Histoire de La Magie by Éliphas Lévi

HISTOIRE
DE LA MAGIE
AVEC UNE
EXPOSITION CLAIRE ET PRÃCISE DE SES PROCÃDÃS,
DE SES RITES ET DE SES MYSTÃRES
PAR ÃLIPHAS LÃVI
Auteur de Dogme et rituel de la haute magie.
Opus hierarchicum et catholicum.
(C'est une oeuvre hiÃ©rarchique et catholique.)
DÃ©finition du grand oeuvre, H. KHUNBATH
Avec 18 planches reprÃ©sentant 90 figures.

PARIS
GERMER BAILLIÃRE, LIBRAIRE-ÃDITEUR,
17, RUE DE L'ÃCOLE-DE-MÃDECINE.
LONDRES ET NEW-YORK, MADRID.

H. BAILLIÃRE. CH. BAILLY-BAILLIÃRE.
1860
PRÃFACE
Les travaux d'Ãliphas LÃ©vi sur la science des anciens mages formeront un cours complet divisÃ© en trois
parties:
La premiÃ¨re partie contient le Dogme et le Rituel de la haute magie; la seconde, l'Histoire de la magie; la
troisiÃ¨me, la Clef des grands mystÃ¨res, qui sera publiÃ©e plus tard.
Chacune de ces parties, Ã©tudiÃ©e sÃ©parÃ©ment, donne un enseignement complet et semble contenir
toute la science. Mais pour avoir de l'un une intelligence pleine et entiÃ¨re, il sera indispensable d'Ã©tudier
avec soin les deux autres.
HISTOIRE DE LA MAGIE 1
The Project Gutenberg eBook of Histoire de la magie, par Ãliphas LÃ©vi
Cette division ternaire de notre oeuvre nous a Ã©tÃ© donnÃ©e par la science elle-mÃªme; car notre
dÃ©couverte des grands mystÃ¨res de cette science repose tout entiÃ¨re sur la signification que les anciens
hiÃ©rophantes attachaient aux nombres. Trois Ã©tait pour eux le nombre gÃ©nÃ©rateur, et dans
l'enseignement de toute doctrine ils en considÃ©raient d'abord la thÃ©orie, puis la rÃ©alisation, puis
l'adaptation Ã tous les usages possibles. Ainsi se sont formÃ©s les dogmes, soit philosophiques, soit
religieux. Ainsi la synthÃ¨se dogmatique du christianisme hÃ©ritier des mages impose Ã notre foi trois
personnes en Dieu et trois mystÃ¨res dans la religion universelle.
Nous avons suivi, dans la division de nos deux ouvrages dÃ©jÃ publiÃ©s, et nous suivrons dans la division
du troisiÃ¨me le plan tracÃ© par la kabbale; c'est-Ã -dire par la plus pure tradition de l'occultisme.
Notre Dogme et notre Rituel sont divisÃ©s chacun en vingt-deux chapitres marquÃ©s par les vingt-deux
lettres de l'alphabet hÃ©breu. Nous avons mis en tÃªte de chaque chapitre la lettre qui s'y rapporte avec les
mots latins qui, suivant les meilleurs auteurs, en indiquent la signification hiÃ©roglyphique. Ainsi, en tÃªte
du chapitre premier, par exemple, on lit:
1×A
LE RÃCIPIENDAIRE,
Disciplina,
Ensoph,
Keter.
Ce qui signifie que la lettre aleph, dont l'Ã©quivalent en latin et en franÃ§ais est A, la valeur numÃ©rale 1
signifie le rÃ©cipiendaire, l'homme appelÃ© Ã l'initiation, l'individu habile (le bateleur du tarot), qu'il
signifie aussi la syllepse dogmatique (disciplina), l'Ãªtre dans sa conception gÃ©nÃ©rale et premiÃ¨re
(Ensoph); enfin l'idÃ©e premiÃ¨re et obscure de la divinitÃ© exprimÃ©e par keter (la couronne) dans la
thÃ©ologie kabbalistique.
Le chapitre est le dÃ©veloppement du titre et le titre contient hiÃ©roglyphiquement tout le chapitre. Le livre
entier est composÃ© suivant cette combinaison.
L'Histoire de la magie qui vient ensuite et qui, aprÃ¨s la thÃ©orie gÃ©nÃ©rale de la science donnÃ©e par
le Dogme et le Rituel, raconte et explique les rÃ©alisations de cette science Ã travers les Ã¢ges, est
combinÃ©e suivant le nombre septÃ©naire, comme nous l'expliquons dans notre Introduction. Le nombre
septÃ©naire est celui de la semaine crÃ©atrice et de la rÃ©alisation divine.
La Clef des grands mystÃ¨res sera Ã©tablie sur le nombre quatre qui est celui des formes Ã©nigmatiques du
sphinx et des manifestations Ã©lÃ©mentaires. C'est aussi le nombre du carrÃ© et de la force, et dans ce livre
nous Ã©tablirons la certitude sur des bases inÃ©branlables. Nous expliquerons entiÃ¨rement l'Ã©nigme du
sphinx et nous donnerons Ã nos lecteurs cette clef des choses cachÃ©es depuis le commencement du monde,
que le savant Postel n'avait osÃ© figurer dans un de ses livres les plus obscurs que d'une maniÃ¨re tout
Ã©nigmatique et sans en donner une explication satisfaisante.
PRÃFACE 2
L'Histoire de la magie explique les assertions contenues dans le Dogme et le Rituel; la Clef des grands
mystÃ¨res complÃ©tera et expliquera l'histoire de la magie. En sorte que, pour le lecteur attentif, il ne
manquera rien, nous l'espÃ©rons, Ã notre rÃ©vÃ©lation, des secrets de la kabbale des HÃ©breux et de la
haute magie, soit de Zoroastre, soit d'HermÃ¨s.
L'auteur de ces livres donne volontiers des leÃ§ons aux personnes sÃ©rieuses et instruites qui en demandent,
mais il doit une bonne fois prÃ©venir ses lecteurs qu'il ne dit pas la bonne aventure, n'enseigne pas la
divination, ne fait pas de prÃ©dictions, ne fabrique point de philtres, ne se prÃªte Ã aucun envoÃ»tement et
Ã aucune Ã©vocation. C'est un homme de science et non un homme de prestiges. Il condamne
Ã©nergiquement tout ce que la religion rÃ©prouve, et par consÃ©quent il ne doit pas Ãªtre confondu avec
les hommes qu'on peut importuner sans crainte en leur proposant de faire de leur science un usage dangereux
ou illicite.
Il recherche la critique sincÃ¨re, mais il ne comprend pas certaines hostilitÃ©s.
L'Ã©tude sÃ©rieuse et le travail consciencieux sont au-dessus de toutes les attaques; et les premiers biens
qu'ils procurent Ã ceux qui savent les apprÃ©cier, sont une paix profonde et une bienveillance universelle.
ÃLIPHAS LÃVI.
1er septembre 1859.
TABLE ANALYTIQUE
DES MATIÃRES CONTENUES DANS CET OUVRAGE.
PrÃ©face v
INTRODUCTION 1
Fausse dÃ©finition de la magie. Elle ne doit pas Ãªtre dÃ©finie au hasard. Vraie dÃ©finition, 1
Ãtoile flamboyante, ce que c'est. Existence de l'absolu, 2
La magie science absolue, 3
Erreurs de Dupuis, 4
Profanations de la science. PrÃ©diction du comte de Maistre,5
Mesure et portÃ©e de la science magique. Justice de Dieu,7
Puissance de l'adepte,8
Le diable et la science,10
Existence des dÃ©mons, 11
Keter. 3
Fausse idÃ©e du diable,12
Conception des ManichÃ©ens.16
Crimes des sorciers,18
La lumiÃ¨re astrale. On l'appelle imagination de la nature. Ce que c'est,19
Ses effets,20
Le magnÃ©tisme dÃ©fini,22
Accord de la raison avec la foi,23
Jakin et Bobas,24
Principe de la hiÃ©rarchie,25
Religion des kabbalistes,26
Images de Dieu,28
ThÃ©orie de la lumiÃ¨re,28
MystÃ¨res de l'amour sexuel,29
Antagonisme des pouvoirs,31
La prÃ©tendue papesse Jeanne,32
La kabbale explique et concilie tout,32
Pourquoi l'Ãglise a condamnÃ© la magie,33
La magie dogmatique explique la philosophie de l'histoire,34
Mauvaises curiositÃ©s relatives Ã la magie,35
Plan de ce livre,37
Soumission de l'auteur Ã l'ordre Ã©tabli.39
LIVRE PREMIER--Les origines magiques.
CHAPITRE PREMIER.--Origines fabuleuses41
TABLE ANALYTIQUEDES MATIÃRES CONTENUES DANS CET OUVRAGE. 4

Le livre d'HÃ©noch et la chute des anges,41
Sens de la lÃ©gende,42
Livre de la pÃ©nitence d'Adam,43
Ce que c'est que le personnage d'HÃ©noch.46
Apocalypse de Saint-MÃ©thodius.45
Les enfants de Seth et ceux de CaÃ¯n.47
Raison de l'occultisme.48
Erreur de Rousseau.49
Traditions judaÃ¯ques.50
Gloire du christianisme.51
Le Sepher Jezirah, le Sohar et l'Apocalypse,51
Commencement du Sohar.52
CHAPITRE II.--Magie des mages 55
Le vrai et le faux Zoroastre,55
Dogmes du vrai Zoroastre.56
Pyrotechnie transcendentale.57
Secrets Ã©lectriques de Numa.57
Une page de Zoroastre sur les dÃ©mons et les sacrifices.58
RÃ©vÃ©lations importantes sur le magnÃ©tisme.60
L'initiation en Assyrie,61
Prodiges des Assyriens.62
Du Potet d'accord avec Zoroastre.62
Danger que courent les imprudents.63
Puissance de l'homme sur les animaux.63

Chute du sacerdoce en Assyrie.64
Mort magique de Sardanapale.65
CHAPITRE III.--Magie dans l'Inde67
Les Indiens descendants de CaÃ¯n. L'Inde mÃ¨re de l'idolÃ¢trie. Doctrine des gymnosophistes,67
Origine indienne du gnosticisme,68
Fables savantes de l'Inde,69
Magie noire de l'Oup nek' hat. M. Ragon, auteur citÃ©,74
Grands arcanes indiens,75
Les Indiens rÃ©voltÃ©s et les Anglais.76
CHAPITRE IV.--Magie hermÃ©tique77
La table d'Ãmeraude,77
Autres Ã©crits d'HermÃ¨s,78
Sens magique de la gÃ©ographie ancienne de l'Ãgypte,79
MinistÃ¨re de Joseph,80
Alphabet sacrÃ©,81
Table isiaque de Bembo,81
Le tarot expliquÃ© par le Sepher Jezirah,82
Le tarot de Charles VII,82
Science magique de MoÃ¯se.83
CHAPITRE V.--Magie en GrÃ¨ce85

Fables de la toison d'or,86
MÃ©dÃ©e et Jason,88
Les cinq Ã©popÃ©es magiques,89
Eschyle profanateur des mystÃ¨res,89
OrphÃ©e de la lÃ©gende,90
MystÃ¨res orphiques,92
La GoÃ©tie,93
Les sorciÃ¨res de Thessalie,94
MÃ©dÃ©e et CircÃ©,95
CHAPITRE VI.--Magie mathÃ©maticienne de Pythagore96
Pythagore hÃ©ritier des traditions de Numa,96
Ce qu'Ã©tait Pythagore. Sa doctrine sur Dieu,97
Belle sentence contre l'anarchie. Vers dorÃ©s,98
Symboles de Pythagore. Sa chastetÃ©,100
Sa divination,101
Comment il explique ses miracles,102
Secret de l'interprÃ©tation des songes,103
Croyance de Pythagore.104
CHAPITRE VII.--La sainte kabbale105
Origine de la kabbale105
Horreur des kabbalistes pour l'idolÃ¢trie105
Leur dÃ©finition de Dieu105

Principes de la kabbale106
Les noms divins et l'alphabet sacrÃ©109
Les clavicules de Salomon110
Si les esprits peuvent revenir113
Les larves fluidiques114
La lumiÃ¨re, grand agent magique115
Origine obscÃ¨ne des larves 117
LIVRE II.--Formation et rÃ©alisation du dogme.
CHAPITRE PREMIER.--Symbolisme primitif de l'histoire118
AllÃ©gorie du paradis terrestre119
BÃªtise d'un grand esprit119
MystÃ¨res de la GenÃ¨se120
BelphÃ©gor121
Son culte122
Le sabbat, imitation des mÃªmes rites122
DÃ©cadence de la hiÃ©rarchie123
Philosophie de hasard 124
Doctrine de Platon124
RÃ©ponse d'Apollon Ã ceux de DÃ©los125
La pierre cubique126
RÃ©sumÃ© du nÃ©oplatonisme127
CHAPITRE II.--le mysticisme128

InviolabilitÃ© de la science magique128
Ãcoles profanes et mystiques129
Les Bacchantes129
RÃ©formateurs matÃ©rialistes. Mystiques anarchistes130
Fous-visionnaires. Leur horreur pour les sages131
TolÃ©rance de la vraie Ãglise132
Tendance immorale des faux miracles132
Les faux thÃ©raphims133
Rites de la magie noire134
Cause des visions135
M. Brierre de Boismont et son TraitÃ© des hallucinations136
CHAPITRE III.--Initiations et Ã©preuves137
Ce que c'est que le grand oeuvre137
Les quatre formes du sphinx reproduites allÃ©goriquement sur le bouclier d'Achille137
AllÃ©gories d'Hercule et d'Oedipe. Ãpreuves138
Tradition invoquÃ©e par Platon140
Platon kabbaliste141
DiffÃ©rence entre Platon et Saint-Jean142
ExpÃ©riences funestes142
Homoeopathie pratiquÃ©e par les Grecs143
L'antre de Trophonius et la grotte du chien. Science des prÃªtres Ã©gyptiens144
Lactance se moque des antipodes145
Enfers des Grecs145

UtilitÃ© de la douleur147
Le tableau de CÃ©bÃ¨s et le poÃ«me de Dante147
Doctrines du PhÃ©don148
CHAPITRE IV.--Magie du culte public149
La superstition expliquÃ©e par la nÃ©cessitÃ© du culte150
Traditions orthodoxes151
Calomnies des profanes contre les initiÃ©s152
Une allÃ©gorie sur Bacchus153
TyrÃ©sias et Calchas153
Le sacerdoce suivant HomÃ¨re 155
Oracles des sybilles156
CHAPITRE V.--MystÃ¨res de la virginitÃ©157
Institution des vestales158
Vertu traditionnelle du sang virginal158
Symbolisme du feu sacrÃ©159
L'honneur chez les femmes romaines160
HiÃ©rophantisme de Numa161
IdÃ©es ingÃ©nieuses de Voltaire sur la divination161
Instinct prophÃ©tique des masses162
Fausses apprÃ©ciations des oracles par Kircher et Fontenelle162
Calendrier religieux de Numa163

CHAPITRE VI.--Des superstitions164
Belle pensÃ©e de saint GrÃ©goire, pape164
Observance des nombres et des jours165
Abstinences des mages166
Opinions de Porphyre166
DonnÃ©es mythologiques sur l'instinct des animaux167
Passage d'Euripide168
Raison des abstinences pythagoriciennes168
Singulier passage d'HomÃ¨re169
Superstitions romaines169
Enchantements171
Tourbillons magiques172
CHAPITRE VII.--Monuments magiques173
Les sept merveilles du monde reprÃ©sentant les sept planÃ¨tes magiques173
RÃ©sumÃ© philosophique des anciens175
LIVRE III.--SynthÃ¨se et rÃ©alisation divine du magisme par la rÃ©vÃ©lation chrÃ©tienne.
CHAPITRE PREMIER--Christ accusÃ© de magie177
Sens profond du commencement de l'Ã©vangile selon saint Jean ÃzÃ©chiel kabbaliste177
CaractÃ¨re spÃ©cial du christianisme178
Accusations des Juifs contre le Sauveur179

Une belle lÃ©gende des Ã©vangiles apocryphes180
Les Joannites181
Livres magiques brÃ»lÃ©s Ã ÃphÃ¨se181
Le grand Pan est mort!181
CHAPITRE II.--VÃ©ritÃ© du christianisme par la magie182
Existence absolue de la religion182
Distinction essentielle de la science et de la foi183
Objections absurdes184
RÃ©alitÃ© du christianisme dÃ©montrÃ©e par la charitÃ©185
Simon le Magicien187
Son histoire188
Sa doctrine190
Sa confÃ©rence avec saint Pierre et saint Paul192
Sa chute193
Sa secte continuÃ©e par MÃ©nandre194
CHAPITRE III.--Du diable194
Satan et Lucifer194
Sagesse de l'Ãglise196
Ce que c'est que le diable suivant les initiÃ©s aux sciences occultes196
Opinions de Torreblanca198
PerversitÃ©s astrales199
Les dÃ©mons, vices personnifiÃ©s200

CHAPITRE IV.--Les derniers paÃ¯ens201
Le miracle Ã©ternel de Dieu 201
Action civilisatrice du christianisme201
Apollonius et Julien. LÃ©gende allÃ©gorique d'Apollonius202
Suite de cette lÃ©gende205
Jugement sur Julien et sur Apollonius206
CHAPITRE V.--Les lÃ©gendes207
Justine et Cyprien208
Oraison magique de saint Cyprien211
La lÃ©gende dorÃ©e212
Pourquoi les chrÃ©tiens Ã©taient accusÃ©s d'adorer une tÃªte d'Ã¢ne213
L'Ã¢ne d'or d'ApulÃ©e215
Finesse de saint Augustin215
CHAPITRE VI.--Peintures kabbalistiques216
EmblÃ¨mes des catacombes216
Vrais et faux gnostiques217
L'hÃ©rÃ©siarque Marcos218
Intrusion des femmes dans le sacerdoce218
Miracles diaboliques220
Les manichÃ©ens220

Danger des Ã©vocations221
Perte des clefs kabbalistiques222
CHAPITRE VII.--Ãcole d'Alexandrie223
Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, Proclus, Hypathie223
Imprudents aveux de SynÃ©sius224
Ãcrits de cet initiÃ©225
Son traitÃ© des songes est commentÃ© par JÃ©rÃ´me Cardan 225
Livres de saint Denys l'ArÃ©opagite attribuÃ©s Ã SynÃ©sius227
LIVRE IV.--La magie et la civilisation.
CHAPITRE PREMIER.--Magie chez les Barbares228
Histoire de Philinnium et de MachatÃ¨s232
Mythologie des Germains et des druides234
Magie des Eubages236
CHAPITRE II.--Influence des femmes238
VellÃ©da calomniÃ©e par Chateaubriand239
Ce que c'est que Berthe au long pied239
MÃ©lusine240
Sainte Clotilde241
FrÃ©dÃ©gonde241

LÃ©gende ou histoire de Klodswinthe242
FrÃ©dÃ©gonde sauve une femme par mÃ©chancetÃ©244
CHAPITRE III--Loi salique contre les sorciers244
Lois saliques245
Singulier passage du Talmud expliquÃ© Ã la reine Blanche par le rabbin JÃ©chiel246
Amateurs du diable condamnÃ©s par l'Ãglise248
Charles Martel249
Le kabbaliste ZÃ©dÃ©chias et les esprits Ã©lÃ©mentaires250
CHAPITRE IV.--LÃ©gendes de Charlemagne254
Charlemagne et Roland254
L'Euchiridion de LÃ©on III257
Les francs-juges261
Les illuminÃ©s262
La chevalerie errante263
CHAPITRE IV.--Magiciens264
Le pape et l'empereur264
Excommunications265
LÃ©gendes diaboliques265
Le rabbin JÃ©chiel et saint Louis266
Albert le Grand et son androÃ¯de267

Saint Thomas d'Aquin270
Ce que c'est que la quinte-essence271
CHAPITRE VI.--ProcÃ¨s cÃ©lÃ¨bres272
Puissance des ordres religieux273
Les templiers275
LÃ©gende profane des Jonnnites sur la vie de N.-S. JÃ©sus-Christ275
Doctrine secrÃ¨te des templiers278
Leur procÃ¨s279
Leur destruction apparente280
La sainte et vaillante Jeanne d'Arc280
Gille de Laval, seigneur de Raiz, type de la Barbe-Bleue290
CHAPITRE VII.--Superstitions relatives au diable290
Comment le diable apparaÃ®t291
Hallucinations terribles293
Le pourquoi des apparitions295
Ce que disent les tables tournantes297
LIVRE V.--Les adeptes et le sacerdoce.
CHAPITRE PREMIER.--PrÃªtres et papes accusÃ©s de magie298
SaintetÃ© inviolable du sacerdoce298

Accusations des faux adeptes299
Sylvestre II faussement accusÃ©300
LÃ©gÃ¨retÃ© de Platine300
Absurde histoire de la papesse Jeanne301
Opinion de NaudÃ© sur Sylvestre II304
Le grimoire d'Honorius,305
--Son auteur prÃ©sumable306
Analyse curieuse et entiÃ¨rement nouvelle de ce grimoire314
CHAPITRE II.--Apparition des BohÃ©miens nomades314
Extrait d'une ancienne chronique317
Citation de l'Histoire vraie des vrais BohÃ©miens, par M. Vaillant327
Opinion de l'auteur sur les BohÃ©miens328
CHAPITRE III.--lÃ©gende et histoire de Raymond Lulle341
CHAPITRE IV.--Alchimistes342
Flamel et le livre du Juif Abraham,342
--Figures mystÃ©rieuses de ce livre,343
--Tradition sur Flamel345
Bernard le TrÃ©visan. Basile Valentin et TrithÃ©me. Cornelius Agrippa,345
--Le pantacle de TrithÃ©me 346
Guillaume Postel. Sa doctrine348
--La mÃ¨re Jeanne349

--Postel le RessuscitÃ©350
--Le pÃ¨re Desbillons justifie Postel351
Paracelse353
--La mÃ©decine occulte354
--Histoire racontÃ©e par Tavernier355
--Les secrets de Paracelse357
CHAPITRE V.--Sorciers et magiciens cÃ©lÃ¨bres358
Analyse kabbalistique du poÃ«me de Dante358
Le roman de la Rose359
Disputes du diable et de Luther360
Les regrets de Luther de s'Ãªtre mariÃ©362
Les sorciers sous Henri III363
Les visions de Jacques ClÃ©ment363
Origine des roses-croix364
--Henri Khunrath366
--Oswald Crollius369
Les alchimistes cÃ©lÃ¨bres du commencement du XVIIe siÃ¨cle371
Manifeste des roses-croix371
CHAPITRE VI.--ProcÃ¨s de magie373
Crimes rÃ©els des sorciers376
Condamnations dÃ©plorables377
ProcÃ¨s de Louis Ganfridi380

ProcÃ¨s d'Urbain Grandier381
Jugement de l'auteur sur ce procÃ¨s384
ProcÃ¨s pour les religieuses de Louviers387
--ProcÃ¨s du pÃ¨re Girard388
--Raisons de certains prodiges389
--Une histoire d'apparition391
CHAPITRE VII.--Origines magiques de la maÃ§onnerie399
Ce que c'est que la franc-maÃ§onnerie399
LÃ©gende d'Hiram402
--Son explication407
LIVRE VI.--La magie et la rÃ©volution
CHAPITRE PREMIER.--Auteurs remarquables du XVIIIe siÃ¨cle408
DÃ©couvertes en Chine409
L'y-kim et les trigrammes de Fo-hi409
Opinion de Leibnitz sur l'y-kim411
Swedenborg412
Mesmer414
DÃ©couverte du magnÃ©tisme416
CHAPITRE II.--Personnages merveilleux du XVIIIe siÃ¨cle418

Le comte de Saint-Germain419
SociÃ©tÃ© secrÃ¨te du Saint-Jakin425
L'alchimiste Lascaris426
Le comte de Cagliostro427
Explication de son sceau et de son nom kabbalistique430
Secret de la rÃ©gÃ©nÃ©ration physique suivant Cagliostro 431
CHAPITRE III.--ProphÃ©ties de Cazotte435
Ãcole des martinistes435
Le souper de Cazotte436
MystÃ¨res du diable amoureux437
Lilith et NabÃ©ma438
Mort de Cazotte440
CHAPITRE IV.--RÃ©volution franÃ§aise441
Malheurs occasionnÃ©s par les hallucinations de Rousseau441
La loge de la rue PlÃ¢triÃ¨re441
Louis XVI livrÃ© Ã la vengeance des templiers443
Les Joannites et les Jacques444
Ãtranges prÃ©dictions445
CHAPITRE V.--PhÃ©nomÃ¨nes de mÃ©diamanie446
Naissance d'une secte446

Dom Gerle et Catherine ThÃ©ot448
Visite nocturne de Robespierre449
Les sauveurs de Louis XVII451
Naundorf, Vintras et M. Madrolle452
CHAPITRE VI.--Les illuminÃ©s d'Allemagne454
La magie d'Eckartshansen455
Ãvocations de Lavater456
RÃ©vÃ©lations de l'esprit Gablidone457
--Il prÃ©dit la venue d'un mage nommÃ© Osphal, Alphos, Maffon ou Ãliphisma458
Stabs et NapolÃ©on459
Les mopses et leurs mystÃ¨res460
L'Ã©popÃ©e dramatique de Faust460
CHAPITRE VII.--Empire et restauration463
PrÃ©dictions relatives Ã NapolÃ©on463
Mademoiselle Lenormand465
Madame Bouche et madame de Krudener prÃ¨s de l'empereur Alexandre467
Le paysan Martin voit un ange habillÃ© en laquais et se fait prÃ©senter au roi Louis XVIII468
LIVRE VII.--La magie au XIXe siÃ¨cle.
CHAPITRE PREMIER.--Les magnÃ©tiseurs mystiques et les matÃ©rialistes470

Folies contagieuses de Charles Fonrier471
Le dogme de l'enfer expliquÃ©472
Une Ã©vocation par M. Oegger vicaire de Notre-Dame476
Les faux dieux grotesques.--Gouneau, Cheneau, Tourreil, Auguste Comte et Wronski 477
CHAPITRE II.--Des Hallucinations479
Histoire de l'hallucinÃ© EugÃ¨ne Vintras479
CHAPITRE III.--Les magnÃ©tiseurs et les somnambules491
Justes dÃ©fiances de l'Ãglise contre les abus du somnambulisme491
Ouvrage remarquable du baron Du Potet492
Les tables tournantes fatales Ã Victor Hennequin495
Une dame russe trouvant que son guÃ©ridon est hÃ©rÃ©tique, le porte Ã Rome et obtient du Saint-PÃ¨re
l'autorisation de le brÃ»ler496
RÃ©flexions sÃ©rieuses Ã propos d'un mÃ©lodrame diabolique et burlesque496
CHAPITRE IV.--Les fantaisistes en magie497
Alphonse Esquiros invente une magie romanesque et fantastique498
Henri Delaage se fait le continuateur d'Alphonse Esquiros498
Ses naÃ¯vetÃ©s scientifiques et littÃ©raires499
M. le comte d'Ourches et ses prodiges500
M. le baron de Guldenstubbe et ses Ã©critures miraculeuses505
L'homme enterrÃ© vivant507

Une histoire de vampire517
Le cartomancien Edmond519
CHAPITRE V.--Souvenirs intimes de l'auteur519
L'auteur est prÃ©sentÃ© par le magicien Esquiros au dieu Gauneau520
Les doctrines excentriques du Mapah522
ConsÃ©quences fÃ¢cheuses523
Cause inconnue de la rÃ©volution de 1848524
Le magicien posthume525
CHAPITRE VI.--Des sciences occultes525
RÃ©capitulation des principes528
CHAPITRE VII.--RÃ©sumÃ© et conclusion532
L'Ã©nigme du sphinx et sa solution533
Les huit questions paradoxales avec les rÃ©ponses549
Conclusion549
Pourquoi celui qui sait doit croire551
RÃ©sultat des dÃ©couvertes en magie552
Passage curieux de Vincent de LÃ©rins553
Citation du comte Joseph de Maistre555

Texte remarquable de saint Thomas557
Avenir probable de la science558
But de l'ouvrage559
FIN DE LA TABLE ANALYTIQUE DES MATIÃRES.
Note du transcripteur:
L'HÃ©breu s'Ã©crit normalement de droite Ã gauche. C'est ainsi que les citations hÃ©breuses ont
Ã©tÃ© entrÃ©es dans le fichier source. Cependant, les fureteurs (IE, Firefox et Netscape) inversent l'ordre
et Ã©crivent le texte de gauche Ã droite.
[1]
HISTOIRE
DE LA MAGIE.
INTRODUCTION.
Depuis trop longtemps on confond la magie avec les prestiges des charlatans, avec les hallucinations des
malades, et avec les crimes de certains malfaiteurs exceptionnels. Bien des gens, d'ailleurs, dÃ©finiraient
volontiers la magie: l'art de produire des effets sans causes. Et d'aprÃ¨s cette dÃ©finition, la foule dira, avec
le bon sens qui la caractÃ©rise, mÃªme dans ses plus grandes injustices, que la magie est une absurditÃ©.
La magie ne saurait Ãªtre ce que la font ceux qui ne la connaissent pas. Il n'appartient d'ailleurs Ã personne
de la faire ceci ou cela; elle est ce qu'elle est, elle est par elle-mÃªme, comme les mathÃ©matiques, car c'est
la science exacte et absolue de la nature et de ses lois.
La magie est la science des anciens mages; et la religion chrÃ©tienne, qui a imposÃ© silence aux oracles
menteurs, et fait cesser tous les prestiges des faux dieux, rÃ©vÃ¨re elle-mÃªme ces mages qui vinrent de
l'Orient, guidÃ©s par une Ã©toile, pour adorer le Sauveur du monde dans son berceau.
La tradition donne encore Ã ces mages le titre de rois, parce [2] que l'initiation Ã la magie constitue une
vÃ©ritable royautÃ©, et parce que le grand art des mages est appelÃ© par tous les adeptes: l'art royal, ou le
saint royaume, sanctum regnum.
L'Ã©toile qui les conduit est cette mÃªme Ã©toile flamboyante dont nous retrouvons l'image dans toutes les
initiations. C'est pour les alchimistes le signe de la quintessence, pour les magistes le grand arcane, pour les
kabbalistes le pentagramme sacrÃ©. Or, nous prouverons que l'Ã©tude de ce pentagramme devait amener les
mages Ã la connaissance du nom nouveau qui allait s'Ã©lever au-dessus de tous les noms et faire flÃ©chir
les genoux Ã tous les Ãªtres capables d'adorer.
HISTOIRE DE LA MAGIE. 24
La magie rÃ©unit donc, dans une mÃªme science, ce que la philosophie peut avoir de plus certain et ce que la
religion a d'infaillible et d'Ã©ternel. Elle concilie parfaitement et incontestablement ces deux termes, qui
semblent d'abord si opposÃ©s: foi et raison, science et croyance, autoritÃ© et libertÃ©.
Elle donne Ã l'esprit humain un instrument de certitude philosophique et religieuse exact comme les
mathÃ©matiques, et rendant raison de l'infaillibilitÃ© des mathÃ©matiques elles-mÃªmes.
Ainsi donc il existe un absolu dans les choses de l'intelligence et de la foi. La raison suprÃªme n'a pas laissÃ©
vaciller au hasard les lueurs de l'entendement humain; Il existe une vÃ©ritÃ© incontestable, il existe une
mÃ©thode infaillible de connaÃ®tre cette vÃ©ritÃ©; et par la connaissance de cette vÃ©ritÃ©, les hommes
qui la prennent pour rÃ¨gle peuvent donner Ã leur volontÃ© une puissance souveraine qui les rendra
maÃ®tres de toutes les choses [3] infÃ©rieures et de tous les esprits errants, c'est-Ã -dire arbitres et rois du
monde!
S'il en est ainsi, pourquoi cette haute science est-elle encore inconnue? Comment supposer dans un ciel qu'on
voit tÃ©nÃ©breux l'existence d'un soleil aussi splendide? La haute science a toujours Ã©tÃ© connue, mais
seulement par des intelligences d'Ã©lite, qui ont compris la nÃ©cessitÃ© de se taire et d'attendre. Si un
chirurgien habile parvenait, au milieu de la nuit, Ã ouvrir les yeux d'un aveugle-nÃ©, comment lui ferait-il
comprendre avant le matin l'existence et la nature du soleil?
La science a ses nuits et ses aurores, parce qu'elle donne au monde intellectuel une vie qui a ses mouvements
rÃ©glÃ©s et ses phases progressives. Il en est des vÃ©ritÃ©s comme des rayons lumineux; rien de ce qui
est cachÃ© n'est perdu, mais aussi rien de ce qu'on trouve n'est absolument nouveau. Dieu a voulu donner Ã
la science, qui est le reflet de sa gloire, le sceau de son Ã©ternitÃ©.
Oui, la haute science, la science absolue, c'est la magie, et cette assertion doit sembler bien paradoxale Ã
ceux qui n'ont pas doutÃ© encore de l'infaillibilitÃ© de Voltaire, ce merveilleux ignorant, qui croyait savoir
tant de choses, parce qu'il trouvait toujours le moyen de rire au lieu d'apprendre.
La magie Ã©tait la science d'Abraham et d'OrphÃ©e, de Confucius et de Zoroastre. Ce sont les dogmes de la
magie qui furent sculptÃ©s sur des tables de pierre par HÃ©noch et par TrismÃ©giste. MoÃ¯se les Ã©pura
et les revoila, c'est le sens du mot rÃ©vÃ©ler. Il leur donna un nouveau voile lorsqu'il fit de la sainte Kabbala
l'hÃ©ritage exclusif du peuple d'IsraÃ«l et le secret inviolable de [4] ses prÃªtres, les mystÃ¨res d'Ãleusis et
de ThÃ¨bes en conservÃ¨rent parmi les nations quelques symboles dÃ©jÃ altÃ©rÃ©s, et dont la clef
mystÃ©rieuse se perdait parmi les instruments d'une superstition toujours croissante. JÃ©rusalem,
meurtriÃ¨re de ses prophÃ¨tes, et prostituÃ©e tant de fois aux faux dieux des Syriens et des Babyloniens,
avait enfin perdu Ã son tour la parole sainte, quand un sauveur, annoncÃ© aux mages par l'Ã©toile sacrÃ©e
de l'initiation, vint dÃ©chirer le voile usÃ© du vieux temple pour donner Ã l'Ãglise un nouveau tissu de
lÃ©gendes et de symboles qui cache toujours aux profanes, et conserve aux Ã©lus toujours la mÃªme
vÃ©ritÃ©.
VoilÃ ce que notre savant et malheureux Dupuis aurait dÃ» lire dans les planisphÃ¨res indiens et sur les
tables de Denderah, et devant l'affirmation unanime de toute la nature et des monuments de la science de tous
les Ã¢ges, il n'aurait pas conclu Ã la nÃ©gation du culte vraiment catholique, c'est-Ã -dire universel et
Ã©ternel!
C'Ã©tait le souvenir de cet absolu scientifique et religieux, de cette doctrine qui se rÃ©sume en une parole,
de cette parole, enfin, alternativement perdue et retrouvÃ©e, qui se transmettait aux Ã©lus de toutes les
initiations antiques; c'Ã©tait ce mÃªme souvenir, conservÃ© ou profanÃ© peut-Ãªtre dans l'ordre
cÃ©lÃ¨bre des templiers, qui devenait pour toutes les associations secrÃ¨tes des rose-croix, des illuminÃ©s
et des francs-maÃ§ons, la raison de leurs rites bizarres, de leurs signes plus ou moins conventionnels, et
INTRODUCTION. 25
surtout de leur dÃ©vouement mutuel et de leur puissance. Les doctrines et les mystÃ¨res de la magie ont
Ã©tÃ© profanÃ©s, nous ne voulons pas en disconvenir, et cette profanation mÃªme, renouvelÃ©e d'Ã¢ge
en Ã¢ge, a Ã©tÃ© pour les [5] imprudents rÃ©vÃ©lateurs une grande et terrible leÃ§on. Les gnostiques ont
fait proscrire la gnose par les chrÃ©tiens et le sanctuaire officiel s'est fermÃ© Ã la haute initiation. Ainsi la
hiÃ©rarchie du savoir a Ã©tÃ© compromise par les attentats de l'ignorance usurpatrice, et les dÃ©sordres
du sanctuaire se sont reproduits dans l'Ãtat, car toujours, bon grÃ© mal grÃ©, le roi relÃ¨ve du prÃªtre, et
c'est du sanctuaire Ã©ternel de l'enseignement divin que les pouvoirs de la terre pour se rendre durables
attendront toujours leur consÃ©cration et leur force.
La clef de la science a Ã©tÃ© abandonnÃ©e aux enfants, et, comme on devait s'y attendre, cette clef se
trouve actuellement Ã©garÃ©e et comme perdue. Cependant un homme d'une haute intuition et d'un grand
courage moral, le comte Joseph de Maistre, le catholique dÃ©terminÃ©, confessant que le monde Ã©tait
sans religion et ne pouvait longtemps durer ainsi, tournait involontairement les yeux vers les derniers
sanctuaires de l'occultisme et appelait de tous ses voeux le jour oÃ¹ l'affinitÃ© naturelle qui existe entre la
science et la foi les rÃ©unirait enfin dans la tÃªte d'un homme de gÃ©nie. Â«Celui-lÃ sera grand!
s'Ã©criait-il, et il fera cesser le XVIIIe siÃ¨cle, qui dure encore... On parlera alors de notre stupiditÃ©
actuelle comme nous parlons de la barbarie du moyen Ã¢ge!Â»
La prÃ©diction du comte de Maistre se rÃ©alise; l'alliance de la science et de la foi, consommÃ©e depuis

longtemps, s'est enfin montrÃ©e, non pas Ã un homme de gÃ©nie, il n'en faut pas pour voir la lumiÃ¨re, et
d'ailleurs le gÃ©nie n'a jamais rien prouvÃ©, si ce n'est sa grandeur exceptionnelle et ses lumiÃ¨res
inaccessibles Ã la foule. La grande vÃ©ritÃ© exige seulement qu'on la trouve, puis [6] les plus simples
d'entre le peuple pourront la comprendre et au besoin la dÃ©montrer.
Elle ne deviendra pourtant jamais vulgaire, parce qu'elle est hiÃ©rarchique et parce que l'anarchie seule flatte
les prÃ©jugÃ©s de la foule; il ne faut pas aux masses de vÃ©ritÃ©s absolues, autrement le progrÃ¨s
s'arrÃªterait et la vie cesserait dans l'humanitÃ©, le va-et-vient des idÃ©es contraires, le choc des opinions,
les passions de la mode dÃ©terminÃ©es toujours par les rÃªves du moment sont nÃ©cessaires Ã la
croissance intellectuelle des peuples. Les foules le sentent bien, et c'est pour cela qu'elles abandonnent si
volontiers la chaire des docteurs pour courir aux trÃ©teaux du charlatan. Les hommes mÃªme qui passent
pour s'occuper spÃ©cialement de philosophie, ressemblent presque toujours Ã ces enfants qui jouent Ã se
proposer entre eux des Ã©nigmes, et qui s'empressent de mettre hors du jeu celui qui sait le mot d'avance, de
peur que celui-lÃ ne les empÃªche de jouer en Ã´tant tout son intÃ©rÃªt Ã l'embarras de leurs questions.
Â«Heureux ceux qui ont le coeur pur, car ils verront Dieu,Â» a dit la sagesse Ã©ternelle. La puretÃ© du
coeur Ã©pure donc l'intelligence et la rectitude de la volontÃ© fait l'exactitude de l'entendement. Celui qui
prÃ©fÃ¨re Ã tout la vÃ©ritÃ© et la justice aura la justice et la vÃ©ritÃ© pour rÃ©compense, car la
Providence suprÃªme nous a donnÃ© la libertÃ© pour que nous puissions conquÃ©rir la vie; et la
vÃ©ritÃ© mÃªme, quelque rigoureuse qu'elle soit, ne s'impose qu'avec douceur et ne fait jamais violence aux
lenteurs ou aux Ã©garements de notre volontÃ© sÃ©duite par les attraits du mensonge.
Cependant, dit Bossuet, Â«avant qu'il y ait quelque chose qui [7] plaise ou qui dÃ©plaise Ã nos sens, il y a
une vÃ©ritÃ©; et c'est par elle seule que nos actions doivent Ãªtre rÃ©glÃ©es, ce n'est pas par notre
plaisir.Â» Le royaume de Dieu n'est pas l'empire de l'arbitraire, ni pour les hommes ni pour Dieu mÃªme.
Â«Une chose, dit saint Thomas, n'est pas juste parce que Dieu la veut, mais Dieu la veut parce qu'elle est
juste.Â» La balance divine rÃ©git et nÃ©cessite les mathÃ©matiques Ã©ternelles. Â«Dieu a tout fait avec
le nombre, le poids et la mesure.Â» C'est ici la Bible qui parle. Mesurez un coin de la crÃ©ation, et faites une
multiplication proportionnellement progressive, et l'infini tout entier multipliera ses cercles remplis d'univers
qui passeront en segments proportionnels entre les branches idÃ©ales et croissantes de votre compas; et
maintenant supposez que d'un point quelconque de l'infini au-dessus de vous une main tienne un autre compas
ou une Ã©querre, les lignes du triangle cÃ©leste rencontreront nÃ©cessairement celles du compas de la
INTRODUCTION. 26
science, pour former l'Ã©toile mystÃ©rieuse de Salomon.
Â«Vous serez mesurÃ©s, dit l'Ãvangile, avec la mesure dont vous vous servez vous-mÃªmes.Â» Dieu n'entre
pas en lutte avec l'homme pour l'Ã©craser de sa grandeur, et il ne place jamais des poids inÃ©gaux dans sa
balance. Lorsqu'il veut exercer les forces de Jacob, il prend la figure d'un homme, dont le patriarche supporte
l'assaut pendant toute une nuit, et la fin de ce combat, c'est une bÃ©nÃ©diction pour le vaincu, et avec la
gloire d'avoir soutenu un pareil antagonisme le titre national d'IsraÃ«l, c'est-Ã -dire un nom qui signifie:
Â«fort contre Dieu.Â»
Nous avons entendu des chrÃ©tiens, plus zÃ©lÃ©s qu'instruits, [8] expliquer d'une maniÃ¨re Ã©trange le
dogme de l'Ã©ternitÃ© des peines. Â«Dieu, disaient-ils, peut se venger infiniment d'une offense finie, parce
que si la nature de l'offenseur a des bornes, la grandeur de l'offensÃ© n'en a pas.Â» A ce titre et sous ce
prÃ©texte, un empereur de la terre devrait punir de mort l'enfant sans raison qui aurait par mÃ©garde sali le
bord de sa pourpre. Non, telles ne sont pas les prÃ©rogatives de la grandeur, et saint Augustin les comprenait
mieux lorsqu'il Ã©crivait: Â«Dieu est patient parce qu'il est Ã©ternel!Â»
En Dieu tout est justice, parce que tout est bontÃ©; il ne pardonne jamais Ã la maniÃ¨re des hommes, parce
qu'il ne saurait s'irriter comme eux; mais le mal Ã©tant de sa nature incompatible avec le bien, comme la nuit
avec le jour, comme la dissonance avec l'harmonie, l'homme d'ailleurs Ã©tant inviolable dans sa libertÃ©,
toute erreur s'expie, tout mal est puni par une souffrance proportionnelle: nous avons beau appeler Jupiter Ã
notre secours quand notre char est embourbÃ©, si nous ne prenons la pelle et la pioche comme le routier de la
fable, le Ciel ne nous tirera pas de l'orniÃ¨re. Â«Aide-toi, le Ciel t'aidera!Â» Ainsi s'explique, d'une maniÃ¨re
toute rationnelle et purement philosophique, l'Ã©ternitÃ© possible et nÃ©cessaire du chÃ¢timent avec une
voie Ã©troite ouverte Ã l'homme pour s'y soustraire, celle du repentir et du travail!
En se conformant aux rÃ¨gles de la force Ã©ternelle, l'homme peut s'assimiler Ã la puissance crÃ©atrice et
devenir crÃ©ateur et conservateur comme elle. Dieu n'a pas limitÃ© Ã un nombre restreint d'Ã©chelons la
montÃ©e lumineuse de Jacob. Tout ce que la nature a fait infÃ©rieur Ã l'homme, elle le soumet Ã l'homme,
c'est Ã lui d'agrandir son domaine en montant toujours! Ainsi la [9] longueur et mÃªme la perpÃ©tuitÃ© de
la vie, l'atmosphÃ¨re et ses orages, la terre et ses filons mÃ©talliques, la lumiÃ¨re et ses prodigieux mirages,
la nuit et ses rÃªves, la mort et ses fantÃ´mes, tout cela obÃ©it au sceptre royal du mage, au bÃ¢ton pastoral
de Jacob, Ã la verge foudroyante de MoÃ¯se. L'adepte se fait roi des Ã©lÃ©ments, transformateur des
mÃ©taux, arbitre des visions, directeur des oracles, maÃ®tre de la vie, enfin, dans l'ordre mathÃ©matique de
la nature, et conformÃ©ment Ã la volontÃ© de l'intelligence suprÃªme. VoilÃ la magie dans toute sa
gloire! Mais qui osera dans notre siÃ¨cle ajouter foi Ã nos paroles? ceux qui voudront loyalement Ã©tudier
et franchement savoir, car nous ne cachons plus la vÃ©ritÃ© sous le voile des paraboles ou des signes
hiÃ©roglyphiques, le temps est venu oÃ¹ tout doit Ãªtre dit, et nous nous proposons de tout dire.
Nous allons dÃ©couvrir non-seulement cette science toujours occulte qui, comme nous l'avons dit, se cachait
sous les ombres des anciens mystÃ¨res; qui a Ã©tÃ© mal rÃ©vÃ©lÃ©e, ou plutÃ´t indignement
dÃ©figurÃ©e par les gnostiques; qu'on devine sous les obscuritÃ©s qui couvrent les crimes prÃ©tendus des
templiers, et qu'on retrouve enveloppÃ©e d'Ã©nigmes maintenant impÃ©nÃ©trables dans les rites de la
haute maÃ§onnerie. Mais nous allons amener au grand jour le roi fantastique du sabbat, et montrer au fond de
la magie noire elle-mÃªme, abandonnÃ©e depuis longtemps Ã la risÃ©e des petits-enfants de Voltaire,
d'Ã©pouvantables rÃ©alitÃ©s.
Pour un grand nombre de lecteurs, la magie est la science du diable. Sans doute. Comme la science de la
lumiÃ¨re est celle de l'ombre.
Nous avouons d'abord hardiment que le diable ne nous fait pas [10] peur. Â«Je n'ai peur que de ceux qui
craignent le diable, disait sainte ThÃ©rÃ¨se.Â» Mais aussi nous dÃ©clarons qu'il ne nous fait pas rire; et que
INTRODUCTION. 27
nous trouvons fort dÃ©placÃ©es les railleries dont il est si souvent l'objet.
Quoi que ce soit, nous voulons l'amener devant la science.
Le diable et la science!--Il semble qu'en rapprochant deux noms aussi Ã©trangement disparates, l'auteur de ce
livre ait laissÃ© voir d'abord toute sa pensÃ©e. Amener devant la lumiÃ¨re la personnification mystique des
tÃ©nÃ¨bres, n'est-ce pas anÃ©antir devant la vÃ©ritÃ© le fantÃ´me du mensonge? n'est-ce pas dissiper au
jour les cauchemars informes de la nuit? C'est ce que penseront, nous n'en doutons pas, les lecteurs
superficiels, et ils nous condamneront sans nous entendre. Les chrÃ©tiens mal instruits croiront que nous
venons saper le dogme fondamental de leur morale en niant l'enfer, et les autres demanderont Ã quoi bon
combattre des erreurs qui ne trompent dÃ©jÃ plus personne; c'est du moins ce qu'ils imaginent. Il importe
donc de montrer clairement notre but et d'Ã©tablir solidement nos principes. Nous disons d'abord aux
chrÃ©tiens:
L'auteur de ce livre est chrÃ©tien comme vous. Sa foi est celle d'un catholique fortement et profondÃ©ment
convaincu: il ne vient donc pas nier des dogmes, il vient combattre l'impiÃ©tÃ© sous ses formes les plus
dangereuses, celles de la fausse croyance et de la superstition; il vient tirer des tÃ©nÃ¨bres le noir successeur
d'Arimanes, afin d'Ã©taler au grand jour sa gigantesque impuissance et sa redoutable misÃ¨re; il vient
soumettre aux solutions de la science le problÃ¨me antique du mal; il veut [11] dÃ©couronner le roi des
enfers et lui abaisser le front jusque sous le pied de la croix! La science Vierge et mÃ¨re, la science dont
Marie est la douce et lumineuse image, n'est-elle pas prÃ©destinÃ©e Ã Ã©craser aussi la tÃªte de l'ancien
serpent?
Aux prÃ©tendus philosophes l'auteur dira: Pourquoi niez-vous ce que vous ne pouvez comprendre?
L'incrÃ©dulitÃ© qui s'affirme en face de l'inconnu n'est-elle pas plus tÃ©mÃ©raire et moins consolante que
la foi? Quoi, l'Ã©pouvantable figure du mal personnifiÃ© vous fait sourire? Vous n'entendez donc pas le
sanglot Ã©ternel de l'humanitÃ© qui se dÃ©bat et qui pleure broyÃ©e par les Ã©treintes du monstre?
N'avez-vous donc jamais vu le rire atroce du mÃ©chant opprimant le juste? N'avez-vous donc jamais senti
s'ouvrir en vous-mÃªmes ces profondeurs infernales que creuse par instant dans toutes les Ã¢mes le gÃ©nie
de la perversitÃ©? Le mal moral existe, c'est une lamentable vÃ©ritÃ©; il rÃ¨gne dans certains esprits, il
s'incarne dans certains hommes; il est donc personnifiÃ©, il existe donc des dÃ©mons, et le plus mÃ©chant
de ces dÃ©mons est Satan. VoilÃ tout ce que je vous demande d'admettre, et ce qu'il vous sera difficile de ne
pas m'accorder.
Qu'il soit bien entendu, d'ailleurs, que la science et la foi ne se prÃªtent un mutuel concours qu'autant que
leurs domaines sont inviolables et sÃ©parÃ©s. Que croyons-nous? ce que nous ne pouvons absolument
savoir bien que nous y aspirions de toutes nos forces. L'objet de la foi n'est pour la science qu'une hypothÃ¨se
nÃ©cessaire, et jamais il ne faut juger des choses de la science avec les procÃ©dÃ©s de la foi, ni,
rÃ©ciproquement, des choses de la foi avec les procÃ©dÃ©s de la science. Le verbe de foi n'est pas
scientifiquement discutable. Â«Je crois, parce que c'est absurde,Â» [12] disait Tertullien, et cette parole, d'une
apparence si paradoxale, est de la plus haute raison. En effet, au delÃ de tout ce que nous pouvons
raisonnablement supposer, il y a un infini auquel nous aspirons d'une soif Ã©perdue, et qui Ã©chappe
mÃªme Ã nos rÃªves. Mais pour une apprÃ©ciation finie, l'infini n'est-ce pas l'absurde? Nous sentons
cependant que cela est. L'infini nous envahit; il nous dÃ©borde; il nous donne le vertige avec ses abÃ®mes;
il nous Ã©crase de toute sa hauteur. Toutes les hypothÃ¨ses scientifiquement probables sont les derniers
crÃ©puscules ou les derniÃ¨res ombres de la science; la foi commence oÃ¹ la raison tombe Ã©puisÃ©e...
Au delÃ de la raison humaine, il y a la raison divine, le grand absurde pour ma faiblesse, l'absurde infini qui
me confond et que je crois!
Mais le bien seul est infini; le mal ne l'est pas, et c'est pourquoi si Dieu est l'Ã©ternel objet de la foi, le diable
appartient Ã la science. Dans quel symbole catholique, en effet, est-il question du diable? Ne serait-ce pas
INTRODUCTION. 28
blasphÃ©mer que de dire: Nous croyons en lui? Il est nommÃ©, mais non dÃ©fini dans l'Ãcriture sainte; la
GenÃ¨se ne parle nulle part d'une prÃ©tendue chute des anges; elle attribue le pÃ©chÃ© du premier homme
au serpent, le plus rusÃ© et le plus dangereux des Ãªtres animÃ©s. Nous savons quelle est Ã ce sujet la
tradition chrÃ©tienne; mais si cette tradition s'explique par une des plus grandes et des plus universelles
allÃ©gories de la science, qu'importera cette solution Ã la foi qui aspire Ã Dieu seul, et mÃ©prise les
pompes et les oeuvres de Lucifer?
Lucifer! Le porte-lumiÃ¨re! quel nom Ã©trange donnÃ© Ã l'esprit des tÃ©nÃ¨bres. Quoi c'est lui qui porte
la lumiÃ¨re et qui aveugle les [13] Ã¢mes faibles? Oui, n'en doutez pas, car les traditions sont pleines de
rÃ©vÃ©lations et d'inspirations divines.
Â«Le diable porte la lumiÃ¨re, et souvent mÃªme, dit saint Paul, il se transfigure en ange de
splendeur.Â»--Â«J'ai vu, disait le Sauveur du monde, j'ai vu Satan tomber du ciel comme la
foudre.Â»--Â«Comment es-tu tombÃ©e du ciel, s'Ã©crie le prophÃ¨te IsaÃ¯e, Ã©toile lumineuse, toi qui te
levais le matin?Â» Lucifer est donc une Ã©toile tombÃ©e; c'est un mÃ©tÃ©ore qui brÃ»le toujours et qui
incendie lorsqu'il n'Ã©claire plus.
Mais ce Lucifer, est-ce une personne ou une force? Est-ce un ange ou un tonnerre Ã©garÃ©? La tradition
suppose que c'est un ange; mais le Psalmiste ne dit-il pas au psaume 103: Â«Vous faites vos anges des
tempÃªtes et vos ministres des feux rapides?Â» le mot ange est donnÃ© dans la Bible Ã tous les envoyÃ©s
de Dieu: messagers ou crÃ©ations nouvelles, rÃ©vÃ©lateurs ou flÃ©aux, esprits rayonnants ou choses
Ã©clatantes. Les flÃ¨ches de feu que le TrÃ¨s Haut darde dans les nuages sont les anges de sa colÃ¨re, et ce
langage figurÃ© est familier Ã tous les lecteurs des poÃ©sies orientales.
AprÃ¨s avoir Ã©tÃ© pendant le moyen Ã¢ge la terreur du monde, le diable en est devenu la risÃ©e.
HÃ©ritier des formes monstrueuses de tous les faux dieux successivement renversÃ©s, le grotesque
Ã©pouvantail a Ã©tÃ© rendu ridicule Ã force de difformitÃ© et de laideur.
Observons pourtant une chose: c'est que ceux-lÃ seuls osent rire du diable qui ne craignent pas Dieu. Le
diable, pour bien des imaginations malades, aurait-il donc Ã©tÃ© l'ombre de Dieu mÃªme, ou plutÃ´t ne
serait-il pas souvent l'idole des Ã¢mes basses, qui ne [14] comprennent le pouvoir surnaturel que comme
l'exercice impuni de la cruautÃ©?
Il est important de savoir enfin si l'idÃ©e de cette puissance mauvaise peut se concilier avec celle de Dieu. Si
en un mot le diable existe, et s'il existe, ce que c'est.
Il ne s'agit pas ici d'une superstition ou d'un personnage ridicule: il s'agit de la religion tout entiÃ¨re, et par
consÃ©quent de tout l'avenir et de tous les intÃ©rÃªts de l'humanitÃ©.
Nous sommes vraiment des raisonneurs Ã©tranges! Nous nous croyons bien forts quand nous sommes
indiffÃ©rents Ã tout, exceptÃ© aux rÃ©sultats matÃ©riels, Ã l'argent, par exemple; et nous laissons aller
au hasard les idÃ©es mÃ¨res de l'opinion qui, par ses revirements, bouleverse ou peut bouleverser toutes les
fortunes.
Une conquÃªte de la science est bien plus importante que la dÃ©couverte d'une mine d'or. Avec la science,
on emploie l'or au service de la vie; avec l'ignorance, la richesse ne fournit que des instruments Ã la mort.
Qu'il soit bien entendu d'ailleurs que nos rÃ©vÃ©lations scientifiques s'arrÃªtent devant la foi, et que,
comme chrÃ©tien et comme catholique, nous soumettons notre oeuvre tout entiÃ¨re au jugement suprÃªme
de l'Ãglise.
INTRODUCTION. 29
Et maintenant Ã ceux qui doutent de l'existence du diable, nous rÃ©pondons:
Tout ce qui a un nom existe; la parole peut Ãªtre profÃ©rÃ©e en vain, mais en elle-mÃªme elle ne saurait
Ãªtre vaine et elle a toujours un sens.
Le Verbe n'est jamais vide, et s'il est Ã©crit qu'il est en Dieu, et qu'il est Dieu, c'est qu'il est l'expression et la
preuve de l'Ãªtre et de la vÃ©ritÃ©.
[15] Le diable est nommÃ© et personnifiÃ© dans l'Ãvangile, qui est le Verbe de vÃ©ritÃ©, donc il existe, et
il peut Ãªtre considÃ©rÃ© comme une personne. Mais ici c'est le chrÃ©tien qui s'incline; laissons parler la
science ou la raison, c'est la mÃªme chose.
Le mal existe, il est impossible d'en douter. Nous pouvons faire bien ou mal.
Il est des Ãªtres qui sciemment et volontairement font le mal.
L'esprit qui anime ces Ãªtres et qui les excite Ã mal faire est dÃ©voyÃ©, dÃ©tournÃ© de la bonne route,
jetÃ© en travers du bien comme un obstacle; et voilÃ prÃ©cisÃ©ment ce que signifie le mot grec diabolos,
que nous traduisons par le mot diable.
Les esprits qui aiment et font le mal sont accidentellement mauvais.
Il y a donc un diable qui est l'esprit d'erreur, d'ignorance volontaire, de vertige; et il y a des Ãªtres qui lui
obÃ©issent, qui sont ses envoyÃ©s, ses Ã©missaires, ses anges, et c'est pour cela qu'il est parlÃ© dans
l'Ãvangile d'un feu Ã©ternel qui est prÃ©parÃ©, prÃ©destinÃ© en quelque sorte au diable et Ã ses anges.
Ces paroles sont toute une rÃ©vÃ©lation et nous aurons Ã les approfondir.
DÃ©finissons d'abord bien nettement le mal; le mal c'est le dÃ©faut de rectitude dans l'Ãªtre.
Le mal moral est le mensonge en actions comme le mensonge est le crime en paroles.
L'injustice est l'essence du mensonge; tout mensonge est une injustice.
[16] Quand ce qu'on dit est juste, il n'y a pas mensonge. Quand on agit Ã©quitablement et d'une maniÃ¨re
vraie, il n'y a pas pÃ©chÃ©.
L'injustice est la mort de l'Ãªtre moral, comme le mensonge est le poison de l'intelligence.
L'esprit de mensonge est donc un esprit de mort.
Ceux qui l'Ã©coutent sont empoisonnÃ©s par lui et sont ses dupes.
Mais s'il fallait prendre sa personnification absolue au sÃ©rieux, il serait lui-mÃªme absolument mort et
absolument trompÃ©, c'est-Ã -dire que l'affirmation de son existence impliquerait une Ã©vidente
contradiction.
JÃ©sus a dit: Â«Le diable est menteur ainsi que son pÃ¨re.Â»
Qu'est-ce que le pÃ¨re du diable?
INTRODUCTION. 30
C'est celui qui lui donne une existence personnelle en vivant d'aprÃ¨s ses inspirations; l'homme qui se fait
diable est le pÃ¨re du mauvais esprit incarnÃ©.
Mais il est une conception tÃ©mÃ©raire, impie, monstrueuse.
Une conception traditionnelle comme l'orgueil des pharisiens.
Une crÃ©ation hybride qui a donnÃ© une apparente raison contre les magnificences du christianisme Ã la
mesquine philosophie du XVIIIe siÃ¨cle.
C'est le faux Lucifer de la lÃ©gende hÃ©tÃ©rodoxe; c'est cet ange assez fier pour se croire Dieu, assez
courageux pour acheter l'indÃ©pendance au prix d'une Ã©ternitÃ© de supplices, assez beau pour avoir pu
s'adorer en pleine lumiÃ¨re divine; assez fort pour rÃ©gner encore dans les tÃ©nÃ¨bres et la douleur, et pour
se faire un trÃńe de son inextinguible bÃ»cher, c'est le Satan du rÃ©publicain et de l'hÃ©rÃ©tique Millon,
c'est ce prÃ©tendu hÃ©ros des [17] Ã©ternitÃ©s tÃ©nÃ©breuses calomniÃ© de laideur, affublÃ© de
cornes et de griffes qui conviendraient plutÃ´t Ã son tourmenteur implacable.
C'est ce diable roi du mal, comme si le mal Ã©tait un royaume!
Ce diable plus intelligent que les hommes de gÃ©nie qui craignaient ses dÃ©ceptions.
Cette lumiÃ¨re noire, ces tÃ©nÃ¨bres qui voient. Ce pouvoir que Dieu n'a pas voulu, et qu'une crÃ©ature
dÃ©chue n'a pu crÃ©er.
Ce prince de l'anarchie servi par une hiÃ©rarchie de purs esprits.
Ce banni de Dieu qui serait partout comme Dieu est sur la terre, plus visible, plus prÃ©sent au plus grand
nombre, mieux servi que Dieu mÃªme!
Ce vaincu auquel le vainqueur donnerait ses enfants Ã dÃ©vorer!
Cet artisan des pÃ©chÃ©s de la chair Ã qui la chair n'est rien, et qui ne saurait par consÃ©quent rien Ãªtre
Ã la chair, si on ne l'en suppose crÃ©ateur et maÃ®tre comme Dieu!
Un immense mensonge rÃ©alisÃ©, personnifiÃ©, Ã©ternel!
Une mort qui ne peut mourir!
Un blasphÃ¨me que le verbe de Dieu ne fera jamais taire!
Un empoisonneur des Ã¢mes que Dieu tolÃ©rerait par une contradiction de sa puissance, ou qu'il
conserverait comme les empereurs romains avaient conservÃ© Locusta, parmi les instruments de son rÃ¨gne!
Un suppliciÃ© toujours vivant pour maudire son juge et pour avoir raison contre lui puisqu'il ne se repentira
jamais!
[18] Un monstre acceptÃ© comme bourreau par la souveraine puissance et qui, suivant l'Ã©nergique
expression d'un ancien Ã©crivain catholique peut appeler Dieu le Dieu du diable en se donnant lui-mÃªme
comme un diable de Dieu!
INTRODUCTION. 31
LÃ est le fantÃ´me irrÃ©ligieux qui calomnie la religion, Ã´tez-nous cette idole qui nous cache notre
sauveur. A bas le tyran du mensonge! A bas le Dieu noir des manichÃ©ens! A bas l'Arimane des anciens
idolÃ¢tres! Vive Dieu seul et son Verbe incarnÃ©, JÃ©sus-Christ, le sauveur du monde, qui a vu Satan
tomber du ciel! et vive Marie, la divine mÃ¨re qui a Ã©crasÃ© la tÃªte de l'infernal serpent!
VoilÃ ce que disent, avec unanimitÃ©, la tradition des saints et les coeurs de tous les vrais fidÃ¨les:
Attribuer une grandeur quelconque Ã l'esprit dÃ©chu, c'est calomnier la divinitÃ©; prÃªter une royautÃ©
quelconque Ã l'esprit rebelle, c'est encourager la rÃ©volte, c'est commettre, en pensÃ©e du moins, le crime
de ceux qu'au moyen Ã¢ge on appelait avec horreur des sorciers.
Car tous les crimes punis autrefois de mort sur les anciens sorciers, sont rÃ©els et sont les plus grands de tous
les crimes.
Ils ont ravi le feu du ciel, comme PromÃ©thÃ©e.
Ils ont chevauchÃ©, comme MÃ©dÃ©e, les dragons ailÃ©s et le serpent volant.
Ils ont empoisonnÃ© l'air respirable, comme l'ombre du mancenillier.
Ils ont profanÃ© les choses saintes et fait servir le corps mÃªme du Seigneur Ã des oeuvres de destruction et
de malheur.
Comment tout cela est-il possible? C'est qu'il existe un agent mixte, un agent naturel et divin, corporel et
spirituel, un [19] mÃ©diateur plastique universel, un rÃ©ceptacle commun des vibrations du mouvement et
des images de la forme, un fluide et une force qu'on pourrait appeler en quelque maniÃ¨re l'imagination de la
nature. Par cette force tous les appareils nerveux communiquent secrÃ¨tement ensemble; de lÃ naissent la
sympathie et l'antipathie; de lÃ viennent les rÃªves; par lÃ se produisent les phÃ©nomÃ¨nes de seconde vue
et de vision extranaturelle. Cet agent universel des oeuvres de la nature, c'est l'od des hÃ©breux et du
chevalier de Richembach, c'est la lumiÃ¨re astrale des martinistes, et nous prÃ©fÃ©rons, comme plus
explicite, cette derniÃ¨re appellation.
L'existence et l'usage possible de cette force sont le grand arcane de la magie pratique. C'est la baguette des
thaumaturges et la clavicule de la magie noire.
C'est le serpent Ã©dÃ©nique qui a transmis Ã Ãve les sÃ©ductions d'un ange dÃ©chu.
La lumiÃ¨re astrale aimante, Ã©chauffe, Ã©claire, magnÃ©tise, attire, repousse, vivifie, dÃ©truit, coagule,
sÃ©pare, brise, rassemble toutes choses sous l'impulsion des volontÃ©s puissantes.
Dieu l'a crÃ©Ã©e au premier jour lorsqu'il a dit le FIAT LUX!
C'est une force aveugle en elle-mÃªme, mais qui est dirigÃ©e par les Ã©grÃ©gores, c'est-Ã -dire par les
chefs des Ã¢mes. Les chefs des Ã¢mes sont les esprits d'Ã©nergie et d'action.
Ceci explique dÃ©jÃ toute la thÃ©orie des prodiges et des miracles. Comment, en effet, les bons et les
mÃ©chants pourraient-ils forcer la nature Ã laisser voir les forces exceptionnelles? comment y [20] aurait-il
miracles divins et miracles diaboliques? comment l'esprit rÃ©prouvÃ©, l'esprit Ã©garÃ©, l'esprit
dÃ©voyÃ©, aurait-il plus de force en certain cas et de certaine maniÃ¨re que le juste, si puissant de sa
simplicitÃ© et de sa sagesse, si l'on ne suppose pas un instrument dont tous peuvent se servir, suivant
certaines conditions, les uns pour le plus grand bien, les autres pour le plus grand mal?
INTRODUCTION. 32
Les magiciens de Pharaon faisaient d'abord les mÃªmes prodiges que MoÃ¯se. L'instrument dont ils se
servaient Ã©tait donc le mÃªme, l'inspiration seule Ã©tait diffÃ©rente, et quand ils se dÃ©clarÃ¨rent
vaincus, ils proclamÃ¨rent que suivant eux les forces humaines Ã©taient Ã bout, et que MoÃ¯se devait avoir
en lui quelque chose de surhumain. Or cela se passait dans cette Ãgypte, mÃ¨re des initiations magiques, dans
cette terre oÃ¹ tout Ã©tait science occulte et enseignement hiÃ©rarchique et sacrÃ©. Ãtait-il plus difficile
cependant de faire apparaÃ®tre des mouches que des grenouilles? Non, certainement; mais les magiciens
savaient que la projection fluidique par laquelle on fascine les yeux ne saurait s'Ã©tendre au delÃ de
certaines limites, et pour eux dÃ©jÃ ces limites Ã©taient dÃ©passÃ©es par MoÃ¯se.
Quand le cerveau se congestionne ou se surcharge de lumiÃ¨re astrale, il se produit un phÃ©nomÃ¨ne

particulier. Les yeux, au lieu de voir en dehors, voient en dedans; la nuit se fait Ã l'extÃ©rieur dans le monde
rÃ©el et la clartÃ© fantastique rayonne seule dans le monde des rÃªves. L'oeil alors semble retournÃ© et
souvent, en effet, il se convulse lÃ©gÃ¨rement et semble rentrer en tournant sous la paupiÃ¨re. L'Ã¢me alors
aperÃ§oit par des images le reflet de ses impressions et de ses pensÃ©es, c'est-Ã -dire que [21] l'analogie qui
existe entre telle idÃ©e et telle forme, attire dans la lumiÃ¨re astrale le reflet reprÃ©sentatif de cette forme,
car l'essence de la lumiÃ¨re vivante c'est d'Ãªtre configurative, c'est l'imagination universelle dont chacun de
nous s'approprie une part plus ou moins grande, suivant son degrÃ© de sensibilitÃ© et de mÃ©moire. LÃ
est la source de toutes les apparitions, de toutes les visions extraordinaires et de tous les phÃ©nomÃ¨nes
intuitifs qui sont propres Ã la folie ou Ã l'extase.
Le phÃ©nomÃ¨ne d'appropriation et d'assimilation de la lumiÃ¨re par la sensibilitÃ© qui voit, est un des plus
grands qu'il soit donnÃ© Ã la science d'Ã©tudier. On trouvera peut-Ãªtre un jour que voir c'est dÃ©jÃ
parler, et que la conscience de la lumiÃ¨re est le crÃ©puscule de la vie Ã©ternelle dans l'Ãªtre, la parole de
Dieu, qui crÃ©e la lumiÃ¨re, semble Ãªtre profÃ©rÃ©e par toute intelligence, qui peut se rendre compte des
formes et qui veut regarder.--Que la lumiÃ¨re soit! La lumiÃ¨re, en effet, n'existe Ã l'Ã©tat de splendeur que
pour les yeux qui la regardent, et l'Ã¢me amoureuse du spectacle des beautÃ©s universelles, et appliquant son
attention Ã cette Ã©criture lumineuse du livre infini qu'on appelle les choses visibles, semble crier, comme
Dieu Ã l'aurore du premier jour, ce verbe sublime et crÃ©ateur: FIAT LUX!
Tous les yeux ne voient pas de mÃªme, et la crÃ©ation n'est pas pour tous ceux qui la regardent de la mÃªme
forme et de la mÃªme couleur. Notre cerveau est un livre imprimÃ© au dedans et au dehors, et pour peu que
l'attention s'exalte, les Ã©critures se confondent. C'est ce qui se produit constamment dans l'ivresse et dans la
folie. Le rÃªve alors triomphe de la vie rÃ©elle et plonge [22] la raison dans un incurable sommeil. Cet Ã©tat
d'hallucination a ses degrÃ©s, toutes les passions sont des ivresses, tous les enthousiasmes sont des folies
relatives et graduÃ©es. L'amoureux voit seul des perfections infinies autour d'un objet qui le fascine et qui
l'enivre. Pauvre ivrogne de voluptÃ©s! demain ce parfum du vin qui l'attire sera pour lui une rÃ©miniscence
rÃ©pugnante et une cause de mille nausÃ©es et de mille dÃ©goÃ»ts!
Savoir user de cette force, et ne se laisser jamais envahir et surmonter par elle, marcher sur la tÃªte du serpent,
voilÃ ce que nous apprend la magie de lumiÃ¨re: dans cet arcane sont contenus tous les mystÃ¨res du
magnÃ©tisme, qui peut dÃ©jÃ donner son nom Ã toute la partie pratique de la haute magie des anciens.
Le magnÃ©tisme, c'est la baguette des miracles, mais pour les initiÃ©s seulement; car pour les imprudents
qui voudraient s'en faire un jouet ou un instrument au service de leurs passions, elle devient redoutable
comme cette gloire foudroyante qui, suivant les allÃ©gories de la fable, consuma la trop ambitieuse
SÃ©mÃ©lÃ© dans les embrassements de Jupiter.
Un des grands bienfaits du magnÃ©tisme, c'est de rendre Ã©vidente, par des faits incontestables, la
spiritualitÃ©, l'unitÃ© et l'immortalitÃ© de l'Ã¢me. La spiritualitÃ©, l'unitÃ© et l'immortalitÃ© une fois
dÃ©montrÃ©es, Dieu apparaÃ®t Ã toutes les intelligences et Ã tous les coeurs. Puis de la croyance Ã
Dieu et aux harmonies de la crÃ©ation, on est amenÃ© Ã cette grande harmonie religieuse, qui ne saurait
INTRODUCTION. 33
exister en dehors de la hiÃ©rarchie miraculeuse et lÃ©gitime de l'Ãglise catholique, la seule qui ait
conservÃ© toutes les traditions de la science et de la foi.
[23]La tradition premiÃ¨re de la rÃ©vÃ©lation unique a Ã©tÃ© conservÃ©e sous le nom de kabbale par le
sacerdoce d'IsraÃ«l. La doctrine kabbalistique, qui est le dogme de la haute magie, est contenue dans le
Sepher JÃ©zirah, le Sohar et le Talmud. Suivant cette doctrine, l'absolu c'est l'Ãªtre dans lequel se trouve le
Verbe, qui est l'expression de la raison d'Ãªtre et de la vie.
L'Ãªtre est l'Ãªtre, ×××× ×¨×¡× ××××. VoilÃ le principe.
Dans le principe Ã©tait, c'est-Ã -dire est, a Ã©tÃ©, et sera le Verbe, c'est-Ã -dire la raison qui parle.
ÎÎ½ Î±ÏÏÎ· Î»Î¿Î³Î¿Ï!

Le Verbe est la raison de la croyance, et en lui aussi est l'expression de la foi qui vivifie la science. Le Verbe,
Î»Î¿Î³Î¿Ï, est la source de la logique. JÃ©sus est le Verbe incarnÃ©. L'accord de la raison avec la foi, de la
science avec la croyance, de l'autoritÃ© avec la libertÃ©, est devenu dans les temps modernes l'Ã©nigme
vÃ©ritable du sphinx; et en mÃªme temps que ce grand problÃ¨me on a soulevÃ© celui des droits respectifs
de l'homme et de la femme; cela devait Ãªtre, car entre tous ces termes d'une grande et suprÃªme question,
l'analogie est constante et les difficultÃ©s, comme les rapports, sont invariablement les mÃªmes.
Ce qui rend paradoxale, en apparence, la solution de ce noeud gordien de la philosophie et de la politique

moderne, c'est que pour accorder les termes de l'Ã©quation qu'il s'agit de faire, on affecte toujours de les
mÃªler ou de les confondre.
S'il y a une absurditÃ© suprÃªme, en effet, c'est de chercher [24] comment la foi pourrait Ãªtre une raison, la
raison une croyance, la libertÃ© une autoritÃ©; et rÃ©ciproquement, la femme un homme et l'homme une
femme. Ici les dÃ©finitions mÃªmes s'opposent Ã la confusion, et c'est en distinguant parfaitement les
termes qu'on arrive Ã les accorder. Or, la distinction parfaite et Ã©ternelle des deux termes primitifs du
syllogisme crÃ©ateur, pour arriver Ã la dÃ©monstration de leur harmonie par l'analogie des contraires, cette
distinction, disons-nous, est le second grand principe de cette philosophie occulte, voilÃ©e sous le nom de
kabbale et indiquÃ©e par tous les hiÃ©roglyphes sacrÃ©s des anciens sanctuaires et des rites encore si peu
connus de la maÃ§onnerie ancienne et moderne.
On lit dans l'Ãcriture que Salomon fit placer devant la porte du temple deux colonnes de bronze, dont l'une
s'appelait Jakin et l'autre Boaz, ce qui signifie le fort et le faible. Ces deux colonnes reprÃ©sentaient l'homme
et la femme, la raison et la foi, le pouvoir et la libertÃ©, CaÃ¯n et Abel, le droit et le devoir; c'Ã©taient les
colonnes du monde intellectuel et moral, c'Ã©tait l'hiÃ©roglyphe monumental de l'antinomie nÃ©cessaire Ã
la grande loi de crÃ©ation. Il faut, en effet, Ã toute force une rÃ©sistance pour appui, Ã toute lumiÃ¨re une
ombre pour repoussoir, Ã toute saillie un creux, Ã tout Ã©panchement un rÃ©ceptacle, Ã tout rÃ¨gne un
royaume, Ã tout souverain un peuple, Ã tout travailleur une matiÃ¨re premiÃ¨re, Ã tout conquÃ©rant un
sujet de conquÃªte. L'affirmation se pose par la nÃ©gation, le fort ne triomphe qu'en comparaison avec le
faible, l'aristocratie ne se manifeste qu'en s'Ã©levant au-dessus du peuple. Que le faible puisse devenir fort,
que le peuple puisse conquÃ©rir une position aristocratique, c'est [25] une question de transformation et de
progrÃ¨s, mais ce qu'on peut en dire n'arrivera qu'Ã la confirmation des vÃ©ritÃ©s premiÃ¨res, le faible
sera toujours le faible, peu importe que ce ne soit plus le mÃªme personnage. De mÃªme le peuple sera
toujours le peuple, c'est-Ã -dire la masse gouvernable et incapable de gouverner. Dans la grande armÃ©e des
infÃ©rieurs, toute Ã©mancipation personnelle est une dÃ©sertion forcÃ©e, rendue heureusement insensible
par un remplacement Ã©ternel; un peuple-roi ou un peuple de rois supposerait l'esclavage du monde et
l'anarchie dans une seule et indisciplinable citÃ©, comme il en Ã©tait Ã Rome du temps de sa plus grande
ÎÎ½ Î±ÏÏÎ· Î»Î¿Î³Î¿Ï! 34

gloire. Une nation de souverains serait nÃ©cessairement aussi anarchique qu'une classe de savants ou
d'Ã©coliers qui se croiraient maÃ®tres; personne n'y voudrait Ã©couter, et tous dogmatiseraient et
commanderaient Ã la fois.
On peut en dire autant de l'Ã©mancipation radicale de la femme. Si la femme passe de la condition passive Ã
la condition active, intÃ©gralement et radicalement, elle abdique son sexe et devient homme, ou plutÃ´t,
comme une telle transformation est physiquement impossible, elle arrive Ã l'affirmation par une double
nÃ©gation, et se pose en dehors des deux sexes, comme un androgyne stÃ©rile et monstrueux. Telles sont les
consÃ©quences forcÃ©es du grand dogme kabbalistique de la distinction des contraires pour arriver Ã
l'harmonie par l'analogie de leurs rapports.
Ce dogme une fois reconnu, et l'application de ses consÃ©quences Ã©tant faite universellement par la loi des
analogies, on arrive Ã la dÃ©couverte des plus grands secrets de la sympathie et de [26] l'antipathie
naturelle, de la science du gouvernement, soit en politique, soit en mariage, de la mÃ©decine occulte dans
toutes ses branches, soit magnÃ©tisme, soit homoeopathie, soit influence morale; et d'ailleurs, comme nous
l'expliquerons, la loi d'Ã©quilibre en analogie conduit Ã la dÃ©couverte d'un agent universel, qui Ã©tait le
grand arcane des alchimistes et des magiciens du moyen Ã¢ge. Nous avons dit que cet agent est une lumiÃ¨re
de vie dont les Ãªtres animÃ©s sont aimantÃ©s, et dont l'Ã©lectricitÃ© n'est qu'un accident et comme une
perturbation passagÃ¨re. A la connaissance et Ã l'usage de cet agent se rapporte tout ce qui tient Ã la
pratique de la kabbale merveilleuse dont nous aurons bientÃ´t Ã nous occuper, pour satisfaire la curiositÃ©
de ceux qui cherchent dans les sciences secrÃ¨tes plutÃ´t des Ã©motions que de sages enseignements.
La religion des kabbalistes est Ã la fois toute d'hypothÃ¨ses et toute de certitude, car elle procÃ¨de par
analogie du connu Ã l'inconnu. Ils reconnaissent la religion comme un besoin de l'humanitÃ©, comme un fait
Ã©vident et nÃ©cessaire, et lÃ seulement est pour eux la rÃ©vÃ©lation divine, permanente et universelle.
Ils ne contestent rien de ce qui est, mais ils rendent raison de toute chose. Aussi leur doctrine, en marquant
nettement la ligne de sÃ©paration qui doit Ã©ternellement exister entre la science et la foi, donne-t-elle Ã la
foi la plus haute raison pour base, ce qui lui garantit une Ã©ternelle et incontestable durÃ©e; viennent ensuite
les formules populaires du dogme qui, seules, peuvent varier et s'entre-dÃ©truire; le kabbaliste n'est pas
Ã©branlÃ© pour si peu et trouve tout d'abord une raison aux plus Ã©tonnantes formules des mystÃ¨res.
Aussi sa priÃ¨re peut-elle s'unir Ã celle [27] de tous les hommes pour la diriger, en l'illustrant de science et
de raison, et l'amener Ã l'orthodoxie. Qu'on lui parle de Marie, il s'inclinera devant cette rÃ©alisation de tout
ce qu'il y a de divin dans les rÃªves de l'innocence et de tout ce qu'il y a d'adorable dans la sainte folie du
coeur de toutes les mÃ¨res. Ce n'est pas lui qui refusera des fleurs aux autels de la mÃ¨re de Dieu, des rubans
blancs Ã ses chapelles, des larmes mÃªme Ã ses naÃ¯ves lÃ©gendes! Ce n'est pas lui qui rira du Dieu
vagissant de la crÃ¨che et de la victime sanglante du Calvaire; il rÃ©pÃ¨te cependant au fond de son coeur,
avec les sages d'IsraÃ«l et les vrais croyants de l'Islam: Â«Il n'y a qu'un Dieu, et c'est Dieu;Â» ce qui veut
dire pour un initiÃ© aux vraies sciences: Â«Il n'y a qu'un Ãtre, et c'est l'Ãtre!Â» Mais tout ce qu'il y a de
politique et de touchant dans les croyances, mais la splendeur des cultes, mais la pompe des crÃ©ations
divines, mais la grÃ¢ce des priÃ¨res, mais la magie des espÃ©rances du ciel; tout cela n'est-il pas un
rayonnement de l'Ãªtre moral dans toute sa jeunesse et dans toute sa beautÃ©? Oui, si quelque chose peut
Ã©loigner le vÃ©ritable initiÃ© des priÃ¨res publiques et des temples, ce qui peut soulever chez lui le
dÃ©goÃ»t ou l'indignation contre une forme religieuse quelconque, c'est l'incroyance visible des ministres ou
du peuple, c'est le peu de dignitÃ© dans les cÃ©rÃ©monies du culte, c'est la profanation, en un mot, des
choses saintes. Dieu est rÃ©ellement prÃ©sent lorsque des Ã¢mes recueillies et des coeurs touchÃ©s
l'adorent; il est sensiblement et terriblement absent lorsqu'on parle de lui sans feu et sans lumiÃ¨re,
c'est-Ã -dire sans intelligence et sans amour.
[28]L'idÃ©e qu'il faut avoir de Dieu, suivant la sage kabbale, c'est saint Paul lui-mÃªme qui va nous la
rÃ©vÃ©ler: Â«Pour arriver Ã Dieu, dit cet apÃ´tre, il faut croire qu'il est et qu'il rÃ©compense ceux qui le
cherchent.Â»

Ainsi, rien en dehors de l'idÃ©e d'Ãªtre, jointe Ã la notion de bontÃ© et de justice, car cette idÃ©e seule est
l'absolu. Dire que Dieu n'est pas, ou dÃ©finir ce qu'il est, c'est Ã©galement blasphÃ©mer. Toute
dÃ©finition de Dieu, risquÃ©e par l'intelligence humaine, est une recette d'empirisme religieux, au moyen de
laquelle la superstition, plus tard, pourra alambiquer un diable.
Dans les symboles kabbalistiques, Dieu est toujours reprÃ©sentÃ© par une double image, l'une droite, l'autre
renversÃ©e, l'une blanche et l'autre noire. Les sages ont voulu exprimer ainsi la conception intelligente et la
conception vulgaire de la mÃªme idÃ©e, le dieu de lumiÃ¨re et le dieu d'ombre; c'est Ã ce symbole mal
compris qu'il faut reporter l'origine de l'Arimane des Perses, ce noir et divin ancÃªtre de tous les dÃ©mons; le
rÃªve du roi infernal, en effet, n'est qu'une fausse idÃ©e de Dieu.
La lumiÃ¨re seule, sans ombre, serait invisible pour nos yeux, et produirait un Ã©blouissement Ã©quivalent
aux plus profondes tÃ©nÃ¨bres. Dans les analogies de cette vÃ©ritÃ© physique, bien comprise et bien
mÃ©ditÃ©e, on trouvera la solution du plus terrible des problÃ¨mes; l'origine du mal. Mais la connaissance
parfaite de cette solution et de toutes ses consÃ©quences n'est pas faite pour la multitude, qui ne doit pas
entrer si facilement dans les secrets de l'harmonie universelle. Aussi, lorsque l'initiÃ© aux mystÃ¨res
d'Ãleusis avait parcouru triomphalement toutes les Ã©preuves, lorsqu'il avait vu et touchÃ© les choses
saintes, si on le jugeait assez fort pour supporter le dernier et [29] le plus terrible de tous les secrets, un
prÃªtre voilÃ© s'approchait de lui en courant, et lui jetait dans l'oreille cette parole Ã©nigmatique: Osiris est
un dieu noir. Ainsi cet Osiris, dont Typhon est l'oracle, ce divin soleil religieux de l'Egypte, s'Ã©clipsait tout
Ã coup et n'Ã©tait plus lui-mÃªme que l'ombre de cette grande et indÃ©finissable Isis, qui est tout ce qui a
Ã©tÃ© et tout ce qui sera, mais dont personne encore n'a soulevÃ© le voile Ã©ternel.
La lumiÃ¨re pour les kabbalistes reprÃ©sente le principe actif, et les tÃ©nÃ¨bres sont analogues au principe
passif; c'est pour cela qu'ils firent du soleil et de la lune l'emblÃ¨me des deux sexes divins et des deux forces
crÃ©atrices; c'est pour cela qu'ils attribuÃ¨rent Ã la femme la tentation et le pÃ©chÃ© d'abord, puis le
premier travail, le travail maternel de la rÃ©demption puisque c'est du sein des tÃ©nÃ¨bres mÃªmes qu'on
voit renaÃ®tre la lumiÃ¨re. Le vide attire le plein, et c'est ainsi que l'abÃ®me de pauvretÃ© et de misÃ¨re, le
prÃ©tendu mal, le prÃ©tendu nÃ©ant, la passagÃ¨re rÃ©bellion des crÃ©atures attire Ã©ternellement un
ocÃ©an d'Ãªtre, de richesse, de misÃ©ricorde et d'amour. Ainsi s'explique le symbole du Christ descendant
aux enfers aprÃ¨s avoir Ã©puisÃ© sur la croix toutes les immensitÃ©s du plus admirable pardon.
Par cette loi de l'harmonie dans l'analogie des contraires, les kabbalistes expliquaient aussi tous les mystÃ¨res
de l'amour sexuel; pourquoi cette passion est plus durable entre deux natures inÃ©gales et deux caractÃ¨res
opposÃ©s? Pourquoi en amour il y a toujours un sacrificateur et une victime, pourquoi les passions les plus
obstinÃ©es sont celles dont la satisfaction paraÃ®t impossible. Par cette loi aussi ils eussent rÃ©glÃ© Ã
jamais [30] la question de prÃ©sÃ©ance entre les sexes, question que le saint-simonisme seul a pu soulever
sÃ©rieusement de nos jours. Ils eussent trouvÃ© que la force naturelle de la femme Ã©tant la force d'inertie
ou de rÃ©sistance, le plus imprescriptible de ses droits, c'est le droit Ã la pudeur; et qu'ainsi elle ne doit rien
faire ni rien ambitionner de tout ce qui demande une sorte d'effronterie masculine. La nature y a d'ailleurs bien
pourvu en lui donnant une voix douce qui ne pourrait se faire entendre dans les grandes assemblÃ©es sans
arriver Ã des tons ridiculement criards. La femme qui aspirerait aux fonctions de l'autre sexe, perdrait par
cela mÃªme les prÃ©rogatives du sien. Nous ne savons jusqu'Ã quel point elle arriverait Ã gouverner les
hommes, mais Ã coup sÃ»r les hommes, et ce qui serait plus cruel pour elle, les enfants mÃªmes ne
l'aimeraient plus.
La loi conjugale des kabbalistes donne par analogie la solution du problÃ¨me le plus intÃ©ressant et le plus
difficile de la philosophie moderne. L'accord dÃ©finitif et durable de la raison et de la foi, de l'autoritÃ© et
de la libertÃ© d'examen, de la science et de la croyance. Si la science est le soleil, la croyance est la lune:
c'est un reflet du jour dans la nuit. La foi est le supplÃ©ment de la raison, dans les tÃ©nÃ¨bres que laisse la
science, soit devant elle, soit derriÃ¨re elle; elle Ã©mane de la raison, mais elle ne peut jamais ni se

confondre avec elle, ni la confondre. Les empiÃ©tements de la raison sur la foi ou de la foi sur la raison, sont
des Ã©clipses de soleil ou de lune; lorsqu'elles arrivent, elles rendent inutiles Ã la fois le foyer et le
rÃ©flecteur de la lumiÃ¨re.
La science pÃ©rit par les systÃ¨mes qui ne sont autre chose que des [31] croyances, et la foi succombe au
raisonnement. Pour que les deux colonnes du temple soutiennent l'Ã©difice, il faut qu'elles soient
sÃ©parÃ©es et placÃ©es en parallÃ¨le. DÃ¨s qu'on veut violemment les rapprocher comme Sanson, on les
renverse et tout l'Ã©difice s'Ã©croule sur la tÃªte du tÃ©mÃ©raire aveugle ou du rÃ©volutionnaire, que des
ressentiments personnels ou nationaux ont d'avance vouÃ© Ã la mort.
Les luttes du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel ont Ã©tÃ© de tout temps dans l'humanitÃ© de grandes
querelles de mÃ©nage. La papautÃ© jalouse du pouvoir temporel n'Ã©tait qu'une mÃ¨re de famille jalouse
de supplanter son mari: aussi perdit-elle la confiance de ses enfants. Le pouvoir temporel Ã son tour, lorsqu'il
usurpe sur le sacerdoce, est aussi ridicule que le serait un homme en prÃ©tendant s'entendre mieux qu'une
mÃ¨re aux soins de l'intÃ©rieur et du berceau. Ainsi les Anglais, par exemple, au point de vue moral et
religieux, sont des enfants emmaillottÃ©s par des hommes; on s'en aperÃ§oit bien Ã leur tristesse et Ã leur
ennui.
Si le dogme religieux est un conte de nourrice, pourvu qu'il soit ingÃ©nieux et d'une morale bienfaisante, il
est parfaitement vrai pour l'enfant, et le pÃ¨re de famille serait fort sot d'y contredire. Aux mÃ¨res, donc, le
monopole des rÃ©cits merveilleux, des petits soins et des chansons. La maternitÃ© est le type des
sacerdoces, et c'est parce que l'Ãglise doit Ãªtre exclusivement mÃ¨re, que le prÃªtre catholique renonce Ã
Ãªtre homme et abjure devant elle d'avance ses droits Ã la paternitÃ©.
On n'aurait jamais dÃ» l'oublier: la papautÃ© est une mÃ¨re universelle ou elle n'est rien. La papesse Jeanne,
dont les [32] protestants ont fait une scandaleuse histoire, n'est peut-Ãªtre qu'une ingÃ©nieuse allÃ©gorie, et
quand les souverains pontifes ont malmenÃ© les empereurs et les rois, c'Ã©tait la papesse Jeanne qui voulait
battre son mari au grand scandale du monde chrÃ©tien. Aussi les schismes et les hÃ©rÃ©sies n'ont-ils
Ã©tÃ© au fond, nous le rÃ©pÃ©tons, que des disputes conjugales; l'Ãglise et le protestantisme disent du
mal l'un de l'autre et se regrettent, affectent de s'Ã©viter et s'ennuient d'Ãªtre l'un sans l'autre, comme des
Ã©poux sÃ©parÃ©s.
Ainsi par la kabale, et par elle seule, tout s'explique et se concilie. C'est une doctrine qui vivifie et fÃ©conde
toutes les autres, elle ne dÃ©truit rien et donne au contraire la raison d'Ãªtre de tout ce qui est. Aussi toutes
les forces du monde sont elles au service de cette science unique et supÃ©rieure, et le vrai kabbaliste peut-il
disposer Ã son grÃ© sans hypocrisie et sans mensonge, de la science des sages et de l'enthousiasme des
croyants. Il est plus catholique que M. de Maistre, plus protestant que Luther, plus israÃ©lite que le grand
rabbin, plus prophÃ¨te que Mahomet; n'est-il pas au-dessus des systÃ¨mes et des passions qui obscurcissent la
vÃ©ritÃ©, et ne peut-il pas Ã volontÃ© en rÃ©unir tous les rayons Ã©pars et diversement rÃ©flÃ©chis
par tous les fragments de ce miroir brisÃ© qui est la foi universelle, et que les hommes prennent pour tant de
croyances opposÃ©es et diffÃ©rentes? Il n'y a qu'un Ãªtre, il n'y a qu'une vÃ©ritÃ©, il n'y a qu'une lui et
qu'une foi, comme il n'y a qu'une humanitÃ© en ce monde.
ArrivÃ© Ã de pareilles hauteurs intellectuelles et morales, on comprend que l'esprit et le coeur humain
jouissent d'une paix profonde; aussi ces mots: Paix profonde, mes frÃ¨res! [33] Ã©taient-ils la parole de
maÃ®tre dans la haute maÃ§onnerie, c'est-Ã -dire dans l'association des initiÃ©s Ã la kabbale.
La guerre que l'Ãglise a dÃ» dÃ©clarer Ã la magie a Ã©tÃ© nÃ©cessitÃ©e par les profanations de faux
gnostiques, mais la vraie science des mages est essentiellement catholique, parce qu'elle base toute sa
rÃ©alisation sur le principe de la hiÃ©rarchie. Or, dans l'Ãglise catholique seule il y a une hiÃ©rarchie
sÃ©rieuse et absolue. C'est pour cela que les vrais adeptes ont toujours professÃ© pour cette Ãglise le plus

profond respect et l'obÃ©issance la plus absolue. Henri Khunrath seul a Ã©tÃ© un protestant
dÃ©terminÃ©; mais en cela il Ã©tait allemand de son Ã©poque plutÃ´t que citoyen mystique du royaume
Ã©ternel.
L'essence de l'antichristianisme est l'exclusion et l'hÃ©rÃ©sie, c'est le dÃ©chirement du corps du Christ,

suivant la belle expression de saint Jean: Omnis spiritus qui solvit Christum hic Antechristus est. C'est que la
religion est la charitÃ©. Or, il n'y a pas de charitÃ© dans l'anarchie.
La magie aussi a eu ses hÃ©rÃ©siarques et ses sectaires, ses hommes de prestiges et ses sorciers. Nous
aurons Ã venger la lÃ©gitimitÃ© de la science, des usurpations de l'ignorance, de la folie et de la fraude, et
c'est en cela surtout que notre travail pourra Ãªtre utile et sera entiÃ¨rement nouveau.
On n'a jusqu'Ã prÃ©sent traitÃ© l'histoire de la magie que comme les annales d'un prÃ©jugÃ©, ou les
chroniques plus ou moins exactes d'une sÃ©rie de phÃ©nomÃ¨nes; personne, en effet, ne croyait plus que la
magie fÃ»t une science. Une histoire sÃ©rieuse de cette science retrouvÃ©e doit en indiquer les
dÃ©veloppements et les progrÃ¨s; nous marchons donc en plein sanctuaire au lieu de longer [34] des ruines,
et nous allons trouver ce sanctuaire enseveli si longtemps sous les cendres de quatre civilisations, plus
merveilleusement conservÃ© que ces villes-momies sorties derniÃ¨rement des cendres du VÃ©suve, dans
toute leur beautÃ© morte et leur majestÃ© dÃ©solÃ©e.
Dans son plus magnifique ouvrage, Bossuet a montrÃ© la religion liÃ©e partout avec l'histoire: qu'aurait-il
dit s'il avait su qu'une science, nÃ©e pour ainsi dire avec le monde, rend raison Ã la fois des dogmes
primitifs de la religion unique et universelle en les unissant aux thÃ©orÃ¨mes les plus incontestables des
mathÃ©matiques et de la raison?
La magie dogmatique est la clef de tous les secrets non encore approfondis par la philosophie de l'histoire; et
la magie pratique ouvre seule Ã la puissance, toujours limitÃ©e mais toujours progressive de la volontÃ©
humaine, le temple occulte de la nature.
Nous n'avons pas la prÃ©tention impie d'expliquer par la magie les mystÃ¨res de la religion; mais nous
enseignerons comment la science doit accepter et rÃ©vÃ©rer ces mystÃ¨res. Nous ne dirons plus que la
raison doit s'humilier devant la foi; elle doit au contraire s'honorer d'Ãªtre croyant; car c'est la foi qui sauve la
raison des horreurs du nÃ©ant sur le bord des abÃ®mes pour la rattacher Ã l'infini.
L'orthodoxie en religion est le respect de la hiÃ©rarchie, seule gardienne de l'unitÃ©. Or, ne craignons pas de
le rÃ©pÃ©ter, la magie est essentiellement la science de la hiÃ©rarchie. Ce qu'elle proscrit avant tout, qu'on
se le rappelle bien, ce sont les doctrines anarchiques; et elle dÃ©montre, par les lois mÃªmes de la [35]
nature, que l'harmonie est insÃ©parable du pouvoir et de l'autoritÃ©.
Ce qui fait, pour le plus grand nombre des curieux, l'attrait principal de la magie, c'est qu'ils y voient un
moyen extraordinaire de satisfaire leurs passions. Non, disent les avares, le secret d'HermÃ¨s pour la
transmutation des mÃ©taux n'existe pas, autrement nous l'achÃ¨terions et nous serions riches!... Pauvres fous,
qui croient qu'un pareil secret puisse se vendre! et quel besoin aurait de votre argent celui qui saurait faire de
l'or?--C'est vrai, rÃ©pondra un incrÃ©dule, mais toi-mÃªme, Ãliphas LÃ©vi, si tu possÃ©dais ce secret ne
serais-tu pas plus riche que nous?--Eh! qui vous dit que je sois pauvre? Vous ai-je demandÃ© quelque chose?
Quel est le souverain du monde qui peut se vanter de m'avoir payÃ© un secret de la science? Quel est le
millionnaire auquel j'aie jamais donnÃ© quelque raison de croire que je voudrais troquer ma fortune contre la
sienne? Lorsqu'on voit d'en bas les richesses de la terre on y aspire toujours comme Ã la souveraine
fÃ©licitÃ©; mais comme on les mÃ©prise lorsqu'on plane au-dessus d'elles, et qu'on a peu d'envie de les
reprendre lorsqu'on les a laissÃ©es tomber comme des fers!

Oh! s'Ã©criera un jeune homme, si les secrets de la magie Ã©taient vrais, je voudrais les possÃ©der pour
Ãªtre aimÃ© de toutes les femmes.--De toutes, rien que cela. Pauvre enfant, un jour viendra oÃ¹ ce sera trop
d'en avoir une. L'amour sensuel est une orgie Ã deux, oÃ¹ l'ivresse amÃ¨ne vite le dÃ©goÃ»t, et alors on se
quitte en se jetant les verres Ã la tÃªte.
Moi, disait un jour un vieil idiot, je voudrais Ãªtre magicien [36] pour bouleverser le monde!--Brave homme,
si vous Ã©tiez magicien vous ne seriez pas imbÃ©cile; et alors rien ne vous fournirait, mÃªme devant le
tribunal de votre conscience, le bÃ©nÃ©fice des circonstances attÃ©nuantes, si vous deveniez un
scÃ©lÃ©rat.
Eh bien! dira un Ã©picurien, donnez-moi donc les recettes de la magie, pour jouir toujours et ne souffrir
jamais....
Ici c'est la science elle-mÃªme qui va rÃ©pondre:
La religion vous a dÃ©jÃ dit: Heureux ceux qui souffrent; mais c'est pour cela mÃªme que la religion a
perdu votre confiance.
Elle a dit: Heureux ceux qui pleurent, et c'est pour cela que vous avez ri de ses enseignements.
Ãcoutez maintenant ce que disent l'expÃ©rience et la raison:
Les souffrances Ã©prouvent et crÃ©ent les sentiments gÃ©nÃ©reux; les plaisirs dÃ©veloppent et fortifient
les instincts lÃ¢ches.
Les souffrances rendent fort contre le plaisir, les jouissances rendent faible contre la douleur.
Le plaisir dissipe;
La douleur recueille.
Qui souffre amasse;
Qui jouit dÃ©pense.
Le plaisir est recueil de l'homme.
La douleur maternelle est le triomphe de la femme.
C'est le plaisir qui fÃ©conde, mais c'est la douleur qui conÃ§oit et qui enfante.
Malheur Ã l'homme qui ne sait pas et qui ne veut pas souffrir! car il sera Ã©crasÃ© de douleurs.
[37]
Ceux qui ne veulent pas marcher, la nature les traÃ®ne impitoyablement.
Nous sommes jetÃ©s dans la vie comme en pleine mer: il faut nager ou pÃ©rir.
Telles sont les lois de la nature enseignÃ©es par la haute magie. Voyez maintenant si l'on peut devenir
magicien pour jouir toujours et ne souffrir jamais!

Mais alors, diront d'un air dÃ©sappointÃ© les gens du monde, Ã quoi peut servir la magie?--Que
pensez-vous que le prophÃ¨te Balaam eÃ»t pu rÃ©pondre Ã son Ã¢nesse si elle lui avait demandÃ© Ã
quoi peut servir l'intelligence?
Que rÃ©pondrait Hercule Ã un pygmÃ©e qui lui demanderait Ã quoi peut servir la force?
Nous ne comparons certes pas les gens du monde Ã des pygmÃ©es, et encore moins Ã l'Ã¢nesse de
Balaam; ce serait manquer de politesse et de bon goÃ»t. Nous rÃ©pondrons donc le plus gracieusement
possible Ã ces personnes si brillantes et si aimables, que la magie ne peut leur servir absolument de rien,
attendu qu'elles ne s'en occuperont jamais sÃ©rieusement.
Notre ouvrage s'adresse aux Ã¢mes qui travaillent et qui pensent. Elles y trouveront l'explication de ce qui est
restÃ© obscur dans le dogme et dans le rituel de la haute magie 1. Nous avons, Ã l'exemple des grands
maÃ®tres, suivi dans le plan et la division de nos livres l'ordre rationnel des nombres sacrÃ©s. Nous divisons
notre histoire de la magie en sept livres, et chaque livre contient sept chapitres.
Note 1: (retour) Ãliphas LÃ©vi, Dogme et Rituel de la haute magie, 1856, 2 vol. in-8, avec
23 fig.--25 fr.
[38]Le premier livre est consacrÃ© aux origines magiques, c'est la GenÃ¨se de la science, et nous lui avons
donnÃ© pour clef la lettre aleph ×, qui exprime kabbalistiquement l'unitÃ© principiante et originelle.
Le second livre contiendra les formules historiques et sociales du verbe magique dans l'antiquitÃ©. Sa
marque est la lettre beth ×, symbole du binaire, expression du verbe rÃ©alisateur, caractÃ¨re spÃ©cial de la
gnose et de l'occultisme.
Le troisiÃ¨me livre sera l'exposÃ© des rÃ©alisations de la science antique dans la sociÃ©tÃ© chrÃ©tienne.
Nous y verrons comment, pour la science mÃªme, la parole s'est incarnÃ©e. Le nombre trois est celui de la
gÃ©nÃ©ration, de la rÃ©alisation, et le livre a pour clef la lettre ghimel ×, hiÃ©roglyphe de la naissance.
Dans le quatriÃ¨me livre, nous verrons la force civilisatrice de la magie chez les barbares, et les productions
naturelles de cette science parmi les peuples encore enfants, les mystÃ¨res des druides, les miracles des
eubages, les lÃ©gendes des bardes, et comment tout cela concourt Ã la formation des sociÃ©tÃ©s modernes
en prÃ©parant au christianisme une victoire Ã©clatante et durable. Le nombre quatre exprime la nature et la
force, et la lettre daleth ×, qui le reprÃ©sente dans l'alphabet hÃ©breux, est figurÃ©e dans l'alphabet
hiÃ©roglyphique des kabbalistes par un empereur sur son trÃńe.
Le cinquiÃ¨me livre sera consacrÃ© Ã l'Ã¨re sacerdotale du moyen Ã¢ge. Nous y verrons les dissidences et
les luttes de la science, la formation des sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes, leurs oeuvres inconnus, les rites secrets des
grimoires, les mystÃ¨res de la divine comÃ©die, les divisions du sanctuaire, qui doivent aboutir plus tard Ã
une glorieuse unitÃ©. Le nombre cinq est celui de la quintessence, de [39] la religion, du sacerdoce; son
caractÃ¨re est la lettre hÃ© ×, reprÃ©sentÃ©e dans l'alphabet magique par la figure du grand prÃªtre.
Notre sixiÃ¨me livre montrera la magie mÃªlÃ©e Ã l'oeuvre de la rÃ©volution. Le nombre six est celui de
l'antagonisme et de la lutte qui prÃ©pare la synthÃ¨se universelle. Sa lettre est le vaf × , figure du lingam
crÃ©ateur, du fer recourbÃ© qui moissonne.
Le septiÃ¨me livre sera celui de la synthÃ¨se, et contiendra l'exposÃ© des travaux modernes et des
dÃ©couvertes rÃ©centes, les thÃ©ories nouvelles de la lumiÃ¨re et du magnÃ©tisme, la rÃ©vÃ©lation du
grand secret des rose-croix, l'explication des alphabets mystÃ©rieux, la science, enfin, du verbe et des
oeuvres magiques, la synthÃ¨se de la science et l'apprÃ©ciation des travaux de tous les mystiques

contemporains. Ce livre sera le complÃ©ment et la couronne de l'oeuvre comme le septÃ©naire est la
couronne des nombres, puisqu'il rÃ©unit le triangle de l'idÃ©e au carrÃ© de la forme. Sa lettre
correspondante est le dzaÃ¯n ×, et son hiÃ©roglyphe kabbalistique est un triomphateur montÃ© sur un char
attelÃ© de deux sphinx. Nous avons donnÃ© cette figure dans notre prÃ©cÃ©dent ouvrage.
Loin de nous la vanitÃ© ridicule de nous poser en triomphateur kabbalistique, c'est la science seule qui doit
triompher, et celui que nous voulons montrer au monde intelligent, montÃ© sur le char cubique et traÃ®nÃ©
par les sphinx, c'est le verbe de lumiÃ¨re, c'est le rÃ©alisateur divin de la kabbale de MoÃ¯se, c'est le soleil
humain de l'Ãvangile, c'est l'homme-Dieu qui est dÃ©jÃ venu comme Sauveur, et qui se manifestera
bientÃ´t comme Messie, [40] c'est-Ã -dire comme roi dÃ©finitif et absolu des institutions temporelles. C'est
cette pensÃ©e qui anime notre courage et entretient notre espÃ©rance. Et maintenant il nous reste Ã
soumettre toutes nos idÃ©es, toutes nos dÃ©couvertes et tous nos travaux au jugement infaillible de la
hiÃ©rarchie. Tout ce qui tient Ã la science, aux hommes acceptÃ©s par les sciences, tout ce qui tient Ã la
religion, Ã l'Ãglise seule, et Ã la seule Ãglise hiÃ©rarchique et conservatrice de l'unitÃ©, catholique
apostolique et romaine, depuis JÃ©sus-Christ jusqu'Ã prÃ©sent.
Aux savants nos dÃ©couvertes, aux Ã©vÃªques nos aspirations et nos croyances! Malheur, en effet, Ã
l'enfant qui se croit plus sage que ses pÃ¨res, Ã l'homme qui ne reconnaÃ®t pas de maÃ®tres, au rÃªveur
qui pense et qui prie pour lui seul! La vie est une communion universelle, et c'est dans cette communion qu'on
trouve l'immortalitÃ©. Celui qui s'isole se voue Ã la mort, et l'Ã©ternitÃ© de l'isolement, ce serait la mort
Ã©ternelle!
Ãliphas LÃVI.

[41]
LIVRE PREMIER
LES ORIGINES MAGIQUES
× Aleph.
CHAPITRE PREMIER
ORIGINES FABULEUSES
SOMMAIRE.--Origines fabuleuses.--Le livre de la pÃ©nitence d'Adam. --Le livre d'HÃ©noch.--La
lÃ©gende des anges dÃ©chus.--Apocalypse de MÃ©thodius.--La GenÃ¨se suivant les Indiens.--L'hÃ©ritage
magique d'Abraham, suivant le Talmud.--Le SÃ©pher Jezirah et le Sohar.
Â«Il y eut, dit le livre apocryphe d'HÃ©noch, des anges qui se laissÃ¨rent tomber du ciel pour aimer les filles
de la terre.
Car en ces jours-lÃ , lorsque les fils des hommes se furent multipliÃ©s, il leur naquit des filles d'une grande
beautÃ©.
Et lorsque les anges, les fils du ciel, les virent ils furent pris d'amour pour elles; et ils se disaient entre eux:
Â«Allons, choisissons-nous des Ã©pouses de la race des hommes, et engendrons des enfants.Â»
Alors leur chef Samyasa leur dit: Â«Peut-Ãªtre n'aurez-vous pas le courage d'accomplir cette rÃ©solution, et
je resterai seul responsable de votre chute.Â»
Mais ils lui rÃ©pondirent: Â«Nous jurons de ne pas nous repentir et d'accomplir tous notre dessein.Â»
[42] Et ils Ã©taient deux cents qui descendirent sur la montagne d'Armon.
Et c'est depuis ce temps-lÃ que cette montagne est nommÃ©e Armon, ce qui veut dire la montagne du
Serment.
Voici les noms des chefs de ces anges qui descendirent: Samyasa qui Ã©tait le premier de tous,
Uraka-baramÃ©el, AzibÃ©el, Tamiel, Ramuel, Danel, AzkÃ©el, Sarakuyal, Asael, Armers, Batraai, Anane,
ZavÃ¨be, SamsavÃ©el, Ertrael, Turel, Jomiael, Arazial.
Ils prirent des Ã©pouses avec lesquelles ils se mÃªlÃ¨rent, leur enseignant la magie, les enchantements et la
division des racines et des arbres.
LIVRE PREMIER 42
Amazarac enseigna tous les secrets des enchanteurs, Barkaial fut le maÃ®tre de ceux qui observent les astres,
AkibÃ©el rÃ©vÃ©la les signes et Azaradel le mouvement de la lune.Â»
Ce rÃ©cit du livre kabbalistique d'HÃ©noch, est le rÃ©cit de cette mÃªme profanation des mystÃ¨res de la
science que nous voyons reprÃ©senter sous une autre image dans l'histoire du pÃ©chÃ© d'Adam.
Les anges, les fils de Dieu, dont parle HÃ©noch, c'Ã©taient les initiÃ©s Ã la magie, puisque aprÃ¨s leur
chute ils l'enseignÃ¨rent aux hommes vulgaires par l'entremise des femmes indiscrÃ¨tes. La voluptÃ© fut leur
Ã©cueil, ils aimÃ¨rent les femmes et se laissÃ¨rent surprendre les secrets de la royautÃ© et du sacerdoce.
Alors la civilisation primitive s'Ã©croula, les gÃ©ants, c'est-Ã -dire les reprÃ©sentants de la force brutale et
des convoitises effrÃ©nÃ©es, se disputÃ¨rent le monde qui ne put leur [43] Ã©chapper qu'en s'abÃ®mant
sous les eaux du dÃ©luge oÃ¹ s'effacÃ¨rent toutes les traces du passÃ©.
Ce dÃ©luge figurait la confusion universelle oÃ¹ tombe nÃ©cessairement l'humanitÃ© lorsqu'elle a violÃ©
et mÃ©connu les harmonies de la nature.
Le pÃ©chÃ© de Samyasa et celui d'Adam se ressemblent, tous deux sont entraÃ®nÃ©s par la faiblesse du
coeur, tous deux profanent l'arbre de la science et sont repoussÃ©s loin de l'arbre de vie.
Ne discutons pas les opinions ou plutÃ´t les naÃ¯vetÃ©s de ceux qui veulent prendre tout Ã la lettre, et qui
pensent que la science et la vie ont pu pousser autrefois sous forme d'arbres, mais admettons le sens profond
des symboles sacrÃ©s.
L'arbre de la science, en effet, donne la mort lorsqu'on en absorbe les fruits, ces fruits sont la parure du
monde, ces pommes d'or sont les Ã©toiles de la terre.
Il existe Ã la bibliothÃ¨que de l'Arsenal un manuscrit fort curieux qui a pour titre: Le livre de la pÃ©nitence
d'Adam. La tradition kabbalistique y est prÃ©sentÃ©e sous forme de lÃ©gende, et voici ce qu'on y raconte:
Â«Adam eut deux fils, CaÃ¯n qui reprÃ©sente la force brutale, Abel qui reprÃ©sente la douceur intelligente.
Ils ne purent s'accorder, et ils pÃ©rirent l'un par l'autre, aussi leur hÃ©ritage fut-il donnÃ© Ã un troisiÃ¨me
fils nommÃ© Seth.Â»
VoilÃ bien le conflit des deux forces contraires tournant au profit d'une puissance synthÃ©tique et
combinÃ©e.
Â«Or Seth, qui Ã©tait juste, put parvenir jusqu'Ã l'entrÃ©e du paradis terrestre sans que le chÃ©rubin
l'Ã©cartÃ¢t avec son Ã©pÃ©e flamboyante.Â» C'est-Ã -dire que Seth reprÃ©sente l'initiation primitive.
[44] Â«Seth vit alors que l'arbre de la science et l'arbre de la vie s'Ã©taient rÃ©unis et n'en faisaient qu'un.Â»
Accord de la science et de la religion dans la haute kabbale.
Â«Et l'ange lui donna trois grains qui contenaient toute la force vitale de cet arbre.Â»
C'est le ternaire kabbalistique.
Â«Lorsque Adam mourut, Seth, suivant les instructions de l'ange, plaÃ§a les trois grains dans la bouche de
son pÃ¨re expirÃ© comme un gage de vie Ã©ternelle.
ORIGINES FABULEUSES 43
Â»Les branches qui sortirent de ces trois grains formÃ¨rent le buisson ardent au milieu duquel Dieu
rÃ©vÃ©la Ã MoÃ¯se son nom Ã©ternel:
[HÃ©breu, illisible.]
Â»L'Ãªtre qui est, qui a Ã©tÃ©, et qui sera l'Ãªtre.
Â»MoÃ¯se cueillit une triple branche du buisson sacrÃ©, ce fut pour lui la verge des miracles.
Â»Cette verge bien que sÃ©parÃ©e de sa racine ne cessa pas de vivre et de fleurir, et elle fut ainsi
conservÃ©e dans l'arche.
Â»Le roi David replanta cette branche vivante sur la montagne de Sion, et Salomon plus tard prit le bois de
cet arbre au triple tronc pour en faire les deux colonnes Jakin et Bohas, qui Ã©taient Ã l'entrÃ©e du temple,
il les revÃªtit de bronze, et plaÃ§a le troisiÃ¨me morceau du bois mystique au fronton de la porte principale.
Â»C'Ã©tait un talisman qui empÃªchait tout ce qui Ã©tait impur de pÃ©nÃ©trer dans le temple.
[45] Â»Mais les lÃ©vites corrompus arrachÃ¨rent pendant la nuit cette barriÃ¨re de leurs iniquitÃ©s et la
jetÃ¨rent au fond de la piscine probatique en la chargeant de pierres.
Â»Depuis ce moment l'ange de Dieu agita tous les ans les eaux de la piscine et leur communiqua une vertu
miraculeuse pour inviter les hommes Ã y chercher l'arbre de Salomon.
Â»Au temps de JÃ©sus-Christ, la piscine fut nettoyÃ©e, et les juifs trouvant cette poutre, inutile suivant eux,
la portÃ¨rent hors de la ville et la jetÃ¨rent en travers du torrent de CÃ©dron.
Â»C'est sur ce pont que JÃ©sus passa aprÃ¨s son arrestation nocturne au jardin des Oliviers, c'est du haut de
cette planche que ses bourreaux le prÃ©cipitÃ¨rent pour le traÃ®ner dans le torrent et dans leur
prÃ©cipitation Ã prÃ©parer d'avance l'instrument du supplice, ils emportÃ¨rent avec eux le pont qui Ã©tait
une poutre de trois piÃ¨ces, composÃ©e de trois bois diffÃ©rents et ils en firent une croix.Â»
Cette allÃ©gorie renferme toutes les hautes traditions de la kabbale et les secrets si complÃ¨tement ignorÃ©s
de nos jours du christianisme de saint Jean.
Ainsi Seth, MoÃ¯se, David, Salomon et le Christ auraient empruntÃ© au mÃªme arbre kabbalistique leurs
sceptres de rois et leurs bÃ¢tons de grands pontifes.
Nous devons comprendre maintenant pourquoi le Sauveur au berceau Ã©tait adorÃ© par les mages.
Revenons au livre d'HÃ©noch, car celui-ci doit avoir une autoritÃ© dogmatique plus grande qu'un manuscrit
ignorÃ©. Le livre d'HÃ©noch est, en effet, citÃ© dans le Nouveau Testament par l'apÃ´tre saint Jude.
La tradition attribue Ã HÃ©noch l'invention des lettres. C'est [46] donc Ã lui que remontent les traditions
consignÃ©es dans le Sepher JÃ©zirah, ce livre Ã©lÃ©mentaire de la kabbale, dont la rÃ©daction suivant
les rabbins, serait du patriarche Abraham, l'hÃ©ritier des secrets d'HÃ©noch et le pÃ¨re de l'initiation en
IsraÃ«l.
HÃ©noch parait donc Ãªtre le mÃªme personnage que l'HermÃ¨s trismÃ©giste des Ãgyptiens, et le fameux
livre de Thot, Ã©crit tout en hiÃ©roglyphes et en nombres, serait cette bible occulte et pleine de mystÃ¨res,
antÃ©rieure aux livres de MoÃ¯se, Ã laquelle l'initiÃ© Guillaume Postel fait souvent allusion dans ses
ouvrages en la dÃ©signant sous le nom de GenÃ¨se d'HÃ©noch.
La Bible dit qu'HÃ©noch ne mourut point, mais que Dieu le transporta d'une vie Ã l'autre. Il doit revenir
s'opposer Ã l'AntÃ©christ, Ã la fin des temps, et il sera un des derniers martyrs ou tÃ©moins de la
vÃ©ritÃ©, dont il est fait mention dans l'apocalypse de saint Jean.
Ce qu'on dit d'HÃ©noch, on l'a dit de tous les grands initiateurs de la kabbale.
Saint Jean lui-mÃªme ne devait pas mourir, disaient les premiers chrÃ©tiens, et l'on a cru longtemps le voir
respirer dans son tombeau, car la science absolue de la vie est un prÃ©servatif contre la mort et l'instinct des
peuples le leur fait toujours deviner.
Quoi qu'il en soit, il nous resterait d'HÃ©noch deux livres, l'un hiÃ©roglyphique, l'autre allÃ©gorique. L'un
contenant les clefs hiÃ©ratiques de l'initiation, l'autre l'histoire d'une grande profanation qui avait amenÃ© la
destruction du monde et le chaos aprÃ¨s le rÃ¨gne des gÃ©ants.
Saint MÃ©thodius, un Ã©vÃªque des premiers siÃ¨cles du christianisme, dont les oeuvres se trouvent dans la
bibliothÃ¨que des PÃ¨res de [47] l'Ãglise, nous a laissÃ© une apocalypse prophÃ©tique oÃ¹ l'histoire du
monde se dÃ©roule dans une sÃ©rie de visions. Ce livre ne se trouve pas dans la collection des oeuvres de
saint MÃ©thodius, mais il a Ã©tÃ© conservÃ© par les gnostiques, et nous le retrouvons imprimÃ© dans le
liber mirabilis, sous le nom altÃ©rÃ© de Bermechobus, que des imprimeurs ignorants ont fait Ã la place de
l'abrÃ©viation Bea-MÃ©thodius pour beatus MÃ©thodius.
Ce livre s'accorde en plusieurs points avec le traitÃ© allÃ©gorique de la pÃ©nitence d'Adam. On y trouve
que Seth se retira avec sa famille en Orient vers une montagne voisine du paradis terrestre. Ce fut la patrie des
initiÃ©s, tandis que la postÃ©ritÃ© de CaÃ¯n inventait la fausse magie dans l'Inde, pays du fratricide, et
mettait les malÃ©fices au service de l'impunitÃ©.
Saint MÃ©thodius prÃ©dit ensuite les conflits et le rÃ¨gne successif des IsmaÃ©lites, vainqueurs des
Romains; des FranÃ§ais, vainqueurs des IsmaÃ©lites, puis d'un grand peuple du Nord, dont l'invasion
prÃ©cÃ©dera le rÃ¨gne personnel de l'AntÃ©christ. Alors se formera un royaume universel, qui sera
reconquis par un prince franÃ§ais, et la justice rÃ©gnera pendant une longue suite d'annÃ©es.
Nous n'avons pas Ã nous occuper ici de la prophÃ©tie. Ce qu'il nous importe de remarquer, c'est la
distinction de la bonne et de la mauvaise magie, du sanctuaire des fils de Seth et de la profanation des sciences
par les descendants de CaÃ¯n.
La haute science, en effet, est rÃ©servÃ©e aux hommes qui sont maÃ®tres de leurs passions, et la chaste
nature ne donne pas les clefs de sa chambre nuptiale Ã des adultÃ¨res. Il y a deux classes [48] d'hommes, les
hommes libres et les esclaves; l'homme naÃ®t esclave de ses besoins, mais il peut s'affranchir par
l'intelligence. Entre ceux qui sont dÃ©jÃ affranchis et ceux qui ne le sont pas encore l'Ã©galitÃ© n'est pas
possible. C'est Ã la raison de rÃ©gner et aux instincts d'obÃ©ir. Autrement si vous donnez Ã un aveugle les
aveugles Ã conduire, ils tomberont tous dans les abÃ®mes. La libertÃ©, ne l'oublions pas, ce n'est pas la
licence des passions affranchies de la loi. Cette licence serait la plus monstrueuse des tyrannies. La libertÃ©,
c'est l'obÃ©issance volontaire Ã la loi; c'est le droit de faire son devoir et seuls les hommes raisonnables et
justes sont libres. Or, les hommes libres doivent gouverner les esclaves, et les esclaves sont appelÃ©s Ã
s'affranchir; non pas du gouvernement des hommes libres, mais de cette servitude des passions brutales, qui
les condamne Ã ne pas exister sans maÃ®tres.
Admettez maintenant avec nous la vÃ©ritÃ© des hautes sciences, supposez un instant qu'il existe, en effet,
une force dont on peut s'emparer et qui soumet Ã la volontÃ© de l'homme les miracles de la nature?
Dites-nous maintenant si l'on peut confier aux brutalitÃ©s cupides les secrets de la sympathie et des richesses;
aux intrigants l'art de la fascination, Ã ceux qui ne savent pas se conduire eux-mÃªmes l'empire sur les
volontÃ©s?... On est effrayÃ© lorsqu'on songe aux dÃ©sordres que peut entraÃ®ner une telle profanation. Il
faudra un cataclysme pour laver les crimes de la terre quand tout se sera abÃ®mÃ© dans la boue et dans le
sang. Eh bien! voilÃ ce que nous rÃ©vÃ¨le l'histoire allÃ©gorique de la chute des anges dans le livre
d'HÃ©noch, voilÃ le pÃ©chÃ© d'Adam et ses suites fatales. VoilÃ le dÃ©luge et ses tempÃªtes; puis, [49]
plus tard, la haute malÃ©diction de Chanaan. La rÃ©vÃ©lation de l'occultisme est figurÃ©e par
l'impudence de ce fils qui montre la nuditÃ© paternelle. L'ivresse de NoÃ© est une leÃ§on pour le sacerdoce
de tous les temps. Malheur Ã ceux qui exposent les secrets de la gÃ©nÃ©ration divine aux regards impurs
de la foule! tenez le sanctuaire fermÃ©, vous qui ne voulez pas livrer votre pÃ¨re endormi Ã la risÃ©e des
imitateurs de Cham!
Telle est, sur les lois de la hiÃ©rarchie humaine, la tradition des enfants de Seth; mais telles ne furent pas les
doctrines de la famille de CaÃ¯n. Les caÃ¯nistes de l'Inde inventÃ¨rent une GenÃ¨se pour consacrer
l'oppression des plus forts et perpÃ©tuer l'ignorance des faibles; l'initiation devint le privilÃ¨ge exclusif des
castes suprÃªmes et des races d'hommes furent condamnÃ©es Ã une servitude Ã©ternelle sous prÃ©texte
d'une naissance infÃ©rieure; ils Ã©taient sortis, disait-on, des pieds ou des genoux de Brahma!
La nature n'enfante ni des esclaves ni des rois, tous les hommes naissent pour le travail.
Celui qui prÃ©tend que l'homme est parfait en naissant, et que la sociÃ©tÃ© le dÃ©grade et le pervertit,
serait le plus sauvage des anarchistes, s'il n'Ã©tait pas le plus poÃ©tique des insensÃ©s. Mais Jean-Jacques
avait beau Ãªtre sentimental et rÃªveur, son fond de misanthropie, dÃ©veloppÃ© par la logique de ses
sÃ©ides, porta des fruits de haine et de destruction. Les rÃ©alisateurs consciencieux des utopies du tendre
philosophe de GenÃ¨ve, furent Robespierre et Marat.
La sociÃ©tÃ© n'est pas un Ãªtre abstrait qu'on puisse rendre [50] sÃ©parÃ©ment responsable de la
perversitÃ© des hommes; la sociÃ©tÃ© c'est l'association des hommes. Elle est dÃ©fectueuse de leurs vices
et sublime de leurs vertus; mais en elle-mÃªme, elle est sainte, comme la religion qui lui est
insÃ©parablement unie. La religion, en effet, n'est-elle pas la sociÃ©tÃ© des plus hautes aspirations et des
plus gÃ©nÃ©reux efforts?
Ainsi, au mensonge des castes privilÃ©giÃ©es par la nature, rÃ©pondit le blasphÃ¨me de l'Ã©galitÃ©
antisociale et du droit ennemi de tout devoir; le christianisme seul avait rÃ©solu la question en donnant la
suprÃ©matie au dÃ©vouement, et en proclamant le plus grand celui qui sacrifierait son orgueil Ã la
sociÃ©tÃ© et ses appÃ©tits Ã la loi.
Les juifs, dÃ©positaires de la tradition de Seth, ne la conservÃ¨rent pas dans toute sa puretÃ©, et se
laissÃ¨rent gagner par les injustes ambitions de la postÃ©ritÃ© de CaÃ¯n. Ils se crurent une race d'Ã©lite, et
pensÃ¨rent que Dieu leur avait plutÃ´t donnÃ© la vÃ©ritÃ© comme un patrimoine que confiÃ©e comme un
dÃ©pÃ´t appartenant Ã l'humanitÃ© toute entiÃ¨re. On trouve, en effet, dans les talmudistes, Ã cÃ´tÃ©
des sublimes traditions du SÃ©pher JÃ©zirah et du Sonar, des rÃ©vÃ©lations assez Ã©tranges. C'est ainsi
qu'ils ne craignent pas d'attribuer au patriarche Abraham lui-mÃªme l'idolÃ¢trie des nations, lorsqu'ils disent
qu'Abraham a donnÃ© aux IsraÃ©lites son hÃ©ritage, c'est-Ã -dire la science des vrais noms divins; la
kabbale, en un mot, aurait Ã©tÃ© la propriÃ©tÃ© lÃ©gitime et hÃ©rÃ©ditaire d'Isaac; mais le patriarche
donna, disent-ils, des prÃ©sents aux enfants de ses concubines; et par ces prÃ©sents ils entendent des
dogmes voilÃ©s et des noms obscurs, qui se matÃ©rialisÃ¨rent bientÃ´t et se transformÃ¨rent en idoles. Les
fausses religions et leurs absurdes mystÃ¨res, les superstitions [51] orientales et leurs sacrifices horribles, quel
prÃ©sent d'un pÃ¨re Ã sa famille mÃ©connue! N'Ã©tait-ce pas assez de chasser Agar avec son fils dans le
dÃ©sert, fallait-il, avec leur pain unique et leur cruche d'eau, leur donner un fardeau de mensonge pour
dÃ©sespÃ©rer et empoisonner leur exil?
La gloire du christianisme c'est d'avoir appelÃ© tous les hommes Ã la vÃ©ritÃ©, sans distinction de peuples
et de castes, mais non toutefois sans distinction d'intelligences et de vertus.
Â«Ne jetez pas vos paroles devant les pourceaux, a dit le divin fondateur du christianisme, de peur qu'ils ne
les foulent aux pieds et que, se tournant contre vous, ils ne vous dÃ©vorent.Â»
L'Apocalypse, ou rÃ©vÃ©lation de saint Jean, qui contient tous les secrets kabbalistiques du dogme de
JÃ©sus-Christ, n'est pas un livre moins obscur que le Sohar.
Il est Ã©crit hiÃ©roglyphiquement avec des nombres et des images; et l'apÃ´tre fait souvent appel Ã
l'intelligence des initiÃ©s. Â«Que celui qui a la science comprenne, que celui qui comprend calcule,Â» dit-il
plusieurs fois aprÃ¨s une allÃ©gorie ou l'Ã©noncÃ© d'un nombre. Saint Jean, l'apÃ´tre de prÃ©dilection et
le dÃ©positaire de tous les secrets du Sauveur, n'Ã©crivait donc pas pour Ãªtre compris de la multitude.
Le SÃ©pher JÃ©zirah, le Sohar et l'Apocalypse sont les chefs-d'oeuvre de l'occultisme; ils contiennent plus
de sens que de mots, l'expression en est figurÃ©e comme la poÃ©sie et exacte comme les nombres.
L'Apocalypse rÃ©sume, complÃ¨te et surpasse [52] toute la science d'Abraham et de Salomon, comme nous
le prouverons en expliquant les clefs de la haute kabbale.
Le commencement du Sohar Ã©tonne par la profondeur de ses aperÃ§us et la grandiose simplicitÃ© de ses
images. Voici ce que nous y lisons:
Â«L'intelligence de l'occultisme c'est la science de l'Ã©quilibre.
Â»Les forces qui se produisent sans Ãªtre balancÃ©es pÃ©rissent dans le vide.
Â»Ainsi ont pÃ©ri les rois de l'ancien monde, les princes des gÃ©ants. Ils sont tombÃ©s comme des arbres
sans racines, et l'on n'a plus trouvÃ© leur place.
Â»C'est par le conflit des forces non Ã©quilibrÃ©es que la terre dÃ©vastÃ©e Ã©tait nue et informe lorsque
le souffle de Dieu se fit place dans le ciel et abaissa la masse des eaux.
Â»Toutes les aspirations de la nature furent alors vers l'unitÃ© de la forme, vers la synthÃ¨se vivante des
puissances Ã©quilibrÃ©es, et le front de Dieu, couronnÃ© de lumiÃ¨re, se leva sur la vaste mer et se
reflÃ©ta dans les eaux infÃ©rieures.
Â»Ses deux yeux parurent rayonnants de clartÃ©, lanÃ§ant deux traits de flamme qui se croisÃ¨rent avec les
rayons du reflet.
Â»Le front de Dieu et ses deux yeux formaient un triangle dans le ciel, et le reflet formait un triangle dans les
eaux.
Â»Ainsi se rÃ©vÃ©la le nombre six, qui fut celui de la crÃ©ation universelle.Â»
Nous traduisons ici, en l'expliquant, le texte qu'on ne saurait rendre intelligible en le traduisant
littÃ©ralement.
[53] L'auteur du livre a soin, d'ailleurs, de nous dÃ©clarer que cette forme humaine qu'il donne Ã Dieu n'est
qu'une image de son verbe, et que Dieu ne saurait Ãªtre exprimÃ© par aucune pensÃ©e ni par aucune forme.
Pascal a dit que Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonfÃ©rence nulle part. Mais comment
concevoir un cercle sans circonfÃ©rence? Le Sohar prend l'inverse de cette figure paradoxale, et dirait
volontiers du cercle de Pascal que la circonfÃ©rence en est partout et le centre nulle part; mais ce n'est point
Ã un cercle, c'est Ã une balance qu'il compare l'Ã©quilibre universel des choses. Â«L'Ã©quilibre est
partout, dit-il, on trouve donc partout aussi le point central oÃ¹ la balance est suspendue.Â» Nous trouvons ici
le Sohar plus fort et plus profond que Pascal.
L'auteur du Sohar continue son rÃªve sublime. La synthÃ¨se du verbe formulÃ© par la figure humaine monte
lentement et sort des eaux comme le soleil qui se lÃ¨ve. Quand les yeux ont paru, la lumiÃ¨re a Ã©tÃ© faite;
quand la bouche se montre, les esprits sont crÃ©Ã©s et la parole se fait entendre. La tÃªte entiÃ¨re est sortie,
et voilÃ le premier jour de la crÃ©ation. Viennent les Ã©paules, les bras et la poitrine, et le travail
commence. L'image divine repousse d'une main la mer et soulÃ¨ve de l'autre les continents et les montagnes.
Elle grandit, elle grandit toujours. Sa puissance gÃ©nÃ©ratrice apparaÃ®t, et tous les Ãªtres vont se
multiplier; il est debout, enfin, il met un pied sur la terre et l'autre sur la mer, et se mirant tout entier dans
l'OcÃ©an de la crÃ©ation, il souffle sur son reflet, il appelle son image Ã la vie. CrÃ©ons l'homme, a-t-il
dit, et l'homme est crÃ©Ã©! Nous ne connaissons rien d'aussi beau dans aucun poÃ«te que cette vision de la
crÃ©ation accomplie par le type idÃ©al de l'humanitÃ©. L'homme ainsi [54] est l'ombre d'une ombre! mais
il est la reprÃ©sentation de la puissance divine. Lui aussi peut Ã©tendre les mains de l'Orient Ã l'Occident;
la terre lui est donnÃ©e pour domaine. VoilÃ l'Adam Kadmon, l'Adam primitif des kabbalistes; voilÃ dans
quelle pensÃ©e ils en font un gÃ©ant; voilÃ pourquoi Swedenborg, poursuivi dans ses rÃªves par les
souvenirs de la kabbale, dit que la crÃ©ation entiÃ¨re n'est qu'un homme gigantesque, et que nous sommes
faits Ã l'image de l'univers.
Le Sohar est une genÃ¨se de lumiÃ¨re, le SÃ©pher JÃ©zirah est une Ã©chelle de vÃ©ritÃ©s. LÃ
s'expliquent les trente-deux signes absolus de la parole, les nombres et les lettres; chaque lettre reproduit un
nombre, une idÃ©e et une forme, en sorte que les mathÃ©matiques s'appliquent aux idÃ©es et aux formes,
non moins rigoureusement qu'aux nombres par une proportion exacte et une correspondance parfaite. Par la
science du SÃ©pher JÃ©zirah, l'esprit humain est fixÃ© dans la vÃ©ritÃ© et dans la raison, et peut se
rendre compte des progrÃ¨s possibles de l'intelligence par les Ã©volutions des nombres. Le Sohar
reprÃ©sente donc la vÃ©ritÃ© absolue, et le SÃ©pher JÃ©zirah donne les moyens de la saisir, de se
l'approprier et d'en faire usage.
[55]
CHAPITRE II.
MAGIE DES MAGES.

