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Au jour le jour
Inimaginable…
Pas sous les draps sans Maja…
Accoutumance…
Que 365 dessins restent prisonniers de l’électron
vous glace le cœur. Maja ne s’oppose pas au monde moderne et utilise les outils de
publication de son temps. Mais, avec le Livre, il offre, en plus, une connexion perma-
nente à la Vie brève. Et, ainsi, ses exactions deviennent de vrais forfaits illimités !
Parions à nouveau que Maja vous fera sourire par ses personnages comiques suspendus
aux arbres, aux concepts ou à l’aplomb de terres inconnues. Il convoque pour vous des
créatures étranges qui deviendront vos familiers dans un éden terrestre. Il vous sert alors
les mots appropriés de la lutte anticancrelat, du visiteur en Italie, du philosophe détaché,
du manager en pleine conduite du changement…
Au jour
le jour
Albums de dessins
La Vie brève. Octavo.
Abécédaire de l’ange, avec Alain Hervé. Octavo.
Bonheurs. Glénat.
La corne de brume
pour le dernier passage,
les vagues vont venir s’échouer
tout en bas contre la digue…
Je vais rentrer pour dessiner,
pour ne pas oublier ce moment…
20. Il arrive toujours au mauvais moment 5 mars
C’était une autre époque… Nous avions alors remonté le cours du fleuve
(il paressait en méandres très doux) jusqu’à Fort-Savorgnan.
Le poisson abondant et le gibier des rives faisaient l’ordinaire de nos repas.
Plus loin, avant Béché commençaient les rapides et les chutes et au-delà,
la terra incognita…
Nous établîmes le campement sur le rocher qui surplombait la troisième
chute, et c’est là, je crois bien, dans cet étourdissant et impressionnant
tintamarre des eaux que nous décidâmes de faire tente commune…
54. Passion de Pulcinella 3 avril
Et pourtant…
C’était un après-midi de torpeur, dans la ville dont je tairais le nom.
Le bruit des sabots sur les pavés inégaux, il a passé la porte de la ville
puis s’est perdu dans les faubourgs. Après…
La rumeur a repris, les hommes ont reparlé, le vrombissement
d’un hélicoptère plus loin, à l’ouest de la ville.
L’habitude, quoi !
59. Accordéon pour Léon 8 avril
60. Promenade de santé 9 avril
Passé le détroit,
du pont du navire,
notre ami Pierre L.
nous fit admirer
un superbe lutteur turc
au repos…
87. D’un coup de dés… 3 mai
Alors vas-y… !
98. Panoramas 18 mai
À gauche, le moutonnement
des collines ombragées
descendant jusqu’à l’océan…
À droite, la vue imprenable
et paléontologique
sur le tatou mâle…
99. Aux aurores 20 mai
Il le reconduit à la frontière…
Il s’était si bien attaché à lui,
qu’ils partirent ensemble…
loin.
115. Walkyrie 17 juillet
À marée basse, c’était le meilleur coin pour les crevettes, les vraies,
les grises et pour les crabes roses et orangés. À cette heure-là,
l’eau était tiède aux chevilles… Plus tard, on est montés s’allonger
sur l’herbe près du fortin, le soleil était presque à l’aplomb.
Un lézard m’est grimpé dessus, m’a parcouru le torse puis s’est arrêté, alors
j’ai cessé de respirer… J’étais tout fier d’être pris pour une pierre chaude
quoiqu’un peu molle…
122. Écologique 23 juillet
Êtes-vous sûr
qu’il parle anglais ?
140. Vertiges… 13 août
17 août
144. Belvédère
145. Frustration 18 août
El Torero avait imposé à son fils une éducation spartiate. Pour l’endurcir,
il le trempait le matin dans les eaux fraîches du Guadalquivir juste
avant Las Marismas… Le fils ne suivit pas le père dans la carrière royale
de découpeur-de-taureau-en commençant-par- les-oreilles mais opta
pour l’art paisible du portrait flatteur… Il en fit de jolis pour les Grands
et les moins grands d’Espagne sous le nom d’emprunt de Francisco G.
