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L’UTOPIE DE LA COMMUNICATION :

LE MYTHE DU « VILLAGE PLANÉTAIRE ».


Philippe BRETON

Mots clés :
- Société de communication
- Utopie
- Entropie
- Cybernétique
- Information
- Science fiction

Philippe BRETON, chercheur au CNRS, enseigne à la Sorbonne. Il est notamment l’auteur de


l’Explosion de la communication ou le Culte de l’Internet.

Thèse de l’ouvrage :
L’idée de « société de communication » n’est pas nouvelle. Elle date de 1942 et a été l’œuvre du
cybernéticien WIENER. Il s’agit en fait de considérer l’homme comme un être purement social,
capteur et générateur d’information.
Cette utopie a bénéficié d’un moment favorable dans l’histoire pour pouvoir s’étendre. Elle
remplit le vide philosophique lié au traumatisme issu de la 2nd Guerre Mondiale.
Cependant, l’auteur démontre que cette société de communication n’est qu’une utopie, car
parallèlement à elle réapparaissent de nouvelles formes de xénophobie.

La méthode :
Le raisonnement se fait en 2 temps, le 1e étant de démontrer que cette notion de société de
communication n’est pas nouvelle, et le 2nd de monter comme elle apparaît comme une valeur post
traumatique.

Intérêt du sujet :

 Une question politique :


o Rapport de l’idéologie de la communication et l’existence de forces politiques qui ont
o en commun le désir d’exclusion, de repli et de purification.
o L’apologie d’une universalité planétaire sans contenu, les enthousiasmes naïfs pour les
« mondes virtuels » et le « village global » ont paradoxalement rendu attrayant le repli
identitaire, le rejet de l’autre, comme moyen de retrouver de « vraies racines ».
o Concentration entre les mains des médias du pouvoir sur l’information les rend des
outils potentiels de vastes entreprises de désinformation. Les autoroute de la
communication pourrait aussi être le support d’un régime totalitaire.

 Le vide de la culture
o Peu de critiques de la « société de communication » : R DEBRAY, J BAUDRILLARD
et L SFEZ, A GRAS.
o La critique de l’utopie : maintenir une distinction entre les outils et l’usage que l’on en
fait et surtout la place et la signification qu’une société leur accorde.
o La question pertinente est donc de se demander pourquoi nos sociétés accordent,
depuis le milieu du siècle, une telle importance à la communication. Cette utopie a des
allures de fausse modernité (traits conservateurs). La présence des techniques dans
notre environnement quotidien n’est pas le signe automatique de la modernité.

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oA priori, la véritable modernité est d’abord politique et seulement, ensuite,
éventuellement technique.
 Naissance d’une nouvelle utopie : Pourquoi parle t on aujourd’hui, autant de
communication ?
 Depuis quand ce mot a pris sa signification actuelle ? Les Lumières, 19es montrent une
sensibilité très forte à la communication et aux espoirs qu’elle suscite.// idée que le
développement des médias et de la liberté de communication sont des conditions
essentielles au progrès des sociétés.
 1942 : le retrait du politique qui s’amorce, la crise des valeurs et la progression du
relativisme, et surtout de profondes transformations concernant la représentant de ce
qu’est un homme dans une société donnée (la « constitution normative de l’humain »
de P LEGENDRE)
 N WIENER, créateur de la cybernétique, la science générale de la communication. La
cybernétique, après une longue période d’oubli a ressurgi avec les discours
d’accompagnement qui entourent les autoroutes de la communication.

Effets pervers de la société de communication :


Depuis la 2e guerre mondiale, nous nous méfions des utopies. Cependant, l’utopie de la
communication de WIERNER se répand dans la société est y provoque des effets pervers (un homme
sans intérieur, réduit à son image, représentation très large et universelle de l’homme par son apologie
du consensus, développement d’un néo-individualisme : l’homme vit dans une société fortement
communicante, mais faiblement rencontrante).

Mise en garde : l’objet n’est pas de critiquer gratuitement la communication, mais de s’interroger sur
son versant le plus excessif.

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PARTIE 1 : GENESE DE LA NOTION MODERNE DE
COMMUNICATION

I/ formation d’une notion unificatrice


La notion de communication est récente dans le sens que nous lui donnons actuellement.

Etapes de la formation de la notion :


- La nouvelle de notion de communication est née dans l’univers scientifique. Elle joue alors
un rôle unificateur. L’homme a toujours communiqué. La communication est à la fois une
opération technique du langage et un mouvement d’innovation dans le domaine des techniques
susceptibles de porter la parole sous la forme d’un message.
- naissance de la notion moderne entre 1942 et 1948. Il faut s’intéresser au lien entre les
techniques de communication et le contexte social dans lequel elles interviennent.

Thèse de MAC LUHAN a été popularisée dans les années 1960.


Selon lui, les grandes étapes de l’histoire de l’humanité ont directement découlé des innovations
dans le domaine des techniques de communication. Les sociétés humaines seraient directement
modelées, sur le plan culture, intellectuel et social, par les grandes techniques qu’on été
successivement l’écriture, l’imprimerie, puis les médias de masse.
Critique de la thèse de MAC LUHAN : Elle est trop simplificatrice. Elle fait l’impasse sur
l’ensemble des phénomènes sociaux qui sont préalables à l’innovation et qui conditionnent en amont,
le succès ou l’échec de telle ou telle technique.
Ex : échec de l’imprimerie en Chine en raison de facteurs sociaux (refus du mercantilisme), culturels
(matérialisme organique dominant dans la philosophie chinoise) ou intellectuels (mode d’organisation
et de reproduction du savoir dans la bureaucratie impériale).

A/ Les 3 moments de la communication

 Entre 1942- et 1947-1948 : la communication reste cantonnée au domaine


scientifique : la cybernétique opte pour un fonctionnement en réseau avec les autres disciplines.
Leur objectif est de construire ensemble un champ interdisciplinaire qui unifie sous une même
appellation un ensemble de phénomènes déjà connus (cardiologie, téléphonie).

 1947-1948 : volonté explicite de N WIENER (l’un des fondateurs du réseau initial)


d’étendre la portée de cette notion de communication au domaine de l’analyse, puis de l’action
politique et sociale.

 Après la 2e guerre mondiale : réflexion sur la communication. Jusqu’alors c’était le


monopole quasi exclusif des chercheurs en mathématiques, sciences naturelles.

B/ Paradigme unificateur

 La « cybernétique » :
C’est la recherche des lois générales de la communication, qu’elles concernent
des phénomènes naturels ou artificiels, qu’elles impliquent les machines, les animaux, l’homme ou la
société. La communication est associée à la notion de régulation.

 L’ « illumination méthodique de WIENER »


1942, WIENER, mathématicien, enseignant au MIT, cosigne un article important
intitulé : Behavior, Purpose and Teleology, puis un livre the human use of human beings (l’usage
humain des êtres humains qui sera traduit en français par « cybernétique et société »)

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Il propose de reconnaître la communication comme valeur centrale pour
l’homme et la société, et se déchaîne contre tous les régimes (fasciste, totalitaire, démocratique) qui
font un usage « non humain » des êtres humains. L’idée maîtresse est que tous les phénomènes du
monde visible peuvent se comprendre, en dernière instance, en termes de relations, d’échange et
de circulation d’informations.
 Un réseau fondateur qui touche des sciences différentes telles que l’anthropologie ( G
BATESON), la neurophysiologie (réseau neuronal MAC CULLOCH), et
l’informatique avec l’invention de l’ordinateur (VAN NEUMANN)

C/ La formation de la notion de communication au travers de ses textes fondateurs


C’est en 1942, lors d’une conférence que N WIENER affirment ces notions en rupture presque
complète avec les conceptions classiques jusque là en vigueur dans les sciences.
Originalité du texte : instaurer une nouvelle science, nouvelle définition de l’homme, et introduction
des grandes notions qui nourriront les futures « sciences de la communication » comme celle de
« rétroaction ».

