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COMITE DE REDACTION :

ivan verheyden, rédacteur en chef


jean-claude berck, robert dehon,
jacques dieu, guy druart, patrick ferryn,
jacques gossart, jacques victoor

MAQUETTE DE GERARD DEUQUET

Au sommaire
— à la recherche de kadath, Ivan Verheyden . . . . . . . . . . . . 3
— les orgues spatiales, Robert Dehon . . . . . . . . . . . . . . 8
— notre cahier île de pâques
— journal de bord, Jacob Roggeveen . . . . . . . . . . . . . 12
— adieu, monsieur lacachery . . . . . . . . . . . . . . . . 16
— bois parlants et écriture pascuane, Jacques Dieu . . . . . . . . . 20
— le zodiaque, affaire sérieuse, Jacques Victoor . . . . . . . . . . . 25
— atl, atlas, atlantes, Marcel Holmet . . . . . . . . . . . . . . 29
A la recherche
De kadath

Toujours plus haut s’élevait la lumière et, se mêlant aux orbes du zénith, elle clignotait avec une
lugubre ironie vers les troupes en vol. Le nord tout entier n’était maintenant au-dessus d’elle que
ténèbres épouvantables, ténèbres pleines de rocs, montant d’infinies profondeurs jusqu’a d’infinies
hauteurs. Au sommet de toute cette vision, il n’y avait que ce pâle phare clignotant et inaccessible.
Carter en étudia la lumière plus attentivement, et discerna a la fin quelles étaient les lignes que dessi-
nait, a contre-ciel sur le diadème d’étoiles inconnues, son arrière-plan d’un noir d’encre. Il y avaient
des tours sur ce titanesque sommet, d’horribles tours couvertes de dômes et comptant d’innombra-
bles étages. Elles étaient groupées selon une architecture dont l’habileté dépassait tout ce que les
hommes peuvent concevoir, même au monde du rêve ; bâtiments et terrasses pleins a la fois de mer-
veilleux et de menaces, minuscules et noirs, se détachaient au loin contre le diadème stellaire, qui
brillait avec malveillance a l’extrême limite de la vue.
Couronnant cette montagne démesurée, il y avait un château dépassant toute imagination mortelle, et a
l’intérieur de ce château luisait la lumière blafarde et morbide du démon, faisant planer une sorte de
crépuscule sur ses murailles d’onyx poli. La pâle lueur du phare se révélait maintenant n’être qu’une
fenêtre brillante, allumée vers le sommet de l’une des plus hautes tours. Lorsque l’armée, prisonnière du
2 courant qui la portait, approcha du sommet de la montagne, Carter pensa qu’il avait discerné de déplai-
santes ombres en train de traverser lentement l’espace faiblement éclairé. La fenêtre était étrangement
voûtée, et sa forme n’avait absolument rien de terrestre. Le roc massif avait a présent cédé
la place aux gigantesques fondations du château monstrueux. Randolph Carter comprit alors que sa
quête était terminée, et qu’il apercevait au-dessus de lui le but de tous les voyages interdits et de
toutes les visions audacieuses : le siège incroyable et fabuleux des Grands Anciens au-dessus de
Kadath, la cite inconnue qui se dresse au sein de l’immensité froide…