Il spécula ensuite dans l’immobilier touristique de la côte andalouse…
Ce n’est que plus tard, à la retraite qu’il ouvrit 243, avenida Alfonso-XIII
à Madrid sa fameuse boucherie chevaline…
163. Coming out 5 septembre
520 cm
x 317 cm
= 164 840 cm2
x 950 000
= 15 659 800 euros…
184. Souvenir, souvenirs… 26 septembre
L’action
Georges est indifférent aux tentatives d’Alice de le troubler,
progressivement les rôles vont s’inverser (cela exigera des acteurs
des subtilités psychologiques peu communes aux mœurs contemporains).
Le bandonéoniste qui a connu Georges à la communale de la rue de Picpus,
n’est pas indifférent à Alice, elle aime sa musique parce qu’elle a du sang
argentin, mais Léon ne veut pas trahir son copain…
Le chat est un catalyseur de passion, il miaule aux moments forts !
On cherche un Auteur qui pourrait démêler tout ça et révéler
dans une langue d’aujourd’hui tous les sous-entendus métaphysiques,
psychanalytiques et sociétaux de ce drame moderne.
Version filmée, opéra bouffe et produits dérivés prévus…
1
Pièce en trois actes, cinq tableaux et changements de décors, intermèdes lyriques et dansés.
189. Balises 1er octobre
Vint le jour – je venais juste d’avoir dix ans – où ce fut mon tour
d’aller nourrir le vieil Adam… Il fallait être seul pour ne pas l’effrayer…
On lui lançait les reliefs de nos repas, des fruits aussi, des gâteaux parfois…
il poussait de petits cris aigus et des grognements comme les blaireaux
ou les porcelets…
On racontait, qu’abandonné, des animaux l’avaient élevé et nourri…
Il n’avait pas d’âge, les plus vieux du village l’avaient toujours connu…
Je l’ai vu, une seule fois debout, là-bas, près du fleuve, sur un rocher,
immobile, les yeux clos… J’ai cru l’entendre chantonner, c’était très doux
et monotone…
195. Non-être 7 octobre
On habitait alors rue de la Brèche aux Loups, une rue en pente et très
ventée du XIIe, l’immeuble du marchand de couleurs… Dans sa vitrine,
il y avait des martinets, du papier tue-mouches et même un rat naturalisé,
des farces et attrapes aussi (coussin péteur, soulève-assiette, boules
puantes).
Ma chambre était tout là-haut, j’entendais les gouttières ruisseler quand
il pleuvait (souvent). Le papier peint se décollait tant elle était humide
et, sur le plâtre, s’étalaient de grandes taches d’humidité… C’était mes
îles au trésor… J’y allais souvent pour y tuer des Japonais et des Indiens,
dans les grottes souterraines, les mygales géantes gardaient le trésor volé
par des Allemands en sous-marin…
198. Guinness 10 octobre
Les colonnes traçaient la frontière avec les Terres Vides, un Infini plat
et désolé… Ici, c’était le dernier lieu habité, le dernier feu, même pas
la dernière étape, car on ne pouvait pas aller plus loin…
Les gardes-frontières avaient ordre de tirer sur qui tenterait de franchir
les colonnes. L’oiseau, paraît-il, un jour, avait survolé les Terres Vides
mais il n’y était jamais retourné et quand, à certaines heures, on entendait
le râle du vent noir de là-bas, il allait se cacher…
La nuit alors tombait subitement…
Il était interdit d’allumer les fanaux et et nous devions aveugler
les fenêtres...
200. Amore lettere 12 octobre
– Pourquoi pêchez-vous?
– Et vous?
– Que pêchez-vous?
– Des questions…
– À quoi ça sert?