1/ Une nouvelle vision du réel

o Il ne parle pas de communication, mais du comportement des êtres qui


consiste à échanger de l’information. :
L’originalité de la présentation réside dans le fait que c’est le mouvement d’échange qui est mis en
scène, et représenté comme intégralement constitutif de phénomènes aussi bien naturels qu’artificiels.
C’est là que réside la théorie du « tout communication »

o Critique de la « méthode fonctionnelle » classique qui postule une


« intériorité » des phénomènes :
Selon WIENER, affirmer que tout peut s’expliquer en termes de relations, implique clairement que
tout est à l’extérieur. Cela favorise l’émergence de la notion de transparence.

o La recherche d’une classification générale des phénomènes naturels,


humains et artificiels en fonction de la théorie selon laquelle les êtres
n’existent uniquement que dans leurs rapports mutuels :
Le critère est celui de la complexité du comportement d’échange d’information. On voit apparaître
l’idée selon laquelle plus un être aura un « comportement de communication » complexe, plus il sera
haut dans l’échelle de valeur de l’univers.
C’est à ce moment que WIENER introduit la notion de « rétroaction » qui peut être définie comme ce
qui sert à désigner la capacité d’un dispositif quelconque à recevoir et à émettre les informations
nécessaires au maintien d’un équilibre donné.(idée du thermostat).

2/Une synthèse scientifique


En 1948, WIENER publie cybernetics, un ouvrage essentiellement composé de
remarques et de résultats scientifiques et techniques qui sera diffusé largement. On y trouve des
développements abondants sur les analogies entre le système nerveux de l’homme et certains
dispositifs artificiels, importance des ordinateurs, et sur la synthèse des travaux sur la théorie
mathématique de l’information, ainsi que sur les implications de la cybernétique pour les sciences
humaines.

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II/ la portée sociale d’une nouvelle valeur
Dans son ouvrage publié en 1949 The human use of human being, WIENER développe les
raisons pour lesquelles la communication doit devenir une valeur centrale pour lutter contre la crainte
du chaos social. Son argumentation se déploie autour d’un axe qui oppose information et entropie. Il
va soutenir que les sociétés humaines ne peuvent être comprises qu’en termes de communication et il
oppose le modèle des sociétés « ouvertes » et « rigides (parallèle avec l’opposition entre opacité et
transparence).

A/ La construction d’une nouvelle valeur


La notion d’entropie va jouer un rôle central dans cette vision du monde organisée autour de
l’information et de la communication. L’entropie se définit comme l’ordre inverse de l’ordre
généré par l’information. Elle a été importée de la thermodynamique, dont la 2nd loi énonce que tout
système isolé tend vers un état de désordre maximal. WIENER va la transposer et l’appliquer au
champ de l’information. Il est en effet persuadé que l’univers est un système clos qui va vers son
nivellement absolu, et qui nous vivons dans un monde inéluctablement voué à la destruction. Mais
même dans cette perspective, il demeure certaines règles et valeurs humaines.

 Une théologie de l’entropie


WIENER compare l’action de l’entropie à celle du diable qui selon ST Augustin
revêt 2 formes : l’imperfection, ou l’être qui sème le désordre et la confusion. Pour lui, l’entropie
« naturelle » de l’univers est une imperfection originelle, mais pas un phénomène trompeur, car une
fois qu’elle est connue, celle ci ne change pas. L’entropie que l’homme peut générer, par contre, relève
d’un procédé malin au sens strict. Ainsi le langage peut être brouillé par la nature (bruits de fonds) ou
par « les entreprises d’hommes obstinés à changer de force sa signification ». Le rôle de la
communication est alors de s’attaquer à la fois au désordre créé par l’homme et au Mal que la Nature
porte en elle.
Le rôle de l’homme est de faire « reculer localement l’entropie ». Or, le strict
opposé de l’entropie est l’information, vivante, qui circule et rend les systèmes « ouvertes ». Le
premier acte qui permet de faire reculer localement l’entropie est la reconnaissance par les hommes de
l’importance décisive des phénomènes de communication. C’est à ce point précis que le discours de
WIENER passe de l’énoncé de notions scientifiques à celles des valeurs qui sont aptes à assurer le
maintien du lien social.

 Une société de communication


La « thèse » de WIENER est que « la société peut être comprise seulement à
travers l’étude des messages et des facilités de transmission qui lui sont propres ». Une société
donnée est ainsi entièrement constituée par les messages qui circulent en son sein. L’idée centrale
en matière d’exercice du pouvoir est celle de l’autorégulation.
Le scientifique a alors une mission fondamentale qui est non pas de « prendre le
pouvoir », mais de créer des machines qui remplaceront les hommes dans leurs prises de décisions
délicates. Ces machines ont 2 fonctions : traiter et échanger individuellement de l’information et
maintenir ouverts les canaux de communication qui favorisent la régulation.
Ex :l’ordinateur, d’un côté c’est une machine rendue possible en raison de l’évolution des
connaissances sur la communication, et de l’autre une machine à communiquer. Il est en même temps,
d’une certaine manière, la base de tout dispositif technique de communication, et donc, il a de fait, une
fonction sociale majeure.

A partir de là, la démarche de WIENER est double : une société est par nature, toute entière, constituée
par ses communications, et il faut identifier clairement la nature exacte des modèles de communication
qu’une société ou qu’une communauté donnée privilégie. Certains de ces modèles vont augmenter
l’entropie alors que d’autres permettent de maintenir ces îlots d’organisation locale.
Cette distinction est importante car, elle signifie qu’une société a pu, par exemple, se doter d’un
« réseau de communication nationale et internationale d’une perfection inégalée dans l’histoire », et en

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même temps risquer de sombrer dans la décadence parce que ce réseau n’est pas utilisé pour
« communiquer véritablement ».
WIENER : « la communication est le ciment de la société et ceux dont le travail consiste à maintenir
libres les voies de communication sont ceux là mêmes dont dépend surtout la perpétuité ou la chute de
notre civilisation ».

B/ la montée de l’implication sociale des scientifiques


A l’époque des années 40, les scientifiques sont largement sollicités pour produire de nouvelles
connaissances ainsi que pour guider les politiques. Ainsi, beaucoup éprouvent le sentiment d’être
directement concernés par les évènements et peuvent y intervenir de manière décisive. Cela s’explique
par leur sensibilité aux évènements ainsi que la légitimité absolue qu’ils incarnent.

 Les scientifiques et l’idéologie :


L’utilisation des bombes atomiques contre les populations civiles japonaises à deux
reprises en 1945 va contribuer à la montée d’un fort sentiment de responsabilité des scientifiques vis à
vis de la société. Il va notamment provoquer, chez certains savants, le fort désir d’apporter en
contrepartie une contribution positive au sort de l’humanité.
Les premières années du 20e siècle voient la mise en place d’une tentative de
certains représentants de la communauté scientifique de prendre littéralement le pouvoir au niveau
mondial, ou du moins de dissoudre toutes les formes de pouvoir associées à l’Etat-nation, considéré
comme le facteur principal dans la genèse des conflits et des guerres. Puis dès le début des années
1914, dans un contexte de guerre idéologique, certains renoueront rapidement avec le service du
Prince, et soutiendront les différents nationalismes. Très rapidement, il a s’agir d’un engagement plus
concret dans le conflit à partir des résultats pratiques de la science elle-même (la chimie pendant la
guerre de 1914-1918). Cet engagement s’accroît pendant la seconde guerre mondiale, où tous les
secteurs de la science sont mis à contribution, notamment la physique nucléaire et le domaine du
calcul et du traitement de l’information (psychologie, propagande, désinformation).

