la nature mémo de son œuvre, toute pénétrée déjà des
idées qui allaient dominer dans la poésie lyrique, ne
permet pas de le considérer comme antérieur à Loschès.
L'épopée qui lui ost attribuée était connue dans l'auti-
quité sous le nom de Chants cypriens, d'après le lieu de
son origine. Elle so rattachait aussi étroitement à
l'Iliade que collo d'Arctinos, mais elle en différait pro-
fondément par l'esprit. L'objet du poète avait été de réu-
nir dans un récit continu les événements do la guerre

1. Phanias chez Clément d'Alex., Strom., I. 21, 131.


2. Stasinos de Chypre est cité comme auteur des Chants cypriens
par le scoliaste d'Homère, Iliade, I, 5. Proclus (dans Photius, Bi-
blioth., cod. 239) le mentionne également en cette qualité, mais en
ajoutant que d'autres attribuaient ces chants à Hégésinos de Sala-
mine (en Chypre). Athénée, VIII, p. 334 0, nomme Stasinos avec une
réserve. Hérodote (II, 117) parle des Chantt eyptiens pour dire qu'ils
ne peuvent être d'Homère, mais il n'en nomme pas l'auteur. En gé-
néral, lorsque les anciens citent les Chants cypriens, ils disent simple.
ment Ata KiSupiaYpA|>«c, ou se servent d'une expression analogue. Le
nom de Stasinos ne peut donc pas être considéré comme définitive-
ment acquis 4 l'histoire littéraire. – Sur les traditions cypriotes re-
latives à Homère et sur les liens de Stasinos avec l'ancienne épopée,
voir la 2»dissertation homérique de Sengebuscb, p. 47.
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 419

troyonno antérieurs à l'action do Y Iliade; mais on même


temps, obéissant à un besoin d'esprit nouvoau, il s'ef-
forçait d'expliquer tout l'ensemble de
celte légende par
des vues générales, qui attestent déjà l'éveil de la rai-
son philosophique et théologiquo

• On raconte », dit un scoliaste ancien


t, t que la Terre,
accablée par la multitudo des hommes, qui ne connaissaient
aucune piété, pria Zeus de la soulager de son fardeau. Zeus
susolta d'abord la guerre de Thôbesi, grâce à laquelle il en
détruisit un grand nombre. Puis, un peu plus tard, suivant
le oonseil de Momos, il réalisa ce qu'Homère
appelle le des-
seinde Zeuss. Au lieu de détruire tous les hommes
par la
foudre et par les déluges, comme il l'aurait pu, il s'en laissa
dissuader par Momos, qui lui suggéra de marier Thétis à
un mortel et de faire naître une jeune tille d'une beauté admi-
rable de ces deux événements résulta la guerre entre les
Grecs et les barbares, et cette guerre fut un
soulagement
pour la Terre, car beaucoup de guerriers y périrent. Cela
est raconté chez Stasinos, l'auteur des Chants
cypriens, qui
s'exprime ainsi
II y eutan tempsoù desmyriadesd'hommes erraient
• • • • eutle vasteseindela terre.
Zens,qui vitcela,eut pitié,et danssa sagesse
Il résolutde soulagerla terrenourrioiere
Etil lançaparmieuxla grandediscordedtropchargée d'hommes;
ela guerretroyenne,
Afinquelamortfitun videdanslafoulepesantealorsdansla Troade
Leshérospérissaient,et ainsis'accomplissait
le desseindeZeus.•

En admettant, comme il est problable,


que le rôle ici
assigné à Momos appartient à un développement plus
récent de la légende, on voit par les vers mêmes du
poète comment toute la guerre de Troie était issue
pour lui d'une sorte de nécessité inhérente aux des-
tinées du genre humain. Zeus est
déjà le dieu jaloux

i. Scol. Iliade, I, 5 (Didot, Cyclirettq., p. 591).


2. Allusion au vers 5 du Uvre 1 de l'Iliade. Aà: 8' ttstefao
par»).
passagedont le sens est d'ailleurs tout différentde celai qui est in-
diquéici..
480 CHAPITRE IX. LA P0ÉSI8 CYCLIQUE

d'Hérodote, qui arrête l'essor de l'homme. Sa volonté,


réfléchie et implacablo, dominait tout le récit du poète.
Après Zeus, c'était Aphrodite, la déesse de Chypre, qui
y jouait, somblo-l-il, le principal rôle. Hélène et Acliillo
étaient les deux personnages marqués pour l'accom-
plissement des desseins d'en haut. Le poète racontait
les noces de Thétis et do Pelée, le jugement do Paris
qui on fut la suite, l'enlèvement d'Hélèno, le ras-
semblemont des Achéens, leur première expédition on
Touthranie, pays qu'ils avaient pris pour la Troade,
puis leur second rassemblement à Aulis, le socrilino
d'Iphigénio, le débarquement on Troado et les prin.
cipaux événements du siège jusqu'à la querelle, no-
tamment ceux auxquels il est fait allusion dans l'lliade.
Cette simple énumération suffit à montrer combien les
Chants cypriens contenaient de faits qui sont restés au
premier rang dans la tragédie et dans la légende. Les
quelques fragments qui subsistent, si insuffisants qu'ils
soient pour nous faire connaître le poème, attestent tout
au moins le talent descriptif de son autour
On peut voir, par les trois poèmes ou séries do chants*
dont nous venons de parler, comment le travail poéti-
que qui avait constitué l'Iliade, antérieurement aux
Olympiades, se continua dans le premier siècle de l'ère
nouvelle. L'Odyssée ne fut guère moins féconde que
YIliade. Son influence ost attestée dans le cycle par
deux poèmes qui l'encadrent et qui la rattachent à la

i. En particulier,le fragm.8 (Klnkel),ouïe poètedécrit la parure


d'Aphrodite.
2.J'emploieici cesdeuxexpressionssimultanément, parcequ'il me
parait impossiblede déterminerlaquelleconvientlechants
mieuxà casœu-
vres, nées précisémentau temps où les séries de primitive>
étaient de plus en plus considéréescommedes poèmes.Dans tonte
évolution,lesétatsextrême»sontaisésà distingueret par conséquent
à nommer,mais nonles états intermédiaires.
PARTIE TROYENNE DU CYCLE 4SI

série complète des événements do la guerre de Troio


ce sont les Retours et la Tétégonie,
Les Retours sont attribués par la plupart des témoi-
gnages anciens à un poète de Trézène, nommé Agiaa
ou Hégias*. En l'absenco do toute donnée chronologique
positive, on peut en faire par conjecture un contemporain
do LoBchès. Plusieurs raisons'nous y autorisent: d'abord,
la patrio mémo du poète les Retours n'ont pu être
composés par un Trézénien qu'au temps où la poésie
homérique, et l'Odyssée en particulier, étaient déjà très
connues dans le Péloponnèse; puis, l'introduction du
personnage de Médée et l'imporlanco donnée dans le
poème aux légendes locales (légendes de Colophon, des
Molosses), qui no se sont greffées que peu à peu sur la
légende primitive plus générale, et qui prirent un si
grand développement dans la poésie lyrique à partir
du vue siècle; enRn, la forme même du poème, qui ré-
vèle un effort sensible vers l'unité en dépit du sujet.
Le poète raconte le retour des Grecs après la prise
de Troie. Il prend les événements au point où Arctinos
les avait laissés, c'est-à-dire immédiatement après le
pillage de la ville et le partage du butin, et il les con-
duit jusqu'au moment où tous les Grecs sont rentrés
chez eux, sauf Ulysse, c'est-à-dire jusqu'au début de
l'Odyssée. Les aventures d'Ulysse, seul entre tous los
héros Achéens, sont laissées de côté Il n'est donc pas
1. Proclus.Chrestom.(Didot,Cyclireliq.,p. 584).Pausan., I, 2. –
CependantEustathe,Odyssée, XVI, Ut, dit que l'antenr des Retours
étaitdeColophon.Sengebuseh (Z>i»s.homer.poster.,p. m)supposequ'il
avait au moins profité d'an poèmeantérieur, œuvred'nn Colopho-
nien.
2.Kirchhoff(Odyssée, Exe.IV dela 1™ partie,p. 334et suiv.)a con.
testél'exactitndede l'analysede Procluset a vouluprouverque les
aventuresd'Ulyssetenaientune assez grandeplacedansles Retours.
Sa démonstrationme parait absolumentin>mffl»ant«. Wilamowitz,
dansses mon.Vnttrsuch.(p. 173et suiv.),a traité en détail des fie-
tours il s'en fait uneidéetout autre,très arbitrairement,à monavis.
492 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE

douteux que les Retours n'aient été composés en vue de


se raccorder à l'Odyssée, lia a'y rattachaient d'ailleurs
par le développement qu'Agias avait donné aux faits
racontés d'une manièro sommaire dans la Télémachie
par Nestor et par Ménélas, Néanmoins l'intention du
poète semble bien avoir été de constituer un poème dis.
tinct il avait essayé on effet do donner à son œuvre
l'unité, à laquelle les événements qu'il racontait ne so
prêtaient guère naturellement On voit par l'analyse
de Proclus quo les rôles d'Agamemnoa et do Ménélas
dominaiont tout le récit et que les aventures des autres
héros étaient habilement encadrées dans los leurs à
tel point qu'un auteur ancien a pu désigner les Retours
sous ie nom do Rapatriement des Atrides*. Ce qui nous
reste du poème ne permet pas de l'apprécier. On sait
par un passage do Pausanias (X,28) qu'il contenait une
description de l'Hadès ot de ses terreurs, sans doute
quelque chose d'analoguo à la Nc'xuutde l'Odyssée, sauf
les changements dus au progrès dos idées religieuses.
Si le poème des Retours servait on quelque sorte d'in.
troduction à l'Odyssée, la Télégonie en formait le dé.
noùment. C'était une œuvre de peu d'étendue les
Alexandrins la divisèrent en deux livres seulement.
L'auteur était un Grec de Cyrène, nommé Eugamon ou
Eugammon, qui vivait, d'après la chronique d'Eusèbe,
dans la LUI" Olympiade (S68-S6S av. J.-C.)3, par consé-
1.Le plus difficileestde comprendrecommentil avait remplil'in-
tervallede tempsqui s'écouleentrela mort d'Agamemnonet la ven-
geanced'Oruste,puisque ces deux événementsfiguraientdanssa
composition.Les voyagesde Ménélasavaient pu lui fournir une
ressource.
2. Athénée,VII, p. 281»B. Il est difficile.de ne pas admettreavec
Welcker quele titrede Kieoî.çtôW'AtpiSSvdésigneen effetdansce
passagele poèmed'AgiasdeTrézène.
3. Proclus,Chrestom.(Didot, Cyelireliq., p. S04);Kinkel, Ep.gr.
p. 57;Kustathe,Odyss.,p.1796,49;Clêm.d'Alex.,Strom..Vl.p.ïSi.
– Ensèbe,LUI*01.
PABTIK THÉBAINE DU CYCLE 493

quent un contemporain de Solon et do Pisislrale. Le


temps de l'épopée était alors passé; c'était la poésie ly-
rique qui régnait. Aussi le poème d'Eugamon no fut-il
sans doute qu'une œuvre médiocre. Il racontait, en s'ins-
pirant des prophéties de Tirésias dans l'Odyssée, les der-
nières aventures d'Ulysso après son retour à Ithaque. Le
héros allait chez les Thosprotes, y contractait un nou-
veau mariage, et combattait pour le peuple qui l'avait
accueilli. Revenu à Ithaque, il était tué par Télégonos,
né autrefois de ses relations avec Circé et le poème se
terminait par le double mariage de Télégonos avec Pé-
nélope et do Télémaquo avec Circé. Eugamon évidem-
ment se souciait pou dos vraisemblances, et de telles
inventions dénotent un art bien déchu «.

III

En face du groupe des poèmes troyens, le génie


épi-
que de la Grèce primitive en avait constitué un autre,
dont les légendes thébaines étaient la matière. Le siège
de Thèbes n'était guère moins célèbre dans
l'antiquité
que le siège de Troie. Plusieurs générations d'aèdes
sans doute se transmirent, en les grossissant, les tradi-
tions glorieuses qui s'y rapportaient, et de là sortit toute
une famille d'épopées.
Ce groupe était représenté dans le cycle par trois
poèmes, choisis peut-être entre beaucoup d'autres, l'QE-
i. Eugamonavait voulu probablementmettreen lumièreune lé-
gendedomestiquedes princes thesprotesqui prétendaientse ratta-
cherà Ulysse.Les traditions de Cyrène,sa patrie,devaientfigurer
aussidansle poème,s'il est vrai, commele rapporteEustathe,qu'il
donnaitpour fils à Pénélope,outre Télémaque,un certainArcésUas,
cUefsansdoutedela ligué»voyaisdes Areéailasde Cyrène(Eustathe.
Odyss..
p. 1796).
494 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE

dipodie,la Thébaïde,et les Épigones. De ces grandes œu-


vres épiques, rien n'a subsisté. Nousn'avons mètrij pas,
pour nous les représenter, la ressource d'une analyse
comparable à celle de Proclus. Il en faut chercher la
trace chez les mythographes, chez les poètes lyriques
et tragiques, et enfin dans quelques rares témoignages
isolés ».
La Thébaïde ou Expédition dAmphiaraos* était l'Iliade
de ce groupe. Ce poème est le seul dans le cycle, avec les
Épigones, dont l'auteur nous soit entièrement inconnu.
On le mentionnait sans nom de poète, ou on l'attribuait à
Homère. Pausanias, qui pouvait encore le lire et le com.
parer aux autres poésies cycliques, le mettait hors de
pair3, et cette appréciation semble confirmée par l'influ-
ence qu'il a exercée. La Thébaïde a inspiré Pindare*, elle
a fourni des sujets de tragédies à Eschyle, à Sophocle, à
Euripide, elle a suscité un imitateur, au v* siècle, dans
le poète épique Antimaque, qui a voulu la refaire sur un
plan nouveau. Chez les Latins, Properce l'attribuait en-
core à Homère et admirait l'audace de son ami Ponticus,
qui osait rivaliser avec le grand poète en traitant à son
tour ce sujet 5; enfin Stace, que la poésie homérique ten-
tait, composait sa Thébaïde, en prenant, il est vrai, An.

1. Signalons l'essai intéressant et ingénieux tenté par Bethe pour


reconstituer l'histoire légendaire de Thèbes Thebanische Heldenlie-
der, Leipzig» 1861. Les résultats en sont d'ailleurs très incertains.
S. Ce second titre, qu'on trouve dans Suidas, v. 'Opiipoc, et dans la
Vie d'Homère du Ps. Hérod., § 9. ne peut, comme l'a bien vu Welcker
(Ep. cycl., I, p. 898-302), s'appliquer qu'à la Thébaïde.
3. Pausan., IX, 9 Ta Si ïta\ TotOtaKattTvoc, 4çnt4|ttvo« aûrôv ei«
prij|H)v. ïqrç<rev"Oinipov x!»vitoir.aovta elvai (il est probable qu'il s'agit
ici du poète Gallinos, bien que cela ait été très contesté). Ka»hu
SI «oXXofTe*«\ SÇioi\4yov wcrà xaùtk ^vnio-av. 'Eyh Si tV irobio-ivtoi-
«|v fjni yt 'IXiiSa xal rà £«t) ta é; 'OSviffdioêitoivw nâXtirro.
t. Pindsre, Ofgmp.^ VT, iS, et tsaUr.
5. Élégies, l, vu Dum tibi Cadmeae dieuntur, Pontice, Thebae,
armaque fratemae triatia militiae, atque, ita aim felix, primo con-
tondis Homero.
PARTIE THÉBAINE DU CYCLE 495
timaque pour modèle, mais sans doute en suivant aussi
de loin le poème
cyclique, comme il allait un peu plus
tard suivre les poèmes troyens dans son Ackillélde.
Tous ces faits réunis prouvent au moins la
grande im-
portance littéraire de la Tkëbaïde. On no
peut douter
qu'elle n'ait été un de ces poèmes féconds qui,
par
l'heureux choix du sujet ou
par la force de l'invention
première, agissent puissamment sur les imaginations et
renaissent pendant longtemps dans des œuvres tou-
jours nouvelles.
Bien que la date de cette
composition poétique ne
nous ait été donnée par
aucun témoignage ancien, on est
en droit d'en affirmer la haute
antiquité. Anonyme
comme l'Iliade et l'Odyssée, la Thébaïde semble
appar-
tenir à cette période primitive où la
poésie était encore
presque impersonnelle. D'ailleurs les allusions de l'lliade
et en particulier celles du livre
IV, qui sont fort dé-
taillées, nous montrent que la légende, sinon le
poème,
était déjà entièrement formée lorsque l'Iliade fut ache-
vée.

« Tydée, dit Agamemnon dans un de ces


en ami à Mycènes, avec le héros passages « vint
Polynioe, quand il cher-
chait à rassembler l'armée qui ensuite marcha
contre les
murailles de Thèbes. Tous deux
priaient pour qu'on lear
donnât de vaillants auxiliaires. On se laissa
persuader, on
accorda ce qu'ils demandaient; en vain Zeus détournait
les Myoéniens de cette
entreprise par des signes funestes.
Quand l'armée fut partie et qu'elle eut fait
déjà beaucoup de
chemin, elle parvint aux rives de l'Asopos, bordées de
joncs
épais et couvertes de gazon; là, les Achéens s'entendirent
pour charger Tydée de porter des propositions. Il alla donc
et trouva les Gadméens réunis en
nombre pour un festin
dans la demeure d'Étéocle. Tout
étranger qu'il était, le vail-
lant cavalier Tydée n'ent aucun
effroi, seul au milieu de
V.'àsif1*'IV, 376 8UiV'-Autres «"oskms, V. 802 sqsj. VII, 223
v. 28~.
496 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE CYCLIQUE

cette multitude de Cadméens. 11les provoqua à des combats


simulés, et il les vainquit tous sans aucune peine tant il
était assisté par Athèné. Pleins de colère, les Cadinéens, ar-
dents cavaliers, allèrent lui dresser une embuscade, comme
il retournait vers les siens; cinquante jeunes gens l'atten-
dirent, et ils avaient deux chefs, Méon1Hémonide sembla-
ble aux Immortels, et le fils d'Autophonos, le belliqueux Po-
lyphontès. Mais Tydee fit tomber sur eux la mort affreuse,
il les tua tous, sauf un, qu'il laissa rentrer dans sa mai-
son. »

Tous ces détails précis dénotent une légende déjà


popularisée par des chants épiques*. Est-ce à dire toute-
fois que le poème lui-même existât dès co temps sous
sa forme complète et définitive? On peut en douter, car
il est dit dmsV Odyssée (XV, 244 et suiv.) que le devin
A mphiaraos mourut sous les murs de Thèbes; or la tra-
dition recueillie dans la Thébafde était différente et plus
merveilleuse; le devin, englouti sous la terre avec son
char, continuait à y vivre glorieusement on rendant
des oracles. Cela ferait croire que la Thébaïde ne fut
achevée et constituée en poème qu'après l'Odyssée
Uno tradition antique rapportait qu'Homère l'avait
composée àNéontichos en Éolide. Sans doute UThébaïde
comme Iliade out pour point de départ des chants éo-
liens, mais, comme elle aussi, elle ne devint réellement
une grande œuvre poétique qu'entre les mains des aèdes
ioniens, peut-être des Homéridos.
Le sujet du poème était l'expédition funeste que le

1. Notezaussi le grandrôlede Tirésias an XI*livrede l'Odyssée.


Tirtsias est le devinthébain par excellenceil devaitêtre déjàpo-
pulaire,quandce XI*livrefut composé.
2. Welcker,Cyclus,t. IL pass.cité. Christ (Gr. Lit.,55)a remar-
qué en outre que le premierversdu poème,tel qu'il est cité dansle
Concoursd'Homèreet d'Hésiode, dénoteun temps où il n'était pins
tenu aucun comptedu digamma(ïv9ev Svavtec)mais le préambule
pouvaitêtre plus récentqueles principalesparties du récit.
3. Vitd'Homèreattribuéeà Hérodote, 9.
PARTIE THÈBAINE DU CYCLE 427
roi d'Argos, Adraste, excité par ses gendres Polynico et
Tydée, conduisit contre le roi do Thèbes, Étéoclo. Les
deux principaux personnages, Amphiaraos, le sage de-
vin, et Adraste, le fougueux et imprévoyant auteur de
Jaguerro, étaient opposés l'un à l'autre par un contraste
frappant, qui devait rappeler à quelques égards celui
d'Agamemnon ot d'Achille dans l'Iliade t. Amphiaraos,
sans être le chef de l'expédition, tenait néanmoins le
premier rang dans le poème, comme Achille; c'est ce
qu'indique le titre secondaire à%Expédition d' Amphiaraos
qui lui fut donné. Les phases dramatiques du récit
étaient le rassemblement des combattants, mentionné
dans le passage de l'Iliade qui vient d'être cité, l'ins-
titution des jeux Néméons, l'ambassade de Tydée, l'as-
saut donné aux murs et la mort de Gapanée, le combat
singulier des deux Gis d'CEdipe, la défaite et le massacre
dos Argiens auprès du fleuve Isménos, la
disparition
d'Amphiaraos, la fuite d'Adraste sauvé par la rapidité
merveilleuse do son cheval Arion. De tout cela, il ne
nous reste aujourd'hui que deux fragments du début,
où sont rapportées les malédictions d'ÛEdipe contre ses
lils2. L'épopée grecque n'a pas subi de perte plus consi-
dérable que celle-là.
De même que l'Iliade était encadrée dans lo
entre les Chants cypriens et l'Éthiopide, de mêmecycle la
Thébaïde l'était entre l'Œdipodie et les Épigones. Il
n'est pas douteux que ces deux poèmes n'aient été faits
pour se raccorder au précédent.
Le poème des A'/9?yo«es était anonymecomme la Thé-
baïde et tellement lié à celle-ci par le sujet qu'on a
pu,
1. Welcker, Cyctus,t. II, p. 320et suiv. Adrastesembleen outre
avoirété représentécommeun orateurremarquable.Platon {Phèdre,
269B>en fait le type de l'orateurhomériqueet le rapprocheà ce titre
de Périclés,Iyped8 l'orateurhistorique.
2. Cyclireliquiae,Didot,p. 687.Kinkel,Ep. gr.. p. Il.
438 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE CYCLIQUE

quelquefois les considérer commeles deux parties d'une


môme composition Il paraît plus probable toutefois
que les Épigones n'étaient qu'une suite, ajoutée posté-
rieurement. Le parallélisme des deux poèmes semble im-
pliquer en effet que l'auteur du second était simple-
ment un imitateur sans grande originalité personnelle.
Il avait raconté la seconde expédition argienne contre
Thèbes, celle qui fut conduite par Alcméon, fils d'Arn-
et à la suite de laquelle les Cadméens, vaincus,
phiaraos,
quittèrent leur ville. Son poème avait exactement la
môme étendue que Thébaïdes mais la ressemblance
la
extérieure devait faire ressortir plus vivement l'infério-
rité de l'invention. Tandis que le principal poème était
riche en grandes scènes qui ont fait fortune dans la lit.
térature, le second n'a, pour ainsi dire, rien laissé
après lui
VŒdipodie était à la Thébaïde ce que les Chants cy-
L'ins-
priens étaient à 17/îad<?,une sorte d'introduction.
connaître
cription Borgia nous en fait l'auteur, qu'elle
nomme Kinœthon. Ce poète, désigné ailleurs comme
lacédémonien, vivait au commencement des Olympia-
des c'était un contemporain d'Arctinos*. VŒdipodie,
comme son titre l'indique, racontait l'histoire à'Œdipe.
Que valait-elle au point de vue- poétique ? Il ne nous reste
ni fragment ni témoignage qui nous permette d'en
juger 5.
1. Un scoliasted'Apolloniusde Rhodes(1,308)cite, commeétant
dela Thébaïde, un passagedes Êpigones.Einkel, Ep. gr. p. 14.
2. Concours d'Homèreetd'Hésiode,g U.
3. On peut voir dansApoUodore, W6Ko<A.,III. combienla seconde
guerre de Thèbesest pauvre en événements, relativement à la pre-
mière. Peut-êtrele sujet avait-il été moins préparé par les chants
antérieurs.
4. Eusébe,Chron..01. V. Il n'y a aucuneraison pour confondre
KiuœthondeLaeédémone avecEiasathosde CUios,commele voulait
Welcker.
8.Aux légendesthébainesserattachaitaussi VAleméonide. dontil
POÊMES DIVERS 499

Ce groupe de poèmes thébains était relié, dans le cycle


de Zénodoto ou de ses imitateurs, au groupe des poèmes
troyens par d'autres poèmes dont nous allons parler.
Mais à ce sujet une remarque est nécessaire l'adaptation
primitive que nous avons observée précédemment fait
ici défaut; nous sommes en présence d'un rapprochement
purement artificiel, opéré par les mythographes. Al'ori-
gino le cycle thébain a dû être absolument indépendant
du cycle troyen la Thébmde a pu subir l'influence de
l'Iliade ot l'Odyssée, mais elle n'a pas été composée on
vue do les compléter. Si l'on veut appliquer à toute l'an-
cienne poésie épique ce mot do cycle, il doit être en-
tondu qu'il y a eu originairement en Grèce, non pas un
cycle unique, mais plusieurs cycles, qui se sont formés
les uns à côté des autres.

IV

Lorsque Zér.odote voulut relier le cycle thébain au


cycle troyen, il dut naturellement imaginer un ensem-
ble beaucoup plus vaste dans lequel ils trouveraient
place l'un et l'autre. Pour le construire, il recueillit un
certain nombre de vieux poèmes, qui certainement n'a-
vaient pas été destinés à être ainsi groupés. Ces poèmes
sont loin d'offrir le même intérêt que les précédents, et
ce que nous en savons se réduit a bien peu de chose.
Contentons-nous de les mentionner rapidement.
La Titanomachie est attribuée par les témoignages
anciens soit à Eumélos de Corinthe, soit à Arctinos, soit
à Kinœthon, qui vivaient tous trois au commencement

nousresta quelquesfragments(Kinkel,Ep.gr., p. 76).Cepoème,que


Wolekeridentifiaitareo imÉpigmm(Cyclus,I, p. 195),nesemblepas
remonterau delà de la secondemoitiédu vi'sièole.
430 CHAPITRE IX. LA POÉSIE CYCLIQUE
dos Olympiades. D'autres la citent sans en nommer l'au-
tour. On sait que le combat des Titans contre Zous, qui
en formait le sujet, est raconte sommairement dans la
Théogonie d'Hésiode, Quoi but s'était proposé l'auteur
de la TUanomachief Dans quel esprit avait-il remanié
les vieilles légendes mythologiques et quels développe-
ments nouveaux y avait-il ajoutés ? Nous l'ignorons ab-
solument.
La Danaïde est citée dans l'inscription Borgia comme
figurant dans le cyelo, immédiatement après la Titauo-
maehie. Il est clair quo, malgré ce rapprochement, ces
deux compositions étaient entièrement indépendantes
l'une do l'autre; quel autro lion supposerait-on en effet
que celui d'une chronologie fabuleuse entre le mythe
des Titans et la légende argienne do Danaos?
Après la Danaïde, venait un poème dont le nom a dis-
paru dans l'inscription en question, par l'cffct d'une
mutilation, On a supposé que c'était la Guerre des
Amazones conjecture fort incertaine A cette Guerre
des Amazones on a rattaché, plus arbitrairement encore,
la Minyade, peut-être appelée aussi Phocéïde. Ce poème
nous est connu seulement par quelques passages do
Pausanias', qui l'attribue, avec doute, à un certain Pro.
dicos do Phocée. Le titre indique assez quo le sujet
était emprunté à l'histoire légendaire des Minyens,
ancienne race qui avait occupé une partie du sol de la

i. Welcker, Cyclus, I, p. 201 et siuv. La principale raison de cette


conjecture, c'est que ce poème a été quelquefois cité comme l'œuvre
d'Homère, d'où ('on conclut qu'il devait appartenir au cycle; l'èvéne-
ment qui en Taisait le sujet, c'est-à-dire probablament l'invasion de
l'Attique par les Amazones, lui assignerait dès lors assez naturelle-
ment cette place dans la série. Weleker assimile d'ailleurs cette Guerre
des Amenonea avec YAtthide que Pausanias (IX, 29) attribue à un cer-
tain Hâgâsinoos, ce qui est encore plus incertain.
2. Pausan., IV, 33; IX, 5 et 28; X, 31. Sur l'identification de la %•
niade et de la Phocéifh, voir Welcker, Hp. Cyclus, I, 237.
POÈMESDIVERS 431
Béotie et lutté contre lesCadméensde Thèbes. L'épopée,
avant do mourir, cherchait à recueillir tous los grands
souvenirs nationaux et croyait tour donner une vie qui
n'était plus en elle. On trouvait dans la Minyadn une
description do l'Hadès, où. figurait le batelier Charon,
personnage inconnu des vieux poètes. Cette description,
selon Pausanias (IX, 28), fut misa à prolit par le grand
peinlro Polygnote prouve intéressante de l'influence
exercée sur les arts par ces épopées aujourd'hui perdues.
La Prise tFOEchalie était beaucoup plus célèbre dans
l'antiquité. « On a raconté, dit Strabon t, que Créophyle
de Samoa, ayant donné l'hospitalité à Homère, reçut de
lui en retour le poème qu'on appelle la Prise dŒcha-
lie, avec la permission d'y inscrire son propre nom. Cal-
limaque présento oe fait d'une manière différente dans
une épigramme; il y attribue lo poème à Créophyle, qui
l'aurait fait passer sous le nom d'Homère, pour se payer
de son hospitalité

Je suis l'œuvre du Somieo, dans I* maison duquel le divin nombre


Fut reçu Je pleure les malheur» i'Sarytm
Et la blonde Iolee. On m'iie poème homérique
Qnade récompooM pour Créophylo, par le nom de Zoiu •

II résulte de ces vers de Callimaquo quo la Prise d'Œ-


ehalie était considérée par les Alexandrins comme l'œu-
vre du Samion Créophylo, mais qu'ils la classaient en
mémo temps parmi les poésies homériques, c'est-à-dire
sans doute dans le cycle. Ce Créophylo, dont nous avons
déjà parlé, était, on s'en souvient, l'ancètre, réel ou
mythique, d'une famille samionno, celle dos Créophy-
liens, analogue au y*Vo;dos Homérides de Chios. On
peut donc supposer que ce poème, quel qu'en fût d'ail-
leurs l'euteur, appartenait aux aèdes do cotte famille,
à l'origine du moins. Le sujet, d'après l'épigramme
I. Strabon,XIV,p. 838.
488 CHAPITRE IX. – LA POÉSIE QYOLIQÛK

citée, était l'expédition d'Héraclès contre CEchalie, ville


du roi Eurytos, qui avait refusé au héros la main de sa
Kilo lolé, au mépris d'une convention formelle. On s'ex-
plique, par suite, que le poème fut aussi appelé Hêraetêt
(Paus. IV, 2, 2). Nous on ignorons la date. Toutefois il
fautse rappeler quelle influence, signalée précédemment,
les légendes d'Héraclès ont exercée sur l'Iliade, Il est
donc certain qu'au temps où le grand poème homérique
s'achevait, ces légendes prenaient corps, et il est assez
vraisemblable que la Prise d'Œchalie a été l'œuvro la
plus considérable do cette poésie relative à Héraclès,
puisqu'on ne cite pas d'autre épopée antiquo, enmpnsno
sur le mémo sujet, qui ait effacé celle-ci par son éclat.
Cotte énumération ost loin d'épuiser la liste dos poèmes
le vin'et le vi*
épiques quo la Grèce vit naitro entre
sièclo avant notre ère. On peut encore lire sur l'ins.
devait
cription Borgia le nom mutilé do Lycaon, qui
être le héros d'un récit poétique également raUaché au
en dehors du
cycle'. D'autres poèmes, (lui furent hissés
no pouvait pas y faire tout entrer,
cycle parce qu'on
n'auraient pas ou moins do droits sans doute a notre
intérêt, si quelque chose en était parvenu jusqu'à nous8.
Il faut se représenter cotte période et colle (lui J'avait
immédiatement précédée comme un temps d'abondante
naissaient
production poétique, où les récits épiques
en tous lieux et s'entrolagaient à l'infini. JI
presque
1. Welckerle nie {Cyclus. 1,p. 35).sansen donneraucuneraison.
La légendearcadionnede Lycaonse prêtaitaussi bien qu'uneautre
au développement épique.
2. Lesancienscitent uncertainnombrede poèmesépiques.telsque
la TMstide(Arist.. Poil.,8), la Phoronide (Scot.Apollon.,1; Strabon,
X. p. «i etc.); voirKinkel.Bp.gr., p. 20tet suiv. Aristote,l'oél.9,
mentionnede nombreuxauteursi'fUratliidt»et de ThiUidcs.Onne
saurait affirmerqu'il» appartiennentà la périodeépiqueprimiti»,
bien que celasoit probablepourplusieursd'entreeux. Sur Méli-
saadro»daMilet»auteur d'un combatdes Lapitheset dosCentauw,
voir ÉlUn, Hitt. var., XI, 8.
POÈMESDIVERS 433
n'y avait alors ni drame, ni histoire, ni philosophie;
mais l'épopée pour tes Grecs do co temps était un dramo,
une histoire, une philosophie. Elle répondait à tous les
besoins moraux et intellectuels à la fois, et voilà pour.
quoi elle so prodiguait pour les satisfaire. De tous ces
pnèmos, fort inégaux sans doute en valeur, quelques-uns
seulement ont survécu, du moins à titre de souvenirs;
les autres ont disparu pou à pou; mais ceux-là môme
ont souvent laissé lour traco, plutôt soupçonnée aujour-
d'hui que distinctement aporçuo, dans la poésie lyrique
ot dans la tragédie.

Entre los compositions puétiques qui ne furent pas


rattachées au cycle, il n'en est guère qu'uno seule à
laquelle l'histoire littéraire doive une mention: c'est
Ylldraclde du nhodien Pisandro.
Tous nos renseignements sur ce poète proviennent
(l'une notice de Suidas, pleine d'erreurs manifestes
Eu la débrouillant autant que cela est possiblo, on on
déduit avec vraisemblance que Pisandre, fils de Pison,
était né à Gamiros, dans l'ilo de Rhodes, et qu'il vivait
vers la 33* Olympiade (648-G43 av. J.-C.) ». C'était donc
un contemporain du Lesbion Lcschès, à quelques an-
nées près. Hdut composer son Héraclée après la 37°Oly m-
piado («32-629. av. J.-C.)s. Le choix du sujet s'explique
on grande partie par le lieu do naissance du poème
Tlopulème, colonisateur de Rhodes, étant fils d'Hé-
raclès, celui-ci pouvait être considéré par les Rhodiens
J. Sufdus,v. llsiaavîpo;.
2. Noticesur PUnndredans l'iltaiodode Didot,en tfiiedes frog-
imntadeFilandre.
». Otfr. MttUer,Variais,t. II, p. «7.
Ilitl. da |« Mit. «ircr.juo, – T. I. 28
484 CHAPITRE IX, LA POÉSIE CYCLIQUB

comme un héros national et un ancêtre Ses travaux


étaient racontés par le poète. Une inscription attribuée
à Théocrite et placée plus tard sur le piédestal d'une
statue de Pisandre en fait foi

« L'homme que vous voyez ici, Pisandre de Garniroa, a


été le premier parmi les disciples de la Muse qui ait retraoô
toute la vie du fils de Zeus, vainqueur du lion, combattant
aux bras robustes toutes les éprouves du héros, le poète les
a racontées. Voilà pourquoi oe peuple, il faut qu'on le sa.
ohe, a voulu l'honorer, lui aussi, en dressant cette statue
d'airain après bien de»moi» et bien des années •. »

Cette préoccupation d'être complet ot d'embrasser


dans un seul récit tout un cycle d'événements est pour
nous le trait caractéristique de l'couvre perdue do Pi.
sandre. Elle révèle bien en lui un contemporain des
ou moins
poètes dont nous venons do parlor, tous plus
dominés par l'esprit historique. Un épisode do la vie
d'Héraclès, la prise d'UËchalio, avait sufli autrefois à
Pisandre no choisissait
Gréophylo do Samos; mais plus,
il visait surtout à ne rien laisser perdre. Nous no savons
rien d'assez précis sur X'Héraelée pour la juger littérai-
romont. Toutefois il semble quo Pisandro, voulant ra-
recours à dos in-
jeunir un sujet déjà ancien, avait eu
ventions plus ou moins merveilleuses. Ce fut lui qui,
le premier, donna un grand nombre de têtes à l'hydro de
Lorne, afin do la rendre plus terrible 8. Dans une inten-
tion analogue sans doute, au lieu do représenter son
héros armé de toutes pièces, conformément à la tra.
dition, il le montra triomphant do ses plus redoutables

».D'autrespostesthodienaavaientdéjà wnd«honneur4 HéroeUa.


Clémentd'Alesundrle«fllrmeque Piwudre avait fait de nombreux
emprunt*4 un certain Plilnos doLindo»qui nous<«tentlôromen»
Inconnu(Stromat..VI, p. 7St).
3. ïhéocrite.Cpigr..XX.
a. l'aman., II, 17,t.
PISANDRE 438

ennemis avec une simple massue t; conception dont le


succès durablo atteste l'autorité du poète.
Outre VHéraclée, on attribuait à Pisandre, au dire de
Suidas, d'autres œuvres qui n'étaient pas de lui. La
plus célèbre semble avoir été une sorte de cycle mytho-
logique en vers, intitulé los Théogamies hé'oiques K
C'était une série de récits comprenant toutes les prin-
cipales légendes do la Grèce on ne doit pas être surpris
iju'un tel ouvrago soit souvent cité par les scoliastes.
Virgile, d'après Macrobe, l'aurait suivi de près dans le
H*"livre de VEnéide* cela semble indiquer quel'ouvrage
était consulté tout au moins comme un recueil do faits,
et qu'à ce titre il dispensait do recourir à d'autres récits
plus anciens, dont il offrait une sorte do résumé4. Si une
composition de ce genre a pu être attribuée à Pisandre
sans trop d'invraisemblance, c'est sans doute que ses
(«uvres authentiques présentaient déjà quelque chose
do ce caractère, qu'on serait tenté d'appeler encyclopé-
dique
Pisandre est le dernier dos poètes épiques primitifs
qui ait continué avec éclat la tradition homérique. Si
nous connaissions mieux ses devanciers et ses contem-
porains, il serait aisé sans doute do dégager avec pré-
cision les causes qui ont amené pou à peu l'oubli decelte
tradition et qui ont fait disparaître pour un temps la
poésie épique. Toiles que nous los entrevoyons, elles
peuvent se résumer en quelques mots. Les vieilles in-
ventions étaient épuisées; on répétait co qui avait été
déjà dit, ou l'on sortait du naturel pour redevenir origi-
t. Suldaa, v. Th(oav«po«. Cf. Strabon,XV,p. 688.
Dans l'Ilèfliodede Didot,FragmentaPiiandri.
3. Maorolio,Saturn., V,2.
(Vflgtpour cela bus doutequo l'Ioandroa ûté<|uetyuofoi»
rap-
!•!««!é'Hefflèreet«l'HtekHÎ* «m»»"»••<•# MmalaaUaacitons»
pn«ii«n»
|nliiiUiv«H,<Jen«nrhiw«, 0 Cum«lut nntlqulRilmipoalRrnm,Hoiua-
riiH,IlaiiottiiH,l'iiondor.
436 CHAPITRE IX. –LÀ POÉSIE CYCLIQUE

nal. Mais ce n'était pas là le seul mal. Le plus grave,


c'est que la poésie épique n'était plus assez libre. Elle
s'assujettissait de plus en plus à l'histoire, qui lui im.
posait ses longues et lourdes successions d'événements.
La vieille liberté homérique avait passé aux poètes ly-
riques qui, eux, choisissaient à leur gré les plus bolles
légendes, les traitaient on récits ou par simples allu-
sions, selon qu'il leur plaisait, et les associaient à une
philosophie personnelle qui les rajeunissait. Dans leurs
œuvres, éclataient la vioet l'invention toujoursnouvelle;
les poètes épiques n'étaient plus quo des narrateurs fa-
tigués et monotones.
CHAPITRE X

ANTÉCÉDENTS DE LA POÉSIE HKSIODIQUE


HÉSIODE

80HMAIRB
I, La poésiehésiodiqueestessentiellement
didactique;elle appartient
à la Grècecontinentale. II. Élémentsde la poésiedidactique
avant Hésiode i* Élémentgénéalogique;8*Mythesmoraux.
III. Apologues.Sontonoes.Préceptesteehnlques.– IV. Hésiode.
Légendeset histoire. V. En queltempsa vécuHésiode? î

Nous venons de suivre dans tout son développement


l'histoire de la poésie homérique. Une autre forme de
poésie épique appello à présent notre attention c'est
celle dont Hésiode est le représentant le plus illustre.
Une chose la distinguo essentiellement de la poésie
homérique elle est didactique. Ni l'Iliade ni YOdyssée
ni aucun des poèmes dont nous avons parlé jusqu'ici
n'étaient des œuvres d'enseignement. Non pas qu'il n'y
eut dans los chants dos aèdes bien dos leçons do toute
Borto; on promior Hou, ils faisaient connaître le passé
Car pour etix, âùumto jimir leurs «tutittaura, lu fond de
tour rénit avait une vnlttur Ittuturiquo; do plus, la mise
438 CHAPITRE X. LA POÉSIE HÉSIODIQUE

en sclno dos passions humaines, telle qu'ils la conce-


vaient, ne pouvait manquor d'être instructive. Ils onsei-
gnaientdonc on un certain sens, parce quo toute grande
œuvre do l'esprit enseigne, à l'insu même et sans l'in-
tention de son auteur; mais en somme, co n'était pas
là ce qu'ils se proposaient. Leur objet était do glorifier
les grandes actions, c'est-à-dire de faire ressortir dans
de beaux récits ce qu'avaient fait et souffert los glorieux
ancêtres. Ils visaient avant tout à l'effet narratif, ils re-
cherchaient les scènes dramatiques Je jeu dos passions,
les descriptions Gniouvantes, en un mot tout co qui pou.
vait toucher et charmer leurs auditours. Préoccupés do
plaire plus quo de touto autre chose, ils traçaient avec
liberté un tableau idéal, dont le sujet était bien emprunté
à la tradition, mais que leur imagination embellissait
sans scrupule.
Bien différente est la poésie dont nous avons mainte-
nant à parler. Certes, colle-ci n'est pas non plus dénuée
du désir do plaire, sans lequel co no serait pas, à pro-
prement parlor, uno poésie; mais une autre intention la
domino elle veut instruire. Soit qu'ollo donne des pré-
eeptos moraux, soit qu'elle enseigne à bien conduire les
travaux des champs, soit qu'elle traite do navigation,
d'astronomie, de divination, soit qu'elle déroule en lon-
gues é numérations los généalogies dos dieux et colles
des héros, elle a toujours pour objet principal do graver
dans la mémoire de ses auditeurs des choses qu'il est
bon pour eux de savoir. Si elle cherche à les charmer,
c'est que le plaisir est le meilleur appât de l'attention
et le meilleur auxiliaire de la mémoire. Elle veut se
faire écouter, afin qu'on retienne ce qu'olle proclame.
Tout chez elle est subordonné à une vue générale d'u-
tilité, qui lui donne son caractère propre.
Cotte poésie n'appartient pas à une école '.Sos repré.

t. La notion inexacted'une école hésiodiquea été détruite par


CURACTÈRES
QÈNÈHAUX 439
sentants sont en général étrangers les uns aux autres, et
plusieurs d'entre eux semblent avoir cultivé simultané-
ment les deux genres que nous opposons l'un à l'autre.
Mais, chose remarquable, presque tous sont originairesde
la Grèce continentale ils sont béotiens, locriens, corin-
thiens, lacédémoniens. Au contraire, comme on l'a vu, la
poésie homérique, par ses origines et par son principal
développement, appartient à la Grèce d'Asie,. elle vient
do Kyiné, de Chios, de Colophon, de Milet. Opposition
frappante d'un côté une poésio brillante, capricieuse,
pleine de liberté et d'essor, œuvre des Grecs d'Asie; de
l'autre une poésie sensée, recueillie, moins libre d'ima-
gination, mais plus mordante et plus spirituelle, œuvre
dos Grecsdu continent. Quelquo chose en somme comme
le contrasto de deux tendances innées et profondes, vrai-
ment helléniques toutes deux, qui semblent tout d'a-
bord bien plus séparées qu'elles no le sont réellement,
mais qui, en se développant, s'appelleront mutuellement
pour se confondre dans les œuvres de l'âge suivant.
Il est admis aujourd'hui d'une manière à peu près
unanime que l'essor do la poésie didactique de la Grèce
continentale est postérieur en date à celui de la poésie
homérique. Nous toucherons plus loin à cctlo question
de chronologie. Mais, dès à présent, il est bon de faire
remarquer, pour l'intelligence do la poésie hésiodique,
que cela résulte en quelque sorte de la comparaison
môme de leurs caractères respectifs. Il y a plus d'ima-
gination dans l'uno et plus de réflexion dans l'autre.
Or, dans une littérature telle que la littérature grecque,
où l'on voit les divers genres naitro chacun à leur tour
d'une manière spontanée, sans que rien vienne troubler
gravement l'ordre naturel do leur succession, c'est pros-

0. Marckscheffel
dans un livre quej'aurai souventl'occasionde ci-
ter Benvài,Eumdi, Ciiwethônto,
etc., fragmtnta,Le!p?te,<M0.
440 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÉSIODJQUE

que une nécessité morale d'admettre que l'œuvre d'ima-


gination a précédé l'œuvre do réflexion.

