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AUTOUR DE LA 4METHODE 4 DE MARIE JAELL ET DE SON APPORT L'ENSEIGNEMENT DU PIANO par EDUARDO DEL Puryo. sées uniquement de morceaux de ¢ petite », « moyenne » et « grande » difficulté. Nous nous trouvons, au contraire, en présence d'une doctrine trés vaste, résultant d’une analyse rigoureuse d’un grand nombre de faits et de phénoménes, doctrine régissant des disciplines de travail des plus fécondes. Cette doctrine est fondée sur une pensée originale entre toutes : les mouvements transmettant U'expressivité musi- cale au clavier sont susceptibles d'analyse. Au principe de sa recherche, Marie Jaéll a posé Je probléme de I’exécution pianistique sur une base psycho-physiologique et l'orienta de ce fait dans un sens nouveau. Comme Ia plupart des pianistes, Marie Jaéll avait éprouvé les faibles- ses de lenseignement traditionnel et subi leurs conséquences. Comme interpréte et comme pédagogue, elle avait éprouvé que le résultat obtenu par l'enseignement traditionnel du piano était loin d’¢tre en rapport avec I'effort produit. Marie Jaéll a l'immense mérite d’avoir non seulement donné une direc- tion nouvelle aux recherches relatives au jeu pianistique mais, en outre, davoir discerné, classé ct expliqué un ensemble de faits et de phénome- nes d'importance capitale qui avaient échappé & l’observation des artis- tes et des pédagogues. Doit-on s’étonner de ce que les artistes et les pédagogues aient laissé ces faits et phénomenes dans l'ombre? Non, si l'on tient compte des pré- jugés qu’ils acceptaient comme des lois. L’un de ces préjugés, le plus néfaste peut-ttre dans ses conséquences, consistait — et consiste encore —A admettre la prédestination de l'artiste, la valeur souveraine et ui quement déterminante des dons que celui-ci recoit en naissant, et a Tefuser toute possibilité d’investigation, A la Jueur de la science, du pro- T ne s'agit pas ici d'une de ces méthodes dites progressives, compo- EDUARDO DEL PUEYO cessus de la création esthétique. Artistes et pédagogues n'ont d’ailleurs as cherché & en pénétrer le mystére ! Dégagée de ce préjugé, Marie Jadll a pu s'engager dans des voies igno- rées conduisant vers des horizons nouveaux, plus vastes et plus clairs, Elle a pensé qu'il est possible de jeter un pont entre la Science et I'Art, elle a posé les piliers sur lesquels ce pont peut étre établi définitivement, qui permettra d’atteindre I’Art en partant de la Science. C'est de Marie Jaell qu'est née lanalyse raisonnée de Vaction engendrant Uexpression musicale, analyse qui permet a tous dapprendre a faire cette action qui équivaut @ Vaction non raisonnée produite par instinct artistique. J'ai exposé, un jour, a M. Charles Leirens, l'une des idées fondament Jes de Marie Javll, qui consiste a considérer exécution musicale comme une fonction direete des mouvements qui la produisent et de leur re~ présentation mentale. M. Leirens a bien voulu me rapporter une conver-, sation qu'il a eue avec le podte Paul Vatery. Voici Vhistoire narrée par ce dernier d’aprés une relation faite par un Anglais qui a suivi Paganini pendant des années afin de surprendre le secret de l'art du violoniste gen jour, I'Anglais curieux a la chance d’occuper dans un hotel une chambre contigue & celle de I'artiste. I perce un trou dans la cloison et, le jour du concert, il apergoit Paganini étendu pendant des heu- immobile sur son lit, les yeux ouverts. Avouant son indiserétion, il pric Paganini de vouloir lui dire la raison de son attitude et si elle a un Vapport avec son art, L’artiste lui répond que, pendant sa longue im- mobilité, il se représente mentalement tous Jes mouvements a faire pendant Y'exécution. Vraie ou non, cette anecdote est piquante. Mais, en tous cas, I'at- titude de Paganini s'explique fort bien par cette citation que Marie Jaéll reproduit dans son livre : Le Mécanisme du Toucher (Paris, Alcan). lle se rapporte a la coustatation faite par M. Fleschig & propos du mou- lage de la surface interne du crane de J. S. Bact: «Le savant, voyaat le développement prédominant de la partie du + cerveau od se localisent les représentations mentales des sensations » musculaires, des mouvements des bras et des mains, a soulevé la ques- v tion de savoir si, en dehors des organes finement développés de l'ouie, »la base des capacités musicales de J. S. Bact ne dérivait pas d'un » seus musculaire extraordinairement développé et de la faculté de réu- *nir les représentations visuelles des notes avec la représentation des » mouvements ». AA premiére vue, l'on suppose qu'il n'y a aucun rapport. Mais on aurait LA «METHODE+ DE MARIE JAELL tort de nier celui-ci a priori. Marie Jaéll a fait une longue jence et on développant ses représentations mentales des mouvements, elle a senti s’éveiller des facultés nouvelles pour le plus grand profit de ses exécutions pianistiques. L'expérience de Marie Jaéll est a la portée de tout le monde. La représentation mentale des mouvements place ces derniers sous le controle de esprit et permet, par conséquent, d’éviter l'automatisme du mouvement qui est Je résultat inévitable de toute méthode de travail basée sur la répétition continuelle. Rien n'est plus empirique que ce procé- 6 qui consiste a répéter constamment un morceau, un passage, un trait, pour arriver a l'exécuter facilement, pour le garder dans la mémoire. Pour Marie Jaéll, au contraire, les mouvements ne doivent pas se faire machinalement, automatiquement. Elle prescrit une méthode de travail qui force l’éveil de la conscience du moindre mouvement, qui dé- veloppe ensuite cette conscience jusqu’a ce qu’elle rejoigne la conscience de Ja musique, car le mouvement transmet l'expression musicale comme tes signes de I'écriture transmettent la pensée ». Marie Jaéll veut créer une méthode qui puisse éveiller les facultés chez les étres qui ne les possédent qu’a l'état latent. Elle impose des efforts pour développer ces facultés, parfaire et multiplier leur rendement. Lartiste qui aura ainsi créé Iui-méme ses moyens n’aura-teil pas plus de mérite que celui qui les aura recus de naissance? Liexécutant doué doit chercher a connaitre les dons dont il jouit Pour pouvoir en dépasser les limites et en disposer 4 tout moment. Que fera-t-il lorsque les facultés qu’il a recues réagiront faiblement aux ordres de 1a Musique, s'il n’a pas appris a s’en servir? Il tachera de sup- pléer aux carences en eherchant a s'émouvoir pour émouvoir les autres coilte que coiite, mais cette irritation brutale de sa sensibilité n'arrivera Pas 4 nous donner la révélation de la beauté esthétique que nous attendons de lui. Chercher a s’émouvoir ou a émouvoir est la plus grande faute qu'un interprite puisse commettre envers Iui-meme. Pourquoi V'artiste attendrait-il tout de lintuition, ou pourquoi préten- Grait-il etre souvent dans l'état harmonique qui le soumet 4 Vélan de Vinspiration? La discipline de Marie Jaéll, au contraire, lui impose de se créer lui-méme un état équivalent de cet état harmonique auquel ses dons le préparent par intervalles variables. Si la Providence ne lui accorde de frequents retours de cet état de grice, cette discipline lui per- mettra d'y suppléer dans une grande mesure. En éveillant la conscience du mouvement, Marie Jaéll nous rend ca- Pables de mieux analyser et connaitre ce dernier.

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