Howard Phillips LOVECRAFT


« Vers Melniboné », dessin de Philippe Druillet. (Démons et merveilles)
Pour apprécier une forme particulière de littératu- Voilà ce que l’on dira. Mais si c’est ce bouquin qui
re, il faut y être sensibilisé. Dans le cas de a donné envie d’aller y voir de plus près, nous
Lovecraft, c’est bien plus vrai encore. Si nous aurons atteint notre but. »
aimons sa prose, c’est, entre autres raisons, pour
la constante qui émerge de son œuvre : une Quantité de sottises ? Voire. Il suffit de relire le
mythologie cohérente, synthèse de tous les my- chapitre sur les civilisations disparues, pour y
thes anciens et modernes. (1) voir annoncées les énigmes d’aujourd’hui. Profi-
tons-en d’ailleurs pour rappeler textuellement —
L’exemple du « Nécronomicon » est classique. Ce et peut-être pour la première fois sans les trahir
livre maudit aurait été rédigé par un Arabe dé- — la position que défendaient nos auteurs (en
ment, Abdul Alhazred, après qu’il ait erré dix ans 1960).
dans les déserts d’Arabie. L’original est conservé « Nous ne nous refusons pas à supposer des
à l’Université Miskatonic, tandis que des copies visites d’habitants de l’extérieur, des civilisa-
se trouveraient à la Bibliothèque Nationale et au tions atomiques disparues sans presque laisser
British Museum. Celui-ci reçoit encore régulière- de traces, des étapes de la connaissance et de
ment des demandes de consultation pour ce gri- la technique comparables à l’étape présente,
moire. des vestiges de sciences englouties dans diver-
ses formes de ce que nous appelons l’ésotéris-
Or, c’est bien sûr Lovecraft qui l’avait créé de tou- me, et des réalités opératives dans ce que
tes pièces. Ses héros, en quête d’un savoir perdu, nous mettons au rang des pratiques magiques.
découvrent ainsi une vérité qui dépasse l’imagina-
tion humaine et les rend fous : le « Mythe — nous ne disons pas que nous croyons tout,
de Cthulhu ». Bien avant l’arrivée de l’homme, la mais le champ des sciences humaines est
Terre était habitée par les « Grands Anciens ». probablement beaucoup plus vaste qu’on ne
Dieux bienveillants, ils étaient en lutte constante l’a fait. En intégrant tous les faits, sans exclu-
avec les « Autres Dieux », qui les avaient refoulés sion aucune et en acceptant de considérer
dans leur cité originelle, Kadath. toutes les hypothèses suggérées par ces faits,
sans aucune sorte d’apriorisme, un Copernic
De la fiction, bien sûr. Les Grands Anciens au- de l’anthropologie créerait une science com-
raient même créé l’homme « par plaisanterie ou plètement nouvelle, pour peu qu’il établisse en
par erreur ». outre une circulation constante entre l’observa- 3
tion objective du passé et les fines pointes
Mais aussi une étrange érudition. de la connaissance moderne en matière de
Et surtout un symbole : celui de l’origine des parapsychologie, de physique, de chimie, de
civilisations. mathématiques.