SOMMAIRE.--MystÃ¨res de Zoroastre ou magie des mages.--La science du feu.--Symboles et enchantements
des Perses et des Assyriens.--Les mystÃ¨res de Ninive et de Babylone.--Domaine de la foudre.--Art de
charmer les animaux.--Le bÃ»cher de Sardanapale.
Zoroastre est trÃ¨s probablement un nom symbolique, comme celui de Thot ou d'HermÃ¨s. Eudoxe et
Aristote le font vivre six mille ans avant la naissance de Platon; d'autres, au contraire, le font naÃ®tre cinq
cents ans avant la guerre de Troie. Les uns en font un roi de la Bactriane, les autres affirment l'existence de
deux ou de trois Zoroastres diffÃ©rents. Eudoxe et Aristote seuls nous semblent avoir compris le personnage
magique de Zoroastre en mettant l'Ã¢ge kabbalistique d'un monde entre l'Ã©closion de son dogme et le
rÃ¨gne thÃ©urgique de la philosophie de Platon. Il y a, en effet, deux Zoroastres, c'est-Ã -dire, deux
rÃ©vÃ©lateurs, l'un fils d'Oromase et pÃ¨re d'un renseignement lumineux, l'autre fils d'Arimane et auteur
d'une divulgation profane; Zoroastre est le Verbe incarnÃ© des ChaldÃ©ens, des MÃ¨des et des Perses. Sa
lÃ©gende semble une prÃ©diction de celle du Christ, et il a dÃ» avoir aussi son antÃ©christ, suivant la loi
magique de l'Ã©quilibre universel.
C'est au faux Zoroastre qu'il faut attribuer le culte du feu matÃ©riel et le dogme impie du dualisme divin qui
a produit plus tard la gnose monstrueuse de ManÃ¨s, et les principes erronÃ©s de [56] la fausse
maÃ§onnerie. Le faux Zoroastre est le pÃ¨re de cette magie matÃ©rialiste qui a causÃ© le massacre des
mages, et fait tomber le vrai magisme sous la proscription et dans l'oubli. L'Ãglise, toujours inspirÃ©e par
l'esprit de vÃ©ritÃ©, a dÃ» proscrire sous les noms de magie, de manichÃ©isme, d'illuminisme et de
maÃ§onnerie, tout ce qui se rattachait de prÃ¨s ou de loin Ã cette profanation primitive des mystÃ¨res.
L'histoire jusqu'Ã prÃ©sent incomprise des templiers, en est un exemple Ã©clatant.
Les dogmes du vrai Zoroastre sont les mÃªmes que ceux de la pure kabbale, et ses idÃ©es sur la divinitÃ©
sont les mÃªmes que celles des PÃ¨res de l'Ãglise. Les noms seuls diffÃ¨rent: ainsi il nomme triade ce que
nous appelons trinitÃ©, et dans chaque nombre de la triade, il retrouve le ternaire tout entier. C'est ce que nos
thÃ©ologiens appellent la circum-insession des personnes divines. Zoroastre renferme dans cette
multiplication de la triade par elle-mÃªme la raison absolue du nombre neuf et la clef universelle de tous les
nombres et de toutes les formes. Ce que nous appelons les trois personnes divines, Zoroastre le nomme les
trois profondeurs. La profondeur premiÃ¨re ou paternelle est la source de la foi; la seconde ou celle du Verbe
est la source de la vÃ©ritÃ©; la troisiÃ¨me ou l'action crÃ©atrice est la source d'amour. On peut consulter,
CHAPITRE II. 49
pour se convaincre de ce que nous avanÃ§ons ici, l'exposition de Psellus sur les dogmes des anciens
Assyriens, dans la Magie philosophique de FranÃ§ois Patricius, page 2, Ã©dition de Hambourg, 1593.
Sur cette Ã©chelle de neuf degrÃ©s, Zoroastre Ã©tablit la hiÃ©rarchie cÃ©leste et toutes les harmonies de
la nature. Il compte par trois [57] toutes les choses qui Ã©manent de l'idÃ©e, par quatre tout ce qui se
rattache Ã la forme, ce qui lui donne le nombre sept pour type de la crÃ©ation. Ici finit l'initiation premiÃ¨re,
et commencent les hypothÃ¨ses de l'Ã©cole; les nombres se personnifient, les idÃ©es prennent des
emblÃ¨mes qui plus tard deviendront des idoles. Voici venir les SynochÃ©es, les TÃ©lÃ©tarques et les
PÃ¨res, serviteurs de la triple HÃ©cate, puis les trois Amilictes, et les trois visages d'HypÃ©zocos; puis les
anges, puis les dÃ©mons, puis les Ã¢mes humaines. Les astres sont les images et les reflets des splendeurs
intellectuelles, et notre soleil est l'emblÃ¨me d'un soleil de vÃ©ritÃ©, ombre lui-mÃªme de cette source
premiÃ¨re d'oÃ¹ jaillissent toutes les splendeurs. C'est pour cela que les disciples de Zoroastre saluaient le
lever du jour, et passaient parmi les barbares pour des adorateurs du soleil.
Tels Ã©taient les dogmes des mages, mais ils possÃ©daient, en outre, des secrets qui les rendaient maÃ®tres
des puissances occultes de la nature. Ces secrets, dont l'ensemble pourrait s'appeler une pyrotechnie
transcendentale, se rattachaient tous Ã la science profonde et au gouvernement du feu. Il est certain que les
mages connaissaient l'Ã©lectricitÃ©, et avaient des moyens de la produire et de la diriger qui nous sont
encore inconnus.
Numa, qui Ã©tudia leurs rites et fut initiÃ© Ã leurs mystÃ¨res, possÃ©dait, au dire de Lucius Pison, l'art de
former et de diriger la foudre. Ce secret sacerdotal dont l'initiateur romain voulait faire l'apanage des
souverains de Rome, fut perdu par Tullus Hostilius qui dirigea mal la dÃ©charge Ã©lectrique et fut
foudroyÃ©. Pline rapporte ces faits comme une ancienne tradition [58] Ã©trusque 2, et raconte que Numa se
servit avec succÃ¨s de sa batterie foudroyante contre un monstre nommÃ© Volta, qui dÃ©solait les
campagnes de Rome. Ne croirait-on pas, en lisant cette rÃ©vÃ©lation, que notre physicien Volta est un
mythe, et que le nom des piles voltaÃ¯ques remonte au siÃ¨cle de Numa?
Note 2: (retour) Plin., liv. II, ch. 53.
Tous les symboles assyriens se rapportent Ã cette science du feu qui Ã©tait le grand arcane des mages;
partout nous retrouvons l'enchanteur qui perce le lion et qui manie les serpents. Le lion c'est le feu cÃ©leste,
les serpents sont les courants Ã©lectriques et magnÃ©tiques de la terre. C'est Ã ce grand secret des mages
qu'il faut rapporter toutes les merveilles de la magie hermÃ©tique, dont les traditions disent encore que le
secret du grand oeuvre consiste dans le gouvernement du feu.
Le savant FranÃ§ois Patricius a publiÃ©, dans sa Magie philosophique, les oracles de Zoroastre recueillis
dans les livres des platoniciens, dans la thÃ©urgie de Proclus, dans les commentaires sur ParmÃ©nide, dans
les commentaires d'Hermias sur PhÃ¨dre, dans les notes d'Olympiodore sur le PhilÃ¨be et le PhÃ©don. Ces
oracles sont d'abord la formule nette et prÃ©cise du dogme que nous venons d'exposer, puis viennent les
prescriptions du rituel magique, et voici en quels termes elles sont exprimÃ©es:
LES DÃMONS ET LES SACRIFICES.
Â«La nature nous enseigne par induction qu'il existe des dÃ©mons incorporels, et que les germes du mal qui
existent dans la matiÃ¨re, tournent au bien et Ã l'utilitÃ© commune.
[59]Â»Mais ce sont lÃ des mystÃ¨res qu'il faut ensevelir dans les replis les plus impÃ©nÃ©trables de la
pensÃ©e.
MAGIE DES MAGES. 50

Â»Le feu toujours agitÃ© et bondissant dans l'atmosphÃ¨re peut prendre une configuration semblable Ã
celle des corps.
Â»Disons mieux, affirmons l'existence d'un feu plein d'images et d'Ã©chos.
Â»Appelons, si vous le voulez, ce feu une lumiÃ¨re surabondante qui rayonne, qui parle, qui s'enroule.
Â»C'est le coursier fulgurant de la lumiÃ¨re, ou plutÃ´t c'est l'enfant aux larges Ã©paules qui dompte et
soumet le coursier cÃ©leste.
Â»Qu'on l'habille de flamme et d'or ou qu'on le reprÃ©sente nu comme l'Amour en lui donnant aussi des
flÃ¨ches.
Â»Mais si ta mÃ©ditation se prolonge, tu rÃ©uniras tous ces emblÃ¨mes sous la figure du lion;
Â»Alors qu'on ne voit plus rien ni de la voÃ»te des cieux ni de la masse de l'univers.
Â»Les astres ont cessÃ© de briller, et la lampe de la lune est voilÃ©e.
Â»La terre tremble et tout s'environne d'Ã©clairs.
Â»Alors n'appelle pas le simulacre visible de l'Ã¢me de la nature.
Â»Car tu ne dois point le voir avant que ton corps ne soit purifiÃ© par les saintes Ã©preuves.
Â»Amollissant les Ã¢mes et les entraÃ®nant toujours loin des travaux sacrÃ©s, les chiens terrestres sortent
alors de ces limbes ou finit la matiÃ¨re, et montrent aux regards mortels des apparences de corps toujours
trompeuses.
Â»Travaille autour des cercles dÃ©crits par le rhombus d'HÃ©cate.
[60]Â»Ne change rien aux noms barbares de l'Ã©vocation: car ce sont les noms panthÃ©istiques de Dieu; ils
sont aimantÃ©s des adorations d'une multitude et leur puissance est ineffable.
Â»Et lorsque aprÃ¨s tous les fantÃ´mes, tu verras briller ce feu incorporel, ce feu sacrÃ© dont les flÃ¨ches
traversent Ã la fois toutes les profondeurs du monde;
Â»Ãcoute ce qu'il te dira!Â»
Cette page Ã©tonnante que nous traduisons en entier du latin de Patricius, contient tous les secrets du
magnÃ©tisme avec des profondeurs que n'ont jamais soupÃ§onnÃ©es les Du Potet et les Mesmer.
Nous y voyons: 1Â° d'abord la lumiÃ¨re astrale parfaitement dÃ©crite avec sa force configurative et sa
puissance pour reflÃ©ter le verbe et rÃ©percuter la voix;
2Â° La volontÃ© de l'adepte figurÃ©e par l'enfant aux larges Ã©paules montÃ© sur le cheval blanc;
hiÃ©roglyphe que nous avons retrouvÃ© sur un ancien tarot de la BibliothÃ¨que impÃ©riale;
3Â° Le danger d'hallucinations dans les opÃ©rations magiques mal dirigÃ©es;
MAGIE DES MAGES. 51

4Â° L'instrument magnÃ©tique qui est le rhombus, espÃ¨ce de jouet d'enfant en bois creux qui tourne sur
lui-mÃªme avec un ronflement toujours croissant;
5Â° La raison des enchantements par les paroles et les noms barbares;
6Â° La fin de l'oeuvre magique, qui est l'apaisement de l'imagination et des sens, l'Ã©tat de somnambulisme
complet et la parfaite luciditÃ©.
Il rÃ©sulte de cette rÃ©vÃ©lation de l'ancien monde, que l'extase [61] lucide est une application volontaire
et immÃ©diate de l'Ã¢me au feu universel, ou plutÃ´t Ã cette lumiÃ¨re pleine d'images qui rayonne, qui
parle et qui s'enroule autour de tous les objets et de tous les globes de l'univers.
Application qui s'opÃ¨re par la persistance d'une volontÃ© dÃ©gagÃ©e des sens et affermie par une sÃ©rie
d'Ã©preuves.
C'Ã©tait lÃ le commencement de l'initiation magique.
L'adepte, parvenu Ã la lecture immÃ©diate dans la lumiÃ¨re, devenait voyant ou prophÃ¨te; puis, ayant mis
sa volontÃ© en communication avec cette lumiÃ¨re, il apprenait Ã la diriger comme on dirige la pointe d'une
flÃ¨che; il envoyait Ã son grÃ© le trouble ou la paix dans les Ã¢mes, communiquait Ã distance avec les
autres adeptes, s'emparait enfin de cette force reprÃ©sentÃ©e par le lion cÃ©leste.
C'est ce que signifient ces grandes figures assyriennes qui tiennent sous leurs bras des lions domptÃ©s.
C'est la lumiÃ¨re astrale qui est reprÃ©sentÃ©e par ces gigantesques sphinx, ayant des corps de lions et des
tÃªtes de mages.
La lumiÃ¨re astrale, devenue l'instrument de la puissante magique, est le glaive d'or de Mithra qui immole le
taureau sacrÃ©.
C'est la flÃ¨che de Phoebus qui perce le serpent Python.
Reconstruisons maintenant en esprit ces grandes mÃ©tropoles de l'Assyrie, Babylone et Ninive, remettons Ã
leur place ces colosses de granit, rebÃ¢tissons ces temples massifs, portÃ©s par des Ã©lÃ©phants ou par des
sphinx, relevons ces obÃ©lisques au-dessus desquels planent des dragons aux yeux Ã©tincelants et aux ailes
Ã©tendues.
[62]Le temple et le palais dominent ces entassements de merveilles; lÃ se tiennent cachÃ©es en se

rÃ©vÃ©lant sans cesse par des miracles les deux divinitÃ©s visibles de la terre, le sacerdoce et la royautÃ©.
Le temple, au grÃ© des prÃªtres, s'entoure de nuages ou brille de clartÃ©s surhumaines; les tÃ©nÃ¨bres se
font parfois pendant le jour, parfois aussi la nuit s'illumine; les lampes du temple s'allument d'elles-mÃªmes,
les dieux rayonnent, on entend gronder la foudre, et malheur Ã l'impie qui aurait attirÃ© sur sa tÃªte la
malÃ©diction des initiÃ©s! Le temple protÃ©ge le palais, et les serviteurs du roi combattent pour la religion
des mages; le roi est sacrÃ©, c'est le dieu de la terre, on se prosterne lorsqu'il passe, et l'insensÃ© qui oserait
sans ordre franchir le seuil de son palais, serait immÃ©diatement frappÃ© de mort!
FrappÃ© de mort sans massue et sans glaive, frappÃ© par une main invisible, tuÃ© par la foudre, terrassÃ©
par le feu du ciel! Quelle religion et quelle puissance! quelles grandes ombres que celles de Nemrod, de
BÃ©lus et de SÃ©miramis! Que pouvaient donc Ãªtre avant les citÃ©s presque fabuleuses, oÃ¹ ces
immenses royautÃ©s trÃńÃ¨rent autrefois, les capitales de ces gÃ©ants, de ces magiciens, que les traditions
MAGIE DES MAGES. 52

confondent avec les anges et nomment encore les fils de Dieu et les princes du ciel! Quels mystÃ¨res dorment
dans les tombeaux des nations; et ne sommes-nous pas des enfants lorsque, sans prendre la peine d'Ã©voquer
ces effrayants souvenirs, nous nous applaudissons de nos lumiÃ¨res et de nos progrÃ¨s!
Dans son livre sur la magie, M. Du Potet avance, avec une certaine crainte, qu'on peut, par une puissante
Ã©mission de [63] fluide magnÃ©tique, foudroyer un Ãªtre vivant 3.
Note 3: (retour) Du Potet, la Magie dÃ©voilÃ©e, ou Principes de science occulte, 1852, 1

vol. in-4.
La puissance magique s'Ã©tend plus loin, mais il ne s'agit pas seulement du prÃ©tendu fluide magnÃ©tique.
C'est la lumiÃ¨re astrale tout entiÃ¨re, c'est l'Ã©lÃ©ment de l'Ã©lectricitÃ© et de la foudre, qui peut Ãªtre
mise au service de la volontÃ© humaine; et que faut-il faire pour acquÃ©rir cette formidable puissance?
Zoroastre vient de nous le le dire: il faut connaÃ®tre ces lois mystÃ©rieuses de l'Ã©quilibre qui asservissent
Ã l'empire du bien les puissances mÃªmes du mal; il faut avoir purifiÃ© son corps par les saintes
Ã©preuves, luttÃ© contre les fantÃ´mes de l'hallucination et saisi corps Ã corps la lumiÃ¨re, comme Jacob
dans sa lutte avec l'ange; il faut avoir domptÃ© ces chiens fantastiques qui aboient dans les rÃªves; il faut, en
un mot, pour nous servir de l'expression si Ã©nergique de l'oracle, avoir entendu parler la lumiÃ¨re. Alors on
est maÃ®tre, alors on peut la diriger, comme Numa, contre les ennemis des saints mystÃ¨res; mais si l'on
n'est pas parfaitement pur, si la domination de quelque passion animale vous soumet encore aux fatalitÃ©s
des tempÃªtes de la vie, on se brÃ»le aux feux qu'on allume, on est la proie du serpent qu'on dÃ©chaÃ®ne,
et l'on pÃ©rira foudroyÃ© comme Tullus Hostilius.
Il n'est pas conforme aux lois de la nature que l'homme puisse Ãªtre dÃ©vorÃ© par les bÃªtes sauvages. Dieu
l'a armÃ© de puissance pour leur rÃ©sister; il peut les fasciner du regard, les gourmander avec la voix, les
arrÃªter d'un signe,... et nous voyons, en effet, que les animaux les plus fÃ©roces redoutent la [64] fixitÃ© du
regard de l'homme, et semblent tressaillir Ã sa voix. Les projections de la lumiÃ¨re astrale les paralysent et
les frappent de crainte. Lorsque Daniel fut accusÃ© de fausse magie et d'imposture, le roi de Babylone le
soumit, ainsi que ses accusateurs, Ã l'Ã©preuve des lions. Les animaux n'attaquent jamais que ceux qui les
craignent ou ceux dont eux-mÃªmes ils ont peur. Un homme intrÃ©pide et dÃ©sarmÃ© ferait certainement
reculer un tigre par le magnÃ©tisme de son regard.
Les mages se servaient de cet empire, et les souverains de l'Assyrie avaient dans leurs jardins des tigres
soumis, des lÃ©opards dociles et des lions apprivoisÃ©s. On en nourrissait d'autres dans les souterrains des
temples pour servir aux Ã©preuves de l'initiation. Les bas-reliefs symboliques en font foi; ce ne sont que
luttes d'hommes et d'animaux, et toujours on voit l'adepte couvert du vÃªtement sacerdotal les dominer du
regard et les arrÃªter d'un geste de la main. Plusieurs de ces reprÃ©sentations sont symboliques sans doute,
quand les animaux reproduisent quelques-unes des formes du sphinx; mais il en est d'autres oÃ¹ l'animal est
reprÃ©sentÃ© au naturel et oÃ¹ le combat semble Ãªtre la thÃ©orie d'un vÃ©ritable enchantement.
La magie est une science dont on ne peut abuser sans la perdre et sans se perdre soi-mÃªme. Les souverains et
les prÃªtres du monde assyrien Ã©taient trop grands pour ne pas Ãªtre exposÃ©s Ã se briser si jamais ils
tombaient; ils devinrent orgueilleux et ils tombÃ¨rent. La grande Ã©poque magique de la ChaldÃ©e est
antÃ©rieure aux rÃ¨gnes de SÃ©miramis et de Ninus. A cette Ã©poque dÃ©jÃ la religion se matÃ©rialise
et l'idolÃ¢trie commence Ã triompher. Le [65] culte d'AstartÃ© succÃ¨de Ã celui de la VÃ©nus cÃ©leste,
la royautÃ© se fait adorer sous les noms de Baal et de Bel ou BÃ©lus. SÃ©miramis abaisse la religion
au-dessous de la politique et des conquÃªtes, et remplace les vieux temples mystÃ©rieux par de fastueux et
indiscrets monuments; l'idÃ©e magique toutefois domine encore les sciences et les arts, et imprime aux
merveilleuses constructions de cette Ã©poque un caractÃ¨re inimitable de force et de grandeur. Le palais de
SÃ©miramis Ã©tait une synthÃ¨se bÃ¢tie et sculptÃ©e de tout le dogme de Zoroastre. Nous en reparlerons
lorsque nous expliquerons le symbolisme de ces sept chefs-d'oeuvre de l'antiquitÃ©, qu'on appela les
MAGIE DES MAGES. 53

merveilles du monde.
Le sacerdoce s'Ã©tait fait plus petit que l'empire, en voulant matÃ©rialiser sa propre puissance; l'empire en
tombant devait l'Ã©craser, et ce fut ce qui arriva sous l'effÃ©minÃ© Sardanapale. Ce prince, amoureux de
luxe et de mollesse, avait fait de la science des mages une de ses prostituÃ©es. A quoi bon la puissance
d'opÃ©rer des merveilles si elle ne donne pas du plaisir? Enchanteurs, forcez l'hiver Ã donner des roses;
augmentez la saveur du vin; employez votre empire sur la lumiÃ¨re Ã faire resplendir la beautÃ© des
femmes comme celle des divinitÃ©s! On obÃ©it et le roi s'enivre. Cependant la guerre se dÃ©clare, l'ennemi
s'avance.... Qu'importe l'ennemi au lÃ¢che qui jouit et qui dort? Mais c'est la ruine, c'est l'infamie, c'est la
mort!... la mort! Sardanapale ne la craint pas, il croit que c'est un sommeil sans fin; mais il saura bien se
soustraire aux travaux et aux affronts de la servitude... La nuit suprÃªme est arrivÃ©e; le vainqueur est aux
portes, la ville ne peut plus rÃ©sister; demain c'en est fait du royaume d'Assyrie.... Le palais de Sardanapale
[66] s'illumine, et il rayonne de si merveilleuses splendeurs qu'il Ã©claire toute la ville consternÃ©e. Sur des
amas d'Ã©toffes prÃ©cieuses, de pierreries et de vases d'or, le roi fait sa derniÃ¨re orgie. Ses femmes, ses
favoris, ses complices, ses prÃªtres avilis l'entourent; les clameurs de l'ivresse se mÃªlent au bruit de mille
instruments, les lions apprivoisÃ©s rugissent, et une fumÃ©e de parfums sortant des souterrains du palais en
enveloppe dÃ©jÃ toutes les constructions d'un Ã©pais nuage. Des langues de flamme percent dÃ©jÃ les
lambris de cÃ¨dre;... les chants d'ivresse vont faire place aux cris d'Ã©pouvante et aux rÃ¢les de l'agonie....
Mais la magie qui n'a pu, entre les mains de ses adeptes dÃ©gradÃ©s, conserver l'empire de Ninus, va du
moins mÃªler ses merveilles aux terribles souvenirs de ce gigantesque suicide. Une clartÃ© immense et
sinistre telle que n'en avaient jamais vu les nuits de Babylone, semble repousser tout Ã coup et Ã©largir la
voÃ»te du ciel.... Un bruit semblable Ã celui de tous les tonnerres Ã©clatant ensemble Ã©branle la terre et
secoue la ville, dont les murailles tombent.... La nuit profonde redescend; le palais de Sardanapale n'existe
plus, et demain ses vainqueurs ne trouveront plus rien de ses richesses, de son cadavre et de ses plaisirs.
Ainsi finit le premier empire d'Assyrie et la civilisation faite par le vrai Zoroastre. Ici finit la magie
proprement dite, et commence le rÃ¨gne de la kabbale. Abraham, en sortant de la ChaldÃ©e, en a emportÃ©
les mystÃ¨res. Le peuple de Dieu grandit en silence, et nous trouverons bientÃ´t Daniel aux prises avec les
misÃ©rables enchanteurs de Nabuchodonosor et de Balthazar 4.
Note 4: (retour) Suivant Suldas, CedrÃ©nus et la chronique d'Alexandrie, ce fut Zoroastre

lui-mÃªme qui, assiÃ©gÃ© dans son palais, se fit disparaÃ®tre tout Ã coup avec tous ses
secrets et toutes ses richesses dans un immense Ã©clat de tonnerre. En ce temps-lÃ , tout roi
qui exerÃ§ait la puissance divine passait pour une incarnation de Zoroastre, et Sardanapale se
fit une apothÃ©ose de son bÃ»cher.
MAGIE DES MAGES. 54

[67]
CHAPITRE III.
MAGIE DANS L'INDE.

SOMAIRE.--Dogme des gymnosophistes.--La trimourti et les Avatars.--SinguliÃ¨re manifestation de l'esprit
prophÃ©tique.--Influence du faux Zoroastre sur le mysticisme indien.--AntiquitÃ©s religieuses des
VÃ©das.--Magie des brahmes et des faquirs.--Leurs livres et leurs oeuvres.
L'Inde, que la tradition kabbalistique nous dit avoir Ã©tÃ© peuplÃ©e par les descendants de CaÃ¯n, et oÃ¹
se retirÃ¨rent plus tard les enfants d'Abraham et de CÃ©thurah, l'Inde est par excellence le pays de la
goÃ©tie et des prestiges. La magie noire s'y est perpÃ©tuÃ©e avec les traditions originelles du fratricide
rejetÃ© par les puissants sur les faibles, continuÃ© par les castes oppressives et expiÃ© par les parias.
On peut dire de l'Inde qu'elle est la savante mÃ¨re de toutes les idolÃ¢tries. Les dogmes de ses
gymnosophistes seraient les clefs de la plus haute sagesse, si elles n'ouvraient encore mieux les portes de
CHAPITRE III. 55
l'abrutissement et de la mort. L'Ã©tonnante richesse du symbolisme indien ferait presque supposer qu'il est
antÃ©rieur Ã tous les autres, tant il y a d'originalitÃ© primitive dans ses poÃ©tiques conceptions; mais c'est
un arbre dont le serpent infernal semble avoir mordu la racine. La dÃ©ification du diable [68] contre laquelle
nous avons dÃ©jÃ Ã©nergiquement protestÃ©, s'y Ã©tale dans toute son impudeur. La terrible trimourti
des brahmes se compose d'un crÃ©ateur, d'un destructeur et d'un rÃ©parateur. Leur Addha-Nari, qui figure la
divinitÃ© mÃ¨re ou la nature cÃ©leste, se nomme aussi Bowhanie, et les tuggs ou Ã©trangleurs lui offrent
des assassinats. Vichnou le rÃ©parateur ne s'incarne guÃ¨re que pour tuer un diable subalterne qui renaÃ®t
toujours, puisqu'il est favorisÃ© par Rutrem ou Shiva, le dieu de la mort. On sent que Shiva est l'apothÃ©ose
de CaÃ¯n, mais rien dans toute cette mythologie ne rappelle la douceur d'Abel. Ses mystÃ¨res toutefois sont
d'une poÃ©sie grandiose, ses allÃ©gories d'une singuliÃ¨re profondeur. C'est la kabbale profanÃ©e; aussi,
loin de fortifier l'Ã¢me en la rapprochant de la suprÃªme sagesse, le brahmanisme la pousse et la fait tomber
avec des thÃ©ories savantes dans les gouffres de la folie.
C'est Ã la fausse kabbale de l'Inde que les gnostiques empruntÃ¨rent leurs rÃªves tour Ã tour horribles et
obscÃ¨nes. C'est la magie indienne qui, se prÃ©sentant tout d'abord avec ses mille difformitÃ©s sur le seuil
des sciences occultes, Ã©pouvante les esprits raisonnables et provoque les anathÃ¨mes de toutes les Ãglises
sensÃ©es. C'est cette science fausse et dangereuse, qui, trop souvent confondue par les ignorants et les
demi-savants avec la vraie science, leur a fait envelopper tout ce qui porte le nom d'occultisme dans un
anathÃ¨me auquel celui mÃªme qui Ã©crit ces pages a souscrit Ã©nergiquement lorsqu'il n'avait pas
trouvÃ© encore la clef du sanctuaire magique. Pour les thÃ©ologiens des VÃ©das, Dieu ne se manifeste que
dans la force. Tout progrÃ¨s et [69] toute rÃ©vÃ©lation sont dÃ©terminÃ©s par une victoire. Vichnou
s'incarne dans les monstrueux lÃ©viathans de la mer et dans les sangliers Ã©normes qui faÃ§onnent la terre
primitive Ã coup de boutoirs.
C'est une merveilleuse genÃ¨se du panthÃ©isme, et pourtant dans les auteurs de ces fables, quel
somnambulisme lucide! Le nombre dix des Avatars correspond Ã celui des SÃ©phirots de la kabbale.
Vichnou revÃªt successivement trois formes animales, les trois formes Ã©lÃ©mentaires de la vie, puis il se
fait sphinx, et apparaÃ®t enfin sous la figure humaine; il est brahme alors et sous les apparences d'une feinte
humilitÃ© il envahit toute la terre; bientÃ´t il se fait enfant pour Ãªtre l'ange consolateur des patriarches, il
devient guerrier pour combattre les oppresseurs du monde, puis il incarne la politique pour l'opposer Ã la
violence, et semble quitter la forme humaine pour se donner l'agilitÃ© du singe. La politique et la violence se
sont usÃ©es rÃ©ciproquement, le monde attend un rÃ©dempteur intellectuel et moral. Vichnou s'incarne
dans Chrisna; il apparaÃ®t proscrit dans son berceau prÃ¨s duquel veille un Ã¢ne symbolique; on l'emporte
pour le soustraire Ã ses assassins, il grandit et prÃªche une doctrine de misÃ©ricorde et de bonnes oeuvres.
Puis il descend aux enfers, enchaÃ®ne le serpent infernal et remonte glorieux au ciel; sa fÃªte annuelle est au
mois d'aoÃ»t sous le signe de la Vierge. Quelle Ã©tonnante intuition des mystÃ¨res du christianisme! et
combien ne doit-elle pas sembler extraordinaire, si l'on pense que les livres sacrÃ©s de l'Inde ont Ã©tÃ©
Ã©crits plusieurs siÃ¨cles avant l'Ã¨re chrÃ©tienne. A la rÃ©vÃ©lation de Chrisna succÃ¨de celle de
Bouddha, qui rÃ©unit ensemble la religion la plus pure et la [70] plus parfaite philosophie. Alors le bonheur
du monde est consommÃ© et les hommes n'ont plus Ã attendre que la dixiÃ¨me et derniÃ¨re incarnation,
lorsque Vichnou reviendra sous sa propre figure conduisant le cheval du dernier jugement, ce cheval terrible
dont le pied de devant est toujours levÃ© et qui brisera le monde lorsque ce pied s'abaissera.
Nous devons reconnaÃ®tre ici les nombres sacrÃ©s et les calculs prophÃ©tiques des mages. Les
gymnosophistes et les initiÃ©s de Zoroastre ont puisÃ© aux mÃªmes sources,... mais c'est le faux Zoroastre,
le Zoroastre noir qui est restÃ© le maÃ®tre de la thÃ©ologie de l'Inde: les derniers secrets de cette doctrine
dÃ©gÃ©nÃ©rÃ©e, sont le panthÃ©isme, et par suite le matÃ©rialisme absolu, sous les apparences d'une
nÃ©gation absolue de la matiÃ¨re. Mais qu'importe qu'on matÃ©rialise l'esprit ou qu'on spiritualise la
matiÃ¨re, dÃ¨s qu'on affirme l'Ã©galitÃ© et mÃªme l'identitÃ© de ces deux termes? La consÃ©quence de
ce panthÃ©isme est la destruction de toute morale: il n'y a plus ni crimes ni vertus dans un monde oÃ¹ tout est
Dieu.
MAGIE DANS L'INDE. 56

On doit comprendre d'aprÃ¨s ces dogmes l'abrutissement progressif des brahmes dans un quiÃ©tisme
fanatique, mais ce n'est pas encore assez; et leur grand rituel magique, le livre de l'occultisme indien,
l'Oupnek'hat, leur enseigne les moyens physiques et moraux de consommer l'oeuvre de leur hÃ©bÃ©tement
et d'arriver par degrÃ©s Ã la folie furieuse que leurs sorciers appellent l'Ã©tat divin. Ce livre de l'Oupnek'hat
est l'ancÃªtre de tous les grimoires, et c'est le monument le plus curieux des antiquitÃ©s de la goÃ©tie.
Ce livre est divisÃ© en cinquante sections: c'est une ombre mÃªlÃ©e d'Ã©clairs. On y trouve des sentences
sublimes et des [71] oracles de mensonge. TantÃ´t on croirait lire l'Ã©vangile de saint Jean, lorsqu'on trouve,
par exemple, dans les sections onziÃ¨me et quarante-huitiÃ¨me:
Â«L'ange du feu crÃ©ateur est la parole de Dieu.
Â»La parole de Dieu a produit la terre et les vÃ©gÃ©taux qui en sortent et la chaleur qui les mÃ»rit.
Â»La parole du CrÃ©ateur est elle-mÃªme le CrÃ©ateur, et elle en est le fils unique.Â»
TantÃ´t ce sont des rÃªveries dignes des hÃ©rÃ©siarques les plus extravagants:
Â«La matiÃ¨re n'Ã©tant qu'une apparence trompeuse, le soleil, les astres, les Ã©lÃ©ments eux-mÃªmes sont
des gÃ©nies, les animaux sont des dÃ©mons et l'homme un pur esprit trompÃ© par les apparences des
corps.Â»
Mais nous sommes suffisamment Ã©difiÃ©s sur le dogme, venons au rituel magique des enchanteurs
indiens.
Â«Pour devenir Dieu il faut retenir son haleine.
Â»C'est-Ã -dire l'attirer aussi longtemps qu'on le pourra et s'en gonfler pleinement.
Â»En second lieu, la garder aussi longtemps qu'on le pourra et prononcer quarante fois en cet Ã©tat le nom
divin AUM.
Â»TroisiÃ¨mement, expirer aussi longuement que possible en envoyant mentalement son souffle Ã travers
les cieux se rattacher Ã l'Ã©ther universel.
Â»Dans cet exercice, il faut se rendre comme aveugle et sourd, et immobile comme un morceau de bois.
Â»Il faut se poser sur les coudes et sur les genoux, le visage tournÃ© vers le nord.
Â»Avec un doigt on ferme une aile du nez, par l'autre on attire l'air, puis on la ferme avec un doigt en pensant
que Dieu est le crÃ©ateur, qu'il est dans tous les animaux, dans la fourmi comme dans l'Ã©lÃ©phant: on doit
rester enfoncÃ© dans ces pensÃ©es.
[72]Â»D'abord on dit Aum douze fois; et pendant chaque aspiration il faut dire Aum quatre-vingts fois, puis
autant de fois qu'il est possible...
Â»Faites tout cela pendant trois mois, sans crainte, sans paresse, mangeant et dormant peu; au quatriÃ¨me
mois les dÃ©vas se font voir Ã vous; au cinquiÃ¨me vous aurez acquis toutes les qualitÃ©s des dÃ©vatas;
au sixiÃ¨me vous serez sauvÃ©, vous serez devenu Dieu.Â»

Il est Ã©vident qu'au sixiÃ¨me mois, le fanatique assez imbÃ©cile pour persÃ©vÃ©rer dans une semblable
pratique sera mort ou fou.
S'il rÃ©siste Ã cet exercice de soufflet mystique, l'Oupnek'hat, qui ne veut pas le laisser en si beau chemin,
va le faire passer Ã d'autres exercices.
Â«Avec le talon bouchez l'anus, puis tirez l'air de bas en haut du cÃ´tÃ© droit, faites-le tourner trois fois
autour de la seconde rÃ©gion du corps; de lÃ faites-le parvenir au nombril, qui est la troisiÃ¨me; puis Ã la
quatriÃ¨me, qui est le milieu du coeur; puis Ã la cinquiÃ¨me, qui est la gorge; puis Ã la sixiÃ¨me, qui est
l'intÃ©rieur du nez, entre les deux sourcils; lÃ retenez le vent: il est devenu le souffle de l'Ã¢me
universelle.Â»
Ceci nous semble Ãªtre tout simplement une mÃ©thode de se magnÃ©tiser soi-mÃªme et de se donner par la
mÃªme occasion quelque congestion cÃ©rÃ©brale.
Â«Alors, continue l'auteur de l'Oupnek'hat, pensez au grand Aum, qui est le nom du CrÃ©ateur, qui est la
voix universelle, la voix [73] pure et indivisible qui remplit tout; cette voix est le CrÃ©ateur mÃªme; elle se
fait entendre au contemplateur de dix maniÃ¨res. Le premier son est comme la voix d'un petit moineau; le
deuxiÃ¨me est le double du premier; le troisiÃ¨me est comme le son d'une cymbale; le quatriÃ¨me comme le
murmure d'un gros coquillage; le cinquiÃ¨me est comme le chant de la vÃ®nÃ¢ (espÃ¨ce de lyre indienne);
le sixiÃ¨me comme le son de l'instrument qu'on appelle tal; le septiÃ¨me ressemble au son d'une flÃ»te de
bacabou posÃ©e prÃ¨s de l'oreille; le huitiÃ¨me au son de l'instrument pakaoudj, frappÃ© avec la main; le
neuviÃ¨me au son d'une petite trompette, et le dixiÃ¨me au son du nuage qui rugit et qui fait dda, dda, dda!...
Â»Ã chacun de ces sons le contemplateur passe par diffÃ©rents Ã©tats, jusqu'au dixiÃ¨me oÃ¹ il devient
Dieu.
Â»Au premier, les poils de tout son corps se dressent.
Â»Au second, ses membres sont engourdis.
Â»Au troisiÃ¨me, il ressent dans tous ses membres la fatigue qui suit les jouissances de l'amour.
Â»Au quatriÃ¨me, la tÃªte lui tourne, il est comme ivre.
Â»Au cinquiÃ¨me, l'eau de la vie reflue dans son cerveau.
Â»Au sixiÃ¨me, cette eau descend en lui et il s'en nourrit.
Â»Au septiÃ¨me, il devient maÃ®tre de la vision, il voit au dedans des coeurs, il entend les voix les plus
Ã©loignÃ©es.
Â»Au neuviÃ¨me, il se sent assez subtil pour se transporter oÃ¹ il veut, et, comme les anges, tout voir sans
Ãªtre vu.
Â»Au dixiÃ¨me, il devient la voix universelle et indivisible, il [74] est le grand crÃ©ateur, l'Ãªtre Ã©ternel,
exempt de tout, et, devenu le repos parfait, il distribue le repos au monde.Â»
Il faut remarquer, dans cette page si curieuse, la description complÃ¨te des phÃ©nomÃ¨nes du
somnambulisme lucide mÃªlÃ©e Ã une thÃ©orie complÃ¨te de magnÃ©tisme solitaire. C'est l'art de se
mettre en extase par la tension de la volontÃ© et la fatigue du systÃ¨me nerveux.

Nous recommandons aux magnÃ©tistes l'Ã©tude approfondie des mystÃ¨res de l'Oupnek'hat.
L'emploi graduÃ© des narcotiques et l'usage d'une gamme de disques coloriÃ©s produit des effets analogues
Ã ceux que dÃ©crit le sorcier indien, et M. Ragon en a donnÃ© la recette dans son Livre de la maÃ§onnerie
occulte, faisant suite Ã l'orthodoxie maÃ§onnique, page 499.
L'Oupnek'hat donne un moyen plus simple de perdre connaissance et d'arriver Ã l'extase: c'est de regarder des
deux yeux le bout de son nez et de rester dans cette posture, ou plutÃ´t dans cette grimace, jusqu'Ã la
convulsion du nerf optique.
Toutes ces pratiques sont douloureuses et dangereuses autant que ridicules, et nous ne les conseillons Ã
personne; mais nous ne doutons pas qu'elles ne produisent effectivement, dans un espace de temps plus ou
moins long, suivant la sensibilitÃ© des sujets, l'extase, la catalepsie, et mÃªme l'Ã©vanouissement
lÃ©thargique.
Pour se procurer des visions, pour arriver aux phÃ©nomÃ¨nes de la seconde vue, il faut se mettre dans un
Ã©tat qui tient du sommeil, de la mort et de la folie. C'est en cela surtout que les Indiens sont habiles, et c'est
Ã leurs secrets peut-Ãªtre qu'il faut rapporter les facultÃ©s Ã©tranges de certains mÃ©diums amÃ©ricains.
[75]On pourrait dÃ©finir la magie noire l'art de se procurer et de procurer aux autres une folie artificielle.
C'est aussi par excellence la science des empoisonnements. Mais ce que tout le monde ne sait pas, et ce que
M. Dupotet, parmi nous, a le premier dÃ©couvert, c'est qu'on peut tuer par congestion ou par soustraction
subite de lumiÃ¨re astrale, lorsque, par une sÃ©rie d'exercices presque impossibles, semblables Ã ceux que
dÃ©crit le sorcier indien, on a fait de son propre appareil nerveux assoupli Ã toutes les tensions et Ã toutes
les fatigues, une sorte de pile galvanique vivante, capable de condenser et de projeter avec force cette
lumiÃ¨re qui enivre et qui foudroie.
Mais lÃ ne s'arrÃªtent pas les secrets magiques de l'Oupnek'hat; il en est un dernier que l'hiÃ©rophante
tÃ©nÃ©breux confie Ã ses initiÃ©s, comme le grand et suprÃªme arcane, et c'est, en effet, l'ombre et
l'inverse de ce grand secret de la haute magie.
Le grand arcane des vrais mages c'est l'absolu en morale, et par consÃ©quent eu direction des oeuvres et en
libertÃ©.
Le grand arcane de l'Oupnek'hat c'est l'absolu en immoralitÃ©, en fatalitÃ© et en quiÃ©tisme mortel.
Voici comment s'exprime l'auteur du livre indien:
Â«Il est permis de mentir pour faciliter les mariages et pour exalter les vertus d'un bramine ou les qualitÃ©s
d'une vache.
Â»Dieu s'appelle vÃ©ritÃ©, et en lui l'ombre et la lumiÃ¨re ne font qu'un. Celui qui sait cela ne ment jamais,
car s'il veut mentir il fait de son mensonge une vÃ©ritÃ©.
[76]Â»Quelque pÃ©chÃ© qu'il commette, quelque mauvaise oeuvre qu'il fasse, il n'est jamais coupable.
Quand mÃªme il serait deux fois parricide, quand mÃªme il tuerait un brahme initiÃ© aux mystÃ¨res des
VÃ©das, quelque chose qu'il commette enfin, sa lumiÃ¨re n'en sera pas diminuÃ©e, car, dit Dieu, je suis
l'Ã¢me universelle, en moi sont le bien et le mal qui se corrigent l'un par l'autre. Celui qui sait cela n'est
jamais pÃ©cheur; il est universel comme moi.Â» (Oupnek'hat, instruction 108, pages 35 et 92 du tome Ier de
la traduction d'Anquetil.)

De pareilles doctrines sont loin d'Ãªtre civilisatrices, et d'ailleurs l'Inde, en immobilisant sa hiÃ©rarchie
sociale, parquait l'anarchie dans les castes; la sociÃ©tÃ© ne vit que d'Ã©changes. Or l'Ã©change est
impossible quand tout appartient aux uns et rien aux autres. A quoi servent les Ã©chelons sociaux dans une
prÃ©tendue civilisation oÃ¹ personne ne peut ni descendre ni monter? Ici se montre enfin le chÃ¢timent
tardif du fratricide, chÃ¢timent qui enveloppe toute sa race et le condamne Ã mort. Vienne une autre nation
orgueilleuse et Ã©goÃ¯ste, elle sacrifiera l'Inde, comme les lÃ©gendes orientales racontent que Lamech a
tuÃ© CaÃ¯n. Malheur toutefois au meurtrier mÃªme de CaÃ¯n! disent les oracles sacrÃ©s de la Bible.
Vingt et uniÃ¨me ClÃ© du Tuol

Ãgyptien primitif.
[77]
CHAPITRE IV.
CHAPITRE IV. 60
MAGIE HERMÃTIQUE.
SOMMAIRE.--Le dogme d'HermÃ¨s TrismÃ©giste.--La magie hermÃ©tique.--L'Ãgypte et ses
merveilles.--Le patriarche Joseph et sa politique.--Le Livre de Thot.--La table magique de Bembo.--La clef
des oracles.--L'Ã©ducation de MoÃ¯se.--Les magiciens de Pharaon.--La pierre philosophale et le grand
oeuvre.
C'est en Ãgypte que la magie se complÃ¨te comme science universelle et se formule en dogme parfait. Rien
ne surpasse et rien n'Ã©gale comme rÃ©sumÃ© de toutes les doctrines du vieux monde les quelques
sentences gravÃ©es sur une pierre prÃ©cieuse par HermÃ¨s et connues sous le nom de table d'Ã©meraude;
l'unitÃ© de l'Ãªtre et l'unitÃ© des harmonies, soit ascendantes, soit descendantes, l'Ã©chelle progressive et
proportionnelle du Verbe; la loi immuable de l'Ã©quilibre et le progrÃ¨s proportionnel des analogies
universelles, le rapport de l'idÃ©e au Verbe donnant la mesure du rapport entre le crÃ©ateur et le crÃ©Ã©;
les mathÃ©matiques nÃ©cessaires de l'infini, prouvÃ©es par les mesures d'un seul coin du fini; tout cela est
exprimÃ© par cette seule proposition du grand hiÃ©rophante Ã©gyptien:
Â«Ce qui est supÃ©rieur est comme ce qui est infÃ©rieur, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut
pour former les merveilles de la chose unique.Â»
Puis vient la rÃ©vÃ©lation et la description savante de l'agent crÃ©ateur, du feu pantomorphe, du grand
moyen de la puissance occulte, de la lumiÃ¨re astrale en un mot.
[78]Â«Le soleil est son pÃ¨re, la lune est sa mÃ¨re, le vent l'a portÃ© dans son ventre.Â»
Ainsi cette lumiÃ¨re est Ã©manÃ©e du soleil, elle reÃ§oit sa forme et son mouvement rÃ©gulier des
influences de la lune, elle a l'atmosphÃ¨re pour rÃ©ceptacle et pour prison.
Â«La terre est sa nourrice.Â»
C'est-Ã -dire qu'elle est Ã©quilibrÃ©e et mise en mouvement par la chaleur centrale de la terre.
Â«C'est le principe universel, le TELESMA du monde.Â»
HermÃ¨s enseigne ensuite comment de cette lumiÃ¨re, qui est aussi une force, on peut faire un levier et un
dissolvant universel, puis aussi un agent formateur et coagulateur.
Comment il faut tirer des corps oÃ¹ elle est latente, cette lumiÃ¨re Ã l'Ã©tat de feu, de mouvement, de
splendeur, de gaz lumineux, d'eau ardente, et enfin de terre ignÃ©e, pour imiter, Ã l'aide de ces diverses
substances, toutes les crÃ©ations de la nature.
La table d'Ã©meraude, c'est toute la magie en une seule page.
Les autres ouvrages attribuÃ©s Ã HermÃ¨s, tels que le Pymandre, l'Asclepius, la Minerve du monde, etc.,
sont regardÃ©s gÃ©nÃ©ralement par les critiques comme des productions de l'Ã©cole d'Alexandrie. Ils n'en
contiennent pas moins les traditions hermÃ©tiques conservÃ©es dans les sanctuaires de la thÃ©urgie. Les
doctrines d'HermÃ¨s ne sauraient Ãªtre perdues pour qui connaÃ®t les clefs du symbolisme. Les ruines de
l'Ãgypte sont comme des pages Ã©parses avec lesquelles on peut encore, en les rassemblant, reconstruire le
livre entier, livre prodigieux dont les grandes [79] lettres Ã©taient des temples, dont les phrases Ã©taient des
MAGIE HERMÃTIQUE. 61
CitÃ©s toutes ponctuÃ©es d'obÃ©lisques et de sphinx!
La division mÃªme de l'Ãgypte Ã©tait une synthÃ¨se magique; les noms de ses provinces correspondaient
aux figures des nombres sacrÃ©s: le royaume de SÃ©sostris se divisait en trois parties: la haute Ãgypte ou la
ThÃ©baÃ¯de, figure du monde cÃ©leste et patrie des extases; la basse Ãgypte, symbole de la terre; et
l'Ãgypte moyenne ou centrale, pays de la science et des hautes initiations. Chacune de ces trois parties Ã©tait
divisÃ©e en dix provinces appelÃ©es nomes, et placÃ©es sous la protection spÃ©ciale d'un dieu. Ces dieux,
au nombre de trente, groupÃ©s trois par trois, exprimaient symboliquement toutes les conceptions du ternaire
dans la dÃ©cade, c'est-Ã -dire la triple signification naturelle, philosophique et religieuse des idÃ©es
absolues attachÃ©es primitivement aux nombres. Ainsi, la triple unitÃ© ou le ternaire originel, le triple
binaire ou le mirage du triangle, qui forme l'Ã©toile de Salomon; le triple ternaire ou l'idÃ©e tout entiÃ¨re
sous chacun de ses trois termes; le triple quaternaire, c'est-Ã -dire le nombre cyclique des rÃ©volutions
astrales, etc. La gÃ©ographie de l'Ãgypte, sous SÃ©sostris, est donc un pantacle, c'est-Ã -dire un
rÃ©sumÃ© symbolique de tout le dogme magique de Zoroastre, retrouvÃ© et formulÃ© d'une maniÃ¨re
plus prÃ©cise par HermÃ¨s.
Ainsi, la terre Ã©gyptienne Ã©tait un grand livre et les enseignements de ce livre Ã©taient rÃ©pÃ©tÃ©s,
traduits en peintures, en sculpture, en architecture, dans toutes les villes et dans tous les temples. Le dÃ©sert
mÃªme avait ses enseignements Ã©ternels, et son Verbe de pierre s'asseyait carrÃ©ment sur la base [80] des
pyramides, ces limites de l'intelligence humaine, devant lesquelles mÃ©dita pendant tant de siÃ¨cles un
sphinx colossal en s'enfonÃ§ant lentement dans le sable. Maintenant sa tÃªte, mutilÃ©e par les Ã¢ges, se
dresse encore au-dessus de son tombeau, comme si elle attendait pour disparaÃ®tre qu'une voix humaine
vienne expliquer au monde nouveau le problÃ¨me des pyramides.
L'Ãgypte est pour nous le berceau des sciences et de la sagesse; car elle revÃªtit d'images, sinon plus riches,
du moins plus exactes et plus pures que celles de l'Inde, le dogme antique du premier Zoroastre. L'art
sacerdotal et l'art royal y formÃ¨rent des adeptes par l'initiation, et l'initiation ne se renferma pas dans les
limites Ã©goÃ¯stes des castes. On vit un esclave hÃ©breu s'initier lui-mÃªme et parvenir au rang de premier
ministre, et peut-Ãªtre de grand hiÃ©rophante, car il Ã©pousa la fille d'un prÃªtre Ã©gyptien, et l'on sait que
le sacerdoce ne se mÃ©salliait jamais. Joseph rÃ©alisa en Ãgypte le rÃªve du communisme; il rendit le
sacerdoce et l'Ã©tat seuls propriÃ©taires, arbitres, par consÃ©quent, du travail et de la richesse. Il abolit
ainsi la misÃ¨re, et fit de l'Ãgypte entiÃ¨re une famille patriarcale. On sait que Joseph dut son Ã©lÃ©vation
Ã sa science pour l'interprÃ©tation des songes, science Ã laquelle les chrÃ©tiens de nos jours, je dis
mÃªme les chrÃ©tiens fidÃ¨les, refusent de croire, tout en admettant que la Bible, oÃ¹ sont racontÃ©es les
merveilleuses divinations de Joseph, est la parole du Saint-Esprit.
La science de Joseph n'Ã©tait autre chose que l'intelligence des rapports naturels qui existent entre les
idÃ©es et les images, entre le Verbe et ses figures. Il savait que pendant le sommeil, [81] l'Ã¢me plongÃ©e
dans la lumiÃ¨re astrale voit les reflets de ses pensÃ©es les plus secrÃ¨tes et mÃªme de ses pressentiments; il
savait que l'art de traduire les hiÃ©roglyphes du sommeil est la clef de la luciditÃ© universelle; car tous les
Ãªtres intelligents ont des rÃ©vÃ©lations en songes.
La science hiÃ©roglyphique absolue avait pour base un alphabet oÃ¹ tous les dieux Ã©taient des lettres,
toutes les lettres des idÃ©es, toutes les idÃ©es des nombres, tous les nombres des signes parfaits.
Cet alphabet hiÃ©roglyphique dont MoÃ¯se fit le grand secret de sa kabbale, et qu'il reprit aux Ãgyptiens;
car, suivant le Sepher Jezirah, il venait d'Abraham: cet alphabet, disons-nous, est le fameux livre de Thauth,
soupÃ§onnÃ© par Court de GÃ©belin de s'Ãªtre conservÃ© jusqu'Ã nos jours sous la forme de ce jeu de
cartes bizarres qu'on appelle le tarot; mal devinÃ© ensuite par Eteilla, chez qui une persÃ©vÃ©rance de
trente ans ne put supplÃ©er au bon sens et Ã la premiÃ¨re Ã©ducation qui lui manquaient; existant encore,
en effet, parmi les dÃ©bris des monuments Ã©gyptiens, et dont la clef la plus curieuse et la plus complÃ¨te
se trouve dans le grand ouvrage du pÃ¨re Kircher sur l'Ãgypte. C'est la copie d'une table isiaque ayant
appartenu au cÃ©lÃ¨bre cardinal Bembo. Cette table Ã©tait de cuivre avec des figures d'Ã©mail; elle a
Ã©tÃ© malheureusement perdue; mais Kircher en donne une copie exacte, et ce savant jÃ©suite a devinÃ©,
sans pouvoir toutefois pousser plus loin son explication, qu'elle contenait la clef hiÃ©roglyphique des
alphabets sacrÃ©s.
Cette table est partagÃ©e en trois compartiments Ã©gaux; en haut [82] les douze maisons cÃ©lestes, en bas
les douze stations laborieuses de l'annÃ©e, au centre les vingt et un signes sacrÃ©s correspondent aux lettres.
Au milieu de la rÃ©gion centrale siÃ©ge l'image d'IYNX, pantomorphe, emblÃ¨me de l'Ãªtre universel
correspondant au jod hÃ©braÃ¯que, la lettre unique dont se forment toutes les autres. Autour d'IYNX on voit
la triade ophionienne correspondant aux trois lettres mÃ¨res des alphabets Ã©gyptien et hÃ©breu; Ã droite
les deux triades ibimorphe et sÃ©rapÃ©enne, Ã gauche la triade nephtÃ©enne et celle d'HÃ©cate, figures de
l'actif et du passif, du volatil et du fixe, du feu fÃ©condant et de l'eau gÃ©nÃ©ratrice. Chaque couple de
triades, combinÃ© avec le centre, donne un septÃ©naire; le centre lui-mÃªme en contient un. Ainsi les trois
septÃ©naires donnent l'absolu numÃ©ral des trois mondes, et le nombre complet des lettres primitives,
auxquelles on ajoute un signe complÃ©mentaire, comme aux neuf caractÃ¨res des nombres, on ajoute le
zÃ©ro.
Les dix nombres et les vingt-deux lettres sont ce qu'on appelle en kabbale les trente-deux voies de la science,
et leur description philosophique est le sujet du livre primitif et rÃ©vÃ©rÃ© qu'on nomme le Sepher Jezirah,
et qu'on peut trouver dans la collection de Pistorius et ailleurs. L'alphabet de Thauth n'est l'original de notre
tarot que d'une maniÃ¨re dÃ©tournÃ©e. Le tarot que nous avons est d'origine juive et les types des figures ne
remontent pas plus haut que le rÃ¨gne de Charles VII. Le jeu de cartes de Jacquemin Gringonneur est le
premier tarot que nous connaissions, mais les symboles qu'il reproduit sont de la plus haute antiquitÃ©. Ce
jeu fut un essai de quelque astrologue de ce temps-lÃ pour ramener le roi Ã la raison Ã l'aide de cette clef,
[83] des oracles dont les rÃ©ponses, rÃ©sultant de la combinaison variÃ©e des signes, sont toujours exactes
comme les mathÃ©matiques et mesurÃ©es comme les harmonies de la nature. Mais il faut Ãªtre dÃ©jÃ
bien raisonnable pour savoir se servir d'un instrument de science et de raison; le pauvre roi, tombÃ© en
enfance, ne vit que des jouets d'enfant dans les peintures de Gringonneur, et fit un jeu de cartes des alphabets
mystÃ©rieux de la kabbale.
MoÃ¯se nous raconte qu'Ã leur sortie d'Ãgypte, les IsraÃ©lites emportÃ¨rent les vases sacrÃ©s des
Ãgyptiens. Cette histoire est allÃ©gorique, et le grand prophÃ¨te n'eÃ»t pas encouragÃ© son peuple au vol.
Ces vases sacrÃ©s, ce sont les secrets de la science Ã©gyptienne que MoÃ¯se avait appris Ã la cour de
Pharaon. Loin de nous l'idÃ©e d'attribuer Ã la magie les miracles de cet homme inspirÃ© de Dieu; mais la
Bible elle-mÃªme nous apprend que JannÃ¨s et MambrÃ¨s, les magiciens de Pharaon, c'est-Ã -dire les grands
hiÃ©rophantes d'Ãgypte, accomplirent d'abord, par leur art, des merveilles semblables aux siennes. Ainsi, ils
changÃ¨rent des baguettes en serpents et des serpents en baguettes, ce qui peut s'expliquer par prestige ou
fascination. Ils changÃ¨rent l'eau en sang, ils firent paraÃ®tre instantanÃ©ment une grande quantitÃ© de
grenouilles, mais ils ne purent amener ni des mouches ni d'autres insectes parasites, nous avons dÃ©jÃ dit
pourquoi, et comment il faut expliquer leur aveu lorsqu'ils se dÃ©clarÃ¨rent vaincus.
MoÃ¯se triompha et emmena les IsraÃ©lites hors de la terre de servitude. Ã cette Ã©poque, la vraie science
se perdait en Ãgypte, parce que les prÃªtres, abusant de la grande confiance du peuple, [84] le laissaient
croupir dans une abrutissante idolÃ¢trie; lÃ Ã©tait le grand Ã©cueil de l'Ã©sotÃ©risme. Il fallait voiler au
peuple la vÃ©ritÃ© sans la lui cacher; il fallait empÃªcher le symbolisme de s'avilir en tombant dans
l'absurde; il fallait entretenir dans toute sa dignitÃ© et dans toute sa beautÃ© premiÃ¨re le voile sacrÃ©
d'Isis. C'est ce que le sacerdorce Ã©gyptien ne sut pas faire. Le vulgaire imbÃ©cile prit pour des rÃ©alitÃ©s
vivantes les formes hiÃ©roglyphiques d'Osiris et d'Hermanubis. Osiris devint un boeuf, et le savant HermÃ¨s
un chien. Osiris, devenu boeuf, se promena bientÃ´t sous les oripeaux du boeuf Apis, et les prÃªtres
n'empÃªchÃ¨rent pas le peuple d'adorer une viande prÃ©destinÃ©e Ã leur cuisine.
Il Ã©tait temps de sauver les saintes traditions. MoÃ¯se crÃ©a un peuple nouveau, et lui dÃ©fendit
sÃ©vÃ¨rement le culte des images. Malheureusement ce peuple avait dÃ©jÃ vÃ©cu avec les idolÃ¢tres, et
les souvenirs du boeuf Apis le poursuivaient dans le dÃ©sert. On sait l'histoire du veau d'or, que les enfants
d'IsraÃ«l ont toujours adorÃ© un peu. MoÃ¯se, cependant, ne voulut pas livrer Ã l'oubli les hiÃ©roglyphes
sacrÃ©s, et il les sanctifia en les consacrant au culte Ã©purÃ© du vrai Dieu. Nous verrons comment tous les
objets servant au culte de JÃ©hovah Ã©taient symboliques, et rappelaient les signes rÃ©vÃ©rÃ©s de la
rÃ©vÃ©lation primitive.
Mais il faut en finir d'abord avec la gentilitÃ© et suivre, Ã travers les civilisations paÃ¯ennes, l'histoire des
hiÃ©roglyphes matÃ©rialisÃ©s et des anciens rites avilis.
[85]
CHAPITRE V.
MAGIE EN GRÃCE.
Sommaire.--La fable de la toison d'or.--OrphÃ©e, Amphion et Cadmus.--Clef magique des poÃ«mes
d'HomÃ¨re.--Eschyle rÃ©vÃ©lateur des mystÃ¨res.--Dogme d'OrphÃ©e expliquÃ© par la lÃ©gende.--Les
oracles et les pythonisses.--Magie noire de MÃ©dÃ©e et de CircÃ©.
Nous touchons Ã l'Ã©poque oÃ¹ les sciences exactes de la magie vont se revÃªtir de leur forme naturelle: la
beautÃ©. Nous avons vu dans le Sohar le prototype de l'homme se lever dans le ciel en se mirant dans
l'ocÃ©an de l'Ãtre. Cet homme idÃ©al, cet ombre du Dieu pantomorphe, ce fantÃ´me viril de la forme
parfaite ne restera pas isolÃ©. Une compagne va lui naÃ®tre sous le doux ciel de l'HÃ©llÃ©nie. La
VÃ©nus cÃ©leste, VÃ©nus chaste et fÃ©conde, la triple mÃ¨re des trois GrÃ¢ces, sort Ã son tour, non
plus des eaux dormantes du chaos, mais des ondes vivantes et agitÃ©es de cet archipel murmurateur de
poÃ©sie oÃ¹ les Ã®les pavoisÃ©es d'arbres verts et de fleurs semblent Ãªtre les vaisseaux des dieux.
Le septÃ©naire magique des ChaldÃ©ens se change en musique sur les sept cordes de la lyre d'OrphÃ©e.
C'est l'harmonie qui dÃ©friche les forÃªts et les dÃ©serts de la GrÃ¨ce. Aux chants poÃ©tiques d'OrphÃ©e,
les rochers s'amollissent, les chÃªnes se dÃ©racinent, et les bÃªtes sauvages se soumettent Ã l'homme. C'est
par une semblable magie qu'Amphion bÃ¢tit les murs de ThÃ¨bes. La savante ThÃ¨bes de Cadmus, la ville
qui est un pantacle comme les sept merveilles du monde, la citÃ© de l'initiation. C'est OrphÃ©e qui a [86]
donnÃ© la vie aux nombres, c'est Cadmus qui a attachÃ© la pensÃ©e aux caractÃ¨res. L'un a fait un peuple
amoureux de toutes les beautÃ©s, l'autre a donnÃ© Ã ce peuple une patrie digne de son gÃ©nie et de ses
amours.
Dans les traditions de l'ancienne GrÃ¨ce, nous voyons apparaÃ®tre OrphÃ©e parmi les hÃ©ros de la toison
d'or, ces conquÃ©rants primitifs du grand oeuvre. La toison d'or, c'est la dÃ©pouille du soleil, c'est la
lumiÃ¨re appropriÃ©e aux usages de l'homme; c'est le grand secret des oeuvres magiques, c'est l'initiation
enfin, que vont chercher en Asie les hÃ©ros allÃ©goriques de la toison d'or. D'une autre part, Cadmus est un
exilÃ© volontaire de la grande ThÃ¨bes d'Ãgypte. Il apporte en GrÃ¨ce les lettres primitives et l'harmonie qui
les rassemble. Au mouvement de cette harmonie, la ville typique, la ville savante, la nouvelle ThÃ¨bes se
bÃ¢tit d'elle-mÃªme, car la science est tout entiÃ¨re dans les harmonies des caractÃ¨res hiÃ©roglyphiques,
phonÃ©tiques et numÃ©raux qui se meuvent d'eux-mÃªmes suivant les lois des mathÃ©matiques
CHAPITRE V. 65
Ã©ternelles, ThÃ¨bes est circulaire et sa citadelle est carrÃ©e, elle a sept portes comme le ciel magique et sa
lÃ©gende deviendra bientÃ´t l'Ã©popÃ©e de l'occultisme et l'histoire prophÃ©tique, du gÃ©nie humain.
Toutes ces allÃ©gories mystÃ©rieuses, toutes ces traditions savantes sont l'Ã¢me de la civilisation en
GrÃ¨ce, mais il ne faut pas chercher l'histoire rÃ©elle des hÃ©ros de ces poÃ¨mes ailleurs que dans les
transformations du symbolisme oriental apportÃ© en GrÃ¨ce par des hiÃ©rophantes inconnus. Les grands
hommes de ce temps-lÃ Ã©crivaient seulement l'histoire des idÃ©es, et se souciaient peu de nous initier aux
misÃ¨res humaines de l'enfantement des empires. HomÃ¨re aussi a marchÃ© dans cette voie; [87] il met en
oeuvre les dieux, c'est-Ã -dire les types immortels de la pensÃ©e, et si le monde s'agite c'est une
consÃ©quence forcÃ©e du froncement des sourcils de Jupiter. Si la GrÃ¨ce porte le fer et le feu en Asie, c'est
pour venger les outrages de la science et de la vertu sacrifiÃ©es Ã la voluptÃ©. C'est pour rendre l'empire du
monde Ã Minerve et Ã Junon, en dÃ©pit de cette molle VÃ©nus qui a perdu tous ceux qui l'ont trop
aimÃ©e.
Telle est la sublime mission de la poÃ©sie: elle substitue les dieux aux hommes, c'est-Ã -dire les causes aux
effets et les conceptions Ã©ternelles aux chÃ©tives incarnations des grandeurs sur la terre. Ce sont les
idÃ©es qui Ã©lÃ¨vent ou qui font tomber les empires. Au fond de toute grandeur il y a une croyance, et pour
qu'une croyance soit poÃ©tique, c'est-Ã -dire crÃ©atrice, il faut qu'elle relÃ¨ve d'une vÃ©ritÃ©. La
vÃ©ritable histoire digne d'intÃ©resser les sages, c'est celle de la lumiÃ¨re toujours victorieuse des
tÃ©nÃ¨bres. Une grande journÃ©e de ce soleil se nomme une civilisation.
La fable de la toison d'or rattache la magie hermÃ©tique aux initiations de la GrÃ¨ce. Le bÃ©lier solaire dont
il faut conquÃ©rir la toison d'or pour Ãªtre souverain du monde est la figure du grand oeuvre. Le vaisseau des
Argonautes construit avec les planches des chÃªnes prophÃ©tiques de Dodone, le vaisseau parlant, c'est la
barque des mystÃ¨res d'Isis, l'arche des semences et de la rÃ©novation, le coffre d'Osiris, l'oeuf de la
rÃ©gÃ©nÃ©ration divine. Jason l'aventurier est l'initiable; ce n'est un hÃ©ros que par son audace, il a de
l'humanitÃ© toutes les inconstances et toutes les faiblesses, mais il emmÃ¨ne avec lui les personnifications de
toutes les forces. Hercule qui symbolise la [88] force brutale ne doit point concourir Ã l'oeuvre, il s'Ã©gare
en chemin Ã la poursuite de ses indignes amours; les autres arrivent au pays de l'initiation, dans la Colchide,
oÃ¹ se conservaient encore quelques-uns des secrets de Zoroastre; mais comment se faire donner la clef de ces
mystÃ¨res? La science est encore une fois trahie par une femme. MÃ©dÃ©e livre Ã Jason les arcanes du
grand oeuvre, elle livre le royaume et les jours de son pÃ¨re; car c'est une loi fatale du sanctuaire occulte que
la rÃ©vÃ©lation des secrets entraÃ®ne la mort de celui qui n'a pu les garder.
MÃ©dÃ©e apprend Ã Jason quels sont les monstres qu'il doit combattre et de quelle maniÃ¨re il peut en
triompher. C'est d'abord le serpent ailÃ© et terrestre, le fluide astral qu'il faut surprendre et fixer; il faut lui
arracher les dents et les semer dans une plaine qu'on aura d'abord labourÃ©e en attelant Ã la charrue les
taureaux de Mars. Les dents du dragon sont les acides qui doivent dissoudre la terre mÃ©tallique
prÃ©parÃ©e par un double feu et par les forces magnÃ©tiques de la terre. Alors il se fait une fermentation et
comme un grand combat, l'impur est dÃ©vorÃ© par l'impur, et la toison brillante devient la rÃ©compense de
l'adepte.
LÃ se termine le roman magique de Jason; vient ensuite celui de MÃ©dÃ©e, car dans cette histoire
l'antiquitÃ© grecque a voulu renfermer l'Ã©popÃ©e des sciences occultes. AprÃ¨s la magie hermÃ©tique
vient la goÃ©tie, parricide, fratricide, infanticide, sacrifiant tout Ã ses passions et ne jouissant jamais du fruit
de ses crimes. MÃ©dÃ©e trahit son pÃ¨re, comme Cham; assassine son frÃ¨re, comme CaÃ¯n. Elle
poignarde ses enfants, elle empoisonne sa [89] rivale et ne recueille que la haine de celui par qui elle voulait
Ãªtre aimÃ©e. On peut s'Ã©tonner de voir que Jason maÃ®tre de la toison d'or n'en devienne pas plus sage,
mais souvenons-nous qu'il ne doit la dÃ©couverte de ses secrets qu'Ã la trahison. Ce n'est pas un adepte
comme OrphÃ©e, c'est un ravisseur comme PromÃ©thÃ©e. Ce qu'il cherche ce n'est pas la science, c'est la
puissance et la richesse. Aussi mourra-t-il malheureusement, et les propriÃ©tÃ©s inspiratrices et souveraines
MAGIE EN GRÃCE. 66
de la toison d'or ne seront-elles jamais comprises que par les disciples d'OrphÃ©e.
PromÃ©thÃ©e, la toison d'or, la ThÃ©baÃ¯de, l'Iliade et l'OdyssÃ©e, cinq grandes Ã©popÃ©es toutes
pleines des grands mystÃ¨res de la nature et des destinÃ©es humaines composent la Bible de l'ancienne
GrÃ¨ce, monument immense, entassement de montagnes sur des montagnes, de chefs-d'oeuvres sur des
chefs-d'oeuvres, de formes belles comme la lumiÃ¨re sur des pensÃ©es Ã©ternelles et grandes comme la
vÃ©ritÃ©!
Ce ne fut d'ailleurs qu'Ã leurs risques et pÃ©rils que les hiÃ©rophantes de la poÃ©sie initiÃ¨rent les
populations de la GrÃ¨ce Ã ces merveilleuses fictions conservatrices de la vÃ©ritÃ©. Eschyle qui osa mettre
en scÃ¨ne les luttes gigantesques, les plaintes surhumaines et les espÃ©rances divines de PromÃ©thÃ©e, le
poÃ¨te terrible de la famille d'Oedipe, fut accusÃ© d'avoir trahi et profanÃ© les mystÃ¨res, et n'Ã©chappa
qu'avec peine Ã une sÃ©vÃ¨re condamnation. Nous ne pouvons maintenant comprendre toute l'Ã©tendue de
l'attentat du poÃ«te. Son drame Ã©tait une trilogie, et l'on y voyait toute l'histoire symbolique de
PromÃ©thÃ©e. Eschyle avait donc osÃ© montrer au peuple assemblÃ© PromÃ©thÃ©e dÃ©livrÃ© par
Alcide et renversant Jupiter de son trÃńe. La [90] toute-puissance du gÃ©nie qui a souffert et la victoire
dÃ©finitive de la patience sur la force: c'Ã©tait beau sans doute. Mais les multitudes ne pouvaient-elles pas y
voir les triomphes futurs de l'impiÃ©tÃ© et de l'anarchie! PromÃ©thÃ©e vainqueur de Jupiter ne pouvait-il
pas Ãªtre pris pour le peuple affranchi un jour de ses prÃªtres et de ses rois; et de coupables espÃ©rances
n'entraient-elles pas pour beaucoup dans les applaudissements prodiguÃ©s Ã l'imprudent rÃ©vÃ©lateur?
Nous devons des chefs-d'oeuvre Ã ces faiblesses du dogme pour la poÃ©sie, et nous ne sommes pas de ces
initiÃ©s austÃ¨res qui voudraient comme Platon exiler les poÃ¨tes, aprÃ¨s les avoir couronnÃ©s; les vrais
poÃ¨tes sont des envoyÃ©s de Dieu sur la terre, et ceux qui les repoussent ne doivent pas Ãªtre bÃ©nis du
Ciel.
Le grand initiateur de la GrÃ¨ce et son premier civilisateur en fut aussi le premier poÃ¨te; car en admettant
mÃªme qu'OrphÃ©e ne fÃ»t qu'un personnage mystique ou fabuleux, il faudrait croire Ã l'existence de
MusÃ©e et lui attribuer les vers qui portent le nom de son maÃ®tre. Peu nous importe d'ailleurs qu'un des
Argonautes se soit ou non appelÃ© OrphÃ©e, le personnage poÃ©tique a plus fait que de vivre; il vit
toujours, il est immortel! La fable d'OrphÃ©e est tout un dogme, c'est une rÃ©vÃ©lation des destinÃ©es
sacerdotales, c'est une idÃ©al nouveau issu du culte de la beautÃ©. C'est dÃ©jÃ la rÃ©gÃ©nÃ©ration et la
rÃ©demption de l'amour. OrphÃ©e descend aux enfers chercher Eurydice, et il faut qu'il la ramÃ¨ne sans la
regarder. Ainsi l'homme pur doit se crÃ©er une compagne, il doit l'Ã©lever Ã lui en se dÃ©vouant Ã elle,
et en ne la convoitant pas. C'est en renonÃ§ant Ã l'objet de la passion qu'on [91] mÃ©rite de possÃ©der
celui du vÃ©ritable amour. Ici dÃ©jÃ on pressent les rÃªves si chastes de la chevalerie chrÃ©tienne. Pour
arracher son Eurydice Ã l'enfer, il ne faut point la regarder!... Mais l'hiÃ©rophante est encore un homme, il
faiblit, il doute, il regarde.
Ah miseram Eurydicen!...
Elle est perdue! la faute est faite, l'expiation commence; OrphÃ©e est veuf, il reste chaste. Il est veuf sans
avoir eu le temps de connaÃ®tre Eurydice, veuf d'une vierge il restera vierge, car le poÃ«te n'a pas deux
coeurs, et les enfants de la race des dieux aiment pour toujours. Aspirations Ã©ternelles, soupirs vers un
idÃ©al qu'on retrouvera au delÃ du tombeau, veuvage consacrÃ© Ã la muse sacrÃ©e. Quelle
rÃ©vÃ©lation avancÃ©e des inspirations Ã venir! OrphÃ©e portant au coeur une blessure que la mort seule
pourra guÃ©rir, se fait mÃ©decin des Ã¢mes et des corps; il meurt, enfin, victime de sa chastetÃ©; il meurt
de la mort des initiateurs et des prophÃ¨tes; il meurt aprÃ¨s avoir proclamÃ© l'unitÃ© de Dieu et l'unitÃ© de
l'amour, et tel fut plus tard le fond des mystÃ¨res dans l'initiation Orphique.
MAGIE EN GRÃCE. 67
AprÃ¨s s'Ãªtre montrÃ© si fort au-dessus de son Ã©poque, OrphÃ©e devait laisser la rÃ©putation d'un
sorcier et d'un enchanteur. On lui attribue, comme Ã Salomon, la connaissance des simples et des
minÃ©raux, la science de la mÃ©decine cÃ©leste et de la pierre philosophale. Il savait tout cela, sans doute,
puisqu'il personnifie dans sa lÃ©gende l'initiation primitive, la chute et la rÃ©paration; c'est-Ã -dire les trois
parties du grand oeuvre de [92] l'humanitÃ©: voici en quels termes, suivant Ballanche, on peut rÃ©sumer
l'initiation orphique:
Â«L'homme, aprÃ¨s avoir subi l'influence des Ã©lÃ©ments, doit faire subir aux Ã©lÃ©ments sa propre
influence.
La crÃ©ation est l'acte d'un magisme divin continu et Ã©ternel.
Pour l'homme Ãªtre rÃ©ellement c'est se connaÃ®tre.
La responsabilitÃ© est une conquÃªte de l'homme, la peine mÃªme du pÃ©chÃ© est un nouveau moyen de
conquÃªtes.
Toute vie repose sur la mort.
La palingÃ©nÃ©sie est la loi rÃ©paratrice.
Le mariage est la reproduction dans l'humanitÃ© du grand mystÃ¨re cosmogonique. Il doit Ãªtre un comme
Dieu et la nature sont un.
Le mariage c'est l'unitÃ© de l'arbre de vie; la dÃ©bauche c'est la division et la mort.
L'arbre de vie Ã©tant unique, et les branches qui s'Ã©panouissent dans le ciel et fleurissent en Ã©toiles
correspondant aux racines cachÃ©es dans la terre.
L'astrologie est une synthÃ¨se.
La connaissance des vertus, soit mÃ©dicales, soit magiques des plantes, des mÃ©taux, des corps, en qui
rÃ©side plus ou moins la vie, est une synthÃ¨se.
Les puissances de l'organisation, Ã ses divers degrÃ©s, sont rÃ©vÃ©lÃ©s par une synthÃ¨se.
Les agrÃ©gations et les affinitÃ©s des mÃ©taux, comme l'Ã¢me vÃ©gÃ©tative des plantes, comme toutes
les forces assimilatrices, sont Ã©galement rÃ©vÃ©lÃ©es par une synthÃ¨se 5.Â»
Note 5: (retour) Ballanche, OrphÃ©e, liv. VIII, p. 169, Ã©dit. 1833.
[93]On a dit que le beau est la splendeur du vrai. C'est donc Ã cette grande lumiÃ¨re d'OrphÃ©e qu'il faut
attribuer la beautÃ© de la forme rÃ©vÃ©lÃ©e pour la premiÃ¨re fois en GrÃ¨ce. C'est Ã OrphÃ©e que
remonte l'Ã©cole du divin Platon, ce pÃ¨re profane de la haute philosophie chrÃ©tienne. C'est Ã lui que
Pythagore et les illuminÃ©s d'Alexandrie ont empruntÃ© leurs mystÃ¨res. L'initiation ne change pas; nous la
retrouvons toujours la mÃªme Ã travers les Ã¢ges. Les derniers disciples de Pascalis Martinez sont encore les
enfants d'OrphÃ©e, mais ils adorent le rÃ©alisateur de la philosophie antique, le verbe incarnÃ© des
chrÃ©tiens.
Nous avons dit que la premiÃ¨re partie de la fable de la toison d'or renferme les secrets de la magie orphique,
et que la seconde partie est consacrÃ©e Ã de sages avertissements contre les abus de la goÃ©tie ou de la
MAGIE EN GRÃCE. 68
magie tÃ©nÃ©breuse.
La goÃ©tie ou fausse magie, connue de nos jours sous le nom de sorcellerie, ne saurait Ãªtre une science;
c'est l'empirisme de la fatalitÃ©. Toute passion excessive produit une force factice dont la volontÃ© ne
saurait Ãªtre maÃ®tresse, mais qui obÃ©it au despotisme de la passion. C'est pour cela qu'Albert le Grand
disait: Â«Ne maudissez personne lorsque vous Ãªtes en colÃ¨re.Â» C'est l'histoire de la malÃ©diction
d'Hippolyte par ThÃ©sÃ©e. La passion excessive est une vÃ©ritable folie. Or la folie est une ivresse ou
congestion de lumiÃ¨re astrale. C'est pour cela que la folie est contagieuse, et que les passions en gÃ©nÃ©ral
portent avec elles un vÃ©ritable malÃ©fice. Les femmes, plus facilement entraÃ®nÃ©es par l'ivresse
passionnÃ©e, sont en gÃ©nÃ©ral meilleures [94] sorciÃ¨res que les hommes ne peuvent Ãªtre sorciers. Le
mot sorcier dÃ©signe assez les victimes du sort et pour ainsi dire les champignons vÃ©nÃ©neux de la
fatalitÃ©.
Les sorciÃ¨res chez les Grecs, et spÃ©cialement en Thessalie, pratiquaient d'horribles enseignements et
s'abandonnaient Ã d'abominables rites. C'Ã©taient en gÃ©nÃ©ral des femmes perdues de dÃ©sirs qu'elles
ne pouvaient plus satisfaire, des courtisanes devenues vieilles, des monstres d'immoralitÃ© et de laideur.
Jalouses de l'amour et de la vie, ces misÃ©rables femmes n'avaient d'amants que dans les tombes, ou plutÃ´t
elles violaient les sÃ©pultures pour dÃ©vorer d'affreuses caresses la chair glacÃ©e des jeunes hommes.
Elles volaient les enfants dont elles Ã©touffaient les cris en les pressant contre leurs mamelles pendantes. On
les appelait des lamies, des stryges, des empuses; les enfants, ces objets de leur envie et par consÃ©quent de
leur haine, Ã©taient sacrifiÃ©s par elles; les unes, comme la Canidie dont parle Horace, les enterraient
jusqu'Ã la tÃªte, et les laissaient mourir de faim, en les entourant d'aliments auxquels ils ne pouvaient
atteindre; les autres leur coupaient la tÃªte, les pieds et les mains, et faisaient rÃ©duire leur graisse et leur
chair dans des bassins de cuivre, jusqu'Ã la consistance d'un onguent qu'elles mÃªlaient aux sucs de la
jusquiame, de la belladone et des pavots noirs. Elles emplissaient de cet onguent l'organe sans cesse irritÃ©
par leurs dÃ©testables dÃ©sirs; elles s'en frottaient les tempes et les aisselles, puis elles tombaient dans une
lÃ©thargie pleine de rÃªves effrÃ©nÃ©s et luxurieux. Il faut bien oser le dire: voilÃ les origines et les
traditions de la magie noire; voilÃ les secrets qui se perpÃ©tuÃ¨rent jusque dans notre moyen Ã¢ge; voilÃ ,
[95] enfin, quelles victimes prÃ©tendues innocentes l'exÃ©cration publique, bien plus que la sentence des
inquisiteurs, condamnait Ã mourir dans les flammes. C'est en Espagne, et en Italie surtout, que pullulait
encore la race des stryges, des lamies et des empuses; et ceux qui en doutent peuvent consulter les plus
savants criminalistes de ces pays, rÃ©sumÃ©s par FranÃ§ois Torreblanca, avocat royal Ã la chancellerie de
Grenade, dans son Epitome delictorum.
MÃ©dÃ©e et CircÃ© sont les deux types de la magie malfaisante chez les Grecs. CircÃ© est la femme
vicieuse qui fascine et dÃ©grade ses amants; MÃ©dÃ©e est l'empoisonneuse hardie qui ose tout, et qui fait
servir la nature mÃªme Ã ses crimes. Il est, en effet, des Ãªtres qui charment comme CircÃ©, et prÃ¨s
desquels on s'avilit; il est des femmes dont l'amour dÃ©grade les Ã¢mes; elles ne savent inspirer que des
passions brutales; elles vous Ã©nervent, puis elles vous mÃ©prisent. Ces femmes, il faut comme Ulysse, les
faire obÃ©ir et les subjuguer par la crainte, puis savoir les quitter sans regret. Ce sont des monstres de
beautÃ©; elles sont sans coeur; la vanitÃ© seule les fait vivre. L'antiquitÃ© les reprÃ©sentait encore sous la
figure des sirÃ¨nes.
Quant Ã MÃ©dÃ©e, c'est la crÃ©ature perverse, qui veut le mal et qui l'opÃ¨re. Celle-ci est capable d'aimer
et n'obÃ©it pas Ã la crainte, mais son amour est plus redoutable encore que la haine. Elle est mauvaise
mÃ¨re et tueuse de petits enfants. Elle aime la nuit et va cueillir au clair de la lune des herbes malfaisantes
pour on composer des poisons. Elle magnÃ©tise l'air, elle porte malheur Ã la terre, elle infecte l'eau, elle
empoisonne le feu. [96] Les reptiles lui prÃªtent leur bave: elle murmure d'affreuses paroles; des traces de
sang la suivent, des membres dÃ©coupÃ©s tombent de ses mains. Ses conseils rendent fou, ses caresses font
horreur.
MAGIE EN GRÃCE. 69
VoilÃ la femme qui a voulu se mettre au-dessus des devoirs de son sexe, en s'initiant elle-mÃªme Ã des
sciences dÃ©fendues. Les hommes se dÃ©tournent et les enfants se cachent quand elle passe. Elle est sans
raison et sans amour, et les dÃ©ceptions de la nature rÃ©voltÃ©e contre elle sont le supplice toujours
renaissant de son orgueil.
CHAPITRE VI.
MAGIE MATHÃMATICIENNE DE PYTHAGORE.

SOMMAIRE.--Les Vers dorÃ©s et les symboles de ce maÃ®tre.--Les mystÃ¨res cachÃ©s dans la vie et les
instincts des animaux.--Loi d'assimilation.--Secret des mÃ©tamorphoses, ou comment on peut se changer en
loup.--ÃternitÃ© de la vie dans la continuitÃ© de la mÃ©moire.--Le fleuve d'oubli.
Numa, dont nous avons indiquÃ© les connaissances magiques, avait eu pour initiateur un certain Tarchon,
disciple d'un ChaldÃ©en nommÃ© TagÃ¨s. La science alors avait ses apÃ´tres, qui parcouraient le monde
pour y semer des prÃªtres et des rois. Souvent mÃªme la persÃ©cution aidait Ã l'accomplissement des
desseins de la Providence, et c'est ainsi que vers la soixante-deuxiÃ¨me olympiade, quatre gÃ©nÃ©rations
aprÃ¨s le rÃ¨gne de Numa, Pythagore, de Samos, vint en Italie pour Ã©chapper Ã la tyrannie de Polycrate.
[97]Le grand vulgarisateur de la philosophie des nombres avait alors parcouru tous les sanctuaires du monde;
il Ã©tait venu en JudÃ©e, oÃ¹ il s'Ã©tait fait circoncire pour Ãªtre admis aux secrets de la kabbale, que lui
communiquÃ¨rent, non sans une certaine rÃ©serve, les prophÃ¨tes ÃzÃ©chiel et Daniel. Puis, il s'Ã©tait fait
admettre, non sans peine, Ã l'initiation Ã©gyptienne, sur la recommandation du roi Amasis. La puissance de
son gÃ©nie supplÃ©a aux communications imparfaites des hiÃ©rophantes, et il devint lui-mÃªme un
maÃ®tre et un rÃ©vÃ©lateur.
Pythagore dÃ©finissait Dieu: une vÃ©ritÃ© vivante et absolue revÃªtue de lumiÃ¨re.
Il disait que le verbe Ã©tait le nombre manifestÃ© par la forme.
Il faisait tout descendre de la tÃ©tractys, c'est-Ã -dire du quaternaire.
Dieu, disait-il encore, est la musique suprÃªme dont la nature est l'harmonie.
Suivant lui, l'expression la plus haute de la justice c'est le culte; le plus parfait usage de la science c'est la
mÃ©decine; le beau c'est l'harmonie, la force c'est la raison, le bonheur c'est la perfection, la vÃ©ritÃ©
pratique c'est qu'il faut se mÃ©fier de la faiblesse et de la perversitÃ© des hommes.
Lorsqu'il fut venu s'Ã©tablir Ã Crotone, les magistrats de cette ville, voyant quel empire il exerÃ§ait sur les
esprits et sur les coeurs, le craignirent d'abord, puis ensuite le consultÃ¨rent. Pythagore leur conseilla de
sacrifier aux muses et de conserver entre eux la plus parfaite harmonie, car, leur disait-il, ce sont [98] les
conflits entre les maÃ®tres qui rÃ©voltent les serviteurs; puis il leur donna le grand prÃ©cepte religieux,
politique et social:
Â«Il n'y a aucun mal qui ne soit prÃ©fÃ©rable Ã l'anarchie.Â»
CHAPITRE VI. 70
Sentence d'une application universelle et d'une profondeur presque infinie, mais que notre siÃ¨cle mÃªme
n'est pas encore assez Ã©clairÃ© pour bien comprendre.
Il nous reste de Pythagore, outre les traditions de sa vie, ses vers dorÃ©s et ses symboles; ses vers dorÃ©s
sont devenus des lieux communs de morale vulgaire, tant ils ont eu de succÃ¨s Ã travers les Ã¢ges. En voici
une traduction:
ÎÎºÎ·ÏÎ± ÏÏÏÏÎ±.
Aux dieux, suivant les lois, rends de justes hommages;
Respecte le serment, les hÃ©ros et les sages;
Honore tes parents, tes rois, tes bienfaiteurs;
Choisis pour tes amis les hommes les meilleurs.
Sois obligeant et doux, sois facile en affaires.
Ne hais pas ton ami pour des fautes lÃ©gÃ¨res;
Sers de tout ton pouvoir la cause du bon droit:
Qui fait tout ce qu'il peut fait toujours ce qu'il doit.
Mais sache rÃ©primer comme un maÃ®tre sÃ©vÃ¨re,
L'appÃ©tit, le sommeil, VÃ©nus et la colÃ¨re.
Ne forfais Ã l'honneur ni de prÃ¨s ni de loin,
Et seul, sois pour toi-mÃªme un rigoureux tÃ©moin.
Sois juste en actions et non pas en paroles;
Ne donne pas au mal de prÃ©textes frivoles.
Le sort nous enrichit, il peut nous appauvrir;
Mais, faibles ou puissants, nous devons tous mourir.
A ta part de douleurs ne sois point rÃ©fractaire;
Accepte le remÃ¨de utile et salutaire,
Et sache que toujours les hommes vertueux,
Des mortels affligÃ©s sont les moins malheureux.
MAGIE MATHÃMATICIENNE DE PYTHAGORE. 71

Aux injustes propos que ton coeur se rÃ©signe;
Laisse parler le monde et suis toujours ta ligne.
[99]Mais surtout ne fais rien par l'exemple emportÃ©,
Qui soit sans rectitude et sans utilitÃ©.
Fais marcher devant toi le conseil qui t'Ã©claire,
Pour que l'absurditÃ© ne vienne pas derriÃ¨re.
La sottise est toujours le plus grand des malheurs,
Et l'homme sans conseil rÃ©pond de ses erreurs.
N'agis point sans savoir, sois zÃ©lÃ© pour apprendre:
PrÃªte Ã l'Ã©tude un temps que le bonheur doit rendre.
Ne sois pas nÃ©gligent du soin de ta santÃ©;
Mais prends le nÃ©cessaire avec sobriÃ©tÃ©.
Tout ce qui ne peut nuire est permis dans la vie;
Sois Ã©lÃ©gant et pur sans exciter l'envie.
Fuis et la nÃ©gligence et le faste insolent:
Le luxe le plus simple est le plus excellent.
N'agis point sans songer Ã ce que tu vas faire,
Et rÃ©flÃ©chis, le soir, sur ta journÃ©e entiÃ¨re.
Qu'ai-je fait? qu'ai-je ouÃ¯? que dois-je regretter?
Vers la vertu divine ainsi tu peux monter.
Jusqu'ici les vers dorÃ©s ne semblent Ãªtre que les leÃ§ons d'un pÃ©dagogue. Ils ont pourtant une toute
autre portÃ©e. Ce sont les lois prÃ©liminaires de l'initiation magique, c'est la premiÃ¨re partie du grand
oeuvre, c'est-Ã -dire la crÃ©ation de l'adepte parfait. La suite le fait voir et le prouve:
Je t'en prends Ã tÃ©moin, TÃ©tractys ineffable,
Des formes et du temps fontaine inÃ©puisable;
Et toi qui sais prier, quand les dieux sont pour toi,
AchÃ¨ve leur ouvrage et travaille avec foi.

Tu parviendras bientÃ´t et sans peine Ã connaÃ®tre
D'oÃ¹ procÃ¨de, oÃ¹ s'arrÃªte, oÃ¹ retourne ton Ãªtre;
Sans crainte et sans dÃ©sirs tu sauras les secrets
Que la nature voile aux mortels indiscrets.
Tu fouleras aux pieds cette faiblesse humaine
Qu'au hasard et sans but la fatalitÃ© mÃ¨ne.
Tu sauras qui conduit l'avenir incertain,
Et quel dÃ©mon cachÃ© tient les fils du destin.
[100]Tu monteras alors sur le char de lumiÃ¨re,
Esprit victorieux et roi de la matiÃ¨re.
Tu comprendras de Dieu le rÃ¨gne paternel,
Et tu pourras t'asseoir dans un calme Ã©ternel.
Pythagore disait: Â«De mÃªme qu'il y a trois notions divines et trois rÃ©gions intelligibles, il y a aussi un
triple verbe, car l'ordre hiÃ©rarchique se manifeste toujours par trois. Il y a la parole simple, la parole
hiÃ©roglyphique et la parole symbolique; en d'autres termes, il y a le verbe qui exprime, le verbe qui cache,
et le verbe qui signifie; toute l'intelligence hiÃ©ratique est dans la science parfaite de ces trois degrÃ©s.Â»
Il enveloppait donc la doctrine de symboles, mais il Ã©vitait avec soin les personnifications et les images qui
selon lui enfantent tÃ´t ou tard l'idolÃ¢trie. On l'a accusÃ© mÃªme de dÃ©tester les poÃ«tes, mais c'Ã©tait
seulement aux mauvais poÃ«tes que Pythagore interdisait l'art des vers.
Ne chante point de vers, si tu n'as point de lyre,
dit-il dans ses symboles. Ce grand homme ne pouvait ignorer la relation exacte qui existe entre les sublimes
pensÃ©es et les belles expressions figurÃ©es, ses symboles mÃªmes sont pleins de poÃ©sie.
N'arrache point les fleurs qui forment des couronnes.
C'est ainsi qu'il recommande Ã ses disciples de n'amoindrir jamais la gloire et de ne point flÃ©trir ce que le
monde semble avoir besoin d'honorer.
Pythagore Ã©tait chaste, mais loin de conseiller le cÃ©libat Ã ses [101] disciples il se maria lui-mÃªme et
eut des enfants. On cite une belle parole de la femme de Pythagore; on lui demandait si la femme qui vient
d'avoir des relations avec un homme n'avait pas besoin de quelques expiations, et combien de temps aprÃ¨s
elle pouvait se croire assez pure pour s'approcher des choses saintes.--Tout de suite, dit-elle, si c'est avec son
mari; si c'est avec un autre, jamais!
C'est par cette sÃ©vÃ©ritÃ© de principes, c'est avec cette puretÃ© de moeurs qu'on s'initiait dans l'Ã©cole
de Pythagore aux mystÃ¨res de la nature, et qu'on prenait assez d'empire sur soi-mÃªme pour commander aux

forces Ã©lÃ©mentaires. Pythagore possÃ©dait cette facultÃ© qu'on nomme chez nous seconde vue et qui
s'appelait alors divination. Un jour il Ã©tait avec ses disciples sur le bord de la mer. Un vaisseau se montre Ã
l'horizon: Â«MaÃ®tre lui dit un des disciples, pensez-vous que je serais riche si l'on me donnait la cargaison
de ce vaisseau?--Elle vous serait bien inutile, dit Pythagore.--Eh bien! je la garderais pour mes
hÃ©ritiers.--Vous voudriez donc leur laisser deux cadavres?Â»
Le vaisseau entra dans le port un instant aprÃ¨s; il rapportait le corps d'un homme qui avait voulu Ãªtre
enseveli dans sa patrie.
On raconte que les animaux obÃ©issaient Ã Pythagore. Un jour, au milieu des jeux olympiques, il appela un
aigle qui traversait le ciel; l'aigle descendit en tournoyant et continua son vol Ã tire d'aile quand le maÃ®tre
lui fit signe de s'en aller. Une ourse monstrueuse ravageait l'Apulie, Pythagore la fit venir Ã ses pieds et lui
ordonna de quitter le pays; depuis elle ne reparut [102] plus; et comme on lui demandait Ã quelle science il
devait un pouvoir aussi merveilleux:
--A la science de la lumiÃ¨re, rÃ©pondait-il.
Les Ãªtres animÃ©s, en effet, sont des incarnations de lumiÃ¨re; les formes sortent des pÃ©nombres de la
laideur pour arriver progressivement aux splendeurs de la beautÃ©, les instincts sont proportionnels aux
formes, et l'homme, qui est la synthÃ¨se de cette lumiÃ¨re dont les animaux sont l'analyse, est crÃ©Ã© pour
leur commander; mais parce qu'au lieu d'Ãªtre leur maÃ®tre, il s'est fait leur persÃ©cuteur et leur bourreau,
ils le craignent et se rÃ©voltent contre lui. Ils doivent cependant sentir la puissance d'une volontÃ©
exceptionnelle qui se montre pour eux bienveillante et directrice, ils sont alors invinciblement
magnÃ©tisÃ©s, et un grand nombre de phÃ©nomÃ¨nes modernes peuvent et doivent nous faire comprendre
la possibilitÃ© des miracles de Pythagore.
Les physionomistes ont remarquÃ© que la plupart des hommes rappellent par quelques traits de leur
physionomie la ressemblance de quelque animal. Cette ressemblance peut bien n'Ãªtre qu'imaginaire et se
produire par l'impression que font sur nous les diverses physionomies, en nous rÃ©vÃ©lant les traits saillants
du caractÃ¨re des personnes. Ainsi nous trouverons qu'un homme bourru ressemble Ã un ours, un homme
hypocrite Ã un chat et ainsi des autres. Ces sortes de jugements s'exagÃ¨rent dans l'imagination et se
complÃ¨tent dans les rÃªves, oÃ¹ souvent les personnes qui nous ont pÃ©niblement impressionnÃ© pendant
la veille, se transforment en animaux et nous font Ã©prouver toutes les angoisses du cauchemar. Or les
animaux sont comme nous et [103] plus que nous sous l'empire de l'imagination, car ils n'ont pas le jugement
pour en rectifier les Ã©carts. Aussi s'affectent-ils Ã notre Ã©gard suivant leurs sympathies ou leurs
antipathies surexcitÃ©es par notre magnÃ©tisme. Ils n'ont d'ailleurs aucune conscience de ce qui constitue la
forme humaine et ne voient en nous que d'autres animaux qui les dominent. Ainsi le chien prend son maÃ®tre
pour un chien plus parfait que lui. C'est dans la direction de cet instinct que consiste le secret de l'empire sur
les animaux. Nous avons vu un cÃ©lÃ¨bre dompteur de bÃªtes fÃ©roces fasciner ses lions en leur montrant
un visage terrible et se grimer lui-mÃªme en lion furieux; ici s'applique Ã la lettre le proverbe populaire: Â«Il
faut hurler avec les loups, et bÃªler avec les agneaux.Â» D'ailleurs chaque forme animale reprÃ©sente un
instinct particulier, une aptitude ou un vice. Si nous faisons prÃ©dominer en nous le caractÃ¨re de la bÃªte,
nous en prenons de plus en plus la forme extÃ©rieure, au point d'en imprimer l'image parfaite dans la
lumiÃ¨re astrale et de nous voir nous-mÃªmes, dans l'Ã©tat de rÃªve ou d'extase, tels que nous serions vus
par des somnambules ou des extatiques, et tels que nous apparaissons sans doute aux animaux. Que la raison
s'Ã©teigne alors, que le rÃªve persÃ©vÃ©rant se change en folie et nous voici changÃ©s en bÃªtes comme
le fut Nabuchodonosor. Ainsi s'expliquent les histoires de loups-garoux dont quelques-unes ont Ã©tÃ©
juridiquement constatÃ©es. Les faits Ã©taient constants, avÃ©rÃ©s, mais ce qu'on ignorait c'est que les
tÃ©moins n'Ã©taient pas moins hallucinÃ©s que les loups-garoux eux-mÃªmes.

Les faits de coÃ¯ncidence et de correspondances des rÃªves ne sont ni rares ni extraordinaires. Les extatiques
se voient et se [104] parlent d'un bout du monde Ã l'autre dans l'Ã©tat d'extase. Nous voyons une personne
pour la premiÃ¨re fois; et il nous semble que nous la connaissons depuis longtemps, c'est que nous l'avons
souvent dÃ©jÃ rencontrÃ©e en rÃªve. La vie est pleine de ces singularitÃ©s, et pour ce qui est de la
transformation des Ãªtres humains en animaux, nous en rencontrons des exemples Ã chaque pas. Combien
d'anciennes femmes galantes et gourmandes, rÃ©duites Ã l'Ã©tat d'idiotisme aprÃ¨s avoir couru toutes les
gouttiÃ¨res de l'existence, ne sont plus que de vieilles chattes uniquement Ã©prises de leur matou!
Pythagore croyait par-dessus tout Ã l'immortalitÃ© de l'Ã¢me et Ã l'Ã©ternitÃ© de la vie. La succession

continuelle des Ã©tÃ©s et des hivers, des jours et des nuits, du sommeil et du rÃ©veil, lui expliquaient assez
le phÃ©nomÃ¨ne de la mort. L'immortalitÃ© spÃ©ciale de l'Ã¢me humaine consistait selon lui dans la
prolongation du souvenir. Il prÃ©tendait se rappeler, dit-on, ses existences antÃ©rieures, et s'il est vrai qu'il
le prÃ©tendait, c'est qu'il trouvait, en effet, quelque chose de pareil dans ses rÃ©miniscences, car un tel
homme n'a pu Ãªtre ni un charlatan ni un fou. Mais il est probable qu'il croyait retrouver ces anciens souvenirs
dans ses rÃªves, et l'on aura pris pour une affirmation positive ce qui n'Ã©tait de sa part qu'une recherche et
une hypothÃ¨se; quoi qu'il en soit, sa pensÃ©e Ã©tait grande et la vie rÃ©elle de notre individualitÃ© ne
consiste que dans la mÃ©moire. Le fleuve d'oubli des anciens Ã©tait la vraie image philosophique de la
mort. La Bible semble donner Ã cette idÃ©e une sanction divine lorsqu'elle dit au livre des Psaumes: Â«La
vie du juste sera dans l'Ã©ternitÃ© de la mÃ©moire 6.Â»
Imp. Caron-Delamarre, Quai de Gds. Augustins, 17, Paris.
Note 6: (retour) In memoria Ã¦terna erit justus.

[105]
CHAPITRE VII.
LA SAINTE KABBALE.
SOMMAIRE.--Les noms divins.--Le tÃ©tragramme et ses quatre formes. --Le mot unique qui opÃ¨re toutes
les transmutations.--Les clavicules de Salomon perdues et retrouvÃ©es.--La chaÃ®ne des esprits.--Le
tabernacle et le temple.--L'ancien serpent.--Le monde des esprits suivant le Sohar.--Quels sont les esprits qui
apparaissent.--Comment on peut se faire servir par les esprits Ã©lÃ©mentaires.
CHAPITRE VII. 76
Remontons maintenant aux sources de la vraie science et revenons Ã la sainte kabbale, ou tradition des
enfants de Seth, emportÃ©e de ChaldÃ©e par Abraham, enseignÃ©e au sacerdoce Ã©gyptien par Joseph,
recueillie et Ã©purÃ©e par MoÃ¯se, cachÃ©e sous des symboles dans la Bible, rÃ©vÃ©lÃ©e par le
Sauveur Ã saint Jean, et contenue encore tout entiÃ¨re sous des figures hiÃ©ratiques analogues Ã celles de
toute l'antiquitÃ© dans l'Apocalypse de cet apÃ´tre.
Les kabbalistes ont en horreur tout ce qui ressemble Ã l'idolÃ¢trie; ils donnent pourtant Ã Dieu la figure
humaine, mais c'est une figure purement hiÃ©roglyphique.
Ils considÃ¨rent Dieu comme l'infini intelligent, aimant et vivant. Ce n'est pour eux ni la collection des Ãªtres,
ni l'abstraction de l'Ãtre ni un Ãªtre philosophiquement dÃ©finissable. Il est dans tout, distinct de tout et plus
grand que tout. Son nom mÃªme est ineffable: et encore ce nom n'exprime-t-il que l'idÃ©al humain de sa
divinitÃ©. Ce que Dieu est par lui-mÃªme il n'est pas donnÃ© Ã l'homme de le comprendre.
Dieu est l'absolu de la foi; mais l'absolu de la raison c'est l'ÃTRE.
[106]L'Ãtre est par lui-mÃªme et parce qu'il est. La raison d'Ãªtre de l'Ãtre c'est l'Ãtre mÃªme. On peut
demander: Â«Pourquoi existe-t-il quelque chose, c'est-Ã -dire pourquoi telle ou telle chose existe-t-elle?Â»
Mais on ne peut sans Ãªtre absurde demander: Â«Pourquoi l'Ãtre est-il?Â» Ce serait supposer l'Ãtre avant
l'Ãtre.
La raison et la science nous dÃ©montrent que les modes d'existence de l'Ãtre s'Ã©quilibrent suivant des lois
harmonieuses et hiÃ©rarchiques. Or la hiÃ©rarchie se synthÃ©tise en montant et devient toujours de plus en
plus monarchique. La raison cependant ne peut s'arrÃªter Ã un chef unique sans s'effrayer des abÃ®mes
qu'elle semble laisser au-dessus de ce suprÃªme monarque, elle se tait donc et cÃ¨de la place Ã la foi qui
adore.
Ce qui est certain, mÃªme pour la science et pour la raison, c'est que l'idÃ©e de Dieu est la plus grande, la
plus sainte et la plus utile de toutes les aspirations de l'homme; que sur cette croyance repose la morale avec
sa sanction Ã©ternelle. Cette croyance est donc dans l'humanitÃ© le plus rÃ©el des phÃ©nomÃ¨nes de
l'Ãtre, et si elle Ã©tait fausse, la nature affirmerait l'absurde, le nÃ©ant formulerait la vie, Dieu serait en
mÃªme temps et ne serait pas.
C'est Ã cette rÃ©alitÃ© philosophique et incontestable, qu'on nomme l'idÃ©e de Dieu, que les kabbalistes
donnent un nom; dans ce nom sont contenus tous les autres. Les chiffres de ce nom produisent tous les
nombres, les hiÃ©roglyphes des lettres de ce nom expriment toutes les lois et toutes les choses de la nature.
Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons dit dans notre [107] dogme de la haute magie sur le
tÃ©tragramme divin, nous ajouterons seulement que les kabbalistes l'Ã©crivent de quatre principales
maniÃ¨res:
××××
JHVH,
qu'ils ne prononcent pas, mais qu'ils Ã©pÃ¨lent: Jod, he vau hÃ©, et que nous prononÃ§ons JÃ©hovah, ce
qui est contraire Ã toute analogie, car le tÃ©tragramme ainsi dÃ©figurÃ© se trouverait composÃ© de six
lettres.
LA SAINTE KABBALE. 77
×× ××
ADNI,
que nous prononÃ§ons AdonaÃ¯, ce nom veut dire Seigneur.
××××
AHIH,
que nous prononÃ§ons Eieie, ce nom signifie Ãtre.
××××
AGLA,
qui se prononce comme il s'Ã©crit, et qui renferme hiÃ©roglyphiquement tous les mystÃ¨res de la kabbale.
En effet la lettre Aleph × est la premiÃ¨re de l'alphabet hÃ©breu; elle exprime l'unitÃ©, elle reprÃ©sente
hiÃ©roglyphiquement le dogme d'HermÃ¨s: Â«Ce qui est supÃ©rieur est analogue Ã ce qui est
infÃ©rieur.Â» Cette lettre, en effet, a comme deux bras dont l'un montre la terre et l'autre le ciel avec un
mouvement analogue.
La lettre Ghimel × est la troisiÃ¨me de l'alphabet; elle exprime numÃ©riquement le ternaire et

hiÃ©roglyphiquement l'enfantement, la fÃ©conditÃ©.
La lettre Lamed × est la douziÃ¨me; elle est l'expression [108] du cycle parfait. Comme signe
hiÃ©roglyphique, elle reprÃ©sente la circulation du mouvement perpÃ©tuel, et le rapport du rayon Ã la
circonfÃ©rence.
La lettre Aleph rÃ©pÃ©tÃ©e est l'expression de la synthÃ¨se.
Le nom d'AGLA signifie donc:
L'unitÃ© qui par le ternaire accomplit le cycle des nombres pour retourner Ã l'unitÃ©;
Le principe fÃ©cond de la nature qui fait un avec lui;
La vÃ©ritÃ© premiÃ¨re qui fÃ©conde la science et la ramÃ¨ne Ã l'unitÃ©;
La syllepse, l'analyse, la science et la synthÃ¨se;
Les trois personnes divines qui sont un seul Dieu. Le secret du grand oeuvre, c'est-Ã -dire la fixation de la
lumiÃ¨re astrale par une Ã©mission souveraine de volontÃ©, ce que les adeptes figuraient par un serpent
percÃ© d'une flÃ¨che formant avec elle la lettre Aleph ×.
Puis les trois opÃ©rations, dissoudre, sublimer, fixer, correspondant aux trois substances nÃ©cessaires, sel,
soufre et mercure, le tout exprimÃ© par la lettre Ghimel ×.
×× ×× 78
Puis les douze clefs de Basile (Valentin) exprimÃ©es par Lamed ×.
Enfin l'oeuvre accomplie conformÃ©ment Ã son principe et reproduisant le principe mÃªme.
Telle est l'origine de cette tradition kabbalistique qui met toute la magie dans un mot. Savoir lire ce mot et le
prononcer, c'est-Ã -dire en comprendre les mystÃ¨res et traduire en actions ces connaissance absolues, c'est
avoir la clef des merveilles. Pour prononcer le nom d'AGLA, il faut se tourner du cÃ´tÃ© de l'orient,
c'est-Ã -dire s'unir d'intention et de science Ã la [109] tradition orientale. N'oublions pas que suivant la
kabbale, le Verbe parfait est la parole rÃ©alisÃ©e par des actes. De lÃ vient cette expression qui se retrouve
plusieurs fois dans la Bible: Â«Faire une paroleÂ» (facere verbum), dans le sens d'accomplir une action.
Prononcer kabbalistiquement le nom d'AGLA, c'est donc subir toutes les Ã©preuves de l'initiation et en
achever toutes les oeuvres.
Nous avons dit dans notre dogme de la haute magie comment le nom de JÃ©hovah se dÃ©compose en
soixante et douze noms explicatifs, qu'on appelle Schemhamphoras. L'art d'employer ces soixante et douze
noms et d'y trouver les clefs de la science universelle, est ce que les kabbalistes ont nommÃ© les clavicules
de Salomon. En effet, Ã la suite des recueils d'Ã©vocations et de priÃ¨res qui portent ce titre, on trouve
ordinairement soixante et douze cercles magiques formant trente-six talismans. C'est quatre fois neuf,
c'est-Ã -dire le nombre absolu multipliÃ© par le quaternaire. Ces talismans portent chacun deux des soixante
et douze noms avec le signe emblÃ©matique de leur nombre et de celle des quatre lettres du nom de
JÃ©hovah Ã laquelle ils correspondent. C'est ce qui a donnÃ© lieu aux quatre dÃ©cades emblÃ©matiques
du tarot: le bÃ¢ton figurant le Jod; la coupe, le hÃ©; l'Ã©pÃ©e, le vaf; et le denier, le hÃ© final. Dans le
tarot on a ajoutÃ© le complÃ©ment de la dizaine, qui rÃ©pÃ¨te synthÃ©tiquement le caractÃ¨re de
l'unitÃ©.
Les traditions populaires de la magie disaient que le possesseur des clavicules de Salomon peut converser
avec les esprits de tous les ordres et se faire obÃ©ir par toutes les puissances [110] naturelles. Or, ces
clavicules plusieurs fois perdues, puis retrouvÃ©es, ne sont autre chose que les talismans des soixante et
douze noms et les mystÃ¨res des trente-deux voies hiÃ©roglyphiquement reproduits par le tarot. A l'aide de
ces signes et au moyen de leurs combinaisons infinies, comme celles des nombres et des lettres, on peut, en
effet, arriver Ã la rÃ©vÃ©lation naturelle et mathÃ©matique de tous les secrets de la nature, et entrer, par
consÃ©quent, en communication avec la hiÃ©rarchie entiÃ¨re des intelligences et des gÃ©nies.
Les sages kabbalistes se tiennent en garde contre les rÃªves de l'imagination et les hallucinations de la veille.
Aussi Ã©vitent-ils toutes ces Ã©vocations malsaines qui Ã©branlent le systÃ¨me nerveux et enivrent la
raison. Les expÃ©rimentateurs curieux des phÃ©nomÃ¨nes de vision extranaturelle ne sont guÃ¨re plus
sensÃ©s que les mangeurs d'opium et de haschish. Ce sont des enfants qui se font du mal Ã plaisir. On peut
se laisser surprendre par l'ivresse; on peut mÃªme s'oublier volontairement au point de vouloir en Ã©prouver
les vertiges; mais Ã l'homme qui se respecte une seule expÃ©rience suffit; et les honnÃªtes gens ne
s'enivrent pas deux fois.
Le comte Joseph de Maistre dit qu'on se moquera un jour de notre stupiditÃ© actuelle comme nous nous
moquons de la barbarie du moyen Ã¢ge. Qu'eÃ»t-il pensÃ©, s'il eÃ»t vu nos tourneurs de tables? et s'il eÃ»t
entendu nos faiseurs de thÃ©ories sur le monde occulte des esprits? Pauvres gens que nous sommes! Nous
n'Ã©chappons Ã l'absurde que par l'absurde contraire. Le XVIIIe siÃ¨cle croyait protester contre la
superstition en niant la religion, et nous protestons contre l'impiÃ©tÃ© du XVIIIe siÃ¨cle en revenant aux
[111] vieux contes de grand'mÃ¨res; ne pourrait-on Ãªtre plus chrÃ©tien que Voltaire et se dispenser de
croire encore aux revenants?
×××× 79
Les morts ne peuvent pas plus revenir sur la terre qu'ils ont quittÃ©e, qu'un enfant ne pourrait rentrer dans le
sein de sa mÃ¨re.
Ce que nous appelons la mort, est une naissance dans une vie nouvelle. La nature ne dÃ©fait pas ce qu'elle a
fait dans l'ordre des progressions nÃ©cessaires de l'existence, et elle ne saurait donner le dÃ©menti Ã ses
lois fondamentales.
L'Ã¢me humaine, servie et limitÃ©e par des organes, ne peut qu'au moyen de ces organes mÃªmes se mettre
en rapport avec les choses du monde visible. Le corps est une enveloppe proportionnelle au milieu matÃ©riel
dans lequel l'Ã¢me ici-bas doit vivre. En limitant l'action de l'Ã¢me il la concentre et la rend possible. En
effet, l'Ã¢me sans corps serait partout, mais partout si peu, qu'elle ne pourrait agir nulle part; elle serait perdue
dans l'infini, elle serait absorbÃ©e et comme anÃ©antie en Dieu.
Supposez une goutte d'eau douce enfermÃ©e dans un globule et jetÃ©e dans la mer: tant que le globule ne
sera pas brisÃ©, la goutte d'eau subsistera dans sa nature propre, mais si le globule se brise, cherchez la goutte
d'eau dans la mer.
Dieu en crÃ©ant les esprits n'a pu leur donner une personnalitÃ© consciencieuse d'elle-mÃªme qu'en leur
donnant une enveloppe qui centralise leur action et l'empÃªche de se perdre en la limitant.
Quand l'Ã¢me se sÃ©pare du corps, elle change donc nÃ©cessairement de milieu puisqu'elle change
d'enveloppe. Elle part revÃªtue [112] seulement de sa forme astrale, de son enveloppe de lumiÃ¨re et elle
monte d'elle-mÃªme au-dessus de l'atmosphÃ¨re comme l'air remonte au-dessus de l'eau en s'Ã©chappant
d'un vase brisÃ©.
Nous disons que l'Ã¢me monte parce que son enveloppe monte, et que son action et sa conscience sont
comme nous l'avons dit attachÃ©es Ã son enveloppe.
L'air atmosphÃ©rique devient solide pour ces corps de lumiÃ¨re infiniment plus lÃ©gers que lui et qui ne
pourraient redescendre qu'en se chargeant d'un vÃªtement plus lourd, mais oÃ¹ prendraient-ils ce vÃªtement
au-dessus de notre atmosphÃ¨re? Ils ne pourraient donc revenir sur la terre qu'en s'y incarnant de nouveau,
leur retour serait une chute, ils se noieraient comme esprits libres et recommenceraient leur noviciat. Mais la
religion catholique n'admet pas qu'un pareil retour soit possible.
Les kabbalistes formulent par un seul axiome toute la doctrine que nous exposons ici:
Â«L'esprit, disent-ils, se revÃªt pour descendre et se dÃ©pouille pour monter.Â»
La vie des intelligences est toute ascensionnelle; l'enfant dans le sein de sa mÃ¨re vit d'une vie vÃ©gÃ©tative
et reÃ§oit la nourriture par un lien qui s'attache comme l'arbre est attachÃ© Ã la terre et nourri en mÃªme
temps par sa racine.
Lorsque l'enfant passe de la vie vÃ©gÃ©tative Ã la vie instinctive et animale, son cordon se brise, il peut
marcher.
Lorsque l'enfant se fait homme, il Ã©chappe aux chaÃ®nes de l'instinct et peut agir en Ãªtre raisonnable.
Lorsque l'homme meurt, il Ã©chappe Ã ces lois de la pesanteur qui le faisaient toujours retomber sur la terre.
[113]Lorsque l'Ã¢me a expiÃ© ses fautes, elle devient assez forte pour quitter les tÃ©nÃ¨bres extÃ©rieures
de l'atmosphÃ¨re terrestre et pour monter vers le soleil.
×××× 80
Alors commence la montÃ©e Ã©ternelle de l'Ã©chelle sainte, car l'Ã©ternitÃ© des Ã©lus ne saurait Ãªtre
oisive; ils vont de vertus en vertus, de fÃ©licitÃ© en fÃ©licitÃ©, de triomphe en triomphe, de splendeur en
splendeur.
La chaÃ®ne toutefois ne saurait Ãªtre interrompue et ceux des plus hauts degrÃ©s peuvent encore exercer
une influence sur les plus bas, mais suivant l'ordre hiÃ©rarchique, et de la mÃªme maniÃ¨re qu'un roi en
gouvernant sagement fait du bien au dernier de ses sujets.
D'Ã©chelons en Ã©chelons, les priÃ¨res montent et les grÃ¢ces descendent sans se tromper jamais de
chemin.
Mais les esprits une fois montÃ©s ne redescendent plus, car Ã mesure qu'ils montent les degrÃ©s se
solidifient sous leurs pieds.
Le grand chaos s'est affermi, dit Abraham, dans la parabole du mauvais riche; et ceux qui sont ici ne peuvent
plus descendre lÃ -bas.
L'extase peut exalter les forces du corps sidÃ©ral au point de lui faire entraÃ®ner dans son Ã©lan le corps
matÃ©riel, ce qui prouve que la destinÃ©e de l'Ã¢me est de monter.
Les faits de suspension aÃ©rienne sont possibles: mais il est sans exemple qu'un homme ait pu vivre sous
terre ou dans l'eau.
Il serait Ã©galement impossible qu'une Ã¢me sÃ©parÃ©e de son corps pÃ»t vivre, mÃªme un seul instant,
dans l'Ã©paisseur de notre atmosphÃ¨re. Les Ã¢mes des morts ne sont donc pas autour de nous [114] comme
le supposent les tourneurs de tables. Ceux que nous aimons peuvent nous voir encore et nous apparaÃ®tre,
mais seulement par mirage et par reflet dans le miroir commun qui est la lumiÃ¨re. Ils ne peuvent plus
d'ailleurs s'intÃ©resser aux choses mortelles, et ne tiennent plus Ã nous que par ceux de nos sentiments qui
sont assez Ã©levÃ©s pour avoir encore quelque chose de conforme ou d'analogue Ã leur vie dans
l'Ã©ternitÃ©.
Telles sont les rÃ©vÃ©lations de la haute kabbale contenues et cachÃ©es dans le livre mystÃ©rieux de
Sohar. RÃ©vÃ©lations hypothÃ©tiques sans doute pour la science, mais appuyÃ©es sur une sÃ©rie
d'inductions rigoureuses en partant des faits mÃªmes que la science conteste le moins; or il faut aborder ici un
des secrets les plus dangereux de la magie. C'est l'hypothÃ¨se plus que probable de l'existence des larves
fluidiques connues dans l'ancienne thÃ©urgie sous le nom d'esprits Ã©lÃ©mentaires. Nous en avons dit
quelques mots dans notre Dogme et rituel de la haute magie 7, et le malheureux abbÃ© de Villars, qui
s'Ã©tait jouÃ© de ces terribles rÃ©vÃ©lations, a payÃ© de sa vie son imprudence. Ce secret est dangereux
en ce qu'il touche de prÃ¨s au grand arcane magique. En effet, Ã©voquer les esprits Ã©lÃ©mentaires, c'est
avoir la puissance de coaguler les fluides par une projection de lumiÃ¨re astrale. Or cette puissance ainsi
dirigÃ©e ne peut produire que des dÃ©sordres et des malheurs comme nous le prouverons plus tard. Voici
maintenant la thÃ©orie de l'hypothÃ¨se avec les preuves de la probabilitÃ©:
L'esprit est partout, c'est lui qui anime la matiÃ¨re; il se [115] dÃ©gage de la pesanteur en perfectionnant son
enveloppe qui est sa forme. Nous voyons, en effet, la forme progresser avec les instincts jusqu'Ã l'intelligence
et la beautÃ©; ce sont les efforts de la lumiÃ¨re attirÃ©e par l'attrait de l'esprit, c'est le mystÃ¨re de la
gÃ©nÃ©ration progressive et universelle.
Note 7: (retour) Dogme et Rituel de la haute magie, 1856, 2 vol. in-8 avec 23 fig.
×××× 81
La lumiÃ¨re est l'agent efficient des formes et de la vie, parce qu'elle est en mÃªme temps mouvement et
chaleur. Lorsqu'elle parvient Ã se fixer et Ã se polariser autour d'un centre, elle produit un Ãªtre vivant, puis
elle attire pour le perfectionner et le conserver toute la substance plastique nÃ©cessaire. Cette substance
plastique formÃ©e en derniÃ¨re analyse de terre et d'eau, a Ã©tÃ© avec raison appelÃ©e dans la Bible le
limon de la terre.
Mais la lumiÃ¨re n'est point l'esprit, comme le croient les hiÃ©rophantes indiens, et toutes les Ã©coles de
goÃ©tie; elle est seulement l'instrument de l'esprit. Elle n'est point le corps du protoplastes, comme le
faisaient entendre les thÃ©urgistes de l'Ã©cole d'Alexandrie; elle est la premiÃ¨re manifestation physique du
souffle divin. Dieu la crÃ©e Ã©ternellement, et l'homme, Ã l'image de Dieu, la modifie et semble la
multiplier.
PromÃ©thÃ©e, dit la fable, ayant dÃ©robÃ© le feu du ciel, anima des images faites de terre et d'eau, et c'est
pour ce crime qu'il fut enchaÃ®nÃ© et foudroyÃ© par Jupiter.
Les esprits Ã©lÃ©mentaires, disent les kabbalistes dans leurs livres les plus secrets, sont les enfants de la
solitude d'Adam; ils sont nÃ©s de ses rÃªves, lorsqu'il aspirait Ã la femme que Dieu ne lui avait pas
donnÃ©e encore.
Paracelse dit que le sang perdu, soit rÃ©guliÃ¨rement, soit en rÃªve, par les cÃ©libataires des deux sexes,
peuple l'air de fantÃ´mes.
[116]Nous croyons indiquer assez clairement ici, d'aprÃ¨s les maÃ®tres, l'origine supposÃ©e de ces larves
sans qu'il soit besoin de nous expliquer davantage.
Ces larves ont donc un corps aÃ©rien formÃ© de la vapeur du sang. C'est pour cela qu'elles cherchent le sang
rÃ©pandu et se nourrissaient autrefois de la fumÃ©e des sacrifices.
Ce sont les enfants monstrueux de ces cauchemars impurs qu'on appelait autrefois les incubes et les succubes.
Lorsqu'ils sont assez condensÃ©s pour Ãªtre vus, ce n'est qu'une vapeur colorÃ©e par le reflet d'une image;
ils n'ont pas de vie propre, mais ils imitent la vie de celui qui les Ã©voque comme l'ombre imite le corps.
Ils se produisent surtout autour des idiots et des Ãªtres sans moralitÃ© que leur isolement abandonne Ã des
habitudes dÃ©rÃ©glÃ©es.
La cohÃ©sion des parties de leur corps fantastique Ã©tant trÃ¨s faible, ils craignent le grand air, le grand feu
et surtout la pointe des Ã©pÃ©es.
Ils deviennent en quelque sorte des appendices vaporeux du corps rÃ©el de leurs parents, puisqu'ils ne vivent
que de la vie de ceux qui les ont crÃ©Ã©s ou qui se les approprient en les Ã©voquant. En sorte que si on
blesse leurs apparences de corps, le pÃ¨re peut Ãªtre rÃ©ellement blessÃ©, comme l'enfant non encore nÃ©
est rÃ©ellement blessÃ© ou dÃ©figurÃ© par les imaginations de sa mÃ¨re.
Le monde entier est plein de phÃ©nomÃ¨nes qui justifient ces rÃ©vÃ©lations singuliÃ¨res et ne peuvent
s'expliquer que par elles.
[117]Ces larves attirent Ã elles la chaleur vitale des personnes bien portantes, et Ã©puisent rapidement celles
qui sont faibles.
×××× 82
De lÃ sont venues les histoires de vampires, histoires affreusement rÃ©elles et pÃ©riodiquement
constatÃ©es comme chacun sait.
C'est pour cela qu'Ã l'approche des mÃ©diums, c'est-Ã -dire des personnes obsÃ©dÃ©es par les larves, on
sent un refroidissement dans l'atmosphÃ¨re.
Ces larves ne devant l'existence qu'aux mensonges de l'imagination exaltÃ©e et au dÃ©rÃ¨glement des sens,
ne se produisent jamais en prÃ©sence d'une personne qui sait et qui peut dÃ©voiler le mystÃ¨re de leur
monstrueuse naissance.
[118]
LIVRE II
FORMATION ET RÃALISATIONS DU DOGME.
×, Beth.
CHAPITRE PREMIER.
SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE.

SOMMAIRE.--Le pantacle Ã©dÃ©nique.--Le chÃ©rub.--Les enfants de CaÃ¯n.--Secrets magiques de la
tour de Babel.--MalÃ©diction des descendants de Chanaan.--AnathÃ¨me portÃ© contre les
sorciers.--Grandeurs et dÃ©cadences du dogme en Egypte, en GrÃ¨ce et Ã Rome.--Naissance de la
philosophie sceptique.--Guerre de l'empirisme contre la magie.--Scepticisme tempÃ©rÃ© de Socrate.--Essai
de synthÃ¨se de Platon.--Rationalisme d'Aristote.--Le sacerdoce et la science.
Il ne nous appartient pas d'expliquer l'Ãcriture sainte au point de vue religieux et dogmatique. Soumis avant
toute chose Ã l'ordre hiÃ©rarchique, nous laissons la thÃ©ologie aux docteurs de l'Ãglise et nous rendons Ã
la science humaine tout ce qui est du domaine de l'expÃ©rience et de la raison. Lors donc que nous paraissons
risquer une application nouvelle d'un passage de la Bible ou de l'Ãvangile, c'est toujours sauf le respect des
dÃ©cisions ecclÃ©siastiques. Nous ne dogmatisons pas, nous soumettons aux autoritÃ©s lÃ©gitimes nos
observations et nos Ã©tudes.
Ce qui nous frappe tout d'abord en lisant dans le livre sacrÃ© de MoÃ¯se l'histoire originelle du genre
humain, c'est la description [119] du paradis terrestre qui se rÃ©sume dans la figure d'un pantacle parfait. Il
est circulaire ou carrÃ©, puisqu'il est arrosÃ© Ã©galement par quatre fleuves disposÃ©s en croix, et au
centre se trouvent les deux arbres qui reprÃ©sentent la science et la vie, l'intelligence stable et le mouvement
progressif, la sagesse et la crÃ©ation. Autour de l'arbre de la science se roule le serpent d'AsclÃ©pios et
LIVRE II 83
d'HermÃ¨s: au pied de l'arbre sont l'homme et la femme, l'actif et le passif, l'intelligence et l'amour. Le
serpent, symbole de l'attrait originel et du feu central de la terre, tente la femme qui est la plus faible, et
celle-ci fait succomber l'homme; mais elle ne cÃ¨de au serpent que pour le dompter plus tard, et un jour elle
lui Ã©crasera la tÃªte en donnant un sauveur au monde.
La science tout entiÃ¨re est figurÃ©e dans cet admirable tableau. L'homme abdique le domaine de
l'intelligence en cÃ©dant aux sollicitations de la partie sensitive; il profane le fruit de la science qui doit
nourrir l'Ã¢me en le faisant servir Ã des usages de satisfaction injuste et matÃ©rielle, il perd alors le
sentiment de l'harmonie et de la vÃ©ritÃ©. Il est revÃªtu d'une peau de bÃªte, parce que la forme physique se
conforme toujours tÃ´t ou tard aux dispositions morales; il est chassÃ© du cercle arrosÃ© par les quatre
fleuves de vie, et un chÃ©rub, armÃ© d'une Ã©pÃ©e flamboyante toujours agitÃ©e, l'empÃªche de rentrer
dans le domaine de l'unitÃ©.
Comme nous l'avons fait remarquer dans notre dogme, Voltaire, ayant dÃ©couvert qu'en hÃ©breu un
chÃ©rub signifie un boeuf, s'est fort amusÃ© de cette histoire. Il aurait moins ri s'il avait vu dans l'ange Ã
tÃªte de taureau l'image du symbolisme obscur, et dans le glaive flamboyant et mobile ces Ã©clairs de
vÃ©ritÃ© mal [120] conÃ§ue et trompeuse, qui donnÃ¨rent tant de crÃ©dit aprÃ¨s la chute originelle Ã
l'idolÃ¢trie des nations.
Le glaive flamboyant reprÃ©sentait aussi cette lumiÃ¨re que l'homme ne savait plus diriger et dont il
subissait les atteintes fatales au lieu d'en gouverner la puissance.
Le grand oeuvre magique considÃ©rÃ© d'une maniÃ¨re absolue, c'est la conquÃªte et la direction de
l'Ã©pÃ©e flamboyante du chÃ©rub.
Le chÃ©rub c'est l'ange ou l'Ã¢me de la terre reprÃ©sentÃ©e toujours dans les anciens mystÃ¨res sous la
figure d'un taureau.
C'est pour cela que dans les symboles mitthriaques, on voit le maÃ®tre de la lumiÃ¨re domptant le taureau
terrestre et lui plongeant dans le flanc le glaive qui en fait sortir la vie figurÃ©e par des gouttes de sang.
La premiÃ¨re consÃ©quence du pÃ©chÃ© d'Ãve, c'est la mort d'Abel. En sÃ©parant l'amour de

l'intelligence, Ãve l'a sÃ©parÃ© de la force; la force, devenue aveugle et asservie aux convoitises terrestres,
devient jalouse de l'amour et le tue. Puis les enfants de CaÃ¯n perpÃ©tuent le crime de leur pÃ¨re. Ils mettent
au monde des filles fatalement belles, des filles sans amour, nÃ©es pour la damnation des anges et pour le
scandale des descendants de Seth.
AprÃ¨s le dÃ©luge et Ã la suite de cette prÃ©varication de Cham, dont nous avons dÃ©jÃ indiquÃ© le
mystÃ¨re, les enfants des hommes veulent rÃ©aliser un projet insensÃ©: ils veulent construire un pantacle et
un palais universel. C'est un gigantesque essai de socialisme Ã©galitaire, et le phalanstÃ¨re de Fourier est une
conception bien chÃ©tive auprÃ¨s de la tour de Babel. C'Ã©tait un essai de protestation contre la
hiÃ©rarchie de la science, une [121] citadelle Ã©levÃ©e contre les inondations et la foudre, un promontoire
du haut duquel la tÃªte du peuple divinisÃ© planerait sur l'atmosphÃ¨re et sur les tempÃªtes. Mais on ne
monte pas Ã la science sur des escaliers de pierre; les degrÃ©s hiÃ©rarchiques de l'esprit ne se bÃ¢tissent
pas avec du mortier comme les Ã©tages d'une tour. L'anarchie protesta contre cette hiÃ©rarchie
matÃ©rialisÃ©e. Les hommes ne s'entendirent plus, leÃ§on fatale, si mal comprise par ceux qui de nos jours
ont rÃªvÃ© une autre Babel. Aux doctrines brutalement et matÃ©riellement hiÃ©rarchiques, rÃ©pondent
les nÃ©gations Ã©galitaires: toutes les fois que le genre humain, se bÃ¢tira une tour, on s'en disputera le
sommet, et la tendance des multitudes sera d'en dÃ©serter la base. Pour satisfaire toutes les ambitions, en
rendant le sommet plus large que la base, il faudrait faire une tour branlante au vent qui tomberait au moindre
choc.
SYMBOLISME PRIMITIF DE L'HISTOIRE. 84

La dispersion des hommes fut le premier effet de la malÃ©diction portÃ©e contre les profanateurs enfants de
Cham. Mais la race de Chanaan porta d'une maniÃ¨re toute particuliÃ¨re le poids de cette malÃ©diction qui
devait vouer plus tard leur postÃ©ritÃ© Ã l'anathÃ¨me.
La chastetÃ© conservatrice de la famille est le caractÃ¨re distinctif des initiations hiÃ©rarchiques; la

profanation et la rÃ©volte sont toujours obscÃ¨nes et tendent Ã la promiscuitÃ© infanticide. La souillure
des mystÃ¨res de la naissance, l'attentat contre les enfants, Ã©taient le fond des cultes de l'ancienne Palestine
abandonnÃ©e aux rites horribles de la magie noire. Le dieu noir de l'Inde, le monstrueux Rutrem aux formes
priapesques, y rÃ©gnait sous le nom de BelphÃ©gor.
Les talmudistes et le juif platonicien Philon racontent des [122] choses si honteuses du culte de cette idole
qu'elles ont semblÃ© incroyables au savant jurisconsulte Seldenus. C'Ã©tait, disent-ils, une idole barbue Ã
la bouche bÃ©ante, ayant pour langue un gigantesque phallus; on se dÃ©couvrait sans pudeur devant ce
visage et on lui prÃ©sentait des offrandes stercoraires. Les idoles de Moloch et de Chamos Ã©taient des
machines meurtriÃ¨res qui tantÃ´t broyaient contre leur poitrine de bronze, tantÃ´t consumaient dans leurs
bras rougis au feu de malheureux petits enfants. On dansait au bruit des trompettes et des tambourins pour ne
pas entendre les cris des victimes et les mÃ¨res conduisaient la danse. L'inceste, la sodomie et la bestialitÃ©
Ã©taient des usages reÃ§us chez ces peuples infÃ¢mes et faisaient mÃªme partie des rites sacrÃ©s.
ConsÃ©quence fatale des harmonies universelles! on ne forfait pas impunÃ©ment Ã la vÃ©ritÃ©.

L'homme rÃ©voltÃ© contre Dieu est poussÃ© malgrÃ© lui Ã l'outrage de la nature. Aussi les mÃªmes
causes produisant toujours les mÃªmes effets, le sabbat des sorciers au moyen-Ã¢ge n'Ã©tait qu'une
rÃ©pÃ©tition des fÃªtes de Chamos et de BelphÃ©gor. C'est contre ces crimes qu'un arrÃªt de mort
Ã©ternel est portÃ© par la nature elle-mÃªme. Les adorateurs des dieux noirs, les apÃ´tres de la
promiscuitÃ©, les thÃ©oriciens d'impudeur publique, les ennemis de la famille et de la hiÃ©rarchie, les
anarchistes en religion et en politique sont des ennemis de Dieu et de l'humanitÃ©; ne pas les sÃ©parer du
monde, c'est consentir Ã l'empoisonnement du monde: ainsi raisonnaient les inquisiteurs. Nous sommes loin
de regretter les cruelles exÃ©cutions du moyen Ã¢ge et d'en dÃ©sirer le retour. A mesure que la sociÃ©tÃ©
deviendra [123] plus chrÃ©tienne, elle comprendra de mieux en mieux qu'il faut soigner les malades et non
pas les faire mourir. Les instincts criminels ne sont-ils pas les plus affreuses de toutes les maladies mentales?
N'oublions pas que la haute magie se nomme l'art sacerdotal et l'art royal; elle dut partager en Ãgypte, en
GrÃ¨ce et Ã Rome, les grandeurs et les dÃ©cadences du sacerdoce et de la royautÃ©. Toute philosophie
ennemie du culte et de ses mystÃ¨res est fatalement hostile aux grands pouvoirs politiques, qui perdent leur
grandeur s'ils cessent, aux yeux des multitudes, d'Ãªtre les images de la puissance divine. Toute couronne se
brise lorsqu'elle se heurte contre la tiare.
DÃ©rober le feu du ciel et dÃ©trÃńer les dieux, c'est le rÃªve Ã©ternel de PromÃ©thÃ©e; et le
PromÃ©thÃ©e populaire dÃ©tachÃ© du Caucase par Hercule, qui symbolise le travail, emportera toujours
avec lui ses clous et ses chaÃ®nes; il traÃ®nera toujours son vautour immortel suspendu Ã sa plaie
bÃ©ante, tant qu'il ne viendra pas apprendre l'obÃ©issance et la rÃ©signation aux pieds de celui qui, Ã©tant
nÃ© roi des rois et Dieu des dieux, a voulu avoir Ã son tour les mains clouÃ©s et la poitrine ouverte pour la
conversion de tous les esprits rebelles.
Les institutions rÃ©publicaines, en ouvrant Ã l'intrigue la carriÃ¨re du pouvoir, Ã©branlÃ¨rent fortement les
principes de la hiÃ©rarchie. Le soin de former des rois ne fut plus confiÃ© au sacerdoce, et l'on y supplÃ©a
soit par l'hÃ©rÃ©ditÃ© qui livre le trÃńe aux chances inÃ©gales de la naissance, soit par l'Ã©lection
populaire, qui laisse en dehors l'influence religieuse, pour constituer la monarchie suivant des principes
rÃ©publicains. Ainsi se formÃ¨rent les gouvernements qui prÃ©sidÃ¨rent tour Ã tour aux [124] triomphes
et aux abaissements des Ãtats de la GrÃ¨ce et de Rome. La science renfermÃ©e dans les sanctuaires fut alors
nÃ©gligÃ©e, et des hommes d'audace ou de gÃ©nie, que les initiateurs n'accueillaient pas, inventÃ¨rent une

science qu'ils opposÃ¨rent Ã celle des prÃªtres, ou opposÃ¨rent aux secrets du temple le doute et la
dÃ©nÃ©gation. Ces philosophes, Ã la suite de leur imagination aventureuse, arrivÃ¨rent vite Ã l'absurde et
s'en prirent Ã la nature des dÃ©fauts de leurs propres systÃ¨mes. HÃ©raclite se prit Ã pleurer; DÃ©mocrite
prit le parti de rire, et ils Ã©taient aussi fous l'un que l'autre. Pyrrhon finira par ne croire Ã rien, ce qui ne
sera pas de nature Ã le dÃ©dommager de ne rien savoir. Dans ce chaos philosophique, Socrate apporta un
peu de lumiÃ¨re et de bon sens en affirmant l'existence pure et simple de la morale. Mais qu'est-ce qu'une
morale sans religion? Le dÃ©isme abstrait de Socrate se traduisait pour le peuple par l'athÃ©isme; Socrate
manquait absolument de dogme, Platon son disciple essaya de lui en donner un auquel Socrate avouait n'avoir
jamais songÃ©.
La doctrine de Platon fait Ã©poque, dans l'histoire du gÃ©nie humain, mais ce philosophe ne l'avait pas
inventÃ©e, et, comprenant qu'il n'y a pas de vÃ©ritÃ© en dehors de la religion, il alla consulter les prÃªtres
de Memphis et se fit initier Ã leurs mystÃ¨res. On croit mÃªme qu'il eut connaissance des livres sacrÃ©s des
hÃ©breux. Il ne put toutefois recevoir en Ãgypte qu'une initiation imparfaite, car les prÃªtres eux-mÃªmes
avaient oubliÃ© alors le sens des hiÃ©roglyphes primitifs. Nous en avons la preuve dans l'histoire du prÃªtre
qui passa trois jours Ã dÃ©chiffrer une inscription hiÃ©ratique trouvÃ©e dans le tombeau d'AlcmÃ¨ne, et
[125] envoyÃ©e par AgÃ©silas, roi de Sparte. Cornuphis, qui Ã©tait sans doute le plus savant des
hiÃ©rophantes, consulta tous les anciens recueils de signes et de caractÃ¨res, et dÃ©couvrit enfin que cette
inscription Ã©tait faite en caractÃ¨res de prothÃ©e; or le prothÃ©e Ã©tait le nom qu'on donnait en GrÃ¨ce
au livre de Thoth, dont les hiÃ©roglyphes mobiles pouvaient prendre autant de formes qu'il y a de
combinaisons possibles au moyen des caractÃ¨res, des nombres, et des figures Ã©lÃ©mentaires. Mais le
livre de Thoth Ã©tant la clef des oracles et le livre Ã©lÃ©mentaire de la science, comment Cornuphis, s'il
Ã©tait vraiment instruit dans l'art sacerdotal, avait-il dÃ» chercher si longtemps avant d'en reconnaÃ®tre les
signes? Une autre preuve de l'obscurcissement des vÃ©ritÃ©s premiÃ¨res de la science Ã cette Ã©poque,
c'est que les oracles s'en plaignaient dans un style qui n'Ã©tait dÃ©jÃ plus compris.

