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De la pirogueau TGV:
lestransportsurbains
à Mexico
par Alain MUSSEIi
Universitéde ParisX.
,--.- lnstitut Universitairede France
Avec un taux de croissance de 5 %opar an, Mexico est devenue la plus grande ville du monde, totalisant vingt millions d'habi-
tants. Suivant Ie modèle nord-américain, c'est la voiture individuelle qui, jusqu'à une époque récente, a le ptus profité des
infrastructures de transport. Pourtant, depuis Ie milieu des années 1980, devant l'ampleur des problèmês pôsés par Ia
congestion de la v9iri9, la po_llutionde I'atmosphère et la carence des transports publics, I'état semble avoir chàngé de poli-
tigue. L'accenf est mis sur l'expansion du métro, la création de nouvelles lignes de tramway et Ia réorganisation-du réôeau
d'autobus. Dans le même templ des rnesures ont été prises pour limiter l'usage de la voiture individuelle.
En 199Oa été mis en place un "Programme intégral de transports" qui met I'accent surplusreurs axes prioritaires : réforme
de I'administration du système de transport (et notamment du cadre juridique), réaménagement territorial des modes de
transport, reconnaissance de l'impact social des transports urbains. Parallèlement, pour maîtriser Ia croissance urbaine, il
est projeté de construire cinq villes nouvelles à 70 km de la capitale, distance jugée suffisamment grande pour retardei Ie
processus d'intégration au fissu urbain central.
Introduction
peuventvraimentservir à remodelerla ville ou, tout au moins, à
"Trop loin de Dieu et trop proche des États-UnisD,pour canaliserles flux occasionnéspar I'augmentationdes distances
reorendreune formule attribuéeau vieux dictateur PorfirioDiaz entre domicile et lieu de travail (75 %odes déplacementsdans
(1830-1915),la ville de Mexico est souventprésentéecomme I'airemétropolitainede Mexico).Alors que les piroguesont servi
I'exemple à ne pas suivre : urbanisationgalopante, services de moyen de communicationdans le bassinde Mexicojusqu'au
publics à la dérive, pauvreté et délinquanceen augmentation début du 20" siècle, c'est désormais un réseau de TGV qu'il
constante, pollution incontrôlée,..En outre, I'organisationdes faudraitpour desservirune gigantesquemégalopoleen cours de
transports,fondée comme aux Etats-Unissur I'utilisationinten- formation : 43 millionsde personnesvivent désormaisà Mexico
sive de la voiture individuelle,ne fait qu'accentuer les clivages et dans les États de la prémièrecouronne.Sur près de 200 km
sociaux qui opposent les quartiersriches de I'ouest aux quar- d'est en ouest (distancePuebla-Toluca)et sur 150 km du nord
tiers pauvresdu nord et de I'est. La situationexige maintenant au sud (distance Pachuca-Cuernavaca), tout un ensemble de
des décisionsrapidesdans une villemenacéede congestionet villes relaient ou complètent les activités du District Fédéral
littéralementasphyxiéepar les gaz d'échappementet les rejets (cadefig. 1).On ne peut plus penserla villede Mexicosansavoir
d'hydrocarbures. en tête qu'une grande partie des flux qui la traversentprovient
de ce vasteensemblequi fonctionnede plus en plus comme un
On peut néanmoinsse demandersi les transportspublics,qui tout et qui imposedes solutionsnouvellesaux autoritéschar-
le Mhme accéléréde la croissanceurbaine,
suiventdifficilement gées d'organiserles systèmesde transport.
f,=l qglomdr.
dsMexico
E] lacuslres
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Fip. l. P I a n d e s i t u a tio n d e -/--
l'à' gglo n t é r a t i o n d e Me xtco . æ grandsaxssroutisfs
Situées à une distoncc de 60 à 100
km, toute una séric dc villes d.e
200 000 à un nillion d'habitants
tendent à former uvec le District
f édéra l i n v a s t e c n s e n b le q u i
fottclionne conlnrc uil toul.