 La militarisation de la science
L’homme de science, bien qu’il soit souvent proche du pouvoir, a longtemps été,
dans l’imagination populaire, un « homme de paix ». Sa participation directe aux massacres commis
pendant la guerre l’éjecte brutalement de ce piédestal confortable.

 La mobilisation des mathématiciens


De nos jours, la guerre se caractérise par son caractère indirect, on ne voit plus son
ennemi, il faut donc pouvoir en permanence anticiper, recalculer sa position, diriger ses coups sans
jamais l’apercevoir. L’innovation va dans 2 directions : le développement des machines
mathématiques et le développement de modèles de compréhension et de décision pour des situations
trop complexes pour être appréhendées par l’esprit humain.
Ex : activité des briseurs de codes avec à leur tête le mathématicien A TURING, l’un des fondateurs de
l’informatique moderne.

 Une attitude ambiguë :


Pendant l’entre deux guerres, les chercheurs étaient majoritairement pacifistes, puis se sont rangés du
côté de ceux qui pouvaient financer leurs recherches.

Malgré cette implication dramatique de la science dans le conflit, ou plutôt grâce à elle, les
scientifiques sont investis d’une grande légitimité pour prendre en charge les affaires du monde. C’est
d’eux, en partie, qu’on attend les fondations de la nouvelle société d’après guerre. Leur position
d’expert est vécue comme « neutre » et « objective », en tout cas, loin des idéologies partisanes et leur
capacité de réflexion sur le monde semble de ce fait entièrement préservée. Leur attitude critique vis à
vis de l’utilisation de la bombe atomique a prouvé en même temps leur puissance (ils l’ont découvert)
et leur sagesse (ils se sont opposés à son utilisation).

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PARTIE 2/ LA CRISE DES VALEURS ET LA MONTEE
DE L’UTOPIE

I/ la formation d’une nouvelle utopie


L’idée d’une société de communication voit le jour en 1942, date qui marque le tournant
définitif du conflit mondial dans la barbarie. L’idée est que cette notion prend une telle force du fait de
son contexte historique.
En outre, le projet utopique qui se noue autour de la communication se développe à 3 niveaux :
une société idéale, une autre définition anthropologique de l’homme, la promotion de la
communication comme valeur. Ces 3 valeurs se concentrent autour du thème d’un homme nouveau
que l’on appelle l’homo communicans. Il s’agit d’un être sans intériorité et sans corps, qui vit
dans une société sans secret. Un être tout entier tourné vers le social, qui n’existe qu’à travers
l’information et l’échange, dans une société rendue transparente grâce aux nouvelles « machines
à communiquer ».
En quoi est ce une utopie ? L KOLAKOWSKI définit l’utopie comme « la foi en une société
où non seulement les sources du mal, du conflit ou de l’agression sont écartées, mais où se réalise
une réconciliation totale entre ce que l’homme est, ce qu’il devient et ce qui l’entoure ».
WIENER va s’intéresser à l’architecture du lien social, et va privilégier, comme jamais, la
transparence pour comprendre les fondements de la société moderne.

A/ Un « homme nouveau »
Les nouvelles conceptions s’articulent autours de 2 principes : tout être qui communique à un
certain niveau de complexité est digne de se voir reconnaître une existence en tant qu’être
social ; et ce n’est pas le corps biologique qui fonde cette existence en tant qu’être social, mais
bien la nature « informationnelle » de l’être en question.
D’une certaine façon avec la communication, il n’y a plus d’ « êtres humains », mais des
« êtres sociaux », entièrement définis par leurs capacités à communiquer.

 L’ « homme de WIENER »
Pour WIENER, un homme est un être tout entier constitué d’information. Il n’a pas
d’intériorité, et se trouve potentiellement en concurrence directe avec d’autres êtres qui risquent de le
battre sur le terrain de la complexité. Il représente un élément intermédiaire du vaste processus de
communication croisées qui caractérise une société.

 L’homo communicans, un être sans intérieur


Au 19e s, et jusqu’à la remise en question des valeurs qui caractérise la 2nd moitié
e
du 20 s, l’image centrale qui permettait de penser l’homme reposait sur la métaphore de
l’intériorité (sa personnalité). (// l’inconscient de FREUD)
La nouvelle utopie fournit une métaphore alternative à l’homme « dirigé de
l’intérieur » : l’homme moderne est un « être communicant ». Son intérieur est tout entier à
l’extérieur. Il n’agit pas, il réagit. il ne réagit pas à une action, il « réagit à une réaction », c’est ainsi
que G BATESON décrit le lien social.
Cet homme nouveau est une sorte d’antithèse, un homme dirigé de l’extérieur qui
tire son énergie non des qualités intrinsèques qui viendraient du fond de lui même, mais de sa
capacité à collecter, à traiter, à analyser l’information dont il a besoin pour vivre. Les médias sont
ainsi l’outil essentiel qui permet à l’homme de réagir de façon appropriée aux réactions qui
l’entourent.

 l’apologie de la pensée rationnelle


La nouvelle utopie n’est pas une tentative de dévalorisation de la pensée. C’est un
double placement de l’identité de l’homme : à la fois une dévalorisation du corps et une
revalorisation de la pensée rationnelle.

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La pensée, comme action communicante, est un calcul et par conséquent que cela
est indépendant du support biologique et transférable. Ainsi, la pensée de l’homme est une qualité qui
ne lui appartient donc pas en propre puisqu’elle est transférable en dehors de la personne.

 Les machines à communiquer


Le processus de formation de la communication comme valeur va s’enrichir en
s’étendant vers de nouveaux territoires, plus proches de la technique : les machines. Elles ont leur
propre langage, et sont reconnues depuis 1942 comme des êtres communicants. Cette croyance en la
possibilité pour les machines de devenir intelligences va être un des aspects essentiels du mythe
fondateur de notre modernité.
Ex : recherche scientifiques sur l’intelligence artificielle.

B/ Une société de communication


Parallèlement à ce nouveau concept d’humanité va naître le thème d’une nouvelle société
où la « communication doit avoir l’étendue qu’elle mérite à bon droit comme phénomène
central ». On imagine une société nouvelle dont la construction ne requiert pas une purification
préalable puisque son principe de fonctionnement est justement la communication et le consensus
rationnel.

 La nouvelle société s’articule autour du thème fondamental de la transparence


sociale qui concerne indissociablement l’homme et la société.
Le lien social fonctionne sur la base de la raison, du calcul, et du même coup, le jeu social
devient un jeu à information complète. Il n’y a donc plus un niveau où agirait l’individu et un autre qui
serait celui de la société : l’un et l’autre sont fondus dans un lien social moderne unitaire. C’est la
transparence qui permet cette fusion. Grâce à la communication, l’homme est transparent à la société,
et la société est transparente pour l’homme.

 L’ « anarchisme rationnel » : le mode de gestion politique de cette société


Les impératifs de WIENER sont triples :
- nécessité absolue que les hommes soient reconnus comme des êtres communicants et que ses
facultés soient utilisées en ce sens,
- que les machines aient dans la société le statut qu’elles méritent et qu’on transfère vers elles la
responsabilité des processus de commande et de décision
- que la société s’autorégule grâce à la rétroaction et au caractère ouvert des voies de
communication.