Lorsque Platon, Ã son retour d'Ãgypte, voyageait avec Simmias prÃ¨s des confins de la Carie, il rencontra
des hommes de DÃ©los qui le priÃ¨rent de leur expliquer un oracle d'Apollon. Cet oracle disait que pour
faire cesser les maux de la GrÃ¨ce il fallait doubler la pierre cubique. Les DÃ©liens avaient donc essayÃ© de
doubler une pierre cubique qui se trouvait dans le temple d'Apollon. Mais en la doublant de tous cÃ´tÃ©s ils
n'Ã©taient parvenus qu'Ã faire un polyÃ¨dre Ã vingt-cinq faces, et pour revenir Ã la forme cubique ils
avaient dÃ» augmenter vingt-six fois, et en le doublant toujours, le volume primitif de la pierre. Platon
renvoya les Ã©missaires dÃ©liens au mathÃ©maticien Eudoxe, et leur dit que l'oracle leur conseillait
l'Ã©tude de la gÃ©omÃ©trie. Ne comprit-il pas lui-mÃªme le sens profond de cette figure, ou ne daigna-t-il
pas l'expliquer Ã ces ignorants, c'est [126] ce que nous ne saurions dire. Mais ce qui est certain, c'est que la
pierre cubique et sa multiplication expliquent tous les secrets des nombres sacrÃ©s, et surtout celui du
mouvement perpÃ©tuel cachÃ© par les adeptes et cherchÃ© par les sots sous le nom de quadrature du
cercle. Par cette agglomÃ©ration cubique de vingt-six cubes autour d'un cube central, l'oracle avait fait
trouver aux DÃ©liens non seulement les Ã©lÃ©ments de la gÃ©omÃ©trie mais encore la clef des
harmonies de la crÃ©ation expliquÃ©es par l'enchaÃ®nement des formes et des nombres. Le plan de tous les
grands temples allÃ©goriques de l'antiquitÃ© se retrouve dans cette multiplication, du cube par la croix

d'abord autour de laquelle on peut dÃ©crire un cercle, puis la croix cubique qui peut se mouvoir dans un
globe. Toutes ces notions qu'une figure fera mieux comprendre, ont Ã©tÃ© conservÃ©es jusqu'Ã nos jours
dans les initiations maÃ§onniques, et justifient parfaitement le nom donnÃ© aux associations modernes, car
elles sont aussi les principes fondamentaux de l'architecture et de la science du bÃ¢timent.
Les DÃ©liens avaient cru rÃ©soudre la question gÃ©omÃ©trique en diminuant de moitiÃ© leur
multiplication, mais ils avaient encore trouvÃ© huit fois le volume de leur pierre cubique. On peut du reste,
augmenter Ã plaisir le nombre de leurs essais: car cette histoire n'est peut-Ãªtre autre chose qu'un problÃ¨me
proposÃ© par Platon lui-mÃªme Ã ses disciples. S'il faut admettre comme un fait la rÃ©ponse de l'oracle,
nous y trouverons un sens plus Ã©tendu encore, car doubler la pierre cubique c'est faire sortir le binaire de
l'unitÃ©, la forme de l'idÃ©e, l'action de la pensÃ©e. C'est rÃ©aliser dans le monde l'exactitude des
mathÃ©matiques [127] Ã©ternelles, c'est Ã©tablir la politique sur la base des sciences exactes, c'est
conformer le dogme religieux Ã la philosophie des nombres.
Platon a moins de profondeur mais plus d'Ã©loquence que Pythagore. Il essaye de concilier la philosophie
des raisonneurs avec les dogmes immuables des voyants; il ne veut pas vulgariser, il veut reconstituer la
science. Aussi sa philosophie devait-elle fournir plus tard au christianisme naissant des thÃ©ories toutes
prÃªtes et des dogmes Ã vivifier.
Toutefois, bien qu'il fondÃ¢t ses thÃ©orÃ¨mes sur les mathÃ©matiques, Platon, abondant en formes
harmonieuses et prodigue de merveilleuses hypothÃ¨ses, fut plus poÃ«te que gÃ©omÃ¨tre. Un gÃ©nie
exclusivement calculateur, Aristote, devait tout remettre en question dans les Ã©coles, et tout soumettre aux
Ã©preuves des Ã©volutions numÃ©rales et de la logique des calculs. Aristote, excluant la foi platonicienne,
veut tout prouver et tout renfermer dans ses catÃ©gories; il traduit le ternaire en syllogisme et le binaire en
enthymÃ¨me. La chaÃ®ne des Ãªtres pour lui devient un sorite. Il veut tout abstraire, tout raisonner; l'Ãtre
mÃªme devient pour lui une abstraction perdue dans les hypothÃ¨ses de l'ontologie. Platon inspirera les
PÃ¨res de l'Ãglise, Aristote sera le maÃ®tre des scolastiques du moyen Ã¢ge, et Dieu sait combien
s'amasseront de tÃ©nÃ¨bres autour de cette logique qui ne croit Ã rien et qui prÃ©tend tout expliquer. Une
seconde Babel se prÃ©pare, et la confusion des langues n'est pas loin.
L'Ãtre est l'Ãtre, la raison de l'Ãtre est dans l'Ãtre. Dans le principe est le Verbe et le Verbe (Î»Î¿Î³Î¿Ï) est la
logique formulÃ©e en parole, la raison parlÃ©e; le Verbe est en Dieu et le Verbe est Dieu mÃªme
manifestÃ© Ã l'intelligence. VoilÃ ce qui est [128][128] au-dessus de toutes les philosophies. VoilÃ ce
qu'il faut croire sous peine de ne jamais rien savoir et de retomber dans le doute absurde de Pyrrhon. Le
sacerdoce gardien de la foi repose tout entier sur cette base de la science, et c'est dans son enseignement qu'il
faut saluer le principe divin du Verbe Ã©ternel.
CHAPITRE II
LE MYSTICISME.
SOMMAIRE.--Origine et effets du mysticisme.--Il matÃ©rialise les signes sous prÃ©texte de spiritualiser la
matiÃ¨re.--Il se concilie avec tous les vices; il persÃ©cute les sages; il est contagieux.--Apparitions, prodiges
infernaux.--Fanatisme des sectaires.--Magie noire Ã l'aide des mots et des signes inconnus.--PhÃ©nomÃ¨nes
des maladies hystÃ©riques.--ThÃ©orie des hallucinations.
CHAPITRE II 88
La lÃ©gitimitÃ© de droit divin appartient tellement au sacerdoce que sans elle le vrai sacerdoce n'existe pas.
L'initiation et la consÃ©cration ont une vÃ©ritable hÃ©rÃ©ditÃ©.
Ainsi le sanctuaire est inviolable pour les profanes et ne peut Ãªtre envahi par les sectaires.
Ainsi les lumiÃ¨res de la rÃ©vÃ©lation divine se distribuent avec une suprÃªme raison, parce qu'elles
descendent avec ordre et harmonie. Dieu n'Ã©claire pas le monde avec des mÃ©tÃ©ores et des foudres,
mais il fait graviter paisiblement les univers chacun autour de son soleil.
Types Egyptiens de la CoÃ«tie et de la NÃ©cromancie.
Cette harmonie tourmente certaines Ã¢mes impatientes du devoir, et [129] viennent des hommes qui ne
pouvant forcer la rÃ©vÃ©lation Ã s'accorder avec leurs vices, se posent en rÃ©formateurs de la morale.
Â«Si Dieu a parlÃ©, disent-ils, comme Rousseau, pourquoi n'en ai-je rien entendu?Â»--BientÃ´t ils ajoutent:
Â«Il a parlÃ©, mais c'est Ã moi;Â» ils l'ont rÃªvÃ©, et ils finissent par le croire. Ainsi commencent les
sectaires, ces fauteurs d'anarchie religieuse que nous ne voudrions pas voir livrer aux flammes, mais qu'il
LE MYSTICISME. 89
faudrait enfermer comme des fous contagieux.
Ainsi se formÃ¨rent les Ã©coles mystiques profanatrices de la science. Nous avons vu par quels
procÃ©dÃ©s les fakirs de l'Inde arrivaient par des Ã©rÃ©thismes nerveux et des congestions
cÃ©rÃ©brales Ã ce qu'ils appelaient la lumiÃ¨re incrÃ©Ã©e. L'Egypte eut aussi ses sorciers et ses
enchanteurs, et la Thessalie en GrÃ¨ce fut pleine de conjurations et de malÃ©fices. Se mettre directement en
rapport avec les dÃ©mons et les dieux, c'est supprimer le sacerdoce, c'est renverser la base du trÃńe;
l'instinct anarchique des prÃ©tendus illuminÃ©s le savait bien. Aussi est-ce par l'attrait de la licence qu'ils
espÃ©raient recruter des disciples, et ils donnaient d'avance l'absolution Ã tous les scandales des moeurs, se
contentant de la rigiditÃ© dans la rÃ©volte et de l'Ã©nergie dans la protestation contre la lÃ©gitimitÃ©
sacerdotale.
Les bacchantes qui dÃ©chirÃ¨rent OrphÃ©e se croyaient inspirÃ©es d'un dieu, et sacrifiÃ¨rent le grand
hiÃ©rophante Ã leur ivresse divinisÃ©e. Les orgies de Bacchus Ã©taient des excitations mystiques, et
toujours les sectaires de la folie procÃ©dÃ¨rent par mouvements dÃ©rÃ©glÃ©s, excitations
frÃ©nÃ©tiques et dÃ©goÃ»tantes convulsions; depuis les prÃªtres effÃ©minÃ©s de Bacchus jusqu'aux
gnostiques; depuis les derviches tourneurs jusqu'aux Ã©pileptiques [130] de la tombe du diacre PÃ¢ris, le
caractÃ¨re de l'exaltation superstitieuse et fanatique est toujours le mÃªme.
C'est toujours sous prÃ©texte d'Ã©purer le dogme, c'est au nom d'un spiritualisme outrÃ© que les mystiques
de tous les temps ont matÃ©rialisÃ© les signes du culte. Il en est de mÃªme des profanateurs de la science
des mages, car la haute magie, ne l'oublions pas, c'est l'art sacerdotal primitif. Elle rÃ©prouve tout ce qui se
fait en dehors de la hiÃ©rarchie lÃ©gitime et applaudit non pas au supplice, mais Ã la condamnation des
sectaires et des sorciers.
Nous rapprochons Ã dessein ces deux qualifications, tous les sectaires ont Ã©tÃ© des Ã©vocateurs d'esprits
et de fantÃ´mes qu'ils donnaient au monde pour des dieux; ils se flattaient tous d'opÃ©rer des miracles Ã
l'appui de leurs mensonges. A ces titres donc ils Ã©taient tous des goÃ©tiens, c'est-Ã -dire de vÃ©ritables
opÃ©rateurs de magie noire.
L'anarchie Ã©tant le point de dÃ©part et le caractÃ¨re distinctif du mysticisme dissident, la concorde

religieuse est impossible entre sectaires, mais ils s'entendent Ã merveille sur un point: c'est la haine de
l'autoritÃ© hiÃ©rarchique et lÃ©gitime. En cela donc consiste rÃ©ellement leur religion, puisque c'est le
seul lien qui les rattache les uns aux autres. C'est toujours le crime de Cham; c'est le mÃ©pris du principe de
la famille, et l'outrage infligÃ© au pÃ¨re, dont tous les dissidents proclament hautement l'ivresse, dont ils
dÃ©couvrent avec des rires sacrilÃ¨ges la nuditÃ© et le sommeil.
Les mystiques anarchistes confondent tous la lumiÃ¨re, intellectuelle avec la lumiÃ¨re astrale; ils adorent le
serpent au [131] lieu de rÃ©vÃ©rer la sagesse obÃ©issante et pure qui lui met le pied sur la tÃªte. Aussi
s'enivrent-ils de vertiges et ne tardent-ils pas Ã tomber dans l'abÃ®me de la folie.
Les fous sont tous des visionnaires et souvent ils peuvent se croire des thaumaturges, car l'hallucination
Ã©tant contagieuse, il se passe souvent ou il semble se passer autour des fous des choses inexplicables.
D'ailleurs les phÃ©nomÃ¨nes de la lumiÃ¨re astrale attirÃ©e ou projetÃ©e avec excÃ¨s, sont eux-mÃªmes
de nature Ã dÃ©concerter les demi-savants. En s'accumulant dans les corps, elle leur donne, par la distension
violente des molÃ©cules, une telle Ã©lasticitÃ©, que les os peuvent se tordre, les muscles s'allonger outre
mesure. Il se forme des tourbillons et comme des trombes de cette lumiÃ¨re, qui soulÃ¨vent les corps les plus
pesants et peuvent les soutenir en l'air pendant un temps proportionnel Ã la force de projection. Les malades
se sentent alors comme prÃªts d'Ã©clater, et sollicitent des secours par compression et percussion. Les coups
les plus violents et la compression la plus forte Ã©tant alors Ã©quilibrÃ©s par la tension fluidique, ne font ni
contusions ni blessures, et soulagent le patient au lieu de l'Ã©touffer.
LE MYSTICISME. 90
Les fous prennent les mÃ©decins en horreur et les mystiques hallucinÃ©s dÃ©testent les sages, ils les fuient
d'abord, ils les persÃ©cutent ensuite fatalement et malgrÃ© eux; s'ils sont doux et indulgents, c'est pour les
vices; la raison soumise Ã l'autoritÃ© les trouve implacables: les sectaires en apparence les plus doux sont
pris de fureur et de haine, lorsqu'on leur parle de soumission et de hiÃ©rarchie. Toujours les hÃ©rÃ©sies ont
occasionnÃ© des troubles. Si un faux prophÃ¨te ne pervertit pas, il faut qu'il tue. Ils rÃ©clament Ã grands
cris la tolÃ©rance pour eux, mais ils se gardent bien d'en faire usage envers les autres. Les [132] protestants
dÃ©clamaient contre les bÃ»chers de Rome Ã l'Ã©poque mÃªme oÃ¹ Jean Calvin, de son autoritÃ©
privÃ©e, faisait brÃ»ler Michel Servet.
Ce sont les crimes des donatistes, des circoncellions et de tant d'autres qui ont forcÃ© les princes catholiques
Ã sÃ©vir, et l'Ãglise mÃªme Ã leur abandonner les coupables. Ne dirait-on pas Ã entendre les
gÃ©missements de l'irrÃ©ligion que les vaudois, les albigeois et les hussites Ã©taient des agneaux?
Ãtaient-ce des innocents que ces sombres puritains d'Ãcosse et d'Angleterre qui tenaient le poignard d'une
main et la Bible de l'autre en prÃªchant l'extermination des catholiques? Une seule Ã©glise au milieu de tant
de reprÃ©sailles et d'horreurs Ã toujours posÃ© et maintenu en principe son horreur du sang: c'est l'Ã©glise
hiÃ©rarchique et lÃ©gitime.
L'Ãglise, en admettant la possibilitÃ© et l'existence des miracles diaboliques, reconnaÃ®t l'existence d'une
force naturelle dont on peut se servir, soit pour le bien, soit pour le mal. Aussi a-t-elle sagement dÃ©cidÃ©
que si la saintetÃ© de la doctrine peut lÃ©gitimer le miracle, le miracle seul ne peut jamais autoriser les
nouveautÃ©s de la doctrine.
Dire que Dieu, dont les lois sont parfaites et ne se dÃ©mentent jamais, se sert d'un moyen naturel pour
opÃ©rer les choses qui nous semblent surnaturelles, c'est affirmer la raison suprÃªme et le pouvoir immuable
de Dieu, c'est agrandir l'idÃ©e que nous avons de sa providence; ce n'est point nier son intervention dans les
merveilles qui s'opÃ¨rent en faveur de la vÃ©ritÃ©, que les catholiques sincÃ¨res le comprennent bien.
Les faux miracles occasionnÃ©s par les congestions astrales ont [133] toujours une tendance anarchique et
immorale, parce que le dÃ©sordre appelle le dÃ©sordre. Aussi les dieux et les gÃ©nies des sectaires sont-ils
avides de sang et promettent-ils ordinairement leur protection au prix du meurtre. Les idolÃ¢tres de la Syrie et
de la JudÃ©e se faisaient des oracles avec des tÃªtes d'enfants qu'ils arrachaient violemment du corps de ces
pauvres petites crÃ©atures. Ils faisaient sÃ©cher ces tÃªtes, et aprÃ¨s leur avoir mis sous la langue une lame
d'or avec des caractÃ¨res inconnus, ils les plaÃ§aient dans des creux pratiquÃ©s dans la muraille, leur
faisaient un corps de plantes magiques environnÃ©es de bandelettes, allumaient une lampe devant ces
affreuses idoles, leur offraient de l'encens et venaient religieusement les consulter; ils croyaient entendre
parler cette tÃªte dont les derniers cris d'angoisse avaient sans doute Ã©branlÃ© leur imagination. D'ailleurs
nous avons dit que le sang attire les larves. Dans les sacrifices infernaux, les anciens creusaient une fosse et la
remplissaient de sang tiÃ¨de et fumant; ils voyaient alors ramper, monter, descendre, accourir du creux de la
terre, de toutes les profondeurs de la nuit, des ombres dÃ©biles et pÃ¢les. Ils traÃ§aient avec la pointe de
l'Ã©pÃ©e sanglante le cercle des Ã©vocations, allumaient des feux de laurier, d'aulne et de cyprÃ¨s sur des
autels couronnÃ©s d'asphodÃ¨le et de verveine, la nuit alors semblait devenir plus froide et plus sombre, la
lune se cachait sous les nuages, et l'on entendait le faible frÃ´lement des fantÃ´mes qui se pressaient autour
du cercle pendant que les chiens hurlaient lamentablement dans toute la campagne.
Pour tout pouvoir, il faut tout oser, tel Ã©tait le principe des [134] enchantements et de leurs horreurs. Les
faux magiciens se liaient par le crime, et ils se croyaient capables de faire peur aux autres quand ils Ã©taient
parvenus Ã s'Ã©pouvanter eux-mÃªmes. Les rites de la magie noire sont restÃ©s horribles comme les cultes
impies qu'elle avait produits, soit dans les associations de malfaiteurs conspirant contre les civilisations
antiques, soit chez les peuplades barbares. C'est toujours le mÃªme amour des tÃ©nÃ¨bres, ce sont toujours
les mÃªmes profanations, les mÃªmes prescriptions sanglantes. La magie anarchique est le culte de mort. Le
sorcier s'abandonne Ã la fatalitÃ©, il abjure sa raison, il renonce Ã l'espÃ©rance de l'immortalitÃ© et il
LE MYSTICISME. 91
immole des enfants. Il renonce au mariage honnÃªte et fait voeu de dÃ©bauche stÃ©rile. A ces conditions il
jouit de la plÃ©nitude de sa folie, il s'enivre de sa mÃ©chancetÃ© au point de la croire toute-puissante, et
transformant en rÃ©alitÃ© ses hallucinations, il se croit maÃ®tre d'Ã©voquer Ã son grÃ© toute la tombe et
tout l'enfer.
Les mots barbares et les signes inconnus ou mÃªme absolument insignifiants sont les meilleurs en magie
noire. On s'hallucine mieux avec des pratiques ridicules et des Ã©vocations imbÃ©ciles que par des rites ou
des formules capables de tenir l'intelligence en Ã©veil. M. Du Potet affirme avoir expÃ©rimentÃ© la
puissance de certains signes sur les crisiaques, et les signes qu'il trace de sa main dans son livre occulte, avec
prÃ©caution et mystÃ¨re, sont analogues, sinon absolument semblables, aux prÃ©tendues signatures
diaboliques qui se trouvent dans les anciennes Ã©ditions du grand grimoire. Les mÃªmes causes doivent
produire toujours les mÃªmes effets, et il n'y a rien de nouveau sous la lune des sorciers, non plus que sous le
soleil des sages.
[135]L'Ã©tat d'hallucination permanent est une mort ou une abdication de la conscience; on est alors livrÃ©
Ã tous les hasards de la fatalitÃ© des rÃªves. Chaque souvenir apporte son reflet, chaque mauvais dÃ©sir
crÃ©e une image, chaque remords enfante un cauchemar. La vie devient celle d'un animal, mais d'un animal
ombrageux et tourmentÃ©. On n'a plus conscience ni de la morale ni du temps. Les rÃ©alitÃ©s n'existent
plus, tout danse dans le tourbillon des formes les plus insensÃ©es. Une heure semble parfois durer des
siÃ¨cles; des annÃ©es peuvent passer avec la rapiditÃ© d'une heure.
Notre cerveau, tout phosphorescent de lumiÃ¨re astrale, est plein de reflets et de figures sans nombre. Quand
nous fermons les yeux, il nous semble souvent qu'un panorama tantÃ´t brillant, tantÃ´t sombre et terrible, se
dÃ©roule sous notre paupiÃ¨re. Un malade atteint de la fiÃ¨vre ferme Ã peine les yeux pendant la nuit, qu'il
est Ã©bloui souvent par une insupportable clartÃ©. Notre systÃ¨me nerveux, qui est un appareil Ã©lectrique
complet, concentre la lumiÃ¨re dans le cerveau, qui est le pÃ´le nÃ©gatif de l'appareil, ou la projette par les
extrÃ©mitÃ©s qui sont les pointes destinÃ©es Ã remettre en circulation notre fluide vital. Quand le cerveau
attire violemment une sÃ©rie d'images analogues Ã une passion qui a rompu l'Ã©quilibre de la machine,
l'Ã©change de lumiÃ¨re ne se fait plus, la respiration astrale s'arrÃªte et la lumiÃ¨re dÃ©voyÃ©e se coagule
en quelque sorte dans le cerveau. Aussi les hallucinÃ©s ont-ils les sensations les plus fausses et les plus
perverses. Il en est qui trouvent de la jouissance Ã se dÃ©couper la peau en laniÃ¨res et Ã s'Ã©corcher
lentement, d'autres [136] mangent et savourent les substances les moins faites pour servir de nourriture. M. le
docteur Brierre de Boismont, dans son savant TraitÃ© des hallucinations 8, a rassemblÃ© plusieurs sÃ©ries
d'observations excessivement curieuses; tous les excÃ¨s de la vie, soit en bien mal compris, soit en mal non
combattu, peuvent exalter le cerveau et y produire des stagnations de lumiÃ¨re. L'ambition excessive, les
prÃ©tentions orgueilleuses Ã la saintetÃ©, une continence pleine de scrupules et de dÃ©sirs, des passions
honteuses satisfaites malgrÃ© les avertissements rÃ©itÃ©rÃ©s du remords: tout cela conduit Ã
l'Ã©vanouissement de la raison, Ã l'extase morbide, Ã l'hystÃ©rie, aux visions, Ã la folie. Un homme n'est
pas fou, remarque le savant docteur, parce qu'il a des visions, mais parce qu'il croit plus Ã ses visions qu'au
sens commun. C'est donc l'obÃ©issance et l'autoritÃ© seules qui peuvent sauver les mystiques; s'ils ont en
eux-mÃªmes une confiance obstinÃ©e, il n'y a plus de remÃ¨de, ils sont dÃ©jÃ les excommuniÃ©s de la
raison et de la foi: ce sont les aliÃ©nÃ©s de la charitÃ© universelle. Ils se croient plus sages que la
sociÃ©tÃ©; ils croient former une religion, et ils sont seuls; ils pensent avoir dÃ©robÃ© pour leur usage
personnel les clefs secrÃ¨tes de la vie, et leur intelligence est dÃ©jÃ tombÃ©e dans la mort.
Note 8: (retour) Brierre de Boismont, Des hallucinations, ou histoire raisonnÃ©e des

apparitions, des visions, des songes, de l'extase, du magnÃ©tisme et du somnambulisme, 2e
Ã©dition, 1852, 1 vol. in-8.
[137]
LE MYSTICISME. 92
CHAPITRE III.
INITIATIONS ET ÃPREUVES.
SOMMAIRE.--La doctrine secrÃ¨te de Platon.--ThÃ©osophie et thÃ©urgie.--L'antre de
Trophonius.--Origines des fables de l'AchÃ©ron et du TÃ©nare.--Le tableau symbolique de CÃ©bÃ¨s.--Les
doctrines ultra-mondaines du PhÃ©don.--La sÃ©pulture des morts.--Sacrifices pour apaiser les mÃ¢nes.
Ce que les adeptes nomment le grand oeuvre n'est pas seulement la transmutation des mÃ©taux, c'est aussi et
surtout la mÃ©decine universelle, c'est-Ã -dire le remÃ¨de Ã tous les maux, y compris la mort.
L'oeuvre qui crÃ©e la mÃ©decine universelle, c'est la rÃ©gÃ©nÃ©ration morale de l'homme. C'est cette
seconde naissance dont parlait le Sauveur au docteur de la loi, NikodÃ©mos, qui ne le comprenait pas, et
JÃ©sus lui disait: Â«Quoi, vous Ãªtes maÃ®tre en IsraÃ«l et vous ignorez ce mystÃ¨re!Â» comme s'il
voulait lui faire entendre qu'il s'agissait des principes fondamentaux de la science religieuse, et qu'il n'Ã©tait
pas permis Ã un maÃ®tre de les ignorer.
Le grand mystÃ¨re de la vie et de ses Ã©preuves est reprÃ©sentÃ© dans la sphÃ¨re cÃ©leste et dans le
cycle de l'annÃ©e. Les quatre formes du sphinx correspondent aux quatre Ã©lÃ©ments et aux quatre
saisons. Les figures symboliques du bouclier d'Achille, dans HomÃ¨re, ont une signification analogue Ã celle
des douze travaux d'Hercule. Achille doit mourir comme Hercule, aprÃ¨s avoir vaincu les Ã©lÃ©ments et
combattu contre les dieux. Hercule, victorieux de [138] tous les vices figurÃ©s par les monstres qu'il doit
combattre, succombe un instant au plus dangereux de tous, Ã l'amour; mais il arrache enfin de sa poitrine,
avec des lambeaux de sa chair, la tunique brÃ»lante de DÃ©janire; il la laisse coupable et vaincue; il meure
affranchi et immortel.
Tout homme qui pense est un Oedipe appelÃ© Ã deviner l'Ã©nigme du sphinx ou Ã mourir. Tout initiÃ©
doit Ãªtre un Hercule accomplissant le cycle d'une grande annÃ©e de travaux et mÃ©ritant, par les sacrifices
du coeur et de la vie, les triomphes de l'apothÃ©ose.
OrphÃ©e n'est roi de la lyre et des sacrifices qu'aprÃ¨s avoir tour Ã tour conquis et su perdre Eurydice.
Omphale et DÃ©janire sont jalouses d'Hercule: l'une veut l'avilir, l'autre cÃ¨de aux conseils d'une lÃ¢che
rivale qui la pousse Ã empoisonner le libÃ©rateur du monde; mais elle va le guÃ©rir d'un empoisonnement
bien autrement funeste, celui de son indigne amour. La flamme du bÃ»cher va purifier ce coeur trop faible;
Hercule expire dans toute sa force et peut s'asseoir victorieux prÃ¨s du trÃńe de Jupiter!
Jacob, avant d'Ãªtre le grand patriarche d'IsraÃ«l, avait combattu pendant toute une longue nuit contre un
ange.
L'ÃPREUVE, tel est le grand mot de la vie: la vie est un serpent qui s'enfante et se dÃ©vore sans cesse; il faut
Ã©chapper Ã ses Ã©treintes et lui mettre le pied sur la tÃªte. HermÃ¨s, en le multipliant, l'oppose Ã
lui-mÃªme, et dans un Ã©quilibre Ã©ternel il en fait le talisman de son pouvoir et la gloire de son
caducÃ©e.
Les grandes Ã©preuves de Memphis et d'Ãleusis avaient pour but de former des rois et des prÃªtres, en
confiant la science Ã des [139] hommes courageux et forts. Il fallait, pour Ãªtre admis Ã ces Ã©preuves, se
CHAPITRE III. 93
livrer corps et Ã¢me au sacerdoce et faire l'abandon de sa vie. On descendait alors dans des souterrains
obscurs oÃ¹ il fallait traverser tour Ã tour des bÃ»chers allumÃ©s, des courants d'eau profonde et rapide, des
ponts mobiles jetÃ©s sur des abÃ®mes, et cela sans laisser Ã©teindre et s'Ã©chapper une lampe qu'on tenait
Ã la main. Celui qui chancelait ou qui avait peur ne devait jamais revoir la lumiÃ¨re; celui qui franchissait
avec intrÃ©piditÃ© tous les obstacles Ã©tait reÃ§u parmi les mystes, c'est-Ã -dire qu'on l'initiait aux petits
mystÃ¨res. Mais il restait Ã Ã©prouver sa fidÃ©litÃ© et son silence, et ce n'Ã©tait qu'au bout de plusieurs
annÃ©es qu'il devenait Ã©popte, titre qui correspond Ã celui d'adepte.
La philosophie, rivale du sacerdoce, imita ces pratiques et soumit ses disciples Ã des Ã©preuves. Pythagore
exigeait le silence et l'abstinence pendant cinq ans: Platon n'admettait dans son Ã©cole que des gÃ©omÃ¨tres
et des musiciens, il rÃ©servait d'ailleurs une partie de son enseignement pour les initiÃ©s et sa philosophie
avait ses mystÃ¨res. C'est ainsi qu'il fait crÃ©er le monde par les dÃ©mons, et qu'il fait sortir tous les
animaux de l'homme. Les dÃ©mons de Platon ne sont autres que les ÃloÃ¯m de MoÃ¯se, c'est-Ã -dire les
forces par le concours et l'harmonie desquelles le principe suprÃªme a crÃ©Ã©. En disant que les animaux
sortent de l'homme, il veut dire que les animaux sont l'analyse de la forme vivante dont l'homme est la
synthÃ¨se. C'est Platon qui le premier a proclamÃ© la divinitÃ© du verbe, c'est-Ã -dire de la parole, et ce
verbe crÃ©ateur, il semble en pressentir l'incarnation prochaine sur la terre; il annonce les souffrances et le
supplice du juste parfait, rÃ©prouvÃ© par l'iniquitÃ© du monde.
[140]Cette philosophie sublime du verbe appartient Ã la pure kabbale, et Platon ne l'a point inventÃ©e. Il ne
le cache pas d'ailleurs et dÃ©clare hautement qu'en aucune science il ne faut jamais recevoir que ce qui
s'accorde avec les vÃ©ritÃ©s Ã©ternelles et avec les oracles de Dieu. Dacier, Ã qui nous empruntons cette
citation, ajoute que, Â«par ces vÃ©ritÃ©s Ã©ternelles, Platon entend une ancienne tradition, qu'il prÃ©tend
que les premiers hommes avaient reÃ§ue de Dieu et qu'ils avaient transmise Ã leurs descendants.Â» Certes,
Ã moins de nommer positivement la kabbale, on ne saurait Ãªtre plus clair. C'est la dÃ©finition au lieu du
nom: c'est quelque chose de plus prÃ©cis en quelque maniÃ¨re que le nom mÃªme.
Â«Ce ne sont pas les livres, dit encore Platon, qui donnent ces hautes connaissances; il faut les puiser en
soi-mÃªme par une profonde mÃ©ditation et chercher le feu sacrÃ© dans sa propre source.... C'est pourquoi
je n'ai jamais rien Ã©crit de ces rÃ©vÃ©lations et je n'en parlerai jamais.
Â»Tout homme qui entreprendra de les rendre vulgaires ne l'entreprendra jamais qu'inutilement, et tout le fruit
qu'il tirera de son travail, c'est qu'exceptÃ© un petit nombre d'hommes Ã qui Dieu a donnÃ© assez
d'intelligence pour voir en eux-mÃªmes ces vÃ©ritÃ©s cÃ©lestes, il donnera aux uns du mÃ©pris pour
elles, et remplira les autres d'une vaine et tÃ©mÃ©raire confiance, comme s'ils savaient des choses
merveilleuses qu'ils ne savent pourtant pas 9.Â»
Note 9: (retour) Dacier, la Doctrine de Platon (BibliothÃ¨que des anciens philosophes), t. III,
p. 81.
[141] Il Ã©crit Ã Denys le Jeune:
Â«Il faut que je dÃ©clare Ã ArchÃ©dÃ©mus ce qui est beaucoup plus prÃ©cieux et plus divin et ce que
vous avez grande envie de savoir, puisque vous me l'avez envoyÃ© exprÃ¨s; car, selon ce qu'il m'a dit, vous
ne croyez pas que je vous aie suffisamment expliquÃ© ce que je pense sur la nature du premier principe; il
faut vous l'Ã©crire par Ã©nigmes, afin que si ma lettre est interceptÃ©e sur terre ou sur mer, celui qui la lira
n'y puisse rien comprendre.
Â»Toutes choses sont autour de leur roi, elles sont Ã cause de lui, et il est seul la cause des bonnes choses;
second pour les secondes et troisiÃ¨me pour les troisiÃ¨mes 10.Â»
INITIATIONS ET ÃPREUVES. 94
Note 10: (retour) Dacier, loco citato.t. III, p. 194.
Il y a dans ce peu de paroles un rÃ©sumÃ© complet de la thÃ©ologie des sÃ©phirots. Le roi, c'est Ensoph,
l'Ãªtre suprÃªme et absolu. Tout rayonne de ce centre qui est partout, mais que nous concevons surtout de
trois maniÃ¨res et dans trois sphÃ¨res diffÃ©rentes. Dans le monde divin, qui est celui de la premiÃ¨re cause,
il est unique et premier. Dans le monde de la science qui est celui des causes secondes, l'influence du premier
principe se fait sentir, mais on ne le conÃ§oit plus que comme la premiÃ¨re des causes secondes; il s'y
manifeste par le binaire, c'est le principe crÃ©ateur passif. Enfin, dans le troisiÃ¨me monde, qui est celui des
formes, il se rÃ©vÃ¨le comme la forme parfaite, le verbe incarnÃ©, la beautÃ© et la bontÃ© suprÃªmes, la
perfection crÃ©Ã©e; il est donc Ã la fois le premier, le second et le troisiÃ¨me, [142] puisqu'il est tout en
tout, le centre et la cause de tout. N'admirons point ici le gÃ©nie de Platon, reconnaissons seulement la
science exacte de l'initiÃ©.
Qu'on ne nous dise plus que notre grand apÃ´tre saint Jean a empruntÃ© Ã la philosophie de Platon le
dÃ©but de son Ã©vangile. C'est Platon, au contraire, qui avait puisÃ© aux mÃªmes sources que saint Jean;
mais il n'avait pas reÃ§u l'esprit qui vivifie. La philosophie du plus grand des rÃ©vÃ©lateurs humains
pouvait aspirer au verbe fait homme: l'Ãvangile seul pouvait le donner au monde.
La kabbale enseignÃ©e aux Grecs par Platon prit plus tard le nom de thÃ©osophie et embrassa dans la suite
le dogme magique tout entier. Ce fut Ã cet ensemble de doctrine occulte que se rattachÃ¨rent successivement
toutes les dÃ©couvertes des chercheurs. On voulut passer de la thÃ©orie Ã la pratique et rÃ©aliser la parole
par les oeuvres; les dangereuses expÃ©riences de la divination apprirent Ã la science comment on peut se
passer du sacerdoce, le sanctuaire Ã©tait trahi et des hommes sans mission osaient faire parler les dieux. C'est
pour cela que la thÃ©urgie partagea les anathÃ¨mes de la magie noire et fut soupÃ§onnÃ©e d'en imiter les
crimes, parce qu'elle ne pouvait se dÃ©fendre d'en partager l'impiÃ©tÃ©. On ne soulÃ¨ve pas
impunÃ©ment le voile d'Isis, et la curiositÃ© est un blasphÃ¨me contre la foi, lorsqu'il s'agit des choses
divines. Â«Heureux ceux qui croiront sans avoir vu, nous a dit le grand rÃ©vÃ©lateur.Â»
Les expÃ©riences de la thÃ©urgie et de la nÃ©cromancie sont toujours funestes Ã ceux qui s'y
abandonnent. Lorsqu'on a une fois mis le pied sur le seuil de l'autre monde, il faut mourir et presque [143]
toujours d'une maniÃ¨re Ã©trange et terrible. Le vertige commence, la catalepsie et la folie achÃ¨vent. Il est
certain qu'en prÃ©sence de certaines personnes et aprÃ¨s une sÃ©rie d'actes enivrants, une perturbation se
fait dans l'atmosphÃ¨re, les boiseries craquent, les portes tremblent et gÃ©missent. Des signes bizarres et
quelquefois sanglants semblent s'imprimer d'eux-mÃªmes sur du parchemin vierge ou sur des linges. Ces
signes sont toujours les mÃªmes et les magistes les classifient sous le nom d'Ã©critures diaboliques. La seule
vue de ces caractÃ¨res fait retomber les crisiaques en convulsion ou en extase; ils croient alors voir les esprits,
et Satan, c'est-Ã -dire le gÃ©nie de l'erreur, se transfigure pour eux en ange de lumiÃ¨re. Ces prÃ©tendus
esprits demandent pour se montrer des excitations sympathiques produites par le rapprochement des sexes, il
faut mettre les mains dans les mains, les pieds sur les pieds, il faut se souffler au visage, et souvent suivent des
extases obscÃ¨nes. Les initiÃ©s se passionnent pour ce genre d'ivresse, ils se croient les Ã©lus de Dieu et les
interprÃ¨tes du ciel, ils traitent de fanatisme l'obÃ©issance Ã la hiÃ©rarchie. Ce sont les successeurs de la
race caÃ¯nique de l'Inde. Ce sont des hatchichims et des faquirs. Les avertissements ne les Ã©claireront pas
et ils pÃ©riront parce qu'ils ont voulu pÃ©rir.
Les prÃªtres de la GrÃ¨ce, pour guÃ©rir de semblables malades, employaient une sorte d'homoeopathie; ils
les terrifiaient en exagÃ©rant le mal mÃªme dans une seule crise et les faisaient dormir dans la caverne de
Trophonius. On se prÃ©parait Ã ce sommeil par des jeÃ»nes, des lustrations et des veilles, puis on
descendait dans le souterrain et on y Ã©tait laissÃ© et enfermÃ© [144] sans lumiÃ¨re. Des gaz enivrants,
assez semblables Ã ceux de la grotte du Chien qu'on voit prÃ¨s de Naples, s'exhalaient dans cette caverne et
ne tardaient pas Ã terrasser le visionnaire; il avait alors d'Ã©pouvantables rÃªves causÃ©s par un
commencement d'asphyxie; on venait Ã temps le secourir et on l'emportait tout palpitant, tout pÃ¢le et les
cheveux hÃ©rissÃ©s sur un trÃ©pied oÃ¹ il prophÃ©tisait avant de s'Ã©veiller entiÃ¨rement. Ces sortes
d'Ã©preuves causaient un tel Ã©branlement dans le systÃ¨me nerveux, que les crisiaques ne s'en souvenaient
pas sans frissonner et n'osaient plus jamais parler d'Ã©vocations et de fantÃ´mes. Il en est qui depuis ne
purent jamais s'Ã©gayer ni sourire; et l'impression gÃ©nÃ©rale Ã©tait si triste, qu'elle passa en proverbe et
qu'on disait d'une personne dont le front ne se dÃ©ridait pas: Â«Elle a dormi dans la caverne de
Trophonius.Â»
Ce n'est pas dans les livres des philosophes, c'est dans le symbolisme religieux des anciens qu'il faut chercher
les traces de la science et en retrouver les mystÃ¨res. Les prÃªtres d'Ãgypte connaissaient mieux que nous les
lois du mouvement et de la vie. Ils savaient tempÃ©rer ou affermir l'action par la rÃ©action, et
prÃ©voyaient facilement la rÃ©alisation des effets dont ils avaient posÃ© la cause. Les colonnes de Seth,
d'HermÃ¨s, de Salomon, d'Hercule ont symbolisÃ© dans les traditions magiques cette loi universelle de
l'Ã©quilibre; et la science de l'Ã©quilibre avait conduit les initiÃ©s Ã celle de la gravitation universelle
autour des centres de vie, de chaleur et de lumiÃ¨re. Aussi dans les calendriers sacrÃ©s des Ãgyptiens dont
chaque mois Ã©tait, comme on sait, placÃ© sous la protection de trois dÃ©cans ou gÃ©nies de dix [145]
jours, le premier dÃ©can du signe du lion est-il reprÃ©sentÃ© par une tÃªte humaine Ã sept rayons avec
une grande queue de scorpion et le signe du Sagittaire sous le menton. Au-dessous de cette tÃªte est le nom de
IAO; on appelait cette figure khnoubis, mot Ã©gyptien qui signifie or et lumiÃ¨re. ThalÃ¨s et Pythagore
apprirent dans les sanctuaires de l'Ãgypte que la terre tourne autour du soleil, mais ils ne cherchÃ¨rent pas Ã
rÃ©pandre cette connaissance, parce qu'il eÃ»t fallu rÃ©vÃ©ler pour cela un des grands secrets du temple,
la double loi d'attraction et de rayonnement de fixitÃ© et de mouvement qui est le principe de la crÃ©ation et
la cause perpÃ©tuelle de la vie. Aussi l'Ã©crivain chrÃ©tien, Lactance, qui avait entendu parler de cette
tradition magique et de l'effet sans la cause, se moque-t-il fort de ces thÃ©urgistes rÃªveurs qui font tourner
la terre et nous donnent des antipodes, lesquels, suivant lui, devaient avoir, pendant que nous marcherions la
tÃªte haute, les pieds en haut et la tÃªte en bas. D'ailleurs, ajoute naÃ¯vement Lactance avec toute la logique
des ignorants et des enfants, de pareils hommes ne tiendraient pas Ã terre et tomberaient la tÃªte la premiÃ¨re
dans le ciel infÃ©rieur. Ainsi raisonnaient les philosophes pendant que les prÃªtres, sans leur rÃ©pondre et
sans sourire mÃªme de leurs erreurs, Ã©crivaient en hiÃ©roglyphes crÃ©ateurs de tous les dogmes et de
toutes les poÃ©sies, les secrets de la vÃ©ritÃ©.
Dans leur description allÃ©gorique des enfers, les hiÃ©rophantes grecs avaient cachÃ© les grands secrets de
la magie. On y trouve quatre fleuves, comme dans le paradis terrestre, plus un cinquiÃ¨me qui serpente sept
fois entre les autres. Un fleuve de douleurs et de gÃ©missements, le Cocyte, et un fleuve d'oubli, le [146]
LÃ©thÃ©, puis un fleuve d'eau rapide, irrÃ©sistible, qui entraÃ®ne tout et qui roule en sens contraire avec
un fleuve de feu. Ces deux fleuves mystÃ©rieux, l'AchÃ©ron et le PhlÃ©gÃ©ton, dont l'eau reprÃ©sente le
fluide nÃ©gatif et l'autre le fluide positif, tournent Ã©ternellement l'un dans l'autre. Le PhlÃ©gÃ©ton
Ã©chauffe et fait fumer les eaux froides et noires de l'AchÃ©ron et l'AchÃ©ron couvre d'Ã©paisses vapeurs
les flammes liquides du PhlÃ©gÃ©ton. De ces vapeurs sortent par milliers des larves et des lÃ©mures,
images vaines des corps qui ont vÃ©cu et de ceux qui ne vivent pas encore; mais qu'ils aient bu ou non au
fleuve des douleurs, tous aspirent au fleuve d'oubli, dont l'eau assoupissante leur rendra la jeunesse et la paix.
Les sages seuls ne veulent pas oublier, car leurs souvenirs sont dÃ©jÃ leur rÃ©compense. Aussi sont-ils
seuls vraiment immortels, puisqu'ils ont seuls la conscience de leur immortalitÃ©.
Les supplices du TÃ©nare sont des peintures vraiment divines des vices et de leur chÃ¢timent Ã©ternel. La
cupiditÃ© de Tantale, l'ambition de Sysiphe ne seront jamais expiÃ©es, car elles ne peuvent jamais Ãªtre
satisfaites. Tantale a soif dans l'eau, Sysiphe roule au sommet d'une montagne un piÃ©destal sur lequel il veut
s'asseoir et qui retombe toujours sur lui en l'entraÃ®nant au fond de l'abÃ®me. Ixion, l'amoureux sans frein,
qui a voulu violer la reine du ciel, est fouettÃ© par des furies infernales. Il n'a pourtant pas joui de son crime
et n'a pu embrasser qu'un fantÃ´me. Ce fantÃ´me peut-Ãªtre a paru condescendre Ã ses fureurs et l'aimer,
mais quand il mÃ©connaÃ®t le devoir, quand il se satisfait par le sacrilÃ©ge, l'amour, c'est de la haine en
fleurs!
[147]Ce n'est pas au delÃ de la tombe, c'est dans la vie mÃªme qu'il faut chercher les mystÃ¨res de la mort.
Le salut ou la rÃ©probation commencent ici-bas et le monde terrestre a aussi son ciel et son enfer. Toujours
mÃªme ici-bas la vertu est rÃ©compensÃ©e, toujours mÃªme ici-bas le vice est puni; et ce qui nous fait
croire parfois Ã l'impunitÃ© des mÃ©chants, c'est que les richesses, ces instruments du bien et du mal,
semblent leur Ãªtre parfois donnÃ©es au hasard. Mais malheur aux hommes injustes, lorsqu'ils possÃ¨dent la
clef d'or, elle n'ouvre pour eux que la porte du tombeau et de l'enfer.
Tous les vrais initiÃ©s ont reconnu l'immense utilitÃ© du travail et de la douleur. La douleur, a dit un
poÃ«te allemand, c'est le chien de ce berger inconnu qui mÃ¨ne le troupeau des hommes. Apprendre Ã
souffrir, apprendre Ã mourir, c'est la gymnastique de l'ÃternitÃ©, c'est le noviciat immortel.
Tel est le sens moral de la divine comÃ©die de Dante esquissÃ©e dÃ©jÃ du temps de Platon dans le
tableau allÃ©gorique de CÃ©bÃ¨s. Ce tableau, dont la description nous a Ã©tÃ© conservÃ©e et que
plusieurs peintres du moyen Ã¢ge ont refait d'aprÃ¨s cette description, est un monument Ã la fois
philosophique et magique. C'est une synthÃ¨se morale trÃ¨s complÃ¨te, et c'est en mÃªme temps la plus
audacieuse dÃ©monstration qui ait Ã©tÃ© faite du grand arcane, de ce secret dont la rÃ©vÃ©lation
bouleverserait la terre et le ciel. Nos lecteurs n'attendent pas sans doute que nous leur en donnions
l'explication. Celui qui trouve ce mystÃ¨re comprend qu'il est inexplicable de sa nature, et qu'il donne la mort
Ã ceux qui le surprennent comme Ã celui qui l'a rÃ©vÃ©lÃ©.
Ce secret est la royautÃ© du sage, c'est la couronne de l'initiÃ© [148] que nous voyons redescendre
vainqueur du sommet des Ã©preuves dans la belle allÃ©gorie de CÃ©bÃ¨s. Le grand arcane le rend
maÃ®tre de l'or et de la lumiÃ¨re qui sont au fond la mÃªme chose, il a rÃ©solu le problÃ¨me de la
quadrature du cercle, il dirige le mouvement perpÃ©tuel, et il possÃ¨de la pierre philosophale. Ici les adeptes
me comprendront. Il n'y a ni interruption dans le travail de la nature ni lacune dans son oeuvre. Les harmonies
du ciel correspondent Ã celles de la terre, et la vie Ã©ternelle accomplit ses Ã©volutions suivant les mÃªmes
lois que la vie d'un jour. Dieu a tout disposÃ© avec poids, nombre et mesure, dit la Bible, et cette lumineuse
doctrine Ã©tait aussi celle de Platon. Dans le PhÃ©don, il fait discourir Socrate sur les destinÃ©es de l'Ã¢me
d'une maniÃ¨re tout Ã fait conforme aux traditions kabbalistiques. Les esprits Ã©purÃ©s par l'Ã©preuve
s'affranchissent des lois de la pesanteur, et surtout de l'atmosphÃ¨re des larmes; les autres y rampent dans les
tÃ©nÃ¨bres, et ce sont ceux-lÃ qui apparaissent aux hommes faibles ou criminels. Ceux qui se sont
affranchis des misÃ¨res de la vie matÃ©rielle ne reviennent plus en contempler les crimes et en partager les
erreurs: c'est vraiment assez d'une fois.
Le soin que prenaient les anciens d'ensevelir les morts protestait hautement contre la nÃ©cromancie, et
toujours ceux-lÃ ont Ã©tÃ© regardÃ©s comme des impies qui troublent le repos de la tombe. Rappeler les
morts sur la terre, ce serait les condamner Ã mourir deux fois; et ce qui faisait craindre surtout aux hommes
pieux des anciens cultes de rester sans sÃ©pulture aprÃ¨s leur mort, c'Ã©tait l'apprÃ©hension que leur
cadavre ne fÃ»t profanÃ© par les Stryges et ne servÃ®t aux enchantements. AprÃ¨s la mort, l'Ã¢me [149]
appartient Ã Dieu, et le corps Ã la mÃ¨re commune qui est la terre. Malheur Ã ceux qui osent attenter Ã
ces refuges! Quand on avait troublÃ© le sanctuaire de la tombe, les anciens offraient des sacrifices aux
mÃ¢nes irritÃ©s; et il y avait une sainte pensÃ©e au fond de cet usage. En effet, s'il Ã©tait permis Ã un
homme d'attirer vers lui par une chaÃ®ne de conjurations les Ã¢mes qui nagent dans les tÃ©nÃ¨bres en
aspirant vers la lumiÃ¨re, celui-lÃ se donnerait des enfants rÃ©trogrades et posthumes qu'il devrait nourrir
de son sang et de son Ã¢me. Les nÃ©cromanciens sont des enfanteurs de vampires, ne les plaignons donc pas
s'ils meurent rongÃ©s par les morts!
CHAPITRE IV.
MAGIE DU CULTE PUBLIC.

SOMMAIRE.--Ce que c'est que la superstition.--Orthodoxie magique. --Dissidence des
profanes.--Apparitions et incarnations des dieux.--TyrÃ©sias et Calchas.--Les magiciens d'HomÃ¨re.--Les
sibylles et leurs vers Ã©crits sur des feuilles jetÃ©es au vent.--Origine de la gÃ©omancie et de la
cartomancie.
Les idÃ©es produisent les formes et Ã leur tour les formes reflÃ¨tent et reproduisent les idÃ©es. Pour ce qui
est des sentiments, l'association les multiplie dans la rÃ©union de ceux qui les partagent, en sorte que tous
sont Ã©lectrisÃ©s de l'enthousiasme de tous. C'est pour cela que si tel ou tel homme du peuple en particulier
se trompe aisÃ©ment sur le juste et sur [150] le beau, le peuple en masse applaudira toujours Ã ce qui est
sublime avec un Ã©lan non moins sublime.
Ces deux grandes lois de la nature observÃ©es par les anciens mages, leur avaient fait comprendre la
nÃ©cessitÃ© d'un culte public, unique, obligatoire, hiÃ©rarchique et symbolique comme la religion tout
entiÃ¨re, splendide comme la vÃ©ritÃ©, riche et variÃ© comme la nature, Ã©toilÃ© comme le ciel, plein
de parfums comme la terre, de ce culte enfin que devait plus tard constituer MoÃ¯se, que Salomon devait
rÃ©aliser dans toutes ses splendeurs, et qui, transfigurÃ© encore une fois, rÃ©side aujourd'hui dans la
grande mÃ©tropole de Saint-Pierre de Rome.
L'humanitÃ© n'a jamais eu rÃ©ellement qu'une religion et qu'un culte. Cette lumiÃ¨re universelle a eu ses
mirages incertains, ses reflets trompeurs et ses ombres, mais toujours aprÃ¨s les nuits de l'erreur, nous la
voyons reparaÃ®tre unique et pure comme le soleil.
Les magnificences du culte sont la vie de la religion, et si le Christ veut des ministres pauvres, sa divinitÃ©
souveraine ne veut pas de pauvres autels. Les protestants n'ont pas compris que le culte est un enseignement,
et que dans l'imagination de la multitude il ne faut pas crÃ©er un dieu mesquin ou misÃ©rable. Voyez ces
oratoires qui ressemblent Ã des mairies et ces honnÃªtes ministres tournÃ©s comme des huissiers ou des
commissaires, ne font-ils pas nÃ©cessairement prendre la religion pour une formalitÃ©, et Dieu pour un juge
de paix? Les Anglais qui prodiguent tant d'or dans leurs habitations particuliÃ¨res, et qui affectent d'aimer tant
la Bible, ne devraient-ils pas se souvenir des pompes inouÃ¯es du temple de Salomon et trouver leurs
Ã©glises [151] bien froides et bien nues? Mais ce qui dessÃ¨che leur culte c'est la sÃ©cheresse de leur coeur,
et comment voulez-vous qu'avec ce culte sans magie, sans Ã©blouissements et sans larmes, ces coeurs soient
jamais rappelÃ©s Ã la vie?
L'orthodoxie est le caractÃ¨re absolu de la haute magie. Quand la vÃ©ritÃ© vient au monde, l'Ã©toile de la
science en avertit les mages et ils viennent adorer l'enfant crÃ©ateur de l'avenir. C'est par l'intelligence de la
hiÃ©rarchie et la pratique de l'obÃ©issance qu'on obtient l'initiation, et un vÃ©ritable initiÃ© ne sera jamais
un sectaire.
Les traditions orthodoxes furent emportÃ©es de la ChaldÃ©e par Abraham, elles rÃ©gnaient en Ãgypte du
temps de Joseph avec la connaissance du vrai Dieu. Koung-Tseu voulut les Ã©tablir en Chine, mais le
mysticisme imbÃ©cile de l'Inde devait, sous la forme idolÃ¢trique du culte de FÃ´, prÃ©valoir dans ce
grand empire. MoÃ¯se emporta l'orthodoxie d'Ãgypte comme Abraham de la ChaldÃ©e, et dans les traditions
secrÃ¨tes de la kabbale nous trouvons une thÃ©ologie entiÃ¨re, parfaite, unique, semblable Ã ce que la
nÃ´tre a de plus grandiose et de mieux expliquÃ© par les pÃ¨res et les docteurs, le tout avec un ensemble et
CHAPITRE IV. 98
des lumiÃ¨res qu'il n'est pas donnÃ© encore au monde de comprendre. Le Sohar, qui est la clef des livres
saints, ouvre aussi toutes les profondeurs et Ã©claire toutes les obscuritÃ©s des mythologies anciennes et des
sciences cachÃ©es primitivement dans le sanctuaire. Il est vrai qu'il faut connaÃ®tre le secret de cette clef
pour arriver Ã s'en servir, et que pour les intelligences mÃªme les plus pÃ©nÃ©trantes, mais non initiÃ©es
Ã ce secret, le Sohar est absolument incomprÃ©hensible et mÃªme illisible.
[152]Nous espÃ©rons que les lecteurs attentifs de nos Ã©crits sur la magie trouveront d'eux-mÃªmes ce
secret, et parviendront Ã leur tour Ã dÃ©chiffrer d'abord, puis Ã lire ce livre qui contient l'explication de
tant de mystÃ¨res.
L'initiation Ã©tant la consÃ©quence nÃ©cessaire de la hiÃ©rarchie, principe fondamental des

rÃ©alisations magiques, les profanes, aprÃ¨s avoir essayÃ© inutilement de forcer les portes du sanctuaire,
prirent le parti d'Ã©lever autel contre autel, et d'opposer les divulgations ignorantes du schisme aux
rÃ©ticences de l'orthodoxie. D'horribles histoires coururent sur les mages: les sorciers et les stryges
rejetÃ¨rent sur eux la responsabilitÃ© de leurs crimes; c'Ã©taient des buveurs de sang humain, des mangeurs
de petits enfants. Cette vengeance de l'ignorance prÃ©somptueuse contre la science discrÃ¨te a obtenu de
tous les temps un succÃ¨s qui en a perpÃ©tuÃ© l'usage. Un misÃ©rable n'a-t-il pas imprimÃ© dans je ne
sais quel pamphlet, qu'il avait lui-mÃªme et de ses oreilles entendu dans un club l'auteur de ce livre demander
que le sang des riches fÃ»t mis en boudins pour nourrir le peuple affamÃ©? Plus la calomnie est Ã©norme,
plus elle fait d'impression sur les sots.
Les accusateurs des mages commettaient eux-mÃªmes les forfaits dont ils les accusaient, et s'abandonnaient
Ã toutes les frÃ©nÃ©sies d'une sorcellerie dÃ©vergondÃ©e. Il n'Ã©tait bruit que d'apparitions et de
prodiges. Les dieux eux-mÃªmes descendaient en formes visibles pour autoriser les orgies. Les cercles furieux
de prÃ©tendus illuminÃ©s remontent jusqu'aux bacchantes qui ont assassinÃ© OrphÃ©e. Un panthÃ©isme
mystique et luxurieux multiplia [153] toujours depuis ces cercles fanatiques et clandestins oÃ¹ la
promiscuitÃ© et le meurtre se mÃªlaient aux extases et aux priÃ¨res. Mais les destinÃ©es fatales de ce
dogme absorbant et destructeur sont Ã©crites dans une des plus belles fables de la mythologie grecque. Des
pirates tyrrhÃ©niens ont surpris Hiacchos endormi et le portent dans leur vaisseau. Ils croient que le dieu de
l'inspiration est leur esclave, mais tout Ã coup en pleine mer leur vaisseau se transfigure, les mÃ¢ts
deviennent des ceps, les cordages des vignes, partout apparaissent des satyres dansant avec des lynx et des
panthÃ¨res, le vertige s'empare de l'Ã©quipage, ils se voient tous changÃ©s en boucs, et se prÃ©cipitent
dans la mer. Hiacchos alors aborde en BÃ©otie et se rend Ã ThÃ¨bes, la ville de l'initiation, oÃ¹ il trouve que
PanthÃ©e avait usurpÃ© le pouvoir. PanthÃ©e Ã son tour veut emprisonner le dieu; mais la prison s'ouvre
d'elle-mÃªme, le captif rayonne, vainqueur au milieu de ThÃ¨bes. PanthÃ©e devient furieux et les filles de
Cadmus devenues des bacchantes le mettent en piÃ¨ces croyant immoler un jeune taureau.
Le panthÃ©isme, en effet, ne saurait constituer une synthÃ¨se et doit pÃ©rir divisÃ© par les sciences, filles
de Cadmus.
AprÃ¨s OrphÃ©e, Cadmus, Oedipe et AmphiaraÃ¼s, les grands types fabuleux du sacerdoce magique en
GrÃ¨ce sont TyrÃ©sias et Calchas, mais TyrÃ©sias est un hiÃ©rophante inintelligent ou infidÃ¨le. Un jour
il trouve deux serpents entrelacÃ©s, il croit qu'ils se battent et les sÃ©pare en les frappant de son bÃ¢ton: il
n'a pas compris le symbole du caducÃ©e, il veut diviser les forces de la nature, il veut sÃ©parer la science de
la foi, l'intelligence de [154] l'amour, l'homme de la femme; il les voit unis comme des lutteurs, et il croit
qu'ils se battent, il les blesse en les sÃ©parant, et le voilÃ lui-mÃªme ayant perdu son Ã©quilibre; il sera
tour Ã tour homme et femme, jamais complÃ¨tement, car l'accomplissement du mariage lui est interdit. Ici se
rÃ©vÃ¨lent tous les mystÃ¨res de l'Ã©quilibre universel et de la loi crÃ©atrice. En effet c'est l'androgyne
humain qui enfante; l'homme et la femme tant qu'ils sont sÃ©parÃ©s restent stÃ©riles, comme la religion
sans la science et rÃ©ciproquement, comme l'intelligence sans amour, comme la douceur sans force et la
force sans douceur, comme la justice sans misÃ©ricorde et la misÃ©ricorde sans justice. L'harmonie
MAGIE DU CULTE PUBLIC. 99

rÃ©sulte de l'analogie des contraires, il faut les distinguer pour les unir et non les sÃ©parer pour choisir entre
eux. L'homme, dit-on, va sans cesse du blanc au noir dans ses opinions et se trompe toujours. Cela doit Ãªtre,
car la forme visible, la forme rÃ©elle est blanche et noire, elle se produit en alliant l'ombre et la lumiÃ¨re
sans les confondre. Ainsi se marient tous les contraires dans la nature, et celui qui veut les sÃ©parer s'expose
au chÃ¢timent de TyrÃ©sias. D'autres disent qu'il devint aveugle pour avoir surpris Minerve toute nue,
c'est-Ã -dire pour avoir profanÃ© les mystÃ¨res: c'est une autre allÃ©gorie, mais c'est toujours le mÃªme
symbole.
C'est sans doute Ã cause de sa profanation des mystÃ¨res qu'HomÃ¨re fait errer l'ombre de TyrÃ©sias dans
les tÃ©nÃ¨bres CimmÃ©riennes, et nous le montre revenant avec les larves et les ombres malheureuses qui
cherchent Ã s'abreuver de sang, lorsqu'Ulysse consulte les esprits avec un cÃ©rÃ©monial bien autrement
magique et [155] formidable que les grimaces de nos mediums et les petits papiers innocents des modernes
nÃ©cromanciens.
Le sacerdoce est presque muet dans HomÃ¨re, le devin Calchas n'est ni un souverain pontife ni un grand
hiÃ©rophante. Il semble Ãªtre au service des rois dont il redoute la colÃ¨re, et n'ose dire Ã Agamemnon des
vÃ©ritÃ©s dÃ©sagrÃ©ables qu'aprÃ¨s avoir implorÃ© la protection d'Achille. Il jette ainsi la division entre
ces chefs et devient la cause des dÃ©sastres de l'armÃ©e. HomÃ¨re, dont tous les rÃ©cits sont d'importantes
et profondes leÃ§ons, veut aussi, par cet exemple, montrer Ã la GrÃ¨ce combien il importe que le ministÃ¨re
divin soit indÃ©pendant des influences temporelles. La tribu sacerdotale ne doit relever que du suprÃªme
pontificat, et le grand prÃªtre est frappÃ© d'impuissance; s'il manque une seule couronne Ã sa tiare il faut
qu'il soit roi temporel pour Ãªtre l'Ã©gal des souverains de la terre, roi par l'intelligence et par la science, roi
enfin par sa mission divine. Tant qu'un pareil sacerdoce n'existera pas, semble dire le sage HomÃ¨re, il
manquera quelque chose Ã l'Ã©quilibre des empires.
Le devin ThÃ©oclymÃ¨nes dans l'OdyssÃ©e joue Ã peu prÃ¨s le rÃ´le d'un parasite, il paie aux
poursuivants de PÃ©nÃ©lope leur hospitalitÃ© peu bienveillante par un avertissement inutile, puis il se
retire prudemment avant l'esclandre qu'il prÃ©voit.
Il y a loin du rÃ´le de ces diseurs de bonne ou de mauvaise aventure, Ã celui de ces sibylles qui habitaient
dans des sanctuaires oÃ¹ elles se rendaient invisibles et qu'on n'abordait qu'en tremblant. CircÃ©s nouvelles,
elles ne cÃ©daient pourtant qu'Ã l'audace: il fallait pÃ©nÃ©trer par adresse ou de force dans [156] leur
retraite, les prendre par les cheveux, les menacer avec l'Ã©pÃ©e et les traÃ®ner jusqu'au fatal trÃ©pied.
Alors elles rougissaient et pÃ¢lissaient tour Ã tour, et frÃ©missantes, les cheveux hÃ©rissÃ©s, elles
profÃ©raient des paroles sans suite, puis elles s'Ã©chappaient furieuses, Ã©crivaient sur des feuilles d'arbres
des mots qui rassemblÃ©s devaient former des vers prophÃ©tiques et jetaient ces feuilles au vent, puis elles
se renfermaient dans leur retraite et ne rÃ©pondaient plus si on tentait de les rappeler.
L'oracle avait autant de sens diffÃ©rents qu'il Ã©tait possible d'en trouver en combinant les feuilles de toutes
les maniÃ¨res. Si au lieu de mots les feuilles eussent portÃ© des signes hiÃ©roglyphiques, le nombre des
interprÃ©tations eÃ»t encore augmentÃ©, et l'on eÃ»t pu consulter le sort en les assemblant au hasard; c'est
ce que firent depuis les gÃ©omanciens qui devinaient par des nombres et des figures de gÃ©omÃ©trie
jetÃ©s au hasard. C'est ce que font encore de nos jours les adeptes de la cartomancie, en se servant de grands
alphabets magiques du tarot dont ils ignorent assez gÃ©nÃ©ralement la valeur. Dans ces opÃ©rations, le
sort choisit seulement les signes qui doivent inspirer l'interprÃ¨te, et sans une facultÃ© toute spÃ©ciale
d'intuition et de seconde vue, les phrases indiquÃ©es par l'assemblage des lettres sacrÃ©es et les
rÃ©vÃ©lations indiquÃ©es par l'assemblage des figures prophÃ©tiseront au hasard. Ce n'est pas tout
d'assembler les lettres, il faut savoir lire. La cartomancie bien comprise est une vÃ©ritable consultation des
esprits sans nÃ©cromancie et sans sacrifices, elle veut donc l'assistance d'un bon mÃ©dium, la pratique en est
d'ailleurs dangereuse et nous ne la conseillons Ã personne. N'est-ce donc pas assez du souvenir de [157] nos
misÃ¨res pour aggraver nos souffrances dans le prÃ©sent, faut-il encore les surcharger de toute l'anxiÃ©tÃ©
MAGIE DU CULTE PUBLIC. 100

de l'avenir, et souffrir tous les jours d'avance les catastrophes qu'il nous est impossible d'Ã©viter?
CHAPITRE V.
MYSTÃRES DE LA VIRGINITÃ.
SOMMAIRE.--L'hellÃ©nisme Ã Rome.--Institutions de Numa.--Les Vestales.--AllÃ©gories du feu
sacrÃ©.--PortÃ©e religieuse de l'histoire de LucrÃ¨ce.--MystÃ¨res de la bonne dÃ©esse.--Culte du foyer et
de la mÃ¨re patrie.--CollÃ¨ges des flamines et des augures.--Les oracles.--Opinions erronÃ©es de Fontenelle
et de Kircher.--AperÃ§u du calendrier magique chez les Romains.
L'empire romain ne fut qu'une transfiguration de celui des Grecs. L'Italie Ã©tait la grande GrÃ¨ce, et lorsque
l'hellÃ©nisme perfectionna ses dogmes et ses mystÃ¨res, c'est qu'il fallait commencer l'Ã©ducation des
enfants de la louve: Rome Ã©tait dÃ©jÃ au monde.
Un fait spÃ©cial caractÃ©rise l'initiation donnÃ©e aux Romains par Numa, c'est l'importance typique
rendue Ã la femme, Ã l'exemple des Ãgyptiens qui adoraient la divinitÃ© suprÃªme sous le nom d'Isis.
Chez les Grecs, le Dieu de l'initiation c'est Iacchos, le vainqueur de l'Inde, le resplendissant Androgyne aux
cornes d'Ammon, le PanthÃ©e qui tient la coupe des sacrifices et y fait ruisseler le vin de la vie universelle,
Iacchos, le fils de la foudre et le dompteur des tigres et des lions, mais c'est en profanant les mystÃ¨res
d'Iacchos que les bacchantes ont dÃ©chirÃ© [158] OrphÃ©e; Iacchos, sous le nom romain de Bacchus, ne
sera plus que le dieu de l'ivresse, et Numa demandera ses inspirations Ã la sage et discrÃ¨te ÃgÃ©rie, la
dÃ©esse du mystÃ¨re et de la solitude. Il faut bien donner une mÃ¨re Ã ces sauvages enfants trouvÃ©s qui
n'ont pu devenir Ã©poux qu'en enlevant des femmes par surprise et par trahison. Ce qui doit assurer l'avenir
de Rome, c'est le culte de la patrie et de la famille. Numa l'a compris, et il apprend d'ÃgÃ©rie comment on
honore la mÃ¨re des dieux. Il lui Ã©lÃ¨ve un temple sphÃ©rique sous la coupole duquel brÃ»le un feu qui
ne doit jamais s'Ã©teindre. Ce feu est entretenu par quatre vierges qu'on nommera vestales et qui seront
entourÃ©es d'honneurs extraordinaires si elles sont fidÃ¨les, punies avec une rigueur exceptionnelle si elles
manquent Ã leur dignitÃ©. L'honneur de la vierge est celui de la mÃ¨re, et la famille ne peut Ãªtre sainte
qu'autant que la puretÃ© virginale sera reconnue possible et glorieuse. Ici dÃ©jÃ la femme sort de la
servitude antique, ce n'est plus l'esclave orientale, c'est la divinitÃ© domestique, c'est la gardienne du foyer,
c'est l'honneur du pÃ¨re et de l'Ã©poux. Rome est devenue le sanctuaire des moeurs, et Ã ce prix elle sera la
souveraine des nations et la mÃ©tropole du monde.
La tradition magique de tous les Ã¢ges accorde Ã la virginitÃ© quelque chose de surnaturel et de divin. Les
inspirations prophÃ©tiques cherchent les vierges, et c'est en haine de l'innocence et de la virginitÃ© que la
GoÃ«tie sacrifie des enfants au sang desquels elle reconnaÃ®t pourtant une vertu sacrÃ©e et expiatoire.
Lutter contre l'attrait de la gÃ©nÃ©ration s'est c'exercer Ã vaincre la mort, et la suprÃªme chastetÃ© Ã©tait
la plus glorieuse couronne proposÃ©e aux hiÃ©rophantes. RÃ©pandre sa vie [159] dans des embrassements
humains c'est jeter des racines dans la tombe. La chastetÃ© est une fleur qui n'a plus de tige sur la terre et qui,
aux caresses du soleil qui l'invite Ã monter vers lui, peut se dÃ©tacher sans efforts et s'envoler comme un
oiseau.
Le feu sacrÃ© des vestales Ã©tait le symbole de la foi et du chaste amour. C'Ã©tait aussi l'emblÃ¨me de cet
agent universel dont Numa savait produire et diriger la forme Ã©lectrique et foudroyante. En effet, pour
CHAPITRE V. 101
rallumer le feu des vestales, si par une nÃ©gligence trÃ¨s punissable elles l'avaient laissÃ© s'Ã©teindre, il
fallait le soleil ou la foudre. On le renouvelait et on le consacrait au commencement de toutes les annÃ©es,
pratique conservÃ©e parmi nous et observÃ©e la veille de PÃ¢ques.
C'est Ã tort qu'on a accusÃ© le christianisme d'avoir empruntÃ© ce qu'il y avait de plus beau dans les
anciens cultes. Le christianisme, cette derniÃ¨re forme de l'orthodoxie universelle, a gardÃ© tout ce qui lui
appartenait et n'a rejetÃ© que les pratiques dangereuses et les vaines superstitions.
Le feu sacrÃ© reprÃ©sentait aussi l'amour de la patrie et la religion du foyer. C'est Ã cette religion, c'est Ã
l'inviolabilitÃ© du sanctuaire conjugal que LucrÃ¨ce se sacrifia. LucrÃ¨ce personnifie toute la majestÃ© de
l'ancienne Rome; elle pouvait sans doute se soustraire Ã l'outrage en abandonnant sa mÃ©moire Ã la
calomnie, mais la haute rÃ©putation est une noblesse qui oblige. En matiÃ¨re d'honneur un scandale est plus
dÃ©plorable qu'une faute. LucrÃ¨ce Ã©leva sa dignitÃ© d'honnÃªte femme jusqu'Ã la hauteur du sacerdoce
en subissant un attentat pour l'expier ensuite et le punir.
[160]C'est en mÃ©moire de cette illustre Romaine que la haute initiation au culte de la patrie et du foyer fut
confiÃ©e aux femmes, Ã l'exclusion des hommes. LÃ elles devaient apprendre que le vÃ©ritable amour est
celui qui inspire les plus hÃ©roÃ¯ques dÃ©vouements. On leur disait que la vraie beautÃ© de l'homme c'est
l'hÃ©roÃ¯sme et la grandeur; que la femme capable de trahir ou d'abandonner son mari, flÃ©trit Ã la fois
son avenir et son passÃ© et se met au front la tache ineffaÃ§able d'une prostitution rÃ©trospective
aggravÃ©e encore par un parjure. Cesser d'aimer celui auquel on a donnÃ© la fleur de sa jeunesse, c'est le
plus grand malheur qui puisse affliger le coeur d'une femme honnÃªte; mais le dÃ©clarer hautement, c'est
renier son innocence passÃ©e, c'est renoncer Ã la probitÃ© du coeur et Ã l'intÃ©gritÃ© de l'honneur, c'est
la derniÃ¨re et la plus irrÃ©parable de toutes les hontes.
Telle Ã©tait la religion de Rome: c'est Ã la magie d'une pareille morale qu'elle a dÃ» toutes ses grandeurs, et
lorsque pour elle le mariage cessa d'Ãªtre sacrÃ©, la dÃ©cadence n'Ã©tait pas loin.
S'il est vrai que, du temps de JuvÃ©nal, les mystÃ¨res de la bonne dÃ©esse Ã©taient des mystÃ¨res
d'impuretÃ©, ce dont il est permis peut-Ãªtre de douter un peu, car les femmes seules admises Ã ces
prÃ©tendues orgies se seraient donc dÃ©noncÃ©es elles-mÃªmes? en admettant, disons-nous, que cela soit
vrai, puisque tout Ã©tait possible aprÃ¨s les rÃ¨gnes de NÃ©ron et de Domitien, que pouvons-nous en
conclure sinon que le rÃ¨gne moral de la mÃ¨re des dieux Ã©tait passÃ© et qu'il devait faire place au culte
populaire, plus universel et plus pur de Marie, la mÃ¨re de Dieu?
[161]Numa, initiÃ© aux lois magiques et sachant les influences magnÃ©tiques de la vie commune, institua
des collÃ¨ges de prÃªtres et d'augures, et les soumit Ã des rÃ¨gles; c'Ã©tait l'idÃ©e premiÃ¨re des couvents,
une des grandes puissances de la religion. DÃ©jÃ depuis longtemps en JudÃ©e, les prophÃ¨tes se
rÃ©unissaient en cercles sympathiques, et mettaient en commun l'inspiration et la priÃ¨re. Il semble que
Numa ait connu les traditions de la JudÃ©e, ses flamines et ses saliens s'exaltaient par des Ã©volutions et des
danses qui rappellent celle de David devant l'arche. Numa n'institua pas de nouveaux oracles capables de
rivaliser avec celui de Delphes, mais il instruisit ses prÃªtres dans l'art des augures, c'est-Ã -dire qu'il leur
rÃ©vÃ©la une certaine thÃ©orie des pressentiments et de la seconde vue dÃ©terminÃ©s par des lois
secrÃ¨tes de la nature. Nous mÃ©prisons maintenant l'art des aruspices et des augures, parce que nous avons
perdu la science profonde de la lumiÃ¨re et des analogies universelles de ses reflets. Voltaire, dans son
charmant conte de Zadig, esquisse en jouant une science de divination toute naturelle, mais qui n'en est pas
moins merveilleuse, parce qu'elle suppose une finesse d'observation tout exceptionnelle et une sÃ©rie de
dÃ©ductions qui Ã©chappe habituellement Ã la logique si bornÃ©e du vulgaire. On raconte que
ParmÃ©nides, maÃ®tre de Pythagore, ayant goÃ»tÃ© de l'eau d'une source, prÃ©dit un prochain
tremblement de terre: il n'y a rien lÃ qui doive sembler Ã©trange, car les saveurs bitumineuses et sulfureuses
rÃ©pandues dans l'eau ont pu avertir le philosophe du travail intÃ©rieur des terrains avoisinants. Peut-Ãªtre
MYSTÃRES DE LA VIRGINITÃ. 102

mÃªme l'eau Ã©tait-elle seulement troublÃ©e d'une maniÃ¨re insolite. Quoiqu'il en soit, nous prÃ©voyons
encore la rigueur des hivers [162] par le vol des oiseaux, et nous pourrions prÃ©voir certaines influences
atmosphÃ©riques par l'inspection des organes digestifs et respiratoires des animaux. Or, les perturbations
physiques de l'atmosphÃ¨re ont souvent des causes morales. Les rÃ©volutions se traduisent en l'air par de
grands orages, le souffle des peuples agite le ciel. Le succÃ¨s marche avec les courants Ã©lectriques, et les
couleurs de la lumiÃ¨re vivante reflÃ¨tent les mouvements de la foudre, Â«Il y a quelque chose dans l'air,Â»
dit le peuple avec son instinct prophÃ©tique. Les aruspices et les augures apprenaient Ã lire les caractÃ¨res
que trace partout la lumiÃ¨re, et Ã reconnaÃ®tre les marques des courants et des rÃ©volutions astrales. Ils
savaient pourquoi les oiseaux volent isolÃ©s ou se rassemblent, quelles influences les font aller vers le nord
ou vers le midi, vers l'orient ou l'occident, et c'est ce que nous ne savons plus, nous qui nous moquons des
augures. Il est si facile de se moquer et si difficile de bien apprendre.
C'est par suite de ce parti pris de dÃ©nigrer et de nier tout ce que nous ne comprenons pas, que des hommes
d'esprit, comme Fontenelle, et des savants, comme Kircher, ont Ã©crit des choses si tÃ©mÃ©raires sur les
anciens oracles. Tout est manoeuvres et supercheries aux yeux de ces esprits forts. Ils inventent des statues
machinÃ©es, des porte-voix cachÃ©s, des Ã©chos mÃ©nagÃ©s dans les souterrains des temples. Pourquoi
donc calomnier toujours le sanctuaire? N'y aurait-il donc jamais eu que des fripons parmi les prÃªtres? Ne
pouvait-il se trouver parmi les hiÃ©rophantes de CÃ©rÃ¨s ou d'Apollon des hommes honnÃªtes et
convaincus? On trompait donc ceux-lÃ comme les autres? Mais qui donc les trompait [163] constamment
sans se trahir pendant une suite de siÃ¨cles, car les fourbes ne sont pas immortels. Des expÃ©riences
rÃ©centes prouvent que les pensÃ©es peuvent se transmettre, se traduire en Ã©criture et s'imprimer par les
seules forces de la lumiÃ¨re astrale. Des mains mystÃ©rieuses Ã©crivent encore sur nos murs comme au
festin de Balthazar. Souvenons-nous de cette sage parole d'un savant qu'on n'accusera certainement ni de
fanatisme ni de crÃ©dulitÃ©: Arago disait qu'en dehors des mathÃ©matiques pures, celui qui prononce le
mot impossible, manque de prudence.
Le calendrier religieux de Numa est calquÃ© sur celui des mages, c'est une sÃ©rie de fÃªtes et de mystÃ¨res
rappelant toute la doctrine secrÃ¨te des initiÃ©s et adaptant parfaitement les actes publics du culte aux lois
universelles de la nature. La disposition des mois et des jours est restÃ©e la mÃªme sous l'influence
conservatrice de la rÃ©gÃ©nÃ©ration chrÃ©tienne. Comme les Romains de Numa, nous sanctifions encore
par l'abstinence les jours consacrÃ©s au souvenir de la gÃ©nÃ©ration et de la mort; mais pour nous le jour
de VÃ©nus est sanctifiÃ© par les expiations du calvaire. Le jour sombre de Saturne est celui oÃ¹ notre dieu
incarnÃ© dort dans sa tombe, mais il ressuscitera, et la vie qu'il nous promet, Ã©moussera la faux de
Chronos. Le mois que les Romains consacraient Ã MaÃ¯a, la nymphe de la jeunesse et des fleurs, la jeune
mÃ¨re qui sourit aux prÃ©mices de l'annÃ©e, est vouÃ© par nous Ã Marie, la rose mystique, le lis de
puretÃ©, la cÃ©leste mÃ¨re du Sauveur. Ainsi nos usages religieux sont anciens comme le monde, nos
fÃªtes ressemblent Ã celles de nos pÃ¨res, et le Sauveur des chrÃ©tiens n'est venu rien supprimer des
beautÃ©s [164] symboliques et religieuses de l'ancienne initiation; il est venu, comme il le disait lui-mÃªme
Ã propos de la loi figurative des IsraÃ©lites, tout rÃ©aliser et tout accomplir.
CHAPITRE VI.
DES SUPERSTITIONS.
SOMMAIRE.--Leur origine; leur durÃ©e.--La sorcellerie est la superstition de la magie.--Superstitions
grecques et romaines.--Les prÃ©sages, les songes, les enchantements, les fascinations.--Le mauvais oeil--Les
sorts.--Les envoÃ»tements.
CHAPITRE VI. 103

Les superstitions sont des formes religieuses qui survivent aux idÃ©es perdues. Toutes ont eu pour raison
d'Ãªtre une vÃ©ritÃ© qu'on ne sait plus ou qui s'est transfigurÃ©e. Leur nom, du latin superstes, signifie ce
qui survit: ce sont les restes matÃ©riels des sciences ou des opinions anciennes.
La multitude, toujours plutÃ´t instinctive que pensante, s'attache aux idÃ©es par les formes, et change
difficilement d'habitudes. Lorsqu'on veut combattre les superstitions, il semble toujours au peuple qu'on
s'attaque Ã la religion mÃªme; aussi saint GrÃ©goire, l'un des plus grands papes de la chrÃ©tientÃ©, ne
voulait-il pas qu'on supprimÃ¢t les usages. Purifiez les temples, Ã©crivait-il Ã ses missionnaires, mais ne les
dÃ©truisez pas, Â«car, tant que la nation verra subsister ses anciens lieux de priÃ¨re, elle s'y rendra par
habitude et vous la gagnerez plus facilement au culte du vrai Dieu.Â»
[165]Â«Les Bretons, dit encore ce saint pape, font Ã certains jours des sacrifices et des festins, laissez-leur
les festins, ne supprimez que les sacrifices; laissez-leur la joie de leurs fÃªtes, mais de paÃ¯enne qu'elle
Ã©tait, rendez-la doucement et progressivement chrÃ©tienne.Â»
La religion garda presque les noms mÃªmes des coutumes pieuses qu'elle remplaÃ§ait par les saints
mystÃ¨res. Ainsi les anciens cÃ©lÃ©braient tous les ans un banquet nommÃ© les charisties; ils y invitaient
les Ã¢mes de leurs ancÃªtres et faisaient ainsi acte de foi en la vie universelle et immortelle. L'Eucharistie,
c'est-Ã -dire la charistie par excellence, a remplacÃ© les charisties, et nous communions Ã PÃ¢ques avec
tous nos amis de la terre et du ciel. Loin de favoriser par de semblables progrÃ¨s les anciennes superstitions,
le christianisme rendait l'Ã¢me et la vie aux signes survivants des croyances universelles.
La magie, cette science de la nature qui tient de si prÃ¨s Ã la religion, puisqu'elle initie les hommes aux
secrets de la divinitÃ©, la magie, cette science oubliÃ©e, vit encore tout entiÃ¨re dans les signes
hiÃ©roglyphiques, et en partie dans les traditions vivantes ou superstitions qu'elle a laissÃ©es.
Ainsi, par exemple, l'observance des nombres et des jours est une rÃ©miniscence aveugle du dogme magique
primitif. Le vendredi, jour consacrÃ© Ã VÃ©nus, Ã©tait regardÃ© par les anciens comme un jour funeste,
parce qu'il rappelle les mystÃ¨res de la naissance et de la mort. On ne commenÃ§ait rien ce jour-lÃ chez les
juifs, mais on achevait tout le travail de la semaine parce qu'il prÃ©cÃ¨de le jour du sabbat ou du repos
obligatoire. Le nombre treize, qui vient aprÃ¨s le cycle parfait de douze, reprÃ©sente aussi la mort [166]
aprÃ¨s les travaux de la vie. L'article du symbole israÃ«lite relatif Ã la mort est le treiziÃ¨me. Par suite du
dÃ©membrement de la famille de Joseph en deux tribus, il se trouvait treize convives Ã la premiÃ¨re
pÃ¢que d'IsraÃ«l, dans la terre promise, c'est-Ã -dire treize tribus au partage des moissons de Chanaan. Une
de ces tribus fut exterminÃ©e, et ce fut celle de Benjamin, le plus jeune des enfants de Jacob. De lÃ est
venue cette tradition que lorsqu'on est treize Ã table, le plus jeune doit bientÃ´t mourir.
Les mages s'abstenaient de la chair de certains animaux et ne mangeaient pas de sang. MoÃ¯se mit leur
pratique en prÃ©cepte, et dit, relativement au sang, que l'Ã¢me des animaux s'y trouve unie, et qu'il ne faut
pas se nourrir d'Ã¢mes animales. Ces Ã¢mes animales qui restent dans le sang sont comme un phosphore de
lumiÃ¨re astrale coagulÃ©e et corrompue qui peut devenir le germe d'un grand nombre de maladies; le sang
des animaux suffoquÃ©s se digÃ¨re mal et prÃ©dispose aux apoplexies et aux cauchemars. La chair des
carnivores est Ã©galement malsaine Ã cause des instincts fÃ©roces dont elle a Ã©tÃ© animÃ©e, et de ce
qu'elle a dÃ©jÃ absorbÃ© de corruption et de mort.
Â«Lorsque l'Ã¢me d'un animal est sÃ©parÃ©e de son corps avec violence, dit Porphyre, elle ne s'en
Ã©loigne pas, et comme les Ã¢mes humaines qu'une mort violente a fait pÃ©rir, elle reste prÃ¨s de son
corps. Lors donc qu'on tue les animaux, leurs Ã¢mes se plaisent auprÃ¨s des corps qu'on les a forcÃ©s de
quitter. Rien ne peut les en Ã©loigner: elles y sont retenues par sympathie. On en a vu plusieurs qui
DES SUPERSTITIONS. 104

gÃ©missaient prÃ¨s de leurs corps. Ainsi les Ã¢mes des hommes dont les corps ne sont point inhumÃ©s,
restent [167] prÃ¨s de leurs cadavres; c'est de celles-lÃ que les magiciens abusent pour leurs opÃ©rations, en
les forÃ§ant de leur obÃ©ir, lorsqu'ils sont les maÃ®tres du corps mort soit en entier, soit en partie. Les
thÃ©osophes qui sont instruits de ces mystÃ¨res, et qui savent quelle est la sympathie de l'Ã¢me des bÃªtes
pour les corps dont elles sont sÃ©parÃ©es et avec quel plaisir elles s'en approchent, ont avec raison
dÃ©fendu l'usage de certaines viandes, afin que nous ne soyons pas infestÃ©s d'Ã¢mes Ã©trangÃ¨res.Â»
Porphyre ajoute qu'on peut devenir prophÃ¨te en se nourrissant de coeurs de corbeaux, de taupes et
d'Ã©perviers. Ici le thÃ©urgiste d'Alexandrie tombe dans les recettes du petit Albert; mais s'il arrive sitÃ´t Ã
la superstition, c'est qu'il a promptement fait fausse route, car son point de dÃ©part Ã©tait la science.
Les anciens, pour dÃ©signer les propriÃ©tÃ©s secrÃ¨tes des animaux, disaient que les dieux Ã l'Ã©poque
de la guerre des gÃ©ants avaient pris diverses formes pour se cacher, et qu'ils se plaisaient parfois Ã les
reprendre. Ainsi Diane se change en louve; le soleil en taureau, en lion, en dragon et en Ã©pervier; HÃ©cate
en cheval, en lionne, en chienne. Le nom de PhÃ©rÃ©bate a Ã©tÃ© donnÃ©, suivant plusieurs
thÃ©osophes, Ã Proserpine parce qu'elle se nourrit de tourterelles. Les tourterelles sont l'offrande ordinaire
que les prÃªtresses de MaÃ¯a font Ã cette dÃ©esse qui est la Proserpine de la terre, la fille de la blonde
CÃ©rÃ¨s, nourriciÃ¨re du genre humain. Les initiÃ©s d'Ãleusis doivent s'abstenir d'oiseaux domestiques, de
poissons, de fÃ¨ves, de pÃªches et de pommes; ils ne touchent jamais une femme en couches ou qui a ses
mois. Porphyre, Ã qui nous empruntons encore tous ces dÃ©tails, ajoute la phrase que voici:
[168]Â«Quiconque a Ã©tudiÃ© la science des visions, sait que l'on doit s'abstenir de toutes sortes d'oiseaux
si l'on veut Ãªtre dÃ©livrÃ© du joug des choses terrestres et trouver une place parmi les dieux du ciel.Â»
Mais il n'en dit pas la raison.
Suivant Euripide, les initiÃ©s au culte secret de Jupiter en CrÃ¨te s'abstenaient de la chair des animaux. Voici
comment il fait parler ces prÃªtres; c'est le choeur qui s'adresse au roi Minos:
Â«Fils d'une Tyrienne de PhÃ©nicie, descendant d'Europe et du grand Jupiter, roi de l'Ã®le de CrÃ¨te,
fameuse par cent villes; nous venons vers toi, en quittant les temples des dieux construits du bois des chÃªnes
et des cyprÃ¨s faÃ§onnÃ©s par le fer, nous menons une vie pure.--Depuis le temps que j'ai Ã©tÃ© fait
prÃªtre de Jupiter idÃ©en, je ne prends plus de part aux repas nocturnes des bacchanales, et je ne mange plus
les viandes saignantes, mais j'offre des flambeaux Ã la mÃ¨re des dieux: je suis prÃªtre parmi les curÃ¨tes
revÃªtus de blanc; je m'Ã©loigne du berceau des hommes, j'Ã©vite aussi leurs tombes, et je ne mange rien de
ce qui a Ã©tÃ© animÃ© par le souffle de vie.Â»
La chair des poissons est phosphorescente, et par consÃ©quent aphrodisiaque. Les fÃ¨ves sont
Ã©chauffantes et font rÃªver creux. On trouverait sans doute une raison profonde Ã toutes les abstinences,
mÃªme les plus singuliÃ¨res, en dehors de toutes superstitions. Il est certaines combinaisons d'aliments qui
sont contraires aux harmonies de la nature. Â«Ne faites pas cuire le chevreau dans le lait de sa mÃ¨re,Â»
disait MoÃ¯se; prescription touchante comme allÃ©gorie et sage sous le rapport de l'hygiÃ¨ne.
[169]Les Grecs comme les Romains, mais moins que les Romains, croyaient aux prÃ©sages; ils regardaient
les serpents comme de bon augure lorsqu'ils goÃ»taient aux offrandes sacrÃ©es. S'il tonnait Ã droite ou
gauche, l'augure Ã©tait favorable ou malheureux. Les Ã©ternuements Ã©taient des prÃ©sages, et ils
observaient de mÃªme certains autres accidents naturels aussi bruyants, mais moins honnÃªtes que
l'Ã©ternuement. Dans l'hymne de Mercure, HomÃ¨re raconte qu'Apollon, auquel le dieu des voleurs, Ã©tant
encore au berceau, venait de dÃ©rober ses boeufs, prend l'enfant et le secoue pour lui faire avouer le larcin:
Mercure s'avisant d'un Ã©trange miracle,

De ses flancs courroucÃ©s fit entendre l'oracle;
Jusqu'au grand Apollon la vapeur en monta,
Et gourmandant l'enfant qu'Ã terre il rejeta,
Bien qu'il eÃ»t grand dÃ©sir d'achever son voyage,
Le dieu se dÃ©tourna, puis lui tint ce langage:
Courage, de MaÃ¯a, l'excellente en beautÃ©,
Et du grand Jupiter, beau fils emmaillotÃ©,
Sans doute je pourrais trouver par aventure
La trace de mes boeufs, guidÃ© par cet augure,
Mais tu me conduiras toujours en attendant.
(Hymnes d'HomÃ¨re, traduction de Salomon Certon, page 59.)
Chez les Romains tout Ã©tait prÃ©sage. Un caillou auquel le pied se heurtait, le cri d'une chouette,
l'aboiement d'un chien, un vase brisÃ©, une vieille femme qui vous regardait la premiÃ¨re, un animal qu'on
rencontrait. Ces vaines terreurs avaient pour principe cette grande science magique de la divination qui ne
nÃ©glige aucun indice et qui, d'un effet inaperÃ§u du vulgaire, [170] remonte Ã une sÃ©rie de causes
qu'elle enchaÃ®ne entre elles. Elle sait, par exemple, que les influences atmosphÃ©riques qui font hurler le
chien, sont mortelles pour certains malades; que la prÃ©sence et le tournoiement des corbeaux annoncent des
cadavres abandonnÃ©s: ce qui est toujours de sinistre augure. Les corbeaux frÃ©quentent plus volontiers les
rÃ©gions du meurtre et du supplice. Le passage de certains oiseaux annonce les hivers rigoureux, d'autres par
des cris plaintifs sur la mer donnent le signal des tempÃªtes. Ce que la science discerne, l'ignorance le
remarque et le gÃ©nÃ©ralise. La premiÃ¨re trouve partout d'utiles avertissements; l'autre s'inquiÃ¨te de tout
et se fait peur Ã elle-mÃªme.
Les Romains Ã©taient aussi grands observateurs de songes; l'art de les expliquer tient Ã la science de la
lumiÃ¨re vitale et Ã l'intelligence de sa direction et de ses reflets. Les hommes versÃ©s dans les
mathÃ©matiques transcendentales savent bien qu'il n'y a pas d'image sans lumiÃ¨re soit directe, soit
reflÃ©tÃ©e, soit rÃ©fractÃ©e, et par la direction du rayon dont ils sauront reconnaÃ®tre le retour sous la
brisure, ils parviendront toujours par un calcul exact au foyer lumineux dont ils apprÃ©cieront la force
universelle ou relative. Ils tiendront compte aussi de l'Ã©tat sain ou maladif de l'appareil visuel, soit
extÃ©rieur, soit intÃ©rieur, auquel ils attribueront la difformitÃ© ou la rectitude apparente des images. Les
songes, pour ceux-lÃ , seront toute une rÃ©vÃ©lation. Le songe est un semblant d'immortalitÃ© dans cette
mort de toutes les nuits que nous appelons le sommeil. Dans les rÃªves nous vivons de la vie universelle sans
conscience de bien ou de mal, de temps ou d'espace. Nous voltigeons sur les arbres, [171] nous dansons sur
l'eau, nous soufflons sur les prisons et elles s'Ã©croulent, ou bien nous sommes lourds, tristes, poursuivis,
enchaÃ®nÃ©s, suivant l'Ã©tat de notre santÃ©, et souvent aussi celui de notre conscience. Tout cela sans
doute est utile Ã observer, mais que peuvent en conclure ceux qui ne savent pas et qui ne veulent rien

apprendre?
L'action toute-puissante de l'harmonie pour exalter l'Ã¢me et la rendre maÃ®tresse des sens, Ã©tait bien
connue des anciens sages, mais ce qu'ils employaient pour calmer, les enchanteurs en firent usage pour exalter
et pour enivrer. Les sorciÃ¨res de Thessalie et celles de Rome Ã©taient convaincues de ceci: que la lune
Ã©tait arrachÃ©e du ciel par les vers barbares qu'elles rÃ©citaient et venait tomber sur la terre toute pÃ¢le
et toute sanglante. La monotonie de leur rÃ©citation, les passes de leurs baguettes magiques, leurs
tournoiements autour des cercles les magnÃ©tisaient, les exaltaient, les amenaient progressivement jusqu'Ã
la fureur, jusqu'Ã l'extase, jusqu'Ã la catalepsie. Elles rÃªvaient alors tout Ã©veillÃ©es et voyaient les
tombeaux s'ouvrir, l'air se charger de nuÃ©es de dÃ©mons et la lune tomber du ciel.
La lumiÃ¨re astrale est l'Ã¢me vivante de la terre, Ã¢me matÃ©rielle et fatale, nÃ©cessitÃ©e dans ses
productions et dans ses mouvements par les lois Ã©ternelles de l'Ã©quilibre. Cette lumiÃ¨re qui entoure et
pÃ©nÃ¨tre tous les corps peut en annuler la pesanteur et les faire tourner autour d'un centre puissamment
absorbant. Des phÃ©nomÃ¨nes qu'on n'a pas assez examinÃ©s et qui se reproduisent de nos jours, ont
prouvÃ© la vÃ©ritÃ© de cette thÃ©orie. C'est Ã cette loi naturelle qu'il faut attribuer les tourbillons
magiques au centre desquels se plaÃ§aient les enchanteurs. C'est le secret de [172] la fascination exercÃ©e
sur les oiseaux par certains reptiles et sur les natures sensitives par les natures nÃ©gatives et absorbantes; les
mediums sont en gÃ©nÃ©ral des Ãªtres malades en qui le vide se fait, et qui attirent alors la lumiÃ¨re comme
les abÃ®mes attirent l'eau des tourbillons. Les corps les plus lourds peuvent Ãªtre alors soulevÃ©s comme
des pailles, et entraÃ®nÃ©s par le courant. Ces natures nÃ©gatives et mal Ã©quilibrÃ©es, en qui le corps
fluidique est informe, projettent Ã distance leur force d'attraction et s'Ã©bauchent en l'air des membres
supplÃ©mentaires et fantastiques. Lorsque le cÃ©lÃ¨bre medium Home fait apparaÃ®tre autour de lui des
mains sans corps, il a lui-mÃªme les mains mortes et glacÃ©es. On pourrait dire que les mediums sont des
crÃ©atures phÃ©nomÃ©nales en qui la mort lutte visiblement contre la vie. Il faut juger de mÃªme les
fascinateurs, les jeteurs de sort, les gens qui ont le mauvais oeil et les envoÃ»teurs. Ce sont des vampires, soit
volontaires, soit involontaires; ils attirent la vie qui leur manque et troublent ainsi l'Ã©quilibre de la lumiÃ¨re.
S'ils le font volontairement, ce sont des malfaiteurs qu'il faut punir; s'ils le font involontairement, ce sont des
malades fort dangereux dont les personnes dÃ©licates et nerveuses surtout doivent soigneusement Ã©viter le
contact.
Voici ce que Porphyre raconte dans la vie de Plotin:
Â«Parmi ceux qui faisaient profession de philosophes, il y en avait un nommÃ© Olympius, il Ã©tait
d'Alexandrie; il avait Ã©tÃ© pendant quelque temps disciple d'Ammonius, il traita Plotin avec mÃ©pris
parce qu'il voulait avoir plus de rÃ©putation que lui. Il employa des cÃ©rÃ©monies magiques pour lui nuire;
mais s'Ã©tant aperÃ§u que son entreprise retombait sur lui-mÃªme, il convint [173] devant ses amis qu'il
fallait que l'Ã¢me de Plotin fÃ»t bien puissante, puisqu'elle rÃ©torquait sur ses ennemis leurs mauvais
desseins. Plotin sentait l'action hostile d'Olympius, et parfois il lui arriva de dire: Â«Voici Olympius qui a
maintenant des convulsions.Â» Celui-ci ayant Ã©prouvÃ© plusieurs fois qu'il souffrait lui-mÃªme les maux
qu'il voulait faire souffrir Ã Plotin, cessa enfin de le persÃ©cuter.Â»
L'Ã©quilibre est la grande loi de la lumiÃ¨re vitale: si nous la projetons avec violence, et qu'elle soit
repoussÃ©e par une nature mieux Ã©quilibrÃ©e que la nÃ´tre, elle revient sur nous avec une violence
Ã©gale. Malheur donc Ã ceux qui veulent employer les forces naturelles au service de l'injustice, car la
nature est juste et ses rÃ©actions sont terribles.

CHAPITRE VII.
MONUMENTS MAGIQUES.
SOMMAIRE.--Les pyramides.--Les sept merveilles.--ThÃ¨bes et ses sept portes.--Le bouclier d'Achille.--Les
colonnes d'Hercule.
Nous avons dit que l'ancienne Ãgypte Ã©tait un pantacle, et l'on pourrait en dire autant de l'ancien monde
tout entier. Plus les grands hiÃ©rophantes mettaient de soin Ã cacher leur science absolue, plus ils
cherchaient Ã en agrandir et Ã en multiplier les symboles. Les pyramides triangulaires et carrÃ©es par la
base, reprÃ©sentaient leur mÃ©taphysique basÃ©e sur la science de la nature. Cette science de la nature
avait pour clef symbolique la [174] forme gigantesque de ce grand sphinx qui s'est creusÃ© un lit profond
dans le sable en veillant au pied des pyramides. Les sept grands monuments appelÃ©s les merveilles du
monde Ã©taient les magnifiques commentaires des sept lignes dont se composaient les pyramides, et des sept
CHAPITRE VII. 108

portes mystÃ©rieuses de ThÃ¨bes. A Rhodes, Ã©tait le pantacle du soleil. Le dieu de la lumiÃ¨re et de la
vÃ©ritÃ© y apparaissait sous une forme humaine revÃªtue d'or, il Ã©levait dans sa main droite le phare de
l'intelligence; dans sa main gauche, il tenait la flÃ¨che du mouvement et de l'action. Ses pieds reposaient Ã
droite Ã gauche sur des mÃ´les qui reprÃ©sentaient les forces Ã©ternellement Ã©quilibrÃ©es de la nature,
la nÃ©cessitÃ© et la libertÃ©, le passif et l'actif, le fixe et le volatil, les colonnes d'Hercule.
A ÃphÃ¨se, Ã©tait le pantacle de la lune: c'Ã©tait le temple de la Diane panthÃ©e. Ce temple Ã©tait fait Ã
l'image de l'univers: c'Ã©tait un dÃ´me sur une croix avec une galerie carrÃ©e et une enceinte circulaire
comme le bouclier d'Achille.
Le tombeau de Mausole Ã©tait le pantacle de la VÃ©nus pudique ou conjugale: il avait une forme
lingamique. Son enceinte Ã©tait circulaire, son Ã©lÃ©vation carrÃ©e. Au centre du carrÃ© s'Ã©levait une
pyramide tronquÃ©e sur laquelle Ã©tait un char attelÃ© de quatre chevaux disposÃ©s en croix.
Les pyramides Ã©taient le pantacle d'HermÃ¨s ou de Mercure.
Le Jupiter olympien Ã©tait celui de Jupiter; les murs de Babylone et la forteresse de SÃ©miramis Ã©taient
le pantacle de Mars.
[175]Enfin le temple de Salomon, ce pantacle universel et absolu qui devait dÃ©vorer tous les autres, Ã©tait
pour la gentilitÃ© le pantacle terrible de Saturne.
La philosophie septÃ©naire de l'initiation chez les anciens pouvait se rÃ©sumer ainsi:
Trois principes absolus qui n'en sont qu'un; quatre formes Ã©lÃ©mentaires qui n'en sont qu'une, formant un
tout unique composÃ© d'idÃ©e et de forme.
Les trois principes Ã©taient ceux-ci:
1Â° L'ÃTRE EST L'ÃTRE.
En philosophie, identitÃ© de l'idÃ©e et de l'Ãtre ou vÃ©ritÃ©; en religion, le premier principe, le PÃ¨re.
2Â° L'ÃTRE EST RÃEL.
En philosophie, identitÃ© du savoir et de l'Ãtre ou rÃ©alitÃ©; en religion le LOGOS de Platon, le

Demiourgos, le Verbe.
3Â° L'ÃTRE EST LOGIQUE.
En philosophie, identitÃ© de la raison et de la rÃ©alitÃ©; en religion, la Providence, l'action divine qui

rÃ©alise le bien; l'amour rÃ©ciproque du vrai et du bien, ce que dans le christianisme nous appelons le
Saint-Esprit.
Les quatre formes Ã©lÃ©mentaires Ã©taient l'expression de deux lois fondamentales: la rÃ©sistance et le
mouvement; l'inertie qui rÃ©siste ou le fixe, la vie qui agit ou le volatil; en d'autres termes plus
gÃ©nÃ©raux, la matiÃ¨re et l'esprit: la matiÃ¨re Ã©tait le nÃ©ant formulÃ© en affirmation passive; l'esprit
Ã©tait le principe de la nÃ©cessitÃ© absolue dans le vrai. L'action nÃ©gative du nÃ©ant matÃ©riel sur
l'esprit Ã©tait appelÃ©e mauvais principe; l'action [176] positive de l'esprit sur le nÃ©ant pour le remplir de
crÃ©ation et de lumiÃ¨re Ã©tait appelÃ©e bon principe. A ces deux conceptions correspondaient
l'humanitÃ© d'une part, et de l'autre la vie raisonnable rÃ©demptrice de l'humanitÃ© conÃ§ue dans le
MONUMENTS MAGIQUES. 109

pÃ©chÃ©, c'est-Ã -dire dans le nÃ©ant, Ã cause de sa gÃ©nÃ©ration matÃ©rielle.
Telle Ã©tait la doctrine de l'initiation secrÃ¨te. Telle est l'admirable synthÃ¨se que le christianisme est venu
vivifier de son souffle, illuminer de ses splendeurs, Ã©tablir divinement par son dogme, rÃ©aliser par ses
sacrements.
SynthÃ¨se qui a disparu sous le voile qui la conserve, mais que l'humanitÃ© retrouvera, quand le moment
sera venu, dans toute sa beautÃ© primitive et dans toute sa maternelle fÃ©conditÃ©!
[177]
LIVRE III.
SYNTHÃSE ET RÃALISATION DIVINE DU MAGISME

PAR LA RÃVÃLATION CHRÃTIENNE.
×. Ghimel.
CHAPITRE PREMIER.
CHRIST ACCUSÃ DE MAGIE PAR LES JUIFS.

SOMMAIRE.--Le cÃ´tÃ© inconnu du christianisme.--Paraboles du Talmud et du Sepher
Toldos-Jeschut.--L'Ãvangile et l'Apocalypse de saint Jean.--Les Joannites.--Les livres de magie brÃ»lÃ©s par
saint Paul.--Cessation des oracles.--Transfiguration du prodige naturel en miracle et de la divination en
prophÃ©tie.
Dans les premiÃ¨res lignes de l'Ãvangile selon saint Jean, il y a une parole que l'Ãglise catholique ne
prononce jamais sans flÃ©chir les genoux. Cette parole, la voici: LE VERBE S'EST FAIT CHAIR.
Dans cette parole est contenue la rÃ©vÃ©lation chrÃ©tienne tout entiÃ¨re. Aussi saint Jean donne-t-il pour
critÃ©rium d'orthodoxie la confession de JÃ©sus-Christ en chair, c'est-Ã -dire en rÃ©alitÃ© visible et
humaine.
ÃzÃ©chiel, le plus profond kabbaliste des anciens prophÃ¨tes, aprÃ¨s avoir vivement colorÃ© dans ses
visions les pantacles et les hiÃ©roglyphes de la science; aprÃ¨s avoir fait tourner les roues dans les roues,
allumÃ© des yeux vivants autour des sphÃ¨res, fait [178] marcher en battant des ailes les quatre animaux
mystÃ©rieux, ÃzÃ©chiel ne voit plus qu'une plaine couverte d'ossements dessÃ©chÃ©s; il parle, et les
formes reviennent, la chair couvre les os. Une triste beautÃ© s'Ã©tend sur les dÃ©pouilles de la mort, mais
c'est une beautÃ© froide et sans vie. Telles Ã©taient les doctrines et les mythologies du vieux monde,
lorsqu'un souffle de charitÃ© descendit du ciel. Alors les formes mortes se levÃ¨rent, les rÃªves
LIVRE III. 110

philosophiques firent place Ã des hommes vraiment sages; la parole s'incarna et devint vivante; il n'y eut plus
d'abstractions, tout fut rÃ©el. La foi qui se prouve par les oeuvres remplaÃ§a les hypothÃ¨ses qui
n'aboutissaient qu'Ã des fables. La magie se transforma en saintetÃ©, les prodiges devinrent des miracles, et
les multitudes rÃ©prouvÃ©es par l'initiation antique furent appelÃ©es Ã la royautÃ© et au sacerdoce de la
vertu.
La rÃ©alisation est donc l'essence de la religion chrÃ©tienne. Aussi son dogme donne-t-il un corps aux
allÃ©gories mÃªme les plus Ã©videntes. On montre encore Ã JÃ©rusalem la maison du mauvais riche, et
peut-Ãªtre trouverait-on mÃªme, en cherchant bien, quelque lampe ayant appartenu aux vierges folles. Ces
crÃ©dulitÃ©s naÃ¯ves n'ont au fond rien de bien dangereux, et prouvent seulement la virtualitÃ©
rÃ©alisatrice de la foi chrÃ©tienne.
Les Juifs l'accusent d'avoir matÃ©rialisÃ© les croyances et idÃ©alisÃ© les choses terrestres. Nous avons
rapportÃ© dans notre Dogme et rituel de la haute magie la parabole assez ingÃ©nieuse du SÃ©pher
Toldos-Jeschut qui prouve cette accusation. Dans le Talmud, ils racontent que JÃ©sus Ben-Sabta, ou le fils de
la SÃ©parÃ©e, ayant Ã©tudiÃ© en Egypte les mystÃ¨res profanes, Ã©leva en IsraÃ«l une fausse pierre
angulaire et entraÃ®na le peuple dans [179] l'idolÃ¢trie. Ils reconnaissent toutefois que le sacerdoce
IsraÃ©lite a eu tort de le maudire des deux mains, et c'est Ã cette occasion qu'on trouve dans le Talmud ce
beau prÃ©cepte qui rapprochera un jour IsraÃ«l du christianisme: Â«Ne maudissez jamais des deux mains,
afin qu'il vous en reste toujours une pour pardonner et pour bÃ©nir.Â»
Le sacerdoce juif fut en effet injuste envers ce paisible maÃ®tre qui ordonnait Ã ses disciples d'obÃ©ir Ã la
hiÃ©rarchie constituÃ©e. Â«Ils sont assis dans la chaire de MoÃ¯se, disait le Sauveur, faites-donc ce qu'ils
vous disent, mais ne faites pas ce qu'ils font.Â» Un autre jour le MaÃ®tre ordonne Ã dix lÃ©preux d'aller se
montrer aux prÃªtres, et pendant qu'ils y allaient, ils furent guÃ©ris. Touchante abnÃ©gation du divin
thaumaturge qui renvoie Ã ses plus mortels ennemis l'honneur mÃªme de ses miracles!
D'ailleurs, pour accuser le Christ d'avoir posÃ© une fausse pierre angulaire, savaient-ils bien eux-mÃªmes
oÃ¹ Ã©tait alors la vÃ©ritable? La pierre angulaire, la pierre cubique, la pierre philosophale, car tous ces
noms symboliques signifient la mÃªme chose, cette pierre fondamentale du temple kabbalistique, carrÃ©e par
la base et triangulaire au sommet comme les pyramides, les Juifs du temps des pharisiens n'en avaient-ils pas
perdu la science? En accusant JÃ©sus d'Ãªtre un novateur, ne dÃ©nonÃ§aient-ils pas leur oubli de
l'antiquitÃ©? Cette lumiÃ¨re qu'Abraham avait vue avec des tressaillements de joie, n'Ã©tait-elle pas
Ã©teinte pour les enfants infidÃ¨les de MoÃ¯se, lorsque JÃ©sus la retrouva et la fit briller d'une nouvelle
splendeur? Pour en Ãªtre certain, il faut comparer avec l'Ãvangile et l'Apocalypse de saint Jean les
mystÃ©rieuses doctrines du SÃ©pher Jezirah et du Sohar. On [180] comprendra alors que le christianisme,
loin d'Ãªtre une hÃ©rÃ©sie juive, Ã©tait la vraie tradition orthodoxe du judaÃ¯sme, et que les scribes et les
pharisiens Ã©taient seuls des sectaires.
D'ailleurs l'orthodoxie chrÃ©tienne est un fait prouvÃ© par l'adhÃ©sion du monde et par la cessation chez
les Juifs du souverain sacerdoce et du sacrifice perpÃ©tuel, les deux marques certaines d'une vÃ©ritable
religion. Le judaÃ¯sme sans temple, sans grand prÃªtre et sans sacrifice, n'existe plus que comme opinion
contradictoire. Quelques hommes sont restÃ©s juifs; le temple et l'autel sont devenus chrÃ©tiens.
On trouve dans les Ãvangiles apocryphes une belle exposition allÃ©gorique de ce critÃ©rium de certitude du
christianisme, qui consiste dans l'Ã©vidence de la rÃ©alisation. Quelques enfants s'amusaient Ã pÃ©trir des
oiseaux d'argile, et l'enfant JÃ©sus jouait avec eux. Chacun des petits artistes vantait exclusivement son
ouvrage. JÃ©sus ne disait rien, mais quand il eut terminÃ© ses oiseaux, il frappa des mains, leur dit: Volez!
et ils s'envolÃ¨rent. VoilÃ comment les institutions chrÃ©tiennes se sont montrÃ©es supÃ©rieures Ã celles
de l'ancien monde. Celles-ci sont mortes, et le christianisme a vÃ©cu.
CHRIST ACCUSÃ DE MAGIE PAR LES JUIFS. 111

ConsidÃ©rÃ© comme l'expression parfaite, rÃ©alisÃ©e et vivante de la kabbale, c'est-Ã -dire de la tradition
primitive, le christianisme est encore inconnu, et c'est pour cela que le livre kabbalistique et prophÃ©tique de
l'Apocalypse est encore inexpliquÃ©.
Sans les clefs kabbalistiques, en effet, il est parfaitement inexplicable, puisqu'il est incomprÃ©hensible.
Les Joannites, ou disciples de saint Jean, conservÃ¨rent longtemps [181] l'explication traditionnelle de cette
Ã©popÃ©e prophÃ©tique, mais les gnostiques vinrent tout brouiller et tout perdre, comme nous
l'expliquerons plus tard.
Nous lisons dans les Actes des apÃ´tres, que saint Paul rÃ©unit Ã ÃphÃ¨se tous les livres qui traitaient des
choses curieuses, et les brÃ»la publiquement. Nul doute qu'il ne soit ici question des livres de la goÃ©tie ou
nigromancie des anciens. Cette perte est Ã regretter sans doute, car des monuments mÃªme de l'erreur
peuvent sortir des Ã©clairs de vÃ©ritÃ© et des renseignements prÃ©cieux pour la science.
Tout le monde sait qu'Ã la venue de JÃ©sus-Christ, les oracles cessÃ¨rent dans tout le monde, et qu'une voix
cria sur la mer: Â«Le grand Pan est mort!Â» Un Ã©crivain paÃ¯en se fÃ¢che de ces assertions, et dÃ©clare
que les oracles ne cessÃ¨rent pas, mais qu'il ne se trouva bientÃ´t plus personne pour les consulter. La
rectification est prÃ©cieuse, et nous trouvons une telle justification plus concluante en vÃ©ritÃ© que la
prÃ©tendue calomnie.
Il faut dire la mÃªme chose des prestiges, qui furent dÃ©daignÃ©s quand se produisirent les vrais miracles;
et en effet si les lois supÃ©rieures de la nature obÃ©issent Ã la vraie supÃ©rioritÃ© morale, les miracles
deviennent surnaturels comme les vertus qui les produisent. Notre thÃ©orie n'Ã´te rien Ã la puissance de
Dieu, et la lumiÃ¨re astrale obÃ©issant Ã la lumiÃ¨re supÃ©rieure de la grÃ¢ce reprÃ©sente rÃ©ellement
pour nous le serpent allÃ©gorique qui vient poser sa tÃªte vaincue sous le pied de la Reine du ciel.
[182]
CHAPITRE II.
VÃRITÃ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE.

SOMMAIRE.--Comment la magie rend tÃ©moignage de la vÃ©ritÃ© du christianisme.--L'esprit de
charitÃ©, la raison et la foi.--VanitÃ© et ridicule des objections.--Pourquoi l'autoritÃ© du sacerdoce
chrÃ©tien a dÃ» condamner la magie.--Simon le Magicien.
La magie, Ã©tant la science de l'Ã©quilibre universel et ayant pour principe absolu la

vÃ©ritÃ©-rÃ©alitÃ©-raison de l'Ãªtre, rend compte de toutes les antinomies, et concilie toutes les
rÃ©alitÃ©s opposÃ©es entre elles par ce principe gÃ©nÃ©rateur de toutes les synthÃ¨ses: L'harmonie
rÃ©sulte de l'analogie des contraires.
Pour l'initiÃ© Ã cette science, la religion ne saurait Ãªtre mise en question, puisqu'elle existe: on ne conteste
pas ce qui est.
L'ÃTRE EST L'ÃTRE, ×ª××ª× ××¢× ×ª××ª×.
CHAPITRE II. 112

L'opposition apparente de la religion Ã la raison fait la force de l'une et de l'autre, en les Ã©tablissant dans
leur domaine distinct et sÃ©parÃ© et en fÃ©condant le cÃ´tÃ© nÃ©gatif de chacune par le cÃ´tÃ©
affirmatif de l'autre: c'est, comme nous venons de le dire, l'harmonie par l'analogie des contraires. Ce qui a
causÃ© toutes les erreurs et toutes les confusions religieuses, c'est que par suite de l'ignorance de cette grande
loi, on a voulu faire de la religion une philosophie et de la philosophie une religion; on a voulu soumettre les
choses de la foi aux procÃ©dÃ©s de la science, chose aussi ridicule que de soumettre la science [183] aux
obÃ©issances aveugles de la foi: il n'appartient pas plus Ã un thÃ©ologien d'affirmer une absurditÃ©
mathÃ©matique ou de nier la dÃ©monstration d'un thÃ©orÃ¨me, qu'Ã an savant d'ergoter, au nom de la
science, pour ou contre les mystÃ¨res du dogme.
Demandez Ã l'AcadÃ©mie des sciences s'il est mathÃ©matiquement vrai qu'il y a trois personnes en Dieu, et
s'il peut Ãªtre constatÃ© par le moyen des sciences que Marie, mÃ¨re de Dieu, a Ã©tÃ© conÃ§ue sans
pÃ©chÃ©? L'AcadÃ©mie des sciences se rÃ©cusera, et elle aura raison: les savants n'ont rien Ã voir
lÃ -dedans, cela est du domaine de la foi.
On ne discute pas un article de foi, on le croit ou on ne le croit pas; mais il est de foi prÃ©cisÃ©ment parce
qu'il Ã©chappe Ã l'examen de la science.
Quand le comte de Maistre assure qu'on parlera un jour avec Ã©tonnement de notre stupiditÃ© actuelle, il
fait allusion sans doute Ã ces prÃ©tendus esprits forts qui viennent tous les jours vous dire:
Je croirai quand la vÃ©ritÃ© du dogme me sera scientifiquement prouvÃ©e.
C'est-Ã -dire, je croirai quand je n'aurai plus rien Ã croire, et que le dogme sera dÃ©truit comme dogme, en
devenant un thÃ©orÃ¨me scientifique.
Cela veut dire en d'autres termes: je n'admettrai l'infini que lorsqu'il sera pour moi expliquÃ©,
dÃ©terminÃ©, circonscrit, dÃ©fini; en un mot, fini.
Je croirai donc Ã l'infini quand je serai sÃ»r que l'infini n'existe pas.
Je croirai Ã l'immensitÃ© de l'OcÃ©an quand je l'aurai vu mettre en bouteilles.
[184]Mais, bonnes gens, ce qu'on vous a clairement prouvÃ© et fait comprendre, vous ne le croyez plus, vous
le savez.
D'un autre cÃ´tÃ©, si l'on vous disait que le pape a dÃ©cidÃ© que deux et deux ne font pas quatre, et que le
carrÃ© de l'hypotÃ©nuse n'est pas Ã©gal aux carrÃ©s tracÃ©s sur les deux autres cÃ´tÃ©s d'un triangle
rectangle, vous diriez avec raison: Le pape n'a pas dÃ©cidÃ© cela, parce qu'il ne peut pas le dÃ©cider. Cela
ne le regarde pas, et il ne s'en mÃªlera pas.
Tout beau, va s'Ã©crier un disciple de Rousseau, l'Ãglise nous ordonne de croire des choses formellement
contraires aux mathÃ©matiques.
Les mathÃ©matiques nous disent que le tout est plus grand que la partie. Or, quand JÃ©sus-Christ a
communiÃ© avec ses disciples, il a dÃ» tenir son corps entier dans sa main, et il a mis sa tÃªte dans sa
bouche. (Cette pauvre plaisanterie se trouve textuellement dans Rousseau.)
Il est facile de rÃ©pondre Ã cela, que le sophiste confond ici la science avec la foi, et l'ordre naturel avec
l'ordre surnaturel ou divin.
VÃRITÃ DU CHRISTIANISME PAR LA MAGIE. 113

Si la religion disait que, dans la communion de la cÃ¨ne, notre Sauveur avait deux corps naturels de mÃªme
forme et de mÃªme grandeur, et que l'un a mangÃ© l'autre, la science aurait droit de se rÃ©crier.
Mais la religion dit que le corps du MaÃ®tre Ã©tait divinement et sacramentellement contenu sous le signe
ou l'apparence naturelle d'un morceau de pain. Encore une fois, c'est Ã croire ou ne pas croire; mais
quiconque raisonnera lÃ -dessus et voudra discuter scientifiquement la chose, mÃ©ritera de passer pour un
sot.
[185]Le vrai en science se prouve par des dÃ©monstrations exactes; le vrai en religion se prouve par
l'unanimitÃ© de la foi et la saintetÃ© des oeuvres.
Celui-lÃ a le droit de remettre les pÃ©chÃ©s, dit l'Ãvangile, qui peut dire au paralytique: LÃ¨ve-toi, et
marche.
La religion est vraie, si elle rÃ©alise la morale la plus parfaite.
La preuve de la foi ce sont les oeuvres.
Le christianisme a-t-il constituÃ© une sociÃ©tÃ© immense d'hommes ayant la hiÃ©rarchie pour principe,
l'obÃ©issance pour rÃ¨gle et la charitÃ© pour loi? VoilÃ ce qu'il est permis de demander Ã la science.
Si la science rÃ©pond d'aprÃ¨s les documents historiques: Oui, mais ils ont manquÃ© Ã la charitÃ©.
Je vous prends par vos propres paroles, pouvons-nous rÃ©pondre aux interprÃ¨tes de la science. Vous avouez
donc que la charitÃ© existe, puisqu'on peut y manquer?
La charitÃ©! grand mot et grande chose, mot qui n'existait pas avant le christianisme, chose qui est la vraie
religion tout entiÃ¨re!
L'esprit de charitÃ© n'est-il pas l'esprit divin rendu visible sur la terre?
Cet esprit n'a-t-il pas rendu son existence sensible par des actes, par des institutions, par des monuments, par
des oeuvres immortelles?
En vÃ©ritÃ©, nous ne concevons pas comment un incrÃ©dule de bonne foi peut voir une fille de
Saint-Vincent de Paul sans avoir envie de se mettre Ã genoux et de prier!
L'esprit de charitÃ©, c'est Dieu, c'est l'immortalitÃ© de l'Ã¢me, [186] c'est la hiÃ©rarchie, c'est
l'obÃ©issance, c'est le pardon des injures, c'est la simplicitÃ© et l'intÃ©gritÃ© de la foi.
Les sectes sÃ©parÃ©es sont atteintes de mort dans leur principe, parce qu'elles ont manquÃ© Ã la charitÃ©
en se sÃ©parant, et au plus simple bon sens en voulant raisonner sur la foi.
C'est dans ces sectes que le dogme est absurde, parce qu'il est soi-disant raisonnable. Alors ce doit Ãªtre un
thÃ©orÃ¨me scientifique, ou ce n'est rien. En religion, on sait que la lettre tue et que l'esprit seul vivifie; or,
de quel esprit peut-il Ãªtre question ici, sinon de l'esprit de charitÃ©?
La foi qui transporte les montagnes et qui fait endurer le martyre, la gÃ©nÃ©rositÃ© qui donne,
l'Ã©loquence qui parle la langue des hommes et celle des anges, tout cela n'est rien sans la charitÃ©, dit saint
Paul.

La science peut dÃ©faillir, ajoute le mÃªme apÃ´tre, la prophÃ©tie peut cesser, la charitÃ© est Ã©ternelle.
La charitÃ© et ses oeuvres, voilÃ la rÃ©alitÃ© en religion: or, la raison vÃ©ritable ne se refuse jamais Ã
la rÃ©alitÃ©; car la rÃ©alitÃ©, c'est la dÃ©monstration de l'Ãªtre qui est la vÃ©ritÃ©.
C'est ainsi que la philosophie donne la main Ã la religion, sans jamais vouloir en usurper le domaine; et c'est
Ã cette condition que la religion bÃ©nit, encourage et illumine la philosophie de ses charitables splendeurs.
La charitÃ© est le lien mystÃ©rieux que rÃªvaient les initiÃ©s de l'HellÃ©nie pour concilier Eros et
Anteros. C'est ce couronnement de la porte du temple de Solomon qui devait unir ensemble les deux colonnes
Jakin et Boaz; c'est la garantie mutuelle des [187] droits et des devoirs, de l'autoritÃ© et de la libertÃ©, du
fort et du faible, du peuple et du gouvernement, de l'homme et de la femme; c'est le sentiment divin qui doit
vivifier la science humaine; c'est l'absolu du bien, comme le principe ÃTRE-RÃALITÃ-RAISON est l'absolu
du vrai. Ces Ã©claircissements Ã©taient nÃ©cessaires pour faire bien comprendre ce beau symbole des
mages adorant le Sauveur au berceau. Ils sont trois, un blanc, un cuivrÃ© et un noir, et ils offrent de l'or, de
l'encens et de la myrrhe. La conciliation des contraires est exprimÃ©e par ce double ternaire, et c'est
prÃ©cisÃ©ment ce que nous venons d'expliquer.
Le christianisme, attendu par les mages, Ã©tait en effet la consÃ©quence de leur doctrine secrÃ¨te; mais en
naissant, ce Benjamin de l'antique IsraÃ«l devait donner la mort Ã sa mÃ¨re.
La magie de lumiÃ¨re, la magie du vrai Zoroastre, de MelchisÃ©dech et d'Abraham, devait cesser Ã la

venue du grand rÃ©alisateur. Dans un monde de miracles les prodiges ne devaient plus Ãªtre qu'un scandale,
l'orthodoxie magique s'Ã©tait transfigurÃ©e en orthodoxie religieuse; les dissidents ne pouvaient plus Ãªtre
que des illuminÃ©s et des sorciers; le nom mÃªme de la magie ne devait plus Ãªtre pris qu'en mauvaise part,
et c'est sous cette malÃ©diction que nous suivrons dÃ©sormais les manifestations magiques Ã travers les
Ã¢ges.
Le premier hÃ©rÃ©siarque dont fassent mention les traditions de l'Ãglise fut un thaumaturge dont la
lÃ©gende raconte une multitude de merveilles: c'Ã©tait Simon le Magicien; son histoire nous appartient de
droit, et nous allons essayer de la retrouver parmi les fables populaires.
[188]Simon Ã©tait Juif de naissance, on croit qu'il Ã©tait nÃ© au bourg de Gitton, dans le pays de Samarie.
Il eut pour maÃ®tre de magie un sectaire nommÃ© DosithÃ©e qui se disait l'envoyÃ© de Dieu et le Messie
annoncÃ© par les prophÃ¨tes. Simon apprit de ce maÃ®tre non-seulement l'art des prestiges, mais encore
certains secrets naturels qui appartiennent rÃ©ellement Ã la tradition secrÃ¨te des mages: il possÃ©dait la
science du feu astral, et l'attirait autour de lui Ã grands courants, ce qui le rendait en apparence impassible et
incombustible; il avait aussi le pouvoir de s'Ã©lever et de se soutenir en l'air, toutes choses qui ont Ã©tÃ©
faites sans aucune science, mais par accident naturel, par des enthousiastes ivres de lumiÃ¨re astrale, tels que
les convulsionnaires de Saint-MÃ©dard, phÃ©nomÃ¨nes qui se reproduisent de nos jours dans les extases
des mÃ©diums. Il magnÃ©tisait Ã distance ceux qui croyaient en lui et leur apparaissait sous diverses
figures. Il produisait des images et des reflets visibles au point de faire apparaÃ®tre en pleine campagne des
arbres fantastiques et imaginaires que tout le monde croyait voir. Les choses naturellement inanimÃ©es se
mouvaient autour de lui, comme font les meubles autour de l'AmÃ©ricain Home, et souvent, lorsqu'il voulait
entrer dans une maison ou en sortir, les portes craquaient, s'agitaient et finissaient par s'ouvrir d'elles-mÃªmes.
Simon opÃ©ra ces merveilles devant les notables et le peuple de Samarie; on les exagÃ©ra encore, et le
thaumaturge passa pour un Ãªtre divin. Or, comme il n'avait pu arriver Ã cette puissance que par des
excitations qui avaient troublÃ© sa raison, il se crut lui-mÃªme un personnage tellement extraordinaire, qu'il
s'arrogea [189] sans faÃ§on les honneurs divins, et songea modestement Ã usurper les adorations du monde
entier.

Ses crises ou ses extases produisaient sur son corps des effets extraordinaires. TantÃ´t on le voyait pÃ¢le,
flÃ©tri, brisÃ©, semblable Ã un vieillard qui va mourir; tantÃ´t le fluide lumineux ranimait son sang, faisait
briller ses yeux, tendait et adoucissait la peau de son visage, en sorte qu'il paraissait tout Ã coup
rÃ©gÃ©nÃ©rÃ© et rajeuni. Les Orientaux, grands amplificateurs de merveilles, prÃ©tendaient alors l'avoir
vu passer de l'enfance Ã la dÃ©crÃ©pitude, et revenir, suivant son bon plaisir, de la dÃ©crÃ©pitude Ã
l'enfance. Enfin il ne fut bruit partout que de ses miracles, et il devint l'idole des Juifs de Samarie et des pays
environnants.
Mais les adorateurs du merveilleux sont gÃ©nÃ©ralement avides d'Ã©motions nouvelles, et ils se fatiguent
vite de ce qui les a d'abord Ã©tonnÃ©s. L'apÃ´tre saint Philippe Ã©tant venu prÃªcher l'Ãvangile Ã
Samarie, il se fit un nouveau courant d'enthousiasme qui fit perdre Ã Simon tout son prestige. Lui-mÃªme se
sentit dÃ©laissÃ© par sa maladie, qu'il prenait pour une puissance; il se crut surpassÃ© par des magiciens
plus savants que lui, et prit le parti de s'attacher aux apÃ´tres pour Ã©tudier, surprendre ou acheter leur
secret.
Simon n'Ã©tait certainement pas initiÃ© Ã la haute magie; car elle lui aurait appris que pour disposer des
forces secrÃ¨tes de la nature de maniÃ¨re Ã les diriger sans Ãªtre brisÃ© par elles, il faut Ãªtre un sage et un
saint; que pour se jouer avec ces terribles armes sans les connaÃ®tre, il faut Ãªtre un fou, et qu'une mort
prompte et terrible attend les profanateurs du sanctuaire de la nature.
[190] Simon Ã©tait dÃ©vorÃ© de la soif implacable des ivrognes: privÃ© de ses vertiges, il croyait avoir
perdu son bonheur; malade de ses ivresses passÃ©es, il comptait se guÃ©rir en s'enivrant encore. On ne
redevient pas volontiers un simple mortel aprÃ¨s s'Ãªtre posÃ© en dieu. Simon se soumit donc, pour
retrouver ce qu'il avait perdu, Ã toutes les rigueurs de l'austÃ©ritÃ© apostolique; il veilla, il pria, il jeÃ»na,
mais les prodiges ne revenaient point.
AprÃ¨s tout, se dit-il un jour, entre Juifs on doit pouvoir s'entendre, et il proposa de l'argent Ã saint Pierre. Le
chef des apÃ´tres le chassa avec indignation. Simon n'y comprenait plus rien, lui qui recevait si volontiers les
offrandes de ses disciples; il quitta au plus vite la sociÃ©tÃ© de ces hommes si dÃ©sintÃ©ressÃ©s, et avec
l'argent dont saint Pierre n'avait pas voulu, il fit emplÃ¨te d'une femme esclave nommÃ©e HÃ©lÃ¨ne.
Les divagations mystiques sont toujours voisines de la dÃ©bauche. Simon devint Ã©perdÃ»ment Ã©pris de
sa servante; la passion, en l'affaiblissant et en l'exaltant, lui rendit ses catalepsies et ses phÃ©nomÃ¨nes
morbides qu'il appelait sa puissance et ses miracles. Une mythologie pleine de rÃ©miniscences magiques
mÃªlÃ©es Ã des rÃªves Ã©rotiques sortit tout armÃ©e de son cerveau; il se mit alors Ã voyager comme les
apÃ´tres, traÃ®nant aprÃ¨s lui son HÃ©lÃ¨ne, dogmatisant et se faisant voir Ã ceux qui voulaient l'adorer et
sans doute aussi le payer.
Suivant Simon, la premiÃ¨re manifestation de Dieu avait Ã©tÃ© une splendeur parfaite qui produisit
immÃ©diatement son reflet. Ce soleil des Ã¢mes c'Ã©tait lui, et son reflet c'Ã©tait HÃ©lÃ¨ne, qu'il affectait
d'appeler SÃ©lÃ¨ne, nom qui en grec signifie la lune.
[191]Or, la lune de Simon Ã©tait descendue au commencement des siÃ¨cles sur la terre que Simon avait
Ã©bauchÃ©e dans ses rÃªves Ã©ternels; elle y devint mÃ¨re, car la pensÃ©e de son soleil l'avait
fÃ©condÃ©e, et elle mit au monde les anges qu'elle Ã©leva pour elle seule et sans leur parler de leur pÃ¨re.
Les anges se rÃ©voltÃ¨rent contre elle et l'enchaÃ®nÃ¨rent dans un corps mortel.
Alors la splendeur de Dieu fut forcÃ©e de descendre Ã son tour pour racheter son HÃ©lÃ¨ne, et le Juif
Simon vint sur la terre.

Il devait y vaincre la mort et emmener vivante Ã travers les airs son HÃ©lÃ¨ne, suivie du choeur triomphant
de ses Ã©lus. Le reste des hommes serait abandonnÃ© sur la terre Ã la tyrannie Ã©ternelle des anges.
Ainsi cet hÃ©rÃ©siarque, plagiaire du christianisme, mais en sens inverse, affirmait le rÃ¨gne Ã©ternel de la
rÃ©volte et du mal, faisait crÃ©er ou du moins achever le monde par les dÃ©mons, dÃ©truisait l'ordre et la
hiÃ©rarchie pour se poser seul avec sa concubine comme Ã©tant la voie, la vÃ©ritÃ© et la vie. C'Ã©tait le
dogme de l'AntÃ©christ; et il ne devait pas mourir avec Simon, il s'est perpÃ©tuÃ© jusqu'Ã nos jours; et les
traditions prophÃ©tiques du christianisme affirment mÃªme qu'il doit avoir son rÃ¨gne d'un moment et son
triomphe, avant-coureur des plus terribles calamitÃ©s.
Simon se faisait appeler saint, et, par une Ã©trange coÃ¯ncidence, le chef d'une secte gnostique moderne, qui
rappelle tout le mysticisme sensuel du premier hÃ©rÃ©siarque, l'inventeur de la femme libre, se nommait
aussi Saint-Simon. Le caÃ¯nisme, tel [192] est le nom qu'on pourrait donner Ã toutes les fausses
rÃ©vÃ©lations Ã©manÃ©es de cette source impure. Ce sont des dogmes de malÃ©diction et de haine
contre l'harmonie universelle et contre l'ordre social; ce sont les passions dÃ©rÃ©glÃ©es affirmant le droit
au lieu du devoir; l'amour passionnel, au lieu de l'amour chaste et dÃ©vouÃ©; la prostituÃ©e, au lieu de la
mÃ¨re; HÃ©lÃ¨ne, la concubine de Simon, au lieu de Marie, mÃ¨re du Sauveur.
Simon devint un personnage et se rendit Ã Rome, oÃ¹ l'empereur, curieux de tous les spectacles
extraordinaires, Ã©tait disposÃ© Ã l'accueillir: cet empereur Ã©tait NÃ©ron.
L'illuminÃ© Juif Ã©tonna le fou couronnÃ© par un tour devenu commun sur nos thÃ©Ã¢tres
d'escamoteurs. Il se fit trancher la tÃªte, puis vint saluer l'empereur avec sa tÃªte sur les Ã©paules; il fit courir
les meubles, ouvrir les portes; il se comporta enfin comme un vÃ©ritable mÃ©dium, et devint le sorcier
ordinaire des orgies nÃ©roniennes et des festins de Trimalcyon.
Suivant les lÃ©gendaires, ce fut pour prÃ©server les Juifs de Rome de la doctrine de Simon, que saint Pierre
se rendit dans cette capitale du monde. NÃ©ron apprit bientÃ´t par ses espions de bas Ã©tage qu'un nouveau
thaumaturge israÃ©lite Ã©tait arrivÃ© pour faire la guerre Ã son enchanteur. Il rÃ©solut de les mettre en
prÃ©sence et de s'amuser du conflit. PÃ©trone et Tigellin Ã©taient peut-Ãªtre de la fÃªte.
Â«Que la paix soit avec vous! dit en entrant le prince des apÃ´tres.
--Nous n'avons que faire de ta paix, rÃ©pondit Simon, c'est par la guerre que la vÃ©ritÃ© se dÃ©couvre. La
paix entre adversaires, c'est le triomphe de l'un et la dÃ©faite de l'autre.Â»

[193]Saint Pierre reprit:
Â«Pourquoi refuses-tu la paix? Ce sont les vices des hommes qui ont crÃ©Ã© la guerre; la paix accompagne
toujours la vertu.
--La vertu, c'est la force et le savoir-faire, dit Simon. Moi, j'affronte le feu, je m'Ã©lÃ¨ve dans les airs, je
ressuscite les plantes, je change la pierre en pain; et toi, que fais-tu?
--Je prie pour toi, dit saint Pierre, afin que tu ne pÃ©risses pas victime de tes prestiges.
--Garde tes priÃ¨res: elles ne monteront pas aussitÃ´t que moi vers le ciel.
Et voilÃ le magicien qui s'Ã©lance par une fenÃªtre, et qui s'Ã©lÃ¨ve dans les airs. Avait-il quelque appareil
aÃ©rostatique sous ses longs vÃªtements ou s'Ã©levait-il, comme les convulsionnaires du diacre Paris, par
une exaltation de lumiÃ¨re astrale, c'est ce que nous ne saurions dire. Pendant ce temps saint Pierre Ã©tait Ã
genoux et priait; tout Ã coup Simon pousse un grand cri et tombe: on le releva avec les cuisses brisÃ©es. Et
NÃ©ron fit emprisonner saint Pierre, qui lui semblait Ãªtre un magicien moins divertissant que Simon;
celui-ci mourut de sa chute. Toute cette histoire, qui remonte aux rumeurs populaires de ce temps-lÃ , est

maintenant relÃ©guÃ©e peut-Ãªtre Ã tort parmi les lÃ©gendes apocryphes. Elle n'en est pas moins
remarquable et digne d'Ãªtre conservÃ©e.
La secte de Simon ne s'Ã©teignit pas avec lui, il eut pour successeur un de ses disciples, nommÃ©
MÃ©nandre. Celui-ci ne se disait pas dieu, il se contentait du rÃ´le de prophÃ¨te; lorsqu'il baptisait ses
prosÃ©lytes, un feu visible descendait sur l'eau; il [194] leur promettait l'immortalitÃ© de l'Ã¢me et du corps
au moyen de ce bain magique, et il y avait encore, du temps de saint Justin, des mÃ©nandriens qui se
croyaient fermement immortels. La mort des uns ne dÃ©sabusait pas les autres, car le dÃ©funt Ã©tait
immÃ©diatement excommuniÃ© et considÃ©rÃ© comme un faux frÃ¨re. Les mÃ©nandriens regardaient la
mort comme une vÃ©ritable apostasie et complÃ©taient leur phalange immortelle en enrÃ´lant de nouveaux
prosÃ©lytes. Ceux qui savent jusqu'oÃ¹ peut aller la folie humaine, ne s'Ã©tonneront pas si nous leur
apprenons qu'en cette annÃ©e mÃªme 1858, il existe encore en AmÃ©rique et en France des continuateurs
fanatiques de la secte des mÃ©nandriens.
La qualification de magicien ajoutÃ©e au nom de Simon fit prendre en horreur la magie par les chrÃ©tiens;
mais on n'en continua pas moins Ã honorer le souvenir des rois mages qui avaient adorÃ© le Sauveur dans
son berceau.
CHAPITRE III.
DU DIABLE.
SOMMAIRE.--Son origine; ce qu'il est suivant la foi et suivant la science.--Satan, ses pompes et ses
oeuvres.--Les possÃ©dÃ©s de l'Ãvangile.--Le vrai nom du diable, suivant la kabbale et d'aprÃ¨s les
confessions des Ã©nergumÃ¨nes.--GÃ©nÃ©alogie infernale.--Le bouc du sabbat.--L'ancien serpent et le
faux Lucifer.
Le christianisme, en formulant nettement la conception divine, nous fait comprendre Dieu comme l'amour le
plus pur et le plus absolu, et dÃ©finit nettement l'esprit opposÃ© Ã Dieu. C'est l'esprit d'opposition et de
haine, c'est Satan. Mais cet esprit [195] n'est pas un personnage, et il ne faut pas le comprendre comme une
espÃ¨ce de dieu noir; c'est une perversitÃ© commune Ã toutes les intelligences dÃ©voyÃ©es. Â«Je me
nomme LÃ©gion, dit-il dans l'Ãvangile, parce que nous sommes une multitude.Â»
L'intelligence naissante peut Ãªtre comparÃ©e Ã l'Ã©toile du matin, et si elle tombe volontairement dans les
tÃ©nÃ¨bres aprÃ¨s avoir brillÃ© un instant, on peut lui appliquer cette apostrophe d'IsaÃ¯e au roi de
Babylone: Â«Comment es-tu tombÃ© du ciel, beau Lucifer, brillante Ã©toile du matin!Â» Mais est-ce Ã
dire pour cela que le Lucifer cÃ©leste, que l'Ã©toile matinale de l'intelligence divine soit devenue un
flambeau de l'enfer? Le nom de porte-lumiÃ¨re est-il justement donnÃ© Ã l'ange des Ã©garements et des
tÃ©nÃ¨bres? Nous ne le pensons pas, Ã moins qu'on n'entende comme nous, et suivant les traditions
magiques, par l'enfer personnifiÃ© en Satan et figurÃ© par l'ancien serpent, ce feu central qui s'enroule
autour de la terre, dÃ©vorant tout ce qu'il produit et se mordant la queue comme le serpent de Chronos, cette
lumiÃ¨re astrale dont le Seigneur parlait lorsqu'il disait Ã CaÃ¯n: Â«Si tu fais le mal, le pÃ©chÃ© sera
aussitÃ´t Ã tes portes, c'est-Ã -dire le dÃ©sordre s'emparera de tous tes sens; mais je t'ai soumis la convoitise
de la mort, et c'est Ã toi de lui commander.Â»
CHAPITRE III. 119

La personnification royale et presque divine de Satan est une erreur qui remonte au faux Zoroastre,
c'est-Ã -dire au dogme altÃ©rÃ© des seconds mages, les mages matÃ©rialistes de la Perse; ils avaient
changÃ© en dieux les deux pÃ´les du monde intellectuel, et de la force passive ils avaient fait une divinitÃ©
opposÃ©e Ã la force active. Nous avons signalÃ© dans la mythologie de l'Inde la mÃªme monstrueuse
erreur.
[196]Arimanes ou Schiva, tel est le pÃ¨re du dÃ©mon, comme le comprennent les lÃ©gendaires
superstitieux, et c'est pour cela que le Sauveur disait: Â«Le diable est menteur comme son pÃ¨re.Â»
L'Ãglise, sur cette question, s'en rapporte aux textes de l'Ãvangile, et n'a jamais donnÃ© de dÃ©cisions
dogmatiques dont la dÃ©finition du diable fÃ»t l'objet. Les bons chrÃ©tiens Ã©vitent mÃªme de le nommer,
et les moralistes religieux recommandent Ã leurs fidÃ¨les de ne pas s'occuper de lui, mais de lui rÃ©sister en
ne pensant qu'Ã Dieu.
Nous ne pouvons qu'admirer cette sage rÃ©serve de l'enseignement sacerdotal. Pourquoi, en effet,
prÃªterait-on la lumiÃ¨re du dogme Ã celui qui est l'obscuritÃ© intellectuelle et la nuit la plus sombre du
coeur? Qu'il reste inconnu, cet esprit qui veut nous arracher Ã la connaissance de Dieu!
Nous ne prÃ©tendons pas ici faire ce que n'a pas fait l'Ãglise, nous constatons seulement sur ce sujet quel fut
l'enseignement secret des initiÃ©s aux sciences occultes.
Ils disaient que le grand agent magique, justement appelÃ© Lucifer, parce qu'il est le vÃ©hicule de la
lumiÃ¨re et le rÃ©ceptacle de toutes les formes, est une force intermÃ©diaire rÃ©pandue dans toute la
crÃ©ation; qu'elle sert Ã crÃ©er et Ã dÃ©truire, et que la chute d'Adam a Ã©tÃ© une ivresse Ã©rotique
qui a rendu sa gÃ©nÃ©ration esclave de cette lumiÃ¨re fatale; que toute passion amoureuse qui envahit les
sens est un tourbillon de cette lumiÃ¨re qui veut nous entraÃ®ner vers le gouffre de la mort; que la folie, les
hallucinations, les visions, les extases, sont une exaltation trÃ¨s dangereuse de ce phosphore intÃ©rieur; que
cette lumiÃ¨re enfin est de la nature du feu, dont l'usage intelligent [197] Ã©chauffe et vivifie, dont l'excÃ¨s
au contraire brÃ»le, dissout et anÃ©antit.
L'homme serait appelÃ© Ã prendre un souverain empire sur cette lumiÃ¨re et Ã conquÃ©rir par ce moyen
son immortalitÃ©, et menacÃ© en mÃªme temps d'Ãªtre enivrÃ©, absorbÃ© et dÃ©truit Ã©ternellement
par elle.
Cette lumiÃ¨re, en tant que dÃ©vorante, vengeresse et fatale, serait le feu de l'enfer, le serpent de la
lÃ©gende; et l'erreur tourmentÃ©e dont alors elle serait pleine, les pleurs et le grincement de dents des Ãªtres
avortÃ©s qu'elle dÃ©vore, le fantÃ´me de la vie qui leur Ã©chappe, et semble insulter Ã leur supplice, tout
cela serait le diable ou Satan.
Les actions mal dirigÃ©es par le vertige de la lumiÃ¨re astrale, les mirages trompeurs de plaisir, de richesse
et de gloire dont les hallucinations sont pleines, seraient les pompes et les oeuvres de l'enfer.
Le pÃ¨re Hilarion Tissot croit que toutes les maladies nerveuses accompagnÃ©es d'hallucinations et de
dÃ©lire sont des possessions du diable, et en comprenant les choses dans le sens des kabbalistes, il aurait
pleinement raison.
Tout ce qui livre notre Ã¢me Ã la fatalitÃ© des vertiges est vraiment infernal, puisque le ciel est le rÃ¨gne
Ã©ternel de l'ordre, de l'intelligence et de la libertÃ©.
Les possÃ©dÃ©s de l'Ãvangile fuyaient devant JÃ©sus-Christ, les oracles se taisaient devant les apÃ´tres, et
les malades d'hallucinations ont toujours manifestÃ© une rÃ©pugnance invincible pour les initiÃ©s et les
DU DIABLE. 120
sages.
La cessation des oracles et des possessions Ã©tait une preuve du triomphe de la libertÃ© humaine sur la
fatalitÃ©. Quand les [198] maladies astrales se montrent de nouveau, c'est un signe funeste qui annonce
l'affaiblissement des Ã¢mes. Des commotions fatales suivent toujours ces manifestations. Les convulsions
durÃ¨rent jusqu'Ã la rÃ©volution franÃ§aise, et les fanatiques de Saint-MÃ©dard en avaient prÃ©dit les
sanglantes calamitÃ©s.
Le cÃ©lÃ¨bre criminaliste Torreblanca, qui a Ã©tudiÃ© Ã fond les questions de magie diabolique, en
dÃ©crivant les opÃ©rations du dÃ©mon, dÃ©crit prÃ©cisÃ©ment tous les phÃ©nomÃ¨nes de
perturbation astrale. Voici quelques numÃ©ros du sommaire de son chapitre XV de la Magie opÃ©ratrice:
1. L'effort continuel du dÃ©mon est tendu pour nous pousser dans l'erreur.
2. Le dÃ©mon trompe les sens en troublant l'imagination, dont il ne saurait pourtant changer la nature.
3. Des apparences qui frappent la vue de l'homme se forme immÃ©diatement un corps imaginaire dans
l'entendement, et tant que dure le fantÃ´me, les apparences l'accompagnent.
4. Le dÃ©mon dÃ©truit l'Ã©quilibre de l'imagination par le trouble des fonctions vitales, soit maladie, soit
irrÃ©gularitÃ© dans la santÃ©.
5 et 6. Quand l'Ã©quilibre de l'imagination et de la raison est dÃ©truit par une cause morbide, on rÃªve tout
Ã©veillÃ©, et l'on peut voir avec une apparence rÃ©elle ce qui n'existe rÃ©ellement pas.
7. La vue cesse d'Ãªtre juste quand l'Ã©quilibre est troublÃ© dans la perception mentale des images.
8 et 9. Exemples de maladies oÃ¹ l'on voit les objets doubles, etc.
10. Les visions sortent de nous et sont des reflets de notre propre image.
[199]11. Les anciens connaissaient deux maladies qu'ils nommaient, l'une frÃ©nÃ©sie (ÏÏÎµÎ½Î¹ÏÎ¹Ï), l'autre
corybantisme (ÎºÎ¿ÏÏÎ²Î±Î½ÏÎ¹Î¬ÏÎ¼Î¿Ï), dont l'une fait voir des formes imaginaires, l'autre fait entendre des
voix et des sons qui n'existent pas, etc.
Il rÃ©sulte de ces assertions, d'ailleurs fort remarquables, que Torreblanca attribue les maladies au dÃ©mon,
et que par le dÃ©mon il entend la maladie elle-mÃªme; ce que nous entendrions bien volontiers avec lui si
l'autoritÃ© dogmatique le permettait.
Les efforts continuels de la lumiÃ¨re astrale pour dissoudre et absorber les Ãªtres appartiennent Ã sa nature
mÃªme; elle ronge comme l'eau, Ã cause de ses courants continuels; elle dÃ©vore comme le feu, parce
qu'elle est l'essence mÃªme du feu et sa force dissolvante.
L'esprit de perversitÃ© et l'amour de la destruction chez les Ãªtres qu'elle domine n'est que l'instinct de cette
force. C'est aussi un rÃ©sultat de la souffrance de l'Ã¢me qui vit d'une vie incomplÃ¨te et se sent
dÃ©chirÃ©e par des tiraillements en sens contraires. Elle aspire Ã en finir, et craint cependant de mourir
seule, elle voudrait donc anÃ©antir avec elle la crÃ©ation tout entiÃ¨re.
Cette perversitÃ© astrale se manifeste ordinairement par la haine des enfants. Une force inconnue porte
certains malades Ã les tuer, des voix impÃ©rieuses demandent leur mort. Le docteur Brierre de Boismont
cite des exemples terribles de cette manie qui nous rappelle les crimes de Papavoine et d'Henriette Cornier 11.
DU DIABLE. 121
Note 11: (retour) Histoire des hallucinations, 2e Ã©dition, 1853.
Les malades de perversion astrales sont malveillants et s'attristent de la joie des autres. Ils ne veulent pas
surtout [200] qu'on espÃ¨re; ils savent trouver les paroles les plus navrantes et les plus dÃ©sespÃ©rantes,
mÃªme lorsqu'ils cherchent Ã consoler, parce que la vie est pour eux une souffrance et parce qu'ils ont le
vertige de la mort.
C'est aussi la perversion astrale et l'amour de la mort qui font abuser des oeuvres de la gÃ©nÃ©ration, qui
portent Ã en pervertir l'usage ou Ã les flÃ©trir par des moqueries sacrilÃ©ges et des plaisanteries
honteuses. L'obscÃ©nitÃ© est un blasphÃ¨me contre la vie.
Chacun de ces vices s'est personnifiÃ© en une idole noire ou un dÃ©mon qui est une image nÃ©gative et
dÃ©figurÃ©e de la divinitÃ© qui donne la vie; ce sont les idoles de la mort.
Moloch est la fatalitÃ© qui dÃ©vore les enfants.
Satan et Nisroch sont les dieux de la haine, de la fatalitÃ© et du dÃ©sespoir.
AstartÃ©, Lilith, NahÃ©ma, Astaroth, sont les idoles de la dÃ©bauche et de l'avortement.
Adramelech est le dieu du meurtre.
BÃ©lial, celui de la rÃ©volte Ã©ternelle et de l'anarchie. Conceptions funÃ¨bres d'une raison prÃ¨s de
s'Ã©teindre qui adore lÃ¢chement son bourreau pour obtenir de lui qu'il fasse cesser son supplice en achevant
de la dÃ©vorer!
Le vrai nom de Satan, disent les kabbalistes, c'est le nom de JÃ©hovah renversÃ©, car Satan n'est pas un dieu
noir, c'est la nÃ©gation de Dieu. Le diable est la personnification de l'athÃ©isme ou de l'idolÃ¢trie.
Pour les initiÃ©s, ce n'est pas une personne, c'est une force crÃ©Ã©e pour le bien, et qui peut servir au mal;
c'est l'instrument de la libertÃ©. Ils reprÃ©sentaient cette force qui prÃ©side Ã la [201] gÃ©nÃ©ration
physique sous la forme mythologique et cornue du dieu Pan; de lÃ est venu le bouc du sabbat, le frÃ¨re de
l'ancien serpent, et le porte-lumiÃ¨re ou phosphore dont les poÃ«tes on fait le faux Lucifer de la lÃ©gende.
CHAPITRE IV.
DES DERNIERS PAÃENS.