Quandles Espagnolsse sont emparésde Tenochtitlân, en 1521, Aujourd'hui,il ne restepresqueplus rien des lacs qui entouraient
ilsont choiside s'installersur les ruinesde la villeaztèque.Sur le I'ancienne Tenochtitlân.Au sud. le lac de Xochimilcosen encore
plan politique,l'idée était judicieuse,puisqu'ilsrécupéraient de lieu de récréationoour des milliersde famillesmexicaines
ainsi à leur profit le système mis en place par leurs prédéces- qui, le dimanche,viennentse promenerentre les chlnarnpas,ces
seurs.Sur le plan pratique,en revanche,ce choix s'est vite révé- jardinslacustresque I'onappelleabusivement"jardinsflottants"
lé désastreux.En effet, les conquérantsne possédaientpas les (fig.2).Au 16" siècle,ils couvraientplus de 100 km'?,mais leur
connaissanceshydrauliquesnécessairespour faire fonctionner superficies'est réduiteà environdeux cent hectares,complète-
les digues,canaux,écluseset barragesqui régulaienten perma- ment ceinturéspar I'espaceurbain. Le lac de Texcoco, situé à
nence le niveau des lacs et permettaientà Tenochtitlân,cité I'est de I'aérooortinternationalBenito Juârez. est constitué de
lacustre,de vivreen symbioseavecson milieunaturel.En outre, bassinsplus ôu moins régularisésoir survivent,tant bien que
la villefondéepar HernanCodésn'étaitpas adaptéeà la présen- mal, les vestigesde la floreet de la faune lacustrequi ont long-
ce de I'eau.Son plan à damier reprenaiten padie le schéma temps fait la richessedu bassin (fig. 3). Des villes entières,
préhispanique, maisde nombreuxcanauxgênaientla circulation comme Ciudad Nezahualcoyotl,qui compte près de 2 millions
des Espagnols,obligésd'utiliserles piroguesindigènespour se d'habitants,ont été bâtiessur le lit du lac asséché.Les terrains
déplacer: au début du 16"siècle,100 000 embarcationssillon- laissésà découvertpar le retraitdes eaux sont chargésde sel et
naient quotidiennementles eaux intérieuresde Mexico. Les décevants pour l'agriculture.En hiver, les vents violents arra-
chausséesoui reliaientla ville à la terreferme sont vite devenues chent du sol fragilisé par la sécheressede grands nuages de
de véritablescordons ombilicauxpour une populationeuro- poussièrealcalinequi viennents'abattresur la capitale: ce sont
péennequi craignaitde voir les Indiensrompre les digues de les tolvaneras.Mais quand vient la saison des pluies, les lacs
protection défendant le site afin de le noyer. Enfin, les lourds réapparaissentet les fonds de cuvettesont rapidementinondés,
édifices bâtis par les conquérantsont commencé à s'enfoncer au détriment des populations pauvres qui les occupent. Les
dans un sous-solspongieux,incapablede supporterle poids voies de communicationsont alors coupées,les maisons les
des monumentsde pierrequi faisaientla gloirede la nouvelle plusfragiless'effondrentet lessans-abrisdoiventse réfugiersur
Mexico.A la fin du 16" siècle,il fallaitdescendrede plus d'un les hauteurs.C'est en considérantce contexteconflictuelou'il
mètre pour atteindrele plancherde l'églisedes Augustins. faut analyserla croissanceurbainede Mexico et les problèmes
de transportqui en découlent.
