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Un article d’A.

Euzéby sur l’intérêt et les limites d’une suppression des charges sociales

Faut-il supprimer les charges sociales ?


Sommaire

Un prélèvement maudit
Des reproches lourds et excessifs
Des propositions de réformes guère satisfaisantes
Un prélèvement énigmatique
Une suppression bienvenue
La fiscalisation de certaines cotisations d'employeurs
La fusion des cotisations des employeurs et des cotisations des salariés
La réhabilitation du salaire indirect
par Alain Euzéby.

Les charges sociales représentent aujourd'hui une composante essentielle des débats économiques. Si la question de leur impact sur la
compétitivité des entreprises a longtemps été dominante, c'est désormais leur incidence sur l'emploi qui est discutée. Mais, comme le
montre ici Alain Euzéby, les charges sociales demeurent un prélèvement énigmatique car il est très difficile de savoir exactement qui
supporte une augmentation ou bénéficie d'un allègement. En outre, toute réforme du régime des charges sociales doit s'inscrire dans la
perspective d'une clarification et d'une rationalisation des modalités de financement de la protection sociale. A cet égard, l'auteur
plaide pour une véritable réhabilitation du salaire indirect.

Les charges sociales sont constituées par l'ensemble des cotisations des employeurs (également appelées cotisations patronales)
affectées au financement de la protection sociale de leurs salariés. Elles sont assises sur le salaire brut et s'ajoutent à celui-ci pour
constituer le coût de la main-d'oeuvre ou coût du travail. Leur importance varie fortement selon les pays, en fonction du niveau de
développement des systèmes de protection sociale et de la structure de leur financement, c'est-à-dire la place respective des cotisations
des employeurs, des cotisations des salariés et des contributions publiques (financement fiscal).
La France se caractérise, au sein de l'Union européenne, et même parmi l'ensemble des pays développés, par l'importance des charges
sociales, que celles-ci soient envisagées par rapport à l'ensemble des recettes de la protection sociale, par rapport à l'ensemble des
prélèvements obligatoires, ou par rapport au coût global de la main-d'oeuvre. D'où les nombreuses critiques qui leur sont adressées, et
qui portent essentiellement sur le fait qu'en alourdissant le coût du travail, elles exerceraient des influences négatives sur l'emploi et
seraient donc un facteur de chômage.
Pourtant, le principe de la participation financière des employeurs au financement de la protection sociale de leurs salariés a été retenu
dès les premiers systèmes d'assurances sociales(1) Il a été justifié par trois types de considérations.
• On invoque d'abord la responsabilité de l'employeur, non seulement dans la réalisation des risques professionnels
(accidents du travail et maladies professionnelles), mais aussi, plus largement, dans les causes d'autres maladies,
d'invalidité, de décès ou de chômage. Cette idée de responsabilité a conduit la plupart des pays à faire financer les
prestations d'accidents du travail et de maladies professionnelles uniquement par des cotisations à la charge des
employeurs. Mais elle a constitué aussi une justification pour faire participer ces derniers au financement d'autres
branches de la protection sociale. Leur contribution est alors considérée comme la contrepartie de l'influence
générale des conditions de travail et de la gestion de l'entreprise sur la santé des travailleurs et sur la stabilité de leur
emploi.
• On fait également remarquer que la protection sociale contribue à l'amélioration de la qualité de la main-d'oeuvre et
des relations sociales entre employeurs et salariés. Elle est en effet de nature à améliorer les conditions de vie et de
santé des travailleurs, à supprimer ou atténuer certaines tensions d'esprit dues à l'insécurité et, finalement, à accroître
la productivité du travail. Dès lors, à partir du moment où les employeurs bénéficient de ces avantages, il est apparu
normal qu'ils participent au financement des prestations versées aux salariés.
• On considère également que les frais de main-d'oeuvre doivent comprendre tous les frais d'entretien des travailleurs,
aussi bien dans les périodes de travail que dans celles d'inactivité. Ils doivent donc comporter non seulement le
versement de salaires pendant les périodes de travail effectif, mais aussi des cotisations destinées à mettre les
salariés à l'abri du besoin lorsqu'ils sont dans l'incapacité de travailler, et en particulier lorsqu'ils sont à la retraite.