SOMMAIRE.--Apollonius de Tyane; sa vie et ses prodiges.--Essais de Julien pour galvaniser l'ancien
culte.--Ses Ã©vocations.--Jamblique et Maxime de Tyr.--Commencement des sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes et
pratiques dÃ©fendues de la magie.
Le miracle Ã©ternel de Dieu, c'est l'ordre immuable de sa providence dans les harmonies de la nature; les
prodiges sont des dÃ©sordres et ne doivent Ãªtre attribuÃ©s qu'aux dÃ©faillances de la crÃ©ature. Le
miracle divin est donc une rÃ©action providentielle pour rÃ©tablir l'ordre troublÃ©. Lorsque JÃ©sus
guÃ©rissait les possÃ©dÃ©s, il les calmait et faisait cesser leurs actes merveilleux; lorsque les apÃ´tres
CHAPITRE IV. 122

apaisaient l'exaltation des pythonisses, ils faisaient cesser la divination. L'esprit d'erreur est un esprit
d'agitation et de subversion; l'esprit de vÃ©ritÃ© porte partout avec lui le calme et la paix.
Telle fut l'action civilisatrice du christianisme naissant; mais les passions amies du trouble ne devaient pas lui
laisser sans combats la palme de sa facile victoire. Le polythÃ©isme expirant demanda des forces Ã la magie
des anciens sanctuaires; aux mystÃ¨res de l'Ãvangile on opposa encore ceux d'Ãleusis. [202] Apollonius de
Tyane fut mis en parallÃ¨le avec le Sauveur du monde; Philostrate se chargea de faire une lÃ©gende Ã ce
dieu nouveau, puis vint l'empereur Julien, qui eÃ»t Ã©tÃ© adorÃ© si le javelot qui le tua n'avait en mÃªme
temps portÃ© le dernier coup Ã l'idolÃ¢trie cÃ©sarienne; la renaissance violente et surannÃ©e d'une
religion morte dans ses formes fut un vÃ©ritable avortement, et Julien dut pÃ©rir avec l'enfant dÃ©crÃ©pit
qu'il s'efforÃ§ait de remettre au monde.
Ce n'en furent pas moins deux grands et curieux personnages que cet Apollonius et ce Julien, et leur histoire
fait Ã©poque dans les annales de la magie.
En ce temps-lÃ , les lÃ©gendes allÃ©goriques Ã©taient Ã la mode; les maÃ®tres incarnaient leur doctrine
dans leur personne, et les disciples initiÃ©s Ã©crivaient des fables qui renfermaient les secrets de l'initiation.
L'histoire d'Apollonius par Philostrate, absurde si l'on veut la prendre Ã la lettre, est trÃ¨s curieuse si l'on
veut, d'aprÃ¨s les donnÃ©es de la science, en examiner les symboles. C'est une sorte d'Ã©vangile paÃ¯en
opposÃ© aux Ãvangiles du christianisme; c'est toute une doctrine secrÃ¨te qu'il nous est donnÃ© d'expliquer
et de reconstruire.
Ainsi, le chapitre premier du livre troisiÃ¨me de Philostrate est consacrÃ© Ã la description de l'Hyphasis,
fleuve merveilleux qui prend sa source dans une plaine et se perd dans des rÃ©gions inaccessibles.
L'Hyphasis reprÃ©sente la science magique, dont les premiers principes sont simples et les consÃ©quences
trÃ¨s difficiles Ã bien dÃ©duire. Les mariages sont infÃ©conds dit Philostrate, s'ils ne sont pas consacrÃ©s
avec le baume des arbres qui croissent aux bords de l'Hyphasis.
Les poissons de ce fleuve sont consacrÃ©s Ã VÃ©nus; ils ont la [203] crÃªte bleue, les Ã©cailles de
diverses couleurs et la queue de couleur d'or; ils relÃ¨vent cette queue quand ils veulent. Il y a aussi dans ce
fleuve un animal semblable Ã un ver blanc; cet insecte fondu rend une huile brÃ»lante qu'on ne peut garder
que dans du verre. Ce n'est que pour le roi qu'on prend cet animal, parce qu'il est d'une force Ã renverser les
murailles; sa graisse mise Ã l'air prend feu, et rien au monde n'est capable alors d'Ã©teindre l'incendie.
Par les poissons du fleuve Hyphasis, Apollonius entend la configuration universelle, bleue d'un cÃ´tÃ©,
multicolore au centre, dorÃ©e Ã l'autre pÃ´le, comme les expÃ©riences magnÃ©tiques nous l'ont
rÃ©cemment fait connaÃ®tre. Le ver blanc de l'Hyphasis c'est la lumiÃ¨re astrale, qui, condensÃ©e par un
triple feu, se rÃ©soud en une huile qui est la mÃ©decine universelle. On ne peut garder cette huile que dans
du verre, parce que le verre n'est pas conducteur de la lumiÃ¨re astrale, ayant peu de porositÃ©; ce secret est
gardÃ© pour le roi, c'est-Ã -dire pour l'initiÃ© du premier ordre, car il s'agit d'une force capable de renverser
des villes. Les grands secrets sont indiquÃ©s ici avec la plus grande clartÃ©.
Dans le chapitre suivant, Philostrate parle des licornes. Il dit qu'on fait de leur corne des gobelets dans
lesquels on doit boire pour se prÃ©server de tous les poisons. La corne unique de la licorne reprÃ©sente
l'unitÃ© hiÃ©rarchique: aussi, dit Philostrate, d'aprÃ¨s Damis, ces gobelets sont rÃ©servÃ©s pour les rois.
Heureux, dit Apollonius, celui qui ne s'enivrerait jamais qu'en buvant dans un pareil verre!
[204]Damis dit aussi qu'Apollonius trouva une femme blanche jusqu'au sein et noire depuis le sein jusqu'en
haut. Ses disciples Ã©taient effrayÃ©s de ce prodige; mais Apollonius, qui savait ce qu'elle Ã©tait, lui tendit
la main. C'est, dit-il, la VÃ©nus des Indes, et ses deux couleurs sont celles du boeuf Apis adorÃ© des
Ãgyptiens. Cette femme noire et blanche, c'est la science magique dont les membres blancs, c'est-Ã -dire les
DES DERNIERS PAÃENS. 123

formes crÃ©Ã©es, rÃ©vÃ¨lent la tÃªte noire, c'est-Ã -dire la cause suprÃªme ignorÃ©e des hommes.
Philostrate et Damis le savaient bien, et sous ces emblÃ¨mes ils Ã©crivaient avec discrÃ©tion la doctrine
d'Apollonius. Les chapitres V, VI, VII, VIII, IX et X du troisiÃ¨me livre de la Vie d'Apollonius par
Philostrate, contiennent le secret du grand oeuvre. Il s'agit des dragons qui dÃ©fendent l'abord du palais des
sages. Il y a trois sortes de dragons: ceux des marais, ceux de la plaine et ceux de la montagne. La montagne,
c'est le soufre; le marais, c'est le mercure; la plaine, c'est le sel des philosophes. Les dragons de la plaine ont
sur le dos des pointes en forme de scie, c'est la puissance acide du sel. Les dragons des montagnes ont les
Ã©cailles de couleur dorÃ©e, ils ont une barbe d'or, et en rampant ils font un bruit semblable au tintement du
cuivre; ils ont dans la tÃªte une pierre qui opÃ¨re tous les miracles; ils se plaisent au bord de la mer Rouge, et
on les prend au moyen d'une Ã©toffe rouge sur laquelle sont brodÃ©es des lettres d'or; ils reposent la tÃªte
sur ces lettres enchantÃ©es et s'endorment, on leur coupe alors la tÃªte avec une hache. Qui ne reconnaÃ®t
ici la pierre des philosophes, le magistÃ¨re au rouge, et le fameux regimen ignis, ou gouvernement du feu,
exprimÃ© par les lettres d'or? Sous le nom de citadelle des [205] sages, Philostrate dÃ©crit ensuite l'Athanor.
C'est une colline toujours entourÃ©e d'un brouillard, ouverte du cÃ´tÃ© mÃ©ridional; elle contient un puits
large de quatre pas, d'oÃ¹ sort une vapeur azurÃ©e qui monte par la chaleur du soleil en dÃ©ployant toutes
les couleurs de l'arc-en-ciel; le fond du puits est sablÃ© d'arsenic rouge; prÃ¨s du puits est un bassin plein de
feu, d'oÃ¹ sort une flamme plombÃ©e, sans odeur et sans fumÃ©e, qui n'est jamais plus haute ni plus basse
que les bords du bassin; lÃ se trouvent aussi deux rÃ©cipients de pierre noire contenant l'un la pluie et l'autre
le vent. Quand la sÃ©cheresse est excessive, on ouvre le tonneau de la pluie, et il en sort des nuages qui
humectent tout le pays. On ne saurait dÃ©crire plus exactement le feu secret des philosophes et ce qu'ils
nomment leur bain-marie. On voit par ce passage que les anciens alchimistes, dans leur grand oeuvre,
employaient l'Ã©lectricitÃ©, le magnÃ©tisme et la vapeur.
Philostrate parle ensuite de la pierre philosophale, qu'il nomme indiffÃ©remment pierre ou lumiÃ¨re. Â«Il
n'est permis Ã aucun profane de la chercher, car elle s'Ã©vanouit, si l'on ne sait pas la prendre avec les
procÃ©dÃ©s de l'art. Les sages seuls, au moyen de certaines paroles et de certains rites, peuvent trouver la
pantarbe, c'est le nom de cette pierre, qui de nuit a l'apparence d'un feu, Ã©tant enflammÃ©e et
Ã©tincelante; et si on la regarde de jour, elle Ã©blouit. Cette lumiÃ¨re est une matiÃ¨re subtile d'une force
admirable, car elle attire tout ce qui est proche.Â» (Philostrate, Vie d'Apollonius de Tyane, livre III, chapitre
XLVI.)
Cette rÃ©vÃ©lation des doctrines secrÃ¨tes d'Apollonius prouve que la pierre philosophale n'est autre chose
qu'un aimant universel [206] formÃ© de lumiÃ¨re astrale condensÃ©e et fixÃ©e autour d'un centre. C'est un
phosphore artificiel dont tant d'allÃ©gories et de traditions ne sauraient laisser l'existence douteuse, et dans
lequel se concentrent toutes les vertus de la chaleur gÃ©nÃ©ratrice du monde.
Toute la vie d'Apollonius Ã©crite par Philostrate, d'aprÃ¨s Damis l'Assyrien, est un tissu d'apologues et de
paraboles; c'Ã©tait la mode alors d'Ã©crire ainsi la doctrine cachÃ©e des grands initiateurs. On ne doit donc
pas s'Ã©tonner de ce que ce rÃ©cit contient des fables, mais sous l'allÃ©gorie de ces fables il faut trouver et
comprendre la science occulte des hiÃ©rophantes.
MalgrÃ© sa grande science et ses brillantes vertus, Apollonius n'Ã©tait pas le continuateur de l'Ã©cole
hiÃ©rarchique des mages. Son initiation venait des Indes, et il se livrait pour s'inspirer aux pratiques
Ã©nervantes des brahmes; il prÃªchait ouvertement la rÃ©volte et le rÃ©gicide: c'Ã©tait un grand
caractÃ¨re Ã©garÃ©.
La figure de l'empereur Julien nous parait plus poÃ©tique et plus belle que celle d'Apollonius. Julien porta
sur le trÃńe du monde toute l'austÃ©ritÃ© d'un sage; il voulait transfuser la jeune sÃ¨ve du christianisme au
corps de l'hellÃ©nisme vieilli. Noble insensÃ© coupable seulement de trop aimer les souvenirs de la patrie et
les images des dieux de ses pÃ¨res. Julien, pour contre-balancer la puissance rÃ©alisatrice du dogme
chrÃ©tien, appela aussi la magie noire Ã son aide, et s'enfonÃ§a, Ã la suite de Jamblique et de Maxime
DES DERNIERS PAÃENS. 124

d'ÃphÃ¨se, dans de tÃ©nÃ©breuses Ã©vocations; ses dieux, dont il voulait ressusciter la beautÃ© et la
jeunesse, lui apparurent vieux et dÃ©crÃ©pits, inquiets de la vie et de la lumiÃ¨re et prÃªts Ã fuir devant le
signe de la croix!
[207]C'Ã©tait fait pour toujours de l'hellÃ©nisme, le GalilÃ©en avait vaincu. Julien mourut en hÃ©ros, sans
blasphÃ©mer son vainqueur, comme on l'a faussement prÃ©tendu. Ses derniers moments, qu'Ammien
Marcellin nous raconte assez au long, furent ceux d'un guerrier et d'un philosophe; les malÃ©dictions du
sacerdoce chrÃ©tien retentirent longtemps sur sa tombe, et cependant le Sauveur, qui doit tant aimer les
nobles Ã¢mes, n'a-t-il pas pardonnÃ© Ã des adversaires moins intÃ©ressants et moins gÃ©nÃ©reux que
Julien?
AprÃ¨s la mort de cet empereur, l'idolÃ¢trie et la magie furent enveloppÃ©es dans une mÃªme rÃ©probation
universelle. C'est alors que prirent naissance ces sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes d'adeptes auxquelles se ralliÃ¨rent
plus tard les gnostiques et les manichÃ©ens; sociÃ©tÃ©s dÃ©positaires d'une tradition mÃ©langÃ©e de
vÃ©ritÃ©s et d'erreurs, mais qui se transmettaient, sous le sceau du serment le plus terrible, le grand arcane
de l'ancienne toute-puissance et les espÃ©rances toujours trompÃ©es des cultes Ã©teints et des sacerdoces
dÃ©chus.
CHAPITRE V.
DES LÃGENDES.
SOMMAIRE.--La lÃ©gende de saint Cyprien et de sainte Justine.--L'oraison de saint Cyprien.--L'Ã¢ne d'or
d'ApulÃ©e.--La fable de PsychÃ©.--La procession d'Isis.--Ãtrange supposition de saint
Augustin.--Philosophie des PÃ¨res de l'Ãglise.
Les Ã©tranges rÃ©cits contenus dans la lÃ©gende dorÃ©e, quelque [208] fabuleux qu'ils soient, n'en
remontent pas moins Ã la plus haute antiquitÃ© chrÃ©tienne. Ce sont des paraboles plutÃ´t que des
histoires; le style en est simple et oriental comme celui des Ãvangiles, et leur existence traditionnelle prouve
qu'une sorte de mythologie avait Ã©tÃ© inventÃ©e pour cacher les mystÃ¨res kabbalistiques de l'initiation
joannite. La lÃ©gende dorÃ©e est un talmud chrÃ©tien Ã©crit tout en allÃ©gories et en apologues.
ÃtudiÃ©e sous ce point de vue tout nouveau Ã force d'Ãªtre ancien, la lÃ©gende dorÃ©e devient un livre de
la plus grande importance et du plus haut intÃ©rÃªt.
Un des rÃ©cits de cette lÃ©gende pleine de mystÃ¨res caractÃ©rise le conflit de la magie et du

christianisme naissant d'une maniÃ¨re tout Ã fait dramatique et saisissante. C'est comme une Ã©bauche
anticipÃ©e des Martyrs de Chateaubriand et du Faust de Goethe fondus ensemble.
Justine Ã©tait une jeune et belle vierge paÃ¯enne, fille d'un prÃªtre des idoles, le type de CymodocÃ©e. Sa
fenÃªtre s'ouvrait sur une cour voisine de l'Ã©glise des chrÃ©tiens; tous les jours elle entendait la voix pure
et recueillie d'un diacre lire tout haut les saints Ãvangiles. Cette parole inconnue toucha et remua son coeur, si
bien qu'un soir sa mÃ¨re la voyant pensive et la pressant de lui confier les prÃ©occupations de son Ã¢me,
Justine se jeta Ã ses pieds en lui disant: Â«MÃ¨re, bÃ©nissez-moi ou pardonnez-moi, je suis
chrÃ©tienne.Â»
CHAPITRE V. 125
La mÃ¨re pleura en embrassant sa fille, et alla rejoindre son Ã©poux, Ã qui elle confia ce qu'elle venait
d'apprendre.
Ils s'endormirent ensuite et eurent tous deux le mÃªme rÃªve. Une lumiÃ¨re divine descendait sur eux, et une
voix douce les appelait [209] en leur disant: Â«Venez Ã moi, vous qui Ãªtes affligÃ©s et je vous consolerai;
venez, les bien-aimÃ©s de mon pÃ¨re, et je vous donnerai le royaume qui vous est prÃ©parÃ© depuis le
commencement du monde.
Le matin venu, le pÃ¨re et la mÃ¨re bÃ©nirent leur fille. Tous trois se firent inscrire au nombre des
CatÃ©chumÃ¨nes, et, aprÃ¨s les Ã©preuves d'usage, ils furent admis au saint baptÃªme.
Justine revenait blanche et radieuse de l'Ãglise entre sa mÃ¨re et son vieux pÃ¨re, lorsque deux hommes
sombres, enveloppÃ©s dans leur manteau, passÃ¨rent comme Faust et MÃ©phistophÃ©lÃ¨s prÃ¨s de
Marguerite: c'Ã©taient le magicien Cyprien et son disciple Acladius. Les deux hommes s'arrÃªtÃ¨rent
Ã©blouis par cette apparition, Justine passa sans les voir et rentra chez elle avec sa famille.
La scÃ¨ne change, nous sommes dans le laboratoire de Cyprien, des cercles sont tracÃ©s, une victime
Ã©gorgÃ©e palpite prÃ¨s d'un rÃ©chaud fumant; debout devant le magicien apparaÃ®t le gÃ©nie des
tÃ©nÃ¨bres.
--Me voici, car tu m'as appelÃ©, parle! que me demandes-tu?
--J'aime une vierge.
--SÃ©duis-la.
--Elle est chrÃ©tienne.
--DÃ©nonce-la.
--Je veux la possÃ©der et non la perdre; peux-tu quelque chose pour moi?
--J'ai sÃ©duit Ãve, qui Ã©tait innocente et qui s'entretenait tous les jours familiÃ¨rement avec Dieu mÃªme.
Si ta vierge est chrÃ©tienne, sache bien que c'est moi qui ai fait crucifier JÃ©sus-Christ.
--Donc, tu me la livreras?
[210]--Prends cet onguent magique, tu en graisseras le seuil de sa demeure, le reste me regarde.
Voici maintenant Justine qui dort dans sa petite chambre chaste et sÃ©vÃ¨re, Cyprien est Ã la porte
murmurant des paroles sacrilÃ¨ges et accomplissant d'horribles rites; Satan se glisse au chevet de la jeune fille
et lui souffle des rÃªves voluptueux pleins de l'image de Cyprien qu'elle croit rencontrer encore au sortir de
l'Ãglise; mais cette fois elle le regarde, elle l'Ã©coute, et il lui dit des choses qui mettent le trouble dans son
coeur; tout Ã coup elle s'agite, elle s'Ã©veille et fait le signe de la croix; le dÃ©mon disparaÃ®t et le
sÃ©ducteur, qui fait sentinelle Ã la porte, attend inutilement toute la nuit.
Le lendemain il recommence ses Ã©vocations, et il fait d'amers reproches Ã son infernal complice; celui-ci
avoue son impuissance. Cyprien le chasse honteusement et fait apparaÃ®tre un dÃ©mon d'un ordre
supÃ©rieur. Le nouveau venu se transforme tour Ã tour en jeune fille et en beau garÃ§on pour tenter Justine
par des conseils et des caresses. La vierge va succomber, mais son bon ange l'assiste; elle joint le souffle au
signe de la croix et chasse le mauvais esprit. Cyprien alors invoque le roi des enfers. Satan vient en personne.
DES LÃGENDES. 126

Il frappe Justine de toutes les douleurs de Job et rÃ©pand une peste affreuse dans Antioche, en faisant dire
aux oracles que la peste cessera quand Justine apaisera VÃ©nus et l'amour outragÃ©s. Justine prie
publiquement pour le peuple, et la peste cesse. Satan est vaincu Ã son tour, Cyprien le contraint d'avouer la
toute-puissance du signe de la croix et le brave en se marquant de ce signe. Il abjure la magie, il est
chrÃ©tien, il devient Ã©vÃªque et retrouve Justine dans un [211] monastÃ¨re de vierges; ils s'aiment alors
du pur et durable amour de la cÃ©leste charitÃ©, la persÃ©cution les atteint; on les arrÃªte ensemble, ils
sont mis Ã mort le mÃªme jour et vont consommer au sein de Dieu leur mariage mystique et Ã©ternel.
La lÃ©gende fait saint Cyprien Ã©vÃªque d'Antioche, tandis que l'histoire ecclÃ©siastique le fait
Ã©vÃªque de Carthage. Peu importe d'ailleurs que ce soit ou non le mÃªme. L'un est un personnage
poÃ©tique, l'autre est un pÃ¨re de l'Ãglise et un martyr.
On trouve dans les anciens grimoires une oraison attribuÃ©e au saint Cyprien de la lÃ©gende et qui est
peut-Ãªtre du saint Ã©vÃªque de Carthage. Les expressions obscures et figurÃ©es dont elle est remplie,
auront peut-Ãªtre fait supposer qu'avant d'Ãªtre Ã©vÃªque et chrÃ©tien, Cyprien s'Ã©tait adonnÃ© aux
pratiques funestes de la magie noire.
En voici la traduction:
Â«Moi, Cyprien, serviteur de notre Seigneur JÃ©sus-Christ, j'ai priÃ© Dieu le pÃ¨re tout-puissant, et j'ai dit:
tu es le Dieu fort, mon Dieu tout-puissant qui habites dans la grande lumiÃ¨re! Tu es saint et digne de
louange, et depuis le temps ancien, tu as vu la malice de ton serviteur et les iniquitÃ©s dans lesquelles
j'Ã©tais plongÃ© par la malice du dÃ©mon. Je ne savais pas alors ton vrai nom, je passais au milieu des
brebis et elles Ã©taient sans pasteur. Les nuages ne pouvaient donner leur rosÃ©e Ã la terre, les arbres
restaient sans fruits et les femmes en travail ne pouvaient Ãªtre dÃ©livrÃ©es; je liais et je ne dÃ©liais point,
je liais les poissons de la mer et ils n'Ã©taient point libres, je liais les sentiers de la mer et je retenais
ensemble bien des [212] maux. Mais maintenant, Seigneur JÃ©sus-Christ, mon Dieu, j'ai connu ton saint nom
et je l'ai aimÃ©, et je me suis converti de tout mon coeur, de toute mon Ã¢me et de toutes mes entrailles, me
dÃ©tournant de la multitude de mes fautes pour marcher dans ton amour et suivant tes commandements qui
sont ma foi et ma priÃ¨re. Tu es le verbe de vÃ©ritÃ©, la parole unique du pÃ¨re, et je te conjure maintenant
de rompre la chaÃ®ne des nuÃ©es et de faire descendre sur tes enfants ta pluie bienfaisante comme du lait, et
de dÃ©lier les fleuves et de rendre libres les crÃ©atures qui nagent ainsi que celles qui volent; je te conjure
de briser toutes les chaÃ®nes et toutes les entraves par la vertu de ton saint nom!Â»
Cette priÃ¨re est Ã©videmment trÃ¨s ancienne et elle renferme des souvenirs trÃ¨s remarquables des figures
primitives de l'Ã©sotÃ©risme chrÃ©tien aux premiers siÃ¨cles.
La qualification d'aurea ou dorÃ©e donnÃ©e Ã la lÃ©gende fabuleuse des saints allÃ©goriques en indique
assez le caractÃ¨re. L'or aux yeux des initiÃ©s est de la lumiÃ¨re condensÃ©e, ils appellent nombres d'or les
nombres sacrÃ©s de la kabbale, vers dorÃ©s de Pythagore, les enseignements moraux de ce philosophe, et
c'est pour la mÃªme raison qu'un livre mystÃ©rieux d'ApulÃ©e oÃ¹ un Ã¢ne joue un grand rÃ´le a Ã©tÃ©
appelÃ© l'Ã¢ne d'or.
Les paÃ¯ens accusaient les chrÃ©tiens d'adorer un Ã¢ne, et ils n'avaient point inventÃ© cette injure, elle
venait des juifs de Samarie qui, figurant les donnÃ©es de la kabbale sur la divinitÃ© par des symboles
Ã©gyptiens, reprÃ©sentaient aussi l'intelligence par la figure de l'Ã©toile magique adorÃ©e sous le nom de
Rempham, la science sous l'emblÃ¨me d'Anubis dont ils changeaient le nom en celui de Nibbas, et la foi
vulgaire ou la [213] crÃ©dulitÃ© sous la figure de Thartac, dieu qu'on reprÃ©sentait avec un livre, un
manteau et une tÃªte d'Ã¢ne; suivant les docteurs samaritains, le christianisme Ã©tait le rÃ¨gne de Thartac;
c'Ã©taient la foi aveugle et la crÃ©dulitÃ© vulgaire Ã©rigÃ©es en oracle universel et prÃ©fÃ©rÃ©es Ã
l'intelligence et Ã la science. C'est pourquoi dans leurs rapports avec les gentils, lorsqu'ils entendaient ceux-ci
DES LÃGENDES. 127

les confondre avec les chrÃ©tiens, ils se rÃ©criaient et priaient qu'on ne les confondÃ®t pas avec les
adorateurs exclusifs de la tÃªte d'Ã¢ne.
Cette prÃ©tendue rÃ©vÃ©lation fit beaucoup rire les philosophes, et Tertullien parle d'une caricature
romaine exposÃ©e de son temps oÃ¹ l'on voyait Thartac dans toute sa gloire avec cette inscription qui fit rire
Tertullien lui-mÃªme, auteur, comme l'on sait, du fameux credo quia absurdum: tÃªte d'Ã¢ne, Dieu des
chrÃ©tiens.
L'Ã¢ne d'or d'ApulÃ©e est la lÃ©gende occulte de Thartac. C'est une Ã©popÃ©e magique et une satyre
contre le christianisme, que l'auteur avait sans doute professÃ© pendant quelque temps. C'est du moins ce
qu'il semble dire sous l'allÃ©gorie de sa mÃ©tamorphose en Ã¢ne.
Voici le sujet du livre d'ApulÃ©e: Il voyage en Thessalie, pays des enchantements; il reÃ§oit l'hospitalitÃ©
chez un homme dont la femme est sorciÃ¨re; il sÃ©duit la servante de cette femme et croit surprendre par ce
moyen les secrets de la maÃ®tresse. La servante veut en effet livrer Ã son amant une composition au moyen
de laquelle la sorciÃ¨re se mÃ©tamorphose en oiseau, mais elle se trompe de boÃ®te et ApulÃ©e se trouve
mÃ©tamorphosÃ© en Ã¢ne.
La maladroite amante le console en lui disant que pour reprendre [214] sa premiÃ¨re forme il suffit de manger
des roses, la rose est la fleur de l'initiation. Mais oÃ¹ trouver des roses pendant la nuit? Il faut attendre au
lendemain. La servante mÃ¨ne l'Ã¢ne Ã l'Ã©curie, des voleurs surviennent, l'Ã¢ne est pris et emmenÃ©.
Plus moyen depuis lors de s'approcher des roses, les roses ne sont pas faites pour les Ã¢nes, et les jardiniers le
chassent Ã coups de bÃ¢ton.
Pendant sa longue et triste captivitÃ© il entend raconter l'histoire de PsychÃ©, cette histoire merveilleuse et
symbolique qui est comme l'Ã¢me et la poÃ©sie de la sienne. PsychÃ© a voulu surprendre les secrets de
l'amour comme ApulÃ©e ceux de la magie, elle a perdu l'amour, et lui la forme humaine; elle est errante,
exilÃ©e, soumise Ã la colÃ¨re de VÃ©nus, il est esclave des voleurs. Mais PsychÃ© doit remonter au ciel
aprÃ¨s avoir traversÃ© l'enfer, et Lucius sera pris en pitiÃ© par les dieux. Isis lui apparaÃ®t en songe et lui
promet que son prÃªtre averti par une rÃ©vÃ©lation lui donnera des roses pendant les solennitÃ©s de sa
fÃªte prochaine. Cette fÃªte arrive, et ApulÃ©e dÃ©crit longuement la procession d'Isis, description
prÃ©cieuse pour la science, car on y trouve la clÃ© des mystÃ¨res Ã©gyptiens; des hommes dÃ©guisÃ©s
marchent les premiers portant des animaux grotesques; ce sont les fables vulgaires: puis viennent des femmes
semant des fleurs avec des miroirs sur leurs Ã©paules qui rÃ©flÃ©chissent l'image de la grande divinitÃ©.
Ainsi les hommes vont en avant et formulent les dogmes que les femmes embellissent et reflÃ¨tent sans le
savoir par leur instinct maternel des vÃ©ritÃ©s plus Ã©levÃ©es; des hommes et des femmes viennent
ensuite portant la lumiÃ¨re: c'est l'alliance des deux termes, l'actif et le passif gÃ©nÃ©rateurs de la science et
de la vie.
[215]AprÃ¨s la lumiÃ¨re, vient l'harmonie, reprÃ©sentÃ©e par de jeunes musiciens. Puis enfin les images
des dieux au nombre de trois, suivies par le grand hiÃ©rophante qui porte non pas l'image, mais le symbole
de la grande Isis, une boule d'or surmontÃ©e d'un caducÃ©e.
Lucius Apuleius voit dans la main du grand prÃªtre une couronne de roses; il s'approche et on ne le repousse
pas; il mange des roses et redevient homme.
Tout cela est savamment Ã©crit et entremÃªlÃ© d'Ã©pisodes tantÃ´t hÃ©roÃ¯ques, tantÃ´t grivois, comme
il convient Ã la double nature de Lucius et de l'Ã¢ne. ApulÃ©e a Ã©tÃ© en mÃªme temps le Rabelais et le
Swedenborg de l'ancien monde prÃªt Ã finir.
DES LÃGENDES. 128

Les grands rÃ©alisateurs du christianisme ne comprirent pas ou affectÃ¨rent de ne pas comprendre le
mysticisme d'ApulÃ©e. Saint Augustin, dans la CitÃ© de Dieu, se demande de l'air du monde le plus
sÃ©rieux s'il faut croire que rÃ©ellement ApulÃ©e ait Ã©tÃ© mÃ©tamorphosÃ© en Ã¢ne. Ce pÃ¨re se
montra mÃªme assez disposÃ© Ã l'admettre, mais seulement comme un phÃ©nomÃ¨ne exceptionnel et qui
ne tire pas Ã consÃ©quence. Si c'est une ironie de la part de saint Augustin, il faut convenir qu'elle est
cruelle; si c'est une naÃ¯vetÃ©... Mais saint Augustin, le dÃ©liÃ© rhÃ©teur de Madaure, n'avait guÃ¨re
l'habitude d'Ãªtre naÃ¯f.
Bien aveugles et bien malheureux, en effet, Ã©taient ces initiÃ©s aux antiques mystÃ¨res qui riaient de
l'Ã¢ne de BethlÃ©em sans apercevoir l'enfant-Dieu qui rayonnait sur les pacifiques animaux de la crÃ¨che et
sur le front duquel se reposait l'Ã©toile conciliatrice du passÃ© et de l'avenir!
Pendant que la philosophie convaincue d'impuissance insultait au christianisme triomphant, les pÃ¨res de
l'Ãglise s'emparaient de [216] toutes les magnificences de Platon et crÃ©aient une philosophie nouvelle
fondÃ©e sur la rÃ©alitÃ© vivante du Verbe divin toujours prÃ©sent dans son Ã©glise, renaissant dans
chacun de ses membres, immortel dans l'humanitÃ©; rÃªve d'orgueil plus grand que celui de PromÃ©thÃ©e,
si ce n'Ã©tait en mÃªme temps une doctrine toute d'abnÃ©gation et de dÃ©vouement, humaine parce qu'elle
est divine, divine parce qu'elle est humaine!
CHAPITRE VI.
PEINTURES KABBALISTIQUES ET EMBLÃMES SACRÃS.

SOMMAIRE.--ÃsotÃ©risme de l'Ãglise primitive.--Peintures kabbalistiques et emblÃ¨mes sacrÃ©s des
premiers siÃ¨cles.--Les vrais et les faux gnostiqnes.--Profanation de la gnose.--Rites impurs et
sacrilÃ©ges.--La magie noire Ã©rigÃ©e en culte par les sectaires.--Montan et ses prophÃ©tesses.--Marcos
et son magnÃ©tisme.--Les dogmes du faux Zoroastre reproduits dans l'Arianisme.--Perte des vraies traditions
kabbalistiques.
L'Ãglise primitive, obÃ©issant au prÃ©cepte formel du Sauveur, ne livrait pas ses plus saints mystÃ¨res aux
profanations de la foule. On n'Ã©tait reÃ§u au baptÃªme et Ã la communion que par des initiations
progressives. On tenait cachÃ©s les livres saints dont la lecture entiÃ¨re et l'explication surtout Ã©taient
rÃ©servÃ©es au sacerdoce. Les images Ã©taient alors moins nombreuses et surtout moins explicites. On
s'abstenait de reproduire la figure mÃªme du Sauveur; les peintures des catacombes sont pour la plupart des
emblÃ¨mes kabbalistiques: c'est la croix Ã©dÃ©nique avec les quatre [217] fleuves dans lesquels viennent
boire des cerfs; c'est le poisson mystÃ©rieux de Jonas remplacÃ© souvent par un serpent bicÃ©phale; c'est
un homme sortant d'un coffre qui rappelle celui d'Osiris. Le gnosticisme devait faire proscrire plus tard toutes
ces allÃ©gories dont il abusa pour matÃ©rialiser et profaner les traditions saintes de la kabbale des
prophÃ¨tes.
Le nom de gnostique ne fut pas toujours dans l'Ãglise un nom proscrit. Ceux des pÃ¨res dont la doctrine se
rattachait aux traditions de saint Jean employÃ¨rent souvent cette dÃ©nomination pour dÃ©signer le
chrÃ©tien parfait; on la trouve dans saint IrÃ©nÃ©e et dans saint ClÃ©ment d'Alexandrie. Nous ne parlons
pas ici du grand SynÃ©sius qui fut un kabbaliste parfait, mais un orthodoxe douteux.
CHAPITRE VI. 129

Les faux gnostiques furent tous des rebelles Ã l'ordre hiÃ©rarchique qui voulurent niveler la science en la
vulgarisant, substituer les visions Ã l'intelligence, le fanatisme personnel Ã la religion hiÃ©rarchique, et
surtout la licence mystique des passions sensuelles Ã la sage sobriÃ©tÃ© chrÃ©tienne et Ã l'obÃ©issance
aux lois, mÃ¨re des chastes mariages et de la tempÃ©rance conservatrice.
Produire l'extase par des moyens physiques et remplacer la saintetÃ© par le somnambulisme, telle fut
toujours la tendance de ces sectes caÃ¯niques continuatrices de la magie noire de l'Inde. L'Ãglise devait les
rÃ©prouver avec Ã©nergie, elle ne fit pas dÃ©faut Ã sa mission: il est Ã regretter seulement que le bon
grain scientifique ait souvent souffert lorsqu'on promena le fer et le feu dans les campagnes envahies par
l'ivraie.
Ennemis de la gÃ©nÃ©ration et de la famille, les faux gnostiques s'efforÃ§aient de produire la stÃ©rilitÃ©

en multipliant la [218] dÃ©bauche; ils voulaient, disaient-ils, spiritualiser la matiÃ¨re, et ils matÃ©rialisaient
l'esprit de la maniÃ¨re la plus rÃ©voltante. Ce n'Ã©taient dans leur thÃ©ologie qu'accouplements d'Eones et
embrassements luxurieux. Ils adoraient comme les Brahmes la mort sous la figure du Lingham, leur
crÃ©ation Ã©tait un onanisme infini et leur rÃ©demption un avortement Ã©ternel!
EspÃ©rant Ã©chapper Ã la hiÃ©rarchie par le miracle comme si le miracle en dehors de la hiÃ©rarchie

prouvait autre chose que le dÃ©sordre ou la fourberie, les gnostiques, depuis Simon le magicien, Ã©taient
grands faiseurs de prodiges; substituant au culte rÃ©gulier les rites impurs de la magie noire, ils faisaient
apparaÃ®tre du sang au lieu du vin eucharistique, et remplaÃ§aient le paisible et pur banquet du cÃ©leste
agneau par des communions d'anthropophages. L'hÃ©rÃ©siarque Marcos, disciple de Valentin, disait la
messe avec deux calices; dans le plus petit, il versait du vin, puis il prononÃ§ait la formule magique et l'on
voyait le plus grand s'emplir d'une liqueur sanglante qui montait en bouillonnant. Marcos, qui n'Ã©tait point
prÃªtre, voulait prouver par lÃ que Dieu l'avait revÃªtu d'un sacerdoce miraculeux. Il conviait tous ses
disciples Ã accomplir sous ses yeux la mÃªme merveille. Les femmes surtout obtenaient un succÃ¨s pareil au
sien, puis elles tombaient en convulsions et en extase. Marcos soufflait sur elles et leur communiquait sa
dÃ©mence au point de les engager Ã oublier pour lui, et par esprit de religion, toute retenue et toute pudeur.
Cette intrusion de la femme dans le sacerdoce fut toujours le rÃªve des faux gnostiques; car en nivelant ainsi
les sexes, ils introduisaient l'anarchie dans la famille et posaient Ã la [219] sociÃ©tÃ© une pierre
d'achoppement. Le sacerdoce rÃ©el de la femme c'est la maternitÃ©, et le culte de cette religion du foyer
c'est la pudeur. Les gnostiques ne le comprenaient pas ou plutÃ´t ils le comprenaient trop, et en Ã©garant les
instincts religieux de la mÃ¨re ils renversaient la barriÃ¨re sacrÃ©e qui s'opposait Ã la licence de leurs
dÃ©sirs.
Ils n'avaient cependant pas tous la triste franchise de l'impudeur. Quelques-uns, comme les Montanistes,
exagÃ©raient au contraire la morale afin de la rendre impraticable. Montan, dont les Ã¢pres doctrines
sÃ©duisirent le gÃ©nie extrÃªme et paradoxal de Tertullien, s'abandonnait avec Priscille et Maximille ses
prophÃ©tesses, on dirait aujourd'hui ses somnambules, Ã tout le dÃ©vergondage des frÃ©nÃ©sies et des
extases. Le chÃ¢timent naturel de ces excÃ¨s ne manqua pas Ã leurs auteurs, ils finirent par la folie furieuse
et le suicide.
La doctrine des Marcosiens Ã©tait une kabbale profanÃ©e et matÃ©rialisÃ©e; ils prÃ©tendaient que Dieu
avait tout crÃ©Ã© au moyen des lettres de l'alphabet; que ces lettres Ã©taient autant d'Ã©manations divines
ayant par elles-mÃªmes la puissance gÃ©nÃ©ratrice des Ãªtres; que les paroles Ã©taient toutes puissantes et
opÃ©raient virtuellement et rÃ©ellement des prodiges. Tout cela est vrai en un sens, mais ce sens n'Ã©tait
pas celui des sectateurs de Marcos. Ils supplÃ©aient aux rÃ©alitÃ©s par les hallucinations et croyaient se
rendre invisibles parce que dans l'Ã©tat de somnambulisme ils se transportaient mentalement oÃ¹ ils
voulaient. Pour les faux mystiques la vie doit se confondre souvent avec le rÃªve jusqu'Ã ce qu'enfin le rÃªve
triomphant dÃ©borde et submerge la rÃ©alitÃ©: c'est alors le rÃ¨gne complet de la folie.
PEINTURES KABBALISTIQUES ET EMBLÃMES SACRÃS. 130

[220]L'imagination, dont la fonction naturelle est d'Ã©voquer les images des formes, peut aussi, dans un
Ã©tat d'exaltation extraordinaire, produire les formes elles-mÃªmes; comme le prouvent les phÃ©nomÃ¨nes
des grossesses monstrueuses et une multitude de faits analogues que la science officielle ferait mieux
d'Ã©tudier que de les nier avec obstination.
Ce sont ces crÃ©ations dÃ©sordonnÃ©es que la religion flÃ©trit avec raison du nom de miracles
diaboliques, et tels Ã©taient les miracles de Simon, des MÃ©nandriens et de Marcos.
De notre temps encore un faux gnostique nommÃ© Vintras, actuellement rÃ©fugiÃ© Ã Londres, fait
apparaÃ®tre du sang dans des calices vides et sur des hosties profanÃ©es.
Ce malheureux tombe alors dans des extases comme Marcos, et prophÃ©tise le renversement de la
hiÃ©rarchie et le prochain triomphe d'un prÃ©tendu sacerdoce tout de visions, d'expansions libres et
d'amour. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
AprÃ¨s le panthÃ©isme polymorphe des gnostiques, vint le dualisme de ManÃ¨s. Ainsi se formula en dogme
religieux la fausse initiation des pseudo-mages de la Perse. Le mal personnifiÃ© devint un Dieu rival de Dieu
mÃªme. Il y eut un roi de la lumiÃ¨re et un roi des tÃ©nÃ¨bres, et c'est Ã cette Ã©poque qu'il faut faire
remonter cette idÃ©e funeste contre laquelle nous protestons de toutes nos forces, de la souverainetÃ© et de
l'ubiquitÃ© de Satan. Nous ne prÃ©tendons ici nier ni affirmer la tradition de la chute des anges, nous en
rapportant comme toujours en matiÃ¨re de foi aux dÃ©cisions suprÃªmes et infaillibles de la sainte Ãglise
[221] catholique, apostolique et romaine. Mais si les anges dÃ©chus avaient un chef avant leur chute, cette
chute doit les avoir prÃ©cipitÃ©s dans une complÃ¨te anarchie tempÃ©rÃ©e seulement par la justice
inflexible de Dieu; sÃ©parÃ© de la divinitÃ© qui est le principe de la force et plus coupable que les autres,
le prince des anges rebelles ne saurait Ãªtre que le dernier et le plus impuissant des rÃ©prouvÃ©s.
Si donc il existe dans la nature une force qui attire les crÃ©atures oublieuses de Dieu vers le pÃ©chÃ© et
vers la mort, cette force, que nous ne refusons pas de reconnaÃ®tre comme capable de servir d'instrument aux
esprits dÃ©chus, serait la lumiÃ¨re astrale; nous revenons sur cette idÃ©e, et nous tenons Ã l'expliquer
parfaitement, afin qu'on en comprenne bien toute la portÃ©e et toute l'orthodoxie.
Cette rÃ©vÃ©lation d'un des grands secrets de l'occultÃ©isme fera comprendre tout le danger des
Ã©vocations, des expÃ©riences curieuses, des abus du magnÃ©tisme, des tables tournantes et de tout ce qui
tient aux prodiges et aux hallucinations.
Arius avait prÃ©parÃ© les succÃ¨s du manichÃ©isme par sa crÃ©ation hybride d'un fils de Dieu diffÃ©rent
de Dieu mÃªme: c'Ã©tait en effet supposer le dualisme en Dieu; c'Ã©tait admettre l'inÃ©galitÃ© dans
l'absolu, l'infÃ©rioritÃ© dans la suprÃªme puissance. La possibilitÃ© du conflit, sa nÃ©cessitÃ© mÃªme
entre le pÃ¨re et le fils, puisque l'inÃ©galitÃ© entre les termes du syllogisme divin devait amener
forcÃ©ment une conclusion nÃ©gative. Le verbe de Dieu devait-il Ãªtre le bien ou le mal? Dieu mÃªme ou
le diable? Telle Ã©tait la portÃ©e immense d'une diphthongue ajoutÃ©e au mot grec Î¿Î¼Î¿ÏÏÎ¹Î¿Ï pour en
faire Î¿Î¼Î¿Î¹Î¿ÏÏÎ¹Î¿Ï! En dÃ©clarant le fils consubstantiel au pÃ¨re, le concile de NicÃ©e sauva le [222]
monde, et c'est ce que ne peuvent comprendre ceux qui ne savent pas que les principes constituent
rÃ©ellement l'Ã©quilibre de l'univers.
Le gnoticisme, l'arianisme, le manichÃ©isme, Ã©taient sortis de la kabbale mal entendue. L'Ãglise alors dut
interdire aux fidÃ¨les l'Ã©tude si dangereuse de cette science dont le suprÃªme sacerdoce devait seul se
rÃ©server les clefs. La tradition kabbalistique paraÃ®t, en effet, avoir Ã©tÃ© conservÃ©e par les
souverains pontifes au moins jusqu'Ã LÃ©on III, auquel on attribue un rituel occulte qui aurait Ã©tÃ©
donnÃ© par ce pontife Ã l'empereur Charlemagne, et qui reproduit tous les caractÃ¨res mÃªme les plus
secrets des clavicules de Salomon. Ce petit livre qui devait rester cachÃ© ayant Ã©tÃ© divulguÃ© plus tard,
PEINTURES KABBALISTIQUES ET EMBLÃMES SACRÃS. 131

dut Ãªtre condamnÃ© par l'Ãglise et tomba dans le domaine de la magie noire. On le connaÃ®t encore sous
le nom d'Enchiridion de LÃ©on III, et nous en possÃ©dons un ancien exemplaire trÃ¨s rare et trÃ¨s curieux.
La perte des clefs kabbalistiques ne pouvait entraÃ®ner celle de l'infaillibilitÃ© de l'Ãglise toujours
assistÃ©e de l'esprit saint, mais elle jeta de grandes obscuritÃ©s dans l'exÃ©gÃ¨se et rendit complÃ©tement
inintelligibles les grandes figures de la prophÃ©tie d'ÃzÃ©chiel et de l'apocalypse de saint Jean.
Puissent les successeurs lÃ©gitimes de saint Pierre accepter l'hommage de ce livre et bÃ©nir les travaux du
plus humble de leurs enfants, qui croit avoir trouvÃ© une des clefs de la science et qui vient la dÃ©poser aux
pieds de celui auquel seul il appartient d'ouvrir et de fermer les trÃ©sors de l'intelligence et de la foi!
[223]
CHAPITRE VII.
PHILOSOPHES DE L'ÃCOLE D'ALEXANDRIE.

SOMMAIRE.--DerniÃ¨res luttes et alliances dÃ©finitives de l'ancienne initiation et du christianisme
triomphant--Hypatie et SynÃ©sius.--Saint Denys l'arÃ©opagiste.
L'Ã©cole de Platon, prÃªte Ã s'Ã©teindre, jeta dans Alexandrie une grande lumiÃ¨re; mais dÃ©jÃ le
christianisme, triomphant aprÃ¨s trois siÃ¨cles de combats, s'Ã©tait assimilÃ© tout ce qu'il y avait de vrai et
de durable dans les doctrines de l'antiquitÃ©. Les derniers adversaires de la religion nouvelle croyaient
arrÃªter la marche des hommes vivants en galvanisant des momies. Le combat ne pouvait dÃ©jÃ plus Ãªtre
sÃ©rieux et les paÃ¯ens de l'Ã©cole d'Alexandrie travaillaient contre leur grÃ© et Ã leur insu au monument
sacrÃ© qu'Ã©levaient pour dominer tous les Ã¢ges les disciples de JÃ©sus de Nazareth.
Ammonius Saccas, Plotin, Porphyre, Proclus sont de grands noms pour la science et pour la vertu. Leur
thÃ©ologie Ã©tait Ã©levÃ©e, leur doctrine morale, leurs moeurs austÃ¨res. Mais la plus grande et la plus
touchante figure de cette Ã©poque, la plus brillante Ã©toile de cette plÃ©iade, fut Hypathie, fille de
ThÃ©on, cette chaste et savante fille que son intelligence et ses vertus devaient conduire au baptÃªme mais
qui mourut martyre de la libertÃ© de conscience lorsqu'on entreprit de l'y traÃ®ner.
A l'Ã©cole d'Hypathie se forma SynÃ©sius de CyrÃ¨ne qui fut plus [224] tard Ã©vÃªque de
PtolÃ©maÃ¯de, l'un des plus savants philosophes et le plus grand poÃ¨te du christianisme des premiers
siÃ¨cles; c'Ã©tait lui qui Ã©crivait:
Â«Le peuple se moquera toujours des choses faciles Ã comprendre, il a besoin d'impostures.Â»
Lorsqu'on voulut l'Ã©lever Ã la dignitÃ© Ã©piscopale, il disait dans une lettre adressÃ©e Ã un de ses
amis:
Â«Un esprit ami de la sagesse et qui contemple de prÃ¨s la vÃ©ritÃ© est forcÃ© de la dÃ©guiser pour la
faire accepter aux multitudes. Il y a en effet une grande analogie entre la lumiÃ¨re et la vÃ©ritÃ©, comme
entre nos yeux et les intelligences ordinaires. Si l'oeil recevait tout Ã coup une lumiÃ¨re trop abondante, il
CHAPITRE VII. 132

serait Ã©bloui, et les lueurs tempÃ©rÃ©es d'ombres sont plus utiles Ã ceux dont la vue est encore faible;
c'est pour cela que, selon moi, les fictions sont nÃ©cessaires au peuple, et que la vÃ©ritÃ© devient funeste
Ã ceux qui n'ont pas la force de la contempler dans tout son Ã©clat. Si donc les lois sacerdotales permettent
la rÃ©serve des jugements et l'allÃ©gorie des paroles, je pourrai accepter la dignitÃ© qu'on me propose, Ã
condition qu'il me sera permis d'Ãªtre philosophe chez moi et au dehors narrateur d'apologues et de
paraboles.... Que peuvent avoir de commun, en effet, la vile multitude et la sublime sagesse? La vÃ©ritÃ©
doit Ãªtre tenue secrÃ¨te et les foules ont besoin d'un enseignement proportionnel Ã leur imparfaite raison.Â»
SynÃ©sius eut tort d'Ã©crire de pareilles choses. Quoi de plus maladroit, en effet, que de laisser voir une
arriÃ¨re-pensÃ©e lorsqu'on est chargÃ© d'un enseignement public? C'est d'aprÃ¨s de pareilles
indiscrÃ©tions que bien des gens vont rÃ©pÃ©tant encore de nos jours: il faut une religion pour le peuple!
Mais qu'est-ce [225] que le peuple? Personne ne veut en Ãªtre lorsqu'il s'agit d'intelligence et de moralitÃ©.
Le livre le plus remarquable de SynÃ©sius est un TraitÃ© des songes. Il y dÃ©veloppe les pures doctrines
kabbalistiques et s'Ã©lÃ¨ve comme thÃ©osophe Ã une hauteur qui rend son style obscur et qui l'a fait
soupÃ§onner d'hÃ©rÃ©sie; mais il n'y avait en lui ni l'entÃªtement ni le fanatisme d'un sectaire. Il vÃ©cut et
mourut dans la paix de l'Ãglise, exposant franchement ses doutes, mais se soumettant Ã l'autoritÃ©
hiÃ©rarchique: son clergÃ© et son peuple ne voulurent rien exiger de plus.
Suivant SynÃ©sius, l'Ã©tat de rÃªve prouve la spÃ©cialitÃ© et l'immatÃ©rialitÃ© de l'Ã¢me qui se crÃ©e
alors un ciel, des campagnes, des palais inondÃ©s de lumiÃ¨re, ou des cavernes sombres, suivant ses
affections et ses dÃ©sirs. On peut juger du progrÃ¨s moral par les habitudes des rÃªves, car en cet Ã©tat le
libre arbitre est suspendu, et la fantaisie s'abandonne tout entiÃ¨re aux instincts dominants. Les images se
produisent alors, soit comme un reflet, soit comme une ombre de la pensÃ©e. Les pressentiments y prennent
un corps, les souvenirs se mÃªlent aux espÃ©rances. Le livre des rÃªves s'Ã©crit alors en caractÃ¨res tantÃ´t
splendides tantÃ´t obscurs, mais on peut trouver des rÃ¨gles certaines pour le dÃ©chiffrer et pour le lire.
JÃ©rÃ´me Cardan a Ã©crit un long commentaire sur le TraitÃ© des songes de SynÃ©sius, et l'a en quelque
sorte complÃ©tÃ© par un dictionnaire de tous les songes avec leur explication. Ce travail n'a rien de
commun avec les petits livres ridicules qu'on trouve dans la librairie de pacotille, et il appartient rÃ©ellement
Ã la bibliothÃ¨que sÃ©rieuse des sciences occultes.
[226]Quelques critiques ont attribuÃ© Ã SynÃ©sius les livres extrÃªmement remarquables qui portent le
nom de saint Denis l'ArÃ©opagite; ce qui est maintenant gÃ©nÃ©ralement reconnu, c'est qu'ils sont
apocryphes et appartiennent Ã la belle Ã©poque de l'Ã©cole d'Alexandrie. Ces livres, dont on ne peut
comprendre toute la sublimitÃ© si l'on n'est initiÃ© aux secrets de la haute kabbale, sont le vÃ©ritable
monument de la conquÃªte de cette science par le christianisme. Les principaux traitÃ©s sont ceux des noms
divins, de la hiÃ©rarchie dans le ciel et de la hiÃ©rarchie dans l'Ãglise. Le traitÃ© des noms divins explique
en les simplifiant tous les mystÃ¨res de la thÃ©ologie rabbinique. Dieu, dit l'auteur, est le principe infini et
indÃ©finissable parfaitement un et indicible, mais nous lui donnons des noms qui expriment nos aspirations
vers cette perfection divine; l'ensemble de ces noms, leurs relations avec les nombres, composent ce qu'il y a
de plus Ã©levÃ© dans la pensÃ©e humaine, et la thÃ©ologie est moins la science de Dieu que celle de nos
aspirations les plus sublimes. L'auteur Ã©tablit ensuite sur l'Ã©chelle primitive des nombres tous les
degrÃ©s de la hiÃ©rarchie spirituelle toujours rÃ©gie par le ternaire. Les ordres angÃ©liques sont au
nombre de trois et chaque ordre contient trois choeurs. C'est sur ce modÃ¨le que la hiÃ©rarchie doit
s'Ã©tablir aussi sur la terre. L'Ãglise en prÃ©sente le type le plus parfait: il y a les princes de l'Ãglise, les
Ã©vÃªques et les simples ministres. Parmi les princes, on compte des cardinaux-Ã©vÃªques, des
cardinaux-prÃªtres et des cardinaux-diacres; parmi les Ã©vÃªques, il y a les archevÃªques, les Ã©vÃªques et
les prÃ©lats coadjuteurs; parmi les ministres, il y a les curÃ©s, les simples prÃªtres et les diacres. On
s'Ã©lÃ¨ve Ã cette sainte hiÃ©rarchie par [227] trois degrÃ©s prÃ©paratoires, le sous-diaconat, les ordres
mineurs et la clÃ©ricature. Les fonctions de tous ces ordres correspondent Ã celles des anges et des saints, et
PHILOSOPHES DE L'ÃCOLE D'ALEXANDRIE. 133

doivent glorifier les noms divins triples pour chacune des trois personnes, puisque dans chacune des
hypostases divines on adore la trinitÃ© tout entiÃ¨re. Cette thÃ©ologie transcendentale Ã©tait celle de la
primitive Ãglise, et peut-Ãªtre ne l'a-t-on attribuÃ©e Ã saint Denis l'ArÃ©opagite que par suite d'une
tradition qui remontait au temps mÃªme des apÃ´tres et de saint Denis, comme les rabbins rÃ©dacteurs du
SÃ©pher JÃ©zirah ont attribuÃ© ce livre au patriarche Abraham, parce qu'il contient les principes de la
tradition conservÃ©e de pÃ¨re en fils dans la famille de ce patriarche. Quoi qu'il en soit, les livres de saint
Denis l'ArÃ©opagite sont prÃ©cieux pour la science; ils consacrent l'union des initiations de l'ancien monde
avec la rÃ©vÃ©lation du christianisme, en alliant une intelligence parfaite de la suprÃªme philosophie avec
l'orthodoxie la plus complÃ¨te et la plus irrÃ©prochable.
[228]
LIVRE IV.
LA MAGIE ET LA CIVILISATION.
×, Daleth.
CHAPITRE PREMIER.
MAGIE CHEZ LES BARBARES.

SOMMAIRE.--Le monde fantastique des sorciers.--Prodiges accomplis et monstres vaincus pendant les
premiers siÃ¨cles de l'Ã¨re chrÃ©tienne.--La Gaule magique.--Philosophie secrÃ¨te des druides.--Leur
thÃ©ogonie, leurs rites.--Ãvocations et sacrifices.--Mission et influence des eubages.--Origine du patriotisme
franÃ§ais.--MÃ©decine occulte.
La magie noire reculait devant la lumiÃ¨re du christianisme, Rome Ã©tait conquise par la croix et les
prodiges se rÃ©fugiaient dans ce cercle d'ombre que les provinces barbares faisaient autour de la nouvelle
splendeur romaine. Entre un grand nombre de phÃ©nomÃ¨nes Ã©tranges, en voici un qui fut constatÃ©
sous le rÃ¨gne de l'empereur Adrien:
A Tralles en Asie, une jeune fille noble nommÃ©e Philinnium, originaire de Corinthe, et fille de
DÃ©mostratÃ¨s et de Charito, s'Ã©tait Ã©prise d'un jeune homme de basse condition nommÃ© MachatÃ¨s.
Un mariage Ã©tait impossible, Philinnium, comme nous l'avons dit, Ã©tait noble et c'Ã©tait de plus une fille
unique et [229] une riche hÃ©ritiÃ¨re. MachatÃ¨s Ã©tait un homme du peuple et tenait une hÃ´tellerie 12. La
passion de Philinnium s'exaspÃ©ra par les obstacles; elle s'Ã©chappa de la maison paternelle, et vint trouver
MachatÃ¨s. Un commerce illÃ©gitime s'Ã©tablit entre eux et dura six mois, aprÃ¨s lesquels la jeune fille fut
dÃ©couverte par ses parents, reprise par eux et sÃ©vÃ¨rement sÃ©questrÃ©e. On prit mÃªme des mesures
pour quitter le pays et emmener Philinnium Ã Corinthe; mais alors la jeune fille, qui avait sensiblement
dÃ©pÃ©ri depuis qu'elle Ã©tait sÃ©parÃ©e de son amant, fut atteinte d'une maladie de langueur, elle ne
souriait plus, ne dormait plus, refusait toute nourriture, et dÃ©finitivement elle mourut.
LIVRE IV. 134

Note 12: (retour) Cette circonstance, qui ne se trouve pas dans PhlÃ©gon, a Ã©tÃ©
ajoutÃ©e par les dÃ©monographes franÃ§ais.
Imp. Caron-Delamarre, Quai des Gds Augustins, 17, Paris
Les parents renoncÃ¨rent alors Ã leur dÃ©part, et achetÃ¨rent un caveau funÃ©raire oÃ¹ la jeune fille fut
dÃ©posÃ©e couverte des plus riches vÃªtements. Cette sÃ©pulture Ã©tait dans un enclos appartenant Ã la
famille, oÃ¹ personne n'entra plus, car les paÃ¯ens n'avaient pas coutume d'aller prier prÃ¨s de la tombe des
morts.
MachatÃ¨s ignorait ce qu'Ã©tait devenue sa maÃ®tresse: tout s'Ã©tait passÃ© en secret, tant cette noble
famille craignait le scandale. La nuit qui suivit la sÃ©pulture de Philinnium, le jeune homme Ã©tait prÃªt Ã
se coucher, lorsque sa porte s'ouvrit lentement, il s'avanÃ§a tenant sa lampe Ã la main, et reconnut
Philinnium magnifiquement parÃ©e, mais pÃ¢le, froide, et le regardant avec des yeux d'une effrayante
FixitÃ©.
MachatÃ¨s courut Ã elle, la prit dans ses bras, lui fit mille questions et mille caresses, ils passÃ¨rent enfin la
nuit [230] ensemble, mais avant le jour Philinnium se leva et disparut pendant que son amant Ã©tait encore
plongÃ© dans un profond sommeil.
MAGIE CHEZ LES BARBARES. 135

La jeune fille avait une vieille nourrice qui la pleurait et qu'elle avait tendrement aimÃ©e. Peut-Ãªtre cette
femme avait-elle Ã©tÃ© complice des Ã©garements de la pauvre morte, et depuis qu'on avait enseveli sa
bien-aimÃ©e elle ne dormait plus, et se relevait souvent la nuit dans une sorte de dÃ©lire pour aller rÃ´der
autour de la demeure de MachatÃ¨s. Quelques jours donc aprÃ¨s ce que nous venons de raconter, la nourrice
passant le soir Ã une heure assez avancÃ©e prÃ¨s de la maison du jeune homme vit de la lumiÃ¨re dans sa
chambre. Elle s'approcha, et regardant par les fentes de la porte, elle reconnut Philinnium qui Ã©tait assise
prÃ¨s de son amant, le contemplant sans rien dire et s'abandonnant Ã ses caresses.
La pauvre femme tout Ã©perdue courut chez ses maÃ®tres, Ã©veilla la mÃ¨re et lui raconta ce qu'elle
venait de voir; la mÃ¨re la traita d'abord de visionnaire et de folle, puis enfin vaincue par ses instances, elle se
lÃ¨ve et se rend Ã la maison de MachatÃ¨s. Tout dormait dÃ©jÃ , elle frappe, personne ne lui rÃ©pond; elle
regarde par les fentes de la porte, la lampe Ã©tait Ã©teinte, mais un rayon de la lune Ã©clairait encore la
chambre. Sur un siÃ©ge, Charito reconnut les vÃªtements de sa fille et dans le lit, malgrÃ© l'ombre de
l'alcÃ´ve, elle distingua la forme de deux personnes qui dormaient.
L'Ã©pouvante saisit la mÃ¨re, elle retourna chez elle en chancelant, n'eut pas le courage de visiter le
sÃ©pulcre de sa fille et passa le reste de la nuit dans l'agitation et dans les larmes.
[231]Le lendemain elle retourna au logis de MachatÃ¨s et le questionna avec douceur. Le jeune homme avoua
que Philinnium revenait le voir toutes les nuits. Â«Pourquoi me la refuser, dit-il Ã la mÃ¨re, nous sommes
fiancÃ©s devant les dieux;Â» et, ouvrant un coffre, il montra Ã Charito l'anneau et la ceinture de sa fille.
Â«Elle me les a donnÃ©s la nuit derniÃ¨re, ajouta-t-il, en me jurant de n'appartenir jamais qu'Ã moi; ne
cherchez donc plus Ã nous sÃ©parer puisqu'une promesse mutuelle nous rÃ©unit.
--Iras-tu donc Ã ton tour la trouver dans sa tombe, dit la mÃ¨re. Philinnium est morte depuis quatre jours et
c'est sans doute une sorciÃ¨re ou une stryge qui aura pris sa figure pour te tromper; tu es le fiancÃ© de la
mort, demain tes cheveux blanchiront, aprÃ¨s-demain on pourra t'ensevelir aussi, et c'est de cette maniÃ¨re
que les dieux vengent l'honneur d'une famille outragÃ©e.Â»
MachatÃ¨s pÃ¢lit et trembla en entendant ce langage, il craignit d'avoir Ã©tÃ© le jouet des puissances
infernales; il dit Ã Charito d'amener son mari le soir mÃªme, il les ferait cacher prÃ¨s de sa chambre, et Ã
l'heure oÃ¹ le fantÃ´me entrerait, il donnerait un signal pour les prÃ©venir.
Ils vinrent en effet, et Ã l'heure accoutumÃ©e Philinnium entra chez MachatÃ¨s, qui s'Ã©tait couchÃ© tout
habillÃ© et faisait semblant de dormir.
La jeune fille se dÃ©shabille et vient se placer prÃ¨s de lui, MachatÃ¨s donne le signal, DÃ©mostratÃ¨s et
Charito entrent avec des flambeaux Ã la main, et poussent un grand cri en reconnaissant leur fille.
Philinnium alors lÃ¨ve sa tÃªte, pÃ¢le puis elle se dresse tout entiÃ¨re sur le lit, et dit d'une voix creuse et
terrible: Â«O mon pÃ¨re et ma mÃ¨re, pourquoi avez-vous Ã©tÃ© jaloux de mon bonheur, et [232] pourquoi
me poursuivez-vous au delÃ mÃªme de la tombe? Mon amour avait fait violence aux dieux infernaux, la
puissance de la mort Ã©tait suspendue, trois jours encore et j'Ã©tais rendue Ã la vie! mais votre curiositÃ©
cruelle anÃ©antit le miracle de la nature: vous me tuez une seconde fois!...Â»
En achevant ces paroles elle tomba sur le lit comme une masse inerte. Ses traits se flÃ©trirent tout Ã coup,
une odeur cadavÃ©reuse remplit la chambre, et on ne vit plus que les restes dÃ©figurÃ©s d'une fille morte
depuis cinq jours.
Le lendemain toute la ville fut bouleversÃ©e par la nouvelle de ce prodige. On courut au cirque oÃ¹ toute
l'histoire fut publiquement racontÃ©e, puis la foule se porta au caveau mortuaire de Philinnium. La jeune fille

n'y Ã©tait plus, mais on trouva Ã sa place un anneau de fer et une coupe dorÃ©e qu'elle avait reÃ§us en
prÃ©sents de MachatÃ¨s. On retrouva le cadavre dans la chambre de l'hÃ´tellerie; MachatÃ¨s avait disparu.
Les devins furent consultÃ©s et ordonnÃ¨rent d'enterrer les restes de Philinnium hors de l'enceinte de la ville.
On fit des sacrifices aux furies et au Mercure terrestre, on conjura les dieux mÃ¢nes et l'on fit des offrandes
Ã Jupiter hospitalier.
PhlÃ©gon, affranchi d'Adrien, qui fut tÃ©moin oculaire de ces faits et qui les raconte dans une lettre
particuliÃ¨re, ajoute qu'il dut employer son autoritÃ© pour calmer la ville agitÃ©e par un Ã©vÃ©nement si
extraordinaire, et finit son rÃ©cit par ces mots: Â«Si vous jugez Ã propos d'en informer l'empereur,
faites-le-moi savoir afin que je vous envoie quelques-uns de ceux qui ont Ã©tÃ© tÃ©moins de toutes ces
choses.Â»
[233]C'est donc une histoire bien avÃ©rÃ©e que celle de Philinnium. Un grand poÃ¨te allemand en a fait le
sujet d'une ballade que tout le monde sait par coeur, et qui est intitulÃ©e la FiancÃ©e de Corinthe. Il suppose
que les parents de la jeune fille Ã©taient chrÃ©tiens, ce qui lui donne l'occasion de faire une opposition
fort-poÃ©tique des passions humaines et des devoirs de la religion. Les dÃ©monographes du moyen Ã¢ge
n'eussent pas manquÃ© d'expliquer la rÃ©surrection ou peut-Ãªtre la mort apparente de la jeune Grecque par
une obsession diabolique. Nous y voyons, pour notre part, une lÃ©thargie hystÃ©rique accompagnÃ©e de
somnambulisme lucide; le pÃ¨re et la mÃ¨re de Philinnium la tuÃ¨rent en la rÃ©veillant et l'imagination
publique exagÃ©ra toutes les circonstances de cette histoire.
Le Mercure terrestre auquel les devins ordonnÃ¨rent des sacrifices n'est autre chose que la lumiÃ¨re astrale
personnifiÃ©e. C'est le gÃ©nie fluidique de la terre, gÃ©nie fatal pour les hommes qui l'excitent sans savoir
le diriger; c'est le foyer de la vie physique et le rÃ©ceptacle aimantÃ© de la mort.
Cette force aveugle que la puissance du christianisme allait enchaÃ®ner et repousser dans le puits de
l'abÃ®me, c'est-Ã -dire au centre de la terre, manifesta ses derniÃ¨res convulsions et ses derniers efforts chez
les Barbares par des enfantements monstrueux. Il n'est guÃ¨re de rÃ©gions oÃ¹ les prÃ©dicateurs de
l'Ãvangile n'aient eu Ã combattre des animaux aux formes hideuses, incarnations de l'idolÃ¢trie agonisante.
Les vouivres, les graouillis, les gargouilles, les tarasques, ne sont pas uniquement des allÃ©gories. Il est
certain que les dÃ©sordres moraux produisent des laideurs physiques et rÃ©alisent en quelque sorte les
Ã©pouvantables figures que la tradition prÃªte aux [234] dÃ©mons. Les ossements fossiles, Ã l'aide
desquels la science de Cuvier a reconstruit des monstres gigantesques, appartiennent-ils rÃ©ellement tous Ã
des Ã©poques antÃ©rieures Ã notre crÃ©ation? Est-ce une allÃ©gorie que cet immense dragon que
RÃ©gulus dut attaquer avec des machines de guerre, et qu'on trouva, au dire de Tite-Live et de Pline, sur les
bords du fleuve Bagrada? Sa peau qui avait cent vingt pieds de long fut envoyÃ©e Ã Rome, et y fut
conservÃ©e jusqu'Ã l'Ã©poque de la guerre contre Numance. C'Ã©tait une tradition chez les anciens, que
les dieux irritÃ©s par des crimes extraordinaires, envoyaient des monstres sur la terre, et cette tradition est
trop universelle pour n'Ãªtre point appuyÃ©e sur des faits rÃ©els, les rÃ©cits qui s'y rapportent
appartiennent moins souvent Ã la mythologie qu'Ã l'histoire.
Dans tous les souvenirs qui nous restent des peuples barbares Ã l'Ã©poque oÃ¹ le christianisme les conquit
Ã la civilisation, nous trouvons avec les derniÃ¨res traces de la haute initiation magique rÃ©pandue autrefois
par tout le monde, les preuves de l'obscurcissement qu'avait subi cette rÃ©vÃ©lation primitive et de
l'avilissement idolÃ¢trique dans lequel le symbolisme de l'ancien monde Ã©tait tombÃ©; partout
rÃ©gnaient, au lieu des disciples des mages, les devins, les sorciers et les enchanteurs. On avait oubliÃ© le
Dieu suprÃªme pour diviniser les hommes. Rome avait donnÃ© cet exemple Ã ses provinces, et
l'apothÃ©ose des CÃ©sars avait appris au monde la religion des dieux de sang. Les Germains, sous le nom
d'Irminsul, adoraient cet Arminius, ou Hermann, qui fit pleurer Ã Auguste les lÃ©gions de Varus, et lui
offraient des victimes humaines. Les Gaulois donnaient Ã Brennus [235] les attributs de Taranis et de

TeutatÃ¨s, et brÃ»laient en son honneur des colosses d'osier remplis de Romains. Partout rÃ©gnait le
matÃ©rialisme, car l'idolÃ¢trie n'est pas autre chose, et la superstition toujours cruelle parce qu'elle est
lÃ¢che.
La Providence qui prÃ©destinait la Gaule Ã devenir la France trÃ¨s chrÃ©tienne y avait pourtant fait briller
la lumiÃ¨re des Ã©ternelles vÃ©ritÃ©s. Les premiers druides avaient Ã©tÃ© les vrais enfants des mages, et
leur initiation venait de l'Ãgypte et de la ChaldÃ©e, c'est-Ã -dire des sources pures de la kabbale primitive: ils
adoraient la trinitÃ© sous les noms d'Isis ou IlÃ©sus, l'harmonie suprÃªme; de Belen ou Bel, qui signifie en
assyrien le Seigneur, nom correspondant Ã celui d'AdonaÃ¯; et de Camul ou CamaÃ«l, nom qui dans la
kabbale personnifie la justice divine. Au-dessous de ce triangle de lumiÃ¨re ils supposaient un reflet divin,
composÃ© aussi de trois rayons personnifiÃ©s: d'abord TeutatÃ¨s ou Teuth, le mÃªme que le Thoth des
Ãgyptiens, le verbe ou l'intelligence formulÃ©e, puis la force et la beautÃ© dont les noms variaient comme
les emblÃ¨mes. Ils complÃ©taient enfin le septÃ©naire sacrÃ© par une image mystÃ©rieuse qui
reprÃ©sentait le progrÃ¨s du dogme et ses rÃ©alisations futures: c'Ã©tait une jeune fille voilÃ©e tenant un
enfant dans ses bras, et ils dÃ©diaient cette image Ã la vierge qui deviendra mÃ¨re 13.
Note 13: (retour)
On a trouvÃ© Ã Chartres une statue druidique ayant cette forme et cette inscription:
VIRGINI PARITURAE.
Les anciens druides vivaient dans une rigoureuse abstinence, gardaient le plus profond secret sur leurs
mystÃ¨res, Ã©tudiaient les sciences naturelles et n'admettaient parmi eux de nouveaux [236] adeptes
qu'aprÃ¨s de longues initiations. Ils avaient Ã Autun un collÃ©ge cÃ©lÃ¨bre dont les armoiries, au dire de
Saint-Foix, subsistent encore dans cette ville: elles sont d'azur Ã la couchÃ©e de serpents d'argent
surmontÃ©e d'un gui de chÃªne garni de ses glands de sinople; c'est pour le distinguer des autres guis que le
blason donne des glands au gui de chÃªne, mais la branche de chÃªne seule porte des glands. Le gui est un
feuillage parasite qui ne fructifie pas comme l'arbre qui l'a portÃ©.
Les druides ne construisaient pas de temples, ils accomplissaient les rites de leur religion sur les dolmens et
dans les forÃªts. On se demande encore Ã l'aide de quelles machines ils ont pu soulever les pierres colossales
qui formaient leurs autels, et qui se dressent encore sombres et mystÃ©rieuses sous le ciel nuageux de
l'Armorique. Les anciens sanctuaires avaient leurs secrets qui ne sont pas venus jusqu'Ã nous.
Les druides enseignaient que l'Ã¢me des ancÃªtres s'attache aux enfants; qu'elle est heureuse de leur gloire ou
tourmentÃ©e de leur honte; que les gÃ©nies protecteurs s'attachent aux arbres et aux pierres de la patrie; que
le guerrier mort pour son pays a expiÃ© toutes ses fautes et rempli dignement sa tÃ¢che, il devient alors un
gÃ©nie, et dÃ©sormais il exerce le pouvoir des dieux. Aussi chez les Gaulois le patriotisme Ã©tait-il une
religion: les femmes et les enfants mÃªme s'armaient, s'il le fallait, pour repousser l'invasion, et les Jeanne
d'Arc, les Jeanne Hachette de Beauvais, n'ont fait que continuer les traditions de ces nobles filles des Gaules.
Ce qui attache au sol de la patrie, c'est la magie des souvenirs.
[237]Les druides Ã©taient prÃªtres et mÃ©decins; ils guÃ©rissaient par le magnÃ©tisme, et ils attachaient
leur influence fluidique Ã des amulettes. Le gui de chÃªne et l'oeuf de serpent Ã©taient leurs panacÃ©es
universelles, parce que ces substances attirent d'une maniÃ¨re toute particuliÃ¨re la lumiÃ¨re astrale. La
solemnitÃ© avec laquelle on rÃ©coltait le gui, attirait sur ce feuillage la confiance populaire et le
magnÃ©tisait Ã grands courants. Aussi opÃ©rait-il des cures merveilleuses, surtout lorsqu'il Ã©tait
appliquÃ© par les eubages avec des conjurations et des charmes. N'accusons pas nos pÃ¨res de trop de
crÃ©dulitÃ©, ils savaient peut-Ãªtre ce que nous ne savons plus.

Les progrÃ¨s du magnÃ©tisme feront dÃ©couvrir un jour les propriÃ©tÃ©s absorbantes du gui de chÃªne.
On saura alors le secret de ces excroissances spongieuses qui attirent le luxe inutile des plantes et se
surchargent de coloris et de saveur: les champignons, les truffes, les galles d'arbres, les diffÃ©rentes espÃ¨ces
de gui, seront employÃ©s avec discernement par une mÃ©decine nouvelle Ã force d'Ãªtre ancienne. On ne
rira plus alors de Paracelse qui recueillait l'usnÃ©e sur les crÃ¢nes des pendus; mais il ne faut pas marcher
plus vite que la science, elle ne recule que pour mieux avancer.
[238]
CHAPITRE II
INFLUENCE DES FEMMES.

SOMMAIRE.--Influence des femmes chez les Gaulois.--Les vierges de l'Ã®le de Sayne.--La magicienne
VellÃ©da.--Bertha la fileuse.--MÃ©lusine.--Les elfes et les fÃ©es.--Sainte Clotilde et sainte
GeneviÃ¨ve.--La sorciÃ¨re FrÃ©dÃ©gonde.
La Providence en imposant Ã la femme les devoirs si sÃ©vÃ¨res et si doux de la maternitÃ©, lui a donnÃ©
droit Ã la protection et au respect de l'homme. Assujettie par la nature mÃªme aux consÃ©quences des
affections qui sont sa vie, elle conduit ses maÃ®tres avec les chaÃ®nes que l'amour lui donne; plus elle est
soumise aux lois qui constituent et qui protÃ¨gent son honneur, plus elle est puissante et respectÃ©e dans le
sanctuaire de la famille. Pour elle, se rÃ©volter, c'est abdiquer, et lui prÃªcher une prÃ©tendue
Ã©mancipation, c'est lui conseiller le divorce en la vouant d'avance Ã la stÃ©rilitÃ© et au mÃ©pris.
Le christianisme seul a pu lÃ©gitimement Ã©manciper la femme en l'appelant et Ã la virginitÃ© Ã la

gloire du sacrifice. Numa avait pressenti ce mystÃ¨re lorsqu'il instituait les vestales; mais les druides
devanÃ§aient le christianisme en Ã©coutant les inspirations des vierges, et en rendant des honneurs presque
divins aux prÃªtresses de l'Ã®le de Sayne.
En Gaule, les femmes ne rÃ©gnaient pas par leur coquetterie et par leurs vices, mais elles gouvernaient par
leurs conseils. On ne faisait ni la paix ni la guerre sans les avoir consultÃ©es; les [239] intÃ©rÃªts du foyer
et de la famille Ã©taient ainsi plaidÃ©s par les mÃ¨res, et l'orgueil national devenait juste lorsqu'il Ã©tait
ainsi tempÃ©rÃ© par l'amour maternel de la patrie.
Chateaubriand a calomniÃ© VellÃ©da en la faisant succomber Ã l'amour d'Eudore. VellÃ©da vÃ©cut et

mourut vierge. Elle Ã©tait dÃ©jÃ vieille quand les Romains envahirent les Gaules: c'Ã©tait une espÃ¨ce de
pythie qui prophÃ©tisait dans les grandes solennitÃ©s, et dont on recueillait les oracles avec vÃ©nÃ©ration;
elle Ã©tait vÃªtue d'une longue robe noire sans manches, la tÃªte couverte d'un voile blanc qui lui descendait
jusqu'aux pieds; elle portait une couronne de verveine et avait Ã sa ceinture une faucille d'or; son sceptre
avait la forme d'un fuseau, son pied droit Ã©tait chaussÃ© d'une sandale et son pied gauche portait une sorte
de chaussure Ã poulaine. On a pris plus tard les statues de VellÃ©da pour celles de Berthe au long pied. La
grande prÃªtresse, en effet, portait les insignes de la divinitÃ© protectrice des druidesses; c'Ã©tait Hertha ou
Wertha, la jeune Isis gauloise, la reine du ciel, la vierge qui devait enfanter. On la reprÃ©sentait avec un pied
sur la terre et l'autre sur l'eau, parce qu'elle Ã©tait reine de l'initiation et qu'elle prÃ©sidait Ã la science
universelle des choses. Le pied qu'elle posait sur l'eau Ã©tait ordinairement portÃ© par une barque analogue
Ã la barque ou Ã la conque de l'ancienne Isis. Elle tenait le fuseau des Parques chargÃ© d'une laine
CHAPITRE II 139
moitiÃ© blanche et moitiÃ© noire, parce qu'elle prÃ©side Ã toutes les formes et Ã tous les symboles, et
qu'elle tisse le vÃªtement des idÃ©es. On lui donnait aussi la forme allÃ©gorique des sirÃ¨nes moitiÃ©
femme et moitiÃ© poisson, ou le torse d'une belle jeune fille et deux jambes faites en [240] serpents, pour
signifier la mutation et la mobilitÃ© continuelle des choses, et l'alliance analogique des contraires dans la
manifestation de toutes les forces occultes de la nature. Sous cette derniÃ¨re forme, Hertha prenait le nom de
MÃ©lusine ou MÃ©losina (la musicienne, la chanteuse), c'est-Ã -dire la sirÃ¨ne rÃ©vÃ©latrice des
harmonies. Telle est l'origine des images et des lÃ©gendes de la reine Berthe et de la fÃ©e MÃ©lusine. Cette
derniÃ¨re se montra, dit-on, dans le XIe siÃ¨cle Ã un seigneur de Lusignan; elle en fut aimÃ©e et consentit
Ã le rendre heureux, Ã condition qu'il ne chercherait pas Ã Ã©pier les mystÃ¨res de son existence; le
seigneur le promit, mais la jalousie le rendit curieux et parjure; il Ã©pia MÃ©lusine, et la surprit dans ses
mÃ©thamorphoses, car une fois par semaine la fÃ©e reprenait ses jambes de serpents. Il poussa un cri auquel
rÃ©pondit un autre cri plus dÃ©sespÃ©rÃ© et plus terrible. MÃ©lusine avait disparu, mais elle revient
encore en poussant des clameurs lamentables toutes les fois qu'une personne de la maison de Lusignan est sur
le point de mourir.
Cette lÃ©gende est imitÃ©e de la fable de PsychÃ©, et se rapporte, comme cette fable, au danger des
initiations sacrilÃ¨ges ou Ã la profanation des mystÃ¨res de la religion et de l'amour; le rÃ©cit en est
empruntÃ© aux traditions des anciens bardes, et elle sort Ã©videmment de la savante Ã©cole des druides. Le
XIe siÃ¨cle s'en est emparÃ© et l'a mise Ã la mode, mais elle existait dÃ©jÃ depuis longtemps.
L'inspiration en France semble appartenir surtout aux femmes; les elfes et les fÃ©es y ont prÃ©cÃ©dÃ© les
saintes, et les saintes franÃ§aises ont presque toutes quelque chose de fÃ©erique dans leur [241] lÃ©gende.
Sainte Clotilde nous a fait chrÃ©tiens, sainte GeneviÃ¨ve nous a conservÃ©s FranÃ§ais en repoussant par
l'Ã©nergie de sa vertu et de sa foi l'invasion menaÃ§ante d'Attila. Jeanne d'Arc... mais celle-ci Ã©tait plutÃ´t
de la famille des fÃ©es que de la hiÃ©rarchie des saintes; elle mourut comme Hypathie, victime des dons
merveilleux de la nature et martyre de son caractÃ¨re gÃ©nÃ©reux. Nous en reparlerons plus tard. Sainte
Clotilde fait encore des miracles dans nos provinces. Nous avons vu aux Andelys la foule des pÃ¨lerins se
presser autour d'une piscine oÃ¹ l'on plonge tous les ans la statue de la sainte; le premier malade qui descend
ensuite dans l'eau est immÃ©diatement guÃ©ri, c'est du moins ce que proclame tout haut la confiance
populaire. C'Ã©tait une Ã©nergique femme et une grande reine que cette Clotilde, aussi fut-elle
Ã©prouvÃ©e par les plus poignantes douleurs: son premier fils mourut aprÃ¨s avoir reÃ§u le baptÃªme, et sa
mort fut regardÃ©e comme le rÃ©sultat d'un malÃ©fice; le second tomba malade et allait mourir... Le
caractÃ¨re de la sainte ne flÃ©chit pas et le Sicambre ayant un jour besoin d'un courage plus qu'humain se
souvint du dieu de Clotilde. Veuve aprÃ¨s avoir converti et fondÃ© en quelque sorte un grand royaume, elle
vit Ã©gorger pour ainsi dire sous ses yeux les deux enfants de Clodomir. C'est par de semblables douleurs
que les reines de la terre ressemblent Ã la reine du ciel.
AprÃ¨s la grande et resplendissante figure de Clotilde, nous voyons apparaÃ®tre dans l'histoire, comme un
repoussoir hideux, le funeste personnage de FrÃ©dÃ©gonde, cette femme dont le regard est un malÃ©fice,
cette sorciÃ¨re qui tue les princes. FrÃ©dÃ©gonde accusait volontiers ses rivales de magie et les faisait
mourir au [242] milieu des supplices qu'elle seule mÃ©ritait. Il restait Ã ChilpÃ©ric un fils de sa premiÃ¨re
femme: ce jeune prince, qui se nommait Clovis, s'Ã©tait Ã©pris d'une jeune fille du peuple dont la mÃ¨re
passait pour sorciÃ¨re. On accusa la mÃ¨re et la fille d'avoir troublÃ© par des philtres la raison de Clovis, et
d'avoir fait mourir par des envoÃ»tements magiques les deux enfants de FrÃ©dÃ©gonde. Les deux
malheureuses femmes furent arrÃªtÃ©es; Klodswinthe, la jeune fille, fut battue de verges, on lui coupa ses
beaux cheveux, et FrÃ©dÃ©gonde les attacha elle-mÃªme Ã la porte de l'appartement du jeune prince, puis
on fit mettre Klodswinthe en jugement. Ses rÃ©ponses simples et fermes Ã©tonnÃ¨rent les juges: quelqu'un
conseilla, dit un chroniqueur, de la soumettre Ã l'Ã©preuve de l'eau bouillante; un anneau bÃ©ni fut jetÃ©
dans une cuve placÃ©e sur un grand feu, et l'accusÃ©e, vÃªtue de blanc, aprÃ¨s s'Ãªtre confessÃ©e et avoir
communiÃ©, dut plonger son bras dans la cuve et chercher l'anneau. A l'immobilitÃ© des traits de
Klodswinthe, tout le monde crut qu'un miracle s'Ã©tait accompli, mais un cri de rÃ©probation et d'horreur
INFLUENCE DES FEMMES. 140

s'Ã©leva quand la malheureuse enfant retira son bras affreusement brÃ»lÃ©. Alors elle demanda la
permission de parler, et dit Ã ses juges et au peuple: Â«Vous demandiez un miracle Ã Dieu pour preuve de
mon innocence. Dieu ne veut pas qu'on le tente et il ne suspend pas les lois de la nature suivant le caprice des
hommes; mais il donne la force Ã ceux qui croient en lui, et il a fait pour moi une merveille bien plus grande
que celle qu'il vous a refusÃ©e. Cette eau m'a brÃ»lÃ©e, et j'y ai plongÃ© mon bras tout entier et j'ai
cherchÃ© et ramenÃ© l'anneau. Je n'ai ni criÃ©, ni pÃ¢li, ni dÃ©failli dans cette [243] horrible torture. Si
j'Ã©tais magicienne, comme vous le dites, j'aurais employÃ© des malÃ©fices pour ne pas brÃ»ler, mais je
suis chrÃ©tienne et Dieu m'a fait la grÃ¢ce de le prouver par la constance des martyrs.Â» Cette logique
n'Ã©tait pas de nature Ã Ãªtre comprise Ã une Ã©poque si barbare. Klodswinthe fut reconduite en prison en
attendant le dernier supplice, mais Dieu la prit en pitiÃ© et l'appela Ã lui, dit la chronique oÃ¹ nous avons
puisÃ© ces dÃ©tails. Si ce n'est qu'une lÃ©gende, il faut convenir qu'elle est belle et mÃ©rite d'Ãªtre
conservÃ©e.
FrÃ©dÃ©gonde perdait une de ses victimes, mais les deux autres ne lui Ã©chappÃ¨rent pas. La mÃ¨re de
Klodswinthe fut mise Ã la torture, et, vaincue par les tourments, elle avoua tout ce qu'on voulut, mÃªme la
culpabilitÃ© de sa fille, mÃªme la complicitÃ© de Clovis. FrÃ©dÃ©gonde, armÃ©e de ses aveux, obtint du
fÃ©roce et imbÃ©cile ChilpÃ©ric l'abandon de son fils. Le jeune prince fut arrÃªtÃ© et poignardÃ© dans
sa prison. FrÃ©dÃ©gonde dÃ©clara qu'il avait voulu Ã©chapper Ã ses remords par le suicide. Le cadavre
du malheureux Clovis fut mis sous les yeux de son pÃ¨re, le poignard Ã©tait encore dans la plaie.
ChilpÃ©ric regarda froidement ce spectacle; il Ã©tait entiÃ¨rement dominÃ© par FrÃ©dÃ©gonde qui le
trompait effrontÃ©ment avec les officiers de son palais. On se cachait si peu que le roi eut malgrÃ© lui des
preuves de son dÃ©shonneur. Au lieu de tuer sur-le-champ la reine et son complice, il partit sans rien dire
pour la chasse. Il eÃ»t peut-Ãªtre souffert cet outrage sans se plaindre de peur de dÃ©plaire Ã
FrÃ©dÃ©gonde, mais cette femme eut honte pour lui, elle lui fit l'honneur de croire Ã sa colÃ¨re afin d'avoir
un prÃ©texte pour l'assassiner; il l'avait rassasiÃ©e de crimes et de bassesses, elle le fit tuer par dÃ©goÃ»t.
[244]FrÃ©dÃ©gonde, qui faisait brÃ»ler comme sorciÃ¨res les femmes coupables seulement de lui avoir
dÃ©plu, s'exerÃ§ait elle-mÃªme Ã la magie noire, et protÃ©geait ceux qu'elle croyait vraiment sorciers.
AgÃ©ric, Ã©vÃªque de Verdun, avait fait arrÃªter une pythonisse qui gagnait beaucoup d'argent en faisant
retrouver les objets perdus et en dÃ©nonÃ§ant les voleurs; c'Ã©tait vraisemblablement une somnambule. On
exorcisa cette femme, le diable dÃ©clara qu'il ne sortirait point tant qu'on le tiendrait enchaÃ®nÃ©, mais
que si on laissait la pythonisse seule dans une Ã©glise, sans surveillant et sans gardes, il sortirait
certainement. On donna dans le piÃ¨ge, et ce fut la femme qui sortit; elle se rÃ©fugia auprÃ¨s de
FrÃ©dÃ©gonde qui la cacha dans son palais et finit par la soustraire aux exorcismes et probablement au
bÃ»cher: elle fit donc cette fois une bonne action par erreur et pour le plaisir de mal faire.
CHAPITRE III.
LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS.

SOMMAIRE.--Dispositions de la loi salique contre les sorciers.--Un passage analogue du
Talmud.--DÃ©cisions des conciles.--Charles Martel accusÃ© de magie.--Le cabaliste
ZÃ©dÃ©chias.--Visions Ã©pidÃ©miques du temps de PÃ©pin le Bref.--Palais et vaisseau aÃ©riens.--Les
sylphes mis en jugement et condamnÃ©s Ã ne plus reparaÃ®tre.
CHAPITRE III. 141

Sous les rois de France de la premiÃ¨re race, le crime de magie n'entraÃ®nait la mort que pour les grands, et
il s'en trouvait qui faisaient gloire de mourir pour un crime qui les Ã©levait [245] au-dessus du vulgaire, et les
rendait redoutables mÃªme aux souverains. C'est ainsi que le gÃ©nÃ©ral Mummol, torturÃ© par ordre de
FrÃ©dÃ©gonde, dÃ©clara n'avoir rien souffert et provoqua lui-mÃªme les Ã©pouvantables supplices Ã la
suite desquels il mourut, en bravant ses bourreaux que tant de constance avait forcÃ©s en quelque sorte de lui
faire grÃ¢ce.
Dans les lois saliques, que Sigebert attribue Ã Pharamond, et qu'il suppose avoir Ã©tÃ© promulguÃ©es en
424, on trouve les dispositions suivantes:
Â«Si quelqu'un a traitÃ© hautement un autre d'hÃ©rÃ©burge ou strioporte, c'est le nom de celui qui porte le
vase de cuivre au lieu oÃ¹ les stryges font leurs enchantements, et s'il ne peut l'en convaincre, qu'il soit
condamnÃ© Ã une amende de sept mille cinq cents deniers qui font cent quatre-vingts sous et demi.Â»
Â«Si quelqu'un traite une femme libre de stryge ou de prostituÃ©e sans pouvoir prouver son dire, qu'il soit
condamnÃ© Ã une amende de deux mille cinq cents deniers qui font soixante-deux sous et demi.Â»
Â«Si une stryge a dÃ©vorÃ© un homme et qu'elle en soit convaincue, elle sera condamnÃ©e Ã payer huit
mille deniers, qui font deux cents sous.Â»
On voit qu'en ce temps-lÃ , l'anthropophagie Ã©tait possible Ã prix d'argent et que la chair humaine ne
coÃ»tait pas cher.
On payait cent quatre-vingt-sept sous et demi pour calomnier un homme: pour douze sous et demi de plus, on
pouvait l'Ã©gorger et le manger, c'Ã©tait plus loyal et plus complet.
Cette Ã©trange lÃ©gislation nous rappelle un passage non moins [246] singulier du Talmud que le
cÃ©lÃ¨bre rabbin JÃ©chiel expliqua d'une maniÃ¨re fort remarquable en prÃ©sence d'une reine que le livre
hÃ©breu ne nomme pas: c'est sans doute la reine Blanche, car le rabbin JÃ©chiel vivait du temps de saint
Louis.
Il s'agissait de rÃ©pondre aux objections d'un juif converti, nommÃ© Douin, et qui avait reÃ§u au baptÃªme
le prÃ©nom de Nicolas. AprÃ¨s plusieurs discussions sur les textes du Talmud, on en vint Ã ce passage:
Â«Si quelqu'un a offert du sang de ses enfants Ã Moloch, qu'il soit puni de mort.Â» C'est la loi de MoÃ¯se.
Le Talmud ajoute en forme de commentaire: Â«Celui donc qui aura offert non-seulement du sang, mais tout
le sang et toute la chair de ses enfants, en sacrifice Ã Moloch, ne tombe pas sous les prescriptions de la loi, et
aucune peine n'est portÃ©e contre lui.Â»
A la lecture de cet incomprÃ©hensible raisonnement tous les assistants se rÃ©criÃ¨rent; les uns riaient de
pitiÃ©, les autres frÃ©missaient d'indignation.
Rabbi JÃ©chiel obtint avec peine le silence, on l'Ã©couta enfin, mais avec une dÃ©faveur marquÃ©e, et
comme en condamnant d'avance tout ce qu'il allait dire.
Â«La peine de mort chez nous, dit alors JÃ©chiel, n'est pas une vengeance; c'est une expiation et par
consÃ©quent une rÃ©conciliation.
Â»Tous ceux qui meurent par la loi d'IsraÃ«l, meurent dans la paix d'IsraÃ«l; ils reÃ§oivent la
rÃ©conciliation avec la mort et dorment avec nos pÃ¨res. Nulle malÃ©diction ne descend avec eux dans la
LOIS SALIQUES CONTRE LES SORCIERS. 142

tombe, ils vivent dans l'immortalitÃ© de la maison de Jacob.
Â»La mort est donc une grÃ¢ce suprÃªme, c'est une guÃ©rison par le [247] fer d'une plaie envenimÃ©e;
mais nous n'appliquons pas le fer aux incurables; nous n'avons plus de droit sur ceux que la grandeur de leur
forfait retranche Ã jamais d'IsraÃ«l.
Â»Ceux-lÃ sont morts, et il ne nous appartient plus d'abrÃ©ger le supplice de leur rÃ©probation sur la terre,
ils appartiennent Ã la colÃ¨re de Dieu.
Â»L'homme n'a le droit de frapper que pour guÃ©rir, c'est pour cela que nous ne frappons pas les incurables.
Â»Le pÃ¨re de famille ne chÃ¢tie que ses enfants et il se contente de fermer sa porte aux Ã©trangers.
Â»Les grands coupables contre lesquels notre loi ne prononce aucune peine, sont par ce fait mÃªme
excommuniÃ©s Ã jamais, et cette rÃ©probation est une peine plus grande que la mort.Â»
Cette rÃ©ponse de JÃ©chiel est admirable, et l'on y sent respirer tout le gÃ©nie patriarchal de l'antique
IsraÃ«l. Les juifs sont vÃ©ritablement nos pÃ¨res dans la science, et si au lieu de les persÃ©cuter nous
avions cherchÃ© Ã les comprendre, ils seraient maintenant sans doute moins Ã©loignÃ©s de notre foi.
Cette tradition talmudique prouve combien est ancienne chez les juifs la croyance Ã l'immortalitÃ© de
l'Ã¢me. Qu'est-ce, en effet, que cette rÃ©intÃ©gration du coupable dans la famille d'IsraÃ«l par une mort
expiatoire, si ce n'est une protestation contre la mort mÃªme et un sublime acte de foi en la perpÃ©tuitÃ© de
la vie? Le comte Joseph de Maistre comprenait bien cette doctrine lorsqu'il Ã©levait jusqu'Ã une espÃ¨ce de
sacerdoce exceptionnel la mission sanglante du bourreau. Le supplice supplie, dit ce grand Ã©crivain, et
l'effusion du sang n'a pas cessÃ© d'Ãªtre un sacrifice. Si la peine capitale n'Ã©tait pas une suprÃªme [248]
absolution, elle ne serait qu'une reprÃ©saille de meurtre: l'homme qui subit sa peine accomplit toute sa
pÃ©nitence et rentre par la mort dans la sociÃ©tÃ© immortelle des enfants de Dieu.
Les lois saliques Ã©taient celles d'un peuple encore barbare oÃ¹ tout se rachetait, comme Ã la guerre, avec
une ranÃ§on. L'esclavage existait encore, et la vie humaine n'avait qu'une valeur discutable et relative. On
peut toujours acheter ce qu'on a le droit de vendre, et l'on ne doit que de l'argent pour la destruction d'un objet
qui coÃ»te de l'argent.
La seule lÃ©gislation forte de cette Ã©poque Ã©tait celle de l'Ãglise, aussi les conciles portÃ¨rent-ils contre
les stryges et les empoisonneurs qui prenaient le nom de sorciers, les peines les plus sÃ©vÃ¨res. Le concile
d'Agde dans le bas Languedoc, tenu en 506, les excommunie; le premier concile d'OrlÃ©ans, tenu en 511,
dÃ©fend expressÃ©ment les opÃ©rations divinatoires; le concile de Narbonne, en 589, frappe les sorciers
d'une excommunication sans espÃ©rance, et ordonne qu'ils soient faits esclaves et vendus au profit des
pauvres. Ce mÃªme concile ordonne de fustiger publiquement les amateurs du diable, c'est-Ã -dire sans doute
ceux qui s'en occupaient, qui le craignaient, qui l'Ã©voquaient, qui lui attribuaient une partie de la puissance
de Dieu. Nous fÃ©licitons sincÃ¨rement les disciples de M. le comte de Mirville de n'avoir pas vÃ©cu de ce
temps-lÃ .
Pendant que ces choses se passaient en France, un extatique venait de fonder en Orient une religion et un
empire. Mahomet Ã©tait-il un fourbe ou un hallucinÃ©? Pour les musulmans, c'est [249] encore un
prophÃ¨te, et pour les savants qui connaissent Ã fond la langue arabe, le Coran sera toujours un
chef-d'oeuvre.
Mahomet Ã©tait un homme sans lettres, un simple conducteur de chameaux, et il crÃ©a le monument le plus
parfait de la langue de son pays. Ses succÃ¨s ont pu passer pour des miracles, et l'enthousiasme guerrier de ses

successeurs menaÃ§a un instant la libertÃ© du monde entier; mais toutes les forces de l'Asie vinrent un jour
se briser contre la main de fer de Charles-Martel. Ce rude guerrier ne priait guÃ¨re lorsqu'il fallait combattre;
manquait-il d'argent, il en prenait dans les monastÃ¨res et dans les Ã©glises, il donna mÃªme des
bÃ©nÃ©fices ecclÃ©siastiques Ã des soldats. Dieu, dans l'opinion du clergÃ©, ne devait pas bÃ©nir ses
armes, aussi ses victoires furent-elles attribuÃ©es Ã la magie. Ce prince avait tellement soulevÃ© contre lui
l'opinion religieuse, qu'un vÃ©nÃ©rable personnage, saint Eucher, Ã©vÃªque d'OrlÃ©ans, le vit plongÃ©
dans les enfers. Le saint Ã©vÃªque, alors en extase, apprit d'un ange qui le conduisait en esprit Ã travers les
rÃ©gions d'outre-tombe, que les saints dont Charles-Martel avait spoliÃ© ou profanÃ© les Ã©glises lui
avaient interdit l'entrÃ©e du ciel, avaient chassÃ© son corps mÃªme de la sÃ©pulture, et l'avaient
prÃ©cipitÃ© au fond de l'abÃ®me. Eucher donna avis de cette rÃ©vÃ©lation Ã Boniface, Ã©vÃªque de
Mayence, et Ã Fulrad, archichapelain de PÃ©pin le Bref. On ouvrit le tombeau de Charles-Martel, le corps
n'y Ã©tait plus, la pierre intÃ©rieure Ã©tait noircie et comme brÃ»lÃ©e, une fumÃ©e infecte s'en exhala et
un Ã©norme serpent en sortit. Boniface adressa Ã PÃ©pin le Bref et Ã Carloman le procÃ¨s-verbal de
l'exhumation, ou plutÃ´t de l'ouverture du tombeau de leur pÃ¨re, en les invitant Ã profiter [250] de ce
terrible exemple et Ã respecter les choses saintes. Mais Ã©tait-ce bien les respecter que de violer ainsi la
sÃ©pulture d'un hÃ©ros sur la foi d'un rÃªve pour attribuer Ã l'enfer ce travail de destruction si
complÃ¨tement et si vite achevÃ© par la mort?
Sous le rÃ¨gne de PÃ©pin le Bref, des phÃ©nomÃ¨nes fort singuliers se montrÃ¨rent publiquement en
France. L'air Ã©tait plein de figures humaines, le ciel reflÃ©tait des mirages de palais, de jardins, de flots
agitÃ©s, de vaisseaux les voiles au vent et d'armÃ©es rangÃ©es en bataille. L'atmosphÃ¨re ressemblait Ã
un grand rÃªve. Tout le monde pouvait voir et distinguer les dÃ©tails de ces fantastiques tableaux. Ãtait-ce
une Ã©pidÃ©mie attaquant les organes de la vision ou une perturbation atmosphÃ©rique qui projetait des
mirages dans l'air condensÃ©? N'Ã©tait-ce pas plutÃ´t une hallucination universelle produite par quelque
principe enivrant et pestilentiel rÃ©pandu dans l'atmosphÃ¨re? Ce qui donnerait plus de probabilitÃ© Ã
cette derniÃ¨re supposition, c'est que ces visions exaspÃ©raient le peuple; on croyait distinguer en l'air des
sorciers qui rÃ©pandaient Ã pleines mains les poudres malfaisantes et les poisons. Les campagnes Ã©taient
frappÃ©es de stÃ©rilitÃ©, les bestiaux mouraient, et la mortalitÃ© s'Ã©tendait mÃªme sur les hommes.
On rÃ©pandit alors une fable qui devait avoir d'autant plus de succÃ¨s et de crÃ©dit, qu'elle Ã©tait plus
complÃ¨tement extravagante. Il y avait alors un fameux kabbaliste, nommÃ© ZÃ©dÃ©chias, qui tenait
Ã©cole de sciences occultes, et enseignait non pas la kabbale, mais les hypothÃ¨ses amusantes auxquelles la
kabbale peut donner lieu et qui forment la partie exotÃ©rique de [251] cette science toujours cachÃ©e au
vulgaire. ZÃ©dÃ©chias amusait donc les esprits avec la mythologie de cette kabbale fabuleuse. Il racontait
comment Adam, le premier homme, crÃ©Ã© d'abord dans un Ã©tat presque spirituel, habitait au-dessus de
notre atmosphÃ¨re oÃ¹ la lumiÃ¨re faisait naÃ®tre pour lui et Ã son grÃ© les vÃ©gÃ©tations les plus
merveilleuses; lÃ il Ã©tait servi par une foule d'Ãªtres de la plus grande beautÃ©, crÃ©Ã©s Ã l'image de
l'homme et de la femme, dont ils Ã©taient les reflets animÃ©s, et formÃ©s de la plus pure substance des
Ã©lÃ©ments: c'Ã©taient les sylphes, les salamandres, les ondins et les gnomes; mais dans l'Ã©tat
d'innocence, Adam ne rÃ©gnait sur les gnomes et sur les ondins que par l'entremise des sylphes et des
salamandres qui, seuls, avaient le pouvoir de s'Ã©lever jusqu'Ã son paradis aÃ©rien.
Rien n'Ã©galait le bonheur du couple primitif servi par les sylphes; ces esprits mortels Ã©tant d'une
incroyable habiletÃ© pour bÃ¢tir, tisser, faire fleurir la lumiÃ¨re en mille formes plus variÃ©es que
l'imagination la plus brillante et la plus fÃ©conde n'a le temps de les concevoir. Le paradis terrestre, ainsi
nommÃ© parce qu'il reposait sur l'atmosphÃ¨re de la terre, Ã©tait donc le sÃ©jour des enchantements;
Adam et Ãve dormaient dans des palais de perles et de saphirs, les roses naissaient autour d'eux et
s'Ã©tendaient en tapis sous leurs pieds; ils glissaient sur l'eau dans des conques de nacre tirÃ©es par des
cygnes, les oiseaux leur parlaient avec une musique dÃ©licieuse, les fleurs se penchaient pour les caresser; la
chute leur fit tout perdre en les prÃ©cipitant sur la terre; les corps matÃ©riels dont ils furent couverts, sont
les peaux de bÃªtes dont il est parlÃ© dans la Bible. Ils se trouvÃ¨rent seuls et nus sur une terre qui [252]

n'obÃ©issait plus aux caprices de leurs pensÃ©es; ils oubliÃ¨rent mÃªme la vie Ã©dÃ©nique, et ne
l'entrevirent plus dans leurs souvenirs que comme un rÃªve. Cependant, au-dessus de l'atmosphÃ¨re, les
rÃ©gions paradisiaques s'Ã©tendaient toujours, habitÃ©es seulement par les sylphes et les salamandres qui
se trouvaient ainsi gardiens des domaines de l'homme, comme des valets affligÃ©s qui restent dans le
chÃ¢teau d'un maÃ®tre dont ils n'espÃ¨rent plus le retour.
Les imaginations Ã©taient pleines de ces merveilleuses fictions lorsqu'apparurent les mirages du ciel et les
figures humaines dans les nuÃ©es. Plus de doute alors, c'Ã©taient les sylphes et les salamandres de
ZÃ©dÃ©chias qui venaient chercher leurs anciens maÃ®tres; on confondit les rÃªves avec la veille, et
plusieurs personnes se crurent enlevÃ©es par les Ãªtres aÃ©riens; il ne fut bruit que de voyages au pays des
sylphes, comme parmi nous on parle de meubles animÃ©s et de manifestations fluidiques. La folie gagna les
meilleures tÃªtes, et il fallut enfin que l'Ãglise s'en mÃªlÃ¢t. L'Ãglise aime peu les communications
surnaturelles faites Ã la multitude; de semblables rÃ©vÃ©lations dÃ©truisant le respect dÃ» Ã l'autoritÃ©
et la chaÃ®ne hiÃ©rarchique de l'enseignement ne sauraient Ãªtre attribuÃ©es Ã l'esprit d'ordre et de
lumiÃ¨re. Les fantÃ´mes des nuages furent donc atteints et convaincus d'Ãªtre des illusions de l'enfer; le
peuple alors, dÃ©sireux de s'en prendre Ã quelqu'un, se croisa en quelque sorte contre les sorciers. La folie
publique se termina par une crise de fureur: les gens inconnus qu'on rencontrait dans les campagnes Ã©taient
accusÃ©s de descendre du ciel et tuÃ©s sans misÃ©ricorde; plusieurs maniaques avouÃ¨rent qu'ils avaient
Ã©tÃ© enlevÃ©s par des sylphes ou par des [253] dÃ©mons; d'autres, qui s'en Ã©taient dÃ©jÃ vantÃ©s,
ne voulurent plus ou ne purent plus s'en dÃ©dire: on les brÃ»lait, on les jetait Ã l'eau et on croirait Ã peine,
dit Garinet 14, quel grand nombre ils en firent pÃ©rir ainsi dans tout le royaume. Ainsi se dÃ©nouent
ordinairement les drames oÃ¹ les premiers rÃ´les sont jouÃ©s par l'ignorance et par la peur.
Note 14: (retour) Garinet, Histoire de la magie en France, 1818, 1 vol. in-8.
Ces Ã©pidÃ©mies visionnaires se reproduisirent sous les rÃ¨gnes suivants, et la toute-puissance de

Charlemagne dut intervenir pour calmer l'agitation publique. Un Ã©dit, renouvelÃ© depuis par Louis le
DÃ©bonnaire, dÃ©fendit aux sylphes de se montrer sous les peines les plus graves. On comprit qu'a dÃ©faut
des sylphes ces peines atteindraient ceux qui se vanteraient de les avoir vus et on finit par ne les plus voir; les
vaisseaux aÃ©riens rentrÃ¨rent dans le port de l'oubli et personne ne prÃ©tendit plus avoir voyagÃ© dans le
ciel. D'autres frÃ©nÃ©sies populaires remplacÃ¨rent celle-lÃ , et les splendeurs romanesques du grand
rÃ¨gne de Charlemagne vinrent fournir aux lÃ©gendaires assez d'autres prodiges Ã croire et d'autres
merveilles Ã raconter.
[254]
CHAPITRE IV.
LÃGENDES DU RÃGNE DE CHARLEMAGNE.

SOMMAIRE.--L'Ã©pÃ©e enchantÃ©e et le cor magique de Roland.--L'Enchiridion de LÃ©on III.--Le
sabbat--Les tribunaux secrets ou les francs-juges.--Dispositions des Capitulaires contre les sorciers.--La
chevalerie errante.
Charlemagne est le vÃ©ritable prince des enchantements et de la fÃ©erie, son rÃ¨gne est comme une halte
solennelle et brillante entre la barbarie et le moyen Ã¢ge; c'est une apparition de majestÃ© et de grandeur qui
CHAPITRE IV. 145

rappelle les pompes magiques du rÃ¨gne de Salomon, c'est une rÃ©surrection et une prophÃ©tie. En lui
l'empire romain, enjambant les origines gauloises et franques, reparaÃ®t dans toute sa splendeur; en lui aussi,
comme dans un type Ã©voquÃ© et rÃ©alisÃ© par divination, se montre d'avance l'empire parfait des Ã¢ges
de la civilisation mÃ»rie, l'empire couronnÃ© par le sacerdoce et appuyant son trÃńe contre l'autel.
A Charlemagne commence l'Ã¨re de la chevalerie et l'Ã©popÃ©e merveilleuse des romans; les chroniques du
rÃ¨gne de ce prince ressemblent toutes Ã l'histoire des quatre fils Aymon ou d'Oberon l'enchanteur. Les
oiseaux parlent pour remettre dans le bon chemin l'armÃ©e franÃ§aise Ã©garÃ©e dans les forÃªts; des
colosses d'airain se dressent au milieu de la mer et montrent Ã l'empereur les voies ouvertes de l'Orient.
Roland, le premier des paladins, possÃ¨de une Ã©pÃ©e magique, baptisÃ©e comme une chrÃ©tienne et
nommÃ©e [255]Durandal; le preux parle Ã son Ã©pÃ©e, et elle semble le comprendre, rien ne rÃ©siste Ã
l'effort de ce glaive surnaturel. Roland possÃ¨de aussi un cor d'ivoire si artistement fait, que le moindre
souffle y produit un bruit qui s'entend de vingt lieues Ã la ronde et qui fait trembler les montagnes; lorsque
Roland succombe Ã Roncevaux, plutÃ´t Ã©crasÃ© que vaincu, il se soulÃ¨ve encore comme un gÃ©ant
sous un dÃ©luge d'arbres et de roches roulantes, il sonne du cor, et les Sarrazins prennent la fuite.
Charlemagne, qui est Ã plus de dix lieues de lÃ , entend le cor de Roland et veut aller Ã son secours; mais il
en est empÃªchÃ© par le traÃ®tre Ganelon qui a vendu l'armÃ©e franÃ§aise aux barbares. Roland, se
voyant abandonnÃ©, embrasse une derniÃ¨re fois sa Durandal, puis, rÃ©unissant toutes ses forces, il en
frappe Ã deux mains un quartier de montagne contre lequel il espÃ¨re la briser pour ne pas la laisser tomber
au pouvoir des infidÃ¨les, le quartier de montagne est pourfendu sans que Durandal soit Ã©brÃ©chÃ©e.
Roland la serre sur sa poitrine et meurt avec une mine si haute et si fiÃ¨re que les Sarrazins n'osent descendre
pour l'approcher et lancent encore en tremblant une grÃªle de flÃ¨ches contre leur vainqueur qui n'est plus.
Charlemagne donnant un trÃńe Ã la papautÃ© et recevant d'elle l'empire du monde, est le plus grandiose de
tous les personnages de notre histoire.
Nous avons parlÃ© de l'Enchiridion, ce petit livre renfermant avec les plus belles priÃ¨res chrÃ©tiennes les
caractÃ¨res les plus cachÃ©s de la Kabbale. La tradition occulte attribue ce petit livre Ã LÃ©on III, et
affirme qu'il fut donnÃ© par le pontife Ã Charlemagne comme le plus rare de tous les prÃ©sents. Le
souverain [256] propriÃ©taire de ce livre, et sachant dignement s'en servir, devait Ãªtre le maÃ®tre du
monde. Cette tradition n'est peut-Ãªtre pas Ã dÃ©daigner.
Elle suppose:
1Â° L'existence d'une rÃ©vÃ©lation primitive et universelle, expliquant tous les secrets de la nature et les
accordant avec les mystÃ¨res de la grÃ¢ce, conciliant la raison avec la foi parce que toutes deux sont filles de
Dieu et concourent Ã Ã©clairer l'intelligence par leur double lumiÃ¨re;
2Â° La nÃ©cessitÃ© oÃ¹ l'on a toujours Ã©tÃ© rÃ©duit de cacher cette rÃ©vÃ©lation Ã la multitude, de
peur qu'elle n'en abuse en l'interprÃ©tant mal, et qu'elle ne se serve contre la foi des forces de la raison ou des
puissances de la foi mÃªme pour Ã©garer la raison que le vulgaire n'entend jamais bien;
3Â° L'existence d'une tradition secrÃ¨te rÃ©servant aux souverains pontifes et aux maÃ®tres temporels du
monde la connaissance de ces mystÃ¨res;
4Â° La perpÃ©tuitÃ© de certains signes ou pantacles exprimant ces mystÃ¨res d'une maniÃ¨re
hiÃ©roglyphique, et connus des seuls adeptes.
L'Enchiridion serait un recueil de priÃ¨res allÃ©goriques, ayant pour clefs les pantacles les plus
mystÃ©rieux de la kabbale.
LÃGENDES DU RÃGNE DE CHARLEMAGNE. 146

Nous dÃ©crivons ici la figure des principaux pantacles de l'Enchiridion.
Le premier, qui est gravÃ© sur la couverture mÃªme du livre, reprÃ©sente un triangle Ã©quilatÃ©ral
renversÃ©, inscrit dans un double cercle. Sur le triangle sont Ã©crits de maniÃ¨re Ã former le [257] tau
prophÃ©tique, les deux mots ×××××× ÃloÃ¯m, et ×ª×××× Sabaoth, qui signifie le Dieu des armÃ©es,
l'Ã©quilibre des forces naturelles et l'harmonie des nombres. Aux trois cÃ´tÃ©s du triangle sont les trois
grands noms ××××, JÃ©hovah, ××××, AdonaÃ¯, ××××, Agla; au-dessus du nom de JÃ©hovah est Ã©crit en
latin formatio, au-dessus d'AdonaÃ¯, reformatio, et au-dessus d'Agla, transformatio. Ainsi la crÃ©ation est
attribuÃ©e au PÃ¨re, la rÃ©demption ou la rÃ©forme au Fils, et la sanctification ou transformation au
Saint-Esprit, suivant les lois mathÃ©matiques de l'action de la rÃ©action et de l'Ã©quilibre. JÃ©hovah est
en effet aussi la genÃ¨se ou la formation du dogme par la signification Ã©lÃ©mentaire des quatre lettres du
tÃ©tragramme sacrÃ©; AdonaÃ¯ est la rÃ©alisation de ce dogme en forme humaine, dans le Seigneur
visible, qui est le fils de Dieu ou l'homme parfait; et Agla, comme nous l'avons assez longuement expliquÃ©
ailleurs, exprime la synthÃ¨se de tout le dogme et de toute la science kabbalistique, en indiquant clairement
par les hiÃ©roglyphes dont ce nom admirable est formÃ© le triple secret du grand oeuvre.
Le deuxiÃ¨me pantacle est une tÃªte Ã triple visage, couronnÃ©e d'une tiare et sortant d'un vase plein d'eau.
Ceux qui sont initiÃ©s aux mystÃ¨res du Sohar comprendront l'allÃ©gorie de cette tÃªte.
Le troisiÃ¨me est le double triangle formant l'Ã©toile de Salomon.
Le quatriÃ¨me est l'Ã©pÃ©e magique, avec cette lÃ©gende: Deo duce, comite ferro, emblÃ¨me du grand
arcane et de la toute-puissance de l'initiÃ©.
Le cinquiÃ¨me est le problÃ¨me de la taille humaine du Sauveur, [258] rÃ©solu par le nombre quarante: c'est
le nombre thÃ©ologique des SÃ©phiroths, multipliÃ© par celui des rÃ©alisations naturelles.
Le sixiÃ¨me est le pantacle de l'esprit, signifiÃ© par des ossements qui forment deux E et deux taus: T.
Le septiÃ¨me, et le plus important, est le grand monogramme magique, expliquant les clavicules de Salomon,
le tÃ©tragramme, le signe du labarum et le mot suprÃªme des adeptes (voyez Dogme et rituel de la haute
magie, explication des figures du tome 1). Ce caractÃ¨re se lit en faisant tourner la page comme une roue, et
se prononce rota tarot ou tora (voyez Guilhaume Postel, Clavis absconditorum a constitutione mundi).
La lettre A est souvent remplacÃ©e dans ce caractÃ¨re par le nombre de la lettre, qui est 1.
On trouve aussi dans ce signe la figure et la valeur des quatre emblÃ¨mes hiÃ©roglyphiques du tarot, le
bÃ¢ton, la coupe, l'Ã©pÃ©e et le denier. Ces quatre hiÃ©roglyphes Ã©lÃ©mentaires se retrouvent partout
dans les monuments sacrÃ©s des Ãgyptiens, et HomÃ¨re les a figurÃ©s dans sa description du bouclier
d'Achille, en les plaÃ§ant dans le mÃªme ordre que les auteurs de l'Enchiridion.
Mais ces explications, s'il fallait les appuyer de toutes leurs preuves, nous entraÃ®neraient ici hors de notre
sujet, et demanderaient un travail spÃ©cial que nous espÃ©rons bien mettre en ordre et publier un jour.
L'Ã©pÃ©e ou le poignard magique figurÃ© dans l'Enchiridion paraÃ®t avoir Ã©tÃ© le symbole secret du
tribunal des francs-juges. Ce glaive, en effet, est fait en forme de croix, il est cachÃ© et comme enveloppÃ©
dans la lÃ©gende; Dieu seul le dirige, et celui qui frappe ne doit compte de ses coups Ã personne. Terrible
[259] menace et non moins terrible privilÃ¨ge! le poignard vehmique, en effet, atteignait dans l'ombre des
coupables dont le crime mÃªme restait souvent inconnu. A quels faits se rattache cette effrayante justice? Il
faut ici pÃ©nÃ©trer dans des ombres que l'histoire n'a pu Ã©claircir, et demander aux traditions et aux
lÃ©gendes une lumiÃ¨re que la science ne nous donne pas.

Les francs-juges furent une sociÃ©tÃ© secrÃ¨te opposÃ©e, dans l'intÃ©rÃªt de l'ordre et du gouvernement,
Ã des sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes anarchiques et rÃ©volutionnaires.
Les superstitions sont tenaces, et le druidisme dÃ©gÃ©nÃ©rÃ© avait jetÃ© de profondes racines dans les
terres sauvages du Nord. Les insurrections frÃ©quentes des Saxons attestaient un fanatisme toujours remuant
et que la force morale Ã©tait impuissante Ã rÃ©primer; tous les cultes vaincus, le paganisme romain,
l'idolÃ¢trie germaine, la rancune juive, se liguaient contre le christianisme victorieux. Des assemblÃ©es
nocturnes avaient lieu, et les conjurÃ©s y cimentaient leur alliance par le sang des victimes humaines: une
idole panthÃ©istique aux cornes de bouc et aux formes monstrueuses prÃ©sidait Ã des festins qu'on pourrait
appeler les agapes de la haine. Le sabbat, en un mot, se cÃ©lÃ©brait encore dans toutes les forÃªts et dans
tous les dÃ©serts des provinces encore sauvages; les adeptes s'y rendaient masquÃ©s et mÃ©connaissables;
l'assemblÃ©e Ã©teignait ses lumiÃ¨res et se dispersait avant le point du jour; les coupables Ã©taient partout,
et nulle part on ne pouvait les saisir. Charlemagne rÃ©solut de les combattre avec leurs propres armes.
En ce mÃªme temps, d'ailleurs, les tyrannies fÃ©odales conspiraient [260] avec les sectaires contre
l'autoritÃ© lÃ©gitime: les sorciÃ¨res Ã©taient les prostituÃ©es des chÃ¢teaux; les bandits initiÃ©s au
sabbat partageaient avec les seigneurs le fruit sanglant de leurs rapines; les justices fÃ©odales Ã©taient
vendues au plus offrant, et les charges publiques ne pesaient de tout leur poids que sur les faibles et sur les
pauvres.
Charlemagne envoya en Westphalie, oÃ¹ le mal Ã©tait le plus grand, des agents dÃ©vouÃ©s chargÃ©s
d'une mission secrÃ¨te. Ces agents attirÃ¨rent Ã eux et se liÃ¨rent par le serment et la surveillance mutuelle
tout ce qui Ã©tait Ã©nergique parmi les opprimÃ©s, tout ce qui aimait encore la justice, soit parmi le
peuple, soit parmi la noblesse; ils dÃ©couvrirent Ã leurs adeptes les pleins pouvoirs qu'ils tenaient de
l'empereur, et instituÃ¨rent le tribunal des francs-juges.
C'Ã©tait une police secrÃ¨te ayant droit de vie et de mort. Le mystÃ¨re qui entourait les jugements, la
rapiditÃ© des exÃ©cutions, tout frappa l'imagination de ces peuples encore barbares. La sainte vehme prit de
gigantesques proportions; on frissonnait en se racontant des apparitions d'hommes masquÃ©s, des citations
clouÃ©es aux portes des seigneurs les plus puissants au milieu mÃªme de leurs gardes et de leurs orgies, des
chefs de brigands trouvÃ©s morts avec le terrible poignard cruciforme dans la poitrine, et sur la bandelette
attachÃ©e au poignard l'extrait du jugement de la sainte vehme.
Ce tribunal affectait dans ses rÃ©unions les formes les plus fantastiques: le coupable citÃ© dans quelque
carrefour dÃ©criÃ© y Ã©tait pris par un homme noir qui lui bandait les yeux et le conduisait en silence;
c'Ã©tait toujours le soir, Ã une heure [261] avancÃ©e, car les arrÃªts ne se prononÃ§aient qu'Ã minuit. Le
criminel Ã©tait introduit dans de vastes souterrains, une seule voix l'interrogeait; puis on lui Ã´tait son
bandeau: le souterrain s'illuminait dans toutes ses profondeurs immenses, et l'on voyait les francs-juges tous
vÃªtus de noir et masquÃ©s. Les sentences n'Ã©taient pas toujours mortelles, puisqu'on a su comment les
choses se passaient, sans que jamais un franc-juge ait rÃ©vÃ©lÃ© quoi que ce soit, car la mort eÃ»t
frappÃ© Ã l'instant mÃªme le rÃ©vÃ©lateur. Ces assemblÃ©es formidables Ã©taient quelquefois si
nombreuses, qu'elles ressemblaient Ã une armÃ©e d'exterminateurs: une nuit l'empereur Sigismond
lui-mÃªme prÃ©sidait la sainte vehme, et plus de mille francs-juges siÃ©geaient en cercle autour de lui.
En 1400, il y avait en Allemagne cent mille francs-juges. Les gens Ã mauvaise conscience redoutaient leurs
parents et leurs amis: Â«Si le duc Adolphe de Sleiswyek vient me faire visite, disait un jour Guillaume de
Brunswick, il faudra bien que je le fasse pendre, si je ne veux pas Ãªtre pendu.Â»
Un prince de la mÃªme famille, le duc FrÃ©dÃ©ric de Brunswick, qui fut empereur un instant, avait
refusÃ© de se rendre Ã une citation des francs-juges; il ne sortait plus qu'armÃ© de toutes piÃ¨ces et
entourÃ© de gardes; mais un jour il s'Ã©carta un peu de sa suite et eut besoin de se dÃ©barrasser d'une

partie de son armure: on ne le vit pas revenir. Ses gardes entrÃ¨rent dans le petit bois oÃ¹ le duc avait voulu
Ãªtre seul un instant; le malheureux expirait, ayant dans les reins le poignard de la sainte vehme, et la sentence
pendue au poignard. On regarda de tous cÃ´tÃ©s, et l'on [262] vit un homme masquÃ© qui se retirait en
marchant d'un pas solennel... Personne n'osa le poursuivre!
On a imprimÃ© dans le Reichsthetaer de MÃ¼ller le code de la cour vehmique, retrouvÃ© dans les
anciennes archives de Westphalie; voici le titre de ce vieux document:
Â«Code et statuts du saint tribunal secret des francs-comtes et francs-juges de Westphalie qui ont Ã©tÃ©
Ã©tablis en l'annÃ©e 772 par l'empereur Charlemagne, tels que les dits statuts ont Ã©tÃ© corrigÃ©s en
1404 par le roi Robert, qui y a fait en plusieurs points les changements et les augmentations qu'exigeait
l'administration de la justice dans les tribunaux des illuminÃ©s, aprÃ¨s les avoir de nouveau revÃªtus de son
autoritÃ©.Â»
Un avis placÃ© Ã la premiÃ¨re page dÃ©fend sous peine de mort, Ã tout profane, de jeter les yeux sur ce
livre.
Le nom d'illuminÃ©s qu'on donne ici aux affiliÃ©s du tribunal secret rÃ©vÃ¨le toute leur mission: ils
avaient Ã suivre dans l'ombre les adorateurs des tÃ©nÃ¨bres, ils circonvenaient mystÃ©rieusement ceux qui
conspiraient contre la sociÃ©tÃ© Ã la faveur du mystÃ¨re; mais ils Ã©taient les soldats occultes de la
lumiÃ¨re, ils devaient faire Ã©clater le jour sur toutes les trames criminelles, et c'est ce que signifiait cette
splendeur subite qui illuminait le tribunal lorsqu'il prononÃ§ait une sentence.
Les dispositions publiques de la loi sous Charlemagne autorisaient cette guerre sainte contre les tyrans de la
nuit. On peut voir dans les Capitulaires de quelles peines devaient Ãªtre punis les sorciers, les devins, les
enchanteurs, les noueurs d'aiguillette, ceux qui Ã©voquent le diable, et les empoisonneurs au moyen de
prÃ©tendus philtres amoureux.
[263]Ces mÃªmes lois dÃ©fendent expressÃ©ment de troubler l'air, d'exciter des tempÃªtes, de fabriquer des
caractÃ¨res et des talismans, de jeter des sorts, de faire des malÃ©fices, de pratiquer les envoÃ»tements, soit
sur les hommes, soit sur les troupeaux. Les sorciers, astrologues, devins, nÃ©cromanciens, mathÃ©maticiens
occultes, sont dÃ©clarÃ©s exÃ©crables et vouÃ©s aux mÃªmes peines que les empoisonneurs, les voleurs
et les assassins. On comprendra cette sÃ©vÃ©ritÃ©, si l'on se rappelle ce que nous avons dit des rites
horribles de la magie noire et de ses sacrifices infanticides; il fallait que le danger fÃ»t grand, puisque la
rÃ©pression se manifestait sous des formes si multipliÃ©es et si sÃ©vÃ¨res.
Une autre institution qui remonte aux mÃªmes sources que la sainte vehme, fut la chevalerie errante. Les
chevaliers errants Ã©taient des espÃ¨ces de francs-juges qui en appelaient Ã Dieu et Ã leur lance de toutes
les injustices des chÃ¢telains et de toute la malice des nÃ©cromans. C'Ã©taient des missionnaires armÃ©s
qui pourfendaient les mÃ©crÃ©ants aprÃ¨s s'Ãªtre munis du signe de la croix; ils mÃ©ritaient ainsi le
souvenir de quelque noble dame, et sanctifiaient l'amour par le martyre d'une vie toute de dÃ©vouement. Que
nous sommes loin dÃ©jÃ de ces courtisanes paÃ¯ennes auxquelles on immolait des esclaves, et pour
lesquelles les conquÃ©rants de l'ancien monde brÃ»laient des villes! Aux dames chrÃ©tiennes il faut
d'autres sacrifices; il faut avoir exposÃ© sa vie pour le faible et l'opprimÃ©, il faut avoir dÃ©livrÃ© des
captifs, il faut avoir puni les profanateurs des affections saintes, et alors ces belles et blanches dames aux
jupes armoriÃ©es, aux mains dÃ©licates et pÃ¢les, ces madones vivantes et [264] fiÃ¨res comme des lis, qui
reviennent de l'Ãglise, leurs livres d'heures sous le bras et leurs patenÃ´tres Ã leur ceinture, dÃ©tacheront
leur voile brodÃ© d'or ou d'argent, et le donneront pour Ã©charpe au chevalier agenouillÃ© devant elles qui
les prie en songeant Ã Dieu!

Ne nous souvenons plus des erreurs d'Ãve, elles sont mille fois pardonnÃ©es et compensÃ©es par cette
grÃ¢ce ineffable des nobles filles de Marie!
CHAPITRE V.
MAGICIENS.
SOMMAIRE.--Excommunication du roi Robert--Saint Louis et le rabbin JÃ©chiel.--La lampe magique et le
clou enchantÃ©.--Albert le Grand et ses prodiges.--L'androÃ¯de.--Le bÃ¢ton de saint Thomas d'Aquin.
Le dogme fondamental de la haute science, celui qui consacre la loi Ã©ternelle de l'Ã©quilibre, avait obtenu
son entiÃ¨re rÃ©alisation dans la constitution du monde chrÃ©tien. Deux colonnes vivantes soutenaient
l'Ã©difice de la civilisation: le pape et l'empereur.
Mais l'empire s'Ã©tait divisÃ© en Ã©chappant aux faibles mains de Louis le DÃ©bonnaire et de Charles le
Chauve. La puissance temporelle, abandonnÃ©e aux chances de la conquÃªte ou de l'intrigue, perdit cette
unitÃ© providentielle qui la mettait en harmonie avec Rome. Le pape dut souvent intervenir comme grand
justicier, et Ã ses risques et pÃ©rils il rÃ©prima les convoitises et l'audace de tant de souverains divisÃ©s.
[265]L'excommunication Ã©tait alors une peine terrible, car elle Ã©tait sanctionnÃ©e par les croyances
universelles, et produisait, par un effet mystÃ©rieux de cette chaÃ®ne magnÃ©tique de rÃ©probations, des
phÃ©nomÃ¨nes qui effrayaient la foule. C'est ainsi que Robert le Pieux, ayant encouru cette terrible peine par
un mariage illÃ©gitime, devint pÃ¨re d'un enfant monstrueux semblable Ã ces figures de dÃ©mons que le
moyen Ã¢ge savait rendre si complÃ¨tement et si ridiculement difformes. Ce triste fruit d'une union
rÃ©prouvÃ©e attestait du moins les tortures de conscience et les rÃªves de terreur qui avaient agitÃ© la
mÃ¨re. Robert y vit une preuve de la colÃ¨re de Dieu, et se soumit Ã la sentence pontificale: il renonÃ§a Ã
un mariage que l'Ãglise dÃ©clarait incestueux; il rÃ©pudia Berthe pour Ã©pouser Constance de Provence,
et il ne tint qu'Ã lui de voir dans les moeurs suspectes et dans le caractÃ¨re altier de cette nouvelle Ã©pouse
un second chÃ¢timent du ciel.
Les chroniqueurs de ce temps-lÃ semblent aimer beaucoup les lÃ©gendes diaboliques, mais ils montrent, en
les racontant, bien plus de crÃ©dulitÃ© que de goÃ»t. Tous les cauchemars des moines, tous les rÃªves
maladifs des religieuses, sont considÃ©rÃ©s comme des apparitions rÃ©elles. Ce sont des fantasmagories
dÃ©goÃ»tantes, des allocutions stupides, des transfigurations impossibles, auxquelles il ne manque, pour
Ãªtre amusantes, que la verve artistique de Callot et de Cyrano Bergerac. Rien de tout cela, depuis le rÃ¨gne
de Robert jusqu'Ã celui de saint Louis, ne nous parait digne d'Ãªtre racontÃ©.
Sous le rÃ¨gne de saint Louis vÃ©cut le fameux rabbin JÃ©chiel, [266] grand kabbaliste et physicien trÃ¨s
remarquable. Tout ce qu'on dit de sa lampe et de son clou magique prouve qu'il avait dÃ©couvert
l'Ã©lectricitÃ©, ou du moins qu'il en connaissait les principaux usages; car cette connaissance, aussi
ancienne que la magie, se transmettait comme une des clefs de la haute initiation.
Lorsque venait la nuit, une Ã©toile rayonnante apparaissait dans le logis de JÃ©chiel; la lumiÃ¨re en Ã©tait
si vive, qu'on ne pouvait la fixer sans Ãªtre Ã©bloui, elle projetait un rayonnement nuancÃ© des couleurs de
l'arc-en-ciel. On ne la voyait jamais dÃ©faillir, ni s'Ã©teindre, et l'on savait qu'elle n'Ã©tait alimentÃ©e ni
avec de l'huile, ni avec aucune des substances combustibles alors connues.
CHAPITRE V. 150
Lorsqu'un importun ou un curieux malintentionnÃ© essayait de s'introduire chez JÃ©chiel, et persistait Ã
tourmenter le marteau de sa porte, le rabbin frappait sur un clou qui Ã©tait plantÃ© dans son cabinet, il
s'Ã©chappait alors en mÃªme temps de la tÃªte du clou et du marteau de la porte une Ã©tincelle bleuÃ¢tre,
et le malavisÃ© Ã©tait secouÃ© de telle sorte, qu'il criait misÃ©ricorde, et croyait sentir la terre s'entr'ouvrir
sous ses pieds. Un jour, une foule hostile se pressa Ã cette porte avec des murmures et des menaces: ils se
tenaient les uns les autres par le bras pour rÃ©sister Ã la commotion et au prÃ©tendu tremblement de terre.
Le plus hardi secoua le marteau de la porte avec fureur. JÃ©chiel toucha son clou. A l'instant les assaillants se
renversÃ¨rent les uns sur les autres et s'enfuirent en criant comme des gens brÃ»lÃ©s; ils Ã©taient sÃ»rs
d'avoir senti la terre s'ouvrir et les avaler jusqu'aux genoux, ils ne savaient comment ils en Ã©taient sortis;
mais pour rien au monde ils ne seraient retournÃ©s faire [267] le tapage Ã la porte du sorcier. JÃ©chiel
conquit ainsi sa tranquillitÃ© par la terreur qu'il rÃ©pandait.
Saint Louis, qui, pour Ãªtre un grand catholique, n'en Ã©tait pas moins un grand roi, voulut connaÃ®tre
JÃ©chiel; il le fit venir Ã sa cour, eut avec lui plusieurs entretiens, demeura pleinement satisfait de ses
explications, le protÃ©gea contre ses ennemis, et ne cessa pas, tant qu'il vÃ©cut, de lui tÃ©moigner de
l'estime et de lui faire du bien.
A cette mÃªme Ã©poque vivait Albert le Grand, qui passe encore parmi le peuple pour le grand maÃ®tre de
tous les magiciens. Les chroniqueurs assurent qu'il possÃ©da la pierre philosophale, et qu'il parvint, aprÃ¨s
trente ans de travail, Ã la solution du problÃ¨me de l'androÃ¯de; c'est-Ã -dire qu'il fabriqua un homme
artificiel, vivant, parlant et rÃ©pondant Ã toutes les questions avec une telle prÃ©cision et une telle
subtilitÃ©, que saint Thomas d'Aquin, ennuyÃ© de ne pouvoir le rÃ©duire au silence, le brisa d'un coup de
bÃ¢ton. Telle est la fable populaire; voyons ce qu'elle signifie.
Le mystÃ¨re de la formation de l'homme et de son apparition primitive sur la terre a toujours gravement
prÃ©occupÃ© les curieux qui cherchent les secrets de la nature. L'homme, en effet, apparaÃ®t le dernier
dans le monde fossile, et les jours de la crÃ©ation de MoÃ¯se ont dÃ©posÃ© leurs dÃ©bris successifs,
attestant que ces jours furent de longues Ã©poques: comment donc l'humanitÃ© se forma-t-elle? La GenÃ¨se
nous dit que Dieu fit le premier homme du limon de la terre, et qu'il lui insuffla la vie; nous ne doutons pas un
instant de la vÃ©ritÃ© de cette assertion. Loin de nous cependant l'idÃ©e hÃ©rÃ©tique et anthropomorphe
d'un Dieu [268] faÃ§onnant de la terre glaise avec ses mains. Dieu n'a pas de mains, c'est un pur esprit, et il
fait sortir ses crÃ©ations les unes des autres par les forces mÃªmes qu'il donne Ã la nature. Si donc le
Seigneur a tirÃ© Adam du limon de la terre, nous devons comprendre que l'homme est sorti de terre sous
l'influence de Dieu, mais d'une maniÃ¨re naturelle. Le nom d'Adam en hÃ©breu dÃ©signe une terre rouge;
or, quelle peut Ãªtre cette terre rouge? VoilÃ ce que cherchaient les alchimistes: en sorte que le grand oeuvre
n'Ã©tait pas le secret de la transmutation des mÃ©taux, rÃ©sultat indiffÃ©rent et accessoire, c'Ã©tait
l'arcane universel de la vie, c'Ã©tait la recherche du point central de transformation oÃ¹ la lumiÃ¨re se fait
matiÃ¨re et se condense en une terre qui contient en elle le principe du mouvement et de la vie; c'Ã©tait la
gÃ©nÃ©ralisation du phÃ©nomÃ¨ne qui colore le sang en rouge par la crÃ©ation de ces innombrables
globules aimantÃ©s comme les mondes et vivants comme des animaux. Les mÃ©taux, pour les disciples
d'HermÃ¨s, Ã©taient le sang coagulÃ© de la terre passant, comme celui de l'homme, du blanc au noir et du
noir au vermeil, suivant le travail de la lumiÃ¨re. Remettre ce fluide en mouvement par la chaleur, et lui
rendre la fÃ©condation colorante de la lumiÃ¨re au moyen de l'Ã©lectricitÃ©, telle Ã©tait la premiÃ¨re
partie de l'oeuvre des sages; mais la fin Ã©tait plus difficile et plus sublime, il s'agissait de retrouver la terre
adamique qui est le sang coagulÃ© de la terre vivante; et le rÃªve suprÃªme des philosophes Ã©tait d'achever
l'oeuvre de PromÃ©thÃ©e en imitant le travail de Dieu, c'est-Ã -dire en faisant naÃ®tre un homme enfant de
la science, comme Adam fut l'enfant de la toute-puissance divine: ce rÃªve Ã©tait insensÃ© peut-Ãªtre, mais
il Ã©tait beau.
[269] La magie noire, qui singe toujours la magie de lumiÃ¨re, mais en la prenant Ã rebours, se prÃ©occupa
aussi beaucoup de l'androÃ¯de, car elle voulait en faire l'instrument de ses passions et l'oracle de l'enfer. Pour
MAGICIENS. 151
cela il fallait faire violence Ã la nature et obtenir une sorte de champignon vÃ©nÃ©neux plein de malice
humaine concentrÃ©e, une rÃ©alisation vivante de tous les crimes. Aussi cherchait-on la mandragore sous le
gibet des pendus; on la faisait arracher par un chien qu'on attachait Ã la racine, et qu'on frappait d'un coup
mortel: le chien devait arracher la mandragore dans les convulsions de l'agonie. L'Ã¢me du chien passait alors
dans la plante et y attirait celle du pendu... Mais c'est assez d'horreurs et d'absurditÃ©s. Les curieux d'une
pareille science peuvent consulter ce grimoire vulgaire connu dans les campagnes sous le nom du Petit Albert;
ils y verront comment on peut faire aussi la mandragore sous la forme d'un coq Ã figure humaine. La
stupiditÃ© dans toutes ces recettes le dispute Ã l'immonde, et en effet on ne peut outrager volontairement la
nature sans renverser en mÃªme temps toutes les lois de la raison.
Albert le Grand n'Ã©tait ni infanticide ni dÃ©icide, il n'avait commis ni le crime de Tantale, ni celui de
PromÃ©thÃ©e, mais il avait achevÃ© de crÃ©er et d'armer de toutes piÃ¨ces cette thÃ©ologie purement
scolastique, issue des catÃ©gories d'Aristote et des sentences de Pierre Lombard, cette logique du syllogisme
qui argumente au lieu de raisonner, et qui trouve rÃ©ponse Ã tout en subtilisant sur les termes. C'Ã©tait
moins une philosophie qu'un automate philosophique, rÃ©pondant par ressort, et dÃ©roulant ses [270]
thÃ¨ses comme un mouvement Ã rouages; ce n'Ã©tait point le Verbe humain, c'Ã©tait le cri monotone d'une
machine, la parole inanimÃ©e d'un androÃ¯de; c'Ã©tait la prÃ©cision fatale de la mÃ©canique, au lieu de la
libre application des nÃ©cessitÃ©s rationnelles. Saint Thomas d'Aquin brisa d'un seul coup tout cet
Ã©chafaudage de paroles montÃ©es d'avance, en proclamant l'empire Ã©ternel de la raison par cette
magnifique sentence que nous avons souvent citÃ©e: Â«Une chose n'est pas juste parce que Dieu la veut,
mais Dieu la veut parce qu'elle est juste.Â» La consÃ©quence prochaine de cette proposition Ã©tait celle-ci,
en argumentant du plus au moins: Â«Une chose n'est pas vraie parce qu'Aristote l'a dite, mais Aristote n'a pu
raisonnablement la dire que si elle est vraie. Cherchez donc d'abord la vÃ©ritÃ© et la justice, et la science
d'Aristote vous sera donnÃ©e par surcroÃ®t.Â»
Aristote galvanisÃ© par la scolastique Ã©tait le vÃ©ritable androÃ¯de d'Albert le Grand; et le bÃ¢ton
magistral de saint Thomas d'Aquin, ce fut la doctrine de la Somme thÃ©ologique, chef-d'oeuvre de force et de
raison qu'on Ã©tudiera encore dans nos Ã©coles de thÃ©ologie quand on voudra revenir sÃ©rieusement aux
saines et fortes Ã©tudes.
Quant Ã la pierre philosophale transmise par saint Dominique Ã Albert le Grand, et par ce dernier Ã saint
Thomas d'Aquin, il faut entendre seulement la base philosophique et religieuse des idÃ©es de cette Ã©poque.
Si saint Dominique avait su faire le grand oeuvre, il eÃ»t achetÃ© pour Rome l'empire du monde, dont il
Ã©tait si jaloux pour l'Ãglise, et eÃ»t employÃ© Ã chauffer ses creusets ce feu qui brÃ»la tant
d'hÃ©rÃ©tiques. Saint Thomas d'Aquin changeait en or tout ce qu'il touchait, mais c'est au figurÃ©
seulement et en prenant l'or pour l'emblÃ¨me de la vÃ©ritÃ©. C'est [271] ici l'occasion de dire quelques mots
encore de la science hermÃ©tique cultivÃ©e depuis les premiers siÃ¨cles chrÃ©tiens par Ostanes, Romarius,
la reine ClÃ©opÃ¢tre, les arabes GÃ©ber, Alfarabius et Salmana, Morien, ArtÃ©phius, AristÃ©e. Cette
science, prise d'une maniÃ¨re absolue, peut s'appeler la kabbale rÃ©alisatrice ou la magie des oeuvres; elle a
donc trois degrÃ©s analogues: rÃ©alisation religieuse, rÃ©alisation philosophique, rÃ©alisation physique.
La rÃ©alisation religieuse est la fondation durable de l'empire et du sacerdoce; la rÃ©alisation philosophique
est l'Ã©tablissement d'une doctrine absolue et d'un enseignement hiÃ©rarchique; la rÃ©alisation physique
est la dÃ©couverte et l'application dans le microcosme, ou petit monde, de la loi crÃ©atrice qui peuple
incessamment le grand univers. Cette loi est celle du mouvement combinÃ© avec la substance, du fixe avec
le volatil, de l'humide avec le solide; ce mouvement a pour principe l'impulsion divine, et pour instrument la
lumiÃ¨re universelle, Ã©thÃ©rÃ©e dans l'infini, astrale dans les Ã©toiles et les planÃ¨tes, mÃ©tallique,
spÃ©cifique ou mercurielle dans les mÃ©taux, vÃ©gÃ©tale dans les plantes, vitale dans les animaux,
magnÃ©tique ou personnelle dans les hommes.
Cette lumiÃ¨re est la quintessence de Paracelse, qui se trouve Ã l'Ã©tat latent et Ã l'Ã©tat rayonnant dans
toutes les substances crÃ©Ã©es; cette quintessence est le vÃ©ritable Ã©lixir de vie qui s'extrait de la terre
MAGICIENS. 152
par la culture, des mÃ©taux par l'incorporation, la rectification, l'exaltation et la synthÃ¨se, des plantes par la
distillation et la coction, des animaux par l'absorption, des hommes par la gÃ©nÃ©ration, de l'air par la
respiration. Ce qui a fait dire Ã AristÃ©e qu'il faut prendre [272] l'air de l'air; Ã Khunrath, qu'il faut le
mercure vivant de l'homme parfait formÃ© par l'androgyne; Ã presque tous, qu'il faut extraire des mÃ©taux,
la mÃ©decine des mÃ©taux, et que cette mÃ©decine, au fond la mÃªme pour tous les rÃ¨gnes, est
cependant graduÃ©e et spÃ©cifiÃ©e suivant les formes et les espÃ¨ces. L'usage de cette mÃ©decine devait
Ãªtre triple: par sympathie, par rÃ©pulsion ou par Ã©quilibre. La quintessence graduÃ©e n'Ã©tait que
l'auxiliaire des forces; la mÃ©decine de chaque rÃ¨gne devait se tirer de ce rÃ¨gne mÃªme avec addition du
mercure principiant, terrestre ou minÃ©ral, et du mercure vivant synthÃ©tisÃ© ou magnÃ©tisme humain.
Tels sont les aperÃ§us les plus abrÃ©gÃ©s et les plus rapides de cette science, vaste et profonde comme la
kabbale, mystÃ©rieuse comme la magie, rÃ©elle comme les sciences exactes, mais dÃ©criÃ©e par la
cupiditÃ© souvent dÃ©Ã§ue des faux adeptes, et les obscuritÃ©s dont les vrais sages ont enveloppÃ© en
effet leurs thÃ©ories et leurs travaux.
CHAPITRE VI.
PROCÃS CÃLÃBRES.
SOMMAIRE.--Trois procÃ¨s cÃ©lÃ¨bres.--Les templiers, Jeanne d'Arc et Gilles de Laval--Seigneurs de
Raitz.
Les sociÃ©tÃ©s de l'ancien monde avaient pÃ©ri par l'Ã©goÃ¯sme matÃ©rialiste des castes qui, en
s'immobilisant et en parquant les multitudes dans une rÃ©probation sans espÃ©rance, avaient privÃ© le
[273] pouvoir captif entre les mains d'un petit nombre d'Ã©lus de ce mouvement circulatoire qui est le
principe du progrÃ¨s, du mouvement et de la vie. Un pouvoir sans antagonisme, sans concurrence, et par
consÃ©quent sans contrÃ´le, avait Ã©tÃ© funeste aux royautÃ©s sacerdotales; les rÃ©publiques, d'une
autre part, avaient pÃ©ri par le conflit des libertÃ©s qui, en l'absence de tout devoir hiÃ©rarchiquement et
fortement sanctionnÃ©, ne sont plus bientÃ´t qu'autant de tyrannies rivales les unes des autres. Pour trouver
un milieu stable entre ces deux abÃ®mes, l'idÃ©e des hiÃ©rophantes chrÃ©tiens avait Ã©tÃ© de crÃ©er
une sociÃ©tÃ© vouÃ©e Ã l'abnÃ©gation par des voeux solennels, protÃ©gÃ©e par des rÃ¨glements
sÃ©vÃ¨res, qui se recruterait par l'initiation, et qui, seule dÃ©positaire des grands secrets religieux et
sociaux, ferait des rois et des pontifes sans s'exposer elle-mÃªme aux corruptions de la puissance. C'Ã©tait
lÃ le secret de ce royaume de JÃ©sus-Christ qui sans Ãªtre de ce monde en gouvernerait toutes les
grandeurs.
CHAPITRE VI. 153

LA CROIX PHILOSOPHIQUE
Cette idÃ©e prÃ©sida Ã la fondation des grands ordres religieux, si souvent en guerre avec les autoritÃ©s
sÃ©culiÃ¨res, soit ecclÃ©siastiques, soit civiles; sa rÃ©alisation fut aussi le rÃªve des sectes dissidentes de
gnostiques ou d'illuminÃ©s qui prÃ©tendaient rattacher leur foi Ã la tradition primitive du christianisme de
saint Jean. Elle devint enfin une menace pour l'Ãglise et pour la sociÃ©tÃ© quand un ordre riche et dissolu,
initiÃ© aux mystÃ©rieuses doctrines de la kabbale, parut disposÃ© Ã tourner contre l'autoritÃ© lÃ©gitime
les principes conservateurs de la hiÃ©rarchie, et menaÃ§a le monde entier d'une immense rÃ©volution.
Les templiers, dont l'histoire est si mal connue, furent ces [274] conspirateurs terribles, et il est temps de
rÃ©vÃ©ler enfin le secret de leur chute, pour absoudre la mÃ©moire de ClÃ©ment V et de Philippe le Bel.
En 1118, neuf chevaliers croisÃ©s en Orient, du nombre desquels Ã©taient Geoffroi de Saint-Omer et
Hugues de Payens, se consacrÃ¨rent Ã la religion et prÃªtÃ¨rent serment entre les mains du patriarche de
Constantinople, siÃ¨ge toujours secrÃ¨tement ou publiquement hostile Ã celui de Rome depuis Photius. Le
but avouÃ© des templiers Ã©tait de protÃ©ger les chrÃ©tiens qui venaient visiter les saints lieux; leur but
secret Ã©tait la reconstruction du temple de Salomon sur le modÃ¨le prophÃ©tisÃ© par ÃzÃ©chiel.
Cette reconstruction, formellement prÃ©dite par les mystiques judaÃ¯sants des premiers siÃ¨cles, Ã©tait
devenue le rÃªve secret des patriarches d'Orient. Le temple de Salomon rebÃ¢ti et consacrÃ© au culte
PROCÃS CÃLÃBRES. 154

catholique devenait, en effet, la mÃ©tropole de l'univers. L'Orient l'emportait sur l'Occident, et les patriarches
de Constantinople s'emparaient de la papautÃ©.
Les historiens, pour expliquer le nom de templiers donnÃ© Ã cet ordre militaire, prÃ©tendent que Baudoin
II, roi de JÃ©rusalem, leur avait donnÃ© une maison situÃ©e prÃ¨s du temple de Salomon. Mais ils
commettent lÃ un Ã©norme anachronisme, puisqu'Ã cette Ã©poque non-seulement le temple de Salomon
n'existait plus, mais il ne restait pas pierre sur pierre du second temple bÃ¢ti par Zorobabel sur les ruines du
premier, et il eÃ»t Ã©tÃ© difficile d'en indiquer prÃ©cisÃ©ment la place.
Il faut en conclure que la maison donnÃ©e aux templiers par Baudoin Ã©tait situÃ©e non prÃ¨s du temple
de Salomon, mais prÃ¨s du [275] terrain sur lequel ces missionnaires secrets et armÃ©s du patriarche d'Orient
avaient intention de le rebÃ¢tir.
Les templiers avaient pris pour leurs modÃ¨les, dans la Bible, les maÃ§ons guerriers de Zorobabel, qui
travaillaient en tenant l'Ã©pÃ©e d'une main et la truelle de l'autre. C'est pour cela que l'Ã©pÃ©e et la truelle
furent les insignes des templiers, qui plus tard, comme on le verra, se cachÃ¨rent sous le nom de frÃ¨res
maÃ§ons. La truelle des templiers est quadruple et les lames triangulaires en sont disposÃ©es en forme de
croix, ce qui compose un pantacle kabbalistique connu sous le nom de croix d'Orient.
La pensÃ©e secrÃ¨te d'Hugues de Payens, en fondant son ordre, n'avait pas Ã©tÃ© prÃ©cisÃ©ment de
servir l'ambition des patriarches de Constantinople. Il existait Ã cette Ã©poque en Orient une secte de
chrÃ©tiens johannites, qui se prÃ©tendaient seuls initiÃ©s aux vrais mystÃ¨res de la religion du Sauveur. Ils
prÃ©tendaient connaÃ®tre l'histoire rÃ©elle de JÃ©sus-Christ, et, adoptant en partie les traditions juives et
les rÃ©cits du Talmud, ils prÃ©tendaient que les faits racontÃ©s dans les Ãvangiles ne sont que des
allÃ©gories dont saint Jean donne la clef en disant, Â«qu'on pourrait remplir le monde des livres qu'on
Ã©crirait sur les paroles et les actes de JÃ©sus-Christ;Â» paroles qui, suivant eux, ne seraient qu'une ridicule
exagÃ©ration, s'il ne s'agissait, en effet, d'une allÃ©gorie et d'une lÃ©gende qu'on peut varier et prolonger
Ã l'infini.
Pour ce qui est des faits historiques et rÃ©els, voici ce que les johannites racontaient:
Une jeune fille de Nazareth, nommÃ©e Mirjam, fiancÃ©e Ã un jeune homme de sa tribu, nommÃ©
Jochanan, fut surprise par un certain [276] Pandira, ou Panther, qui abusa d'elle par la force aprÃ¨s s'Ãªtre
introduit dans sa chambre sous les habits et sous le nom de son fiancÃ©. Jochanan, connaissant son malheur,
la quitta sans la compromettre, puisqu'en effet, elle Ã©tait innocente, et la jeune fille accoucha d'un fils qui
fut nommÃ© Josuah ou JÃ©sus.
Cet enfant fut adoptÃ© par un rabbin du nom de Joseph qui l'emmena avec lui en Ãgypte; lÃ , il fut initiÃ©
aux sciences secrÃ¨tes, et les prÃªtres d'Osiris, reconnaissant en lui la vÃ©ritable incarnation d'Horus
promise depuis longtemps aux adeptes, le consacrÃ¨rent souverain pontife de la religion universelle.
Josuah et Joseph revinrent en JudÃ©e oÃ¹ la science et la vertu du jeune homme ne tardÃ¨rent pas Ã exciter
l'envie et la haine des prÃªtres; qui lui reprochÃ¨rent un jour publiquement l'illÃ©gitimitÃ© de sa naissance.
Josuah, qui aimait et vÃ©nÃ©rait sa mÃ¨re, interrogea son maÃ®tre et apprit toute l'histoire du crime de
Pandira et des malheurs de Mirjam. Son premier mouvement fut de la renier publiquement en lui disant au
milieu d'un festin de noces: Â«Femme qu'y a-t-il de commun entre vous et moi?Â» Mais ensuite pensant
qu'une pauvre femme ne doit pas Ãªtre punie d'avoir souffert ce qu'elle ne pouvait empÃªcher, il s'Ã©cria:
Â«Ma mÃ¨re n'a point pÃ©chÃ©, elle n'a point perdu son innocence; elle est vierge, et cependant elle est
mÃ¨re; qu'un double honneur lui soit rendu! Quant Ã moi, je n'ai point de pÃ¨re sur la terre. Je suis le fils de
Dieu et de l'humanitÃ©!Â»

Nous ne pousserons pas plus loin cette fiction affligeante pour des coeurs chrÃ©tiens; qu'il nous suffise de
dire que les johannites allaient jusqu'Ã faire saint Jean l'ÃvangÃ©liste [277] responsable de cette
prÃ©tendue tradition, et qu'ils attribuaient Ã cet apÃ´tre la fondation de leur Ãglise secrÃ¨te.
Les grands pontifes de cette secte prenaient le titre de Christ et prÃ©tendaient se succÃ©der depuis saint Jean
par une transmission de pouvoirs non interrompue. Celui qui se parait, Ã l'Ã©poque de la fondation de
l'ordre du temple, de ces privilÃ¨ges imaginaires se nommait ThÃ©oclet; il connut Hugues de Payens, il
l'initia aux mystÃ¨res et aux espÃ©rances de sa prÃ©tendue Ãglise; il le sÃ©duisit par des idÃ©es de
souverain sacerdoce et de suprÃªme royautÃ©, il le dÃ©signa enfin pour son successeur.
Ainsi l'ordre des chevaliers du temple fut entachÃ© dÃ¨s son origine de schisme et de conspiration contre les
rois.
Ces tendances furent enveloppÃ©es d'un profond mystÃ¨re et l'ordre faisait profession extÃ©rieure de la plus
parfaite orthodoxie. Les chefs seulement savaient oÃ¹ ils voulaient aller; le reste les suivait sans dÃ©fiance.
AcquÃ©rir de l'influence et des richesses, puis intriguer, et au besoin combattre pour Ã©tablir le dogme
johannite, tels Ã©taient le but et les moyens proposÃ©s aux frÃ¨res initiÃ©s. Â«Voyez, leur disait-on, la
papautÃ© et les monarchies rivales se marchander aujourd'hui, s'acheter, se corrompre, et demain peut-Ãªtre
s'entre-dÃ©truire. Tout cela sera l'hÃ©ritage du temple; le monde nous demandera bientÃ´t des souverains et
des pontifes. Nous ferons l'Ã©quilibre de l'univers, et nous serons les arbitres des maÃ®tres du monde.Â»
Les templiers avaient deux doctrines, une cachÃ©e et rÃ©servÃ©e aux maÃ®tres, c'Ã©tait celle du
johannisme; l'autre publique, c'Ã©tait [278] la doctrine catholique-romaine. Ils trompaient ainsi les
adversaires qu'ils aspiraient Ã supplanter, Le johannisme des adeptes Ã©tait la kabbale des gnostiques,
dÃ©gÃ©nÃ©rÃ©e bientÃ´t en un panthÃ©isme mystique poussÃ© jusqu'Ã l'idolÃ¢trie de la nature et la
haine de tout dogme rÃ©vÃ©lÃ©. Pour mieux rÃ©ussir et se faire des partisans, ils caressaient les regrets
des cultes dÃ©chus et les espÃ©rances des cultes nouveaux, en promettant Ã tous la libertÃ© de conscience
et une nouvelle orthodoxie qui serait la synthÃ¨se de toutes les croyances persÃ©cutÃ©es. Ils en vinrent ainsi
jusqu'Ã reconnaÃ®tre le symbolisme panthÃ©istique des grands maÃ®tres en magie noire, et, pour mieux
se dÃ©tacher de l'obÃ©issance Ã la religion qui d'avance les condamnait, ils rendirent les honneurs divins
Ã l'idole monstrueuse du Baphomet, comme jadis les tribus dissidentes avaient adorÃ© les veaux d'or de Dan
et de BÃ©thel.
Des monuments rÃ©cemment dÃ©couverts, et des documents prÃ©cieux qui remontent au XIIIe siÃ¨cle,
prouvent d'une maniÃ¨re plus que suffisante tout ce que nous venons d'avancer. D'autres preuves encore sont
cachÃ©es dans les annales et sous les symboles de la maÃ§onnerie occulte.
FrappÃ© de mort dans son principe mÃªme, et anarchique parce qu'il Ã©tait dissident, l'ordre des chevaliers
du Temple avait conÃ§u une grande oeuvre qu'il Ã©tait incapable d'exÃ©cuter, parce qu'il ne connaissait ni
l'humilitÃ© ni l'abnÃ©gation personnelle. D'ailleurs les templiers Ã©tant pour la plupart sans instruction, et
capables seulement de bien manier l'Ã©pÃ©e, n'avaient rien de ce qu'il fallait pour gouverner et enchaÃ®ner
au besoin cette reine du monde qui s'appelle l'opinion. Hugues de Payens n'avait pas eu la [279] profondeur de
vues qui distingua plus tard un militaire fondateur aussi d'une milice formidable aux rois. Les templiers
Ã©taient des jÃ©suites mal rÃ©ussis.
Leur mot d'ordre Ã©tait de devenir riches pour acheter le monde. Ils le devinrent en effet, et en 1312 ils
possÃ©daient en Europe seulement plus de neuf mille seigneuries. La richesse fut leur Ã©cueil; ils devinrent
insolents et laissÃ¨rent percer leur dÃ©dain pour les institutions religieuses et sociales qu'ils aspiraient Ã
renverser. On connaÃ®t le mot de Richard Coeur de Lion Ã qui un ecclÃ©siastique, auquel il permettait une
grande familiaritÃ©, ayant dit: Â«Sire, vous avez trois filles qui vous coÃ»tent cher et dont il vous serait bien

avantageux de vous dÃ©faire: ce sont l'ambition, l'avarice et la luxure.--Vraiment! dit le roi: eh bien!
marions-les. Je donne l'ambition aux templiers, l'avarice aux moines et la luxure aux Ã©vÃªques. Je suis sÃ»r
d'avance du consentement des parties.Â»
L'ambition des templiers leur fut fatale; on devinait trop leurs projets et on les prÃ©vint. Le pape ClÃ©ment
V et le roi Philippe le Bel donnÃ¨rent un signal Ã l'Europe et les templiers, enveloppÃ©s pour ainsi dire dans
un immense coup de filet, furent pris, dÃ©sarmÃ©s et jetÃ©s en prison. Jamais coup d'Ãtat ne s'Ã©tait
accompli avec un ensemble plus formidable. Le monde entier fut frappÃ© de stupeur, et l'on attendit les
rÃ©vÃ©lations Ã©tranges d'un procÃ¨s qui devait avoir tant de retentissement Ã travers les Ã¢ges.
Il Ã©tait impossible de dÃ©rouler devant le peuple le plan de la conspiration des templiers; c'eÃ»t Ã©tÃ©
initier la multitude aux secrets des maÃ®tres. On eut recours Ã l'accusation de magie, et [280] il se trouva
des dÃ©nonciateurs et des tÃ©moins. Les templiers, Ã leur rÃ©ception, crachaient sur le Christ, reniaient
Dieu, donnaient au grand maÃ®tre des baisers obscÃ¨nes, adoraient une tÃªte de cuivre aux yeux
d'escarboucle, conversaient avec un grand chat noir et s'accouplaient avec des diablesses. VoilÃ ce qu'on ne
craignit pas de porter sÃ©rieusement sur leur acte d'accusation. On sait la fin de ce drame et comment
Jacques de Molai et ses compagnons pÃ©rirent dans les flammes; mais avant de mourir, le chef du Temple
organisa et institua la maÃ§onnerie occulte. Du fond de sa prison, le grand maÃ®tre crÃ©a quatre loges
mÃ©tropolitaines, Ã Naples pour l'Orient, Ã Ãdimbourg pour l'Occident, Ã Stockholm pour le Nord et Ã
Paris pour le Midi. Le pape et le roi pÃ©rirent bientÃ´t d'une maniÃ¨re Ã©trange et soudaine. Squin de
Florian, le principal dÃ©nonciateur de l'ordre, mourut assassinÃ©. En brisant l'Ã©pÃ©e des templiers, on en
avait fait un poignard, et leurs truelles proscrites ne maÃ§onnaient plus que des tombeaux.
Laissons-les maintenant disparaÃ®tre dans les tÃ©nÃ¨bres ou ils se cachent en y tramant leur vengeance.
Quand viendra la grande rÃ©volution, nous les verrons reparaÃ®tre et nous les reconnaÃ®trons Ã leurs
signes et Ã leurs oeuvres.
Le plus grand procÃ¨s de magie que nous trouvions dans l'histoire, aprÃ¨s celui des templiers, est celui d'une
vierge et presque d'une sainte. On a accusÃ© l'Ãglise d'avoir en cette circonstance servi les lÃ¢ches
ressentiments d'un parti vaincu, et l'on se demande avec anxiÃ©tÃ© Ã quels anathÃ¨mes ont Ã©tÃ©
vouÃ©s par le saint-siÃ©ge les assassins de Jeanne d'Arc. Disons donc tout [281] d'abord Ã ceux qui ne le
savent pas, que Pierre Cauchon, l'indigne Ã©vÃªque de Beauvais, frappÃ© de mort subite par la main de
Dieu, fut excommuniÃ© aprÃ¨s sa mort par le pape Calixte IV, et que ses ossements arrachÃ©s Ã la terre
sainte furent jetÃ©s Ã la voirie. Ce n'est donc pas l'Ãglise qui a jugÃ© et condamnÃ© la pucelle
d'OrlÃ©ans, c'est un mauvais prÃªtre et un apostat.
Charles VII qui abandonna cette noble fille Ã ses bourreaux fut depuis sous la main d'une providence
vengeresse; il se laissa mourir de faim dans la crainte d'Ãªtre empoisonnÃ© par son propre fils. La peur est le
supplice des lÃ¢ches.
Ce roi avait vÃ©cu pour une courtisane et avait obÃ©rÃ© pour elle ce royaume qui lui fut conservÃ© par
une vierge. La courtisane et la vierge ont Ã©tÃ© chantÃ©es par nos poÃ¨tes nationaux. Jeanne d'Arc par
Voltaire, et AgnÃ¨s Sorel par BÃ©ranger.
Jeanne Ã©tait morte innocente, mais les lois contre la magie atteignirent bientÃ´t aprÃ¨s et chÃ¢tiÃ¨rent un
grand coupable. C'Ã©tait un des plus vaillants capitaines de Charles VII, et les services qu'il avait rendus Ã
l'Ãtat ne purent balancer le nombre et l'Ã©normitÃ© de ses crimes.
Les contes de l'ogre et de Croquemitaine furent rÃ©alisÃ©s et surpassÃ©s par les actions de ce fantastique
scÃ©lÃ©rat, et son histoire est restÃ©e dans la mÃ©moire des enfants sous le nom de la Barbe Bleue.