C’est pourquoi notre revue porte ce nom. — il apparaîtra peut-être que l’idée d’une toujours
lente évolution de l’intelligence, d’un toujours
Déjà, en 1960... long cheminement du savoir, n’est pas une
Avec Lovecraft, nous nous retrouvons en compa- idée sûre, mais un tabou que nous avons érigé
gnie des auteurs du Matin des Magiciens. Car pour nous croire bénéficiaires, aujourd’hui, de
c’est aux efforts incessants de Louis Pauwels et toute l’histoire humaine. Pourquoi les civilisa-
de Jacques Bergier que nous devons de connaî- tions passées n’auraient-elles pas connu des
tre « ce grand génie venu d’ailleurs ». éclairs brusques, pendant lesquels la quasi-
totalité de la connaissance leur aurait été
Attardons-nous quelque peu, car l’aventure de dévoilée ? Pourquoi ce qui se produit parfois
l’archéologie parallèle débute en fait avec le Matin dans une vie d’homme, l’illumination, l’intuition
des Magiciens. On nous reprochera peut-être de fulgurante, l’explosion de génie, ne se serait-il
ressusciter de vieilles chimères. Il nous revient pas produit plusieurs fois dans la vie de
que, voici près de dix ans, au plus fort de la l’humanité ?
controverse, un auteur français bien connu souli-
gnait que ce livre n’avait aucun impact sur la jeu- — nous autres, civilisations, savons maintenant
nesse et que, de toutes façons, il ne s’agissait là que nous sommes mortelles, disait Valéry. Ce
que d’un aimable feu de broussaille. Or, outre le sont les techniques les plus évoluées qui ris-
fait qu’il est actuellement traduit dans la plupart quent d’entraîner la disparition totale de la
des pays, cet essai — pourtant rébarbatif au pre- civilisation dont elles sont nées. Imaginons
mier abord — se réédite encore régulièrement en notre propre civilisation dans un proche futur.
format de poche. Toutes les centrales d’énergie, toutes les ar-
mes, tous les émetteurs et récepteurs, tous les
Rappelez-vous la préface : « Il y avait quantité de appareils d’électricité et de nucléonique, se
sottises dans le bouquin de Pauwels et Bergier. trouvent basés sur le même principe de pro-
duction d’énergie. A la suite de quelque réac- Et notre but s’inscrit en ligne droite dans cette
tion en chaîne, tout explose. Ne restent que les optique.
hommes qui vivaient plus ou moins à l’écart de Selon la devise des Pieds Nickelés, évoquée dans
celle-ci. Les survivants retombent à la simplici- cet essai : « du calme et de l’orthographe ».
té.
Une attitude sans équivoque.
— nous avons de la Tradition, c’est-à-dire de Le grand problème de l’archéologie — et de la
l’ensemble des textes les plus anciens de l’hu- science en général, d’ailleurs — se situe au ni-
manité, une conception toute littéraire, reli- veau de la vulgarisation. C’est à ce moment, en
gieuse, philosophique. Que devient-elle, vue effet, que les savants sont obligés de présenter un
d’une autre façon, et que dit-elle ? « scénario » cohérent. Or, les lacunes sont nom-
breuses, souvent même énormes. Alors, les ar-
1° que la science est dangereuse. Cette idée chéologues, afin de répondre à la curiosité intel-
pouvait surprendre un homme du XIXe siè- lectuelle du public, se voient obligés, entre les
cle. Nous savons maintenant qu’il suffirait diverses pièces du puzzle, de tisser des ficelles.
d’un projectile au cobalt pour effacer la vie Ficelles qui, à certains moments, deviennent de
sur la plus grande partie du monde. véritables câbles. Mais quand l’édifice est trop
2° qu’il peut y avoir des contacts avec des fragile, les faits de l’archéologie parallèle ont vite
êtres non terrestres. Absurdité pour le XIXe fait de l’ébranler. Et c’est ainsi que s’ouvre la brè-
siècle, non plus pour nous. che par où vont s’engouffrer les théories.
3° que tout ce qui s’est passé depuis le début
des temps, a été enregistré dans la matiè- Celles-ci sont souvent aussi fragiles que les pré-
re, dans l’espace, dans les énergies, et cédentes, mais leur défaut est ailleurs. Ici, le câble
peut être révélé. C’est une pensée au- est d’emblée présenté comme inaltérable. Par
jourd’hui partagée par la plupart des cher- contre, les assises, qu’on refuse un peu trop vite
cheurs. (2) » de fixer dans la science officielle, on va les placer
ailleurs, c’est-à-dire souvent en sable mouvant. De
Il est étonnant de constater que de nombreux sorte que la stabilité de l’ensemble sera aussi pré-
éléments du Matin des Magiciens : des traditions, caire que dans le premier cas.
des sites, des témoignages d’hommes célèbres,
4 lorsque nous les présentons à nos interlocuteurs, Où situer KADATH dans tout cela ? Nous voulons
— qui s’empressent par ailleurs de dénoncer le faire une synthèse des deux. Tenir compte à la
livre — ceux-ci non seulement ignoraient cet élé- fois des acquis de la science classique et de
ment, mais de plus sont vivement intéressés, et ceux de l’archéologie parallèle. De sorte que
souvent nous demandent de plus amples rensei- nous ne présenterons que des assises stables,
gnements. Etrange retour des choses ! tant les certitudes absolues de la science officiel-
le que les faits incontestables de l’archéologie
Mais le Matin des Magiciens avait donné à beau- parallèle. C’est, je crois, ce qu’il y a de neuf chez
coup, en effet, l’envie d’aller y voir de plus près. nous. (3).
Car Pauwels et Bergier avaient posé de nombreu-