A ces trois types de justifications, il faut ajouter le cas des prestations familiales. Si dans certains pays, dont la France, elles sont
financées, en totalité ou en partie, par des cotisations d'employeurs, c'est pour des raisons essentiellement historiques. Celles-ci sont
liées au fait que les prestations familiales sont apparues en Europe, vers la fin du XIXe siècle, sous la forme de suppléments de
salaires (" sursalaires ") versés spontanément par certains employeurs à leurs salariés lorsqu'ils avaient des enfants. Lorsqu'elles ont
été étendues et généralisées par la suite, certains pays ont continué à faire supporter leur coût par les employeurs.

Mais en dépit de ces diverses justifications, les charges sociales soulèvent trois problèmes majeurs.
• D'abord, le fait qu'elles s'ajoutent au salaire brut a toujours eu pour conséquence qu'elles sont souvent ressenties par
les employeurs comme un coût du travail additionnel et trop lourd à supporter. En outre, depuis la fin des " Trente
glorieuses ", face à l'ampleur du chômage et dans un contexte de mondialisation qui rend la concurrence
internationale de plus en plus vive, les critiques à l'encontre des charges sociales se sont multipliées. Elles
apparaissent donc de plus en plus, même si cela est très excessif, comme un prélèvement néfaste pour l'économie et,
par conséquent, maudit.
• Ensuite, les charges sociales sont un prélèvement énigmatique car il est pratiquement impossible de déterminer
exactement leur incidence, c'est-à-dire de savoir avec précision qui en supporte effectivement la charge, ou qui
bénéficierait réellement de leur allègement.
• Enfin, la distinction entre cotisations des employeurs et cotisations des salariés n'a guère de signification sur le plan
économique. Ces cotisations représentent en effet, toutes les deux, des sommes qui font partie du coût de la main-
d'oeuvre, mais que les salariés ne reçoivent pas directement puisqu'elles financent leur protection sociale. La
suppression de la distinction entre cotisations des employeurs et cotisations des salariés serait donc particulièrement
bienvenue. Elle ferait disparaître la notion même de charges sociales et devrait s'inscrire dans un processus de
rationalisation du financement de la protection sociale visant à redéfinir le partage entre financement par des
cotisations et financement par l'impôt.

C'est donc parce qu'elles sont un prélèvement maudit, un prélèvement énigmatique et un prélèvement dont la disparition serait de
nature à rendre le financement de la protection sociale à la fois plus rationnel, plus clair et mieux accepté que les charges sociales
devraient être supprimées.

Un prélèvement maudit

Ce qualificatif n'est certainement pas trop fort. D'abord parce que les charges sociales sont la cible de reproches lourds, mais
excessifs ; ensuite parce que les propositions de réformes dont elles font l'objet ne sont guère satisfaisantes.
Des reproches lourds et excessifs
Pratiquement depuis qu'elles existent, et dans tous les pays - par conséquent quel que soit leur niveau -, les charges sociales sont
souvent perçues par les chefs d'entreprises comme un obstacle à l'embauche ou comme un frein à leurs intentions d'embauche. Dans la
plupart des pays de l'Union européenne, où elles contribuent largement au financement de la protection sociale(2), elles se voient
généralement reprocher également de porter atteinte à la compétitivité des entreprises ; de ne frapper qu'un seul facteur de production
- le travail - et, par conséquent, d'inciter les entreprises à remplacer des travailleurs par des machines (processus de substitution du
capital au travail) et de pénaliser les entreprises qui utilisent beaucoup de main-d'oeuvre par rapport à celles qui sont, au contraire, très
mécanisées ; et de constituer un obstacle à l'emploi, en particulier des personnes peu qualifiées qui sont précisément celles qui sont les
plus touchées par le chômage.
En France, les études et projets de réforme relatifs aux cotisations sociales des employeurs ne cessent de s'accumuler depuis une
cinquantaine d'années(3) ! Quant à la Commission européenne, de ses diverses publications qui abordent la question des charges
sociales, il ressort une idée force : pour rendre le financement de la protection sociale plus favorable à l'emploi, il faudrait alléger les
cotisations sociales des employeurs (qualifiées parfois de " coûts non salariaux de la main-d'oeuvre ") et en priorité celles qui portent
sur les rémunérations les moins élevées, c'est-à-dire sur le travail peu qualifié(4). Le Conseil européen d'Essen (1994) a repris ces
recommandations et les a fait figurer parmi les cinq priorités de la lutte contre le chômage.
Mais même s'ils comportent une certaine part de vérité, les reproches adressés aux charges sociales sont certainement excessifs, et
cela pour diverses raisons dont on ne donne ici qu'un bref aperçu.