– À ne pas trouver de réponse…
Les yeux mis-clos au soleil d’automne,
le pépiement des oiseaux, une mobylette
qui crépite la-haut sur la colline, un cheval
qui s’ébroue, feuilles rousses sur l’étang,
des coups de bec dans la pomme tombée…
202. Plein-bec 14 octobre
Ce soir-là, elle fut une éblouissante Reine de la nuit, mais quand le bal
prit fin, et que tous, nous voulûmes lui dire notre admiration, elle s’était
déjà évanouie… C’était sa soirée d’adieu, nous apprîmes qu’elle avait
quitté la ville… On savait peu de choses d’elle, qu’elle avait fait philologie,
un peu langues-zo, Georges l’avait aperçue à un cours de sophrologie
urbaine avec un étudiant indien, mais quand il avait voulu lui parler,
elle avait subitement disparu… Il en avait été très contrarié…
J’y repense ce soir, en écoutant… « O zittre nicht, mein lieber Sohn »
et en griffonnant ce petit dessin…
220. Dernière visite… 2 novembre
Tout jeune, il écrivait des lettres anonymes à ses parents pour se venger,
il avait découvert le pouvoir des mots… Adolescent, c’est aux jeunes
délurées qui l’avaient éconduit, qu’il destinait ses missives empoisonnées…
Il élimina aussi assez vicieusement quelques concurrents, en vain
(trop d’acnée !) Plus tard, il devint nègre et écrivit des romans, essais,
plagiats, des critiques venimeuses ou grossièrement louangeuses
sous le nom d’autres écrivains.
Vers la soixantaine, sous un pseudo, il se fit un nom en racontant sa carrière
de prète-stylo… Des impostures furent révélées et des outres dégonflées…
Mais quand il révéla son patronyme, on ne le crut pas ! Il se mis à boire
ses droits d’auteur, et finit aux alcooliques anonymes…
231. Ophisme 13 novembre
Mon ami N. – avec qui je partage un goût pour les extravagances érudites –
au cours de nos dérives nocturnes dans la ville de L. me révéla,
alors que nous passions devant un immeuble bourgeois du 4e, l’existence
d’une secte ophique qu’il avait un temps fréquentée. On y vénérait
le Serpent Gnostique, celui qui donna à Ève la Connaissance…
Piquant ma curiosité, il m’en décrivit les curieuses cérémonies, je me perdis
un peu dans la généalogie embrouillée des Sethiens, Asclépiens, Pérates
et Naassènes…
Tandis que nous cheminions vers l’hôtel, chaque recoin d’ombre, chaque
porche, chaque passage semblait habité de présences prêtes à se manifester…
Je ne me souviens plus quand nous nous rendîmes compte qu’à force
de marcher nous étions déjà dans nos rêves…
232. Secrets de famille... 14 novembre
Hapax, ce mot grec plein de piquants qui frappe comme une masse d’arme,
je l’ai lu chez Michel Onfray…
Un événement émotionnel brutal, soudain, qui change totalement le cours
d’une existence : le chemin de Damas pour saint Paul ; la chute de cheval
de Montaigne ; François d’Assise en naturiste ; les rêves de melon de René ;
le Cogito pensant ; saint Augustin au jardin des repentances ; le philosophe
moustachu au bord de l’eau, visité par le Surhomme…
Le dictionnaire n’est pas chiche pour ces moments-là : satori, révélation,
grâce, illumination, éveil… À chacun son hapax, même en mode mineur…
234. Annuités… 16 novembre
Sûr que c’était un homme convenable et rangé, qui ne laissait pas son âme
divaguer… C’était un homme raisonnable qui n’aimait pas le désordre
des pensées, ni le flou, son âme l’inquiétait, une fugue par-ci par-là…
Pas grave… Mais cette fois, elle s’était évadée, émancipée…
Pour la récupérer, il renonça à ses agendas si ponctuels, aux repas réguliers,
à sa sensualité en veilleuse… Il découvrit le bonheur idiot, la paresse
moelleuse, la légèreté nonchalante, la sieste orientale…
Hier, on a partagé son repas : un ragoût de légumes, panais, patates
douces,champignons, navets et brocolis (bios) barbotant dans une sauce
au saté, de l’ail, une pointe de gingembre et de cannelle… Essayez!
236. Ce que disent les oiseaux… 18 novembre
Tous les jeudis, à cette heure-ci, les Créatures du docteur Panado rentrent
à la maison après une dure semaine de conjurations, sorts jetés, exorcismes
et rêves prémonitoires… Le docteur en tient la liste précise : crocodile
du Nil, lobbyiste, ectoplasme, ourobouros, vipère lubrique, zombi
des îles… Etc.
Pas question d’en oublier ou d’en perdre, il ne pourrait plus les contrôler.