En 1555, à la suite d'une saison des pluies pafticulièrement
humide.le niveaudes lacs monta brutalementet la ville espa-
gnole fut inondée. Cette catastrophe provoqua des dégâts
considérableset entraînala mort de nombreuxhabitants.Ellefut 1.2 L'agglomération actuelle
suiviepar plusieursautresinondationsqui incitèrentles Espa-
gnolsà entreprendre une æuvrecolossaleet de longuehaleine: Le noyau central de Mexico, hérité de l'époque coloniale,a
le drainagedu bassin.Les travauxcommencèrenten 1607 et ne connu peu de transformations jusqu'audébut du 20" siècle.La
furentofficiellementterminésqu'en 1900,trois sièclesplustard. Révolutionde 1910 et la guerrecivilequi s'ensuivitont entraîné
ll se sont soldéspar la destructioncomolèted'un milieunaturel un premierflot de migrantsvenuschercherrefugedans la capi-
Fig. 2. Les chinampas tle Xochirnilco constituent I'une des dernières zones
ve rt es de M e x i c o . L ' u g r i c u l t ur e tr o d itio n n e lle , h é r itu g e d e l' é poque
préhispanique, est ,netncée pur kt t'roi.ysunceurlsuine, la polltrtkttt tlcs auu-r û Fig. 3. En saison des plrties (ln photo est prise en septemhre), Ie lac de
le tourisnte dominicttl. Les cuttttttxprolègenl pourtunt une population encore 'I'e.rcocosenrble retrouver une wtuvelle jeunesse. Le grarul conal de drainage
îrès ntrale, qui constitue une conrmunouté ù purt duns l'ugglontérutiorr bktque I'e.rtensk;n de Ia ville vers I'esl, ntais plusieurs milliotts d'habitants,
rtrc.ricuineet ilont Ie principul trtoven de locorttotiort reste la pttite burqua ù qti onl colntnit letrr ntaisortdans le lit des ancien"'ktcs,sont en pennlnence
Irut J plt t . / , r tr i t j i r t c l t ( l l t t , t , , A . M u ssclr . tnt,nucésI'ittottdoliott ( olx;lo A. Musset).
Fig. 5. Plan de la zone urbankée du District fétléral et répartilion géographique des différentes zones d'habitat
versQuerétarc
ïepotzollan vers Paclwca
ffi.! vedsounonuÉanisés
espaces
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O polytechniqus
klslitut national
@ (UNAM)
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@ zonorosê
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aéroport
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principauxaxesroutiers
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km
2. L'explosiondes transports
2.1 L'automobile est reine nombre des véhiculesparticuliersdu DistrictFédérala été multi-
plié par trenteen quaranteans, alors que la populationn'a été
À partirdesannées1950etjusqu'audébut des années1980,la multipliéeque par 5,3 et le nombred'autobuspar 3,5 (avantde
croissance de la population, I'industrialisationforcenée et se mettre à diminuer). Selon les sources, on compterait
surtout I'accroissementdes écarts entre zones de travail et aujourd'huientre2,7 millionset trois millionsde voituresdans la
zones d'habitat ont entraînéune forte augmentationdes flux à zone métrooolitainede Mexico.
l'intérieur
de l'agglomération ainsiqu'entrela capitaleet lesvilles
périphériques.Cette période correspondaità une période de Tout le centre ville a été bouleversépour adapter sa structureà
prospéritééconomiquemarquée par l'adoption progressivedu la circulationautomobile,symbole de progrès technique et de
modèlenord-américain.C'est donc la voitureindividuellequi g le puissanceéconomiqueà la fois pour I'Etat et pour les particu-
plus profité des infrastructuresde transport réaliséespar I'Etat liers(notammentla classemoyennequi, jusqu'en 1982,a profité
pourfaireface à la demandemaisaussi,d'une certainemanière, des annéesde croissanceliéesaux exportationsde pétrole).On
pour la créer. L'automobile était en effet perçue comme un a ainsi tracé de grands axes de communication,les e7'esvrales,
facteurde modernisationqui permettraitI'installationsur le terri- qui ont repris la trame orthogonalehéritéede l'époquecoloniale
toire nationald'une industrieindustrialisante.C'est ainsi que le en lui donnant une nouvelledimension,jugée plus conformeaux
nécessitésdu trafic routier(fig.6). Dans l'espritdes concepteurs
du projet,il s'agissaitde faciliterles flux en prenantcomme réfé-
rence les rues largeset rectilignesde New-Yorket non la trame
Fig. 6. La structure orthogonale d.u centre ville apparaît clairement quand on irrégulièredes villes européennes,où les mouvementsinternes
la voit tlu haut de la tour Latino-américaine (44 étuges). l.es g,rarulesavenues sont paralyséspar une voirietrop étroite,mal structuréeet où les
tracées à lu lin des unnées 1970 pour Iaciliter Iu circulation automobile ont édifices publics et les grands bâtiments forment des espaces
bouleversé le tissu urhain sans remettre en cause le maillape hérité de morts qui perturbentle réseau.
