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M. LEON DAUDET De tous les jeunes gens qui, en ces dernidres années, se sont fait un nom dans les lettres, M. Léon Daudet est, avec M.'Paul Claudel — ce dernier plus ignoré, mais non moins attachant — celui qui m’intéresse le plus, celui de qui. il faut, en toute certitude, attendre les plus belles cuvres, I’ceuvre définitive, peut-Cbre. N’est-ce point trop ambitieux, pour lui, ce que j'affirme 1a > Et ne dois-je pas craindre d’attirer la dé- ception sur une ceuvre que de la prédire telle > Je ne crois pas. Edmond de Goncourt, dont Yamitié qu’i] avait des gens n’influengait ja- mais le jugement critique qu’il avait des oeuvres, et qui, souvent, fut d’une Joyauté si dure en- vers ceux qu’il affectionnait le mieux, ne se trompait point quand il saluait, avee enthou- siasme, les premiers livres de son jeune et filial aa i ia \ATI™ ome M. LEON DAUDET 93 fami. I m’en parla chaleureusement, bien des © fois. Aucune personnalité Vittéraire ne le trou- ‘plait, ne le passionnait davantage, et il mon- trait, dans Pavenir de ce précoce et déja puissant talent, une confiance pleine de sécurité et qui m’était chére, puisque je fa partageais avec lui. Je connais peu de vocations d’6orivain qui se soient manifesiées aussi impéricusement,. aussi impétueusement, pourrais-je dire, que celle de M. Léon Daudet. Elle eut cette chance de n’avoir été contrariée ni dirigée par une famille qui comprit que l'on ne recommence pas une ccuvre, si glorieuse soit-elle, et qu'il importe que Voouyre appartienne & qui la crée, M. Léon Daudet fut donc libre d’aller, dans le sens de sa mature, & la conguéte de sa propre. ¢ originalité IL se fagonna soi-méme, sans autres maitres que ses lectures. Méme quand il crut devoir orienter son esprit vers Ja science et qu'il suivait les cours, & la Faculté de médecine, on le laissa faire, et pas un/de ceux quit vivaient prés de lui me douta un/seul instant, que cette incursion scientifique nfaboutit & fa littérature. Gar ce n’était, au fond,\ chez dui, qu'un besoin littéraire, une soif ardente de connaitre, et la . juvénile assurance qu'il allait, par la science, entrer dans le monde merveilleux de Ia vie. Cette impression ne se vérifia point, du moins dans Je sens ov il en avait prévu Jes résultats. En ce miliew que restreignent aux limites d’une pri- NE UIP eS 94 LES ECRIVAINS son les murs étouffants de Ja matitre, ob I’étude de la personnalité humaine se borne aux fouilles du scalpel dans Je pus, dans le sang figé, dans les chairs verdies des charognes d’amphithéatre : ot I’on voit des tétes graves interroger les coeurs morts et Ies veines taries ; o& la Pensée s’ex- plique par des mensurations de tailleur et de chemisier ; ot l’Amour, tient, tout entier, dans Vempirisme des anthropométries illusoires, il y gagna, du moins, avec le sujet d’un beau et terrible pamphlet, les futurs Morticoles, ces désenchantements de Jorgueil scientifique qui donneront & toutes ses cuvres, plus tar], ce godt si passionnément amer, ce caraclér= si duuloureusement exalté, de l’idéal et de la foi. Mais, n’avait-il point trop demandé a la science > N’avait-il point exigé d’elle des édlair- cissements que toutes les philosophies, toutes les religions, et Dieu lui-méme, dans son recul d’intraversables nuées, nous refusent obstiné- ment ? Et quels désenchantements nouveaux née réservent point & une dme inquiéte comme la sienne, qui veut des raisons Vhomme, @ la’ nature, & lunivers, autres que celles de leur propre existence, la foi enflammée et le mysti- cisme dévorant de Suzanne | La paix n’est jamais & celui qui pense, et Ja douleur est tou- jours a celui qui aime. M. LEON DAUDET 95 * ** M. Léon Daudet n’écrit point pour s’amuser et mous amuser & de petites histoires roma- nhesques, de petits adultéres sans importance, de pauvres petites immoralités pour rire. I n’écrit pas davantage pour uniquement sertir dans l’or des phrases creuses les joyaux du verbe éblouissant et nu. Il écrit parce qu’il y a en Jui une force supérieure qui le pousse A écrire des choses essenticlles, 2 crier ses pen- sées, & donner la vie et Pexpression aux idées qui tourmentent son cerveau et y bouillonnent. C’est vraiment de lui qu’on peut dire qu'il est « un intellectuel » au pur sens de ce mot, si galvaudé, aujourd’hui. Non pas un intellectuel & la fagon de ces psychologues, raisonneurs et classificateurs, systématiques et glacés qui, sous la morne vitrine de lanalyse, étiquettent et cataloguent leurs sensations, comme !’entomo- logiste ses insectes morts, Ie botaniste ses herbes desséchées. Esprit plein de saves tumul- tueuses et d’activités grondantes, il est toujours en marche, toujours en galop vers les hauteurs. Rien ne |’arréte, et tout excite sa fidvre. Les obstacles et les gouffres, loin de les contourner avec des prudences minutieuses, i] les franchit d’un robuste élan, au risque de se rompre les os. Les idées-et fes images — reflets des idées — se pressent, s’accumulent, flambent, chauffent 3

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