II

Quels sont les antécédents dola poésie didactique en


Grèce ? A défaut do témoignages, il n'y a que la poésie
hésiodique elle-même qui puisse nous renseigner à ce
sujet. Tout occupée du présent, elle laisse apercevoir
un passé, qu'on pourrait appeler l'enfance do la réflexion
pratique. Chacun dos éléments essentiels dont elle se com-
pose est le produit d'un long travail intellectuel, dû à
des générations plus ou moins nombreuses. Essayons,
en distinguant ces éléments, de nous représenter ce
qu'ils pouvaient être avant Hésiode.
Los généalogies sont le fond de la Théogonie comme
des Catalogues et do tous les autres poèmes do ce genre.
Évidemment, il n'est pas possible do supposer qu'un
poète, on dehors do tout usage traditionnel, so soit avisé
un jour de mettre en vers ces longues filiations et qu'il
ait ainsi constitué un genre nouvoau. Le succès de celte
forme do poésie on Grèce ne s'explique que par un besoin
social fort ancien, et ce besoin a dû susciter, avant les
grandes œuvres que nous connaissons, bien des essais
qui ont disparu. C'est aux hymnes religieux qu'il est na-
turel de rattacher les origines de la poésie généalogique,
comme nous y avons rattaché celles du chant épique pro-
prement dit. Sans doute nous ne possédons pas d'hym-
nes antérieurs à Hésiode, et nous ne pouvons par con-
séquent nous appuyer sur des prouves positives. Mais la
Théogonie elle-même n'est-ello pas en quelque sorte une
série d'hymnes généalogiques • L'auteur de ce poème

i. Ménandrale rhéteur, deEucomUê. Hhelor.graeci,t. IX,


{\V&\z.
GÉNÉALOGIES ET MYTHES 441
emploie à plusieurs reprises l'expression consacrée 0(tv»ïv
pour désigner son récit; n'est-co pas donner à entendre
qu'il se considère bien comme l'héritier des poètes
d'hymnos qui l'avaient précédé? Et comment d'ailleurs
pourrait-il en être autrement? L'élément généalogique
n'était-il pas on effet comme le fond nécessaire des hym-
nos primitifs? Dans une religion polythéiste qui n'avait
pas de livres sacrés, il fallait bien que chaque culte lo-
cal se définit lui-même par les chants dont il se servait;
il ne pouvait mieux le faire qu'en racontant l'origine dit
dieu qu'il honorait. D'ailleurs aux dieux se rattachaient
les héros et à cou x-ci les rois d'alors. Les généalogies
étaient comme les archives vivantes des grandes famil-
les, et les hymnoscommo le dépôt sacré de ces archives >.
C'est sans doute aussi à cette même poésie religieuse
que sont dus les mythes hésiodiques qui su rapportent à
la destinée humaine, tels que ceux de Prométhéootde
Pandore et dos ûgos du monde. Déjà, dans les poùnios
homériques, nous en trouvons quelques-uns do ce genre
le mythe des Prières, au IXe livre de VIliade (v. 502 et
suiv.), celui dos deux tonneaux où Zeus puise les biens
et los maux, au XXIV«(v.827), celui d'Até, au XIX"(v. 9i).
Mais, chez Homère, cos récits d'un caractère si particu-
lier, paraissent trop étrangers à la poésie dans laquellu
ils sont mêlés pour qu'on puisso admettre qu'ils y ont

p. 149) Sratviu;fluvov cipeîvtXr\avtiûv3ewv,


èv<pxof ivs«)oyixôv |iô-
vovfipnt»! «XVtXti«faoX*|i6divoi t4( Gcoyovla;
tipvou;elvsiOtûv.
I. Il est curieux de retrouverdans l'Iude modernel'usage de la
poésiegénéalogique. On y rencontraitencore,il n'y a pas fort long-
temps,n des généalogisteschantants,qui retenaientpar cœurla suite
desfiliations,etvenaientaux mariagesetaux fêtes,rappelerles hauts
faitset les traditionsde la famille» (Rob.de Bonnières,Unejournée
à Lahore,Bévuepolitique,10avril 1886).Quelquechnsed'analogue
existaitchezlesanciensBretons;voirAug.Thierry,Conquête det An-
gleterrepar la Normand*, t. 1,tv.%f« iV»nti<i»««gAné»l«gi?<>.con-
servéessoigneusementpar les poètes,servirentà désigner ceuxqui
pouvaientprétendreà la dignitéde chefsdecantonoude famille.<>
449 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÉSIODIQUE

pris naissance. Dans une narration toute dramatique,


voici des traces d'une philosophie déjà spéculative la
réflexion des aèdes homériques était-elle assez tournée
vers ces conceptions générales pour qu'ils aient pucréer
eux-mêmes de tels mythes? Remarquons qu'en les ra-
contant, ils semblent rapporter toujours de vieilles et
saintes choses venues à eux par tradition. Ces mythes
préexistaient; ils les ont trouvés tout faits, et ils s'en
sont servis. Où les ont-ils trouvés ? Non pas assurément
dans la* tradition populaire, car ils portent tousla marque
d'un esprit philosophique qui sait dégager déjà la pensée
abstraite et la revêtir de formes vivantes. Ce sont des
poètes qui ont dû les créer; et quels poètes, sinon ceux
qui, célébrant les dieux ot leur puissance, étaient plus
particulièrement appelés à réfléchir sur les rapports de
l'homme avec la divinité et par conséquent sur la des-
tinée humaine en général? Les mythes moraux ont eu
leur place naturelle dans les hymnes religieux, dès que
la pensée hellénique se fut élevée à un certain degré
de réflexion; leur multiplication et leur popularité fu-
rent certainement un des faits marquants de la période
immédiatement antérieure aux poèmes hésiodiques.
Au reste, ce qui le prouve d'une manière frappante,
c'est qu'Hésiode, quand il s'en sert, les suppose connus
de ses auditeursdans ce qu'ils ont d'essentiel. Lorsque
l'autour des Travaux introduit dans son poème le per-
sonnage do Prométhée, il ne se croit pas tenu de le pré-
senter à ses auditeurs comme s'il leur était étranger;
laissant de côté beaucoup do choses que tout le monde
sait, il n'insiste que sur ce qui convient à son dessein;
l'obscurité de quelques parties de son récit provient pré-
cisément do ce qu'il procède par allusions là où nous
aurions besoin d'un exposé complot. Cet ensemble, qui
nous manque, existait alors sous une forme arrêtée et
jusqu'à un certain point populaire. Ce n'était pas mm-
PBÉCEPTES ET SENTENCES 448

riment dans un chant épique proprement dit c'était


donc dans des chants narratifs d'un caractère religieux,
c'est-à-dire dans des hymnes,

III

Outreles généalogies et les mythes moraux, que trou-


vons-nous encore dans la poésie hésiodique? Des apolo-
gues, des sentences, dos préceptes techniques. Chacun de
ces éléments mérite d'être étudié dans ses antécédents;
mais d'une manière générale, ils se ramènent à une dou.
ble origine, à la fois populaire et religieuse.
Sil'on considère, dans le poème des Travaux et des Jours,
cette sorte de calendrier qui s'appelle proprement les
Jours, on ne peut s'empêcher d'être frappé de son carac-
tère dogmatique et religieux. Ce n'est pas au nom de
l'expérience que le poète enseigne, c'est en vertu d'une
science traditionnelle, qui s'autorise d'une révélation des
dieux t. A qui cette science appartenait-elle? A ceux sans
doute qui faisaient profession de deviner l'avenir. Un
autre poème hésiodique était intitulé VOrnithomantie;
nous trouvons dans ce titre la confirmation d'une hy-
pothèse qui s'impose à nous. Il n'est guère possible que
les devins n'aient pas résumé de très bonne houro les
préceptes doleur artdans des recueils versifiés qui étaient
pour eux comme des codes sacrés. Do même que le vers
épique a été employé dès la plus haute antiquité pour
les oracles, afin de leur donner plus d'autorité et de les
rendre plus aisés à retenir, il ne pouvait manquer de
l'être aussi pour fixer ces préceptes arides et immuablos
qui ressemblaient tant à des oracles. Cen'est pas tel poète
en particulier qui a pu être l'inventeur de cetto poésie
t. Trtw,,v. 760 Aftt fàji r,|Wp«t
eM Aifc(
irapà|tr,t<4«vroc<
4« CHiïITRS X. – tA PUÊSIK HÈSiODlQUE

ohrosmologujuo c'est la foreo dos choses qui Tu ronduo


nécessaire ot qui l'a créée, dès qu'il y out une versiHcation
assez souple pour cet usage. Cola étant, on ne peut douter
que la poésie héaiodiquo no procède, on ce qu'elle a de
prophétique, de cotte poésie toute spéciale. Par là encore
elle ost roligieuso dans sos originos et jusqu'à un certain
point saeordotale,hion quol'auteur dos Travaux lui- mémo
n'ait été rien moins qu'un prêtre.
Dans la même ordre d'idées, il faut tenir compto
aussi de l'influence que los oracles proprement dits ont
exercée sur elle. Nous avons vu que los nncions attri-
buaient quelquefois à la première Pythie, Phémonoô.l'in-
vontion du vers hexamètre Sans prêter à cotte légomle
con-
plus do valeur qu'oUo n'on a, on peut au moins en
clure quo los oracles vorsifiés do Delphes remontaient à
une très haute antiquité Ces oracles étaient souvent
rendus pour trancher des questions morales, et lours
ou
réponses ressemblaient alors à s'y môprondroa telle
toile courto série do vers moraux que l'on pourrait re-
cueillir dans Hésiode. Hérodote on rapporte un curioux
exemple, qui remontait au commencement du vi°siôclos.
Un certain Glaucos do Sparto consultait l'oracle pour
savoir s'il ferait bien do s'approprier un dépôt au
moyen d'un faux serment. Il lui fut répondu

« Glaucos, fils d'ÉpikydidêB. oui, il y aura profit pour toi


et Il
quelque temps à déjouer la réclamation par un serment
faire de ces biens ta proie. Jure, car l'homme qui respecte
son serment n'est pas exempt de la mort. Mais le serment a
un fils sansnom, qui n'a ni bras ni pieds; et pourtant il vole
à la poursuite du coupable, jusqu'à ce qu'il ait détruit dans

1. Strabon,IX. 3, 5, parlede poètesattachésau templepour mettre


en vers lesoracles.Cf.Plut, de Pytit. oraeul.,2S.Nous n'avonsau-
enn détail malheureusementsur l'histoirede cette curieuseprofes-
sion.
IL Htavl., VT,m-
PBfeQKprfisg^agxygsegs 44s

son étreinte m raoe tout entière et toute sa maison. Au con-


traire )a ileaeendanoa de celui qui respecte son sonnent est
houreiiBod'année en année. »

La dernier vora »oretrouve mot pour mot dans le» 7'm-


mux d'Hésiode De quoique façon quo l'un vouillo ex-
uliquor cutto l'oncontru, elle montre clairomunt quelles
ivlutionsétroitos existaient entroeetto poésie morale des
oracles et eollo que nous lisons dam Itùsiode les
être
su|it vers (|iu> noua venons du citor miraient pu
transportés littâralouienl dans lo poènio des Travaux
mi dans tout autro po^mo mural de eu genre, sans y
|iuraiJro dâ|iluGÔs. Kt si. au liou do quelques v ers isolés,
unis possédions un recueil complot dos sontencos qui
furent rendues pondant plusiours siècles par tu collège
sncordotal d« Delphes, la ressemblance, qu'il faut cher-
cher aujourd'hui, apparaîtrait avec évidence. A cetto
|iiH>siodes oracles la poésie d'Hésiode a certainemont
erniirunto ce tour sentencieux et ce ton d'autorité (lui la
caractérisent si neltoinonl1.
A côté do ces origines religieusos, les origines popu-
litiros. Los sièclos suivants nous feront voir le chant do
IV-lôgioet do l'iambo associé fréquemment aux repas et
louant ainsi sa place dans la vie de société. Un tel usage
ne naît pas du jour au lendomain et certes ce goût de
moraliser sous une forme vivo et spirituelle n'a pas dû
attendre, pour se produire on Grèce, que la formo élégia-
que ou iambique fût créée*. Deux choses révèlent par-
ticulièrement chez Hésiode l'innuence do la vie sociale

1. La v. 285 'Avtpi; 8' tùipxoupar imiiKaOïv &|M!v<i>v


!a poésieépique aux oracles
2.La tradition d'empruntsfaits par la
existaitdans l'antiquité.Homère,selonune opinionrapportéepar
Diodore(IV,66. 1),aurait dt beaucoupaux oraclesde Daphné,fille
deTiréJias,confondueavecla Sibylle.Peut-étresous cettelégende
y avait-ilun soupçonde la vérité.
3. Hymne & Hermès, 55 8toc a' ûjc!>xaXbv Seittv il avroex*
7.!t~flÍlUv~ l¡~TI tteOpet – f¡C1\T«\0..11, -9'1/1:&1", nt~{'<w?<
44« CfUMTRK X. J.A P0È8IB HÉSIODIQUK
chot lui, et
contemporaine les proverbes, qui abondent
Il
l'apologue, dont il fait usage incidotnmont. y a quoi.
ques proverbes déjà ehe* Homère, maison petit nombre
relativement; il y on a beaucoup ohei ïléaMnle. Ouol-
quos-una ont pu être créés par le poète lui-môme, mais
n'eatil pas problablo que lo plus sauvent il s'est contenir
de formuler d'une manibro plus durable des vérités qui
avaient cours de son temps? La finesse spirituelle Ao
l'esprit grec se prêtait particulièrement à ce genre ilo
création. Quant à l'apologue, quolloqu'en soit l'origine,
rien no convenait mieux à un peuplo inventif et contour
quu cette forme iiigéuiouso qui pluîl un mémo temps à
la raison et à l'imagination. Satiro et drame à la fois, «à
l'osprit et la fantaisie trouvaient également leur compto;
on démontrait une vérité morale, et on Imaginait uno
historiette; l'allusion vivomentsaiaio doublait l'agrément
du récit. LosGrecs nUondirontils jusqu'à la Jindu vi»si<V
clo, temps où une tradition plus que suspecte fait vivre
lofabuleux Ésopo,pour user familièrement de l'apologue?
Uion do moins probable. L'apologuo ost une dos fonuos
naturelles du l'improvisation maliciouso Arcliiloquo
l'employait ainsi; bien d'autres ont dû lo faire avant lui.
Hésiodelui- mémo très certainement n'a pas été i n vonteur
à cet égard. Lorsqu'il racontait la fable do l'éporvior et
du rossignol, soyonspersuadés qu'il ne faisait que suivre
une modo déjà établie. Un.pau plus tard, la goût des
énigmes se répandra en Grèce nous n'en trouvons guère
de traces bien nettes dans la poésie hésiodique; mais l'a-
pologue est précisément une sorte d'énigme on action.
Hésiodeest vraiment ingrat quand il signale comme des
lieux dangereux ces leschésoù l'on se réunissait four con-
verser. 11leur a dû beaucoup. En hiver, c'est lui qui nous
l'apprend, la tentationiétait grande pourle villageoisbéo-
tien, quand il passait près de la forge où quelques amis
causaient autour du feu, ou près de la lesché abritée du
APOL0QUB3ET PROYKRBES 44»
vont et bien exposée au soleil. On t'entretenait dune là
une bonne partie du jour; et do quoi»sinon des misère»
présentes, des mécomptes de la veille et des espérances
du lendemain t C'est la aussi «ans doute que l'expérience
agricole trouvait ses docteurs. On y formulait en pré.
coptes rustiques co que la pratique quotidienne avait
unsoigné, Cii aortes do proverbes spéciaux, rolutifa aux
ehungements du tompa, à la culture, h toutes los choses
dola vie des champs, sont do tous les pays, Comment
miraient-ils manqué en Héutiu plutôt qu'ailleurs ? Un
[titèlo,expert lui-mômu en cetlo matière, «'avait qu'a
lu*recueillir, &tex <uMtrdnnn(*r,ay mettr».son empreinte
pursonnollo, puur on constituer un gonro nouveau do
poésie, plein de saveur.
N'insistons paa nous voulions faire sentir combien
In poésie d'IIésîodoost loin d Vitroruollomoul ««qu'elle
iiiiiibparait aujourd'hui, quoique chose d'isolé, sana ra-
cinesdans lo passé. C'estollo-mAmoqui nous n rendu US.
moignago. Lorsqu'on l'étudié attentivement, on .s'aper-
çoit qu'elle tient à tout ce qui existuit ulorn et qu'ullo
n'nn est qu'une heureuse adaptation. telle procède des
hymnesreligieux, des ponsiescliresniologiquos,des ora.
clos,des improvisation de société, des entretiens popu-
laires. Maiscequ'elle a d'admirable, c'est qu'elle a sufon-
dre ces éléments divers, do manière à en constituer des
œuvres qui ont leur unité propre et leur physionomie
distincte.Cette adaptation ou cette combinaisoncréatrice
fut conçue et exécutée par un homme, dont le caractère
porsonnelest resté fortemont empreint sur son œuvre.

IV

Les récits relatifs à la vie d'Hésiode, que l'antiquité


nous a légués, ne contiennent guère, oatt^ des légendes
M9 CHàPITRI X, – LA POfeWBHfcglODIQU» –––
sansautorité, que des faits empruntée aux poèmes hésio-
diques oux-inôinos.C'est dune a cette suuroo que nous
devons romuntor, nous aussi, pour trouver l'IuHnmu
dans le poète*.
L'autour dos Travaux (v. U3B) design»» la potîlo bt»ur-
gado hootiomio d'Ascru, au pied do lilôlican, couuiio lu
lieu ou son père vint s'établir. Il lui dit pou qu'il y Huit
ne hti-mânio; main la tradition & peu près utinnimu
suppléa sur eu point & hou silence l'our qu'aucun»
ville do Bootic, pns inôinu Orchotiiènc, n'ait disputé toi
houuoiir à l'obscuro bourgade do l'Ilùlicon, dolruil.<s fort
auoionnuinont par les g«>na do Tlii'Kpios, il faut bien qui>
sus titres aient pnru iucoiitoslultlos D'après to uiôiiiu
passugo dos Travaux (v. (J32 et auiv.), lu pèro du poèto,
pritnilivoment habitant de Kymô, dans l'Éolide d'Asio,
aurait oto réduit pnr la pativratô h quitter sa ville nu
lalo, ut aurait vomi >>ôtnulir on Dt'uitio. Ilésiodo, béolinii
do iiairisunco, sorait ainsi origimiiro du lieu qui fut l*>
borceau do la |toésio limnôriquo. Il n'y n ituciino raison
posilivo ù ullôguor pour uiottro ou doitto l'uuthonticitti
do co passngo d«s Travaux la souh» chose qui le rondo

I. N'ouh «voua trois iluciimants blograpliii|iio^ principaux sur lié-


siod« (• le récit nnanymu que nous «vous (!<'•]& cil6 souvent mur le
Concourt d'Homère tt (Méïiode; S* une Vie d'U(tioâ«, «Urlbuéa par er-
r«Ui à l'roclu», mris qui titnbte «Iro l'ceuvra do Tz«ttès (F. Ranke,
de Ht/imli Operibu* cl Ditbus commtnlalio. p. 4) 3*la courte notice du
toxique de Suida», au mot 'IMoSo;. Ces notices se trouvent dans te
recueil des Vitarum icripiorti de Wastermnnn et dans les principales
«dilions d'Hésiode. Voyez sur la vie d'Hésiode les Prolégomènes de
GoHling dans ses Ifeiiodi carmiiia.
3. Puusan., IX, 38, 4, Inscription du tombeau d'IliSsiode à Orcho-
m*ne. Anlhol. pal.. Vit, 53. Nlcandro, Theriaca. II. MoBchoa,III, 8».
Virgile. Égtoguet, VII, 70; Géorgiquei, II, HO, etc.
3. Snidas soûl rapporte qu'Hésiode était de Ky mi et qu'il fut amené
tout enfant A Ascra par son père. Si cette tradition avait eu quelque
autorité, elle aurait trouva d'autreB appuis. On a vainement tenté
d'interpréter le nom du poète comme une désignation générale équi-
valente à poète ou chanteur ('HaloSo; de Uvai-.Lîr.v). L'élymologie
nous parait sis retu*» à cette iatarprâUUon.
u_ HfeSIODg **»
ta réa-
suspect au fond, c'est quo si «es fait* «oui réels,
lité a ici io tort do trop ressembler à une combinaison
nùso»
ingénieuse. Ce n'est peut-ôtro pas après lotit une
«uftisanto pour refuser d'y croire »,
Une soute circonstance do la vie d'Hésiode nous eat
connue, go» débats avec son frèro Persôs au sujet de
l'héritage paternel. La situation respective de» deux
frères furiuu lu dounéo foiidaniuiitale du poèm» des
Travaux. Est-co uno liction ou un fait réel f Lorsque les
ituùtos de co temps avaiont besoin d'uno donnée active,
c'était à la mythologie qu'ils l'empruntaient. L'uutour
«les Préceptes de Chiron, (lui fut puut-otre Hesiotlo lui.
inùniu, nteltail ses conseils dans lu koueliu «lu cuittuiiro
Gltirou a'adrossant au juuue Achille, son élève; il leur
tlotinuit ainsi plus d'autorité. Mais, dans tes Trammx,
|i!S deux frères n'ont rien de mythologique ce font
doux personnugos bien réels, d'humble origine «t de
iiiotlesto condition. D'ailleurs, s'il s'agissait d'une liction
«lustinôo ù servir de simple prétexte à une série de con-
seils et d'enseigiieinoiits, cotte fiction no sorail-ollo pas
nécessairement exposée uu début sous forme d'intro-
duction narrative 1 Elle ne se révèle que par allusions
successives et quelquefois obscures indice certaiu d'un
fait réel qu'on n'arrange pas po'ir les besoins de la
composition. Voici co fait la succession du père a été
partagée entre ses deux fils. Perses, envieux et disst-
pulour, ne s'est pas trouvé satisfait do ce qui lui était
attribué. Pour augmenter sa part, il a plaidé contre son
frère, et des juges gagnés par ses présents l'ont en
effet favorisé aux dépens d'Hésiode. Gobien mal acquis

t. Quaotau nomde Dlos,attribué au pire d'Hésiode,il està peu


pré»évidentqu'il doit Ma origine&un simple malentendu.A(*v-y*-
vo«{Travaux,299)eat une expreisiouqui doitdireentenduecommele
eio;i?op«6;de l'Odysiée.6a à èu tort de faire de ÏIo;l'adjectifd'un
nompropreAlot, oude corrigerKoven Afou.
Hist. de It UU. Ortcqoe. – T. I. 29
«0 CHAPITRE LA POÉ8IK It&StODIQUC

no lui a pas profilé ennemi du travail, il a laissé dé.


périr sa propriété; et, réUuilà la misère, tantôt il vient
implorer stm frère, tantôt il songe à plaider do nouveau
contre lui.
D'aprèa cola, on peut 90 roprésonter Hésiode, pon-
dant unit parti» àv sa vie au inoins, comme établi Uuns
mm pays natal, auprès do l'ilélicon, ot là travaillant
à faire vuloir son petit domaine, qm>
<jiu(rgiijiii>nu'nt
son frère lui dispute. Voilàcertes un puèto bien diffé-
rent de s aède»ioniens. tioux-ei sont dus chanteurs tlo
profession, qui gagnent leur vio un exerçant leur ai';
îiotes salarié», ils vont de maison en maison, fréquen-
tant surtout les riches et les grands. La puèto béotien
ne fait pas de la poésie son gagne-pain c'est pour lui
une noble distraction, ou un moyen d'exp/imor avec au.
torité des vérités utiles; aussi ne Haltetil personne
son («uvre est un enseignement, et quelquefois un» sa.
tire, jamais une glorification. Il a déjà ce franc parler,
cotte liberté hautaine ot mordante, qui dénote l'homino
indépendant, les mêmes qualités au fond qu'Arcliilo-
quo poussera bientôt jusqu'à l'excès. Lorsque Lucien
raillait Hésiode, il avait tort de méconnaître ce qu'il
devait, lui moqueur ot sattriquo, à l'un des pères de la
franchise et de la libro parole.
C'est par cotte franchise innée qu'il faut expliquer la
vocationpoétique del'autourdes Trcuaux.blaieune raison
si simple ne pouvait suture aux nalfa auditeurs du poète.
Aussi le plus remarquable héritier de son génie, l'au-
tcurdelarA4tyont0,a-l-il représenté cette vocationd'une
manière tout idéalo, dans un morceau justement célè-
bre (Théogonie, v. 22 et suiv.) ce sont les Muses héli-
coniennes,dit-il, qui autrefois enseignèrent à Hésiodeses
beaux chants, tandis qu'il faisait paftre ses troupeaux
au pied de l'Hélicon divin. Cette fiction gracieuse d'un
disciple ne se rapporte à ancan souvonir précis qu'on
HÉSIODE 4SI

|.uisso essayer do retrouver sous lo r<Ml lôgvnduire. Il


nVst pu* iua;no question de troupeau* duns Jcs fra-
vaux, ot, »'il faut faire dus conjectures, l'uutuur du ce
|.in'<inoétait plutôt un laboureur qu'un borgor.
Un événement assez nutublo do l.t viu du poète Mo.
lii-it sorait acquis à l'histoire, ni l'un puuvuit tenir pour
uiithnnliqua unpassago intériissunt dos Travail* (v. QM
t>(suiv.) l'autour y ra|tjiorto t|u*il u navigua une fois
si'iilt'inent dans su vit», |iour aller d'Autis à Cbaleis on
Kulioo, que lit il prit part à un cuucuurd puûtiquo pi>n*
iliiiit les fuuôruilios d'AnipItidamas et fut vainqueur d«
sert rivaux; victoire rôcutupcnsôo pur un trépiod, qu'il
fiiiisucra aux Muses de l'Ilôlicon. A ce passago dus Tra-
vaux quelquea-uns ajoutaient un vers d'après lequel
Homère aurait olû en cette circonslanco lu rival mal-
tittiii'tiux d'II«'iâiodo >, ot cette légoudu forme lu sujet
iiu'tiuodo l'écrit déjà cité sur le concours dos deux puà*
los niais l'autour anonyme no 8Uconlontu pas do mon-
tiomior lo fameux trépied que vit aussi Pausanias, if
donne en outre une prétendue inscription, qui, d'après
lui, y aurait figuré bien quo l'uusanias, si exact, n'en
ilist;rien 3. Tout cola, il faut l'avouer, ressemble fort à
une fablo arrangée pou à pou et de là lo soupçon d'in-
terpolation élevé contre ce passage des Travaux. Plu-
tarquo, dans son Commentaire, le rejetait absolument
et presque tous les critiques modernos se sont ralliés à
son opinion il est en effet non seulement inutile, mais
mal amené et mal rattaché au reste. Seulement, en
écartant la fable relative à Homère, et on reconnaissant
dans les vers en question l'œuvre d'un interpolateur,

1. "ÏVvcj»
vnrijvavt'iv XaXxttitttov"O|it|pov.
2. 'HvfoSocMofo««'EX!x»v!«tAv8' vn^aaciv XaX-
dvi8T,xtv,H^vif
xiS:Cilov"O|M|pov«
3 Panssjsias,1S, St.
4.Platarque,Fragmenta(Otdot),Comment. surHétiode.e. 26.
458 CHAPITRE X. – LA POÉSIE MÊS1ODI0UB

no rosto-t-il uns au moins uno tradition ancienne, dont


colui ci s'est fuit l'interprète, et qui n'u rien on ollo.
mdina d'inucuoptabloî Si ollo est vraie, ce sorait à ChnU
ois, ilu.is un concours puotiquo, quo lo génie d'Hésiode
aurait ioçu aa plus brillante consécration.
La inoit il'ilésioilo a 6té raeontôo U'uno manièvn à
demi fubulouso pur plusieurs autours ancions >. Lu
narration lu mieux faite ost colle quo l'on trouve ilmis
lo Banquet des sept sages attribué a iMuturque. U\
voici à défaut do vérité assurée, elle ta uno oerttùnu
gruco tlui tu reeotmnundo au Icctour

« Un edrtalii Màldaias, avec qut Httaioilo t>artagoait lo vi.


vre et lo couvert chez un hâte commun Rn I.ooride, ayant eu
des relations aeorôtos avec la Olletlecot hôte, fut découvert.
On soupçonna Hôsiodo tl'avoir eu counalsHunce do ta citons
dès le début et «lo l'avoir cach6e; bien «{u'innoeent, il fut
victime de ta colôro et do In calomnie Les frères do In jeune
fllk l'iittondlrent ut lo tuèrent uupres da N'etneou on Loerido,
»t uveo lui son serviteur, «ini s'appelait TroVlos. Puis leurs
corps furent jetés dunt* la mor. Celui do Trotlos, poussa pur
les Ilot» jusqu'il l'embouchure du Daphnos, «"arrêta sur un
rocher battu des vagues qui a'ôlevoit un pou au-dessus de la
mer: ce rocher a gardé jusqu'à nos jours le nom de Trotlos.
Quant au corps d'Ilésiode, une troupe de dauphins le prit
dès te rivage et le porta vers le Rhion jusqu'à Molyerie. Les
Locriena étaient ulors réunis pour la tête et la panégyrie
des Ariadnéea, qu'ils célébrent encore aujourd'hui à cet en-
droit avec beaucoup de solennité. Dès que le corps, poussé
par les flots, fut aperçu, tous, surpris, comme 11était natu-
rel, accoururent au rivage, et ayant reconnu le mort qui n'é-
tait pas encore e défiguré. ils n'eurent rien de plus pressé que
de rechercher les meurtriers, à cause de la gloire d'Hésiode.
La recherche fut prompte. Les meurtriers furent précipités
vivants dans la mer, et leur maison fut détruite. »

Les divergences des autres récits sont ici insignifiantes

1 Proclat. Tlvoc'Hai«8ou. – Anonyme,Concoured'Homèreet d'tfé-


$bde. Plat., Bangutt dtt sept Sagtê, c. 19.
HÉSIODE 459

ot la précision «les désignations locales somblo dénoter


iinu tradition ronformant une part do veri lé. Quoiqu'on
doive poiwor du» circonstances accessoires, il est donc
années do sa
probable qu'Hésiode passa les dornières
vie chez los Locrions Ozolus, aux environs do Naupncte,
et qu'il y mourut t. !t y fut aussi onsoveli. Plus tard,
Lis Orchoménions, sur un ordre do l'oraclo do Delphes,
vinrent y chorchor sos restes et les transporteront dans
Unir propre ville *j c'est « Orclioinono que l'nusanins,
uu second sieulo do notre bro, vit oncoro lo tombeau
d'Ilùsiodo ». Selon une autre tradition, co serait à As-
cra que les Orclioménions seraient allés chercher los
restes du poète, après quo la bourgade do lilélicon, dé-
truitu par les Thospions, fut devenue un liou désert .
l,e* doux récits no sont pas inconciliables lo corps
(l'Ilésimlo a pu ôtro ramonô d'abord do Naupacle à As-
lo tombeau
«ra, ot plus tard transporté d'Ascra dans
d'tlrchoinène 5.
Uno tradition ancienne, évidommont fondée sur uno
lo poète lyri-
simple méprise, donnait pourfils à Hésiode
ù insister aut renient.
que Slésichoro*. Nous n'avons pas y
Il est certainement impossible do tiror d'uno biogra-
aussi et aussi mélangée do fables une
phie incomplète
1. Cf. Plutarque.Deauimutiumsofertia,c. t3, où il estencoreques-
lion de Naupacteà proposde la légendedu chien d'Hêsiodofaisant
découvrirle meurtrierde son maître.Pausan.,IX, 31; Pollux,Ono-
mast.V,K.
2. Plutarque,Banquet,c. 15.
3. Pausan.,IX, 38.
4. Plularque,Comment, sur Hésiode, c. 26.
5. Delà aansdoutela fabled'une résurrectiond'Hésiode,qui au-
raitétéensevelideuxfoisfàNaupaeteotà Asera).Proctue,dansle Vi-
vo;,et Suidas, an mot 4H«48mov YSi?«s.attribuent à Pindare i'ôpl-
– 'Hwioi.
«fctitoXifrac,
grammesuivante:X«Tpe8tcnW,Mî«»l8iîT<if(»u
àv8pwitot{ ï
(Utjiov x«v <rofln;.
6. Philochore,chezle scoliastedes Travaux,v. 271.En.parlant de
une «Hsl»»»» «l'nrdr»pura-
méprise.je reas dire que probsbl«««nt
mentlittéraire a été regardéecommeune filiationpar le sang. Voy.
Rizzo,QuestioniStetieoree, blessine, 189S.
451 CHAPITRE X- – LA POÉSIE HÊSIOOIQUE
idée arrêtée du caractère du l'Iiumiao. Ce que nous en
savons viont do ses couvres mômes, et par conséquent
c'est en étudiant son principal poème quo nous pourrons
utilement lu mettre on relief. Toutefois quelques IruiU
dominants du sa physionomie sont en rapport ai èlrott
avec los circonstances de sa vie qu'il est bon de les in-
diquor dès à présent en quelques mols.
Hésiodeest un homme do labour en mémo temps qu'un
homme de génie. Ce double caractère est imprimé sur
son «ouvre. Habitué pas, la dureté do la vio a beaucoup
do travail pour un médiocrerésultat, il entreprend avec
hardiesse une tacho considérable, collo do donner un
corps à la sagesse populaire et traditionnelle, do la fixer
dans un poème qui soit eoinmo la loi écritode la vio pour
l'hommo attaché h la terre. Plein do son idée, il envisa.
gera on face toutes les poinos, toutes los désillusions,
toutes les amertumes, toutes les monotonies dos jours
qui succèdent aux jours, dosannôesquiK'amassont et qui
jettent leur ombre sur toute chose humaine. Conception
virile, qui dénote chez son autour une sorte décourage
profond et sans éclat, une énergio morale durement
exercée et longuement marie. Tandis qu'ailleurs la poésie
se détourno du réel pour chercher dans la liberté char.
mante do l'idéal l'oubli des ennuis et des inquitétudes,
l'exaltation joyeuse des sentiments, et, pour ainsi dire,
le déploiement brillant de toutes les facultés humaines,
voici un poète qui, pouvant, lui aussi, donner l'essor à
son imagination et se laisser aller aux rêves agréables
ou dramatiques de la fable, préfère s'attacher au sol.
Bien loin do dédaigner les petites choses, les préceptes
arides, les descriptions techniques, il les aime au con-
traire, pour elles-mêmes d'abord, parce qu'elles sont la
réalité quotidienne, et pour leur utilité ensuite, parce
qu'elles peuvent servir à mieux faire. Le réalisme de sa
poésie tient donc au fond de son caractère. Ce n'est pas
HÉSIODE 455

che* lui doctrine d'école: c'est le roflot mémo do toute


sa manière d'ôtre, do ses plus profondes habitudos do
ponsée et de sentiment. Et ainsi s'explique ce qu'il y a
do plus curieux potit-etro dans le caractèro moral de sa
poésie: Hésiodeest, comme le paysan, volontiers inécon-
lont, grondeur, accusant les hommeset les choses, gros-
sissant ses désappointements et diminuant ses profits,
quand il on parle; mais avec cela incapable dodécoura-
gement. Luttant avec une patienco invincible contre tes
diflicullés,jouissant dos rares instants de repos qui dô-
tondont ses mombroset son âme, il est au fond intime-
ment satisfait dotout ro qu'il obtient par son savoir-faire,
sunénorgioet sa prudence. Coqui lu caractérise éminent-
ment, c'est la façon dont ces éléments divers s'associent
onlui: los 7>ae«i« sontuno œuvrovraiment individuelle,
portant la marque personnoilo do son autour, presque
autant quo pouvait la porter les poésies d'Archiloque.
Nouveauté bion digne d'attention dans l'histoire de la
littérature grecque.L'homme qui a ou le premier on Grèco
la puissance nécessaire pour s'approprier la poésie,pour
on faire sa chose ot la marquer do son nom, ce n'est
aucun des aèdes homériques, c'est Hésiode.

L'originalité mémo du caractère du poète nous rend


plus désireux de rapporter lo temps de sa vie à des dates
précises. Malheureusement l'antiquité ne nous a trans-
mis, en ce qui le concerne, aucune indication chronolu.
gique sur laquelle on puisse s'appuyer avec confiance. Les
auteurs anciens Oxent le temps d'Hésiode par comparai-
son avec celui d'Homère; mais, dans cette comparaison,
ils sont en complet désaccord. Pour les uns, Hésiode est
460 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÉSIODIQUfi

antérieur à Homère» pour d'autres, parmi lesquels est


Héroduto, les deux grands poètes semblent eontomp»».
rains'jles derniers, à la suite des critiques alexandrins,
reconnaissent qu'Hésiode a da vivro après Homère
Des affirmations qui so contredisent ainsi, et dont nous
ignorons d'ailleurs los raisone, sont à pou près sans vu-
leur. Avons-nous donc, en dehors des témoignages, des
arguments propres à nous décider? C'est là, on peut lu
diro, toute la question4.
Do nos jours, on s'osl attaché principalement aux
preuves qu'on poul appeler historiques. es poèmos at-
tribués Il Hésiode, particulièrement la fin do la Tht'oijo-
nie et les Catalogues, renferment on grand nombre des
noms de peuples et dos noms des lieux ils font allusion
à des légendes qui cachent dos événements réels, et
ceux-ci no semblent pas toujours impossibles à décou-
vrir. On a essayé do tirer parti de tout cola pour obtenir
quelques dates certaines qui se rapportent générale-
ment an viiie et au vu0 siècle. Que vaut colte mé-
thode? Remarquons d'abord quo los poésies mises sous
le nom d'Hésiode appartiennent manifestement à des
autours qui ont vécu en divers temps et on divers lieux.
A supposer donc qu'on put déterminer ainsi la date où
fut composé tel ou tel poème, qu'on résulterait-il rela-
tivement à la personne môin« d'Hésiode? En outre

i. Éphoro et L. Acclus dans Aulu-Gelle. III, il. Le Marbre de


Paros place Hésiode 101 ans avant la première Olympiade, et Homère
130 ans seulement avant la même ère.
2. Varron, dans Aulu-Gelle, III, H. Hérodote, II. 63. Cornelius
«»
Nepos, dans Aulu-Gelle, XVII, 31. Clém. d'Alex., Stromata, L p.
et U6, éd. Srlburg.
S. Philoeuote et Xénophane, dans Aulu-Gelte, III, il. Posidotijos.
dans Tzetzôs, Bxeg. in lliad., p. 19, 2 lierm. Opinion des gram-
mairiens alexandrins, Scol. Venet. Illad., XXIII, G83.
4. Voyez, «laim les Prolégomènes da Uœttling déjà cités; la s«e-
tion II De tempore quo llesiodm vixerit.
CHRONOLOGIE 457

puul-tm douter qu'un genre où Jos énumérations hôroï-


quosot les généalogies toiiniont un» si grande place n'ait
(lu susciter plus ijuo tout autre lu zèlu «1rs interpola-
tours? Les archives de noblesse sont sujettes, comme on
sait, à grossir on vieillissant, et nous no pouvons nous
dissimuler <|tio los poésies hésiodiques ont été souvent
de véritables archives. Comment no pas se demander
|mr suite, lorsqu'on détermine unu date, si eo n'est pas
plutôt colle de l'interpolation que celle tic l'ouvrage
même?
Cette méthodo étant écartée, il faut s'en tenir à l'osa-
mon des caractères propres aux poèmes, et il semble
bien qu'on puisse obtenir do cette manière une déter-
mination chronologique, au moins approximative. Si la
comparaison ontro la mythologie d'Homère et celle d'IIô-
siodo, entre la géographio dolours poèmes entre leurs
opinions morales, ou entre les conditions sociales dont
ils présentent le tableau, no donne aucun résultat bien
certain &cause do la différence des pays, il n'en est pas
do môme dos observations relatives h la langue t. Les
poèmes hésiodiquos, malgré certaines particularités di-
gnes d'attention, sont composés dans la mémo langue que
les poèmes homériques, et cette langue est dans son en-
semble une langue ionienne. Un tel fait n'a pu se pro-
duire dans la Grèce contrale, en Béotie et en Locride,
quo sous l'inlluonco d'une grande poésie épique ionienne
qui s'imposait alors à tous comme un modèle nécessaire.
Comment expliquer cotte influence, sans admettre que les
poèmes homériques étaient déjà en grande partie achevés
et qu'ils commençaient à être connus au loin, lorsque

t. Celaa été parfaitementmisen lumièrepar Bergk,danssonHis-


toiredela littératuregrecque. Knoutre il est certainqu'Hésiodea
été,sinonl'initiateur,dumoinsle premiertémoindespratiquesmys-
tiques,inconnuesà Homère,« seculi mysticiquasianteeursor» (Lo
bock,Aglaoph.,1.1, p. 3j9).
458 CHAPITRE X. – LA POÉSIE HÊSIOOIQUE

les poèmeshésiodiques furent composés? S'il en est ainsi,


Hésiodelui-même n'a pas pu vivre avant la fin de la
pèriotlohomérique, peu de temps par conséquent avant
le commencement des Olympiades,
Est-il vraisemblable d'autre part qu'il appartienne à
une périodeplus récente? Le commencementdes Olym-
piados marque en Grèce celui do la chronologie à peu
près historique. Dos poètes, tols qu'Arctinos de Milct,
Eumélos do Corinlhe, Kinuslhondo Lacédéinone, qui
ont vécu dans les premières Olympiades, figurent à leur
rang dans les tublaaux dresses par les chronographes
grues. Si Ilésioile, hinn plus illustre qu'eux, avait été
lour contemporain, ou s'il eût vécu après eux, il serait
étrange que tant d'incertitude eut subsisté autour du
lui. La divergence extrême des opinions, en ce qui con-
cerne los dates desa vie, sembloprouver qu'il appartient
à un temps plus ancion. C'est donc en somme entre l'an
800 et l'an 750 onviron que nous sommes amenés a cir-
conscrire nos conjectures.
XI
CHAPITRE
I,ES TltAVAUX ET LES JOUHS ET I.A POKSIE PRATIQUE

UIHMUOttAflilt.

