16 SOLIDARITÉ
MARDI 15 DÉCEMBRE 2009
Les glaciers argentins sont à vendre
CLIMAT • Même s’ils reculent, les glaciers argentins restent une énorme réserve
d’eau potable. Des particuliers ont déjà acheté des milliers d’hectares de Cordillère.
Le Perito Moreno, dans le Parc national des glaciers. Plus au nord, c’est une propriété privée. BPN
BERNARD PERRIN
C’est un géant de glace de 30 kilomè-
tres de long et de 10 de large, qui
avance d’un à deux mètres par jour
dans le Lago Argentino. Au cœur de la
Patagonie, le majestueux glacier Per-
ito Moreno est l’un des rares sur la
planète à ne pas reculer. Pied de nez
au réchauffement? Bonne nouvelle
sur le front du climat en débandade?
Fausse bonne nouvelle en réalité...
«Effectivement, ce glacier avance.
C’est dû aux conditions du terrain,
notamment à une pente plus forte
qui descend en direction du lac. Mais
les études démontrent qu’en réalité
la masse totale de glace diminue», ex-
plique Carlos Zoratti, un des gardes
du Parc national des glaciers, en Ar-
gentine.
Le constat général est sinistre:
«En moins de septante ans, le glacier
Upsala a perdu cinq kilomètres. Et de
nombreux petits glaciers qui exis-
taient il y a moins de vingt ans ont
tout simplement disparu aujour-
d’hui», poursuit Carlos Zoratti.
Réserve convoitée
De manière générale, c’est tout le
«campo de hielo» qui perd pied face à
la hausse des températures. Cette fa-
meuse étendue de glace de 350 kilo-
mètres de long, divisée entre l’Argen-
tine et le Chili, est potentiellement la
troisième réserve d’eau douce de la
planète, après l’Antarctique et le
Groenland.
Cette eau douce des glaciers pa-
tagoniens qui fondent sera donc l’or
du XXIe siècle et elle suscite les
convoitises de ceux qui ne se sou-
cient guère du résultat du sommet
de Copenhague, mais anticipent
déjà les conséquences économiques
d’un réchauffement désormais in-
évitable quelles que soient les mesu-
res prises au Danemark: l’ONU pré-
voit que la demande d’eau potable
en 2025 aura augmenté de plus de
50% dans le monde. Et que 3,5
milliards d’êtres humains souffriront
d’un accès restreint.
La carte des sentiers pédestres du
Parc national des glaciers, qui abrite
entre autres le Perito Moreno, s’inter-
LE COURRIER
MIGRATION
Les réfugiés
climatiques,
un mythe?
Au moment où tous les re-
COMPTE À REBOURS gards sont rivés sur Copenha-
gue, l’Organisation internatio-
Le long des 1500 kilo- nale de migrations (OIM) vient
mètres de la côte chi- apporter sa contribution au
lienne, au fil des canaux débat avec un volumineux rap-
patagoniens, entre l’île port sur le changement clima-
de Chiloé et la ville aus- tique et les déplacements de
trale de Puerto Natales population.
sur le détroit de Magel- A Copenhague, écplipsées
lan, se faufile le ferry par le bras de fer titanesque
«Puerto Eden» de l’en- autour de la rédaction d’un
treprise Navimag, la texte pour réduire les émis-
seule qui assure la navi- sions de gaz à effet de serre,
gation sur ces eaux des négociations tout aussi
mythiques. Le trajet importantes se poursuivent
côtoie les glaciers du sur l’adaption au réchauffe-
«campo de hielo sur». ment climatique.
