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12 SOLIDARITÉ LE COURRIER

JEUDI 1 ER AVRIL 2010

EVO MORALES À LACONQUÊTE DES CITADINS


BOLIVIE • D’essence rurale,
le Mouvement vers le socialisme
(MAS) affronte les élections locales
de dimanche avec pour ultime défi
une vraie implantation urbaine,
analyse Hervé Do Alto, auteur
d’une thèse sur le parti d’Evo
Morales. La droite voit la plupart
de ses bastions menacés.
PROPOS RECUEILLIS PAR conservatrice opposée aux ré-
BERNARD PERRIN formes d’Evo Morales, malgré
La Bolivie va vivre, ce dimanche une constante progression du
4 avril, son dixième scrutin po- MAS lors des derniers scrutins.
pulaire en... dix ans! Cette in- Mais la fameuse media luna
tense participation démocra- (demi-lune), que formaient
tique du peuple, notamment symboliquement les cinq dé-
marquée en 2008 par un réfé- partements du nord, de l’est et
rendum révocatoire (qui a du sud opposés au président
confirmé Evo Morales dans ses Evo Morales lors de son premier
fonctions avec plus de 67% des mandat, semble avoir perdu
voix) et en 2009 par l’approba- son éclat. Les sondages annon-
tion de la nouvelle Constitution cent en effet que plusieurs
(une première en Bolivie), de- pièces de ce puzzle imaginaire
vrait une fois encore démontrer pourraient passer dans le camp
la suprématie du parti du prési- de «l’officialisme», du parti au
dent, le Mouvement vers le so- pouvoir. La réalité électorale est
cialisme (MAS). donc en train d’enterrer l’idée « Comment se convertir en un parti ayant un certain enracinement urbain alors que le discours s’adresse en premier lieu aux paysans?»
Après la réélection histo- de «deux pays distincts» C’est, selon le politologue Hervé Do Alto, auteur d’une thèse sur le MAS, le défi posé au mouvement d’Evo Morales (sur le tracteur). KEYSTONE
rique d’Evo Morales en dé- construite par la droite conser-
cembre dernier, avec plus de vatrice et autonomiste .
64% des suffrages, l’enjeu sera Au-delà du scrutin du 4 avril, l’obtention d’une majorité des feuilles de coca dans les Selon les sondages, la droite Cruz. Dans ce département, le
cette fois-ci de traduire l’hégé- quels sont les défis qui attendent deux tiers au parlement, pourquoi années 1990 et s’est étendu à devrait conserver le département thème de la propriété de la ter-
monie nationale au niveau des aujourd’hui le MAS, le parti ces élections départementales et d’autres secteurs ruraux. Il a de Santa Cruz. Observe-t-on re tient une importance cen-
337 municipalités (élections des fondé dans les années 1990 par municipales sont-elles donc toujours connu une cer- toujours une fracture entre trale, plus par exemple qu’à
maires et de 1800 conseillers les planteurs de feuilles de coca, importantes pour le président taine difficulté à s’implanter l’occident andin et l’orient Tarija ou Pando. A Santa Cruz,
municipaux) et des neuf dépar- qui a construit une hégémonie et son parti? dans les villes. Comment se amazonien? on trouve aussi une véritable
tements (élection des gouver- nationale en englobant en son Hervé Do Alto: Il y a claire- convertir en un parti ayant un Santa Cruz n’est que l’un des bourgeoisie, une oligarchie
neurs). sein tous les clivages de la so- ment un fossé jusqu’à présent certain enracinement urbain départements de l’est du dont les intérêts sont directe-
S’il ne fait aucun doute que ciété bolivienne? Politologue, entre le champ politique na- alors que le discours s’adresse pays... Lorsqu’on regarde l’en- ment liés aux transnationales.
dans l’occident andin, soit les notamment auteur avec Pablo tional, où le MAS a construit en premier lieu aux paysans? semble de la media luna, on L’entreprise pétrolière françai-
départements de La Paz, Oruro Stefanoni de Nous serons des une hégémonie qui s’exprime En 2004, le MAS n’avait gagné constate que les sondages se Total, par exemple, y a son
et Potosi, le parti au pouvoir millions, Evo Morales et la à travers la personnalité cha- aucune grande ville, et en donnent une majorité de voix siège. Malgré sa déroute élec-
obtiendra une fois de plus une gauche au pouvoir en Bolivie, rismatique d’Evo Morales, et la 2005, il n’a obtenu la majorité au MAS dans trois des cinq dé- torale totale en décembre au
très nette majorité, la région de Hervé Do Alto apporte quelques réalité de l’implantation loca- que dans trois des neuf dépar- partements, soit Chuquisaca, niveau national, la droite
l’Oriente sera davantage dis- pistes de réflexion. le. Le MAS est un parti fonda- tements. L’enjeu de ces élec- Pando et Tarija, qui apparais- continue d’y posséder une for-
putée. Le Beni et Santa Cruz de- mentalement de souche pay- tion est donc de voir s’il est dé- sent comme les maillons ce suffisante pour affronter la
vraient demeurer les princi- Quatre mois après la réélection sanne. Il est né des sormais capable de s’étendre faibles de la droite. La situa- croissante hégémonie du
paux bastions de la droite triomphale d’Evo Morales et mobilisations des planteurs de aux centres urbains... tion est différente à Santa MAS. I