ses questions, sans prétendre apporter de répon- Les ficelles, ce n’est pas nous qui les tresserons.
ses définitives. Et le vide attire. C’est aux faits de les imposer et au lecteur de
relier lui-même les pièces du puzzle. Pour l’y
Surtout ceux qui croient « savoir ». aider, nous ne refuserons pas de citer les ficelles,
de parler des hypothèses avancées. Mais, pour
Ce fut à un point tel, que dix ans plus tard, il fallait notre part, nous croyons que la vérité se situe
rappeler les gens à l’ordre. « quelque part par là », sans que pour autant l’une
quelconque de ces théories puisse être considé-
Souvenez-vous encore, « L’homme éternel : « Le rée comme définitive.
thème de ce livre n’est pas très original. Il a été
utilisé par maints auteurs depuis la publication du Des questions sous-jacentes.
Matin des Magiciens et de la revue Planète. Il Car on nous accuserait vite d’insinuer des tas de
nous a paru cependant nécessaire de le reprendre choses, si dès le départ, nous n’allions pas droit
à notre manière, afin de nettoyer notre propre do- au but.
maine... Il faut jeter beaucoup de seaux d’eau et
balayer fermement ». En fait, il s’agit bien d’une option.
Partout, l’archéologie bute sur trois écueils formi-
Coïncidence ? dables : des connaissances astronomiques ve-
« L’homme éternel » vient d’être édité en format nues on ne sait d’où, des constructions incroya-
de poche (chez Folio). Il a paru le même jour que bles à échelle non humaine, et des traditions fan-
KADATH. tastiques identiques sur les cinq continents.
Pour tout cela, la science a, bien sûr, ses explica- Mais il est temps de reprendre les faits
tions, car elle y est acculée. Donc, dans l’ordre : incontestables et de les juxtaposer. De cet en-
empirisme et tâtonnements pour les connaissan- semble doivent surgir — à la longue — des cons-
ces astronomiques ; esclaves à la pelle et mégalo- tantes, des lois, à partir desquelles on peut pro-
manie d’un roi pour les monuments ; imagination gresser. Tant qu’on continuera à brûler les éta-
débridée et hallucinations pour les traditions. Nous pes, on tournera en rond. La solution, pour nous,
prenons le contre-pied, sans abandonner pour doit se situer, je le répète, « quelque part par
autant la méthode scientifique. Ne peut-on pas, en là ». C’est tout. Le reste n’est que bavardage.
effet, par économie d’hypothèse, faire tout dériver
d’une civilisation originelle, qui aurait été décrite
dans les traditions, douée de moyens Dans la préface à son nouveau livre,
« techniques », et ayant légué ses connaissances « L’archéologie mystérieuse » (4), Michel-Claude
à ses descendants ? Touchard s’explique ainsi : « Ce sont les travaux,
les récits, les hypothèses de cette archéologie mili-
tant pour une histoire ouverte et infinie de l’homme,
Une méthode de travail. et par là même s’opposant à la philosophie généra-
Je crois que notre travail est avant tout de recher- le de notre civilisation actuelle et aux données du
che. Recherche originale bien sûr, dans les limites rationalisme (lui-même militant) que nous avons
de nos moyens. Mais surtout recherche sélective voulu rassembler et analyser dans ce livre. Nous
parmi tout ce qui a été dit et écrit sur les civilisa- l’avons fait en nous gardant de la crédulité, mais
tions disparues. Car on a eu trop souvent tendan- sans nous défendre d’une certaine sympathie.»
ce à sous-estimer les multiples difficultés et les
précautions qu’il faut prendre à chaque pas, pour
Nous aussi. Si l’on veut bien ne pas oublier que
éviter de s’engager dans un cul-de-sac, ou dans le
délire organisé. cette sympathie est sans concession. Car, en fin
de compte, ici aussi, c’est de démocratie qu’il s’a-
Ce que nous publierons c’est, croyons-nous, ce git : le droit à une information complète.
qui mérite d’être retenu et servira tôt ou tard de
pièce dans le puzzle qu’est l’histoire de nos origi- IVAN VERHEYDEN
nes. Si nous retenons un élément, c’est parce que
notre équipe, et les savants qui nous aident, lui
auront donné une cote suffisante de crédibilité. (1) Les cahiers de l’Herne ont consacré à Lovecraft 5
Cela signifie aussi que nous puiserons partout, un numéro spécial en octobre 1969.
absolument partout, sans préjugé concernant ce- (2) Nous pensons que ces considérations sur la
lui qui a fait la découverte ou en a tiré des conclu- Tradition sont à ce point vraies, que nous enta-
sions. Il faut transcender les querelles de person- merons dès le prochain numéro, des études sur
l’Ordre des Templiers, probablement dépositai-
nes, sauf lorsqu’il s’agit de fraude caractérisée. res d’une science perdue.
(3) Il ne faudrait quand même pas perdre de vue,
Et c’est ici que nous nous démarquons par rap- par exemple, que sur certains monuments
mayas, la date de construction est gravée dans
port à ce qui a été fait avant nous. Nous ne pré- la pierre !
tendons pas connaître la réponse. Nous croyons (4) Collection « Bibliothèque de l’irrationnel », De-
même qu’il est encore trop tôt pour s’avancer. noël éd., Paris 1973.
Les textes sacrés
entre les lignes
Dans le cadre de cette rubrique, nous proposerons, dès le prochain numéro, des illustrations originales
des textes sacrés les plus insolites. Peintre du rêve et de l’étrange, dans le grand courant des artistes
fantastiques qu’a suscités la Belgique, il était normal que Gérard Deuquet ait été tenté par cette expé-
rience inédite.