1) D'abord les charges sociales ne sont pas un élément déterminant des coûts de main-d'oeuvre.
Ceux-ci sont surtout liés au niveau de développement économique. Il est normal que des pays à haut niveau de production aient des
coûts de main-d'oeuvre élevés car la rémunération du travail est un moyen de répartir ce qui est produit. En tout cas, si l'on considère
des pays qui ont des niveaux de développement économique et social à peu près comparables, comme ceux de l'Union européenne, les
comparaisons montrent clairement que les pays où les charges sociales sont lourdes ont en contrepartie des salaires bruts relativement
bas. Tel est, par exemple, le cas de la France, de l'Espagne ou de la Suède. Inversement, dans des pays comme le Danemark ou les
Pays-Bas, où les charges sociales sont faibles, les salaires bruts sont élevés. Cela s'explique par les différences de modalités de
financement de la protection sociale. Au Danemark, celle-ci est financée essentiellement par les impôts ; les salaires bruts sont élevés,
mais ils sont fortement frappés par les impôts sur le revenu et sur la consommation. Aux Pays-Bas, les salaires bruts sont également
très élevés, mais ce sont les cotisations sociales des salariés qui sont très lourdes.
Les comparaisons internationales qui ne portent que sur des charges sociales n'ont donc guère de signification. Ainsi, du point de vue
de la compétitivité des entreprises, ce sont les coûts de main-d'oeuvre envisagés dans leur totalité (salaires bruts plus charges sociales)
qu'il convient de considérer et de comparer.
2) Les substitutions du capital au travail sont surtout dues au progrès technique et aux impératifs d'une concurrence internationale de
plus en plus vive, qui poussent les entreprises à se moderniser pour être plus productives et compétitives.

3) Il est certain que les charges sociales pèsent plus lourdement sur les entreprises qui utilisent beaucoup de main-d'oeuvre. Mais il
faut remarquer qu'en revanche, elles ont moins de frais relatifs à l'utilisation de machines (énergie, entretien et renouvellement du
matériel).
4) Si les travailleurs peu qualifiés sont généralement ceux qui sont les plus affectés par le chômage, cela tient surtout au fait qu'ils sont
" concurrencés " à la fois par le progrès technique et par les travailleurs des pays à faibles coûts de main-d'oeuvre.
Des propositions de réformes guère satisfaisantes

Elles sont pourtant nombreuses, mais les effets à en attendre sur le plan de l'emploi ne sont pas très significatifs.
1) L'idée de " faire payer les machines " répond au souci de faire davantage participer les entreprises très mécanisées au financement
de la protection sociale. Il s'agirait donc d'opérer un certain " rééquilibrage " en réduisant les charges sociales assises sur les salaires et
en instituant des prélèvements sur le capital technique des entreprises. Les modalités d'une telle mesure pourraient consister à faire
payer les machines, soit directement, avec des cotisations sur les investissements, les immobilisations ou l'actif net ; soit
indirectement, à travers des éléments de l'activité des entreprises tels que les amortissements ou la valeur ajoutée(5). Mais une telle
mesure serait de nature à freiner les investissements et la modernisation, alors que ceux-ci sont considérés comme indispensables à la
compétitivité des entreprises. En outre, des cotisations sur les machines seraient très injustes vis-à-vis de petites entreprises
individuelles (agriculteurs, artisans, membres de professions libérales) qui n'emploient pas de salariés, mais qui devraient tout de
même payer des charges sociales.
2) L'allégement des charges sociales sur les bas salaires est sans doute favorable à l'embauche de travailleurs peu qualifiés. Une telle
mesure a d'ailleurs déjà été prise dans certains pays, dont la Belgique et la France. Mais, d'une part, son efficacité est assez limitée
face à la lame de fond que représente le remplacement du travail humain par des machines(6) ; d'autre part, elle risque d'inciter les
entreprises à faire obstacle aux augmentations des bas salaires et à tirer le plus grand nombre possible de salaires vers le bas.
3) Un allégement général des charges sociales a d'abord toute chance d'affaiblir la consommation des ménages et, par conséquent,
l'activité des entreprises, s'il est compensé par des diminutions de prestations sociales ou par des augmentations de cotisations ou
d'impôts supportés par les ménages. En outre, un pays qui chercherait à améliorer la compétitivité de ses entreprises en réduisant leurs
charges sociales risquerait d'inciter d'autres pays à prendre des mesures analogues, ce qui lui ferait perdre son avantage compétitif.

Mais ce qui ressort surtout de la multitude d'études visant à évaluer l'impact sur l'emploi de mesures de réforme des charges sociales,
c'est la grande fragilité et la grande incertitude des résultats auxquels elles parviennent. Cela s'explique par le caractère énigmatique
des charges sociales.