Gilles de Laval, seigneur de Raiz, avait en effet la barbe si noire, qu'elle semblait Ãªtre bleue comme on peut
le voir par son portrait qui est au musÃ©e de Versailles, dans la salle des MarÃ©chaux; c'Ã©tait un
marÃ©chal de Bretagne, brave parce qu'il [282] Ã©tait FranÃ§ais, fastueux, parce qu'il Ã©tait riche, et
sorcier parce qu'il Ã©tait fou.
Le dÃ©rangement des facultÃ©s du seigneur de Raiz se manifesta d'abord par une dÃ©votion luxueuse et
d'une magnificence outrÃ©e. Il ne marchait jamais que prÃ©cÃ©dÃ© de la croix et de la banniÃ¨re; ses
chapelains Ã©taient couverts d'or et parÃ©s comme des prÃ©lats; il avait chez lui tout un collÃ¨ge de petits
pages ou d'enfants de choeur toujours richement habillÃ©s. Tous les jours un de ces enfants Ã©tait mandÃ©
chez le marÃ©chal, et ses camarades ne le voyaient pas revenir: un nouveau venu remplaÃ§ait celui qui
Ã©tait parti et il Ã©tait sÃ©vÃ¨rement dÃ©fendu aux enfants de s'informer du sort de tous ceux qui
disparaissaient ainsi et mÃªme d'en parler entre eux.
Le marÃ©chal faisait prendre ces enfants Ã des parents pauvres, qu'on Ã©blouissait par des promesses, et
qui s'engageaient Ã ne jamais plus s'occuper de leurs enfants, auxquels le seigneur de Raiz assurait, disait-il,
un brillant avenir.
Or, voici ce qui se passait:
La dÃ©votion n'Ã©tait qu'un masque et servait de passeport Ã des pratiques infÃ¢mes.
Le marÃ©chal, ruinÃ© par ses folles dÃ©penses, voulait Ã tout prix se crÃ©er des richesses; l'alchimie
avait Ã©puisÃ© ses derniÃ¨res ressources, les emprunts usuraires allaient bientÃ´t lui manquer; il rÃ©solut
alors de tenter les derniÃ¨res expÃ©riences de la magie noire, et d'obtenir de l'or par le moyen de l'enfer.
Un prÃªtre apostat, du diocÃ¨se de Saint-Malo, un Florentin, nommÃ© PrÃ©lati, et l'intendant du

marÃ©chal, nommÃ© SillÃ©, Ã©taient ses [283] confidents et ses complices. Il avait Ã©pousÃ© une jeune
fille de grande naissance et la tenait pour ainsi dire renfermÃ©e dans son chÃ¢teau de Machecoul: il y avait
dans ce chÃ¢teau une tourelle dont la porte Ã©tait murÃ©e. Elle menaÃ§ait ruine disait le marÃ©chal et
personne n'essayait jamais d'y pÃ©nÃ©trer.
Cependant madame de Raiz, que son mari laissait souvent seule pendant la nuit, avait aperÃ§u des lumiÃ¨res
rougeÃ¢tres aller et venir dans cette tour.
Elle n'osait pas interroger son mari, dont le caractÃ¨re bizarre et sombre lui inspirait la plus grande terreur.
Le jour de PÃ¢ques de l'annÃ©e 1440, le marÃ©chal, aprÃ¨s avoir solennellement communiÃ© dans sa
chapelle, prit congÃ© de la chÃ¢telaine de Machecoul, en lui annonÃ§ant qu'il partait pour la terre sainte; la
pauvre femme ne l'interrogea pas davantage, tant elle tremblait devant lui; elle Ã©tait enceinte de plusieurs
mois. Le marÃ©chal lui permit de faire venir sa soeur prÃ¨s d'elle, afin de s'en faire une compagnie pendant
son absence. Madame de Raiz usa de cette permission, et envoya quÃ©rir sa soeur; Gilles de Laval monta
ensuite Ã cheval et partit.
Madame de Raiz confia alors Ã sa soeur ses inquiÃ©tudes et ses craintes. Que se passait-il au chÃ¢teau?
Pourquoi le seigneur de Raiz Ã©tait-il si sombre? Pourquoi ces absences multipliÃ©es? Que devenaient ces
enfants qui disparaissaient tous les jours? Pourquoi ces lumiÃ¨res nocturnes dans la tour murÃ©e? Ces
questions surexcitÃ¨rent au plus haut degrÃ© la curiositÃ© des deux femmes.
Comment faire, pourtant. Le marÃ©chal avait expressÃ©ment dÃ©fendu qu'on s'approchÃ¢t de la tour
dangereuse, et, avant de partir, il avait formellement rÃ©itÃ©rÃ© cette dÃ©fense.

[284]Il devait exister une entrÃ©e secrÃ¨te: madame de Raiz et sa soeur Anne la cherchÃ¨rent; toutes les
salles basses du chÃ¢teau furent explorÃ©es, coin par coin et pierre par pierre; enfin dans la chapelle, et
derriÃ¨re l'autel, un bouton de cuivre, cachÃ© dans un fouillis de sculpture, cÃ©da sous la pression de la
main, une pierre se renversa, et les deux curieuses, palpitantes purent apercevoir les premiÃ¨res marches d'un
escalier.
Cet escalier conduisit les deux femmes dans la tour condamnÃ©e.
Au premier Ã©tage, elles trouvÃ¨rent une sorte de chapelle dont la croix Ã©tait renversÃ©e et les cierges
noirs; sur l'autel Ã©tait placÃ©e une figure hideuse reprÃ©sentant sans doute le dÃ©mon.
Au second, il y avait des fourneaux, des cornues, des alambics, du charbon, enfin tout l'appareil des
souffleurs.
Au troisiÃ¨me, la chambre Ã©tait obscure; on y respirait un air fade et fÃ©tide qui obligea les deux jeunes
visiteuses Ã ressortir. Madame de Raiz se heurta contre un vase qui se renversa, et elle sentit sa robe et ses
pieds inondÃ©s d'un liquide Ã©pais et inconnu; lorsqu'elle revint Ã la lumiÃ¨re du palier, elle se vit toute
baignÃ©s de sang.
La soeur Anne voulait s'enfuir, mais chez madame de Raiz la curiositÃ© fut plus forte que l'horreur et que la
crainte; elle redescendit, prit la lampe de la chapelle infernale et remonta dans la chambre du troisiÃ¨me
Ã©tage: la un horrible spectacle s'offrit Ã sa vue.
Des bassines de cuivre pleines de sang Ã©taient rangÃ©es par ordre [285] le long des murailles, avec des
Ã©tiquettes portant des dates, et au milieu de la piÃ¨ce, sur une table de marbre noir, Ã©tait couchÃ© le
cadavre d'un enfant rÃ©cemment Ã©gorgÃ©.
Une des bassines avait Ã©tÃ© renversÃ©e par madame de Raiz, et un sang noir s'Ã©tait largement
rÃ©pandu sur le parquet en bois vermoulu et mal balayÃ©.
Les deux femmes Ã©taient demi-mortes d'Ã©pouvante. Madame de Raiz voulut Ã toute force effacer les
indices de son indiscrÃ©tion; elle alla chercher de l'eau et une Ã©ponge pour laver les planches, mais elle ne
fit qu'Ã©tendre la tache qui, de noirÃ¢tre qu'elle Ã©tait, devenait sanguinolente et vermeille... Tout Ã coup
une grande rumeur retentit dans le chÃ¢teau; on entend crier les gens qui appellent madame de Raiz, et elle
distingue parfaitement ces formidables paroles: Â«Voici monseigneur qui revient!Â» Les deux femmes se
prÃ©cipitent vers l'escalier, mais au mÃªme instant elles entendent dans la chapelle du diable un grand bruit
de pas et de voix; la soeur Anne s'enfuit en montant jusqu'aux crÃ©neaux de la tour; madame de Raiz
descend en chancelant et se trouve face Ã face avec son mari, qui montait suivi du prÃªtre apostat et de
PrÃ©lati.
Gilles de Laval saisit sa femme par le bras sans lui rien dire et l'entraÃ®ne dans la chapelle du diable; alors
PrÃ©lati dit au marÃ©chal: Â«Vous voyez qu'il le faut, et que la victime est venue d'elle-mÃªme.--Eh bien!
soit, dit le marÃ©chal; commencez la messe noire.Â»
Le prÃªtre apostat se dirigea vers l'autel, M. de Raiz ouvrit une petite armoire pratiquÃ©e dans l'autel mÃªme
et y prit un large couteau, puis il revint s'asseoir prÃ¨s de sa femme Ã demi [286] Ã©vanouie et renversÃ©e
sur un banc contre le mur de la chapelle; les cÃ©rÃ©monies sacrilÃ¨ges commencÃ¨rent.
Il faut savoir que M. de Raiz, au lieu de prendre, en partant, la route de JÃ©rusalem, avait pris celle de Nantes
oÃ¹ demeurait PrÃ©lati; il Ã©tait entrÃ© comme un furieux chez ce misÃ©rable, en le menaÃ§ant de le
tuer s'il ne lui donnait pas le moyen d'obtenir du diable ce qu'il lui demandait depuis si longtemps. PrÃ©lati

pour gagner un dÃ©lai lui avait dit que les conditions absolues du maÃ®tre Ã©taient terribles et qu'il fallait
avant tout que le marÃ©chal se dÃ©cidÃ¢t Ã sacrifier au diable son dernier enfant arrachÃ© de force du
sein de sa mÃ¨re. Gilles de Laval n'avait rien rÃ©pondu, mais il Ã©tait revenu sur-le-champ Ã Machecoul,
entraÃ®nant aprÃ¨s lui le sorcier florentin avec le prÃªtre son complice. Il avait trouvÃ© sa femme dans la
tour murÃ©e et l'on sait le reste.
Cependant la soeur Anne oubliÃ©e sur la plate-forme de la tour et n'osant redescendre, avait dÃ©tachÃ© son
voile et faisait au hasard des signaux de dÃ©tresse, auxquels rÃ©pondirent deux cavaliers suivis de quelques
hommes d'armes qui galopaient vers le chÃ¢teau; c'Ã©taient ses deux frÃ¨res qui, ayant appris le prÃ©tendu
dÃ©part du sire de Laval pour la Palestine, venaient visiter et consoler madame de Raiz. Ils entrÃ¨rent
bientÃ´t avec fracas dans la cour du chÃ¢teau; Gilles de Laval interrompant alors l'horrible cÃ©rÃ©monie,
dit Ã sa femme: Â«Madame, je vous fais grÃ¢ce, et il ne sera plus question de ceci si vous faites ce que je
vais vous dire:
Â»Retournez Ã votre chambre, changez d'habits et venez me rejoindre dans la salle d'honneur oÃ¹ je vais
recevoir vos frÃ¨res; [287] si devant eux vous dites un mot ou que vous leur fassiez soupÃ§onner quelque
chose, je vous ramÃ¨ne ici aprÃ¨s leur dÃ©part, et nous reprendrons la messe noire oÃ¹ nous l'avons
laissÃ©e, c'est Ã la consÃ©cration que vous devez mourir. Regardez bien oÃ¹ je dÃ©pose le couteau.Â»
Il se lÃ¨ve alors, conduit sa femme jusqu'Ã la porte de sa chambre et descend Ã la salle d'honneur, oÃ¹ il
reÃ§oit les deux gentilshommes avec leur suite, leur disant que sa femme s'apprÃªte et va venir embrasser ses
frÃ¨res.
Quelques instants aprÃ¨s, en effet, paraÃ®t madame de Raiz, pÃ¢le comme une trÃ©passÃ©e. Gilles de
Laval ne cessait de la regarder fixement et la dominait du regard: Â«Vous Ãªtes malade ma soeur?--Non, ce
sont les fatigues de la grossesse....Â» Et tout bas la pauvre femme ajoutait: Â«Il veut me tuer,
sauvez-moi....Â» Tout Ã coup la soeur Anne, qui Ã©tait parvenue Ã sortir de la tour, entre dans la salle en
criant: Â«Emmenez-nous, sauvez-nous, mes frÃ¨res, cet homme est un assassin;Â» et elle montrait Gilles de
Laval.
Le marÃ©chal appelle ses gens Ã son aide, l'escorte des deux frÃ¨res entoure les deux femmes et l'on met
l'Ã©pÃ©e Ã la main; mais les gens du seigneur de Raiz, le voyant furieux, le dÃ©sarment au lieu de lui
obÃ©ir. Pendant ce temps madame de Raiz, sa soeur et ses frÃ¨res gagnent le pont-levis et sortent du
chÃ¢teau.
Le lendemain, le duc Jean V fit investir Machecoul, et Gilles de Laval qui ne comptait plus sur ses hommes
d'armes se rendit sans rÃ©sistance. Le parlement de Bretagne l'avait dÃ©crÃ©tÃ© de prise de corps comme
homicide; les juges ecclÃ©siastiques s'apprÃªtÃ¨rent Ã le juger d'abord comme hÃ©rÃ©tique, sodomite et
sorcier. Des voix, que la terreur avait tenues longtemps muettes, s'Ã©levÃ¨rent de [288] tous cÃ´tÃ©s pour
lui redemander les enfants disparus. Ce fut un deuil et une clameur universelle dans toute la province; on
fouilla les chÃ¢teaux de Machecoul et de ChantocÃ©, et l'on trouva des dÃ©bris de plus de deux cents
squelettes d'enfants; les autres avaient Ã©tÃ© brÃ»lÃ©s et consumÃ©s en entier.
Gilles de Laval parut devant ses juges avec une suprÃªme arrogance.--Â«Qui Ãªtes-vous? lui demanda-t-on,
suivant la coutume.--Je suis Gilles de Laval, marÃ©chal de Bretagne, seigneur de Raiz, de Machecoul, de
ChantocÃ© et autres lieux. Et vous qui m'interrogez, qui Ãªtes-vous?--Nous sommes vos juges, les magistrats
en cour d'Ãglise.--Vous, mes juges! allons donc; je vous connais mes maÃ®tres; vous Ãªtes des simoniaques
et des ribauds; vous vendez votre dieu pour acheter les joies du diable. Ne parlez donc pas de me juger, car si
je suis coupable vous Ãªtes certainement mes instigateurs et mes complices, vous qui me deviez le bon
exemple.--Cessez vos injures, et rÃ©pondez-nous!--J'aimerais mieux Ãªtre pendu par le cou que de vous
rÃ©pondre; je m'Ã©tonne que le prÃ©sident de Bretagne vous laisse connaÃ®tre ces sortes d'affaires; vous

interrogez sans doute pour vous instruire et faire ensuite pis que vous n'avez encore fait.Â»
Cette hauteur insolente tomba cependant devant la menace de la torture. Il avoua alors, devant l'Ã©vÃªque de
Saint-Brieux et le prÃ©sident Pierre de l'HÃ´pital, ses meurtres et ses sacrilÃ¨ges; il prÃ©tendit que le
massacre des enfants avait pour motif une voluptÃ© exÃ©crable qu'il cherchait pendant l'agonie de ces
pauvres petits Ãªtres. Le prÃ©sident parut douter de la vÃ©ritÃ© et [289] questionna de nouveau le
marÃ©chal.--HÃ©las! dit brusquement celui-ci, vous vous tourmentez inutilement et moi avec.--Je ne vous
tourmente point, rÃ©pliqua le prÃ©sident; ains je suis moult Ã©merveillÃ© de ce que vous me dites et ne
m'en puis bonnement contenter, ainÃ§ois je dÃ©sire, et voudrois en savoir par vous la pure vÃ©ritÃ©.Â» Le
marÃ©chal lui rÃ©pondit: Â«Vraiment il n'y avait ni autre cause, ni intention que ce que je vous ai dÃ©jÃ
dit; que voulez-vous davantage, ne vous en ai-je pas assez avouÃ© pour faire mourir dix mille hommes?Â»
Ce que Gilles de Raiz ne voulait pas dire, c'est qu'il cherchait la pierre philosophale dans le sang des enfants
Ã©gorgÃ©s. C'Ã©tait la cupiditÃ© qui le poussait Ã cette monstrueuse dÃ©bauche; il croyait, sur la foi de
ses nÃ©cromants, que l'agent universel de la vie devait Ãªtre subitement coagulÃ© par l'action et la
rÃ©action combinÃ©es de l'outrage Ã la nature et du meurtre; il recueillait ensuite la pellicule irisÃ©e qui
se formait sur le sang lorsqu'il commenÃ§ait Ã se refroidir, lui faisait subir diverses fermentations et mettait
digÃ©rer le produit dans l'oeuf philosophique de l'athanor, en y joignant du sel, du soufre et du mercure. Il
avait tirÃ© sans doute cette recette de quelques-uns de ces vieux grimoires hÃ©breux, qui eussent suffi s'ils
avaient Ã©tÃ© connus pour vouer les Juifs Ã l'exÃ©cration de toute la terre.
Dans la persuasion oÃ¹ ils Ã©taient que l'acte de la fÃ©condation humaine attire et coagule la lumiÃ¨re
astrale en rÃ©agissant par sympathie sur les Ãªtres soumis au magnÃ©tisme de l'homme, les sorciers
israÃ©lites en Ã©taient venus Ã ces Ã©carts que leur reproche Philon, dans un passage que rapporte
l'astrologue [290] Gaffarel. Ils faisaient greffer leurs arbres par des femmes qui insÃ©raient la greffe pendant
qu'un homme se livrait sur elles Ã des actes outrageants pour la nature. Toujours, lorsqu'il s'agit de magie
noire, on retrouve les mÃªmes horreurs et l'esprit de tÃ©nÃ¨bres n'est guÃ¨re inventif.
Gilles de Laval fut brÃ»lÃ© vif dans le prÃ© de la Magdeleine, prÃ¨s de Nantes; il obtint la permission
d'aller Ã la mort avec tout le faste qui l'avait accompagnÃ© pendant sa vie, comme s'il voulait vouer Ã toute
l'ignominie de son supplice le faste et la cupiditÃ© qui l'avaient si complÃ¨tement dÃ©gradÃ© et si
fatalement perdu.
CHAPITRE VII.
SUPERSTITIONS RELATIVES AU DIABLE.

SOMMAIRE.--Les apparitions.--Les possessions.--ProcÃ¨s faits Ã des hallucinÃ©s.--Sottises et cruautÃ©s
populaires.--Quelques mots sur les phÃ©nomÃ¨nes en apparence inexplicables.
Nous avons dit combien l'Ãglise s'est montrÃ©e sobre de dÃ©cisions relativement au gÃ©nie du mal; elle
enseigne Ã ne pas le craindre, elle recommande Ã ses enfants de ne pas s'en occuper et de ne prononcer
jamais son nom. Cependant le penchant des imaginations malades et des tÃªtes faibles pour le monstrueux et
l'horrible donna, pendant les mauvais jours du moyen Ã¢ge, une importance formidable et les formes les plus
menaÃ§antes Ã cet Ãªtre tÃ©nÃ©breux qui ne mÃ©rite que l'oubli, puisqu'il mÃ©connaÃ®t
Ã©ternellement la vÃ©ritÃ© et la lumiÃ¨re.
CHAPITRE VII. 161

[291]Cette rÃ©alisation apparente du fantÃ´me de la perversitÃ© fut comme une incarnation de la folie
humaine; le diable devint le cauchemar des cloÃ®tres, l'esprit humain se fit peur Ã lui-mÃªme, et l'on vit
l'Ãªtre prÃ©tendu raisonnable trembler devant ses propres chimÃ¨res. Un monstre noir et difforme semblait
avoir Ã©tendu ses ailes de chauve-souris entre le ciel et la terre pour empÃªcher la jeunesse et la vie de se
confier aux promesses du soleil et Ã la paisible sÃ©rÃ©nitÃ© des Ã©toiles. Cette harpie de la superstition
empoisonnait tout de son souffle, infectait tout de son contact: on ne pouvait boire et manger sans craindre
d'avaler les oeufs du reptile; on n'osait regarder la beautÃ©, car peut-Ãªtre Ã©tait-ce une illusion du monstre;
si l'on riait, on croyait entendre comme un Ã©cho funÃ¨bre le ricanement du tourmenteur Ã©ternel; si l'on
pleurait, on croyait le voir insulter aux larmes. Le diable semblait tenir Dieu prisonnier dans le ciel, et imposer
aux hommes sur la terre le blasphÃ¨me et le dÃ©sespoir.
Les superstitions conduisent vite Ã l'ineptie et Ã la dÃ©mence; rien de plus dÃ©plorable et de plus
fastidieux que la sÃ©rie des histoires d'apparitions diaboliques, dont les Ã©crivains vulgaires de l'histoire de
la magie ont surchargÃ© leurs compilations. Pierre le VÃ©nÃ©rable voit le diable piquer une tÃªte dans les
latrines; un autre chroniqueur le reconnaÃ®t sous la forme d'un chat qui ressemblait Ã un chien, et qui
gambadait comme un singe; un seigneur de Corasse avait Ã ses ordres un lutin nommÃ© Orthon, qui lui
apparut sous la forme d'une truie prodigieusement maigre et dÃ©charnÃ©e. MaÃ®tre Guillaume Ãdeline,
prieur de Saint-Germain des PrÃ©s, dÃ©clara l'avoir vu Â«sous la forme et semblance d'un [292] mouton
qu'il lui semblait lors baiser brutalement sous la queue en signe de rÃ©vÃ©rence et d'honneur.Â»
De malheureuses vieilles femmes s'accusaient de l'avoir eu pour amant; le marÃ©chal Trivulce mourait de
frayeur en s'escrimant d'estoc et de taille, contre des diables dont il voyait sa chambre remplie; on brÃ»lait par
centaines les malheureux idiots et les folles qui avouaient avoir eu commerce avec le malin; on n'entendait
parler que d'incubes et de succubes; des juges accueillaient gravement des rÃ©vÃ©lations qu'il eÃ»t fallu
renvoyer aux mÃ©decins; l'opinion publique exerÃ§ait d'ailleurs sur eux une pression irrÃ©sistible, et
l'indulgence pour les sorciers eÃ»t exposÃ© les magistrats eux-mÃªmes Ã toutes les fureurs populaires. La
persÃ©cution exercÃ©e sur les fous rendait la folie contagieuse, et les maniaques s'entre-dÃ©chiraient; on
battait jusqu'Ã la mort, on faisait brÃ»ler Ã petit feu, on plongeait dans l'eau glacÃ©e les malheureux que la
rumeur publique accusait de magie pour les forcer Ã lever les sorts qu'ils avaient jetÃ©s, et la justice
n'intervenait que pour achever sur un bÃ»cher ce qu'avait commencÃ© la rage aveugle des multitudes.
En racontant l'histoire de Gilles de Laval, nous avons suffisamment prouvÃ© que la magie noire peut Ãªtre un
crime rÃ©el et le plus grand de tous les crimes; mais le malheur des temps fut de confondre les malades avec
les criminels, et de punir ceux qu'il aurait fallu soigner avec patience et charitÃ©.
OÃ¹ commence la responsabilitÃ© chez l'homme? oÃ¹ finit-elle? C'est un problÃ¨me qui doit inquiÃ©ter
souvent les dÃ©positaires vertueux de la justice humaine. Caligula, fils de Germanicus, semblait [293] avoir
hÃ©ritÃ© de toutes les vertus de son pÃ¨re; un poison qu'on lui fait prendre trouble sa raison, et il devient
l'effroi du monde. A-t-il Ã©tÃ© vraiment coupable, et ne doit-on pas s'en prendre uniquement de ses forfaits
Ã ces lÃ¢ches Romains qui lui obÃ©irent au lieu de le faire enfermer?
Le pÃ¨re Hilarion Tissot, que nous avons dÃ©jÃ citÃ©, va plus loin que nous et veut que tout consentement
au crime soit une folie; malheureusement il explique toujours la folie par l'obsession du mauvais esprit. Nous
pourrions demander Ã ce bon religieux ce qu'il penserait d'un pÃ¨re de famille qui, aprÃ¨s avoir fermÃ© sa
porte Ã un vaurien reconnu capable de toute espÃ¨ce de mal, lui laisserait le droit de frÃ©quenter, de
conseiller, de prendre, d'obsÃ©der ses petits-enfants? Admettons donc, pour Ãªtre vraiment chrÃ©tiens, que
le diable quel qu'il soit, n'obsÃ¨de que ceux qui se donnent volontairement Ã lui, et ceux-lÃ sont
responsables de tout ce qu'il pourra leur suggÃ©rer, comme l'ivrogne doit Ãªtre responsable de tous les
dÃ©sordres auxquels il pourra s'abandonner sous l'influence de l'ivresse.
SUPERSTITIONS RELATIVES AU DIABLE. 162

L'ivresse est une folie passagÃ¨re et la folie est une ivresse permanente; l'une et l'autre sont causÃ©es par un
engorgement phosphorique des nerfs du cerveau, qui dÃ©truit notre Ã©quilibre lumineux et prive l'Ã¢me de
son instrument de prÃ©cision. L'Ã¢me spirituelle et personnelle ressemble alors Ã MoÃ¯se liÃ© et
emmaillottÃ© dans son berceau de bitume et abandonnÃ© au balancement des eaux du Nil; elle est
emportÃ©e par l'Ã¢me fluidique et matÃ©rielle du monde, cette eau mystÃ©rieuse sur laquelle planait le
souffle des ÃloÃ¯mes, lorsque le verbe divin se formula en ces lumineuses paroles: Que la lumiÃ¨re soit!
[294]L'Ã¢me du monde est une force qui tend toujours Ã l'Ã©quilibre; il faut que la volontÃ© triomphe
d'elle ou qu'elle triomphe de la volontÃ©. Toute vie incomplÃ¨te la tourmente comme une monstruositÃ©, et
toujours elle s'efforce de rÃ©absorber les avortons intellectuels; c'est pour cela que les maniaques et les
hallucinÃ©s sentent un irrÃ©sistible attrait pour la destruction et la mort; l'anÃ©antissement leur semble un
bien, et non-seulement ils voudraient mourir, mais ils seraient heureux de voir mourir les autres. Ils sentent
que la vie leur Ã©chappe, la conscience les brÃ»le et les dÃ©sespÃ¨re; leur existence n'est que le sentiment
de la mort, c'est le supplice de l'enfer.
L'un entend une voix impÃ©rieuse qui lui ordonne de tuer son fils au berceau. Il lutte, il pleure, il s'enfuit et
finit par prendre une hache et par tuer l'enfant; l'autre, et cette Ã©pouvantable histoire est toute rÃ©cente,
persÃ©cutÃ© par des voix qui lui demandent des coeurs, assomme ses parents, leur ouvre la poitrine et ronge
Ã demi leurs coeurs arrachÃ©s. Quiconque commet de propos libÃ©rÃ© une mauvaise action, donne des
arrhes Ã la destruction Ã©ternelle et ne peut prÃ©voir d'avance oÃ¹ ce marchÃ© funeste le conduira.
L'Ãªtre est substance et vie. La vie se manifeste par le mouvement, et le mouvement se perpÃ©tue par
l'Ã©quilibre; l'Ã©quilibre est donc la loi d'immortalitÃ©. La conscience est le sentiment de l'Ã©quilibre et
l'Ã©quilibre c'est la justesse et la justice. Tout excÃ¨s, lorsqu'il n'est pas mortel, se corrige par un excÃ¨s
contraire; c'est la loi Ã©ternelle des rÃ©actions, mais si l'excÃ¨s se prÃ©cipite en dehors de tout Ã©quilibre,
il se perd dans les tÃ©nÃ¨bres extÃ©rieures et devient la mort Ã©ternelle.
[295]
L'Ã¢me de la terre entraÃ®ne dans le vertige du mouvement astral tout ce qui ne lui rÃ©siste pas par les
forces Ã©quilibrÃ©es de la raison. Partout oÃ¹ se manifeste une vie imparfaite et mal formÃ©e, elle fait
affluer ses forces pour la dÃ©truire comme les esprits vitaux abondent pour fermer les plaies. De lÃ ces
dÃ©sordres atmosphÃ©riques qui se manifestent autour de certains malades, de lÃ ces commotions
fluidiques, ces tournoiements de meubles, ces suspensions, ces jets de pierres, ces distensions aÃ©riennes qui
font apparaÃ®tre Ã distance le mirage sensible et tangible des mains ou des pieds de l'obsÃ©dÃ©. C'est la
nature qui se tourmente autour d'un cancer qu'elle veut extirper, autour d'une plaie qu'elle veut fermer, autour
d'une sorte de vampire dont elle veut achever la mort pour le replonger dans la vie.
Les mouvements spontanÃ©s des objets inertes ne peuvent venir que d'un travail des forces qui aimantent la
terre; un esprit, c'est-Ã -dire, une pensÃ©e, ne soulÃ¨ve rien sans levier. S'il en Ã©tait autrement, le travail
presque infini de la nature pour la crÃ©ation et le perfectionnement des organes serait sans objet. Si l'esprit
dÃ©gagÃ© des sens pouvait faire obÃ©ir la matiÃ¨re Ã son grÃ©, les morts illustres se rÃ©vÃ©leraient
Ã nous les premiers par des mouvements harmonieux et rÃ©guliers; au lieu de cela nous voyons toujours des
mouvements incohÃ©rents et fÃ©briles se produisant autour d'Ãªtres malades, inintelligents et capricieux.
Ces Ãªtres sont des aimants dÃ©rÃ©glÃ©s qui font extravaguer l'Ã¢me de la terre; mais quand la terre a le
dÃ©lire par suite de l'Ã©ruption de ces Ãªtres avortÃ©s, c'est qu'elle souffre elle-mÃªme en traversant une
crise qui finira par de violentes commotions.
[296]Il y a vraiment bien de la puÃ©rilitÃ© dans certains hommes qui passent pour sÃ©rieux. Voici, par
exemple, M. le marquis de Mirville qui attribue au diable tous les phÃ©nomÃ¨nes inexplicables. Mais, mon
cher monsieur, si le diable avait le pouvoir d'intervertir l'ordre naturel, ne le ferait-il pas immÃ©diatement de
SUPERSTITIONS RELATIVES AU DIABLE. 163

maniÃ¨re Ã tout bouleverser? Avec le caractÃ¨re qu'on lui suppose, il ne serait sans doute pas retenu par des
scrupules.--Oh! mais, allez-vous rÃ©pondre, la puissance de Dieu s'y oppose!--Doucement: la puissance de
Dieu s'y oppose, ou elle ne s'y oppose pas. Si elle s'y oppose, le diable ne peut rien faire; si elle ne s'y oppose
pas, c'est le diable qui est le maÃ®tre... M. de Mirville nous dira que Dieu le permet pour un peu. Tout juste
assez pour tromper les pauvres hommes, tout juste assez pour troubler leur cervelle dÃ©jÃ si solide, comme
on sait. Alors, en effet, ce n'est plus le diable qui est le maÃ®tre; c'est Dieu, qui serait... Mais nous n'achevons
pas: aller plus loin, ce serait blasphÃ©mer.
On ne veut pas assez comprendre les harmonies de l'Ãªtre, qui se distribuent par la sÃ©rie, comme le disait
fort bien cet illustre maniaque de Fourier. L'esprit agit sur les esprits par le verbe. La matiÃ¨re reÃ§oit les
empreintes de l'esprit et communie avec lui au moyen d'un organisme parfait; l'harmonie dans les formes se
rapproche de l'harmonie dans les idÃ©es, le mÃ©diateur commun c'est la lumiÃ¨re: la lumiÃ¨re, qui est
esprit et vie; la lumiÃ¨re, qui est la synthÃ¨se des couleurs, l'accord des ombres, l'harmonie des formes; la
lumiÃ¨re, dont les vibrations sont les mathÃ©matiques vivantes. Mais les tÃ©nÃ¨bres et leurs fantastiques
mirages, mais [297] les erreurs phosphorescentes du sommeil, mais les paroles perdues dans le dÃ©lire, tout
cela ne crÃ©e rien, ne rÃ©alise rien; tout cela, en un mot, n'existe pas: ce sont les limbes de la vie, ce sont les
vapeurs de l'ivresse astrale, ce sont les Ã©blouissements nerveux des yeux fatiguÃ©s. Suivre de pareilles
lueurs, c'est marcher dans une impasse; croire Ã de pareilles rÃ©vÃ©lations, c'est adorer la mort: la nature
vous le dit elle-mÃªme.
Les tables tournantes n'Ã©crivent qu'incohÃ©rences et injures; ce sont les Ã©chos les plus infimes de la
pensÃ©e, les rÃªves les plus absurdes et les plus anarchiques; les mots enfin dont la plus basse populace se
sert pour exprimer le mÃ©pris. Nous venons de lire un livre du baron de GuldenstubbÃ©, qui prÃ©tend
communiquer par lettres avec l'autre monde. Il a obtenu des rÃ©ponses, et quelles rÃ©ponses! des dessins
obscÃ¨nes, des hiÃ©roglyphes dÃ©sespÃ©rantes, et cette signature grecque ÏÎ½ÎµÏÎ¼Î± Î¸Î¬Î½Î±ÏÎ¿Ï, le
souffle mort, ou pour mieux traduire l'esprit de mort. VoilÃ le dernier mot des rÃ©vÃ©lations
phÃ©nomÃ©nales de la doctrine amÃ©ricaine, si on la sÃ©pare de l'autoritÃ© sacerdotale et si on veut la
rendre indÃ©pendante du contrÃ´le de la hiÃ©rarchie. Nous ne nions ici ni la rÃ©alitÃ© ni l'importance des
phÃ©nomÃ¨nes, ni la bonne foi des croyants; mais nous devons les avertir des dangers auxquels ils
s'exposent s'ils ne prÃ©fÃ¨rent pas l'esprit de sagesse donnÃ© hiÃ©rarchiquement et divinement Ã l'Ãglise,
Ã toutes ces communications dÃ©sordonnÃ©es et obscures dans lesquelles l'Ã¢me fluidique de la terre
reflÃ¨te machinalement les mirages de l'intelligence et les rÃªves de la raison.
[298]
LIVRE V.
LES ADEPTES ET LE SACERDOCE.
× HÃ©.
LIVRE V. 164
CHAPITRE PREMIER.
PRÃTRES ET PAPES ACCUSÃS DE MAGIE.

SOMMAIRE--Le pape Sylvestre II et la prÃ©tendue papesse Jeanne.--Impertinentes assertions de Martin
Polonus et de Platine.--L'auteur prÃ©sumable du grimoire d'Honorius.--Analyse de ce grimoire.
Nous avons dit que depuis les profanations et les impiÃ©tÃ©s des gnostiques, l'Ãglise avait proscrit la
magie. Le procÃ¨s des templiers acheva la rupture, et depuis cette Ã©poque, rÃ©duite Ã se cacher dans
l'ombre pour y mÃ©diter sa vengeance, la magie proscrivit Ã son tour l'Ãglise.
Plus prudents que les hÃ©rÃ©siarques qui Ã©levaient publiquement autel contre autel, et se dÃ©vouaient
ainsi Ã la proscription et au bÃ»cher, les adeptes dissimulÃ¨rent leurs ressentiments et leurs doctrines; ils se
liÃ¨rent entre eux par des serments terribles et, sachant combien il importe de gagner d'abord son procÃ¨s au
tribunal de l'opinion, ils retournÃ¨rent contre les accusateurs et leurs juges les bruits sinistres qui les
poursuivaient eux-mÃªmes, et dÃ©noncÃ¨rent au peuple le sacerdoce comme une Ã©cole de magie noire.
l'un du grand oeuvre,
CHAPITRE PREMIER. 165

l'autre de la magie noire, d'aprÃ¨s le grimoire d'Honorius.
[299]Tant qu'il n'a pas assis ses convictions et ses croyances sur la base inÃ©branlable de la raison, l'homme
se passionne malheureusement pour la vÃ©ritÃ© comme pour le mensonge, et de part, et d'autre, les
rÃ©actions sont cruelles. Qui peut faire cesser cette guerre? L'esprit de celui-lÃ seul qui a dit: Â«Ne rendez
pas le mal pour le mal, mais triomphez du mal en faisant le bien.Â»
On a accusÃ© le sacerdoce catholique d'Ãªtre persÃ©cuteur, et cependant sa mission est celle du bon
Samaritain, c'est pour cela qu'il a succÃ©dÃ© aux lÃ©vites impitoyables, qui passent leur chemin sans avoir
compassion du pauvre blessÃ© de JÃ©richo. C'est en exerÃ§ant l'humanitÃ© qu'ils prouvent leur
consÃ©cration divine. C'est donc une suprÃªme injustice que de rejeter sur le sacerdoce les crimes de
quelques hommes qui en Ã©taient malheureusement revÃªtus. Un homme, quel qu'il soit, peut toujours Ãªtre
mÃ©chant: un vrai prÃªtre est toujours charitable.
Les faux adeptes ne l'entendaient pas de cette maniÃ¨re. Le sacerdoce chrÃ©tien, suivant eux, Ã©tait
entachÃ© de nullitÃ© et d'usurpation depuis la proscription des gnostiques. Â«Qu'est-ce, en effet,
disaient-ils, qu'une hiÃ©rarchie dont la science ne constitue plus les degrÃ©s?Â» La mÃªme ignorance des
mystÃ¨res et la mÃªme foi aveugle poussent au mÃªme fanatisme ou Ã la mÃªme hypocrisie les premiers
chefs et les derniers ministres du sanctuaire. Les aveugles sont conducteurs d'aveugles. La suprÃ©matie entre
Ã©gaux n'est plus qu'un rÃ©sultat de l'intrigue et du hasard. Les pasteurs consacrent les saintes espÃ¨ces
avec une foi capharnaÃ¯te et grossiÃ¨re; ce sont des escamoteurs de pain et [300] des mangeurs de chair
humaine. Ce ne sont plus des thaumaturges, ce sont des sorciers; voilÃ ce que disaient les sectaires.
Pour appuyer cette calomnie, ils inventÃ¨rent des fables; les papes, disaient-ils, Ã©taient vouÃ©s Ã l'esprit
des tÃ©nÃ¨bres depuis le Xe siÃ¨cle. Le savant Gerbert qui fut couronnÃ© sous le nom de Sylvestre II, en
aurait fait l'aveu en mourant. Honorius III, celui qui confirma l'ordre de saint Dominique et qui prÃªcha les
croisades, Ã©tait lui-mÃªme un abominable nÃ©cromant, auteur d'un grimoire qui porte encore son nom, et
qui est exclusivement rÃ©servÃ© aux prÃªtres. On montrait et on commentait ce grimoire, on tachait ainsi de
tourner contre le saint-siÃ©ge le plus terrible de tous les prÃ©jugÃ©s populaires Ã cette Ã©poque: la haine
mortelle de tous ceux qui, Ã tort ou Ã raison, passaient publiquement pour sorciers.
Il se trouva des historiens malveillants ou crÃ©dules pour accrÃ©diter ces mensonges. Ainsi Platine, ce
chroniqueur scandaleux de la papautÃ©, rÃ©pÃ¨te d'aprÃ¨s Martin Polonus les calomnies contre Sylvestre
II. Si l'on s'en rapportait Ã cette fable, Gerbert, qui Ã©tait versÃ© dans les sciences mathÃ©matiques et
dans la kabbale, aurait Ã©voquÃ© le dÃ©mon et lui aurait demandÃ© son aide pour parvenir au pontificat.
Le diable le lui aurait promis eu lui annonÃ§ant de plus qu'il ne mourrait qu'Ã JÃ©rusalem, et l'on pense
bien que le magicien fit voeu intÃ©rieurement de n'y jamais aller; il devint donc pape, mais un jour qu'il
disait la messe dans une Ã©glise de Rome, il se sentit gravement malade, et se souvenant alors que la
chapelle oÃ¹ il officiait se nommait la sainte Croix de JÃ©rusalem, il comprit que c'en Ã©tait fait; il se fit
donc tendre un lit dans cette chapelle et appelant autour [301] de lui ses cardinaux, il se confessa tout haut
d'avoir eu commerce avec les dÃ©mons, puis il commanda qu'aprÃ¨s sa mort on le mÃ®t sur un chariot de
bois neuf auquel on attellerait deux chevaux vierges, l'un noir et l'autre blanc; qu'on lancerait ces chevaux sans
les conduire et qu'on enterrerait son corps oÃ¹ les chevaux s'arrÃªteraient. Le chariot courut ainsi Ã travers
Rome et s'arrÃªta devant l'Ã©glise de Latran. On entendit alors de grands cris et de grands gÃ©missements,
puis tout redevint silencieux et l'on put procÃ©der Ã l'inhumation; ainsi finit cette lÃ©gende digne de la
bibliothÃ¨que bleue.
Ce Martin Polonus, sur la foi duquel Platine rÃ©pÃ¨te de semblables rÃªveries, les avait empruntÃ©es
lui-mÃªme d'un certain Galfride et d'un chroniqueur nommÃ© Gervaise, que NaudÃ© appelle Â«le plus
grand forgeur de fables, et le plus insigne menteur qui ait jamais mis la main Ã la plume.Â» C'est d'aprÃ¨s
des historiens aussi sÃ©rieux que les protestants ont publiÃ© la lÃ©gende scandaleuse et passablement
PRÃTRES ET PAPES ACCUSÃS DE MAGIE. 166

apocryphe, d'une prÃ©tendue papesse Jeanne, qui fut sorciÃ¨re aussi, comme chacun sait, et Ã laquelle on
attribue encore des livres de magie noire. Nous avons feuilletÃ© une histoire de la papesse par un auteur
protestant, et nous y avons remarquÃ© deux gravures fort curieuses. Ce sont d'anciens portraits de
l'hÃ©roÃ¯ne Ã ce que prÃ©tend l'historien, mais en rÃ©alitÃ© ce sont deux anciens tarots reprÃ©sentant
Isis couronnÃ©e d'une tiare. On sait que la figure hiÃ©roglyphique du nombre deux dans le tarot s'appelle
encore la papesse; c'est une femme portant une tiare sur laquelle on remarque les pointes du croissant de la
lune ou des cornes d'Isis. Celle du livre protestant est plus remarquable encore; elle a les cheveux longs [302]
et Ã©pars; une croix solaire sur la poitrine, elle est assise entre les deux colonnes d'Hercule, et derriÃ¨re elle
s'Ã©tend l'OcÃ©an avec des fleurs de lotus qui s'Ã©panouissent Ã la surface de l'eau. Le second portrait
reprÃ©sente la mÃªme dÃ©esse avec les attributs du souverain sacerdoce, et son fils Horus dans ses bras.
Ces deux images sont donc trÃ¨s prÃ©cieuses comme documents kabbalistiques, mais cela ne fait pas le
compte des amateurs de la papesse Jeanne.
Quant Ã Gerbert, pour faire tomber l'accusation de sorcellerie, si elle pouvait Ãªtre sÃ©rieuse Ã son
Ã©gard, il suffirait de dire que c'Ã©tait le plus savant homme de son siÃ¨cle, et qu'ayant Ã©tÃ© le
prÃ©cepteur de deux souverains, il dut son Ã©lÃ©vation Ã la reconnaissance d'un de ses augustes
Ã©lÃ¨ves. Il possÃ©dait Ã fond les mathÃ©matiques et savait peut-Ãªtre un peu plus de physique qu'on
n'en pouvait connaÃ®tre Ã son Ã©poque; c'Ã©tait un homme d'une Ã©rudition universelle et d'une grande
habiletÃ©, comme on peut le voir en lisant les Ã©pÃ®tres qu'il a laissÃ©es; ce n'Ã©tait pas un frondeur de
rois comme le terrible Hildebrand. Il aimait mieux instruire les princes que de les excommunier, et,
possÃ©dant la faveur de deux rois de France et de trois empereurs, il n'avait pas besoin comme le remarque
judicieusement NaudÃ©, de se donner au diable pour parvenir successivement aux archevÃªchÃ©s de Reims
et de Ravenne, puis enfin Ã la papautÃ©. Il est vrai qu'il y parvint en quelque sorte malgrÃ© son mÃ©rite,
dans un siÃ¨cle oÃ¹ l'on prenait les grands politiques pour des possÃ©dÃ©s et les savants pour des
enchanteurs. Gerbert Ã©tait non-seulement un grand mathÃ©maticien et un astronome distinguÃ©, mais il
excellait [303] aussi dans la mÃ©canique, et composa dans la ville de Reims, au dire de Guillaume
Malmesbery, des machines hydrauliques si merveilleuses que l'eau y exÃ©cutait d'elle-mÃªme des
symphonies, et y jouait les airs les plus agrÃ©ables; il fit aussi, au rapport de Ditmare, dans la ville de
Magdebourg, une horloge, qui marquait tous les mouvements du ciel et l'heure du lever et du coucher des
Ã©toiles; il fit encore, dit NaudÃ©, que nous nous plaisons Ã citer ici, Â«cette teste d'airain, laquelle estoit
si ingÃ©nieusement labourÃ©e, que le susdit Guillaume Malmesbery s'y est luy-mÃªme trompÃ©, la
rapportant Ã la magie: aussi Onuphrius, dit qu'il a veu dans la bibliothÃ¨que des FarnÃ¨ses un docte livre de
gÃ©omÃ©trie composÃ© par ce Gerbert: et pour moy j'estime que, sans rien dÃ©cider de l'opinion
d'Erfordiensis et de quelques autres, qui le font auteur des horloges et de l'arithmÃ©tique que nous avons
maintenant, toutes ces preuves sont assez valables pour nous faire juger que ceux qui n'avoient jamais ouy
parler du cube, paralÃ©llogram, dodÃ©caÃ¨dre, almicantharath, valsagora, almagrippa, cathalzem, et autres
noms vulgaires et usitÃ©s Ã ceux qui entendent les mathÃ©matiques, eurent opinion que c'estoient quelques
esprits qu'il invoquoit, et que tant de choses rares ne pouvoient partir d'un homme sans une faveur
extraordinaire, et que pour cet effet il estoit magicien.Â»
Ce qui montre jusqu'Ã quel point va l'impertinence et la mauvaise foi des chroniqueurs, c'est que Platine, cet
Ã©cho malicieusement naÃ¯f de toutes les pasquinades romaines, assure que le tombeau de Sylvestre II est
encore sorcier, qu'il pleure prophÃ©tiquement la chute prochaine de tous les papes, et qu'au dÃ©clin de la vie
de [304] chaque pontife on entend frÃ©mir et s'entre-choquer les ossements rÃ©prouvÃ©s de Gerbert. Une
Ã©pitaphe gravÃ©e sur ce tombeau fait foi de cette merveille, ajoute imperturbablement le bibliothÃ©caire
de Sixte IV. VoilÃ de ces preuves qui paraissent suffisantes aux historiens pour constater l'existence d'un
curieux document historique. Platine Ã©tait le bibliothÃ©caire du Vatican; il Ã©crivait son histoire des
papes par ordre de Sixte IV; il Ã©crivait Ã Rome oÃ¹ rien n'Ã©tait plus facile que de vÃ©rifier la
faussetÃ© ou l'exactitude de cette assertion, et cependant cette prÃ©tendue Ã©pitaphe n'a jamais existÃ©
que dans l'imagination des auteurs auxquels Platine l'emprunte avec une incroyable lÃ©gÃ¨retÃ© 15,
circonstance qui excite justement l'indignation de l'honnÃªte NaudÃ©. Voici ce qu'il en dit dans son Apologie

pour les grands hommes accusÃ©s de magie:
Note 15: (retour) Que les papes s'en assurent, dit-il, c'est pour eux que la chose est
intÃ©ressante.
Â«C'est une pure imposture et faussetÃ© manifeste tant pour l'expÃ©rience (des prÃ©tendus prodiges du
tombeau de Sylvestre II), qui n'a estÃ© jusques aujourd'huy observÃ©e de personne, qu'en l'inscription de ce
sÃ©pulcre, qui fut composÃ©e par Sergius IV, et laquelle tant s'en faut qu'elle fasse aucune mention de
toutes ces fables et ruseries, qu'au contraire c'est un des plus excellens tÃ©moignages que nous puissions
avoir de la bonne vie et de l'intÃ©gritÃ© des actions de Sylvestre. C'est Ã la vÃ©ritÃ© une chose honteuse
que beaucoup de catholiques soient fauteurs de cette mÃ©disance, de laquelle Marianus Scotus, Glaber,
Ditmare, Helgandus, Lambert et Herman Contract, qui ont estÃ© ses contemporains, ne font aucune mention,
etc.Â»
[305]Venons au grimoire d'Honorius.
C'est Ã Honorius III, c'est-Ã -dire Ã un des plus zÃ©lÃ©s pontifes du XIIIe siÃ¨cle, qu'on attribue ce livre
impie. Honorius III, en effet, doit Ãªtre haÃ¯ des sectaires et des nÃ©cromants qui veulent le dÃ©shonorer en
le prenant pour complice. Censius Savelli, couronnÃ© pape en 1216, confirma l'ordre de saint Dominique si
formidable aux albigeois et aux vaudois, ces enfants des manichÃ©ens et des sorciers. Il Ã©tablit aussi les
Franciscains et les Carmes, prÃªcha une croisade, gouverna sagement l'Ãglise et laissa plusieurs
dÃ©crÃ©tales. Accuser de magie noire ce pape si Ã©minemment catholique, c'est faire planer le mÃªme
soupÃ§on sur les grands ordres religieux instituÃ©s par lui, le diable ne pouvait qu'y gagner.
Quelques exemplaires anciens du grimoire d'Honorius portent le nom d'Honorius II au lieu d'Honorius III;
mais il est impossible de faire un sorcier de ce sage et Ã©lÃ©gant cardinal Lambert, qui, aprÃ¨s sa
promotion au souverain pontificat, s'entoura de poÃ¨tes auxquels il donnait des Ã©vÃªchÃ©s pour des
Ã©lÃ©gies, comme il fit Ã Hildebert, Ã©vÃªque du Mans, et de savants thÃ©ologiens, comme Hugues de
Saint-Victor. Pourtant ce nom d'Honorius II est pour nous un trait de lumiÃ¨re, et va nous conduire Ã la
dÃ©couverte du vÃ©ritable auteur de cet affreux grimoire d'Honorius.
En 1061, lorsque l'Empire commenÃ§ait Ã prendre ombrage de la papautÃ© et cherchait Ã usurper

l'influence sacerdotale en fomentant des troubles et des divisions dans le sacrÃ© collÃ¨ge, les Ã©vÃªques de
Lombardie, excitÃ©s par Gilbert de Parme, protestÃ¨rent contre l'Ã©lection d'Anselme, Ã©vÃªque de
Lucques, qui [306] venait d'Ãªtre appelÃ© au souverain pontificat sous le nom d'Alexandre II. L'empereur
Henri IV prit le parti des dissidents et les autorisa Ã se donner un autre pape en leur promettant de les
appuyer. Ils choisirent un intrigant pommÃ© Cadulus ou Cadalous, Ã©vÃªque de Parme, homme capable de
tous les crimes, et publiquement scandaleux comme simoniaque et concubinaire. Ce Cadalous prit le nom
d'Honorius II et marcha contre Rome Ã la tÃªte d'une armÃ©e. Il fut battu et condamnÃ© par tous les
Ã©vÃªques d'Allemagne et d'Italie; il revint Ã la charge, s'empara d'une partie de la ville sainte, entra dans
l'Ã©glise Saint-Pierre, d'oÃ¹ il fut chassÃ©, se rÃ©fugia dans le chÃ¢teau Saint-Ange, d'oÃ¹ il obtint de
pouvoir se retirer en payant une forte ranÃ§on. Ce fut alors qu'Othon archevÃªque de Cologne, envoyÃ© par
l'Empereur, osa reprocher publiquement Ã Alexandre II d'avoir usurpÃ© le saint-siÃ©ge. Mais un moine,
nommÃ© Hildebrand, prit la parole pour le pape lÃ©gitime, et le fit avec une telle puissance que l'envoyÃ©
de l'Empereur s'en retourna confus, et que l'Empereur lui-mÃªme demanda pardon de ses attentats. C'est que
Hildebrand, dans les vues de la Providence, Ã©tait dÃ©jÃ le foudroyant GrÃ©goire VII, et commenÃ§ait
l'oeuvre de sa vie. L'antipape fut dÃ©posÃ© au concile de Mantoue, et Henri IV obtint son pardon. Cadalous
rentra donc dans l'obscuritÃ©, et il est probable qu'il voulut Ãªtre alors le grand prÃªtre des sorciers et des
apostats; il peut donc avoir rÃ©digÃ©, sous le nom d'Honorius II, le grimoire qui porte ce nom.

Ce qu'on sait du caractÃ¨re de cet antipape ne justifierait que trop une accusation de ce genre; il Ã©tait
audacieux devant les [307] faibles et rampant devant les forts, intrigant et dÃ©bauchÃ©, sans foi comme sans
moeurs; il ne voyait dans la religion qu'un instrument d'impunitÃ© et de rapines. Pour un pareil homme, les
vertus chrÃ©tiennes Ã©taient des obstacles et la foi du clergÃ© une difficultÃ© Ã surmonter; il aurait donc
voulu se faire des prÃªtres Ã sa guise et se composer un clergÃ© d'hommes capables de tous les attentats
comme de tous les sacrilÃ¨ges; tel paraÃ®t Ãªtre, en effet, le but que s'est proposÃ© l'auteur du grimoire
d'Honorius.
Ce grimoire n'est pas sans importance pour les curieux de la science. Au premier abord, il semble n'Ãªtre
qu'un tissu de rÃ©voltantes absurditÃ©s; mais pour les initiÃ©s aux signes et aux secrets de la kabbale, il
devient un vÃ©ritable monument de la perversitÃ© humaine; le diable y est montrÃ© comme un instrument
de puissance. Se servir de la crÃ©dulitÃ© humaine et s'emparer de l'Ã©pouvantail qui la domine pour la
faire obÃ©ir aux caprices de l'adepte, tel est le secret de ce grimoire; il s'agit d'Ã©paissir les tÃ©nÃ¨bres sur
les yeux de la multitude, en s'emparant du flambeau de la science, qui pourra au besoin, entre les mains de
l'audace, devenir la torche des bourreaux ou des incendiaires. Imposer la foi avec la servitude, en se
rÃ©servant le pouvoir et la libertÃ©, n'est-ce pas rÃªver, en effet, le rÃ¨gne de Satan sur la terre, et
s'Ã©tonnera-t-on si les auteurs d'une conspiration pareille contre le bon sens public et contre la religion, se
flattaient de faire apparaÃ®tre et d'incarner en quelque sorte sur la terre le souverain fantastique de l'empire
du mal?
La doctrine de ce grimoire est la mÃªme que celle de Simon et de la plupart des gnostiques: c'est le principe
passif substituÃ© au [308] principe actif. La passion, par consÃ©quent, prÃ©fÃ©rÃ©e Ã la raison, le
sensualisme dÃ©ifiÃ©, la femme mise avant l'homme, tendance qui se retrouve dans tous les systÃ¨mes
mystiques antichrÃ©tiens; cette doctrine est exprimÃ©e par un pantacle placÃ© en tÃªte du livre. La lune
isiaque occupe le centre; autour du croissant sÃ©lÃ©nique, on voit trois triangles qui n'en font qu'un; le
triangle est surmontÃ© d'une croix ansÃ©e Ã double croisillon; autour du triangle qui est inscrit dans un
cercle, et dans l'intervalle formÃ© par les trois segments de cercle, on voit, d'un cÃ´tÃ©, le signe de l'esprit et
le sceau kabbalistique de Salomon, de l'autre, le couteau magique et la lettre initiale du binaire, au-dessous
une croix renversÃ©e formant la figure du lingam, et le nom de Dieu ×× Ã©galement renversÃ©; autour du
cercle, on lit ces mots tracÃ©s en forme de lÃ©gende: ObÃ©issez Ã vos supÃ©rieurs, et leur soyez soumis,
parce qu'ils y prennent garde.
Ce pantacle, traduit en symbole ou profession de foi, est donc textuellement ce qui suit:
Â«La fatalitÃ© rÃ¨gne par les mathÃ©matiques et il n'y a pas d'autre Dieu que la nature.
Â»Les dogmes sont l'accessoire du pouvoir sacerdotal et s'imposent Ã la multitude pour justifier les
sacrifices.
Â»L'initiÃ© est au-dessus de la religion dont il se sert, et il en dit absolument le contraire de ce qu'il en croit.
Â»L'obÃ©issance ne se motive pas, elle s'impose; les initiÃ©s sont faits pour commander et les profanes
pour obÃ©ir.Â»
Ceux qui ont Ã©tudiÃ© les sciences occultes, savent que les anciens magiciens n'Ã©crivaient jamais leur
dogme et le formulaient uniquement par les caractÃ¨res symboliques des pantacles.
[309]A la seconde page, on voit deux sceaux magiques circulaires. Dans le premier, se trouve le carrÃ© du
tÃ©tragramme avec une inversion et une substitution de noms.
Ainsi au lieu de:

××××
Eieie,
××××
JÃ©hovah,
×× ××
AdonaÃ¯,
××××
Agla,
disposition qui signifie: L'Ãtre absolu est JÃ©hovah, le Seigneur en trois personnes, Dieu de la hiÃ©rarchie
et de l'Ãglise.
L'auteur du grimoire a disposÃ© ainsi ses noms:
××××
JÃ©hovah,
×× ××
AdonaÃ¯,
×¨××¨×
D'rar,
××××
Eieie,
ce qui signifie: JÃ©hovah, le Seigneur, n'est autre chose que le principe fatal de la renaissance Ã©ternelle
personnifiÃ© par cette renaissance mÃªme dans l'Ãtre absolu.
Autour du carrÃ© dans le cercle, on trouve le nom de JÃ©hovah droit et renversÃ©, le nom d'AdonaÃ¯ Ã
gauche, et Ã droite, ces trois lettres ××× AEV: suivies de deux points, ce qui signifie: Le ciel et l'enfer sont
un mirage l'un de l'autre, ce [310] qui est en haut est comme ce qui est en bas. Dieu c'est l'humanitÃ©.
(L'humanitÃ© est exprimÃ©e par les trois lettres AEV: initiales d'Adam et d'Ãve.)
Sur le second sceau, on lit le nom d'ARARITA ××ª××¨××¨× et au-dessous ×¡××¨ RASCH, autour vingt-six
caractÃ¨res kabbalistiques, et au-dessous du sceau dix lettres hÃ©braÃ¯ques, ainsi disposÃ©es
×¨×¨×¨×¨×××× ××. Le tout est une formule de matÃ©rialisme et de fatalitÃ©, qu'il serait trop long et
peut-Ãªtre dangereux d'expliquer ici.
Vient ensuite le prologue du grimoire; nous le transcrivons tout entier:

Â«Le saint-siÃ©ge apostolique, Ã qui les clefs du royaume des cieux ont Ã©tÃ© donnÃ©es, par ces paroles
de JÃ©sus-Christ Ã saint Pierre: Je le donne les clefs du royaume des cieux, Ã seule puissance de
commander au prince des tÃ©nÃ¨bres et Ã ses anges.
Â»Qui, comme des serviteurs Ã leur maÃ®tre, lui doivent honneur, gloire et obÃ©issance, en vertu de ces
autres paroles adressÃ©es par JÃ©sus-Christ Ã Satan lui-mÃªme: Tu ne serviras qu'un seul maÃ®tre.
Â»Par la puissance des clefs, le chef de l'Ãglise a Ã©tÃ© fait le seigneur des enfers.
Â»Jusqu'Ã ce jour, les souverains pontifes ont eu seuls le pouvoir d'Ã©voquer les esprits et de leur
commander; mais Sa SaintetÃ© Honorius II, dans sa sollicitude pastorale, a bien voulu communiquer la
science et le pouvoir des Ã©vocations et de l'empire sur les esprits Ã ses vÃ©nÃ©rables frÃ¨res en
JÃ©sus-Christ avec les conjurations d'usage, le tout contenu dans la bulle suivante.Â»
VoilÃ bien ce pontificat des enfers, ce sacerdoce sacrilÃ¨ge des antipapes que Dante semble stigmatiser par
ce cri rauque Ã©chappÃ© [311] Ã l'un des princes de son enfer: Pape Satan! pape Satan! aleppe! Que le
pape lÃ©gitime soit le prince du ciel, c'est assez pour l'antipape Cadalous d'Ãªtre le souverain des enfers.
Qu'il soit le dieu du bien, je suis le dieu du mal;
Nous sommes divisÃ©s, mon pouvoir est Ã©gal.
Suit la bulle de l'infernal pontife.
Le mystÃ¨re des Ã©vocations tÃ©nÃ©breuses y est exposÃ© avec une science effrayante cachÃ©e sous
des formes superstitieuses et sacrilÃ©ges.
Le jeÃ»ne, les veilles, les mystÃ¨res profanÃ©s, les cÃ©rÃ©monies allÃ©goriques, les sacrifices sanglants
y sont combinÃ©s avec un art plein de malice; les Ã©vocations ne sont pas sans poÃ©sie et sans
enthousiasme mÃªlÃ©s d'horreur. Ainsi, par exemple, l'auteur veut que le jeudi de la premiÃ¨re semaine des
Ã©vocations, on se lÃ¨ve Ã minuit, qu'on jette de l'eau bÃ©nite dans sa chambre, qu'on allume un cierge de
cire jaune prÃ©parÃ© le mercredi, et qui doit Ãªtre percÃ© en forme de croix. A la lueur tremblante de ce
cierge, il faut se rendre seul dans une Ã©glise et y lire Ã voix basse l'office des morts, en substituant Ã la
neuviÃ¨me leÃ§on des matines cette invocation rhythmique que nous traduisons du latin, en lui laissant sa
forme Ã©trange et ses refrains, qui rappellent les incantations monotones des sorciÃ¨res de l'ancien monde:
Seigneur, dÃ©livre-moi des terreurs infernales,
Affranchis mon esprit des larves sÃ©pulcrales.
J'irai dans leurs enfers les chercher sans effroi;
Je leur imposerai ma volontÃ© pour loi.
Je vais dire Ã la nuit d'enfanter la lumiÃ¨re;
Soleil, relÃ¨ve-toi; lune, sois blanche et claire.
[316]Aux ombres de l'enfer je parle sans effroi,

Je leur imposerai ma volontÃ© pour loi!
Leur visage est horrible et leurs formes Ã©tranges;
Je veux que les dÃ©mons redeviennent des anges.
A ces laideurs sans nom je parle sans effroi,
Ces ombres sont l'erreur de ma vue effrayÃ©e;
Mais, seul je puis guÃ©rir leur beautÃ© foudroyÃ©e,
Car au fond des enfers je plonge sans effroi,
AprÃ¨s plusieurs autres cÃ©rÃ©monies, vient la nuit de l'Ã©vocation; alors dans un lieu sinistre, Ã la lueur
d'un feu alimentÃ© par des croix brisÃ©es, il faut avec le charbon d'une croix, tracer un cercle, et rÃ©citer
en mÃªme temps une hymne magique composÃ©e des versets de plusieurs psaumes; voici la traduction de
cette hymne:
Le roi se rÃ©jouit, Seigneur, dans ta puissance,
Laisse-moi complÃ©ter l'oeuvre de ma naissance.
Que les ombres du mal, les spectres de la nuit,
Soient comme la poussiÃ¨re au vent qui la poursuit.
........................................................
Seigneur, l'enfer s'Ã©claire et brille en ta prÃ©sence,
Par toi tout se termine et par toi tout commence:
JÃ©hovah, Sabaoth, ÃloÃ¯m, ÃloÃ¯,
HÃ©lion, HÃ©lios, JodhÃ©vah, SaddaÃ¯!
Le lion de Juda se lÃ¨ve dans sa gloire;
Il vient du roi David consommer la victoire!
J'ouvre les sept cachets du livre redoutÃ©;

Satan tombe du ciel comme un Ã©clair d'Ã©tÃ©!
Tu m'as dit: Loin de toi l'enfer et ses tortures;
Ils n'approcheront pas de tes demeures pures
Tes yeux affronteront les yeux du basilic,
Et tes pieds sans frayeur marcheront sur l'aspic.
Tu prendras les serpents domptÃ©s par ton sourire,
Tu boiras les poisons sans qu'ils puissent te nuire.
[313] ÃloÃ¯m, Ãlohah, SÃ©baoth, HÃ©lios,
ÃÃ¯eÃ¯e, ÃieazereÃ¯e, Ã´ ThÃ©os Tsehyros!
La terre est au Seigneur, et tout ce qui la couvre.
Lui-mÃªme il l'affermit sur l'abÃ®me qui s'ouvre.
Qui donc pourra monter sur le mont du Seigneur?
L'homme Ã la main sans tache et le simple de coeur.
Celui qui ne tient pas la vÃ©ritÃ© captive
Et ne la reÃ§oit pas pour la laisser oisive;
Celui qui de son Ã¢me a compris la hauteur
Et qui ne jure pas par un verbe menteur:
Celui-lÃ recevra la force pour domaine.
Et tel est l'infini de la naissance humaine,
La gÃ©nÃ©ration par la terre et le feu,
L'enfantement divin de ceux qui cherchent Dieu!
Princes de la nature agrandissez vos portes;
Joug du ciel je te lÃ¨ve! Ã moi, saintes cohortes:
Voici le roi de gloire! il a conquis son nom;
Il porte dans sa main le sceau de Salomon.
Le maÃ®tre a de Satan brisÃ© le noir servage,

Et captif Ã sa suite il traÃ®ne l'esclavage.
Le Seigneur seul est Dieu, le Seigneur seul est roi!
Seigneur, gloire Ã toi seul, gloire Ã toi! gloire Ã toi!
Ne croirait-on pas entendre les sombres puritains de Walter Scott ou de Victor Hugo, accompagner de leur
psalmodie fanatique l'oeuvre sans nom des sorciÃ¨res de Faust ou de Macbeth!
Dans une conjuration adressÃ©e Ã l'ombre du gÃ©ant Nemrod, ce chasseur sauvage qui fit commencer la
tour de Babel, l'adepte d'Honorius menace cet antique rÃ©prouvÃ© de resserrer ses chaÃ®nes et de le
tourmenter de plus en plus chaque jour s'il n'obÃ©it pas immÃ©diatement Ã sa volontÃ©.
N'est-ce pas le sublime de l'orgueil en dÃ©lire, et cet antipape, qui ne comprenait un grand prÃªtre que
comme un souverain des [314] enfers, ne semble-t-il pas aspirer, comme Ã une vengeance du mÃ©pris et de
la rÃ©probation des vivants, au droit usurpÃ© et funeste de tourmenter Ã©ternellement les morts!
CHAPITRE II.
APPARITION DES BOHÃMIENS NOMADES.

SOMMAIRE.--Moeurs et habitudes des BohÃ©miens nomades.--Ils viennent Ã la Chapelle, prÃ¨s Paris, oÃ¹
ils sont prÃªchÃ©s et excommuniÃ©s par l'Ã©vÃªque.--Leur science divinatoire et leur tarot.
Au commencement du XVe siÃ¨cle, on vit se rÃ©pandre en Europe des bandes de voyageurs basanÃ©s et
inconnus. AppelÃ©s par les uns BohÃ©miens, parce qu'ils disaient venir de la BohÃªme, connus par d'autres
sous le nom d'Ãgyptiens, parce que leur chef prenait le titre de duc d'Egypte, ils exerÃ§aient la divination, le
larcin et le maraudage. C'Ã©taient des hordes nomades, bivouaquant sous des huttes qu'ils se construisaient
eux-mÃªmes; leur religion Ã©tait inconnue; ils se disaient pourtant chrÃ©tiens, mais leur orthodoxie Ã©tait
plus que douteuse. Ils pratiquaient entre eux le communisme et la promiscuitÃ©, et se servaient pour leurs
divinations d'une sÃ©rie de signes Ã©tranges reprÃ©sentant la forme allÃ©gorique et la vertu des Nombres.
CHAPITRE II. 174

D'oÃ¹ venaient-ils? De quel monde maudit et disparu Ã©taient-ils les Ã©paves vivantes? Ãtaient-ce, comme
le croyait le peuple superstitieux, les enfants des sorciÃ¨res et des dÃ©mons? Quel [315] sauveur expirant et
trahi les avait condamnÃ©s Ã marcher toujours? Ãtait-ce la famille du juif errant? n'Ã©tait-ce pas le reste
des dix tribus d'IsraÃ«l perdues dans la captivitÃ© et enchaÃ®nÃ©es pendant longtemps par Gog et par
Magog, dans des climats inconnus? VoilÃ ce qu'on se demandait avec inquiÃ©tude en voyant passer ces
Ã©trangers mystÃ©rieux, qui d'une civilisation disparue semblaient n'avoir gardÃ© que les superstitions et
les vices. Ennemis du travail, ils ne respectaient ni la propriÃ©tÃ© ni la famille; ils traÃ®naient aprÃ¨s eux
des femelles et des petits, et troublaient volontiers par leur prÃ©tendue divination la paix des honnÃªtes
mÃ©nages. Ãcoutons parler le chroniqueur qui raconte leur premier campement dans le voisinage de Paris:
Â«L'annÃ©e suivante, 1427, le dimanche d'aprÃ¨s la mi-aoÃ»t, qui fut le 17 du mois, arrivent aux environs
de Paris douze d'entre eux se disant pÃ©nitenciers, savoir un duc, un comte et dix hommes, tous Ã cheval,
lesquels se disent trÃ¨s bons chrÃ©tiens et originaires de la basse Ãgypte; ils affirment avoir Ã©tÃ©
chrÃ©tiens autrefois, que d'autres chrÃ©tiens les ont subjuguÃ©s et ramenÃ©s au christianisme; que ceux
qui s'y sont refusÃ©s ont Ã©tÃ© mis Ã mort, et que ceux au contraire qui se sont fait baptiser sont
demeurÃ©s seigneurs du pays comme devant sur leur parole d'Ãªtre bons et loyaux et de garder la foi de
JÃ©sus-Christ jusqu'Ã la mort; ils ajoutent qu'ils ont roi et reine dans leur pays, lesquels demeurent en leur
seigneurie, parce qu'ils se sont faits chrÃ©tiens. Et aussi, disent-ils, quelques temps aprÃ¨s nous Ãªtre faits
APPARITION DES BOHÃMIENS NOMADES. 175

chrÃ©tiens, les Sarrazins vinrent nous assaillir. Grand nombre, peu fermes dans notre foi, sans endurer la
guerre, sans dÃ©fendre leur pays comme ils le devaient, se soumirent, se firent [316] Sarrazins et abjurÃ¨rent
notre Seigneur; et aussi, disent-ils, l'empereur d'Allemagne, le roi de Pologne et autres seigneurs ayant appris
qu'ils avaient si facilement renoncÃ© Ã la foi et s'Ã©taient faits si tÃ´t Sarrazins et idolÃ¢tres, leur
coururent sus, les vainquirent facilement, comme s'ils avaient Ã coeur de les laisser dans leur pays pour les
ramener au christianisme; mais l'empereur et les autres seigneurs, par dÃ©libÃ©ration du conseil statuÃ¨rent
qu'ils n'auraient jamais terre en leur pays, sans le consentement du pape; que pour cela ils devaient aller Ã
Rome, qu'ils y Ã©taient tous allÃ©s, grands et petits et Ã grand'peine pour les enfants; qu'ils avaient
confessÃ© leur pÃ©chÃ©; que le pape, les ayant ouÃ¯s, leur avait donnÃ© pour pÃ©nitence, par
dÃ©libÃ©ration du conseil, d'aller sept ans par le monde sans coucher dans aucun lit; qu'il avait ordonnÃ©
que tout Ã©vÃªque et abbÃ© portant crosse leur donnÃ¢t, une fois pour toutes, dix livres tournois comme
subvention Ã leurs dÃ©penses; qu'il leur avait remis des lettres oÃ¹ tout ceci Ã©tait relatÃ©, leur avait
donnÃ© sa bÃ©nÃ©diction et que depuis cinq ans dÃ©jÃ ils couraient le monde.
Â»Quelques jours aprÃ¨s, le jour de saint Jehan DÃ©colace, c'est-Ã -dire le 29 aoÃ»t, arriva le commun,
lequel on ne laissa point entrer dedans Paris, mais par justice fut logÃ© Ã la Chapelle-Saint-Denis. Leur
nombre se montait Ã environ cent vingt personnes, tant hommes que femmes et enfants. Ils assurent qu'en
quittant leur pays ils Ã©taient de mille Ã douze cents; que le reste Ã©tait mort en route avec le roi et la
reine; que ceux qui avaient survÃ©cu espÃ©raient possÃ©der encore des biens en ce monde, [317] car le
Saint-PÃ¨re leur avait promis pays bon et fertile, quand ils auraient achevÃ© leur pÃ©nitence.
Â»Lorsqu'ils furent Ã la Chapelle, on ne vit jamais plus de gens Ã la bÃ©nÃ©diction du Landit, tant de
Saint-Denis, de Paris que de ses environs la foule accourait pour les voir. Leurs enfants, garÃ§ons et filles,
Ã©taient on ne peut plus habiles faiseurs de tours. Ils avaient presque tous les oreilles percÃ©es, et Ã chaque
oreille un ou deux anneaux d'argent; et ils disaient que c'Ã©tait gentillesse en leur pays; ils Ã©taient trÃ¨s
noirs, avaient les cheveux crÃ©pus. Les femmes Ã©taient les plus laides et les plus noires qu'on pÃ»t voir;
toutes avaient le visage couvert de plaie, les cheveux noirs comme la queue d'un cheval, pour toute robe une
vieille flaussoie ou schiavina, liÃ©e sur l'Ã©paule par une corde ou un morceau de drap, et dessous un
pauvre roquet ou une chemise pour tout habillement. Bref, c'Ã©taient les plus pauvres crÃ©atures que de
mÃ©moire d'Ã¢ge on eÃ»t jamais vues en France. Et nÃ©anmoins leur pauvretÃ©, ils avaient parmi eux des
sorciÃ¨res qui regardaient les mains des gens et disaient Ã chacun ce qui lui Ã©tait arrivÃ© et ce qui devait
lui advenir; et elles jetaient le dÃ©sordre dans les mÃ©nages, car elles disaient au mari: Â«Ta femme... ta
femme... ta femme t'a Â»fait coux,Â» Ã la femme: Â«Ton mari... t'a faite... Â»coulpe;Â» et, qui pis est, en
parlant aux gens par art magique, par l'ennemi d'enfer ou par habiletÃ©, elles vidaient leurs bourses et
emplissaient les leurs;Â» et le bourgeois de Paris qui rend compte de ces faits ajoute: Â«Et vraiment je fus
trois ou quatre fois pour parler Ã eux, mais oncques ne m'aperÃ§us d'un denier de perte; mais ainsi le disait
le peuple partout, tant que la nouvelle en vint Ã [318] l'Ã©vÃªque de Paris, lequel y alla, et mÃªme avec lui
un frÃ¨re mineur, nommÃ© le petit Jacobin, lequel, par le commandement de l'Ã©vÃªque, fit lÃ une belle
prÃ©dication en excommuniant tous ceux et celles qui se faisaient et avaient cru et montrÃ© leur mains. Et
convint qu'ils s'en allassent, et si partirent le jour de Notre-Dame de septembre, le 8, et s'en allÃ¨rent vers
Pontoise.Â»
On ignore s'ils continuÃ¨rent leur voyage en se dirigeant toujours ainsi vers le nord de la capitale, mais il est
certain que leur souvenir est restÃ© dans un des coins du dÃ©partement du Nord.
Â«Il existe en effet dans un bois prÃ¨s du village de Hamel, et Ã cinq cents pas d'un monument de six pierres
druidiques, une fontaine appelÃ©e Cuisine des sorciers; et, dit la tradition, c'est lÃ que se reposaient et se
dÃ©saltÃ©raient les Cara maras, lesquels sont assurÃ©ment les Caras'mar, c'est-Ã -dire les bohÃ©miens,
sorciers et devins ambulants auxquels les anciennes chartes du pays de Flandre accordaient le droit d'Ãªtre
nourris par les habitants.

Â»Ils ont quittÃ© Paris, mais Ã leur place il en vint d'autres, et la France n'est pas moins exploitÃ©e par eux
que les autres pays. On ne les voit dÃ©barquer ni en Angleterre, ni en Ecosse, et pourtant ils sont bientÃ´t
dans ce dernier royaume plus de cent mille 16. On les y appelle ceard et caird, ou comme qui dirait artisans,
monouvriers, parce que, ce mot Ã©cossais est dÃ©rivÃ© du ker, sanscrit d'oÃ¹ viennent le verbe faire,
Ker-aben des BohÃ©miens et le latin cerdo (savetier), ce qu'ils ne sont [319] pas. Si on ne les voit pas non
plus Ã cette Ã©poque au nord de l'Espagne, oÃ¹ les chrÃ©tiens s'abritent contre la domination musulmane,
c'est sans doute qu'ils se plaisent mieux au sud avec les Arabes, mais, sous Jean II, on les distingue bien de ces
derniers, sans savoir pourtant d'oÃ¹ ils viennent. Quoi qu'il en soit, Ã partir de cette Ã©poque, ils sont
gÃ©nÃ©ralement connus sur tout le continent europÃ©en. Une des bandes du roi Sindel s'est prÃ©sentÃ©e
Ã Ratisbonne en 1433, et Sindel lui-mÃªme campe en BaviÃ¨re avec sa rÃ©serve en 1439. Il semble venir
alors de BohÃªme, car les Bavarois, oublieux de ceux de 1433 qui se sont donnÃ©s pour Ãgyptiens, les
appellent BohÃ©miens. C'est sous ce nom qu'ils reparaissent en France et y sont connus dÃ©sormais. Bon
grÃ©, mal grÃ©, on les supporte. Les uns courent les montagnes et cherchent l'or dans les riviÃ¨res, les
autres forgent des fers de cheval et des chaÃ®nes de chiens; ceux-ci, plus maraudeurs que pÃ¨lerins, se
glissent et furÃ¨tent partout et partout volent et escamotent. Il en est qui prennent le parti de se fixer et qui,
fatiguÃ©s de toujours dresser et lever leurs tentes, se creusent des bordeils, huttes carrÃ©es de quatre Ã six
pieds, sous terre, et recouvertes d'une toiture de branchages dont l'arÃªte, Ã cheval sur deux poteaux en Y, ne
s'Ã©lÃ¨ve guÃ¨re Ã plus de deux pieds au-dessus du sol. C'est dans cette taniÃ¨re, dont il n'est guÃ¨re
restÃ© en France d'autre souvenir que le nom, que s'entasse pÃªle-mÃªle toute une famille; c'est dans ce
bouge, qui n'a d'autre ouverture que la porte et un trou pour la fumÃ©e, que le pÃ¨re forge, que les enfants,
accroupis autour du feu, font aller le soufflet, et que la mÃ¨re fait aller le pot oÃ¹ ne bout jamais que [320] le
fruit de quelques larcins; c'est dans ce repaire, oÃ¹ pendent, Ã de longs clous de bois, quelques vieilles
nippes, une bride et un havresac, dont tous les meubles consistent en une enclume, des pinces et un marteau,
c'est lÃ , dis-je, que se donnent rendez-vous la crÃ©dulitÃ© et l'amour, la demoiselle et le chevalier, la
chÃ¢telaine et le page; c'est lÃ qu'ils viennent ouvrir leur mains blanches et nues aux regards pÃ©nÃ©trants
de la sibylle; c'est lÃ que l'amour s'achÃ¨te, que le bonheur se vend, que le mensonge se paie; c'est de lÃ que
sortent les saltimbanques et les tireurs de cartes, la robe Ã©toilÃ©e et le bonnet pointu du magicien, les
truands et l'argot, les danseuses de la rue et les filles de joie. C'est le royaume de fainÃ©antise et de trupherie,
de la villonie et des franches lipÃ©es; ce sont gens Ã tout faire pour ne rien faire, comme dit un naÃ¯f
conteur du moyen Ã¢ge; et un savant aussi distinguÃ© que modeste, M. Vaillant, auteur d'une Histoire
spÃ©ciale des Rom-Muni ou BohÃ©miens, dont nous citons ici quelques pages, bien qu'il leur donne une
grande importance dans l'histoire sacerdotale de l'ancien monde, n'en fait pas un portrait flattÃ©. Aussi nous
raconte-t-il comment ces protestants Ã©tranges des civilisations primitives, traversant les Ã¢ges avec une
malÃ©diction sur le front et la rapine dans les mains, ont excitÃ© d'abord la curiositÃ© puis la dÃ©fiance,
puis enfin la proscription et la haine des chrÃ©tiens du moyen Ã¢ge. On comprit combien pouvait Ãªtre
dangereux ce peuple sans patrie, parasite du monde entier et citoyen de nulle part; ces bÃ©douins qui
traversaient les empires comme des dÃ©serts, ces voleurs errants, et qui s'insinuaient partout sans se fixer
jamais. Aussi bientÃ´t devinrent-ils pour le peuple, des sorciers, [321] des dÃ©mons mÃªme, des jeteurs de
sorts, des enleveurs d'enfants, et il y avait du vrai dans tout cela; on les accusa partout de cÃ©lÃ©brer en
secret d'affreux mystÃ¨res. BientÃ´t la rumeur devient gÃ©nÃ©rale, on les fait responsables de tous les
meurtres ignorÃ©s, de tous les enlÃ¨vements mystÃ©rieux; comme les Grecs de Damas accusÃ¨rent les Juifs
d'avoir tuÃ© un des leurs pour en boire le sang; et l'on assure qu'ils prÃ©fÃ¨rent les jeunes garÃ§ons et les
jeunes filles de douze Ã quinze ans. C'est sans doute un sÃ»r moyen de les faire prendre en horreur et
d'Ã©loigner d'eux la jeunesse; mais ce moyen est odieux; car le peuple et l'enfant ne sont que trop crÃ©dules,
et la peur engendrant la haine, il en naÃ®t la persÃ©cution. Ainsi, c'en est fait! non-seulement on les Ã©vite,
on les fuit, mais on leur refuse le feu et l'eau; l'Europe est devenue pour eux les Indes, et tout chrÃ©tien s'est
fait contre eux un Brahmane. En certains pays, si quelque jeune fille, en ayant pitiÃ©, s'approche de l'un d'eux
pour lui mettre dans la main une piÃ¨ce de monnaie: Â«Prenez garde, ma mie, lui crie la gouvernante
Ã©perdue, c'est un Katkaon, un ogre qui viendra vous sucer le sang cette nuit pendant votre sommeil;Â» et la
jeune fille recule en frissonnant; si quelque jeune garÃ§on passe assez prÃ¨s d'eux pour que son ombre se
dessine sur la muraille auprÃ¨s de laquelle ils sont assis, oÃ¹ toute une famille mange ou se repose au soleil:

Â«Au large! enfant, lui crie son pÃ©dagogue, ces StrigoÃ¯ (vampires) vont prendre votre ombre; et votre
Ã¢me ira danser avec eux le sabbat toute l'Ã©ternitÃ©.Â» C'est ainsi que la haine du chrÃ©tien ressuscite
contre eux les lÃ©mures et les farfadets, les vampires et les ogres; et chacun de gloser sur [322] leur
compte.--Ne seraient-ce pas, dit l'un, les descendants de ce MambrÃ¨s qui osa rivaliser de miracle avec
MoÃ¯se? Ne sont-ils pas envoyÃ©s par le roi d'Egypte pour inspecter par le monde les enfants d'IsraÃ«l et
leur rendre leur sort pÃ©nible?--Je croirais, dit un autre, que ce sont les bourreaux dont s'est servi HÃ©rode
pour exterminer les nouveau-nÃ©s de BethlÃ©em.--Vous vous trompez, dit un troisiÃ¨me, ces paÃ¯ens
n'entendent pas un mot d'Ã©gyptien, leur langue en renferme, au contraire, beaucoup d'hÃ©breux. Ce ne sont
donc que les impurs rejetons de cette race abjecte qui dormait en JudÃ©e dans les sÃ©pulcres aprÃ¨s avoir
dÃ©vorÃ© les cadavres qu'ils renfermaient.--Erreur! erreur! s'Ã©crie un quatriÃ¨me: ce sont tout bonnement
ces mÃ©crÃ©ants de Juifs eux-mÃªmes que l'on a torturÃ©s, chassÃ©s et brÃ»lÃ©s en 1348, pour avoir
empoisonnÃ© nos puits et nos citernes, et qui reviennent pour recommencer.--Eh! qu'importe? ajoute le
dernier, Ãgyptiens ou Juifs, EssÃ©niens ou Chusiens, Pharaoniens ou Caphtoriens, Balistari d'Assyrie ou
Philistins de Kanaan, ce sont des renÃ©gats, ils l'ont dit en Saxe, en France, partout, il faut les pendre et les
brÃ»ler.Â»
Note 16: (retour) Borrew.
BientÃ´t on enveloppe dans leur proscription ce livre Ã©trange qui leur sert Ã consulter le sort et Ã rendre
des oracles. Ces cartons bariolÃ©s de figures incomprÃ©hensibles et qui sont (on ne s'en doute pas) le
rÃ©sumÃ© monumental de toutes les rÃ©vÃ©lations de l'ancien monde, la clef des hiÃ©roglyphes
Ã©gyptiens, les clavicules de Salomon, les Ã©critures primitives d'HÃ©noch et d'HermÃ¨s. Ici l'auteur que
nous venons de citer, fait preuve d'une sagacitÃ© singuliÃ¨re, il parle du tarot en homme qui ne le comprend
pas encore parfaitement, mais qui l'a profondÃ©ment Ã©tudiÃ©; aussi voyons ce qu'il en dit:
[323]Â«La forme, la disposition, l'arrangement de ces tablettes et les figures qu'elles reprÃ©sentent, bien que
diversement modifiÃ©es par le temps, sont si manifestement allÃ©goriques, et les allÃ©gories en sont si
conformes Ã la doctrine civile, philosophique et religieuse de l'antiquitÃ©, qu'on ne peut s'empÃªcher de les
reconnaÃ®tre pour la synthÃ¨se de tout ce qui faisait la foi des anciens peuples. Par tout ce qui prÃ©cÃ¨de,
nous avons suffisamment donnÃ© Ã entendre qu'il est une dÃ©duction du livre sidÃ©ral d'HÃ©noch qui est
HÃ©nochia; qu'il est modelÃ© sur la roue astrale d'Athor, qui est Astaroth; que, semblable Ã l'ot-tara
indien, ours polaire ou arc-tura du Septentrion, il est la force majeure (tarie) sur laquelle s'appuient la
soliditÃ© du monde et le firmament sidÃ©ral de la terre; que, consÃ©quemment, comme l'ours polaire dont
on a fait le char du soleil, le chariot de David et d'Arthur, il est, l'heur grec, le destin chinois, le hasard
Ã©gyptien, le sort des RÃ´mes; et qu'en tournant sans cesse autour de l'ours du pÃ´le, les astres dÃ©roulent
Ã la terre le faste et le nÃ©faste, la lumiÃ¨re et l'ombre, le chaud et le froid, d'oÃ¹ dÃ©coulent le bien et le
mal, l'amour et la haine qui font le bonheur et le malheur des hommes.
Â«Si l'origine de ce livre se perd dans la nuit des temps, au point que l'on ne sache ni oÃ¹ ni quand il fut
inventÃ©, tout porte Ã croire qu'il est d'origine indo-tartare et que, diversement modifiÃ© par les anciens
peuples, selon les nuances de leurs doctrines et le caractÃ¨re de leurs sages, il Ã©tait un des livres de leurs
sciences occultes, et peut-Ãªtre mÃªme l'un de leurs livres sybillins. Nous avons suffisamment fait entrevoir la
route [324] qu'il a pu tenir pour arriver jusqu'Ã nous; nous avons vu qu'il avait dÃ» Ãªtre connu des Romains,
et qu'il avait pu leur Ãªtre apportÃ© non-seulement aux premiers jours de l'empire, mais dÃ©jÃ mÃªme
dÃ¨s les premiers temps de la rÃ©publique, par ces nombreux Ã©trangers qui, venus d'Orient et initiÃ©s aux
mystÃ¨res de Bacchus et d'Isis, apportÃ¨rent leur science aux hÃ©ritiers de Numa.Â»
M. Vaillant ne dit pas que les quatre signes hiÃ©roglyphiques du tarot, les bÃ¢tons, les coupes, les
Ã©pÃ©es et les deniers ou cycles d'or, se trouvent dans HomÃ¨re, sculptÃ©s sur le bouclier d'Achille, mais
suivant lui:

Â«Les coupes Ã©galent les arcs ou arches du temps, les vases ou vaisseaux du ciel.
Â«Les deniers Ã©galent les astres, les sidÃ¨res, les Ã©toiles; les Ã©pÃ©es Ã©galent les feux, les flammes,
les rayons; les bÃ¢tons Ã©galent les ombres, les pierres, les arbres, les plantes.
Â«L'as de coupe est le vase de l'univers, arche de la vÃ©ritÃ© du ciel, principe de la terre.
Â«L'as de denier est le soleil, oeil unique du monde, aliment et Ã©lÃ©ment de la vie.
Â«L'as d'Ã©pÃ©e est la lance de Mars, source de guerres, de malheurs, de victoires.
Â«L'as de bÃ¢ton est l'oeil du serpent, la houlette du pÃ¢tre, l'aiguillon du bouvier, la massue d'Hercule,
l'emblÃ¨me de l'agriculture.
Â«Le 2 de coupe est la vache, io ou isis, et le boeuf apis ou mnevis.
Â«Le 3 de coupe est isis, la lune, dame et reine de la nuit.
Â«Le 3 de denier est osiris, le soleil, seigneur et roi du jour.
[325]Â»Le 9 de denier est le messager Mercure ou l'ange Gabriel.
Â»Le 9 de coupe est la gestation du bon destin, d'oÃ¹ naÃ®t le bonheur.Â»
Â»Enfin, nous dit M. Vaillant, il existe un tableau chinois composÃ© de caractÃ¨res qui forment de grands
compartiments en carrÃ© long, tous Ã©gaux, et prÃ©cisÃ©ment de la mÃªme grandeur que les cartes du
tarot. Ces compartiments sont distribuÃ©s en six colonnes perpendiculaires, dont les cinq premiÃ¨res
renferment quatorze compartiments chacune, en tout soixante et dix; tandis que la sixiÃ¨me qui n'est remplie
qu'Ã moitiÃ©, n'en contient que sept. D'ailleurs, ce tableau est formÃ© d'aprÃ¨s la mÃªme combinaison du
nombre 7; chaque colonne pleine est de 2 fois 7 = 14, et celle qui ne l'est qu'Ã demi en contient sept. Il
ressemble si bien au tarot, que les quatre couleurs du tarot emplissent ses quatre premiÃ¨res colonnes; que de
ses 21 atouts 14 emplissent la cinquiÃ¨me colonne, et les 7 autres atouts la sixiÃ¨me. Cette sixiÃ¨me colonne
des 7 atouts est donc celle des six jours de la semaine de crÃ©ation. Or, selon les Chinois, ce tableau remonte
aux premiers Ã¢ges de leur empire, au dessÃ¨chement des eaux du dÃ©luge par Iao; on peut donc conclure
qu'il est ou l'original ou la copie du tarot, et, dans tous les cas, que le tarot est antÃ©rieur Ã MoÃ¯se, qu'il
remonte Ã l'origine des siÃ¨cles, Ã l'Ã©poque de la confection du Zodiaque, et consÃ©quemment qu'il
compte 6,600 ans d'existence 17.
Note 17: (retour) Pour tout ce qui est du tarot, voir Court de Gebelin, 1 vol. in-8, et le Dogme
et rituel de la haute magie, par Ãliphas LÃ©vi. 1856, 2 vol. in-8, avec 23 figures.
[326]Â»Tel est ce tarot des RÃ´mes, dont par antilogie les HÃ©breux ont fait la torah ou loi de JÃ©hova.
Loin d'Ãªtre alors un jeu, comme aujourd'hui, il Ã©tait un livre, un livre sÃ©rieux, le livre des symboles et
des emblÃ¨mes, des analogies ou des rapports des astres et des hommes, le livre du destin, Ã l'aide duquel le
sorcier dÃ©voilait les mystÃ¨res du sort. Ses figures, leurs noms, leur nombre, les sorts qu'on en tirait, en
firent naturellement, pour les chrÃ©tiens, l'instrument d'un art diabolique, d'une oeuvre de magie; aussi
conÃ§oit-on avec quelle rigueur ils durent le proscrire dÃ¨s qu'il leur fut connu par les abus de confiance que
l'indiscrÃ©tion des Sagi commettait sur la crÃ©dulitÃ© publique. C'est alors que, la foi en sa parole se
perdant, le tarot devint jeu, et que ses tablettes se modifiÃ¨rent selon le goÃ»t des peuples et l'esprit du
siÃ¨cle. C'est de ce jeu des tarots que sont issues nos cartes Ã jouer, dont les combinaisons sont aussi
infÃ©rieures Ã celles du tarot que le jeu de dames l'est au jeu d'Ã©checs. C'est donc Ã tort que l'on fixe

l'origine des cartes modernes au rÃ¨gne de Charles VI; car dÃ¨s 1332, les initiÃ©s Ã l'ordre de la bande,
Ã©tabli par Alphonse XI, roi de Castille, faisaient dÃ©jÃ serment de ne pas jouer aux cartes. Sous Charles
V, dit le Sage, saint Bernard de Sienne condamnait au feu les cartes, dites alors triomphales, du jeu de
triomphe que l'on jouait dÃ©jÃ en l'honneur du triomphateur Osiris ou Ormuzd, l'une des cartes du tarot;
d'ailleurs, ce roi lui-mÃªme les proscrivait, en 1369, et le petit Jean de SaintrÃ© ne fut honorÃ© de ses
faveurs que parce qu'il n'y jouait pas.
Â»Alors on les appelait, en Espagne, naÃ¯pes, et mieux, en Italie, naÃ¯bi, parce que les naÃ¯bi sont les
diablesses, les sybilles, les pythonisses.Â»
[327]M. Vaillant, que nous venons de laisser parler, suppose donc que le tarot a Ã©tÃ© modifiÃ© et
changÃ©, ce qui est vrai pour les tarots allemands Ã figures chinoises: mais ce qui n'est vrai ni pour les tarots
italiens qui sont seulement altÃ©rÃ©s dans quelques dÃ©tails, ni pour les tarots de BesanÃ§on, dans
lesquels on retrouve encore des traces des hiÃ©roglyphes Ã©gyptiens primitifs. Nous avons dit, dans notre
Dogme et Rituel de la haute magie, combien furent malencontreux les travaux d'Etteilla ou d'Alliette sur le
tarot. Ce coiffeur illuminÃ© n'ayant rÃ©ussi, aprÃ¨s trente ans de combinaisons, qu'Ã crÃ©er un tarot
bÃ¢tard dont les clefs sont interverties, dont les nombres ne s'accordent plus avec les signes, un tarot, en un
mot, Ã la convenance d'Etteilla et Ã la mesure de son intelligence qui Ã©tait loin d'Ãªtre merveilleuse.
Nous ne croyons pas, avec M. Vaillant, que les bohÃ©miens fussent les propriÃ©taires lÃ©gitimes de cette
clef des initiations. Ils la devaient sans doute Ã l'infidÃ©litÃ© ou Ã l'imprudence de quelque kabbaliste juif.
Les bohÃ©miens sont originaires de l'Inde, leur historien l'a prouvÃ© avec assez de vraisemblance. Or, le
tarot que nous avons encore et qui est celui des bohÃ©miens, est venu de l'Ãgypte en passant par la JudÃ©e.
Les clefs de ce tarot, en effet, se rapportent aux lettres de l'alphabet hÃ©braÃ¯que, et quelques-unes des
figures reproduisent mÃªme la forme des caractÃ¨res de cet alphabet sacrÃ©.
Qu'Ã©tait-ce donc que ces bohÃ©miens? C'Ã©tait, comme l'a dit le poÃ¨te:
Le reste immonde
D'un ancien monde;
c'Ã©tait une secte de gnostiques indiens que leur communisme [328] exilait de toute la terre. C'Ã©taient,
comme ils le disaient presque eux-mÃªmes, des profanateurs du grand arcane, livrÃ©s Ã une malÃ©diction
fatale. Troupeau Ã©garÃ© par quelque faquir enthousiaste, ils s'Ã©taient faits voyageurs sur la terre,
protestant contre toutes les civilisations au nom d'un prÃ©tendu droit naturel qui les dispensait presque de
tout devoir. Or, le droit qui veut s'imposer en s'affranchissant du devoir, c'est l'agression, c'est le pillage, c'est
la rapine, c'est le bras de CaÃ¯n levÃ© contre son frÃ¨re, et la sociÃ©tÃ© qui se dÃ©fend semble venger la
mort d'Abel.
En 1840, des ouvriers du faubourg Saint-Antoine, las, disaient-ils, d'Ãªtre trompÃ©s par les journalistes et de
servir d'instruments aux ambitions des beaux parleurs, rÃ©solurent de fonder eux-mÃªmes et de rÃ©diger un
journal d'un radicalisme pur et d'une logique sans faux-fuyants et sans ambages.
Ils se rÃ©unirent donc et tinrent conseil pour Ã©tablir carrÃ©ment leurs doctrines; ils prenaient pour base la
devise rÃ©publicaine: libertÃ©, Ã©galitÃ© et le reste. La libertÃ© leur semblait impossible avec le devoir
de travailler, l'Ã©galitÃ© avec le droit d'acquÃ©rir, et ils conclurent au communisme. Mais l'un d'eux fit
observer que dans le communisme les plus intelligents prÃ©sideraient au partage et se feraient la part du lion.
Il fut donc arrÃªtÃ© que personne n'aurait droit Ã la supÃ©rioritÃ© intellectuelle. Quelqu'un remarqua que
la beautÃ© physique mÃªme constitue une aristocratie, et l'on dÃ©crÃ©ta l'Ã©galitÃ© de la laideur. Puis,
comme on s'attache Ã la terre en la cultivant, il fut dÃ©cidÃ© que les vrais communistes ne pouvant Ãªtre

[329] agriculteurs, n'ayant que le monde pour patrie et l'humanitÃ© pour famille, ils devaient s'organiser en
caravanes et faire Ã©ternellement le tour du monde. Ce que nous racontons ici n'est pas une parabole, nous
avons connu les personnages prÃ©sents Ã cette dÃ©libÃ©ration, nous avons lu le premier numÃ©ro de
leur journal intitulÃ© l'Humanitaire, qui fut poursuivi et supprimÃ© en 1841 (voir les procÃ¨s de presse de
cette Ã©poque). Si ce journal eÃ»t pu continuer, si la secte naissante eÃ»t recrutÃ© des adeptes, comme
faisait alors mÃªme l'ancien procureur Cabet pour l'Ã©migration icarienne, une nouvelle bande de
bohÃ©miens se fÃ»t organisÃ©e et la truanderie errante compterait un peuple de plus.
CHAPITRE III.
LÃGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE.

SOMMAIRE.--Ses travaux, son grand art, pourquoi on l'appelle le Docteur illuminÃ©.--Ses thÃ©ories en
philosophie hermÃ©tique.--La magie chez les Arabes.--IdÃ©es de Raymond Lulle sur l'AntÃ©christ et sur la
science universelle.
L'Ãglise, comme nous l'avons dit, avait proscrit l'initiation en haine des profanations de la gnose. Quand
Mahomet arma dans l'Orient le fanatisme contre la foi, Ã la piÃ©tÃ© qui ignore et qui prie, il vint opposer la
crÃ©dulitÃ© sauvage qui combat. Ses successeurs prirent pied dans l'Europe et menacÃ¨rent bientÃ´t de
l'envahir. Â«La Providence nous chÃ¢tie, disaient les chrÃ©tiens;Â» et les musulmans rÃ©pondaient: Â«La
fatalitÃ© est pour nous.Â»
[330]Les juifs kabbalistes, qui craignaient d'Ãªtre brÃ»lÃ©s comme sorciers dans les pays catholiques, se
rÃ©fugiÃ¨rent prÃ¨s des Arabes qui Ã©taient Ã leurs yeux des hÃ©rÃ©tiques, mais non pas des
idolÃ¢tres. Ils en admirent quelques-uns Ã la connaissance des mystÃ¨res, et l'islamisme, dÃ©jÃ
triomphant par la force, put aspirer bientÃ´t Ã triompher aussi par la science de ceux que l'Arabie lettrÃ©e
appelait avec dÃ©dain les Barbares de l'Occident.
Le gÃ©nie de la France avait opposÃ© aux envahissements de la force les coups de son marteau terrible. Un
doigt gantÃ© de fer avait tracÃ© une ligne devant la marÃ©e montante des armÃ©es mahomÃ©tanes, et la
grande voix de la victoire avait criÃ© au flot: Tu n'iras pas plus loin.
Le gÃ©nie de la science suscita Raymond Lulle qui revendiqua pour le Sauveur, fils de David, l'hÃ©ritage de
Salomon, et qui appela pour la premiÃ¨re fois les enfants de la croyance aveugle aux splendeurs de la
connaissance universelle.
Il faut voir avec quel mÃ©pris parlent encore de ce grand homme les faux savants et les faux sages! Mais
aussi l'instinct populaire l'a vengÃ©. Le roman et la lÃ©gende se sont emparÃ©s de son histoire. On nous le
reprÃ©sente amoureux comme Abailard, initiÃ© comme Faust, alchimiste comme HermÃ¨s, pÃ©nitent et
savant comme saint JÃ©rÃ´me, voyageur comme le Juif errant, pieux et illuminÃ© comme saint FranÃ§ois
d'Assises, martyr enfin comme saint Etienne, et glorieux dans la mort comme le Sauveur du monde.
CommenÃ§ons par le roman; c'est un des plus touchants et des plus beaux que nous connaissions: Un jour de
dimanche de l'annÃ©e 1250, [331] Ã Palma, dans l'Ile de Majorque, une dame sage et belle, nommÃ©e
Ambrosia di Castello, native de GÃªnes, se rendait Ã l'Ã©glise.
CHAPITRE III. 181

Un cavalier de haute mine et richement vÃªtu passait dans la rue; il voit la dame, il s'arrÃªte comme
foudroyÃ©; elle entre dans l'Ã©glise et va disparaÃ®tre dans l'ombre du porche. Le cavalier, sans savoir ce
qu'il fait, lance son cheval et entre aprÃ¨s elle au milieu des fidÃ¨les effrayÃ©s: grande rumeur et grand
scandale. Le cavalier est connu; c'est le seigneur Raymond Lulle, sÃ©nÃ©chal des Ãles et maire du palais: il
a une femme et trois enfants; deux fils, l'un, nommÃ© Raymond comme lui; l'autre, Guillaume, et une fille
nommÃ©e Madeleine. Madame Ambrosia di Castello est Ã©galement mariÃ©e et jouit, de plus, d'une
rÃ©putation sans tache. Raymond Lulle passait alors pour un grand sÃ©ducteur. Son entrÃ©e Ã©questre
dans l'Ã©glise de Palma fit grand bruit dans la ville. Ambrosia, toute confuse, consulta son mari qui Ã©tait
sans doute un homme sage et qui ne trouva pas que sa femme fÃ»t offensÃ©e parce que sa beautÃ© avait
tournÃ© la tÃªte d'un jeune et brillant seigneur; mais il conseilla Ã Ambrosia de guÃ©rir son fol adorateur
par la folie mÃªme dont elle Ã©tait cause. DÃ©jÃ Raymond Lulle avait Ã©crit Ã la dame pour s'excuser
ou pour s'accuser davantage. Â«Ce qu'elle lui avait inspirÃ©, disait-il, Ã©tait Ã©trange, surhumain, fatal: il
respectait son honneur, ses affections qu'il savait appartenir Ã un autre. Mais il Ã©tait touchÃ© de la foudre,
il lui fallait des dÃ©vouements, des sacrifices Ã faire, des miracles Ã accomplir, des pÃ©nitences de stylite,
des prouesses de chevalier errant.Â»
Ambrosia lui rÃ©pondit:
[332]Â«Pour rÃ©pondre Ã un amour que vous dites surhumain, il me faudrait une existence immortelle.
Â»Il faudrait que cet amour hÃ©roÃ¯quement et pleinement sacrifiÃ© Ã notre devoir pendant toute la vie
des Ãªtres qui nous sont chers (et je dÃ©sire qu'elle soit longue), pÃ»t crÃ©er une Ã©ternitÃ© pour nous au
moment oÃ¹ Dieu et le monde nous permettraient de nous aimer.
Â»On dit qu'il existe un Ã©lixir de vie; tÃ¢chez de le trouver, et quand vous serez sÃ»r de votre
dÃ©couverte, venez me voir.
Â»Jusque-lÃ , vivez pour votre femme et vos enfants, comme je vivrai pour mon mari que j'aime, et si vous
me rencontrez dans la rue, ne me reconnaissez mÃªme pas.Â»
C'Ã©tait un congÃ© gracieux qui remettait, comme on le voit, notre amoureux aux calendes grecques; mais il
ne l'entendit pas ainsi, et, Ã partir de ce jour, le brillant seigneur disparut pour faire place Ã un sombre et
grave alchimiste. Don Juan Ã©tait devenu Faust. Des annÃ©es se passÃ¨rent. La femme de Raymond Lulle
mourut, Ambrosia di Castello, Ã son tour, fut veuve; mais l'alchimiste semblait l'avoir oubliÃ©e pour ne
s'occuper plus que du grand oeuvre.
Un jour, enfin, la veuve Ã©tant seule, on lui annonce Raymond Lulle: elle voit entrer un vieillard pÃ¢le et
chauve qui tenait Ã la main une fiole pleine d'un Ã©lixir rouge comme le feu; il s'avance en chancelant et la
cherche des yeux: elle est devant lui et il ne la reconnaÃ®t pas, car dans sa pensÃ©e elle est toujours jeune et
belle comme dans l'Ã©glise de Palma. Â«C'est moi, dit-elle enfin, que me voulez-vous?Â» A l'accent de cette
voix, l'alchimiste tressaille, il la reconnaÃ®t, il croit la voir jeune [333] encore, il se jette Ã ses pieds, et, lui
tendant la fiole avec dÃ©lire: Â«Tenez, dit-il, prenez, buvez, c'est la vie. J'ai mis lÃ -dedans trente ans de la
mienne, mais je l'ai essayÃ©, j'en suis sÃ»r, c'est l'Ã©lixir d'immortalitÃ©!
--Comment l'avez-vous essayÃ©? dit Ambrosia avec un triste sourire.
--Depuis deux mois, dit Raymond, aprÃ¨s avoir bu une quantitÃ© d'Ã©lixir pareille Ã celle-lÃ , je me suis
abstenu de toute nourriture. La faim m'a tordu les entrailles, mais non-seulement je ne suis pas mort, je puis
dire que je sens en moi plus de vie et plus de force que jamais.
LÃGENDE ET HISTOIRE DE RAYMOND LULLE. 182

--Je vous crois, dit Ambrosia, mais cet Ã©lixir qui conserve la vie ne fait pas revenir la jeunesse, mon pauvre
ami, regardez-vous,Â» et elle lui prÃ©sentait un miroir.
Raymond Lulle recula. Jamais, depuis trente ans, il n'avait songÃ© Ã se regarder.
Â«Maintenant, Raymond, regardez-moi, dit Ambrosia en dÃ©couvrant ses cheveux blancs; puis, dÃ©tachant
l'agrafe de sa robe, elle lui montra son sein qui avait Ã©tÃ© presque entiÃ¨rement rongÃ© par un cancer:
Est-ce cela, ajouta-t-elle, que vous voulez immortaliser?Â»
Puis, voyant l'alchimiste consternÃ©:
Â«Ãcoutez-moi, dit-elle, depuis trente ans je vous aime et je ne veux pas vous condamner Ã la prison
perpÃ©tuelle dans le corps d'un vieillard; ne me condamnez pas, Ã votre tour. Faites-moi grÃ¢ce de cette
mort qu'on nomme la vie. Laissez-moi me transformer pour revivre, retrempons-nous dans la jeunesse
Ã©ternelle. Je ne veux pas de votre Ã©lixir qui prolonge la nuit de la tombe, j'aspire Ã l'immortalitÃ©.Â»
[334]Raymond Lulle jeta alors Ã terre la fiole qui se brisa.
Â«Je vous dÃ©livre, dit-il, et je reste en prison pour vous. Vivez dans l'immortalitÃ© du ciel, moi, je suis
condamnÃ© pour jamais Ã la mort vivante de la terre.Â»
Puis, cachant son visage dans ses mains, il s'enfuit en fondant en larmes.
Quelques mois aprÃ¨s, un moine de l'ordre de saint FranÃ§ois assistait Ambrosia di Castello Ã ses derniers
moments: ce moine, c'Ã©tait Raymond Lulle. Ici, le roman se termine et la lÃ©gende va commencer.
Cette lÃ©gende ne faisant qu'un seul homme des trois ou quatre Raymond Lulle qui ont existÃ© Ã
diffÃ©rentes Ã©poques, donne Ã l'alchimiste repentant plusieurs siÃ¨cles d'existence et d'expiation. Le jour
oÃ¹ naturellement le pauvre adepte devait mourir, il ressentait toutes les angoisses de l'agonie, puis, dans une
crise suprÃªme, il sentait la vie le reprendre, comme le vautour de PromÃ©thÃ©e reprenait son festin
renaissant. Le Sauveur du monde, qui dÃ©jÃ lui tendait la main, rentrait tristement dans le ciel qui se
refermait, et Raymond Lulle se retrouvait sur la terre sans espoir de jamais mourir.
Il se mit Ã prier et dÃ©voua son existence aux bonnes oeuvres; Dieu lui accordait toutes ses grÃ¢ces
exceptÃ© la mort, et que faire des autres sans celle-lÃ qui doit les complÃ©ter et les couronner toutes? Un
jour l'arbre de la science lui apparut chargÃ© de ses fruits lumineux; il comprit l'Ãªtre et ses harmonies, il
devina la kabbale, il jeta les bases et traÃ§a le plan d'une science universelle, et depuis ce temps on ne l'appela
plus que le docteur illuminÃ©.
[335]Il avait trouvÃ© la gloire. Cette fatale rÃ©compense du travail que Dieu dans sa misÃ©ricorde n'envoie
guÃ¨re aux grands hommes qu'aprÃ¨s leur mort parce qu'elle enivre et empoisonne les vivants. Mais
Raymond Lulle qui n'avait pu mourir pour lui faire place devait craindre encore de la voir mourir avant lui, et
cette gloire ne lui semblait Ãªtre qu'une dÃ©rision de son immortelle infortune.
Il savait faire de l'or et il pouvait acheter le monde et tous ses monuments sans pouvoir s'assurer la jouissance
d'un seul tombeau.
C'Ã©tait le pauvre de l'immortalitÃ©. Partout il allait mendiant la mort et personne ne pouvait la lui donner.
Il avait pris corps Ã corps la philosophie des Arabes, il luttait victorieusement contre l'islamisme et avait tout
Ã redouter du fanatisme des sectaires; tout Ã redouter, c'est-Ã -dire peut-Ãªtre quelque chose Ã espÃ©rer,

et ce qu'il espÃ©rait, c'Ã©tait la mort.
Il prit pour domestique un jeune Arabe des plus fanatiques et se posa devant lui en flÃ©au de la doctrine de
Mahomet. L'arabe assassina son maÃ®tre, c'Ã©tait ce que Raymond Lulle attendait, mais il n'en mourut pas
comme il l'avait espÃ©rÃ©, ne put obtenir la grÃ¢ce de son assassin et eut un remords sur la conscience au
lieu de la dÃ©livrance et de la paix.
A peine guÃ©ri de ses blessures, il s'embarque et part pour Tunis; il y prÃªche publiquement le christianisme,
mais le bey admirant sa science et son courage le dÃ©fend contre la fureur du peuple et le fait embarquer
avec tous ses livres. Raymond Lulle revient, prÃªche Ã BÃńe, Ã Bougie et dans d'autres villes d'Afrique;
les musulmans stupÃ©faits n'osent mettre la main sur lui. Il retourne [336] enfin Ã Tunis, et amassant le
peuple dans les rues, il s'Ã©crie qu'il a Ã©tÃ© dÃ©jÃ chassÃ© du pays, mais qu'il y revient afin de
confondre les dogmes impies de Mahomet et de mourir pour JÃ©sus-Christ. Cette fois toute protection est
impossible, le peuple furieux le poursuit, c'est une vÃ©ritable sÃ©dition; il fuit pour les exciter davantage, il
est dÃ©jÃ brisÃ© de coups, inondÃ© de sang, couvert de blessures, et il vit toujours. Il tombe enfin
littÃ©ralement enseveli sous une montagne de pierres.
La nuit suivante, deux marchands gÃ©nois, nommÃ©s Etienne Colon et Louis de Pastorga, passant en pleine
mer, virent une grande lumiÃ¨re s'Ã©lever du port de Tunis. Ils s'approchÃ¨rent et virent un monceau de
pierres qui projetait au loin cette miraculeuse splendeur; ils cherchÃ¨rent sous ces pierres et y trouvÃ¨rent
Raymond Lulle brisÃ© et vivant, ils l'embarquÃ¨rent sur leur vaisseau et le ramenÃ¨rent Ã Majorque, sa
patrie. Mais en vue de cette Ã®le le martyr expira enfin, Dieu l'avait dÃ©livrÃ© par un miracle et sa
pÃ©nitence Ã©tait accomplie.
Telle est l'odyssÃ©e du Raymond Lulle fabuleux: venons maintenant aux rÃ©alitÃ©s historiques.
Raymond Lulle le philosophe et l'adepte, celui qui mÃ©rita le surnom de docteur illuminÃ©, Ã©tait le fils de
ce sÃ©nÃ©chal de Majorque, cÃ©lÃ¨bre par sa passion malheureuse pour Ambrosia di Castello. Il ne
composa pas l'Ã©lixir d'immortalitÃ©, mais il fit de l'or en Angleterre pour le roi Edouard III; cet or fut
appelÃ© l'or de Raymond, et il en existe encore des piÃ¨ces fort rares Ã la vÃ©ritÃ©, que les curieux
nomment des raymondines.
M. Louis Figuier suppose que ces raymondines sont les nobles Ã la [337] rose, frappÃ©s sous le rÃ¨gne
d'Edouard III, et avance assez lÃ©gÃ¨rement peut-Ãªtre que l'alchimie de Raymond Lulle n'Ã©tait qu'une
sophistication de l'or, difficile Ã reconnaÃ®tre dans un temps ou les procÃ©dÃ©s chimiques Ã©taient
beaucoup moins perfectionnÃ©s que de nos jours. Ce savant n'en reconnaÃ®t pas moins la valeur
scientifique de Raymond Lulle, et voici comment il le juge (Doctrine et travaux des alchimistes, p. 82):
Â«Raymond Lulle, dont le gÃ©nie s'exerÃ§a dans toutes les branches des connaissances humaines, et qui
exposa dans son livre, Ars magna, tout un vaste systÃ¨me de philosophie rÃ©sumant les principes
encyclopÃ©diques de la science de son temps, ne pouvait manquer de laisser aux chimistes un utile
hÃ©ritage. Il perfectionna et dÃ©crivit avec soin divers composÃ©s qui sont trÃ¨s en usage en chimie. C'est
Ã lui que nous devons la prÃ©paration du carbonate de potasse au moyen du tartre et au moyen des cendres
du bois, la rectification de l'esprit de vin, la prÃ©paration des huiles essentielles, la coupellation de l'argent et
la prÃ©paration du mercure doux.Â»
D'autres savants, convaincus de la puretÃ© de l'or des nobles Ã la rose, ont pensÃ© que la chimie pratique
ayant, au moyen Ã¢ge, des procÃ©dÃ©s fort imparfaits, les transmutations de Raymond Lulle et des autres
adeptes n'Ã©taient autre chose que la sÃ©paration de l'or cachÃ© dans les mines d'argent, et purifiÃ© au
moyen de l'antimoine, qui est dÃ©signÃ© en effet par un grand nombre de symboles hermÃ©tiques, comme
l'Ã©lÃ©ment efficient et principal de la poudre de projection.