Je ne dirai rien, mais il y a des trous dans sa liste…
239. Barbinades 21 novembre
C’était l’année des méduses. Ah, quelles étaient jolies avec leur couleur
framboise aux reflets gelée-citron ou bleuâtres avec des douceurs lilas !
Papa disait que les Chinois en raffolaient… Georges les titillait, mais
je crois qu’il voulait les crever avec sa badine. Après, y en a eu tellement
qu’on pouvait plus aller à la plage, elles ont débordé en ville,
elles semblaient même communiquer entre elles, puis les mérules
sont sorties des murs pour les rejoindre…
Heureusement la grève était terminée, on a pris le dernier train.
J’en ai vu quelques-unes sur les traverses, qui nous regardaient…
242. Vue de dos 24 novembre
Que les choses étaient claires, les sciences étaient rangées dans des tiroirs
à glissières avec des étiquettes en anglaise, les pleins et les déliés étaient
honorés… C’était la belle époque de la Phrénologie, on s’y retrouvait,
le crâne faisait l’homme!
On mesurait les micro, les brachy et les hydrocéphales, nul n’échappait
au destin crânien, les assassins étaient calibrés, les mathématiciens
avaient leur bosse, l’élite aryenne était dolicocéphale, les crânes d’esclaves
tout ronds, les philosophes avaient le front hugolien, les sournois
et les hypocrites l’avaient bas, les orbites enfoncées signalaient la brute…
à défaut, les pieds en dedans révélaient la débilité profonde…
Tout cela est révolu ! L’Ambiguïté et la Confusion règnent, les Valeurs
se sont fait la malle ! Où sont les crânes d’antan ?
252. Concert inattendu 4 décembre
Tandis que les jets d’eau des fontaines romantiques s’élançaient dans l’air
d’automne, l’automate-violoniste relégué depuis des lustres au fond
du parc fut remis en marche, l’orgue à eau joua un viril Sambre et Meuse
puis un divertissement aigrelet et charmant qui pouvait évoquer
la Quatrième Barcarolle de Fauré, surtout vers la fin…
Alors Janine (dont c’était l’anniversaire) se mit à chanter : d’abord un filet
très pur, des volutes gracieuses, puis la voix s’amplifia, emplit le parc
de sonorités mordorées et orientales… Et dans le silence qui suivit,
les dernières feuilles mortes tombèrent, virevoltant avec grâce…
253. Évolution 5 décembre
Je pense au cœlacanthe ou à je ne sais quel premier poisson qui s’est risqué
hors de l’eau, les branchies prètes à exploser, tous ces sacrifiés de l’Évolution,
les lignées en fin de course qui jouent leur va-tout, le surgeon
qui résiste et transmet sa volonté de survivre, batraciens, reptiles, ce rat
palmiste notre ancêtre, ces charniers de mammifères, Lucie se redressant,
Néanderthal néantisé…
Tout cela pour aboutir à nous, à la névrose de ta mère, à la tyrannie mesquine
de papa, à notre découvert à la banque, et à cette bouderie ridicule
parce que je n’arrive pas à dévisser le syphon du lavabo bouché...
254. Les Belles Bacchantes… 6 décembre
Ils sont descendus sur la ville, la banlieue en délire, conduits par le Dieu
de nulle-part, l’Errant fou… Au son des flûtes, des sistres, des cymbales,
criant, dansant, le cortège des boucs, des ménades déchaînées, des silènes
ventrus, des bacchantes en transes, des ânes membrus et des léopards,
envahit les rues… Qui n’est pas rentré à temps est happé par la folie…
Tandis que dans les caves humides et sombres débute la fermentation
des moûts et des sucs, la lente digestion de la terre…
255. Compañeros 7 décembre
Des semaines, des mois qu’ils ont marché, côte à côte et parvenus là,
ne peuvent se séparer… Ils en ont tant vu, ils ont tant enduré
que leurs mémoires se sont mêlées, ont-ils même des noms différents…
Ils continueront jusqu’à la prochaine borne. Ils auront vieilli ; l’un d’eux,
fatigué, enfourchera l’âne, l’oiseau sur l’épaule, l’autre conduira ;
à moins que ce ne soit l’inverse…
256. On peut pas tout dire… 8 décembre
Le doux parfum
du temps qui passe…
265. Jeux de mains... 18 décembre
La crise s’amplifia, l’on vit dans les terrains vagues, les champs d’épandage,
les zones polluées qui entourent les cités, des cohortes de petits
épargnants ruinés, d’agioteurs affamés, de spéculateurs hagards se battant
la coulpe et se couvrant de cendres…
Tandis que les requins de la Finance, les hautes autorités de l’Arnaque,
les gourous de Wall Street se convertissaient en prophètes promettant
dans l’Autre-monde ce qu’ils n’avaient pu tenir dans celui-ci, vendant
indulgences à 20 % d’intérêt, pénitences en coupons, paris de Pascal
et places réservées au Paradis fiscal… Les foules désabusées se détournaient
d’eux avec dégoût…
24 décembre 2008
Pulcinella
Mère Ubu vous avez foutrement grossi !
