LE COURRIER SOLIDARITÉ 9

SAMEDI 9 JANVIER 2010

Le discret retour
des Etats-Unis
au Panama
MILITARISATION • Le redéploiement étasunien en
Amérique latine ne passe pas que par la Colombie.
Onze nouvelles bases sont planifiées au Panama,
petit pays habitué aux interventions de Washington.
SÉBASTIEN BRULEZ, CARACAS
Ce samedi, le Panama commé-
more comme chaque année le
«Jour des Martyres», en souve-
nir de ce 9 janvier 1964 où
quelque deux cents étudiants
essayèrent de hisser le drapeau
panaméen dans la zone du ca-
nal, alors sous administration
étasunienne. La répression qui
s’en suivit laissa un bilan de
vingt-et-un morts et plus de
quatre cents blessés. Durant les
9, 10 et 11 janvier, l’armée éta-
sunienne occupa différentes
voies de communication dans
la capitale ainsi que dans la ville
de Colon, où s’étaient étendues
les manifestations. Fait inédit
dans l’histoire de ce pays qui a
toujours vécu sous la tutelle de
son voisin du nord, le gouver-
nement de l’époque décida de
rompre les relations diploma-
tiques avec Washington, en
signe de protestation face à la
réaction disproportionnée de
l’armée US.
Cet incident est aussi
considéré comme le détona-
teur d’une série de négocia-
tions qui aboutiront à la signa-
ture des accords Torrijos-Carter
en 1977, fixant le 31 décembre
1999 comme date limite pour le
retour de l’ensemble des instal-
lations du canal en mains pa-
naméennes, ainsi que la ferme-
ture des bases militaires
américaines dans la zone.
Le retour de la IVe Flotte
Dix ans après le départ des
Marines, la situation régionale a
changé. Embourbés en Irak et
en Afghanistan, les Etats-Unis
ont durant quelques années dé-
laissé ce qu’ils considèrent, de-
puis la doctrine Monroe, com-
me leur «arrière-cour». Et
l’émergence de gouvernements
progressistes non-alignés à ses
politiques a obligé Washington
à réorganiser son jeu.
C’est Georges W. Bush qui
avait commencé à inverser la
vapeur en juillet 2008, en réacti-
vant la IVe Flotte destinée à pa-
trouiller dans les eaux du conti-
nent et des Caraïbes sous la
double tutelle de la Marine et
du commandement Sud de
l’armée. Basée en Floride, cette
flotte avait été créée pendant la
Seconde Guerre mondiale pour
protéger le trafic dans l’Atlan-
tique Sud et dissoute en 1950.
Plus récemment, le prési-
dent étasunien et Prix Nobel de
la paix, Barack Obama, a obtenu
du gouvernement colombien
l’autorisation d’utiliser sept
bases militaires sur son territoi-
re. Mais les Etats-Unis n’avaient
pas complètement abandonné
l’Amérique du Sud ces dix der-
nières années. Depuis 2000, ils
ont apporté plus de 5,5 milliards
de dollars à Bogota à travers le
Plan Colombie, officiellement
pour lutter contre le trafic de
drogue et les groupes insurgés.
Le pays est ainsi devenu le pre-
mier bénéficiaire d’aide militaire
étasunienne du continent et le
troisième du monde.
En septembre dernier, suite
à une rencontre à Washington
entre la secrétaire d’Etat Hillary
Clinton et le président Ricardo
Martinelli, le gouvernement
panaméen annonçait la signa-
ture d’un accord de coopéra-
tion avec les Etats-Unis en vue
de l’installation de deux bases
navales en territoire pa-
naméen. Ceci afin de renforcer
la lutte contre le trafic de
drogue grâce à des «opérations
d’intelligence et des patrouilles
maritimes appuyées de ra-
dars», comme l’indiquait le
journal local La Prensa.