Nous conviendrons avec eux que la chimie n'existait pas au moyen Ã¢ge, et nous ajouterons qu'elle fut
crÃ©Ã©e par les adeptes ou [338] plutÃ´t que les adeptes, gardant pour eux les secrets de la synthÃ¨se, ce
trÃ©sor des sanctuaires magiques, enseignÃ¨rent Ã leurs contemporains quelques-uns des procÃ©dÃ©s de
l'analyse, procÃ©dÃ©s qui ont Ã©tÃ© perfectionnÃ©s depuis, mais qui n'ont pas encore conduit nos
savants Ã retrouver cette antique synthÃ¨se qui est Ã proprement parler la philosophie hermÃ©tique.
Raymond Lulle a renfermÃ© dans son testament philosophique tous les principes de cette science, mais d'une
maniÃ¨re voilÃ©e, comme c'Ã©tait l'usage et le devoir de tous les adeptes: aussi composa-t-il une clef de ce
testament, puis une clef de la clef, c'est-Ã -dire un codicille qui est, selon nous, le plus important de ses
Ã©crits sur l'alchimie. Les principes qu'on y trouve et les procÃ©dÃ©s qui y sont exposÃ©s n'ont rien de
commun avec la sophistication des mÃ©taux purs, ni avec la sÃ©paration des alliages. C'est une thÃ©orie
conforme aux principes de Geber et d'Arnauld de Villeneuve pour la pratique, et aux plus hautes conceptions
de la kabbale pour la doctrine. Les esprits sÃ©rieux qui ne se laissent pas dÃ©courager par le discrÃ©dit oÃ¹
l'ignorance fait parfois tomber les grandes choses, doivent, pour continuer aprÃ¨s les plus puissants gÃ©nies
de l'ancien monde la recherche de l'absolu, Ã©tudier d'abord et mÃ©diter kabbalistiquement le codicille de
Raymond Lulle.
Toute la vie de ce merveilleux adepte, le premier initiÃ© aprÃ¨s saint Jean qui ait Ã©tÃ© vouÃ© Ã
l'apostolat hiÃ©rarchique de la sainte orthodoxie, toute sa vie, disons-nous, se passa en fondations pieuses, en
prÃ©dications, en travaux scientifiques immenses. Ainsi, l'an 1276 il fonda Ã Palma un collÃ¨ge de
franciscains vouÃ©s Ã l'Ã©tude des langues orientales et surtout de [339] la langue arabe, avec la mission
spÃ©ciale de rÃ©futer les livres des docteurs mahomÃ©tans, et de prÃªcher aux Maures la foi chrÃ©tienne.
Jean XXI confirma cette institution par un bref datÃ© de Viterbe, le 16 des calendes de dÃ©cembre, la
premiÃ¨re annÃ©e de son pontificat.
Depuis l'an 1293 jusqu'Ã l'an 1311, il sollicite et obtient du pape Nicolas IV et des rois de France, de Sicile,
de Chypre, de Majorque, l'Ã©tablissement de plusieurs collÃ¨ges pour l'Ã©tude des langues. Partout il
enseigne son grand art qui est une synthÃ¨se universelle des connaissances humaines, et qui a pour but
d'amener les hommes Ã n'avoir plus qu'une seule langue comme ils n'auront qu'une pensÃ©e. Il vient Ã
Paris, et en Ã©merveille les plus savants docteurs; puis il va en Espagne, s'arrÃªte Ã Complute, et y fonde
une acadÃ©mie centrale pour l'Ã©tude des langues et des sciences; il rÃ©forme plusieurs couvents, voyage
en Italie et recrute des soldats pour un nouvel ordre militaire dont il sollicite l'institution Ã ce mÃªme concile
de Vienne qui condamne les templiers. C'est la science catholique, c'est la vraie initiation de saint Jean qui
veut reprendre Ã des mains infidÃ¨les le glaive dÃ©fenseur du temple. Les grands de la terre se moquent du
pauvre Raymond Lulle, et font malgrÃ© eux tout ce qu'il dÃ©sire. Cet illuminÃ© qu'on appelle par
dÃ©rision Raymond le fantastique, semble Ãªtre le pape des papes et le roi des rois: il est pauvre comme Job,
et il fait l'aumÃńe aux souverains; on le dit fou, et il confond les sages. Le plus grand politique du temps, le
cardinal XimenÃ¨s, esprit aussi vaste que sÃ©rieux, ne parle de lui qu'en l'appelant le divin Raymond Lulle et
le docteur trÃ¨s illuminÃ©. Il mourut, suivant GÃ©nÃ©brard, en 1314, ou [340] en 1315, suivant l'auteur de
la prÃ©face des MÃ©ditations de l'ermite Blaquerne. Il Ã©tait Ã¢gÃ© de quatre-vingts ans, et la fin de sa
laborieuse et sainte existence arriva le jour de la fÃªte et du martyre des apÃ´tres saint Pierre et saint Paul.
Disciple des grands kabbalistes, Raymond Lulle voulait Ã©tablir une philosophie universelle et absolue, en
substituant aux abstractions conventionnelles des systÃ¨mes la notion fixe des rÃ©alitÃ©s de la nature, et
aux termes ambigus de la scholastique, un verbe simple et naturel. Il reprochait aux dÃ©finitions des savants
de son temps d'Ã©terniser les disputes par leurs inexactitudes et leurs amphibologies. L'homme est un animal
raisonnable, dit Aristote; l'homme n'est pas un animal, peut-on rÃ©pondre, et il est rarement raisonnable. De
plus, animal et raisonnable sont deux termes qui ne sauraient s'accorder. Un fou, selon vous, ne serait pas un
homme, etc. Raymond Lulle dÃ©finit les choses par leur nom mÃªme et non par des synonymes ou des Ã
peu prÃ¨s; puis il explique les noms par l'Ã©tymologie. Ainsi Ã cette question: qu'est-ce que l'homme? il
rÃ©pondra: ce mot, pris dans une acception gÃ©nÃ©rale, signifie la condition humaine; pris dans une

acception particuliÃ¨re, il dÃ©signe la personne humaine. Mais qu'est-ce que la personne humaine?
--Originairement, c'est la personne que Dieu a faite en donnant un souffle de vie Ã un corps tirÃ© de la terre
(humus); actuellement, c'est vous, c'est moi, c'est Pierre, c'est Paul, etc. Les gens habituÃ©s au jargon
scientifique vont alors se rÃ©crier et diront au docteur illuminÃ© que tout le monde en pourrait dire autant,
qu'il raisonne comme un enfant; qu'avec cette mÃ©thode tout le monde serait savant, et qu'on prÃ©fÃ©rerait
[341] le bon sens des gens du peuple Ã toute la doctrine des acadÃ©mies: c'est bien ce que je veux,
rÃ©pondrait simplement Raymond Lulle. De lÃ le reproche de puÃ©rilitÃ© adressÃ© Ã toute la thÃ©orie
savante de Raymond Lulle, et elle Ã©tait puÃ©rile en effet, puÃ©rile comme la morale de celui qui a dit: si
vous ne devenez semblables Ã des petits enfants, vous n'entrerez jamais dans le royaume du ciel. Le royaume
du ciel, n'est-ce pas aussi le royaume de la science, puisque toute la vie cÃ©leste des hommes et de Dieu n'est
qu'intelligence et amour!
Raymond Lulle voulait opposer la kabbale devenue chrÃ©tienne Ã la magie fataliste des Arabes, les
traditions de l'Ãgypte Ã celles de l'Inde, la magie de lumiÃ¨re Ã la magie noire; il disait que dans les
derniers temps, les doctrines de l'AntÃ©christ seraient un rÃ©alisme matÃ©rialisÃ©, et qu'alors
ressusciteraient toutes les monstruositÃ©s de la mauvaise magie; il prÃ©parait donc les esprits au retour
d'HÃ©noch, c'est-Ã -dire Ã la rÃ©vÃ©lation derniÃ¨re de cette science, dont la clef est dans les alphabets
hiÃ©roglyphiques d'HÃ©noch, et dont la lumiÃ¨re conciliatrice de la raison et de la foi prÃ©cÃ©dera le
rÃ¨gne messianique et universel du christianisme sur la terre. Pour les vrais kabbalistes et les voyants, cet
homme Ã©tait donc un grand prophÃ¨te, et pour les sceptiques qui savent du moins respecter les grands
caractÃ¨res et les hautes aspirations, c'Ã©tait un sublime rÃªveur.
[342]
CHAPITRE IV.
ALCHIMISTES.
SOMMAIRE.--Flamel, TrithÃ©me, Agrippa, Guillaume Postel et Paracelse.
Flamel appartient exclusivement Ã l'alchimie, aussi ne ferons-nous mention de lui que pour parler de ce livre
hiÃ©roglyphique d'Abraham le juif, dans lequel l'Ã©crivain de la rue Saint-Jacques-la-Boucherie trouva les
clefs absolues du grand oeuvre.
Ce livre Ã©tait combinÃ© sur les clefs du Tarot et n'Ã©tait qu'un commentaire
hiÃ©roglyphico-hermÃ©tique du Sepher JÃ©zirah. Nous voyons, en effet, dans la description qu'en fait
Flamel, que les feuillets Ã©taient au nombre de vingt et un, soit vingt-deux avec le titre, et qu'ils se divisaient
en trois septÃ©naires, avec une feuille sans Ã©criture Ã chaque septiÃ¨me page.
Remarquons que l'Apocalypse, ce sublime rÃ©sumÃ© kabbalistique et prophÃ©tique de toutes les figures
occultes, partage aussi ses images en trois septÃ©naires, aprÃ¨s chacun desquels il se fait un silence dans le
ciel, analogie frappante avec la feuille non Ã©crite du livre mystique de Flamel.
Les septÃ©naires de l'Apocalypse sont d'abord sept sceaux Ã ouvrir, c'est-Ã -dire sept mystÃ¨res Ã
connaÃ®tre et sept difficultÃ©s Ã vaincre; sept trompettes Ã sonner, c'est-Ã -dire sept paroles Ã
comprendre, et sept coupes Ã verser, c'est-Ã -dire sept substances Ã volatiliser et Ã fixer.
CHAPITRE IV. 186

[343]Dans le livre de Flamel, le premier septiÃ¨me feuillet porte pour hiÃ©roglyphe la verge de MoÃ¯se
triomphante des serpents projetÃ©s par les enchanteurs de Pharaon et qui s'entre-dÃ©vorent, figure analogue
au triomphateur du Tarot attelant Ã son char cubique les sphinx blanc et noir de la magie Ã©gyptienne.
Cette figure correspond au septiÃ¨me dogme du symbole de MaÃ¯monides: Nous n'avons qu'un prophÃ¨te, et
c'est MoÃ¯se.
Elle reprÃ©sente l'unitÃ© de la science et de l'oeuvre; elle reprÃ©sente aussi le mercure des sages qui se
forme par la dissolution des mixtes et par Faction rÃ©ciproque du soufre et du sel des mÃ©taux.
La figure du second septÃ©naire Ã©tait la reprÃ©sentation du serpent d'airain fixÃ© sur une croix. La croix
reprÃ©sente le mariage du soufre et du sel purifiÃ©s, et la condensation de la lumiÃ¨re astrale; le nombre 14
du Tarot reprÃ©sente un ange, c'est-Ã -dire l'esprit de la terre mÃªlant ensemble les liquides d'un vase d'or et
d'un vase d'argent. C'est donc le mÃªme symbole figurÃ© d'une autre maniÃ¨re.
Au dernier septÃ©naire du livre de Flamel, on voyait le dÃ©sert, des fontaines et des serpents qui couraient
de tous cÃ´tÃ©s, image de l'espace et de la vie universelle. Dans le Tarot, l'espace est figurÃ© par les quatre
signes des points cardinaux du ciel, et la vie par une jeune fille nue qui court dans un cercle. Flamel ne dit pas
ALCHIMISTES. 187
le nombre des fontaines et des serpents. Il pouvait y avoir quatre fontaines jaillissant d'une mÃªme source,
comme dans le pantacle Ã©dÃ©nique, avec quatre, sept, neuf ou dix serpents.
[344]Au quatriÃ¨me feuillet, on voyait le Temps prÃªt Ã trancher les pieds Ã Mercure. PrÃ¨s de lÃ Ã©tait
un rosier fleuri dont la racine Ã©tait bleue, la tige blanche, les feuilles rouges et les fleurs d'or. Le nombre
quatre est celui de la rÃ©alisation Ã©lÃ©mentaire: le Temps, c'est le nitre atmosphÃ©rique; sa faux, c'est
l'acide qu'on en peut faire et qui fixe le mercure en le transformant en sel; le rosier, c'est l'oeuvre avec ses trois
couleurs successives: c'est le magistÃ¨re au noir, au blanc et au rouge qui fait germer et fleurir l'or.
Au cinquiÃ¨me feuillet (le nombre cinq est celui du grand mystÃ¨re), on voyait au pied du rosier fleuri des
aveugles fouiller la terre pour y chercher le grand agent qui est partout; quelques-uns, plus avisÃ©s, pesaient
une eau blanche semblable Ã de l'air Ã©paissi; au revers de la page on voyait le massacre des Innocents et le
soleil et la lune qui venaient se baigner dans leur sang. Cette allÃ©gorie, qui exprime en effet le grand secret
de l'art hermÃ©tique, se rapporte Ã cet art de prendre l'air dans l'air comme dit AristÃ©e, ou, pour parler
une langue intelligible, d'employer l'air comme force en le dilatant au moyen de la lumiÃ¨re astrale, comme
on dilate l'eau en vapeur par l'action du feu, ce qui peut se faire Ã l'aide de l'Ã©lectricitÃ©, des aimants et
d'une projection puissante de la volontÃ© de l'opÃ©rateur dirigÃ©e par la science et le bon vouloir. Le sang
des enfants reprÃ©sente cette lumiÃ¨re essentielle que le feu philosophique extrait des corps
Ã©lÃ©mentaires et dans laquelle le soleil et la lune viennent se baigner, c'est-Ã -dire que l'argent s'y teint en
or et que l'or y acquiert un degrÃ© de puretÃ© qui en transforme le soufre en vÃ©ritable poudre de
projection.
Nous ne faisons pas ici un traitÃ© d'alchimie, bien que cette [345] science soit rÃ©ellement la haute magie
mise en oeuvre, nous en rÃ©servons pour d'autres ouvrages plus spÃ©ciaux et plus Ã©tendus les
rÃ©vÃ©lations et les merveilles.
La tradition populaire assure que Flamel n'est pas mort et qu'il a enterrÃ© un trÃ©sor sous la tour
Saint-Jacques-la-Boucherie. Ce trÃ©sor contenu dans un coffre de cÃ¨dre revÃªtu de lames des sept
mÃ©taux, ne serait autre chose, disent les adeptes illuminÃ©s, que l'exemplaire original du fameux livre
d'Abraham le juif, avec ses explications Ã©crites de la main de Flamel, et des Ã©chantillons de la poudre de
projection suffisants pour changer l'OcÃ©an en or si l'OcÃ©an Ã©tait du mercure.
AprÃ¨s Flamel vinrent Bernard le TrÃ©visan, Basile Valentin et d'autres alchimistes cÃ©lÃ¨bres. Les douze
clefs de Basile Valentin sont Ã la fois kabbalistiques, magiques et hermÃ©tiques. Puis en 1480 parut Jean
TrithÃªme qui fut le maÃ®tre de CornÃ©lius Agrippa et le plus grand magicien dogmatique du moyen Ã¢ge.
TrithÃªme Ã©tait un abbÃ© de l'ordre de saint BenoÃ®t, d'une irrÃ©prochable orthodoxie et de la conduite
la plus rÃ©guliÃ¨re. Il n'eut pas l'imprudence d'Ã©crire ouvertement sur la philosophie occulte comme son
disciple l'aventureux Agrippa; tous ses travaux magiques roulent sur l'art de cacher les mystÃ¨res; quant Ã sa
doctrine, il l'a exprimÃ©e par un pantacle, suivant l'usage des vrais adeptes. Ce pantacle, extrÃªmement rare,
se trouve seulement dans quelques exemplaires manuscrits du TraitÃ© des causes secondes. Un gentilhomme
polonais qui est un esprit Ã©levÃ© et un noble coeur, M. le comte Alexandre Branistki, en possÃ¨de un
curieux exemplaire qu'il a bien voulu nous communiquer.
[346] Ce pantacle est composÃ© de deux triangles unis par la base, l'un blanc et l'autre noir; sous la pointe du
triangle noir est couchÃ© un fou qui redresse pÃ©niblement la tÃªte et regarde avec une grimace d'effroi
dans l'obscuritÃ© du triangle oÃ¹ se reflÃ¨te sa propre image; sur la pointe du triangle blanc s'appuie un
homme dans la force de l'Ã¢ge, vÃªtu en chevalier, ayant le regard ferme et l'attitude d'un commandement
fort et paisible. Dans le triangle blanc sont tracÃ©s les caractÃ¨res du tÃ©tragramme divin.
On pourrait expliquer ce pantacle par cette lÃ©gende: Â«Le sage s'appuie sur la crainte du vrai Dieu,
l'insensÃ© est Ã©crasÃ© par la peur d'un faux dieu fait Ã son image. C'est lÃ le sens naturel et
ALCHIMISTES. 188
exotÃ©rique de l'emblÃ¨me; mais en le mÃ©ditant dans son ensemble et dans chacune de ses parties, les
adeptes y trouveront le dernier mot de la kabbale, la formule indicible du grand arcane: la distinction entre les
miracles et les prodiges, le secret des apparitions, la thÃ©orie universelle du magnÃ©tisme et la science de
tous les mystÃ¨res.
TrithÃªme a composÃ© une histoire de la magie toute en pantacles, sous ce titre: Veterum sophorum sigilla et
imagines magicÃ¦; puis dans sa stÃ©ganographie et dans sa polygraphie il donne la clef de toutes les
Ã©critures occultes et explique en termes voilÃ©s la science rÃ©elle des incantations et des Ã©vocations.
TrithÃªme est en magie le maÃ®tre des maÃ®tres, et nous n'hÃ©sitons pas Ã le proclamer le plus sage et le
plus savant des adeptes.
Il n'en est pas de mÃªme de CornÃ©lius Agrippa, qui fut toute sa vie un chercheur et qui ne trouva ni la vraie
science ni la paix. Les livres d'Agrippa sont pleins d'Ã©rudition et de hardiesse; il [347] Ã©tait lui-mÃªme
d'un caractÃ¨re fantasque et indÃ©pendant, aussi passa-t-il pour un abominable sorcier et fut-il
persÃ©cutÃ© par le clergÃ© et par les princes; il Ã©crivit enfin contre les sciences qui n'avaient pu lui
donner le bonheur, et il mourut dans la misÃ¨re et dans l'abandon.
Nous arrivons enfin Ã la douce et bonne figure de ce savant et sublime Postel qu'on ne connaÃ®t que par son
trop mystique amour pour une vieille fille illuminÃ©e. Il y a pourtant dans Postel toute autre chose que le
disciple de la mÃ¨re Jeanne; mais les esprits vulgaires sont si heureux de dÃ©nigrer pour se dispenser
d'apprendre, qu'ils ne voudront jamais y rien voir de mieux. Ce n'est donc pas Ã ceux-lÃ que nous allons
rÃ©vÃ©ler le gÃ©nie de Guillaume Postel.
Postel Ã©tait le fils d'un pauvre paysan des environs de Barenton en Normandie: Ã force de
persÃ©vÃ©rance et de sacrifices il parvint Ã s'instruire et devint bientÃ´t le plus savant homme de son
temps; la pauvretÃ© l'accompagna toujours et la misÃ¨re mÃªme le forÃ§a parfois de vendre ses livres.
Postel, toujours plein de rÃ©signation et de mansuÃ©tude, travaillait comme un homme de peine pour
gagner un morceau de pain et revenait ensuite Ã©tudier: il apprit toutes les langues connues et toutes les
sciences de son temps; il dÃ©couvrit des manuscrits prÃ©cieux et rares, entre autres les Ãvangiles
apocryphes et le Sepher Jezirah; il s'initia lui-mÃªme aux mystÃ¨res de la haute kabbale et dans sa naÃ¯ve
admiration pour cette vÃ©ritÃ© absolue, pour cette raison suprÃªme de toutes les philosophies et de tous les
dogmes, il voulut la rÃ©vÃ©ler au monde. Il parla donc ouvertement la langue des mystÃ¨res, Ã©crivit un
livre ayant pour titre: La clef des choses [348] cachÃ©es depuis le commencement du monde. Il adressa ce
livre aux PÃ¨res du concile de Trente en les conjurant d'entrer dans la voie de la conciliation et de la
synthÃ¨se universelle. Personne ne le comprit, quelques-uns l'accusÃ¨rent d'hÃ©rÃ©sie, les plus
modÃ©rÃ©s se contentÃ¨rent de dire qu'il Ã©tait fou.
La TrinitÃ©, disait-il, a fait l'homme Ã son image et Ã sa ressemblance. Le corps humain est double et son
unitÃ© ternaire se compose de l'union des deux moitiÃ©s; l'Ã¢me humaine aussi est double: elle est animus
et anima, elle est esprit et tendresse; elle a deux sexes, le sexe paternel siÃ¨ge dans la tÃªte, le sexe maternel
dans le coeur; l'accomplissement de la rÃ©demption doit donc Ãªtre double dans l'humanitÃ©: il faut que
l'esprit par sa puretÃ© rachÃ¨te les Ã©garements du coeur, puis il faut que le coeur par sa gÃ©nÃ©rositÃ©
rachÃ¨te les sÃ©cheresses Ã©goÃ¯stes de la tÃªte. Le christianisme, ajoutait-il, n'a encore Ã©tÃ© compris
que par les tÃªtes raisonneuses, il n'est pas descendu jusqu'aux coeurs. Le Verbe s'est fait homme, mais c'est
quand il se sera fait femme que le monde sera sauvÃ©. C'est le gÃ©nie maternel de la religion qui apprendra
aux hommes les sublimes grandeurs de l'esprit de charitÃ©, et alors la raison se conciliera avec la foi parce
qu'elle comprendra, expliquera et gouvernera les saintes folies du dÃ©vouement.
Voyez maintenant, ajoutait-il, de quoi se compose la religion du plus grand nombre des chrÃ©tiens: une
partialitÃ© ignorante et persÃ©cutrice, un entÃªtement superstitieux et stupide, et surtout la peur, la lÃ¢che
peur! Et pourquoi cela? Parce qu'ils n'ont pas des coeurs de femme, parce qu'ils ne sentent pas les divins
ALCHIMISTES. 189
enthousiasmes de l'amour maternel qui leur expliqueraient la [349] religion tout entiÃ¨re. La puissance qui
s'est emparÃ©e de leur cerveau et qui lie leur esprit, ce n'est pas le Dieu bon, intelligent et longanime, c'est le
mÃ©chant et sot et couard Satanas, ils ont bien plus de peur du diable que d'amour pour Dieu. Ce sont des
cervelles glacÃ©es et rÃ©trÃ©cies placÃ©es comme des tombeaux sur des coeurs morts. Oh! quand la
grÃ¢ce ressuscitera les coeurs, quel rÃ©veil pour les intelligences! quelle renaissance pour la raison! quel
triomphe pour la vÃ©ritÃ©! Pourquoi suis-je le premier et presque le seul Ã le comprendre? Que peut faire
un ressuscitÃ© seul parmi des morts qui ne peuvent encore rien entendre! Vienne donc, vienne cet esprit
maternel qui m'est apparu Ã Venise dans l'Ã¢me d'une vierge inspirÃ©e de Dieu, et qu'il apprenne aux
femmes du nouveau monde leur mission rÃ©demptrice et leur apostolat de saint et spirituel amour!
Ces nobles inspirations, Postel les devait en effet Ã une pieuse fille nommÃ©e Jeanne, qu'il avait connue Ã
Venise; il fut le confident spirituel de cette Ã¢me d'Ã©lite et fut entraÃ®nÃ© dans le courant de poÃ©sie
mystique qui tourbillonnait autour d'elle. Lorsqu'il lui donnait la communion, il la voyait rayonnante et
transfigurÃ©e, elle avait alors plus de cinquante ans, et le pauvre pÃ¨re avoue naÃ¯vement qu'il ne lui en
eÃ»t pas donnÃ© quinze, tant la sympathie de leurs coeurs la transfigurait Ã ses yeux. Etranges
Ã©garements de l'amour dans deux Ã¢mes pures, mariage mystique de deux virginitÃ©s, puÃ©rilitÃ©s
lyriques, cÃ©lestes hallucinations; pour comprendre tout cela il faut avoir vÃ©cu de la vie ascÃ©tique. C'est
elle, disait l'enthousiaste, c'est l'esprit de JÃ©sus-Christ vivant en elle qui doit rÃ©gÃ©nÃ©rer le [350]
monde. Cette lumiÃ¨re du coeur qui doit chasser de tous les esprits le spectre hideux de Satan, ce n'est pas une
chimÃ¨re de mes rÃªves, je l'ai vue, elle a paru dans le monde, elle s'est incarnÃ©e dans une vierge, et j'ai
saluÃ© en elle la mÃ¨re du monde Ã venir! Nous analysons ici Postel plutÃ´t que nous ne le traduisons,
mais l'abrÃ©gÃ© rapide que nous donnons de ses sentiments et de son langage ne suffit-il pas pour faire
comprendre que tout cela Ã©tait dit au figurÃ© et que suivant la judicieuse remarque du savant jÃ©suite
Desbillons, dans sa notice sur la vie et les ouvrages de Postel, rien n'Ã©tait plus loin de sa pensÃ©e que de
faire, comme on l'a prÃ©tendu, une seconde incarnation et une divinitÃ© de cette pauvre soeur hospitaliÃ¨re
qui l'avait uniquement sÃ©duit par l'Ã©clat de ses humbles vertus. Nous croyons bien sincÃ¨rement que les
calomniateurs et les railleurs du bon Postel ne valaient pas la mÃ¨re Jeanne.
Les relations mystiques de Postel et de cette religieuse durÃ¨rent environ cinq ans, aprÃ¨s lesquels la mÃ¨re
Jeanne mourut. Elle avait promis Ã son confesseur de ne jamais se sÃ©parer de lui et de l'assister quand elle
serait dÃ©gagÃ©e des chaÃ®nes de la vie prÃ©sente. Â«Elle m'a tenu parole, dit Postel, elle est venue
depuis me visiter Ã Paris, elle m'a illuminÃ© de sa lumiÃ¨re, elle a conciliÃ© ma raison avec ma foy. Sa
substance et corps spirituel, deux ans depuis son ascension au ciel, est descendu en moy, et s'est partout mon
corps sensiblement estendu, tellement que c'est elle et non pas moy qui vit en moy.Â»
Depuis cette Ã©poque, Postel ne s'appela jamais plus autrement que le ressuscitÃ©, il signait Postellus
restitutus, et de fait un singulier phÃ©nomÃ¨ne s'accomplit en lui, ses cheveux de blancs [351] qu'ils
Ã©taient redevinrent noirs, ses rides s'effacÃ¨rent et la couleur vermeille de la jeunesse se rÃ©pandit sur son
visage, pÃ¢li et extÃ©nuÃ© par les austÃ©ritÃ©s et les veilles; ses biographes moqueurs prÃ©tendent qu'il
se teignait les cheveux, et qu'il se fardait: comme si ce n'Ã©tait pas assez d'en avoir fait un fou, ils veulent
encore qu'un homme d'un si noble et si gÃ©nÃ©reux caractÃ¨re ait Ã©tÃ© un jongleur et un charlatan.
Il y a quelque chose de plus prodigieux que l'Ã©loquente dÃ©raison des coeurs enthousiastes, c'est la bÃªtise
ou la mauvaise foi des esprits sceptiques et froids qui les jugent.
Â«On s'est imaginÃ©, Ã©crit le pÃ¨re Desbillons, et je vois qu'on croit encore aujourd'hui, que la
rÃ©gÃ©nÃ©ration, qu'il suppose avoir Ã©tÃ© faite par la mÃ¨re Jeanne, est le fondement de son
systÃ¨me; le systÃ¨me dont il ne s'est jamais dÃ©parti, si ce n'est peut-Ãªtre quelques annÃ©es avant sa
mort, subsistait en entier avant qu'il eÃ»t entendu parler de cette mÃ¨re Jeanne. Il s'Ã©tait mis dans la tÃªte
que le rÃ¨gne Ã©vangÃ©lique de JÃ©sus-Christ, Ã©tabli par les apÃ´tres, ne pouvait plus ni se soutenir
parmi les chrÃ©tiens, ni se propager parmi les infidÃ¨les, que par les lumiÃ¨res de la raison.... A ce principe,
ALCHIMISTES. 190
qui le regardait personnellement, il en joignait un autre qui consistait dans la destination d'un roi de France Ã
la monarchie universelle, il fallait lui prÃ©parer les voies par la conquÃªte des coeurs et la conviction des
esprits, afin qu'il n'y eÃ»t plus dans le monde qu'une seule croyance, et que JÃ©sus-Christ y rÃ©gnÃ¢t par
un seul roi, par une seule loi et une seule foi.Â»
VoilÃ ce qui prouve, suivant le pÃ¨re Desbillons, que Postel Ã©tait fou.
[352]Fou, pour avoir pensÃ© que la religion doit rÃ©gner sur les esprits par la raison suprÃªme de son
dogme, et que la monarchie, pour Ãªtre forte et durable, doit enchaÃ®ner les coeurs par les conquÃªtes de la
prospÃ©ritÃ© publique de la paix.
Fou, pour avoir cru Ã l'avÃ¨nement du rÃ¨gne de celui Ã qui nous demandons tous les jours que son rÃ¨gne
arrive.
Fou, parce qu'il croyait Ã la raison et Ã la justice sur la terre!...
Eh bien, ils disent vrai: le pauvre Postel Ã©tait fou.
La preuve de sa folie, c'est qu'il Ã©crivit, comme nous l'avons dit, aux pÃ¨res du concile de Trente, pour les
supplier de bÃ©nir tout le monde et de ne lancer d'anathÃ¨mes contre personne.
Autre folie; il essaya de convertir les jÃ©suites Ã ses idÃ©es, et de leur faire prÃªcher la concorde
universelle entre les hommes, la paix entre les souverains, la raison aux prÃªtres et la bontÃ© aux princes de
ce monde.
Enfin, derniÃ¨re et suprÃªme folie, il nÃ©gligea les biens de la terre et la faveur des grands, vÃ©cut toujours
humblement et pauvrement, ne possÃ©da jamais rien que sa science et ses livres, et n'ambitionna jamais autre
chose que la vÃ©ritÃ© et la justice.
Dieu fasse paix Ã l'Ã¢me du pauvre Guillaume Postel!
Il Ã©tait si doux et si bon, que ses supÃ©rieurs ecclÃ©siastiques eurent pitiÃ© de lui, et pensant
probablement, comme on l'a dit plus tard de La Fontaine, qu'il Ã©tait plus bÃªte que mÃ©chant, ils se
contentÃ¨rent de le renfermer dans un couvent pour le reste de ses jours. Postel les remercia du calme qu'ils
procuraient ainsi Ã la fin de sa vie et mourut paisiblement en rÃ©tractant tout ce [353] que ses supÃ©rieurs
voulurent. L'homme de la concorde universelle ne pouvait Ãªtre un anarchiste, et avant toute chose c'Ã©tait le
plus sincÃ¨re des catholiques et le plus humble des chrÃ©tiens.
On retrouvera un jour les ouvrages de Postel, et on les lira avec Ã©tonnement.
Passons Ã un autre fou, celui-ci s'appelle ThÃ©ophraste AurÃ©ole Bombast, et on le connaÃ®t dans le
monde magique sous le nom cÃ©lÃ¨bre de Paracelse.
Nous ne rÃ©pÃ©terons pas ce que nous avons dit de ce maÃ®tre dans notre dogme et rituel de la haute
magie, nous ajouterons seulement quelques remarques sur la mÃ©decine occulte dont Paracelse fut le
rÃ©novateur.
Cette mÃ©decine vraiment universelle repose sur une vaste thÃ©orie de la lumiÃ¨re, que les adeptes
nomment l'or fluide ou potable. La lumiÃ¨re, cet agent crÃ©ateur, dont les vibrations donnent Ã toutes
choses le mouvement et la vie; la lumiÃ¨re latente dans l'Ã©ther universel, rayonnante autour des centres
absorbants, qui s'Ã©tant saturÃ©s de lumiÃ¨re projettent Ã leur tour le mouvement et la vie, et forment ainsi
ALCHIMISTES. 191
des courants crÃ©ateurs; la lumiÃ¨re astralisÃ©e dans les astres, animalisÃ©e dans les animaux,
humanisÃ©e dans les hommes; la lumiÃ¨re qui vÃ©gÃ¨te dans les plantes, qui brille dans les mÃ©taux, qui
produit toutes les formes de la nature, et les Ã©quilibre toutes par les lois de la sympathie universelle, c'est
cette lumiÃ¨re qui produit les phÃ©nomÃ¨nes du magnÃ©tisme devinÃ©s par Paracelse, c'est elle qui colore
le sang en se dÃ©gageant de l'air, aspirÃ© et renvoyÃ© par le soufflet hermÃ©tique des poumons; le sang
alors devient un vÃ©ritable Ã©lixir de vie oÃ¹ des globules [354] vermeils et aimantÃ©s de lumiÃ¨re
vivante nagent dans un fluide lÃ©gÃ¨rement dorÃ©. Ces globules sont de vÃ©ritables semences prÃªtes Ã
prendre toutes les formes du monde dont le corps humain est l'abrÃ©gÃ©, ils peuvent se subtiliser et se
coaguler, renouvelant ainsi les esprits qui circulent dans les nerfs, et la chair qui s'affermit autour des os; ils
rayonnent au dehors ou plutÃ´t en se spiritualisant ils se laissent entraÃ®ner par les courants de la lumiÃ¨re,
et circulent dans le corps astral, ce corps intÃ©rieur et lumineux que l'imagination dilate chez les extatiques,
en sorte que leur sang va quelquefois colorer Ã distance des objets que leur corps astral pÃ©nÃ¨tre pour se
les identifier. Nous dÃ©montrerons dans un ouvrage spÃ©cial sur la mÃ©decine occulte, tout ce que nous
avanÃ§ons ici, quelque Ã©trange et quelque paradoxal que cela puisse paraÃ®tre d'abord aux hommes de
science. Telles Ã©taient les bases de la mÃ©decine de Paracelse, il guÃ©rissait par sympathie de lumiÃ¨re, il
appliquait les mÃ©dicaments non au corps extÃ©rieur et matÃ©riel qui est tout passif, et qu'on peut mÃªme
tailler et dÃ©chirer sans qu'il sente rien quand le corps astral se retire, mais Ã ce mÃ©dium intÃ©rieur, Ã
ce corps, principe des sensations dont il ravivait la quintessence par des quintessences sympathiques. Ainsi,
par exemple, il guÃ©rissait les blessures en appliquant de puissants rÃ©actifs au sang rÃ©pandu dont il
renvoyait vers le corps l'Ã¢me physique et la sÃ©ve purifiÃ©e. Pour guÃ©rir un membre malade, il faisait
un membre de cire auquel il attachait, par la puissance de sa volontÃ©, le magnÃ©tisme du membre malade;
il appliquait Ã cette cire le vitriol, le fer et le feu, et rÃ©agissait ainsi par l'imagination et la correspondance
magnÃ©tique sur le malade lui-mÃªme dont ce membre de cire Ã©tait devenu l'appendice et le [355]
supplÃ©ment. Paracelse connaissait LES MYSTÃRES DU SANG, il savait pourquoi les prÃªtres de Baal,
pour faire descendre le feu du ciel, se faisaient des incisions avec des couteaux; il savait pourquoi les
Orientaux qui veulent inspirer Ã une femme de l'amour physique, rÃ©pandent leur sang devant elle; il savait
comment le sang rÃ©pandu crie vengeance ou misÃ©ricorde et remplit l'air d'anges ou de dÃ©mons. C'est le
sang, en effet, qui est l'instrument des rÃªves, c'est lui qui fait abonder les images dans notre cerveau pendant
le sommeil, car le sang est plein de lumiÃ¨re astrale. Les globules en sont bisexuels, aimantÃ©s et ferrÃ©s,
sympathiques et rÃ©pulsifs. De l'Ã¢me physique du sang, on peut faire sortir toutes les formes et toutes les
images du monde... Lisons le rÃ©cit d'un voyageur estimÃ©:
Â«A Baroche, dit le voyageur Tavernier, les Anglais ont un fort beau logis, et je me souviens qu'y arrivant un
jour, en revenant d'Agra Ã Surate, avec le prÃ©sident des Anglais, il vint aussitÃ´t des charlatans lui
demander s'il voulait qu'ils lui montrassent quelques tours de leur mÃ©tier: ce qu'il eut la curiositÃ© de voir.
Â»La premiÃ¨re chose qu'ils firent fut d'allumer un grand feu, et de faire rougir des chaÃ®nes de fer dont ils
s'entortillÃ¨rent le corps, faisant semblant qu'ils en ressentaient quelque douleur, mais n'en recevant au fond
aucun dommage. Ensuite, ils prirent un petit morceau de bois, et, l'ayant plantÃ© en terre, ils demandÃ¨rent
Ã quelqu'un de la compagnie quel fruit il voulait avoir. On leur dit que l'on souhaitait des mangues, et alors
un de ces charlatans, se couvrant d'un linceul, s'accroupit contre [356] terre jusqu'Ã cinq ou six
reprises.--J'eus la curiositÃ© de monter Ã une chambre pour voir d'en haut par une ouverture du linceul, ce
que cet homme faisait, et j'aperÃ§us que, se coupant la chair sous les aisselles avec un rasoir, il frottait de son
sang le morceau de bois. A chaque fois qu'il se relevait, le bois croissait a vue d'oeil, et, Ã la troisiÃ¨me, il en
sortit des branches avec des bourgeons. A la quatriÃ¨me fois, l'arbre fut couvert de feuilles, et, Ã la
cinquiÃ¨me, on lui vit des fleurs.
Â»Le prÃ©sident des Anglais avait alors son ministre avec lui, l'ayant menÃ© Ã Amadabat pour baptiser un
enfant du Commandeur hollandais, et dont il avait Ã©tÃ© priÃ© d'Ãªtre le parrain; car il faut remarquer que
les Hollandais ne tiennent point de ministres que dans les lieux oÃ¹ ils ont ensemble des marchands et des
soldats. Le ministre anglais avait protestÃ© d'abord qu'il ne pouvait consentir que des chrÃ©tiens assistassent
ALCHIMISTES. 192
Ã de semblables spectacles; et dÃ¨s qu'il eut vu que, d'un morceau de bois sec, ces gens-lÃ faisaient venir,
en moins d'une demi-heure, un arbre de quatre ou cinq pieds de haut, avec des feuilles et des fleurs comme au
printemps, il se mit en devoir de l'aller rompre, et dit hautement qu'il ne donnerait jamais la communion Ã
aucun de ceux qui demeureraient davantage Ã voir ces choses. Cela obligea le prÃ©sident de congÃ©dier
ces charlatans.Â»
Le docteur Clever de Maldigny, Ã qui nous empruntons cette citation, regrette que les mangues se soient
arrÃªtÃ©es en si beau chemin, mais il n'entreprend pas d'expliquer le phÃ©nomÃ¨ne. Nous croyons que
c'Ã©tait une fascination par le magnÃ©tisme de la lumiÃ¨re rayonnante du sang; c'Ã©tait ce que nous avons
dÃ©fini ailleurs: un phÃ©nomÃ¨ne d'Ã©lectricitÃ© magnÃ©tisÃ©e, identique avec [357] celui qu'on
nomme palingÃ©nÃ©sie, et qui consiste Ã faire apparaÃ®tre une plante vivante dans un vase qui contient la
cendre de cette mÃªme plante morte depuis longtemps.
Tels Ã©taient les secrets que connaissait Paracelse, et c'est en employant aux usages de la mÃ©decine ces
forces cachÃ©es de la nature, qu'il se fit tant d'admirateurs et tant d'ennemis. Paracelse Ã©tait loin d'ailleurs
d'Ãªtre un bonhomme comme Postel, il Ã©tait naturellement agressif et batailleur; son gÃ©nie familier
Ã©tait cachÃ©, disait-il, dans le pommeau de sa grande Ã©pÃ©e, et il ne la quittait jamais. Sa vie fut une
lutte incessante; il voyageait, il disputait, il Ã©crivait, il enseignait. Il Ã©tait plus curieux de rÃ©sultats
physiques que de conquÃªtes morales, aussi fut-il le premier des magiciens opÃ©rateurs et le dernier des
sages adeptes. Sa philosophie Ã©tait toute de sagacitÃ©, aussi l'intitulait-il lui-mÃªme philosophia sagax. Il
a plus devinÃ© que personne sans avoir jamais rien su complÃ¨tement. Rien n'Ã©gale ses intuitions, si ce
n'est la tÃ©mÃ©ritÃ© de ses commentaires. C'Ã©tait l'homme des expÃ©riences hardies, il s'enivrait de ses
opinions et de sa parole, il s'enivrait mÃªme autrement, si l'on en croit ses chroniqueurs. Les Ã©crits qu'il a
laissÃ©s sont prÃ©cieux pour la science, mais il faut les lire avec prÃ©caution; on peut l'appeler le divin
Paracelse, en prenant cet adjectif dans le sens de divinateur, c'est un oracle, mais ce n'est pas un vrai
maÃ®tre; c'est comme mÃ©decin surtout qu'il est grand, puisqu'il avait trouvÃ© la mÃ©decine universelle:
il ne put toutefois conserver sa propre vie, et il mourut encore jeune, Ã©puisÃ© par ses travaux et par ses
excÃ¨s, laissant aprÃ¨s lui un nom d'une gloire fantastique et douteuse, fondÃ©e sur des [358] dÃ©couvertes
dont ses contemporains ne profitÃ¨rent pas. Il mourut sans avoir dit son dernier mot, et il est un de ces
personnages mystÃ©rieux dont on peut dire comme d'HÃ©noch et de saint Jean: Il n'est pas mort, et il
reviendra visiter la terre avant le dernier jour!
CHAPITRE V.
SORCIERS ET MAGICIENS CÃLÃBRES.

SOMMAIRE.--La Divine comÃ©die et le Roman de la rose.--La Renaissance.--DÃ©mÃªlÃ©s de Martin
Luther et du diable.--Catherine de MÃ©dicis.--Henri III et Jacques ClÃ©ment--Les rose-croix.--Henri
Kunrath.--Osvald Crollius.--Les alchimistes et les magiciens au commencement du XVIIe siÃ¨cle.
On a multipliÃ© les commentaires et les Ã©tudes sur l'oeuvre de Dante, et personne, que nous sachions, n'en
a signalÃ© le principal caractÃ¨re. L'oeuvre du grand Gibelin est une dÃ©claration de guerre Ã la papautÃ©
par la rÃ©vÃ©lation hardie des mystÃ¨res. L'Ã©popÃ©e de Dante est joannite et gnostique, c'est une
application hardie des figures et des nombres de la kabbale aux dogmes chrÃ©tiens, et une nÃ©gation
secrÃ¨te de tout ce qu'il y a d'absolu, dans ces dogmes; son voyage Ã travers les mondes surnaturels
s'accomplit comme l'initiation aux mystÃ¨res d'Ãleusis et de ThÃ¨bes. C'est Virgile qui le conduit et le
CHAPITRE V. 193
protÃ¨ge dans les cercles du nouveau Tartare, comme si Virgile, le tendre et mÃ©lancolique prophÃ¨te des
destinÃ©es du fils de Pollion, Ã©tait aux yeux du poÃ¨te florentin le pÃ¨re illÃ©gitime, mais vÃ©ritable de
[359] l'Ã©popÃ©e chrÃ©tienne. GrÃ¢ce au gÃ©nie paÃ¯en de Virgile, Dante Ã©chappe Ã ce gouffre sur
la porte duquel il avait lu une sentence de dÃ©sespoir, il y Ã©chappe en mettant sa tÃªte Ã la place de ses
pieds et ses pieds Ã la place de sa tÃªte, c'est-Ã -dire en prenant le contrepied du dogme, et alors il remonte
Ã la lumiÃ¨re en se servant du dÃ©mon lui-mÃªme comme d'une Ã©chelle monstrueuse; il Ã©chappe Ã
l'Ã©pouvante Ã force d'Ã©pouvante, Ã l'horrible Ã force d'horreur. L'enfer, semble-t-il dire, n'est une
impasse que pour ceux qui ne savent pas se retourner; il prend le diable Ã rebrousse-poil, s'il m'est permis
d'employer ici cette expression familiÃ¨re, et s'Ã©mancipe par son audace. C'est dÃ©jÃ le protestantisme
dÃ©passÃ©, et le poÃ¨te des ennemis de Rome a dÃ©jÃ devinÃ© Faust montant au ciel sur la tÃªte de
MÃ©phistophÃ©lÃ¨s vaincu. Remarquons aussi que l'enfer de Dante n'est qu'un purgatoire nÃ©gatif.
Expliquons-nous: son purgatoire semble s'Ãªtre formÃ© dans son enfer comme dans un moule, c'est le
couvercle et comme le bouchon du gouffre, et l'on comprend que le titan florentin en escaladant le paradis
voudrait jeter d'un coup de pied le purgatoire dans l'enfer.
Son ciel se compose d'une sÃ©rie de cercles kabbalistiques divisÃ©s par une croix comme le pantacle
d'ÃzÃ©chiel; au centre de cette croix fleurit une rose, et nous voyons apparaÃ®tre pour la premiÃ¨re fois
exposÃ© publiquement et presque catÃ©goriquement expliquÃ© le symbole des rose-croix.
Nous disons pour la premiÃ¨re fois, parce que Guillaume de Lorris, mort en 1260, cinq ans avant la naissance
d'Alighieri, n'avait pas achevÃ© son Roman de la rose, qui fut continuÃ© par Clopinel, [360] un
demi-siÃ¨cle plus tard. On ne dÃ©couvrira pas sans Ã©tonnement que le Roman de la rose et la Divine
comÃ©die sont les deux formes opposÃ©es d'une mÃªme oeuvre: l'initiation Ã l'indÃ©pendance de l'esprit,
la satire de toutes les institutions contemporaines et la formule allÃ©gorique des grands secrets de la
SociÃ©tÃ© des rose-croix.
Ces importantes manifestations de l'occultisme coÃ¯ncident avec l'Ã©poque de la chute des templiers,
puisque Jean de Meung ou Clopinel, contemporain de la vieillesse de Dante, florissait pendant ses plus belles
annÃ©es Ã la cour de Philippe le Bel. Le Roman de la rose est l'Ã©popÃ©e de la vieille France. C'est un
livre profond sous une forme lÃ©gÃ¨re, c'est une rÃ©vÃ©lation aussi savante que celle d'ApulÃ©e des
mystÃ¨res de l'occultisme. La rose de Flamel, celle de Jean de Meung et celle de Dante sont nÃ©es sur le
mÃªme rosier.
Dante avait trop de gÃ©nie pour Ãªtre un hÃ©rÃ©siarque.
Les grands hommes impriment Ã l'intelligence un mouvement qui se prouve plus tard par des actes dont
l'initiative appartient aux mÃ©diocritÃ©s remuantes. Dante n'a peut-Ãªtre jamais Ã©tÃ© lu, et n'eÃ»t
certainement jamais Ã©tÃ© compris par Luther. Cependant l'oeuvre des Gibelins fÃ©condÃ©e par la
puissante pensÃ©e du poÃ¨te, souleva lentement l'empire contre la papautÃ©, en se perpÃ©tuant sous divers
noms de siÃ¨cle en siÃ¨cle, et rendit enfin l'Allemagne protestante. Ce n'est certainement pas Luther qui a fait
la rÃ©forme, mais la rÃ©forme s'est emparÃ©e de Luther et l'a poussÃ© en avant. Ce moine aux Ã©paules
carrÃ©es n'avait que de l'entÃªtement et de l'audace, mais c'Ã©tait l'instrument qu'il fallait aux idÃ©es
rÃ©volutionnaires. Luther Ã©tait le Danton de la thÃ©ologie [361] anarchique; superstitieux et
tÃ©mÃ©raire, il se croyait obsÃ©dÃ© par le diable; le diable lui dictait des arguments contre l'Ãglise, le
diable le faisait raisonner, dÃ©raisonner et surtout Ã©crire. Ce gÃ©nie inspirateur de tous les CaÃ¯ns ne
demandait alors que de l'encre, bien sÃ»r qu'avec cette encre distillÃ©e par la plume de Luther, il ferait
bientÃ´t des flots de sang. Luther le sentait et il haÃ¯ssait le diable parce que c'Ã©tait encore un maÃ®tre; un
jour il lui lanÃ§a son Ã©critoire Ã la tÃªte comme s'il voulait le rassasier par cette violente libation. Luther
jetant son encrier Ã la tÃªte du diable, nous rappelle ce facÃ©tieux rÃ©gicide qui, en signant la mort de
Charles Ier, barbouilla d'encre ses complices.
SORCIERS ET MAGICIENS CÃLÃBRES. 194

Â«PlutÃ´t Turc que papiste!Â» c'Ã©tait la devise de Luther; et en effet le protestantisme n'est au fond,
comme l'islamisme, que le dÃ©isme pur organisÃ© en culte conventionnel, et n'en diffÃ¨re que par des restes
de catholicisme mal effacÃ©. Les protestants sont, au point de vue de la nÃ©gation du dogme catholique, des
musulmans avec quelques superstitions de plus et un prophÃ¨te de moins.
Les hommes renoncent plus volontiers Ã Dieu qu'au diable, les apostats de tous les temps l'ont assez
prouvÃ©. Les disciples de Luther, divisÃ©s bientÃ´t par l'anarchie, n'avaient plus entre eux qu'un lien de
croyance commune, ils croyaient tous Ã Satan, et ce spectre grandissant Ã mesure que leur esprit de
rÃ©volte les Ã©loignait de Dieu, arrivait Ã des proportions terribles. Carlostad, archidiacre de Wurtemberg,
Ã©tant un jour en chaire, vit entrer dans le temple un homme noir qui s'assit devant lui, et le regarda pendant
tout le temps de son sermon avec une fixitÃ© terrible; il se trouble, descend de chaire, interroge les [362]
assistants; personne n'a vu le fantÃ´me. Carlostad revient chez lui tout Ã©pouvantÃ©, le plus jeune de ses
fils vient au-devant de lui, et lui raconte qu'un inconnu vÃªtu de noir est venu le demander et a promis de
revenir dans trois jours. Plus de doute pour l'hallucinÃ©; le visiteur n'est autre que le spectre de la vision. La
frayeur lui donne la fiÃ¨vre, il se met au lit et meurt avant le troisiÃ¨me jour.
Ces malheureux sectaires avaient peur de leur ombre, leur conscience Ã©tait restÃ©e catholique et les
damnait impitoyablement. Luther se promenant un soir avec sa femme Catherine de Bora, regarda le ciel plein
d'Ã©toiles, et dit Ã demi-voix avec un profond soupir: Â«Beau ciel que je ne verrai jamais!Â»--Â«Eh quoi,
dit la femme, pensez-vous donc Ãªtre rÃ©prouvÃ©?Â»--Â«Qui sait, dit Luther, si Dieu ne nous punira pas
d'avoir Ã©tÃ© infidÃ¨les Ã nos voeux?Â» Peut-Ãªtre qu'alors si Catherine, en le voyant douter ainsi de
lui-mÃªme, l'eÃ»t abandonnÃ© en le maudissant, le rÃ©formateur, brisÃ© par cet avertissement divin, eÃ»t
reconnu combien il avait Ã©tÃ© criminel en trahissant l'Ãglise sa premiÃ¨re Ã©pouse, et eut tournÃ© des
yeux en larmes vers le cloÃ®tre qu'il avait lui-mÃªme abandonnÃ©! Mais Dieu qui rÃ©siste aux superbes,
ne le trouva pas digne sans doute de cette salutaire douleur. La comÃ©die sacrilÃ¨ge du mariage de Luther
avait Ã©tÃ© le chÃ¢timent providentiel de son orgueil, et comme il persÃ©vÃ©ra dans son pÃ©chÃ©, son
chÃ¢timent ne le quitta pas et le ridiculisa jusqu'Ã la fin. Il mourut entre le diable et sa femme, effrayÃ© de
l'un et fort embarrassÃ© de l'autre.
La corruption et la superstition s'accommodent bien ensemble. L'Ã©poque de la renaissance dÃ©bauchÃ©e,

persÃ©cutrice et crÃ©dule, ne [363] fut certes pas la renaissance de la raison. Catherine de MÃ©dicis Ã©tait
sorciÃ¨re, Charles IX consultait les nÃ©cromants, Henri III faisait des parties de dÃ©votion et de
dÃ©bauche. C'Ã©tait alors le bon temps des astrologues, bien qu'on en torturÃ¢t quelques-uns de temps en
temps pour les forcer Ã changer leurs prÃ©dictions. Les sorciers de cour Ã cette Ã©poque se mÃªlaient
d'ailleurs toujours un peu d'empoisonnements et mÃ©ritaient assez la corde. Trois-Ãchelles, le magicien de
Charles IX, Ã©tait prestidigitateur et fripon; il se confessa un jour au roi, et ce n'Ã©taient pas peccadilles que
ses mÃ©faits; le roi lui fit grÃ¢ce avec menace de pendaison en cas de rechute. Trois-Ãchelles retomba et fut
pendu.
Lorsque la ligue eut jurÃ© la mort du faible et misÃ©rable Henri III, elle eut recours aux envoÃ»tements de
la magie noire. L'Ãtoile assure que l'image en cire du roi Ã©tait placÃ©e sur les autels oÃ¹ les prÃªtres
ligueurs disaient la messe, et qu'on perÃ§ait cette image avec un canif en prononÃ§ant une oraison de
malÃ©dictions et d'anathÃ¨me. Comme le roi ne mourait pas assez vite, on en conclut qu'il Ã©tait sorcier.
Des pamphlets coururent oÃ¹ Henri III Ã©tait reprÃ©sentÃ© tenant des conventicules oÃ¹ les crimes de
Sodome et de Gomorrhe n'Ã©taient que le prÃ©lude d'attentats plus inouÃ¯s et plus affreux. Le roi, disait-on,
avait parmi ses mignons un personnage inconnu qui Ã©tait le diable en personne; on enlevait des jeunes
vierges que ce prince prostituait violemment Ã BÃ©elzÃ©but; le peuple croyait Ã ces fables, et il se trouva
enfin un fanatique pour exÃ©cuter les menaces de l'envoÃ»tement. Jacques ClÃ©ment eut des visions et
entendit des voix impÃ©rieuses qui lui commandaient de tuer le roi. Cet hallucinÃ© courut au rÃ©gicide
comme un martyr, et mourut [364] en riant comme les hÃ©ros de la mythologie scandinave. Des
chroniqueurs scandaleux ont prÃ©tendu qu'une grande dame de la cour avait uni aux inspirations de la

solitude du moine, le magnÃ©tisme de ses caresses: cette anecdote manque de probabilitÃ©. La chastetÃ©
du moine entretenait son exaltation, et s'il eÃ»t commencÃ© Ã vivre de la vie fatale des passions, une soif
insatiable de plaisir se fÃ»t emparÃ©e de tout son Ãªtre, et il n'eÃ»t plus voulu mourir.
Pendant que les guerres de religion ensanglantaient le monde, les sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes de l'illuminisme, qui
n'Ã©taient que des Ã©coles de thÃ©urgie et de haute magie, prenaient de la consistance en Allemagne. La
plus ancienne de ces sociÃ©tÃ©s paraÃ®t avoir Ã©tÃ© celle des rose-croix dont les symboles remontent au
temps des Guelfes et des Gibelins, comme nous le voyons par les allÃ©gories du poÃ¨me de Dante, et par les
figures du Roman de la rose.
La rose, qui a Ã©tÃ© de tout temps l'emblÃ¨me de la beautÃ©, de la vie, de l'amour et du plaisir, exprimait
mystiquement la pensÃ©e secrÃ¨te de toutes les protestations manifestÃ©es Ã la renaissance. C'Ã©tait la
chair rÃ©voltÃ©e contre l'oppression de l'esprit; c'Ã©tait la nature se dÃ©clarant fille de Dieu, comme la
grÃ¢ce; c'Ã©tait l'amour qui ne voulait pas Ãªtre Ã©touffÃ© par le cÃ©libat; c'Ã©tait la vie qui ne voulait
plus Ãªtre stÃ©rile, c'Ã©tait l'humanitÃ© aspirant Ã une religion naturelle, toute de raison et d'amour,
fondÃ©e sur la rÃ©vÃ©lation des harmonies de l'Ãtre, dont la rose Ã©tait pour les initiÃ©s le symbole
vivant et fleuri. La rose, en effet, est un pantacle, elle est de forme circulaire, les feuilles de la corolle sont
taillÃ©es en coeur, et s'appuient harmonieusement les unes sur les autres; sa couleur prÃ©sente les [365]
nuances les plus douces des couleurs primitives, son calice est de pourpre et d'or. Nous avons vu que Flamel,
ou plutÃ´t le livre du juif Abraham, en faisait le signe hiÃ©roglyphique de l'accomplissement du grand
oeuvre. Telle est la clef du roman de Clopinel et de Guillaume de Lorris. La conquÃªte de la rose Ã©tait le
problÃ¨me posÃ© par l'initiation Ã la science pendant que la religion travaillait Ã prÃ©parer et Ã Ã©tablir
le triomphe universel, exclusif et dÃ©finitif de la croix.
RÃ©unir la rose Ã la croix, tel Ã©tait le problÃ¨me posÃ© par la haute initiation, et en effet la philosophie
occulte Ã©tant la synthÃ¨se universelle, doit tenir compte de tous les phÃ©nomÃ¨nes de l'Ãtre. La religion,
considÃ©rÃ©e uniquement comme un fait physiologique, est la rÃ©vÃ©lation et la satisfaction d'un besoin
des Ã¢mes. Son existence est un fait scientifique: la nier, ce serait nier l'humanitÃ© elle-mÃªme. Personne ne
l'a inventÃ©e, elle s'est formÃ©e comme les lois, comme les civilisations, par les nÃ©cessitÃ©s de la vie
morale; et considÃ©rÃ©e seulement Ã ce point de vue philosophique et restreint, la religion doit Ãªtre
regardÃ©e comme fatale si l'on explique tout par la fatalitÃ©, et comme divine si l'on admet une intelligence
suprÃªme Ã la source des lois naturelles. Il suit de lÃ que le caractÃ¨re de toute religion proprement dite
Ã©tant de relever directement de la divinitÃ© par une rÃ©vÃ©lation surnaturelle, nul autre mode de
transmission ne donnant au dogme une sanction suffisante, il faut en conclure que la vraie religion naturelle
c'est la religion rÃ©vÃ©lÃ©e, c'est-Ã -dire qu'il est naturel de n'adopter une religion qu'en la croyant
rÃ©vÃ©lÃ©e, toute vraie religion exigeant des sacrifices, et [366] l'homme n'ayant jamais ni le pouvoir, ni le
droit d'en imposer Ã ses semblables, en dehors et surtout au-dessus des conditions ordinaires de
l'humanitÃ©.
C'est en partant de ce principe rigoureusement rationnel que les rose-croix arrivaient au respect de la religion
dominante, hiÃ©rarchique et rÃ©vÃ©lÃ©e. Ils ne pouvaient par consÃ©quent pas plus Ãªtre les ennemis de
la papautÃ© que de la monarchie lÃ©gitime, et s'ils conspiraient contre des papes et contre des rois, c'est
qu'ils les considÃ©raient personnellement comme des apostats du devoir et des fauteurs suprÃªmes de
l'anarchie.
Qu'est-ce, en effet, qu'un despote soit spirituel, soit temporel, sinon un anarchiste couronnÃ©?
C'est par cette considÃ©ration qu'on peut expliquer le protestantisme et mÃªme le radicalisme de certains
grands adeptes plus catholiques que certains papes, et plus monarchiques que certains rois, de quelques
adeptes excentriques, tels que Henri Khunrath et les vrais illuminÃ©s de son Ã©cole.

Henri Khunrath est un personnage peu connu de ceux qui n'ont pas fait des sciences occultes une Ã©tude
particuliÃ¨re; c'est pourtant un maÃ®tre et un maÃ®tre du premier ordre; c'est un prince souverain de la
rose-croix, digne sous tous les rapports de ce titre scientifique et mystique. Ses pantacles sont splendides
comme la lumiÃ¨re du Sohar, savants comme TrithÃªme, exacts comme Pythagore, rÃ©vÃ©lateurs du grand
oeuvre comme le livre d'Abraham et de Nicolas Flamel.
Henri Khunrath Ã©tait chimiste et mÃ©decin, il Ã©tait nÃ© en 1502, et il avait quarante-deux ans, lorsqu'il
parvint Ã la haute initiation thÃ©osophique. Le plus remarquable de ses ouvrages, son [367]
AmphithÃ©Ã¢tre de la sagesse Ã©ternelle, Ã©tait publiÃ© en 1598, car l'approbation de l'empereur
Rodolphe qui s'y trouve annexÃ©e est datÃ©e du 1er juin de cette mÃªme annÃ©e. L'auteur, bien qu'il fÃ®t
profession d'un protestantisme radical, y revendique hautement le nom de catholique et d'orthodoxe; il
dÃ©clare avoir en sa possession, mais garder secrÃ¨te comme il convient, une clef de l'apocalypse, clef triple
et unique comme la science universelle. La division du livre est septÃ©naire, et il y partage en sept degrÃ©s
l'initiation Ã la haute philosophie; le texte est un commentaire mystique des oracles de Salomon; l'ouvrage se
termine par des tableaux synoptiques, qui sont la synthÃ¨se de la haute magie et de la kabbale occulte, en tout
ce qui peut Ãªtre Ã©crit et publiÃ© verbalement. Le reste, c'est-Ã -dire la partie Ã©sotÃ©rique et indicible
de la science, est exprimÃ© par de magnifiques pantacles dessinÃ©s et gravÃ©s avec soin. Ces pantacles
sont au nombre de neuf.
Le premier, contient le dogme d'HermÃ¨s.
Le deuxiÃ¨me, la rÃ©alisation magique.
Le troisiÃ¨me reprÃ©sente le chemin de la sagesse et les travaux prÃ©paratoires de l'oeuvre.
Le quatriÃ¨me reprÃ©sente la porte du sanctuaire Ã©clairÃ©e par sept rayons mystiques.
Le cinquiÃ¨me est une rose de lumiÃ¨re, au centre de laquelle une forme humaine Ã©tend ses bras en forme
de croix.
Le sixiÃ¨me reprÃ©sente le laboratoire magique de Khunrath, avec son oratoire kabbalistique, pour
dÃ©montrer la nÃ©cessitÃ© d'unir la priÃ¨re au travail.
Le septiÃ¨me est la synthÃ¨se absolue de la science.
Le huitiÃ¨me exprime l'Ã©quilibre universel.
[368]Le neuviÃ¨me rÃ©sume la doctrine particuliÃ¨re de Khunrath avec une Ã©nergique protestation contre
tous ses dÃ©tracteurs. C'est un pantacle hermÃ©tique encadrÃ© dans une caricature allemande pleine de
verve et de naÃ¯ve colÃ¨re. Les ennemis du philosophe sont travestis en insectes, en oisons bridÃ©s, en
boeufs et en Ã¢nes, le tout ornÃ© de lÃ©gendes latines et de grosses Ã©pigrammes en allemand; Khunrath
y est reprÃ©sentÃ© Ã droite et Ã gauche, en costume de ville et en costume de cabinet, faisant face Ã ses
adversaires, soit au dedans, soit au dehors: en habit de ville, il est armÃ© d'une Ã©pÃ©e et marche sur la
queue d'un scorpion; en costume de cabinet, il est muni de pincettes et marche sur la tÃªte d'un serpent; au
dehors il dÃ©montre, et chez lui il enseigne, comme ses gestes le font assez comprendre, toujours la mÃªme
vÃ©ritÃ© sans craindre le souffle impur de ses adversaires, souffle si pestilentiel pourtant que les oiseaux du
ciel tombent morts Ã leurs pieds. Cette planche trÃ¨s curieuse manque dans un grand nombre d'exemplaires
de l'AmphithÃ©Ã¢tre de Khunrath.
Ce livre extraordinaire contient tous les mystÃ¨res de la plus haute initiation; il est, comme l'auteur l'annonce
dans son titre mÃªme: Christiano-kabbalistique, divino-magique, physico-chimique, triple unique et universel.

C'est un vÃ©ritable manuel de haute magie et de philosophie hermÃ©tique, et l'on ne saurait trouver ailleurs,
si ce n'est dans le Sepher JÃ©sirah et le Sohar, une plus complÃ¨te et plus parfaite initiation.
Dans les quatre importants corollaires qui suivent l'explication de la troisiÃ¨me figure, Khunrath Ã©tablit: 1.
Que la dÃ©pense Ã [369] faire pour le grand oeuvre (Ã part l'entretien et les dÃ©penses personnelles de
l'opÃ©rateur) ne doit pas excÃ©der la somme de trente thalers; j'en parle sciemment, ajoute l'auteur, l'ayant
appris de quelqu'un qui le savait. Ceux qui dÃ©pensent davantage se trompent et perdent leur argent. Ces
mots: l'ayant appris de quelqu'un qui le savait, prouvent que Khunrath ou n'a pas fait lui-mÃªme la pierre
philosophale, ou ne veut pas dire qu'il l'a faite, et cela par crainte des persÃ©cutions.
Khunrath Ã©tablit ensuite l'obligation pour l'adepte, de ne consacrer Ã ses usages personnels que la
dixiÃ¨me partie de sa richesse et consacrer tout le reste Ã la gloire de Dieu et aux oeuvres de charitÃ©.
TroisiÃ¨mement, il affirme que les mystÃ¨res du christianisme et ceux de la nature s'expliquant et s'illustrant
rÃ©ciproquement, le rÃ¨gne futur du Messie (le messianisme) s'Ã©tablit sur la double base de la science et
de la foi, en sorte que le livre de la nature confirmant les oracles de l'Ãvangile, on pourra convaincre par la
science et par la raison les juifs et les mahomÃ©tans de la vÃ©ritÃ© du christianisme, si bien qu'avec le
concours de la grÃ¢ce divine, ils seront infailliblement convertis Ã la religion de l'unitÃ©; il termine enfin
par cette sentence:
SIGILLUM NATURAE ET ARTIS SIMPLICITAS.

Le cachet de la nature et de l'art, c'est la simplicitÃ©.
Du temps de Khunrath, vivait un autre mÃ©decin initiÃ©, philosophe hermÃ©tique et continuateur de la

mÃ©decine de Paracelse; c'Ã©tait Oswald Crollius, auteur du Livre des signatures, ou de la vraie et vivante
anatomie du grand et du petit monde. Dans cet ouvrage dont la prÃ©face est un abrÃ©gÃ© fort bien fait de
la [370] philosophie hermÃ©tique, Crollius cherche Ã Ã©tablir que Dieu et la nature ont en quelque sorte
signÃ© tous leurs ouvrages, et que tous les produits d'une force quelconque de la nature portent, pour ainsi
dire, l'estampille de cette force imprimÃ©e en caractÃ¨res indÃ©lÃ©biles, en sorte que l'initiÃ© aux
Ã©critures occultes puisse lire Ã livre ouvert les sympathies et les antipathies des choses, les propriÃ©tÃ©s
des substances et tous les autres secrets de la crÃ©ation. Les caractÃ¨res des diffÃ©rentes Ã©critures
seraient primitivement empruntÃ©s Ã ces signatures naturelles qui existent dans les Ã©toiles et dans les
fleurs, sur les montagnes et sur le plus humble caillou. Les figures des cristaux, les cassures des minÃ©raux,
seraient des empreintes de la pensÃ©e que le CrÃ©ateur avait en les formant. Cette idÃ©e est pleine de
poÃ©sie et de grandeur, mais il manque une grammaire Ã cette langue mystÃ©rieuse des mondes, il manque
un vocabulaire raisonnÃ© Ã ce verbe primitif et absolu. Le roi Salomon seul passe pour avoir accompli ce
double travail; or les livres occultes de Salomon sont perdus: Crollius entreprenait donc non pas de les refaire,
mais de retrouver les principes fondamentaux de cette langue universelle du Verbe crÃ©ateur.
Par ces principes on reconnaÃ®trait que les hiÃ©roglyphes primitifs formÃ©s des Ã©lÃ©ments mÃªmes de
la gÃ©omÃ©trie correspondraient aux lois constitutives et essentielles des formes dÃ©terminÃ©es par les
mouvements alternÃ©s ou combinÃ©s que dÃ©cident les attractions Ã©quilibrantes; on reconnaÃ®trait Ã
leur seule figure extÃ©rieure les simples et les composÃ©s, et par les analogies des figures avec les nombres,
on pourrait faire une classification mathÃ©matique de toutes les substances rÃ©vÃ©lÃ©es par les lignes de
[371] leurs surfaces. Il y a au fond de ces aspirations, qui sont des rÃ©miniscences de la science
Ã©dÃ©nique, tout un monde de dÃ©couvertes Ã venir pour les sciences. Paracelse les avait pressenties,
Crollius les indique, un autre viendra pour les rÃ©aliser et les dÃ©montrer. La folie d'hier sera le gÃ©nie de
demain, et le progrÃ¨s saluera ces sublimes chercheurs qui avaient devinÃ© ce monde perdu et retrouvÃ©
cette Athlantide du savoir humain!

Le commencement du XVIIe siÃ¨cle fut la grande Ã©poque de l'alchimie, alors parurent: Philippe Muller,
Jean Thorneburg, Michel Mayer, Ortelius, Poterius, Samuel Northon, le baron de Beausoleil, David
Planiscampe, Jean Duchesne, Robert Flud, Benjamin Mustapha, le prÃ©sident d'Espagnet, le cosmopolite
qu'il fallait nommer le premier, de Nuisement, qui a traduit et publiÃ© les remarquables Ã©crits du
cosmopolite, Jean-Baptiste Van Helmont, IrÃ©nÃ©e PhilalÃ¨the, Rodolphe Glauber, le sublime cordonnier
Jacob Boehm. Les principaux de ces initiÃ©s s'adonnaient aux recherches de la haute magie, et en cachaient
avec soin le nom dÃ©criÃ© sous les apparences des recherches hermÃ©tiques. Le Mercure des sages qu'ils
voulaient trouver et donner Ã leurs disciples, c'Ã©tait la synthÃ¨se scientifique et religieuse, c'Ã©tait la paix
qui rÃ©side dans la souveraine unitÃ©. Les mystiques n'Ã©taient alors que les croyants aveugles des
vÃ©ritables illuminÃ©s, et l'illuminisme proprement dit n'Ã©tait que la science universelle de la lumiÃ¨re.
En 1623, au printemps, on trouva affichÃ©e dans les rues de Paris cette Ã©trange proclamation:
Â«Nous, dÃ©putÃ©s des frÃ¨res rose-croix, faisons sÃ©jour visible et [372] invisible dans cette ville, par la
grÃ¢ce du TrÃ¨s-Haut, vers lequel se tourne le coeur des sages; nous enseignons, sans aucune sorte de
moyens extÃ©rieurs, Ã parler les langues des pays que nous habitons, et nous tirons les hommes, nos
semblables, de la terreur et de la mort.
Â«S'il prend envie Ã quelqu'un de nous voir par curiositÃ© seulement, il ne communique jamais avec nous;
mais si sa volontÃ© le porte rÃ©ellement et de fait Ã s'inscrire sur les registres de notre confraternitÃ©,
nous, qui jugeons des pensÃ©es, lui ferons voir la vÃ©ritÃ© de nos promesses, tellement que nous ne
mettons point le lieu de notre demeure, puisque la pensÃ©e, jointe Ã la volontÃ© rÃ©elle du lecteur, sera
capable de nous faire connaÃ®tre Ã lui et lui Ã nous.Â»
L'opinion se prÃ©occupa alors de cette manifestation mystÃ©rieuse, et si quelqu'un alors demandait

hautement ce que c'Ã©tait que les frÃ¨res rose-croix, souvent un personnage inconnu prenait Ã part le
questionneur, et lui disait gravement:
Â«PrÃ©destinÃ©s Ã la rÃ©forme qui doit s'accomplir bientÃ´t dans tout l'univers, les rose-croix sont les
dÃ©positaires de la suprÃªme sagesse, et paisibles possesseurs de tous les dons de la nature, ils peuvent les
dispenser Ã leur grÃ©.
Â«En quelque lieu qu'ils soient, ils connaissent mieux toutes les choses qui se passent dans le reste du monde,
que si elles leur Ã©taient prÃ©sentes; ils ne sont sujets ni Ã la faim ni Ã la soif, et n'ont Ã craindre ni la
vieillesse ni les maladies.
Â«Ils peuvent commander aux esprits et aux gÃ©nies les plus puissants.
[373]Â«Dieu les a couverts d'une nuÃ©e pour les dÃ©fendre de leurs ennemis, et on ne peut les voir que
quand ils le veulent, eÃ»t-on des yeux plus perÃ§ants que ceux de l'aigle.
Â«Ils tiennent leurs assemblÃ©es gÃ©nÃ©rales dans les pyramides d'Egypte.
Â«Mais ces pyramides sont pour eux comme le rocher d'oÃ¹ jaillissait la source de MoÃ¯se, elles marchent
avec eux dans le dÃ©sert, et les suivront jusqu'Ã leur entrÃ©e dans la terre promise.Â»

CHAPITRE VI.
PROCÃS DE MAGIE.
SOMMAIRE.--Gaufridi, Urbain Grandier, BoulÃ© et Picart, le pÃ¨re Girard et mademoiselle
CadiÃ¨re.--PhÃ©nomÃ¨nes des convulsions.--Anecdotes diverses.
L'auteur grec qui a Ã©crit la description du tableau allÃ©gorique de CebÃ¨s finit son oeuvre par cette
conclusion admirable:
Â«Il n'y a qu'un bien vÃ©ritable Ã dÃ©sirer, c'est la sagesse; et il n'y a qu'un mal Ã craindre, c'est la
folie.Â»
Le mal moral en effet, la mÃ©chancetÃ©, le crime, ne sont autre chose qu'une folie vÃ©ritable: et le pÃ¨re
Hilarion Tissot a toutes les sympathies de notre coeur, lorsqu'il rÃ©pÃ¨te sans cesse dans ses brochures
follement courageuses qu'au lieu de punir les criminels, il faudrait les soigner et les guÃ©rir.
[374]Nous disons les sympathies de notre coeur, parce que notre raison proteste contre cette trop charitable
interprÃ©tation du crime dont les consÃ©quences seraient de dÃ©truire la sanction de la morale en
dÃ©sarmant la loi. Nous comparons la folie Ã l'ivresse, et considÃ©rant que l'ivresse est presque toujours
volontaire, nous applaudissons Ã la sagesse des juges qui, ne regardant pas la perte spontanÃ©e de la raison
comme une excuse, punissent sans pitiÃ© les dÃ©lits et les crimes commis dans l'ivresse. Un jour viendra
mÃªme peut-Ãªtre oÃ¹ l'ivresse sera comptÃ©e parmi les circonstances aggravantes, et oÃ¹ tout Ãªtre
intelligent qui se mettra volontairement hors de la raison, se trouvera hors de la loi. La loi n'est-elle pas la
raison de l'humanitÃ©?
Malheur Ã l'homme qui s'enivre soit de vin, soit d'orgueil, soit de haine, soit mÃªme d'amour! Il est aveugle,
il est injuste, il est le jouet de la fatalitÃ©; c'est un flÃ©au qui marche, c'est une calamitÃ© vivante; il peut
tuer, il peut violer; c'est un fou sans chaÃ®ne; haro sur lui! La sociÃ©tÃ© a droit de se dÃ©fendre; c'est plus
que son droit, c'est son devoir, car elle a des enfants.
Ces rÃ©flexions nous viennent au sujet des procÃ¨s de magie dont nous avons Ã rendre compte. On a trop
accusÃ© l'Ãglise et la sociÃ©tÃ© de meurtre judiciaire sur des fous; nous admettons que les sorciers
Ã©taient des fous sans doute, mais c'Ã©taient des fous de perversitÃ©; si parmi eux quelques innocents
malades ont pÃ©ri, ce sont des malheurs dont l'Ãglise et la sociÃ©tÃ© ne sauraient Ãªtre responsables. Tout
homme condamnÃ© suivant les lois de son pays et les formes judiciaires de son temps, est justement [375]
condamnÃ©, son innocence possible n'appartient plus qu'Ã Dieu; devant les hommes il est et doit rester
coupable.
Ludwig Tieck, dans un remarquable roman intitulÃ© le Sabbat des sorciÃ¨res, met en scÃ¨ne une sainte
femme, une pauvre vieille Ã©puisÃ©e de macÃ©rations, la tÃªte affaiblie par les jeÃ»nes et les priÃ¨res,
qui, pleine d'horreur pour les sorciers, et disposÃ©e par excÃ¨s d'humilitÃ© Ã s'accuser de tous les crimes,
finit par se croire en effet sorciÃ¨re, s'en accuse, en est convaincue par erreur et par prÃ©vention, puis est
brÃ»lÃ©e vive. Cette histoire fÃ»t-elle vraie, que prouverait-elle? Qu'une erreur judiciaire est possible, rien
de plus, rien de moins.
Mais si l'erreur judiciaire est possible en fait, elle ne saurait l'Ãªtre en droit: autrement que deviendrait la
justice humaine?
CHAPITRE VI. 200

Socrate condamnÃ© Ã mort aurait pu fuir, et ses juges eux-mÃªmes lui en eussent fourni les moyens, mais il
respecta les lois et voulut mourir.
C'est aux lois et non aux tribunaux du moyen Ã¢ge qu'il faut s'en prendre de la rigueur de certaines sentences.
Mais Gilles de Laval, dont nous ayons racontÃ© les crimes et le supplice, fut-il injustement condamnÃ©, et
devait-on l'absoudre parce qu'il Ã©tait fou? Ãtaient-elles innocentes ces horribles folles qui composaient des
philtres avec la moelle des petits enfants? La magie noire d'ailleurs Ã©tait la folie gÃ©nÃ©rale de cette
malheureuse Ã©poque: les juges, Ã force d'Ã©tudier les questions de sorcellerie finissaient quelquefois par
se croire sorciers eux-mÃªmes. La sorcellerie, dans plusieurs localitÃ©s, devenait Ã©pidÃ©mique, et les
supplices semblaient multiplier les coupables.
[376]On peut voir dans les dÃ©monographes, tels que Delancre, Delrio, Sprenger, Bodin, Torre-Blanca et les
autres, les rÃ©cits d'un grand nombre de procÃ¨s dont les dÃ©tails sont aussi fastidieux que rÃ©voltants.
Les condamnÃ©s sont pour la plupart des hallucinÃ©s et des idiots, mais des idiots mÃ©chants et des
hallucinÃ©s dangereux; les passions Ã©rotiques, la cupiditÃ© et la haine sont les causes principales de
l'Ã©garement de leur raison: ils Ã©taient capables de tout. Sprenger dit que les sorciÃ¨res s'entendaient avec
les sages-femmes pour leur acheter des cadavres d'enfants nouveau-nÃ©s. Les sages-femmes tuaient ces
innocents au moment mÃªme de leur naissance, en leur enfonÃ§ant de longues aiguilles dans le cerveau, on
dÃ©clarait un enfant mort et on l'enterrait. La nuit venue, les stryges grattaient la terre et en arrachaient le
cadavre, elles le faisaient bouillir dans une chaudiÃ¨re avec des herbes narcotiques et vÃ©nÃ©neuses, puis
distillaient, alambiquaient, mÃ©langeaient cette gÃ©latine humaine. Le liquide servait d'Ã©lixir de longue
vie, le solide Ã©tait broyÃ© et incorporÃ© aux graisses de chat noir mÃ©langÃ©es de suie qui servaient
aux frictions magiques. Le coeur se soulÃ¨ve de dÃ©goÃ»t Ã la lecture de ces rÃ©vÃ©lations abominables,
et l'indignation fait taire la pitiÃ©; mais lorsqu'on en vient aux procÃ©dures, lorsqu'on voit la crÃ©dulitÃ©
et la cruautÃ© des juges, les fausses promesses de grÃ¢ce qu'ils emploient pour obtenir des aveux, les
tortures atroces, les visites obscÃ¨nes, les prÃ©cautions honteuses et ridicules, puis aprÃ¨s tout cela, le
bÃ»cher en place publique, l'assistance dÃ©risoire du clergÃ© qui livre au bras sÃ©culier en demandant
grÃ¢ce pour ceux qu'il voue Ã la mort, on est forcÃ© de [377] conclure qu'au milieu de tout ce chaos, la
religion seule reste sainte, mais que les hommes sont tous Ã©galement des idiots ou des scÃ©lÃ©rats.
Ainsi en 1598, un prÃªtre limousin, nommÃ© Pierre Aupetit, est brÃ»lÃ© vif pour des aveux ridicules qui
lui ont Ã©tÃ© arrachÃ©s par la torture.
A DÃ´le, en 1599, on brÃ»le une femme nommÃ©e Antide Collas, parce que sa conformation sexuelle avait
quelque chose de phÃ©nomÃ©nal, qu'on crut ne pouvoir expliquer que par un commerce infÃ¢me avec
Satan. La malheureuse, mise et remise Ã la torture, dÃ©pouillÃ©e, sondÃ©e, visitÃ©e en prÃ©sence des
mÃ©decins et des juges, Ã©crasÃ©e de honte et de douleurs, avoua tout pour en finir.
Henri Boguet, juge de Saint-Claude, raconte lui-mÃªme qu'il fit torturer une femme comme sorciÃ¨re, parce
qu'il manquait quelque chose Ã la croix de son chapelet, signe certain de sorcellerie, au dire de ce fÃ©roce
imbÃ©cile.
Un enfant de douze ans, stylÃ© par les inquisiteurs, vient accuser son pÃ¨re de l'avoir menÃ© au sabbat. Le
pÃ¨re meurt en prison par suite de ses tortures, et l'on propose de faire brÃ»ler l'enfant. Boguet s'y oppose et
se fait un mÃ©rite de cette clÃ©mence.
Une femme de trente-cinq ans, Rollande de Vernois, est oubliÃ©e dans un cachot si glacial qu'elle promet de
s'avouer coupable de magie, si on veut la laisser s'approcher du feu. DÃ¨s qu'elle sent la chaleur, elle tombe
dans des convulsions affreuses, elle a la fiÃ¨vre et le dÃ©lire; en cet Ã©tat on la met Ã la torture, elle dit
tout ce qu'on lui fait dire, elle est traÃ®nÃ©e mourante au bÃ»cher. Un orage Ã©clate, la pluie Ã©teint le
feu, Boguet se fÃ©licite alors [378] de la sentence qu'il a rendue, puisque Ã©videmment cette femme que le
PROCÃS DE MAGIE. 201

ciel semblait dÃ©fendre, devait Ãªtre protÃ©gÃ©e par le diable. Le mÃªme Boguet a fait encore brÃ»ler
deux hommes, Pierre Gaudillon et le gros Pierre, pour avoir couru la nuit, l'un en forme de liÃ¨vre, l'autre en
forme de loup.
Mais le procÃ¨s qui fit le plus de bruit au commencement du XVIIe siÃ¨cle, fut celui de messire Louis
Gaufridi, curÃ© de la paroisse des Accoules Ã Marseille. Le scandale de cette affaire donna un funeste
exemple qui ne fut que trop tÃ´t suivi. Un prÃªtre accusÃ© par des prÃªtres! un curÃ© traÃ®nÃ© devant les
tribunaux par ses confrÃ¨res! Constantin avait dit que s'il voyait un prÃªtre dÃ©shonorer son caractÃ¨re par
un pÃ©chÃ© honteux, il le couvrirait de sa pourpre, c'Ã©tait une belle et royale parole. Le sacerdoce, en
effet, doit Ãªtre impeccable, comme la justice est infaillible devant la morale publique.
En dÃ©cembre 1610, une jeune fille de Marseille nommÃ©e Magdelaine de la Palud, Ã©tant allÃ©e en
pÃ¨lerinage Ã la Sainte-Baume, en Provence, y fut prise d'extase et de convulsions. Une autre dÃ©vote
nommÃ©e Louise Capeau fut bientÃ´t atteinte du mÃªme mal. Des dominicains et des capucins crurent Ã la
prÃ©sence du dÃ©mon, et firent des exorcismes. Magdelaine de la Palud et sa compagne donnÃ¨rent alors le
spectacle qui se renouvela si souvent un siÃ¨cle plus tard lors de l'Ã©pidÃ©mie des convulsions. Elles
criaient, se tordaient et demandaient Ã Ãªtre battues et foulÃ©es aux pieds, un jour six hommes marchÃ¨rent
en mÃªme temps sur la poitrine de Magdelaine qui n'en ressentit aucune douleur; en cet Ã©tat elle s'accusait
des plus Ã©tranges dÃ©rÃ©glements; elle s'Ã©tait livrÃ©e au diable corps et Ã¢me, disait-elle; elle avait
Ã©tÃ© [379] fiancÃ©e au dÃ©mon par un prÃªtre nommÃ© Gaufridi. Au lieu d'enfermer cette folle, on
l'Ã©couta, et les pÃ¨res exorcistes dÃ©pÃªchÃ¨rent Ã Marseille trois capucins pour informer secrÃ¨tement
les supÃ©rieurs ecclÃ©siastiques de ce qui se passait Ã la Sainte-Baume, et amener, s'il Ã©tait possible,
sans violence et sans scandale le curÃ© Gaufridi pour le confronter avec les prÃ©tendus dÃ©mons.
Cependant on commenÃ§ait Ã Ã©crire les inspirations infernales des deux hystÃ©riques, c'Ã©taient des
discours d'une dÃ©votion ignorante et fanatique, prÃ©sentant la religion telle que la comprenaient les
exorcistes eux-mÃªmes. Les possÃ©dÃ©es semblaient raconter les rÃªves de ceux qui les interrogeaient:
c'Ã©tait exactement le phÃ©nomÃ¨ne des tables parlantes et des mÃ©diums de notre temps. Les diables se
donnaient des noms aussi incongrus que ceux des esprits amÃ©ricains; ils dÃ©clamaient contre l'imprimerie
et contre les livres, faisaient des sermons dignes des capucins les plus fervents et les plus ignares. En
prÃ©sence de ces dÃ©mons faits Ã leur image et Ã leur ressemblance, les pÃ¨res ne doutÃ¨rent plus de la
vÃ©ritÃ© de la possession et de la vÃ©racitÃ© des esprits infernaux. Les fantÃ´mes de leur imagination
malade prenaient un corps et leur apparaissaient vivants dans ces deux femmes dont les confessions
obscÃ¨nes surexcitaient leur curiositÃ© et leur indignation pleines de secrÃ¨tes convoitises, ils devinrent
furieux et il leur fallut une victime: telles Ã©taient leurs dispositions lorsqu'on leur amena enfin le
malheureux Louis Gaufridi.
Gaufridi Ã©tait un prÃªtre assez mondain, d'une figure agrÃ©able, d'un caractÃ¨re faible et d'une moralitÃ©
plus que suspecte, il [380] avait Ã©tÃ© le confesseur de Magdelaine de la Palud, et lui avait inspirÃ© une
implacable passion; cette passion, changÃ©e en haine par la jalousie, Ã©tait devenue une fatalitÃ©, elle
entraÃ®na le malheureux prÃªtre dans son tourbillon de folie qui le conduisit au bÃ»cher.
Tout ce que pouvait dire l'accusÃ© pour se dÃ©fendre Ã©tait retournÃ© contre lui. Il attestait Dieu et
JÃ©sus-Christ, et sa sainte mÃ¨re et son prÃ©curseur saint Jean-Baptiste, et on lui rÃ©pondait: vous
rÃ©citez Ã merveille les litanies du sabbat; par Dieu, vous entendez Lucifer, par JÃ©sus-Christ,
BÃ©elzÃ©bub, par la sainte Vierge, la mÃ¨re apostate de l'AntÃ©christ, par saint Jean-Baptiste, le faux
prophÃ¨te prÃ©curseur de Gog et Magog... Puis on le mettait Ã la torture, et on lui promettait sa grÃ¢ce s'il
voulait signer les dÃ©clarations de Magdelaine de la Palud. Le pauvre prÃªtre, Ã©perdu, circonvenu,
brisÃ©, signa tout ce qu'on voulut: il en signa assez pour Ãªtre brÃ»lÃ©, et c'Ã©tait ce qu'on demandait. Les
capucins de Provence donnÃ¨rent enfin au peuple cet affreux spectacle, ils lui apprirent Ã violer les
privilÃ¨ges du sanctuaire, ils lui montrÃ¨rent comment on tue les prÃªtres, et le peuple s'en souvint plus tard.

O saint temple, disait un rabbin tÃ©moin des prodiges qui prÃ©cÃ©dÃ¨rent la destruction de JÃ©rusalem
par Titus, Ã´ saint temple, qu'as-tu donc? Et pourquoi te fais-tu peur Ã toi-mÃªme?
Ni le saint-siÃ©ge ni les Ã©vÃªques ne protestÃ¨rent contre le meurtre de Gaufridi, mais le XVIIIe siÃ¨cle
allait venir traÃ®nant la rÃ©volution Ã sa suite.
Une des possÃ©dÃ©es qui avaient tuÃ© le curÃ© des Accoules dÃ©clara un jour que le dÃ©mon la
quittait pour aller prÃ©parer la perte d'un [381] autre prÃªtre, qu'elle nomma d'avance prophÃ©tiquement et
sans le connaÃ®tre; elle le nomma Urbain Grandier.
Alors rÃ©gnait le terrible cardinal de Richelieu, qui comprenait l'autoritÃ© absolue comme le salut des
Ãtats; malheureusement les tendances du cardinal Ã©taient plutÃ´t politiques et habiles que vÃ©ritablement
chrÃ©tiennes. Ce grand esprit avait pour borne une certaine Ã©troitesse de coeur qui le rendait sensible Ã
l'offense personnelle, et implacable dans ses vengeances. Ce qu'il pardonnait le moins au talent, c'Ã©tait
l'indÃ©pendance; il voulait avoir les gens d'esprit pour auxiliaires, plutÃ´t que pour flatteurs, et il avait une
certaine joie de dÃ©truire tout ce qui voulait briller sans lui. Sa tÃªte aspirait Ã tout dominer, le pÃ¨re
Joseph Ã©tait son bras droit et Laubardemont son bras gauche.
Il y avait alors en province, Ã Loudun, un ecclÃ©siastique d'un gÃ©nie remarquable et d'un grand
caractÃ¨re, il avait de la science et du talent, mais peu de circonspection; fait pour plaire aux multitudes et
pour attirer les sympathies des grands, il pouvait dans l'occasion devenir un dangereux sectaire; le
protestantisme alors remuait en France, et le curÃ© de Saint-Pierre de Loudun, trop disposÃ© aux idÃ©es
nouvelles par son peu d'attrait pour le cÃ©libat ecclÃ©siastique, pouvait devenir Ã la tÃªte de ce parti un
prÃ©dicant plus brillant que Calvin et aussi audacieux que Luther, il se nommait Urbain Grandier.
DÃ©jÃ des dÃ©mÃªlÃ©s sÃ©rieux avec son Ã©vÃªque avaient signalÃ© son habiletÃ© et son caractÃ¨re
inflexible, habiletÃ© malheureuse et maladroite, d'ailleurs, puisqu'il en avait appelÃ© de ses puissants
ennemis au roi et non pas au cardinal; le roi lui avait [382] donnÃ© raison, le cardinal devait lui donner tort.
Grandier Ã©tait retournÃ© triomphant Ã Loudun, et s'Ã©tait permis la fanfaronnade peu clÃ©ricale d'y
rentrer une branche de laurier Ã la main. A dater de ce jour il fut perdu.
Les religieuses ursulines de Loudun avaient alors pour supÃ©rieure, sous le nom de la mÃ¨re Jeanne des
anges, une certaine Jeanne de Belfiel, petite-fille du baron de Cose. Cette religieuse n'Ã©tait rien moins que
fervente, et son couvent ne passait pas pour un des plus rÃ©guliers du pays, il s'y passait des scÃ¨nes
nocturnes qu'on attribuait Ã des esprits. Les parents retiraient les pensionnaires, et la maison allait Ãªtre
bientÃ´t dÃ©nuÃ©e de toute ressource.
Grandier avait quelques intrigues et ne les cachait pas assez, c'Ã©tait, d'ailleurs, un personnage trop en vue
pour que l'oisivetÃ© d'une petite ville ne fÃ®t pas grand bruit de ses faiblesses. Les pensionnaires des
Ursulines en entendaient parler avec mystÃ¨re chez leurs parents, les religieuses en parlaient entre elles pour
dÃ©plorer le scandale, et restaient toutes prÃ©occupÃ©es du personnage scandaleux, elles en rÃ¨vÃ¨rent;
elles le virent pendant la nuit apparaÃ®tre dans les dortoirs avec des attitudes bien conformes Ã ce qu'on
disait de ses moeurs, elles poussÃ¨rent des cris, se crurent obsÃ©dÃ©es, et voilÃ le diable dans la maison.
Les directeur de ces filles, mortels ennemis de Grandier, virent tout le parti qu'ils pouvaient tirer de cette
affaire dans l'intÃ©rÃªt de leur rancune et dans l'intÃ©rÃªt du couvent. On fit des exorcismes en secret
d'abord, puis en public. Les amis de Grandier sentaient qu'il se tramait quelque chose et pressaient [383] le
curÃ© de Saint-Pierre du MarchÃ© de permuter ses bÃ©nÃ©fices, et de quitter Loudun. Tout s'appaiserait
dÃ¨s qu'on le verrait parti; mais Grandier Ã©tait un vaillant homme, il ne savait pas ce que c'Ã©tait que de
cÃ©der Ã la calomnie, il resta, et fut arrÃªtÃ© un matin comme il entrait dans son Ã©glise, revÃªtu de ses
habits sacerdotaux.

A peine arrÃªtÃ©, Grandier fut traitÃ© en criminel d'Ãtat, ses papiers furent saisis, les scellÃ©s apposÃ©s
Ã ses meubles, et lui-mÃªme fut conduit sous bonne garde Ã la forteresse d'Angers. Pendant ce temps on lui
prÃ©parait Ã Loudun un cachot qui semblait plus fait pour une bÃªte fÃ©roce que pour un homme.
Richelieu, instruit de tout, avait dÃ©pÃªchÃ© Laubardemont pour en finir avec Grandier, et avait fait
dÃ©fendre au parlement de connaÃ®tre de cette affaire.
Si la conduite du curÃ© de Saint-Pierre avait Ã©tÃ© celle d'un mondain, la tenue de Grandier, prisonnier et
accusÃ© de magie, fut celle d'un hÃ©ros et d'un martyr. L'adversitÃ© rÃ©vÃ¨le ainsi les grandes Ã¢mes, et
il est beaucoup plus facile de supporter la souffrance que la prospÃ©ritÃ©.
Il Ã©crivait Ã sa mÃ¨re:
Â«... Je supporte mon affliction avec patience, et plains plus la vÃ´tre que la mienne. Je suis fort
incommodÃ©, n'ayant point de lit; tÃ¢chez de me faire apporter le mien, car si le corps ne repose, l'esprit
succombe. Enfin envoyez-moi un brÃ©viaire, une Bible et un saint Thomas, pour ma consolation; au reste, ne
vous affligez pas, j'espÃ¨re que Dieu mettra mon innocence au jour...Â»
Dieu, en effet, prend tÃ´t ou tard le parti de l'innocence opprimÃ©e, mais il ne la dÃ©livre pas toujours de
ses ennemis sur [384] la terre, ou ne la dÃ©livre que par la mort. Grandier devait bientÃ´t l'Ã©prouver.
Ne faisons cependant pas les hommes plus mÃ©chants qu'ils ne sont en effet: les ennemis de Grandier ne
croyaient pas Ã son innocence, ils le poursuivaient avec rage, mais c'Ã©tait un grand coupable qu'ils
croyaient poursuivre. Les phÃ©nomÃ¨nes hystÃ©riques Ã©taient alors mal connus et le somnambulisme
entiÃ¨rement ignorÃ©: les contorsions des religieuses, leurs mouvements en dehors des habitudes et des
forces humaines, les preuves qu'elles donnaient d'une seconde vue effrayante, tout cela Ã©tait de nature Ã
convaincre les moins crÃ©dules. Un athÃ©e cÃ©lÃ¨bre de ce temps-lÃ , le sieur de KÃ©riolet, conseiller
au parlement de Bretagne, vint voir les exorcismes pour s'en moquer. Les religieuses qui ne l'avaient jamais
vu l'apostrophÃ¨rent par son nom et rÃ©vÃ©lÃ¨rent tout haut des pÃ©chÃ©s que le conseiller croyait bien
n'avoir fait connaÃ®tre Ã personne. Sa conscience fut bouleversÃ©e et il passa d'un extrÃªme Ã l'autre,
comme font tous les naturels emportÃ©s; il pleura, il se confessa, et se voua pour le reste de ses jours Ã
l'ascÃ©tisme le plus rigoureux.
Le sophisme des exorcistes de Loudun Ã©tait cet absurde paralogisme que M. de Mirville ose soutenir encore
de nos jours:
Le diable est l'auteur de tous les phÃ©nomÃ¨nes qui ne s'expliquent pas par les lois connues de la nature.
A cet aphorisme antilogique, ils en joignaient un autre dont ils faisaient en quelque sorte un article de foi.
Le diable dÃ»ment exorcisÃ© est forcÃ© de dire la vÃ©ritÃ©, et on peut l'admettre Ã tÃ©moigner en
justice.
[385]Le malheureux Grandier n'Ã©tait donc pas livrÃ© Ã des scÃ©lÃ©rats; c'Ã©tait Ã des fous furieux
qu'il avait affaire; aussi, forts de leur conscience, donnÃ¨rent-ils Ã cet incroyable procÃ¨s la plus grande
publicitÃ©. Jamais pareil scandale n'avait affligÃ© l'Ãglise: des religieuses hurlant, se tordant, se livrant aux
gestes les plus obscÃ¨nes, blasphÃ©mant, cherchant Ã se jeter sur Grandier comme les bacchantes sur
OrphÃ©e; puis les choses les plus sacrÃ©es de la religion mÃªlÃ©es Ã ce hideux spectacle, traÃ®nÃ©es
dans cette fange; Grandier seul calme, haussant les Ã©paules et se dÃ©fendant avec dignitÃ© et douceur;
des juges pÃ¢les, Ã©perdus, suant Ã grosses gouttes, Laubardemont en robe rouge planant sur ce conflit
comme le vautour qui attend un cadavre. Tel fut le procÃ¨s d'Urbain Grandier.

Disons-le hautement pour l'honneur de l'humanitÃ©: un complot pareil Ã celui que supposerait l'assassinat
juridique de cet homme, si l'on n'admet pas la bonne foi des exorcistes et des juges, est heureusement
impossible. Les monstres sont aussi rares que les hÃ©ros; la foule se compose de mÃ©diocritÃ©s aussi
incapables de grands crimes que de grandes vertus. Les plus saints personnages de ce temps-lÃ ont cru Ã la
possession de Loudun; saint Vincent de Paul ne fut pas Ã©tranger Ã cette histoire et fut appelÃ© Ã en dire
son avis. Richelieu lui-mÃªme, qui, en tout cas peut-Ãªtre, eÃ»t trouvÃ© moyen de se dÃ©barrasser de
Grandier, finit par le croire coupable. Sa mort fut le crime de l'ignorance et des prÃ©jugÃ©s de son temps, et
ce fut une catastrophe bien plutÃ´t qu'un assassinat.
Nous n'affligerons pas nos lecteurs du dÃ©tail de ses tortures: il demeura ferme, rÃ©signÃ©, sans colÃ¨re et
n'avoua rien; il n'affecta pas mÃªme de mÃ©priser ses juges, il pria avec douceur les [386] exorcistes de
l'Ã©pargner: Â«Et vous, mes pÃ¨res, leur disait-il, modÃ©rez la rigueur de mes tourments, et ne rÃ©duisez
pas mon Ã¢me au dÃ©sespoir.Â» On sent Ã travers ce sanglot de la nature qui se plaint, toute la
mansuÃ©tude du chrÃ©tien qui pardonne. Les exorcistes, pour cacher leur attendrissement, lui
rÃ©pondaient par des invectives, et les exÃ©cuteurs pleuraient.
Trois des religieuses, dans un de leurs moments lucides, vinrent se prosterner devant le tribunal, en criant que
Grandier Ã©tait innocent; on crut que le dÃ©mon parlait par leur bouche, et cet aveu ne fit que hÃ¢ter le
supplice.
Urbain Grandier fut brÃ»lÃ© vif, le 18 aoÃ»t 1634. Il fut patient et rÃ©signÃ© jusqu'Ã la fin. Lorsqu'on le
descendit de la charrette, comme il avait les jambes brisÃ©es, il tomba rudement le visage contre terre sans
pousser un seul cri ou un seul gÃ©missement. Un cordelier, nommÃ© le pÃ¨re Grillau, fendit alors la foule
et vint relever le patient qu'il embrassa en pleurant: Â«Je vous apporte, dit-il, la bÃ©nÃ©diction de votre
mÃ¨re, elle et moi nous prions Dieu pour vous.--Merci, mon pÃ¨re, rÃ©pondit Grandier, vous seul ici avez
pitiÃ© de moi, consolez ma pauvre mÃ¨re et servez-lui de fils.Â» Le lieutenant du prÃ©vÃ´t, tout attendri,
lui dit alors: Â«Monsieur, pardonnez-moi la part que je suis forcÃ© de prendre Ã votre supplice.--Vous ne
m'avez pas offensÃ©, rÃ©pondit Grandier, vous Ãªtes obligÃ© de remplir les devoirs de votre charge.Â» On
lui avait promis de l'Ã©trangler avant de le brÃ»ler, mais quand le bourreau voulut tirer la corde elle se
trouva nouÃ©e, et le malheureux curÃ© de Saint-Pierre tomba tout vivant dans le feu.
Les principaux exorcistes, le pÃ¨re Tranquille et le pÃ¨re Lactance, moururent bientÃ´t aprÃ¨s, dans les
transports d'une [387] frÃ©nÃ©sie furieuse; le pÃ¨re Surin, qui les remplaÃ§a, devint fou. Manoury, le
chirurgien qui avait aidÃ© Ã torturer Grandier, mourut poursuivi par le fantÃ´me de la victime.
Laubardemont perdit son fils d'une maniÃ¨re tragique, et tomba lui-mÃªme dans la disgrÃ¢ce de son
maÃ®tre; les religieuses restÃ¨rent idiotes; tant il est vrai qu'il s'agissait d'une maladie terrible et contagieuse:
la maladie mentale du faux zÃ¨le et de la fausse dÃ©votion. La Providence punit les hommes par leurs
propres fautes, elle les instruit par les tristes consÃ©quences de leurs erreurs.
Dix ans Ã peine aprÃ¨s la mort de Grandier, les scandales de Loudun se renouvelÃ¨rent en Normandie. Des
religieuses de Louviers accusÃ¨rent deux prÃªtres de les avoir ensorcelÃ©es; un de ces prÃªtres Ã©tait mort,
on viola la majestÃ© de la tombe pour en arracher le cadavre, les phÃ©nomÃ¨nes de la possession furent les
mÃªmes qu'Ã Loudun et qu'Ã la Sainte-Baume. Ces filles hystÃ©riques traduisaient en langage ordurier les
cauchemars de leurs directeurs; les deux prÃªtres, l'un mort et l'autre vivant, furent condamnÃ©s au bÃ»cher.
Chose horrible, on attacha au mÃªme poteau un homme et un cadavre! Le supplice de MÃ©zence, cette
fiction d'un poÃ¨te paÃ¯en, trouva des chrÃ©tiens pour la rÃ©aliser, un peuple chrÃ©tien assista froidement
Ã cette exÃ©cution sacrilÃ¨ge, et les pasteurs ne comprirent pas qu'en profanant ainsi le sacerdoce et la
mort, ils donnaient Ã l'impiÃ©tÃ© un Ã©pouvantable signal.
On appelait le XVIIe siÃ¨cle, il vint Ã©teindre les bÃ»chers avec le sang des prÃªtres, et comme il arrive
presque toujours, ce furent les bons qui payÃ¨rent pour les mÃ©chants.

[388]Le XVIIIe siÃ¨cle Ã©tait commencÃ©, et l'on brÃ»lait encore des hommes; la foi Ã©tait dÃ©jÃ
perdue, et l'on abandonnait par hypocrisie le jeune Labarre aux plus horribles supplices pour avoir refusÃ©
de saluer la procession. Voltaire Ã©tait alors au monde et sentait grandir dans son coeur une vocation pareille
Ã celle d'Attila. Les passions humaines profanaient la religion, et Dieu envoyait ce nouveau dÃ©vastateur
pour reprendre la religion Ã un monde qui n'en Ã©tait plus digne.
En 1731, une demoiselle Catherine CadiÃ¨re de Toulon accusa son confesseur, le pÃ¨re Girard, jÃ©suite, de
sÃ©duction et de magie; cette fille Ã©tait une extatique stigmatisÃ©e qui avait passÃ© longtemps pour une
sainte; ce fut toute une immonde histoire de pamoisons lascives, de flagellations secrÃ¨tes, d'attouchements
luxurieux... Quel lieu infÃ¢me a des mystÃ¨res pareils Ã ceux d'une imagination cÃ©libataire et
dÃ©rÃ©glÃ©e par un dangereux mysticisme? La CadiÃ¨re ne fut pas crue sur parole, et le pÃ¨re Girard
Ã©chappa aux dangers d'une condamnation; le scandale n'en fut pas moins immense, et le bruit qu'il fit eut un
Ã©clat de rire pour Ã©cho: nous avons dit que Voltaire Ã©tait alors au monde.
Les gens superstitieux avaient jusqu'alors expliquÃ© les phÃ©nomÃ¨nes extraordinaires par l'intervention du
diable et des esprits; l'Ã©cole de Voltaire, non moins absurde, nia contre toute Ã©vidence les
phÃ©nomÃ¨nes eux-mÃªmes.
Ce que nous ne pouvons pas expliquer vient du diable, disaient les uns.
Ce que nous ne pouvons pas expliquer n'existe pas, rÃ©pondaient les autres.
La nature, en reproduisant toujours dans des circonstances [389] analogues les mÃªmes sÃ©ries de faits
excentriques et merveilleux, protestait contre l'ignorance prÃ©somptueuse des uns et la science bornÃ©e des
autres.
n tous temps, des perturbations physiques ont accompagnÃ© certaines maladies nerveuses; les fous, les
Ã©pileptiques, les cataleptiques, les hystÃ©riques, ont des facultÃ©s exceptionnelles, sont sujets Ã des
hallucinations contagieuses et produisent parfois, soit dans l'atmosphÃ¨re, soit dans les objets qui les
entourent, des commotions et des dÃ©rangements. L'hallucinÃ© projette ses rÃªves autour de lui, et il est
tourmentÃ© par son ombre; le corps s'environne de ses reflets rendus difformes par les souffrances du
cerveau; on se mire alors en quelque sorte dans la lumiÃ¨re astrale dont les courants excessifs, agissant Ã la
maniÃ¨re de l'aimant, dÃ©placent et font tourner les meubles; on entend alors des bruits et des voix comme
dans les rÃªves. Ces phÃ©nomÃ¨nes, rÃ©pÃ©tÃ©s tant de fois de nos jours qu'ils sont devenus vulgaires,
Ã©taient attribuÃ©s par nos pÃ¨res aux fantÃ´mes et aux dÃ©mons. La philosophie voltairienne trouva plus
court de les nier, en traitant d'imbÃ©ciles et d'idiots les tÃ©moins oculaires des faits les plus incontestables.
Quoi de plus avÃ©rÃ©, par exemple, que les merveilles des convulsions au tombeau du diacre PÃ¢ris, et
dans les rÃ©unions des extatiques de saint MÃ©dard? Comment expliquer ces Ã©tranges secours que
demandaient les convulsionnaires? des milliers de coups de bÃ»che sur la tÃªte, des pressions Ã Ã©craser un
hippopotame, des torsions de mamelles avec des pinces de fer, le crucifiement mÃªme avec des clous
enfoncÃ©s dans les pieds et les mains? puis des contorsions surhumaines, des ascensions [390] aÃ©riennes?
Les voltairiens n'ont voulu voir lÃ que des grimaces et des gambades, les jansÃ©nistes criaient miracle et les
vrais catholiques gÃ©missaient; mais la science qui seule devait intervenir pour expliquer cette fantasque
maladie, la science se tenait Ã l'Ã©cart: c'est Ã elle seule pourtant qu'appartiennent maintenant les ursulines
de Loudun, les religieuses de Louviers, les convulsionnaires et les mÃ©diums amÃ©ricains. Les
phÃ©nomÃ¨nes du magnÃ©tisme ne la mettent-ils pas sur la voie des dÃ©couvertes nouvelles? La
synthÃ¨se chimique qui se prÃ©pare, n'amÃ¨nera-t-elle pas d'ailleurs nos physiciens Ã la connaissance de la
lumiÃ¨re astrale? Et cette force universelle une fois connue, qui empÃªchera de dÃ©terminer la force, le
nombre et la direction de ses aimants? Ce sera toute une rÃ©volution dans la science, on sera revenu Ã la
haute magie des ChaldÃ©ens.

On a beaucoup parlÃ© du presbytÃ¨re de Cideville, MM. de Mirville, Gougenot Desmousseaux et autres
croyants sans critique ont vu dans les choses Ã©tranges qui s'y passaient une rÃ©vÃ©lation contemporaine
du diable; mais les mÃªmes choses sont arrivÃ©es Ã Saint-Maur, en 1706, tout Paris y courait. On entendait
frapper de grands coups contre les murailles, les lits roulaient sans qu'on y touchÃ¢t, les meubles se
dÃ©plaÃ§aient: tout cela finit par une crise violente accompagnÃ©e d'un profond Ã©vanouissement pendant
lequel le maÃ®tre de la maison, jeune homme de vingt-quatre Ã vingt-cinq ans, d'une constitution frÃªle et
nerveuse, crut entendre des esprits lui parler longuement, sans pouvoir jamais rÃ©pÃ©ter depuis un mot de
ce qu'ils lui avaient dit.
[391]Voici une histoire d'apparition du commencement du XVIIIe siÃ¨cle; la naÃ¯vetÃ© du rÃ©cit en

prouve l'authenticitÃ©, il y a certains caractÃ¨res de vÃ©ritÃ© que les inventeurs n'imitent pas.
Un bon prÃªtre de la ville de Valogne, nommÃ© BÃ©zuel, Ã©tant priÃ© Ã dÃ®ner, le 7 janvier 1708, chez
une dame, parente de l'abbÃ© de Saint-Pierre, avec cet abbÃ©, leur conta, d'aprÃ¨s leur dÃ©sir, l'apparition
d'un de ses camarades, qu'il avait eue en plein jour il y a douze ans.
Â«En 1695, leur dit BÃ©zuel, Ã©tant jeune Ã©colier d'environ quinze ans, je fis connaissance avec les deux
enfants d'AbaquÃ¨ne, procureur, Ã©coliers comme moi. L'aÃ®nÃ© Ã©tait de mon Ã¢ge, le cadet avait
dix-huit mois de moins, il s'appelait Desfontaines; nous faisions nos promenades et toutes nos parties de
plaisir ensemble; et soit que Desfontaines eÃ»t plus d'amitiÃ© pour moi, soit qu'il fÃ»t plus gai, plus
complaisant, plus spirituel que son frÃ¨re, je l'aimais aussi davantage.
En 1696, nous promenant tous deux dans le cloÃ®tre des Capucins, il me conta qu'il avait lu depuis peu une
histoire de deux amis qui s'Ã©taient promis que celui qui mourrait le premier viendrait dire des nouvelles de
son Ã©tat au vivant; que le mort revint, et lui dit des choses surprenantes. Sur cela, Desfontaines me dit qu'il
avait une grÃ¢ce Ã me demander, qu'il me la demandait instamment: c'Ã©tait de lui faire une pareille
promesse, et que, de son cÃ´tÃ©, il me la ferait; je lui dis que je ne voulais point. Il fut plusieurs mois Ã
m'en parler souvent et trÃ¨s sÃ©rieusement; je rÃ©sistais toujours. Enfin, vers le mois d'aoÃ»t 1696, comme
il devait partir pour aller Ã©tudier Ã Caen, il me pressa tant, les larmes aux yeux, que j'y consentis. Il tira
dans le moment deux [392] petits papiers qu'il avait Ã©crits tout prÃªts, l'un signÃ© de son sang, oÃ¹ il me
promettait, en cas de mort, de venir dire des nouvelles de son Ã©tat, l'autre oÃ¹ je lui promettais pareille
chose. Je me piquai au doigt, il en sortit une goutte de sang avec lequel je signai mon nom; il fut ravi d'avoir
mon billet, et, en m'embrassant, il me fit mille remercÃ®ments.
Quelque temps aprÃ¨s, il partit avec son frÃ¨re. Notre sÃ©paration nous causa bien du chagrin; nous nous
Ã©crivions de temps en temps de nos nouvelles, et il n'y avait que six semaines que j'avais reÃ§u de ses
lettres, lorsqu'il m'arriva ce que je m'en vais conter.
Le 31 juillet 1697, un jeudi, il m'en souviendra toute ma vie, feu M. de Sortoville, auprÃ¨s de qui je logeais, et
qui avait eu de la bontÃ© pour moi, me pria d'aller Ã un prÃ© prÃ¨s des Cordeliers, et d'aider Ã presser ses
gens qui faisaient du foin; je n'y fus pas un quart d'heure que vers les deux heures et demie je me sentis tout
d'un coup Ã©tourdi et pris d'une faiblesse; je m'appuyais en vain sur ma fourche Ã foin, il fallut que je me
misse sur un peu de foin, oÃ¹ je fus environ une demi-heure Ã reprendre mes esprits. Cela se passa; mais
comme jamais rien de semblable ne m'Ã©tait arrivÃ©, j'en fus surpris, et je craignis le commencement d'une
maladie, il ne m'en resta cependant que peu d'impression le reste du jour; il est vrai que la nuit je dormis
moins qu'Ã l'ordinaire.
Le lendemain Ã pareille heure, comme je menais au prÃ© M. de Saint-Simon, petit-fils de M. de Sortoville,

qui avait alors dix ans, je me trouvai en chemin attaquÃ© d'une pareille faiblesse, je m'assis sur une pierre Ã
l'ombre. Cela se passa, et nous [393] continuÃ¢mes notre chemin; il ne m'arriva rien de plus ce jour-lÃ , et la
nuit je ne dormis guÃ¨re.

Enfin, le lendemain, deuxiÃ¨me jour d'aoÃ»t, Ã©tant dans le grenier oÃ¹ on serrait le foin que l'on apportait
du prÃ©, prÃ©cisÃ©ment Ã la mÃªme heure, je fus pris d'un pareil Ã©tourdissement et d'une pareille
faiblesse, mais plus grande que les autres. Je m'Ã©vanouis et perdis connaissance. Un des laquais s'en
aperÃ§ut. On m'a dit qu'on me demanda alors qu'est-ce que j'avais; et que je rÃ©pondis: J'ai vu ce que je
n'aurais jamais cru; mais il ne me souvient ni de la demande ni de la rÃ©ponse. Cela cependant s'accorde Ã
ce qu'il me souvient avoir vu alors comme une personne nue Ã mi-corps, mais que je ne reconnus cependant
point. On m'aida Ã descendre de l'Ã©chelle; je me tenais bien aux Ã©chelons; mais comme je vis
Desfontaines, mon camarade, au bas de l'Ã©chelle, la faiblesse me reprit, ma tÃªte s'en alla entre deux
Ã©chelons et je perdis encore connaissance. On me descendit et on me mit sur une grosse poutre qui servait
de siÃ©ge sur la grande place des capucins; je n'y vis plus alors M. de Sortoville, ni ses domestiques, quoique
prÃ©sents; mais apercevant Desfontaines vers le pied de l'Ã©chelle, qui me faisait signe de venir Ã lui, je
me reculai sur mon siÃ©ge, comme pour lui faire place, et ceux qui me voyaient, et que je ne voyais pas,
quoique j'eusse les yeux ouverts, remarquÃ¨rent ce mouvement.
Comme il ne venait point, je me levai pour aller Ã lui; il s'avanÃ§a vers moi, me prit le bras gauche de son
bras droit, et me conduisit, Ã trente pas de lÃ , dans une rue Ã©cartÃ©e, me tenant ainsi accrochÃ©. Les
domestiques croyant que mon Ã©tourdissement [394] Ã©tait passÃ©, et que j'allais Ã quelques
nÃ©cessitÃ©s, s'en allÃ¨rent chacun Ã leur besogne, exceptÃ© un petit laquais qui vint dire Ã M. de
Sortoville que je parlais tout seul. M. de Sortoville crut que j'Ã©tais ivre; il s'approcha, et m'entendit faire
quelques questions et quelques rÃ©ponses qu'il m'a dites depuis.
Je fus lÃ prÃ¨s de trois quarts d'heure Ã causer avec Desfontaines. Je vous ai promis, me dit-il, que si je
mourais avant vous, je viendrais vous le dire. Je me noyai avant-hier Ã la riviÃ¨re de Caen; Ã peu prÃ¨s Ã
cette heure-ci, j'Ã©tais Ã la promenade avec tels et tels, il faisait grand chaud, il nous prit envie de nous
baigner, il me vint une faiblesse dans la riviÃ¨re, et je tombai au fond. L'abbÃ© de MÃ©nil-Jean, mon
camarade, plongea pour me reprendre, je saisis son pied; mais, soit qu'il eÃ»t peur que ce ne fÃ»t un saumon,
parce que je le serrai bien fort, soit qu'il voulÃ»t promptement remonter sur l'eau, il secoua si rudement le
jarret, qu'il me donna un grand coup sur la poitrine, et me jeta au fond de la riviÃ¨re, qui est lÃ fort profonde.
Desfontaines me conta ensuite tout ce qui leur Ã©tait arrivÃ© dans la promenade, et de quoi ils s'Ã©taient
entretenus. J'avais beau lui faire des questions s'il Ã©tait sauvÃ©, s'il Ã©tait damnÃ©, s'il Ã©tait en
purgatoire, si j'Ã©tais en Ã©tat de grÃ¢ce, et si je le suivrais de prÃ¨s, il continua son discours comme s'il ne
m'avait point entendu, et comme s'il n'eÃ»t point voulu m'entendre.
Je m'approchai plusieurs fois pour l'embrasser; mais il me parut que je n'embrassais rien; je sentais pourtant
bien qu'il me tenait fortement par le bras, et que lorsque je tÃ¢chais de dÃ©tourner ma tÃªte pour ne le plus
voir, parce que je ne le voyais [395] qu'en m'affligeant, il me secouait le bras, comme pour m'obliger Ã le
regarder et Ã l'Ã©couter.
Il me parut toujours plus grand que je ne l'avais vu, et plus grand mÃªme qu'il n'Ã©tait lors de sa mort,
quoiqu'il eÃ»t grandi depuis dix-huit mois que nous ne nous Ã©tions vus; je le vis toujours Ã mi-corps et nu,
la tÃªte nue avec ses beaux cheveux blonds, et un Ã©criteau blanc, entortillÃ© dans ses cheveux, sur son
front, sur lequel il y avait de l'Ã©criture, oÃ¹ je ne pus lire que ces mots: In, etc.
C'Ã©tait son mÃªme son de voix: il ne me parut ni gai, ni triste, mais dans une situation calme et tranquille; il
me pria, quand son frÃ¨re serait revenu, de lui dire certaines choses pour dire son pÃ¨re et Ã sa mÃ¨re; il me
pria de dire les sept psaumes qu'il avait eus en pÃ©nitence le dimanche prÃ©cÃ©dent, qu'il n'avait pas
encore rÃ©citÃ©s; ensuite il me recommanda encore de parler Ã son frÃ¨re, et puis me dit adieu,
s'Ã©loigna de moi en me disant: Â«Jusques, jusques,Â» qui Ã©tait le terme ordinaire dont il se servait quand
nous nous quittions Ã la promenade pour aller chacun chez nous.

Il me dit que, lorsqu'il se noyait, son frÃ¨re, en Ã©crivant une traduction, s'Ã©tait repenti de l'avoir laissÃ©
aller sans l'accompagner, craignant quelque accident: il me peignit si bien oÃ¹ il s'Ã©tait noyÃ©, et l'arbre de
l'avenue de Louvigni oÃ¹ il avait Ã©crit quelques mots, que deux ans aprÃ¨s, me trouvant avec le feu
chevalier de Gotot, un de ceux qui Ã©taient avec lui lorsqu'il se noya, je lui marquai l'endroit mÃªme, et
qu'en comptant les arbres d'un certain cÃ´tÃ©, que Desfontaines m'avait spÃ©cifiÃ©, j'allai droit Ã l'arbre,
et je trouvai son Ã©criture: il [396] me dit aussi que l'article des sept psaumes Ã©tait vrai, qu'au sortir de
confession, ils s'Ã©taient dit leur pÃ©nitence; son frÃ¨re me dit depuis qu'il Ã©tait vrai qu'Ã cette heure-lÃ
il Ã©crivait sa version, et qu'il se reprocha de n'avoir pas accompagnÃ© son frÃ¨re.
Comme je passai prÃ¨s d'un mois sans pouvoir faire ce que m'avait dit Desfontaines Ã l'Ã©gard de son
frÃ¨re, il m'apparut encore deux fois, avant dÃ®ner, Ã une maison de campagne oÃ¹ j'Ã©tais allÃ©
dÃ®ner, Ã une lieue d'ici. Je me trouvai mal; je dis qu'on me laissÃ¢t, que ce n'Ã©tait rien, que j'allais
revenir: j'allai dans le coin du jardin. Desfontaines m'ayant apparu, il me fit des reproches de ce que je n'avais
pas encore parlÃ© Ã son frÃ¨re, et m'entretint encore un quart d'heure sans vouloir rÃ©pondre Ã mes
questions.
En allant le matin Ã Notre-Dame-de-la-Victoire, il m'apparut encore, mais pour moins de temps, et me pressa
toujours de parler Ã son frÃ¨re, et me quitta en me disant toujours Â«Jusques, jusques,Â» et sans vouloir
rÃ©pondre Ã mes questions.
C'est une chose remarquable que j'eus toujours une douleur Ã l'endroit du bras qu'il m'avait saisi la premiÃ¨re
fois, jusqu'Ã ce que j'eusse parlÃ© Ã son frÃ¨re. Je fus trois jours que je ne dormais pas de l'Ã©tonnement
oÃ¹ j'Ã©tais. Au sortir de la premiÃ¨re conversation, je dis Ã M. de Varonville, mon voisin et mon camarade
d'Ã©cole, que Desfontaines avait Ã©tÃ© noyÃ©, qu'il venait lui-mÃªme de m'apparaÃ®tre et de me le dire.
Il s'en alla toujours courant chez les parents, pour savoir si cela Ã©tait vrai; on en venait de recevoir la
nouvelle; mais, par un malentendu, il [397] comprit que c'Ã©tait l'aÃ®nÃ©. Il m'assura qu'il avait lu la lettre
de Desfontaines, et il le croyait ainsi: je lui soutins toujours que cela ne pouvait pas Ãªtre, et que Desfontaines
lui-mÃªme m'Ã©tait apparu: il retourna, revint, et me dit en pleurant: Â«Cela n'est que trop vrai.Â»
Il ne m'est rien arrivÃ© depuis, et voilÃ mon aventure au naturel. On l'a contÃ©e diversement; mais je ne
l'ai contÃ©e que comme je viens de vous le dire. Le feu chevalier de Gotot m'a dit que Desfontaines est aussi
apparu Ã M. de MÃ©nil-Jean. Mais je ne le connais pas; il demeure Ã vingt lieues d'ici, du cÃ´tÃ©
d'Argentan, et je ne puis en rien dire de plus.Â»
Il faut remarquer le caractÃ¨re de rÃªve qui se montre partout dans cette vision d'un homme Ã©veillÃ©, mais
Ã demi asphyxiÃ© par les Ã©manations du foin. On reconnaÃ®tra l'ivresse astrale produite par la
congestion du cerveau. L'Ã©tat de somnambulisme qui en est la consÃ©quence, et qui fait voir Ã M.
BÃ©zuel le dernier reflet vivant que son ami a laissÃ© dans la lumiÃ¨re. Il est nu, et l'on ne peut le voir
qu'Ã mi-corps, parce que le reste Ã©tait dÃ©jÃ cachÃ© par l'eau de la riviÃ¨re. La bandelette dans les
cheveux Ã©tait sans doute un mouchoir ou un cordon qui avait servi au baigneur Ã retenir sa chevelure.
BÃ©zuel eut alors l'intuition somnambulique de tout ce qui s'Ã©tait passÃ©, il lui sembla l'apprendre de la
bouche mÃªme de son ami. Cet ami d'ailleurs ne lui parut ni triste, ni gai, maniÃ¨re d'exprimer l'impression
que lui fit cette image sans vie toute de rÃ©miniscence et de reflet. Lorsque cette vision lui vient pour la
premiÃ¨re fois, M. BÃ©zuel, enivrÃ© par l'odeur du foin, se laisse tomber d'une Ã©chelle et se blesse au
bras: il lui semble alors, avec la logique des rÃªves, [398] que son ami lui serre le bras, et Ã son rÃ©veil il
sent encore de la douleur, ce qui s'explique tout naturellement par le coup qu'il s'Ã©tait donnÃ©; du reste, les
discours du dÃ©funt Ã©taient tout rÃ©trospectifs, rien de la mort ni de l'autre vie, ce qui prouve une fois de
plus combien est infranchissable la barriÃ¨re qui sÃ©pare l'autre monde de celui-ci.
La vie dans la prophÃ©tie d'ÃzÃ©chiel est figurÃ©e par des roues qui tournent les unes dans les autres; les
formes Ã©lÃ©mentaires reprÃ©sentÃ©es par les quatre animaux, montent et descendent avec la roue, et se

poursuivent sans s'atteindre jamais comme les signes du zodiaque. Jamais les roues du mouvement
perpÃ©tuel ne retournent sur elles-mÃªmes; jamais les formes ne reculent vers les stations qu'elles ont
quittÃ©es; pour revenir d'oÃ¹ l'on est parti, il faut avoir fait le tour du cercle dans un mouvement toujours le
mÃªme et toujours nouveau. Concluons-en que tout ce qui se manifeste Ã nous en cette vie, est un
phÃ©nomÃ¨ne de cette mÃªme vie, et qu'il n'est donnÃ© ici-bas, ni Ã notre pensÃ©e, ni Ã notre
imagination, ni mÃªme, Ã nos hallucinations et Ã nos rÃªves, de franchir, ne fÃ»t-ce que pour un instant, les
barriÃ¨res redoutables de la mort.
[399]
CHAPITRE VII.
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÃONNERIE.

SOMMAIRE.--La lÃ©gende d'Hiram ou d'Adoniram.--Autres lÃ©gendes maÃ§onniques.--Le secret des
francs-maÃ§ons.--Esprit de leurs rites.--Sens de leurs grades, leurs tableaux allÃ©goriques, leurs signes.
La grande association kabbalistique, connue en Europe sous le nom de maÃ§onnerie, apparaÃ®t tout Ã coup
dans le monde au moment oÃ¹ la protestation contre l'Ãglise vient de dÃ©membrer l'unitÃ© chrÃ©tienne.
Les historiens de cet ordre ne savent comment en expliquer l'origine: les uns lui donnent pour mÃ¨re une libre
association de maÃ§ons, formÃ©e lors de la construction de la cathÃ©drale de Strasbourg; d'autres lui
donnent Cromwell pour fondateur, sans trop se demander si les rites de la maÃ§onnerie anglaise du temps de
Cromwell ne sont pas organisÃ©s contre ce chef de l'anarchie puritaine; il en est d'assez ignorants pour
attribuer aux jÃ©suites, sinon la fondation du moins la continuation et la direction de cette sociÃ©tÃ©
longtemps secrÃ¨te et toujours mystÃ©rieuse. A part cette derniÃ¨re opinion, qui se rÃ©fute d'elle-mÃªme,
on peut concilier toutes les autres, en disant que les frÃ¨res maÃ§ons ont empruntÃ© aux constructeurs de la
cathÃ©drale de Strasbourg leur nom et les emblÃ¨mes de leur art, qu'ils se sont organisÃ©s publiquement
pour la premiÃ¨re fois en Angleterre, Ã la faveur des institutions radicales et en dÃ©pit du despotisme de
Cromwell.
[400]On peut ajouter qu'ils ont eu les templiers pour modÃ¨les, les roses-croix pour pÃ¨res et les joannites
pour ancÃªtres. Leur dogme est celui de Zoroastre et d'HermÃ¨s, leur rÃ¨gle est l'initiation progressive, leur
principe l'Ã©galitÃ© rÃ©glÃ©e par la hiÃ©rarchie et la fraternitÃ© universelle; ce sont les continuateurs
de l'Ã©cole d'Alexandrie, hÃ©ritiÃ¨re de toutes les initiations antiques; ce sont les dÃ©positaires des secrets
de l'apocalypse et du sobar; l'objet de leur culte c'est la vÃ©ritÃ© reprÃ©sentÃ©e par la lumiÃ¨re; ils
tolÃ¨rent toutes les croyances et ne professent qu'une seule et mÃªme philosophie; ils ne cherchent que la
vÃ©ritÃ©, n'enseignent que la rÃ©alitÃ© et veulent amener progressivement toutes les intelligences Ã la
raison.
Le but allÃ©gorique de la maÃ§onnerie c'est la reconstruction du temple de Salomon; le but rÃ©el c'est la
reconstitution de l'unitÃ© sociale par l'alliance de la raison et de la foi, et le rÃ©tablissement de la
hiÃ©rarchie, suivant la science et la vertu, avec l'initiation et les Ã©preuves pour degrÃ©s.
Rien n'est plus beau, on le voit, rien n'est plus grand que ces idÃ©es et ces tendances, malheureusement les
doctrines de l'unitÃ© et la soumission Ã la hiÃ©rarchie ne se conservÃ¨rent pas dans la maÃ§onnerie
universelle; il y eut bientÃ´t une maÃ§onnerie dissidente, opposÃ©e Ã la maÃ§onnerie orthodoxe, et les
CHAPITRE VII. 210

plus grandes calamitÃ©s de la rÃ©volution franÃ§aise furent le rÃ©sultat de cette scission.
Les francs-maÃ§ons ont leur lÃ©gende sacrÃ©e, c'est celle d'Hiram, complÃ©tÃ©e par celle de Cyrus et de
Zorobabel.
Voici la lÃ©gende d'Hiram:
Lorsque Salomon fit bÃ¢tir le temple, il confia ses plans Ã un architecte nommÃ© Hiram.
[401]Cet architecte, pour mettre de l'ordre dans les travaux, divisa les travailleurs par rang d'habiletÃ©, et
comme leur multitude Ã©tait grande, afin de les reconnaÃ®tre, soit pour les employer suivant leur mÃ©rite,
soit pour les rÃ©munÃ©rer suivant leur travail, il donna Ã chaque catÃ©gorie, aux apprentis, aux
compagnons et aux maÃ®tres, des mots de passe et des signes particuliers.
Trois compagnons voulurent usurper le rang des maÃ®tres sans en avoir le mÃ©rite, ils se mirent en
embuscade aux trois principales portes du temple, et lorsque Hiram se prÃ©senta pour sortir, l'un des
compagnons lui demanda le mot d'ordre des maÃ®tres, en le menaÃ§ant de sa rÃ¨gle.
Hiram lui rÃ©pondit: Ce n'est pas ainsi que j'ai reÃ§u le mot que vous me demandez.
Le compagnon furieux frappa Hiram de sa rÃ¨gle de fer, et lui fit une premiÃ¨re blessure.
Hiram courut Ã une autre porte, il y trouva le second compagnon, mÃªme demande, mÃªme rÃ©ponse, et
cette fois Hiram fut frappÃ© avec une Ã©querre, d'autres disent avec un levier.
Ã la troisiÃ¨me porte Ã©tait le troisiÃ¨me assassin, qui acheva le maÃ®tre d'un coup de maillet.
Ces trois compagnons cachÃ¨rent ensuite le cadavre sous un tas de dÃ©combres, et plantÃ¨rent sur cette
tombe improvisÃ©e une branche d'acacia, puis ils prirent la fuite comme CaÃ¯n aprÃ¨s le meurtre d'Abel.
Cependant Salomon, ne voyant pas revenir son architecte, envoya neuf maÃ®tres pour le chercher, la branche
d'acacia leur rÃ©vÃ©la le cadavre, ils le tirÃ¨rent des dÃ©combres, et comme il y avait sÃ©journÃ© assez
longtemps, ils s'Ã©criÃ¨rent en le soulevant: Mac bÃ©nach! ce qui signifie: la chair se dÃ©tache des os.
[402]On rendit Ã Hiram les derniers devoirs, puis vingt-sept maÃ®tres furent envoyÃ©s par Salomon Ã la
recherche des meurtriers.
Le premier fut surpris dans une caverne, une lampe brÃ»lait prÃ¨s de lui et un ruisseau coulait Ã ses pieds,
un poignard Ã©tait prÃ¨s de lui pour sa dÃ©fense; le maÃ®tre qui pÃ©nÃ©tra dans la caverne reconnut
l'assassin, saisit le poignard et le frappa en criant: Nekum! mot qui veut dire vengeance; sa tÃªte fut portÃ©e
Ã Salomon, qui frÃ©mit en la voyant, et dit Ã celui qui avait tuÃ© l'assassin: Malheureux, ne savais-tu pas
que je m'Ã©tais rÃ©servÃ© le droit de punir? Alors tous les maÃ®tres se prosternÃ¨rent et demandÃ¨rent
grÃ¢ce pour celui que son zÃ¨le avait emportÃ© trop loin.
Le second meurtrier fut trahi par un homme qui lui avait donnÃ© asile; il Ã©tait cachÃ© dans un rocher
prÃ¨s d'un buisson ardent, sur lequel brillait un arc-en-ciel, un chien Ã©tait couchÃ© prÃ¨s de lui, les
maÃ®tres trompÃ¨rent la vigilance du chien, saisirent le coupable, le liÃ¨rent et le menÃ¨rent Ã
JÃ©rusalem, oÃ¹ il pÃ©rit du dernier supplice.
Le troisiÃ¨me assassin fut tuÃ© par un lion, qu'il fallut vaincre pour s'emparer de son cadavre, d'autres
versions disent qu'il se dÃ©fendit lui-mÃªme Ã coups de hache contre les maÃ®tres, qui parvinrent enfin Ã
ORIGINES MAGIQUES DE LA MAÃONNERIE. 211

le dÃ©sarmer et le conduisirent Ã Salomon, qui lui fit expier son crime.
Telle est la premiÃ¨re lÃ©gende, en voici maintenant l'explication.
Salomon est la personnification de la science et de la sagesse suprÃªmes.
Le temple est la rÃ©alisation et la figure du rÃ¨gne hiÃ©rarchique de la vÃ©ritÃ© et de la raison sur la

terre.
[403]Hiram est l'homme parvenu Ã l'empire par la science et par la sagesse.
Il gouverne par la justice et par l'ordre, en rendant Ã chacun selon ses oeuvres.
Chaque degrÃ© de l'ordre possÃ¨de un mot qui en exprime l'intelligence.
Il n'y a qu'une parole pour Hiram, mais cette parole se prononce de trois maniÃ¨res diffÃ©rentes.
D'une maniÃ¨re pour les apprentis, et prononcÃ© par eux il signifie nature et s'explique par le travail.
D'une autre maniÃ¨re pour les compagnons, et chez eux il signifie pensÃ©e en s'expliquant par l'Ã©tude.
D'une autre maniÃ¨re pour les maÃ®tres, et dans leur bouche il signifie vÃ©ritÃ©, mot qui s'explique par la
sagesse.
Cette parole est celle dont on se sert pour dÃ©signer Dieu, dont le vrai nom est indicible et incommunicable.
Ainsi il y a trois degrÃ©s dans la hiÃ©rarchie, comme il y a trois portes au temple;
Il y a trois rayons dans la lumiÃ¨re;
Il y a trois forces dans la nature;
Ces forces sont figurÃ©es par la rÃ¨gle qui unit, le levier qui soulÃ¨ve et le maillet qui affermit.
La rÃ©bellion des instincts brutaux, contre l'aristocratie hiÃ©rarchique de la sagesse, s'arme successivement
de ces trois forces qu'elle dÃ©tourne de l'harmonie.
Il y a trois rebelles typiques:
Le rebelle Ã la nature;
Le rebelle Ã la science;
Le rebelle Ã la vÃ©ritÃ©.
Ils Ã©taient figurÃ©s dans l'enfer des anciens par les trois tÃªtes de CerbÃ¨re.
[404]Ils sont figurÃ©s dans la Bible par CorÃ©, Dathan et Abiron.
Dans la lÃ©gende maÃ§onnique, ils sont dÃ©signÃ©s par des noms qui varient suivant les rites.

Le premier qu'on appelle ordinairement Abiram ou meurtrier d'Hiram, frappe le grand maÃ®tre avec la
rÃ¨gle.
C'est l'histoire du juste mis Ã mort, au nom de la loi, par les passions humaines.
Le second nommÃ© Miphiboseth, du nom d'un prÃ©tendant ridicule et infirme Ã la royautÃ© de David,
frappe Hiram avec le levier ou avec l'Ã©querre.
C'est ainsi que le levier populaire ou l'Ã©querre d'une folle Ã©galitÃ© devient l'instrument de la tyrannie
entre les mains de la multitude et attente, plus malheureusement encore que la rÃ¨gle, Ã la royautÃ© de la
sagesse et de la vertu.
Le troisiÃ¨me enfin achÃ¨ve Hiram avec le maillet.
Comme font les instincts brutaux, lorsqu'ils veulent faire l'ordre au nom de la violence et de la peur en
Ã©crasant l'intelligence.
La branche d'acacia sur la tombe d'Hiram est comme la croix sur nos autels.
C'est le signe de la science qui survit Ã la science; c'est la branche verte qui annonce un autre printemps.
Quand les hommes ont ainsi troublÃ© l'ordre de la nature, la Providence intervient pour le rÃ©tablir, comme
Salomon pour venger la mort d'Hiram.
[405]Celui qui a assassinÃ© avec la rÃ¨gle, meurt par le poignard.
Celui qui a frappÃ© avec le levier ou l'Ã©querre, mourra sous la hache de la loi. C'est l'arrÃªt Ã©ternel des
rÃ©gicides.
Celui qui a triomphÃ© avec le maillet, tombera victime de la force dont il a abusÃ©, et sera Ã©tranglÃ© par
le lion.
L'assassin par la rÃ¨gle, est dÃ©noncÃ© par la lampe mÃªme qui l'Ã©claire et par la source oÃ¹ il s'abreuve.
C'est-Ã -dire, qu'on lui appliquera la peine du talion.
L'assassin par le levier sera surpris quand sa vigilance sera en dÃ©faut comme un chien endormi, et il sera
livrÃ© par ses complices; car l'anarchie est mÃ¨re de la trahison.
Le lion qui dÃ©vore l'assassin par le maillet, est une des formes du sphinx d'Oedipe.
Et celui-lÃ mÃ©ritera de succÃ©der Ã Hiram dans sa dignitÃ© qui aura vaincu le lion.
Le cadavre putrÃ©fiÃ© d'Hiram montre que les formes changent, mais que l'esprit reste.
La source d'eau qui coule prÃ¨s du premier meurtrier, rappelle le dÃ©luge qui a puni les crimes contre la
nature.
Le buisson ardent et l'arc-en-ciel qui font dÃ©couvrir le second assassin, reprÃ©sentent la lumiÃ¨re et la vie,
dÃ©nonÃ§ant les attentats contre la pensÃ©e.

Enfin le lion vaincu reprÃ©sente le triomphe de l'esprit sur la matiÃ¨re et la soumission dÃ©finitive de la
force Ã l'intelligence.
Depuis le commencement du travail de l'esprit pour bÃ¢tir le temple de l'unitÃ©, Hiram a Ã©tÃ© tuÃ© bien
des fois, et il ressuscite toujours.
[406]C'est Adonis tuÃ© par le sanglier, c'est Osiris assassinÃ© par Typhon.
C'est Pythagore proscrit, c'est OrphÃ©e dÃ©chirÃ© par les Bacchantes, c'est MoÃ¯se abandonnÃ© dans les
cavernes du Mont-NÃ©bo, c'est JÃ©sus mis Ã mort par CaÃ¯phe, Judas et Pilate.
Les vrais maÃ§ons sont donc ceux qui persistent Ã vouloir construire le temple, suivant le plan d'Hiram.
Telle est la grande et principale lÃ©gende de la maÃ§onnerie; les autres ne sont pas moins belles et moins
profondes, mais nous ne croyons pas devoir en divulguer les mystÃ¨res, bien que nous n'ayons reÃ§u
l'initiation que de Dieu et de nos travaux, nous regardons le secret de la haute maÃ§onnerie comme le nÃ´tre.
Parvenus par nos efforts Ã un grade scientifique qui nous impose le silence, nous nous croyons mieux
engagÃ© par nos convictions que par un serment. La science est une noblesse qui oblige, et nous ne
dÃ©mÃ©riterons point la couronne princiÃ¨re des roses-croix. Nous aussi nous croyons Ã la rÃ©surrection
d'Hiram!
Les rites de la maÃ§onnerie sont destinÃ©s Ã transmettre le souvenir des lÃ©gendes de l'initiation, Ã le
conserver parmi les frÃ¨res.
On nous demandera peut-Ãªtre comment, si la maÃ§onnerie est si sublime et si sainte, elle a pu Ãªtre proscrite
et si souvent condamnÃ©e par l'Ãglise.
Nous avons dÃ©jÃ rÃ©pondu Ã cette question, en parlant des scissions et des profanations de la
maÃ§onnerie.
La maÃ§onnerie, c'est la gnose, et les faux gnostiques ont fait condamner les vÃ©ritables.
Ce qui les oblige Ã se cacher, ce n'est pas la crainte de la [407] lumiÃ¨re, la lumiÃ¨re est ce qu'ils veulent, ce
qu'ils cherchent, ce qu'ils adorent.
Mais ils craignent les profanateurs, c'est-Ã -dire, les faux interprÃ¨tes, les calomniateurs, les sceptiques au rire
stupide, et les ennemis de toute croyance et de toute moralitÃ©.
De notre temps d'ailleurs un grand nombre d'hommes qui se croyent francs-maÃ§ons, ignorent le sens de leurs
rites, et ont perdu la clÃ© de leurs mystÃ¨res.
Ils ne comprennent mÃªme plus leurs tableaux symboliques, et n'entendent plus rien aux signes
hiÃ©roglyphiques, dont sont historiÃ©s les tapis de leurs loges.
Ces tableaux et ces signes sont les pages du livre de la science absolue et universelle.
On peut les lire Ã l'aide des clÃ©s kabbalistiques, et elles n'ont rien de cachÃ© pour l'initiÃ© qui possÃ¨de
les clavicules de Salomon.
La maÃ§onnerie a non-seulement Ã©tÃ© profanÃ©e, mais elle a servi mÃªme de voile et de prÃ©texte aux
complots de l'anarchie, par l'influence occulte des vengeurs de Jacques de Molay, et des continuateurs de

l'oeuvre schismatique du temple.
Au lieu de venger la mort d'Hiram, on a vengÃ© ses assassins.
Les anarchistes ont repris la rÃ¨gle, l'Ã©querre et le maillet, et ont Ã©crit dessus libertÃ©, Ã©galitÃ©,
fraternitÃ©.
C'est-Ã -dire libertÃ© pour les convoitises, Ã©galitÃ© dans la bassesse, et fraternitÃ© pour dÃ©truire.
VoilÃ les hommes que l'Ãglise a condamnÃ©s justement et qu'elle condamnera toujours!
[408]
LIVRE VI.
LA MAGIE ET LA RÃVOLUTION.
×, Waou.
CHAPITRE PREMIER.
AUTEURS REMARQUABLES DU XVIIIe SIÃCLE.

SOMMAIRE.--Importantes dÃ©couvertes en Chine.--Les livres kabbalisliques de fo-hi--L'y-Kun et les
trigrammes.--Kong-Fu-TzÃ©e et fo.--Les jÃ©suites et les thÃ©ologiens.--Mouvement des esprits en
Europe.--Swedenborg et Mesmer.
Jusqu'Ã la fin du XVIIe siÃ¨cle, la Chine Ã©tait Ã peu prÃ¨s inconnue au reste du monde. C'est seulement
Ã cette Ã©poque que ce vaste empire, explorÃ© par nos missionnaires, nous est rÃ©vÃ©lÃ© par eux, et
nous apparaÃ®t comme une nÃ©cropole de toutes les sciences du passÃ©. Les Chinois semblent Ãªtre un
peuple de momies. Rien ne progresse chez eux, et ils vivent dans l'immobilitÃ© de leurs traditions dont
l'esprit et la vie se sont retirÃ©s depuis longtemps. Ils ne savent plus rien, mais ils se souviennent vaguement
de tout. Le gÃ©nie de la Chine est le dragon des HespÃ©rides qui dÃ©fend les pommes d'or du jardin de la
science. Leur type humain de la divinitÃ©, au lieu de vaincre le dragon comme Cadmus, s'est accroupi,
fascinÃ© et magnÃ©tisÃ© par le monstre qui fait miroiter devant lui le reflet changeant de ses Ã©cailles.
[409] Le mystÃ¨re seul est vivant en Chine, la science est en lÃ©thargie, ou du moins elle dort
profondÃ©ment et ne parle jamais qu'en rÃªve.
LIVRE VI. 215

Nous avons dit que la Chine possÃ¨de un tarot calculÃ© sur les mÃªmes donnÃ©es kabbalistiques et
absolues que le Sepher JÃ©zirah des HÃ©breux, elle possÃ¨de aussi un livre hiÃ©roglyphique composÃ©
uniquement des combinaisons de deux figures, ce livre est l'y-Kim attribuÃ© Ã l'empereur Fo-hi, et M. de
Maison, dans ses Lettres sur la Chine, le dÃ©clare parfaitement indÃ©chiffrable.
Il ne l'est pourtant pas plus que le Sohar dont il parait Ãªtre un complÃ©ment fort curieux, et un prÃ©cieux
appendice. Le Sohar est l'explication du travail de la balance ou de l'Ã©quilibre universel: l'y-Kim en est la
dÃ©monstration hiÃ©roglyphique et chiffrÃ©e.
La clÃ© de ce livre est un pantacle connu sous le nom des Trigrammes de Fo-hi. Suivant la lÃ©gende
rapportÃ©e dans le Vay-Ky, recueil d'une grande autoritÃ© en Chine, et qui fut composÃ© par
LÃ©on-Tao-Yuen, sous la dynastie des Soms, il y a sept ou huit cents ans, l'empereur Fo-hi mÃ©ditant un
jour au bord d'une riviÃ¨re sur les grands secrets de la nature, vit sortir de l'eau un sphinx, c'est-Ã -dire, un
animal allÃ©gorique ayant la forme mixte d'un cheval et d'un dragon. Sa tÃªte Ã©tait allongÃ©e comme
celle du cheval, il avait quatre pieds et finissait par une queue de serpent; son dos Ã©tait couvert d'Ã©cailles
et sur chacune de ses Ã©cailles brillait la figure des mystÃ©rieux Trigrammes, plus petits vers les
extrÃ©mitÃ©s, plus larges sur sa poitrine et sur le dos, mais en parfaite harmonie les uns avec les autres. Ce
dragon se mirait dans l'eau, et son reflet avait les mÃªmes [410] formes, et portait les mÃªmes images que lui,
mais en sens inverse des formes et des images rÃ©elles. Ce cheval serpent, inspirateur ou plutÃ´t porteur
d'inspirations comme le PÃ©gase de la mythologie grecque, symbole de la vie universelle, comme le serpent
AUTEURS REMARQUABLES DU XVIIIe SIÃCLE. 216

de kronos, initia Fo-hi Ã la science universelle. Les Trigrammes lui servirent d'introduction, il compta les
Ã©cailles du cheval-serpent, et combina les Trigrammes en autant de maniÃ¨res qu'il conÃ§ut une synthÃ¨se
des sciences comparÃ©es et unies entre elles par les harmonies prÃ©existantes et nÃ©cessaires de la nature;
la rÃ©daction des tables de l'y-Kim fut le rÃ©sultat de cette merveilleuse combinaison. Les nombres de
Fo-hi sont les mÃªmes que ceux de la haute kabbale, son pantacle est analogue Ã celui de Salomon, comme
nous l'avons expliquÃ© dans notre dogme et rituel de la haute magie; ses tables correspondent aux
trente-deux voies et aux cinquante portes de la lumiÃ¨re, et l'y-Kim ne saurait avoir d'obscuritÃ© pour les
sages kabbalistes qui ont la clÃ© du sepher JÃ©zirah et du Sohar.
La science de la philosophie absolue a donc existÃ© en Chine. Les Kims ne sont que les commentaires de cet
absolu cachÃ© aux profanes, et ils sont Ã l'y-Kim ce que le Pentateuque de MoÃ¯se est aux rÃ©vÃ©lations
du Siphra de ZÃ©niuta, qui est le livre des mystÃ¨res, et la clÃ© du Sohar chez les HÃ©breux.
Koug-fu-tzÃ©e, ou Confucius, n'eÃ»t Ã©tÃ© que le rÃ©vÃ©lateur ou rÃ©voilateur de cette kabbale qu'il
eÃ»t niÃ©e peut-Ãªtre pour en dÃ©tourner les recherches des profanes, comme le savant Talmudiste
MaÃ¯monides nia les rÃ©alitÃ©s de la clavicule de Salomon, puis vint le matÃ©rialiste Fo, qui substitua les
traditions de la sorcellerie [411] indienne aux souvenirs de la haute magie des Ãgyptiens. Le culte de Fo
paralysa en Chine le progrÃ¨s des sciences, et la civilisation avortÃ©e de ce grand peuple tomba dans la
routine et dans l'abrutissement.
Un philosophe d'une admirable sagacitÃ© et d'une grande profondeur, le sage Leibnitz, qui eÃ»t Ã©tÃ© si
digne d'Ãªtre initiÃ© aux vÃ©ritÃ©s suprÃªmes de la science absolue, croyait voir dans l'y-Kim sa propre
invention de l'arithmÃ©tique binaire, et dans la ligne droite et la ligne brisÃ©e de Fo-hi, il retrouvait les
caractÃ¨res 1 0, employÃ©s par lui-mÃªme dans ses calculs; il Ã©tait bien prÃ¨s de la vÃ©ritÃ©, mais il ne
l'entrevoyait que dans un de ses dÃ©tails, il ne pouvait en embrasser l'ensemble.
Des disputes thÃ©ologiques ont Ã©tÃ© l'occasion des recherches les plus importantes sur les antiquitÃ©s
religieuses de la Chine. Il s'agissait de savoir si les jÃ©suites avaient raison de tolÃ©rer chez les Chinois
convertis au christianisme le culte du ciel et celui des ancÃªtres; en d'autres termes, si l'on devait croire que
par le ciel les lettrÃ©s de la Chine entendaient Dieu ou simplement l'espace et la nature. Il Ã©tait tout naturel
de s'en rapporter aux lettrÃ©s eux-mÃªmes et au bon sens public, mais ce ne sont pas lÃ des autoritÃ©s
thÃ©ologiques; on argumenta donc, on Ã©crivit beaucoup, on intrigua davantage, les jÃ©suites qui avaient
raison pour le fond furent convaincus d'avoir tort pour la forme, et on leur crÃ©a de nouvelles difficultÃ©s
qui ne sont pas surmontÃ©es encore et qui font de nos jours mÃªme couler en Chine le sang de nos
infatigables martyrs.
Pendant qu'on disputait ainsi Ã la religion ses conquÃªtes en Asie, une immense inquiÃ©tude agitait
l'Europe. La foi chrÃ©tienne [412] semblait prÃªte Ã s'y Ã©teindre et il n'Ã©tait bruit de tous cÃ´tÃ©s que
de rÃ©vÃ©lations nouvelles et de miracles. Un homme sÃ©rieusement posÃ© dans la science et dans le
monde, Emmanuel Swedenborg, Ã©tonnait la SuÃ¨de par ses visions et l'Allemagne Ã©tait pleine de
nouveaux illuminÃ©s; le mysticisme dissident conspirait pour remplacer les mystÃ¨res de la religion
hiÃ©rarchique par les mystÃ¨res de l'anarchie; une imminente catastrophe se prÃ©parait.
Swedenborg, le plus honnÃªte et le plus doux des prophÃ¨tes du faux illuminisme, n'Ã©tait pas pour cela
moins dangereux que les autres. PrÃ©tendre, en effet, que tous les hommes sont appelÃ©s Ã communiquer
directement avec le ciel, c'est remplacer l'enseignement religieux rÃ©gulier et l'initiation progressive par
toutes les divagations de l'enthousiasme et toutes les folies de l'imagination et des rÃªves. Les illuminÃ©s
intelligents sentaient bien que la religion Ã©tant un des grands besoins de l'humanitÃ©, on ne la dÃ©truira
jamais; aussi voulaient-ils se faire de la religion mÃªme et du fanatisme qu'elle entraÃ®ne par une
consÃ©quence fatale de l'enthousiasme inspirÃ© Ã l'ignorance, des armes pour dÃ©truire l'autoritÃ©
hiÃ©rarchique de l'Ãglise, comptant bien voir sortir des conflits du fanatisme une hiÃ©rarchie nouvelle dont
ils espÃ©raient Ãªtre les fondateurs et les chefs.

Â«Vous serez comme des dieux, connaissant tout sans avoir eu la peine de rien apprendre; vous serez comme
des rois, possÃ©dant tout sans avoir eu la peine de rien acquÃ©rir.Â»
Telles sont en rÃ©sumÃ© les promesses de l'esprit rÃ©volutionnaire aux multitudes envieuses. L'esprit
rÃ©volutionnaire, c'est [413] l'esprit de mort; c'est l'ancien serpent de la GenÃ¨se, et cependant c'est le pÃ¨re
du mouvement et du progrÃ¨s, puisque les gÃ©nÃ©rations ne se renouvellent que par la mort; c'est pour cela
que les Indiens adoraient Schiva, l'impitoyable destructeur, dont la forme symbolique Ã©tait celle de l'amour
physique et de la gÃ©nÃ©ration matÃ©rielle.
Le systÃ¨me de Swedenborg n'est autre chose que la kabbale, moins le principe de la hiÃ©rarchie; c'est le
temple sans clef de voÃ»te et sans fondement; c'est un immense Ã©difice, heureusement tout fantastique et
aÃ©rien, car si l'on avait jamais tentÃ© de le rÃ©aliser sur la terre, il tomberait sur la tÃªte du premier enfant
qui essayerait, nous ne dirons pas de l'Ã©branler, mais de s'appuyer seulement contre une de ses principales
colonnes.
Organiser l'anarchie, tel est le problÃ¨me que les rÃ©volutionnaires ont et auront Ã©ternellement Ã
rÃ©soudre; c'est le rocher de Sisyphe qui retombera toujours sur eux; pour exister un seul instant ils sont et
seront toujours fatalement rÃ©duits Ã improviser un despotisme sans autre raison d'Ãªtre que la
nÃ©cessitÃ©, et qui, par consÃ©quent, est violent et aveugle comme elle. On n'Ã©chappe Ã la monarchie
harmonieuse de la raison, que pour tomber sous la dictature dÃ©sordonnÃ©e de la folie.
Le moyen proposÃ© indirectement par Swedenborg, pour communiquer avec le monde surnaturel, Ã©tait un
Ã©tat intermÃ©diaire qui tient du rÃªve, de l'extase et de la catalepsie. L'illuminÃ© suÃ©dois affirmait la
possibilitÃ© de cet Ã©tat, mais il ne donnait pas la thÃ©orie des pratiques nÃ©cessaires pour y arriver;
peut-Ãªtre ses disciples, pour combler cette lacune, eussent-ils recouru au rituel magique de l'Inde, lorsqu'un
homme de gÃ©nie vint complÃ©ter [414] par une thaumaturgie naturelle les intuitions prophÃ©tiques et
kabbalistiques de Swedenborg. Cet homme Ã©tait un mÃ©decin allemand, nommÃ© Mesmer.
Mesmer eut la gloire de retrouver, sans initiateur et sans connaissances occultes, l'agent universel de la vie et
de ses prodiges; ses Aphorismes 18, que les savants de son temps devaient regarder comme autant de
paradoxes, deviendront un jour les bases de la synthÃ¨se physique.
Note 18: (retour) Mesmer, MÃ©moires et aphorismes, suivis des procÃ©dÃ©s d'Eslon,
nouvelle Ã©dition, 1846, 1 vol. gr. in 18.
Mesmer reconnaÃ®t dans l'Ãªtre naturel deux formes, qui sont la substance et la vie, d'oÃ¹ rÃ©sultent la
fixitÃ© et le mouvement qui constituent l'Ã©quilibre des choses.
Il reconnaÃ®t l'existence d'une matiÃ¨re premiÃ¨re fluidique, universelle, capable de fixitÃ© et de

mouvement, qui, en se fixant, dÃ©termine la constitution des substances, et qui, se mouvant toujours, modifie
et renouvelle les formes.
Cette matiÃ¨re fluidique est active et passive: comme passive elle s'attire elle-mÃªme, comme active elle se
projette.
Par elle les mondes et les Ãªtres vivants qui peuplent les mondes, s'attirent et se repoussent; elle passe des uns
aux autres par une circulation comparable Ã celle du sang.
Elle entretient et renouvelle la vie de tous les Ãªtres, elle est l'agent de leur force et peut devenir l'instrument
de leur volontÃ©.