Cela rappelle les thèses anarchistes puisqu’il dessine une société sans Etat, d’où le pouvoir comme
mode d’exercice du gouvernement est banni. Cependant, il a une forte connotation rationnelle parce
que les décisions, dans une telle société, sont prises sur le mode de la raison et de préférence, par les
machines. WIENER critique les modes d’organisation territoriale qui privilégient des ensembles trop
vastes pour soutenir l’idée selon laquelle les petites communautés de vie ont des capacités de
régulation plus importantes. L’Etat mondial ne serait que fonctionnel.

= Le thème de la société de communication reprend à son compte, sans le savoir, l’idéal utopique
de changement social qui avait commencé à s’exprimer un siècle auparavant. Dans ce sens, la
communication se nourrit d’un certain héritage anarchiste. Elle s’en distingue toutefois par le type de
régulation sociale qu’elle propose, qui s’articule autour du progrès technique et d’un rapport
nouveau aux machines, mais aussi autour d’une autre définition de l’homme et du lien social.

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II/ La barbarie moderne et l’effondrement des valeurs
Il s’agit de replacer la théorie de WIENER dans son contexte historique. La seconde guerre
mondiale a constitué la plus grande menace contre le lien social. La barbarie qui dévaste les valeurs du
XX e s est une barbarie moderne dont les traits sont spécifiques : absence de résistance du politique
voire convergence sur certains points tels que le progrès de la société par le retranchement de certains
de ses membres.
Cet ébranlement du lien social va créer les conditions d’une transformation en profondeur
des représentations de ce qu’est un homme. La faillite de l’humanisme, l’effondrement des valeurs,
la perte de crédibilité qui va atteindre au bout du compte le politique tout entier, et vont laisser, de ce
point de vue, un vide et un silence dans lesquels s’engouffreront les théories modernes de la
communication nées, justement en 1942, moment clé où l’humanité bascule concrètement dans la
barbarie absolue.

A/ La « seconde guerre de Trente Ans »


Il s’agit globalement de l’ensemble des évènements mondiaux qui se déroulent entre 1914
et les explosions d’Hiroshima et de NAGASAKI.
Elle a conduit à un effondrement massif des valeurs au discrédit des idéologies
traditionnelles et peut être, au plus vaste renouvellement culturel que l’humanité ait connu jusqu’à
présent.
A partir de l’hiver 1941-1942, la guerre devient pleinement et de tous côtés une guerre
« idéologique » . Tout cela intervient dans un contexte global où la dégradation des conditions morales
et notamment de la valeur de l’homme conduit à légitimer tous les excès.

B/ L’effondrement des valeurs


La « guerre de Trente Ans » n’échappe pas à la question de la définition de l’homme.
Il y a eu des définitions « ethniques » qui ont eu cours jusqu’à la construction des Etats-nations
modernes, qui définissaient l’étranger comme celui qui ne faisait pas partie de l’ethnie.
Puis le grand courant les Lumières innove en désignant tout homme comme un « être humain »
doté de droits naturels du simple fait de son existence et non en fonction de son ethnie ou de sa
naissance.
Pourtant au milieu du XIXe s, cette question va revenir et tout un réseau de justifications concrètes va
alors se mettre en place pour légitimer, dans différents milieux, l’idée que certains membres de la
société en sont pas des hommes et que leur apparence d’humanité est même une menace
(« sauvage », « Indien », « primitif »).

Pourtant, on ne peut pas dire que le XIXe s mérite le titre de grand inventeur de l’exclusion
meurtrière. Il faut savoir que jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, la vie humaine n’avait finalement que
peu d’importance à la fois sur le plan moral et juridique. C’est au XVIIIe XIXe s, que l’idée du
caractère précieux de la vie humaine apparaît (succès de la science qui entraîne des améliorations des
conditions sanitaires et de vie).
La grande nouveauté du XIXe s, c’est que les théories violentes de l’exclusion renaissent au moment
même où l’on continue à affirmer en parallèle la primauté de la vie humaine. Ensuite, il faut distinguer
le processus d’exclusion interne au racisme, car l’idée de race n’est pas la seule manière de désigner
celui qu’il faut rejeter au delà des frontières de l’humanité.

1/ La lutte contre la morale


La déconstruction de la morale qui s’annonce au 20e s, est préparée sur la plan théorique
et philosophique par 2 courants d’idées qui ont un large succès au siècle précédent.

 Le darwinisme social fournit un cadre mental pour penser les rapports sociaux.
Comme dans la nature où, grâce à un processus de sélection, seules survivent les espèces les plus
fortes et les plus adaptées, la société serait, elle aussi, le lieu de la sélection des « espèces » les plus
adaptées. L’eugénisme et son souci de perfectibilité de l’homme va particulièrement bien s’articuler
sur cette théorie.

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 « l’homme de NIETZSCHE » : l’humanité est divisée en deux : d’un côté les
forts, les maîtres et de l’autre, les faibles, les esclaves. Le sens de l’histoire pour lui est clair, à un
moment les faibles ont pris le pouvoir grave à la religion qui est à la fois la « morale » en tant
qu’apologie des faibles et la « culture ». Selon lui, la morale des faibles prend toujours naissance dans
une opposition, elle est une « réaction », en opposition avec celle des maîtres qui est une « action ».
L’idée est que le fort est dirigé de l’intérieur et n’obéit qu’à ses instincts, là où le faible est tout
entier guidé par la société et la morale. Son programme est donc de renverser la morale.

2/ La spécificité de la barbarie moderne


Ces deux théories ne sauraient à elles seules expliquer la barbarie de la guerre.
La barbarie moderne a ceci de particulier qu’elle est perçue par ceux qui la mettent en
œuvre comme le moyen de mettre en œuvre un changement vers une société meilleure,
« purifiée ». L’attrait pour la transparence dans les sociétés dites de communication est
directement issue du lien qui s’établit entre le secret et la barbarie moderne. Le génocide
implique une rupture nette et fondamentale du lien social qui menace la société toute entière.

3/ La dégradation générale de la morale


1942 correspond à un accroissement de la brutalité du conflit. Une véritable
« révolution morale » intervient à cette époque : toutes les conceptions à base humanistes qui avaient
été développées, argumentées et soutenues au sujet du comportement à adopter vis à vis des civils
habitant les pays ennemis vont s’effondrer, avec les bombardements aériens de villes (le premier à
Guernica par l’aviation fasciste au service de FRANCO)

C/ Le développement des idéologies d’exclusion


La dégradation des valeurs qui accompagne tout le 20e s, se voit amplifiée par la société politique et
les idéologies d’exclusion qu’elle a secrétées.

 La montée de l’utopie
C’est le XVIIIe s qui annonce en Europe et en Amérique, une ère nouvelle dans
la recherche d’une société meilleure.
Mais c’est le XIXe s, qui consacrera l’essentiel de son énergie intellectuelle à
dresser les plans de sociétés meilleures. Un grand désir d’utopie est alors à l’œuvre sur la base d’une
double rupture avec la religion, d’abord, puis avec l’histoire (marxisme, anarchisme, libéralisme).
Le 20e s sera celui du combat au nom de ces idées. Tous ces penseurs ont la
même intention : construire (ou retrouver) une société meilleure, prendre le pouvoir en vue de réaliser
cet objectif, et au besoin, l’imposer.

La quête de la cité idéale engendre curieusement une grande tolérance par rapport à la violence qu’elle
légitime ainsi idéologiquement. La forte dose d’utopie des idéologies héritées de cette époque explique
sans doute ce paradoxe qui est de voir côte à côté se déployer la recherche du bonheur et d’une
civilisation meilleure et la mise en œuvre d’une violence et d’une barbarie insoutenable. La barbarie
moderne est une barbarie qui se donne l’excuse de la civilisation.