l'époque coloniale (photo A. Musset).
À la tin des années1970 et au début des années1980, juste
avantla criseéconomiquequi allaitchangertoutesles données
du problème,huit grandesavenuesont eté percéesdans le sens
nord-sud et onze dans le sens est-ouest.Ces voies ont été
tailléesdans l'ancientissu urbainqrâce à l'élaroissement des
ruesexistanteset à la destructiondi plusieursmilliersde loge-
ments. Ellesont accentuéle caractèreorthogonalde la zone
centrale de l'agglomération,un espace couvrant g3 km' qui
regroupeI'essentieldes activitéset des servicesde la capitale.
Dansce périmètredélimitépar un grandboulevardpériphérique,
le circuito interior,on trouve les plus fortes densitésde popula-
ti on (près de 300 hab./ha, soi t envi ron troi s mi llions de
personnes). C'est une zone qui engendrepresqueles deux tiers
du total des voyagespar personneet par jour et où les posses-
seursde voituresindividuelles sont les plus nombreul (fig.7).
1979 à 1982, les deux tiers du budget du DistrictFédéralont été du périphérique,qui déboucheau nord sur le parc natureldu
consacrésà favoriserla circulationautomobiledans la capitale, Tepeyac (sierra de Guadalupe)n'est toujours pas reliée à la
au détrimentdes autres infrastructures(santé.éducation.looe- partieouest,ce qui pose d'énormesproblèmesde congestion.
ment, transponspublics,etc.).Mais s'ilà n'ont pas contribuéà
augmenterla vitesse des transports,les e/'esvralesont cepen-
dant permis de faciliter les communicationsà I'intérieurde 2.2Crise des transports publics de surface
I'agglomération: même un étrangerpeut circulersans se perdre
dans Mexico,malgréles embouteillages et la longueurdémesu- Si I'automobilesemble reine dans une ville où circulent en
réedes avenues.Conçuspour s'arliculeraveclesdeux anneaux permanenceplus de 2,5 millionsde voiturespadiculières(soitle
concentriques(circuit intérieuret périphérique),ils offrent à tiers du parc national),les transportspublicstraversent,depuis
I'automobilisteun système de circulation intégré, même si les années1970-1980, une gravecriseliéeau désintéressement
I'ensembledu programmen'est pas encore réalisé: la partieest croissantde I'Etatpour ce secteur(tableau2). En 1981, les auto-
bus qui desserventla zone centrale(Ruta 100)ont été expropriés
et récupéréspar les autoritésdu DistrictFédéral.Cette décision
symboliquen'a pas régléles problèmesd'un secteurau bord de
Fig, 8. Les grands axes de conmtunication n'ortl .fail t1u'aggraver les la faillitefinancièreet technique(1).Ën 1976,le parc de la Rufa
problènrcs de circulatiort en offrant aux hallitû,lts aisés de Me.rico 100 étaitévaluéà7 260 unités(dont20 à 40 %ohors servicepour
d.esraisorts ttouvclles d'utiliser leur vélticule personrrcl. Ci-dessus causede pannes,de réparationsinterminableset de manquede
I'eje ccntral, tlui traverse loLtte lû zonc ùilerne'dc la villc (photo A. piècesdétachées).Ce chiffreétait tombé à 4 500 (dont 3 300 en
Musset).