Cependant, quelques jours
plus tard, les autorités pa-
naméennes démentaient toute
participation active des Etats-
Unis dans l’opération des bases,
qui étaient passées au nombre
de quatre et ensuite de onze. «Il
s’agit de stations aéronavales
nettement panaméennes. Et il
n’y en aura pas quatre mais bien
onze au total», déclarait le mi-
nistre de Gouvernement et Jus-
tice José Raúl Mulino, lors de
l’inauguration de la première
base le 2 décembre dernier, sur
l’archipel de Las Perlas dans
l’océan Pacifique. Le canal de Panama. Dix ans après le départ des Marines du pays,Washington tente de se repositionner
dans la région. En septembre dernier, le gouvernement panaméen annonçait la signature d’un accord
Bases militaires... de coopération avec les Etats-Unis en vue de l’installation de bases navales sur son territoire. KEYSTONE
sans armée
Mais au Panama, les décla-
rations officielles ne convain- ment liées aux sept bases mili- avec les chefs d’Etats conserva- cords de 1977. «De ce point de
quent pas tout le monde. Les taires dont disposeront les teurs de Colombie et du vue là, ils avaient été contraints
organisations sociales, les syn- Etats-Unis en Colombie et qui Mexique, Alvaro Uribe et Felipe à l’échec durant un certain
dicats et certains intellectuels leur permettront de contrôler Calderon. temps», assure le professeur
dénoncent que ces bases fonc- toute l’Amérique du Sud. «Les «M. Martinelli a scellé le Yao. «Ce n’est qu’avec le gou-
tionneront forcément en colla- gens se demandent si ces destin du Panama aux intérêts vernement de Mireya Moscoso
boration avec les Etats-Unis, bases seront des bases étasu- de la politique extérieure des (1999-2004) et la signature des
d’autant plus que le Panama ne niennes et si elles vont être Etats-Unis; il a rapproché da- accords Salas-Becker qu’ils ont
dispose pas d’armée et n’en a utilisées pour autre chose que vantage le pays du Plan Mérida de nouveau obtenu l’accès à
pas été doté durant la majeure pour lutter contre le trafic de (initiative étasunienne visant notre espace aérien, terrestre et
partie de son histoire. drogue. Mais d’après l’expé- officiellement à contrôler le tra- maritime.»
«Comment allons-nous rience que nous avons ici au fic de drogue et le crime orga- Vingt ans après l’interven-
maintenir ces bases en activité Panama avec ce genre d’ins- nisé en Amérique centrale, ndlr) tion militaire étasunienne
alors que nous n’avons même tallations, on peut facilement et nous a sortis du parlement dans ce petit pays d’Amérique
pas de marine de guerre? Notre en déduire qu’elles seront uti- centre-américain sans propo- centrale, les familles des vic-
pays est en train d’aller au-delà lisées pour d’autres objectifs», ser aucune alternative concrè- times (dont le nombre n’est
de la défense de sa propre sou- ajoute-t-il. te d’intégration régionale», toujours pas connu avec préci-
veraineté et de la lutte anti- ajoute-t-il. sion) continuent de réclamer
drogue», estime Julio Yao, pro- Alignement politique Après avoir renversé la dic- que la lumière soit faite sur les
fesseur de relations Depuis son élection en mai tature du général Noriega le 20 évènements de 1989. Mais le
internationales à l’université de dernier, le président pa- décembre 1989, les Etats-Unis président actuel semble avoir
Panama et ex-assesseur du naméen Ricardo Martinelli ont essayé à plusieurs reprises d’autres priorités politiques à
général Omar Torrijos lors des s’est positionné comme l’un de convaincre les gouverne- court terme. «M. Martinelli va
négations des accords de 1977. des plus fidèles alliés de Wa- ments suivants de ne pas suivre permettre le retour militaire
D’après M. Yao, ces nou- shington dans la région et a au pied de la lettre les des Etats-Unis au Panama»,
velles installations sont claire- renforcé les liens de son pays échéances progressives des ac- professe déjà Julio Yao. I

Le voile islamique agite aussi la Bolivie

COOPÉRATION SUD-SUD • Un hôpital offert par l’Iran impose le voile à ses employées. Polémique.
BERNARD PERRIN, LA PAZ
Le minaret blanc du Centro islamico
boliviano s’élève vers le ciel à Santa
Cruz de la Sierra, à l’est de la Bolivie.
Mais il n’attire pas les regards, pas plus
d’ailleurs que la mosquée As-Salam,
construite il y a trois ans à La Paz.
C’est que la communauté musul-
mane reste pour ainsi dire invisible: elle
ne compte officiellement qu’un millier
de pratiquants, pour une population
de près de 10 millions d’habitants. La
religion en Bolivie, c’est avant tout l’af-
faire de l’Eglise catholique, des Eglises
évangélistes en progression constante
et des différentes «cosmovisions» des
peuples indigènes originaires, notam-
ment les Aymaras et les Quechuas.