 La purification de la société
Une des caractéristiques des idéologies nées au 19e s, est qu’elles postulent toutes,
pour parvenir au but, une division de la société entre ses membres faibles, dépassés ou étrangers. C’est
dans ce sens qu’elles sont toutes des idéologies de la purification.
Ex : le communisme qui veut éradiquer la classe bourgeoise, les Etats Unis avec le massacre des
Indiens.

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III/ La communication, une valeur post traumatique
A/ Une triple réponse à la crise
C’est parce qu’elle intervient dans une situation de vide à la fois sur le plan des valeurs que sur
celui des systèmes de représentation politique, que l’utopie de la communication a connu
progressivement un tel succès.

1/ L’extension de l’espace de l’argumentable


La conséquence centrale de la crise des valeurs et du politique est sans doute l’ouverture
sans précédents dans l’histoire de l’humanité à « l’espace de l’argumentable ». Tout désormais
relèverait de l’argumentation et pourrait être discuté. Dans cette optique, le développement des
moyens de communication apparaît naturellement comme la première des priorités et les nouvelles
conceptions qui fondent un cadre à la communication sont acceptées. Il s’agit d’insister sur la valeur
de la transparence plus que sur le contenu même, par réaction au silence absolu du génocide
nazi. A l’idée selon laquelle tous les hommes ne sont pas des hommes, les nouvelles conceptions vont
aller jusqu’à considérer qu’au delà des hommes, il existe des « êtres » (machines intelligentes) qui
peuvent prétendre à l’accession à l’humanité. Enfin, elle va présenter une alternative à la crise des
systèmes de représentation politique.
En outre, l’originalité de cette thèse est qu’elle promeut une nouvelle valeur qui n’a pas
de contenu. Cela pourrait se résumer en un « communiquez ! quel que soit ce que vous
communiquez ». La communication apparaît alors comme une « valeur cadre » qui correspond
bien à l’extension de l’espace de l’argumentable plutôt qu’une valeur dorée d’un contenu
déterminé et nouveau.

2/ Le renouvellement de l’utopie
Le thème de la communication apparaît en parallèle avec le mouvement de retrait des
idéologies telles que le communisme ou le libéralisme. La fin de la Guerre Froide sonne le glas du
politique pour voir apparaître d’idée d’une « société de l’information ». Le thème de la « société de
communication » s’ajuste très bien à ce retrait du politique et à la nécessité incontournable
d’avoir à imaginer un mode d’organisation sociale qui permette de s’adapter au changement.
L’utopie de la communication nous promet une société meilleure dans le sens où la
consommation des objets et des machines est considéré comme un « mieux être communicatif ».
Néanmoins, ce mieux être communicatif semble avoir plus comme fonction d’éviter une perte que
d’obtenir un gain.
C’est plus un « moins mal être » qu’un « mieux être ». C’est parce que le monde est obscur que le
thème de la transparence a autant de succès, c’est parce que l’homme est irrationnel que les
technologies de traitement de l’information semblent l’occasion d’une véritable « révolution » .
Cette utopie ne nous promet pas de créer une nouvelle société, mais d’empêcher la
dégradation du monde. C’est ainsi que le propos doit être modéré, car la communication en elle
même ne produit pas l’information, elle ne fait que lutter contre ce qui empêche l’information de
circuler.

3/ Un « homme sans intérieur » : modèle de l’homme rationnel et transparent


 il faut détacher l’homme de son corps biologique afin de le traiter comme un pur être de
communication
 il faut faire de l’homme un être purement social, pilotant son destin rationnellement en fonction
des contraintes externes, plutôt que « dirigé de l’intérieur » par des valeurs. (thèse opposée à celle
de « l’homme de NIETZSCHE »).
Les valeurs de la communication apparaissent ainsi comme des valeurs réactionnelles, en quelque
sorte post-traumatiques.

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B/ Les voies originales de la diffusion d’une nouvelle valeur
classique : par l’intermédiaire les discours sociaux : influence intellectuelle et culturelle directe
originale et invisible : la communication se diffuse comme valeur à travers le mouvement de
l’innovation et par l’intermédiaire des objets techniques auxquels elle est incorporée : imprégnation
par les usages que l’on peut faire d’objets ou de techniques servant à communiquer.

 L’obstacle du déterminisme : L’idée serait que c’est l’utilisation des outils modernes
tels que l’ordinateur qui déterminerait le comportement de l’homme à communiquer.

 Le modèle explicatif du déterminisme de Marshal MAC LUHAN


Thèse : chaque grande étape du développement technique dans le domaine
de la communication (écriture, imprimerie, médias moderne) induirait de profondes transformations
sociales et culturelles
Critiques : Il est vrai que l’usage d’un outil transforme peu ou prou son
utilisateur. Cependant, à aller trop loin, cela conduit à une impasse, c’est à dire à décrire l’homme
moderne comme le pur produit des techniques qu’il utilise et donc de devenir un jouet passif des
évènements. En outre, la présence des techniques dans notre environnement, n’est pas en soi un
facteur suffisant pour expliquer l’engouement qu’elles provoquent.

C/ L’imprégnation par les usages


 L’invention d’une nouvelles machine ou technique
 Discours d’accompagnement dont l’objectif est de guider clairement l’usage qui sera fait des
nouvelles technologies et d’indiquer le sens qui devra ainsi leur être donné.
 Laisser faire par elles mêmes les techniques : transfert des idéaux que ces machines incarnes
vers ceux qui les utilisent.
L’ordinateur, le cheval de Troie de l’utopie de la communication
L’invention des nouvelles machines à communiquer comme l’ordinateur constituent de
véritables chevaux de Troie au sens où elles sont le vecteur concret des projets qui ont été conçus
avant même que ces machines n’aient été inventées. L’invention de l’ordinateur en 1945 se situe à
l’intersection entre la crise du savoir et des idéologies et la naissance de l’utopie de la communication.
Elle ne répond pas directement à un besoin, mais plutôt à une volonté de rachat des scientifiques
par rapport aux dégâts causés par le nucléaire.
L’ordinateur est bien le cheval de Troie de l’utopie de la communication dans la société
moderne au double sens de la transparence sociale qu’il permet d’obtenir (un monde informatisé
est entièrement explicité) et de la rationalité qu’il injecte dans les processus humains tels que ceux
de la décision.
Dès lors, la « révolution informatique » est en marche. Une grande quantité d’articles et d’ouvrages
seront écrits à ce sujet. L’humanité est appelée à un « virage indispensable et inévitable ».

D/ Les quatre voies de l’influence intellectuelle


La communication, parallèlement au développement des techniques, va prendre une place de plus en
plus importante dans les sciences, les discours intellectuels et la littérature et pour finir dans la culture.

1/ L’influence du nouveau paradigme sur les sciences


Les transformations se sont opérées à l’intérieur du monde des sciences du fait de la prise
en compte de la problématique de l’information et de la communication. La cybernétique influence
toutes les sciences jusqu’à l’anthropologie et la psychologie.

2/ La vulgarisation
La littérature de vulgarisation joue un très grand rôle dans la propagation des grandes
vues sur l’homme et la société que WIENER et les cybernéticiens prodiguaient au titre de nouvelle
utopie. Elle met en scène une science, unifiée, globale, qui de plus se préoccupe directement de ses
applications. La littérature de vulgarisation a été un formidable amplificateur de la communication

12
comme valeur à portée universelle. Elle a ainsi largement répandu le thème du « tout
communication ».
3/ La science fiction promeut la communication comme valeur constitutive de la
modernité.
Elle touche particulièrement le microcosme des ingénieurs et des créateurs dans le cadre des nouvelles
technologies. Comme la vulgarisation, elle n’est que la mise en scène concrète de ce que serait une
société où les techniques de communication occuperaient une place centrale.