service)en '1981, et il atteignaità peineles 3 800 en 1992,alors
que, selon les expertsde I'ITAM(lnstitutTechniqueAutonome
Mexicain)il en faudrait au moins 9 000 pour faire face aux
besoinsde la clientèle.En assurantmalgrétout 3,8 millionsde
voyagespar jour (soitau moins10 % du total),les autobusde la
Ruta 100 remplissentun rôle essentieldans le quadrillagedu
centreville.lls s'intègrentparfaitementà la trame urbainegrâce
à un réseauorthogonalqui emprunteles artèresprincipales,
dél i mi tantai nsi , à I' i ntéri eurdu ci rcui t i ntéri e ur ,de vast es
espaces non desservis où les relais sont pris par les taxis et
surtout les taxis collectifs(peseros).
Ces taxis collectifssont une des originalitésdu systèmemexi-
cain.Appartenantau secteurprivé,ils permettentde pallierles
insuffisances des transportspublicsdans leszonesou les auto-
bus ne pénètrentpas, tout en assurantun serviced'appointsur
les grands axes de la capitaleet dans les banlieuesproches où
habitentles classesmoyennes.lls suiventalorsdes lignesrégu-
lières,dont les noms sont placardéssur les pare-brises, mais,à
la différencedes autobus.ils oeuvents'arrêterà chaquecoin de
rue pour prendreou déposerieursclients.Officiellement, 42 000
véhiculesappartenaient à ce secteuren 1991(50 000 en 1994),
mais ce chiffre est largementsous-évaluécar il ne prend pas en
comptetous les fraudeursqui exercentleuractivitésans aleder
l es servi ces fi scaux. D ' une certai ne mani ère ,la t olér ance
coupablemais nécessairedes autoritéspermetde mieuxadap-
ter lioffreen transportaux demandesdé la clientèle,sans pour
autantréussirà la'satisfaire complètement.Jusqu'audébut des
\.- grandsaxesroutiers
- - -' lignesdemét.o
. slalionsde métro
a slalionsds oorrespondance
Fig. 12. Plan du réseuu dc tnétro de Mc-tico, qui c<tnrporlc acttrcllcnrcrû ltuil
Iignes. La plupart Llesdix-neu.f poirtts dc clumgenrcrû sont litttités à deux
lignes. Lcs ternti,tus dc Pantitlân c, .lc'I'asquciia sorû ett correspondancc
avec des lignes de trains légers.
11
TRANSPORTSURBAINSN"86 (janvier- mars 1995)
3. Une ville asphyxiée
Fig. 15. <Ce phérnmène d'engorgement est particulièrement sensible sur les
axes conduisant au centre viller. Svmbole tlu Mexioue moderne. I'irnmeuble
de la Bourse domine I'avenue Reforma et tout lc ouitrrier de la Zone Rose,oir
se concentrent les magasins de'luxe, Ies bunquès et Ies bureuu.r (phttto A,
Musset).