KADATH. Si vous avez proposé de faire la ma-


quette de Kadath, c’est parce que le sujet vous
passionne. Cela a commencé comment ?

GERARD DEUQUET. Par le Matin des Magi-


ciens, bien sûr. Le livre m’a bouleversé. Il faut
dire que c’était très nouveau à cette époque.
Mais si c’est le Matin des Magiciens qui m’a
aiguillé vers ce genre de littérature et d’esprit, le
crois que c’est surtout avec Guy Breton que j’ai
pris goût à discuter, des après-midi entières,
d’archéologie parallèle. C’est par lui que j’ai
connu Louis Pauwels, d’ailleurs. Lors d’un voya-
ge en Turquie, Guy a trouvé, dans une église
du XIIe siècle, une fresque où l’on voit Dieu en-
touré d’anges, et au-dessus de lui, un escargot
6 en petits points bleus, et dans le fond une lon-
gue frise avec de petits osselets. C’est du moins
ce qu’affirmait le guide. Mais à l’analyse des
éléments, l’escargot était, en fait, la représenta-
tion flagrante d’une galaxie spirale, quant aux K. L’archéologie spatiale n’est qu’un des aspects
petits osselets, ce pouvaient être des pièces que nous abordons d’ailleurs dans le numéro pré-
mécaniques : pistons, vilebrequins, carbura- sent. Pourquoi cet intérêt pour les civilisations
teurs. Guy Breton tient cela à votre disposition. disparues en général ?