Les prodiges sont les rÃ©sultats des forces ou des volontÃ©s exceptionnelles.
[415]Les phÃ©nomÃ¨nes de cohÃ©sion, d'Ã©lasticitÃ©, de densitÃ© ou de subtilitÃ© des corps, sont

produits par les diverses combinaisons des deux propriÃ©tÃ©s du fluide universel ou de la matiÃ¨re
premiÃ¨re.
La maladie, comme tous les dÃ©sordres physiques, vient d'un dÃ©rangement de l'Ã©quilibre normal de la
matiÃ¨re premiÃ¨re dans un corps organisÃ©.
Les corps organisÃ©s sont ou sympathiques ou antipathiques les uns aux autres, par suite de leur Ã©quilibre
spÃ©cial.
Les corps sympathiques peuvent se guÃ©rir les uns les autres, en rÃ©tablissant mutuellement leur
Ã©quilibre.
Cette propriÃ©tÃ© des corps de s'Ã©quilibrer les uns les autres par l'attraction ou la projection de la
matiÃ¨re premiÃ¨re, Mesmer la nomme magnÃ©tisme, et comme elle se spÃ©cifie suivant les
spÃ©cialitÃ©s des Ãªtres, lorsqu'il en Ã©tudie les phÃ©nomÃ¨nes dans les Ãªtres animÃ©s, il la nomme
magnÃ©tisme animal.
Mesmer prouva sa thÃ©orie par des oeuvres, et ses expÃ©riences furent couronnÃ©es d'un plein succÃ¨s.
Ayant observÃ© l'analogie qui existe entre les phÃ©nomÃ¨nes du magnÃ©tisme animal et ceux de
l'Ã©lectricitÃ©, il fit usage de conducteurs mÃ©talliques, aboutissant Ã un rÃ©servoir commun qui
contenait de la terre et de l'eau, pour absorber et pour projeter les deux forces; on a depuis abandonnÃ©
l'appareil compliquÃ© des baquets, qu'on peut remplacer par une chaÃ®ne vivante de mains superposÃ©es
Ã un corps circulaire et mauvais conducteur comme le bois d'une table, l'Ã©toffe de soie ou de laine d'un
chapeau, etc.
[416]Il appliqua ensuite aux Ãªtres vivants et organisÃ©s les procÃ©dÃ©s de l'aimantation mÃ©tallique, et
il acquit la certitude de la rÃ©alitÃ© et de la similitude des phÃ©nomÃ¨nes qui s'ensuivirent.
Un seul pas lui restait Ã faire, c'Ã©tait de dÃ©clarer que les effets attribuÃ©s en physique aux quatre
fluides impondÃ©rables sont les manifestations diverses d'une seule et mÃªme force diversifiÃ©e par ses
usages, et que cette force insÃ©parable de la matiÃ¨re premiÃ¨re et universelle qu'elle fait mouvoir, tantÃ´t
splendide, tantÃ´t ignÃ©e, tantÃ´t Ã©lectrique et tantÃ´t magnÃ©tique, n'a qu'un seul nom indiquÃ© par
MoÃ¯se dans la GenÃ¨se, lorsqu'il la fait apparaÃ®tre Ã l'appel du Tout-Puissant, avant toutes les substances
et avant toutes les formes: LA LUMIÃRE; ×× × ×××
Et maintenant ne craignons pas de le dire d'avance, car on le reconnaÃ®tra plus tard.
La grande chose du XVIIIe siÃ¨cle, ce n'est pas l'encyclopÃ©die, ce n'est pas la philosophie ricaneuse et
dÃ©risoire de Voltaire, ce n'est pas la mÃ©taphysique nÃ©gative de Diderot et de d'Alembert, ce n'est pas la
philanthropie haineuse de Rousseau; c'est la physique sympathique et miraculeuse de Mesmer! Mesmer est
grand comme PromÃ©thÃ©e, il a donnÃ© aux hommes le feu du ciel que Franklin n'avait su que
dÃ©tourner.
Il ne manqua au gÃ©nie de Mesmer, ni la sanction de la haine, ni la consÃ©cration des persÃ©cutions et des

injures; il avait Ã©tÃ© chassÃ© de l'Allemagne, on se moqua de lui en France, tout en lui faisant une
fortune, car ses guÃ©risons Ã©taient Ã©videntes et les malades allaient Ã lui et le payaient, puis se disaient
guÃ©ris par hasard, pour ne pas attirer sur eux l'animadversion des savants. Les corps constituÃ©s ne firent

pas mÃªme au thaumaturge [417] l'honneur d'examiner sa dÃ©couverte et le grand homme dut se rÃ©signer
Ã passer pour un adroit charlatan.
Les savants seuls n'Ã©taient pas hostiles au mesmÃ©risme, les hommes sincÃ¨rement religieux s'alarmaient
des dangers de la dÃ©couverte nouvelle, et les superstitieux criaient au scandale et Ã la magie. Les sages
prÃ©voyaient les abus, les insensÃ©s n'admettaient pas mÃªme l'usage de cette merveilleuse puissance.
N'allait-on pas au nom du magnÃ©tisme nier les miracles du Sauveur et de ses saints, disaient les uns; que va
devenir la puissance du diable, disaient les autres? Et pourtant la religion qui est vraie, ne doit craindre la
dÃ©couverte d'aucune vÃ©ritÃ©; d'ailleurs, en donnant la mesure de la puissance humaine, le
magnÃ©tisme ne donne-t-il pas aux miracles divins une sanction nouvelle, au lieu de les dÃ©truire? Il est
vrai que les sots attribueront au diable moins de prodiges, ce qui leur laissera moins d'occasions d'exercer leur
haine et leurs fureurs; mais ce ne sont certainement pas les personnes d'une vÃ©ritable piÃ©tÃ© qui
songeront jamais Ã s'en plaindre: le diable doit perdre du terrain quand la lumiÃ¨re se fait et quand
l'ignorance se retire; mais les conquÃªtes de la science et de la lumiÃ¨re Ã©tendent, affermissent et font
aimer de plus en plus au monde l'empire et la gloire de Dieu!
[418]
CHAPITRE II.
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVIIIe SIÃCLE.

SOMMAIRE.--Le comte de Saint-Germain.--L'adepte Lascaris et le grand Cophte dit le mÃ©decin Joseph
Balsamo.--Le baron du PhÃ©nix et le comte de Cagliostro.
Le XVIIIe siÃ¨cle n'a eu de crÃ©dulitÃ© que pour la magie, car les croyances vagues sont la religion des
Ã¢mes sans foi: on niait les miracles de JÃ©sus-Christ et l'on attribuait des rÃ©surrections au comte de
Saint-Germain. Ce singulier personnage Ã©tait un thÃ©osophe mystÃ©rieux qu'on faisait passer pour avoir
les secrets du grand oeuvre et pour fabriquer des diamants et des pierres prÃ©cieuses; c'Ã©tait d'ailleurs un
homme du monde, d'une conversation agrÃ©able et d'une grande distinction dans ses maniÃ¨res. Madame de
Genlis, qui, pendant son enfance, le voyait presque tous les jours, assure qu'il savait donner mÃªme Ã des
pierreries qu'il reprÃ©sentait en peinture, tout leur Ã©clat naturel et un feu dont aucun chimiste ni aucun
peintre ne pouvait deviner le secret; avait-il trouvÃ© le moyen de fixer la lumiÃ¨re sur la toile, ou
employait-il quelque prÃ©paration de nacre ou quelque incrustation mÃ©tallique? c'est ce qu'il nous est
impossible de savoir, puisqu'il ne nous reste aucune de ces peintures merveilleuses.
Le comte de Saint-Germain faisait profession de la religion catholique, et en observait les pratiques avec une
grande fidÃ©litÃ©; on parlait cependant d'Ã©vocations suspectes et d'apparitions Ã©tranges, il se flattait de
possÃ©der le secret de [419] la jeunesse Ã©ternelle. Ãtait-ce mysticisme, Ã©tait-ce folie? Personne ne
connaissait sa famille, et Ã l'entendre causer des choses du temps passÃ©, il semblait qu'il eÃ»t vÃ©cu
plusieurs siÃ¨cles; il parlait peu de tout ce qui se rapportait aux sciences occultes, et lorsqu'on lui demandait
l'initiation, il prÃ©tendait ne rien savoir; il choisissait lui mÃªme ses disciples, et leur demandait tout d'abord
une obÃ©issance passive, puis il leur parlait d'une royautÃ© Ã laquelle ils Ã©taient appelÃ©s, celle de
MelchisÃ©dech et de Salomon, la royautÃ© des initiÃ©s qui est aussi un sacerdoce. Â«Soyez le flambeau
du monde, disait-il; si votre lumiÃ¨re n'est que celle d'une planÃ¨te, vous ne serez rien devant Dieu: je vous
rÃ©serve une splendeur dont celle du soleil n'est que l'ombre, alors vous dirigerez la marche des Ã©toiles, et
CHAPITRE II. 220

vous gouvernerez ceux qui rÃ©gnent sur les empires.Â»
Ces promesses, dont la signification bien comprise n'a rien qui puisse Ã©tonner les vÃ©ritables adeptes, sont
rapportÃ©es, sinon textuellement, du moins quant au sens des paroles, par l'auteur anonyme d'une Histoire
des sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes en Allemagne, et suffisent pour faire comprendre Ã quelle initiation appartenait le
comte de Saint-Germain.
Voici maintenant quelques dÃ©tails jusqu'Ã prÃ©sent inconnus sur cet illuminÃ©:
Il Ã©tait nÃ© Ã Lentmeritz, en BohÃªme, Ã la fin du XVIIe siÃ¨cle, il Ã©tait fils naturel ou adoptif d'un
rose-croix qui se faisait appeler Comnes cabalicus, le compagnon cabaliste, et qui fut tournÃ© en ridicule
sous le nom de comte de Gabalis, par le malheureux abbÃ© de Villars; jamais Saint-Germain ne parlait de
son pÃ¨re. Ã l'Ã¢ge de sept ans, disait-il, j'Ã©tais proscrit et [420] j'errais avec ma mÃ¨re dans les forÃªts.
Cette mÃ¨re dont il voulait parler, c'Ã©tait la science des adeptes; son Ã¢ge de sept ans est celui des initiÃ©s
promus au grade de maÃ®tres; les forÃªts sont les empires dÃ©nuÃ©s, suivant les adeptes, de la vraie
civilisation et de la vraie lumiÃ¨re. Les principes de Saint-Germain Ã©taient ceux des roses-croix, et il avait
fondÃ© dans sa patrie une sociÃ©tÃ© dont il se sÃ©para dans la suite quand les doctrines anarchiques
prÃ©valurent dans les associations des nouveaux sectateurs de la gnose. Aussi fut-il dÃ©savouÃ© par ses
frÃ¨res, accusÃ© mÃªme de trahison, et quelques auteurs de mÃ©moires sur l'illuminisme semblent insinuer
qu'il fut prÃ©cipitÃ© dans les oubliettes du chÃ¢teau de Ruel. Madame de Genlis, au contraire, le fait mourir
dans le duchÃ© de Holstein, tourmentÃ© par sa conscience et agitÃ© par les terreurs de l'autre vie. Ce qui
est certain, c'est qu'il disparut tout Ã coup de Paris, sans qu'on pÃ»t savoir bien au juste oÃ¹ il s'Ã©tait
retirÃ©, et que les illuminÃ©s laissÃ¨rent tomber, autant que cela leur fut possible, sur sa mÃ©moire le voile
du silence et de l'oubli. La sociÃ©tÃ© qu'il avait fondÃ©e sous le titre de Saint-Jakin, dont on a fait
Saint-Joachim, dura jusqu'Ã la rÃ©volution et disparut alors ou se transforma, comme tant d'autres. Voici, au
sujet de cette sociÃ©tÃ©, une anecdote qu'on trouve dans les pamphlets hostiles Ã l'illuminisme; elle est
extraite d'une correspondance de Vienne. Tout cela, comme on le voit, n'a rien de bien authentique ni de bien
certain. Voici toutefois l'anecdote:
Â«J'ai Ã©tÃ© fort bien accueilli, Ã votre recommandation, par M.N.Z.... Il Ã©tait dÃ©jÃ prÃ©venu de
mon arrivÃ©e. L'harmonica eut [421] toute son approbation. Il me parla d'abord de certains essais particuliers
auxquels je ne compris rien du tout; ce n'est que depuis peu que mon intelligence peut y suffire. Hier, vers le
soir, il me conduisit Ã sa campagne, dont les jardins sont fort beaux. Des temples, des grottes, des cascades,
des labyrinthes, des souterrains procurent Ã l'oeil une longue suite d'enchantements; mais un mur trÃ¨s haut
qui environne ces beautÃ©s me dÃ©plut infiniment, il dÃ©robe Ã l'oeil un site enchanteur....
Â«J'avais emportÃ© l'harmonica, d'aprÃ¨s l'invitation de M. N. Z., afin d'en toucher, seulement pendant
quelques minutes, dans un lieu dÃ©signÃ© et Ã un signe convenu. Il me conduisit, aprÃ¨s notre visite dans
le jardin, Ã une salle sur le devant de la maison, et me quitta bientÃ´t sous quelque prÃ©texte. Il Ã©tait fort
tard: je ne le voyais point revenir; l'ennui et le sommeil commenÃ§aient Ã me gagner, lorsque je fus
interrompu par l'arrivÃ©e de plusieurs carrosses. J'ouvris la fenÃªtre: il Ã©tait nuit, je ne pus rien voir; je
compris encore moins le chuchotage bas et mystÃ©rieux de ceux qui paraissaient entrer dans la maison.
BientÃ´t le sommeil s'empara tout Ã fait de moi; et, aprÃ¨s avoir dormi environ une heure, je fus
rÃ©veillÃ© en sursaut par un domestique envoyÃ© pour me guider et porter l'instrument. Il marchait trÃ¨s
vite et fort loin devant moi; je le suivais assez machinalement, lorsque j'entendis des sons de trompettes qui
me paraissaient sortir des profondeurs d'une cave; Ã cet instant, je perdis de vue mon guide; et m'avanÃ§ant
du cÃ´tÃ© oÃ¹ le bruit paraissait venir, je descendis Ã moitiÃ© l'escalier d'un caveau qui s'offrit devant moi.
Jugez de ma surprise! On y psalmodiait un chant funÃ¨bre. [422] J'aperÃ§us distinctement un cadavre dans
un cercueil ouvert; Ã cÃ´tÃ©, un homme vÃªtu de blanc paraissait rempli de sang; il me parut qu'on lui avait
ouvert une veine au bras droit. A l'exception de ceux qui lui prÃªtaient leur ministÃ¨re, les autres Ã©taient
enveloppÃ©s dans de longs manteaux noirs, avec l'Ã©pÃ©e nue Ã la main. Autant que la terreur dont
PERSONNAGES MERVEILLEUX DU XVIIIe SIÃCLE. 221

j'Ã©tais frappÃ© me permit d'en juger, il y avait Ã l'entrÃ©e du caveau des monceaux d'ossements humains
entassÃ©s l'un sur l'autre. La lumiÃ¨re qui Ã©clairait ce spectacle lugubre me parut produite par une flamme
semblable Ã celle de l'esprit de vin brÃ»lant.
Â»Incertain si je pourrais rejoindre mon guide, je me hÃ¢tai de me retirer; je le trouvai prÃ©cisÃ©ment Ã

quelques pas de lÃ qui me cherchait; il avait l'oeil hagard, il me prit la main avec une sorte d'inquiÃ©tude, et
m'entraÃ®na Ã sa suite dans un jardin particulier oÃ¹ je me crus transportÃ© par l'effet de la magie. La
clartÃ© que rÃ©pandait un nombre prodigieux de lampions, le murmure des cascades, le chant des rossignols
artificiels, le parfum qu'on y respirait exaltÃ¨rent d'abord mon imagination. Je fus placÃ© derriÃ¨re un
cabinet de verdure dont l'intÃ©rieur Ã©tait richement dÃ©corÃ©, et dans lequel on transporta
immÃ©diatement une personne Ã©vanouie (vraisemblablement celle qui paraissait dans un cercueil au
caveau); aussitÃ´t on me fit le signal de toucher mon instrument.
Â»Excessivement Ã©mu pendant cette scÃ¨ne, beaucoup de choses ont dÃ» [423] m'Ã©chapper 19;
j'observai cependant que l'individu Ã©vanoui revint Ã lui aussitÃ´t que j'eus touchÃ© l'instrument, et qu'il
fit ces interrogations avec surprise: OÃ¹ suis je?... quelle voix entends-je?... Des jubilations d'allÃ©gresse
accompagnÃ©es de trompettes et de timbales furent la seule rÃ©ponse; on courut aux armes et l'on
s'enfonÃ§a dans l'intÃ©rieur du jardin oÃ¹ je vis tout le monde disparaÃ®tre.
Note 19: (retour) Le nÃ©ophyte dont il est question dans cette lettre, et qui fut pris pour un
cadavre, Ã©tait dans l'Ã©tat de somnambulisme produit par le magnÃ©tisme. A propos du
cabinet de verdure dont il est question, et des effets de l'harmonica, on peut consulter un
ouvrage curieux, Histoire critique du magnÃ©tisme animal, par Deleuze, 2e Ã©dit., 1819, 2
vol. in-8; il contient des notices fort piquantes sur la chaÃ®ne et le baquet magnÃ©tiques, les
arbres magnÃ©tisÃ©s, la musique, la voix du magnÃ©tiseur, et l'instrument qu'il emploie.
L'auteur est d'ailleurs un partisan du mesmÃ©risme, ce qui ne rend pas ses opinions
suspectes.
Â»Je vous Ã©cris ceci encore tout agitÃ©... Si je n'avais pris la prÃ©caution de noter cette scÃ¨ne
sur-le-champ, je la prendrais aujourd'hui pour un rÃªve.Â»
Ce qu'il y a de plus inexplicable dans cette scÃ¨ne, c'est la prÃ©sence du profane qui la raconte. Comment
l'association pouvait-elle s'exposer ainsi Ã la divulgation de ses mystÃ¨res? Il nous est impossible de
rÃ©pondre Ã cette question, mais pour ce qui est des mystÃ¨res eux-mÃªmes, nous pouvons facilement les
expliquer.
Les successeurs des anciens roses-croix, dÃ©rogeant peu Ã peu de la science austÃ¨re et hiÃ©rarchique de
leurs ancÃªtres en initiation, s'Ã©taient Ã©rigÃ©s en secte mystique; ils avaient accueilli avec empressement
les dogmes magiques des templiers, et se croyaient seuls dÃ©positaires des secrets de l'Ãvangile de saint
Jean; ils voyaient dans les rÃ©cits de l'Ãvangile une sÃ©rie allÃ©gorique de rites propres Ã complÃ©ter
l'initiation, et croyaient que l'histoire du Christ devait se rÃ©aliser dans la personne de chacun des adeptes; ils
racontaient une lÃ©gende [424] gnostique suivant laquelle le Sauveur, environnÃ© de parfums et de
bandelettes, n'aurait point Ã©tÃ© renfermÃ© dans le sÃ©pulcre neuf de Joseph d'Arimathie, et serait revenu
Ã la vie dans la maison mÃªme de saint Jean. C'Ã©tait ce prÃ©tendu mystÃ¨re qu'ils cÃ©lÃ©braient au son
de l'harmonica et des trompettes. Le rÃ©cipiendaire Ã©tait invitÃ© Ã faire le sacrifice de sa vie, et
subissait, en effet, une saignÃ©e qui lui procurait un Ã©vanouissement; cet Ã©vanouissement, on lui disait
que c'Ã©tait la mort, et lorsqu'il revenait Ã lui, des fanfares d'allÃ©gresse et des cris de triomphe
cÃ©lÃ©braient sa rÃ©surrection. Ces Ã©motions diverses, ces scÃ¨nes tour Ã tour lugubres et brillantes,
devaient impressionner Ã jamais son imagination et le rendre fanatique ou voyant. Plusieurs croyaient Ã une
rÃ©surrection rÃ©elle et se croyaient assurÃ©s de ne plus mourir. Les chefs de l'association mettaient ainsi
au service de leurs projets cachÃ©s le plus redoutable de tous les instruments, la folie, et s'assuraient de la

part de leurs adeptes un de ces dÃ©vouements fatals et infatigables que la dÃ©raison produit plus souvent et
plus sÃ»rement que l'amitiÃ©.
La secte du Saint-Jakin Ã©tait donc une sociÃ©tÃ© de gnostiques adonnÃ©e aux illusions de la magie
fascinatrice, elle tenait des roses-croix et des templiers, son nom du Saint-Jakin venait de l'un des deux noms
gravÃ©s en initiales sur les deux principales colonnes du temple de Salomon, Jakin et Bohas. L'initiale de
Jakin en hÃ©breu est le Jod, lettre sacrÃ©e de l'alphabet hÃ©breu, initiale du nom de JÃ©hova que celui de
Jakin sert Ã voiler aux profanes, c'est pourquoi on la nommait le Saint-Jakin.
Les saint-jakinites Ã©taient des thÃ©osophes qui s'occupaient beaucoup trop de thÃ©urgie.
[425]Tout ce qu'on raconte du mystÃ©rieux comte de Saint-Germain donne lieu de croire que c'Ã©tait un
physicien habile et un chimiste distinguÃ©: on assure qu'il possÃ©dait le secret de souder ensemble les
diamants sans qu'on pÃ»t apercevoir aucune trace du travail; il avait l'art d'Ã©purer les pierreries et de donner
ainsi un grand prix aux plus imparfaites et aux plus communes; l'auteur imbÃ©cile et anonyme que nous
avons dÃ©jÃ citÃ©, lui accorde bien ce talent, mais nie qu'il ait jamais fait d'or, comme si l'on ne faisait pas
de l'or en faisant des pierres prÃ©cieuses. Saint-Germain inventa aussi, suivant le mÃªme auteur, et lÃ©gua
aux sciences industrielles l'art de donner au cuivre plus d'Ã©clat et de ductilitÃ©, autre invention qui suffisait
pour faire la fortune de son auteur. De pareilles oeuvres doivent faire pardonner au comte de Saint-Germain
d'avoir beaucoup connu la reine ClÃ©opÃ¢tre, et d'avoir mÃªme causÃ© familiÃ¨rement avec la reine de
Saba. C'Ã©tait d'ailleurs un bon et galant homme qui aimait les enfants, et se plaisait Ã leur fabriquer
lui-mÃªme des bonbons dÃ©licieux et de merveilleux joujoux; il Ã©tait brun et de petite taille, toujours
vÃªtu richement, mais avec beaucoup de goÃ»t, et se plaisant d'ailleurs Ã tous les raffinements du luxe. On
assure que le roi Louis XV le recevait familiÃ¨rement, et s'occupait avec lui de diamants et de pierreries. Il est
probable que ce monarque entiÃ¨rement dominÃ© par des courtisanes et absorbÃ© par ses plaisirs, cÃ©da,
en invitant Saint-Germain Ã quelques audiences particuliÃ¨res, plutÃ´t Ã quelque caprice de curiositÃ©
fÃ©minine qu'Ã un amour sÃ©rieux pour la science. Saint-Germain fut un moment Ã la mode, et comme
c'Ã©tait un aimable et jeune vieillard [426] qui savait unir le babil d'un rouÃ© aux extases d'un thÃ©osophe,
il fit fureur dans certains cercles, puis fut bientÃ´t remplacÃ© par d'autres fantaisies; ainsi va le monde.
On a dit que Saint-Germain n'Ã©tait autre que ce mystÃ©rieux Althotas qui fut le maÃ®tre en magie d'un
adepte, dont nous allons bientÃ´t nous occuper, et qui prenait le nom kabbalistique d'Acharat; rien n'est moins
fondÃ© que cette supposition, comme nous le verrons en Ã©tudiant ce nouveau personnage.
Pendant que le comte de Saint-Germain Ã©tait Ã la mode Ã Paris, un autre adepte mystÃ©rieux parcourait
le monde en recrutant des apÃ´tres pour la philosophie d'HermÃ¨s: c'Ã©tait un alchimiste qui se faisait
appeler Lascaris, et se disait archimandrite d'Orient, chargÃ© de recueillir des aumÃńes pour un couvent
grec; seulement, au lieu de demander l'aumÃńe, Lascaris semblait suer de l'or, et en laissait partout une
traÃ®nÃ©e aprÃ¨s lui. Partout il ne faisait qu'apparaÃ®tre, et ses apparitions changeaient de formes; ici il se
montrait vieux, ailleurs il Ã©tait encore jeune; il ne faisait pas lui-mÃªme de l'or publiquement, mais il en
faisait faire par ses disciples auxquels il laissait en les quittant un peu de poudre de projection. Rien de plus
avÃ©rÃ© et de mieux Ã©tabli que les transmutations opÃ©rÃ©es par les Ã©missaires de Lascaris. M.
Louis Figuier, dans son savant ouvrage sur les alchimistes, n'en rÃ©voque en doute ni la rÃ©alitÃ© ni
l'importance. Or, comme il n'y a rien, surtout en physique, de plus inexorable que les faits, il faudrait donc
conclure de ceux-lÃ , que la pierre philosophale n'est pas une rÃªverie, si l'immense tradition de l'occultisme,
si les mythologies anciennes, si les travaux [427] sÃ©rieux des plus grands hommes de tous les Ã¢ges n'en
dÃ©montraient pas d'ailleurs suffisamment l'existence et la rÃ©alitÃ©.
Un chimiste moderne, qui s'est empressÃ© de publier son secret, est parvenu Ã tirer de l'or de l'argent par un
procÃ©dÃ© ruineux, car l'argent dÃ©truit par lui ne rend en or que le dixiÃ¨me ou environ de sa valeur.
Agrippa, qui n'est jamais arrivÃ© Ã la dÃ©couverte du dissolvant universel, avait Ã©tÃ© cependant plus

heureux que notre chimiste, car il avait trouvÃ© en or une valeur Ã©quivalente Ã celle de l'argent
employÃ©, il n'avait donc perdu absolument que son travail, si c'est le perdre que de l'employer Ã la
recherche des grands secrets de la nature.
Engager par l'attrait de l'or les hommes Ã des recherches qui les conduiraient Ã la philosophie absolue, tel
paraÃ®t avoir Ã©tÃ© le but de la propagande de Lascaris, l'Ã©tude des livres hermÃ©tiques devant
ramener nÃ©cessairement les hommes d'Ã©tude Ã la connaissance de la kabbale. Les initiÃ©s, en effet,
pensaient au XVIIIe siÃ¨cle que leur temps Ã©tait venu, les uns pour fonder une hiÃ©rarchie nouvelle, les
autres pour renverser toute autoritÃ© et promener sur toutes les sommitÃ©s de l'ordre social le niveau
Ã©galitaire. Les sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes envoyaient leurs Ã©claireurs Ã travers le monde pour sonder et
rÃ©veiller au besoin l'opinion: aprÃ¨s Saint-Germain et Lascaris, Mesmer; aprÃ¨s Mesmer, Cagliostro. Mais
tous n'Ã©taient pas de la mÃªme Ã©cole: Saint-Germain Ã©tait l'homme des illuminÃ©s thÃ©osophes,
Lascaris reprÃ©sentait les naturalistes attachÃ©s Ã la tradition d'HermÃ¨s.
Cagliostro Ã©tait l'agent des templiers, aussi Ã©crivait-il dans une circulaire adressÃ©e Ã tous les
francs-maÃ§ons de Londres, que [428] le temps Ã©tait venu de mettre la main Ã l'oeuvre pour reconstruire
le temple de l'Ãternel. Comme les templiers, Cagliostro s'adonnait aux pratiques de la magie noire, et
pratiquait la science funeste des Ã©vocations; il devinait le passÃ© et le prÃ©sent, prÃ©disait l'avenir,
faisait des cures merveilleuses et prÃ©tendait aussi faire de l'or. Il avait introduit dans la maÃ§onnerie un
nouveau rite qu'il nommait rite Ã©gyptien, et il essayait de ressusciter le culte mystÃ©rieux d'Isis.
Lui-mÃªme, la tÃªte entourÃ©e de bandelettes et coiffÃ© comme un sphinx de ThÃ¨bes, il prÃ©sidait des
solennitÃ©s nocturnes dans des appartements pleins d'hiÃ©roglyphes et de flambeaux. Il avait pour
prÃªtresses des jeunes filles qu'il appelait des colombes, et qu'il exaltait jusqu'Ã l'extase pour leur faire rendre
des oracles au moyen de l'hydromancie, l'eau Ã©tant un excellent conducteur, un puissant rÃ©flecteur et un
milieu trÃ¨s rÃ©fringent pour la lumiÃ¨re astrale, comme le prouvent les mirages de la mer et des nuages.
Cagliostro, comme on le voit, continuait Mesmer, et avait retrouvÃ© la clef des phÃ©nomÃ¨nes de
mÃ©diomanie; lui-mÃªme Ã©tait un mÃ©dium, c'est-Ã -dire un homme d'une organisation nerveuse
exceptionnellement impressionnable: il joignait Ã cela beaucoup de finesse et d'aplomb, l'exagÃ©ration
publique et l'imagination des femmes surtout faisaient le reste. Cagliostro eut un succÃ¨s fou; on se l'arrachait,
son buste Ã©tait partout avec cette inscription: le divin Cagliostro. On put dÃ¨s ce moment prÃ©voir une
rÃ©action Ã©gale Ã cette vogue: aprÃ¨s avoir Ã©tÃ© un dieu, Cagliostro devint un intrigant, un charlatan,
un proxÃ©nÃ¨te de sa femme, un scÃ©lÃ©rat enfin, auquel l'inquisition de Rome crut faire grÃ¢ce en le
condamnant seulement Ã une prison perpÃ©tuelle. Ce qui [429] fit croire qu'il vendait sa femme, c'est que sa
femme le vendit. Il fut amenÃ© et pris dans un piÃ©ge, on lui fit son procÃ¨s et l'on publia de ce procÃ¨s ce
qu'on voulut. La rÃ©volution arriva sur ces entrefaites, et tout le monde oublia Cagliostro.
Cet adepte n'est cependant pas sans importance dans l'histoire de la magie; son sceau est aussi important que
celui de Salomon, et atteste son initiation aux secrets les plus relevÃ©s de la science. Ce sceau, expliquÃ©
par les lettres kabbalistiques des noms d'Acharat et d'Althotas, exprime les principaux caractÃ¨res du grand
arcane et du grand oeuvre. C'est un serpent percÃ© d'une flÃ¨che, figurant la lettre aleph, ×, image de l'union
de l'actif et du passif, de l'esprit et de la vie, de la volontÃ© et de la lumiÃ¨re. La flÃ¨che est celle de
l'Apollon antique, le serpent est le Python de la fable, le dragon vert des philosophes hermÃ©tiques. La lettre
aleph reprÃ©sente l'unitÃ© Ã©quilibrÃ©e. Ce pantacle se reproduit sous diverses formes dans les talismans
de l'ancienne magie, mais tantÃ´t le serpent est remplacÃ© par le paon de Junon, le paon Ã la tÃªte royale,
Ã la queue multicolore, l'emblÃ¨me de la lumiÃ¨re analysÃ©e, l'oiseau du grand oeuvre dont le plumage est
tout ruisselant d'or; tantÃ´t, au lieu du paon colorÃ©, c'est l'agneau blanc, l'agneau ou le jeune bÃ©lier
solaire traversÃ© par la croix, comme on le voit encore dans les armoiries de la ville de Rouen. Le paon, le
bÃ©lier et le serpent reprÃ©sentent le mÃªme signe hyÃ©roglyphique: celui du principe passif et le sceptre
de Junon, la croix et la flÃ¨che, c'est le principe actif, la volontÃ©, l'action magique, la coagulation du
dissolvant, la fixation par la projection du volatil, la pÃ©nÃ©tration de la terre par le feu. L'union des deux,

c'est la [430] balance universelle, c'est le grand arcane, c'est le grand oeuvre, c'est l'Ã©quilibre de Jakin et de
Bohas.
Le trigramme L.-. P.-. D.-. qui accompagne cette figure, veut dire libertÃ©, pouvoir, devoir, il signifie aussi
lumiÃ¨re proportion, densitÃ©, loi, principe et droit.
Les francs-maÃ§ons ont changÃ© l'ordre des lettres, et en l'Ã©crivant L.-.D.-.P.-. ils en font les initiales des
mots libertÃ© de penser qu'ils inscrivent sur un pont symbolique, en y lisant pour les profanes: libertÃ© de
passer. Dans les actes du procÃ¨s de Cagliostro, il est marquÃ© que lui-mÃªme donna Ã ces trois lettres
dans ses interrogatoires une autre signification; il les aurait traduites par cette lÃ©gende: Lilia destrue
pedibus, foule aux pieds les lys; et l'on peut citer Ã l'appui de cette version, une mÃ©daille maÃ§onnique du
XVIe ou du XVIIe siÃ¨cle, oÃ¹ l'on voit une Ã©pÃ©e coupant une branche de lys avec ces mots sur
l'exergue: Talem dabit ultio messem.
Le nom d'Acharat que prenait Cagliostro, Ã©crit kabbalistiquement en hÃ©breu de cette maniÃ¨re:
×¢×
××
××
exprime la triple unitÃ©,×¢×, unitÃ© de principe et d'Ã©quilibre;
××, unitÃ© de vie et perpÃ©tuitÃ© du mouvement rÃ©gÃ©nÃ©rateur.
××, unitÃ© de fin dans une synthÃ¨se absolue.
Le nom d'Althotas, maÃ®tre de Cagliostro, se compose du nom de Thot et des syllabes al et as, qui, lues
kabbalistiquement, sont Sala qui signifie messager, envoyÃ©; le nom entier signifie donc [431] Thot, le
messie des Ãgyptiens, et tel Ã©tait en effet celui que Cagliostro reconnaissait avant tout pour maÃ®tre.
La doctrine du grand Cophte, tel Ã©tait, on le sait, le titre que prenait Cagliostro; sa doctrine, disons-nous,
avait un double objet, la rÃ©gÃ©nÃ©ration morale et la rÃ©gÃ©nÃ©ration physique.
Voici pour la rÃ©gÃ©nÃ©ration morale les prÃ©ceptes du grand Cophte:
Â«Monte sur le SinaÃ¯ avec MoÃ¯se, sur le Calvaire, puis sur le Thabor avec Phaleg, sur le Carmel avec
Ãlie.
Â»Sur le plus haut de la montagne, tu bÃ¢tiras ton tabernacle.
Â»Il sera divisÃ© en trois bÃ¢timents unis ensemble et celui du milieu aura trois Ã©tages.
Â»Le rez-de-chaussÃ©e ou le premier Ã©tage sera le rÃ©fectoire.
Â»L'Ã©tage du milieu sera une chambre ronde avec douze lits autour et un au milieu, ce sera la chambre du
sommeil et des songes.
Â»La chambre supÃ©rieure, celle du troisiÃ¨me Ã©tage, sera carrÃ©e et percÃ©e de seize fenÃªtres, quatre
de chaque cÃ´tÃ©, ce sera la chambre de la lumiÃ¨re.

Â»LÃ , tu prieras seul pendant quarante jours, et tu dormiras pendant quarante nuits dans le dortoir des douze
maÃ®tres.
Â»Alors, tu recevras les signatures des sept gÃ©nies et tu obtiendras d'eux le pentagramme tracÃ© sur la
feuille de parchemin vierge.
Â»C'est le signe que personne ne connaÃ®t, sinon celui qui le reÃ§oit.
[432]Â»C'est le caractÃ¨re occulte du caillou blanc dont il est parlÃ© dans la prophÃ©tie du plus jeune des
douze maÃ®tres.
Â»Alors, ton esprit sera illuminÃ© d'un feu divin et ton corps deviendra pur comme celui d'un enfant. Ta
pÃ©nÃ©tration n'aura point de bornes, ton pouvoir sera immense; tu entreras dans le repos parfait, qui est le
commencement de l'immortalitÃ©, et tu pourras dire avec vÃ©ritÃ© et sans orgueil: Je suis celui qui est.
Cette Ã©nigme signifie que, pour se rÃ©gÃ©nÃ©rer moralement, il faut Ã©tudier, comprendre et
rÃ©aliser la haute kabbale.
Les trois chambres sont l'alliance de la vie physique, des aspirations religieuses et de la lumiÃ¨re
philosophique; les douze maÃ®tres sont les grands rÃ©vÃ©lateurs dont il faut comprendre les symboles; la
signature des sept esprits, c'est l'initiation au grand arcane, etc., etc. Tout ceci est donc allÃ©gorique, et il ne
s'agit pas plus de faire bÃ¢tir en rÃ©alitÃ© une maison Ã trois Ã©tages, qu'il ne s'agit dans la maÃ§onnerie
de bÃ¢tir un temple Ã JÃ©rusalem.
Venons maintenant au secret de la rÃ©gÃ©nÃ©ration physique.
Pour y arriver il faut, toujours suivant les prescriptions occultes du grand Cophte:
Faire tous les cinquante ans une retraite de quarante jours en maniÃ¨re de jubilÃ©, durant la pleine lune de
mai.
Seul, Ã la campagne avec une personne fidÃ¨le:
JeÃ»ner pendant quarante jours, buvant la rosÃ©e de mai, recueillie sur les blÃ©s en herbe avec un linge de
lin pur et blanc, mangeant des herbes tendres et nouvelles.
[433]CommenÃ§ant le repas par un grand verre de rosÃ©e et le finissant par un biscuit ou une simple
croÃ»te de pain.
Le dix-septiÃ¨me jour, saignÃ©e lÃ©gÃ¨re.
Prendre six gouttes de baume d'azoth le matin et six le soir, augmenter de deux gouttes par jour jusqu'au
trente-deuxiÃ¨me.
Renouveler alors la petite Ã©mission de sang au crÃ©puscule du matin, dormir ensuite et rester au lit
jusqu'Ã la fin de la quarantaine.
Prendre au premier rÃ©veil, aprÃ¨s la saignÃ©e, un premier grain de mÃ©decine universelle.
On Ã©prouvera un Ã©vanouissement qui doit durer trois heures, puis des convulsions, des transpirations et
des Ã©vacuations considÃ©rables, on changera ensuite de linge et de lit.

Il faut ensuite prendre un consommÃ© de boeuf sans graisse, assaisonnÃ© avec de la rue, de la sauge, de la
valÃ©riane, de la verveine et de la mÃ©lisse.
Le jour suivant, second grain de mÃ©decine universelle, c'est-Ã -dire, de mercure astral combinÃ© avec le
soufre d'or.
Le jour d'aprÃ¨s, prendre un bain tiÃ¨de.
Le trente-sixiÃ¨me jour, boire un verre de vin d'Ãgypte.
Le trente-septiÃ¨me jour, troisiÃ¨me et dernier grain de mÃ©decine universelle.
Suivra un sommeil profond.
Les cheveux, les dents et les ongles se renouvelleront, la peau se renouvellera.
Le trente-huitiÃ¨me jour, bain aux herbes aromatiques ci-dessus nommÃ©es.
[434]Le trente-neuviÃ¨me jour, avaler dans deux cuillerÃ©es de vin rouge, dix gouttes de l'Ã©lixir
d'Acharat.
Le quarantiÃ¨me jour, l'oeuvre est achevÃ©e et le vieillard est rajeuni.
C'est au moyen de ce rÃ©gime jubilaire, que Cagliostro prÃ©tendait avoir vÃ©cu lui-mÃªme plusieurs
siÃ¨cles. C'Ã©tait, comme on le voit, une nouvelle prÃ©paration du fameux bain d'immortalitÃ© des
gnostiques mÃ©nandriens. Cagliostro y croyait-il sÃ©rieusement?
Devant ses juges il montra beaucoup de fermetÃ© et de prÃ©sence d'esprit, il se dÃ©clara catholique, et dit
qu'il honorait dans le pape le chef suprÃªme de la hiÃ©rarchie religieuse. Sur les questions relatives aux
sciences occultes, il rÃ©pondit d'une maniÃ¨re Ã©nigmatique, et comme on lui disait que ses rÃ©ponses
Ã©taient absurdes et inintelligibles: Comment pouvez-vous savoir qu'elles sont absurdes, rÃ©pondit-il, si
vous les trouvez inintelligibles? Les juges se fÃ¢chÃ¨rent et lui demandÃ¨rent brusquement les noms des
pÃ©chÃ©s capitaux: Cagliostro nomma la luxure, l'avarice, l'envie, la gourmandise et la paresse.--Vous
oubliez l'orgueil et la colÃ¨re, lui dit-on.--Pardonnez-moi, reprit l'accusÃ©, je ne les oublie pas, mais je ne
voulais pas les nommer devant vous par respect et de peur de vous offenser. On le condamna Ã mort: puis la
peine fut commuÃ©e en une dÃ©tention perpÃ©tuelle. Dans sa prison, Cagliostro demanda Ã se confesser
et dÃ©signa lui-mÃªme le prÃªtre, c'Ã©tait un homme Ã peu prÃ¨s de sa tournure et de sa taille. Le
confesseur entra et au bout de quelque temps on le vit ressortir; quelques heures aprÃ¨s, le geÃ´lier en entrant
dans la prison du condamnÃ© y trouva le cadavre [435] d'un homme Ã©tranglÃ©, ce cadavre dÃ©figurÃ©
Ã©tait couvert des habits de Cagliostro; on ne revit jamais le prÃªtre.
Des amateurs du merveilleux assurent que le grand Cophte est actuellement en AmÃ©rique, et qu'il y est le
pontife suprÃªme et invisible des croyants aux esprits frappeurs.

CHAPITRE III.
PROPHÃTIES DE CAZOTTE.
SOMMAIRE.--Les martinistes.--Le souper de Cazotte.--Le roman du Diable amoureux.--NahÃ©ma, la reine
des stryges.--La montagne sanglante.--Mademoiselle Cazotte et mademoiselle de Sombreuil.--Cazotte devant
le tribunal rÃ©volutionnaire.
L'Ã©cole des philosophes inconnus fondÃ©e par Pasqualis Martinez et continuÃ©e par Saint-Martin, semble
avoir renfermÃ© les derniers adeptes de la vÃ©ritable initiation. Saint Martin connaissait la clef ancienne du
tarot, c'est-Ã -dire le mystÃ¨re des alphabets sacrÃ©s et des hiÃ©roglyphes hiÃ©ratiques; il a laissÃ©
plusieurs pantacles fort curieux qui n'ont jamais Ã©tÃ© gravÃ©s et dont nous possÃ©dons des copies. L'un
de ces pantacles est la clef traditionnelle du grand oeuvre, et Saint-Martin le nomme la clef de l'enfer, parce
que c'est la clef des richesses; les martinistes parmi les illuminÃ©s furent les derniers chrÃ©tiens, et ils furent
les initiateurs du fameux Cazotte.
Nous avons dit qu'au XVIIIe siÃ¨cle une scission s'Ã©tait faite dans l'illuminisme: les uns, conservateurs des
traditions de la [436] nature et de la science, voulaient restaurer la hiÃ©rarchie; les autres, au contraire,
voulaient tout niveler en rÃ©vÃ©lant le grand arcane, qui rendrait impossibles dans le monde la royautÃ© et
le sacerdoce. Parmi ces derniers, les uns Ã©taient des ambitieux et des scÃ©lÃ©rats, qui espÃ©raient
trÃńer sur les dÃ©bris du monde; les autres Ã©taient des dupes et des niais.
Les vrais initiÃ©s voyaient avec Ã©pouvante la sociÃ©tÃ© lancÃ©e ainsi vers le prÃ©cipice, et
prÃ©voyaient toutes les horreurs de l'anarchie. Cette rÃ©volution qui plus tard devait apparaÃ®tre au
gÃ©nie mourant de Vergniaud sous la sombre figure de Saturne dÃ©vorant ses enfants, se dressait dÃ©jÃ
tout armÃ©e dans les rÃªves prophÃ©tiques de Cazotte. Un soir qu'il se trouvait au milieu des instruments
aveugles du jacobinisme futur, il leur prÃ©dit, Ã tous, leur destinÃ©e: aux plus forts et aux plus faibles,
l'Ã©chafaud; aux plus enthousiastes, le suicide; et sa prophÃ©tie qui ne parut alors qu'une lugubre facÃ©tie
fut pleinement rÃ©alisÃ©e 20. Cette prophÃ©tie n'Ã©tait, en effet, qu'un calcul des probabilitÃ©s, et le
calcul se trouva rigoureux, parce que les chances probables Ã©taient dÃ©jÃ changÃ©es en consÃ©quences
nÃ©cessaires. La Harpe que cette prÃ©diction frappa d'Ã©tonnement plus tard, y ajouta quelques dÃ©tails
pour la rendre plus merveilleuse, comme le nombre exact des coups de rasoir que devait se donner un des
convives, etc.
Note 20: (retour) Deleuze, MÃ©moire sur la facultÃ© de prÃ©cision, in-8, 1836.
Il faut pardonner un peu de cette licence poÃ©tique Ã tous les conteurs de choses extraordinaires; de pareils
ornements ne sont pas prÃ©cisÃ©ment des mensonges, c'est tout simplement de la poÃ©sie et du style.
[437]Donner aux hommes naturellement inÃ©gaux une libertÃ© absolue, c'est organiser la guerre sociale; et
lorsque ceux qui doivent contenir les instincts fÃ©roces des multitudes ont la folie de les dÃ©chaÃ®ner, il
ne faut pas Ãªtre un profond magicien pour voir qu'ils seront dÃ©vorÃ©s les premiers, puisque les
convoitises animales s'entre-dÃ©chireront jusqu'Ã la venue d'un chasseur audacieux et habile qui en finira
par des coups de fusil ou par un seul coup de filet. Cazotte avait prÃ©vu Marat, Marat prÃ©voyait une
rÃ©action et un dictateur.
Cazotte avait dÃ©butÃ© dans le monde par quelques opuscules de littÃ©rature frivole, et on raconte qu'il dut
son initiation Ã la publication d'un de ses romans intitulÃ© le Diable amoureux. Ce roman, en effet, est plein
CHAPITRE III. 228

d'intuitions magiques, et la plus grande des Ã©preuves de la vie, celle de l'amour, y est montrÃ©e sous le
vÃ©ritable jour de la doctrine des adeptes.
L'amour physique en effet, cette passion dÃ©lirante, cette folie invincible pour ceux qui sont les jouets de
l'imagination, n'est qu'une sÃ©duction de la mort qui veut renouveler sa moisson par la naissance. La
VÃ©nus physique, c'est la mort fardÃ©e et habillÃ©e en courtisane; l'amour est destructeur, comme sa
mÃ¨re, il recrute des victimes pour elle. Quand la courtisane est rassasiÃ©e, la mort se dÃ©masque et
demande sa proie Ã son tour. VoilÃ pourquoi l'Ãglise qui sauve la naissance par la saintetÃ© du mariage,
dÃ©voile et prÃ©vient les dÃ©bauches de la mort en condamnant sans pitiÃ© tous les Ã©garements de
l'amour.
Si la femme aimÃ©e n'est pas un ange qui s'immortalise par les sacrifices du devoir dans les bras de celui
qu'elle aime, c'est [438] une stryge qui l'Ã©nerve, l'Ã©puise et le fait mourir, en se montrant enfin Ã lui dans
toute la hideur de son Ã©goÃ¯sme brutal. Malheur aux victimes du diable amoureux! Malheur Ã ceux qui se
laissent prendre aux flatteries lascives de Biondetta! bientÃ´t le gracieux visage de la jeune fille se changera
pour eux en cette affreuse tÃªte de chameau qui apparaÃ®t si tragiquement au bout du roman de Cazotte.
Il y a dans les enfers, disent les kabbalistes, deux reines des stryges: l'une, c'est Lilith la mÃ¨re des
avortements, et l'autre, c'est NahÃ©ma, la fatale et meurtriÃ¨re beautÃ©. Quand un homme est infidÃ¨le Ã
l'Ã©pouse que lui destinait le ciel, lorsqu'il se voue aux Ã©garements d'une passion stÃ©rile, Dieu lui
reprend son Ã©pouse lÃ©gitime et sainte pour le livrer aux embrassements de NahÃ©ma. Cette reine des
stryges sait se montrer avec tous les charmes de la virginitÃ© et de l'amour: elle dÃ©tourne le coeur des
pÃ¨res et les engage Ã l'abandon de leurs devoirs et de leurs enfants; elle pousse les hommes mariÃ©s au
veuvage, et force Ã un mariage sacrilÃ©ge les hommes consacrÃ©s Ã Dieu. Lorsqu'elle usurpe le titre
d'Ã©pouse, il est facile de la reconnaÃ®tre: le jour de son mariage elle est chauve, car la chevelure de la
femme Ã©tant le voile de la pudeur, lui est interdite pour ce jour-lÃ ; puis aprÃ¨s le mariage, elle affecte le
dÃ©sespoir et le dÃ©goÃ»t de l'existence, prÃªche le suicide, et quitte enfin avec violence celui qui lui
rÃ©siste en le laissant marquÃ© d'une Ã©toile infernale entre les deux yeux.
NahÃ©ma peut devenir mÃ¨re, disent-ils encore, mais elle n'Ã©lÃ¨ve jamais ses enfants; elle les donne Ã
dÃ©vorer Ã Lilith, sa funeste soeur.
Ces allÃ©gories kabbalistiques qu'on peut lire dans le livre
[439] hÃ©breu de la RÃ©volution des Ã¢mes, dans le Dictionnaire kabbalistique du Sohar, et dans les
Commentaires des Talmudistes sur le Sota, semblent avoir Ã©tÃ© connues ou devinÃ©es par l'auteur du
Diable amoureux; aussi assure-t-on qu'aprÃ¨s la publication de cet ouvrage, il reÃ§ut la visite d'un
personnage inconnu, enveloppÃ© d'un manteau Ã la maniÃ¨re des francs-juges. Ce personnage lui fit des
signes que Cazotte ne comprit pas, puis enfin il lui demanda si rÃ©ellement il n'Ã©tait pas initiÃ©. Sur la
rÃ©ponse nÃ©gative de Cazotte, l'inconnu prit une physionomie moins sombre, et lui dit: Je vois que vous
n'Ãªtes pas un dÃ©positaire infidÃ¨le de nos secrets, mais un vase d'Ã©lection pour la science. Voulez-vous
commander rÃ©ellement aux passions humaines et aux esprits impurs? Cazotte Ã©tait curieux, une longue
conversation s'ensuivit, elle fut le prÃ©liminaire de plusieurs autres, et l'auteur du Diable amoureux fut
rÃ©ellement initiÃ©. Son initiation devait en faire un partisan dÃ©vouÃ© de l'ordre et un ennemi dangereux
pour les anarchistes, et, en effet, nous avons vu qu'il est question d'une montagne sur laquelle on s'Ã©lÃ¨ve
pour se rÃ©gÃ©nÃ©rer suivant les symboles de Cagliostro, mais cette montagne est blanche de lumiÃ¨re
comme le Thabor, ou rouge de feu et de sang comme le SinaÃ¯ et le Calvaire. Il y a deux synthÃ¨ses
chromatiques, dit le Sohar: la blanche, qui est celle de l'harmonie et de la vie morale; la rouge, qui est celle de
la guerre et de la vie matÃ©rielle: la couleur du jour et celle du sang. Les Jacobins voulaient Ã©lever
l'Ã©tendard du sang, et leur autel s'Ã©levait dÃ©jÃ sur la montagne rouge. Cazotte s'Ã©tait rangÃ© sous
l'Ã©tendard de la lumiÃ¨re, et son tabernacle mystique Ã©tait [440] posÃ© sur la montagne blanche. La
PROPHÃTIES DE CAZOTTE. 229

montagne sanglante triompha un moment, et Cazotte fut proscrit. Il avait une fille, une hÃ©roÃ¯que enfant,
qui le sauva au massacre de l'Abbaye. Mademoiselle Cazotte n'avait pas de particule nobiliaire devant son
nom, et ce fut ce qui la sauva de ce toast d'une horrible fraternitÃ©, par lequel s'immortalisa la piÃ©tÃ©
filiale de mademoiselle de Sombreuil, cette noble fille qui, pour se disculper d'Ãªtre une fille noble, dut boire
la grÃ¢ce de son pÃ¨re dans le verre sanglant des Ã©gorgeurs!
Cazotte avait prophÃ©tisÃ© sa propre mort parce que sa conscience l'engageait Ã lutter jusqu'Ã la mort
contre l'anarchie. Il continua donc d'obÃ©ir Ã sa conscience, fut arrÃªtÃ© de nouveau et parut devant le
tribunal rÃ©volutionnaire; il Ã©tait condamnÃ© d'avance. Le prÃ©sident, aprÃ¨s avoir prononcÃ© son
arrÃªt, lui fit une allocution Ã©trange, pleine d'estime et de regret: il l'engageait Ã Ãªtre jusqu'au bout digne
de lui-mÃªme et Ã mourir en homme de coeur comme il avait vÃ©cu. La rÃ©volution, mÃªme au tribunal,
Ã©tait une guerre civile et les frÃ¨res se saluaient avant de se donner la mort. C'est que des deux cÃ´tÃ©s il
y avait des convictions sincÃ¨res et par consÃ©quent respectables. Celui qui meurt pour ce qu'il croit la
vÃ©ritÃ©, est un hÃ©ros, mÃªme lorsqu'il se trompe, et les anarchistes de la montagne sanglante ne furent
pas seulement hardis pour envoyer les autres Ã l'Ã©chafaud, ils y montÃ¨rent eux-mÃªmes sans pÃ¢lir: que
Dieu et la postÃ©ritÃ© soient leurs juges!
[441]
CHAPITRE IV.
RÃVOLUTION FRANÃAISE.
SOMMAIRE.--Le tombeau de Jacques de Molai.--La vengeance des templiers.--Propagande contre le
sacerdoce et la royautÃ©.--Louis XVI au Temple.--Spoliation et profanation des Ã©glises.--Le pape
prisonnier Ã Valence.--Accomplissement des prophÃ©ties de saint MÃ©thodius.
Il y avait eu dans le monde un homme profondÃ©ment indignÃ© de se sentir lÃ¢che et vicieux, et qui s'en
prenait de sa honte mal dÃ©vorÃ©e Ã la sociÃ©tÃ© tout entiÃ¨re. Cet homme Ã©tait l'amant malheureux
de la nature, et la nature, dans sa colÃ¨re, l'avait armÃ© d'Ã©loquence comme d'un flÃ©au. Il osa plaider
contre la science la cause de l'ignorance, contre la civilisation celle de la barbarie, contre toutes les hauteurs
sociales en un mot celle de toutes les bassesses. Le peuple par instinct lapida cet insensÃ©, mais les grands
l'accueillirent, les femmes le mirent Ã la mode, il obtint tant de succÃ¨s que sa haine contre l'humanitÃ© s'en
augmenta et qu'il finit par se tuer de colÃ¨re et de dÃ©goÃ»t. AprÃ¨s sa mort, le monde s'Ã©branla pour se
retourner en rÃ©alisation des rÃªves de Jean-Jacques Rousseau, et les conspirateurs qui, depuis la mort de
Jacques de Molai, avaient jurÃ© la ruine de l'Ã©difice social, Ã©tablirent rue PlatriÃ¨re, dans la maison
mÃªme oÃ¹ Jean-Jacques avait demeurÃ©, une loge inaugurÃ©e sous les auspices du fanatique de GenÃ¨ve.
Cette loge devint le centre du mouvement rÃ©volutionnaire, et un prince du sang royal vint y jurer la perte
des successeurs de Philippe le Bel, sur le tombeau de Jacques de Molai.
[442]Ce fut la noblesse du XVIIIe siÃ¨cle qui corrompit le peuple; les grands, Ã cette Ã©poque, Ã©taient
pris d'une furie d'Ã©galitÃ© qui avait commencÃ© avec les orgies de la rÃ©gence; on s'encanaillait alors
par plaisir, et la cour s'amusait Ã parler le jargon des halles. Les registres de l'ordre des templiers attestent
que le rÃ©gent Ã©tait grand maÃ®tre de cette redoutable sociÃ©tÃ© secrÃ¨te, et qu'il eut pour successeur
le duc du Maine, les princes de Bourbon-CondÃ© et de Bourbon-Conti, et le duc de CossÃ©-Brissac.
Cagliostro avait ralliÃ© dans son rite Ã©gyptien les auxiliaires du second ordre: tout s'empressait d'obÃ©ir
CHAPITRE IV. 230

Ã cette impulsion secrÃ¨te et irrÃ©sistible qui pousse vers leur destruction les civilisations en dÃ©cadence.
Les Ã©vÃ©nements ne se firent pas attendre, ils vinrent tels que Cazotte les avait prÃ©vus, ils se
prÃ©cipitÃ¨rent poussÃ©s par une main invisible. Le malheureux Louis XVI Ã©tait conseillÃ© par ses plus
mortels ennemis; ils arrangÃ¨rent et firent Ã©chouer le malheureux projet d'Ã©vasion qui amena la
catastrophe de Varennes, comme ils avaient fait l'orgie de Versailles, comme ils commandÃ¨rent le carnage
du 10 aoÃ»t; partout ils avaient compromis le roi, partout ils le sauvÃ¨rent de la fureur du peuple, pour
exaspÃ©rer cette fureur et amener l'Ã©vÃ©nement qu'ils prÃ©paraient depuis des siÃ¨cles; c'Ã©tait un
Ã©chafaud qu'il fallait Ã la vengeance des templiers!
Sous la pression de la guerre civile, l'assemblÃ©e nationale dÃ©clara le roi suspendu de ses pouvoirs, et lui
assigna pour rÃ©sidence le palais du Luxembourg, mais une autre assemblÃ©e plus secrÃ¨te en avait
dÃ©cidÃ© autrement. La rÃ©sidence du roi dÃ©chu, ce devait Ãªtre une prison, et cette prison ne pouvait
Ãªtre que l'ancien palais des templiers, restÃ© debout avec son donjon et [443] ses tourelles, pour attendre ce
prisonnier royal promis Ã d'inexorables souvenirs.
Le roi Ã©tait au Temple et l'Ã©lite du clergÃ© franÃ§ais Ã©tait en exil ou Ã l'Abbaye. Le canon tonnait
sur le Pont-Neuf, et des Ã©criteaux menaÃ§ants proclamaient la patrie en danger. Alors des hommes
inconnus organisÃ¨rent le massacre. Un personnage hideux, gigantesque, Ã longue barbe, Ã©tait partout oÃ¹
il y avait des prÃªtres Ã Ã©gorger. Tiens, leur disait-il avec un ricannement sauvage, voila pour les
Albigeois et les Vaudois! tiens, voilÃ pour les templiers! voilÃ pour la Saint-BarthÃ©lÃ©my! voilÃ pour
les proscrits des CÃ©vennes; et il frappait avec rage, et il frappait toujours avec le sabre, avec le couperet,
avec la massue. Les armes se brisaient et se renouvelaient dans ses mains, il Ã©tait rouge de sang, de la tÃªte
aux pieds, sa barbe en Ã©tait toute collÃ©e, et il jurait avec des blasphÃ¨mes Ã©pouvantables qu'il ne la
laverait qu'avec du sang.
Ce fut cet homme qui proposa un toast Ã la nation, Ã l'angÃ©lique mademoiselle de Sombreuil.
Un autre ange priait et pleurait dans la tour du Temple, en offrant Ã Dieu ses douleurs et celles de deux
enfants, pour obtenir de lui le pardon de la royautÃ© et de la France. Pour expier les folles joies des
Pompadour et des Dubarry, il fallait toutes les souffrances et toutes les larmes de cette vierge-martyre, la
sainte madame Ãlisabeth.
Le jacobinisme Ã©tait dÃ©jÃ nommÃ© avant qu'on n'eÃ»t choisi l'ancienne Ã©glise des Jacobins pour y
rÃ©unir les chefs de la conjuration; ce nom vient de celui de Jacques, nom fatal et [444] prÃ©destinÃ© aux
rÃ©volutions. Les exterminateurs en France ont toujours Ã©tÃ© appelÃ©s les Jacques; le philosophe dont
la fatale cÃ©lÃ©britÃ© prÃ©para de nouvelles jacqueries et servit aux projets sanglants des conspirateurs
joannites se nommait Jean-Jacques, et les moteurs occultes de la rÃ©volution franÃ§aise avaient jurÃ© le
renversement du trÃńe et de l'autel sur le tombeau de Jacques de Molai.
AprÃ¨s la mort de Louis XVI, au moment mÃªme oÃ¹ il venait d'expirer sous la hache de la rÃ©volution,
l'homme Ã la longue barbe, ce juif errant du meurtre et de la vengeance, monta sur l'Ã©chafaud devant la
foule Ã©pouvantÃ©e, il prit du sang royal plein ses deux mains et les secouant sur la tÃªte du peuple, il cria
d'une voix terrible: Â«Peuple franÃ§ais, je te baptise au nom de Jacques et de la libertÃ© 21!Â»
Note 21: (retour) Prudhomme, dans son journal, rapporte autrement les paroles de cet
homme. Nous tenons celles que nous donnons ici d'un vieillard qui les a entendues.
La moitiÃ© de l'oeuvre Ã©tait faite, et c'Ã©tait dÃ©sormais contre le pape que l'armÃ©e du Temple devait
diriger tous ses efforts.
RÃVOLUTION FRANÃAISE. 231

La spoliation des Ã©glises, la profanation des choses sacrÃ©es, des processions dÃ©risoires, l'inauguration
du culte de la raison dans la mÃ©tropole de Paris, furent le signal de cette guerre nouvelle. Le pape fut
brÃ»lÃ© en effigie au Palais-Royal, et bientÃ´t les armÃ©es de la rÃ©publique se disposÃ¨rent Ã marcher
sur Rome.
Jacques de Molai et ses compagnons Ã©taient peut-Ãªtre des martyrs, mais leurs vengeurs ont
dÃ©shonorÃ© leur mÃ©moire. La royautÃ© se rÃ©gÃ©nÃ©ra sur l'Ã©chafaud de Louis XVI, l'Ãglise
triompha dans la [445] captivitÃ© de Pie VI, traÃ®nÃ© prisonnier Ã Valence et mourant de fatigue et de
douleurs, mais les indignes successeurs des anciens chevaliers du Temple pÃ©rirent tous ensevelis dans leur
funeste victoire.
Il y avait eu dans l'Ã©tat ecclÃ©siastique de grands abus et de grands scandales entraÃ®nÃ©s par le
malheur des grandes richesses; les richesses disparurent et on vit revenir les grandes vertus. Ces dÃ©sastres
temporels et ce triomphe spirituel avaient Ã©tÃ© prÃ©dits dans l'Apocalypse de saint MÃ©thodius, dont
nous avons dÃ©jÃ parlÃ©. Nous possÃ©dons de ce livre un exemplaire en lettres gothiques, imprimÃ© en
1527, et ornÃ© des plus Ã©tonnantes figures: on y voit d'abord des prÃªtres indignes jetant les choses saintes
aux pourceaux, puis le peuple rÃ©voltÃ© assassinant les prÃªtres et leur brisant les vases sacrÃ©s sur la
tÃªte; on y voit d'abord le pape prisonnier des hommes de guerre, puis un chevalier couronnÃ© qui d'une
main relÃ¨ve l'Ã©tendard de la France et Ã©tend de l'autre son Ã©pÃ©e sur l'Italie; on y voit deux aigles et
un coq qui porte une couronne sur la tÃªte et une double fleur de lys sur la poitrine; on y voit le second aigle
qui fait alliance avec les griffons et les licornes pour chasser le vautour de son aire, et bien d'autres choses
Ã©tonnantes. Ce livre singulier n'est comparable qu'Ã une Ã©dition illustrÃ©e des prophÃ©ties de l'abbÃ©
Joachim (de Calabre), oÃ¹ l'on voit les portraits de tous les papes Ã venir avec les signes allÃ©goriques de
leur rÃ¨gne jusqu'Ã la venue de l'AntÃ©christ. Chroniques Ã©tranges de l'avenir racontÃ© comme le
passÃ© et qui feraient croire Ã une succession de mondes oÃ¹ les Ã©vÃ©nements se renouvellent, en sorte
que la prÃ©vision des choses futures ne serait que l'Ã©vocation des reflets perdus du passÃ©!
[446]
CHAPITRE V.
PHÃNOMÃNES DE MÃDIOMANIE.
SOMMAIRE.--Secte obscure de joannites mystiques.--Catherine ThÃ©ot et Robespierre.--PrÃ©diction
rÃ©alisÃ©e.--Visions et prÃ©tendus miracles des sauveurs de Louis XVII.
En 1772, un habitant de Saint-MandÃ© nommÃ© Loiseaut, Ã©tant Ã l'Ã©glise, crut voir Ã genoux prÃ¨s
de lui un fort singulier personnage: c'Ã©tait un homme tout basanÃ© et qui portait pour tout vÃªtement un
caleÃ§on de laine grossiÃ¨re. Cet homme avait la barbe longue, les cheveux crÃ©pus et autour du cou une
cicatrice vermeille et circulaire, il portait un livre sur lequel Ã©tait tracÃ©e en lettres d'or cette inscription:
Ecce Agnus Dei.
Loiseaut s'Ã©tonna fort en voyant que cette Ã©trange figure n'Ã©tait remarquÃ©e de personne, il acheva sa
priÃ¨re et revint chez lui; lÃ il trouva le mÃªme personnage qui l'attendait, il s'avanÃ§a pour lui parler et lui
demanda qui il Ã©tait et ce qu'il voulait, mais le visiteur fantastique avait tout Ã coup disparu. Loiseaut se
mit au lit avec la fiÃ¨vre et ne put s'endormir; la nuit il vit tout Ã coup sa chambre Ã©clairÃ©e par une lueur
CHAPITRE V. 232
rougeÃ¢tre, il crut Ã un incendie et se leva brusquement sur son sÃ©ant, alors au milieu de la chambre, sur
sa table, il vit un plat dorÃ© et dans ce plat toute baignÃ©e de sang la tÃªte de son visiteur de la veille. Cette
tÃªte Ã©tait entourÃ©e d'une aurÃ©ole rouge, elle roulait les yeux d'une maniÃ¨re terrible, et ouvrant la
bouche comme pour crier, elle dit d'une voix Ã©tranglÃ©e et sifflante: [447] J'attends les tÃªtes des rois et
celles des courtisannes des rois, j'attends HÃ©rode et HÃ©rodiade; puis l'aurÃ©ole s'Ã©teignit et le malade
ne vit plus rien.
Quelques jours aprÃ¨s il fut guÃ©ri et put retourner Ã ses affaires. Comme il traversait la place Louis XV, il
fut abordÃ© par un pauvre qui lui demanda l'aumÃńe, Loiseaut sans le regarder tira une piÃ¨ce de monnaie
et la jeta dans le chapeau de l'inconnu: Merci, lui dit cet homme, c'est une tÃªte de roi, mais ici, ajoute-t-il en
Ã©tendant la main et en montrant le milieu de la place, ici il en tombera une autre, et c'est celle-lÃ que
j'attends. Loiseaut alors regarda le pauvre avec surprise et jeta un cri en reconnaissant l'Ã©trange figure de sa
vision.--Â«Tais-toi, lui dit le mendiant, on te prendrait pour un fou, car personne ici ne peut me voir
exceptÃ© toi. Tu m'as reconnu, je le vois, je suis en effet saint Jean-Baptiste le prÃ©curseur, et je viens
t'annoncer le chÃ¢timent des successeurs d'HÃ©rode et des hÃ©ritiers de CaÃ¯phe, tu peux rÃ©pÃ©ter tout
ce que je te dirai.Â»
Depuis cette Ã©poque, Loiseaut croyait voir presque tous les jours saint Jean-Baptiste prÃ¨s de lui. La vision
lui parlait longuement des malheurs qui allaient tomber sur la France et sur l'Ãglise.
Loiseaut raconta sa vision Ã quelques personnes qui en furent frappÃ©es et qui devinrent visionnaires
comme lui. Ils formÃ¨rent ensemble une sociÃ©tÃ© mystique qui se rÃ©unissait en grand secret; les
membres de cette association se plaÃ§aient en cercle en se tenant la main et attendaient les communications
en silence; ils attendaient souvent plusieurs heures, puis la figure de saint Jean apparaissait au milieu d'eux; ils
tombaient tous ensemble ou successivement dans le sommeil magnÃ©tique et voyaient se dÃ©rouler [448]
sous leurs yeux les scÃ¨nes futures de la rÃ©volution et de la restauration future.
Le directeur spirituel de cette secte ou de ce cercle Ã©tait un religieux nommÃ© dom Gerle, il en devint le
chef Ã la mort de Loiseaut arrivÃ©e en 1788, puis Ã l'Ã©poque de la rÃ©volution, ayant Ã©tÃ© gagnÃ©
par l'enthousiasme rÃ©publicain, il fut rejetÃ© par les autres sectaires qui suivirent en cela les inspirations de
leur principale somnambule qu'ils nommaient la soeur FranÃ§oise AndrÃ©.
Dom Gerle avait aussi sa somnambule et il vint exercer dans une mansarde de Paris le mÃ©tier alors nouveau
de magnÃ©tiseur; la voyante Ã©tait une vieille femme presque aveugle nommÃ©e Catherine ThÃ©ot, elle
fit des prÃ©dictions qui se rÃ©alisÃ¨rent, elle guÃ©rit plusieurs malades, et comme les prophÃ©ties avaient
toujours quelque chose de politique, la police du ComitÃ© de salut public ne tarda pas Ã s'en prÃ©occuper.
Un soir, Catherine ThÃ©ot entourÃ©e de ses adeptes Ã©tait en extase: Â«Ãcoutez, disait-elle, j'entends le
bruit de ses pas, c'est l'Ã©lu mystÃ©rieux de la Providence, c'est l'ange de la rÃ©volution; c'est celui qui en
sera le sauveur et la victime, c'est le roi des ruines et de la rÃ©gÃ©nÃ©ration, le voyez-vous? Il approche:
lui aussi, il a le front ceint de l'aurÃ©ole sanglante du prÃ©curseur; c'est lui qui portera tous les crimes de
ceux qui vont le faire mourir. Oh! que tes destinÃ©es sont grandes, toi qui vas fermer l'abÃ®me en y
tombant! Le voyez-vous parÃ© comme pour une fÃªte, il tient Ã la main des fleurs... ce sont les couronnes
de son martyre...Â» Puis s'attendrissant et fondant en larmes: Â«Qu'elles [449] ont Ã©tÃ© cruelles tes
Ã©preuves, Ã´ mon fils, s'Ã©cria-t-elle, et combien d'ingrats maudiront ta mÃ©moire Ã travers les Ã¢ges!
Levez-vous! levez-vous! et inclinez-vous, le voici! c'est le roi... c'est le roi des sanglants sacrifices.
A ce moment la porte s'ouvrit sans bruit, et un homme, le chapeau rabattu sur les yeux et enveloppÃ© d'un
manteau, entra dans la chambre; l'assemblÃ©e se leva, Catherine ThÃ©ot Ã©tendit vers le nouveau venu ses
mains tremblantes: Â«Je savais que tu devais venir, dit-elle, et je t'attendais; celui que tu ne vois pas et que je
vois Ã ma droite t'a montrÃ© Ã moi aujourd'hui, lorsqu'un rapport t'a Ã©tÃ© remis contre nous: on nous
PHÃNOMÃNES DE MÃDIOMANIE. 233

accusait de conspirer pour le roi, et en effet j'ai parlÃ© d'un roi, d'un roi dont le prÃ©curseur me montre en ce
moment la couronne teinte de sang, et sais-tu sur quelle tÃªte elle est suspendue? Sur la tienne,
Maximilien!Â»
A ce nom l'inconnu tressaillit comme si un fer rouge l'eÃ»t mordu Ã la poitrine, il jeta autour de lui un regard
rapide et inquiet, puis reprenant une contenance impassible:
--Que voulez-vous dire? murmura-t-il, d'une voix brÃ¨ve et saccadÃ©e, je ne vous comprends pas.
--Je veux dire, reprit Catherine ThÃ©ot, qu'il fera un beau soleil ce jour-lÃ et qu'un homme vÃªtu de bleu et
tenant en main un sceptre de fleurs, sera un instant le roi et le sauveur du monde; je veux dire que tu seras
grand comme MoÃ¯se et comme OrphÃ©e, lorsque, mettant le pied sur la tÃªte du monstre prÃªt Ã te
dÃ©vorer, tu diras aux bourreaux et aux victimes qu'il existe un Dieu. Cesse de le cacher, Robespierre, et
montre-nous sans pÃ¢lir cette tÃªte courageuse que Dieu va jeter dans le plateau [450] vide de sa balance. La
tÃªte de Louis XVI est lourde, et la tienne seule en peut Ã©quilibrer le poids.
--Est-ce une menace, dit froidement Robespierre en laissant tomber son manteau, et croit-on par cette
jonglerie Ã©tonner mon patriotisme et influencer ma conscience? PrÃ©tendez-vous, par des menaces
fanatiques et des radotages de vieilles femmes, surprendre mes rÃ©solutions, comme vous avez Ã©piÃ©
mes dÃ©marches? Vous m'attendiez, Ã ce qu'il me paraÃ®t, et malheur Ã vous de m'avoir attendu! car,
puisque vous forcez le curieux, le visiteur inconnu, l'observateur Ã Ãªtre Maximilien Robespierre,
reprÃ©sentant du peuple, comme reprÃ©sentant du peuple, je vous dÃ©nonce au ComitÃ© de salut public
et je ferai procÃ©der Ã votre arrestation.
Ayant dit ces mots, Robespierre rejeta son manteau autour de sa tÃªte poudrÃ©e, et marcha avec roideur vers
la porte, personne n'osa ni le retenir, ni lui adresser la parole. Catherine ThÃ©ot joignait les mains et disait:
Respectez ses volontÃ©s, il est roi et pontife de l'Ã¨re nouvelle; s'il nous frappe, c'est que Dieu veut nous
frapper: tendons la gorge au couteau de la Providence.
Les initiÃ©s de Catherine ThÃ©ot attendirent toute la nuit qu'on vÃ®nt les arrÃªter, personne ne parut; ils se
sÃ©parÃ¨rent pendant la journÃ©e suivante; deux autres jours et deux autres nuits se passÃ¨rent pendant
lesquels les membres de la secte ne cherchÃ¨rent pas Ã se cacher. Le cinquiÃ¨me jour, Catherine ThÃ©ot et
ceux qu'on appelait ses complices, furent dÃ©noncÃ©s aux Jacobins par un ennemi secret de Robespierre,
qui insinua adroitement aux auditeurs des doutes contre le tribun. On parlait de dictature, [451] le nom de roi
avait mÃªme Ã©tait prononcÃ©. Robespierre le savait et comment le tolÃ©rait-il? Robespierre haussa les
Ã©paules, mais le lendemain, Catherine ThÃ©ot, dom Gerle et quelques autres furent arrÃªtÃ©s et
envoyÃ©s dans ces prisons qui ne s'ouvraient plus, une fois qu'on y Ã©tait entrÃ©, que pour fournir la
tÃ¢che quotidienne du bourreau.
L'histoire de l'entrevue de Robespierre avec Catherine ThÃ©ot transpira au dehors on ne sait comment.
DÃ©jÃ la contre-police des futurs thermidoriens Ã©piait le dictateur prÃ©sumÃ© et on l'accusait de
mysticisme, parce qu'il croyait en Dieu. Robespierre n'Ã©tait pourtant ni l'ami, ni l'ennemi de la secte des
nouveaux joannites; il Ã©tait venu chez Catherine pour observer des phÃ©nomÃ¨nes; mÃ©content d'avoir
Ã©tÃ© reconnu, il sortit en profÃ©rant des menaces qu'il ne rÃ©alisa pas, et ceux qui transformÃ¨rent en
conspiration les conventicules du vieux moine et de la vieille bÃ©ate avaient espÃ©rÃ© faire sortir de ce
procÃ¨s un doute ou du moins un ridicule qui s'attacherait Ã la rÃ©putation de l'incorruptible Maximilien.
La prophÃ©tie de Catherine ThÃ©ot eut son accomplissement par l'inauguration du culte de l'Ãtre suprÃªme
et la rÃ©action rapide de thermidor.
PHÃNOMÃNES DE MÃDIOMANIE. 234

Pendant ce temps, la secte qui s'Ã©tait ralliÃ©e Ã la soeur AndrÃ©, dont un sieur Ducy Ã©crivait les
rÃ©vÃ©lations, continuait ses visions et ses miracles. Leur idÃ©e fixe Ã©tait la conservation de la
lÃ©gitimitÃ© par le rÃ¨gne futur de Louis XVII: plusieurs fois ils sauvÃ¨rent en rÃªve le pauvre petit
orphelin du Temple, et crurent rÃ©ellement l'avoir sauvÃ©; d'anciennes prophÃ©ties promettaient le trÃńe
des lys Ã un jeune homme autrefois captif. Sainte Brigitte, sainte Hildegarde, Bernard Tollard, [452]
Lichtemberger, annonÃ§aient tous une restauration miraculeuse aprÃ¨s de grands dÃ©sastres. Les
nÃ©o-joannites furent les interprÃ¨tes et les continuateurs de ces prÃ©dictions, jamais les Louis XVII ne
leur manquÃ¨rent, et ils en eurent successivement sept ou huit, tous parfaitement authentiques et non moins
parfaitement conservÃ©s; c'est aux influences de cette secte que nous avons dÃ» depuis les rÃ©vÃ©lations
du paysan Martin (de Gallardon) et les prodiges de Vintras.
Dans ce cercle magnÃ©tique comme dans les assemblÃ©es de quakers ou des trembleurs de la
Grande-Bretagne, l'enthousiasme Ã©tait contagieux et se transmettait de frÃ¨re en frÃ¨re. AprÃ¨s la mort de
la soeur AndrÃ©, la seconde vue et la facultÃ© de prophÃ©tiser furent le partage d'un nommÃ© Legros, qui
Ã©tait Ã Charenton lorsque Martin y fut mis provisoirement. Il reconnut un frÃ¨re dans le paysan beauceron,
qu'il n'avait jamais vu. Tous ces sectaires, Ã force de vouloir Louis XVII, le crÃ©aient en quelque sorte,
c'est-Ã -dire qu'ils Ã©voquaient de telles hallucinations, que des mÃ©diums se faisaient Ã l'image et Ã la
ressemblance du type magnÃ©tique, et se croyant rÃ©ellement l'enfant royal Ã©chappÃ© du Temple, ils
attiraient Ã eux tous les reflets de cette douce et frÃªle victime, et se souvenaient de circonstances connues
seulement de la famille de Louis XVI. Ce phÃ©nomÃ¨ne, quelque incroyable qu'il paraisse, n'est ni
impossible, ni inouÃ¯. Paracelse assure que si, par un effort extraordinaire de volontÃ©, on pouvait se figurer
qu'on est une personne autre que soi-mÃªme, on saurait aussitÃ´t la plus secrÃ¨te pensÃ©e de cette autre
personne et on attirerait Ã soi ses plus intimes souvenirs. Souvent aprÃ¨s un entretien qui nous a mis en
rapport [453] d'imagination avec notre interlocuteur, nous rÃªvons en dormant des rÃ©miniscences
inÃ©dites de sa vie. Parmi les faux Louis XVII, il faut donc en reconnaÃ®tre quelques-uns qui n'Ã©taient
pas des imposteurs, mais des hallucinÃ©s, et parmi ces derniers, il faut distinguer un Genevois, nommÃ©
Naundorff, visionnaire comme Swedenborg, et d'une conviction si contagieuse que d'anciens serviteurs de la
famille royale l'ont reconnu et se sont jetÃ©s Ã ses pieds en pleurant: il portait sur lui les signes particuliers
et les cicatrices de Louis XVII; il racontait son enfance avec une vÃ©ritÃ© saisissante, entrait dans ces
dÃ©tails insignifiants, qui sont dÃ©cisifs pour les souvenirs intimes. Ses traits mÃªmes Ã©taient ceux
qu'aurait eus l'orphelin de Louis XVI, s'il avait vÃ©cu. Une seule chose enfin lui manquait pour Ãªtre
vraiment Louis XVII, c'Ã©tait de n'Ãªtre pas Naundorff.
La puissance contagieuse du magnÃ©tisme de cet hallucinÃ© Ã©tait telle, que sa mort ne dÃ©trompa aucun
des croyants Ã son rÃ¨gne futur. Nous en avons vu un des plus convaincus, auquel nous objections
timidement, lorsqu'il parlait de la Restauration prochaine de ce qu'il appelait la vraie lÃ©gitimitÃ©, que son
Louis XVII Ã©tait mort.--Est-il donc plus difficile Ã Dieu de le ressusciter qu'il n'a Ã©tÃ© Ã nos pÃ¨res
de le sauver du Temple! nous rÃ©pondit-il avec un sourire si triomphant qu'il Ã©tait presque dÃ©daigneux.
A cela nous n'avions rien Ã rÃ©pliquer, et force nous fut de nous incliner devant une pareille conviction.
[454]
CHAPITRE VI.
CHAPITRE VI. 235

LES ILLUMINÃS D'ALLEMAGNE.

SOMMAIRE.--Lavater et Gabildone.--Stabs et NapolÃ©on.--Carl Sand et Kotzebue.--Les Mopses.--Le
drame magique de Faust.
L'Allemagne est la terre natale du mysticisme mÃ©taphysique et des fantÃ´mes; fantÃ´me elle-mÃªme de
l'ancien empire romain, elle semble toujours Ã©voquer la grande ombre d'Hermann, en lui consacrant le
simulacre des aigles captives de Varus. Le patriotisme des jeunes Allemands est toujours celui des anciens
Germains: ils ne rÃªvent pas l'invasion des contrÃ©es riantes de l'Italie, ils ne l'acceptent tout au plus que
comme une revanche, mais ils mourraient mille fois pour la dÃ©fense de leurs foyers: ils aiment leurs vieux
chÃ¢teaux et leurs vieilles lÃ©gendes des bords du Rhin; ils lisent patiemment les traitÃ©s les plus obscurs
de leur philosophie, et voient dans les brumes de leur ciel et dans la fumÃ©e de leur pipe mille choses
indicibles qui les initient aux merveilles de l'autre monde.
Bien avant qu'on ne parlÃ¢t en AmÃ©rique et en France de mÃ©diums et d'Ã©vocations, il y avait en

Prusse des illuminÃ©s et des voyants qui tenaient des confÃ©rences rÃ©glÃ©es avec les morts. Un grand
seigneur avait fait bÃ¢tir Ã Berlin une maison destinÃ©e aux Ã©vocations: le roi FrÃ©dÃ©ric-Guillaume
Ã©tait fort curieux de tous ces mystÃ¨res et s'enfermait souvent dans cette maison avec un adepte nommÃ©
Steinert; les impressions qu'il y recevait produisaient en lui des sensations si vives, qu'il tombait en [455]
dÃ©faillance et ne revenait Ã lui que lorsqu'on lui donnait quelques gouttes d'un Ã©lixir magique analogue,
Ã celui de Cagliostro. On trouve dans une correspondance secrÃ¨te sur les premiers temps du rÃ¨gne de ce
prince, citÃ©e par le marquis de Luchet dans sa Diatribe contre les illuminÃ©s, une description de la
chambre obscure oÃ¹ se faisaient les Ã©vocations: elle Ã©tait carrÃ©e, sÃ©parÃ©e en deux par un voile
transparent devant lequel Ã©tait placÃ© le fourneau magique ou l'autel des parfums; derriÃ¨re le voile
Ã©tait un piÃ©destal sur lequel se montrait l'esprit. Eckartshausen, dans son livre allemand sur la magie,
dÃ©crit tout l'appareil de cette fantasmagorie. C'est un systÃ¨me de machine et de procÃ©dÃ©s pour aider
l'imagination Ã se crÃ©er les fantÃ´mes qu'elle dÃ©sire, et pour jeter les consultants dans une sorte de
somnambulisme Ã©veillÃ©, assez semblable Ã la surexcitation nerveuse produite par l'opium ou le
haschich. Ceux qui se contenteront des explications donnÃ©es par l'auteur que nous venons de citer ne
verront dans les apparitions que des effets de lanterne magique; il y a autre chose certainement, et la lanterne
magique n'est dans cette affaire qu'un instrument utile, mais non absolument nÃ©cessaire Ã la production du
phÃ©nomÃ¨ne. On ne fait pas sortir des reflets d'un verre de couleur des visages autrefois connus et qu'on
Ã©voque par la pensÃ©e; on ne fait pas parler les images peintes d'une lanterne, et elles ne viennent pas
rÃ©pondre aux questions de la conscience. Le roi de Prusse, Ã qui appartenait la maison, savait Ã merveille
comment elle Ã©tait machinÃ©e, et n'Ã©tait pas dupe d'une jonglerie, comme le prÃ©tend l'auteur de la
correspondance secrÃ¨te. Les moyens naturels [456] prÃ©paraient et n'accomplissaient pas le prodige; il se
passait lÃ rÃ©ellement des choses Ã Ã©tonner le plus sceptique et Ã troubler le plus hardi. Schroepffer,
d'ailleurs, n'employait ni la lanterne magique ni le voile, mais il faisait boire Ã ses visiteurs un punch
prÃ©parÃ© par lui: les figures qu'il faisait apparaÃ®tre Ã©taient comme celles du mÃ©dium amÃ©ricain
Home, Ã demi corporelles, et produisaient une sensation Ã©trange Ã ceux qui essayaient de les toucher.
C'Ã©tait quelque chose d'analogue Ã une commotion Ã©lectrique qui faisait frissonner l'Ã©piderme, et l'on
n'Ã©prouvait rien si, avant de toucher Ã la vision, on avait eu soin de se mouiller les mains. Schroepffer
Ã©tait de bonne foi, comme l'est aussi l'amÃ©ricain Home; il croyait Ã la rÃ©alitÃ© des esprits qu'il
Ã©voquait et se tua lorsqu'il vint Ã en douter.
Lavaler, qui mourut aussi de mort violente, Ã©tait entiÃ¨rement adonnÃ© Ã l'Ã©vocation des esprits, il en
avait deux Ã ses ordres; il faisait partie d'un cercle oÃ¹ l'on se mettait en extase au moyen de l'harmonica, on
faisait alors la chaÃ®ne, et une espÃ¨ce d'idiot servait d'interprÃ¨te Ã l'esprit en Ã©crivant sous son
LES ILLUMINÃS D'ALLEMAGNE. 236

impulsion. Cet esprit se donnait pour un kabbaliste juif mort avant la naissance de JÃ©sus-Christ et fit
Ã©crire au mÃ©dium des choses tout Ã fait dignes des somnambules de Cahagnet 22, comme, par exemple,
cette rÃ©vÃ©lation sur les peines de l'autre vie oÃ¹ l'esprit assure que l'Ã¢me de l'empereur FranÃ§ois est
[457] condamnÃ©e dans l'autre monde Ã faire le compte et l'Ã©tat exact de toutes les coquilles d'escargots
qui peuvent exister ou avoir existÃ© dans tout l'univers. Il rÃ©vÃ©la aussi que les vrais noms des trois
mages n'Ã©taient point, comme le disait la tradition des lÃ©gendaires, Gaspar, Melchior et Balthasar, mais
bien Vrasapharmion, Melchisedech et Baleathrasaron; on croit lire des noms Ã©crits par nos modernes
tables tournantes. L'esprit dÃ©clara en outre qu'il Ã©tait lui mÃªme en pÃ©nitence pour avoir levÃ© le
glaive magique contre son pÃ¨re, et qu'il Ã©tait disposÃ© Ã faire cadeau Ã ses amis de son portrait. Sur sa
demande, on plaÃ§a derriÃ¨re un Ã©cran, du papier, des couleurs toutes prÃ©parÃ©es et des pinceaux; on
vit alors se dessiner sur l'Ã©cran la silhouette d'une petite main, et on entendit un petit frottement sur le
papier; quand le bruit cessa, tout le monde accourut, et l'on trouva un portrait grossiÃ¨rement peint,
reprÃ©sentant un vieux rabbin vÃªtu de noir avec une fraise blanche tombant sur les Ã©paules et une calotte
noire sur le sommet de la tÃªte, costume un peu hÃ©tÃ©roclite pour un personnage antÃ©rieur Ã
JÃ©sus-Christ; la peinture, d'ailleurs, Ã©tait tachÃ©e et incorrecte, et ressemblait beaucoup Ã l'oeuvre de
quelque enfant qui se serait amusÃ© Ã faire un coloriage les yeux fermÃ©s.
Note 22: (retour) M. Cahagnet est auteur des ouvrages suivants: Arcanes de la vie future,
1848-1854, 3 vol. gr. in-12; LumiÃ¨re des morts, 1851, 1 vol. in-12; Magie magnÃ©tique, 2e
Ã©dition, 1858,1 vol. in-12; Sanctuaire du spiritualisme, 1850,1 vol in-12; RÃ©vÃ©lations
d'outre-tombe, 1856, 1 vol. in-12, etc.
Les instructions Ã©crites par la main du mÃ©dium sous l'impulsion de Gablidone sont d'une obscuritÃ© qui
l'emporte sur celle de tous les mÃ©taphysiciens allemands.
--Il ne faut pas donner, dit-il, le nom de majestÃ© Ã la lÃ©gÃ¨re; majestÃ© vient de mage, parce que les
mages, Ã©tant pontifes et rois, Ã©taient les majestÃ©s premiÃ¨res. PÃ©cher mortellement, c'est offenser
Dieu dans sa majestÃ©, c'est-Ã -dire le blesser comme pÃ¨re [458] en jetant la mort dans les sources de la
vie. La source du PÃ¨re est lumiÃ¨re et vie, la source du Fils est sang et eau, la lumiÃ¨re du Saint-Esprit est
feu et or. On pÃ¨che contre le PÃ¨re par le mensonge, contre le Fils par la haine, et contre le Saint-Esprit par
la dÃ©bauche qui est oeuvre de mort et de destruction. Le bon Lavater recevait ces communications comme
des oracles, et lorsqu'il demandait Ã l'esprit quelques Ã©claircissements nouveaux: Â«Le grand initiateur
viendra, rÃ©pondait Gablidone, il naÃ®tra avec le siÃ¨cle prochain: alors la religion des patriarches sera
connue sur notre globe. Il expliquera au monde le trigramme d'Agion, HÃ©lion, Tetragrammaton et le
Seigneur dont le corps est ceint d'un triangle apparaÃ®tra sur la quatriÃ¨me marche de l'autel; l'angle
suprÃªme sera rouge et la devise mystÃ©rieuse du triangle sera: Venite ad patres osphal.--Que veut dire le
mot osphal? demanda un des assistants Ã l'esprit. Le mÃ©dium Ã©crivit ces trois mots: Alphos, M: Aphon,
Eliphismatis, sans donner d'autres explications; quelques interprÃ¨tes en conclurent que le mage promis au
XIXe siÃ¨cle se nommerait Maphon fils d'Ãliphisma: c'Ã©tait une explication peut-Ãªtre un peu risquÃ©e.
Rien n'est plus dangereux que le mysticisme, parce qu'il produit la folie qui dÃ©joue toutes les combinaisons
de la sagesse humaine. Ce sont toujours des fous qui bouleversent le monde, et ce que les grands politiques ne
prÃ©voient jamais, ce sont les coups de tÃªte et les coups de main des insensÃ©s. L'architecte du temple de
Diane Ã ÃphÃ¨se, en se promettant une gloire Ã©ternelle, avait comptÃ© sans Ãrostrate.
Les girondins n'avaient pas prÃ©vu Marat. Que fallait-il pour [459] changer l'Ã©quilibre du monde? dit
Pascal Ã propos de Cromwell: un grain de sable formÃ© par hasard dans les entrailles d'un homme. Que de
grandes choses s'accomplissent par des causes qui ne sont rien! Quand le temple de la civilisation s'Ã©croule,
c'est toujours un aveugle comme Samson, qui en a secouÃ© les colonnes. Un misÃ©rable de la lie du peuple
a des insomnies et se croit appelÃ© Ã dÃ©livrer le monde de l'AntÃ©christ. Cet homme poignarde Henri
IV, et apprend Ã la France consternÃ©e le nom de Ravaillac. Les thaumaturges allemands voient dans

NapolÃ©on l'Apollyon de l'Apocalypse, et il se trouve un enfant, un jeune homme illuminÃ©, nommÃ©
Stabs, pour tuer cet Atlas militaire qui, en ce moment, portait sur ses Ã©paules le monde arrachÃ© au chaos
de l'anarchie; mais cette influence magnÃ©tique que l'empereur appelait son Ã©toile, Ã©tait plus puissante
alors que le mouvement fanatique des cercles allemands: Stabs ne put ou n'osa frapper. NapolÃ©on voulut
l'interroger lui-mÃªme, et admira sa rÃ©solution et son audace; toutefois, comme il se connaissait en
grandeur, il ne voulut pas amoindrir le nouveau Scevola en lui faisant grÃ¢ce, il l'estima assez pour le prendre
au sÃ©rieux et pour le laisser fusiller.
Carl Sand qui tua Kotzebue, Ã©tait aussi un malheureux enfant perdu de mysticisme, Ã©garÃ© par les
sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes oÃ¹ l'on jurait la vengeance sur des poignards. Kotzebue mÃ©ritait peut-Ãªtre des
soufflets, le couteau de Sand le rÃ©habilita et en fit un martyr: il est beau, en effet, de mourir l'ennemi et la
victime de ceux qui se vengent par le guet-apens et par l'assassinat! Les sociÃ©tÃ©s secrÃ¨tes de
l'Allemagne avaient des [460] cÃ©rÃ©monies et des rites qui se rapportaient plus ou moins Ã ceux de
l'ancienne magie; dans la sociÃ©tÃ© des mopses, par exemple, on renouvelait avec des formes adoucies et
presque plaisantes la cÃ©lÃ©bration des mystÃ¨res du sabbat et de la rÃ©ception secrÃ¨te des templiers. Le
bouc baphomÃ©tique Ã©tait remplacÃ© par un chien, c'Ã©tait Hermanubis au lieu de Pau; la science Ã la
place de la nature, substitution Ã©quivalente, puisqu'on ne connaÃ®t la nature que par la science. Les deux
sexes Ã©taient admis chez les mopses comme au sabbat; la rÃ©ception Ã©tait accompagnÃ©e d'aboiements
et de grimaces, et, comme chez les templiers, on proposait au rÃ©cipiendaire de baiser Ã son choix le
derriÃ¨re du diable, celui du grand maÃ®tre ou celui du mopse; le mopse Ã©tait, comme nous venons de le
dire, une petite figure de carton recouverte de soie, reprÃ©sentant un chien, nommÃ© mops en allemand. On
devait en effet, avant d'Ãªtre reÃ§u, baiser le derriÃ¨re du mopse, comme on baisait celui du bouc MendÃ¨s,
dans les initiations du sabbat. Les mopses ne s'engageaient pas les uns aux autres par des serments, ils
donnaient simplement leur parole d'honneur, ce qui est le serment le plus sacrÃ© des honnÃªtes gens; leurs
rÃ©unions se passaient comme celles du sabbat, en danses et en festins, seulement, les dames restaient
vÃªtues, ne pendaient pas de chats vivants Ã leurs ceintures et ne mangeaient pas de petits enfants: c'Ã©tait
un sabbat civilisÃ©.
Le sabbat eut en Allemagne son grand poÃ«te et la magie son Ã©popÃ©e: cette Ã©popÃ©e, c'est le drame
gigantesque de Faust, cette Babel achevÃ©e du gÃ©nie humain. Goethe Ã©tait initiÃ© Ã tous les
mystÃ¨res de la magie philosophique, il avait mÃªme pratiquÃ© dans [461] sa jeunesse la magie
cÃ©rÃ©monielle, et le rÃ©sultat de ces tentatives audacieuses avait Ã©tÃ© pour lui d'abord un profond
dÃ©goÃ»t de la vie et une violente envie de mourir. Il accomplit en effet son suicide, non pas dans un acte,
mais dans un livre: il fit le roman de Verther, ce fatal ouvrage qui prÃªche la mort et qui a fait tant de
prosÃ©lytes; puis, victorieux enfin du dÃ©couragement et du dÃ©goÃ»t, arrivÃ© aux rÃ©gions sereines de
la vÃ©ritÃ© et de la paix, il Ã©crivit Faust. Faust est le magnifique commentaire d'une des plus belles pages
de l'Ãvangile, la parabole de l'enfant prodigue. C'est l'initiation au pÃ©chÃ© par la science insoumise, Ã la
douleur par le pÃ©chÃ©; Ã l'expiation et Ã la science harmonieuse par la douleur. Le gÃ©nie humain,
reprÃ©sentÃ© par Faust, prend pour valet l'esprit du mal, qui aspire Ã devenir son maÃ®tre, il Ã©puise
vite tout ce que l'imagination met de joie dans les amours illÃ©gitimes, il traverse les orgies de la folie, puis,
attirÃ© par le charme de la souveraine beautÃ©, il se relÃ¨ve du fond de ses dÃ©senchantements pour
monter sur les hauteurs de l'abstraction et de l'idÃ©al impÃ©rissable, lÃ , MÃ©phistophÃ©lÃ¨s n'est plus Ã
l'aise, le rieur implacable devient triste, Voltaire fait place Ã Chateaubriand; Ã mesure que la lumiÃ¨re se
fait, l'ange des tÃ©nÃ¨bres se tord sur lui-mÃªme et se tourmente, les anges l'enchaÃ®nent, il les admire
malgrÃ© lui, il aime, il pleure, il est vaincu.
Dans la premiÃ¨re partie du drame, nous avions vu Faust sÃ©parÃ© violemment de Marguerite, et des voix
du ciel avaient criÃ©: Elle est sauvÃ©e, pendant qu'on la menait au supplice; mais Faust peut-il Ãªtre perdu,
puisqu'il est toujours aimÃ© de Marguerite, son coeur n'est-il pas dÃ©jÃ fiancÃ© au ciel! Le grand oeuvre
de la [462] rÃ©demption par la solidaritÃ© s'accomplit. La victime serait-elle jamais consolÃ©e de ses
tortures, si elle ne convertissait son bourreau? Le pardon n'est-il pas la vengeance des enfants du ciel?

L'amour qui Ã©tait arrivÃ© au ciel le premier, attire Ã lui la science par sympathie; le christianisme se
rÃ©vÃ¨le dans son admirable synthÃ¨se. La nouvelle Ãve a lavÃ© avec le sang d'Abel la tache du front de
CaÃ¯n, et elle pleure de joie sur ses deux enfants qui se tiennent embrassÃ©s.
L'enfer, dÃ©sormais inutile, est fermÃ© pour cause d'agrandissement du ciel. Le problÃ¨me du mal a reÃ§u
sa derniÃ¨re solution et le bien seul nÃ©cessaire et triomphant va rÃ©gner dans l'Ã©ternitÃ©.
Tel est le beau rÃªve du plus grand de tous les poÃ«tes, mais malheureusement ici le philosophe oublie toutes
les lois de l'Ã©quilibre, il veut absorber la lumiÃ¨re dans une splendeur sans ombre et le mouvement dans un
repos absolu qui serait la cessation de la vie. Tant qu'il y aura une lumiÃ¨re visible, il y aura une ombre
proportionnelle Ã cette lumiÃ¨re. Le repos ne sera jamais le bonheur, s'il n'est Ã©quilibrÃ© par un
mouvement analogue et contraire; tant qu'il y aura une bÃ©nÃ©diction libre, le blasphÃ¨me sera possible;
tant qu'il y aura un ciel, il y aura un enfer. C'est la loi immuable de la nature, c'est la volontÃ© Ã©ternelle de
la justice qui est Dieu!
[463]
CHAPITRE VII.
EMPIRE ET RESTAURATION.
SOMMAIRE.--Le cÃ´tÃ© merveilleux da rÃ¨gne de NapolÃ©on.--PrÃ©dictions qui l'avaient
annoncÃ©.--ProphÃ©ties du Liber mirabilis, de Nostradamus et d'Olivarius.--RÃ´le jouÃ© sous l'empire par
mademoiselle Le Normand.--La sainte-alliance et l'empereur Alexandre.--Madame Bouche et madame de
Krudener.--Les visions de Martin (de Gallardon).
NapolÃ©on remplissait le monde de merveilles et il Ã©tait lui-mÃªme la plus grande merveille du monde; sa
femme, l'impÃ©ratrice JosÃ©phine, curieuse et crÃ©dule comme une crÃ©ole, passait d'enchantements en
enchantements. Cette gloire lui avait Ã©tÃ© prÃ©dite, assure-t-on, par une vieille bohÃ©mienne, et le
peuple des campagnes croit encore que JosÃ©phine Ã©tait, elle-mÃªme, le bon gÃ©nie de l'empereur;
c'Ã©tait en effet une douce et modeste conseillÃ¨re, qui l'eÃ»t Ã©cartÃ© de bien des Ã©cueils, s'il eÃ»t
toujours Ã©coutÃ© sa voix, mais la fatalitÃ© ou plutÃ´t la Providence le poussait en avant, et ce qu'il avait
Ã devenir Ã©tait Ã©crit.
Dans une prophÃ©tie attribuÃ©e Ã saint CÃ©saire, mais qui est signÃ©e Jean de Vatiguerro, et qui se
trouve dans le Liber mirabilis, recueil de prÃ©dictions imprimÃ© en 1524, on lit ces paroles Ã©tonnantes:
Â«Les Ã©glises seront souillÃ©es et profanÃ©es, le culte public cessera...
Â«L'aigle volera par le monde et se soumettra plusieurs nations...
Â«Le prince le plus grand et le plus auguste souverain de tout l'Occident, sera mis en fuite aprÃ¨s une
dÃ©faite surnaturelle...
[464] Â«Le trÃ¨s noble prince sera mis en captivitÃ© par ses ennemis et s'affligera en pensant Ã ceux qui
Ã©taient attachÃ©s Ã lui...
CHAPITRE VII. 239

Â«Avant que la paix se rÃ©tablisse en France, les mÃªmes Ã©vÃ©nements recommenceront et se

produiront plusieurs fois...
Â«L'aigle sera couronnÃ© de trois diadÃ¨mes, et il rentrera victorieux dans son aire d'oÃ¹ il ne sortira plus
que pour s'Ã©lever vers le ciel...Â»
Nostradamus, aprÃ¨s avoir prÃ©dit la spoliation des Ã©glises et le meurtre des prÃªtres, annonce qu'un
empereur naÃ®tra prÃ¨s de l'Italie, que sa souverainetÃ© coÃ»tera bien du sang Ã la France, et que les siens
le trahiront et l'accuseront du sang versÃ©.
Un empereur naÃ®tra prÃ¨s d'Italie,
Qui, Ã l'empire, sera vendu bien cher;
Mais il doit voir Ã quels gens il s'allie,
Qui le diront moins prince que boucher.
De soldat simple parviendra Ã l'empire,
De robe courte parviendra Ã la longue;
aillant aux armes, en l'Eglise au plus pire,
Traiter les prÃªtres comme l'eau fait l'Ã©ponge.
C'est-Ã -dire qu'au moment des plus grandes calamitÃ©s de l'Ãglise, il comblera les prÃªtres de biens.
Dans un Recueil de prophÃ©ties, publiÃ© en 1820, dont nous possÃ©dons un exemplaire, on trouve, aprÃ¨s
une prÃ©diction qui concerne NapolÃ©on Ier, cette phrase:
Â«Et fera le neveu ce que l'oncle n'avait pu faire.Â»
La cÃ©lÃ¨bre mademoiselle Lenormand avait dans sa bibliothÃ¨que un volume cartonnÃ©, Ã dos de

parchemin, contenant le TraitÃ© [465] d'Olivarius sur les prophÃ©ties, suivi de dix pages manuscrites oÃ¹ le
rÃ¨gne de NapolÃ©on et sa chute Ã©taient formellement annoncÃ©s. La devineresse communiqua ce livre
Ã l'impÃ©ratrice JosÃ©phine. Puisque nous venons de nommer mademoiselle Lenormand, il faut dire
quelques mots de cette singuliÃ¨re femme: c'Ã©tait une grosse demoiselle fort laide, emphatique dans ses
discours, amphigourique dans son style, mais somnambule Ã©veillÃ©e et d'une luciditÃ© toute
particuliÃ¨re; elle fut sous le premier empire et sous la restauration la devineresse Ã la mode. Rien n'est plus
fastidieux que la lecture de ses ouvrages, mais elle tirait les cartes avec le plus grand succÃ¨s.
La cartomancie retrouvÃ©e en France par Ãteilla n'est autre chose que la consultation du sort au moyen de
signes convenus d'avance; ces signes combinÃ©s avec les nombres, inspirent des oracles au mÃ©dium qui se
magnÃ©tise en les regardant. On tire ces signes au hasard aprÃ¨s les avoir lentement mÃªlÃ©s, on les
dispose par nombre kabbalistiques, et ils rÃ©pondent toujours Ã la pensÃ©e de celui qui les interroge
sÃ©rieusement et de bonne foi, car nous portons en nous tout un monde de pressentiments auxquels il ne faut
qu'un prÃ©texte pour nous apparaÃ®tre. Les natures impressionnables et sensitives reÃ§oivent de nous le
choc magnÃ©tique qui leur communique l'empreinte de notre Ã©tat nerveux. Le mÃ©dium peut alors lire
EMPIRE ET RESTAURATION. 240

nos craintes et nos espÃ©rances dans les rides de l'eau, dans la configuration des nuages, dans les points
jetÃ©s au hasard sur la terre, dans les dessins laissÃ©s sur une assiette par du marc de cafÃ©, dans les
chances d'un jeu de cartes ou d'un tarot. Le tarot surtout, ce livre kabbalistique et savant, dont [466] toutes les
combinaisons sont une rÃ©vÃ©lation des harmonies prÃ©existantes entre les signes, les lettres et les
nombres, le tarot est alors d'un usage vraiment merveilleux. Mais nous ne pouvons impunÃ©ment nous
arracher ainsi Ã nous-mÃªmes les secrets de notre communication intime avec la lumiÃ¨re universelle. La
consultation des cartes et des tarots est une vÃ©ritable Ã©vocation qui ne peut se faire sans danger et sans
crime. Dans les Ã©vocations, nous forÃ§ons notre corps astral Ã nous apparaÃ®tre, dans la divination nous
le contraignons Ã nous parler; nous donnons ainsi un corps Ã nos chimÃ¨res et nous faisons une rÃ©alitÃ©
prochaine de cet avenir qui sera vÃ©ritablement le nÃ´tre, quand nous l'aurons Ã©voquÃ© par le Verbe et
adoptÃ© par la foi. Contracter l'habitude de la divination et des consultations magnÃ©tiques, c'est faire un
pacte avec le vertige: or, nous avons dÃ©jÃ Ã©tabli que le vertige c'est l'enfer.
Mademoiselle Lenormand Ã©tait folle d'infatuation de son art et d'elle-mÃªme; le monde ne roulait pas sans
elle, et elle se croyait nÃ©cessaire Ã l'Ã©quilibre europÃ©en. Lors du congrÃ¨s d'Aix-la-Chapelle, la
devineresse partit suivie de tout son mobilier, se fit des affaires Ã toutes les douanes, et tourmenta toutes les
autoritÃ©s pour qu'on fÃ»t en quelque sorte forcÃ© de s'occuper d'elle: c'Ã©tait la vraie mouche du coche,
et quelle mouche! A son retour, elle publia ses impressions et mit en tÃªte de son livre une vignette oÃ¹ elle se
reprÃ©sente entourÃ©e de toutes les puissances qui la consultent et qui tremblent devant elle.
Les grands Ã©vÃ©nements qui venaient de s'accomplir dans le monde avaient tournÃ© Ã cette Ã©poque
les Ã¢mes vers le mysticisme, une [467] rÃ©action religieuse Ã©tait commencÃ©e, et les souverains qui
formÃ¨rent la sainte alliance sentaient le besoin de rattacher Ã la croix leurs sceptres unis en faisceaux.
L'empereur Alexandre, surtout, croyait que l'heure Ã©tait venue pour la sainte Russie de convertir le monde
Ã l'orthodoxie universelle.
La secte des sauveurs de Louis XVII, secte intrigante et remuante, voulut profiter de cette disposition pour
fonder un nouveau sacerdoce et parvint Ã introduire prÃ¨s de l'empereur de Russie une de ses illuminÃ©es.
Cette nouvelle Catherine ThÃ©ot, que les sectaires appelaient soeur SalomÃ©, se nommait madame Bouche;
elle passa dix-huit mois Ã la cour de l'empereur, ayant souvent avec lui des entretiens secrets; mais
Alexandre avait plus d'imagination dÃ©vote que de vÃ©ritable enthousiasme, il se plaisait au merveilleux, et
prÃ©tendait qu'on l'amusÃ¢t. Ses confidents mystiques lui prÃ©sentÃ¨rent une prophÃ©tesse nouvelle qui
lui fit oublier la soeur SalomÃ©, c'Ã©tait, la fameuse madame de Krudener, cette aimable coquette de
piÃ©tÃ© et de vertus, qui fit et ne fut pas ValÃ©rie. Son ambition Ã©tait pourtant qu'on la crÃ»t
l'hÃ©roÃ¯ne de son livre, et comme une de ses intimes amies la pressait de lui en nommer le hÃ©ros, elle
dÃ©signa un homme Ã©minent de ce temps-lÃ .--Mais alors, dit l'amie, le dÃ©noÃ»ment de votre livre
n'est pas conforme Ã la vÃ©ritÃ© de l'anecdote, car ce monsieur n'est pas mort.--Oh! ma chÃ¨re, s'Ã©cria
madame de Krudener, je vous assure qu'il n'en vaut guÃ¨re mieux. Cette rÃ©ponse fit fortune. Madame de
Krudener exerÃ§a sur l'esprit un peu faible d'Alexandre une influence assez grande pour alarmer ses
conseillers, il s'enfermait souvent avec elle pour prier, mais elle se perdit par excÃ¨s de zÃ¨le. Un jour,
comme l'empereur [468] allait la quitter, elle se jette au-devant de lui et le conjure de ne pas sortir. Dieu me
rÃ©vÃ¨le, dit-elle, que vous courez un grand danger: on en veut Ã votre vie; un assassin est cachÃ© dans le
palais. L'empereur s'alarme, il sonne, il se fait entourer de gardes, on fait des perquisitions et l'on finit par
trouver un pauvre diable muni d'un poignard. Cet homme, interrogÃ©, se trouble et finit par avouer qu'il a
Ã©tÃ© introduit par madame Krudener elle-mÃªme. Ãtait-ce vrai, et cette dame avait-elle jouÃ© dans cette
affaire le rÃ´le de Latude prÃ¨s de madame Pompadour? Ãtait-ce faux, et cet homme, apostÃ© par les
ennemis de l'empereur, avait-il pour mission secrÃ¨te, si le meurtre ne rÃ©ussissait pas, de perdre madame
Krudener? De toutes faÃ§ons, la pauvre prophÃ©tesse fut perdue. L'empereur, honteux d'avoir Ã©tÃ© pris
pour dupe, la congÃ©dia sans l'entendre, et elle dut s'estimer heureuse encore d'en Ãªtre quitte Ã si bon
marchÃ©.
EMPIRE ET RESTAURATION. 241

La petite Ã©glise de Louis XVII ne se tint pas pour battue par la disgrÃ¢ce de madame Bouche, et vit dans
celle de madame de Krudener un vÃ©ritable chÃ¢timent divin, ils continuÃ¨rent leurs prophÃ©ties, et firent
au besoin des miracles. Sous le rÃ¨gne de Louis XVIII, ils mirent en avant un paysan de la Beauce, nommÃ©
Martin, qui soutenait avoir vu un ange. Cet ange, dont il dÃ©crivait le costume et la figure, avait toute
l'apparence d'un laquais de bonne maison: il avait une redingote trÃ¨s longue et trÃ¨s serrÃ©e Ã la taille,
d'une couleur jaunÃ¢tre ou blonde, il Ã©tait pÃ¢le et mince et portait sur sa tÃªte un chapeau probablement
galonnÃ© et verni. Ce qu'il y a d'Ã©trange, et ce qui prouve une fois de plus combien il y a de ressources
dans la [469] persistance et dans l'audace, c'est que cet homme se fit prendre au sÃ©rieux, et parvint Ã
s'introduire auprÃ¨s du roi. On assure qu'il l'Ã©tonna par des rÃ©vÃ©lations de sa vie intime,
rÃ©vÃ©lations qui n'ont rien d'impossible ni mÃªme d'extraordinaire, maintenant que les phÃ©nomÃ¨nes du
magnÃ©tisme sont mieux constatÃ©s et mieux connus.
Louis XVIII, d'ailleurs, Ã©tait assez sceptique pour Ãªtre crÃ©dule. Le doute en prÃ©sence de l'Ãªtre et de
ses harmonies, le scepticisme en face des mathÃ©matiques Ã©ternelles et des lois immuables de la vie qui
rendent la divinitÃ© prÃ©sente et visible partout, n'est-ce pas la plus sotte des superstitions et la plus
inexcusable comme la plus dangereuse de toutes les crÃ©dulitÃ©s?
[470]
LIVRE VII.
LA MAGIE AU XIXe SIÃCLE.
×, ZaÃ¯n.
CHAPITRE PREMIER.
LES MAGNÃTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÃRIALISTES.

SOMMAIRE.--Une Ã©vocation dans l'Ã©glise de Notre-Dame.--Les faux prophÃ¨tes et les faux dieux.
La nÃ©gation du dogme fondamental de la religion catholique, si poÃ©tiquement formulÃ©e dans le

poÃ¨me de Faust, avait portÃ© ses fruits dans le monde. La morale privÃ©e de sa sanction Ã©ternelle
devenait douteuse et chancelante. Un mystique matÃ©rialiste retourna le systÃ¨me de Swedenborg pour
crÃ©er sur la terre le paradis des attractions proportionnelles aux destinÃ©es. Par les attractions, Fourier
entendait les passions sensuelles, auxquelles il promettait une expansion intÃ©grale et absolue. Dieu, qui est
la suprÃªme raison, marqua d'un sceau terrible ces doctrines rÃ©prouvÃ©es: les disciples de Fourier avaient
commencÃ© par l'absurditÃ©, ils finirent par la folie.
Ils crurent sÃ©rieusement au changement prochain de l'OcÃ©an en un vaste bol de limonade, Ã la

crÃ©ation future des antilions et des antiserpents, Ã la correspondance Ã©pistolaire des planÃ¨tes les [471]
unes avec les autres. Nous ne parlons pas de la fameuse queue de trente-deux pieds dont ils voulaient, dit-on,
LIVRE VII. 242

gratifier l'espÃ¨ce humaine, parce qu'ils ont eu eux-mÃªmes la gÃ©nÃ©rositÃ© de renoncer Ã cette queue
et d'en considÃ©rer l'avÃ¨nement, possible, suivant le maÃ®tre, comme purement hypothÃ©tique.
C'est Ã de pareilles absurditÃ©s que devait conduire la nÃ©gation de l'Ã©quilibre, et il y a au fond de

toutes ces folies plus de logique qu'on ne pense. La mÃªme raison qui nÃ©cessite la douleur dans
l'humanitÃ©, rend indispensable l'amertume des eaux de la mer; supposez bonne l'expansion intÃ©grale des
instincts, et vous ne pourrez plus admettre l'existence des animaux fÃ©roces; donnez Ã l'homme pour toute
moralitÃ© l'aptitude Ã satisfaire ses appÃ©tits, il aura toujours quelque chose Ã envier aux orangs-outangs
et aux singes. Nier l'enfer, c'est nier le ciel, puisque, suivant la plus haute interprÃ©tation du dogme unique
d'HermÃ¨s, l'enfer est la raison Ã©quilibrante du ciel, parce que l'harmonie rÃ©sulte de l'analogie des
contraires. Quod superius, sicut quod inferius, la supÃ©rioritÃ© existe en raison de l'infÃ©rioritÃ©; c'est la
profondeur qui dÃ©terminÃ© la hauteur, et si vous comblez les vallÃ©es vous ferez disparaÃ®tre les
montagnes; de mÃªme, si vous effacez les ombres, vous anÃ©antirez la lumiÃ¨re qui n'est visible que par le
contraste graduÃ© de l'ombre et du jour, et vous produirez l'obscuritÃ© universelle par un immense
Ã©blouissement; les couleurs mÃªme n'existent dans la lumiÃ¨re que par la prÃ©sence de l'ombre, c'est la
triple alliance du jour et de la nuit, c'est l'image lumineuse du dogme, c'est la lumiÃ¨re faite ombre, comme le
Sauveur est le Verbe fait homme, et tout cela repose sur la mÃªme loi, la loi premiÃ¨re de la crÃ©ation, la
[472] loi unique et absolue de la nature, celle de la distinction et de la pondÃ©ration harmonieuse des forces
LES MAGNÃTISEURS MYSTIQUES ET LES MATÃRIALISTES. 243

contraires dans l'Ã©quilibre universel.
Ce n'est pas le dogme de l'enfer, ce sont les interprÃ©tations tÃ©mÃ©raires de ce dogme qui ont
rÃ©voltÃ© la conscience publique. Ces rÃªves barbares du moyen Ã¢ge, ces supplices atroces et obscÃ¨nes
sculptÃ©s sur les portiques des Ã©glises, cette infÃ¢me chaudiÃ¨re oÃ¹ cuisent des chairs humaines Ã
jamais vivantes pour souffrir et Ã la fumÃ©e de laquelle se rÃ©jouissent les Ã©lus, tout cela est absurde et
impie, mais tout cela n'appartient pas au dogme sacrÃ© de l'Ãglise. La cruautÃ© attribuÃ©e Ã Dieu est le
plus affreux des blasphÃ¨mes, et c'est pour cela mÃªme que le mal est Ã jamais sans remÃ¨de, quand la
volontÃ© de l'homme se refuse Ã la bontÃ© divine. Dieu n'inflige pas plus aux damnÃ©s les tortures de la
rÃ©probation, qu'il ne donne la mort Ã ceux qui se suicident.
Â«Travaille pour possÃ©der, et tu seras heureux, dit Ã l'homme la justice suprÃªme.
--Je veux possÃ©der et jouir sans travailler!
--Alors tu voleras et tu souffriras.
--Je me rÃ©volterai!
--Alors tu te briseras et tu souffriras davantage.
--Je me rÃ©volterai toujours!
--Alors tu souffriras Ã©ternellement.Â»
Tel est l'arrÃªt de la raison absolue et de la souveraine justice; que peut rÃ©pondre Ã cela l'orgueil de la folie
humaine?
La religion n'a pas de plus grands ennemis que le mysticisme tÃ©mÃ©raire qui prend les visions de sa
fiÃ¨vre pour des rÃ©vÃ©lations [473] divines. Ce ne sont pas les thÃ©ologiens qui ont crÃ©Ã© l'empire du
diable, ce sont les faux dÃ©vÃ´ts et les sorciers.
Croire Ã une vision de notre cerveau plutÃ´t qu'Ã l'autoritÃ© de la raison et de la piÃ©tÃ© publiques, tel
est toujours le commencement de l'hÃ©rÃ©sie en religion, de la folie dans l'ordre de la philosophie humaine;
un fou ne serait jamais fou s'il croyait Ã la raison des autres.
Les visions ne manquent jamais Ã la piÃ©tÃ© rÃ©voltÃ©e, pas plus que les chimÃ¨res Ã une raison qui
s'excommunie et qui s'Ã©gare.
A ce point de vue, le magnÃ©tisme a certainement ses dangers: car l'Ã©tat de crise amÃ¨ne aussi bien les
hallucinations que les intuitions lucides.
Nous consacrerons dans ce livre un chapitre spÃ©cial aux magnÃ©tiseurs, les uns mystiques, les autres
matÃ©rialistes, et nous les avertirons, au nom de la science, des dangers auxquels ils s'exposent.
Les consultations du sort, les expÃ©riences magnÃ©tiques et les Ã©vocations appartiennent Ã un seul et
mÃªme ordre de phÃ©nomÃ¨nes. Or, ce sont des phÃ©nomÃ¨nes dont on ne saurait impunÃ©ment abuser,
il y va de la raison et de la vie.
Il y a trente ou quarante ans, un vicaire de choeur de l'Ã©glise de Notre-Dame, homme fort pieux et fort
estimable d'ailleurs, s'Ã©tait Ã©pris du magnÃ©tisme, et se livrait Ã de frÃ©quentes expÃ©riences, il

consacrait plus de temps qu'il ne l'aurait peut-Ãªtre dÃ», Ã la lecture des mystiques, et surtout du vertigineux
Swedenborg; sa tÃªte bientÃ´t se fatigua, il fut travaillÃ© d'insomnies, il se levait alors pour Ã©tudier, ou
mÃªme lorsque l'Ã©tude n'arrivait pas Ã calmer les agitations de son [474] cerveau, il prenait la clef de
l'Ã©glise et y entrait par la porte rouge, il pÃ©nÃ©trait ensuite dans le choeur Ã©clairÃ© seulement par la
faible lampe du maÃ®tre-autel, gagnait sa stalle et y restait jusqu'au matin, abÃ®mÃ© dans des priÃ¨res et
des mÃ©ditations profondes.
Une nuit, le sujet de sa mÃ©ditation Ã©tait la damnation Ã©ternelle, il songeait Ã la doctrine si

menaÃ§ante du petit nombre des Ã©lus, et ne savait comment concilier cette rigoureuse exclusion du plus
grand nombre avec la bontÃ© infinie de ce Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvÃ©s, dit l'Ãcriture
sainte, et qu'ils arrivent Ã la connaissance de la vÃ©ritÃ©; il pensait Ã ce supplice du feu que le plus cruel
tyran de la terre ne voudrait pas infliger, s'il le pouvait, pendant une journÃ©e seulement, Ã son plus cruel
ennemi, et le doute entrait de tous cÃ´tÃ©s dans son coeur; puis il se mit Ã songer aux explications
conciliantes de la thÃ©ologie. L'Ãglise ne dÃ©finit pas le feu de l'enfer, il est Ã©ternel, suivant l'Ãvangile,
mais il n'est Ã©crit mille part que le plus grand nombre des hommes doit le souffrir Ã©ternellement.
Beaucoup de rÃ©prouvÃ©s pourront n'avoir Ã supporter que la peine du dam, c'est-Ã -dire, la privation de
Dieu; enfin l'Ãglise dÃ©fend absolument de supposer la damnation de personne. Les paÃ¯ens ont pu Ãªtre
sauvÃ©s par le baptÃªme de dÃ©sir, les pÃ©cheurs scandaleux par une contrition subite et parfaite, enfin il
faut espÃ©rer pour tous et prier pour tous, exceptÃ© pour un seul, celui de qui le Sauveur a dit qu'il eÃ»t
Ã©tÃ© plus avantageux pour cet homme-lÃ de n'Ãªtre point nÃ©.
Le vicaire s'arrÃªta Ã cette derniÃ¨re pensÃ©e, et songea tout Ã coup qu'un seul homme portait ainsi
officiellement le poids de la [475] rÃ©probation depuis des siÃ¨cles; que Judas Iscariote, car c'est de lui qu'il
s'agit dans le passage de l'Ãcriture, aprÃ¨s s'Ãªtre repenti de son forfait jusqu'Ã en mourir, Ã©tait devenu le
bouc Ã©missaire de l'humanitÃ©, l'Atlas de l'enfer, le PromÃ©thÃ©e de la damnation, lui que le Sauveur
prÃªt Ã mourir avait appelÃ© son ami! Ses yeux alors se remplirent de larmes, il lui sembla que la
rÃ©demption Ã©tait sans effet, si elle n'avait pas sauvÃ© Judas; c'est pour celui-lÃ et pour celui-lÃ seul,
rÃ©pÃ©tait-il dans son exaltation, que j'aurais voulu mourir une seconde fois, si j'avais Ã©tÃ© le Sauveur!
mais JÃ©sus-Christ n'est-il pas meilleur que moi mille fois? Que doit-il donc faire maintenant dans le ciel,
pendant que je pleure son malheureux apÃ´tre sur la terre?... Ce qu'il fait, ajouta le prÃªtre en s'exaltant de
plus en plus, il me plaint et il me console; je le sens, il dit Ã mon coeur que le paria de l'Ãvangile est
sauvÃ©, et qu'il sera, par la longue malÃ©diction qui pÃ¨se encore sur sa mÃ©moire, le rÃ©dempteur de
tous les parias...--Mais s'il en est ainsi, c'est un nouvel Ãvangile qu'il faut annoncer au monde... celui de la
misÃ©ricorde infinie, universelle, au nom de Judas rÃ©gÃ©nÃ©rÃ©... Mais je m'Ã©gare, je suis un
hÃ©rÃ©tique, un impie!... Non cependant, puisque je suis de bonne foi!... Puis joignant les mains avec
ferveur: Â«Mon Dieu, dit le vicaire, donnez-moi ce que vous ne refusiez pas jadis Ã la foi, ce que vous ne lui
refusez pas encore... un miracle pour me convaincre et me rassurer, un miracle comme gage d'une mission
nouvelle...Â»
L'enthousiaste alors se lÃ¨ve, et dans le silence de la nuit, si formidable, au pied des autels, dans
l'immensitÃ© de cette Ã©glise muette et sombre, il prononce Ã haute voix, d'une voix lente et [476]
solennelle, cette Ã©vocation: Â«Toi qu'on maudit depuis dix-huit siÃ¨cles, et que je pleure, car tu sembles
avoir pris l'enfer pour toi seul, afin de nous laisser le ciel, malheureux Judas, s'il est vrai que le sang de ton
MaÃ®tre t'a purifiÃ©, si tu es sauvÃ©, viens m'imposer les mains pour le sacerdoce de la misÃ©ricorde et
de l'amour!Â»
Le vicaire ayant dit ces paroles, et pendant que l'Ã©cho Ã©veillÃ© en sursaut les murmurait encore sous les
voÃ»tes Ã©pouvantÃ©es, le vicaire se lÃ¨ve, traverse le choeur, et va s'agenouiller sous la lampe au pied du
maÃ®tre-autel. Â«Alors, dit-il (car c'est Ã lui-mÃªme que nous devons le rÃ©cit de cette histoire), alors je
sentis positivement et rÃ©ellement deux mains, deux mains chaudes et vivantes, se poser sur ma tÃªte,
comme font celles de l'Ã©vÃªque le jour de l'ordination, je ne dormais pas, je n'Ã©tais pas Ã©vanoui, et je

les sentis; c'Ã©tait un contact rÃ©el et qui dura quelques minutes. Dieu m'avait exaucÃ©, le miracle Ã©tait
fait, de nouveaux devoirs m'Ã©taient imposÃ©s, et une vie nouvelle commenÃ§ait pour moi; Ã partir du
lendemain, je devais Ãªtre un nouvel homme...Â»
Le lendemain, en effet, le malheureux vicaire Ã©tait fou.
Le rÃªve d'un ciel sans enfer, le rÃªve de Faust a fait bien d'autres victimes dans ce malheureux siÃ¨cle de
doute et d'Ã©goÃ¯sme qui n'est parvenu Ã rÃ©aliser qu'un enfer sans ciel. Dieu mÃªme devenait inutile
dans un systÃ¨me oÃ¹ tout Ã©tait permis, oÃ¹ tout Ã©tait bien. Les hommes arrivÃ©s Ã ne plus craindre un
juge suprÃªme trouvÃ¨rent bien facile de se passer du Dieu des bonnes gens, moins Dieu, en effet, que les
bonnes gens eux-mÃªmes. Les fous qui s'Ã©rigeaient en vainqueurs du diable en arrivÃ¨rent Ã se faire [477]
dieux. Notre siÃ¨cle est surtout celui de ces mascarades prÃ©tendues divines, nous en avons connu de toutes
les sortes. Le dieu Ganneau, bonne et trop poÃ©tique nature, qui eÃ»t donnÃ© sa chemise aux pauvres, et
qui rÃ©habilitait les voleurs, Ganneau qui admirait Lacenaire, et qui n'eÃ»t pas tuÃ© une mouche; le dieu
Cheneau, marchand de boutons de la rue Croix-des-Petits-Champs, qui Ã©tait visionnaire comme
Swedemborg et qui Ã©crivait ses inspirations en style de Jeannot, le dieu Tourreil, bon et excellent homme
qui divinise la femme, et veut qu'Adam soit sorti d'Ãve; le dieu Auguste Comte, qui conservait de la religion
catholique tout, exceptÃ© deux choses, deux misÃ¨res: l'existence de Dieu et l'immortalitÃ© de l'Ã¢me; le
dieu Wronski, vrai savant celui-lÃ , qui eut la gloire et le bonheur de retrouver les premiers thÃ©orÃ¨mes de
la kabbale, et qui, en ayant vendu la communication cent cinquante mille francs Ã un riche imbÃ©cile
nommÃ© Arson, dÃ©clare dans un de ses livres les plus sÃ©rieux que ledit Arson, pour avoir refusÃ© de le
payer intÃ©gralement, est devenu rÃ©ellement et en vÃ©ritÃ© la bÃªte de l'Apocalypse. Voici ce curieux
passage que nous tenons Ã citer, pour qu'on ne nous accuse pas d'injustice envers un homme dont les travaux
nous ont Ã©tÃ© utiles, et dont nous avons fait sincÃ¨rement l'Ã©loge dans nos prÃ©cÃ©dentes
publications.
Wronski, pour forcer Arson Ã le payer, avait publiÃ© une brochure intitulÃ©e Oui ou Non, c'est-Ã -dire,
m'avez-vous achetÃ©, oui ou non, pour cent-cinquante mille francs ma dÃ©couverte de l'absolu?
[478]Or, voici en quels termes, dans son livre intitulÃ©: RÃ©forme de la philosophie, Wronski 23 rappelle Ã
l'univers entier qui ne s'en soucie guÃ¨re, la publication de cette brochure; on trouvera par la mÃªme occasion
dans ce passage un Ã©chantillon curieux du style de ce nÃ©gociant en absolu.
Note 23: (retour) Wronski, RÃ©forme de la philosophie, p. 512.
Â«Ce fait de la dÃ©couverte de l'absolu, qui parait si fortement rÃ©volter les hommes, se trouve dÃ©jÃ
constatÃ© dans un grand scandale, celui du fameux OUI ou NON, aussi dÃ©cisif par l'Ã©clatant triomphe
de la vÃ©ritÃ© qui en fut l'issue, qu'il est remarquable par l'apparition soudaine de l'Ãªtre symbolique dont
menace l'Apocalypse, de ce monstre de la crÃ©ation, qui porte au front le nom de MYSTÃRE, et qui, cette
fois, craignant d'Ãªtre frappÃ© mortellement, ne put plus contenir dans l'ombre ses hideuses convulsions, et
vint, par la voie des journaux et par toutes les autres voies oÃ¹ l'on entraÃ®ne le public, Ã©taler au grand
jour sa rage infernale et son extrÃªme imposture, etc.Â»
Il est bon de savoir que ce pauvre Arson qui est accusÃ© ici de rage infernale et d'extrÃªme imposture avait
dÃ©jÃ payÃ© Ã l'hiÃ©rophante quarante ou cinquante mille francs.
L'absolu que Wronski vendait si cher, nous l'avons retrouvÃ© aprÃ¨s lui, et nous l'avons donnÃ© pour rien
Ã nos lecteurs, car la vÃ©ritÃ© est due au monde, et nul n'a le droit de se l'approprier et d'en faire mÃ©tier
et marchandise. Puisse cet acte de justice expier la faute d'un homme qui est mort dans un Ã©tat voisin de la
misÃ¨re, aprÃ¨s avoir tant travaillÃ©, non pas pour la science, mais [479] pour s'enrichir au moyen de la
science, qu'il n'Ã©tait peut-Ãªtre digne ni de comprendre ni de possÃ©der.

CHAPITRE II.
DES HALLUCINATIONS.
SOMMAIRE.--Encore la secte des sauveurs de Louis XVII.--SinguliÃ¨res hallucinations d'un ouvrier
cartonnier nommÃ© EugÃ¨ne Vintras.--Ses prophÃ©ties et ses prÃ©tendus miracles.--Accusations
portÃ©es contre lui par des sectaires dissidents.--Les moeurs des faux gnostiques.--Les hallucinations
contagieuses.
On trouve toujours au fond du fanatisme de toutes les sectes un principe d'ambition ou de cupiditÃ©;
JÃ©sus-Christ lui-mÃªme avait souvent rÃ©primandÃ© sÃ©vÃ¨rement ceux de ses disciples qui ne
l'entouraient, pendant les jours de ses privations et de son exil au milieu mÃªme de sa patrie, que dans
l'espÃ©rance d'un royaume oÃ¹ ils auraient les premiÃ¨res places. Plus les espÃ©rances sont folles, plus
elles sÃ©duisent certaines imaginations; on paye alors de sa bourse et de sa personne le bonheur d'espÃ©rer.
C'est ainsi que le dieu Wronski ruinait des imbÃ©ciles en leur promettant l'absolu; que le dieu Auguste
Comte se faisait six mille livres de rentes aux dÃ©pens de ses adorateurs, auxquels il avait distribuÃ©
d'avance des dignitÃ©s fantastiques, rÃ©alisables lorsque sa doctrine aurait conquis le monde; c'est ainsi que
certains magnÃ©tiseurs tirÃ¨rent de l'argent Ã un grand nombre de dupes en leur promettant des trÃ©sors
que les esprits dÃ©rangent toujours. Quelques sectaires croient rÃ©ellement Ã ce qu'ils [480] promettent, et
ceux-lÃ sont les plus infatigables et les plus hardis dans leurs intrigues: l'argent, les miracles, les
prophÃ©ties, rien ne leur manque, parce qu'ils ont cet absolu de volontÃ© et d'action qui fait rÃ©ellement
des prodiges, ce sont des magiciens sans le savoir.
La secte des sauveurs de Louis XVII appartient, sous ce rapport, Ã l'histoire de la magie. La folie de ces
hommes est contagieuse au point de gagner Ã leurs croyances ceux-mÃªmes qui viennent les trouver pour les
combattre; ils se procurent les piÃ¨ces les plus importantes et les plus introuvables, attirent Ã eux les plus
singuliers tÃ©moins, Ã©voquent des souvenirs perdus, commandent Ã l'armÃ©e des rÃªves, font
apparaÃ®tre des anges Ã Martin, du sang Ã Rose Tamisier, un ange en guenilles Ã EugÃ¨ne Vintras. Cette
derniÃ¨re histoire est curieuse Ã cause de ses suites phÃ©nomÃ©nales, et nous allons la raconter.
En 1839, les sauveurs de Louis XVII qui avaient rempli les almanachs de prophÃ©ties pour l'an 1840,
comptant bien que, si tout le monde attendait une rÃ©volution, cette rÃ©volution ne tarderait pas Ã
s'accomplir, les sauveurs de Louis XVII qui n'avaient plus leur prophÃ¨te Martin rÃ©solurent d'en avoir un
autre; quelques-uns de leurs agents les plus zÃ©lÃ©s Ã©taient en Normandie, pays dont le faux Louis XVII
avait la prÃ©tention d'Ãªtre le duc; ils jetÃ¨rent les yeux sur un ouvrier dÃ©vot, d'un caractÃ¨re exaltÃ© et
d'une tÃªte faible, et voici le tour dont ils s'avisÃ¨rent: ils supposÃ¨rent une lettre adressÃ©e au prince,
c'est-Ã -dire au prÃ©tendu Louis XVII, remplirent cette lettre des promesses emphatiques du rÃ¨gne futur,
jointes Ã des expressions [481] mystiques capables de faire impression sur une tÃªte faible et firent tomber
cette lettre dans les mains de l'ouvrier qui se nommait EugÃ¨ne Vintras, avec les circonstances que lui-mÃªme
va nous raconter:
Â«Le 6 aoÃ»t 1839.
Â»A neuf heures environ, j'Ã©tais occupÃ© Ã Ã©crire..., on frappe Ã la porte de la chambre oÃ¹ j'Ã©tais;
croyant que c'Ã©tait un ouvrier qui avait affaire Ã moi, je rÃ©ponds assez brusquement: Entrez. Je fus bien
surpris, au lieu d'un ouvrier, de voir un vieillard dÃ©guenillÃ©; je lui demandai seulement ce qu'il voulait.
CHAPITRE II. 247

Â»Il me rÃ©pondit bien tranquillement: Ne vous fÃ¢chez pas, Pierre-Michel (noms dont jamais personne ne
se sert pour me nommer; dans tout le pays on m'appelle EugÃ¨ne, et mÃªme, lorsque je signe quelque chose,
je ne mets jamais ces deux prÃ©noms).
Â»Cette rÃ©ponse de mon vieillard me fit une certaine sensation; mais elle augmenta lorsqu'il me dit: Â«Je
suis bien fatiguÃ©; partout oÃ¹ je me prÃ©sente, on me regarde avec mÃ©pris ou comme un voleur.Â» Ces
derniÃ¨res paroles m'effrayÃ¨rent beaucoup, quoique dites d'un air triste et malheureux. Je me levai, et pris
devant moi non pas de la monnaie, mais une piÃ¨ce de dix sous que je lui mis dans la main en lui disant: Je ne
vous prends pas pour cela, mon brave homme. Et en lui disant cela, je lui fis apercevoir que je voulais
l'Ã©conduire. Il ne demanda pas mieux et me tourna le dos d'un air peinÃ©.
Â»A peine eut-il mis le pied sur la derniÃ¨re marche que je retirai la porte sur moi, et la fermai Ã clef. Ne
l'entendant pas [482] descendre, j'appelai un ouvrier et lui dis de monter Ã ma chambre. LÃ , sous prÃ©texte
d'affaires, j'espÃ©rais lui faire parcourir avec moi tous les endroits que je jugeais possibles de cacher mon
vieillard, que je n'avais pas vu sortir. Cet ouvrier monte Ã ma chambre, je sors avec lui en fermant ma porte
Ã clef, et je parcourus tous les plus petits rÃ©duits. Je ne vis rien.
Â»J'allais entrer dans la fabrique, quand tout Ã coup j'entends sonner une messe. J'Ã©prouvais du plaisir
pensant que, malgrÃ© le dÃ©rangement de mon vieillard, je pourrais nÃ©anmoins assister Ã une messe.
Alors je courus Ã ma chambre pour prendre un livre de priÃ¨res. Je trouvai, Ã la place oÃ¹ j'Ã©crivais, une
lettre adressÃ©e Ã madame de GenerÃ¨s, Ã Londres. Cette lettre Ã©tait signÃ©e et Ã©crite par M. Paul
de Montfleury, de Caen, et contenait une rÃ©futation d'hÃ©rÃ©sie et une profession de foi orthodoxe.
Â»Cette lettre, quoique adressÃ©e Ã madame de GenerÃ¨s, Ã©tait destinÃ©e Ã remettre sous les yeux du
duc de Normandie les plus grandes vÃ©ritÃ©s de notre sainte religion catholique, apostolique et romaine.
Sur la lettre Ã©tait posÃ©e la piÃ¨ce de dix sous que j'avais donnÃ©e Ã mon vieillard.Â»
Dans une autre lettre, Pierre-Michel avoue que la figure de ce vieillard ne lui Ã©tait pas inconnue, mais qu'en
le voyant ainsi apparaÃ®tre tout Ã coup, il eut extraordinairement peur, il verrouilla et barricada la porte
quand il fut sorti, Ã©couta longtemps Ã la porte s'il l'entendait descendre. Le vieux mendiant Ã´ta sans doute
ses souliers pour descendre sans faire du bruit, car Vintras n'entendit rien; il court alors Ã la fenÃªtre [483] et
ne le voit pas sortir, attendu qu'il Ã©tait sorti depuis longtemps. VoilÃ mon homme bouleversÃ©, il appelle
au secours, cherche partout, trouve enfin la lettre qu'on voulait lui faire lire, c'est Ã©videmment une lettre
tombÃ©e du ciel. VoilÃ Vintras dÃ©vouÃ© Ã Louis XVII, le voila visionnaire pour le reste de ses jours,
car dÃ©sormais l'image du vieux mendiant ne le quittera plus. Ce mendiant deviendra saint Michel, parce
qu'il l'a appelÃ© Pierre-Michel, association d'idÃ©es analogue Ã celles des rÃªves. Les hallucinÃ©s de la
secte de Louis XVII avaient devinÃ©, avec la seconde vue des maniaques, juste le moment oÃ¹ il fallait
frapper la faible tÃªte de Vintras pour en faire en un seul instant un illuminÃ© et un prophÃ¨te.
La secte de Louis XVII se compose surtout d'anciens serviteurs de la royautÃ© lÃ©gitimiste, aussi Vintras,
devenu leur medium, est-il le fidÃ¨le reflet de toutes ces imaginations pleines de souvenirs chevaleresques et
de mysticisme vieilli. Ce sont partout, dans les visions du nouveau prophÃ¨te, des lys baignÃ©s de sang, des
anges en costume de chevaliers, des saints dÃ©guisÃ©s en troubadours. Puis apparaissent des hosties
collÃ©es sur de la soie bleue. Vintras a des sueurs de sang, et son sang apparaÃ®t sur les hosties, oÃ¹ il
dessine des coeurs avec des lÃ©gendes de l'Ã©criture et de l'orthographe de Vintras; des calices vides
paraissent tout Ã coup pleins de vin, puis oÃ¹ le vin tombe apparaissent des taches de sang. Les initiÃ©s
croient entendre une musique dÃ©licieuse et respirer des parfums inconnus; des prÃªtres appelÃ©s Ã
constater ces prodiges sont entraÃ®nÃ©s dans le courant de l'enthousiasme.
Un curÃ© du diocÃ¨se de Tours, un vieux et vÃ©nÃ©rable [484] ecclÃ©siastique, quitte sa cure, et se met
Ã la suite du prophÃ¨te. Nous avons vu ce prÃªtre, il nous a racontÃ© les merveilles de Vintras avec l'accent
DES HALLUCINATIONS. 248

de la plus parfaite conviction, il nous a montrÃ© des hosties injectÃ©es de sang d'une maniÃ¨re inexplicable,
il nous a communiquÃ© des procÃ¨s-verbaux signÃ©s de plus de cinquante tÃ©moins, tous gens honorables
et bien posÃ©s dans le monde, des artistes, des mÃ©decins, des hommes de loi, un chevalier de Razac, une
duchesse d'ArmaillÃ©. Les mÃ©decins ont analysÃ© le fluide vermeil qui coulait des hosties, et ont reconnu
que c'Ã©tait vÃ©ritablement du sang humain; les ennemis mÃªme de Vintras, et il en a de cruels, ne
contestent pas les miracles et se contentent de les attribuer au dÃ©mon. Mais concevez-vous, nous disait
l'abbÃ© Charvoz, ce curÃ© de Touraine dont nous avons parlÃ©, concevez-vous le dÃ©mon falsifiant le
sang de JÃ©sus-Christ sur des hosties rÃ©ellement consacrÃ©es? Car l'abbÃ© Charvoz est bien
rÃ©ellement prÃªtre, et ces signes se produisent aussi sur les hosties qu'il consacre. Cependant la secte de
Vintras est anarchique et absurde, Dieu ne fait donc pas de miracles en sa faveur. Reste l'explication naturelle
des phÃ©nomÃ¨nes, et dans le cours de cet ouvrage, nous l'avons assez indiquÃ©e pour qu'il soit inutile de la
dÃ©velopper ici.
Vintras, que ses sectaires posent en nouveau Christ, eut aussi ses Iscariotes: deux membres de la secte, un
certain Gozzoli et un nommÃ© Alexandre Geoffroi, publiÃ¨rent contre lui les rÃ©vÃ©lations les plus
odieuses. A les croire, les sectaires de Tilly-sur-Seules (ainsi se nommait leur rÃ©sidence) se livraient aux
pratiques les plus obscÃ¨nes; ils cÃ©lÃ©braient dans leur [485] chapelle particuliÃ¨re, qu'ils nommaient le
cÃ©nacle, des messes sacrilÃ¨ges auxquelles les Ã©lus assistaient dans un Ã©tat complet de nuditÃ©; Ã un
certain moment, tous gesticulaient, fondaient en larmes en criant: Amour! amour! et ils se jetaient dans les
bras les uns des autres; on nous permettra de supprimer le reste. C'Ã©taient les orgies des anciens gnostiques,
mais sans qu'on prÃ®t la peine d'Ã©teindre les lumiÃ¨res. Alexandre Geoffroi assure que Vintras l'initia Ã
un genre de priÃ¨re qui consistait dans l'acte monstrueux d'Onan, exercÃ© au pied des autels, mais ici le
dÃ©nonciateur est trop odieux pour Ãªtre cru sur parole. L'abbÃ© Charvoz, Ã qui nous avons parlÃ© de ces
accusations infÃ¢mes, nous a dit qu'il fallait les attribuer Ã la haine de deux hommes chassÃ©s de
l'association pour avoir commis eux-mÃªmes les actes dont ils accusent Vintras. Quoi qu'il en soit, les
dÃ©sordres moraux engendrent naturellement les dÃ©sordres physiques, et les surexcitations anormales du
systÃ¨me nerveux produisent presque toujours des dÃ©rÃ¨glements excentriques dans les moeurs; si donc
Vintras est innocent, il aurait pu et peut encore devenir coupable.
Le pape GrÃ©goire XVI, par un bref du 8 novembre 1843, a condamnÃ© formellement la secte de Vintras.
Voici un spÃ©cimen du style de cet illuminÃ©, homme d'ailleurs sans instruction et dont les Ã©crits
emphatiques fourmillent de fautes de franÃ§ais.
Â«Dormez, dormez, indolents mortels: restez, restez encore sur vos couches moelleuses; souriez Ã vos
rÃªves de fÃªtes et de grandeurs; l'ange de l'alliance est descendu sur vos montagnes, il a Ã©crit son nom
jusque dans le calice de vos fleurs; il a touchÃ©, des [486] anneaux qui ornent ses pieds, les fleuves qui font
votre orgueil et votre espÃ©rance; les chÃªnes de vos forÃªts ont pris l'Ã©clat de son front pour une nouvelle
aurore; la mer, d'un bond voluptueux, a saluÃ© son regard! Elie l'a prÃ©cÃ©dÃ©! Penchez-vous du cÃ´tÃ©
de la terre, mais ne vous effrayez point de ce bruit si actif des tombeaux. Dormez, dormez encore; je l'ai vu
vers l'orient; il burinait son nom sur des monts inaccessibles; il criait au temps de hÃ¢ter sa barque, et j'ai vu
lui sourire le plus vieux des vieillards. Dormez, dormez encore; Elie, Ã l'occident, pose une croix Ã la porte
du temple; il la scÃ¨le avec du feu et l'acier d'un poignard.Â»
Encore le temple, le feu et le poignard! Chose Ã©trange! les fous se reflÃ¨tent les uns et les autres, tous les
fanatismes Ã©changent leurs inspirations, et le prophÃ¨te de Louis XVII devient ici l'Ã©cho du cri de
vengeance des templiers.
Il est vrai que Vintras ne se croit pas responsable de ses Ã©crits; voici comment il en parle lui-mÃªme.