Mère Ubu
C’est venu d’un seul coup dans ma gidouille…
Pulcinella
Ce serait pas le gros bâton du Père Ubu ?
Mère Ubu
Le père Ubu l’est trop vieux, son bâton lui sert de canne!
Ventrebleu, qu’est-ce qu’il gigote là-dedans !
Il me fout même des coups de pieds,
ce sera un fort grand voyou, un bordelisateur et un ricanant !
Pulcinella
Et ce voyou il a un nom?
Mère Ubu
Foutredieu, je sens que ça vient ! Vite, ma chandelle verte !
Les palotins l’emmènent sur une chaise à rouillettes, elle a les pattes en l’air…
Pulcinella
(Pensif )
Foutredieu, c’est un joli nom…
272. Recettes 26 décembre
Les enfants de pleine lune naissent vigoureux, ils ont la face ronde
et le cheveu dru. Plus tard, les femmes laissent leur chevelure onduler
et se répandre en vagues sur leurs épaules au blanc laiteux, elles se teignent
en blond vénitien car ce sont de grandes amoureuses aux passions
tempétueuses qui vous laissent sur la grève comme une épave couverte
d’écume… L’homme lunatique se taille les cheveux en cimier grec comme
celui d’Alexandre le Grand, c’est un chimérique et un conquérant,
né sous le signe de l’eau. Il sera scaphandrier ou radiesthésiste, alchimiste
ou plombier… Navigateur, il se tient à la proue du navire, les vagues
glacées lui fouettent le visage, l’horizon fuit à mesure qu’il s’en rapproche,
les coraux projettent des nuages d’œufs phosphorescents et de sperme
translucide. Les crabes géants de l’île Christmas se reproduisent, pinces
dressées vers le ciel, l’ardeur génésique est à son comble…
283. Moins quinze… 12 janvier
Comme tous les jours, selon l’horaire des marées (basses) Emmanuel Kant
accomplissait sa promenade hygiénique (hygienische Spaziergang)...
En hiver, le cours de ses méditations voguait dans le morose (Flaute),
il songeait à la fugacité des jours (die Vergänglichkeit der Tagen),
à la dilution de l’Ego, à l’éternel Retour (der ewigen Wiederkehr)
et à l’indifférence de la Nature... Il polissait ses pensées en phrases courtes
et définitives qu’il insérerait dans le deuxième volume de ses Cogitations
océaniques (Cogitations Ozeansystemen) à paraître chez Fayard à la rentrée
prochaine...
299. Camaïeu 29 janvier
C’est dans la chaleur des étuves qu’il racontait les plus belles histoires…
Celle de la guerre faite pour la beauté d’une femme, de combats héroïques,
d’une cité assiégée, de fureurs, de vengeances et d’incendies cosmiques…
Par sa bouche sonnaient les buccins, on entendait les clameurs
des combattants, le martèlement des sabots des chevaux, le choc
des boucliers… Et quand il décrivait la ruse perfide, le cheval de bois
pénétrant dans la ville, le saccage et les carnages, il était le Poète aveugle…
On quittait le caldarium l’âme exaltée et le corps réconcilié, on tutoyait
les dieux….