Un prélèvement énigmatique

Ce qualificatif tient à la difficulté de déterminer l'incidence des charges sociales. Qui supporterait leur augmentation ? Qui
bénéficierait réellement de leur allègement ?
Une augmentation de leur taux, par exemple, peut être supportée par les employeurs eux-mêmes. Mais elle peut aussi faire l'objet
d'une translation vers l'aval si elle est incorporée dans les prix de revient et de vente et, par conséquent, répercutée sur les
consommateurs ; ou d'une translation vers l'amont si elle est répercutée sur les salariés sous la forme de diminutions ou de moindres
augmentations de leurs salaires bruts. Lorsqu'elle ne peut faire l'objet d'aucune translation à court terme, elle affecte les bénéfices
distribués ou l'autofinancement de l'entreprise. Dans cette éventualité, elle risque d'affecter l'investissement et la compétitivité.
Inversement, les effets à attendre d'un allègement de charges sociales, compensé par d'autres prélèvements, sont particulièrement
difficiles à apprécier. Le problème est d'abord de déterminer dans quelle mesure celui-ci va se répercuter en baisse des prix ou en
hausse des bénéfices, ou encore en augmentation de salaires, surtout si les prélèvements compensatoires sont opérés sur les ménages.
Et en cas de hausse des bénéfices, comment celle-ci se répartira-t-elle entre financement d'investissements, distribution aux
propriétaires des entreprises (entrepreneurs individuels, associés, actionnaires) et placements financiers ? Et quid des prélèvements
supplémentaires opérés sur les ménages ? Les syndicats parviendront-ils à en tirer parti pour obtenir des augmentations de salaires ?
Sinon dans quelle mesure affaibliront-ils la demande adressée aux firmes ? Sans parler de l'épineuse question de savoir si, ou dans
quelle mesure, une diminution du coût du travail par rapport à celui du capital donnera lieu à une substitution entre ces deux facteurs
de production, c'est-à-dire à une utilisation accrue de main-d'oeuvre(7).
L'incidence d'une augmentation ou d'une diminution des cotisations sociales des employeurs est donc liée à de multiples facteurs tels
que les objectifs de profit des firmes, leur degré d'exposition à la concurrence internationale, les formes et intensité de la concurrence
sur les marchés de leurs produits et de leurs facteurs de production, les élasticités des offres et des demandes de leurs produits, les
stratégies des syndicats, etc. Il est donc extrêmement difficile de mesurer cette incidence et, plus encore, d'apprécier l'ampleur de son
impact sur telle ou telle variable de l'activité économique, et notamment sur l'emploi. La suppression des charges sociales devrait donc
s'inscrire dans une démarche visant, avant tout, à rationaliser et à clarifier le financement de la protection sociale.

Une suppression bienvenue


Les propositions présentées ici n'ont pas pour but de réduire l'importance de la protection sociale. En effet, le vieillissement des
populations, l'ampleur du chômage et de la pauvreté et les incidences d'une concurrence internationale exacerbée font apparaître celle-
ci comme plus nécessaire que jamais(8). Il s'agit uniquement de définir des principes de rationalisation sur lesquels les pays de
l'Union européenne pourraient s'appuyer pour favoriser une certaine convergence des modalités de financement de leurs systèmes de
protection sociale. Il faudrait en particulier fiscaliser certaines charges sociales et fusionner les autres avec les cotisations des salariés.
Cela serait de nature à clarifier et à réhabiliter la notion de salaire indirect.
La fiscalisation de certaines cotisations d'employeurs
L'appel à des cotisations assises sur les salaires n'est logique que lorsqu'il s'agit de financer des prestations sociales relevant des idées
d'assurance ou de solidarité professionnelle ; c'est-à-dire lorsque les prestations au financement desquelles elles sont affectées sont,
elles aussi, calculées en fonction des salaires. Dans ce cas, qu'elles soient à la charge des salariés ou à celle des employeurs, les
cotisations se présentent comme une fraction du salaire (salaire indirect ou salaire différé) dont les salariés ne bénéficient pas
directement, mais qui est versée pour leur compte aux organismes de protection sociale et qui leur assure des revenus de
remplacement en cas de disparition temporaire (maladie, chômage) ou définitive (vieillesse, invalidité) de leur salaire.
Par contre, chaque fois que des cotisations servent à financer des prestations qui relèvent d'une idée de solidarité nationale et qui n'ont
donc pas pour but de compenser une perte de revenu professionnel (prestations familiales, soins médicaux, pensions de vieillesse
versées aux personnes âgées indépendamment de la durée et des revenus de leur vie active, ou allocations de chômage dont
bénéficient les jeunes à la recherche d'un premier emploi notamment), le recours à un financement par la fiscalité serait beaucoup
mieux adapté. Dans le cas de la France, cela impliquerait la fiscalisation du financement des soins médicaux et des prestations
familiales et, par conséquent, la disparition des cotisations d'employeurs qui lui sont affectées.
La fusion des cotisations des employeurs et des cotisations des salariés
On a déjà indiqué que la distinction entre cotisations des salariés et cotisations des employeurs n'a pas de véritable signification
économique. Elle présente certainement l'avantage psychologique de diviser le taux global des prélèvements opérés sur les salaires et,
par conséquent, de donner l'impression qu'il est moins lourd. Mais la manière dont les cotisations sociales se répartissent entre part à
la charge des salariés et part à la charge des employeurs n'importe, finalement, qu'assez peu. D'ailleurs, dans les systèmes de
comptabilité nationale, les cotisations des employeurs sont considérées comme faisant partie de la rémunération des salariés, au même
titre que leurs propres cotisations. De même, l'article 141 du Traité instituant la Communauté européenne dans sa dernière version
consolidée dispose : " on entend par rémunération, le salaire ou traitement de base ou minimum, et tous les autres avantages payés,
directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier ".
Par conséquent, une loi pourrait imposer de réunir les cotisations des employeurs et les cotisations des salariés en une seule cotisation
globale sans que rien ne soit changé ni pour les uns ni pour les autres.