Bien que ce chapitre ne se rapporte qu'au poème des Tira-


nous réunissons loi toute la bibliographie kôslodique
vaux,
pour éviter des répétitions.
On trouvera une bibliographie hésiodique détaillée dans
l'édition Kœohly-Klnkel, et un bon abrégé dans l'édition
les in-
Gcettling-Flaoh. – Nous nous bornons a en résumer
dications essentielles.

Manosouïts». Les manuscrits d'Hésiode sont nombreux,


mais beaucoup n'ont aucune valeur. Citons seulement ceux
sont regardés comme les meilleurs:
qui
de la bibliothèque lauren.
i" A Florence, trois manuscrits
tienne, savoir: M5 (Medleeus, XXKl, 39), du xi» siècle, conte-
nant seulement Us Travaux et les Jour», le meilleur de tous.–

i. Dans ces dernières années, on a découvert en Egypte des frag-


ments de papyrus contenant des vers d'Hésiode 1" an papyrus du
Fayoûm. contenant t7t vers des "Epr« et 39 vers de l* >A<ntf(Brz- (pu-
bliô par Wessely, MiltkeUungen au* der Sammlung der Papyrus
heriog* Rainer, p. 73-83) *> un papyrus d'Achman, ancienne Panopo-
lis, aujourd'hui à la Bibi. Na». de Paris avec dVutres papyrus re-
cueillis par Maspero (publié dans Silzungaberichten d. K. prêtas. Altad.
d. Wûsensch. zu Berlin, t. 39, p. 807). Ces deux papyrus datent du iv»
ou du v» siècle après J.-C. Ils s'accordent en général avec nos meil-
leurs mss. On voit par le titre du second et la composition probable
du premier qu'il y avait un eorpu» hésiodique, comprenant la Théogonie,
lea Travaux, le Bouclier, d'après une môme recension alexandrine.
Voir Wiene,' SludU», 1888, p. 2G1et sait., art. da A. Bzaea.
400 CIIAP. XI. LES TRAVAUX ET LES JOURS

M 3 (JMiVut XXXII, t6), du xu* sUtole, contenant fa Tkfo.


goHt>ot lt Hmclitr, Sur ce» deux mummerUs, «joiotUlor Flttoh,
Lie behltn «faite» Hawhckrifttnilt$ Ihtiait, J.»lp*lfc', >877. M 8
(Af*tte*M« XXXI. 33», du xiv» «Idole, Ai Tktyomi et le UutwJiVr.
ï» A l'arU P t (PaW«eHïi*2708), du xi V wtôulu,lu Ttuvtux,
la Tfr'oyanh; le Hmelter. P 'Hhiritkniii 377»), du xi» «lôele, lu
Travauxet les Jour*, iivou la«uiniiiuiituiro do l'roulu».
3* A Mes^ino: – tu (Metitmitia),du xii'elôole. Ut Travaux ei
lei Jours; roprolult on gronde purlio, d'aprùaFItuth, dans Vda
{Paminhis 3773),
4* 8 (.SoMferjfctmiaimJ),du xi v«»IMe, ttutrefah A Floreuuc,
aujourd'hui on AUoiuugiM*, oontonuitt toutoslu* a-uvres d'Hi».
bIoiIo.
5» A WiiUt*; – V t (tVnefitf.Ut, IX, ead. VI), dn stvsiàeJr,
aonteuiini toutes los umvro* d'Uôsiode, uvcis du*aoolie-i.
V 2 ( »'<«*/«<,J»ll)l. S. Mura, coi. 40V), oonlvuuut i'«uloinctil
toulos )ob œuvres d'ilâslodo, écrit do lu niuiii do Doiuôtriu»
Triolinlns entra los annâoH<3(6-30(nn«i»i»eH«niwsl Trietinlit-
nu$).
Suoi.ikh. Sur tes ui-olios d'IIôsiodo, consulter d'uno inu-
niàr» gânéralo les ProlÔgoinùium de IL Flach duiis sus Glo»sm
und Scholkn zur Iksfoilischm Thcoyouic,Leipzig, (876» t't tu «lia-
sertntion du tnAino uulour intltulâo De fonlibus icholiurum ad
Ilesiotii Opura et »im, Jahrbllch. f. cl. l'hilol., 1877, p. 433 et
sulv.
Les grammairiens et critiques unclens, ceux d'Alexandrio
et do Pergatne d'abord, puis coux do lu période roinalno, s'ù-
talent occupés des poômes d'Hàsiode presque autaittquo des
poôtnos d'Homère. Zônodote, Aristophane de Ityzance, ApoU
lonios de Rhodes. Aristurque, Séleucos d'Alexandrie, Didy me
Cnalcentôre, Arlstonicos, Cratôs de Malles, Démétrios Ixion,
Denys do Corinthe, Iliérouyine et Ëpaphrodite, enfin IMu-
tarque, avaient annoté, commenté ou édité ses œuvres. De
tout cela, il nous reste seulement ce qui a été recueilli par
les commentateurs plus récents dont les œuvres sont venues
jusqu'à nous. Ces commentateurs sont
Proclus, dont l'œuvre critique (TiropvBfwc«îj t« 'llmàfou "E«y«
xat 'Huitix;) n'a été conservée qu'en partie (Édition spéciale,
dans les Opera et Dies de Vollbebr, Kiel, <84i); c'est ce qu'il
y a de meilleur dans les scolies d'Hésiode. On y trouve quet-
ques fragments du commentaire de Plutarque sur les Travaux.
DIBLI0ÛIUP1UK 461
– Jeun IMuo.MlusQulemtu (Kij t«v tsS 'II»«îuVj wu/v.iio «Aç.
yvsim), Jean Taeliàs i'Kftyoïi; «> **•<* **« !iMi*j et 't :?«>,
ii, Tiv ?vJ 'Utiv/ov'iit(mV), – Deux ttimuyimn, uiUuur.-t>ldr<t«
iituri|U«* *ur la Bouclieret la TJutywfr. – Jeun Ultto<iuu« IV-
tlllsillUIH^«It» imWtytmXW* il; T<»T,'II. 'Ailtiôs»),– Jt»ft»Pri»<
tu«i»ulliiirlii4 (Catiuiieiituiru »ur le auleiulrioi' qui fait jutrlio
•Iîih Truciiuc). Mtuinul MiiHolioitiiulus {t(«iiiuri|utiii sur la*
'JVnuiii(i),– I làiuàtrliis 'i'rlolhiiuii (Suulli'H sur lu Th>'oynnk\,
– l'iiiiuule (Huiill.'s sur lo* TVavaux). Cun-ttaiitlu I.uxditrU
iSuolli'» nnr lo lUiwUtr),
l,a oollfollon iltia ttuallaH it'lUi«ioiK<tt t-tt> (Mililiâo |mr Tli,
«iaittford tlmu tu toniu Il du «oh l'ottu? wfriurf*ynii-ci, OsfiMil,
IHIt-IftîO, ot l.eliultf, 1813, Pour iscllfn .jul xn rn|>|u>rlnut
AIn TftCojonf»,voir la oattoattan <ts H. Kiacti, olt.'d j.tus Imtit.
I'.oitiuns, – Los)trlnol|>utea ôilllloiis «t'iléislmlo saut:
xv* «iàoto: [.'dilitloii i>rlit«o|tn «la hôiiK'U'huCImlooH.lylo,
siuu Indication du Hou ni JoJato, jirobalilumont Milan, ll'.i:t;
i'IIu oontlout Hùulciiiuiil If* Travaux et la Juiirx, – I.'tnlitlon
«IhhAl<les (<Kuvre8 ooinpUHos), I i91>.
xvi" slôuto: JMltloiis deslmito, iiiCi <stIliio (<i:uvr«H.:oiu-
l»li':to»). – Ivlltlon do lli\lo, i:H2 («KuvroHcoiniiUHo* uvuu lu
tnuluution lutiiiu do L. VitUit ot do Honlmia Muinhrititis). –
IMitlon «l'Honri I^tlunnw, l'urls, liiiiO.
x vu" hIiMo: |>MUiondo Dtinlcl lIoinsiiiH. r.cy.l»1,1603, uvcn
iiiio ûtuilo sur lu doctrine dos Travaux. lto|»roduUo «n 1032
l>ur <i. l'iisor, avoo un index nouveau. – l'édition du Solirc-
volius, Amsterdttin, tÛ'M, iivcal'lmUs. de l'unor considérable-
meut accru souvent rùôditée.
xvm1 siècle: Uniodi Aieiwi que exslant.cà. variorum, <J.o
l.niHiior, Leipzig, 1778, ample recueil où so trouvent réunis
ou résumés tous tes travaux antérieurs. – Theogonia,par Wolf,
Huile, 1783. Opéra et Dits, par Brunck, Strasbourg, 1 76i.
xix* siècle: Hesioili carmina, de Gaisford, dans ses Poitœ
<jcxclminores (voy. plus haut). Hetiodi carmina, de Gceltling,
Uotha, 1831 3*édition due à J. Flach, Leipzig, 1878; proie»
gomènes et notes fort utiles. Huioii carmina et fragmenta,
•le F. Ddbner (Biblioth. Didot), Parts, 1840. – Hesiodi,Cinx-
thonis, etc., fragmenta, de G. Marckscheffel, Leipzig, 1810.
Theepics of IlesioJ, de Paley, Londres, 1881- Hesiodea que
superiunt omnia, de Armtn. Kœchly et God. Kinkel, Leipzig,
1870, œuvre de critique fort remarquable, a beaucoup fait
463 CHAI». XI. LEà TRAVAUX ET LES JOURS
dunsla petita édi-
pmir réUl»UM«i»i«nt •'« »»xto; reproduit*»
tion U'Hàaloito pur Kwolily, qui fait partie de ta litMluth.
T«ubn«r. – ff«*i'U on» /WVNfwrom*ta. tte G. Ranch, l.»ipxifr,
tl»i, buune édition critique – Umod$ Qedichtt de Fiok, Oail-
tlugt'i», <8ii?;oi\ l uulaum'cit pro)ta*é du iliaUiiguor les dtver»
Alàmaiit» du texte actuel et «la la rumeiur A su forma prlmU
Uvu. – Il7(«\ r* «r.*vT«de K, Siltl, Allions*, ISSU<Ulbttotl^-
\Veh<-
t|ua /.»g*mpU<>»). |.o Tktouuni» u61*5piiMlôeàpurl pur
ker avec d«» notes «rltlque* et explicatives et un £«a< sur /«
nli.
pottii hMwUqHt, Klb*r«r«UI, l««ïi oveo une traduction
Mmnil«|>»r8«UunHnwn,Uerlln,l8«S;»vo«a«»rroIêtfom*netpar
II.FIaali, Uarliu, IH73,l,n ournollon ttu texte du lu TMof/tmit
uàtd préparé» •ur»o«t par HMteïi dan* «on ouvrage ItrMirn-
rfalionc rAN30N<(i« hctiodeat, l.elpilg, 1833.
Le* frugmenU hàtlodlquo* la trouvent nu«»l réuiiU dutu
Epitor. gmteor. /ro^wnilrt de Klnkel, Ulpxig, 1877.

•OMMAini!.
I. Analyse du poème de» Travaux tt Jour». II. Unité primllivo du
d'IH»!oJe.-
poème. – III. Des aenUmenU qui Inspirent la poésie
IV. Le* mythes dans les Travaux. V. Mérita descriptif. Corn-
VII.
ment Hésiode a vu la nalure. – VI. La langue d'ilislode.
Autres «uvres de poésie pratique.

Le poème intitulé Travaux et Jours ("Eff* xai 'H^-


et la plus authentique des
pat) est la plus originale
à liésiodo «. Avant de l'étudier au
œuvres attribuéos

des
I. Aucun doute ne s'est élevé dans l'antiquité aor 1'altrltaUoa
au dire de Pauaanlaa (IX, 3t), le seul,
Travtux à Hésiode. C'était,
entre les ouvrage» dont «" *»er°y"il !"«««««*•«i«i fat Ksam* «saxes
du texte est
antbenUque par les Béotiens da l'UdUcon. La tradition
ANALYSE DU POÈMK 4M

|uiint du vuo lillorairo, il ost ntfeossairo toutefois d'en


tlUculer rapidement l'uuilé priiitilivo car, mulgro «i
|iriî»v«>U\il paraît composa «r^léitionts si divin-*qu'on
ne pont s'empêcher à première vue d'en être étonaô,
l'ut*analyse Houtmuirunoua pormeltra du faire ros»or-
lir twilo variété,
l.Vnsumldu m dù'iso en qualru groupes principaux
(" ( du début ait v<m,382) uno cxliurlaliuit moralo au
travail, oiUrcniiMt'odo tumtonecs «livorsot 2" (du v.
3H3au v. GOé)dos conseils sur l'ugricultur*1,ttuivisdo
ijiMi|i)uo3avis sur ta navigation 3* (du v. WH au v.
7<i4)un corp» de préceptes à demi religieux 4U(du v.
7ti!in lu lin) uuu tiurlo de ciUendrior, où sont nianjuôsIl
tus jours liotiri'ux elles jours inallieuroux. Lo titre gti-
titrai du poème s'applique particulièrement à deux de
eusgroupos, lu nom do 7'~t aM~so rapportant au sa-
riiiiil,colui du Jours au quatrième.
I. Exhortation(v. 1-382) ho coi ipose d'une série
domorceaux principaux, qu'on pourrait sans doute dé*
tiurhurles uns dosuutros sans grantl inconvénient, mais
qui Hontpourtant reliés, si l'on veut y fuiro attention,
par une inôtno ponséu morale quelques morceaux ac-
cessoires do moindre valeur s'y trouvent môles. La
poiiséomorale dominante, c'est la nécessité du travail
elleso développe sous diverses formes sans progression
sousible. D'abord l'Allégorie des deux Êris (v. il-2i),
l'une personnifiant l'émulation féconde, l'autre la ja.
lousiestérile; la première encourago l'hommo au tra-
n~nmotna
néanmoins MM<iaearlaiae.
umi tMWtttM.Dansun
MitMun des
det passages
pasMgMprincipaux
pr!netp«ut(la
<<t
dal'âged'or),lt*acritiquemodernedftrétablirtroisvers
description
qui nefigurentdansaucunmanuscrit
eonȎeatifs(ltO-fSS) et nesont
conimenWspar aucunscoliasle. Cesyen ontétécitéscomme appar-
tenantaux TravauxparDiodore,Origineetlescoliasled'Aralos. On
avaitdonc.au tempsde cet écrivains,untextede cepoèmeplus
completquelenôtre,
l. Osai sa tara* actoelle, JI compte 838 v«rs.
48V UllAP. XI. – LES TRAVAUX ET LKS JOUHS
vail.Insucondel'ou détourne, l'uislo <%Mr tbPromfthée
«4de Pandott (v. 42-106), destiné à expliquer commuât
le liittl eut outré dmw lu inutiJo, ut par ciuisuqutnit
comment le travail est devoitu uûuujuuiro, uummiml k
souffrance »'usl appwsuntio sur l'Immunité. Lu Mythe
tle$ cni// «Jj/m du momie (v. IUH-201), qui ti au Itunl
la iubuio signification sorte d'hiatuiru fubulouho Un
iiiom]t).<i'tmfiit>cunl|)UM pou dans le» tôuôbrua «l duits
lu numéro il ou rossurt <|u« la cumliliuu tlo lu vin lui.
iiiuiue, eusluue lutte cuustuiilo ooutro des maux inévi-
table». UApoloQiw th téperuirt et du rouùjnut (v. 2U!l-
21S),cundauinatiunilu lu viuiuucuul ddriujuHtico, servant
indirectement à inontrur oucoro «|uu lo lritvuit **stle
soul moyen de s'onriclur. Enliu un |>urull6le druuiiilt-
que iMitro les M*»faits de la justice et lu Mai ilr tu
Violence (v. 213-204) lu {luùtoy dunllu à sus idûtis une
cniistjcruliim roligiouHu, «n ru|tr(')sontiiiit lu survoillmico
exorcot* sur lus huiumus jiar UwIront») uiillo
gurdionti invisibles qui parcourent sutistci;sso lu terre
uu nom de Zeus (v. 218-2B5). Quelques admttnitions
8|iéciulOH(26S-33S) su ruuièiteiit a la moine pcnHée. Tel
est, puur ainsi dire, le corps de la preuiiùru pnrlio, dé.
pouillé do ses accessoires t.
Touto culte première partie, sauf les recommanda.
lions de la On, ost étroitement rattachée & lu donnée
dramatique du poème, c'est-à-dire au dissentiment
d'Hésiode et do son frèro Perses. Le nom de Perses y
revient fréquemment, et les allusiuns à la situation
respective des deux frères y sont météos au développe-
moett. Elle porte donc la marque porsonnclle de l'au-

i. Nousy trouvonsen ootr»aa débntune«sorteU'bymiw» «nlhon-


neurde Zeat (t. 1-10),débrisprobabled'ancienne»poésies,quenoa»
avouaprécédemment cil*comme tel(Toir plus haut. p. 72),et à la la
ly. aaa-383)uneateie derecommandations détachées,qui n'ont vrai-
mentque dea rapporte.très incertainsavectu penséeprineipate..
ANALYSE DU POÈME 465

tt'ur. Si l'unité fund<unentaten'encatpt~ très apparente,


elle so laissu néanmoins sentir, comme.on vient do le
voir, sous dos additions et roiiiaiiiomonU probables,
qu'il est aussi difficilesdo nier que do déterminer en
détail. Dans l'ensemble du poème, YExhortation ko
.listinguopar le nombre des mytltes qui y figurent; elle
doit ce caractère a ce quVIlo est particulièrement cou-
ancrée aux idéos moraloa et philosophiques, dont le
mytho était alors la forint, par excellence.
Il. Vannent eniluito lus Précepte» t!'a~ricrrltttra1 ut
loi Conseilssur la navigation. formant la seconde par»
lin du poème(v. 383-691) ensemble d'observations qui
cunstituent un tout bien déllni.
Rien de savant, ni do très réfléchi, dans l'ordre du
développement mais cet ordre ost naturel et facile ia
suivro. D'abord une courte introduction (v. 383-404),
on le poète détermine la durée dos travaux rustiquos
hululants du rivage, de la pluiuo ost de la montagiw.
tous sont conviés par lui à la tache nécessaire mais
c'està son frère Porsès qu'il entend s'adresser en par-
ticulier, et il l'interpelle avec une sorte de dureté impi'i-
riuusequi donne à ses conseils l'accent d'une somma-
tiun
« Travaille, insensé le labeur est la loi que les dieuxont
assignéeaux hommes;crains qu'un jour, avectes enfantset
ta femme,Inquiet et acoablé,tu ne te voiesforcéd'aller de-
manderà tes voisins de quoi vivre, et qu'ils ne sedétour-
nentdetoi. Deuxou trois fois peut-être,tu obtiendrasquel-
quechose; mais si tu les importunesplus souvent, ce sera
en vain. et tu perdras tes paroles; on te fera largessede dis-
cours.Écoute-moi songe a,te libérer de tes dettes et à te
préserverde la faim. »
Les préceptes généraux sur l'installation agricole,
sur la confection des instruments de culture, sur lo
1.Lucien,Bnlrtt.avecltétiodt, «apxcvtati«
t*«*W*(>
Hltl. i» la LUI. GneqiK. T. L 30
-r
480 GHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LBS JOUH3

choix des serviteurs sont naturellement les premiers


qu'il expose (v. 405-447): quelques faits d'expérience,
quelques observations pratiques, et rien.de plus. Après
doit énuniô-
quoi, il aborde le cycle des travaux qu'il
ror. C'est à l'automne qu'il le fait commencer, par le
labour et les semailles (v. 448-402); car c'est là la tru.
et
vail qui prépare rond possible tout ce qui suivra. Sur
ce sujet mémo, il est brof; pou ou point de précepte
techniques il s'agit de choses simples et traditionnel-
les, quo chacun connaît l'activité, l'a-propos, la prièru
adross6o aux dieux avaat d'ouvrir 1« eiltoo, voilà tout
ce qu'il recommande, ou à peu près. Uno fois la t«rra
ensemencée, il faut s'arrêter, l/hivor (v. 493-363) i«-
torrompt tout duro saison, dont le poète décrit les ri-
gueurs avec une vérité saisissante, commo un domino
qui a suuiïcrl du froid et vu souffrir la nature; ce froid,
c'osl peut-étro pour le paysan, s'il s'en garantit mal, la
maladie et la mort; aussi insisle-l-il sur les précautions
à prendre, lui faisant un art de se bien vêtir. Bnlin lo
lo
printemps revient (v. 564) « cinquante jours après
solstice d'hiver », l'hirondelle so montre, on taille la
vigne, et la vie active recommence. Alors se déroulo
la série des travaux de l'été. Ici encore, même rapidité;
ces travaux sont connus et toujours les mémos le poète
no les énumère pus ce qu'il indique, ce sont les vertus
et la
qu'ils exigent, fuir la mollesse, subir la fatigue
chalour, demander beaucoup à ses serviteurs ot soi-
môme. Il vient pourtantun moment où le travail serait
de
dangereux: les jours de la canicule sont dos jours
intermèdo nécessaire dans la vie la-
repos (v. 582-596),
borieuse du cultivateur, courts instants où le poète lui
permet de se délasser à l'ombre du rocher on buvant
du vin de Naxos. Avec la lin de l'été, les soins et les
plaisirs de lit récolte (597-817): plas do soins que de le
plaisirs, comme on peut s'y attendre..Il faut battre
ANALYSE PU POÈME 467

blô, l'ommugasinor, lo faire garder, rentrer les fourra»


g«s, C'ostaussi le temps do la vendange, dont il n'est
dit qu'un mol, comme pour terminer.
Les Conseil* sur la navigation (v. Cl8-09V) sont
tmooro bien plus incomplets dans luur gonro que les
proceptos d'agriculture. La navigation, pour le poète,
n'est pas uuu profession c'est on quoique»sorte un
loiiiplémont de la vie agricole le culti vnlour se fait
marin pondiint quelques semaines, pour aller vendre
lus produits do son champ. Brièvement, Hésiode
rappelle Ionsoin» a prendre on vue du conserver l'eut-
liurcation pendant l'hiver, puis les rares moments do
l'année favorables à la navigation c'est do préférence
I» fin do l'automne, à condition qu'on soit do retour
avant l'hiver; au printomps, quoique» jours aussi pou.
vent être mis a profit, mais on s'o.xposoalors à de bien
Iitusgrands dangers. A ces conseils s'ajoutent des sou-
venirs porsonnols (v. U33-6G0) nous avons dit plus
Imut pourquoi ils avaient été justement suspectes, en
partie ou en totalité, par la critique ancienne ot mo-
der no
Toute cette seconde partio du poème étonne le lec-
teur par son manque do proportion et par ses lacunes.
Sur certains points, les préceptes techniques, qu'on
attend, font défaut; d'autre part quelquos descriptions
semblent trop développées. Presque rien des semailles,
de la naturo dos terrains, rien du choix des céréales,
rien des travaux d'irrigation ou d'assèchement, dont il
est fait mention pourtant dans VIliade, rien de la cul-
ture des arbres fruitiers, et fort pou de chose on somme
à propos des travaux m'mos qui sont mentionnés. Lo
poèten'a vraiment d'enseignoments précis adonner que
sur la confection des instruments aratoires et sur quel-
t. Voy.ci-dessus,p. 4M.
468 CIIAP. XI. LES TRAVAUX ET LES JOURS

quoa pointa rotatifs ait labour. En revanche, la longu»


peinture do l'hiver, abondante en traits énergiques, dû-
passe de beaucoupla ineauro des autres descriptions du
poèmo. Do plus, çà et là, des vers qui rompant le sens.
Si ces derniora défauts truliim'iit des additions ou dos
romaniomonU, disons toutefois quo puur nous ni las
remnniemonta ni les additions n'expliquont d'une ma-
nièro satisfaisante l'état général de la composition
nous aurons a onchorchor plus loin la raison dans les
intentions du puèto ot dans sos habitudes d'esprit. Ct>
qu'il impurlo do remarquer dbs à présent, c'est que,
bous les altérations présumées, on dépit dos lacunes et
des disproportions, apparait une ordonnança régulière,
manifostée par l'enchalneinont dos précoptes selon l'or-
dro dos temps et dus travaux. Cotteordonnance no per-
met pas de douter que tout cet ensoinltlo do précepte*
n'ait été conçu et exposé en une soûle fois.
Non moins que la promièro partie du poème, ce se-
cond groupe so rattache à la donnée fondamentale dus
rapports d UAsiodoavec Perses. On a beau supprimer
quelques passages qui ont pu être ajoutés postérieure-
ment, il est impossiblo de l'en distrairo complètement
sans user d'une sorte de violence.
III. Une troisième partie comprend les Préceptes
mêlés qui suivent (v. 695-764).Rien do plusdifficile que
do les réunir sous une seule dénomination il y a un
peu do tout dans cos prescriptions, qui semblent asso-
ciées au hasard. Ponséossentencieures sur le mariage,
sur les relations sociales, puis sur certaines observances
religieuses, tout cola sous forme puremont gnomique,
c'est-à-dire par maximes détachées. Dans un recueil de
ce genre, ce serait chose absolument vaine que de po.
ser la question d'authenticité quel moyen aujourd'hui
do discerner, parmi ces maximes, celles qui appartien-
nent au poète primitif do celles qu'on a pu lui prêter
AXALYSEDU POÈME 460
plus tard? Au reste, il n'y est plus question da Porsès,
ot aucun dos préceptes énoncés n'a lo moindre rapport
avec la situation qui sert de donnée fondamentale au
poème des Travaux. Tout co qu'on peut dire, c'est quo
la plupart d'entre oux conviennent plus particulière-
mont à la vie rustique, et qu'ils constituent une sorte
de code do morale prudente à l'usago des habitants do
la campagne,
IV. Les Jours forine.it la quatrième et dernière partie
du pobmo (v. 7G3-II»).C'est une sorte de calendrier,
dnits lequel sont -ôimmérésceux dos jours du mois qui
doivent être rogardés comme favorables pour tollo ou
tollo chose. La sagesse religieuse, dont le poète ost l'in-
terprète, lo dispense, comme nous l'avons déjà remar-
qua, do rapporter ou d'inventer dos raisons quelconques
pour justifier ses arrêts Nomonclaturo passablement
nrido, relevée parfois par mérite do l'oxprossion, ot
lo
fort curiouso d'ailleurs comme témoignage do supersti-
tions populaires. l'ersès n'y iiguro pas plus que dans la
troisième partie s'il n'est pas impossible à la rigueur
de trouver une relation entre co calondriorel l'intontion
générale du poème, il faut avouer qu'ello reste assez
mal définie et que le poète n'a rien fait pour la rendre
plus sensiblo.

Il

Ce simple exposé fait pressentir et justifie on même

t. v. 768. Aîït Tfàp+,t«j!«ictvl Atb; ««pi un*i<Smo;.Il est curieux de


voir comment cette sagesse qui ae croit Inspirée, et qui dogmatise on
conséquence, était Jugée par la sagesse rationaliste qui lai succéda en
Grèce un peu plus tard. Heraclite, dit Plutarque {Camille, 19), repro-
chait à Hésiode d'avoir distingué les Jours en bons et mauvais, et de
n'avoir paa su reconnaître qu'Us étaient toua de même nature (<àc
ivvooOvtt fioiv ijftpat &*4oii; |iiav oiiav).
470 CHAP. XI. LES TRAVAUX ET LKS JOURS

temps le travail auquel s'ost livrée la critique moderne


pour élucider la question do l'unité primitive du poème.
Cette unité a été absolument révoquée en doute par
quelques-uns. Dès 1815, Tweston, dans un commentaire
hardi faisait ressortir les incohôronces do détail qu'il
découvrait on maint endroit dans cotte composition, re.
gardée jusqu'alors comme un développement continu.
Une vingtaine d'années plus tard, Lohra, s'inspirant et
s'aidant do co premier travail, soumettait le mime
poème à une critique attentive et vigoureuse a. La con.
clusion do son remarquable travail, c'était que les Tra-
vaux et les Jours no constituent pas un poème. Il y dis-
tinguait 1° Un Traité poétique de l'agriculture et (le la
navigation, la seule partie do l'œuvre qui offrit, selon
lui, un développement régulier; encore regardait-il
cette partie mémo comme profondément altérée par
des suppressions, par des additions et par dos remanie-
ments provenant du mélange do plusieurs recousions; i
2° Un calendrier, les Jours, d'un caractère différent,
œuvro ancienne, qui, d'après lui, aurait subi aussi quel-
ques brèves additions 3° Une vaste Chrestomathio,
recueil do pensées morales, do conseils pratiques, do
récits mythiques, attribués à Hésiode, mais dus en réalité
à des poètes divers Bien loin de présenter une suite
logique, ce recueil, selon le critique, n'était qu'un assem-
blage puremeut artificiel, dans la formation duquel de
simples rapprochements de mots avaient déterminé
l'association des idées: l'ordre adopté serait on somme
un ordre alphabétique approximatif.
1. Commentatiocrilicade Uesiodi carminé,quoditucribilurOpéraet
Oie».Klel, 1815.
2.K. Lehrs,Quaesliones epicae,III. Kœnigeberg,1837.
3. Lehrsva même,dans cetteméthoded'analyseet d'endettement,
jusqu'à distinguerdans le Mythe des âges l'œuvrede cinq poètes
différents,dont lesinventions discordantesauraientété combinées
(p. 230,note 13). De nos jours, A.Fick(voy.Bibliogr.).en se fon-
UNITË PRIMITIVE DU POÈME 471

Cette critique a eu doux bons résultais, qu'on peut


regarder comme acquis. Elle a parfaitement mis en lu-
mière les remaniemcuits nombreux dont le texte héaio-
dique a été l'objet, et elle a détruit pour jamais l'habi-
tude d'y chercher uno suite do pensées non interrompue.
Nous lui reconnaissons ce mérite, mais nous ne pouvons
accepter ses conclusions.
Et d'abord est-ce une idée bien juste quo d'attendre
d'un poëto de cet ûgo une logique tout à fait conforme
à la mUre? La difficulté de lier les idées abstraites, do
los comparer entre elles, de los ramener à lour unité
véritable, est une des gènes qui partout ont pesé le plus
longtemps sur l'esprit humain. Beaucoup d'exercico est
nécessaire à la réflexion pour arriver à former ces lon-
gues chaînes do pensées, ces associations claires, bien
que complexes, qui constituent un développement ora-
toire ou didactique sur un sujet de morale ou do philo-
sophio. N'avons-nous pas remarqué précédemment com-
bien l'argumentation des orateurs dans les poèmes
homériques est encore rudimentaire? Ils touchent aux
pensées essentielles, mais, faute d'analyse, ils on aper-
çoivent mal les rapports intimes, et ils les lient entre
elles bien plus par instinct, par imagination, par senti-
ment, quo par raison profonde; l'accident a une part no.
table dans leur éloquence. Et pourtant les raisonne-
ments des personnages de l'épopée se rapportent à des
faits présents; la suite de leurs idées leur est donnée en
quelque sorte par les choses elles-mêmes; ils ont une
proposition à faire et ils vont droit à leur but. S'ils ren-
contrent des matières do morale générale, qu'en font-
ils ? Us les énoncent par sentences ou les traduifent sous
forme do mythes. Voilà un état d'esprit bien caractérisé
et absolument différent du nôtre. C'est celui qu'il faut
dantsur desraisonsde langueet de composition,aboutità un mor-
cellementdu poèmebeaucoupplus arbitraire encore.
472 CHAT. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS

concevoir et réaliser, pour ainsi dira, en soi-même, si


l'on veut bien comprendre. Hésiode.
Représentons nous un Grec, un Béotien du vm* siècle
avant notre ère, sans philosophie, sans aucune habi-
tude d'un développement oratoire quelconque, formant
lu projet do mettre aun talent poétique au service d'i.
déos morales qui lui sont chères et quo des circonstances
particulières lui rendent plus précieuses encore. Si.
inagino-t-oii qu'il ait pu so tracer un plan comme nous
l'entendons, c'ost-à-diro so définir exactement à lui.
môme son sujet et distribuer d'avance ses pensées on
groupes, solon leurs ressemblances intimes? Était-il en
état de construire un poème sur le travail, à pou près
comme Pope construisait son Essai sur la critique ou
Boileau son Art poétique ?q
Évidemment, non. La soule chose possible, on ces
temps reculés, c'était de grouper autour d'un fait pal-
pable un certain nombre d'idées qui s'y rapportaient
plus ou moins directement. Ce fait, c'est pour Ilésiodo
la conduite de son frère; il en est à la fois attristé et
irrité; il le plaint et il se fâche contre lui, il se sont
menacé lui-mêmoet il se défond voila dos impressions
réellos, profondes, qui s'amassent jour par jour, qui
suscitent mille idées et mille sentiments, qui les assem-
blent au fond de son âme, comme un orage toujours
groseissant qui finit par éclater. L'explosion finale, c'est
son poème, du moins sous sa forme première, une in-
vective mêlée de leçons, une exhortation tantôt inju-
rieuse et tantôt solennelle. Tout ce qui sert sa passion
sert aussi son idée, et par conséquent lui est bon, sen-
tences, apostrophes, courts développements, allégories,
mythes, apologues, ce qu'il a entendu dire et ce qu'il
invente, la sagesse des ancêtres, les oracles des dieux
et l'expression véhémente de tout ce qui s'agite en lui-
même. Quel arrangement voudrait-un qu'il eût mis
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME 478

dans tout cola ? L'ordre do ses idées se fait au fur et à


mesure qu'elles naissent, et il se fait comme il peut. A
coup sur, ce n'est pas celui d'une démonstration mé-
thodique; les incidents y sont pour beaucoup; ceux do
la passion, ceux de l'imagination, et parfois tout sim-
plument ceux du langage. Un critique do nos jours en.
tend, pour ainsi dire, sonner lo môme mot important
dans plusieurs groupos de vers consécutifs et il croit
sentir la l'urlifico d'un arrangeur; mais qui nous prouve
que ces rapprochements de mots n'étaient pas tout jus-
tement uno dos choses qui plaisaiont lo plus au poète
lui-même ot à son public? On suppose que cola a été
fait plus tard pour (os enfants qui appronaient les vers
d'Hésiode par cœur; est-ce qu'flésiode lui-môme et ses
auditeurs n'étaient pas, eux aussi, des enfants a bien
dos égards ? et, à défaut d'une liaison profonde et
réfléchie dont ils étaient incapables, est-ce que cette
liaison accidentelle, fantaisiste, faite par des associa-
tions do mots et de sons autant ou plus que par des asso-
ciations de choses, n'était pas précisément ce qui leur
convenait ?q
A ces réflexions on peut ajouter d'ailleurs des argu-
ments non moins concluants. Si les Travaux n'étaient
on majeure partie qu'une Chreslomalhie tardivement
formée autour d'un poème sur l'agriculture, ce qui
est l'opinion de Lehrs, il faudrait choisir entre deux
conjectures opposées, également invraisemblables. Ou
bien cette chrestomathie s'est formée des débris d'un
poème moral antérieur qui offrait cette unité, cette suite
logique, cet ordre méthodique et réfléchi qu'on ne
trouve plus dans les Travaux; ou bien ce poème n'a
jamais existé, et la chrestomathie en question n'est
qu'un recueil de morceaux détachés, pris de côté et
d'autre dans des œuvres de nature diverse. Examinons
ces deux hypothèses.
474 CHAP. XI. LES TUA VAUX BT LKS JOURS

Si lo |iuiNi»o qu'on nous représente ? réellement


oxislé, d'un vient quo cette composition ai savante «
disparu ? lleaueowj» d'autres grande» et belle» uwvro*
ont été détruites, cela est vrai, mais détruites quand
l'antiquité ollo-iiiûnio a pris Un, quand rinlulltgeuce
huuiuiuo a été comme submergée bous un Hot ilo téni*
bres; ollos ont vécu jusque-là, ollos ont oxorcô Unir
inlluenec, et nous on avons dos témoignages. Ici uu
contraire, il fuudrait HU|»|iusorune dispurilion biou uu-
tôriomo aux loinjw classiques poidunuo daus l'mili-
quilû n'a jamui» ctiiuiu un autru |ioèmo dos Travaux
que lu nôlru coinniout ndnietlro qu'uuu umvro si r«t-
marqubblc, si oxlruoidinuiio nour lu loiups auquel on
la rapporto, ait été ainsi ouldivof Kst-uo qu'ollo no su
serait pas défendue par son unité iitàuio? Est-co que la
beauté do co développement si bien uncliuuié ne l'un-
rait pas gravée a jamais daus lus miiinoires dociles des
audus et dus rhapsodes? Qui pourrait sérieusomnnt
peuser qu'un tel cliof-d'œuvro eût été ainsi rejeté dans
l'oubli, sans qu'il en frit resté môme uulégor souvenir?
Devons-nous donc croire que les Travaux soient un
simple reciioil, forme do pièces diverses sans origine coin-
mu110? Mais ici, c'est la donnée môme du poème qui nous
arrête immédiatement. Dans quelle intention un arran-
gour aurait-il imaginé cette histoire des disputes de
Perses avec son frère? Une seule est vraisemblable: il au-
rait pu vouloir par celte fiction prôleruses préceptes une
sorte d'intérêt dramatique. Le poème, toi qu'il est cons-
titué, répond-il & cette intention ?JSous avons déjà dit
pour quelles raisons nous no le croyons pas. Si l'histoire
de Perses était fictive, elle serait exposée avec clarté,
et surtout on eu aurait lire parti au point do vus poéti-
à
que. En est-il ainsi? Elle apparaît dans les Travaux
travers dos allusions dispersées, elle n'y remplit en au-
cune façon l'office d'un décor qui fait valoir la pièce. La
UNITÉ PRIMITIVE DU POftMB 475
sincérité du puètogo r&volo olairomeut par raluont-o «le
parti pria ut de calcul; il ii'»x|tluiu< pus cette dtmnuo;
dune co n'a*! pas lui qui l'a iuinginut) pour plaint i« mm
public.
L'unit" primitive dos* Travaux mmhte ainsi «<ltililiu.
Et toutefois, il importe, tlunn un sujet aussi liusaitlmix,
d»t tto rion e.\ttg£rur. Lu s»>ulechose tjuo iimis «mms
vmilu prouver, t-'ost quo l'cnsomMo du pui-mo est l»it>u
l'teuvro tl'tlÔHÎutl»ot qu'il l'a composé à pou jin'tHt«l «|iiu
imuslo ptisittitltins, quant ù lu furuutgi<nériilo, MuU il nt<
rt^ultu pas do lu quo ce pmino «il ûtâ fuit un uni* m«>uIo
foi», sur un plan urrâté tl'uvautiu, ni môiuo qu'il uit jtt-
nuùs élô protluil tlunH suit untiur d«n*tuit lu pulilic t»u-
quel s'utlroisuit lu puât». En l'nhsonco ilo roiisuignoituuits
précis sur ce point, qu'il nous.suit poruuHtlo mmsguiilur
uncuro sur lu simple vraisumlilanco.
Los puùsioHliésiuilit|iios n'ont pus plus ûltt omiipaséus
vu vue <l«la fculuro quo lus pitûnioa lumtm'iquvs ollos
étuiont Tuiles curluiuiuuont pour ùtre rt'-oitt'-Ks, ut eus
lùuituliuiis no devaient pas dilféror liuuucuup dos roci-
talions hotnâriquos. L'ardu, il ont vrai, dôlritnU sr vers
sans nccotiipuguoiuont de citîiaro', probliiblumont avec
une sorte de modulatinu simple ut utuiioloue de la voix;
mais il lus débitait dans lus mômes circonstances, c'ost-
ù-dire dans los banquets, dans lus réunions, dans les
fûtes, pauUôtre aussi dans les lescliés où l'on s'ussom-
lilait aux heures do loisir2. H est diflicile ducroire qu'on

t. Il n'est nulle partquestion dans les poésieshâsiodiquei!de la


(iliormim.L'aulcurdela Théogonie reçoitdes Muses,danscettesorte
de visionrappeléeau débutdu poème,un rameaudolaurieren si-
gne d'investiture.AussiPausanias rapporte.t-il(X,7J une tradition
d'aprèslaquelleHésiodeu'ut'rait pas él<5 uduiisau pnuiier concours
établià Delphes,parce qu'il nesavait pas s'accompagneren jouant
dela cithara.»
2. Lehra(Ouaeit.epicue,p. 319)a ing&iiousemeiitappliquaaux
récitationskdsiodiquesce qu'Aratosdit au sujetdeDikéreniant ses
476 CHAP XI. TRAVAUX ET LES JOURS
ait ttmiutôavec plaisir on du lollo» oecasiumiune Ins
Iivi>»oulrocllos;
lunguoii »ilo»lo|it'iisûoi»uUîi»ir«iWi%inont
au contraire on «lovaitygtiûter vivement des murcoaux
miurU.où une |ioiuôo morale apparaissait dans un récit
mytlilt(iio,entourée do réflexions qui on préparaient nu
en dévoluppuioul lo wm.C'est uim\ sans doute que lits
Travaux ont dû nattro peu à pou. Un jour lo pnolo on
a compoaôut porté devant «on public une partie, un au-
tre jour uuouutro. l.rtsprûeoptoJHtir l'agricultureélainiii
par exemple éminomnifiU prtipros à funnor la inutiiro
d'unn de ce»réctl«tiotts Iwinylliedo Prumétl»*»elwlui
dua &gm du HHindona l'ùlaioul pas moins chacun du
ces récits, srAcuà l'idoo moralo qu'il cnntonail, servait
a grouper dos polluéesdo inùmonature. dont Hdevenait
la centre. Les récitations différaient d'aillours les unnn
dos mitron; le poêla los découpait la son gré dans lo ro-
cuoîl toujours grojsissanl qu'il so faisait i lui-mâtno, ut
il avait soin do les varier, tuut un roulant fidèloot h sess
principes bien connus et a quol«|uos donnée» énoncées
tout d'abord. Quand nous appelons lotTravauxun pueme,
l'oxpression dont nuua nous servons no doit donc pax
olro prise dans un sens étroit et rigoiirousoniont exact.
S'il fallait chorchor quol<|uc chose d'analoguo dans les
littératures modernes, nous comparerions uno tollocou-
vre, on tenant compte do différences évidentes, à des
collectionscomme tesCaractèresde La Bruyère, ouvrages
sans cesse accrus, formésd'éléments divers que l'auteur
a négligé de lior fortemont, et pourtant doués d'une in.
conleslablo unité. Seulement le recueil du vieux poète,
loin do s'être maintenu dans l'état où il l'avait laissé, a
dû subir après lui bien des additions et bien des sup-
pressions. Quelques parties en ont été oubliées, quel-
ques-unes ont été grossies. D'autres poètes y ont ajouté
ondes parmileshommes'At««p*|Uvi| tï Yip«vta; f,l«ou«lvitopj
f, tifv%if<fivdr»$ – «nnoitpïi5«8«v
isi<ntipy.oucta
ei|uata«.
SENTIMENTSRKUOIBUXKT MORAUX 4??
lotir &tuur dos réflexions nouvelles»! pouHlru des nwr-
iuuxentiers, tën ngUtttiit ainsi, ils n'ont d'iulhnira ni
tmkliflàlo procodé intime do la composition, ni altéré
Iriss gravoiiiunt ta physionomie primitive du i'teiivro.