Et tous souffrent
méchamment du coup «Les migrations déclenchées
de chaleur planétaire. par ces changements sont
«Amalia» mesure certes déjà en cours, mais on les re-
encore 190 km2, mais il marque peu du fait qu’ils sont
a perdu 20% de sa graduels», tempère William
superficie en moins de Lacy Swing, directeur général
quarante ans. de l’organisation. Entre 1979
Comme de l’autre côté et 2008, les intempéries ont
de la frontière, en Argen- touchés directement quelque
tine, un seul monstre de 718 millions de personnes en-
glace, béni des dieux, tre 1979 et 2008, tandis que la
continue son expansion: sécheresse, avec des effets à
le glacier Pie XI, avec ses long terme, a affecté 1,6
1200 km2 et sa façade milliard de personnes. «Le
haute de plus de 100 nombre de désastres naturels
mètres... Dans ce sec- a plus que doublé depuis
teur, les précipitations se vingt ans, mais nous n’avons
sont maintenues, et per- pas vu une augmentation im-
mettent au glacier de portante de l’immigration
continuer d’avancer. internationale.»
Mais c’est une exception. La question est de savoir
Et elle ne durera pas plus quel sera à l’avenir l’ampleur
que quelques années. Le des déplacements. Les auteurs
compte à rebours est du rapport dénoncent un
lancé. BPN manque de données fiables
alors que le défi sera crucial.
Jusqu’à présent, les connais-
sances se limitent aux nombre
rompt brusquement au nord: un no res cultivables et des minerais bien 900 000 (!) hectares de lacs, de gla- de personnes secourues après
man’s land hachuré. Le paysage ne sûr, mais surtout une réserve d’eau ciers et de sommets enneigés. Soit une catastrophe naturelle. Les
change pas, il reste majestueux, fait phénoménale, pratiquement incal- l’équivalent des cantons du Valais, conséquences à long terme
de glaciers scintillants, de lacs reflé- culable, une des plus grandes réser- de Vaud et de Neuchâtel privatisés – notamment le sort des habi-
tant les sommets des montagnes. ves de la planète, dans un monde qui d’un seul coup. tants qui ne pourront jamais
Mais il s’agit d’un terrain... privé! Car- s’apprête à mourir de soif en raison Sa fondation Conservation Land retrouver leur foyer – n’ont
los Zoratti tente de se contrôler, mais du changement climatique. Trust achète des terrains à tour de guère été étudiées.
sa voix tremble malgré lui: «C’est in- bras «pour les préserver de toute acti-
admissible que des glaciers puissent Qui détient l’eau... vité humaine». Mais des deux côtés De façon peu surprenante, les
être privatisés de cette manière...» Et comme aucune loi en Argenti- de la frontière, la polémique fait rage: pays pauvres seront les plus
Qui est propriétaire? Dans ce coin de ne n’interdit ou ne freine la vente de alors que l’eau se raréfie, comment touchés par les déplacements
cordillère, les investisseurs viennent terre, plus de 270 000 km2 (un dixiè- peut-on laisser les ressources natu- climatiques. Quant aux pays ri-
principalement des Etats-Unis. me du territoire, et presque sept fois relles d’un pays en mains privées et ches, ils ne devraient pas être
La Patagonie est une terre d’immi- la Suisse) étaient propriété d’étran- étrangères? confrontés à un afflux de mi-
gration. Tragiquement dépeuplée de gers en 2006. De manière tout à fait Un peu plus au nord, la station de grants. «Le nombre de désast-
ses populations indigènes lors de la légale, résultat d’une politique pu- ski de Las Leñas, au cœur de la Cor- res naturels a plus que doublé
campagne du désert, en 1879, elle a blique initiée par l’ultra-libéral pré- dillère des Andes, appartient désor- depuis vingt ans, mais nous
attiré les explorateurs anglais, les ma- sident Carlos Menem dans les an- mais à des investisseurs de Malaisie. n’avons pas vu une augmenta-
rins, les scientifiques (parmi eux, nées 1990 et poursuivie par les époux Dans la ville proche de Malarguë, les tion importante de la migration
Charles Darwin) ou encore les an- Kirchner, Nestor et l’actuelle prési- rumeurs enflent. Et la presse locale ne internationale», explique Jean-
ciens nazis après la Deuxième Guerre dente Cristina. croit pas que le seul développement Philippe Chauzy, porte-parole
mondiale. Et depuis une quinzaine Douglas Tomkins, fondateur de touristique ou la protection du paysa- de l’OIM. Ce qui ne veut pas
d’années, elle attire les plus grosses la marque North Face, est désor- ge aient motivé l’achat de plus de dire que les lois sur l’immigra-
fortunes de la planète et les industriels mais surnommé «le maître de l’eau» 250 000 hectares (presque le canton tion et l’asile soient adaptées
les plus puissants. en Argentine. Converti en écologiste du Tessin...) par des promoteurs asia- aux rescapés des catastrophes
C’est que cette région possède radical, l’Américain possède entre tiques qui n’ont, eux, rien de chantres naturelles.