Altitude et pollution
4. Et pourtant,elle tourne....
Le plus étrange dans ce contexte n'est pas que I'ancienne un effet immédiat facilement mesurable, puisque le métro a
Tenochtitlân,aujourd'huiatteintede gigantisme,soit au bord de enregistréune augmentationquotidiennedu nombrede passa-
I'asphyxie,maisqu'ellecontinueà fonctionnerpresquenormale- gers de 5 % dès la mise en place du programme.L'enthousias-
ment. Les mesuresdrastiquesprises par I'Etat pour résorberle me des autoritésa néanmoinsété refroidipar une conséquence
déficit budgétaire,comme l'augmentationdu prix des billets perversedu système:entre 1988 et 1990, au moins 400 000
d'autobus et de métro, n'ont pas entraînéde grqnds soulève- automobilessupplémentairesont été immatriculéesdans le
ments populaires ni d'émeutes dévastatrices.A Guatemala- District Fédéral! Pour échapperaux contraintesdu programme
Ciudad,une mesuresemblablepriseen 1985 avaitprovoquéla anti-pollution,de nombreusesfamilles ont en effet décidé
colère des usagers qui incendièrentplusieursautobus. Les d'acheterun véhiculesupplémentaire, le plus souventd'occa-
affrontementsavec les forces de I'ordre se soldèrent oar 40 sionet donc plus polluantqu'unevoitureneuve.
morts et des centainesde blessésdu côté des manifestants.ll
faut donc en conclureque les Mexicainssupportentmieuxque Parailleurs,lestaxisont ététouchéspar une mesureencoreplus
lesautreslesvicissitudes ou bienque les prophé-
de I'existence, restrictive: ceux dont la plaqued'immatriculation se terminepar
ties apocalyptiques des experts manquent parfois de clair- un numéro pair doivents'arrêterde rouler entre 10 h et 12 h
voyance. tandis que les numérosimpairssont obligésde rentrerau garage
entre'16 h et 18 h. Seulslestaxis"veds" , qui disposentd'un pot
catalytique, sont autorisés à circuler sans restriction toute la
journée.lls peuventutiliserune essenceoxygénéeau méthyl-
4.1 Restrictions à l'usage de I'automobile tertio-butyl-éther qui, semble-t-il,doit permettrede réduireles
émissions nocives (aucune enquête complète n'a été réalisée
De fait, à lafin des années1980, le gouvernementmexicaina sur ce sujet).Encore peu nombreux en 1990, ces véhicules
décidé de prendredes mesuresspectaculairesafin de freinerles "écologiques"se sont multipliésjusqu'àreprésenter désormais
effets négatifsde la circulationautomobile,ce qui représenteun la majoritédes taxis en circulation(fig.17).Pourtant,ils ne sont
revirementcomplet de la politiquemenée jusqu'à cette date. pas exempts de tout reproche.En effet, I'introductionprogressi-
L'échec de I'industrialisation oar I'automobileet la crise du ve de l'essenceà taux de plomb réduit(à partirde 1986),puisde
secteurpétrolieront sûrementjoué un rôlenon négligeable dans I'essencesansplomb(à partirde 1990)a semble-t-ilcontribuéà
cette prise de conscience tardive. Dans un premier temps, augmenterla productiond'ozone à causedes additifsde substi-
comme dans beaucoupd'autresvillestouchéespar la pollution tution qui entrentdans sa composition.ll est cependantprévu
atmosphérique,on a décidé de limiterla circulationdes véhi- d'élargiraux parliculiersdisposantd'un pot catalytigue(25 000
culesindividuels. Le programme"un jour sansvoiture" a été mis véhiculessur 2 800 000, selon la Directionde I'Ecologiedu
en place en 1988 afin d'empêcherun cinquièmedu parc auto- Départementdu DistrictFédéral)le statut privilégiéaccordé aux
mobilede roulerun jour par semaine(fig.16).Des autocollants taxis veds.
de couleuront été distribuésaux propriétaires de véhiculesindi-
viduels : il leur est désormais,interditde circuler le jour qui Dernièremesure restrictiveprise contre les voitures indivi-
correspondà la couleurde l'étiquetteapposéesur leur pare- duelles,le centrehistoriquede la ville,durementtouché par la
brise,à la manièred'une vignettefrançaise.Cette iniatitivea eu pollution atmosphériqueà cause des activités bommerciales
Fig. 16. Dans une station service de la I'EMEX, un pnnneûu rappelle au,r
automobilistes les jours où ils ne peuvent pas circttler. Un autocollant rle Fig. 17. Les vieilles "coccinelles" occupent le haut du pavé dans les rues de
couleur est affecté à chaque véhicule en relatiott avec lc dcrnicr nunftro de sa Mexico. Les taxis verts (écologiques) ont supplanté les laxis jaunes car ils
plaque d'immalriculation : lundi (jaune), tnardi (rose), ntercredi (rouge), utilisent de I'essence sansplomb et sont considérés comme moins polluants
jeudi (vert), vendredi (bleu) (photo A. Musset). (photo A. Musset).