III

II rôsuilo do ce qui viuiit d'être ilit quo le pitènio îles


Travaux procinlottlufait ilo çircuiiittiiiutcspurtiCMlitws«tt
•l'uneaùgdsso unciunritn Il est gûiiûrnl ut individuel on
iiiûinotemps il rôvôlo uno civilisatiuu ut nu lioniino
I.a simpHoilà morale, voilà tout d'abcrtl eu qui enrac
tôriao la poésio liésiudique siiuplicilA profonde. pupu-
luire, vruiiuont touchunto parce qu'ollo no fiuugo pas à
toucher. La conception fuixlanionluludos dioaoa y est
timtoroligioiiHO ot traditioiiiiullu. \.a ptiissttncudivine est
partout, ot pnitontolloust sauverai iu;;rion no l'arrôto ni
no dôjouoses voloiilôs; mais ollo, quand il lui pluit, ollo
arrâtoot dôjouo les calculs humains1. Au fond, ces idées
m; sont pas différantes do collas qui remplissent l'épo-
péo homérique; mais, par l'aspoct qu'elles prennent
dans lo puoino des Travaux, elles s'en écartent sensi-
blement.Les dieux d'Homère, révélés par le génie du
poète,so montrent à nous ouvertement, dans des descrip-
tions quo tout lo monde connait; ils parlonl, ils agis-
sont sous nos youx; et ainsi, bien qu'environnés d'une
splendeur immortelle, ils se rapprochent de l'humanité.
Les dieux d'IIésiodo, moins dramatiquement mis on
scùne,sont plus mystérieux, et par là môme plus grands
1.Nomne pouvonsquetoucherIci légèrement aux idéesmorales
et religieuse»
d'Hésiode.Ellesontétéexposéesdansles premiers
ehapilresdu livradéjàcité deM.Jules Girard,k Sentiment
reli-
gieuxen Grèce.
2. Travaux, 105 Ofatc oï si kts foti &( v5ovtgaV.favtai»
478 GtlAP. XI. – LES TRAVAUX 8T LES JOURS

peut-ôlro; plus lourn formas restent jmdocises, plut ils


sont propret»&inspirer l'olïrui. C'est i peine »i, en quel-
ques passage» duo caractère presque anoedotiquo,par
exemple dans le mythe de Promôthée, un Ioh voit réu-
nis et «'occupant & une action déterminée. Partout ait-
loura, cosont domdieux cachés; mais qui surveillent tout
avec uno uttontitmjalouso. Cette présence invisible est
plus saisissant» quo du magnifiques descriptions
« Présents au milieu tl«»homme*,le» Immortels surveil-
lant ceux qui par des jugement* Injustes s» font tort mu.
tuelleinentsans «ouoi«lesdieux.CarIl y a sur ta terre nour-
ricier* trente milloImmortels,gardionsdes hommesau nom
de Zen*.Its observentles jugement* rendus et les action»
mauvaises, enveloppasd'obscurité, errants ça ut là sur la
terre u

Croyance vraiment populairo ol commo omprointo


d'une terreur socrM». Il s'agit la, il est vrai, do démons
plutôt que du dioux proprotnont dits. Maislos dieux eux-
inùinoHne sunt pus conçu»différemment. C'est lour puis.
smnee,bien plus que lourd personnes, que le poète nous ro-
présentoet tout iiiamont.otcoltopuissancoest aussi mys-
tériouso quo redoutable
Los maladies viennent a nous, de jour ou de nuit, sans
attendre aucunordro et c'esten silencequ'elles se glissent,
apportant la souffrance;car le prudent Zeus les a privées
de la parole >
S'il los a ainsi rendues muettes, c'est pour mieux
surprendre les hommes. L'imagination du croyant ne
fait donc en réalité quo personnifier t'inconnu dans ce
dieu qui voit tout et qu'on no voit pas (r.ircct$ùv Atô;
ô^OaXjxô; xxl sirca voria*?)3. C'ost un juge ou un onnemi
1. Tissaus,T.SIS859.
2. Travaux. y. 102-104.
3. Travaux, v. 367.
SENTIMENTS RKLI01EUX KT MORAUX 47$
qui épie sans cestolos hommes, du fond do ton obsenrîttl.
Il ressemble à la force cachée des choses, qui ne se laisse
deviner que par lou coup» qu'elle frappe. Kt pourtant
cette divinité à demi abstraite est bien toujours lo Zous
mythologique; mais, par la simplicité naturelle do
mn ûruo, Hésiode simplifie involontairement la religion
traditionnelle, ot il faut avouer que sa piouse naïveté
l'élevé, à un point de vue philosophique, bien un dessus
il» la reli.giutt descriptive dos aùdus ionions.
Autre trait tlisliitctif cotte Hiniplioité a quoique chus»
ilo grava. La croyaucu liûsiuiliquu «st aériuuau ut pruti.
que. Il somblt) que colle dus luniontt, suus dtro moins
sincère, ait éii plus extérieur*), plus portée & se répan-
dre on discours, plus sensible au piuisir dos yeux ot dn»
oroillos. H y u chez lo puMe-puysiui d'Ascra plus d««
rutonu» et plus do profondeur sa religion tiont d'un»
manière intimei'i muvia elle sn tourne d'elle-meino eu
morale. Esprit droit et net, plus vigoureux que souple,
uttuclié aux notions simples et solides, et plus préoccupa
d'uction que do upéculation, il met uolto religion tout
entière nu service de la justice, qui est pour lui la con-
dition môme de lu vio sociale
« La justice omIla loi que lu fils do Cronos a donnée aux
homme < 11 appartient aux poissons, aux bêtes sauvages et
aux oiseaux qui volent dans les airs de se manger les uns
les autres, parce que la justice n'est pas en eux. Mais Il
l'homme, Zeus a donne la justice, qui est pour lui le pro.
mier des biens ». »
Les dioux d'Hésiode no sont pas des dieux bons ni
indulgents, mais ils sont justes, au moins quand la lé-
gende mythologique ne s'y oppose pas et quand leur
intérêt personnel n'est pas enjeu, c'est-à-dire en somme
dans toutes tes circonstances ordinaires de la vie

t. Travaux,v. 276-280.
480 «MAP. XI. LES TRAVAUX KT LES JOURS

cela suflit pour que le poète trouve dons m foi une sourit!
do ooiiQance et do force intérieure. Sun rouvre e*t une
ftpro prédication, poétique ot rcligiouso, débordant d'unt'
Aim* qui ne doute pas. Une chose entre toutes est pour
lui certaine: eaux qui #tint justes sont ri-otbiblponaée par
les dieux et prospèrent, les viotonts et tes purjurvs sont
punis
« SI quel'iu un sait ce qui e»l juste et |»arl«»selo» va *|n*ll
~t
sait, Zou» li la voix retentissante lui acsapk I» bonheur,
Mais celui qui, à l'alU» U« faux témoignages, tuauquo volou-
talroinent à ce qu'il a juré, qui offense la jumioa «l se raiid
gravement coupable, celui-là itelulise après lui qu'une rnco
obnuuro et InKrme. Aucontraire, l'homme Udèle à aon serment
a des fait qui prospérant d'année en année '.•

Cette itlôo rovionl frAquenuncnt dans les Traçant,


est h> fond mttini) da lu doctrine moral»»
parce qu'ollo
ot religieuse d'IIâsiodo. Ettu ii'udinut <:lioz lui aucune
hésitation ni aucune réserve, et do là le genre d'ôlo-
quenco qui lui est propre: c'est cullo qui nuit non <lo
l'ubondanco dos ponséus, muis de la prâdominanco d'un
principo uniquo, obstinément imposa à l'attontion par
une conviction qui no so lasse jamais. Quelle est pour le
poète lu malédiction do l'âge do for, c'est-à-dire du sien?
Justement lo règne de la violence et du parjure, le mé-
pris brutal de la justice. Aussi avec quollo certitude n'en
prévoit-il pas toutes les alfreuscs conséquences t
« Le père ne sera plus un père pour ses enfanta, les fils ne
seront plus des file, l'hôte reniera l'hospitalité, les amis tra-
hiront l'amitié, le frère cessera d'aimer son frère commecela
était autrefois. A peine vieillis, les parents seront insultés
par leursentants, et ils entendront de leur bouche des paroles
dures et des reproches. Mus de souci des dieux, pluade sub.
sistance assurée aux vieux parents; partout le droit de la
du'
force, les villes pillées et détruites. Nul respect désormais
1. Travaux, v. 280-Ï85.
SENTIMENTS lUCUGIfiUX BT MORAUX 4SI
serinant, ni de la justice, ni du bienj ce aéra l'homme mal»
faisant et la violence hautaine qui seront en honneur pour
jutUoe, U» auront leur bras, et rien ne sera rupeotè. Le ne*
chant fera tort A l'homme meilleur que lui par des discours
perttilM, et n y ajoutera le parjure. Parmi les humaine mal.
heureux, régnera la Julousie malfaisante, aux dleeoure en-
venimés, la jitlouvle heureuse du mat. Alors quittant la vait«
terre et montant vars l'Olympe, cachant leur aimable vhage
«pus leure voiles blancs, Atdôs etNéméaU abandonneront le
«ijour dee ttomuioi pour se réfugier parmi le* Immortels.
Kt, »ur la terre, 11 nu restera plue que daiidouleurs affreuses,
ta mal partout et le remède nulle part ». »

Tout so tient d«»s c*>sonibro tableau; et, du ooinmon«


cernent a la Un, le poète auit aon idée avoci>as»iou. Idée
impérieuse qui l'obsède. L'injuatico, libre du frein, va
il'ollu-inôino à son (orme, qui est la tlestructiou olle ae
complaît dans la violence, et oilo y trouve sois châtiment.
Et do mémo qu'il untusse ici fléuu sur fléau avec l'asti
ruucud'un hoinmo de foi, pour quiios conséquences du
mal sont aussi cortainos que le mal lui-mémo, do mémo,
un peu plus loin, avec une confiance non moins absolue!
il décrit la prospérité nécessaire de ceux qui respectent
la justice A l'énumération dos maux répond à présent
l'énumération des biens

« Ceux qui rendent ta justfoe aux étrangers et à leurs con-


citoyens sans jamais s'écarter du droit, ceux-là voient pros.
pérer leur ville, et le peuple qui l'habite est florissant. Ches
eux régne la paix, nourrice delà jeunesse, et jamais Zeus à la
voix retentissante neleur inflige le fléau de la guerre. Amis
de la justice, ils n'ont pas &souffrir de la famine ni des
calamités sans cessé au milieu des fêtes, ils passent le temps
4 se réjouir. Pour eux, la terre se couvre d'opulentes mois-
sons; le chant, sur les montagnes, montre au regard ses
glands et oaohe les abeilles sons la fouillée. Les brebis sont
revêtues d'épaisses toisons les femmes mettent au monde
des entant» wmHqhfo»à leur père. La prÂspAritAflaurit p#r-
1. Travaux.182-301.
Bût. U LiU.OrMO».– T. I. 91
iêi QHAf, XI.– LES TRAVAUXET LES JOURS
tout ut IU«'oui pus besoin »lomettrele pieddur un vais.
eftii, tout I» terre bienfaisanteeut pour aux prodiguailos.es
fruits ».»
Voila curtos une logieluepoussée jusqu'il la plus ox-
ncto «ymôlrio tuut lu bion pusbiblo pour les huit», tuut
le mal puur lus moolitiiiU, Ùiio tellu nettoie du répurli-
tkmuquoique cIiosh)de bion liuliétiiquo.Sa naïvbtô tM&txe
e&ld'tu.lours co qui la rend sur tuul il y
h pluUir, Itirttqu'uusait m faire ancien avec les tuicicns,
à ouloitdro parler cul liuininosi «ùr du lui l'uutui'itô
(ltiguiutit|uuuvvu laquollâ il imposo boavuos mornlmà
luutoehosu fait on parti»»lu beauté du son umvru, parce
qu'elle on fait l'unité.
Si son idéal n'est pas très ôluvo, Itmsentiments qu'il
lui inapiro sont furls ut aiiicôrcn, coiniiiu tuul co 'lui
viont do cette nuturu simple. il osl loind'uvoir dans l'os-
pril un typa liuinuiii.comparaltloon imblosso à celui «lu
Itérus humârtquo. Danssos oxliortulious, point do dé-
ploiomont soudain des hautes qualitôs do l'ûmo, point
d'appol au dâvouomont héroïque. Toute cette région su-
périeure delavortu lui est étrangère. Hdôlostola guerre,
quo chantaient les aèdos ioniens, et il 11 considère
comme un fléau que Zeus épargne à ceux qui respectent
sos lois («ftipoc t* xootôcxat çvXoiciç
att.rh).S'il parle des
héros qui ont combattu sous les murs de Thèbes et do
Troie, c'est pour rappelor qu'ils sont morts misérable-
ment*. Il les qualifie bien « d'hommes divins », louange
traditionnelle et par conséquent de peu de valeur; mais
en fait, on ne sent pas qu'il éprouve la moindre sym-
pathie pour leurs grandes passions ni le moindre en-
thousiasme pour leurs exploits. Son objetpréféré, à lui,
simple habitant des champs, n'est pas la gloire, chose
étrangère à sa vie, mais le bonheur. Et ce bonheur, il
I. Travaux,
HS-iit.
i. Travaux, 1«MM.
SENTIMENTS RBUOIEUX ET MOHAUS 483

leoungoit, avoo son esprit pratique et ses tendances


puùtives, suus unoforint»presque tauttimulérwlle, abun-
danco et repos, point do soucie ni do souffrances

« Les hommesde l'àt^od'or vivaient comme de» dieux,


l'Ameexoniptode soucia,«ans travail et sons douleur. La
vtelllea*enaaalilanton'était pas suspendue sur tour tôte;
tour*membresrestaient vigoureuxjusqu'à la On.et Unpas-
saient le tempsdana do Joyeux feslltiu,étranger* a tous les
maux.tin mourant, Us«embUlent s'endormir. Tousles Wons
ftutent à leur disposition la terro fécondeleur donnait
U"«ll*-m4m« ««sfrnlUtm ahoixianca,et eux, tranquille», m
partageaientans biens en patx, nu milieude l'opuloiioe.<»
Véritable ruvo do paysan fatigué, qui so sont vioillir
vite sous la poids du luliuurquulidien, qui s'inquièto sans
casse pour aitsubsistanco mal assurée, et qui n'imagino
rion do plus désirable on fin do compta quo do pouvoir
manger à sa faim ol boire à sa soif, sans user son corps
pur io travail ni sonftmopar les soucis. Celaest touchant,
parce que cola est humain et sincère. Voilàlo sentiment
qui remplit le poème.Si ilésiodo preelio si obstinément
le travail, ce n'est pas qu'il l'aime ni qu'il lui attribue,
selon la pensée chrétienne, une valeur morale et roli-
gieuse. Le travail est pour luf imodure nécessité que
tes dieux ont imposée ul'liommo; une nécessité, et non
uno éprouve une vengeance, et non une punition. Il
fait partie de cette immense misère humaine dont il a
un sentiment si vif et si amer « La terre est pleine de
maux, la mer on est pleine I* ». Jamais le pessimisme
n'a rien trouvé de plus désolant que cette simple
lamentation, qui embrasse le monde entier. ;Et toute-
fois Hésioden'est pas pessimiste, car il aime la vie et
so rattache avec passion aux quelques joies qu'elle lui
1. Travaux,112-119.
2. Travaux, v. iOl IlXtiq plv t«? Y«f«xaxcSv,«Xî!<i& OxXawra.
484 GHAP. XI. LES TRAVAUX ET LES JOUBS

laisse espérer. Nullement curieux de philosopher, il ne


tient pas à examiner longuomont ce qu'on lui a raconté
dos origines (lecette dure condition humaine. Un oudeux
mythes, contes d'enfants qui amusent l'imagination,
répondent d'avance à toutos les questions c'en ost assez
pour le satisfaire, lui ut ses auditeurs. Los dieux ont ar-
rangé los choses ainsi; il ne se révolte pas plus contre
eux qu'il no s'incline avec respect devant leur volonté;
il s abstient seulement de récriminer, parce que cola
serait inutile; ot, prenant los chosestelles qu'elles sont,
son intelligence se tourne tout entière vers le présont
et l'avenir. Voilà la vie qu'il faut vivre; il s'agit do lui
arracher do forco co qu'elle no nous donne pas d'elle-
mémo, un pou do bien-être et do sécurité; et, pour cola,
il n'y a qu'un moyen, qui est do travailler. Unefoisatta-
ehé à cette idée, Hésiodes'y donne tout entier et, comme
il arrive ordinairement, il finit par prendre plaisir, au
moins en imagination, à co qu'il recommande si forto-
ment. La noblesse native et l'énergie de sa nature s'y
intéressent; il estime qu'il y a de l'honneur dans cette
vio laborieuse, comme il y a do la honto dans l'oisiveté
imprévoyante. Ainsi ses conseils deviennent peu à peu
supérieurs aux raisons par lesquelles il les justifie. Un
idéal obscur, mais généreux, se laisse deviner derrière
l'idéal borné qu'il nous propose; c'est le sentiment de la
dignité humaine et la fière satisfaction d'avoir gagné sa
part de bonheur à force d'intelligence et de volonté.
On comprendra aisément à présent pourquoi les re-
commandations techniques tiennent si peu de place dans
la partie do son œuvre où il semble qu'elles devraient
en tenir le plus. L'ennemi qu'il veut combattre, ce n'est
pas l'ignorance, c'est le goût de l'oisiveté, ou encore le
découragement. Hésiodon'a jamais été tenté, comme
Virgile par exemple quand il conçut les Géorgtqttes,de
composer un. beau poème régulier qui. présentât un
SENTIMENTS RELIGIEUX ET MORAUX 485

ensemble completdo préeeptoa.Il est douteuxmôme qu'il


crut &l'existence d'une science agricole proprement dite.
Ce qu'on avait toujours fait en matière de culture lui
paraissait encore bon à faire, et quoiqu'il no dédaignât
pas de formuler à l'occasion quelques-unes de ses ob-
servations personnellos, il n'avait certainement aucune
idée d'en constituer une sorte do traité. Son dessein,
quand il énumbre les travauxdes champs, est en réalité
tout autro. Il dresse, saison par saison, la liste des tra-
vaux à faire, et, comme un bon surveillant, il a soin de
la mettre bien en vue, alin que chacun connaisse sa
tache.Sonexactitude provient donc de l'intention morale
qui est tout pour lui. 11éveilleson hommede grand ma-
tin, il le mène aux champs ou à l'établo, il le prend par
la main quand il lo croit disposé à s'échapper, il le con-
duit jusqu'au sillon commencé, lui montre la charrue
attelée et lesbœufs sousle joug, et il lui dit « Voilà ton
» travail; dépouille-toi de tes vêtements, et ne crains
» pas do peiner sous le soleil.La misère et le mépris t'at-
» tendent si tu recules, le bien-être et la joio du repos
» mérité, si tu achèves ton sillonà l'heure dite ». Toute
la partie agricole de son poème est ainsi conçue, et par
là elle se relie intimement à la partie morale celle-ci
prépare celle-là. Il a posé dans l'uno ses principes, il en
fait dans l'autre l'application, avec cette ténacité ingé-
nieuse et convaincue qui rend sa sagesse si originale.

IV

En étudiant l'inspiration morale du poème, nous ve-


nons d'indiquer déjà quelques-uns de ses mérites lit-
téraires les plus frappants. Il y en a d'autres toutefois
486 CHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS

dont nous n'avons encore rien dit et qu'il serait bien


injuste do passer sous silence.
Si chaque voix humaine a un son qui lui est propre
et qui la fait reconnaître entre mille autres, on peut
dire aussi que chaque vrai poète a dans son accent
quelque chose do spécial, qu'on imite quelquefois,
mais qu'on ne reproduit jamais. L'accent personnel
d'Hésiodo est fait do rudosso, de familiarité, d'ironie
mordante, de bonhomie, d'amertume, de grâco sé-
rieuse, on un mot d'une foule de choses contradictoi-
res, qui parfois éclatent on lui toutes à la fois. 11a du
laisser-aller et de la solonnité, il parle en prophète et on
paysan, et il mâle à tout cela une sensibilité voilée,
qui vous va au cœur. Le bon sens ferme, énorgique,
ost la noto dominante do sa poésie mais que do flues
nuances dans co bon sens, et que do choses non ex.
primées qui apparaissent dans ce qu'il dit I Tout est
court dans son poèmo, tout s'y découpe on groupes
circonscrits, parfois en vers incisifs qui se détachent
comme autant de traits. Il no crée point de grandes
scènes, comme les poètes homériques, il ne met pas en
lutto los passions humaines, il no se complaît pas à des
descriptions charmantes ou terribles. Esl-co à dire que
l'invention chez lui soit faible et trahisse une certaine
pauvroté de génie ? Tant s'en faut, elle est seulement
concentrée. Au lieu de s'étendre en beaux développe-
ments, elle se ramasse dans de courts morceaux, qu'elle
anime jusqu'en leurs moindres parties. Par elle, cha-
que fragment du discours poétique devient quelque
chose de vivant et d'individuel, qui intéresse, qui tou-
che, ou qui invite à penser et, par elle aussi, sans
qu'on sache comment, les petites choses grandissent,
et d'humbles pensées, en s'ouvrant tout à coup, laissent
apercevoir je ne sais quels lointains majestueux.
Les formes mythiques, dont l'usage contemporain
UÈCITS ET liESOHIPTIONS MYTHIQUES 487

revêtait si volontiers les pensées morales, offraient à


ces rares et hautes qualités do précieuses ressources.
Aussi les allégories et los légendes divines abondent-
elles dans les Travaux. Les plus courtes ne sont pas
les moins excellentes. Hésiode sait mettre dans ces
morceaux de pou d'étendue tout son bon sens, tout
son esprit, et ce genre do grandeur qui lui est propre.
Quoi de meillour en ce genre quo le mythe allégorique
dos deux Éris au début mémo du poème? Une simple
observation do moraliste en fait le fond le poète a été
frappé d'une cortaino ressemblance entre deux choses
bien différentes, la saine émulation et la jalousio
malfaisante. Les doux sentiments ont même origine,
le désir qu'évoille en nous la vue du bonheur, l'aversion
instinctive do la souffrance; mais l'un tend au bien na-
turellement, et l'autre au mal. Cette observation, il la
traduit à sa manière, sous la forme d'une généalogie
fictive, vraimentsaisissante, qui place chacun des deux
sentiments, transformés en êtres mythiques, au rang
qui lui convient; et, dans cette généalogio, nous admi-
rons à là fois toutes ces qualités poétiques si person-
nelles que nous venons d'indiquer, la variété du ton,
les détails ingénieux, les mots éloquents, la vie, et, plus
que tout, cette sorte d'élévation naturelle d'idées par
laquelle une œuvre d'art méritod'être appelée grande:
« Non, il n'est pas vrai qu'une seuleÉris soit née à la lu-
mièredu jour: deuxsœursdu mêmenomerrentparle monde.
L'unedoit être louéede tout hommede sens, l'autre est di-
gne de blâme; opposéesen tout, ellestendent à des fins con-
traires. Ce qui plait à l'une, c'est de fomenter la guerre
funesteet ladiscordeen s'acharnant au mal; aucun des mor-
tels ne l'aime, mais, malgréeux, par la volontédesImmor-
tels, il faut bien qu'ils lui rendent honneur,à l'odieuseÉris.
L'autreest néela premièrede la Nuit érèbienne et le fils de
Cronos,dieudeshautescimes,habitantdes demeures éthérées,
l'a établiesur la terre quisupportetoute chose,aumilieudes
488 CBAP. SI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS
hommes, pour qu'elle leur fat bienfaisante. C'est elle qui, tou-
chant te
ehaat le paw~eax môme, r$veUt«
pareiiseux mfme, l'éveille poar
pour te
le travatt:
travail; «et tt
il
arrive, graoe a elle. qu'un homme qui ne travaillait pas, ve-
nant à jeter les yeux sur un riche, soudain se met à labou-
rer et a planter, pour ramener le blen-étre dana sa maison.
Le voisin rivalise avec son voisin ardent à a'enriehir. Voilà
l'ÉrU qui fait du bien aux hommes i »,

On sont assez, en lisant co morceau ot d'autres aem-


blables, que cette façon allégorique do traduire les idées
abstraites n'a pour Hésiode rion d'artificiel. San» doute,
ce n'est pas lui qui l'a créé»; elle devait être commune
avant lui et autour de lui; elle caractériso un état d'os-
prit alors général et marque un âge de la penaéo. Mais
ce qui est personnol fc Hésiode, c'ost la vivacité d'ima-
gination et de sentiment avec laquollo il conçoit cos
êtres allégoriques. Ces deux Éùaont un rôle dramatique
et des passions; on les voit se disputer le monde; quand
l'allégorie est ainsi vivante, clio cesso d'êtro allégorie.
Si ces 6 très fictifs représentent des idées, ils sont du moins
tout autre chose que ces idées revêtues d'une forme et
d'un ncm il y a de plus en eux dos traits individuels,
des sen iments ardents ou délicats, un caractère même,
en un mot tout ce qui constitue la personnalité et tout
ce qui appelle l'intérêt.
Cette personnalité, Hésiode, bien fidèle en cela aux
instincts helléniques, sait la créer en quelques mots,
par une indication nette et sûre, sans emphase et sans
effort. Sont-ce de simples fantômes par exemple, que ces
deux vierges gracieuses et indignées qu'il nous repré-
sente, dans un passage cité plus haut, abandonnant la
terre qui n'est plus digne de les garder ? L'une est la
Pudeur, l'autre l'Indignation; mais qu'elles ressemblent
peu à ces allégories subtiles et froides dont la poésie
du ::tuyeu âge croyailjs'einiclii»' aux dépens de l'Ecole }
1. Tracaux,11-24.
RÉCITS ET DESCRIPTIONS MYTHIQUES 48U

Point do descriptions ingénieuses, point d'allusions ro.


eherchéot; rien qu'un» vision» uno déliciounovision de
poète, et do poètegrec, l'eaquisaud'uu mouvement aussi
simpleque gracieux, doux divinisa fuyant à travers
les airs, enveloppées dans leurs longs voiles Muncs; ni
dans cotte esquisse, la tristesse d'un exil éternel, une
douleur pleine de confusion, admirable ment indiquée
par le geste si noble et si féminin des doux fugitive*
qui se voilont le visage.
Le personnago de Diké ou de la Justice, mis en scène
à plusieursreprisos danala première partie des Travaux,
n'est pas moins remarquable à cet égard. Si Hésiode
avait voulu en faire une représentation trop exacte do
l'idéo abatraito qu'elle personnifie, touto vio et toute
poésie lui échappait. Mais sois nom suffit à définir son
râle; et, sans aucune préoccupation scolastiquo, cosont
uniquement ses sentiments qu'il nous décrit, et c'est
par là qu'il noua touche. Losvioloncosdes hommes,c'ust
olle qui les subit, semblable à uno captive troyonno en-
trainée et maltraitée par des mains brutalos

Horcoss'élance, dos qu'un jugementinjuste est rendu,


et il le suit à la piste. Onentenda travers le mondelescris
de Dikétratnée à terre et frappéeparles homniosmangeurs
de présents, qui jugent sans soucidu droit. Ktelle marche
derrièreeux en se lamentant, a travers lesvilleset les cam-
pagnes, invisible dans un nuage,apportant le châtiment
aux hommesqui l'ont chasséeet qui ont fait des partages
injustes »
Dans l'Olympe même, au milieu du rayonnement di-

t. Travaux, 219-224.On a signale un désaccord dans ces images et


oa acra y découvrir la trace -l'an mélange de deux morceaux super-
Ilosés (voyez Lehrs sur ce passage, dans ses Quaettionts epicae). Je
mû» pou frappé do ce désaccord; et, eu tout cas, l'ensemble de la des-
cription porte si nettement l'empreinte hésiodique que la question de
mélange est fort secondaire.
400 Cli&i'. XI. L.KS TRAVAUX KT I,KS JOUHS

vin qui l'oiitouro, ollo garde encore pour lu puolo quoi


que eliusp dt> coite faiblesse et de cette grâce; assise
auprès «la «on père Zeus, elle rappollo (létèno auprès de
l'rimn

« OlkA est une vierge, elle est (Utude /eu», et autour d'elU
rigm uiitttlauadfft r<?*|»ectuauie vanératian parmi lot dieux
qui haWlont l'Olympe, Kl lorsqu'un homme l'offenie par
l'outrug» du ntoiuoim», nuMlldt elle vient «'«MOttir aujiréi
de son par*»,Zou*, QU de Cronos, «t elle crie devant lui les
ponsiSoadu Uoiuuia* injuste*, pour qu'U lu ohàlie •. »

II ost curioux de voir comment eolto toiuiancn à trai-


tor les fictions «ommotlos réitlilôainduil parfois la poète
h abscurcir, sans s'on npercovoir, lo sons primitif dos ré-
cits mythiquos qu'il rapporte. Pandore, dans lo mytho
do Prumétltéo, no pouvait guitro Atro à l'origino quo la
porsonnification de In richosao qui attire l'Itommo et qui
lo trompo c'est lîi co qui semble rossnrtir do la signifi-
cation du nom ot dos choses ollcs-mômos. Mais Hésiode,
peu soucieux de l'allégorie, a traité son sujet comme
une simple matière do poésie. Il a préféré lo récit lui-
même à sa signification cachée, et on se laissant aller a
nous décrire la jeune Pandoro, il lui a prêté tant de sé-
duction féminine qu'elle est devenuo, sans qu'il l'ait
voulu peut-ôtro, comme la personnification do la femme;
idée qui se dégagera nettement dans la Théogonie, mais
qui est déjà on germe dans los Travaux

« Sur-le-champ, le glorieux Héphaistos façonna d'un peu


de terre une forme semblable &une pudique jeuae illie: aiusi
le voulait le fils deCronos. La déesse aux, yeux bleus, Athèné,
s'empressa elle-même de la ceindre et de draper son vêtement.
Autour de son cou, les divines Charités et l'uuguste Pitho
mirent des colliers d'or et, sur sa tâte, les saisons à la belle
chevelure posèrent une couronne de fleurs printaniéres. Tout

1. Travaux, 336-361.
RÉCITS ET DESCRIPTIONS MYTHIQUES 491
«la fat arrangé avec Irdoe par Pallas Mhènè. Dana ton
nain, te dieu i»(e-i»a«»r,
Arglphcmtè», tléimaii1»troiu|i«rleet
1mdl*<x>ur*«4duls«nt* et un ««pritnMUlol<>u*. Put»II l'ap-
palu famweet Pandore,parce que tous le»habitants <Ial'O-
lympa «valent mil en elle Uur*dou«,Maux des hommesIn-
Juntrleuxi. »
Lo mythe des Ages somblobien avoir subi aussi uno
altération analogue. Il est «erlnin qu'on l(Tforme où
nous lo lisons dans los Travaux, il no satisfait pas coin*
pletoinont l'osprit L'idéo généraleest incontestablonioiU
celled'une dégénéreacoiice,à la fuis physique et morale,
dont chaque phaso résulto do la préoédonto mais, sans
parler de l'intercalation d'un Age héroïque qui rompt la
suito naturelle des choses, on no peut nior que iViicliaî-
nomontdos descriptions n'ait quoique choso do nottant.
Celane liondrait-il pas encore à co que l'iinagiiiationdu
poètea trait6 les choses libromont, arrangoant à soit gré
les données anciennes, bien plus d'après ses impres-
sions porsonnollos que d'après la considération exacte
do leur sens primitif? Le second Age,par exemple, l'Age
d'argent, devait être à l'origine un âge do bonheur, dif-
férent toutefois do l'Ago d'or par uno diminution de
force et d'activité. Cette idée d'affaiblissoment a frappé
Hésiodo,et, enla développant à sa manière par des traita
vigoureux et hardis, it a créé une description d'une
beauté à la fois étrange et obscure, dont l'elfot est aussi
grand que la signification en est vague. Un monde peu-
plé d'enfants, mais d'enfants vioillis, à qui l'Âgen'apporte
point la raison, voilà ce qu'il imagine. Dans cette lan-
gueur mêlée de folie et do violences, quelle place pour
le bonheur? et sans le bonheur, que devient le sens
gé-
néral du vieux mythe?'l
« Uneseconderace.bien inférieure,fut faite ensuitepar les
1. Travaux,70-82.
409 C1IAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS
habitante de l'Olympe la ra«s d'argent. Elle n'était égals
a la race d'or ni par la oorps, ni par l'esprit. Durant oant
année*, chaque être, enfant, grandissait auprès de sa mère
eu m jouant sans raison dans «a demeure. Puis, quand la
jeunesse arrivait, quand 1U atteignaient l'Age qui en marque
le début, ils no vivaient plus que peu de temps, souffrant
de leur Irréflexion. Car lia ne pouvaient s'abstenir, tes uns &
l'égard des autres, delà violence téméraire, tta ne voulaient
pas rendre "hommage aux dieux, ni aaorlfler sur les autels
des bienheureux, commele» hommes doivent le faire en sui-
vant les coutumes. Alors Zeus, fils deCronos, les fit dtap«.
rattre, Irrité de ce qu'ils n'honoraient pns («adieux, habitants
de l'Olympe •.»JI
C'est un privilègo pour un poète moraliste, venu dans
un âgo de conceptions encore mythologiques, que do
pouvoir former ainsi des imagea qui intéressent et cap.
tivent les csprits sans les satisfaire. L'obscurité ot l'in.
décision de la pensée, dorrière la clarté vigoureuse de
la pointure, créontuno sortede profondeur mystérieuso,
ou toute une nation va chorcliorpondunt dos siècles une
sagesse qui se dérobe toujours.

Mais ni la beauté des mythes ni la valeur des exhor-


tations morales n'ont été les principales raisons du suc-
cès des Travaux. C'est surtout à titre de poème rustique
que cette grande œuvre a été admirée de l'antiquité
grecque et latine, et c'est encore à ce titre qu'elle nous
plait le plus aujourd'hui. Nous y sentons une poésie
de la nature, non pas complète ni somblable à la nôtre,
mais originale et profonde, une sorte de parfum de la
terre, dont la saveur est exquise autant qu'elle est saine.
Les aèdes homériques avaient peint déjà la nature,
i. Travaux,121et suiv.
POÉSIEDRhKNATURE 493
mais on généra! ils ne la voyant guère que sous ses
aspects majestueux; co qu'ils noua représentent loplus
souvent, dana les comparaisons do 17/mk/p, c'est la mer,
tantôt calme et tantôt soulevée ce aont les montagnes
qui se dressent au-dessus des flots, los cimes environ-
ii6os do nuages ou baignées dans la lumière pure, les
valléos sauvages où les chasseurs pourauivent los bâ-
ton féroces, on un mot tout co qui offre à
l'imagination
un grand spectacle. Les champs cultivés oux-inèinos,
lorsqu'ils les décrivent, pronnont un aspect grandiose à
vastes plaines d'lunie, qui su déroulent jusqu'à l'huri.
zon, ut où un peuple de serviteurs travaille sous l'aail
du mattre. Qu'on se rappelle la magnifique scène do la-
bour et do moisson qui estcenaéo Oguror sur le bouclier
d'Achillo

« Héphaletos y représenta une molle et vaste jachère, nou-


vellement labourôo, 8rasso et déjà retournée trois fois. Là
do nombreux laboureurs, allant et revenant, poussaient
leurs charrues sur plusieurs points à la fois. Et quand ils
faisaient retourner l'attelage, arrivés à l'extrémité du champ,
un serviteur venait leur mettre dans la main une ooupe de
vin délicieux. Ils revenaient sur leurs pas, de sillon en sil-
lon, ne songeant qu'à atteindre l'extrémité de la jachère
profonde. 11 avait aussi représenté un domaine couvert
d'une riche moisson. Dea serviteurs moissonnaient, ayant en
main des faucilles tranchantes. Des poignées de blé tombaient
ù terre, drues et serrées, le long du sillon; d'autres, relevées
par les botteleurs, étaient réunies en javelles. Trois botte-
leurs étaient debout: en arrière, des enfants ramassaient les
blés par brassées, et, les portant devant eux, les leur remet.
taient a mesure. Le mettre, au milieu du champ, se tenait
en silence sur le sillon, son bâton à la main, le cœur
plein
de joie. Des hérauts à l'écart apprêtaient le repas sous un
chêne. Ils venaient d'immoler aux dieux un bœuf de grande
taille et le faisaient rôtir; les femmes préparaient la blan-
che farina de froment pour le repas des serviteurs <.»