«L’unité du mouvement «Il manque une


critique de gauche»
populaire est indispensable» Une alternative politique se dessine-t-elle déjà?
Non... ce n’est clairement pas le moment. L’oppo-
sition de droite est quasiment inexistante et celle
de gauche... totalement inexistante!
La récente adhésion au MAS de politiciens de décisions que prend le gouvernement. Mais cela comme de l’autoritarisme. La Bolivie La droite ne présente actuellement aucun
droite, et même de membres de l’extrême droite il est vrai que la relation horizontale qui liait traverse une période de démocratisation programme, aucune proposition. La ligne néo-
provenant de l’Union des jeunes de Santa Cruz, Evo Morales, le pouvoir exécutif et les orga- très forte. On voit que les mouvements po- libérale est totalement en déroute et seule
n’affaiblit-elle pas la ligne idéologique du parti? nisations sociales a changé. On voit que, de pulaires s’organisent pour choisir et faire subsiste à Santa Cruz la lutte sous la bannière de
Face à la féroce opposition de droite dans plus en plus, ces organisations sont sou- élire leurs propres candidats. Cet appren- l’identité régionale. La droite se retrouve sans
l’est, le MAS a effectivement montré une mises à l’agenda du gouvernement. Ce der- tissage de la démocratie se réalise toutefois repère. Elle attaque le gouvernement Morales en
tendance au pragmatisme politique le plus nier orchestre pratiquement les mobilisa- sous le signe de la préservation de l’unité. le traitant de dictatorial. Lorsque les Boliviens qui
cru. L’analyse du parti tient en deux points: tions populaires, au nom de la loyauté C’est la leçon tirée de ces dix dernières ont connu les dictatures de droite de Hugo Banzer
il faut mettre en déroute l’opposition à envers le processus de changement, lors- années par les organisations sociales: pour et de García Meza dans les années 1970 et 1980
n’importe quel prix. Et pour consolider le qu’il faut appuyer une nouvelle loi ou lutter gagner et conserver le pouvoir politique, la font le parallèle, il est évident qu’il n’y a absolu-
processus de changement impulsé par Evo contre la droite. plus profonde unité du mouvement popu- ment aucun point de comparaison possible! Cette
Morales, il est nécessaire d’avoir la maîtrise laire est absolument indispensable. droite est juste incapable de lire la réalité telle
des institutions, qu’il faut donc conquérir Récemment Evo Morales a appelé les militants qu’elle se présente aujourd’hui, et de comprendre
maintenant. A mes yeux, les cadres poli- à voter compact en faveur du MAS, et menacé Le pouvoir d’Evo Morales en sort renforcé... les bases du succès d’Evo Morales: un gouverne-
tiques du MAS font toutefois preuve d’une d’exclusion ceux qui ne respecteraient pas Dans cette architecture toujours plus com- ment qui œuvre en faveur des populations
certaine naïveté en pensant que les oppo- cette consigne. Est-ce un pas vers un parti plus plexe du MAS, avec une base de plus en pauvres.
sants d’hier vont faire profil bas, adhérer au autoritaire? plus large, qui par exemple regroupe des Ceci dit, il manque aussi une gauche accom-
projet politique du parti et accepter une Il existe en Bolivie une culture politique indigènes de l’altiplano et l’ancienne miss pagnant le processus mais qui joue aussi un rôle