301. L’Appel du lointain… 31 janvier
Le stage de Stylite avait repris pendant les congés d’hiver. Y vinrent le plus
fréquemment des fonctionnaires 3e échelon, des banquiers faillis
et des politiques incognito… On y enseignait « l’impassibilité face
à l’imprévisible », le laisser-voir-venir, ou « après-moi le déluge » et plein
d’autres choses aussi utiles... On exigeait des qualités d’endurance,
d’indifférence à autrui, un robuste égoïsme et un sens certain
de l’équilibre… La nourriture était frugale mais régulière, le coucher
un peu rustique…
304. À la loyale… 3 février
Ce genre de match se terminait parfois fort mal, les règles étant floues,
les joueurs les interprétaient à leur façon, le public s’en mêlait en
des pugilats débridés… Les bookmakers tenaient les paris, les gains étaient
rares, on s’en consolait en mangeant ces fameuses petites saucisses
piquantes enrobées dans des crêpes chaudes que des Tsiganes cuisaient
sur d’anciennes roulantes militaires…
305. Dilemme 4 février
À cette époque, j’étais en tournée avec Maria Dolorès, j’adaptais des airs
de zarzuelas célèbres qu’elle chantait et dansait avec tant de passion
qu’elle déchaînait des émeutes dans les villes où nous nous produisions…
J’ignorais totalement – peut-être par cécité inconsciente – les liens
qui l’unissaient à l’ombrageux Albert. Je refusais le duel d’honneur…
Ma carrière espagnole s’arrêta là et je m’exilai…
J’appris le koto à dix-sept cordes dans un théâtre kabuki du quartier
réservé de Wakayama où ne jouaient que des hommes…
306. Au théâtre, ce soir… 5 février
Nous étions aux premières loges quand c’est arrivé. Nous aurions dû
comprendre que ce n’était qu’une répétition et que le vrai spectacle
serait pour plus tard… Ce que je sais, c’est que la représentation terminée,
il ne restait plus rien de ce que nous avions aimé… Juste la réalité
brute et compacte… Alors sont arrivés les urbanistes, les aménageurs,
planificateurs, prospectivistes, spacialisateurs, méthodologues,
programmateurs, maîtres-d’œuvre, et quelques architectes dplg…
310. L’Épouvantail 9 février
L’année scolaire était déjà bien entamée quand elle est entrée dans
la classe. L’atmosphère a aussitôt changé… On s’est mis à rêver de voyages,
de lointains vagues, on a grandi d’un coup et nos jeux ne furent plus
les mêmes… Elle faisait à peine attention à nous, on chercha à savoir
d’où elle venait et où elle habitait… Georges l’a suivie un soir
et il nous a raconté : l’ancienne forge achetée, le pré et les chevaux,
l’automobile…
Georges, quand il le pouvait, nous rapportait de nouveaux détails,
d’étranges précisions, mais il n’a jamais voulu qu’on l’accompagne,
il disait que nous étions trop jeunes…
315. Amor Fati 14 février
J’ai connu Georges lors de la débâcle le mur, restait devant elle des heures
économique, je tentais de me refaire à rêvasser (il prétendait qu’elle s’im-
une santé dans les îles. Il avait loué bibait de ses pensées). Il allait ensuite
une villa, inachevée faute la ranger dans un réduit obs-
de crédits. Certaines pièces cur et inscrivait soigneuse-
étaient habitables et d’autres ment sur le châssis, la date et
à la merci des caprices météo l’heure, puis il descendait
rologiques. La vue y était au village…
sublime, cosmique, c’était Le lendemain, idem, avec une
celle de l’apôtre de l’Apocalypse… nouvelle toile blanche…
Quand je
Georges vivait en ermite, ses besoins l’ai revu, l’année d’après, l’opération
réduits à l’essentiel.