1. Mode,XVEtl,5*1-560.
494 CUA1VXI. LES TRAVAUXET LES JOURS
Tout est largo dans cette sereine ot pacifique des.
a
eiiptioti. ka poéstedola naturoainsi comprise quoique»
«litiged'ttâroYquo ot do royal, qui convient admirable»
menta l'épopée. Dans l'Odyssée, nous l'avons remarqué,
les choses sont déjà plus simples. Los établos d'Eumép,
non habitation «utiquo, le mur bas do la cour tutti
la rudu exis-
tapissé des pousses du poirier sauvage, ft demi
tunco qu'il mène là avec ses chions do gardo
rérocos, la nuit passé» auprès du feu, tout cola forme
uu tubloau d'un genre plus familier, où noua voyons do
Otroou ce temps la vie du paysan
plus près co quotlovait
naturelle do l'épopée
grec. Mais, là môme, la grandeur
intervient encore, ol la marcliode l'action, l'importance
dos personnages, l'intérêt des sentiments
dramatique
no laissent aux clétaila descriptifs qu'une valeur accus.
soiro. i
II on ost tout autrement dans les Travaux d'Hésiode.
Ici la naturo n'est plus simplement un fond de tabloaa
ni un décor la vie rustique est le sujet mémodu poème,
Ni
ot la nature avec le paysan sont au premier plan.
l'un ni l'autre d'aillours n'y sont idéalisés commo dans
ni do vastes do-
l'épopée. Plus do lointains horizons idées
mainos, plus do larges descriptions éveillant des
à
do grandeur, d'abondance et d'ordre. Nous sommes
le
Ascra, au pied de l'Hélicon, mauvais pays, nous dit
et glacé on hiver par
poète, brûlé par le soleil en été,
le vent du Nord. On y travaille durement, on y souf-
fre, on y dispute au sol une subsistance incertaine, et
on a grand'peine à s'y défondre des brouillards malsains
et dos intempéries de l'atmosphère. En outre, le paysan
d'Hésiode est pauvre; petit propriétaire économe, qui
ne possède qu'un attelage do bœufs, qui fabriquo lui-
et
même sa charrue, son vêtement do peau do chèvre
ses chaussures. Son champ est étroit et ne ressemble
on rien aux riches campagnes des bords de l'Hermos.
POÈBIt: DE LA NATURE 4U&

Étranger aux riantos Hélions, c'est on plvinu réalité


que le pobto m place tUmnoiisnous h>plaisir de l'y
suivre
S'il n'était guère |»liilo.<H»pltu
dans lu partie philoso-
phique de son a
poème, plus forlo raison ne lu soru-t-il
pas dans colle-ci. Donc aucune conception do la nature
dans soit ensemble, comme force mystérieuse et divine;
rien de ces élans enthousiastes»qui abondont chez Lu.
crèce ot chez Virgile, Cesont lus phénomènes ntiturols
<nix>memosquifunt impression sur Ilésiodo quant aux
causes cachées, quant à l'harmonie intérieure et pro-
fonde, on un mot quant à tout ce qui est au delà do la
sensation immédiate, il n'eu a ni le souci ni peul-ôtre
môme lu soupçon. Voilà déjà un premier aspect dos
chosoa qui n'existe pas pour lui. Il y en a un second
qu'il ne voit pas davantage, c'est colui du rèvo. Cher-
cher dans la nature une conformité ou un contraste avec
los sentiments de l'homme qui la contemple, savourer
son silence, jouir de sa sérénité ou l'en accuser comme
d'une sorte d'indifférence cruelle, l'admirer enfin dans
ses violences ou dans le déploiement magnifique et pai-
sible do sa force, rien de tout cela no lui vient à l'es-
prit. Et co n'est pas seulement parce que cette façon
de sentir est plutôt moderne qu'antiquo quand mêmo
on en trouverait quelque chose chez d'autres poètes
grecs, on pourrait être assuré qu'elle lui est étrangère.
Sa préoccupation pratique est bien trop forte pour lais-
ser ainsi courir son imagination.
La seule chose qui lui convienne. c'est d'exprimer
ce qu'il a vu, entendu ou senti. En le faisant, il est grec
par la précision, par la finesse, par la sobriété, par l'art
de simplifier les choses et de choisir les détails. Jamais
de sensationsconfuses ni surabondantes. Il noto chaque
chose par uu ou deux traits descriptifs d'uue
exquise
netteté. Et ce qui fait l'intérêt de cette notation, c'est
400 OHAP. XI. Ï.B3 TRAVAUX KT LES JOURS
d'une science écrit» et quelle mm-
au'ello ne dérive pas à personne: le*-
Wo môme n'emprunter presque rien les fraw.Il a
on fait tous
nérienee personnelle du P«elo élémentaire,
Laslronotnioa lui, astronomie qui peut
été en partie, mam
bien sans doute lui avoir enseignée
au
ou dans sa vie, passée
qu'il u confirmée complétée d'observation La
grand air et constammentcurieuse le lever des Pléîades
moment du labour ost marqué par
il suit qu'après *trer«mtéos cachées Pendant quarante
l'horizon « l«r«.
uits, elles reparaissent au-dessus da
m
«. La connaissance -ImhM*de,
qu'on aiguise le fer
moîurs dos animaux et do la vio dts plantes b'omuoio
tout naturellement à celle des astres. Il a, en toutos ces
matières, sa science du village, hite.de remarques quo.
sans cosse ravivées, dont s»
tidiennos et d'impressions ost le
de la canicute, qui temps
poésie profite. La Hn lui la moment où le
dus premières pluie», c'est pour tout t ^J'
et plus souple,
corps se sent plus léger succède àloté dé-
bienfaisante qui
par cette humidité est alors bon à coupor, « car
voranl; il note que le bois à ins-
les ver* no s'y mettent pas ». »»On est ravi chaque
ces détails curieux,
tant, en l'éboulant parlor, de tous Si l'on a
sur lesquels d'ailleurs il n'insiste jamais.
on encore réparer
tardé à labourer, nous dit-il, peut
« le cou.
cette négligence à la dernière heure, lorsque
?cou chante dans les feuilles du chêne et qu'il réjouit
dola terre » mais
“ les mortels dans toutes les parties le
« Zeus verse la pluie
il faut souhaiter alors que couvre la
«troisième jour sans s'arrêter, et que l'eau
sans rester au-dessous ni
corne du pied d'un bœuf, char-
» monter au-dessus».»Cette précision n'esUolle pas
nous montre l'attention qu'il donne à ces
mante ? Elle
V.3W.
1.Travaux,
2. Travaux, v. 416, 420.
3i Tratiaux, 486-489.
POÉSIE PS LA NATURE 49?
choses, l'importance qu'elles ont pour lui et ses audi •
tours, ot par conséquent millo sentiments derrière une,
geulo imago, ce qui t>*t l'essence mémo du la poésie.
Nous toucluiuB là au trait le plus du
caractéristique
talont descriptif d'Uosiudo, Ce qui lui est
propro en
effet, c'est qu'il ne décrit rion sans se faire connaître
lui-même involontairement il no dit pas un mot qui
ne découvre l'homme. Écoutons le nous parler do l'hi-
ver. Lo vent souffle, un» pluie glacée to:ntto incessant-
mont:

« Alo bien soin, tilt-il, do fulre ce que je t'enseigne


pour
préserver ta santé, ttevôts-tol d'une molle tunique do laine
et d'un second vOtoment ohaud qni couvre tout le corps il
fautque la trama en soit très «paisse par rapport a la chaîne.
Hiivoloppo-toi <looe vêtement, de pour que le frotd na fasse
frissonner le poil sur tes membres ot ne le hérlssc sur tout
ton corps. Mets tes pieds dans dos chaussures faites du cuir
d'un bœuf assommé qu'elles soient bien adaptées, et quo
le poil de la bote soU tourné en dedans Il »

Kvidoinmont co maraliato, qui s'interrompt ainsi pour


faire do l'hygiène, n'est pas un poète qui décrive
pour
le plaisir de décrire chape détail ici est un trait de
caractère le seul vers sur le rapport de la trame avec
la chaîne révèle Hésiode. N'en est-il
pas de même en-
core lorsque, après l'hiver, il nous décrit l'été ? Un au-
tre que lui nous peindrait l'aspect des
champs desséchés,
les troupeaux réfugiés à l'ombre des
grands arbres, les
rivières réduites à un minco filet d'eau. Qui no connait
los beaux vers de Virgile

Jam rapldus torrents sitientes Sirius Indos


Ardebat ooelo, et medium sol igneus orbem
Hauserat; arebant herbae, et cava flumina siccis
Faucibus ad limuin radii tepefacta coquebants.
1.Travaux, v. 536et soiv.
2. Gêorg.,IV, 425.
Hlit. de !• LitL Grecque. T. L 34
&98 GHAP. XI. LES TRAVAUX ET LKS JOURS
se passe
Mais Hésiode ne se soucie point de ce qui
il n'a pas
aux Indes, que d'ailleurs il ne connaît pas;
si vagabonde c'est à iuUmônie qu'il rap-
l'imagination
sont ses sensations et sos observations
porte tout, ce
personnelles qu'il exprime
« Quand le chardon fleurit, quand la cigale bruyante posée
stridente en agitant
sur un arbre fait entendre sa chanson
dans la saison des chaleurs Mttjdu**
vivement ses ailes, les fem.
alors les chèvres sont grasses, le vin est dôUoieux Sirioabrûle
messontavides de plaisir et l'homme est épuisé.
exténué par 1 ar-
sa tête et dessèche ses membre* le corps est
lui faut l'ombre d'un rocher et le vin de
deur du soleil. H
Naxos, du pain bien cuit, le lait
d'une chèvre qui vient dé.
la chair d'une génisse nourrie dans
tre éloignée de son petit,
les bois et trop jeune encore pour
être mère, et celle d'un
en outre du vin brillant, assis à 1 om-
tendre chevreau. Bois alors ton vi-
et tourne
bre, quand ton appétit est satisfait, d'une source in-
sage vers le souffle vif du Zôphyre, auprès
»
tarissable et limpide, que rien n'a troublée».
bien hellénique,
Une chose bien digne d'attention et
tableaux, composés de menus dé.
c'est que ces petits
et ce qu'en matière de
tails, ont néanmoins de l'unité à
du style. La raison en est facile
peinture on appelle n'est exagérée
donner: aucune de ces petites choses
voulait faire de l'effet par elle-même; ce
comme si elle
concourent ensemble à
sont des traits de vérité qui
une impression générale parfaitement nette; et cette
si humaine, si large même,
impression est si simple, for-
finesse des éléments dont elle s'est
que, malgré la
mée, elle a une sorte de grandeur. ce
On peut se demander toutefois jusqu'à quel point
était
si attentif à la vérité des sensations,
poète si exact,
un ensemble plus considérable.
capable de composer
des Travaux qui
Il nj a vraimont qu'un seul passage

1. Travaux, v. 882 et auiv.


POÉSIE DE LA NATURE 499

semble offrir le moyen de répondre à cette question,


et ce passage est an de ceux qui ont le plus provoqué
los doutes de la critique: je veux parler de la descrip-
tion du moisLéncaon <. Cette description débute par un
admirable morcoau, où est représentée la violence du
vont Borée:
« Pendant toat le mois Lênœon, série de jours mauvais,
funestes au bètail, sois sur tes gardes, défie-toides gelées qui
causent tant de soucis, lorsque Borée souffle au loin à tra-
vers la terre. Du fond de laThraoe, nourrioière de chevaux,
il s'élance sur la vaste mer un mugissement remplit la terre
et les forêts les chênes à la cimeélevée et les sapins touffus,
saisis par lui dans les gorges de la montagne, tombent sur
le sol fécond la clameur immense de la forêt monte vers
lelciel.Les botes sauvages frissonnent, et ramènent leur queue
sous leur ventre. »
Voilà assurément de la plus haute poésie. Mais sou-
dain ce bel élan s'arrête, et dans une comparaison des
plus singulières le poète se demande quels sont les ani-
maux qui ne souffrent pas du froid. Les bâtes fauves
ont froid, le bœuf, malgré son cuir épais, a froid aussi,
les chèvres sont glacées à travers leur long poil; seul, le
mouton est préservé par sa toison. Une fois entré dans
les détails, il n'en sort plus, et les images se succèdent
avec une certaine confusion: le vieillard courbé sur son
bâton, la jeune tille qui travaille dans la maison auprès
do sa mère; puis une étrange observation sur la vie du
poulpe au fond des mers, où le soleil ne l'éclairé pas,
et de nouveau un retour aux effets produits par le froid
sur tous les êtres animés. Ce désordre même est au fond
le plus grave argument qu'on ait produit contre l'au-
thenticité de ce morceau, mais il faut reconnattre qu'il
est loin d'être décisif. Nous ne devons appliquer à cha-
que écrivain que des règle» de critique faites pour lui
i. Travaux,503et.suiv.
600 CHAI». XI. LES TRAVAUX ET LES JOURS

et d'après lui. Or rien dans los Travaux no nous per-


mnt d'attribuer à Hésiode le talent do composer un mor-
ceau descriptif étendu et lié dans loutos sos parties.
Son mérite ost surtout de bien voir et do bien oxprimor
les détails quand il les groupe, c'est, comme nous
venons do le remarquer, autour d'une impression por-
sonnolle. Mois ici, il s'agit de choses lointaines, qui dé-
d'étonnant
passent son expérience quotidienne. Quoi
si son art sa trouve en défaut, s'il hésite, et si, après
un boau début, il revient plus ou moins adroitement à
ces petites choses qu'il sait et qu'il dit si bien ? La cri-
ost juste,
tique que l'on adresse au morceau en question
mais prenons garde qu'au lieu d'en démontrer la non-
authenticité, ollo no mette simplement on lumière un
la
dos traits caractéristiques do poésie d'Hésiodo.

V!
Il ne nous reste que quelques mots à dire du poème
des Travaux. Que faut-il penser do la langue dont le
homé-
poète se sert ? En quoi diffère-t-elle de la langue
sont tes caractères q
rique ? quels en propres ?
Le dialecte dont Hésiode fait usage est à pou de chose
vieil io-
près celui des poèmes homériques c'osl le
nien, mélangé de formes archaYques et de mots qui
certainement n'ont jamais ou cours que dans la poésie.
Nous avons déjà fait remarquer l'importance capitale
de ce fait pour la chronologie littéraire8.

i. La meilleureétude à consulter sur la langued'Hésiodeestla


dissertationspécialed'AloisRzach.DerPialeeldes Besiodos (Jahrbà-
cherfur classische
Philologie t. VIII, «816.
deFleekeisen,Supplément»,
Cettedissertationa été tirée à part).
2. AjoutonsIci que la langnsd'Hésiodeesten progrèsgrammati-
cal sur celled'Homère.Par exemple.le pronomréfléchide la troi-
LA LANGUE D'HÉSIODE 50i
Toutefois l'élément éolion a dans los Travaux nno
importance plus grantto que dans los poèmes homéri.
ques. Ou y trouve eu effet quelques formes d'un carac-
tère éolien bien prononcé, qui sont absolument étran-
gères à la langue d'Homère Il est singulier que ces
formes ne se retrouvent pas dans le dialecte béotien, tel
qu'il nous est connu par los inscriptions et les témoi-
gnages elles appartiennent plutôt à l'éolten d'Asie
On pourrait être toute do voir là une confirmation inat-
tendue de la tradition qui rattachait la famille d'Hésiodo
à 1'Éolio asiatique nous croyons qu'on se
tromperait
un poète parle la langue de sos auditeurs et non la
sienne. La vérité est que nous connaissons trop pou
loa relations des divers dialectes béotiens au temps d'Hé-
siodo pour avoir le droit de lirai- d'un si petit nombre
de faits des conclusions aussi précises. A cet élément
dialectal éolien, s'ajoute et se mêle, dans les Travaux,
un élément dorien, qui deviendra plus important dans
la Théogonie ». Co fait a été ingénieusement expliqué
on l'a signalé avec raison comme un indice de l'in.
iluenco exercée sur le langage d'Hésiode par celui de
Delphes Nous croyons seulement que cette influence
s'est exercée sur los Travaux autant que sur la Théo.
gonie. Nous avons montré plus haut que les oracles

sièmepersonne,étrangerà Homère,semblebien y apparattredéjà,


mêmedans les Travaux;voy. Rzach,p. 427.
1. Arvuiiit pour atvfa. Travaux, 683.
*Apii|uvai pour ipoOv, 22. "A^tv
pour tyiSot, 428. Tpn)x6vmi>v pour xovfytmxix, 696. MsXiâv pour iieXiOv.
115. (Bzach,p. 465).
2. Rzacli,p. 464-65.d'après Ahrens(Verhandlungen der Gœttinger
Philologenversammlung, 1832,p. 73et suiv.).
).
3. Lesaccusatif*plurielsde la premièredéclinaisonavecla finale
brèveSeivctïifaat. v. 675;pnà rpoitiçrieXiato,
564et les ancien-
nes désinencesdes troisièmespersonnesdu pluriel663;
dans les temps
secondaires,
Ï8»8ov, 139 lenombrecardinaldorien,rftoaa,698(Kzach.
p. 46S).
4. Ahrens,onv. cité, p. 75.
603 CHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOURS

avaient été nécessairement un des modèles du poète


moraliste à qui noua (devons cette couvre il n'est pas
étonnant qu'il ait considéré comme suffisamment au*
toriaôs certains dorismes dont le dieu prophète lui don-
nait l'exemple.
En co qui concerno le choix ot la couleur dos mots,
il semble que la langue du poème des Travaux pré-
sonte un caractère plus populairo, on pourrait presque
dire plus rustique, que celle dos grandes épopées
ioniennes. Cola tient d'une part au grand nombre jtfo
termes techniques qui sont amenés par la nature méimV
du sujet. Mais, en outre, le poète a un goût personnel
pour des expressions un pou rudos, qui rendent sa pon-
8éo avec forco et concision. II dira par oxemple que lo
cri de la grue annonçant l'époque du labour « mord le
» cœur do l'homme sans bœufs » (xpaSi^vïiax' «Jvîpôç
etéo'JTCt»,v. 481) jamais sans doute un aède homéri-
que ne se fût exprimé de cette façon. H aime aussi les
mots qui décrivent minutieusement. Le pain qu'on
donne au valet de charrue est « un pain à quatre entail-
les, partagé on huit tranches » (fiptov.. Texpirpuçov,
fo-rïétoitov, v. 442). Il a des mots composés à son usage
qui lui servent à traduire nettement et sans périphrase
des idées complexes (v. 485, àjrttps-rflî,colui qui laboure
trop tard; TCpt*nf>p6T»iç> celui qui laboure au commen-
cement de la saison). Et ce n'est pas seulement aux
choses matérielles qu'il applique cette précision, c'est
aussi aux choses morales. Il les [rend avec une conci.
sion énergique et vive qui lui est propre. Le mot qui
fait image lui vient rnaturellement à la bouche « Que
» le laboureur, dira-t-il, trace droit son sillon, sans
» chercher de l'œil ses compagnons, le cœur à sa be-
» sogne » N'y a t-il pas à la fois une peinture et un sen-

G«verbeest ho-
i. Travaux,444 MijxItiitamafvuvnpbç4|uqXixa;.
LA LANGUE D'HÉSIODE! 609
liment dans cette spirituelle façon de parler? Et quand
il recommande do no pas prendre un serviteur trop
jeuuo, avec quelle lîno intelligence du langage popu-
laire no transforme t-il pas une expression d'ailleurs
courante pour nous faire voir son personnage rêvant
aux plaisirs do son Age au Hou de travailler « Un
» homme trop jeune a toujours l'esprit en l'air à la
» poursuite do ses compagnons » A chaque instant,
chez Hésiodo, nous rencontrons do cos vives inven-
tions do stylo. qui révèlent ,lo vrai poète. Il sait faire
beaucoup avec peu do chose, comme tous les grands
artistes; les mots lus plus ordinaires deviennent dos»
criptifs entre sos mains par la façon dont il les appro-
prie à son idée. Veut-il nous représenter la moisson mûre
et abondante du paysan laborieux quo les dieux protè-·
gent? Il un nous montrera pas, comme Virgile, les blés
dorés qui ondulent au loin, car ces grandes imagos lui
sont pou familières mais en un vers tout frappé à son
emproir.te, avec un mot abstrait un peu lourd et un
mot pittoresque fort simple, il nous fera voir les tiges
qui plient souslo poids des épis bien pleins
âii xsvâSpovwr,?t«£u<; viûoitvIpseÇe*.

Un autre trait de la langue hésiodique, c'est l'emploi


fréquent de tours indirects, de périphrases ingénieuses,
où nous retrouvons encore quelque chose de la bonho-
mie malicieuse du peuple grec et de son goût pour les
finesses du langage. Au lieu de dire tout simplement,
« Si tu agis ainsi, tu pourras remplir do blé tes ampho-
» res », il aimera mieux nous faire entendre la chose
d'une manière détournée « De cette façon, dit-il, tu

mérique,maisl'emploiqu'en faitici Hésiodea quelquechosedehardi


et detrès personnel.
i. Travaux, 447 Koup4«po{ f«P «^ÎP !«*' «(ripwsaç £irro»|T«.
2. Travaux, 473.
604 CHAP. XL – LES TRAVAUX ET LES JOURS

h auras Heu d'ùter les toilos d'araignées de tes amjilio-


» toa t. » Ce n'est pas seulement l'image qui lut a plu,
mais il se satisfait lui-mémo on disant uno chose au Heu
d'une autre qui y tient do près, et on faisant deviner
la seconde pur la première. Do môme encore, là où un
uutro dirait Il Si tu labouros trop tard, tu foras unu
» maigre récolte », voici comment il s'exprime « As.
» sis pour moissonner, tu no proudras dans la main
» que quelques épis ot tu to couvriras do poussière en
m liant tes gerbes Il Ces potits artifices de langage
sont absolument étrangers à la tradition homériquo»H
ils doviendraiont fatigants si le poète on abusait; mais
la
employés à propos au milieu d'un poème dont languo
est en général si saine et si savoureuse, ils lui donnent
un attrait do plus
Au point de vue do la structure do la phraso, la poé-
sie hésiodiquo dans les Travaux n'a pas l'ampleur ni
la souplesse homériques, et on peut diro qu'elle no les
recherche pas. Elle aime les sentences, et en dehors
mémo do co qui mérite proprement ce nom, la forme
sentencieuse est celle qu'elle a presque toujours en vuo
et dont elle so rapproche le plus possible. Peu ou point
de grands mouvements; une phrase brève, solide, bion
sonnante, éminemment propre à servir toutes les qua-
lités moyennes de l'esprit puis dos antithèses, des rap.
à une pensée
prochements de mots, tout ce qui donne
de l'originalité et du trait Une telle manière do gou-

'1. Travaux,475.
2. Travaux, 480.
3. Signalons aussi quelques expressions énigmatiques, telles que
« le mortel A trois pieds » pour dire « le vieillard », v. S33; « l'ani-
mal sana on », pour désigner un poulpe, v. 524 • l'arbre à cinq bran-
ohes », c'est-à-dire la main, v. 743. Il n'est pas sûr que les passages
et »\\m m tmavent soient d'Hésiode, mais elles n'ont rien qui répa-
gne A sa manière.
4. Quintilien, X, I, 52 Raro assurgit Hesiodus. tamen utiles
DIFFUSION' DE LA POÉ>JilK PRATIQUE 605

vornor le langage poétique marque une évolution im-


portante dans l'hisloiro littéraire du peuple grec nous
saisissons là nno curieuse transition entre l'épopée et
l'élégie morale, et déjà noua pressentons do loin la nais-
sanco de la prose.

Yll

Au poème dos Travaux sq rattachent un certain noin-


bro d'œuvros poétiquos que l'antiquité attribuait géné«
ralomont à Hésiode; nous sommes hors d'état aujour-
d'hui d'on indiquorou d'en discuter l'origine ni la date.
Ces poèmes ne nous sont connus que par leurs titres,
par quelques rares fragments, parfois suspects, ut par
dos témoignages insuffisants. Et toutefois, quand les
titres seuls subsistent, ces titres mêmes ont un intérêt:
ils nous laissent deviner l'importanco et l'extension d'un
genre dont nous venons d'étudier le type
Lo caractère commun des poèmes on question, c'était
de donner dos règles ou des préceptes. Les uns conte-
naient l'exposé des principes et des procédés de certains
arts: véritables traités.rossomblant par conséquent plus
ou moins à la partie des Travaux qui concerne l'agricul-
ture et la navigation. Les autres consistaient en séries
de recommandations morales; ils se rattachaient ainsi
plus directement à la première partie du même poème,
à celle que nous avons appelée l'Exhortation.
On ne sera pas surpris do rencontrer tout d'abord deux
traités de divination l'Ornithomantie et les Commen-
taires sur les prodiges. Nous avons déjà noté les rap-
ports du calendrier qui fait partie des Travaux avec l'art
circa praecepla santenliae,levitasque verborum et compositionis
probabilis daturqueei palma in Ulomediogénèredlcendi.
506 QHAP. XI. – I.KS TRAVAUX ET LES JQUflS

dosdevina. Hésiode,d'après l'ausanias, passait pour avoir


Instruit par
appris la divination chez les Àcarnanions».
ses
eux, il avait composé poésies divinatoires, c'esl-a-dire
les deux poèmes qui viennent d'être cités s. La divina.
tion par les oiseauxet la divination par prodiges étant
les
les deux formes principales do la mantiquo ancienne,
cesdoux oxposôsdidactiques complétaient l'un l'autre.
se
Tout ce quo nous en savons, c'ost que YOrnithomanlit
était quelquefois rattachée aux Travaux et considérée
comme une partie do co poème s.
L'Astronomie n'ost guère mieux connue. On rapporte,
il est vrai, à co poème quolques légendes astronomiques
chez les auteurs anciens. Mais il est à re-
dispersées
la plupart de cos récits sont simplement
marquer quo
à Hésiode, sans aucune mention do
attribués spéciale
ils sont empruntés; ils peuvent donc
l'ouvrage auquel
à d'autres et particulièrement aux
appartenir poèmes,
Catalogues

1. Pausan., IX. 3i.


2. "Eot) (lavTixx. Pausan., ibid. On a fait de ces mots par méprise
un titre distinct; cette opinion été réfutée très nettement par Marek-
eheffel, ouv. cité, p. 113 et suiv.
3. Ce fut Apollonios de Bhodes, seiuMe-t-H, qui sépara définitive-
ment VOrnUhomanlie des Travaux. Scolie de Produs, Travaux, v. 821
6 P«io{
ToiStotctti&xowii wee tr,v 'Opviflonavwlav, ôtiva 'AitoXXeâvio«
ititet. Marckacheffel a supposé, non sans vraisemblance, que le rat-
tachement de VOrnithomanlie aux Travaux aurait eu pour cause le
dernier vers de ce poème
opvi9a; xpivwv xal irapSancac iXuîvuv.
4. Une épigramme de Callimaque sur les Phénomènes d'Aratos
(Epigr., XXIX) semble viser ce poème, mais elle ne le nomme pas,
et elle pourrait bien se rapporter simplement à la partie astronomi-
ou Attrologie
que des Travaux (Marckscheffel, p. 195). L'Astronomie
d'Hésiode n'est mentionnée expressément que par Athénée (XI, «91
ni
G), par Pline l'ancien (H&<.fiat., XVIII, 25), qui n'en admettent
l'an ni l'autre l'authenticité, par Plutarque {Oracles de la Pythie, 18),
par Tïotzcs {ChU.. XII, «9 sqq.) et par le seoîisste des Tr»«<uœ
(v. 382). Aucun de ces témoignages ne remonte au delà de la période
romaine. On a donc pu supposer que c'était en réalité une composi-
DIFFUSION DE LA POÉSIE PBATIQUE 507

Ces trois compositions avaient sans doute plus ou moins


le caractère do traites, Los Préceptes de CMron étaient
tout autre chose, .Rien ne devait plus ressembler à la
premièro partie des Travaux que co poème tout moral.
Nous savons par Pausanias (IX, 31) qu'il se composait
do conseils donnés par le centaure Chiron au jeune
Achille, son élèvo, Le début nous a été conservé<

« Mets bien dans ton esprit, si tu veux ôtre sage, chacune


de ces choses, En premior lieu, lorsque tu entres dansta de.
Meure, accomplis au l'honneur des dieux immortels les cé-
rémonies qui conviennent. »

Il rôsulto do la forme de co passage quo lo centaure


était censé adresser la parole au jeune héros. Celte
donnée fictive était certainement fort propre à corriger
l'aridité naturelle des préceptes en y mêlant un élément
dramatique, il est fâcheux qu'aucun fragment no nous
permette d'apprécier l'importance do cet élément. Tou-
jours est-il que ce poème semble avoir joui d'une grande
considération dans l'antiquité. Pindarey faisait allusion:
«On dit qu'autrefois, dans les montagnes, le fils doPhilyra
donnait au jeune Achille privé de ses parents ces con-
seils d'honorer d'abord entre les dieux le fils de Cronos,
mattre redouté des éclairs et de la foudre puis de
rendre aux auteurs de ses jours le respect et les devoirs
réglés par les lois éternelles* .» » Aristophaneplus tard
tournait en parodie quelques passages du même poème
et un autre poète comique, Phérécratès, l'imitait d'une
manière non moins irrévérencieuse3. Quintilien enfin le

tionassezrécente,misebouslenom du vieuxpoètedesTravaux.OU
friedMillier(ProLad Myth.,p. 193)la considéraitcommeappartenant
à la périodealexandrine.
1. Scol.de Pindare,Pyth., VI, 19.
2. Pind., Pyth., VI.
3. Bachmann,Anecd.Graeca,II, p. 385 (Didot.Ari&toph.fragm.,
XVIII).
008 CHAP. XI. – LES TRAVAUX ET LES JOOBS

citait encore commo faisant autorité on matière d'édu-


cation'. Personne avant le grammairien alexandrin Aris-
tophane de Byxanco n'avait mis en doute qu'Hésiodo
n'on fut l'autour Cette question d'authonticilé nous
échappe aujourd'hui complètement.
Il paraît certain que les Préceptes de C/tiron ainsi que
YOmithomantie étaient anciennement rattachés aux
Travaux, et quo cos divers poèmes ainsi groupés for-
maiont ensomble un corps do poésie hésiodiquo C'était
sans doute à cet ensemble, ainsi qu'on l'a supposé avec
beaucoup de vraisemblance,quo s'appliquait la dénomi-
nation do Grands Travaux (MeyiXaEpyx)*. 11est donc
inutile d'admettre que l'antiquité ait possédé sous ce
titre un autre poèmehésiodiquosur l'agriculture, beau-
coup plus étendu quo los Travaux
Nous ne mentionnerons ici que pour raémoiro un
certain nombre do titres do prétendus poèmes hésiodi-
ques qui n'ont jamais existé ou qui n'ont rien de com-
mun avec l'ancienne poésie épique. Tels sont le Tour
du Monde (r*iî Twpîo&o;), les Discoursdivins (QeîoiXôyoi),
les Hymnes (Tjuioi), les Histoires phéniciennes ($onu-
x«x), les Salaisons (Ilepl txfi^m)*. Laissons de côté ces
fantaisies pour passer à l'étude dos poèmes généalo-
giques, seconde grande forme de la poésie hésiodi-
quo.
t. Quintil.. Intl. oral., I, 1, 15. cf. Isoor., ad Nieocl., 43.
2. Même passage.
3. Pausan., IX, 31.
4. Athénée, VIII, p. 364.
5. L'opinion que nous rejetons ici repose uniquement sur quelques
testes mal interprétés; voir à ce sujet l'excellente discussion de
MarckseheffeL ouv. cité, p. 202-215.Il est hors de doute que si un tel
et
poème avait existé, nous le trouverions mentionné fréquemment
des Travaux.
expressément distingué
9. Sur l'origine probable de ces méprises ou de ces fautai»!»», con-
sulter Marckscheffel. ouv. cité. p. 197 et suiv.
CHAPITRE Xlï

LA THÉOGONIE ET LA POÉSIE QKNKAI.OO1QUE

SOMMAIRE.
1. Idée de la poésiegénéalogique.– H. Analysede la Théogonie,
III. Unité primitivedu poème.Desseingénéralde l'auteur.Con-
jectures sur la date de l'œuvre. Accroissementsprobables.
IV. Mérite poétiquede la Théogonie. Versificationet languedu
poème. – V. Autrespoèmesgénéalogiquesattribués à Hésiode
les Catalogues,les GrandetÉées,etc. Petites épopéeshéslodi-
ques.

La poésie généalogique n'a pas moins d'importance,


dans l'ensemble de l'œuvre attribuée à Hésiode, que la
poésie pratique. Celle-ci annonce l'avènement prochain
de la philosophie, celle-là fait pressentir le premier
essor de l'histoire. Dans l'une, la réflexion grandissante
recherche les règles de la vie, dans l'autre elle entre-
prend de fixer l'ordre des temps.
Nous avons dit par où cette poésie se reliait aux hym-
nes primitifs. Comment s'en détacha-t-ollo ? Sans donto
par la croissance naturelle de l'esprit historique. Dans
les hymnes, les généalogies ne figuraient qu'à titre
d'élément accessoire un temps vint où le besoin au-
quel elles répondaient fut assez fort pour qu'elles dus-
610 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

sont constituer un gonro à part. L'épopée ionienne, si


riche en beaux récits, no pouvait à elle soulo donner
satisfaction au désir qu'on avait de connuîtro le passé
sans doute elle représentait d'une manière dramatique
et saisissante certains groupes d'événements, elle fai-
sait revivre beaucoup do personnages illustres, mais elle
ne montrait ni l'origino des traditions ni la continuité
des famillos. Au goût d'ordre et d'arrangement qui a
résurrec-
toujours distingué l'esprit hollénique, cotte
tion partielle des choses anciennes no suffisait pas.:
et se
plus les mythes et los légendes se multipliaient
de los coor-
compliquaient, plus il devenait nécessaire
donner. Ce travail de coordination fut proprement l'œu
vre de la poésie généalogique ».
Celle-ci dut grandir par conséquent à côté do la poé-
sie épique narrative, qu'elle servit à 'compléter. Tou-
Tan-
jours la même au fond, elle varia dans la forme.
do locale, ello s'attacha
tôt, comme une sorte chronique
exclusivement aux traditions d'une seule tribu ou do
helléni-
quelques tribus voisines; tantôt, plus'largementdes souve-
des et
que, osant s'élever au-dessus préjugés
nirs du canton, elle entreprit de grouper les légendes
divineset humaines en de grands ensembles que la Grèce
entière pût adopter. Ces deux formes du même genre
sont représentées presque également dans la collection
dont nous avons à parler; mais il semble bien qu'entre
tous ces poèmes, les deux plus importants, la Théogonie,
les héros, aient dû
pour les dieux, les Catalogues, pour
précisément leur prééminence, en grande partie du
moins, a ce qu'ils offraient l'un et l'autre au plus haut
degré ce caractère panhellénique.
1. Le goût auquelcettepoésiedut donner satisfactionà l'origla»
se retrouvait encore «lu» les Spartiates au temps de Piston.«lHïpp-
maj., p. 285 ïhfi. tôv Yïvôvtôv te *?<â»v«il«ai tûv 4v8(><S«wvtûv
&i *oip/aTovixït<rtn«tv
mrcoixtoeujv, a t *6Xt«{, m»XX^68nv «"V *«
^8tot«àxpoavtai.
âpXaloioï'<ltî
ANALYSE DE LA THÉOGONIE 611
La Théogoniea soule subsisté: c'ost pour nous comme
le type du genre généalogique. Peu d'œuvres littérai-
res ont été plus discutéos. Disons tout de suite que,
pour la bien apprécier, los jugements portés sur Hé-
siode dans le chapitro précédent ne doivent pas pren-
dre trop d'inOuonco sur l'osprit du lecteur. En réalité,
la Théogoniediffère absolument des Travaux ni l'ob-
jet principal de J'auteur, ni sa manière de composer,
ni son tour d'esprit ne sont identiques dès le début,
nous le verrons se distinguer lui-même d'Hésiode, tout
en se donnant pour un continuateur de son œuvre.
Poète indépendant, considérons-Io donc dans son œu-
vre porsonnelle, sans aucune préoccupation do retrou-
ver en lui des traits qui nosont pas les siens.

II

La Théogonie, dans son état actuel, est un peu plus


étendue que les Travaux; mais elle ne se divise pas,
comme ce poème, en un petit nombre de groupes aux.
quels on puisse donner des noms distincts. C'est une
longue énumération, dont toutes les parties ont une
importance égale. Un seul morceau se détache à pre-
mière vue de l'ensemble l'introduction. En l'étudiant
tout d'abord, nous entreverrons en abrégé l'histoire du
poème entier.
Il n'est personne peut-être aujourd'hui qui mécon-
naisse la vraie nature de cette introduction (v. i-115)
assemblage de morceaux fort divers, dont il n'est pas fa-
cile de déterminer la provenance. Nous croyons y dé-
couvrir, quant à nous, trois développements princi-
paux qui peuvent être restitués avec vraisemblance;
le reste se compose d'additions successives qu'on ne
513 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

saurait essayer de déterminer sans avoi»%le texte à la


main.
Si nous dégageons le plus ancien do ces trois tlévo-
se met on
loppements, nous y voyons un poète qui
scène Itii-mèmo son propre témoignage nous éclaire
immédiatement sur sa personne et sur son dessein

« (v. i-4). Commençons, dit-il, par chanter les Muses héli-


coniennes, les Muses qui habitent la haute et divine monta-
gne de l'Hélicon, et qui autour de la source sombre dansent
d'un pied léger, près de l'autel du puissant flls de Kronos.–
(v. 22.34). Ce sont elles qui autrefois enseignèrent à Hésiode
un noble chant, tandis qu'il faisait paitre ses agneaux au
pied de l'Hélicon divin. Quant à moi, voici en quels termes
elles me parlèrent d'abord, les Muses olympiennes, filles de
Zeus qui tient l'égide « Bergers rustiques, hommes vils
qui n'avez souci que de manger, nous savons dire beau-
coup de choses fictives qui ressemblent à la vérité, mais
noua savons aussi, lorsque nous le voulons, proclamer des
choses vraies. » Ainsi parlèrent les Elles du grand Zeus,
déesses au doux langage, et elles me donnèrent, comme
vi-
sceptre, une branche de laurier toute en feuilles, pousse
venaient de cueillir. En même temps elles
goureuse qu'elles
firent nattre en moi >ar leur soufne le chant divin, afin que
je me misse à célébrer les choses futures et les choses passées,
et elles m'ordonnèrent de mettre en hymnes la filiation des
dieux éternels, en les chantant elles-mêmes dès à présent et
dans l'avenir sans jamais cesser. (v. 104-107).Salut, filles
de Zeus, accordez-moi de plaire en chantant, et célébrez
avec moi la sainte filiation des dieux éternels, ceux qui sont
nés de la terre et du ciel étoile, ceux qui sont fils de la som-
bre nuit, et ceux que la mer aux flots salés a mis au monde8. »
1. Le nyatème que nous proposons ici aurait besoin sans doute
d'être justifié plus longuement. Mais en de telles matières l'important
n'est pas d'arriver à une précision absolue, car cette précision ne
serait jamais qu'apparente. Il s'agit surtout dé distinguer les trois
idées principales qu'on croit découvrir au fond de cette introduction.
Quant à la manière de reconstituer les trois développements, elle est
nécesasiremeut eoujecluïate et emporte par conséquent plusieurs
combinaisons qui se valent, à peu de chose près.
2. Cet exorde est formé de trois morceaux aujourd'hui séparés
ANALYSE PU POÈME 5ia
Tout se tient dans ce développement fort simple qui
nous parait constituer à lui seul l'introduction priitii-
tive. Le poète, quel qu'il soit, se donne pour une sorte
de révélateur, inspiré directement par les Muses. La
mission qu'il a reçue d'elles est analogue dans sa pen-
sée à celle qu'elles coutièrent jadis à Hésiode et cette
analogie est aussitôt expliquée tous deux s'adressent
à un auditoire de pâtres, de paysans, tout occupés des
choses matérielles, et tous deux sont chargés de leur
faire entendre le langage divin de la poésie, mais d'une
poésie uniquement faito de vérité. Hésiodo leur a en-
seigné le travail et la justice; son successeur va leur
dire les générations des dieux; morale d'un côté, reli-
gion de l'autre, deux aspects do la sagesse éternelle;
voilà on quel sens la Théogonie se rattache aux Travaux.
Aussitôt après cet oxorde, les généalogies divines com-
mençaient.
Si le respect dos œuvres littéraires eut été connu
des aèdes, ce début serait resté toujours tel qu'on vient
de le lire; mais rien ne leur était plus étranger que ce
sentiment. Quand l'auteur du poème eut disparu, un
autre aède eut l'idée d'en modifier l'introduction. Dans
quel dessein? Le premier poète avait parlé de lui-même;
cela intéressait pou son successeur. Une gracieuse fic-
tion lui parut préférable; il imagina de mettre en
scène les Muses elles-mêmes et de supposer que c'é.
taient elles qui récitaient le poème de là un nouveau
début, pour lequel d'ailleurs il emprunta sans scru-
pule à son prédécesseur ce qui lui parut convenable
« (y. 1-4).Commençons,
disait-il en reproduisant les premiers
(1-4,22-34et 104-107). J'ai indiquéla séparationpar des traits pour
qu'ellefrappâtimmédiatement le lecteur.Il y a là troisgroupesdis-
tinctsd'idées, ce qui dupliquequ'où ait pu intercalerentre euxdes
développements nouveaux mais les trois groupesse fontsuite tout
naturellement.
33
514 CHAPITRE XIJ. – LA THÉOGONIE
Ils Muses heii-
vera du début primitif, «orarainçonspar chanter
les Muses habitent la haute et divine montagne et qui
«mienne*, qui
autour de la source sombredament d'un pied lig«r,prèt de fauteldu
puissant fi» de Kronoê. »

Puis il continuait

« (v. 8-2) Elias venaient de se baigner, vierges délicates,


dans les eaux du Fermasse, ou dans Hippocrône, ou dans
l'Olméos divin «; et ensuite, au plus haut de l'HèUoon, elles
avaient formé leurs chœurs de danse graoieux, au rythme
vif et charmant. C'est de là qu'elles partirent, enveloppées
dans les
d'ombres, et s'en allèrent à travers la nuit, jetant
airs leur voix enchanteresse et elles chantaient Zeus qui
aux sandales
porte l'égide, et la divine Hère, déesse d'Argos,
d'or. et la fllle de Zeus, Athènô aux yeux bleus, et Phœbus
etc. »
Apollon, et Artémis aux traits rapides,

Suit toute une énumération brillante ot sonore, pre-


mior cortège do dieux qui défllent sous nos yeux avec
une pompe royale. L'énumération théogoniquo, c'ost-
à-dire le corps du poème, s'y rattachait naturellement*.
à ses
Puis, pour terminer, le môme poète, s'adressant
auditeurs ordinaires, princes et chefs de tribus, leur dé-
un où les Muses
diait, en forme d'épilogue, hommage
reparaissaient encore, comme dans la fiction éclatante
du début:
dans la nuit les Muses
(v. 75 87) Voilà ce que chantaient
habitent l'Olympe, toutes les neuf, filles du grandZeus,
qui Érato.
Clio et Euterpe, Thalle et Melpomône, Terpsichoreet
Uranie, et enfin Calliope. Celle-ci est la plus no-
Polymnie et
ble de toutes car eest elle qui s'attache aux rois qu'en-
me
1. Ce changement de temps, sur lequel on a beaucoup disserté, rem.
tout naturellement. Les premiers vers
parait s'expliquer ainsi
cent l'habitude des Nases, ce qu'elles font d'ordinaire; les suivants
se rapportent à la scène particulière que composele poète.
S.Je suppose qu'après le vers 2» commençaitla Tkéogonwpropre-
ment dite, avec le v«w «5 légèrement modifie.
T|ivouv 8' &( npiSnvra%&*S iftv«i\ «. t. I.
ANALYSE DU POËME 815

toura le respect public. Celui d'entra les roisissus des dieux


que les filles du grand Zeus honorent et qu'elles regardent
avec faveur à sa naissance, elles lui versent sur la langue
une douce rosée, et de sa bouche coulent des paroles douées
comme le miel; tout le peuple ales yeux fixés sur lui, lors-
qu'il résout les procès par des arrêts pleins de justesse sûr
de sa parole, il termine habilement les plus ardentes que.
relles (v. 68.74). Ces Muses allaient alors de l'Hélicon vers
l'Olympe et faisaient retentir avec grftce leur voix immor-
telle. La terre sombre répétait au loin leurs chants, et sous
leurs pieds un doux bruit rythmé s'élevait, tandis qu'elles se
rendaient auprès de leur père. Celui-ci est le dieu qui règne
dans le ciel, le maître du tonnerre et de la foudre aux
lueurs sinistres, le puissant vainqueur de son père Kronos.
Il a distribué aux Immortels leurs honneurs avec équité et
mis chacun d'eux à son rang. >

Magnifique morceau final, où la vision gracieuse s'a-


chève dans une imago sereine et grandiose, qui ré-
sume tout le poème
Voilà donc déjà deux développements distincts déga-
gés de l'assemblage confus que nous étudions. JI y en
a un troisième et dernier, qu'il suffit d'indiquer, car il
subsiste intact dans le texte actuel c'est un chant en
l'honneur des Muses (v. 36-67). Hymne descriptif, qui
célèbre la beauté de leur voix, l'enchantement qu'elles
procurent aux Immortels, leur naissance et leur séjour

1. L'œuvre du second aède comprend donc un débat et un épilogue.


Le débat est formé des 21 premiers vers du poèmeactuel; l'épilogue
des vers 75-87et 68-74.C'est Otfried Moller qui a vu le premier que
cesvers 68-74devaient être un débris d'un épilogue. Je complète cet
épilogue en y ajoutant les vers 75-87,grâce auxquels la fiction du
chant des muses est heureusement rappelée en terminant. La trans-
position de ces vers s'explique naturellement par les additions qui
ont été faites au morceau sur les rois après le v. 87. Si cet épilogue
a été placé Ici, c'est que, de bonne heure, la Théogoniea cessé, pour
ainsi dire, d'avoir une fin, puisqu'on l'allongeait indéfiniment par de
nouvelles généalogies. On a d&alors rassembler au commencement
l'épilogue ou las épilogues dont on se servait ordinairement, à coté
des diverses introductions qui étaient aussi en usage.
616 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

sur le mont Olympo. Ce morceau est absolument indé.


de ce qui suit. Il consti;
pendant do co qui précède et
tuait par lui-même un troisième début complot, fort
bien approprié à une récitation do la Théogonie; et
comme il représente les Musoa chantant non soute-
mont les dieux, mais aussi los héros et lesgéanls(v. 50),
il semble convenait lorsqu'on réu-
qu'il particulièrement
nissait dans une môme récitation certains morceaux
des Catalogues ou de quelquo Gigantomachie à la
Théogonie proprement dite».
I,« juxtaposition do ces trois introductions poétiques
dans l'introduction actuelle montre asse* par quelles
vicissitudes a du passer le poème. Attendons-nous donc
à en retrouver la trace dans quelques parties au moins
de l'énumération théogoniquo elle-même.
C'ost le poète de la première introduction, le disciple
dllésiodo, qui est pour nous l'autour principal du corps
du poème. Sos vers nous l'ont déjà fait connaitre.
Homme simple et attaché aux traditions, il tient des
Muses une mission qu'il veut remplir sa poésie, dédai-
gneuse dos fictions brillantes ou dramatiques, est unique-
mont au service de la vérité. Un immonso enchaîne-
ment do généalogies s'offre à son esprit non do simples
généalogies humaines, mais les lignéos mêmes dos
dieux; dieux du ciel, dieux des eaux, dieux de la terre
et des montagnes, dieux d'autrefois et dieux d'aujour-
d'hui en somme, tous les temps et tous los lieux, la série
des siècles et l'immensité de l'univers. Est-il insensi-
ble à la grandeur do ce spectacle idéal qui est son sujet
même? Assurément non; mais on ne peut nier que le
l. II sembletrès probableque ce cbantétait quelquefoisdétaché
de la Théogonie après qu'il y eut pris place, et réeitô commeun la
hymne particulier.C'estcequ'Ouï. MttUera conjecturé{llisl.de.
UU.9> t. 1. p. 187)d'après Plutarque(Proposde tablt, XIV,.l)
'Extojtou«ntovSiî toït Moiff«W
èiWir,irà|«0« xal. «twpaajMV, itpôfrf.v
Wpavlx tov 'HViiîouxk«epit^v t<SvMoDaûv yivwiv.
ANALYSE DU POËME M7

souci do l'ordre et de l'exactitude no prédomine on lui.