feuille de route révolutionnaire. C’est ignorer passablement verticale, construite autour Bolivie Jessica Jordan, il est certain que le critique lorsque cela s’avère nécessaire. Ce vide
que ces groupes de droite peuvent se réarti- de leaders charismatiques et d’une disci- pouvoir d’Evo Morales ne fait que se ren- est dramatique, au moment où le gouvernement,
culer à l’intérieur même du MAS, influencer pline de parti très forte. Ceci dit, cette «me- forcer. Il est aujourd’hui la clé de voûte de au bénéfice d’une hégémonie totale, fait avaler
sa ligne politique et ainsi saper le processus nace» exprime surtout le fait qu’il existe de tout cet édifice, le garant de l’unité de tou- quelques pilules bien amères. En incorporant en
de changement de l’intérieur... nombreux clivages au sein du MAS, entre la te cette diversité. son sein des anciens militants d’extrême droite.
gauche et la droite ou entre le monde rural Ceci dit, je ne crois pas que cette hégé- Ou en suivant une politique souvent moins
Le MAS est-il encore l’instrument politique et le monde urbain par exemple. En deve- monie soit un danger pour la démocratie. radicale que ce qui est prétendu... Je pense au
des mouvements sociaux? nant un parti hégémonique, le MAS, dans La Bolivie a longtemps connu un système discours de défense de la nature, la Pachamama,
Cet instrument politique apparaît de plus la lignée par exemple du Parti justicialiste de «démocratie pactée»: comme aucun alors que le gouvernement poursuit une vision de
en plus comme une coalition, une constella- de Juan Perón en Argentine, se montre de parti n’était majoritaire, ils s’alliaient pour développement basée sur un extractivisme sans
tion de groupes toujours plus hétérogènes, plus en plus capable d’absorber les cli- gouverner, renonçant du coup à une gran- limite...
avec des intérêts parfois divergents. Et les vages. Dès lors, le jeu politique, la pluralité de partie de leurs programmes. Le scénario PROPOS RECUEILLIS PAR BPN
tensions sont toujours plus fortes, notam- politique, ne s’expriment plus par la multi- actuel est donc intéressant: il existe enfin
ment entre la face sociale du MAS, soit les plicité des partis mais à travers différents un parti en mesure d’appliquer son pro-
organisations sociales, et la face institution- courants au sein même du parti... gramme! Et au final ce sont les millions d’é- La Fédération genevoise de coopération (FGC), qui
nelle, soit le parlement et le gouvernement. Face à une si grande hétérogénéité, le lecteurs boliviens qui jugeront de la ges- regroupe une cinquantaine d’organisations de soli-
darité Nord-Sud, soutient financièrement, avec l’ap-
Les organisations sociales, incontesta- risque est grand que des militants se déso- tion d’Evo Morales, qui la ratifieront ou la pui de la Ville de Genève, la rubrique «Solidarité inter-
blement, gardent une représentation forte lidarisent de certains candidats. Le prési- sanctionneront au terme des cinq ans de nationale». Le contenu de cette page n’engage ni la
www.fgc.ch
au sein des institutions, elles font toujours dent a donc appelé à ce «vote consigne». son mandat. FGC ni la Ville de Genève.
entendre leurs voix, et elles influencent les Mais je ne crois pas qu’il faille interpréter PROPOS RECUEILLIS PAR BPN

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