des ressources stratégiques. Des ter- le Chili et l’Argentine plus de de l’écologie. I Pour l’instant, dans les
pays développés, cette adap-
tation peine à démarrer tant
Une mine d’or aussi néfaste que le CO2 les prévisions fiables man-
quent. L’OIM prône donc l’é-
tablissement d’une commis-
Régulateurs du climat et précieuses réserves «La lutte contre ce méga-projet est pourtant sion sur la migration et
d’eau douce, les glaciers andins ne sont pas mena- indispensable. Dans cette région, une mine à ciel l’environnement. «La relation
cés que par le réchauffement climatique en Argen- ouvert condamnerait en effet à la destruction pure entre les deux est complexe»,
tine! La menace ne s’appelle pas seulement gaz à et simple une partie des glaciers, et à la contamina- insiste M. Swing. «Il est de trop
effet de serre, mais aussi Cristina Kirchner! tion (notamment au cyanure) les «survivants», qui simpliste d’assumer que des
Il y a tout juste un an, la présidente a en effet opposé son alimentent les rivières de la région, et qui sont une changements climatiques et
veto à une loi de protection des glaciers, pourtant adop- réserve d’eau douce inestimable», a dénoncé le environnementaux abouti-
tée à l’unanimité par le parlement. En Argentine, ce veto député national Miguel Bonasso, dans le colonnes ront automatiquement à une
est désormais connu comme le «veto de la Barrick», du du Monde diplomatique argentin du mois de sep- augmentation des déplace-
nom de l’entreprise canadienne Barrick Gold. Cette mul- tembre, qui reprend le slogan tagué sur de nomb- ments de populations.»
tinationale active dans le domaine de l’extraction de l’or reux murs d’Argentine: «Sans or, on peut vivre. Sans ROBERT JAMES PARSONS
entend investir plus de trois milliards de dollars dans le eau non.»
projet transnational (Argentine et Chili) de Pascua-
Lama, qui deviendrait la plus grande mine d’or à ciel Une nouvelle loi largement édulcorée, favorables
ouvert au monde. aux transnationales et leur permettant d’opérer
dans la Cordillère des Andes, est actuellement étu- La Fédération genevoise
Selon les estimations, cette mine rapporterait à diée par une commission parlementaire de la de coopération (FGC), qui
regroupe une cinquantai-
Barrick Gold plus de 160 milliards de dollars en Chambre des députés. La consommation en eau ne d’organisations de so-
vingt-cinq ans. Des enjeux suffisamment colossaux des populations locales, la production hydroélec- www.fgc.ch lidarité Nord-Sud, sou-
pour que les présidentes Cristina Kirchner et trique ou l’irrigation pour l’agriculture ne sont tient financièrement, avec
Michelle Bachelet aient donné leur feu vert au projet, aujourd’hui pas mises en danger que par l’augmen- l’appui de la Ville de Genève, la ru-
brique «Solidarité internationale». Le
malgré les protestations des députés, des militants tation du CO2 dans l’atmosphère... Une politique contenu de cette page n’engage ni
environnementaux, de nombreux scientifiques et cohérente des gouvernements fait plus que jamais la FGC ni la Ville de Genève.
des populations locales. défaut. BPN