Fig, 18. Les c1,clo-poussesont envahi les rues qui entourent la cathédrale et Fig, 20. I-es nouveoux trollevbus sillonnent de nombreux axes urbains (ici
l e Palais Nn t i a n a l . l l s n ' o t t t p o u r to n t p a s d é p a sséle stu d e d e I' u t:ti vi té I'eje central, qui passe à côté du paluis de Rellus Artes). Sur les côtés, ils
tuurislitlue et de nonrbreux Me.ricains y voient I'e,remple d'une exploilation portent des ntessages publicitnires ilestinésti leur propre gloire : le trolleybus
scant luleus ed e s p o p u l o t i o n s l e s p lu s p o u vr e s d e la co p ita le ( p ltoto A . ne pof lue p'as(photo A. Musset.).
MussetJ.
variéesqui attirentde nombreuxhabitantsde la périphérie, a été arriveà un accord, ils devraientne pas payer leur stationnement
partiellementinterdità la circulationautomobile(notammentles et une partie des fonds récoltésserait directementutiliséepour
fins de semaiee).Cettedécisiona renduaux piétonsun espace améliorerleurvie quotidienne.
central jusqu'alors malodorant, bruyant et perpétuellernent
encombré,mais ellea été très mal ressentiepar les marchands
et les boutiquiersqui craignaientde perdre une partie de leur
clientèle.Les facultés d'adaptationdu peuple mexicain ont U"" trul"ports publics
4.2 Réorganisation
néanmoinsété misesà contribution: clésormais, de nombreux
cyclo-poussessillonnentles rues entourantle ZÔcalo(place
centrale)et offrent leurs services aux citadins qui ont perdu Devantl'échecpartieldes mesuresprisespour limiterla circula-
I'habitudede marcher(fig.18). tion automobile,ilfaut chercherailleursune solutionà I'engorge-
ment du trafic, et notamment dans la modernisationet la
La dernièreinventiondu gouvernementa provoquéun véritable réorganisation des transportspublics,sans aucundoute mieux
tollé auprèsdes automobilistes.L'Etat a en effetconcédé à deux adaptés aux capacitésfinancièresréduitesde la plus grande
compagnies privées le droit d'installeret d'exploiter des parc- partie des habitantsde Mexico. De nouvelleslignesde métro et
mètresdans les rues les plus fréquentéesde la ville,et notam- de "trains légers" (en fait des tramwaysmodernes)ont été ainsi
rnentdans la Zone Rose.Mis en servicele 1"'seotembre1994 misesen placedepuisle début des années1990.C'est le cas de
afin de limiterle stationnementdes véhiculeset de fluldifierle la ligneA du "train léger" (Pantitlân- Los Beyes),qui a été inau-
trafic, les premiers appareils coûtent une véritable fortune à guréeen août 1991et qui dessertdix stationsgur 17 km de long
I'utilisateur:un peso (1,5 franc) pour 12 minutes,soit un total (13 km dans le DistrictFédéralet 4 km dans I'Etat limitroohede
d'environ30 francsoour une duréemaximalede ouatreheures. Mexico).Prévuepour transporter26 000 passagersà liheure,
Ceux qui refusentde payersont menacésd'une amenderepré- elle a été conçue en collaborationentre des entreprisesmexi-
sentant10 fois le salaireminimaliournalier. Faceau mouvement caines et françaises (Sofrétu, GEC-Alsthom, Cégélec, Matra et
de contestationdéclenchépar cétte mesure,le gouvernementa Crouzet\.En outre, 'l 2 nouveauxtrainsont été mis en servicesur
déjà commencéà battre en retraite.Des négociationsont été la ligne Taxquefra- Xochimilco (12 km et 17 stations pour une
entaméesavec les habitantsdes ouartiersconcernés: si I'on capacitéactuellede 52 000 voyageurspar jour),dans le sud de
la ville(fig.19).ll est prévud'allongerla lignejusqu'à Tulyehual-
co,22 km plus loin. Le trolleybus,jugé obsolèteil y a peu de
temps encore,connaîtaujourd'hui jeunesse: les
.1 une nouvelle
522 Rm de lignesen serviceen 99 1 vont être complétéspar
Fig. )9. Le train léger de Xochintilco npporte une réponse sinrple aux plus de 200 km supplémentaires avant la fin de la décennie
problèmes tle transport rencontrés pnr le.shnbiturrts rlu sud de lu ville.