Avant tout, co qu'il se propose, c'osl un classement fi-
dèle; contempler ot décrire los dieux n'est pas son
affairo; il a une tache toute différente, tache qu'il a choi-
sie et qu'il aime, c'est do los dénombrer et de les grou-
de noms
per. Par suite, peu d'épisodes, mais beaucoup
assemblés; des familles succédant à des familles, tou-
tes rangées autour do leurs chefs, et gardant leur rang
dans cette sorte de défilé mythologique. Comprenons
bien ce qu'il a voulu, car c'est ce dessein, poursuivi
avec une imperturbable régularité, qui explique la
structure do cet étrange poèmo et qui on fait la gran.
deur.
On n'analyse pas une énumération; mais lorsqu'elle
suit une route définie, on peut en indiquer la direction
allure
générale. Celle-ci a son principe régulateur, son
et ses habitudes; voilà co que nous
propro persistante,
devons essayer d'indiquer brièvement
Et d'abord quelle est, pour ainsi dire, la loi intime
qui règle co défilé dos dieux ? Il n'y on a qu'une, qui
est l'ordre même dos temps. D'âge on âge, en suivant
le poète, nous portons nos regards des afnés aux plus

jeunes. Seulement, dans ces générations si denses,
d'un même père et d'une mémo mère naît parfois tout
un groupe de dieux, quand tous les frères ont été d'a-
bord nommés simultanément, chacun d'eux reparait à
son tour comme chef de famille confondu tout à l'heure
1. La Théogonie a êté analyséeen détail, d'une manièreexplicative
et critique,par Schœmann tout le secondvolumedeses Opuscules
est consacréà ce poème.Voir aussi l'analyse de Bergk, dans son
Bist.dela lillér. gr., et les ouvragescités par nousdansles notes de
ce chapitre.On trouveraun tableauanalytiquede la Théogonie dans
l'atlas (p. 8et 9) que M. Boucliô-Leclercq a joint à sa traductionde
VBist.grecque de Curtius. En outre,il faut mentionnerle travail de
J.-D. GuiRniaut,Dela Théogonie aBésiode,Paris, 1833.etun chapitre
déjà citédu livre deM.J. Girardsur leSentimentreligieuxen Grèce
0. 1. ch. h).
818 CHAPITRE XII. – hK THÉOGONIE

avec ceux do son Age, il revient maintenant, séparé


d'eux, mais entoure de sa descendance. Les frères se
succèdent ainsi, jusqu'à l'épuisomonl de leur généra.
tion. Derrière chaque chef marche toute une phalange
divine, ici les enfants de la Nuit, plus loin los fils et
filles do Thaumas ou de Phorcys, d'autres ensuite et
encore d'autres, troupes nombreuses, qui se pressent
sans jamais se confondre. Le principe qui domine l'en.
semble domino aussi les parties chacun do cos grou-
même
pes se divise à son tour, et toujours selon le
mode. Uno apparente dérogation à la loi commune
nous fruppo-t-ollo ? Regardons plus attentivement;
presque toujours la raison, d'ahord cachée, nous appa-
raîtra. Ce groupe qui no semblait pas à sa place se rat-
tache par une alliance importante à un autre groupe
plus joune; c'ost avec celui-ci, pour ainsi dire, qu'il
entre dans l'histoire, et voilà pourquoi le poète les a
réunis. Son ordonnance générale est droito et simple,
mais sans raideur. C'est un constructeur savant, si l'on
veut, ou encore une sorte de stratège de l'armée di-
vine, ancétro lointain de Xénophon qui décrira un jour
avec tant de goût les belles évolutions militaires, et,
comme son. descendant, s'il aime à la passion l'ordre
et la symétrie, il l'aime en véritable Hellène, toujours
souple et ingénieuse.
A l'origino des choses, trois êtres primordiaux. Au
delà d'eux dans le passé, il n'y a rien, car ils sont eux-
mêmes le commencement; ni l'imagination ni la tradi-
tion helléniques ne remontent alors plus en arrière.
Quels sont cos trois êtres? Chaos, c'est-à-dire proba-
blement l'espace vide, Gaia ou la Terre, Éros enfin ou
l'Amour. Éros n'a point de postérité Chaos n'a enfanté
que peu de temps; Gaia seule est vraiment féconde.
Les premières générations constituent le monde toute
une cosmogonie se laisse voir en abrégé dans des in-
ANALYSE DU POÈME 519

dications rapides la masse torrostro s'organise, la lu-


mière se dégage des ténèbres, le ciel se déroute au-
dessus des montagnes naissantes, la mer se repose
dans son lit profond. Phénomènes mystérieux, nulle-
ment décrits, mais contenus et comme voilés dans
quelques noms expressifs, Érébos ot Nyx, Éther et Hè-
méré, Ouranos et Pontos « ({16-132).
Alors commence à proprement parler l'immense dé-
roulement des générations. Voici colles qui procèdent
d'Ouranos ot de Gaia tes Titans, tes Cyclopes, les Hé-
catonchircs. Ici un épisode, la révolte des Titans con-
tre leur père Ouranos. Quelle en est au juste la portée Y
?
Rien ne l'indique est-ce une révolution céleste à pro-
prement parler, un pouvoir nouveau succédant à un
pouvoir ancien? Ainsi l'interprète la mythologie des
temps postérieurs; mais le poète lui-môme n'en dit
rien. Son Ouranos n'est pas un roi du monde, ni son
Cronos un usurpateur. Tout à son œuvre de nomencla-
ture, il a rapporté en passant un vieux mythe néces-
saire, et sans l'expliquer davantage, il continue sa
route. Avec les lignées de Nyx et de Pontos, une série
s'achève: les premiers nés de l'univers ont épuisé leur
fécondité (132-336).
C'est le tour des Titans, Okéanos, Hypérion, Crios et
Koios, puis Cronos. Si Japétos est omis pour le moment,
c'est que sa lignée s'est illustrée uniquement par ses
luttes malheureuses contre Zeus, le plus puissant des
Gisde Cronos. Laissons le poète nous faire connaître les
Cronides, et quand Zeus régnera sur le monde, les en-
fants de Japétos auront leur tour.
Avec les Cronides (453), un ordre de choses nouveau
semble commencer. Aux dieux primitifs qui n'ont ja-

i Sur la cosmogoniehéssodiqne,H. Flach,Da Sys&mder hesiodis-


chenKosmogonie,Leipzig,1874 Th.H. Martin, Mémoire sur la cos-
mographiegrecqueà l'époqued'Homèreetd'Hésiode,
1874.
5S0 OHAPITBB XII. – LA THÉOGONIE

mais eu d'autels, succèdent ceux dont le culte était cé-


lébré dans les cités grecques. Tout à l'heure une mytho-
en voici
logie purement poétique nous était présentée
une maintenant qui est le fond môme de la religion pu-
blique. Mais ce changement, si important pour nous,
le poète en a-t-il conscience ? Nullo différence de ton
ni de méthode, nulle réflexion qui arrête l'esprit, nul
indice, si légor qu'il soit, qui éveille la pensée, De gé-
nération on génération, il a passé des dieux d'autrefois
aux dieux d'aujourd'hui, voilà tout. Les critiques peu-
vent diviser ingénieusoment son œuvro et lui prêter
la conception do grandes périodes distinctes: sa peu-
sée lui reste obscure ou il n'a rien su de tout cela,
ou il n'a pas exprimé ce qu'il savait.
S'arrètera-t-il au moins à nous raconter en détail
l'avènement de Zeus ? Un commencement de récit lui
suffit. Zeus, sauvé par sa mère Rhéa, grandit en Crète,
il dé-
ignoré do son père Cronos. Devenu fort et hardi,
livre ses frères et rend la liberté aux Cyclopes. Ceux-ci,
à la-
par reconnaissance, lui donnent la foudre, grâce
entre Cro-
quelle il règne sur le monde. S'il y a ou lutte
nos et son fils, le poète n'en dit rien. Cet avènement
de Zeus est le plus grand fait de toute l'histoire mythi-
que on est surpris de voir à quel point il s'accomplit
sans bruit et combien le récit lui donne peu d'impor-
tancù.
Nous revenons alors à Japétos (507). Sa lignée per-
sonnifie l'humanité d'une manière à la fois grandiose
et tragique. Les quatre fils du Titan sont Atlas, Ménoï-
de
tios, Prométhée et Épiméthée, tous quatre ennemis
Zeus, révoltés contre lui, châtiés par lui mythes pleins
d'attrait pour nous, vivifiés en quelque sorte par un
sens hardi et obscur. Pourquoi ici encore la poésie hé-
une belle
siodique ne rompt-elle pas ses lisières? Voici
occasion de prendre l'essor elle n'ose pas, ou ne com-
ANALYSE DU POÈME 691

prend pas. Plus que jamais, elle s'onformo dans sa


concision symétrique; quelques mots seulement, comme
un sommaire rapide d'anciens récits bien connus, c'est
tout ce (ju'ollo accorde au sort de chacun des quatre
frères. Seule, la légende de Prométhée est un peu plus
développée mais ce développement même appartient-il
à la Théogonie primitive ? En partie peut-être, mais non
pas dans son entier; on sent assez, avec un peu d'atten-
tion, qu'il a été doublement grossi, soit à l'aido du
passage analoguo des Travaux, soit au moyen do
réflexions parasites
D'où vient donc que ce poète de généalogies, nomen.
clatour obstiné dans ses filiations, semble tout à coup
déroger à son principe? Les lignées des Titans sont
finies. Parmi los enfants d'Ouranos, il n'y en a plus
que deux, Thémis et Mnémosyné, dont il n'a encore
rien dit; l'une et l'autre figureront plus loin parmi les
épouses de Zous. Pourquoi donc ne nous fait-il pas con-
nattre immédiatement les enfants de Zous et d'Hère,
tels qu'Ares, Athèné, Héphaistos, qui ont pris place
dans l'Olympe?q
Ici encoro, essayons do le bien comprendre. Au fond,
si l'ordre dos temps règle sa marche, c'est avec l'aide
d'une autre idée sous-entendue qui détermine plus ou
moins le choix des noms et des épisodes. Obscure jus-
qu'ici, elle se dégage à présent plus clairement. Tout
en racontant le passé, c'est le présent qu'il a en vue.
Au moment où il compose, il se représente l'univers en
paix, peuplé de dieux qui acceptent la domination de
Zeus et règnent sous son autorité. Ces dieux sont iné-
gaux entre eux il faut quo leur histoire rende compte
des attributs et du degré de puissance de chacun. L'u-

t. Il est assez probableque le développementle f>H>«


ancienRe
terminaitau vers534.L'énumérationqui précèdeest complèteetse
suffità elle-même.
53à CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
nivora est en quelque aorto le patrimoine primitif d'Ou-
raiios et de Gaia; de génération on génération, ce bien
de famille s'émiette entre les enfants des enfants, pos.
térité innombrablo toujours croissante. Il y a des
répartitions à l'amiable et des disputes, des arrange-
ments et des violences. La Théogonie, pour ce Béotien
pratique, n'est que l'histoire idéalisée d'une grande fa-
mille et d'un domaine trop étroit. En définitive, tous
ces dieux, si variés de nature et de caractère, de forme
et de puissance, ont fini par prendre chacun leur place
mais il y a eu quelques procès bruyants, qui ont été
réglés à coups de foudre, et il faut bien que le poète
nous dise comment.
Deux grands événements ont établi le règne do Zeus
sa victoire sur les Titans et l'écrasement du monstre
Typhoeus. Si les généalogies s'interrompent, c'est pour
faire place à ce double drame nous no sortons pas de
l'histoire domestique des dieux, car c'est entre eux
qu'ils se battent et qu'ils s'allient.
Au reste, dans le drame même, notre poète reste
bien ce qu'il était. Ce n'est pas la bataille qui l'intéresse;
il préfère les négociations. Sa Titanomachie (617-720) 1
n'est pas, comme on pourrait s'y attendre, un récit
complet de la guerre des Titans contre les dieux. Pour-
quoi cette guerre? Il n'en dit rien; rien non plus des
péripéties qui se sont déroulées pendant dix ans une
seule chose l'occupe, l'acte final, c'est-à-dire l'alliance
de Zeus avec les Hécatonchires et la victoire qui en
est la conséquence. Toujours préoccupé du résultat,
nous le trouvons ici tel qu'il est partout. Briaréos,
Cottos et Gygès, jadis enfermés par Cronos, sont déli-
vrés par Zeus; un traité est conclu entre les libérés et
le libérateur. Alors la bataille décisive s'engage, ter-
i. En désignant ainsi ce morceau,nous n'entendonsanennement
l'isolerdureste.
ANALYSE DU POÈME 523

minée bientôt par la défaite des Titans; et leurs véri-


tables vainqueurs, les trois Hécatanchires, les enfer*
mont dans le Tartare. Au milieu du récit, un épisode
brillant se détache, celui do l'intervention personnelle
de Zeus (v. 687-712); mais appartient-il à la composi-
tion primitive? On peut en douter la plus ancienne
poésie théogoniquo avait-elle de ces grands éclats • ?y
Passons rapidement sur la partie descriptive et con-
fuse qui fait suite à ce récit dans le poème actuel (721-
819). H semble que le nom du Tartare, où les Titans
viennent d'être enfermés, ait éveillé l'imagination d'une
série de poètes ou excité l'industrie d'une série d'arran-
geurs, qui ont rapporté ici une véritable collection de
morceaux descriptifs. Voici le Tartare à la
(721-74S),
peinture duquel il semble que tout le monde ait mis la
main à la fois; voici le séjour d'Atlas ( 746-766); la de-
meure d'Itades, gardée par le chien qui ne permet à
d'en sortir (767-774);
personne puis celle de Styx, une
voûte de rochers soutenue par des colonnes d'argent,
et à ce propos quelques détails sur les serments des
dieux (776 806); enfin la description d'un lieu sans nom,
où nous sommes tout surpris de retrouver les Titans
tout à l'heure enfermés dans le Tartare; près de là sans
doute, « aux fondements de l'Océan », Cottos et Gygès,
les vainqueurs du dernier combat (811-819).
». La plus grave objection contre l'authenticité de cet épisode, c'est
qu'il s'accorde mal avec le reste du récit Zens semble y déeider la
victoire par la foudre; mais la foudre n'est pas nue arme nouvelle
entre ses mains, et pourtant la guerre est censée durer depuis dix
ans. Si cette arme le rend invincible, pourquoi n'a-t-il pas vaincu
plus tôt? Pourquoi a-t-il du recourir aux Hécatonchires? Le rôle de
ceux-ci devient même inutile; or tout indique, dans le reste du récit,
qu'il a été au contraire conçu comme décisif. En outre, ce morceau,
qui est beau, ne l'est pas comme les autres parties de la narration
il vise bien plu» &l'effet. Kmchly le considère, avec
beaucoup de
vraisemblance, comme intercalé par un poète qui aura voulu grandir
le rôle de Zeus, trop sacriûé par le premier narrateur aux Hécaton-
ehirea.
534 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

Rien no ressemble moins à la fermeté de dessin, si


manifeste jusqu'ici dans le poème, quo l'incohérence de
cette partie. Il ost clair que nous n'avoua plus affaire à
l'auteur de la Théogonie. On dirait qu'un premier au.
dacieux ayant fait une brèche au monument pour y in-
sérer un ornement do sa façon, vingt autres, suivant
son exemple, sont venus apporter tour à tour, dansl'ou-
verture béante et sans cesse élargie, des matériaux de
toute sorto. Personne no pourrait entreprendre aujour-
d'hui sans témérité d'en démêler la provenance.
Si nous retranchons par l'imagination toute cette par-
tie, la suite des idées se rétablit. Zeus a maintenu, mal-
le pouvoir souverain qu'il
gré la révolte des Titans dans un dan-
s'était approprié. Une seconde révolte le met
Gaia elle-même suscite
ger plus grand encore (820-868).
contre lui un monstre épouvantabîo, Typhoeus, en qui
semble se personnifier la violence dos tourbillons. La si.
tuation est au fond la même que précédemment; los
circonstances seules diffèrent mais cette ressemblance
n'a pas lieu do nous surprendre do la part de l'auteur
de la Théogonie, le plus systématique des poètes et le
dans son état actuel, le ré-
plus ami de la symétrie. Si,
cit est loin d'être satisfaisant, il paraît aisé, sinon de le
restaurer entièrement, du moins d'imaginer ce qu'il
devait être. Gaia enfante Typhoous que le poète décrit
et il l'au-
(820-835). Le monstre se dresse contre Zeus,
rait renversé, si le dieu ne se fût avisé d'un moyen de
salut inattendu (835-838). L'exposé do ce moyen ainsi
annoncé s'est perdu; mais nous le devinons facilement
par le reste du récit. Zeus délivre
les Cyclopes comme
il a délivré précédemment les Hécatonchires, et il ob-
tient d'eux la foudre ». Ainsi armé, il dompte et fait
des vents
périr son ennemi (852-868) •. ï-a généalogie
1. C'estcequi a étéannoncéplus haut an v. 141.
2. Cerétablissementnécessairedu récit primitifsupposequequel-
ANALYSE DU POÈME 525

funestes (869-880), qui sont fils doTypIioeus, nous rap-


pelle que cet épisode fait partie d'une oeuvre surtout
généalogique.
Après ces deux victoires, Zeus est roi et assuré de
son pouvoir. C'est le moment pour le poète de nous dire
la naissance des derniers Olympiens (881-929). Zeus
s'est uni successivement à Mètis, à Thémis, à Eury-
nomé, à Dèmètor, à Mnèmosyné, à Lèto, et enfin à
llèré. Ses enfants s'appellent les Saisons, les Parques,
les Charités, Perséphoné, les Muses, Apollon et Arté-
mis, Ubbé, Arès et Ilithyo. En outre il a donné nais-
sance, seul, à Athèné et Hère, seule, à Héphaistos.
Voilà donc l'Olympe au complot. Le poèmo primitif de-
vait finir là.
Qu'est-ce donc que les cent vers environ qui en forment
aujourd'hui la dernière partie ? Évidemment une addi-
tion ultérieure, ou plutôt une série d'additions. Nous
y voyons figurer d'abord une sorte do complément
des généalogies divines (930-962), mais ce complé-
ment n'a plus rien do l'ordre si frappant et si ré-
gulier qui règne dans tout le poèmo. Le poète va au
hasard et s'égare dans une énumération confuse, dont
une partie était déjà rejetée par les critiques alexan-
drins. Les mortelles, comme Sémélé, Alcmène, Ariane.
Médée, paraissent ici à côté des Immortels. Nous reiN»
controns môme une lignée d'Hèlios, qui, si elle eût fait
partie de la Théogonie primitive, y aurait figuré certai-
ques vers ontété perdus et d'antresintercalésmal à propos.Quel-
ques-unsde ceux-ci sont empruntésà la Tilanomaehie (846= 695,
848= 681) d'antres ont pu appartenir au récit primitif.Quantà la
raison dece bouleversementelle est analogueévidemmentà celle
qui a fait introduiredans la Titanomachie, commenousl'avonsvu,
tout un épisode.Ona voulugrandir le rôle de Zeus,lui attribuerà
lui seulle méritede sa victoire,et, pourcela, on a supprimél'inter-
vantiondes Cyclopes.Cedieu qui a besoin toujoursde quelqueauxi-
liaire suffisaitau poèteprimitif;mais, un peuplus tard, on'futscan-
dalisédele voir si peucapablede se tirer d'atiaireà.lui tout seul.
536 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

uomont à la suite de la lignée d'Hypérion (371-374) et


non ici. Vient ensuite une Béroogonie (964-1032),
énumération des unions contractées entre déesses et
mortels. L'origine relativement récente de ce morceau
a été reconnue d'une manière à peu près unanime De
ces unions sont nés les héros. Nous sortons donc ici de
la Théogonie proprement dite pour entrer dans la sé-
rie des généalogies héroïques. Les doux derniers vers
du poème montrent qu'en effet les Catalogetes, dont
nous parlerons plus loin, étaient reliés à la série des
générations divinos par ce morceau intermédiaire il y
a lieu de croire dès lors qu'il avait été composé juste-
ment pour sorvir à cette liaison.

III

Une chose ressort manifestement de l'analyse qui


précède c'est que la Théogonieno peut pas s'être faite
peu à peu par une collaboration lente et multiple. Le
lien des diverses parties consiste en une combinaison
trop solide et trop rigoureusement suivie pour n'être
pas due à un seul autour. On ne comprendrait pas une
succession de poètes s'assujettissant ainsi à une même
méthode, et observant dans leurs compositionsle même
principe, sans jamais s'en laisser détourner par aucune
fantaisie
1. Marekscheffel, ouv. cité, p. 90 et suiv.
2. 1a question de l'unité primitive delà TMogonie doit être étudiée
principalement dans Scbœmann, De compositione Theogoniae, Opusc,
t. II, p. 419-509.et dans Kœchly De diverti* hesiodeae Theogoniae par-
Mu», Zuricb, 1860, bien que noua n'acceptions d'ailleurs les conclu-
sions ni de l'un ni de l'anU-e. Sur les interpolations et lacunes, con-
BnHoTSohœmann,Ueinterpoialianibus TheuyQniae,Oputc, H, p. 425-
«64, et Goettling, Praefat., p. sssxx. voir aussi Fiok, Besioih Ce-
diehte, p. 6-42,qui a cru restituer a la vraie Théogonie ».
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME 537
Il faut ajouter que chacune des parties, prise en elle-
même, est trop peu de chose pour constituer une œuvre
indépendante. Elles n'ont do valeur et de force qu'à la
condition d'être assemblées, comme elles le sont dans le
poème actuel. Quelques-unes des lignées énumérées se-
raient môme absolument insignifiantes, séparées de
celles qu'elles complètent: celle de Crios a trois vers,
celle de Koios en a sept; mais l'une et l'autre sont in-
dispensables dans l'ensemble des généalogies des Ti-
tans, qui remplissent presque tout le poème. Enfin le
parallélisme même de toutes ces lignées serait inexpli-
cable, si l'on n'admettait qu'une intelligence organisa-
trice a tout distribué il y aurait des rencontres, des
contradictions, des confusions; certains noms appartien-
draient à la fois à plusieurs généalogies distinctes;
d'autres, qui sont indispensables, ne se trouveraient
nulle part. Le monde divin, dans la Théogonie, offre
l'aspect d'une belle et nombreuse armée, rangée comme
pour une revue; chaque groupe y est à sa place et ne
comprend que ceux qu'il doit comprendre comment
admettre que des bandes, venues successivement de
côté et d'autre, eussent pu réaliser spontanément une si
exacte ordonnance ?q
Mais il faut aller plus au fond des choses. On pour-
rait, tout en reconnaissant dans la Théogonie l'œuvre
d'un organisateur, supposer qu'il s'est contenté de dé-
couper dans des poésies plus anciennes, hymnes ou ré-
cits, les morceaux qui convenaient à son dessein, et que
tout son travail n'a consisté qu'à les coudre ensemble.
L'analyse du poème se prête-t-elle à cette hypothèse?
Nous n'hésitons pas à dire que non.
Le caractère synthétique et panhellénique de la
Théogonie, tel que nous l'avons signalé tout d'abord, s'y
oppose manifestement; et ce caractère, qu'on veuille
bien le remarquer, n'éclate pas moins dans les détails
538 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

(juo dans l'ensemble. Prenons par exemple un des


morceaux qui sembleraient los plus aisés à détacher
du reste, la généalogie de Pontos (333-336). Nous avons,
en une centaine do vers, le groupe à peu près complet
des divinités ou des personnifications mythologiques qui
ont rapport à la mer. Ne pourrait-on pas admettre que
c'ost là un développement complet en lut-môme et in-
dépendant à l'origine, que l'organisateur de la Théogo-
nie s'est contenté d'annexer toi quel à d'autres déve-
loppements du même genro? Qu'on y réfléchisse. A
coup sûr, on se roprêsonto aisément des légendes loca-
les traitées ainsi isolément. Si nous trouvions, par
exemple, on un groupe, un certain nombre de légendes
divines d'origine béotien no ou locrienue, ailleurs des
iégoudes thossulionnos, ailleurs encore des légendes
Cretoises, il serait bien naturel alors du supposer qu'on
eliet chacun da ces groupes aurait existé comme poésie
roligiouse indépendante, avant d'être incorporé a lu
musse commune. Mais en ost-il ainsi Nullement: le
i|roupoque nous étudions ronferinodosdivinilésde toute
provenance. Ce qui en fait l'unité, c'est quo ces divi-
nités appartiennent toutes à une mémo gronde section
do l'univers: c'est un des compartiments du Panthéon
hellénique, et la Groco tout entière a contribué a lo peu-
pler, il y a donc synthèse dans cette petite partie do lit
Tluhiijonic, aussi bien que dans l'unsembla. Cela étant,
voici ce quo suppose lit théorie que mm» discutant*.
Kilo nous demande de croire qu'à un certain moment,
il y a eu eu iireco nombre de poMimqui ont été frappé»
biniiiltanéinoiitde l'utilité d'uni» ttyuth^Ho théngoniquii
ut uloru, tmiiHtt'oln» coucnrtéH, ils ho hoiiI tu bien euteii-
dtiH «t <imn(*ri»,fjM» l'm» » groupé d'iipi'o* i«» pii»<i|ttt
hm dieux do ht uiiu', uu ituti't» ceux du m\> tin iintti<
iturnin î«iàv»>iitS,f4 îii««i «Jbswite; «littl»w» mtmHU»»»*;
lu ïht'iitjtwe «)tMii|i|Mi»t> putUiti fuiiih! h luirn; t*»i»l»fi*
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME 529

les parties do la charpente étaient taillées, il a suffi de


les ajuster. On pensera sans doute avec nous qu'il suffit
aussi d'ajuster toutes les parties d'une hypothèse do ce
genre pour qu'elle s'écroule aussitôt.
Donc nullo hésitation possible sur ce point essentiel
II y a eu un poète, quoiqu'il soit d'ailleurs, qui a conçu
la Théogonie en entier, comme un développement con-
tinu, et qui a réalisé cotte conception. dans lu poème
que nous possédons. Il a rassemblé un jour devant son
imagination toutes les légendes divines, toutes les tra-
ditions qui lui étaient connues il les a comparées, ju-
gées il a fait son choix parmi otlos, et do cette matière
confuse il a tiré une œuvre systématique, dont toutes
los parties sont liées entre ellos. 11estévident qu'un toi
travail n'aurait pas été possiblo, s'il n'eût été préparé a
la fois par un mouvement des esprits et par un certain
nombre d'essais partiels. Mais ni ces essais ue nous sont
connus, ni ce mouvement n'est attesté pour nous par
dos faits quo l'on puisse citer. Nous voyons un sérieux
effort et un remarquable résultat comment l'un ot l'au-
tro sa sont-ils produits? Nous l'ignorons. Il faut reeon-
nailru la grandeur do l'œuvre et rononcer à en décou-
vrir Ios antécédents immédiats.
Du moins, nous no devons pas rendre le problème
plus obscur micoro, en prêtant it l'auteur do lit T/téi-
f/onie dos idéos philosophiques qui un mmt pas réelle-
ment empreintes dans Ha composition. Il y n ici uno
uicmurndélicat» n garder; «w il ml égulommit innwl
do diro qu'il «ut tout a fait philoNophiHtt qu'il no l'union
litimimt ftiQiMl
A 'toup hAt, hou idoo fouiliitiitMitiilo, etdlo d'tiuiilor H

».futrI» ImiiUiiom t\wh|i|iiImmh"»


>l»lu ïMn((i>»i*,
|ilitliwi(ihii|ii(i
illVUlitOt
l.|(( rt|*t'>|Hllll^'M:V(ltl'llKiMMIMIMIl» *•" "
MlJHHIIHUIII,
|i tnt «I m\u •f'iMr.ii n<nt#»t ih-rw-uttiwhmtimm^uonin, \< n, '* in
Ul.l, PHP.fltJ, |4 Mn»HH(»-
Mutrf«l« Mil lli-.(iiu II 1 Utt
530 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

de simplifier la mythologie, a en elle-même quelque


chose de philosophique tendre vers l'unité, c'est tou-
jours tondre vers la science. En outre, il est incontosta
ble qu'on entrevoit, derrière eet immense déroulement
de généalogies, une idée plus ou moins claire de l'orga-
nisation progressive du monde. Al'origine, il n'y a pour
le poète que deux choses, la matière et le vide, une
substance et une condition d'existence. Il y ajoute un
principe d'union, Éros. Il est vrai qu'il semble ensuite
l'oublior; mais le soul fait de l'avoir nommé ainsi au
début est de la plus haute importance Éros, antérieur
à toutes les générations divines, les domino toutes;
il est lit personnification mythique d'une des grandes
lois de la vie. Admettons, si l'on veut, que ectto idée
n'appartienne pus au poète, qu'il l'ait reguo toute faite
et qu'il no l'ait peut-être comprise qu'a demi; il n'en
reste pas moins que nous trouvons la une trace incon-
tostablo d'une philosophie naissante, dont il a subi l'in-
iluonco ii quoique degré. Une clarté se montre à nous
et disparait. On so demande s'il n'on sait pas plus qu'il
ne veut ou diro, ou au contraire s'il ne répète pas des
choses qui lui échappent en partie. Kt il un est munide-
puis lit commencement du son oxposéjiiKqu'a ta tin. Su
poésie est un voit», derrière lequel on doviue une nii-
gertftndéjà Eu'illuute mais ht voile est épais et richement
hroilé, et l'oit ne naît Htla voix qui iioiih décrit lin»ro-
piVmenlutit'HH dont il «Htorné vient du cAto delà humain
nu du «tiUédo INimhro. h» mutilation d'Oiinuicm,lu Au-
l'ikite(UmTitan», lit vieluire déilnitivu do Zeua iipifml'»t
dl'UKUlUOitt ileTjjthniiua.tniia mmKiiuuU«vAnom«llt« «(•••
Httsucridlt'litamtihNtt l'tett Hymlm|inut'luu |ihitttuupiiitrii
|ml«Ktl'Mii»Avulnlimi qui vu do h viithmit» h l*t |t»U.
dit iltiKiinliuh riiuiMMmjii, 'hm lAiiMtntH h h IimuUuk
VA(imm(MhH( JOi«ijt»sM«iV(t»H ftu'ruti« »'wMi«
pvuImUhm rtit*H»t'
UHiiitouHlAtu» (lii'di'.llicfiU "Min
illul^VI'|n|i|tlHM!inf,thli'l|H
UNITÉ PRIMITIVE DU POÈME E8t

ble que l'on va trop loin. Si la poète on avait claire-


ment conscience, dans quelle intention la cacherait-il?
Quand do telles ponséos s'établissent dans un esprit,
ellos y exercent l'empire. Si ellos se dissimulent dans
la Théogonie,n'est-ce pas parce qu'elles étaient obscures
pour l'intelligence qui ;Pa conçue? No disons donc pas
quo l'unité du poème est dans le développement d'un
système fonda sur l'idéa do progrès; non, elle est sim-
plement dans la succession dos généalogies; mais ces
généalogies révèlont une philosophio latento dont 10
poèmo a profité.
Nous croyons même qu'il faut y chercher la raison do
sa naissance Rion do plus inoxact quo do se représenter
lu Théogoniecomme une œuvre liturgique destinée à
fournir des hymnes aux cérémonios roligicusos Le
poème n'a rien do roligieux il proprement parier. Il vise
manifestement à l'instruction, et non al'édilicalion. C'est
lo besoin de savoir qui l'a suscité, et c'est fi co besoin
qu'il s'est proposé do répondre. Avant d'être lu, il a dû
tUrorécité comme un chant épique, devant le mémo pu-
blic et par tes moines interprètes, Do là les uiwoi.sHO-
monts et loi remaniements dont nous avons pu donuor
une idéo onl'analysant. Musil conquit d'autorité, plan lit
Imitation fut fort» pour «oux qui In rédtuiont d'y insé-
rer soit dtm fragmeulH d'autres poésies, suit don itom-
|t|éiueiitsdo leur propre iuvttntiou. Et il «liiton Atrouiimi
jiiHqu'aujour ou il y ont un texte déHiùtivoiiioutumMé,
<tmt-Miro nout-ntv»jusqu'aut(MM|ittd<»l'iNintrulo",
Toulon wt* iiliHnmUiitiit»iltHurmiiuint«l'uuomiutUno
lu Ththnionif,Ntinuuvmumilil
n|t|ii(i)»iiitutivo IimIuIimIm

1. <t~4(''t)'it't")'f!<t')'H~"M)'<'<))" Iti4~ tif4


111'/1 1'1111111111 ."UtlMI",I,! (,H', n Nilil Il h'tIIH" 1111 MillIlll'" l'ml

'<)'4t<4tt))K)Mt~')t<t)tft't(t~)~t't"t~("t't't)~)t"f<ft"t't
~))4t.,))t)ti.)))')t.~).tt)«'~HtXt'))t)Wtt)~)''<'<<A"M~.
CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE
588

déjà qu'oHo n'était pas d'Hésiode et qu'elle était pos.


térieure a co poète. D'après le témoignage formel du
Pausanius(lX, 31), los Béotiens de l'Hélicon no recon-
naissaient comme oeuvre authentique d'Hésiode que los
'travaux. Si l'on songe à la tendance qu'avaient toutes
los cités grecques à revendiquerla gloired'avoir vu naî-
tro les grandes compositions poétiques, on no peut nier
que ce désaveu n'ait en réalité, quoiqu'onen ait pu dire,
une certaine gravité. Le premier début do la Théogonie,
tel que nous avons essayé de lo rétablir plus haut, est
encore plus décisif.Celui qui l'a composé se donne pour
l'autour du poème, et il se distinguo d'Hésiode il faut
réellement faire violence au texte pour en tirer un
autre sens. Sa façon de parler laisse môme entendre
que la gloire d'IIésiodo est déjà pourlui dans un lointain
plus ou moins profond,et qu'il se propose do la rajeunir.
llten d'ailleurs n'est plus conforme à la vraisemblance).
L'oll'ort d'abstraction ost plus grand dans la Théogonie
quo dans tes Travaux on sont qu'on y est plus près
des premières tentatives do la science. Et toutefois, il
est impossible d'attribuer à lit Théogonieuno dato trop
récente. Goux quiconsidèriuil co poème comme hnuvrr
d'un simplo nrranguur sont seuls on droit d'admettre
ihihhîqu'il n pris imiHMinctttardivement. En réfutant lu
première opinion, nous avons implicitement rejeté I»
Hommdo,II y a mmnaïveté dit croyant'» ot do ooiKtoptitui
daim mu goiiéulogiiiHtlivimm,qui no p<trm«tt\>m<Iomii|i-
pOMttr «|IM>M |'timitl'<|MttllU» «HHUi tlt>ttyiltlltm»Itjt |U| H"
pioiluiii»iHUtuotuip (tprim ht liiiilièmtt mMh, I.h h'iivuil
dtt l'Uitttutlt»ttdu (ittn«i»tm'miii|iniiinml mi hua i AvUiou
du ti>xttf,nin^irt*tiH'itibint|ifiiitnilt>mm d«mtui|ti<»cutln
iltm|iMfi|inmIttHtti'i»ii|td"*li tu»(tout tMn»(iiumUmi,ilmt<
hmpmm )lnttiluti* itfiH,i»iiltMirt'inlitut ni miAiimmISu H*»"»
linti iitmvulhi
MÉRITE POÉTIQUE 533

IV

It résulte de ce qui précède quo la Théogonie a une


beauté do structure qu'elle doit à l'idée profondo d'où
oilo ost sortie. C'est un genre do beauté sévère quo les
Grecs semblent avoir senti, mais qui échappait déjà
aux Latins, et que les modornes ont encore plus do
peine à goûter. « La plus grande partie du la poésie
dilésîodo,dil Quiulilion,noconsiste qu'en énumérations
do noms » Évidemment celui qui parlait ainsi
n'y
trouvait pas grand charme,ot nous croyons que do nos
jours bien pou do lecteurs seraient d'un autre senti-
ment.
Maisil faut se dire que ces noms, insignifiants pour
nous et par suite monotones, étaient pleins do vie pour
lo poète et ses auditeurs. Chacun d'eux lour rappelait
millo souvonirs, «veillait duua leur aine mille senti,
ments confus, et y faisait surgir eu foule dos imagos
do toute sorte. Ils étaient charmésd'ailleurs do tes voir
ainsi groupés; cet ot*«Ii>o ximplo ut harmonieux, qui
distribuait les dieux en famille*, donnait satisfaction a
un htmoiudes esprits. On était heureux du mmtir
qui»
désormaisou les connaissait mieux, que l'imiuenHtido-
muitw tin In mythologie était miiintuuant faeilo !»
par-
•loiiiii', ot qu'on pouvait s'y l'utrnuvoi' buiih tnienuo
l'tiiuo, Ui\m uuti loligioii qui n'avait |toinl il«>liv»o mh
fié, m»|i(if)iiiu t'iniiliiit lin* H'oyanh t|Mti|tt»«t<f-itM>i «Jom
Ht«»vi(i(ia«jM'ilH«iuuitmt |iu iiUitMihoil'itiito^M*rovol»'»,
M!«•»i'ttitmtigtmiiwsw »slm\{\ ts\ itt'faijttjwimv \w\wm\\
<lo v-\ww*i|iii M<><Mi|)i(ii'iil lintr luiitHiimliiMi.Wl, iittliV
liuitdiiOHUUUt .(«l'.ojljé»^,»», III»,»,}!. »»,,{,«,»,““(
1 1Il,ÜII, 4. )<i< 1:o1H¡.¡1I1i1"1t'11<1'III"111111'11111
(y1t`f.vllt!itliy
ost CHAPITRE XII. LA THÉOQONIE

dos noms dans chaque vers, la symétrie ingénieuse


des groupes, la fine variété des consonnances dana les
énumérations, lo choix et la splendeur des épithètes,
tous cos menus artifices, auxquels nous faisons à peine
attention, aidaient leur mémoire et donnaient du prix
aux plus petites choses».
Si étrangers que nous soyons naturellement à cette
façon de sentir, nous pouvons encore nous la roprésen-
ter, tout au moins par moments. Lorsque lo poète énu-
mère par oxomplo les cinquante filles de Nérée, ost-ce
une simple liato de noms que ces vers, si curieusement
construits, où apparaissent successivement, avec leurs
dénominations expressives, les graciousoshabitantes do
lamor?t

«.Dorisot Panopô et la charmantoGulatôa, – Hlppo-


thoô, viurgo aimablo, et Hippnnoâaux bras de roso, – et
Kymodocô,qui sur la mer assombriepar les nuages – apalso
les flots et calmele rouHIopuissant dos vents, – avec sa
sœur Kymatoh'iRô, tivooAmpititritoaux beaux pieds –
Kt Kymo et Eïonô,et Allniédôa lahollocouronne, Olau-
oonomâsonrlnntn et Pontoporôln.–Llagoro.ftvagorôetLao-
môdMn,–Polynôme, AutonoôotLyriannHsa.–Rvurnâi\ lit
ot au vianff»ruvlfisant>.»
taillct«raolflHHo

ToîitnHkmHiiivftntniiiHi,hvoc hnu'Hiiuius hoiiotoh ot


truiiH|tnr<inlH, dout toute trudiictiou olliictt 1« hoiih ot
dofritl^hit lit hiiuiitfl «HtmHo tmivnnt, ou plutôt dUm
Hoiiililttntf^litimu'iiittlhiiiMuitiIumhlu llnl limpido d» lit
ItlMttiO,(ÎIHIMltOlit \U\bl»Ht) lilHl'(!p|^H(t||(*tg|J8MIMlt
(HIHHI,
ut Inn^tua,iIiuihItiBiitilloi'dilolHàm uuiik «|i*'«l-
U|ttflit|Miu
Im»liiihjtniit. H (i<i ottt do KtAiiiuou iiiitiut |iitHHii^s
UVOf.||f>»Viniôltm(('«tflotHitlUltit'H|(ti ||i |iilfl|(t(iVMI|ll(i

l< fi<iu.d'IUUti..
du ituiial..il, u.il itJtùUbi)
i Hluk&Qi U&VW
fih~nl(.1
~N(~9~k~~ir'! ~i Iü~ia(,ti.~
I~4~4:nNflya~7v
;111,ilii;
'p~tt)f. :i·7I!
V1~· ~il~
MÉRITE POÉTIQUE 535

do ravissantes visions, ailleurs des formes tristes et tor-


ribles

« Pêphrido, dans son vêtement aux longs plia, Ênyo sous


son voile ronge – et los Gorgones qui habitent au delà du
puissant Océan, aux oonflns des régions de la nuit, où
chantent harmonieusement les Hespérides – elles s'appel-
lent Sthôno et Euryalô et Méduse, vouée a souffrir ». »

Ajoutons à cela les allusions aux légendes connues,


les renseignements nouveaux et curieux, les récite
épisodiques; autant d'éléments d'intérêt* qui nous tou-
chent à peine, mais qui romuaiont alors fortement des
âmes naïves et croyantes. Toutes ces choses agissant à la
fois, on peut se représenter combien elles devaient être
prises et captivées par un tel poème. Du commence-
mont à la fin, un rave divin se déroulait dans l'esprit
dos auditeurs, un rôvo plein do réalité. Ils regardaiont
naitro et grandir ces superbes famillos de dieux, et, se-
lon lit portée de lour esprit, ils entrevoyaient plus ou
moins sous les mythes tout ce qui s'y cachait on fait
do connaissance do l'homme et du monde. La Théogo-
nie était ù la fois pour eux un spectaclo admirable et
une suggestion perpétuelle: l'imagination, lo sentiment
et la finesse do l'esprit y trouvaient également leur
complo.
v,n niiiih profond do» mythes disparaissait
QutilqiKtfoiH,
hoiih lit fulilo, mais i|u<d<|uofniHuiiHsiil lostait m appa-
rent, si fiitûlo a découvrit', qu'il no pouvait maitqutir
d'nti'd iiiMiiédiiit«tiiiiiiiftitmipriH. Qu'on ho rappoll» par
«x«ii»|i|» la Hiimiudoligué» tlo la Nuit, N'y a~t-il |ium\h
t<tUt«iIHIfH!lllt(!tt|)tMHI (IdllIdlUOlIriltdll lit VIOlillUMlillO?'1
••tm (omMiI'onwtrliMtl fiHlMi'fi||«*i«Mu*i lim Cmiiiioh viigtion
«>t«finilirnH du umllifnir, lu ntitluditi, Itm inquiet ml»»,

t. ~n",tr~lu,k~;lia7~.
536 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

et aussi les mauvais désirs, le mal qu'on subit et celui


que l'on fait.
f La Nuit enfanta la Destinéo odieuse, et la sombre Kere,
et la Mort; elle entama la Sommeil, elle enfanta la tribu
des Songes; sans s'unir à personne, voilà ceux qu'enfanta
la Nuit érébienne. En second lieu, eUe mit au monde Mo-
mos et la Souffrance cruelle, et les Hespèrides qui, au delà
de l'OisAan,veillent aux belles pommes d'or et aux arbres
qui les portent; Némésis, fléau des mortels» naquit aussi do
la Nuit funeste; et après elle, la Tromperie, le Dâsir sen.
suel, la Vieillesse pernicieuse, et enfin Êris au cœur dur »

La confusion môme de cette énumération a son


charme il y a quoique bien au milieu des maux, de
belles images au milieu des idées tristes: cela ressemble
ainsi à la vie, et provoque davantage la pensée.
Toutesces observations se rapportent aux généalogies
qui forment la fond du poème. Mais, à côté des longues
énumérations, nous ne «lovons pas oublier quelques
remarquables morceaux épisodiqucs,où d'autres mérites
sont à notor, plus accessibles au lecteur moderne.
Ces récits ont bien plus que ceux de l'épopée homé-
riquo le caractère populaire. Losaedes homériques.avcc
un sonliment merveilleux du grand art, semblent avoir
au dès l'origine sacrilior dans une narration les faits so-
condairen, passer rapidement sur les explications préa-
lables, et cela pour mettre en lumière Ic.h scènes déci-
sives avec toutes leur* ressources dramatique». Il n'en
est pas ainsi dans la Théogonie. Le poMo ressemble h
«es go»» du peuple qui voiih racontent les préliminaire»
d'une cliimf»ini|iorl(uiUi avec plus dit détnilHqtHila cIiiiho
ftlIn-Mtniitii;loiiiine eu*, il l'uni qu'il ntpportn ci qu'on h
dit iltt pari ni d'milr» nvimt d'iigir, ttt, rnmMu aux
Hm*h •»"«ait lit lajium tur qu'un t'uUuiit (turliu' ttu» |M>r-

f. 1'f'Uff/lll'':'t<<
MÉDITE POÉTIQUE 537

sonnagos. Celte naïveté a son charme chez lui, comme


elle l'aura plus tard chez Hérodote Chez l'un et l'autre,
elle est pleine du vie et do clarté. Los narrations, il est
vrai, y perdent on dignité; elles prennent l'apparence do
simples contes; mais ces contes ont un naturel et une
vérité familière qui rapprochent de nous los inventions
mythiques les plus étranges et nous les rendent pros.
que croyables.
« De tous tes enfants qui naquirent de Gaia et
d'Ouranos,
les Titans furent les plus turribles, et leur père les
prit on
haine avant leur naissance. Dès que l'un d'eux venait au
monde, Il le dérobait, et, l'enlevant à la lumière, il le oa-
chait dans le sein profond de Gaia; et il se réjouissait de son
action cruelle. Elle cependant, l'immense Gala, gémissait,
tourmentée dans ses entrailles par son fardeau. Et elle ima-
gina une ruse perfide et méchante. Elle produisit un élé-
ment nouveau, un métal dur et brillant; elle en fabriqua une
grande faucille, et oonfla son dessein à ses enfants. Pleine
de colère, elle leur dit pour los encourager « Mes enfants,
fils d'un pore cruel, écoutez mes conseils et nous nous
vonge-
rons de sos méfaits car c'est lui qui le premier a mal
ngi. »
Elle parla ainsi et tous tremblaient aucun d'eux n'osait
parler seul le grand Cronos, a l'esprit avisé, plein do cou-
rage, répondit ainsi à sa mère vénérable « Ma mère, ce sera
moi, je m'y engage, qui accomplirai cequo tu médites; je n'ai
point d'égards a observer envers un père indigno de ce nom;
car c'est lui qui le premier a mal agi. » Il parla ainsi; et
l'immense Gaia se réjouit en son cœur ello lo plaça en em-
buscade, ot lui mit dans la main la faucille tranchante, ot
elle prépara tout pour le succès »
Le reste, c'est-à-dire la mutilation d'Ouranoa, «ut
raconté «n quelques mut». C'est que to po&to «horclio la
clarté pliiKque l'intérêt dramatique; il <>Bthistorion «léjn,
Mmt «vaut l'Iiifttoiw, et
ciimmqunur plu» eiifiwo qu'his-
torien. Ji vont définir oxiMstitmwit I» rAItt do cluuuiu ¡
il I» fait hvob min Mitrto d»
hiHihmnioqiii mnirmU* nvw
h nature lins faits rftmmtflH,<>[ « n'ont
|HH'ri«uiiHtqui tio
nlll. "1, tf!<?.
588 CHÀP1TBE XII. – LA THÉOGONIE

sente ce qu'il y a de piquant dans ce contraste même.