A/ Les auteurs
 J W CAMPBELL : il est l’un des pionniers du thème de l’intelligence
artificielle. (les machines peuvent améliorer le lien social)
 Isaac ASIMOV : c’est l’auteur américain qui a mis en scène l’utopie de la
communication de la façon la plus directe et la plus influente.
o Ses ouvrages se placent dans la mouvance née dans les années 50,
de la « science fiction sociale ». Le souci de ces auteurs est de sauvegarder à tout pris l’optimisme
envers la science dans un contexte où les destructions d’Hiroshima avaient profondément troublé le
public. La science fiction sociale devait permettre d’imaginer des points d’application possible de
résultats scientifiques actuels ou futurs dans une perspective optimiste.
o Son roman « Face aux feux du soleil » paru en 1957, pourrait être
considéré comme un miroir décrivant le mythe de la communication moderne.
Son intérêt est triple : anticipation des descriptions des technologies de communication de la vie
quotidienne, description pertinente des changements contemporains du lien social, inauguration d’une
réflexion sur les problèmes quotidiens que pose la présence accrue des techniques dans notre
environnement.

B/ Science-fiction et lien social

 Le roman d’ASIMOV « Face aux feux du soleil » paru en 1957 :


o Histoire : ASIMOV nous décrit deux sociétés distinctes
(la terre et la planète extérieure « Solaria ») qui représentent deux évolutions possibles de notre
monde actuel. Sur Terre, les hommes sont entassés dans d’immenses villes où ils n’ont plus guère de
contact avec la nature. La vision d’un espace trop grand ou le simple fait d’être confronté à l’air libre
provoque chez eux une sensation de vertige insupportable, qui semble faire désormais partie de la
nature humaine tant elle est intériorisée. Il y a peu de machines dans ces univers où l’humain remplit
tout l’espace et où, signe de la phobie ambiante, les loyers des appartements qui sont au centre des
grands immeubles sont beaucoup plus chers que ceux des logements qui ont des fenêtres, pourtant
murées, qui donnent sur l’extérieur. Cette présentation de la vie sur terre sert ici à mettre en valeur la
société qui vit sur Solaria. Il s’agit d’un monde où les hommes, assez peu nombreux, vivent entourés
d’une multitude de robots qui les assistent pour les moindres tâches et représentent autant de
partenaires avec lesquels chacun a le loisir de communiquer. Sur cette planète chacun vit seul (il n’y a
pas de ville, mais des propriétés isolées) et la rencontre physique, considérée comme un véritable
tabou, y est vécue comme insupportable (les médecins par exemple, font leur consultation par médias
interposés). En contrepartie de cet éloignement physique permanent, les contacts médiatisés sont
fréquentes, grâce à un système de communication sophistiqué de type holographique.
o Critique : les ouvrages d’ASIMOV sont autant de questions
sur la nature du lien social d’une société donnée et sur les réponses que les techniques
permettent de fournir aux menaces qui pèsent sur lui. La communication vient ici constituer une
solution à ce que l’on pourrait appeler par raccourci une « promiscuité meurtrière ». Les êtres, dans
une société de communication, sont faiblement rencontrants et fortement communicants. Ils réalisent
alors parfaitement l’idéal utopique de la communication.

 Philip K DICK est lui aussi un questionneur de l’état et de la nature du lien


social. Il appartient à la famille des « sociologues du futur ».Il montre la dissolution du lien social et
l’accroissement de l’entropie.

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Ces 2 auteurs représentent les 2 faces complémentaires d’une même vision de la modernité. Le 1e tente
de réguler moralement les changements à venir dans le lien social, tandis que le second met en scène,
en contrepoint, la confusion qui s’installe, dans une société moderne, entre le vivant et l’artificiel.
4/ Les essayistes de la « société de communication »

A/ Le discours sur le rôle décisif de la communication dans notre société


Les principaux auteurs sont le canadien M MAC LUHAN, les américains
BRZEZINSKI et TOFFLER, le japonais MASUDA et les français JJ SERVAN-SCHREIBER, S
NORA, A MINC, et T BRETON.
Depuis 20 ans, tous ont fait, à un degré ou à un autre, la promotion de la « société
d’information » ou de la « société de communication ». Ils ne cessent d’annoncer le « triomphe de
l’âge de l’information » et maintenant l’avènement du « cyberespace » avec le thème récent des
« autoroutes de l’information ».
Dans les années 1980, certains auteurs ont pensé que ce thème de la « société de
l’information » s’essoufflerait, ce qui est à l’évidence faux, compte tenu du renouveau des discours sur
le thème des autoroutes de données soutenu par l’ex vice président américain Al GORE.

B/ Un attrait contestable
Ce discours exerce une force d’attraction considérable sur l’option, d’autant plus que l’on croit y lire
l’avenir. 4 clés d’analyse permettent de relativiser et d’éviter de se laisser prendre malgré soi aux
pièges de cette rhétorique utopique.

 Les propos sur la « société de communication » ne sont pas nouveaux.


L’essentiel de cette philosophie est ancienne et date de plus d’un demi siècle, mais elle se réactualise
environ tous les 10 à 15 ans sous d’autres formes.
Ex : 1940-1950, on parle de la « société cybernétique » dans tous les journaux. 1960-1970 : c’est le
grand moment de la « révolution informatique » (S JOB déclarait « la démocratie, c’est un ordinateur
par personne »)

 L’avenir serait inéluctable : on sort de l’espace du discutable.


Un rapport du Standfort Research Institute indique que « l’idée selon laquelle l’informatique, la
télévision, les jeux vidéo et les télécommunications seraient bientôt appelés à se fonde en une seule et
même gigantesque entité qui offrirait un service global ne repose sur absolument rien. Au contraire,
nombre d’indices tendant à indiquer que les clivages entre différents secteurs persisteront ».
Un des idéologues les plus fins de la « société de communication », N NEGROPONTE a bien compris
que l’argument de l’inéluctabilité n’est pas suffisant.

 Mélange de ce qui existe effectivement, de ce qui probable et de ce qui est


souhaité.
C’est l’idée selon laquelle la révolution communicationnelle serait en train de se dérouler au Japon ou
en Californie, dans des laboratoires lointains dont la plupart des chercheurs ignorent l’existence.

 Isoler l’argument central de ces nouveaux militants, qui consiste à dire


que ce sont des changements quantitatifs (plus de numérique, de médias, de chaînes de télévision,
d’informatique) qui vont provoquer un changement qualitatif (relations plus épanouies, plus de
libertés, société meilleure).
Cela se heurte au rapport assez disjoint que nous avons entre la quantité et la qualité.

14
PARTIE 3 : LES EFFETS PERVERS DE LA NOUVELLE
UTOPIE
I/ Les ambiguïtés de la communication.
L’utopie de WIENER s’est elle concrétisée ? Vivons-nous aujourd’hui dans une « société de
communication » ? G BALANDIER souligne que parler de « société de communication » est, d’un
certain point de vue une redondance. Il est vrai que les hommes ont toujours échangé entre eux,
par l’intermédiaire du langage et des signes non verbaux, des informations sur eux-mêmes et sur
les autres, sur leurs actions et sur leur environnement. Ils ont probablement toujours utilisé des
« techniques de communication », qu’elles soient matérielles ou intellectuelles.
La communication (et ses techniques) se constitue ainsi comme un recours majeur à tous les
dysfonctionnements de notre société. Chaque problème trouverait ainsi une approche « rationnelle »
grâce à la « communication » qui apporterait à la fois la « transparence » dans l’analyse et le
« consensus » dans la solution.