Silencieur, non polhutrtt, tttotlt'nrc, il redorme uu tronwav utte intuge de
(fig. 20). Le parc actuel sera triplé et porté à 700 unités,ce qui
rnurque qu'il uvait perilue depuis lottgtenps (ph<tutA. Musset). permettrade transporter500 millionsde passagerspar an. On
peut noter que ces lignes nouvellespénètrentau cceur de
certainesbanlieuespopulairesdésormaisintégréesau tissu
urbainde la mégalopole,signed'un changementnon seulement
dans lesstructuresspatialesde la villemaisaussidansla menta-
litédes dirigeantspolitiques.
I
i
Conclusion I
Malgrétoutresles mesuresprises,la situationdes transportsà de la capitale,les pauvresont payépour que les richespuissent
Mexico est encore loin d'être idéale.Le principalproblèmereste circulerdans leursvoituresparticulières. Aujourd'hui,la situation
celui du financementdes infrastructures: les besoins sont sembles'inverser: l'argentdes impôtssertà améliorerla qualité
énormeset les ressourceslimitées.Or il est impossiblede faire des transports publics et à favoriserI'intégrationdes banlieues
payer aux usagersle coût réel du servicerenducar la population défavorisées.Or cette évolutiona lieu au moment où le gouver-
n'a pas les moyensde supporterde nouvelleshaussestarifaires. nement mexicain,engagédans-unepolitiqueéconomiquenéo-
L'améliorationdu trafic et la réorganisationdes réseauxpassent libéraleinfluencéepar les Etats-Unis,se désengagede tous les
donc oar un accroissementde la fiscalité directe et indirecte secteursde la production.Cet ultime paradoxemontre qu'il est
touchantI'ensemblede la populationme4icaine,ce qui suscite très difficilede prévoirquel sera le programmemis en place
de nombreusescritiouesdans les autres Etats de la Fédération. après les électionsde 1994, qui ont vu la victoiredu candidat
Une autresolutionconsisteà solliciterI'aideinternationale.
mais présentépar le parti au pouvoirdepuis plus de soixanteans.
ellene fait qu'augmenterle poidsde la detteextérieure. Pouftant,le choix des transportspublicssemble inéluctablesi
I'on veut éviterque la plus grandevilledu monde ne connaisse
On notera pourtant une évolutionfondamentaledans la gestion un situationvéritablementexplosive: dans un contexte difficile,
des transports à Mexico. En effet, au cours des années 1970- plus encore que les moyensfinanciers,c'est la volonté politique
1980, en finançantles eles yraleset les infrastructuresroutières oui fera la différence.
Girny,Claude: Musset,Alain:
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fiqueet techniquen'14, juillet-août1989,Mexico,CST,Ambas- - Le Mexiqueentre deuxAmériques.Paris,Ellipses,1994
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Ambassadede Franceau Mexique. ce au Mexique.