Tel nous venons do le voir dans ce récit, tel nous le
retrouvons dans celui du combat des dieux et des Titans.
loi encore, comme nous l'avons déjà fait remarquer, ce
n'est pas la partio dramatique du sujet, c'est-à-dire la
représentation même de la lutte, qui l'attire principale-
ment. Chez lui, cotte description sera courte ce qu'il
tient à nous expliquer en détail, c'est l'idée qu'ont eue les
dieux de recourir à Cottos, à Briaréos et à Gygès; c'est
le traité qui a été conclu par eux avec ces redoutables
auxiliaires, ce sont en un mot, ici comme précédomnuvnt,
les préliminaires de l'action bien plus que l'action elle-
même; nous assistons donc à un entretien entre Zous
et les trois Hécatonchires, comme nous assistions tout
à l'heure à l'entretien de Gaia et do sos enfants

« Écoutez-moi, dit Zeus, enfants illustros de Gaia et d'Ou-


ranos, afin que jo vous apprenne oo que mon cœur me com-
mando do dire. Voici bien longtemps déjà que nous combat-
tons incessamment pour la victoire et la puissance, nous, fils
de Cronos, contre les Titans divins. Vous donc, aujourd'hui,
déployez contre les Tl~ans la force redoutable de vos bras
Invincibles, engagez avec eux une lutte terrible, en souvenir
de notre amitié, on souvenir des maux et de l'odieuse capti-
vité dont je vous ai délivrés, quand ma volonté vous tira dos
ténèbres épaisses pour vous rendre à la lumière, » Il parla
ainsi, et le robuste Cottos lui répondit a Dieu puissant, co
quo tu nous rappelloti, iiouh le savons nous n'ignorons pas
ce que vaut ton cœur, ce que peut ta sagesse. U'«st toi qui
nous as délivrés, nous iminortolH.'d'unottffrouse uiulodiotiou,
et c'est par tes coiihoIIh qu'échappas utix ténèbres àpulssoti,
noua uvonapu sortir do l'affreuse prisait, ou nous souffrions,
6 roi nisdoCroiiOM, dos mnux iiicisprlinablon. Voila unnri|iial
muluUinaiit, ililAlos ot ilovouAi»,nous voua do»»«ron»l» vic-
toiro duiiH lu Itittu tmrlhln, lit noiiH «nmlmttran» oontro l««
'l'ititiih ilaita V(»mniAlâtw furinitHim •,»n

t, ÏM'iicitit, im-M'l,
MÉRITE POÉTIQUE 539

Là.dessus, le combat décisif s'engage, Un aède ho-


mérique no manquerait pas en pareille circonstance de
nous décrire les combattants, d'en distinguer quel-
ques-uns des deux calés, de les faire parler, et de mettre
dans leurs discours et dans leurs actes toutes leurs pas.
sions, Rien de pareil ici. Tout se réduit à une peinture
de la conflagration univorsolle qui résulte delà lutte.
En quelques vers énergiques, le poèto nous montre la
terre et la mer, la ciel et les montagnes secoués et bou-
leversés. H voit les choses on gros et il les exprime do
môme, avec plus de force quo de variété. L'abondance
lui manque, mais il a la puissance do l'imagination et
une magniilconco un pou bruyante, qui produit uno
vive impression

« Au loin, le gémissement terrible do la mer immense, ot


le fraons do la terre sous les coups en haut, lo murmure du
vaste ciel ébranlé on bas, les secousses do lu longue chaîne
de l'Olympe, tremblant lIousl08 pieds dos Immortels; de puis-
santos commotions jusqu'au Tartare ténébreux le bruit épou-
vantable des pas dans l'indescriptible môlée, et l'éoho sourd
des coups violents. Les uns aux autres, ils se lançaient des
projectiles à grand bruit. La voix dos oombattants montait
jusqu'aux astres, clameurs do colore et d'oneourngomant
et ils se heurtaient en jetant le cri do guerre A travers l'es-
pace »
Dans les belles descriptions homériquoH, lo pofao
disparaît; on n'oserait dire qu'il on soit do inumo ici.
Cola tient «uns doute a ce que l'itulour do ce piiNHitgo,
quand il visait à ces grand» ollots d<mm'|ilifH ot druitui-
tiqtiOH, Horttùt un pou do hdh IiiiIiUihIoh ot do mm imlii-
rol.
Nu ai qui eoncttriH» ht luiiftiui, lu 'Mir/wWfmiiiipui'nii

t, ')h<u,i/t,nw,
(m tit hiiIv, Muiihl'iiiiiilynii<|iil(it'àiuVI»,
mm* uvoiih
"innulAm Mnvoftitu Mainloi, doua r>mv
(îniiittioiiM<tit<1t1ltir)n|ii'ii|i<ift|fl
utiUrtMHlit Ï7i*<iw Mit» tfuVIInmkI,ut Ikh |wt|c4 H.Witmi»" ».<i»t
l'Ht'KtMlu
Itt InmulAItitAiHlvutilt lutil,
540 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

aux Travaux, n'offre guère do particularités notables,


sauf peut être une légère prédominance dos formes do-
rionnos1. Le vocabulaire en est moins varié, moins ori-
ginal. Différences qui s'expliquent aisément par celle
des sujets. bloins ancienne que les Travaux par la date,
la Théogorsie est plus rapprochée des hymnes primitifs
par la tradition. Il n'est pas surprenant qu'elle en ait
gardé quoique chose dans sa structure et dans son lan-
gage. L'uniformité du développement do la phrase poé-
tique mérite particulièrement d'y être remarquée. Elle
est si sensible quo quelques critiques l'ont attribuée a
un système de composition strophique*. D'après eux, le
poème primitif aurait été formé d'uno série do groupes
de vers, tous égaux entre eux, et ces strophes auraient
été altérées plus tard par dos interpolations. La difficulté
d'appliquer cette conjecture à toutes les parties du poème
devait suffire à la faire rejeter elle a conduit au con.
traire le plus hardi de ces critiques, A. Kœclily, à une
seconde conjecture plus compliquée encore. Au lieu d'un
seul système do strophes à demi effacé, ce sont deux
systèmes superposés qu'il a cru retrouver; le poème,
selon lui, aurait été d'abord composé on strophes dotrois
vors plus tard cos strophes ternaires auraient été re-
maniéos une à uno do façon à former des strophes de
cinq vers, on même temps sans douto que d'autres stro-
phes quinaires étaient ajoutées double travail, mé-
connu ut à demi détruit dans la suite, lorsquo l'arrange-
ment définitif out liou. C'est là pour nous un véritable

i. Itzacb,oiw,cittf,p. iliH.
S. Soolbeor,VtrtuehttieVrfltrmtfw Th<mu»i»i* uaahtuwtiu». lierlln.
1817.liiit|i|io, (Setter<«*'théogonie de*llrwd, Ititrlln.iRtt. 0. llnr-
maiut,l'« lle»mdifi>ruwunti<iul»tlmu, I. VUD.A.K;»»ly,
tHHii'tyiM»».,
llediwii lte»l<4m<> fb«t>u»»i«t>|»«i'«A««,Xurloli,i««0(«jim».î«/i*«I-.
t. I). A. l'V.k,fin Mtpi-unuliehefyuwtifitm ma tanung der hniu-
<<)M~'n'fAt"&f"<ff, 1HNH tlrd(tw, t. I~aHrtad. <M~e«'< bprrrohau.
XII,t-Ut.
LANGUE ET VERSIFICATION 5il

jeu de combinaisons, la fantaisie d'une critique à qui


rien d'ingénieux ne semble téméraire. Mais il faut avouer
que ces hypothèsos mêmes eussent été impossibles, si
la versification de la Théogonie, n'avait
quelque chose
do monotone. La phrase poétique y est sans cesse
jelée
dans le même moule, ot elle s'enferme d'elle-même dans
une mesure à peu près constante. Il est probable
que cette mesure est celle de la ponsée même du poète
il a l'haleine un peu courte, et chacun de ses
développe-
ments s'achève naturellement en un morceau énumé-
ratif qui ne dépasse guère trois ou cinq vers. Les strophes
artiliciollos qu'on lui a imputées nesont donc en réalité
que des groupes d'idées spontanément formés. Et toute-
fois, on peut aller plus loin encore. Cette monotonie in-
volontaire a bien pu s'imposer quelquefois à un poète
qui aimait évidemment la symétrie et la régularité en
toute chose. Ce qu'il avait fait sans
y penser et sans le
vouloir en maint passage do son œuvro, il peut l'avoir
pratiqué avec intention dans quelques développements
dont la nature même comportait ce genre
d'arrange-
ment'. Il n'y a que les conjectures systématiques et in-
flexibles qui soient condamnables en pareille matière,
parce qu'elles conduisent à faire violence au texte;
toutes celles qui tiennent compte do la liberté du
et do la variété probable do ses intentions sont poète
accep-
tables.
On voit assez par tout ce qui précède que la
Théogo-
nie, malgré ses mérites, no saurait être mise sur le
môme rang que los Travaux. Elle n'en a pas moins une
très grande importance dans l'histoire littéraire. On en
jugur» pur 1« nombre dos poèmes généalogiques qui so
groupant naturellement autour d'ollu, et dont il nous
roHtph dire quelques mots,
l'ur «xiiropio«'«nnméwUnn dos nnlonado ftmft(HK(I030),
oftu
«ymélrladu»falluappelletmjuiflllm.iuul
pulla,iulit Umw>.
518 CHAPITRE XII. – LA THÉOGONIE

Rien n'était plus côlèbro on ce genre, après la Théo-


gonie, quo los Catalogues, poème aujourd'hui perdu,
dont nous ne possédons plus quo quelques courts frag.
monta. Nous avons dit plus hnut pourquoi les Cata-
loyues étaient inséparabtos de la Théogonie. Le mônui
esprit animo ces deux grands ouvrages, et la même
méthode avait présidé à lour formation. D'un côté, tous
los dieux de la Grèce groupÔB par familles do l'autre,
tous sos héros. Le poète dos Catalogues, s'élovant, comme
celui do la Théogonie, au-dessus dos rivalités locales,
avait assomblé librement les légendos particulières, do
manibre à constituer en quelque sorte to livre d'or do
la nation tout entière.
Un trait fort^curieux do cette glorieuse onumération,
c'était la prééminence accordée aux femmes par son au.
tour. Si on la désignait souvent du nom do Catalogues •
ou do Généalogie héroïque on l'appelait aussi quelque.
fois le Catalogue/les femmes et Pausanias commente on
quelque sorte ce titre lorsqu'il nomme les Catalogues
« une épopée en l'honneur des femmes4. » Hésiode, nous
dit Maxime do Tyr, énumèro les races des héros on com-
mençant par les femmes, et en disant toujours do quelle

1. Strabon,I, p. 42,Casaubon.Eustathe,Odya.,p. 1481,


1. 65 Iliade,
p. 13,44. Pharorin.,Eclog.,p. 381,9. Argumentdu Bouclierd'Héra-
elèt, III. Seol. lliadt, II, 336,etc.
2. ProcluB,ad Uetiod.,p. 4, Gaisford.Tzetzès,Exeg.Il, p. 186;ad
Lyeophr.,176,284,393.
3. Pausan.,I, «3et 111,2*. Scol. Ven.Iliade,XIV,200;Odyu.,I,
98.Diomèdo,p. 480,éd. Putsch. Procloset Tzelzès,ad Hesiod..p. 9
et 19,Gaiaf.Suida»,v. 'HefoSoc
4. Pausan.,I, 9 et II, 31.CLServius.ad Vergil./Eneitf.,VII, 208.
POÈMESGÊNÉÀLOGIQUES
DIVERS SIS
mère chacun d'eux oat ué >, m Sans doute cette disposi-
tion remarquable tenait à dos usages locaux, sur les-
quels noua no possédons plus tous les renseignements
désirables1. L'éuumération commençait à Pandore,
épouse de Prométliée C'était elle, selon te poète qui
avait donné naissance à toutes les grandos ruuus huilé,
niques. Sun petit-Ois, Hellon était on effet i'ancAtro coin-
mun do la nation tout entière. On voyait, pour ainsi
dire, sortir de lui, dans une série do généalogie» purul-
l&les, tous lus héros épouymos qui représentaient tes
diverses tribus; magnifique végétation d'un peuplu
sur un sol prédestiné. Sans doute, comme dans lit Théo-
gonie, cos généalogies so succédaient avec ordru d'après
un principe simple et constant; et, comme dans copuom»
aussi, oltos étaient interrompues çà et la par d» courts
récits qui expliquaient comment los races s'étaient été-
possédéos tes unes tes autres Quelques-uns do ces ré-
cils pouvaient môme s'étendre plus longuement. Nous
savons par exemple que l'un d'eux se rapportait a
l'expédition dos Argonautes, et tes fragments nous
permettent encore do constater que cet événement était
raconté avec quelques détails. Mais, jusque dans ces dé-
veloppements, l'épopée hésiodiquo garduit son carac-
1. Maximede Tyr, Duttrt.. XXXII,4 Tùv f,pi2uvinh twvaetxûv
lipxiiuvo;xaraXIyeita yiv»|,Sorti;tÇ ïyu.
2. Voy. toutefoisPolybe, xn, 5. Il semble mêmeque les noms
patronymiquesfussentremplacésquelquefoisdans les Catalogues par
des noms métronyiniquei. VoyezScol. Iliade, XI, 74»,et Eustathe,
Iliade,XXII, 638.
3. Par exemplele fragmentcitopar le acoliasted'Apollonlosde
Rhodes,1, 156(!r. XVI dn Marckscueffel, XLIVde Goottling)repré-
sentelestransformationsdo Pôriclyménoset se continuaitAvidem-
mentpar un récit de sa mort. Le même«coliaste(1,124)nous fait
connaîtrel'histoire de PiSlôeet de la femmed'Acasle;or cette his-
toire,d'après le scoliastede Pindare (Ném.,IV, 93).était racontée
par Hésiode,et nous en possédonsencore un fragment(fr. XXI
Marclcseh.. UXGœtU.).On trouvera baaucnnn<1'»»«r«s de
ce genreen parcourantles fragmentsdes Catalogua. exemples
614 CHAP1THB XII, LA THÉOGONIE

tire propre profondément différente do épopée ho.


ntériquo, elle so préoccupait plus do ronsoigmtr son
public que d« l'émouvoir.
Lu pueino des Catalogues, d'après les témoignage»
nnciiMM,fut partugé à uno date iiuuinuuo on quatre li-
vres, pout-étra on cinq Nous ignorons si cette «lividitm
c«rros|iiiiidail a un certain grouporuont primitifdesgô-
nétilogios, uu si ollo n'était quo l'iouvra urtificiolln dos
gruiiittiairinns,
ToutufiMHlu i|untri6niti livro au uuiins u'appiirtonuil
oiMlninomont pas &l'umvru prituitivo. C'était en r*vn-
lité un |ioî>inodistinct, qui ont cité pur les unoinns koiis
10iium d'fVMOu Oramtts Êtes ('Ilotat uu MsyiXaiv.oïxi)',
(lo nom singulier lui venait do la furmulo par laquello
coiutiMMti'uilcltucuu dos dnvoloppuinonts purticlH. Vm
piuNiunétait une énuinérulion do foin mes qui uvuioul
ét« «iméo» pur ilo» lininorli'ls; lit l'iuilour, nj»rî«:i «voir
invite lu Musa &lui rnppelor h, nom do ces fomnws, il.
lustres ot nulles entro toutes, continuait on disant
« Tolk fut Alcmvito. », ot plus loin «Tollooncoro.
(*i oïu) ». Les Êi'es rcssoniblftiont donc aux Catalogues
par le rùlo prédouiintint <|u'oll()3 attrikutiioril aux foin-
mos mais elles en diiréruiont par deux traits chsoii-
tiols. D'abord, au liou d'olfrir un système lie généalo-
gies vraimont helléniques, elles no toucliaiont qu'à un
petit nombre do lôgcmles thessalionnes et béotiennes
c'est là du moins ce qui semble résulter du fait que les
cinq femmes mentionnéos dans les fragments, Aie-

1. Marckscheffel, p. 10t.
S.Il n'est pas douteuxque lesÉtet n'aientforméle quatrièmelivre
des Cataloguai.Cela résulte clairementd'un passagede l'argument
du Bouclierd'Héraclè».d'aprèslequelledébut de ce petitpoèmeau-
rait été empruntéà cequatrièmelivre des Catalogue*; or ce début,
commesa form3l'indique,estuneÊde("H ofyitf>oX«it«5»« 84s»o«ï.).
11y avait doncidentitéentreles Ê4e$et le quatrièmelivredesCata-
logues.
POtMKS GÉNÉALOGIQUES DIV8RS 546
mène. Coronia,Mékioniké, Kyrènéet Antiope,appartien-
nent à la Thesaalioou à la Bôotio.En second liou, les
récita y tenaient beaucoup plut do placo. Nou» pouvons
en juger par le fragment emprunté &l'Éée d'Alomène,
qui forme aujourd'hui te début du petit poème intitulé
Bouclier d'Héraclès. Évidemment l'idée généalogique,
•ans êtro absente des Êtes, n'y avait pas lu mémo im-
portance que dan* les Catalogues,
Nous ne possédons plus aujourd'hui los moyons d'in-
formation indispensables pour diacuter suit lu date, suit
t'originu des Catalogues ni des Êtes, Tout co que l'on
peut dire à ce sujet, c'est quo si les allusion» histori-
quos qui figurent dans les fragments n'ont pas «té in-
s6rées après coup dans ces poèmes, on aérait ou droit
do los rapporter avec vraisemblance uu vu* siècle (.
A cos épopées généalogiques au rattachent plus ou
moins directement quelques petits poèmes, quu l'anti-
quité avait pris l'habitude d'attribuer &Hésiode,dovenu
pour elle le représentant du gonro tout entier.
Tel est d'abord le Bouclier d'Héraclès, qui est venu
jusqu'à nous. C'est une composition d'environ cinq cents
vers, dont los. premiers sont empruntés aux fk'es Le
sujet apparent est le combat i'IIéraclès contre Kycnos,
(ils d'Ares, qui arrêtait auprès do Pagases en Thessa-
lie les offrandos dostinées au tomplo de Delphes. En
réalité, l'autour somblo s'élro proposé principalement
de décrire le bouclier d'Iléraclès. Cotte description
(v. 141-319) a donné son nom au poème tout entier;
1.Onpeutvoir4cesujetMarckscheffel, p. !3S;maisil ne fautpaa
Il dlwlmulerqu'enMieceaootlà du questions inmlubloa,oùnous
devonsnouacontenterde déterminationa probables,maisassezva-
gTMB.
«. Argum.. III T«i«'Aoicitat ipxh *» *$ K<n*Uy<?ç ipttai (iix(>.
nlxm v' sa\ C'. Cela serait évident, même sans ce témoignage. Il a
dixmoins l'avantage de nous bien prouver que le Bouclier a'ut pas
une des Éit», ce qui résulte d'ailleurs clairement de la nature même
da poème.
HW. 4* I* Ult. Oftcqat. T. L 35
546 CHàPITJRl XII, Lk THÉOGONIE

elle est imilôo manifestement da celle du bouclier d'A-


oliillo duo» Vliïadr, Tout le poèmo porte la marque de
la décadence do la poésie épique l'imitation y rem-
place l'invention. la description du bouclier est labo.
rieuse et confuse elle vise à l'effet par des moyen»
grossiers le poMo veut nous offrayor avec dos figures
épouvantables, qui ne sont qu'odieuses ou ridiculos.
Il est iiiutilu du churchor, cumme on l'a fait, à dis-
tinguer dans uno pamillo œuvro des parties ancien-
ne» et d'autros plus récentes. Sans doute, elle a pu su-
bir dos interpolations; mais il faut le diro franchement,
eu qui est ancien n'y est guère meilleur on général que
co qui cet nouveau. Nous y voyons l'œuvre d'un rhap-
sode qui, profitant du succès des liées, a détaché do ce
et
poème lo commencement du récit relatif à Alcmèno,
a
sur ce fragment greffe tout un développement à lui,
moitié narratif, moitié descriptif.
Nous ne forons que mentionner ici les Nocesde Ke"yx,
de
YÈpithalamc de Pelée et de Thétis, {^Dactyles l Ida,
simplirs titres représentant pour nous dos cnuvros en-
tifcromcnlignorées. La Descente (le Thteée chez Hadte
ot la Mélampodie ont un peu plus d'intérêt, et surtout
nous devinons mioux pourquoi ces poèmes ont été ran-
gés parmi les œuvros hésiodiquos. Il est probablequ'en
représentant Thésée et son ami Pirilhoos aux Enfers',
1'autour de ce récit, quel qu'il fût, s'était souvenu de
YOdyssée,et qu'une énumération de morts illustrcséta-
blissait quoique ressemblance entre ce poème et les
éten-
Catalogues. La Mélampodieétait une œuvre assez
due; elle fut partagéo en trois livres au moins Le de-
vin Mélampe en était, d'après l'indication du titre, le
A côté de lui figuraient les au-
personnage prinçipal.
tres dovins célèbres do l'âge héroïque Mopsos, Amphi-
1. Paoaao..
IX.3î.
2. Athénée, XI. p. 498. A, B XIII, p. 60S, E.
PCÔMBS QÈNâAL0QIQUB8 DIVKHS 51?

loqua, Calchas, Tirésias. Co groupement tloa devina on


un récit donnait sans doute au poème quoique chosedu
religieux et peut-être de didactique en certaines par-
ties, ce qui l'avait fait attribuer h l'autour dot Travaux,
Les épisodes que noua en connaissons, la mort do Cal.
chas la consultation do Tirésias par Zeus ut Ht<ré»,la
folio do. filles do Prtatos attestont toutefois que co
n'était pas un traité. Quelques beaux vera pleins de
grandeur et do tristesse, où Tirésias, aprt<s avoir vécu
aopt générations d'hommos, ao pluignait de eu longue
vie, méritent d'étro mentionnés
« 0 Zeus, père et souverain, •'écriait le vieux.prophète,
pourquoinern'as>tupas donné un*vie plus «ourleet mapart
de l'ignorance humainoT Ce n'est pas une faveurque tu m'as
faite, en in'usslgnantcettelonguepossosstonde la vie, pro
longéejusqu'au termede sept générationsmortelle!)I »
Lo poôto qui a conçu ce rôle et exprimé avec cette
«implicite un toi sontimont no doit pas assurément être
oublié.
Malheureusement, la vraie poésie devait être rare
dans les pommesgénéalogiques, etil osl probable qu'elle
lo devint do plus on plus à mesure que ravènotnent de
la prose fut plus proche. Si nous posséda is los couvres
de ce genre dont nous connaissons encore les titres et
celles que nous avons entièrement perdues de vue, le
plus grand intérêt docette collection serait sans doute
de nous bien montrer par quelle lente transition cette
mythologiehistorique sotransformapeuàpeu en histoire
4. Strabon,XIV,p. «12Cas.
2 Apollod., III, 6, 7.
3. ApoUod.. II. 2, 2.
4. Il n'est personne qui ne songe en lisant ces vers & ceux qu'Ai*
fred de Vigny a mis dans la bouche de son Moïse, fatigué de sa gran-
deur et réclamant la mort qui a toujours fui devant lui
Seîguèur, rai irup vécu paissant et solitaire
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre 1
648 CHAPITRB XII, LA THÉOQONIE

mythologique. Les proraiera logographes succédèrent


naturellement aux derniers poètes, et l'on peut affirmer
qu'à ee moment le* poètes devaient ressembler beau.
coup à des logographes.Contentons-nousici de quolques
indications sommaires sur une série d'wuvres à peu
près inconnues.
Acôté dos poèmesgénéalogiques attribués è Hésiode,
l'antiquité en connaissait d'autrea en grand nombre. –
Les Chantsde Naupacte{'EimN*»i:à*.T\a.)devaient leur
nom à la patrie de lour auteur, Karkinos. L'oxpédition
dos Argonautos semble y avoir tenu une place considé-
rable. C'était, commo les Catalogues, au dire do Pau-
sanias, <<une composition en l'honneurdos foinmos«».
UsEgimios du Milésion Korcopsse rappnrtait vrai-
somblablomontà la légende plus ou moins historique
du vioux roi ;Kgimios, que les tribus doriennes eonsi-
déraiont comme un ancétro. n no nous en resto qu'un
petit nombre do fragments, dont plusiours rolatifs à la
légende d'Io Corintho out son poèto épiquo on lu
peraonno d'Ëumélos, M8 d'Amphilytos, de l'illustro fa-
millo des Bacchiadoi3;il vivait dans la seconde moitié
du vin* siècle. La composition épique qu'on lui attri-
buait était ordinairement désignée sous le nom de Co-
1. Pausan.,X,38.
8. VASgtmioi est attribué tantôt a Hésiode, taotot il Kereops de
Milet; mal» Hésiode pouvait aisément dépouiller Kercops. tandis
que Kercops, bien moins illustre, ni pouvait guère dépouiller Hé-
siode Il parait donc d'une bonne méthode de préférer l'attribution
la plus obscure. Kercops est d'ailleun un inconnu, qui ne doit pas
dire confondu avec le pythagoricien du même nom. Une légende rap-
portait (Ciog. Laeree. II, 48) qu'il avait rivalisé avec Hésiode. Sans
doute l'identité des sujets traités avait donné naissance au récit fa-
buleux d'un concours V/Rgimio$ devait donc ne rencontrer dans cer-
taines parties avec les Cataloguée. Nous savons qu'il comprenait au
moins deux livres (Scol. Apollon. Rh., IV, 818; Et. de Byzanco.
'A6*vt(c). II nous en reste neuf fragments. Le plus Intéressant, au
poSst de vue historique, est celui qui bssbdw feire filusstot! 6 Mro*
parlilion des Doriens envahisseurs en trois groupes de population
(Otfr. Müller, Doriens, I, p. M).
POfiMSS GÉNÉALOGIQUES DIVERS 549

Hnthiaquts. Elle olfrait, autant qu'on peut en juger par


les fragmenta, un récit continude l'histoire fabuleuse de
Corinthe, depuis ses promiora rois issus d'Hélios. ln>
caractère du poème semble assez nettement déterminé
par le titre de poète historien qu'un acoliuato donne à
Eumélos. Il faut ajouter les furont
que Corinthtagues
transcrites en prose, probablement au sibcle suivant.
Du moment que la poéeio s'attachait, comme l'histoire,
à l'exact oncliatnement des événements, la versification
n'était plus pour eUe qu'un vêtement superflu dont olle
devait ao dûbarrassor au premier jour t. Ce qu'Eu-
mélos avait fait pour Gorintho, Kiniuthon le nt pour
Lacédémone.sa patrie. Contomporain d'Arctinos etd Eu-
mélos, ce poète, dont nous avons mentionné plus haut
VOEdipodie rattachée au oycle, dut composer ses généa-
logies* vers le milieu du huitième siècle. Le titre exact
du poèmo est incertain. Il nous en reste quatre frag-
ments, d'après lesquels on peut conjecturer que l'auteur,
remontant jusqu'aux Atridos et peut être plus haut,
exposait les généalogies royales de Sparte et doMessène;

1. Sur EumiSlos, Scol. Apollon. Rh. 1, 146 S. Jérôme, Chron., 01.


III, S et 01. IX, Cyrille, Contre Julien p. 12, B; Clém. Alex.,
Strom.. I, p. 144, Sylburg; Pauean., Il. 1. Seol. Pind., Olympi-
qxiei, XIII, 14, Etf|")X4;ne non)TÎ)<l»"pu<c jet Tzetzis, ad Lycophr,,
174). – Transcription des Corinthiaquet en prou Pausan.. 11, i
passage fort bien Interprété et commenta par Marckscboffel. – Ku-
mélos était aussi l'auteur d'un autre poème épique du même genre,
l'Buropie, qui devait se rapporter aux aventures d'Europe (Scol. Yen.
ad Iliad.. VI, 131) Pausanias (IX, 8) appelle ce poème xk Ini) x» tic
Eipwjoiv. On loi attribuait encore la Bugonie, poème mentionné par
Varron (de re nutica, II, 5), mais dont il est Impossible aujourd'hui
de deviner même le sujet. En outre, U était en compétition avec Arc-
tinos pour une TUanomachie, avec Hagias de Trézène pour le poème
des Retours (Seol. Apoll. Rh., I. 1165; Athén., VII, p. 211; Scol. Pin-
dare, Olymp. XIII, 31. avec une correction au texte). Enfin. Eumélos
était reconnu pour l'auteur d'un Chant prosodique destiné à la théorie
que les Messénisns envoyaient à DéUw; il nous en reste en frP.t
de deux vera hexamètres (Pausan., IV, 4 et IV, 33).
2. Pausan., II, 3 et IV, 2.
'550 CHAPITRE XII. LA TtlâOdONIK

il touchait aussi à colles do la Crète Asios de Sa-


moa est bien plus connu par ses élégies qu'à titre du
poète épique. Mentionnons tuutefois ici soa poème gé-
néalogique, dont le titre et le sujet sont mal détermi-
nés – Le nom de Chorsias d'Orchomène, dont les
œuvres étaient déjà perdues au temps de Pausanias,
doitterminer cotte énumération
11est aisé de comprendro, qu'ontro tous les genres
poétiques, celui-ci, étant le plus accessible à tout le
monde, dut être un des plus cultivés. Il y fallait plui
de patience que de génie. Avec une certaine industrie
d'arrangeur etdovorsiQcatour,joinloà uno connaissance
suffisante de. légendes locales, un était assuré de quel-
que succès. Maieceux qui en d'autres temps auraient
pu être do vrais poètes préféraient sans doute lo silence
à un si médiocro emploi do leurs facultés. Ni l'imagi-
nation ni la pensée ne pouvaient se révéler dans cos
longues énumérations monotones. Aussi, quand l'his-
toiro parut, condamna-t-olle à l'oubli la plupart do ces
poésies, qui n'étaient pas défonduospar un mérite réel.
On les traduisit en prose au vu*et au vi" sfôclo; puis.
quand on leur eut pris tout ce qu'elles contenaient d'u-
tile, quand les chroniqueurs en eurent fait lour profit,
on les rejeta dédaigneusement, et celles qui ne péri.
rent pas subsistèrent seulement à titre de curiosités,
connues des archéologues, des érudils et dos biblio-
philes.
i. Diven témoignages attribuent en outre à Kinœthon une Télégonie,
une UéncUe, une Petit* Iliade (Seol. Apollon. Bhod. L 1357; S. Jé-
rAme, Chron.. 01. V; ScoL Vatic. ad Eurlpid. Troad.. 831; Tzetzes,
Bxeg. Utod,. «S, 10.
2. Pausan., IV, 2; h, 6; vit, 4. Cf. t. H, p. 188.
3. Pauaan., IX. 38. On lui attribuait l'inscription du tombeau
d'Hésiode. C'est une doute lui que l'autour du Banquet des Sept Sa-
get a fait figurer an nombre de ses personnages (e. xhi).
CHAPITRE XIII

LA FIN DE I.'AOR KPIQUK

BIBLIOORAPHIE
Manuscrits. – Pour les manuscrits des Hymnes et de la
BatrachomyomachU, consulter Baumets ter, Prolégomènes d*»
l'édition des Hymtus mentionnée ol-après et Prolégomènos
orittques delà Balrachomyomachie,et surtout A. Geinoll préface
de son édition des Ilymnet. Un des meilleurs est le ms. de Flo-
rence, Laurentionm, XXXII, 4», LdeBaumeister. Mais le clas-
sement général est encore sujet à contestation. Le manus-
crit de Moscou {Moseovieiuis,aujourd'hui à Leyde), du xiv*
siècle, nous a seul conservé l'Hymne à Dèmêter(voir plus loin,
p. 580) c'est le plus correct en apparence, mais non le plus
fidèle au texleprimttlf;beauooupdele$ons qui lui sont parti-
culières semblent dues à un interpolateur. Il y a en outre
trois manuscrits des Hymna à Paris (2763,2765 et 2833, A, B,
C de Baumeister, xvi« et xiv» siècle); deux à Mitan du xv»
siècle {AmbroMianiD et S de Baumeister) enfin deux au Va-
tican ( Patatinua f79, xv. siècle, et Raginansia 91, du même
temps).
La Balrachomyomachieest ordinairement jointe duns les
manuscrits à VUktde et à YOdyuêe. Mais elle ne figure que
dans des manuscrits relativement récents, où elle est trans-
crite de la manière la plus incorrecte. Ces manuscrits provien-
nent, d'après Baumeister, d'un même archétype alexandrin.
Consulter aujourd'hui sur ce point Ludwich, Batraekomaehiae
archetyput et De codidbus Batraekomaehiae, dans Berliner phi-
lolog. Woehensehrift, I89S, 20*livraison.
558 CHAPITRE XIII.– FIN DE L'AGE ÉPIQUE
Éditions.– Voir Bauraelster, ouvrages oltés. –Les Bymnn
iv« la totmkmvmatki* et les Épigrmmti ont été imprimé*
pour la prunier* fols d»n« l'édition prlnoep* des poéalt.»
d'Homère par Démet riu» Chalooudyle, Floreuoe, IMS.– .m
premières corrections de quelque Importance aont duM A H.
Estlenne, Paris, 1866et 1588.- Il suffira de rappeler, aux vu*
•t au xvai' siècle les nom» de Bar nés, d'Ernestl, de Wolf
l'Hymne d Dimêttr, découvert en 1780, a été publié pour lu
r entière fol» par D. Ruhnken, Leyde, 1781. Mentionnons
aussi, en raison de ses abondants commentaires, l'édition
des Hymntt, d, la BatraeXomyomaekUet des Êpigrammu, duu à
Ilgen, Halte. 17M. – Dana notre sléole, les Uymnn ont été
publiés avec la Batrarhomyomnchiepar A. Matthim, Lotpzlg,
180»; lesHymnciiet les Épjjra ww«ipar God. Hennunn, Berlin.
1809 les Uymnet, les Spigrammet, les PngmtnU et la Butracho-
mymaehk, par Fr. Franke, Leipzig, 1818 (3* vol. des Homtri
tarmHta da G. Dindorf et Fr. Franke), par Bothe (Homeri car-
mina, t. VI, Leipzig, 1835), par G. Dindorf dans la oollection
Dldot (Homtri earmlna, Paris, 1837).Il faut citer t\ part O. Bau-
melater (Batrachomymaehia, Gœttingen, 1852 Hymni, avec un
apparatue critique et des notes, Leipzig, 1860) ne savant a
plus fait que toua ses prédécesseurs pour établir le texte cri-
tique des II y mnes.L'Odyuéed'K Plerron (Paris, 1875) contient,
A la On du second volume, la Hatrachomyomaehie, les Hymnes
et les Èpigrammes le travail de Baumeister y est fréquem-
ment cité et mia à profit.
D'Importante» améliorations ont été apportées dans ces
derniers temps au texte de ces poèmes par E. Abel {Homeri
hymni, epigrammuta, batrachomyomachia,Leipzig, 1886). A. Ge-
moll (DietiomerischenHymnen,Leipzig, 1886, avec un précieux
commentaire critique et explicatif) enfin A. Goodwin (Hymni
Aomerici,Oxford, 1893).
HYMNES HOMÉBIQUKS 55S

aOMMAIRK.
I. Fin del'As»éplqttt.Lmllymntt dit* homérique».l*$Épigrammn,
II. La BalrtKkomifomachh;
la MuyWt, III. L'espritgrecà la
finût l'âgt éplqo*.