Â«Oh! si mon esprit Ã©tait pour quelque chose dans ces Ã©crits que l'on condamne, j'inclinerais ma tÃªte, et
la crainte entrerait dans mon Ã¢me. Ce n'est point mon ouvrage: je n'y ai point prÃªtÃ© mon concours par
recherche ni par dÃ©sir. Le calme est en moi; ma couche ne connaÃ®t pas l'insomnie; les veilles n'ont point
fatiguÃ© mes paupiÃ¨res; mon sommeil est pur comme quand Dieu le crÃ©a: je puis dire Ã mon Dieu avec
un coeur libre: Custodi animam meam et erue me: non erubescam, quoniam speravi in te.Â»
Un autre prÃ©tendu rÃ©formateur, celui qui se posait en messie des [487] bagnes et de l'Ã©chafaud,
Lacenaire, auquel nous ne comparerons certainement pas Vintras, Ã©crivait aussi de sa prison:
Comme une vierge chaste et pure
Dans des rÃªves d'amour je veille et je m'endors.
Quelqu'un m'apprendra-t-il ce que c'est qu'un remords?
L'argument de Vintras, pour lÃ©gitimer son inspiration, n'est donc pas concluant, puisqu'il a servi
Ã©galement Ã Lacenaire pour excuser et mÃªme pour lÃ©gitimer aussi, non plus des rÃªveries, mais des
crimes.
CondamnÃ©s par le pape, les sectaires de Tilly-sur-Seules condamnÃ¨rent le pape Ã leur tour, Vintras, de
son autoritÃ© privÃ©e, s'est crÃ©Ã© souverain pontife. La forme de ses vÃªtements sacerdotaux lui a
Ã©tÃ© rÃ©vÃ©lÃ©e: il porte un diadÃ¨me d'or avec un lingam indien sur le front, il revÃªt une robe de
pourpre et tient en main un sceptre magique terminÃ© par une main dont les doigts sont fermÃ©s Ã
l'exception du pouce et de l'auriculaire, les doigts consacrÃ©s Ã VÃ©nus et Ã Mercure, hiÃ©roglyphe de
l'hermaphrodite antique, emblÃ¨me des anciens cultes orgiaques et des priapÃ©es du sabbat. Ainsi les
rÃ©miniscences et les reflets de la magie noire apportÃ©s par la lumiÃ¨re astrale viennent rattacher aux
mystÃ¨res de l'Inde et au culte profane du Baphomet, les extases de ce malade contagieux dont l'infirmerie est
Ã Londres, et qui continue Ã y faire des prosÃ©lytes et des victimes.
Aussi l'exaltation du pauvre prophÃ¨te n'est-elle pas toujours exempte d'Ã©pouvante et de remords, quoi qu'il
en dise, et parfois il laisse Ã©chapper les plus tristes aveux. Voici ce que nous trouvons dans une lettre
adressÃ©e Ã un de ses plus intimes amis:
[488] Â«Je suis toujours en attente de nouveaux tourments. Demain arrive la famille Verger, je vais voir sur
leurs traits la puretÃ© de leur Ã¢me s'annonÃ§ant par leur joie; on rappellera tout mon bonheur passÃ©; on
citera des noms que je prononÃ§ais avec amour dans des temps peu Ã©loignÃ©s. Enfin, tout ce qui fera les
dÃ©lices des autres sera pour moi de nouvelles tortures! Il faudra Ãªtre Ã table; tandis que l'on fouillera mon
coeur avec un glaive, je devrai sourire! Oh! si pourtant ces paroles terribles que j'ai entendues n'Ã©taient pas
Ã©ternelles, je chÃ©rirais encore mon cruel supplice! Pardon, mon cher, je ne pourrais vivre sans aimer
Dieu!
Â»Ãcoutez, si votre charitÃ© d'homme vous le permet, comme ministre du Dieu vivant, je ne la rÃ©clame
pas, celui que votre maÃ®tre a vomi de sa bouche doit Ãªtre maudit de vous:
Â»Dans la nuit de dimanche Ã lundi (17 au 18 mai) un songe affreux a portÃ© dans mon Ã¢me comme dans
mon corps un coup mortel. J'Ã©tais Ã Sainte-Paix, il n'y avait plus personne au chÃ¢teau; cependant les
portes en Ã©taient ouvertes. Je suis promptement montÃ© Ã la sainte chapelle; j'allais en ouvrir la porte
quand j'ai vu Ã©crit sur cette porte, en caractÃ¨res de feu: Â«N'approche pas de ce lieu, toi que j'ai vomi de
ma bouche!Â» Je n'ai pu descendre; je suis tombÃ© anÃ©anti sur la premiÃ¨re marche; mais jugez de mon
effroi quand je n'ai plus vu autour de moi qu'un large et profond abÃ®me! il y avait dans le fond des monstres
hideux qui m'appelaient leur frÃ¨re!

Â»La pensÃ©e me vint en ce moment que le saint archange aussi [489] m'appelait son frÃ¨re. Quelle
diffÃ©rence! lui faisait bondir mon Ã¢me de la plus vive allÃ©gresse; et ceux-ci, en les entendant m'appeler
ainsi, je me tordais dans des convulsions semblables Ã celles que leur faisait Ã©prouver la vertu que Dieu
avait attachÃ©e Ã ma croix de grÃ¢ce lors de leur apparition du 28 avril dernier.
Â»Je cherchais Ã me cramponner Ã quelque chose pour Ã©viter de rouler dans ce gouffre sans fond. Je
priais la mÃ¨re de Dieu, la divine Marie, je l'appelais Ã mon secours. Elle Ã©tait sourde Ã ma voix!
Pendant ce temps je roulais toujours laissant des lambeaux de ma chair aux pointes rocailleuses qui bordaient
cet effroyable abÃ®me! Tout Ã coup, des tourbillons de flammes s'Ã©lÃ¨vent vers moi de la profondeur
oÃ¹ j'allais bientÃ´t tomber. J'entendais les cris d'une joie fÃ©roce, et je ne pouvais plus prier. Tout Ã coup,
une voix plus effrayante que les longs retentissements du tonnerre dans un violent orage retentit Ã mes
oreilles. J'entendis ces mots: Â«Tu croyais me vaincre et tu vois que je t'ai vaincu; je t'ai appris Ã Ãªtre
humble Ã ma maniÃ¨re: viens goÃ»ter mes douceurs, deviens un de mes meilleurs; apprends Ã connaÃ®tre
le tyran du ciel; viens avec nous lui vomir des blasphÃ¨mes et des imprÃ©cations: toute autre chose est
inutile pour toi maintenant!Â» Puis partant d'un long Ã©clat de rire il m'a dit: Â«Regarde Marie, celle que tu
appelais ton bouclier contre nous, vois son sourire gracieux, entends sa douce voix.Â»
Â»Mon cher, je l'ai vue au-dessus de l'abÃ®me: ses yeux d'un bleu cÃ©leste se sont remplis de feu, ses
lÃ¨vres vermeilles sont devenues violettes, sa voix si suave et si divine s'est changÃ©e, elle est devenue dure
et terrible! elle m'a lancÃ© ces mots comme [490] une foudre: Â«Roule, orgueilleux, dans ces lieux remplis
de feu qu'habitent les dÃ©mons!Â»
Â»Tout mon sang reflua vers mon coeur; je crus que l'heure Ã©tait sonnÃ©e oÃ¹ l'enfer terrestre allait faire
place Ã l'enfer Ã©ternel! j'ai pu encore rassembler quelques mots de l'Ave Maria; je ne sais combien j'ai
Ã©tÃ© de temps; je sais que j'ai trouvÃ© la domestique couchÃ©e en rentrant: elle m'a dit qu'il Ã©tait tard.
Â»Ah! si je fais connaÃ®tre aux ennemis de l'oeuvre de la misÃ©ricorde ce qui se passe en moi, n'est-ce pas
qu'ils crieraient victoire? ils diraient que ce sont bien lÃ les preuves d'une monomanie. PlÃ»t Ã Dieu que
cela fÃ»t! je serais moins Ã plaindre! Mais ne craignez rien, si Dieu ne veut pas entendre ma voix pour moi
je prierai pour lui qu'il double mes souffrances, mais qu'il les cache Ã ses ennemis.Â»
Ici l'hallucination triomphante s'Ã©lÃ¨ve jusqu'au sublime Vintras consent Ã Ãªtre damnÃ©, pourvu qu'on
ne dise pas qu'il est fou; dernier instinct du prix inestimable de la raison qui survit Ã la raison mÃªme:
l'homme ivre n'est prÃ©occupÃ© que de la crainte de passer pour ivre; l'insensÃ© et le monomane
demandent la mort plutÃ´t que d'avouer leur dÃ©lire. C'est que, suivant la belle sentence de CÃ¨bes que nous
avons dÃ©jÃ citÃ©e, il n'y a pour l'homme qu'un bien dÃ©sirable, c'est la sagesse qui est l'usage de la
raison, et il n'y a aussi qu'un vÃ©ritable et suprÃªme malheur Ã redouter, c'est la folie.
[491]
CHAPITRE III.
LES MAGNÃTISEURS ET LES SOMNAMBULES.

SOMMAIRE.--M. le baron Du Potet et ses travaux sur la magie.--ExpÃ©riences du miroir magique,
analogues aux phÃ©nomÃ¨nes d'hydromancie.--Les tables tournantes et la catastrophe de Victor
Hennequin.--Le monstre et le magicien.
CHAPITRE III. 251

L'Ãglise, dans sa haute sagesse, nous dÃ©fend de consulter le sort et de violer par une indiscrÃ¨te curiositÃ©
les secrets de l'avenir; mais de nos jours la voix de l'Ãglise n'est plus guÃ¨re entendue, et la foule revient aux
devins et aux pythonisses; les somnambules sont devenues les oracles de ceux qui ne croient plus aux
prÃ©ceptes de l'Ãvangile, et l'on ne songe pas que la prÃ©occupation d'un Ã©vÃ©nement prÃ©dit
supprime en quelque sorte notre libertÃ©, et paralyse nos moyens de dÃ©fense: en consultant la magie pour
prÃ©voir les Ã©vÃ©nements futurs, nous donnons des arrhes Ã la fatalitÃ©.
Les somnambules sont les sybilles de notre Ã©poque, comme les sybilles Ã©taient les somnambules de
l'antiquitÃ©: heureux les consultants qui ne mettent pas leur crÃ©dulitÃ© au service de magnÃ©tiseurs
immoraux ou insensÃ©s, car ils communieraient par le fait mÃªme de leur bÃ©nÃ©vole consultation Ã
l'immoralitÃ© ou Ã la folie des inspirateurs de l'oracle: le mÃ©tier de magnÃ©tiseur est facile et les dupes
sont en grand nombre.
Il est donc important de connaÃ®tre parmi ceux qui s'occupent du magnÃ©tisme, quels sont les hommes
vraiment sÃ©rieux.
[492]Parmi ceux-ci nous devons mettre au premier rang M. le baron Du Potet, dont les travaux consciencieux
ont fait dÃ©jÃ faire un grand pas Ã la science de Mesmer. M. Du Potet a ouvert Ã Paris une Ã©cole
pratique de magnÃ©tisme oÃ¹ le public est admis Ã s'instruire des procÃ©dÃ©s et Ã vÃ©rifier les
phÃ©nomÃ¨nes.
Le baron Du Potet est une nature exceptionnelle et particuliÃ¨rement intuitive. Comme tous les
contemporains, mÃªme les plus instruits, il ignore la kabbale et ses mystÃ¨res, et cependant le magnÃ©tisme
lui a rÃ©vÃ©lÃ© la magie; il a senti le besoin de rÃ©vÃ©ler et de cacher cette science effrayante encore
pour lui-mÃªme, et il a Ã©crit un livre qu'il vend seulement Ã ses adeptes et sous le sceau du secret le plus
absolu. Ce secret, nous ne l'avons pas promis Ã M. Du Potet, mais nous le garderons par respect pour les
convictions de l'hiÃ©rophante; qu'il nous suffise de dire que son livre est le plus remarquable de tous les
ouvrages de pure intuition; nous ne le croyons pas dangereux, parce que M. le baron Du Potet indique des
forces dont il ne prÃ©cise pas l'usage. Il sait qu'on peut nuire ou faire du bien, tuer ou sauver par les
procÃ©dÃ©s magnÃ©tiques; mais ces procÃ©dÃ©s, il ne les indique pas d'une maniÃ¨re claire et pratique,
et nous l'en fÃ©licitons d'ailleurs, car le droit de vie et de mort suppose une souverainetÃ© divine, et cette
souverainetÃ©, nous regarderions comme un indigne celui qui, la connaissant et la possÃ©dant, consentirait
Ã la vendre de quelque maniÃ¨re que ce fÃ»t.
M. Du Potet Ã©tablit victorieusement l'existence de cette lumiÃ¨re universelle dans laquelle les crisiaques
perÃ§oivent toutes les images et tous les reflets de la pensÃ©e; il provoque des projections puissantes de
cette lumiÃ¨re au moyen d'un appareil [493] absorbant qu'il nomme le miroir magique: c'est tout simplement
un cercle ou un carrÃ© couvert de charbon en poudre fine et tamisÃ©e. Dans cet espace nÃ©gatif, la
lumiÃ¨re projetÃ©e par le crisiaque et par le magnÃ©tiseur rÃ©unis, colore bientÃ´t et rÃ©alise toutes les
formes correspondantes Ã leurs impressions nerveuses. Dans ce miroir vraiment magique, apparaissent pour
le sujet soumis au somnambulisme tous les rÃªves de l'opium ou du haschich, les uns riants, les autres
lugubres; le malade doit Ãªtre arrachÃ© Ã ce spectacle, si l'on ne veut pas qu'il tombe dans des convulsions.
Ces phÃ©nomÃ¨nes sont analogues Ã ceux de l'hydromancie pratiquÃ©e par Cagliostro: l'eau,
considÃ©rÃ©e attentivement, Ã©blouit et trouble la vue; alors la fatigue des yeux favorise les hallucinations
du cerveau. Cagliostro voulait pour ces expÃ©riences des sujets vierges et parfaitement innocents, afin de
n'avoir pas Ã craindre les divagations nerveuses produites par les rÃ©miniscences Ã©rotiques. Le miroir
magique de Du Potet est peut-Ãªtre plus fatiguant pour le systÃ¨me nerveux tout entier, mais les
Ã©blouissements de l'hydromancie doivent avoir une influence plus redoutable sur le cerveau.
LES MAGNÃTISEURS ET LES SOMNAMBULES. 252

M. Du Potet est un de ces hommes fortement convaincus qui supportent courageusement les dÃ©dains de la
science et les prÃ©jugÃ©s de l'opinion, en rÃ©pÃ©tant tout bas la profession de foi secrÃ¨te de GalilÃ©e:
La terre tourne cependant!
On a dÃ©couvert tout rÃ©cemment que les tables tournent aussi, et que l'aimantation humaine donne aux
objets mobiliers soumis Ã l'influence des crisiaques un mouvement de rotation. Les masses mÃªme les plus
lourdes peuvent Ãªtre soulevÃ©es et promenÃ©es dans [494] l'espace par cette force, car la pesanteur
n'existe qu'en raison de l'Ã©quilibre des deux forces de la lumiÃ¨re astrale, augmentez l'action de l'une des
deux, l'autre cÃ©dera aussitÃ´t. Or, si l'appareil nerveux aspire et respire cette lumiÃ¨re en la rendant positive
ou nÃ©gative, suivant les surexcitations personnelles du sujet, tous les corps inertes soumis Ã son action et
imprÃ©gnÃ©s de sa vie deviendront plus lÃ©gers ou plus lourds, suivant le flux et le reflux de la lumiÃ¨re
qui entraÃ®ne dans le nouvel Ã©quilibre de son mouvement les corps poreux et mauvais conducteurs autour
d'un centre vivant, comme les astres dans l'espace sont emportÃ©s, balancÃ©s, et gravitent autour du soleil.
Cette puissance excentrique d'attraction ou de projection suppose toujours un Ã©tat maladif chez celui qui en
est le sujet, les mÃ©diums sont tous des Ãªtres excentriques et mal Ã©quilibrÃ©s; la mÃ©diomanie suppose
ou occasionne une suite d'autres manies nerveuses, idÃ©es fixes, dÃ©rÃ¨glements d'appÃ©tits,
Ã©rotomanie dÃ©sordonnÃ©e, penchants au meurtre ou au suicide. Chez les Ãªtres ainsi affectÃ©s, la
responsabilitÃ© morale semble n'exister plus; ils font le mal avec la conscience du bien; ils pleurent de
piÃ©tÃ© Ã l'Ã©glise et peuvent Ãªtre surpris dans de hideuses bacchanales; ils ont une maniÃ¨re de tout
expliquer, c'est le diable, ce sont les esprits qui les obsÃ¨dent et les entraÃ®nent. Que leur voulez-vous? que
leur demandez-vous? Ils ne vivent plus en eux-mÃªmes; c'est un Ãªtre mystÃ©rieux qui les anime, c'est lui
qui agit Ã leur place, et Ãªtre se nomme lÃ©gion!
Les essais rÃ©itÃ©rÃ©s d'une personne bien portante pour se crÃ©er des facultÃ©s de mÃ©dium la
fatiguent, la rendent malade, et [495] peuvent dÃ©ranger sa raison. C'est ce qui est arrivÃ© Ã Victor
Hennequin, ancien rÃ©dacteur de la DÃ©mocratie pacifique, et membre, aprÃ¨s 1848, de l'AssemblÃ©e
nationale: c'Ã©tait un jeune avocat d'une parole abondante et facile, il ne manquait ni d'instruction, ni de
talent, mais il Ã©tait infatuÃ© de rÃªveries de Fourier: exilÃ© aprÃ¨s le 2 dÃ©cembre, il se livra dans
l'inaction de sa retraite aux expÃ©riences des tables tournantes; bientÃ´t il fut atteint de mÃ©diomanie, et
crut Ãªtre l'instrument des rÃ©vÃ©lations de l'Ã¢me de la terre. Il publia un livre intitulÃ©: Sauvons le
genre humain, c'Ã©tait un mÃ©lange de souvenirs phalanstÃ©riens et de rÃ©miniscences chrÃ©tiennes,
une derniÃ¨re lueur de raison mourante y brille encore, mais les expÃ©riences continuÃ¨rent et la folie
triompha. Dans un dernier ouvrage dont le premier volume a Ã©tÃ© seul publiÃ©, Victor Hennequin
reprÃ©sente Dieu comme un immense polype placÃ© au centre de la terre avec des antennes et des trompes
contournÃ©es en vrilles qui vont et viennent Ã travers son cerveau et celui de sa femme Octavie. BientÃ´t
aprÃ¨s on apprit que Victor Hennequin Ã©tait mort des suites d'un accÃ¨s de dÃ©mence furieuse dans une
maison d'aliÃ©nÃ©s.
Nous avons entendu parler d'une dame du grand monde qui se livrait Ã des conversations avec les
prÃ©tendus esprits des meubles, et qui, scandalisÃ©e outre mesure par les rÃ©ponses inconvenantes de son
guÃ©ridon, fit le voyage de Rome pour dÃ©fÃ©rer le meuble hÃ©rÃ©tique au saint siÃ¨ge; elle avait
emportÃ© avec elle le coupable, et en fit un autodafÃ© dans la capitale du monde chrÃ©tien. Mieux vaut
brÃ»ler son mobilier que de se rendre folle, et en vÃ©ritÃ© pour cette dame le pÃ©ril Ã©tait imminent.
[496][496] Ne rions pas d'elle, nous, enfants d'un siÃ¨cle de raison oÃ¹ des hommes sÃ©rieux, comme le
comte de Mirville, attribuent au diable les phÃ©nomÃ¨nes inexpliquÃ©s de la nature.
Dans un mÃ©lodrame qui se joue sur les boulevards, il est question d'un magicien qui, pour se faire un
auxiliaire formidable, a crÃ©Ã© un androÃ¯de, un monstre Ã griffes de lion, Ã cornes de taureau, Ã
Ã©cailles de liÃ©vathan, il donne la vie Ã ce sphinx hybride, et aussitÃ´t, Ã©pouvantÃ© de son ouvrage, il
LES MAGNÃTISEURS ET LES SOMNAMBULES. 253

prend la fuite. Le monstre le poursuit, apparaÃ®t entre lui et sa fiancÃ©e, incendie sa maison, brÃ»le son
pÃ¨re, enlÃ¨ve son fils, le poursuit jusque sur la mer, monte avec lui sur son vaisseau qu'il fait engloutir et
finit lui-mÃªme par un coup de foudre. Ce spectacle affreux, risible Ã force d'Ã©pouvante, a Ã©tÃ©
rÃ©alisÃ© dans l'histoire de l'humanitÃ©, la poÃ©sie a Ã©tÃ© personnifiÃ©e le fantÃ´me du mal lui a
prÃªtÃ© toutes les forces de la nature. Elle voulait de cet Ã©pouvantail faire un auxiliaire Ã la morale, puis
elle a eu peur de cette laideur enfantÃ©e par ses rÃªves. Depuis ce temps, le monstre nous poursuit Ã travers
les Ã¢ges, il apparaÃ®t hideux et grimaÃ§ant entre nous et les objets de nos amours, cauchemar immonde, il
Ã©touffe nos enfants pendant leur sommeil, il apporte dans la crÃ©ation, cette maison paternelle de
l'humanitÃ©, l'incendie inextinguible de l'enfer, il brÃ»le et torture Ã jamais nos pÃ¨res et nos mÃ¨res; il
Ã©tend ses ailes noires pour nous cacher le ciel et il nous crie: Plus d'espÃ©rance! il monte en groupe et
galope aprÃ¨s nous comme le chagrin; il plonge dans l'ocÃ©an du dÃ©sespoir la derniÃ¨re arche de notre
espÃ©rance; c'est l'antique Arimanes des Perses, c'est le Typhon de l'Ãgypte, c'est le dieu noir des sectaires
de ManÃ¨s, du comte de Mirville et de [497] la magie noire du diable, c'est l'horreur du monde et l'idole des
mauvais chrÃ©tiens. Les hommes ont essayÃ© d'en rire et ils en ont peur. Ils en font des caricatures, et ils
tressaillent, parce qu'il leur semble voir ces caricatures mÃªmes s'animer pour se moquer d'eux Ã leur tour.
Cependant son rÃ¨gne est passÃ©, mais il ne pÃ©rira pas Ã©crasÃ© par la foudre du ciel: la science a
conquis le feu du tonnerre, et elle a fait des flambeaux, le monstre s'Ã©vanouira devant les splendeurs de la
science et la vÃ©ritÃ©: le gÃ©nie de l'ignorance et de la nuit ne peut Ãªtre foudroyÃ© que par la lumiÃ¨re!
CHAPITRE IV.
LES FANTAISISTES EN MAGIE.

SOMMAIRE.--Le Magicien, par Alphonse Esquiros.--Les livres et les miracles de Henri Delaage.--Les
expÃ©riences du comte d'Ourches.--Le livre du baron de GuldenstabbÃ©.--Un mot sur les nÃ©cromanciens
et les vampires.--Le cartomancien Edmond.
Il y a une vingtaine d'annÃ©es qu'un de nos amis d'enfance, Alphonse Esquiros, publia un livre de haute
fantaisie, intitulÃ© le Magicien. C'Ã©tait tout ce que le romantisme d'alors pouvait imaginer de plus bizarre,
l'auteur donnait Ã son magicien un sÃ©rail de femmes mortes, mais embaumÃ©es par un procÃ©dÃ©
retrouvÃ© depuis par Gannal. Un androÃ¯de de bronze qui prÃªchait la chastetÃ©, un hermaphrodite
amoureux de la lune et qui entretenait avec elle une correspondance suivie, et bien d'autres choses [498]
encore que nous ne nous rappelons pas. Alphonse Esquiros, par la publication de ce roman, fonda une Ã©cole
de fantaisistes en magie dont le jeune et intÃ©ressant Henri Delaage est actuellement le reprÃ©sentant le
plus distinguÃ©.
Henri Delaage est un Ã©crivain fÃ©cond, un thaumaturge mÃ©connu et un fascinateur habile. Son style
n'est pas moins Ã©tonnant que les idÃ©es d'Alphonse Esquiros, son initiateur et son maÃ®tre; ainsi dans son
livre des RessuscitÃ©s, il dit en parlant d'une objection contre le christianisme: Â«Je vais prendre cette
objection Ã la gorge, et quand je la lÃ¢cherai, la terre retentira sourdement sous le poids de son cadavre
Ã©tranglÃ©.Â» Il est vrai qu'il ne rÃ©pond pas grand'chose ensuite Ã cette objection, mais que voulez-vous
qu'on rÃ©ponde Ã une objection Ã©tranglÃ©e, quand une fois la terre a retenti sourdement sous le poids de
son cadavre?
Henri Delaage est, avons-nous dit, un thaumaturge mÃ©connu; il a avouÃ©, en effet, Ã une personne de
notre connaissance que pendant un hiver oÃ¹ rÃ©gnait impitoyablement cette affection de poitrine si
CHAPITRE IV. 254

fÃ¢cheuse qu'on nomme la grippe, il n'avait qu'Ã se prÃ©senter dans un salon pour guÃ©rir
immÃ©diatement toutes les personnes qui s'y trouvaient; il est vrai qu'il Ã©tait la victime du miracle, car il y
a gagnÃ© un lÃ©ger enrouement qui ne l'a pas quittÃ© depuis.
Plusieurs amis d'Henri Delaage nous ont assurÃ© qu'il a le don d'ubiquitÃ©, on vient de le quitter au bureau
de la Patrie, on le retrouve chez Dentu, son Ã©diteur, on s'enfuit effrayÃ©, on rentre chez soi et l'on y
trouve... Delaage qui vous attendait.
[499]Henri Delaage est aussi un fascinateur habile. Une dame du monde qui venait de lire un de ses livres,
dÃ©clarait qu'elle ne connaissait rien au monde de plus beau et de mieux Ã©crit, mais ce n'est pas seulement
Ã ses livres que Delaage communique le don de beautÃ©. Un jour nous venions de lire un feuilleton signÃ©
Fiorentino, oÃ¹ l'on disait que les charmes physiques du jeune magicien Ã©galaient ou mÃªme surpassaient
ceux des anges. Nous rencontrons Delaage et nous le questionnons avec curiositÃ© sur cette rÃ©vÃ©lation
singuliÃ¨re. Delaage alors met la main dans son gilet, se tourne de trois quarts et lÃ¨ve en souriant les yeux
vers le ciel... Heureusement nous avions sur nous l'Enchiridion de LÃ©on III, qui est, comme on sait, un
prÃ©servatif contre les enchantements, et la beautÃ© angÃ©lique du fascinateur resta invisible Ã nos yeux.
Nous donnerons Ã Henri Delaage des Ã©loges plus sÃ©rieux que ceux des admirateurs de sa beautÃ©, il se
dÃ©clare sincÃ¨rement catholique, et proclame hautement son respect et son amour pour la religion; or la
religion pourra faire de lui un saint, ce qui est un titre plus estimable et plus glorieux que celui de sorcier.
C'est Ã cause de sa qualitÃ© de publiciste que nous avons nommÃ© ce jeune homme le premier parmi les
fantaisistes de la magie. Ce rang sous tous les autres rapports appartenait Ã M. le comte d'Ourches, homme
vÃ©nÃ©rable par son Ã¢ge qui consacre sa vie et sa fortune aux expÃ©riences magnÃ©tiques. Chez lui les
meubles et les dames somnambules se livrent Ã des danses effrÃ©nÃ©es, les meubles se fatiguent et se
brisent, mais les dames, Ã ce qu'on assure, ne s'en portent que mieux.
[500]Pendant longtemps M. le comte d'Ourches a Ã©tÃ© dominÃ© par une idÃ©e fixe: la crainte d'Ãªtre
enterrÃ© vivant, et il a fait plusieurs mÃ©moires sur la nÃ©cessitÃ© de constater les dÃ©cÃ¨s d'une
maniÃ¨re plus certaine qu'on ne le fait habituellement. M. d'Ourches avait d'autant plus raison de craindre,
que son tempÃ©rament est plÃ©thorique, et que son extrÃªme susceptibilitÃ© nerveuse, journellement
surexcitÃ©e par ses expÃ©riences avec les jolies somnambules, l'expose peut-Ãªtre Ã des attaques
d'apoplexie.
M. le comte d'Ourches est en magnÃ©tisme l'Ã©lÃ¨ve de l'abbÃ© Faria, et en nÃ©cromancie il appartient

Ã l'Ã©cole du baron de GuldenstubbÃ©.
Le baron de GuldenstubbÃ© a publiÃ© un livre intitulÃ©: Pneumatologie positive et expÃ©rimentale; la

rÃ©alitÃ© des esprits et le phÃ©nomÃ¨ne merveilleux de leur Ã©criture directe.
Voici comment il raconte lui-mÃªme sa dÃ©couverte:
Â«Ce fut dÃ©jÃ dans le courant de l'annÃ©e 1850, environ trois ans avant l'invasion de l'Ã©pidÃ©mie des
tables tournantes, que l'auteur a voulu introduire en France les cercles du spiritualisme d'AmÃ©rique, les
coups mystÃ©rieux de Rochester et rÃ©criture purement machinale des mÃ©diums. Il a rencontrÃ©
malheureusement beaucoup d'obstacles de la part des autres magnÃ©tiseurs. Les fluidistes, et mÃªme ceux
qui s'intitulÃ¨rent magnÃ©tiseurs spiritualistes, mais qui n'Ã©taient en vÃ©ritÃ© que des somnambuliseurs
de bas Ã©tage, traitÃ¨rent les coups mystÃ©rieux du spiritualisme amÃ©ricain de folies et de songes creux.
Aussi ce n'est qu'au bout de plus de six mois, que l'auteur a pu former le premier cercle selon le mode des
AmÃ©ricains, grÃ¢ce au concours zÃ©lÃ© que lui a prÃªtÃ© M. Roustan, [501] ancien membre de la
sociÃ©tÃ© des magnÃ©tiseurs spiritualistes, homme simple, mais plein d'enthousiasme pour la sainte cause
LES FANTAISISTES EN MAGIE. 255

du spiritualisme. Plusieurs autres personnes sont venues se joindre Ã nous, parmi lesquelles il faut citer feu
l'abbÃ© ChÃ¢tel, le fondateur de l'Ãglise franÃ§aise, qui, malgrÃ© ses tendances rationalistes, a fini par
admettre la rÃ©alitÃ© d'une rÃ©vÃ©lation objective et surnaturelle, condition indispensable du
spiritualisme et de toutes les religions positives. On sait que les cercles amÃ©ricains sont basÃ©s
(abstraction faite de certaines conditions morales, Ã©galement requises) sur la distinction des principes
magnÃ©tiques ou positifs et Ã©lectriques ou nÃ©gatifs.
Â»Ces cercles se composent de douze personnes, dont six reprÃ©sentent les Ã©lÃ©ments positifs, et les six
autres, les Ã©lÃ©ments nÃ©gatifs ou sensitifs. La distinction des Ã©lÃ©ments ne doit pas Ãªtre faite
d'aprÃ¨s le sexe des personnes, bien que gÃ©nÃ©ralement les femmes aient des attributs nÃ©gatifs et
sensitifs, et que les hommes soient douÃ©s de qualitÃ©s positives et magnÃ©tiques. Il faut donc bien
Ã©tudier la constitution morale et physique de chacun, avant de former les cercles, car il y a des femmes
dÃ©licates qui ont des qualitÃ©s masculines, comme quelques hommes vigoureux ne sont que des femmes
au moral. On place une table dans un endroit spacieux et aÃ©rÃ©. Le mÃ©dium (ou les milieux) doit
s'asseoir au bout de la table et Ãªtre entiÃ¨rement isolÃ©; il sert de conducteur Ã l'Ã©lectricitÃ© par son
calme et sa quiÃ©tude contemplative. Un bon somnambule est en gÃ©nÃ©ral un excellent MÃDIUM. On
place les six natures Ã©lectriques ou nÃ©gatives qu'on reconnaÃ®t gÃ©nÃ©ralement aux qualitÃ©s
affectueuses du coeur et Ã leur sensibilitÃ©, Ã droite du mÃ©dium, en mettant immÃ©diatement auprÃ¨s
du mÃ©dium la personne [502] la plus sensitive ou nÃ©gative du cercle. Il en est de mÃªme quant aux
natures positives que l'on place Ã gauche du mÃ©dium, parmi lesquelles la personne la plus positive, la plus
intelligente doit se mettre Ã©galement auprÃ¨s du mÃ©dium. Pour former la chaÃ®ne, il faut que les douze
personnes posent la main droite sur la table, et qu'elles mettent la main gauche du voisin dessus, en faisant
ainsi le tour de la table de la mÃªme faÃ§on. Quant au mÃ©dium ou aux milieux, s'il y en a plusieurs, ils
restent entiÃ¨rement isolÃ©s des douze personnes qui forment la chaÃ®ne.
Â»Nous avons obtenu au bout de plusieurs sÃ©ances certains phÃ©nomÃ¨nes remarquables, tels que des
secousses simultanÃ©es, ressenties par tous les membres du cercle au moment de l'Ã©vocation mentale des
personnes les plus intelligentes. Il en est de mÃªme des coups mystÃ©rieux et des sons Ã©tranges; plusieurs
personnes mÃªme trÃ¨s insensibles ont eu des visions simultanÃ©es, bien qu'elles fussent restÃ©es Ã
l'Ã©tat ordinaire de veille. Quant aux sujets sensibles, ils ont acquis l'admirable facultÃ© des mÃ©diums,
d'Ã©crire machinalement grÃ¢ce Ã une attraction invisible, laquelle se sert d'un bras sans intelligence pour
exprimer ses idÃ©es. Au surplus, les individus insensibles ressentaient cette influence mystÃ©rieuse d'un
souffle externe, mais l'effet n'Ã©tait pas assez fort pour mettre en mouvement leurs membres. Du reste, tous
ces phÃ©nomÃ¨nes obtenus selon le mode du spiritualisme amÃ©ricain, ont le dÃ©faut d'Ãªtre encore plus
ou moins indirects, parce qu'on ne peut pas se passer dans ces expÃ©riences de l'intermÃ©diaire d'un Ãªtre
humain, d'un mÃ©dium. Il [503] en est de mÃªme des tables tournantes et parlantes qui n'ont envahi l'Europe
qu'au commencement de l'annÃ©e 1853.
Â»L'auteur a fait beaucoup d'expÃ©riences de tables avec son honorable ami, M. le comte d'Ourches, l'un des
hommes les plus versÃ©s dans la magie et dans les sciences occultes. Nous sommes parvenus peu Ã peu Ã
mettre les tables en mouvement sans attouchement quelconque; M. le comte d'Ourches les a fait soulever
mÃªme sans attouchement. L'auteur a fait courir les tables avec une grande vitesse Ã©galement sans
attouchement et sans le concours d'un cercle magnÃ©tique. Il en est de mÃªme des vibrations des cordes d'un
piano, phÃ©nomÃ¨ne obtenu dÃ©jÃ le 20 janvier 1856 en prÃ©sence des comtes de Szapary et d'Ourches.
Tous ces phÃ©nomÃ¨nes rÃ©vÃ¨lent bien la rÃ©alitÃ© de certaines forces occultes, mais ces faits ne
dÃ©montrent pas suffisamment l'existence rÃ©elle et substantielle des intelligences invisibles,
indÃ©pendantes de notre volontÃ© et de notre imagination, dont on agrandit, il est vrai, dÃ©mesurÃ©ment,
de nos jours le pouvoir. De lÃ le reproche que l'on adresse aux spiritualistes amÃ©ricains de n'avoir que des
communications insignifiantes et vagues avec le monde des esprits, qui ne se manifestent que par certains
coups mystÃ©rieux, et par la vibration de quelques sons. En effet il n'y a qu'un phÃ©nomÃ¨ne direct,
intelligent et matÃ©riel Ã la fois, indÃ©pendant de notre volontÃ© et de notre imagination, tel que

l'Ã©criture directe des esprits, qu'on n'a pas mÃªme Ã©voquÃ©s ni invoquÃ©s, qui puisse servir de preuve
irrÃ©fragable de la rÃ©alitÃ© du monde surnaturel.
Â»L'auteur, Ã©tant toujours Ã la recherche d'une preuve intelligente et palpable en mÃªme temps, de la
rÃ©alitÃ© [504] substantielle du monde surnaturel, afin de dÃ©montrer par des faits irrÃ©fragables,
l'immortalitÃ© de l'Ã¢me, n'a jamais cessÃ© d'adresser des priÃ¨res ferventes Ã l'Ãternel de vouloir bien
indiquer aux hommes un moyen infaillible pour raffermir la foi en l'immortalitÃ© de l'Ã¢me, cette base
Ã©ternelle de la religion. L'Ãternel, dont la misÃ©ricorde est infinie, a amplement exaucÃ© cette faible
priÃ¨re. Un beau jour, c'Ã©tait le premier aoÃ»t 1856, l'idÃ©e vint Ã l'auteur d'essayer si les esprits
pouvaient Ã©crire directement, sans l'intermÃ©diaire d'un mÃ©dium. Connaissant l'Ã©criture directe et
merveilleuse du DÃ©calogue selon MoÃ¯se, et l'Ã©criture Ã©galement directe et mystÃ©rieuse durant le
festin du roi Baltazar suivant Daniel, ayant en outre entendu parler des mystÃ¨res modernes de Strattford en
AmÃ©rique, oÃ¹ l'on avait trouvÃ© certains caractÃ¨res illisibles et Ã©tranges, tracÃ©s sur des morceaux
de papier, et qui ne paraissaient pas provenir des mÃ©diums, l'auteur a voulu constater la rÃ©alitÃ© d'un
phÃ©nomÃ¨ne dont la portÃ©e serait immense, s'il existait rÃ©ellement.
Â»Il mit donc un papier blanc Ã lettres et un crayon taillÃ© dans une petite boite fermÃ©e Ã clef, en
portant cette clef toujours sur lui-mÃªme et sans faire part de cette expÃ©rience Ã personne. Il attendit
durant douze jours en vain, sans remarquer la moindre trace d'un crayon sur le papier, mais quel fut son
Ã©tonnement, lorsqu'il remarqua le 13 aoÃ»t 1856 certains caractÃ¨res mystÃ©rieux, tracÃ©s sur le papier;
Ã peine les eut-il remarquÃ©s qu'il rÃ©pÃ©ta dix fois pendant cette journÃ©e, Ã jamais mÃ©morable, la
mÃªme expÃ©rience, en mettant toujours au bout d'une [505] demi-heure, une nouvelle feuille de papier
blanc dans la mÃªme boÃ®te. L'expÃ©rience fut couronnÃ©e chaque fois d'un succÃ¨s complet.
Â»Le lendemain, 14 aoÃ»t, l'auteur fit de nouveau une vingtaine d'expÃ©riences, en laissant la boÃ®te
ouverte et en ne la perdant pas de vue; c'est alors que l'auteur voyait que des caractÃ¨res et des mots dans la
langue esthonienne se formÃ¨rent ou furent gravÃ©s sur le papier, sans que le crayon bougea. Depuis ce
moment, l'auteur, voyant l'inutilitÃ© du crayon, a cessÃ© de le mettre sur le papier; il place simplement un
papier blanc sur une table chez lui, ou sur le piÃ©destal des statues antiques, sur les sarcophages, sur les
urnes, etc., au Louvre, Ã Saint-Denis, Ã l'Ã©glise Saint-Ãtienne-du-Mont, etc. Il en est de mÃªme des
expÃ©riences faites dans les diffÃ©rents cimetiÃ¨res de Paris. Du reste, l'auteur n'aime guÃ¨re les
cimetiÃ¨res, la plupart des esprits prÃ©fÃ©rant les lieux oÃ¹ ils ont vÃ©cu durant leur carriÃ¨re terrestre,
aux endroits oÃ¹ repose leur dÃ©pouille mortelle.Â»
Nous sommes loin de rÃ©voquer en doute les phÃ©nomÃ¨nes singuliers observÃ©s par M. le baron, mais
nous lui ferons observer que la dÃ©couverte avait Ã©tÃ© faite avant lui par Lavater et qu'il y a encore loin
de quelques lignes obtenues par M. de GuldenstubbÃ© au portrait peint Ã l'aquarelle par le kabbaliste
Gablidone.
Maintenant, au nom de la science, nous dirons Ã M. de GuldenstubbÃ©, non pas pour lui qui ne nous croira
pas, mais pour les observateurs sÃ©rieux de ces phÃ©nomÃ¨nes extraordinaires:
Monsieur le baron, les Ã©critures que vous obtenez ne viennent pas de l'autre monde; et c'est vous-mÃªme
qui les tracez Ã votre insu.
[506]Vous avez par vos expÃ©riences multipliÃ©es Ã l'excÃ¨s et par l'excessive tension de votre volontÃ©
dÃ©truit l'Ã©quilibre de votre corps fluidique et astral, vous le forcez Ã rÃ©aliser vos rÃªves et il trace en
caractÃ¨res empruntÃ©s Ã vos souvenirs le reflet de vos imaginations et de vos pensÃ©es.
Si vous Ã©tiez plongÃ© dans un sommeil magnÃ©tique parfaitement lucide, vous verriez le mirage
lumineux de votre main s'allonger comme une ombre au soleil couchant, et tracer sur le papier prÃ©parÃ©

par vous ou vos amis les caractÃ¨res qui vous Ã©tonnent.
Cette lumiÃ¨re corporelle qui Ã©mane de la terre et de vous est contenue par une enveloppe fluidique d'une
extrÃªme Ã©lasticitÃ©, et cette enveloppe se forme de la quintessence de vos esprits vitaux et de votre sang.
Cette quintessence emprunte Ã la lumiÃ¨re une couleur dÃ©terminÃ©e par votre volontÃ© secrÃ¨te, elle se
fait ce que vous rÃªvez qu'elle est; alors les caractÃ¨res s'impriment sur le papier comme les signes sur le
corps des enfants qui ne sont pas encore nÃ©s sous l'influence des imaginations de leurs mÃ¨res.
Cette encre que vous voyez apparaÃ®tre sur le papier, c'est votre sang noirci et transfigurÃ©. Vous vous
Ã©puisez Ã mesure que les Ã©critures se multiplient. Si vous continuez vos expÃ©riences, votre cerveau
s'affaiblira graduellement, votre mÃ©moire se perdra; vous ressentirez dans les articulations des membres et
des doigts d'inexprimables douleurs et vous mourrez enfin, soit foudroyÃ© subitement, soit dans une longue
agonie accompagnÃ©e d'hallucinations et de dÃ©mence. Voici pour M. le baron de GuldenstubbÃ©.
[507]Maintenant nous dirons Ã M. le comte d'Ourches: Vous ne serez pas enterrÃ© vivant, mais vous
risquez de mourir par les prÃ©cautions mÃªmes que vous prendrez pour ne pas l'Ãªtre.
Les personnes enterrÃ©es vivantes ne peuvent d'ailleurs avoir sous terre que des rÃ©veils rapides et de peu
de durÃ©e, elles peuvent toutefois y vivre longtemps conservÃ©es par la lumiÃ¨re astrale dans un Ã©tat
complet de somnambulisme lucide.
Leurs Ã¢mes alors sont sur la terre encore enchaÃ®nÃ©es au corps endormi par une chaÃ®ne invisible,
alors si ce sont des Ã¢mes avides et criminelles, elles peuvent aspirer la quintessence du sang des personnes
endormies du sommeil naturel, et transmettre cette sÃ©ve Ã leur corps enterrÃ© pour le conserver plus
longtemps dans l'espÃ©rance vague qu'il sera enfin rendu Ã la vie. C'est cet effrayant phÃ©nomÃ¨ne qu'on
appelle le vampirisme, phÃ©nomÃ¨ne dont la rÃ©alitÃ© a Ã©tÃ© constatÃ©e par des expÃ©riences
nombreuses aussi bien attestÃ©es que tout ce qu'il y a de plus solennel dans l'histoire.
Si vous doutez de la possibilitÃ© de cette vie magnÃ©tique du corps humain dans la terre, lisez ce rÃ©cit
d'un officier anglais nommÃ© Osborne, rÃ©cit dont la fidÃ©litÃ© a Ã©tÃ© attestÃ©e Ã M. le baron Du
Potet par le gÃ©nÃ©ral Ventura.
Â«Le 6 juin (1838), dit M. Osborne, la monotonie de notre vie de camp fut heureusement interrompue par
l'arrivÃ©e d'un individu cÃ©lÃ¨bre dans le Pendjab. Il jouit parmi les Sikhs d'une grande vÃ©nÃ©ration Ã
cause de la facultÃ© qu'il a de rester enseveli sous terre aussi longtemps qu'il lui plaÃ®t. On rapportait dans
le pays des faits si extraordinaires sur cet homme, et tant de personnes [508] respectables en garantissaient
l'authenticitÃ©, que nous Ã©tions extrÃªmement dÃ©sireux de le voir. Il nous raconta lui-mÃªme qu'il
exerÃ§ait ce qu'il appelle son mÃ©tier (celui de se faire enterrer) depuis plusieurs annÃ©es; on l'a vu en effet
rÃ©pÃ©ter cette Ã©trange expÃ©rience sur divers points de l'Inde. Parmi les hommes graves et dignes de
foi qui en rendent tÃ©moignage, je dois citer le capitaine Wade, agent politique Ã Lodhiana. Cet officier m'a
affirmÃ© trÃ¨s sÃ©rieusement avoir assistÃ© lui-mÃªme Ã la rÃ©surrection de ce fakir aprÃ¨s un
enterrement qui avait eu lieu quelques mois auparavant, en prÃ©sence du gÃ©nÃ©ral Ventura, du maharadja
et des principaux chefs sikhs. Voici les dÃ©tails qu'on lui avait donnÃ©s sur l'enterrement, et ceux qu'il
ajoutait, d'aprÃ¨s sa propre autoritÃ©, sur l'exhumation.
Â»A la suite de quelques prÃ©paratifs qui avaient durÃ© quelques jours et qu'il rÃ©pugnerait
d'Ã©numÃ©rer, le fakir dÃ©clara Ãªtre prÃªt Ã subir l'Ã©preuve. Le maharadja, les chefs sikhs et le
gÃ©nÃ©ral Ventura se rÃ©unirent prÃ¨s d'une tombe en maÃ§onnerie construite exprÃ¨s pour le recevoir.
Sous leurs yeux, le fakir ferma avec de la cire, Ã l'exception de la bouche, toutes les ouvertures de son corps
qui pouvaient donner entrÃ©e Ã l'air; puis il se dÃ©pouilla des vÃªtements qu'il portait: on l'enveloppa alors

d'un sac de toile, et, suivant son dÃ©sir, on lui retourna la langue en arriÃ¨re de maniÃ¨re Ã lui boucher
l'entrÃ©e du gosier; aussitÃ´t aprÃ¨s cette opÃ©ration le fakir tomba dans une sorte de lÃ©thargie. Le sac
qui le contenait fut fermÃ©, et un cachet y fut apposÃ© par le maharadja. On plaÃ§a ensuite ce sac dans une
caisse de bois [509] cadenassÃ©e et scellÃ©e qui fut descendue dans la tombe: on jeta une grande quantitÃ©
de terre dessus, on foula longtemps cette terre et on y sema de l'orge; enfin des sentinelles furent placÃ©es
tout alentour avec l'ordre de veiller jour et nuit.
Â»MalgrÃ© toutes ces prÃ©cautions, le maharadja conservait des doutes; il vint deux fois dans l'espace de
dix mois, temps pendant lequel le fakir resta enterrÃ©, et il fit ouvrir devant lui la tombe; le fakir Ã©tait dans
le sac tel qu'on l'y avait mis, froid et inanimÃ©. Les dix mois expirÃ©s, on procÃ©da Ã l'exhumation
dÃ©finitive du fakir. Le gÃ©nÃ©ral Ventura et le capitaine Wade virent ouvrir les cadenas, briser les
scellÃ©s et Ã©lever la caisse hors de la tombe. On retira le fakir: nulle pulsation soit au coeur, soit au pouls,
n'indiquait la prÃ©sence de la vie. Comme premiÃ¨re mesure destinÃ©e Ã le ranimer, une personne lui
introduisit trÃ¨s doucement le doigt dans la bouche et replaÃ§a sa langue dans la position naturelle. Le
sommet de la tÃªte Ã©tait seul demeurÃ© le siÃ¨ge d'une chaleur sensible. En versant lentement de l'eau
chaude sur le corps on obtint peu Ã peu quelques signes de vie: aprÃ¨s deux heures de soins, le fakir se
releva et se mit Ã marcher en souriant.
Â»Cet homme vraiment extraordinaire raconte que, durant son ensevelissement il a des rÃªves dÃ©licieux,
mais que le moment du rÃ©veil lui est toujours trÃ¨s pÃ©nible; avant de revenir Ã la conscience de sa
propre existence, il Ã©prouve des vertiges.
Â»Il est Ã¢gÃ© d'environ trente ans; sa figure est dÃ©sagrÃ©able et a une certaine expression de ruse.
Â»Nous causÃ¢mes longtemps avec lui, et il nous offrit de se faire [510] enterrer en notre prÃ©sence. Nous
le prÃ®mes au mot, et nous lui donnÃ¢mes rendez-vous Ã Lahore en lui promettant de le faire rester sous
terre tout le temps que durerait notre sÃ©jour dans cette ville.Â»
Â»Tel est le rÃ©cit de M. Osborne. Cette fois encore le fakir se laissa-t-il enterrer? La nouvelle expÃ©rience
pouvait Ãªtre dÃ©cisive. Voici ce qui arriva.
Â»Quinze jours aprÃ¨s la visite du fakir Ã leur camp, les officiers anglais arrivÃ¨rent Ã Lahore; ils y
choisirent un endroit qui leur parut favorable, firent construire une tombe en maÃ§onnerie avec une caisse en
bois bien solide, et demandÃ¨rent le fakir. Celui-ci les vint trouver le lendemain en leur tÃ©moignant le
dÃ©sir ardent de prouver qu'il n'Ã©tait pas un imposteur. Il avait dÃ©jÃ , disait-il, subi les prÃ©paratifs
nÃ©cessaires Ã l'expÃ©rience; son maintien trahissait cependant l'inquiÃ©tude et l'abattement. Il voulut
d'abord savoir quelle serait sa rÃ©compense: on lui promit une somme de quinze cents roupies, et un revenu
de deux mille roupies par an que l'on se chargerait d'obtenir du roi. Satisfait sur ce point, il voulut savoir
quelles prÃ©cautions on comptait prendre; les officiers lui firent voir l'appareil de cadenas et de clefs, et
l'avertirent que des sentinelles choisies parmi les soldats anglais veilleraient alentour pendant une semaine. Le
fakir se rÃ©cria et exhala force injures contre les Frenghis, contre les incrÃ©dules qui voulaient lui ravir sa
rÃ©putation; il exprima le soupÃ§on que l'on voulÃ»t attenter Ã sa vie, il refusa de s'abandonner ainsi
complÃ¨tement Ã la surveillance des EuropÃ©ens, il demanda que les doubles clefs de chaque cadenas
fussent remises Ã quelqu'un de ses coreligionnaires, et il insista surtout pour que les factionnaires ne fussent
pas des [511] ennemis de sa religion. Les officiers ne voulurent point accÃ©der Ã ces conditions.
DiffÃ©rentes entrevues eurent lieu sans rÃ©sultat; enfin le fakir fit savoir par un des chefs sikhs que le
maharadja l'ayant menacÃ© de sa colÃ¨re s'il ne remplissait pas son engagement avec les Anglais, il voulait
se soumettre Ã l'Ã©preuve, bien qu'entiÃ¨rement convaincu que le seul but des officiers Ã©tait de lui Ã´ter
la vie, et qu'il ne sortirait jamais vivant de sa tombe; les officiers dÃ©clarÃ¨rent que comme sur ce dernier
point ils partageaient complÃ¨tement sa conviction, et qu'ils ne voulaient pas avoir sa mort Ã se reprocher, ils
le tenaient quitte de sa promesse.

Â»Ces hÃ©sitations et ces craintes du fakir sont-elles des preuves pÃ©remptoires contre lui? En
rÃ©sulte-t-il que toutes les personnes qui auparavant ont soutenu avoir vu les faits sur lesquels repose sa
cÃ©lÃ©britÃ© aient voulu en imposer ou aient Ã©tÃ© les dupes d'une habile fourberie? Nous avouons que
nous ne pouvons douter, d'aprÃ¨s le nombre et le caractÃ¨re des tÃ©moins, que le fakir ne se soit fait souvent
et rÃ©ellement enterrer; mais admettant mÃªme qu'aprÃ¨s l'ensevelissement il ait rÃ©ussi chaque fois Ã
communiquer avec le dehors, il serait encore inexplicable comment il aurait pu rester privÃ© de respiration
pendant tout le temps qui s'Ã©coulait entre son enterrement et le moment oÃ¹ ses complices lui venaient en
aide. M. Osborne cite en note un extrait de la Topographie mÃ©dicale de Lodhiana, du docteur Mac Gregor,
mÃ©decin anglais qui a assistÃ© Ã une des exhumations, et qui, tÃ©moin de l'Ã©tat de lÃ©thargie du
fakir et de son retour graduel Ã la vie, cherche sÃ©rieusement Ã l'expliquer. Un autre officier anglais, M.
Boileau, dans un ouvrage publiÃ© il y a [512] quelques annÃ©es, raconte qu'il a Ã©tÃ© tÃ©moin d'une
autre expÃ©rience oÃ¹ tous les faits se sont passÃ©s de la mÃªme maniÃ¨re. Les personnes qui voudraient
satisfaire plus amplement leur curiositÃ©, celles qui verraient dans ce rÃ©cit l'indication d'un curieux
phÃ©nomÃ¨ne physiologique, peuvent remonter avec confiance aux sources que nous venons d'indiquer.Â»
Il existe encore un grand nombre de procÃ¨s-verbaux sur l'exhumation des vampires. Les chairs Ã©taient
dans un Ã©tat remarquable de conservation, mais elles suintaient le sang, leurs cheveux avaient cru d'une
maniÃ¨re extraordinaire et s'Ã©chappaient par touffes entre les fentes du cercueil. La vie n'existait plus dans
l'appareil qui sert Ã la respiration, mais seulement dans le coeur qui d'animal semblait Ãªtre devenu
vÃ©gÃ©tal. Pour tuer le vampire, il fallait lui traverser la poitrine avec un pieu, alors un cri terrible
annonÃ§ait que le somnambule de la tombe se rÃ©veillait en sursaut dans une vÃ©ritable mort.
Pour rendre cette mort dÃ©finitive, on entourait la tombe du vampire d'Ã©pÃ©es plantÃ©es en terre la
pointe en l'air, car les fantÃ´mes de lumiÃ¨re astrale se dÃ©composent par l'action des pointes mÃ©talliques
qui, en attirant cette lumiÃ¨re vers le rÃ©servoir commun, en dÃ©truisent les amas coagulÃ©s.
Ajoutons, pour rassurer les personnes craintives, que les cas de vampirisme sont heureusement fort rares, et
qu'une personne saine d'esprit et de corps ne saurait Ãªtre la victime d'un vampire si elle ne lui a pas
abandonnÃ© de son vivant son corps et son Ã¢me par quelque complicitÃ© de crime ou de passion
dÃ©rÃ©glÃ©e.
[513]Voici une histoire de vampire qui est rapportÃ©e par Tournefort, dans son Voyage au Levant:
Â«Nous fÃ»mes tÃ©moins (dit l'auteur), dans l'Ã®le de Mycone, d'une scÃ¨ne bien singuliÃ¨re, Ã
l'occasion d'un de ces morts, que l'on croit voir revenir, aprÃ¨s leur enterrement. Des peuples du Nord les
appellent Vampires; les Grecs les dÃ©signent sous le nom de Broucolaques. Celui dont on va donner
l'histoire Ã©tait un paysan de Mycone, naturellement chagrin et querelleur; c'est une circonstance Ã
remarquer par rapport Ã de pareils sujets: il fut tuÃ© Ã la campagne, on ne sait par qui ni comment.
Â«Deux jours aprÃ¨s qu'on l'eut inhumÃ© dans une chapelle de la ville, le bruit courut qu'on le voyait la nuit
se promener Ã grands pas: qu'il venait dans les maisons renverser les meubles, Ã©teindre les lampes,
embrasser les gens par derriÃ¨re, et faire mille petits tours d'espiÃ¨gle. On ne fit qu'en rire d'abord; mais
l'affaire devint sÃ©rieuse, lorsque les plus honnÃªtes gens commencÃ¨rent Ã se plaindre. Les papas
(prÃªtres grecs) eux-mÃªmes convenaient du fait, et sans doute qu'ils avaient leurs raisons. On ne manqua pas
de faire dire des messes: cependant le paysan continuait la mÃªme vie sans se corriger. AprÃ¨s plusieurs
assemblÃ©es des principaux de la ville, des prÃªtres et des religieux, on conclut qu'il fallait, je ne sais par
quel ancien cÃ©rÃ©monial, attendre les neuf jours aprÃ¨s l'enterrement.
Â«Le dixiÃ¨me jour, on dit une messe dans la chapelle oÃ¹ Ã©tait le corps, afin de chasser le dÃ©mon que
l'on croyait s'y Ãªtre renfermÃ©. AprÃ¨s la messe, on dÃ©terra le corps, et on en Ã´ta le [514] coeur; le
cadavre sentait si mauvais qu'on fut obligÃ© de brÃ»ler de l'encens; mais la fumÃ©e, confondue avec la

mauvaise odeur, ne fit que l'augmenter, et commenÃ§a d'Ã©chauffer ces pauvres gens. On s'avisa de dire
qu'il sortait une fumÃ©e Ã©paisse de ce corps. Nous, qui Ã©tions tÃ©moins, nous n'osions dire que
c'Ã©tait celle de l'encens.
Â«Plusieurs des assistants assuraient que le sang de ce malheureux Ã©tait bien vermeil; d'autres juraient que
le corps Ã©tait encore tout chaud; d'oÃ¹ l'on concluait que le mort avait grand tort de n'Ãªtre pas bien mort,
ou, pour mieux dire, de s'Ãªtre laissÃ© ranimer par le diable; c'est lÃ prÃ©cisÃ©ment l'idÃ©e qu'ils ont
d'un broucolaque; on faisait alors retentir ce nom d'une maniÃ¨re Ã©tonnante. Une foule de gens, qui
survinrent, protestÃ¨rent tout haut qu'ils s'Ã©taient bien aperÃ§us que ce corps n'Ã©tait pas devenu roide,
lorsqu'on le porta de la campagne Ã l'Ã©glise pour l'enterrer; et que, par consÃ©quent, c'Ã©tait un vrai
broucolaque; c'Ã©tait lÃ le refrain.
Â«Quand on nous demanda ce que nous croyions de ce mort, nous rÃ©pondÃ®mes que nous le croyions
trÃ¨s bien mort; et que, pour ce prÃ©tendu sang vermeil, on pouvait voir aisÃ©ment que ce n'Ã©tait qu'une
bourbe fort puante; enfin, nous fÃ®mes de notre mieux pour guÃ©rir, ou du moins pour ne pas aigrir leur
imagination frappÃ©e, en leur expliquant les prÃ©tendues vapeurs et la chaleur d'un cadavre.
Â«MalgrÃ© tous nos raisonnements, on fut d'avis de brÃ»ler le coeur du mort, qui, aprÃ¨s cette exÃ©cution,
ne fut pas plus docile qu'auparavant, et fit encore plus de bruit. On l'accusa de battre les gens la nuit,
d'enfoncer les portes, de briser les fenÃªtres, [515] de dÃ©chirer les habits et de vider les cruches et les
bouteilles. C'Ã©tait un mort bien altÃ©rÃ©. Je crois qu'il n'Ã©pargna que la maison du consul, chez qui
nous logions. Tout le monde avait l'imagination renversÃ©e. Les gens du meilleur esprit paraissaient
frappÃ©s comme les autres. C'Ã©tait une vÃ©ritable maladie de cerveau, aussi dangereuse que la manie et
que la rage. On voyait des familles entiÃ¨res abandonner leurs maisons, et venir des extrÃ©mitÃ©s de la
ville porter leurs grabats Ã la place pour y passer la nuit. Chacun se plaignait de quelque nouvelle insulte, et
les plus sensÃ©s se retiraient Ã la campagne.
Â«Les citoyens les plus zÃ©lÃ©s pour le bien public croyaient qu'on avait manquÃ© au point le plus
essentiel de la cÃ©rÃ©monie; il ne fallait, selon eux, cÃ©lÃ©brer la messe qu'aprÃ¨s avoir Ã´tÃ© le coeur
Ã ce malheureux. Ils prÃ©tendaient qu'avec cette prÃ©caution, on n'aurait pas manquÃ© de surprendre le
diable; et sans doute, il n'aurait eu garde d'y revenir; au lieu qu'ayant commencÃ© par la messe, il avait eu
tout le temps de s'enfuir, et de revenir Ã son aise.
Â«AprÃ¨s tous ces raisonnements, on se trouva dans le mÃªme embarras que le premier jour. On s'assembla
soir et matin; on fit des processions pendant trois jours et trois nuits; on obligea les papas de jeÃ»ner; on les
voyait courir dans les maisons, le goupillon Ã la main, jeter de l'eau bÃ©nite et en laver les portes: ils en
remplissaient mÃªme la bouche de ce pauvre broucolaque.
Â«Dans une prÃ©vention si gÃ©nÃ©rale, nous prÃ®mes le parti de ne rien dire. Non-seulement on nous
aurait traitÃ©s de ridicules, mais d'infidÃ¨les. Comment faire revenir tout un peuple? Tous les [516] matins,
on nous donnait la comÃ©die, par le rÃ©cit des nouvelles folies de cet oiseau de nuit; on l'accusait mÃªme
d'avoir commis les pÃ©chÃ©s les plus abominables.
Â»Cependant nous rÃ©pÃ©tÃ¢mes si souvent aux administrateurs de la ville, que, dans un pareil cas, on ne
manquerait pas, dans notre pays, de faire le guet la nuit, pour observer ce qui se passerait, qu'enfin on arrÃªta
quelques vagabonds, qui, assurÃ©ment, avaient part Ã tous ces dÃ©sordres: mais on les relÃ¢cha trop tÃ´t;
car, deux jours aprÃ¨s, pour se dÃ©dommager du jeÃ»ne qu'ils avaient fait en prison, il recommencÃ¨rent Ã
vider les cruches de vin, chez ceux qui Ã©taient assez sots pour abandonner leurs maisons la nuit. On fut
donc obligÃ© d'en revenir aux priÃ¨res.

Â»Un jour, comme on rÃ©citait certaines oraisons, aprÃ¨s avoir plantÃ© je ne sais combien d'Ã©pÃ©es
nues sur la fosse du cadavre, que l'on dÃ©terrait trois ou quatre fois par jour, suivant le caprice du premier
venu, un Albanais, qui se trouvait lÃ , s'avisa de dire, d'un ton de docteur, qu'il Ã©tait fort ridicule en pareils
cas, de se servir des Ã©pÃ©es des chrÃ©tiens. Â«Ne voyez-vous pas, pauvres gens, disait-il, que la garde de
ces Ã©pÃ©es faisant une croix avec la poignÃ©e, empÃªche le diable de sortir de ce corps? Que ne vous
servez-vous plutÃ´t des sabres des Turcs?Â»
Â»L'avis de cet habile homme ne servit de rien; le broucolaque ne parut pas plus traitable, et on ne savait plus
Ã quel saint se vouer, lorsque tout d'une voix, comme si l'on s'Ã©tait donnÃ© le mot, on se mit Ã crier, par
toute la ville, qu'il fallait brÃ»ler le broucolaque tout entier; qu'aprÃ¨s cela ils dÃ©fiaient le diable [517] de
revenir s'y nicher; qu'il valait mieux recourir Ã cette extrÃ©mitÃ©, que de laisser dÃ©serter l'Ã®le. En
effet, il y avait dÃ©jÃ des familles qui pliaient bagage pour aller s'Ã©tablir ailleurs.
Â«On porta donc le broucolaque, par ordre des administrateurs, Ã la pointe de l'Ã®le de Saint-Georges, oÃ¹
l'on avait prÃ©parÃ© un grand bÃ»cher avec du goudron, de peur que le bois, quelque sec qu'il fut, ne
brÃ»lÃ¢t pas assez vite. Les restes de ce malheureux cadavre y furent jetÃ©s et consumÃ©s en peu de
temps. C'Ã©tait le premier jour de janvier 1701. DÃ¨s lors, on n'entendit plus de plaintes contre le
broucolaque; on se contenta de dire que le diable avait Ã©tÃ© bien attrapÃ© cette fois-lÃ , et l'on fit
quelques chansons pour le tourner en ridicule.Â»
Remarquons dans ce rÃ©cit de Tournefort, qu'il admet la rÃ©alitÃ© des visions qui Ã©pouvantaient tout un
peuple.
Qu'il ne conteste ni la flexibilitÃ© ni la chaleur du cadavre, mais qu'il cherche Ã les expliquer, et cela
seulement dans le but fort louable sans doute de rassurer ces pauvres gens.
Qu'il ne parle pas de la dÃ©composition du cadavre, mais seulement de sa puanteur; puanteur naturelle aux
cadavres vampiriques comme aux champignons vÃ©nÃ©neux.
Qu'il atteste enfin que le cadavre une fois brÃ»lÃ©, les prodiges et les visions cessÃ¨rent.
Mais nous voici bien loin des fantaisistes de la magie, revenons-y pour oublier les vampires, et disons
quelques mots sur le cartomancien Edmond.
Edmond est le sorcier favori des dames du quartier de Notre-Dame-de-Lorette, il occupe, rue
Fontaine-Saint-Georges, n. 30, un petit appartement assez coquet, son antichambre est [518] toujours pleine
de clientes et parfois aussi de clients. Edmond est un homme de grande taille, un peu obÃ¨se, son teint est
pÃ¢le, sa physionomie ouverte, sa parole assez sympathique. Il paraÃ®t croire Ã son art et continuer en
conscience les exercices et la fortune des Ãteilla et des demoiselles Lenormand. Nous l'avons interrogÃ© sur
ses procÃ©dÃ©s, et il nous a rÃ©pondu avec l'accent de la franchise et avec beaucoup de politesse qu'il a
Ã©tÃ© depuis son enfance passionnÃ© pour les sciences occultes et qu'il s'est exercÃ© de bonne heure Ã la
divination; qu'il ignore les secrets philosophiques des hautes sciences et qu'il n'a pas les clefs de la kabbale de
Salomon, mais qu'il est sensitif au plus haut point, et que la seule prÃ©sence de ses clients l'impressionne si
vivement qu'il sent en quelque sorte leur destinÃ©e. Il me semble, disait-il, que j'entends des bruits singuliers,
des bruits de chaÃ®nes autour des prÃ©destinÃ©s du bagne, des cris et des gÃ©missements autour de ceux
qui mourront de mort violente, des odeurs surnaturelles viennent m'assaillir et me suffoquent. Un jour, en
prÃ©sence d'une femme voilÃ©e et vÃªtue de noir, je me pris Ã tressaillir, je sentais une odeur de paille et
de sang.... Madame, lui criai-je, sortez d'ici, vous Ãªtes environnÃ©e d'une atmosphÃ¨re de meurtre et de
prison. Eh bien! oui, dit alors cette femme, en dÃ©voilant son visage pÃ¢le, j'ai Ã©tÃ© accusÃ©e
d'infanticide et je sors de prison. Puisque vous avez vu le passÃ©, dites-moi aussi l'avenir.

Un de nos amis et de nos disciples en kabbale, parfaitement inconnu d'Edmond, est allÃ© un jour le consulter,
il avait payÃ© d'avance et attendait les oracles, lorsque Edmond se levant avec respect le pria de reprendre
son argent. Je n'ai rien Ã vous [519] dire, ajouta-t-il; votre destinÃ©e est fermÃ©e pour moi avec la clef de
l'occultisme; tout ce que je pourrais vous dire, vous le savez aussi bien que moi, et il le reconduisit en le
saluant beaucoup.
Edmond s'occupe aussi d'astrologie judiciaire, il dresse au plus juste prix des horoscopes et des thÃ¨mes de
nativitÃ©; il tient en un mot tout ce qui concerne son Ã©tat. C'est d'ailleurs un triste et fatiguant mÃ©tier que
le sien: avec combien de tÃªtes malades et de coeurs malsains ne doit-il pas Ãªtre continuellement en rapport!
et puis les sottes exigences des uns, les reproches injustes des autres, les confidences gÃªnantes, les demandes
de philtres et d'envoÃ»tements, les obsessions des fous, tout cela, en vÃ©ritÃ© lui fait bien gagner son
argent.
Edmond n'est Ã tout prendre qu'un somnambule comme Alexis, il se magnÃ©tise lui-mÃªme avec ses
cartons bariolÃ©s de figures diaboliques, il s'habille de noir et donne ses consultations dans un cabinet noir:
c'est le prophÃ¨te du mystÃ¨re.
CHAPITRE V.
SOUVENIRS INTIMES DE L'AUTEUR.

SOMMAIRE.--Influence des IlluminÃ©s et des maniaques sur les Ã©vÃ©nements historiques.--Le
mapah.--Sobrier et la rÃ©volution de fÃ©vrier 1848.--Puissance magnÃ©tique de certains hommes.--Une
somnambule statique.
En 1839, l'auteur de ce livre reÃ§ut un matin la visite d'Alphonse Esquiros.
[520] --Venez-vous avec moi, voir le mapah, lui dit ce dernier.
--Qu'est-ce que c'est que le mapah?
--C'est un dieu.
--Merci, alors je n'aime que les dieux invisibles.
--Venez-donc, c'est le fou le plus Ã©loquent, le plus radieux et le plus superbe qu'on ait jamais vu.
--Mon ami, j'ai peur des fous, la folie est contagieuse.
--Eh mon cher, je viens bien vous voir, moi!
--C'est vrai: et puisque vous y tenez, eh bien, allons voir le mapah.
Dans un affreux galetas, Ã©tait un homme barbu, d'une figure majestueuse et prophÃ©tique, il portait
habituellement sur ses habits une vieille pelisse de femme, ce qui lui donnait assez l'air d'un pauvre derviche,
il Ã©tait entourÃ© de plusieurs hommes barbus et extatiques comme lui et d'une femme aux traits immobiles
CHAPITRE V. 263
qui ressemblait Ã une somnambule endormie.
Ses maniÃ¨res Ã©taient brusques mais sympathiques, son Ã©loquence entraÃ®nante, ses yeux hallucinÃ©s;
il parlait avec emphase, s'animait, s'Ã©chauffait jusqu'Ã ce qu'une Ã©cume blanchÃ¢tre vÃ®nt border ses
lÃ¨vres. Quelqu'un a dÃ©fini l'abbÃ© de Lamennais, quatre-vingt-treize faisant ses pÃ¢ques; cette
dÃ©finition conviendrait mieux au mysticisme du Mapah, on peut en juger par ce fragment Ã©chappÃ© Ã
son enthousiasme lyrique:
Â«L'humanitÃ© devait faillir: ainsi le voulait sa destinÃ©e, afin qu'elle fÃ»t elle-mÃªme l'instrument de sa
reconstitution, et que dans la grandeur et la majestÃ© du labeur humain passant par [521] toutes ses phases de
lumiÃ¨res et de tÃ©nÃ¨bres, apparussent manifestement la grandeur et la majestÃ© de Dieu.
Â«Et l'unitÃ© primitive est brisÃ©e par la chute; la douleur s'introduit dans le monde sous la forme du
serpent; et l'arbre de vie devient arbre de mort.
Â«Et les choses Ã©tant ainsi, Dieu dit Ã la femme: Tu enfanteras dans la douleur; puis il ajoute: C'est par toi
que la tÃªte du serpent sera Ã©crasÃ©e.
Â«Et la femme est la premiÃ¨re esclave; elle a compris sa mission divine, et le pÃ©nible enfantement a
commencÃ©.
Â«C'est pourquoi, depuis l'heure de la chute, la tÃ¢che de l'humanitÃ© n'a Ã©tÃ© qu'une tÃ¢che
d'initiation, tÃ¢che grande et terrible; c'est pourquoi tous les termes de cette mÃªme initiation, dont notre
mÃ¨re commune Ãve est l'alpha, et notre mÃ¨re commune LibertÃ©, l'omÃ©ga, sont Ã©galement saints et
sacrÃ©s aux yeux de Dieu.
Â«J'ai vu un immense vaisseau surmontÃ© d'un mÃ¢t gigantesque terminÃ© en ruche, et l'un des flancs du
vaisseau regardait l'Occident et l'autre l'Orient.
Â«Et, du cÃ´tÃ© de l'Occident, ce vaisseau s'appuyait sur les sommets nuageux de trois montagnes, dont la
base se perdait dans une mer furieuse;
Â«Et chacune de ces montagnes portait son nom sanglant attachÃ© Ã son flanc. La premiÃ¨re s'appelait
Golgotha; la seconde, mont Saint-Jean; la troisiÃ¨me Sainte-HÃ©lÃ¨ne.
Â«Et au centre du mÃ¢t gigantesque, du cÃ´tÃ© de l'Occident, Ã©tait fixÃ© une croix Ã cinq branches sur
laquelle expirait une femme.
[522]Â«Au-dessus de la tÃªte de cette femme, on lisait:
France:
18 juin 1815;
Vendredi-Saint.
Â«Et chacune des cinq branches de la croix, sur laquelle elle Ã©tait Ã©tendue, reprÃ©sentait une des cinq
parties du monde; sa tÃªte reposait sur l'Europe et un nuage l'entourait.
Â«Et du cÃ´tÃ© du vaisseau qui regardait l'Orient les tÃ©nÃ¨bres n'existaient pas; et la carÃ¨ne Ã©tait
arrÃªtÃ©e au seuil de la citÃ© de Dieu sur le faÃ®te d'un arc triomphal que le soleil illuminait de ses rayons.
Â«Et la mÃªme femme apparaissait de nouveau, mais transfigurÃ©e et
SOUVENIRS INTIMES DE L'AUTEUR. 264

radieuse. Elle soulevait la pierre d'un sÃ©pulcre: sur cette
pierre il Ã©tait Ã©crit:
Restauration, jours du tombeau.

29 juillet 1830;
PÃ¢ques.Â»
Le mapah Ã©tait, comme on le voit, un continuateur de Catherine ThÃ©ot et de dom Gerle, et cependant
Ã©trange sympathie des folies entre elles, il nous dÃ©clara un jour confidentiellement qu'il Ã©tait Louis
XVII, revenu sur la terre pour une oeuvre de rÃ©gÃ©nÃ©ration, et que cette femme qui vivait avec lui avait
Ã©tÃ© Marie-Antoinette de France. Il expliquait alors ses thÃ©ories rÃ©volutionnaires jusqu'Ã
l'extravagance, comme le dernier mot des prÃ©tentions violentes de CaÃ¯n, destinÃ©es Ã ramener par une
rÃ©action fatale le triomphe du juste Abel. Esquiros et moi, nous Ã©tions allÃ©s voir le mapah pour nous
amuser de sa dÃ©mence, et [523] notre imagination resta frappÃ©e de ses discours. Nous Ã©tions deux amis
de collÃ¨ge Ã la maniÃ¨re de Louis-Lambert et de Balzac, et nous avions souvent rÃªvÃ© ensemble des
dÃ©vouements impossibles et des hÃ©roÃ¯smes inconnus. AprÃ¨s avoir entendu Ganneau, ainsi se nommait
celui qui se faisait appeler le mapah, nous nous prÃ®mes Ã penser qu'il serait beau de dire au monde le
dernier mot de la rÃ©volution et de fermer l'abÃ®me de l'anarchie, en nous y jetant comme Curtius. Cet
orgueil d'Ã©coliers donna naissance Ã l'Ãvangile du peuple et Ã la Bible de la libertÃ©, folies qu'Esquiros
et son malencontreux ami n'ont que trop chÃ¨rement payÃ©es.
Tel est le danger des manies enthousiastes, elles sont contagieuses, et l'on ne se penche pas impunÃ©ment au
bord des abÃ®mes de la dÃ©mence; mais voici quelque chose de bien autrement terrible.
Parmi les disciples du mapah, se trouvait un jeune homme nerveux et dÃ©bile nommÃ© Sobrier. Celui-lÃ
perdit complÃ¨tement la tÃªte, et se crut prÃ©destinÃ© Ã sauver le monde en provoquant la crise suprÃªme
d'une rÃ©volution universelle.
Arrivent les journÃ©es de fÃ©vrier 1848. Une Ã©meute avait provoquÃ© un changement de ministÃ¨re,
tout Ã©tait fini, les Parisiens Ã©taient contents et les boulevards Ã©taient illuminÃ©s.
Un jeune homme apparaÃ®t tout Ã coup dans les rues populeuses du quartier Saint-Martin. Il se fait
prÃ©cÃ©der de deux gamins, l'un portant une torche, l'autre battant le rappel, un rassemblement nombreux
se forme, le jeune homme monte sur une borne et harangue la foule. Ce sont des choses incohÃ©rentes,
incendiaires, mais la [524] conclusion, c'est qu'il faut aller au boulevard des Capucines porter au ministÃ¨re la
volontÃ© du peuple.
Au coin de toutes les rues l'Ã©nergumÃ¨ne rÃ©pÃ¨te la mÃªme harangue, et il marche en tÃªte du
rassemblement, deux pistolets aux poings et toujours prÃ©cÃ©dÃ© de sa torche et de son tambour.
La foule des curieux qui encombrait les boulevards se joint par curiositÃ© au cortÃ¨ge du harangueur.
BientÃ´t ce n'est plus un rassemblement, c'est une masse de peuple qui roule sur le boulevard des Italiens.
Au milieu de cette trombe, le jeune homme et les deux gamins ont disparu, mais devant l'hÃ´tel des
Capucines un coup de pistolet est tirÃ© sur la troupe.
Ce coup de pistolet, c'Ã©tait la rÃ©volution, et il fut tirÃ© par un fou.
Pendant toute la nuit, deux tombereaux chargÃ©s de cadavres se promenÃ¨rent dans les rues Ã la lueur des
torches; le lendemain tout Paris Ã©tait aux barricades, et Sobrier sans connaissance Ã©tait rapportÃ© chez
SOUVENIRS INTIMES DE L'AUTEUR. 265

lui. C'Ã©tait Sobrier qui, sans savoir ce qu'il faisait, venait de donner une secousse au monde.
Ganneau et Sobrier sont morts, et l'on peut maintenant, sans danger pour eux, rÃ©vÃ©ler Ã l'histoire ce
terrible exemple du magnÃ©tisme des enthousiastes et des fatalitÃ©s que peuvent entraÃ®ner aprÃ¨s elles
les maladies nerveuses de certains hommes. Nous tenons de source certaine les choses que nous racontons et
nous pensons que cette rÃ©vÃ©lation peut apporter un soulagement Ã la conscience du BÃ©lisaire de la
poÃ©sie, l'auteur de l'Histoire des Girondins.
[525] Les phÃ©nomÃ¨nes magnÃ©tiques produits par Ganneau durÃ¨rent mÃªme aprÃ¨s sa mort. Sa veuve,
femme sans instruction et d'une intelligence assez nÃ©gative, fille d'un honnÃªte Auvergnat, est restÃ©e
dans le somnambulisme statique oÃ¹ son mari l'avait plongÃ©e. Semblable Ã ces enfants qui subissent la
forme des imaginations de leurs mÃ¨res, elle est devenue une image vivante de Marie-Antoinette prisonniÃ¨re
Ã la Conciergerie. Ses maniÃ¨res sont celles d'une reine Ã jamais veuve et dÃ©solÃ©e, parfois seulement
elle laisse Ã©chapper quelques plaintes qui sont de s'Ã©crier que son rÃªve la fatigue, mais elle s'indigne
souverainement contre ceux qui cherchent Ã la rÃ©veiller; elle ne donne d'ailleurs aucun signe
d'aliÃ©nation mentale; sa conduite extÃ©rieure est raisonnable, sa vie parfaitement honorable et
rÃ©guliÃ¨re. Rien n'est plus touchant, selon nous, que cette obsession persÃ©vÃ©rante d'un Ãªtre follement
aimÃ© qui se survit dans une hallucination conjugale. Si ArtÃ©mise a existÃ©, il est permis de croire que
Mausole Ã©tait aussi un puissant magnÃ©tiseur, et qu'il avait entraÃ®nÃ© et fixÃ© Ã jamais les affections
d'une femme toute sensitive en dehors des limites du libre arbitre et de la raison.
CHAPITRE VI.
DES SCIENCES OCCULTES.

SOMMAIRE.--Coup d'oeil synthÃ©tique sur les sciences occultes.--La recherche de l'absolu.
Le secret des sciences occultes c'est celui de la nature elle-mÃªme, c'est le secret de la gÃ©nÃ©ration des
anges et des mondes, c'est celui de la toute-puissance de Dieu!
[526]Vous serez comme les Ãlohims, connaissant le bien et le mal, avait dit le serpent de la GenÃ¨se, et
l'arbre de la science est devenu l'arbre de la mort.
Depuis six mille ans, les martyrs de la science travaillent et meurent au pied de cet arbre pour qu'il redevienne
l'arbre de vie.
L'absolu cherchÃ© par les insensÃ©s et trouvÃ© par les sages, c'est la vÃ©ritÃ©, la rÃ©alitÃ© et la raison
de l'Ã©quilibre universel!
L'Ã©quilibre, c'est l'harmonie qui rÃ©sulte de l'analogie des contraires.
Jusqu'Ã prÃ©sent l'humanitÃ© a essayÃ© de se tenir sur un seul pied, tantÃ´t sur l'un, tantÃ´t sur l'autre.
Les civilisations se sont Ã©levÃ©es et ont pÃ©ri, soit par la dÃ©mence anarchique du despotisme, soit par
l'anarchie despotique de la rÃ©volte.
CHAPITRE VI. 266

TantÃ´t les enthousiasmes superstitieux, tantÃ´t les misÃ©rables calculs de l'instinct matÃ©rialiste ont
Ã©garÃ© les nations, et Dieu pousse le monde enfin vers la raison croyante et les croyances raisonnables.
Nous avons eu assez de prophÃ¨tes sans philosophie et de philosophes sans religion, les croyants aveugles et
les sceptiques se ressemblent et ils sont aussi loin les uns que les autres du salut Ã©ternel.
Dans le chaos du doute universel et des conflits de la science et de la foi, les grands hommes et les voyants
n'ont Ã©tÃ© que des artistes malades qui cherchaient la beautÃ© idÃ©ale aux risques et pÃ©rils de leur
raison et de leur vie.
Aussi voyez-les tous encore, ces sublimes enfants, ils sont [527] fantasques et nerveux comme des femmes,
un rien les blesse, la raison les offense, ils sont injustes les uns envers les autres, et eux qui ne vivent que pour
Ãªtre couronnÃ©s, ils sont les premiers Ã faire dans leurs fantasques humeurs ce que Pythagore dÃ©fend
d'une maniÃ¨re si touchante dans ses symboles admirables, ils dÃ©chirent et foulent aux pieds les couronnes!
Ce sont les aliÃ©nÃ©s de la gloire, mais Dieu, pour les empÃªcher de devenir dangereux, les contient avec
les chaÃ®nes de l'opinion.
Le tribunal de la mÃ©diocritÃ© juge le gÃ©nie sans appel, parce que le gÃ©nie Ã©tant la lumiÃ¨re du
monde, est regardÃ© comme nul et comme mort, dÃ¨s qu'il n'Ã©claire pas.
L'enthousiasme du poÃ«te est contrÃ´lÃ© par le sang-froid de la prosaÃ¯que multitude. L'enthousiaste que le
bon sens public n'accepte pas, n'est point un gÃ©nie, c'est un fou.
Ne dites pas que les grands artistes sont les esclaves de la foule ignorante, car c'est d'elle que leur talent
reÃ§oit l'Ã©quilibre de la raison.
La lumiÃ¨re, c'est l'Ã©quilibre de l'ombre et de la clartÃ©.
Le mouvement, c'est l'Ã©quilibre de l'inertie et de l'activitÃ©.
L'autoritÃ©, c'est l'Ã©quilibre de la libertÃ© et du pouvoir.
La sagesse, c'est l'Ã©quilibre dans les pensÃ©es.
La vertu, c'est l'Ã©quilibre dans les affections; la beautÃ©, c'est l'Ã©quilibre dans les formes.
Les belles lignes sont les lignes justes, et les magnificences de la nature sont un algÃ¨bre de grÃ¢ces et de
splendeurs.
[528]Tout ce qui est juste est beau: tout ce qui est beau doit Ãªtre juste.
Le ciel et l'enfer sont l'Ã©quilibre de la vie morale; le bien et le mal sont l'Ã©quilibre de la libertÃ©.
Le grand oeuvre, c'est la conquÃªte du point central oÃ¹ rÃ©side la force Ã©quilibrante. Partout ailleurs, les
rÃ©actions de la force Ã©quilibrÃ©e conservent la vie universelle par le mouvement perpÃ©tuel de la
naissance et de la mort.
C'est pour cela que les philosophes hermÃ©tiques comparent leur or au soleil.
C'est pour cela que cet or guÃ©rit toutes les maladies de l'Ã¢me et donne l'immortalitÃ©. Les hommes
arrivÃ©s Ã ce point central sont les vÃ©ritables adeptes, ce sont les thaumaturges de la science et de la
DES SCIENCES OCCULTES. 267

raison.
Ils sont maÃ®tres de toutes les richesses du monde et des mondes, ils sont les confidents et les amis des
princes du ciel, la nature leur obÃ©it parce qu'ils veulent ce que veut la loi qui fait marcher la nature.
VoilÃ ce que le Sauveur du monde appelle le royaume de Dieu! c'est le sanctum regnum de la sainte kabbale.
C'est la couronne et l'anneau de Salomon, c'est le sceptre de Joseph devant lequel s'inclinent les Ã©toiles du
ciel et les moissons de la terre.
Cette toute-puissance nous l'avons retrouvÃ©e, et nous ne la vendons pas, mais si Dieu nous avait chargÃ©
de la vendre, nous ne trouverions pas que ce soit assez de toute la fortune des acheteurs; nous leur
demanderions encore, non pas pour nous, mais pour elle toute leur Ã¢me et toute leur vie!
[529]
CHAPITRE VII.
RÃSUMÃ ET CONCLUSION.
SOMMAIRE.--L'Ã©nigme du Sphinx.--Les questions paradoxales.--PortÃ©e des dÃ©couvertes de la
science magique dans l'ordre religieux, dans l'ordre moral et dans l'ordre politique.--Objet et but de cet
ouvrage.
Il nous reste maintenant Ã rÃ©sumer et Ã conclure.
RÃ©sumer l'histoire d'une science, c'est rÃ©sumer la science. Aussi allons-nous rÃ©capituler les grands
principes de l'initiation conservÃ©s et transmis Ã travers tous les Ã¢ges.
La science magique est la science absolue de l'Ã©quilibre.
Cette science est essentiellement religieuse, elle a prÃ©sidÃ© Ã la formation des dogmes de l'ancien monde,
et a Ã©tÃ© ainsi la mÃ¨re nourrice de toutes les civilisations.
MÃ¨re pudique et mystÃ©rieuse, qui, en allaitant de poÃ©sie et d'inspiration les gÃ©nÃ©rations naissantes,
couvrait son visage et son sein!
Avant tout principe, elle nous dit de croire en Dieu, et de l'adorer sans chercher Ã le dÃ©finir, parce que
souvent pour notre intelligence imparfaite, un Dieu dÃ©fini est en quelque sorte un Dieu fini! Mais aprÃ¨s
Dieu, elle nous montre comme souverains principes des choses, les mathÃ©matiques Ã©ternelles et les
forces Ã©quilibrÃ©es.
Il est Ã©crit dans la Bible que Dieu a tout disposÃ© par le poids, le nombre et la mesure, voici le texte:
Omnia in pondere et numero et mensurÃ¢ disposuit Deus.
CHAPITRE VII. 268

[530]Ainsi le poids, c'est-Ã -dire l'Ã©quilibre, le nombre ou la quantitÃ© et la mesure, c'est-Ã -dire la
proportion, telles sont les bases Ã©ternelles ou divines de la science de la nature.
La formule de l'Ã©quilibre est celle-ci:
Â«L'harmonie rÃ©sulte de l'analogie des contraires.Â»
Le nombre est l'Ã©chelle des analogies dont la proportion est la mesure.
Toute la philosophie occulte du Sohar pourrait s'appeler la science de l'Ã©quilibre.
La clef des nombres se trouve dans le Sepher JÃ©zirah. La gÃ©nÃ©ration des nombres est analogue Ã la
filiation des idÃ©es et Ã la production des formes.
En sorte que, dans leur alphabet sacrÃ©, les sages hiÃ©rophantes de la kabbale ont rÃ©uni les signes
hiÃ©roglyphiques des nombres, des idÃ©es et des formes.
Les combinaisons de cet alphabet donnent des Ã©quations d'idÃ©es, et mesurent, en les indiquant, toutes les
combinaisons possibles dans les formes naturelles.
Dieu, dit la GenÃ¨se, a fait l'homme Ã son image: or, l'homme Ã©tant le rÃ©sumÃ© vivant de la
crÃ©ation, il s'ensuit que la crÃ©ation aussi est faite Ã l'image de Dieu.
Il y a dans l'univers trois choses: l'esprit, le mÃ©diateur plastique et la matiÃ¨re.
Les anciens donnaient Ã l'esprit pour instrument immÃ©diat, le fluide ignÃ© auquel ils prÃªtaient le nom
gÃ©nÃ©rique de soufre; au mÃ©diateur plastique, le nom de Mercure Ã cause du symbolisme
reprÃ©sentÃ© par le caducÃ©e, et Ã la matiÃ¨re le nom de sel, Ã cause du sel fixe qui reste aprÃ¨s la
combustion et qui rÃ©siste Ã l'action du feu.
[531]Ils comparaient le soufre au pÃ¨re, Ã cause de l'activitÃ© gÃ©nÃ©ratrice du feu; le mercure Ã la

mÃ¨re, pour sa puissance d'attraction et de reproduction; et le sel Ã©tait pour eux l'enfant ou la substance
soumise Ã l'Ã©ducation de la nature.
La substance crÃ©Ã©e pour eux Ã©tait une, et ils la nommaient lumiÃ¨re.
LumiÃ¨re positive ou ignÃ©e, le soufre volatil; lumiÃ¨re nÃ©gative ou rendue visible par les vibrations du
feu, le mercure fluide Ã©thÃ©rÃ©; et lumiÃ¨re neutralisÃ©e ou ombre, le mixte coagulÃ© ou fixÃ© sous
la forme de terre ou de sel.
C'est pourquoi HermÃ¨s trismÃ©giste s'exprime ainsi dans son symbole connu sous le nom de Table
d'Ã©meraude:
Â«Ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, et ce qui est en bas est comme ce qui est en haut pour
former les merveilles de la chose unique.Â»
C'est-Ã -dire que le mouvement universel est produit par les analogies du fixe et du volatil, le volatil tendant
Ã se fixer, et le fixe Ã se volatiliser, ce qui produit un Ã©change continuel entre les formes de la substance
unique et, par cet Ã©change, les combinaisons sans cesse renouvelÃ©es des formes universelles.
RÃSUMÃ ET CONCLUSION. 269

Le feu c'est Osiris ou le soleil, la lumiÃ¨re c'est Isis ou la lune, ils sont le pÃ¨re et la mÃ¨re du grand
TÃ©lesma, c'est-Ã -dire de la substance universelle, non qu'ils en soient les crÃ©ateurs, mais ils en
reprÃ©sentent les deux forces gÃ©nÃ©ratrices, et leur effort combinÃ© produit le fixe ou la terre, ce qui
fait dire Ã HermÃ¨s que leur force est parvenue Ã toute sa manifestation quand la terre en a Ã©tÃ©
formÃ©e.
[532]Osiris n'est donc pas Dieu, mÃªme pour les grands hiÃ©rophantes du sanctuaire Ã©gyptien. Osiris n'est
que l'ombre lumineuse ou ignÃ©e du principe intellectuel de la vie, et c'est pour cela qu'au moment des
derniÃ¨res initiations on jetait en courant dans l'oreille de l'adepte cette rÃ©vÃ©lation redoutable: Osiris est
un dieu noir.
Malheur, en effet, au rÃ©cipiendaire dont l'intelligence ne se serait pas Ã©levÃ©e par la foi au-dessus des
symboles purement physiques de la rÃ©vÃ©lation Ã©gyptienne! Cette parole devenait pour lui une formule
d'athÃ©isme et son esprit Ã©tait frappÃ© d'aveuglement. Elle Ã©tait au contraire pour le croyant d'un
gÃ©nie plus Ã©levÃ©, le gage des plus sublimes espÃ©rances. Enfant, semblait lui dire l'initiateur, tu
prends une lampe pour le soleil, mais ta lampe n'est qu'une Ã©toile de la nuit; il existe un vÃ©ritable soleil;
sors de la nuit et cherche le jour!
Ce que les anciens appelaient les quatre Ã©lÃ©ments n'Ã©taient pas pour eux des corps simples, mais bien
les quatre formes Ã©lÃ©mentaires de la substance unique. Ces quatre formes Ã©taient figurÃ©es sur le
sphinx: l'air par les ailes, l'eau par le sein de femme, la terre par le corps de taureau, le feu par les griffes du
lion.
La substance une, trois fois triple en mode d'essence, et quadruple en forme d'existence, tel est le secret des
trois pyramides triangulaires d'Ã©lÃ©vation, carrÃ©es par la base et gardÃ©es par le sphinx. L'Ãgypte, en
Ã©levant ces monuments, avait voulu poser les colonnes d'Hercule de la science universelle.
Aussi les sables ont montÃ©, les siÃ¨cles ont passÃ© et les pyramides toujours grandes proposent aux
nations leur Ã©nigme dont [533] le mot a Ã©tÃ© perdu. Quant au sphinx, il semble avoir sombrÃ© dans la
poussiÃ¨re des Ã¢ges. Les grands empires de Daniel ont rÃ©gnÃ© tour Ã tour sur la terre, et se sont
enfoncÃ©s de tout leur poids dans le tombeau. ConquÃªtes de la guerre, fondations du travail, oeuvres des
passions humaines, tout s'est englouti avec le corps symbolique du sphinx; maintenant la tÃªte humaine se
dresse seule au-dessus des sables du dÃ©sert, comme si elle attendait l'empire universel de la pensÃ©e.
Devine ou meurs! tel Ã©tait le terrible dilemme posÃ© par le sphinx aux aspirants Ã la royautÃ© de
ThÃ¨bes. C'est qu'en effet les secrets de la science sont ceux de la vie; il s'agit de rÃ©gner ou de servir,
d'Ãªtre ou de ne pas Ãªtre. Les forces naturelles nous briseront, si elles ne nous servent Ã conquÃ©rir le
monde. Roi ou victime, il n'y a pas de milieu entre cet abÃ®me et cette sommitÃ©, Ã moins qu'on ne se
laisse tomber dans la masse de ceux qui ne sont rien, parce qu'ils ne se demandent jamais pourquoi ils vivent
ni ce qu'ils sont.
Les formes du sphinx reprÃ©sentent aussi par analogie hiÃ©roglyphique les quatre propriÃ©tÃ©s de l'agent
magique universel, c'est-Ã -dire de la lumiÃ¨re astrale: dissoudre, coaguler, rÃ©chauffer, refroidir. Ces quatre
propriÃ©tÃ©s dirigÃ©es par la volontÃ© de l'homme, peuvent modifier toutes les formes de la nature, et
produire, suivant l'impulsion donnÃ©e, la vie ou la mort, la santÃ© ou la maladie, l'amour ou la haine, la
richesse mÃªme ou la pauvretÃ©. Elles peuvent mettre au service de l'imagination tous les reflets de la
lumiÃ¨re; elles sont la solution paradoxale des questions les plus tÃ©mÃ©raires qu'on puisse poser Ã la
haute magie.
[534]Les questions paradoxales de la curiositÃ© humaine, les voici; nous allons les poser et y rÃ©pondre:

1. Peut-on Ã©chapper Ã la mort?
2. La pierre philosophale existe-t-elle, et comment faire pour la trouver?
3. Peut-on se faire servir par les esprits?
4. Qu'est-ce que la clavicule, l'anneau et le sceau de Salomon?
5. Peut-on prÃ©voir l'avenir par des calculs certains?
6. Peut-on faire Ã son grÃ© du bien ou du mal par influence magique?
7. Que faut-il pour Ãªtre un vrai magicien?
8. En quoi consistent prÃ©cisÃ©ment les forces de la magie noire?
Nous appelons paradoxales ces questions qui sont en dehors de toute science, et qui semblent Ãªtre d'avance
rÃ©solues nÃ©gativement par la foi.
Ces questions sont tÃ©mÃ©raires si elles sont faites par un profane, et leur solution complÃ¨te donnÃ©e par
un adepte ressemblerait Ã un sacrilÃ¨ge.
Dieu et la nature ont fermÃ© le sanctuaire intime de la haute science, en sorte qu'au delÃ de certaine limite
celui qui sait, parlerait inutilement, il ne se ferait plus comprendre; la rÃ©vÃ©lation du grand arcane
magique est donc heureusement impossible.
Les solutions que nous allons donner seront donc la derniÃ¨re expression du verbe magique; nous les rendrons
aussi claires qu'elles peuvent Ãªtre, mais nous ne nous chargeons pas de les faire comprendre Ã tous nos
lecteurs.
[535]QUESTIONS 1 et 2.
1. Peut-on Ã©chapper Ã la mort?
2. La pierre philosophale existe-t-elle, et comment faire pour la trouver?
RÃPONSES.
On peut Ã©chapper Ã la mort de deux maniÃ¨res, dans le temps et dans l'Ã©ternitÃ©.
Dans le temps, en guÃ©rissant toutes les maladies et en Ã©vitant les infirmitÃ©s de la vieillesse;
Et dans l'Ã©ternitÃ©, en perpÃ©tuant par le souvenir l'identitÃ© personnelle dans les transformations de
l'existence.
Posons d'abord en principes:
1Â° Que la vie rÃ©sultant du mouvement ne peut se conserver que par la succession et le perfectionnement
des formes;
2Â° Que la science du mouvement perpÃ©tuel est la science de la vie;

3Â° Que cette science a pour objet la juste pondÃ©ration des influences Ã©quilibrÃ©es;
4Â° Que tout renouvellement s'opÃ¨re par la destruction, et qu'ainsi toute gÃ©nÃ©ration est une mort, et
toute mort une gÃ©nÃ©ration.
Maintenant Ã©tablissons avec les anciens sages que le principe universel de la vie est un mouvement
substantiel ou une substance Ã©ternellement et essentiellement mue et motrice, invisible et impalpable, Ã
l'Ã©tat volatil, et qui se manifeste matÃ©riellement en se fixant par les phÃ©nomÃ¨nes de la polarisation.
[536]Cette substance est indÃ©fectible, incorruptible, et par consÃ©quent immortelle.
Mais ses manifestations par la forme sont Ã©ternellement changÃ©es par la perpÃ©tuitÃ© du mouvement.
Ainsi tout meurt parce que tout vit, et si l'on pouvait Ã©terniser une forme, on arrÃªterait le mouvement et
l'on aurait crÃ©Ã© la seule vÃ©ritable mort.
Emprisonner Ã jamais une Ã¢me dans un corps humain momifiÃ©, telle serait la solution horrible du
paradoxe magique de l'immortalitÃ© prÃ©tendue dans le mÃªme corps et sur la mÃªme terre.
Tout se rÃ©gÃ©nÃ¨re par le dissolvant universel qui est la substance premiÃ¨re.
Ce dissolvant concentre sa force dans la quintessence, c'est-Ã -dire au centre Ã©quilibrant d'une double
polaritÃ©.
Les quatre Ã©lÃ©ments des anciens sont les quatre forces polaires de l'aimant universel reprÃ©sentÃ© par
une croix.
Cette croix qui tourne indÃ©finiment autour de son centre, en posant ainsi l'Ã©nigme de la quadrature du
cercle.
Le Verbe crÃ©ateur se fait entendre du milieu de la croix et il crie: Tout est consommÃ©.
C'est dans la juste proportion des quatre formes Ã©lÃ©mentaires qu'il faut chercher la mÃ©decine
universelle des corps, comme la mÃ©decine de l'Ã¢me nous est prÃ©sentÃ©e par la religion en celui qui
s'offre Ã©ternellement sur la croix pour le salut du monde.
L'aimentation et la polarisation des corps cÃ©lestes rÃ©sultent de [537] leur gravitation Ã©quilibrÃ©e
autour des soleils, qui sont les rÃ©servoirs communs de leur Ã©lectro-magnÃ©tisme.
La vibration de la quintessence autour des rÃ©servoirs communs se manifeste par la lumiÃ¨re, et la lumiÃ¨re
rÃ©vÃ¨le sa polarision par les couleurs.
Le blanc est la couleur de la quintessence. Vers son pÃ´le nÃ©gatif, cette couleur se condense en bleu et se
fixe en noir; mais vers son pÃ´le positif, elle se condense en jaune et se fixe en rouge.
La vie rayonnante va donc toujours du noir au rouge, en passant par le blanc; et la vie absorbÃ©e redescend
du rouge au noir, en traversant le mÃªme milieu.
Les quatre nuances intermÃ©diaires ou mixtes produisent avec les trois couleurs de la syllepse de l'analyse et
de la synthÃ¨se lumineuse, ce qu'on appelle les sept couleurs du prisme ou du spectre solaire.

Ces sept couleurs forment sept atmosphÃ¨res ou sept zones lumineuses autour de chaque soleil, et la planÃ¨te
dominante dans chaque zone se trouve aimentÃ©e d'une maniÃ¨re analogue Ã la couleur de son
atmosphÃ¨re.
Les mÃ©taux dans les entrailles de la terre se forment comme les planÃ¨tes dans le ciel, par les
spÃ©cialitÃ©s d'une lumiÃ¨re latente qui se dÃ©compose en traversant divers milieux.
S'emparer du sujet dans lequel la lumiÃ¨re mÃ©tallique est latente, avant qu'elle se soit spÃ©cialisÃ©e, et la
pousser Ã l'extrÃªme pÃ´le positif, c'est-Ã -dire au rouge vif, par un feu empruntÃ© Ã la lumiÃ¨re mÃªme,
tel est tout le secret du grand oeuvre.
On comprend que cette lumiÃ¨re positive Ã son extrÃªme degrÃ© de [538] condensation est la vie mÃªme
devenue fixe, et peut servir de dissolvant universel et de mÃ©decine Ã tous les rÃ¨gnes de la nature.
Mais pour arracher Ã la marcassite, au stibium, Ã l'arsenic des philosophes son sperme mÃ©tallique vivant
et androgyne, il faut un premier dissolvant qui est un menstrue minÃ©ral salin, il faut de plus le concours du
magnÃ©tisme et de l'Ã©lectricitÃ©.
Le reste se fait de soi-mÃªme, dans un seul vase, dans un seul athanor, et par le feu graduÃ© d'une seule
lampe; c'est, disent les adeptes, un travail de femmes et d'enfants.
Ce que les chimistes et les physiciens modernes appellent chaleur, lumiÃ¨re, Ã©lectricitÃ©, magnÃ©tisme,
n'Ã©tait pour les anciens que les manifestations phÃ©nomÃ©nales Ã©lÃ©mentaires de la substance unique
appelÃ©e aour, od, tik et ob, par les HÃ©breux. Od est le nom de l'actif, ob le nom du passif, et aour, dont
les philosophes hermÃ©tiques ont fait leur or, est le nom du mixte androgyne et Ã©quilibrÃ©.
L'or vulgaire c'est l'aour mÃ©tallisÃ©, l'or philosophique c'est l'aour Ã l'Ã©tat de pierrerie soluble.
En thÃ©orie, suivant la science transcendantale des anciens, la pierre philosophale qui guÃ©rit toutes les
maladies et opÃ¨re la transmutation des mÃ©taux, existe donc incontestablement. Existe-t-elle et peut-elle
exister en fait? Si nous l'affirmions, on ne nous croirait pas, donnons donc cette affirmation comme une
solution paradoxale aux paradoxes exprimÃ©s par les deux premiÃ¨res questions et passons au second
chapitre.
Remarque.--Nous ne rÃ©pondons pas Ã la question subsidiaire: [539] Comment faire pour la trouver, parce
que M. de La Palisse lui-mÃªme rÃ©pondrait Ã notre place que pour trouver il est indispensable de chercher,
Ã moins qu'on ne trouve par hasard. Nous en avons dit assez pour diriger et faciliter les recherches.
QUESTIONS 3. ET 4.
3.--Peut-on se faire servir par les esprits?
4.--Qu'est-ce que la clavicule, le sceau et l'anneau de Salomon.
RÃPONSES.
Lorsque le Sauveur du monde eut triomphÃ©, dans sa tentation du dÃ©sert, des trois convoitises qui
asservissent l'Ã¢me humaine:
La convoitise des appÃ©tits, la convoitise des ambitions et celle des cupiditÃ©s.

Il est Ã©crit que les anges s'approchÃ¨rent de lui et le servirent.
Car les esprits sont au service de l'esprit souverain, et l'esprit souverain est celui qui enchaÃ®ne les
turbulences dÃ©rÃ©glÃ©es et les entraÃ®nements injustes de la chair.
Remarquons bien toutefois qu'il est contre l'ordre de la Providence d'intervertir la sÃ©rie naturelle des
communications entre les Ãªtres.
Nous ne voyons pas que le Sauveur et les apÃ´tres aient Ã©voquÃ© les Ã¢mes des morts.
L'immortalitÃ© de l'Ã¢me Ã©tant un des dogmes les plus consolants de la religion, doit-Ãªtre rÃ©servÃ©e
aux aspirations de la foi, et ne sera par consÃ©quent jamais prouvÃ©e par des faits accessibles Ã la critique
de la science.
Aussi l'Ã©branlement ou la perte de la raison est-elle et [540] sera-t-elle toujours le chÃ¢timent de ceux qui
auront la tÃ©mÃ©ritÃ© de regarder, dans l'autre vie, avec les yeux de celle-ci.
Aussi les traditions magiques font-elles toujours apparaÃ®tre les morts Ã©voquÃ©s, avec des visages tristes
et colÃ¨res.
Ils se plaignent d'avoir Ã©tÃ© troublÃ©s dans leur repos et ne profÃ¨rent que des reproches et des menaces.
Les clefs ou clavicules de Salomon sont des forces religieuses et rationnelles exprimÃ©es par des signes, et
qui servent moins Ã Ã©voquer les esprits qu'Ã se prÃ©server soi-mÃªme de toute aberration dans les
expÃ©riences relatives aux sciences occultes.
Le sceau rÃ©sume les clefs, l'anneau en indique l'usage.
L'anneau de Salomon est Ã la fois circulaire et carrÃ©, et il figure ainsi le mystÃ¨re de la quadrature du
cercle.
Il se compose de sept carrÃ©s disposÃ©s de maniÃ¨re Ã former un cercle. On y adapte deux chatons, l'un
circulaire, l'autre carrÃ©, l'un en or, l'autre en argent.
La bague doit Ãªtre faite de filigrane des sept mÃ©taux.
Dans le chaton d'argent on enchÃ¢sse une pierre blanche, et dans le chaton d'or une pierre rouge avec ces
signatures:
Sur la pierre blanche, le signe du macrocosme;
Sur la pierre rouge, le signe du microcosme.
Lorsqu'on met l'anneau Ã son doigt, une des pierres doit Ãªtre au dedans de la main, l'autre au dehors, suivant
qu'on veut commander aux esprits de lumiÃ¨re ou aux puissances des tÃ©nÃ¨bres.
Expliquons en quelques paroles la toute-puissance de cet anneau.
[541] La volontÃ© est toute-puissante, lorsqu'elle s'arme des forces vives de la nature.

La pensÃ©e est oisive et morte tant qu'elle ne se manifeste pas par le verbe ou par le signe, elle ne peut donc
alors ni exciter, ni diriger la volontÃ©.
Le signe Ã©tant la forme nÃ©cessaire de la pensÃ©e est l'instrument indispensable de la volontÃ©.
Plus le signe est parfait, plus la pensÃ©e est fortement formulÃ©e, et plus par consÃ©quent la volontÃ© est
dirigÃ©e avec puissance.
La foi aveugle transporte les montagnes, que sera-ce donc de la foi Ã©clairÃ©e par une science complÃ¨te et
immuable?
Si notre Ã¢me pouvait concentrer toute son intelligence et toute son Ã©nergie dans l'Ã©mission d'une seule
parole, cette parole pour elle ne serait-elle pas toute-puissante?
L'anneau de Salomon avec son double sceau, c'est toute la science et toute la foi des mages rÃ©sumÃ©es en
un signe.
C'est le symbole de toutes les forces du ciel et de la terre et des lois saintes qui les rÃ©gissent, soit dans le
macrocosme cÃ©leste, soit dans le microcosme humain.
C'est le talisman des talismans et le pantacle des pantacles.
L'anneau de Salomon est tout-puissant, si c'est un signe vivant, mais il est inefficace, si c'est un signe mort; la
vie des signes c'est l'intelligence et la foi, intelligence de la nature, foi en son moteur Ã©ternel.
[542]L'Ã©tude approfondie des mystÃ¨res de la nature peut Ã©loigner de Dieu l'observateur inattentif chez
qui la fatigue de l'esprit paralyse les Ã©lans du coeur.
C'est en cela que les sciences occultes peuvent Ãªtre dangereuses et mÃªme fatales Ã certaines Ã¢mes.
L'exactitude mathÃ©matique, la rigueur absolue des lois de la nature, l'ensemble et la simplicitÃ© de ces
lois, donnent Ã plusieurs l'idÃ©e d'un mÃ©canisme nÃ©cessaire, Ã©ternel, inexorable, et la Providence
disparaÃ®t pour eux derriÃ¨re les rouages de fer d'une horloge au mouvement perpÃ©tuel.
Ils ne rÃ©flÃ©chissent pas au fait redoutable de la libertÃ© et de l'autocratie des crÃ©atures intelligentes.
Un homme dispose Ã son grÃ© de l'existence d'Ãªtres organisÃ©s comme lui; il peut atteindre les oiseaux
dans l'air, les poissons dans l'eau, les bÃªtes sauvages dans les forÃªts; il peut couper ou incendier les forÃªts
elles-mÃªmes, miner et faire sauter les rochers et les montagnes, changer autour de lui toutes les formes, et
malgrÃ© les analogies ascendantes de la nature, il ne croirait pas Ã l'existence d'Ãªtres intelligents comme
lui qui pourraient Ã leur grÃ© dÃ©placer, briser et incendier les mondes, souffler sur les soleils pour les
Ã©teindre, ou les broyer pour en faire des Ã©toiles... des Ãªtres si grands qu'ils Ã©chappent Ã sa vue,
comme nous Ã©chappons sans doute Ã celle de la mite ou du ciron.... Et si de pareils Ãªtres existent sans
que l'univers soit mille fois bouleversÃ©, ne faut-il pas admettre qu'ils obÃ©issent tous Ã une volontÃ©
suprÃªme, Ã une force puissante et sage, qui leur dÃ©fend de dÃ©placer les mondes, comme elle nous
dÃ©fend de dÃ©truire le nid de l'hirondelle et la crysalide du papillon? Pour [543] le mage qui sent cette
force au fond mÃªme de sa conscience, et qui ne voit plus dans les lois de l'univers que les instruments de la
justice Ã©ternelle, le sceau de Salomon, ses clavicules et son anneau sont les insignes de la suprÃªme
royautÃ©.
QUESTIONS 5 ET 6.

5. Peut-on prÃ©voir l'avenir par des calculs certains?
6. Peut-on faire du bien ou du mal par influence magique?
RÃPONSES.
Deux joueurs d'Ã©chec d'Ã©gale force, sont assis Ã une table, ils commencent la partie, lequel des deux
gagnera?
--Celui qui sera le plus attentif Ã son jeu.
Si je connais les prÃ©occupations de l'un et de l'autre, je puis prÃ©dire certainement le rÃ©sultat de leur
partie.
Au jeu d'Ã©checs, prÃ©voir c'est gagner, il en est de mÃªme au jeu de la vie.
Rien dans la vie n'arrive par hasard, le hasard, c'est l'imprÃ©vu; mais l'imprÃ©vu de l'ignorant avait Ã©tÃ©
prÃ©vu par le sage.
Tout Ã©vÃ©nement, comme toute forme, rÃ©sulte d'un conflit ou d'un Ã©quilibre de forces, et ces forces
peuvent Ãªtre reprÃ©sentÃ©es par des nombres.
L'avenir peut donc Ãªtre d'avance dÃ©terminÃ© par le calcul.
Toute action violente est balancÃ©e par une rÃ©action Ã©gale, le rire pronostique les larmes, et c'est pour
cela que le Sauveur disait: Heureux ceux qui pleurent!
[544]C'est pour cela aussi qu'il disait: Celui qui s'Ã©lÃ¨ve, sera abaissÃ©, et celui qui s'abaisse sera
Ã©levÃ©.
Aujourd'hui Nabuchodonosor se fait Dieu, demain il sera changÃ© en bÃªte.
Aujourd'hui Alexandre fait son entrÃ©e dans Babylone, et se fait offrir de l'encens sur tous les autels, demain
il mourra brutalement ivre.
L'avenir est dans le passÃ©; le passÃ© est dans l'avenir.
Quand le gÃ©nie prÃ©voit, il se souvient.
Les effets s'enchaÃ®nent si nÃ©cessairement et si exactement aux causes et deviennent ensuite eux-mÃªmes
des causes d'effets nouveaux si conformes aux premiers dans leur maniÃ¨re de se produire, qu'un seul fait
peut rÃ©vÃ©ler au voyant toute une gÃ©nÃ©alogie de mystÃ¨res.
Quand le Christ est venu, il est certain que l'AntÃ©christ viendra: mais la venue de l'AntÃ©christ
prÃ©cÃ©dera le triomphe du Saint-Esprit.
Le siÃ¨cle d'argent oÃ¹ nous vivons est le prÃ©curseur des plus abondantes charitÃ©s et des bonnes oeuvres
les plus grandes qu'on ait encore vues dans le monde.
Mais il faut savoir que la volontÃ© de l'homme modifie les causes fatales, et qu'une seule impulsion
donnÃ©e par un homme peut changer l'Ã©quilibre de tout un monde.

Si telle est la puissance de l'homme dans le monde qui est son domaine, que doivent donc Ãªtre les gÃ©nies
des soleils!
Le moindre des Ã©grÃ©gores pourrait d'un souffle, en dilatant subitement le calorique latent de notre terre,
la faire Ã©clater et disparaÃ®tre comme un petit nuage de cendre.
[545]L'homme aussi peut d'un souffle faire Ã©vanouir toute la fÃ©licitÃ© d'un de ses semblables.
Les hommes sont aimantÃ©s comme les mondes, ils rayonnent leur lumiÃ¨re spÃ©ciale comme les soleils.
Les uns sont plus absorbants, les autres irradient plus volontiers.
Personne n'est isolÃ© dans le monde, tout homme est une fatalitÃ© ou une providence.
Auguste et Cinna se rencontrent: tous deux sont orgueilleux et implacables, voilÃ la fatalitÃ©.
Cinna veut fatalement et librement tuer Auguste, Auguste est entraÃ®nÃ© fatalement Ã le punir, il veut lui
pardonner et librement il lui pardonne. Ici la fatalitÃ© se change en providence, et le siÃ¨cle d'Auguste
inaugurÃ© par cette bontÃ© sublime devient digne de voir naÃ®tre celui qui dira: Pardonnez Ã vos
ennemis! Auguste, en faisant grÃ¢ce Ã Cinna, a expiÃ© toutes les vengeances d'Octave.
Tant que l'homme est asservi aux exigences de la fatalitÃ©, c'est un profane, c'est-Ã -dire un homme qu'il faut
repousser loin du sanctuaire de la science.
La science, en effet, serait entre ses mains un instrument terrible de destruction.
L'homme libre au contraire, c'est-Ã -dire celui qui domine par l'intelligence les instincts aveugles de la vie,
celui-lÃ est essentiellement conservateur et rÃ©parateur, car la nature est le domaine de sa puissance, le
temple de son immortalitÃ©.
Quand le profane voudrait bien faire, il ferait mal.
L'initiÃ© libre ne peut pas vouloir mal faire; s'il frappe, c'est pour chÃ¢tier et pour guÃ©rir.
[546]Le souffle du profane est mortel, celui de l'initiÃ© est vivifiant.
Le profane souffre pour faire souffrir les autres, l'initiÃ© souffre pour que les autres ne souffrent pas.
Le profane trempe ses flÃ¨ches dans son propre sang et les empoisonne; l'initiÃ©, libre avec une goutte de
son sang, guÃ©rit les plus cruelles blessures.
QUESTIONS 7 ET 8.
7. Que faut-il faire pour Ãªtre un vrai magicien?
8. En quoi consistent prÃ©cisÃ©ment les forces de la magie noire?
RÃPONSES.
L'homme qui dispose des forces occultes de la nature, sans s'exposer Ã Ãªtre Ã©crasÃ© par elles, celui-lÃ
est un vrai magicien.

On le reconnaÃ®t Ã ses oeuvres et Ã sa fin, qui est toujours un grand sacrifice.
Zoroastre a crÃ©Ã© les dogmes et les civilisations primitives de l'Orient, et a disparu comme Oedipe dans un
orage.
OrphÃ©e a donnÃ© la poÃ©sie Ã la GrÃ¨ce, et avec cette poÃ©sie la beautÃ© de toutes les grandeurs, et il
a pÃ©ri dans une orgie Ã laquelle il refusait de se mÃªler.
Julien, malgrÃ© toutes ses vertus, n'a Ã©tÃ© qu'un initiÃ© Ã la magie noire. Il est mort victime et non
martyr; sa mort a Ã©tÃ© une destruction et une dÃ©faite, il ne comprenait pas son Ã©poque.
Il connaissait le dogme de la haute magie, mais il en appliquait mal le rituel.
[547]Apollonius de Thyane et Synesius n'ont Ã©tÃ© autre chose que de merveilleux philosophes, ils ont
cultivÃ© la vraie science, mais ils n'ont rien fait pour la postÃ©ritÃ©.
Les mages de l'Ãvangile rÃ©gnaient alors dans les trois parties du monde connu, et les oracles se taisaient en
Ã©coutant les vagissements du petit enfant de BethlÃ©em.
Le roi des rois, le mage des mages, Ã©tait venu dans le monde, et les cultes, les lois, les empires, tout Ã©tait
changÃ©!
Entre JÃ©sus-Christ et NapolÃ©on, le monde merveilleux reste vide.
NapolÃ©on, ce Verbe de la guerre, ce messie armÃ©, est venu fatalement et sans le savoir, complÃ©ter la
parole chrÃ©tienne. La rÃ©vÃ©lation chrÃ©tienne ne nous apprenait qu'Ã mourir, la civilisation
napolÃ©onienne doit nous apprendre Ã vaincre.
De ces deux Verbes contraires en apparence, le dÃ©vouement et la victoire, souffrir, mourir, combattre et
vaincre, se forme le grand arcane de l'HONNEUR!
Croix du Sauveur, croix du brave, vous n'Ãªtes pas complÃ¨tes l'une sans l'autre, car celui-lÃ seul sait
vaincre qui sait se dÃ©vouer et mourir!
Et comment se dÃ©vouer et mourir, si l'on ne croit pas Ã la vie Ã©ternelle?
NapolÃ©on qui Ã©tait mort en apparence, devait revenir dans le monde en la personne d'un homme
rÃ©alisateur de son esprit.
Salomon et Charlemagne reviendront aussi en un seul monarque, et alors saint Jean l'ÃvangÃ©liste, qui, selon
la tradition, doit [548] revivre Ã la fin des temps, ressuscitera aussi en la personne d'un souverain pontife, qui
sera l'apÃ´tre de l'intelligence et de la charitÃ©.
Et ces deux princes rÃ©unis, annoncÃ©s par tous les prophÃ¨tes, accompliront le prodige de la
rÃ©gÃ©nÃ©ration du monde.
Alors fleurira la science des vrais magiciens: car, jusqu'Ã prÃ©sent, nos faiseurs de prodiges ont Ã©tÃ©
pour la plupart des hommes fatals et des sorciers, c'est-Ã -dire des instruments aveugles du sort.
Les maÃ®tres que la fatalitÃ© jette au monde sont bientÃ´t renversÃ©s par elle. Ceux qui triomphent par les
passions seront la proie des passions. Lorsque PromÃ©thÃ©e fut jaloux de Jupiter et lui dÃ©roba sa foudre,

il voulut se faire aussi un aigle immortel, mais il ne crÃ©a et n'immortalisa qu'un vautour.
La fable dit encore qu'un roi impie nommÃ© Ixion voulut faire violence Ã la reine du ciel, mais il n'embrassa
qu'une nuÃ©e mensongÃ¨re, et fut liÃ© par des serpents de feu Ã la roue inexorable de la fatalitÃ©.
Ces profondes allÃ©gories menacent les faux adeptes, les profanateurs de la science, les sÃ©ides de la magie
noire.
La force de la magie noire c'est la contagion du vertige, c'est l'Ã©pidÃ©mie de la dÃ©raison.
La fatalitÃ© des passions est comme un serpent de feu qui roule et se tortille autour du monde en dÃ©vorant
les Ã¢mes.
Mais l'intelligence paisible, souriante et pleine d'amour, figurÃ©e par la mÃ¨re de Dieu, lui pose le pied sur la
tÃªte.
La fatalitÃ© se dÃ©vore elle-mÃªme; c'est l'antique serpent de Chronos qui ronge Ã©ternellement sa queue.
[549]Ou plutÃ´t se sont deux serpents ennemis qui se battent et se dÃ©chirent de morsures, jusqu'Ã ce que
l'harmonie les enchante et les fasse s'enlacer paisiblement autour du caducÃ©e d'HermÃ¨s.
CONCLUSION.
Croire qu'il n'existe pas dans l'Ãªtre un principe intelligent universel et absolu, c'est la plus tÃ©mÃ©raire et la
plus absurde de toutes les croyances.
Croyance, parce que c'est la nÃ©gation de l'indÃ©fini et de l'indÃ©finissable.
Croyance tÃ©mÃ©raire, parce qu'elle est isolante et dÃ©solante; croyance absurde, parce qu'elle suppose le
plus complet nÃ©ant, Ã la place de la plus entiÃ¨re perfection.
Dans la nature, tout se conserve par l'Ã©quilibre et se renouvelle par le mouvement.
L'Ã©quilibre, c'est l'ordre; et le mouvement, c'est le progrÃ¨s.
La science de l'Ã©quilibre et du mouvement est la science absolue de la nature.
L'homme, par cette science, peut produire et diriger des phÃ©nomÃ¨nes naturels en s'Ã©levant toujours vers
une intelligence plus haute et plus parfaite que la sienne.
L'Ã©quilibre moral, c'est le concours de la science et de la foi, distinctes dans leurs forces et rÃ©unies dans
leur action pour donner Ã l'esprit et au coeur de l'homme une rÃ¨gle qui est la raison.
Car, la science qui nie la foi est aussi dÃ©raisonnable que la foi qui nie la science.
[550]L'objet de la foi ne saurait Ãªtre ni dÃ©fini ni surtout niÃ© par la science, mais la science est appelÃ©e
elle-mÃªme Ã constater la base rationnelle des hypothÃ¨ses de la foi.
Une croyance isolÃ©e ne constitue pas la foi parce qu'elle manque d'autoritÃ©, et par consÃ©quent de
garantie morale, elle ne peut aboutir qu'au fanatisme ou Ã la superstition.
CONCLUSION. 279
La foi est la confiance que donne une religion, c'est-Ã -dire une communion de croyance.
La vraie religion se constitue par le suffrage universel.
Elle est donc essentiellement et toujours catholique, c'est-Ã -dire universelle. C'est une dictature idÃ©ale
acclamÃ©e gÃ©nÃ©ralement dans le domaine rÃ©volutionnaire de l'inconnu.
La loi d'Ã©quilibre, lorsqu'elle sera mieux comprise, fera cesser toutes les guerres et toutes les rÃ©volutions
du vieux monde. Il y a eu conflit entre les pouvoirs comme entre les forces morales. On blÃ¢me actuellement
les papes de se cramponner au pouvoir temporel, sans songer Ã la tendance protestante des princes pour
l'usurpation du pouvoir spirituel.
Tant que les princes auront la prÃ©tention d'Ãªtre papes, le pape sera forcÃ©, par la loi mÃªme de
l'Ã©quilibre, Ã la prÃ©tention d'Ãªtre roi.
Le monde entier rÃªve encore l'unitÃ© de pouvoir, et ne comprend pas la puissance du dualisme
Ã©quilibrÃ©.
Devant les rois usurpateurs de la puissance spirituelle, si le pape n'Ã©tait plus roi, il ne serait plus rien. Le
pape dans l'ordre temporel subit comme un autre les prÃ©jugÃ©s de son siÃ¨cle. [551] Il ne saurait donc
abdiquer son pouvoir temporel quand cette abdication serait un scandale pour la moitiÃ© du monde.
Quand l'opinion souveraine de l'univers aura proclamÃ© hautement qu'un prince temporel ne peut pas Ãªtre
pape, quand le czar de toutes les Russies et le souverain de la Grande-Bretagne auront renoncÃ© Ã leur
sacerdoce dÃ©risoire, le pape saura ce qui lui reste Ã faire.
Jusque-lÃ , il doit lutter et mourir, s'il le faut, pour dÃ©fendre l'intÃ©gritÃ© du patrimoine de saint Pierre.
La science de l'Ã©quilibre moral fera cesser les querelles de religion et les blasphÃ¨mes philosophiques. Tous
les hommes intelligents seront religieux, quand il sera bien reconnu que la religion n'attente pas Ã la libertÃ©
d'examen, et tous les hommes vraiment religieux respecteront une science qui reconnaÃ®tra l'existence et la
nÃ©cessitÃ© d'une religion universelle.
Cette science rÃ©pandra un jour nouveau sur la philosophie de l'histoire et donnera un plan synthÃ©tique de
toutes les sciences naturelles. La loi des forces Ã©quilibrÃ©es et des compensations organiques rÃ©vÃ©lera
une physique et une chimie nouvelles; alors de dÃ©couvertes en dÃ©couvertes, on en reviendra Ã la
philosophie hermÃ©tique, et l'on admirera ces prodiges de simplicitÃ© et de clartÃ© oubliÃ©s depuis si
longtemps.
La philosophie alors sera exacte comme les mathÃ©matiques, car les idÃ©es vraies, c'est-Ã -dire, identiques
Ã l'Ãªtre, constituant la science de la rÃ©alitÃ© fournissent avec la raison et Ã la justice des proportions
exactes et des Ã©quations rigoureuses comme les nombres. L'erreur donc ne sera plus possible qu'Ã
l'ignorance; le vrai savoir ne se trompera plus.
[552]L'esthÃ©tique cessera d'Ãªtre subordonnÃ©e aux caprices du goÃ»t qui change comme la mode. Si le
beau est la splendeur du vrai, on devra soumettre Ã d'infaillibles calculs le rayonnement d'une lumiÃ¨re dont
le foyer sera incontestablement connu et dÃ©terminÃ© avec une rigoureuse prÃ©cision.
La poÃ©sie n'aura plus de tendances folles et subversives. Les poÃ¨tes ne seront plus ces enchanteurs
dangereux que Platon bannissait de sa rÃ©publique en les couronnant de fleurs; ils seront les musiciens de la
raison et les gracieux mathÃ©maticiens de l'harmonie.
CONCLUSION. 280
Est-ce Ã dire que la terre deviendra un Eldorado? Non, car, tant qu'il y aura une humanitÃ©, il y aura des
enfants, c'est-Ã -dire des faibles, des petits, des ignorants et des pauvres.
Mais la sociÃ©tÃ© sera gouvernÃ©e par ses vÃ©ritables maÃ®tres, et il n'y aura plus de mal sans remÃ¨de
dans la vie humaine.
On reconnaÃ®tra que les miracles divins sont ceux de l'ordre Ã©ternel, et l'on n'adorera plus les fantÃ´mes
de l'imagination sur la foi des prodiges inexpliquÃ©s. L'Ã©trangetÃ© des phÃ©nomÃ¨nes ne prouve que
notre ignorance devant les lois de la nature. Quand Dieu veut se faire connaÃ®tre Ã nous, il Ã©claire notre
raison et ne cherche pas Ã la confondre ou Ã l'Ã©tonner.
On saura jusqu'oÃ¹ s'Ã©tend le pouvoir de l'homme crÃ©Ã© Ã l'image et Ã la ressemblance de Dieu. On

comprendra que lui aussi, il est crÃ©ateur dans sa sphÃ¨re, et que sa bontÃ© dirigÃ©e par l'Ã©ternelle
raison est la providence subalterne des Ãªtres placÃ©s par la nature, sous son influence et sous sa domination;
la religion [553] alors n'aura plus rien Ã craindre du progrÃ¨s, et en prendra la direction.
Un docteur justement vÃ©nÃ©rÃ© dans les enseignements du catholicisme, le bienheureux Vincent de

LÃ©rins, exprime admirablement cet accord du progrÃ¨s et de l'autoritÃ© conservatrice.
Selon lui, la vraie foi n'est digne de notre confiance que par cette autoritÃ© invariable qui en rend les dogmes
inaccessibles aux caprices de l'ignorance humaine. Â«Et cependant, ajoute Vincent de LÃ©rins, cette
immobilitÃ© n'est pas la mort; nous conservons, au contraire, pour l'avenir, un germe de vie. Ce que nous
croyons aujourd'hui sans le comprendre, l'avenir le comprendra et se rÃ©jouira d'en avoir connaissance.
Posteritas intellectum gratuletur, quod ante vetustas non intellectum venerabatur. Si donc on nous demande:
Est-ce que tout progrÃ¨s est exclu de la religion de JÃ©sus-Christ? Non sans doute, et nous en espÃ©rons un
trÃ¨s grand.
Â«Quel homme, en effet, serait assez jaloux des hommes, assez ennemi de Dieu, pour vouloir empÃªcher le
progrÃ¨s? Mais il faut que ce soit rÃ©ellement un progrÃ¨s, et non pas un changement de croyance. Le
progrÃ¨s, c'est l'accroissement et le dÃ©veloppement de chaque chose dans son ordre et dans sa nature. Le
dÃ©sordre, c'est la confusion, et le mÃ©lange des choses et de leur nature. Sans aucun doute, il doit y avoir,
tant pour tous les hommes en gÃ©nÃ©ral que pour chacun en particulier, selon la marche naturelle des
Ã¢ges de l'Ãglise, diffÃ©rents degrÃ©s d'intelligence, de science et de sagesse, mais en telle sorte que tout
soit conservÃ©, et que le dogme garde toujours le mÃªme esprit et la [554] mÃªme dÃ©finition. La religion
doit dÃ©velopper successivement les Ã¢mes, comme la vie dÃ©veloppe les corps qui grandissent et sont
pourtant toujours les mÃªmes.
Â«Quelle diffÃ©rence entre la fleur enfantine du premier Ã¢ge et la maturitÃ© de la vieillesse! Les
vieillards sont pourtant les mÃªmes, quant Ã la personne, qu'ils Ã©taient dans l'adolescence; il n'y a que
l'extÃ©rieur et les apparences de changÃ©s. Les membres de l'enfant au berceau sont bien frÃªles, et
pourtant ils ont les mÃªmes principes rudimentaires et les mÃªmes organes que les hommes; ils grandissent
sans que leur nombre augmente, et le vieillard n'a rien de plus en cela que n'avait l'enfant. Et cela doit Ãªtre
ainsi, sous peine de difformitÃ© ou de mort.
Â«Il en est ainsi de la religion de JÃ©sus-Christ, et le progrÃ¨s pour elle s'accomplit dans les mÃªmes
conditions et suivant les mÃªmes lois. Les annÃ©es la rendent plus forte et la grandissent, mais n'ajoutent
rien Ã tout ce qui compose son Ãªtre. Elle est nÃ©e complÃ¨te et parfaite dans ses proportions, qui peuvent
croÃ®tre et s'Ã©tendre sans changer. Nos pÃ¨res ont semÃ© du froment, nos neveux ne doivent pas
moissonner de l'ivraie. Les rÃ©coltes intermÃ©diaires ne changent rien Ã la nature du grain; nous devons le
prendre et le laisser toujours le mÃªme.
CONCLUSION. 281
Â«Le catholicisme a plantÃ© des roses, devons-nous y substituer des ronces? Non sans doute, ou malheur Ã
nous! Le baume et le cinname de ce paradis spirituel ne doivent pas se changer sous nos mains en aconit et en
poison. Tout ce qui, dans l'Ãglise, cette belle campagne de Dieu, a Ã©tÃ© semÃ© par les pÃ¨res, doit y
Ãªtre cultivÃ© et entretenu par les fils: c'est cela qui toujours doit croÃ®tre et fleurir; mais cela peut grandir
et doit se dÃ©velopper. Dieu [555] permet en effet que les dogmes de cette philosophie cÃ©leste soient, par
le progrÃ¨s du temps, Ã©tudiÃ©s, travaillÃ©s, polis en quelque sorte; mais ce qui est dÃ©fendu, c'est de les
changer; ce qui est un crime, c'est de les tronquer et de les mutiler. Qu'ils reÃ§oivent une nouvelle lumiÃ¨re et
des distinctions plus savantes, mais qu'ils gardent toujours leur plÃ©nitude, leur intÃ©gritÃ©, leur
propriÃ©tÃ©.Â»
ConsidÃ©rons donc comme acquises au profit de l'Ãglise universelle toutes les conquÃªtes de la science dans
le passÃ©, et promettons-lui, avec Vincent de LÃ©rins, l'hÃ©ritage complet des progrÃ¨s Ã venir! A elle
toutes les grandes aspirations de Zoroastre et toutes les dÃ©couvertes d'HermÃ¨s! Ã elle la clef de l'arche
sainte, Ã elle l'anneau de Salomon, car elle reprÃ©sente la sainte et immuable hiÃ©rarchie. Ses luttes l'ont
rendue plus forte, ses chutes apparentes la rendront plus stable; elle souffre pour rÃ©gner, elle tombe pour
grandir en se relevant, elle meurt pour ressusciter!
Â«Il faut vous tenir prÃªts, dit le comte Joseph de Maistre, pour un Ã©vÃ©nement immense dans l'ordre
divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accÃ©lÃ©rÃ©e qui doit frapper tous les observateurs; des
oracles redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivÃ©s. Plusieurs prophÃ©ties contenues dans
l'Apocalypse se rapportaient Ã nos temps modernes. Un Ã©crivain est allÃ© jusqu'Ã dire que
l'Ã©vÃ©nement avait dÃ©jÃ commencÃ©, et que la nation franÃ§aise devait Ãªtre le grand instrument de
la plus grande des rÃ©volutions. Il n'y a peut-Ãªtre pas un homme vÃ©ritablement religieux en Europe (je
parle de la classe instruite) qui n'attende dans ce moment quelque chose [556] d'extraordinaire. Or, n'est-ce
rien que ce cri gÃ©nÃ©ral qui annonce de grandes choses? Remontez aux siÃ¨cles passÃ©s,
transportez-vous Ã la naissance du Sauveur; Ã cette Ã©poque, une voix haute et mystÃ©rieuse, partie des
rÃ©gions orientales, ne s'Ã©criait-elle pas: Â«L'Orient est sur le point de triompher... Le vainqueur partira de
la JudÃ©e... Un enfant divin nous est donnÃ©; il va paraÃ®tre; il descend du plus haut des cieux; il
ramÃ¨nera l'Ã¢ge d'or sur la terre.Â» Ces idÃ©es Ã©taient universellement rÃ©pandues, et comme elles
prÃªtaient infiniment Ã la poÃ©sie, le plus grand poÃ¨te latin s'en empara, et les revÃªtit des couleurs les
plus brillantes dans son Pollion. Aujourd'hui, comme au temps de Virgile, l'univers est dans l'attente.
Comment mÃ©priserions-nous cette grande persuasion, et de quel droit condamnerions-nous les hommes qui,
avertis par ces signes divins, se livrent Ã de saintes recherches?
Â«Voulez-vous une preuve de ce qui se prÃ©pare? cherchez-la dans les sciences; considÃ©rez bien la
marche de la chimie, de l'astronomie mÃªme, et vous verrez oÃ¹ elles nous conduisent. Croiriez-vous, par
exemple, que Newton nous ramÃ¨ne Ã Pythagore, et qu'incessamment il sera dÃ©montrÃ© que Â«les corps
cÃ©lestes sont mus prÃ©cisÃ©ment, comme le corps humain, par des intelligences qui leur sont uniesÂ»
sans qu'on sache comment: c'est cependant ce qui est sur le point de se vÃ©rifier, sans qu'il y ait bientÃ´t
aucun moyen de disputer. Cette doctrine pourra sembler paradoxale sans doute, et mÃªme ridicule, parce que
l'opinion environnante en impose; mais attendez que l'affinitÃ© naturelle de la religion et la science les
rÃ©unissent dans la tÃªte d'un seul homme de gÃ©nie. L'apparition de cet homme ne saurait Ãªtre
Ã©loignÃ©e. Alors des [557] opinions qui nous paraissent aujourd'hui ou bizarres ou insensÃ©es seront des
axiomes dont il ne sera pas permis de douter, et l'on parlera de notre stupiditÃ© actuelle comme nous parlons
de la superstition du moyen Ã¢ge 24.Â»
Note 24: (retour) Joseph de Maistre, SoirÃ©es de Saint-PÃ©tersbourg, 1821, p. 308.
Au tome dixiÃ¨me de ses oeuvres, page 697, saint Thomas dit cette belle parole: Â«Tout ce que Dieu veut est
juste, mais le juste ne doit pas Ãªtre nommÃ© ainsi uniquement parce que Dieu le veut: non ex hoc dicitur
justum quod Deus illud vult.Â» La doctrine morale de l'avenir est renfermÃ©e lÃ tout entiÃ¨re; et de ce
CONCLUSION. 282
principe fÃ©cond on peut immÃ©diatement dÃ©duire celui-ci: Non-seulement il est bien, au point de vue de
la foi, de faire ce que Dieu commande, mais encore, au point de vue de la raison, il est bon et raisonnable de
lui obÃ©ir. L'homme donc pourra dire: Je fais le bien non-seulement parce que Dieu le veut, mais aussi parce
que je le veux. La volontÃ© humaine sera ainsi soumise et libre en mÃªme temps; car la raison, dÃ©montrant
d'une faÃ§on irrÃ©cusable la sagesse des prescriptions de la foi, agira de son propre mouvement en se
rÃ©glant d'aprÃ¨s la loi divine, dont elle deviendra en quelque sorte la sanction humaine. Alors il n'y aura
plus ni superstition, ni impiÃ©tÃ© possible, on le comprend facilement d'aprÃ¨s ce que nous venons de dire:
donc, en religion et en philosophie pratique, c'est-Ã -dire en morale, l'autoritÃ© absolue existera et les
dogmes moraux pourront seulement alors se rÃ©vÃ©ler et s'Ã©tablir.
Jusque-lÃ , nous aurons la douleur et l'effroi de voir tous les [558] jours remettre en question les principes les
plus simples et les plus communs du droit et du devoir entre les hommes. Sans doute, on fera taire les
blasphÃ©mateurs; mais autre chose est imposer silence, autre chose, persuader et convertir.
Tant que la haute magie a Ã©tÃ© profanÃ©e par la mÃ©chancetÃ© des hommes, l'Ãglise a dÃ» la
proscrire. Les faux gnostiques ont dÃ©criÃ© le nom si pur d'abord du gnosticisme, et les sorciers ont fait tort
aux enfants des mages; mais la religion, amie de la tradition et gardienne des trÃ©sors de l'antiquitÃ© ne
saurait repousser plus longtemps une doctrine antÃ©rieure Ã la Bible, et qui accorde si parfaitement avec le
respect traditionnel du passÃ©, les espÃ©rances les plus vivantes du progrÃ¨s et de l'avenir?
Le peuple s'initie par le travail et par la foi Ã la propriÃ©tÃ© et Ã la science. Il y aura toujours un peuple,
comme il y aura toujours des enfants; mais quand l'aristocratie devenue savante sera une mÃ¨re pour le
peuple, les voies de l'Ã©mancipation seront ouvertes Ã tous, Ã©mancipation personnelle, successive,
progressive, par laquelle tous les appelÃ©s pourront, par leurs efforts, arriver au rang des Ã©lus. C'est ce
mystÃ¨re d'avenir que l'initiation antique cachait sous ses ombres; c'est pour ces Ã©lus de l'avenir que sont
rÃ©servÃ©s les miracles de la nature assujettis Ã la volontÃ© de l'homme. Le bÃ¢ton sacerdotal doit Ãªtre
la baguette des miracles, il l'a Ã©tÃ© du temps de MoÃ¯se et d'HermÃ¨s, et il le sera encore. Le sceptre du
mage redeviendra celui du roi ou de l'empereur du monde, et celui-lÃ sera de droit le premier parmi les
hommes, qui se montrera de fait le plus fort par la science et par la vertu.
Alors la magie ne sera plus une science occulte que pour les [559] ignorants, mais elle sera pour tous une
science incontestable. Alors la rÃ©vÃ©lation universelle ressoudera les uns aux autres tous les anneaux de sa
chaÃ®ne d'or. L'Ã©popÃ©e humaine sera terminÃ©e et les efforts mÃªme des Titans n'auront servi qu'Ã
rehausser l'autel du vrai Dieu.
Alors toutes les formes qu'a successivement revÃªtues la pensÃ©e divine renaÃ®tront immortelles et
parfaites.
Tous les traits qu'avait esquissÃ©s l'art successif des nations se rÃ©uniront et formeront l'image complÃ¨te
de Dieu.
Le dogme Ã©purÃ© et sorti du chaos produira naturellement la morale infaillible, et l'ordre social se
constituera sur cette base. Les systÃ¨mes qui se heurtent maintenant sont les rÃªves du crÃ©puscule.
Laissons-les passer. Le soleil luit et la terre poursuit sa marche; insensÃ© serait celui qui douterait du jour!
Il en est qui disent: Le catholicisme n'est plus qu'un tronc aride, portons-y la hache.
InsensÃ©s! ne voyez-vous pas que sous l'Ã©corce dessÃ©chÃ©e se renouvelle sans cesse l'arbre vivant. La
vÃ©ritÃ© n'a ni passÃ© ni avenir; elle est Ã©ternelle. Ce qui finit ce n'est pas elle, ce sont nos rÃªves.
CONCLUSION. 283
Le marteau et la hache qui dÃ©truisent aux yeux des hommes, ne sont dans la main de Dieu que la serpe de
l'Ã©mondeur, et les branches mortes, c'est-Ã -dire les superstitions et les hÃ©rÃ©sies, en religion, en science
et en politique, peuvent seules Ãªtre coupÃ©es sur l'arbre des croyances et des convictions Ã©ternelles.
Notre Histoire de la magie a eu pour but de dÃ©montrer que, dans [560] le principe, les grands symboles de
la religion ont Ã©tÃ© en mÃªme temps ceux de la science alors cachÃ©e.
Que la religion et la science, rÃ©unies dans l'avenir, s'entr'aident donc et s'aiment comme deux soeurs,
puisqu'elles ont eu le mÃªme berceau!
FIN
End of the Project Gutenberg EBook of Histoire de la magie, by Ãliphas LÃ©vi
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FIN 291

Histoire de La Magie by Éliphas Lévi

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Histoire de La Magie by Éliphas Lévi

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HISTOIRE

PAR ÃLIPHAS LÃVI

Auteur de Dogme et rituel de la haute magie.

Opus hierarchicum et catholicum.

(C'est une oeuvre hiÃ©rarchique et catholique.)

DÃ©finition du grand oeuvre, H. KHUNBATH

Avec 18 planches reprÃ©sentant 90 figures.

LONDRES ET NEW-YORK, MADRID.

Il recherche la critique sincÃ¨re, mais il ne comprend pas certaines hostilitÃ©s.

Ãtoile flamboyante, ce que c'est. Existence de l'absolu, 2

La magie science absolue, 3

Profanations de la science. PrÃ©diction du comte de Maistre,5

Mesure et portÃ©e de la science magique. Justice de Dieu,7

Existence des dÃ©mons, 11

Fausse idÃ©e du diable,12

Conception des ManichÃ©ens.16

Crimes des sorciers,18

La lumiÃ¨re astrale. On l'appelle imagination de la nature. Ce que c'est,19

Accord de la raison avec la foi,23

Religion des kabbalistes,26

MystÃ¨res de l'amour sexuel,29

Antagonisme des pouvoirs,31

La prÃ©tendue papesse Jeanne,32

La kabbale explique et concilie tout,32

Pourquoi l'Ãglise a condamnÃ© la magie,33

La magie dogmatique explique la philosophie de l'histoire,34

Mauvaises curiositÃ©s relatives Ã la magie,35

Soumission de l'auteur Ã l'ordre Ã©tabli.39

LIVRE PREMIER--Les origines magiques.

CHAPITRE PREMIER.--Origines fabuleuses41

TABLE ANALYTIQUEDES MATIÃRES CONTENUES DANS CET OUVRAGE. 4

Le livre d'HÃ©noch et la chute des anges,41

Livre de la pÃ©nitence d'Adam,43

Ce que c'est que le personnage d'HÃ©noch.46

Les enfants de Seth et ceux de CaÃ¯n.47

Le Sepher Jezirah, le Sohar et l'Apocalypse,51

CHAPITRE II.--Magie des mages 55

Le vrai et le faux Zoroastre,55

Dogmes du vrai Zoroastre.56

Secrets Ã©lectriques de Numa.57

Une page de Zoroastre sur les dÃ©mons et les sacrifices.58

RÃ©vÃ©lations importantes sur le magnÃ©tisme.60

Prodiges des Assyriens.62

Du Potet d'accord avec Zoroastre.62

Danger que courent les imprudents.63

Puissance de l'homme sur les animaux.63

TABLE ANALYTIQUEDES MATIÃRES CONTENUES DANS CET OUVRAGE. 5

Chute du sacerdoce en Assyrie.64

Mort magique de Sardanapale.65

CHAPITRE III.--Magie dans l'Inde67

Origine indienne du gnosticisme,68

Fables savantes de l'Inde,69

Magie noire de l'Oup nek' hat. M. Ragon, auteur citÃ©,74

Grands arcanes indiens,75

Les Indiens rÃ©voltÃ©s et les Anglais.76

CHAPITRE IV.--Magie hermÃ©tique77

Autres Ã©crits d'HermÃ¨s,78

Sens magique de la gÃ©ographie ancienne de l'Ãgypte,79

Table isiaque de Bembo,81

Le tarot expliquÃ© par le Sepher Jezirah,82

Le tarot de Charles VII,82

Science magique de MoÃ¯se.83

CHAPITRE V.--Magie en GrÃ¨ce85