A/ L’utopie de la communication et la progression du libéralisme


La communication n’est pas la seule valeur sur le marché des idées, il y a aussi le culte de la
performance. Au sortir de la Guerre Froide, le libéralisme et ses valeurs, bien que victorieuses, ont
subi une lourde perte de crédibilité. Il va essayer de prendre un nouveau souffle avec la récupération
des grands thèmes de la communication. La « société de communication » et la société libérale sont
certes des impératifs en partie convergents, mais aussi sur certains points essentiels largement
antagonistes, comme par exemple, les tensions entre l’individualisme exacerbé qui est au fondement
du libéralisme et une société rendue de plus en plus collective du fait du recours généralisé à la
communication et à ses techniques. Les médias et les réseaux de l’information sont aux cœur de ces
contradictions.
Pour WIENER, l’entrave au libre mouvement de l’information entraîne sa stérilisation.
• Les dangers du piratage : contradiction entre l’importance croissante prise par les
mémoires et les réseaux d’ordinateurs dans la concentration de l’information, et le
système de valeur professionnel des milieux informatiques fortement marqués par
l’idéologie de WIENER. La contradiction tient à ce que la société exige que l’information
soit traitée comme une marchandise et donc soumise aux lois de la propriété privée, là où,
pour beaucoup de professionnels, une « bonne information » doit circuler librement pour
avoir sa potentialité maximale. Le piratage et la « délinquance » informatique sont un
symptôme révélateur de cette contradiction, et impliquent la remise en question des droits
d’auteurs.
• La communication dans l’univers marchand :. Le libéralisme étend l’emprise de la
marchandise sur celui de la communication, car son idéal est qu’à terme aucune activité
humaine ne soit plus gratuite.

B/ Un mot qui ne veut plus rien dire


Ce mot revêt des sens divers selon le milieux qui l’utilise. Tantôt, il est identifié exclusivement
aux médias, tantôt, il permet de nommer le secteur des « nouvelles technologies de communication »,
ou encore tout ce qui concerne la vie de la presse ou de l’audiovisuel.

1/ Les nouveaux « gourous »


Dans les entreprises, la « politique de communication » concerne la gestion de l’image,
ou les rapports internes avec le personnel. Il y a aussi des filières universitaires ayant pour objet la
communication. On pense aussi à la psychologie qui étudie la communication dans sa dimension
« interpersonnelle ». Pour le citoyen lambda, communiquer veut dire simplement s’adresser à son
voisin. Cette pluralité sémantique atteste l’importance accordée à cette valeur.
Le terme « information » est lui aussi difficile à définir, à la fois la « donnée », les
« nouvelles », ou le savoir.

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2/ Les nouvelles sciences de la communication
En tant que science enseignée à l’université, la communication est définie par S H
CHAFFEE, C R BERGER ou J LAZAR, comme le domaine qui « cherche à comprendre la
production, le traitement et les effets des symboles et des systèmes de signes par des théories
analysables, contenant des généralisations légitimes permettant d’expliquer les phénomènes associés
à la production, au traitement et aux effets ». Les sciences de l’information sont diverses. Elles sont le
domaine de spécialistes inconciliables comme les scientifiques, les littéraires ou les spécialistes des
sciences sociales. La culture de l’évidence rationnelle des premiers s’affronte à celle de
l’argumentation des seconds.

3/ Des sentiments contradictoires


D’un côté cette notion suscite une attraction très forte, et connote un ensemble de
valeurs positives comme le dialogue, le partage, la connaissance ; mais de l’autre, elle va de pair
avec le développement sans frein de l’espace public et du voyeurisme social, et avec le progrès de
l’individualisme et de la solitude. En outre, sur les plans de la couverture des évènements tels que
ceux de la Roumanie en 1989 ou de la guerre du Golfe en 1991, on a l’impression que l’on nous
montre tout, et que paradoxalement, l’essentiel nous échappe.

C/ Une utopie aux effets concrets


Malgré cette ambivalence, tout se passe comme si nous allions inéluctablement, à marche
forcée, vers une « révolution » globale de notre organisation sociale, de nos systèmes politiques, de
nos comportements jusqu’aux plus intimes. Le fait que l’utopie ne se réalise pas ne signifie pas qu’elle
n’a pas des conséquences concrètes.
Il ne faut alors par opposer les « bons » médias, ceux qui permettent de lutter pour la démocratie
et la pluralité, et les « mauvaises » technologies, à base d’informatique, de codes-barres et de violation
électronique des libertés. Le problème est la trop grande importance sociale confiée aux moyens
de communication dans leur ensemble et non leurs effets. En outre, on ne peut pas dire que la
« société de communication » n’arrivera pas. Ce n’est pas parce qu’un projet social est irréalisable que
ses tentatives sont dénuées d’effets concrets.

Ainsi, s’il est à peu près certain que la « société de communication » a pour effet premier de
détourner provisoirement les énergies, il est tout aussi certain que les réseaux de demain pourront
servir à ficher les gens et à réduire les libertés. Il n’y a donc aucune contradiction à dénoncer à la fois
le caractère illusoire, abstrait et transitoire des projets utopiques en matière de communication et à en
dénoncer les applications qui ne manqueront pas de survenir, quand elles ne sont pas déjà parmi nous.

16
II/ L’empire des médias
Le monde des médias est en train de déplacer et d’absorber l’essentiel des activités
humaines.
L’un des tout premiers effets de la mise en utopie des nouvelles techniques de communication et
des médias est un formidable déplacement du rôle et de la fonction de l’outil par rapport à ses
finalités. On pourrait le traduire par une sorte d’idolâtrie qui consisterait à dire que ce n’est plus la
communication qui est faite pour l’homme, mais l’homme pour la communication. L’univers des
médias et des autoroutes de la communication sont censés avoir une fonction de médiation. Ils
sont conçus pour aider les hommes, effectivement à mieux communiquer. Ils sont la réponse à la
conscience aiguë que nous avons d’une séparation sociale, d’un éloignement les uns des autres,
couplé à une soif de rapprochement.

La trop grande importance conférée aux outils dans ce domaine conduit à ce que le média
devienne un centre plutôt qu’un passage. Pour BAUDRILLARD, ce monde est celui de la
« communication pour la communication », car « l’enjeu n’est plus le message mais le fait que ça
communique ». La désinformation systématique des messages par des médias, dont la mission était
pourtant d’en garantir l’intégrité, oblige à un combat constant visant à les réinterpréter dans leur
contexte.

A/ La confusion entre information et connaissance


Pour D de ROUGEMONT, il y a une différence enter le fait de disposer d’une information et celui
d’intérioriser une connaissance.
• La généralisation du style médiatique
Le savoir n’a désormais pas d’autres choix que d’être compris par le plus
grand public. L’intervention d’un savant doit désormais être un loisir pour le public qui ne doit jamais
être confronté à son ignorance. A partir de là, toutes sortes de manipulations sont possibles dans la
traduction, sous forme de messages médiatiques, de la connaissance. La plus courante est la réécriture
d’interview. Dans un autre sens, les médias contribuent largement, en retour, à amplifier les
effets de la crise des valeurs. Ils sont globalement, les premiers destructeurs de l’idée de « vérité ».
Leur rôle n’est pas de produire ou de détenir la vérité, mais plutôt de « composer la vérité » à
partir des différents points de vue qu’ils ont charge de mettre en scène. Ils jouent ainsi un rôle
important dans le développement de l’idée selon laquelle, il n’y a pas de vérité, mais uniquement des
« points de vue ».
• Les illusions du multimédia
Selon T GAUDIN, l’outil de cette prétendue « révolution » serait la capacité du multimédia à
réaliser le « vieux rêve d’uniformisation de l’information » en intégrant sur un même support
l’écrit, l’image et le son. Le « savoir » y est présenté comme un stock d’informations numériques qui
seraient disponibles grâce aux autoroutes de l’information. Néanmoins, il faut rappeler que
l’amélioration de l’accès au savoir ne changera pas la situation du désir de savoir qui doit animer
l’élève.