Nous sommes arrivés au terme de l'Age épique. Mais,


qu'on le remarque bien, quand l'épopée disparait en
Grèce, c'est le genre qui s'épuise, et non le génie du
peuple qui s'affaiblit; celui-ci est au contraire dans toute
la force et dans tout l'éclat de sa jeunesse. S'il aban-
donne les longs récits, c'est pour prendre un nouvel es-
sor dans l'élégie, dans l'iambo, dans la poésie lyrique.
La sève du grand arbro hellénique est aussi abondante
que jamais; elle monte lentement dos branches infé-
rieures qu'ello vient d'animer à d'autres branches qui
donnent aussitôt naissance &une végétation magnifique.
Les raisons de ce changement seront expliquées plus
loin, quand nous raconterons la naissance des genres
nouveaux. Mais, avant d'entrer dans cette étude, nous
devons essayer de résumer tout ce qui précède. On peut
évaluer à quatre siècles environ la durée de la période
que nous venons de parcourir. Pendant ces quatre siè-
cles, qu'avait appris la Grèce? Quels progrès avait-elle
faits dans l'art littéraire et dans la pensée ? En répondant
à ces questions, nous ferons mieux apprécier encoreJa
haute valeur des oeuvres qui viennent d'être étudiées et
nous les rattacherons d'avance à celles qui vont suivre.
Il n'y a que les chefs-d'œuvre les plus rares qui exer-
cent une ialluence profoude sur l'esprit d'un peuple; mais
cette influence, ce sont surtout les œuvres moyennes qui
554 CHAPITRE XIII. – FIN DE L'AGE ÉPIQUE

de la mesurer. Voilà pourquoi lo reoueil des


permettent
hymuosqu'ou appollo homdriquesost précieux pour nous,
Aucun de cos hymnes n'est comparable aux moindres
chants de Y Iliade ou de V Odyssée, aucun n'approche du
mérite original des Travaux ni de la largeur d'idées de
la Théogonie, Mais lorsqu'on a étudié Y Iliade et Y Odys-
sée, les Travaux et la Théogonie, on retrouve dans les
comme le reflot de cotte immense lumièro de
hymnes
ntiésie. Un art s'y manifeste, qui procède directement
de tous ces exemples. G'ost une sorte de perfection ac-
quise, d'oxceHenco héréditaire, qui rend témoignage de
la manière la plus décisive à un admirable passé.
Les hymnes dont nous parlons sont au nombre de
il y en a cinq qui sont de véritables corn-
trente-quatre:
et dix-neuf peu étendus, dont quol-
positions épiques,
ne consistent môme qu'on quelques vers t. Leur
ques-uns
destination à tous semble d'ailleurs avoir été la même*.
Ce sont des préludes composés en vue de récitations
soit pour de simples réunions, soit pour des
épiques,
concours. Les aèdes et les rhapsodes avaient coutume
toujours un dieu avant de commencer à ré-
d'invoquer

t. Toutes las questions critiques relatives aux Hymnes doivent être


étudiées d'abord dans l'édition d'Aug. Baameiater et ensuite dans
celle d'A. CUmoll. On Ignore. en quel temps le recueil des Hymnes*a
été constitué. Lu témoignages anciens permettent seulement d'affir-
mer qu'il y avait une collection d'hymnes attribuée à Homère dès le
temps d'Auguste (Diod. de Sicile. 1. 18; III. 65; IV, 8); cette collec-
tion est citée plusieurs fois Sol. Pind., Pyth., III, U Scol. Nicand..
Alexipharm-. 130, et Scol. Aristoph.. Oiteaux, 578. Plus tard, on ra-
contait qu'Homère les avait composée à Néontichos (Pseudo-Héro-
dote, YieétHmnhre, 9); assertion dont l'origine nous échappe.
3. Baie est indiquée clairement par les formules qu'on lit à la an de
plnaiéan de ces compositions XXXII, 18 Sio 8' àpx&|uvoc, dit
le poète au dieu en terminant, xM« <put<3v Coupai *,|nflé<»v, ûv
sUbMMr* ïpn««*' *o'«o'- Cf. XXXI, 18. Formule analogue, II, III, IV-
V. vi, vu, ix, x, xiii, xvm, xix, xxv, xxvn. XXVIII.
XXIX, XXX, XXXIH. A la fia dss hymssa VI. XI. XV, XX. XXIV,
il demande le succès pour S88 chants épiques on même la victoire
dans un concours.
HYUNBS HOMÉBIQUES O5
citor leurs poèmes; c'était quolquofoiala Muse,souvent
aussi le dieu dont on célébrait la fête, lorsque los réci-
tations faisaient partie du programme de quelque solen-
nité, G'oatà ce dernier usage que so rapportent en gé-
néral nos hymnes. Réunis, ils nous fournissent une sorte
de catalogue des panégyries grecques où la poésie avait
part. En les lisant, nous nous transportons tour à tour
en imagination à Uélos et à Dolphos, à Eleusis et à Cla-
ros, à Salamino de Chypro et à Athènes; nous y assis-
tons aux fêtes d'Apollon, de DèmMor, d'Aphrodite, d'A-
thônu ou d'iléphaistos, et à uiiu foulo d'autres. IJ n'est
point de dieu qui n'ait son hymne, point do ville qui
n'ait ses fêtes, point de grande réunion sans
poésie. L'é-
papéo se montre là vraiment vivante et régnante, au
milieu do ses prêtres et de ses fidèles, dans tout l'éclat
do sa gloiro, comme la tragédio
d'Eschyle ou do So-
phocle sur le théâtro d'Athènes; nous la suivons d'Eu-
rope en Asio, à travers les Cyclades, partout acclamée
et traînant la foule après elle. Quelques
prologues poé-
tiques deviennent ainsi les témoins irrécusables de l'em-
pire qu'elle a exercé et nous permettent do le concovoir
d'une manière sensible.
Bien que tous ces hymnes parlent uniquement des
dieux, il n'en est pas un qui présente un caractère litur-
gique. Tous ceux qui ont quelque importance sont do
véritables récits épiques, et les autres sont le plus sou-
vent des abrégés de récits du même genre.
Cinq seule-
ment laissent entrevoir quelques traces, plus ou moins
certaines, d'influences orphiques1. Les autres se ratta-
chent directement soit à la tradition homérique, soit à
la tradition hésiodique, parfois à toutes les deux simul-
tanément.
C'est surtout l'élégance et la grâce brillante qui dis-
_l* sont les byttnm VIII. XIV, XXX (XXL éd. Piereon). XXXI
(XXII, dit même) et XXXH (XXm, du môme).
656 CHAPITRE XIII. – FIN DE L'AGE EPIQUE

tinguent Y Hymneà Apollon MHen*, le premier et le


plus remarquable de la collection.Destin6à une des fôles
de Délos, il a pour objet do célébrer la naissance du dieu
dan*l'ile choisie. Rien ne manque à ce petit poèmepour
compter au nombre des chefs-d'œuvre, sauf la puissance
de l'invention. Toutes los qualités que le long succès de
l'épopée avait développées chez les aèdes sont réunies
là si harmonieusement qu'elles y semblent naturelles.
Pures et nobles images, simplement dessinées et pleines
de vie, qui se détachent, brillantes, sur un fond presque
aussi lumineux qu'elles. Les dieux y apparaissent beaux
et majestueux; le poète los groupe ou les isnlo sans
effort, commeau fronton d'un temple; il semble que l'art
do la composition soit devenu chez lui un instinct, qui
spontanément donne à chaque chose sa valeur exacte
t Oui, il faut que je célèbre Apollon, l'aroher aux traits
légers, celui devant qui les dieux mômestremblentdans la
demeurede Zeua,quand il y apparaît. Dès qu'il approche,
ils s'élancent tous de leurs sièges,à la vuedeson arcroilou-
tablequ'il tend.Seule,Lètoresteassiseauprès de Zeus,le mat-
tre de la foudre elle détendl'arc du dieu, elle ferme son
carquois,elledétacheelle-mèmedesesépaules robustesl'arme
flexibleet la suspendcontre le pilier où est adosséle siège
de Zeus, à un clou d'or. Lui-môme,elle leconduita son
trdne et le fait asseoir. Son père lui donne alors le nectar
dans une couped'or, en signed'affectueuxaccueil tous les
autres dieuxse rasseoientautour de lui et la divine Lèto

1. L'hymne I, àApollonDélien, confondu danslesmanuscrits avec


l'hymne I I, à ApollonPythien, en a été séparépour la premièrefois
par Rahnken(Epitt.critic.,I, p. 17);depnislorscettedivision,bien
quediversement contestée,a généralement prévalu.Dansl'édition
Didot(Homeri earmina),les deuxhymnessontencoreréunisen un
seulsousle titre généralet; 'AitiW.uva. – A. Gemoll{DieHom.
Bymntn.p. tii et sulv.)est revenuen arrière,etil a essayéde dé-
montrerquel'ensemblene pouvaitpas êtrediviséen deuxhymnes
iu<l«iwu<Iauts. Sou argumentation, et
trèsétudiée,n'estpas décisive
ses conclusions personnellesrestent o bscures.
HYMNES H0HÊRIQU8S 557
ta sentremplie dojoie, parcequ'elle » enfanté ce fils, l'ar-
cherdivin à qui rien ne résisteU »

cette belle poésie transparente illuminetout ce qu'elle


touche: quand elle déroule devant noua les noms des
Iles et des caps où règne Apollon, il semble qu'elle
motlo un rayon à chaque sommet. Elle sait d'ailleurs
aussi animer des personnages. C'est un morceau char-
mant que la prière do Lèto à l'île de Délos, quand otle
lui demande un asilo pour mettre au mondeses enfants;
et la réponso do l'île n'eat pas moins intéressante il y
a de part et d'autro une exquise et apirituoito naïveté
dans l'expression de sentiments aussi simples que vrais.
Puis, légèrement, vivement, avec cette grâce descrip-
tive qui lui est propre, le poète nous montre les déesses
qui s'assemblent pour la naissance du jeune dieu; il
fait tout un drame des douleurs de Lèto, des alléos et
venues d'Iris; et enfin, quand la moment do la déli-
vrance est arrivé, les images les plus aimables embol-
lissent son récit, qui semble sourire et s'éclairer tout à
coup
« Alors Lèto jeta ses bras autour du palmier, et elle ap-
puya ses genouxsur la moite prairie;la terre souriait au-
dessous d'elle; Apollon s'élança soudainà la lumière et
toutes les déessesà la foisjetèrent un cri.
« Et déjàil marchaitsur la terre immense,Phœbosaux
longuesboucles, aux traits rapides toutesles déessesle
regardaient, saisies d'admiration et Délostout entière se
couvrit de fleursd'or, comme un cap élevéfleurit au prin-
temps soussa couronnede forêts, »
II est impossible d'être plus à l'aise au milieu do ses
descriptions quo ne l'est notre poète. Aussi, à la fin,
quittant son sujet aussi facilement qu'il l'a développé,
l. AApollo*rVli*4-M.
v. 117.
658 CHAPITRE XIII. FIN Du L'AÛE ÉPIQUE

Harrête nos esprits sur la fèto elle-même, sur le»


louions assemblés qui sont venus là tlo toutes les Iles,
et onfin sur lo cliwur chantant et dansant des jouaes
Dôtionnos, auxquelles il recommande sa renomme
poétique
« Soyei heureuses, toute»; et souvene«-vousde moi dana
l'avenir, Ionique quelqueétranger, venu de loin après bien
«lesfatigues, vouademandera – « Ojeunes filles, quel est
celui de vos aôdeafumUlersqui vous oat le plu» cher, quel
e*\celui qui vous otuirmeleplus? » Alors,toutes, d'un com-
mun aeoord,répondex-luipar eesdouoe*paroles – C'est
unaveux!» » habite «Unsl'lie rooatlleuwde Chles, et «es
chunWresteront célèbres dans l'avenir. Et, moi, de mon
cltû.je porterai au loin votre renomméechez tous les peu- les
plusoù me conduiront mes courseserrantes & travers
villes populouBos. Et ce que je dirai sera oru. car je n« di-
rai que la vérité t. »
Si nous avons insisté Bur cotte «uuvru pou étendue, c'est
avec éclat lostitrus du la
qiCcllo rosumo poésie doshym-
nos. Nous pouvons donc être plus brofa sur les autres.
Il y a bien moins do grâce et d'aisance dans V&ymme
« Apollon Pythie», qui célèbre la fondation do l'oraclo
do IMphos par Apollon. Non seulement l'autour, comme
tuus les poètes des hymnes, irnito la grande épopée,
dont il emprunte los tours, les expressions, les procé-
Moins
dés, mais il suit de près aussi l'hymne précédent.
libro et moins souple que son prédécesseur, il s'attache
aux légendes locales, aux explications étymologiques,

1. V. 166-176. Cet adieu plein de grtee prouve qae l'hymne a été


en-
composé par un homértde de Chlos. Thucydide y reconnaissait du
core Homère lui-même (III, 101); de même l'auteur anonyme
Concours dlhmère el d'Iléiiodt. Il n'est pu douteux que cette poésie,
où l'imitation est portée A la perfection, n'appartienne & un temps
bien plus récent que l'Iliade. Selon une antre opinion assez répan-
due dans l'antiquité, l'aède qui se désigne Ici comme habitant de
Chlos serait Kynsethos de Chios (Scot. Ptnd., Mm., II, t). qui vivait
dans la 69< Olympiade (804-501).cette date trop récente o «le (.as-
peetée avec raison.
HYMNE8 HOMÉRIQUES US
aux vieilles traditions; il est plus historien, plus exé-
gMo, et par là mémo, eominul'a romarqué justmnent
Baumoiater, plus itiSsimlique.Et toutefois, il est fatai.
liur lui aussi avec toutes les ressources d« l'art, et imbu
dus mornes IraditioiiHi,
II est bien factieux quo l'hyuuio fil ù Ihnnèn ne soit
venu jusqu'à nous qu'endommagé par don altérations
graves ot dos lacunes, C'est unrécit, domi-sérioux, de.
mi-moquour, de l'onfanco d'Honni»*,réllit adroitement
ramené u l'unité du tomps par lu gruup.tuiont dos aveu-
turoa. Tout au pas*e on quoique» heure*, et, dans cos
quoique^ houros, lionnes vient au ittondosur lu mont
Cyllèiio,invento la cithare, vole les lirouf*d' Apollonen
Thossalie, les rainènoon Arcadio,se défenddos reproches
qu'il a mérités, plaide sa cause au trihunal du Zous, et
Qnalemonlsoréconcilieavec sou frorc Apollonauinoyou
do concossions inuluolles. Tout cela ost raconté d'un
ton Mgor,spirituol, ingéniousoinent adapté à la nature
du sujet. L'auteur oxcellu il trouver le détail descriptif
et précis, à inettro un scène ses personnages, A les
faire parler. La plupart des obscurités do sa diction pu-
raissont provonir du mauvais état du texte. C'oslun
contour et un poète, mais le contour on lui est supé-
rieur au poète

». Quelque* désignations géographique* relativement rétentes,


telles que les noms d'Europe et de Péloponnèse (v. 13, 74; 112, 113;
Ml, *»2, VA), semblent indiquer que cet hymne n'appartient pas à
un Agetrès aneien; mais U est nécessairement antirieur à l'année 818.
où out lieu l'incendie du premier temple de Delphes, le seul qu'il
connaisse (Pausan.. X, 8). Cf. Baumeisler. p. 117.
S. Btnmeiater a fait remarquer qae l'Hymne à Uermit ne peut «Ire
très ancien, puisque la cithare bbriqofe par Hermès est la cithare &
sept cordes, qui ne parait pas avoir été en usage chez les Grecs avant
le vn* siècle. Pour cette raison, Il pense qu'il a été composé vers la
«• Olympiade (630-617av. J.-C). Hermann arrive &une conclusion
ssafetaM» ou ae tondani sur los particularités de la métrique {Orphica,
p. 689;; le procédé est en lui-même bien hasardeux.
860 CHAPITRE XIII. VIN »K L'AOK ÉPIQUE

L'hymne IV à Aphrodite ressemble pour la facilité


brillante il l'hymne dûlien. Ii nous raconte comment
la déesse aima AnchiseU Troyen, qui la rou-
Aphrodite
dit mère d'Knôe. On souhaiterait un développement ou
tnoine étendu ou plus varié; le poème est trop eomide.
rable pour le aujet, et il contient trop de discours où
les récits ont plus da part que les «entimenta. Noua
avons atfaire à un narrateur élégant et abondaut, à
qui une poésie dopuis longtemps assouplie ne refuse
riun une seule chose lui manque, la force qui vient de
la méditation, seule capable de auppléeren quelque me-
sure à l'élévation naturolto qui vient du génie »,
Toutes les bonnos traditions épiques rovivont sous
un aspact de gravité religiouse dans le dernier dos
grands hymnes, V, à Dèmètrrh Beau récit, cluiromout
ordonné, qui dûroulo sous nos yeux tout le drame do
l'ontovoment do Proserpino. Lagraudoitnagedo la dou-
leur liuilornollodo ltàmMor le domine autour de cette
imugo Boutgroupées avec art los légendes attiquos d'É-
lousU. L'ôlogo qui *st fait dus myst&rea semble déno-
ter l'origine localo do la composition et prouve en
même temps qu'elle no doit pas romontor beaucoupau
dolà du sixième siècle
Nous no signalorons, parmi los autres hymnes du ro-

1. Otfried MQller nous Mmbte avoir urfait cette composition. U a


•apposé non un» vraisemblance qu'elle r.v»U pu être faite pour un
prince isiu de la race d'Éoèa (v. 1W). La iate «a est Inconnne, et il
ne semble pa. qu'il y ait anoun élément de conjecture sérieuse.
S. Oito dans l'antiquité par Pausanlaa (1, 38; II, 14: IX, 80), cet
hymne ne ligure que dans «n seul manuscrit découvert à Moscou
en 1780par l'helléniste Christian-Frhdérie Matthai. Voyez ce sujet
les lettres de Matltuei à Rohnken (t'aése de M. Hlgnard sur les Hym-
ne» homérique*, appendice).
3. Le texte du manuscrit oltre dans la lin quelques lacunes. Cer-
tt!n« «Itérations
taines tHentttoM qu'on
q~'ea découvre
decoaTM «a
t& et là
tt n'autorisent
a'tmtahMnt pas tee con-
pM les mn-
jectures téméraire* qui Qui (M faites sur YSttAprimitif & SStti ces-
position.
HYMNES HOMÉRIQUES SOI
oueil, que la VU*, adressé à Dionysos et relatif à son
aventure avec le* pirates tyrriténions, et Jo XXIX* en
l'honneur du dieu Phii. Beaucoup du ceux dont noua ne
disons rien sont de simples invocations. Ce que tous at-
testent. c'est combien les poètes do la fin do l'âge épi-
que avaient la tête romplio doa grandes œuvres de tours
prédécesseurs. Ils pouvaient comme eux, ils parlaient
commo oux, ils se servaient du leurs comparaisons et
de lours imagea comme do choses qui appartenaient dé-
sormais à tout le mon Je; l'épopée ancienne était la
source do leurs idées, do leurs sentiments et do leurs
expressions.
Les mêmes rotnarques s'appliquont à la séri» do pe-
tits morceaux poétiques que l'on joint ordinairement
nous lu nom d'pigrantmes aux grands poèmes homé-
riques. Ces dix-sept morceaux figurent dans la biogra-
phie d'tlomôro, faussement attribuée à Ilérodulo ils y
sont rapportés plus ou moins adroitement diverses cir-
constances de la vie fictive du poète; mais il oxt visible
qu->le récit a été fuit pour les épigrammes, et non los
épigrammos pour lu récit. Celles.ci oxistaiont donc an-
térieuremonl. Il parait probable qu'un bon nombre au
moinsd'enlro elles appartiennent à la fin do l'Age épique
et qu'ellos ont été composées on diverses occasions par
dos rhapsodes. Los plaintes contre les Kyméens par exem-
ple (Épigr. IV) somblent bien être cellos d'un chanteur
de Smyrno, mal accueilli à Kymé. D'autres ont une ori-
gine toute différente. L'épitaphe do Midès à Larisso
(Épigr. I(f) était un morceau célèbre dans l'antiquité,
que l'on attribuait aussi à Cléobulos do Lindos, l'un des
sept Sagos Les conseils au chevrier Giaucos (Épîgr/XI)
1. Cette épitapheest citéepar Platon Phèdre, p. 961),par Dion
Chrysostome(Oral,XXXVIII.p. 120),et d'unemanière incomplète
par Longinet Sextus. DiogèneLaerce (I, 8»)dit que beaucoup de
personnes,an nombredesquellesil nommeSimonide,- l'attribuaient
à Cléobnle.Voy.Poetaelyricigraecide Bergk,Simonid: fr. 57.
Hi»l. de la Uit. amqn. – T. t. 36
569 CHAPITRE XIII, – PIN DE L'AGE ÉPIQUE
sont do véritable» préceptes hésiodiquos. Los beaux
vers sur la phratrie sa(iiienne(Épigr. XIII) semblent un
fragment île poème moral. L'épigramme XIV, intitulée
le Four ou les Potiers, est un curieux morceau attribué
par Julius Pollux à Hésiode. L'autour, quul qu'il soit,
appolto la protection d'Athèné sur les travaux des po-
tîurx, si ces derniers lui font lion accueil; dans lo cas
contraire, il dévoue tours travaux h ta malfaisaucu
d'uno foule de génies dont les noms bizarres personni-
fient los accidents spéciaux à leur industrie. Si les Hym*
wx nous faisaient voir on imagination los rhapsodes
dans les panégyrios où ils apportaient leurs chants épi-
ques, quolquoâ-unoâdo ces épigrammos nous les mon-
trent au milieu des petits accidents de leur vie errante,
ftUésen tel endroit, mal accueillis en toi autre, s'adres-
emntaux plus petits comme aux plus grands, aux gens
de métier comme aux magistrats dos villes. En ce sens,
elles ajoutent quelques traits intéressants à un tableau
dont une trop grando partie a été effacéepar le temps.

II

Rion ne marque mieux l'espèce d'avilissement des


formes épiques dont nous venons de parler que io mé-
diocre poème de la Batrachomyomachie, si indigne de
la réputation dont le temps l'a environné ••
Le poète raconte, en imitant les formes homériques,
une grande lutte imaginaire entre le peuple des rats et
celui éég grenouilles. Ne nous demandons pas quelle

i. A.iitéfttib pense que le vrai titre est BaliackamachicBerlin,


philot,Woch.,èi ài»ra 189*.Votr aussi lesétudesda mfimecritique
starles mas.4*« foém* dans la,mime revue, 1895.w 20.
LA BATRÀGH0MYOMAC1UE 588

est la portée do son couvre, car ello n'on a aucune. S'il


se proposait do tourner on dérision les grands senti-
monts dos héros, nous pourrions nous intéresser à cette
révolte d'un bon sens un pou vulgairo contre l'on-
thousiasino et les tonduuoos idéalos. Il n'en est rien;
ni cette idée, ni aucune autre du môme genre ne
et un
l'inspiro. Son œuvro n'eat qu'un amusement,
amusement dénué do fantaisie. Il n'y a rôolloment
trace d'invention quo dans la roprésentation do l'ar-
moment tles combattants et dans la choix de leurs
noms au reste, situations, épisodes, discoun. inter-
vontion dos dioux, tout est imité de l'épopée. Il au-
rait fallu, pour animer cela, quelquo chose du génie
do notre La Fontaine c'ost par la fine observation des
miMirs dos animaux et par lo sentiment vif des chose*
tio la nature, associés à un osprit satirique, qu'un tel
récit aurait pu plaire; au lieu do cola, tout so réduit
dans la UatmchuMtjomachle à une sorte, do drdlorio ar-
tificielle, dont le procédé est si apparent qu'on s'on lasso
dès lo début.
Il faut ajouter que la languo dont so sort l'auteur
n'ost rion moins quo poétiquo. Tout ce qui n'ost pas.
ompruntj à la vioillo épopée, tout ce qui lui appartient
on propre, commo tours ou comme expression, est déjà
certain de
presque do la prose. C'est là l'indice lo plus
l'œuvro du Carien Pi-;
l'âge récent du poème. Qu'il soit
comme le veulont
grès, frère do la reine Artémise,
doux témoignages anciens, ou qu'il doive être attribué
à un inconnu, il parait certain qu'il n'a guère pu être
composé avant la Un de la période épique*.
i. La Batrachomyomachie a été attribuée à Homère par Stace-
Martial.Fnlgenee,et peut-êtreaussi, bienqu'en termesobscurs,par
PhUostmtoetThéonpani~ ïes L'auteur duTraitéet Scï<!s% dsM
« Sai<tos» <Ja»s
aHimdott,qai 8gata pansa tes œaww ds .FUtfanpte, Letexte
son Lexique,disentque ee poèmeétaitl'œuvrede Wgrés. –entre
en est extrêmementaltéré, et il y a de gravesditergenees les
manuscrite.
56i CHAPITuE XIII. FIN DE L'AGE ÉPIQUE

Uuo tollo œuvre bien certainement n'a pus été uni-


que en son genre, Ces jeux d'esprit étaient trop faciles,
une fois l'art épique tombé dans le domaiuo commun,
pour h» pas so multiplier. Los anciens citent, sous lo
non du Kcûyvt»,divers pubmes, tels que los Kercopes,
los ËpitieMMds, d'autres encore, <|iii nous sont d'ail-
leurs inconnus, et dont los titres mêmes ont donné lieu
à d'arides discussions. Nous na nous y arrêterons pas,
• n'ayant rien a y apprendre lu Umrmhumyomaehh suf-
fit à représenter pour nous un gonro qui n'a vraiment
qu'un intérêt ininimo.
.Mais il faut bion so garder do confondra avec ces
productions insignifiantes uno œuvre dont la porto est
profondément rogrottublu. Nous voulons parler du
3tar(fiiès Au jugmnent d'Arislotu, eu poèmo était M
l'égard de lucomédio co que Vliimle olV Odysséeûttti>nt
& l'égard do la tragédio Dans un récit plaisant, «lotit
nous ignorons malliourousomcnt la sujet, figurait, comnir
porsounago principal, le héros qui donnait son nom
au poème, Mnrgiles. c'ost-tt-diro lo sot par «xcollenco 3.
Un vors, quo Platon nous a conservé, le caractérisait
d'une manièro aussi vigourouso quo spirituollo
dechoit*,Disl»
II uvoict«i.-obftucouj) pi*unesoute il hat *•
commo

Margitès n'était donc pas un pauvre d'esprit; lo poète


l'avait conçu plutôt comme une intelligence bizarre,

1. tfoir Welcker,Cycle,i, p. 184.tioettling. De Margitahotmnim,


Iena. 1803.
2. Arist.. Poét.,c. iv 'O y«PMapYÎnssivdt).oyov!E-/ei.
wo««p'I).(à{
'Oliania. itpôct«« Tpaywîfcu. Voir
oût» x«\oi«« «f'o; t««xw|ia>Sia(.
tout le passage.
3. Map-fÎTT,î, de fâfyo;. inaeneé. Eust. p. 1839. râv ânb toO i»»pf«!vîtv,
6 fat! jwjafem*.
4. Platon,SecondAtàb.,p. It7 B et O lié/ ïfY3««»»:
fimVxa.o
t* ~at« aâvsa.
LE MAROIT&S 595

pleine do volléitéà et d'idées incomplètes, mais dénuée


do jugement et do sons pratique.
« Les dieux n'avatentfait de lui ainn travailleur deterre
ni un lauauraur, ni l'homme d'aucun métier il n'était ca-
pable de rien »
Co qu'un poète, qui était on môme temps un moraliste,
avait pu tirer do culte conception, noua l'imaginons ai-
Béinont, et la célébrité du porsonnugo dans l'antiquité
nous encourage a l'imaginer. Son nom était passé en
pravcrlio. On le citait comme la type de l'homme qui
fait du travers tout co qu'il fait, ut se rend ridicule dans
les choses los plus simples Quollo quo fût l'action,
Margilès s'en allait donc a travers la vie on achoppant
à toutes les pierres et on donnant do la tôto contre tous
les murs; c'était, pour ainsi dire, l'antithèse vivante
d'Ulysse Lo génio grec s'était offert on colui-ci le
spectacle do l'inlelligonco déliée, pratique, prête à tout,
manifestant lo» qu;ités dont il était lo plus lier il s'a-
musait & présent il considérer dans l'autre les défauts
les plus opposés. L'élémont satirique, qui apparaissait
à poine dans l'ancionno épopée sousles traits de Ther-
site, s'était dégagé complètement et devenait épique à
son tour dans ce récit nouveau qu'il remplissait.
Par là même, on ne peut admottre, commel'antiquité
l'a cru, que le Margilès ait été composépar lo premier
vt,7, etCUm.d'Alex.,Slrom.,I, p. 121
1. Aristote.Éth. d Nicom.,
Syiburg.
2. Suidas, v. Maprfoic; Dion Chrysost., Oral., txvi; Lucien, ller-
mot., a Scol ad Philopseud., 3. Harpocration. Mapyixrfi. Hésychius.
KaftnxtK et UafxivM (Paul-ôtre, au mot Map-rêne, trouve- t-on une
allusion à une des aventures comiques du héros). D'sprès Dion
Chrysost. (Or. 83. g 4). le philosophe Zenon avait écrit sur le Margi.
tè$ comme anr l'Iliade et VOdytsie. Harpocraliou, pan. cité, parle de
l'admiration de Calllmaque pour ea poème.
3. Voyez, pour les principaux traits de sa sottise, Kinkei, Epie. gr.
fragtn., p. 83, fr. 4 et S.
000 CHAPITBK XIII. – FIN DE L'ÂGE ÉPIQUE

autour ds l'lliade L'âge dos grandes inspirations hé-


n'est pas celui do la satire, ot lorsqu'on se pas-
rotquos
sionno si ardemment pour les héros, on no descend pas
volontiers aux choses ridicules ot vulgaires. L'esprit de
co poème, tel quo nous pouvons encore le deviner, ap-
commence aux
partient manifestement à la période qui
Travaux d'Hésiode et où brille principalement Archi.
alors à
loquo. Un réalisme hardi ot vigoureux so mêlait
la poésie. Gollo-ci se détachait des choses du passé pour
so donner à celles du jour; la réflexion morale prenait
une intensité et une àpretô toutes nouvoiles; et tout
cela s'associait naturellement à la hauto fantaisio, aussi
vivante que jamais. Le Alargitès naquit alors, et, comme
pour marquer cette association si frappante de l'épopée
à la satire, lo poète anonyme qui le conçut y mêla lo
vers iambiquo, dont la fortune commonçait, avec le ve;
héroïque, déjà illustré par tant de chefs-d'œuvre

III

Ce poème remarquable, simplement entrevu par nous


nous montre bien où on était
dans une demi-obscurité,
l'esprit grec à la fin do l'âge épique.
cents ans, la Grèce apprenait chaque
Depuis quatro
à hardiment et plus fortement. Elle
jour penser plus
celui de
avait commencé par un rêvo magnifique, l'épo-

1. Aribt., Poét., e. xv; Mor. à Nieom., VI, 7; à Eudème, V, 7. Pla-


ton, Second Alcibiade, p. 23h Plntacqne, Démoslh., xxm, etc.
2. Aristote, pas», cité. Héphsstlon, Manuel, p. 112 Gaisford. Marias
associé à
VietorinuB, Ara metrica, 1. II et In. I/iambe n'était pas
l'hexamètre dans te Margilèsde feçoa à former des strophes régulières
il s'y métait «à et là, sans autre règle que la voloutô du poète (H6ph.,
ouv. cité, p. U9. Marias Victor., ouu. cité, p. 133 Keil.)
ÛRKGÂPBÊS L'ÊPOPÈE 667
t'JBSPRIT
divine. JI y était
pée. L'homrao y raonait un vie presque ses dioux,
grand par le courage, par la protection do
de sa force.
par la noblesse de sa race, par le déploiement
Une sorte do rayonnement merveilleux l'y environnait.
L'héroïsme était l'état naturel do son âme, et les misè-
ros de sa vie ne se laissaient voir qu'autant que l'art et
la vérité poétique les réclamaient pour rendre vraisom-
blable cet héroïsme. L'Iliade, voilà le type incompara-
ble de cette poésie tout éprise d'idéal. Mais, peu à pou,
l'ombre do la réalité monte sur cette grande lumière
la vision se rapproche de l'observation. Déjà, dans 1*0-
rêve poétiquo
dyssée, l'héroïsme est moins soutenu, le
est moins pur et moins haut j une philosophie pratique,
un sentiment fort dos conditions vraies de la vie s'y ma-
nifestent soumis à dos épreuves prolongées, lo héros
subit d'une
principal s'y exalte moins dans sa force et
manière plus humaine sa destinée. Et toutefois, c'est
les le chan-
pou do chose encore. Mais, dans Travaux,
est grand et profond. Là, le rêve de la vie hé-
gement
à le poète
roïque est dissipé à peine si, do temps autre,
nous le laisse encore apercevoir comme flottant dans le
lointain. Quant à lui, il est tout entier aux choses pré-
sentes et c'est de ces choses même que sort sa poésie
elle ost faite des impressions quotidiennes qu'il en re-
çoit et des résistances que sa nature énergique y oppose.
Le sentiment personnel y est puissant elle implique
une réflexion ferme et persistante, qui tend à prédomi-
ner sur l'imagination elle-même. Il est vrai que dans
le mémo temps la poésie héroïque vit encore dans les
de ces
longs récits du cycle mais l'infériorité mémo
récits semble indiquer que le sentiment public n'est
tient sans doute à con-
plus entièrement avec eux. On
server la mémoire des choses passées, mais on veut
vivre de plus en plus dans le présent. Si la poésie hésio-
diquo est locale à l'origine, elle n'en traduit pas moins
508 CHAPITRE XIII, FIN DE L'AQK ÉPIQUE

une manier» do sentir qui est général» la naissance


d'une littérature suliri(|in<, dont lo Morgith peut tflro
regardé comme le typo, atleslo que l'homme a pris la
placo du héros et qu'au plaisir de rêver on associe do
plus ou plus celui do juger.
Voilùdouo uno tendance bien aecuséo, donti'offet der-
nier no pouvait ôtrt» quo do substituer à la poésie nar-
rative une poésie pins persunnollu. Mais il ho faudrait
pus croire que «ello-ei eu natssaut ait chassé l'autro, au
point do n'on rien luissm- sulisisJer. Non souloiiioul la
poôsie épique a survécu pondant taul l'Ago lyrique et au
del<i par les récilaliuns tlos rhapsodes, mais elle y a
exercé une influonco de tous les instants. C'était oilo
qui avait constitué d'une manière définitive les princi-
palos légendes et ces légondes ronformatont L la fois
presque touto l'histoire et toute la sagesse dos aièclos
précédents il était impossible do penser sans songer
sans cesse à tout cola; les jugements sur los choses pré-
sentes impliquaient une comparaison perpétuelle avec
celles du passé. C'était aux souvenirs do l'épopée que la
poésie lyrique allait donc emprunter los divorsos ima-
ges d'idéal héroïque dont ollo aurait besoin, soit pour
instruire, soit pour blAinor, soit pour encourager bien
loin do rompre violemment avec ces admirables récits,
elle devait en fait se les approprier pour les mettre en
œuvre à sa manière.
Et à côté de cette influence visible et roconnuo, com-
bien l'influenco secrète des mêmes poèmes n'allait-elle
pas agir profondément? L'épopée avait fait pendant plu-
sieurs siècles l'éducation intime des esprits elle avait
rompli les imaginations de belles et grandes images, elle
avait mis en circulation une quantité presque infinie de
sentiments et d'idées, elle avait créé un langage délicat
et superbe. Lorsque le lyrisme commenta à s'organiser,
tout ce qu'il y avait en Grèce d'hommes sensibles à la
l/KSriUT ORKU APRÈS L'ÊIWÊE 5fl9

poé$ione pensaient que par lfumère et par llé'imlo, Los


patentes qu'onlour attribuait étaiont ulura lu seulu lilté-
rature connue. Chacungantait leurs vors dans sa mo«
muii'ocomme l'expression la plus m'inplo«il lu pluspar-
faite «lotout ce que la vif avait enseigna aux géiiéraiioua
niiliM'ieurt's.Co n'était pas, comme pour iuihh, une •!«»
forinos «lelu poiVsio,u'étuit lu puâsîo absoltutiuiit ut In
poésio, «'ôtait tout, on tait cl'oxiiôrioiu'omora!t\ île
t*t«s-
st'itMiroliislorii|ui<,du sutisfuuliuiis intt«IK'i!tiu*ll<>H
tli(&U(|iios.Doncon vivait tlans l'ûpupée»ou y respirait,
unyliuliittttt..Nalurellomeiit l*»sgr«nJt«!*«jtmlités«lu
génie lielléniquo qui l'avaient ollo-màmo proiluite m
fortiflaiont à présent par elle, sans qu'on on eût cons-
cience. Des esprits tout imbus d' Homère et d'Ilôsiotlo
ôtaiont par là mâmeimliusd'or«lro,<l'liarinonic,dobeauté
vivanle, do sincérité, do graco oxqutso ut do hardiosso
honsée. La poésie lyrique, conçuo et coiisliluéo par eux
•l pour eux, ne pouvait quo leur ressembler.

1
y t'
FIN DUTOMEPHEUIER
TABLE DES MATIÈRES

Pag<
Préface • v i-xxxvi

INTRODUCTION

I. La race grecque et son génie 1


II. La langue grecque *»
III. Caractères généraux de la littérature grecque. Les gran-
des périodes de son histoire. 37

ClMPITMKPHEMtKIl.– LES ORIOINES.

I. Ancienneté de la poésie on Grèce 80


Il. Les Muses et la poésie thrace ou piérlenne. Orphée et
Linos. Musée, Eumolpe et Pamplios 83
III. Le culte d'Apollon et la poésie apollinienne. Oten 60
IV. Chrysothémis, Philammon et Thamyris. La poésie des
hymnes. • • 67
V. Les Italiens et les Ioniens en Asie Mineure. 76
VI. Les héros. Les aventures hérotques. Légende de la
guerre de Troie et des Retours. 81
VIL Les premiers chante épiques. Récits d'ensemble récits
86
épisodiqués. Leurgroupement spontané.

Cha*. Il. L'Iliade. Analyse critique bo poème.

Bibliographie de l'i««fe. 98
I. Nécessité d'analyser les poémes homériques pour trou-
ver Hombre. Division de l'Iliade en livres et sections. 100
II. Livre I la Querelle. Sa valeur et son importance. t03
578 TABLEDESMATIÈRKS
III. Livre» H-X tluptuM du pltro primitif. Sujet» variés, m
IV, Uvre XI: Iletmir a l'itUe principale la P^f«Uf<rA</a-
mmuntut H de ter tumpagnam en l'ftbsane* d'Aeuilte. ISS
V. Livre* XII-XV Dévalappamenl <tyl§ -dlqua d» la Ilot»
lion VAttaqut <la nintp et île» vahteuux, ISS
VI. Livres XV<ftn)-XVIIî In Pahwtif U9
VU. Uvres XV1U-XXI V. I.n II» du pa«ma ou AthilléUI», cons-
titua» autour Ju râcit do 1» JU«rfd'Hector (XXII» livro) i(9
VIII. Canuln^iona 163

ClIU'. III.– FoHM^TlOXUK l.'Il.UIlK.


1. Opinion traditionnelle »ur l'unitA primilivti do VHiiule.
Olijecllon» prétirninitiroa Invraiiemhliincn d'une
grand» composition au temps oit <tst né le poima. 161
II. DisoiiB«!ou des sysliime» d'unité primitive. Nitïtch et
Olfriet Mflitor «73
III. Uiliutif eonMifitio comme un ftsuinblaga de petit* poè-
mei indépendant*. Wolf. JJngns-Monllwl, LaeUmann.
itôTuiaiion de cette manière de voir. 170
IV. Systèmes ititermédinirAs. Wolf Uod. Hermann hy(io-
thiso de (irote Ouignl«ut et Kondily. 483
V. VoWtâ probable. Le premier noyau de l'Uiati*. Chants
liés en târio et chants annexes 187
VI. Chanta de développement. 191
VU. Chants de raccord. 200

Ciim>. IV. LE ofiNiË et l'aht outta l'Iluue.


I. DiinooBiona et proportions du poème. Unité du sujet.
Marche de l'action. Variété 205
II. Le râcit. L'ordre et la elarté associés a la vie et au
mouvement. Vérité morale. Simplification bardle. Art
de composition dans les principaux récits. Orandeur et
idéal. Les héros et la foule 210
III. Descriptions et comparaisons. Discours 219
IV. Les personnages. Caractère dAchille; son développe-
ment. Les antres héros. Personnages de femmea; An.
dromaque, Hécube, Hélène. Valeur morale et natio-
nale de ces caractères 228
V. Les dieux, 4 2«
VI. La langue et la versillcation 247

Chapitre V. – L'Odyssée. Analyse DOpoèbb.

Bibliographie de VOdyuée. MT
I. Indépendance des questions relatives à VOdytTt», î<as qua-
tre premiers Uvres 260
TABL8l)E8MATlâRBS 578
II, Uvres V-YIII Ulyua «bai les Piiàgoiana 86»
III. Ltvrw IX-XII: !*• récita d'Utywa ( 'AJmfawàij4*OY«t> 87*
IV, livres X111-XV1 la rentré» d'Ulysse AIilm<|iu> gai
V. Livre» XV1I.XX le* épreuves d*Uly#»o dm* «on jm-
txl» m
VI, Livra» XX1-XXIV 1» v«mge«o« d'1'lyaae SOI

Ctlfcl*.VI. – KoUUATIùN-
MBl,'U(iVSSÉK,

I, Syatoma de l'uullô primitive; N'Usait et oifr. Millier.. ami


II, Sysliima <]as c!xinta lndé(toatlai)tH lu Tèlenunliif, li -iJlt-
i!j/j (flllijait, la aecaiiiUi purtia 3t3
III, hNnui» do rcoonslilulitm diis giouiios faiulitiwut.tus
Koeolily et KlrcliliofT, SIS
IV, Naissance tle n«y*.<^ r.Hèmout iirimilif. UI8Ii
V. IVve!opi»mBnt do l'f '«''• (>urI» ctmtinunlloa du rOolt. 322
VI. L'iiebàvomant du (îoèiuo -'&'>

ClIiPITKS VII. – JiK O^XIB Eï «.UT IUS3 I.'0llV8SÉB.


I. Étonduo et proportion du poème. Unité du sujet niiir-
«lu»do l'action. L'Orf.v.isi'cmuins viiriiW que Hlîmli' 9îS
II. Le r^âit. GftrncUMroBhouvoiuix mo'nm d'dinotlon ot plus
de curiosité. Los erandea acono.4 IR 'fern/iit?, la Mort
îles priteniiauls. Ton général du puùmo: ruruto des
comparaisons, vrateotnblanGo et finesse du rtsclt.
L'hommeot lu mituro t'hubitatkm it'Kvunéo. Fantaisie.
Le naturel dans le morveilleux le Cyclupe 'J'J'.
1,
III. Los praonnagim I/'ly«8« valeur îi.iùtiquo et morale de
son caractère sa prWiiiincnco dans la paèmo 314
IV. Personnages secoudaires los alliait d'Ulysse, Télima<|ne,
Kuméo et Pbiloitios; ses ennemi», les prétendants. Per-
sonnages légendaires :Alkinoos, le roi hospitalier; Nes-
tor et Ménêlas 35l
V. Les femmes Pénélope Arèté et Hélène; Nausicaa 357
VI. Les dieux dans l'Odyssée. Ils sont plus unis et plus mo-
raux que dans l'Iliade. Différences de détail. itOlo d'A-
thèné 363
VII. La langue de VOdyssie 367

OlIAP. VIII. HlJUÈREET LESIIOJlÉniDES.

I. Les biographies d'Homère 372


II. L'histoire probable l'êlémont éolien et l'élénwnt ionien.
Les Homérides de Gttios 379
III. Diffusion de la poésie homérique. Les aèdes. Voyagea
des Iloiuôrtties. Les Créophyliens de Sqmos 385
574 TABLE DKS MATIÈRES
IV. 1-e» rhapsodes. Accueil Mtanx poéalea homériques dans
illveraaa oltés. Lycursue, Soton, PisUtrate 390
V. DaUeJiranologleùomértyua. 'JUS

Uiup. IX. – ï.v ïoêsik ov«nou«;

Bibliographie du cyclo 401


I. Idée générale du cycls. 403
II. Lu partie trayenue du eytilo. Aratinos de Mtlei, Êthio-
ftiitf et Pri$i <riiios. Loishéf Mil» Iliade. Slasinu» de
Chypre, Chanh cyprlen*. Agi* lt$ Hilaur», ICugamon,
l..i TMigoni» 0 413
III. Lei poimas oy«|lquoa lltAliafns; La TMtmïdt, In tyiijo-
mm, tOMipodi» i 4S3
IV. Les autrot puèuio» cycliquw î^timtwiinAt*, Douaidt.
Guerre rfci .l«i«:o;ii"ï, AJinj/«i/c,IVJxe <f<VCrA(i/i>.
»lo 439
V. Pimwdre de Wmdes les thiagamXn Mroï-
que». 433

UtUI'. X. – ANTf.CftllBNTSDUI.l POÊ8IKIIÊSIUUIQUB.HâltlOUE..


I. La poâsie héslodlquo est osiantleUement dlductique elle
appartient & la CirJco contioentele 4U7
II. ÉlèmonlB do la poésie Itâatodique avant Itéatode 1° ÊIA-
ment gèoèalogique S» Mythes moraux 440
III. Apologues. Sentonces. Préceptes techniques 443
IV. Hésiode. Légendes et histoire 447
V. En quel temps a vécu Hésiode? 1 455

Cn.w. XI. LES Th.waux ct lks Jours «.r l*. I'oêsie puxtkjuk

Bibliographie hésiodlqae 4S9


I. Analyse du poème des Travaux et 7our* 402
H. Unité primitive du poème. 469
III. De»sentiment» qui inspirent la poésie d'Hésiode. 477
IV. Les mythes dans les Travaux 485
V. Mérite descriptif. Comment Hésiode a vu la nature. 492
VI. La langue d'Hésiode MO
VII. Autres ouvres de poésie pratique 505

Ciut>. XII. – La. Tuéooonie ET LApoésie oExeM.ooto.UB.


I. Idée d« la poésie généalogique. 599
Il. Analyse de ta Théogonie 51t
III. Unité primitive du poème. Dessein général de l'auteur.
Conjectures sur la 3&ts do l'oeuvre. Amroiaseineiils
.probables. • 628
TABLEDESMATIÈRES 575
IV. Miirile poélUiiii' de la Magame. VeraiHoalion et tangua
du |«tèim> (as
V. Attira* poômt'3 «Anêalosique» attribué* IIdaiad« le*
CtttHlùjiuet. le* ILiiHiitt fcV», aie, l'oliltu ifopta» jié-
aMtqnfa. jitt

IÎIUI-. XIII. – I<* FIN I1K U'\UKKt'KUrt,

Rihtingi'npliiu do.s IIi/iiiws, do In ltut,wlwniyamarliie ol tles $/ii-


jMwiMici 551
I. Pin de l'dga éjUijuo. Les llymim Malioim-riques, ft
la* É/iiui-niiHi)?*, 85a
II. Lu llntni"ti'imij<,mnrliir etla Mui'nitfn 5fia
III. l/osprll pr<iB i'i I» Un ilo l'Age ôpit|u« .». ii(i«

/J f.
tapriumm- ifintnif de C.lullillon-sur-Seiao.
– Pichat tPptws '• •
BIBLIOTHÈQUENATIONALE

ATELIER DE RELIURE

COTE> '
OCVSAGE
RESTAURÉ
LE rU M 1 V |i^
ItSIJÊ iE I. – – -–•

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