Tous les matins, était identique, mais sans toile…
il posait une toile blanche contre Il avait beaucoup progressé…
324. Kaiser mit uns 23 février
Vinrent des jours plus cléments et nos conversations prirent de la densité,
c’étaient plutôt des échanges de silences… Parfois il nous arrivait,
à l’un ou à l’autre d’émettre qui un cri, qui une interjection,
mais c’était par mégarde, par distraction ou quand l’émotion débordait…
Ce printemps-là, nous allâmes très loin dans l’échange, l’intuition
que cela cesserait bientôt… C’était l’année passée…
Je l’attends près de la vigne, ou s’il préfère à côté des buddleias,
je n’ai pas eu le temps de les rabattre à l’automne…
331. Madeleine… 2 mars
Rendez-vous pris dans une cafétéria du quartier indien sise dans un des
passages qu’affectionnait le « Paysan de Paris »… Il tenait à me dévoiler
l’ampleur du Complot, afin que je le répétasse dans mes écrits… ( Je trempai
ma cuillère dans la crème anglaise où barbotait un sweetcake à la cannelle…)
D’anciens trosko-maoïstes convertis en néocons, des informaticiens gothiks,
des traders licenciés, un espion albanais retourné cinq fois pratiquaient
un entrisme forcené dans la Tricontinentale… À l’en croire, les poutres qui
soutenaient le Vieux Monde étaient bouffées par ces termites cagoulardes
et la Chute était proche ! À ce stade, j’attaquai brutalement le cheesecake
à la bergamote…
7 mars
336. Hippique…
Je le retrouvais à l’écluse,
on regardait un temps l’eau
bouillonner,
puis on allait
Au Chien-Philosophe, une ancienne
boucherie convertie en bistrot. On y mangeait
des plats robustes, goûteux et prolétariens,
le vin était compris et adéquat. Au fond
de la salle, Diogène rigolard observait quelques
jeunes chiots s’essayant à mordre… des canines,
mais pas de cervelle ! À l’autre table, des saint-
simoniens se boutonnaient leurs costumes
dans le dos, l’anar russe avait les yeux fixes
et les garibaldiens déjà pas mal bu. Georges
qui avait des opinions fluctuantes passait
d’une table à l’autre en changeant de
boisson…
Le passage de l’écluse au retour,
malgré la main-courante, s’avérait délicat…
358. Aqua alta 29 mars
Il s’est mis de côté, à l’écart… Il a dit qu’il fallait tout reprendre à zéro…
qu’il avait besoin de réfléchir… qu’il attendrait que la marée haute
vienne lui lécher les orteils (c’était son expression)… qu’il ne quitterai pas
le belvédère... Quand je suis venue la nuit, il était toujours là,
la lune l’éclairait avec une grande douceur, il avait les pieds trempés…
J’ai pelé l’orange et on l’a partagée avec le café de la thermos…
C’est là que j’ai vu les méduses phosphorescentes, des milliers
qui clignotaient en cadence lentement, et Georges leur souriait...
362. Mégalithes… 2 avril
Distribution
Le Comptoir du Livre
171, rue de la Convention, 75015 Paris
http://volets-verts.blogspot.com
volets-verts@orange.fr
Imprimé par laballery.fr à Clamecy (Nièvre)
N° d’impression
Dépôt légal 2010
isbn 978-2-910090-24-8
A Daniel
u 365e dessin, vous recevez, incrédule, un
courriel plutôt laconique de Daniel Maja :
« Chers Amis, jour après jour, Maja Daniel Maja
surtout le soir, j’ai envoyé mes petites histoires.
Le pari que je m’étais imposé est tenu...
Désormais, je publierai quand je pourrai.
L’aventure n’est pas finie…
[Mais] par la suite, le rythme sera ralenti. »
Au jour le jour
Inimaginable…
Pas sous les draps sans Maja…
Accoutumance…
Que 365 dessins restent prisonniers de l’électron
vous glace le cœur. Maja ne s’oppose pas au monde moderne et utilise les outils de
publication de son temps. Mais, avec le Livre, il offre, en plus, une connexion perma-
nente à la Vie brève. Et, ainsi, ses exactions deviennent de vrais forfaits illimités !
Parions à nouveau que Maja vous fera sourire par ses personnages comiques suspendus
aux arbres, aux concepts ou à l’aplomb de terres inconnues. Il convoque pour vous des
créatures étranges qui deviendront vos familiers dans un éden terrestre. Il vous sert alors
les mots appropriés de la lutte anticancrelat, du visiteur en Italie, du philosophe détaché,
du manager en pleine conduite du changement…