B/ L’incontournabilité des médias : le rôle des médias dans la circulation de l’information


entre les hommes.
A en croire certains, avant ce développement, chacun était isolé, cloisonné et ne savait rien sur
rien. Or, auparavant les données circulaient par des contacts interpersonnels. La nouveauté est
qu’aujourd’hui les médias prétendent au monopole de la circulation de l’information entre les
hommes. En outre, les médias prennent la place d’un système de guidage externe de l’action
humaine. C’est dans cette perspective que les médias sont devenus incontournables, ils sont le seul
lieu où l’on trouve les informations permettant de décoder les différents univers dans lesquels nous
évoluons.
Les médias ne font que remplir un vide dont ils ne sont pas responsables. Leur impact est donc
relatif à la nature du lien social dans lequel ils interviennent. Le message principal que les médias
véhiculent aujourd’hui est l’importance de la communication comme valeur centrale autour de
laquelle la société est censée s’organiser.

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III/ le nouvel individualisme et la montée de la xénophobie
Que l’utopie se réalise ou non, elle a des effets concrets tels que l’encouragement des nouvelles
formes d’individualisme qui caractérisent les sociétés modernes de la fin du 20e s.
Le recours systématique à la communication produit 2 effets contradictoires :
l’uniformisation planétaire des goûts, normes et comportements, la construction d’un espace
public universel ; et un repli de l’individu sur lui-même. Ce néo-individualisme n’est pas sans
rapport avec la montée actuelle de la xénophobie. Dans ce nouvel imaginaire, on pourrait tout accepter
des autres, pourvu qu’ils restent à distance, ce qui est au fond la définition initiale de la xénophobie.
• La continuité communicationnelle :
En théorie, un individu peut ne jamais cesser de communiquer du matin jusqu’au soir (radio, télé,
journal, forums électroniques)
• la représentation de soi comme une « machine communicante » :
Le mythe moderne de « l’intelligence artificielle » contribue largement à développer une telle
représentation de soi. Si l’on peut construire une machine qui soit « comme un homme », qui
dispose non seulement d’une intelligence, mais aussi d’une « conscience artificielle », pourquoi
l’homme ne pourrait il pas âtre considéré comme une machine ?
• L’illusion de la libération par la communication.
La nouvelle utopie génère l’illusion majeure de la toute puissance libératrice de la communication.
 Le seul fait de communiquer serait suffisant pour vivre harmonieusement en société
 La communication pourrait s’instrumentaliser, c’est à dire être l’objet d’un savoir pratique
facilement manipulable. « parlez et tout ira mieux »

IV/ Un nouvel individualisme


Il est clair que le thème de la communication ne peut avoir de résonance que dans une société dont
les membres sont de plus en plus séparés, ou du moins se vivent comme tels.

A/ Une société fortement communicante mais faiblement rencontrante


L’élément essentiel du nouvel individualisme que provoque le recours systématique aux médias
est la façon dont ceux-ci privilégient la communication indirecte, abstraite, sans véritable
rencontre avec l’autre. Le risque que nous prenons est de devenir une société fortement
communicante, mais faiblement rencontrante.
Ex : travailler chez soi, pouvoir faire les courses dans un supermarché virtuel.
Il s’accoutume à un rapport à l’autre qui le rend à la fois phobique à la présence physique
d’autrui, mais en même temps étroitement dépendant de sa présence virtuelle.
Ex : la psychologue S TURKLE avait remarqué concernent le rapport étroit qu’entretenaient certains
de ses patients avec l’ordinateur que celui ci « offre une compagnie dénuée du caractère menaçant de
l’intimité avec autrui ».
Ce néo-individualisme se vit comme extraordinairement communicant, mais c’est au prix
de vider la communication de sa substance : la rencontre avec l’autre, la rencontre avec un
univers qu’on n’a pas forcément choisi, la confrontation avec ce que l’on pourrait appeler au
sens fort une surprise.

B/ Les pièges de l’interactivité


Les utopistes répondent à l’argument d’une communication qui encourage la solitude que
le concept majeur de la communication, c’est l’interactivité.
Ex : le journal de demain de N NEGROPONTE. Il invente un « agent d’interface » sorte de serviteur
électronique qui connaît parfaitement ses goûts, besoins, humeurs. Puis lui commande de composer en
fonction de lui et du moment de la semaine, un journal en lisant tous les télex, journaux, bulletins TV.
Ainsi informé, chacun vivrait de plus en plus dans « son monde ».
Si l’on admet l’idée que toute la société à la fois respecte l’individu dans sa singularité et le fait
participer à des mouvements collectifs, on voit bien que l’objectif ici est de désynchroniser

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systématiquement tous les individus les uns par rapport aux autres. Cette mise à distance de l’autre et
ce repli dans « mon monde » portent en germe une forme nouvelle de xénophobie
V/ Un monde d’harmonie et de consensus
A/ La volonté de mettre en place une société harmonieuse et sans conflits
L’effet pervers, c’est le déni systématique du conflit, et donc, la partition binaire entre le bien
(l’harmonie des objectifs) et le mal (le conflit) qui ne laisse que peu de place à une troisième voie qui
est celle de la « contractualisation du conflit ». C’est à dire qu’il y a bien un conflit provisoirement
irréductible, mais que l’on doit malgré tout avancer dans le cadre d’une communauté effective, ne
niant ni les différences ni les désaccords. La nouvelle utopie soutient que la négation est un
« brouillage » dans la communication. La personnalité valorisée est celle de l’homme positif.

B/ une société privée de futur


La seule image du futur que nous disposions encore est justement celle d’une société de
communication hyper-technologique faite de nouveaux médias et d’autoroutes de la
communication. Le fait est que jusqu’à présent, cette vision futuriste était concurrente avec d’autres
visions, utopiques ou non. La vraie nouveauté, et en même temps le vrai danger, est que cet avenir en
termes de communication est désormais le seul disponible sur le marché des idées.
Notre société est ainsi désormais presque complètement privée de représentations de son
futur. Or, une société qui n’a pas d’avenir à se mettre sous la dent ne peut que se dévorer elle-
même.

Conclusion :
La question initiale était : pourquoi la communication a pris autant de place dans notre société ?
La communication est devenue en grande partie une utopie. En tant que tel, le
système de valeur qui s’est construit autour d’elle s’est progressivement affirmé comme une
alternative possible aux idéologies et aux représentations classiques de l’homme.
Né dans les tourments d’une longue guerre mondiale et dans les soubresauts d’une
dégradation dramatique du lien social, le recours universel à la communication est largement tributaire
des circonstances historiques qui lui donnent son sens et sa portée sociale.
La situation que nous vivons aujourd’hui n’est pas nouvelle. L’acte de communiquer et
celui de bâtir des techniques dans ce but apparaissent en effet à la fois comme une constante
anthropologique et comme un ensemble de pratiques très largement soumises aux aléas de
l’histoire. L’homme est bien de ce point de vue, un être communicant, en partie structuré par cette
pulsion de « sortir de lui » qui l’anime sans fin. Cela étant dit, la communication n’est pas toujours la
préoccupation centrale de l’homme.
Le fait que certaines époques soient plus « communicantes » que d’autres est lié au
rapport entre la crise du lien social, des systèmes de représentation et la montée de la
communication comme utopie.
Les dérives de la communication nous renvoient, en miroir, une des questions essentielles
de notre temps, celle de la reconstruction de la représentation de l’homme et de la société.

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