Cela peut être parfaitement illustré par un exemple très simple.


Soit un salaire brut de 10 000 francs auquel s'applique un taux de cotisation d'employeurs de 20 % et un taux de cotisation de salariés
de 10 % : le montant total des cotisations est donc de 3 000 francs ; la rémunération totale du salarié (au sens de la Comptabilité
nationale), ou coût de la main-d'oeuvre, s'élève à 12 000 francs ; le salaire net, effectivement perçu par le salarié, est de 9 000 francs.
Si on globalise les cotisations, la suppression de la cotisation de l'employeur est compensée par une augmentation équivalente du
salaire brut. Celui-ci se confond alors avec le coût de la main-d'oeuvre, qui est toujours de 12 000 francs ; le montant global des
cotisations prélevées sur celui-ci est toujours de 3 000 francs, ce qui représente un taux global de prélèvement de 25 % ; et le salaire
net est toujours de 9 000 francs. Mais la cotisation de l'employeur a disparu, ou plutôt fusionné, avec la cotisation du salarié. Elles
constituent une cotisation unique et globale sur la rémunération. Cette cotisation est à la charge du salarié, mais retenue à la source par
l'employeur et payée par son intermédiaire.
Tour de passe-passe ? Simple illusion d'optique ? Non, beaucoup plus que cela : changement de présentation riche de signification car
il fait ressortir un véritable salaire indirect.
La réhabilitation du salaire indirect
L'écart entre le coût de main-d'oeuvre payé par l'employeur et le salaire net, effectivement perçu par le salarié, est souvent qualifié de
" coin social " ou " coin socio-fiscal " ; expression beaucoup utilisée de manière péjorative pour déplorer l'ampleur de cet écart et le
considérer comme un coût du travail additionnel et excessif. Mais à partir du moment où des cotisations sociales, uniquement à la
charge des salariés, seraient réservées exclusivement au financement des prestations sociales qui se substituent aux salaires dans les
périodes d'inactivité forcée (maladie, invalidité, chômage, ou retraite), elles constitueraient vraiment un salaire indirect (ou salaire
différé). La rémunération des salariés comprendrait alors deux composantes clairement identifiées : le salaire net (ou salaire direct) et
le salaire indirect, véritable salaire de solidarité, versé aux organismes de protection sociale pour être redistribué dans les éventualités
prévues et opérer, ainsi, un certain lissage des revenus sur l'ensemble de la vie. Le financement de la protection sociale serait donc
établi sur des bases plus logiques et plus claires. Les salariés percevraient mieux le lien entre les cotisations prélevées sur leurs
rémunérations et les prestations auxquelles elles ouvrent droit. Les cotisations sociales seraient peut-être - et enfin ! - moins souvent
considérées comme des prélèvements maudits source de chômage...
Source : Les cahiers français, n° 292 , Page 80,Auteur : Alain Euzéby (Professeur de Sciences économiques, Université Pierre
Mendès France de Grenoble) .

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