L’islam pourtant vient de faire irrup-
tion dans le débat public. Le Crois-
sant-Rouge iranien a en effet offert au
peuple bolivien un hôpital flambant
neuf dans la ville d’El Alto, au-dessus
de La Paz. Le directeur est perse, mais
les employées sont boliviennes. Et le
règlement interne prévoit que ces der-
nières devront porter le voile isla-
mique, le hijab.
Ce qu’elles ont fait lors de l’inau-
guration de l’édifice de sept étages,
fin novembre. Mais une représentan-
te du personnel médical a dénoncé
dès le lendemain dans la presse un
port du voile «imposé par la direction
pour l’obtention d’un poste de travail
mais totalement étranger à la culture
bolivienne».
L’affaire a divisé le gouvernement
d’Evo Morales. Le député du Mouve-
ment vers le socialisme (MAS) Gusta-
vo Torrico a tenté de couper court à la
polémique en déclarant que le port du
voile se justifiait, puisque celles et
ceux qui œuvrent dans l’hôpital «tra-
vaillent en quelque sorte en territoire
iranien».
Mais face aux critiques, le ministre
de la Santé, Ramiro Tapia, a adopté un
tout autre discours, assurant «que dès
la mise en service officielle de l’hôpital
en février, l’Etat fera respecter les
normes boliviennes en vigueur».
Dans la société civile, le débat est
aussi contrasté. Esther Daga, la res-
ponsable de l’Association des voisins
du quartier de Villa Dolores, qui abrite
l’hôpital, estime que l’essentiel reste
l’ouverture «d’une structure moderne
et fonctionnel qui bénéficie à la popu-
lation», dans une ville qui manque
d’infrastructures de santé de qualité.
Dans la rue, Juana lui fait écho, ajou-
tant «que ce voile ne choquera finale-
ment pas plus que celui que portent
les sœurs catholiques».
Mais Juan Pablo, directeur d’une
ONG bolivienne à El Alto, ne partage
pas ce point de vue: «L’imposition d’un
élément religieux est un néocolonialis-
me qui se déguise du manteau de l’aide
au développement. On ne peut le tolé-
rer.» Et l’activiste féminine Maria Ga-
lindo, responsable de l’organisation
des Mujeres Creando (Femmes
créant), abonde en ce sens, parlant vo-
lontiers d’un «retour vers des pratiques
du Moyen-âge».
Dans les médias privés boliviens,
l’histoire du voile a surtout permis à la
droite d’attaquer le gouvernement
Morales sur ses relations étroites
tissées avec la République islamique
d’Iran et son président Mahmoud Ah-
madinejad. Certains médias ont aussi
rappelé que l’imam de la mosquée de
Santa Cruz, Mahmoud Amer Abusha-
rar, d’origine palestinienne, est
«soupçonné» par la CIA d’activités
«potentiellement dangereuses» pour
la sécurité des Etats-Unis, selon une
information révélée par Fox News en
mai. Le raccourci est tout trouvé: la
Bolivie, avec l’appui d’Evo Morales,
devient dès lors la base d’Al-Qaida en
Amérique du Sud.
Il est vrai que l’imam palestinien de
Santa Cruz et les gouvernements
d’Evo Morales et de Mahmoud Ahma-
dinejad partagent un même senti-
ment anti-impérialiste. Tous les trois
ont condamné la guerre d’agression
d’Israël contre les populations de la
bande de Gaza, en janvier 2010, Evo
Morales allant jusqu’à expulser le
consul israélien en poste en Bolivie.
Et tous dénoncent la guerre américai-
ne en Afghanistan. Mais au-delà de
quelques affinités anti-impérialistes
partagées, La Paz et Téhéran ne par-
tagent pas la même définition de la
révolution. I
La Fédération genevoise de
coopération (FGC), qui regrou-
pe une cinquantaine d’organi-
sations de solidarité Nord-Sud,
soutient financièrement, avec
l’appui de la Ville de Genève, la
www.fgc.ch
rubrique «Solidarité internatio-
nale». Le contenu de cette page n’engage ni la
FGC ni la Ville de Genève.