K. Et après le Matin des Magiciens ? G.D. Je dirais presque que c’est joindre l’utile à
l’agréable, en ce sens que d’une part, cela permet
G.D. Le livre que j’ai lu peu de temps après, c’est de découvrir et de connaître mieux ces civilisa-
« La Lune, clé de la Bible », de Jean Sendy. De tous tions, et en même temps, de retrouver dans bas-
les auteurs que j’ai lus sur le sujet, je dois dire que reliefs de monuments assez extraordinaires des
c’est surtout lui qui m’a impressionné. Et j’ai toujours choses relativement insolites, comme à Palenque
rêvé d’illustrer ce thème. Dans sa conclusion, Jean ou à Tiahuanaco. Je me suis d’ailleurs inspiré,
Sendy prétend qu’on trouvera probablement lors pour la maquette de Kadath, des bas-reliefs de la
d’une des marches sur la Lune, l’Arche d’Alliance de Porte du Soleil. Le lecteur pourra vérifier que tou-
Moïse. On ne l’a toujours pas trouvée, du moins tes les lettres de couverture et de rubriques sont
j’ignore si on l’a recherchée ; et puis, on n’a encore tracées dans un bloc, avec des encoches analo-
exploré qu’une infime partie de la lune. Mais il est gues à celles du calendrier dit vénusien. Le K
étonnant que Jean Sendy se soit brusquement tu. dans lequel sera illustré à chaque fois le thème
Pour ma part, je me suis souvent posé la question de principal de la revue, est un bloc de matière, un
savoir pourquoi on n’a pas fait descendre un Lem granit énorme se baladant dans l’espace, venu de
dans les environs de toutes ces colonnes qu’on voit l’infini et allant à l’infini.
de haut, les pointes de Blair. On peut y trouver autant
de cailloux qu’ailleurs, et par la même occasion, voir K. Y a-t-il des sites archéologiques qui vous
ce que c’est. Remarquez, ils le savent peut-être de- fascinent particulièrement ?
puis longtemps. Il y avait là quelque chose d’excessi-
vement intéressant, ce peut être n’importe quoi, mais G.D. Ce que j’aurais voulu voir, ce sont les grottes
ne me dites pas qu’ils ne le savent pas... de Lascaux. Malheureusement, elles sont fermées
depuis 1963. Il y a peu de peintres contemporains comme vous voulez. L’être était dans un
qui pourraient arriver à faire quelque chose de nimbe, c’est-à-dire dans une boule de plexi-
pareil, au point de vue anatomie et stylisation. Ce glas, comme les astronautes sur la lune
qui étonne aussi, tout comme à Altamira, c’est actuellement, et il avait un collant au corps.
l’exactitude du dessin de l’être animal quant à
l’être humain qui, lui, est stylisé à l’extrême, bien K. Et les réactions du public ?
souvent avec un manque de proportions. C’étaient
peut-être des hommes en peaux de bêtes, en ce G.D. Aucune, sauf certains qui ne s’attendaient
sens qu’ils pouvaient avoir des raisons d’aller pas à cela, parce qu’ils y cherchaient la forme et
dans des grottes, mais il y a certainement des non le fond. Mais la toile a brûlé dans un incendie
quantités d’autres choses qui nous échappent. et est repartie avec les autres Elohim... Et il n’est
Disons qu’il s’agit là des restes d’une civilisation, pas dit que je n’y reviendrai pas…
comme ce qui resterait de nous après un cataclys-
me, naturel ou autre : quelques sculptures dans K. Un rêve ?
du granit, des choses gravées ici ou là, ou un ber-
ger s’amusant à dessiner dans une grotte. C’est à G.D. Illustrer les premiers versets de la Bible dans
mon avis ce qui s’est passé. une optique non traditionnelle. C’est dans notre pro-
gramme. Je voudrais faire une véritable bande dessi-
K. A-t-on déjà vu dans vos tableaux affleurer des née — un découpage comme un film, avec séquen-
éléments de votre intérêt pour les civilisations ces et tout —, de la vision d’Ezéchiel. La même cho-
disparues ? se en ce qui concerne l’épopée de Gilgamesh, quit-
tant la terre et la voyant de plus en plus petite sous
G.D. J’ai, lors d’une exposition, présenté une lui. Et d’autres encore : les patriarches qui, après un
toile intitulée « L’Archange». Il s’agissait d’un voyage de quelques jours, retrouvent la terre vieillie
être très personnel, inspiré de la vision d’Ezé- de plusieurs siècles. La relativité d’Einstein, quoi !
chiel. J’avais remplacé les ailes par des pro- Nous sommes en pleine science-fiction, mais com-
pulseurs « x » à air comprimé ou à réaction, ment voulez-vous raconter cela autrement ?

« L’archange ».
Pieces a convictions

LES ORGUES SPACIALES


Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans C’est exactement et jusqu’à preuve du contraire,
preuve. ce que l’on a évité d’entreprendre. Et c’est profon-
dément regrettable. Il y a plus d’un an, nous avons
Euclide de Mégare, « Fragments » (Ve siècle av. interrogé publiquement une personnalité à l’occa-
J.-C.) sion d’une conférence ayant comme sujet la vie
dans l’univers. L’orateur n’avait jamais entendu
En guise d’explication. parler de ce dont nous allons vous entretenir ; ce
Faisant face à toutes les critiques à venir, nous fut pour lui la consternation que de découvrir la
vous présentons un premier article portant sur ce photo que nous publions ici. L’article qui suit
que d’aucuns nomment l’archéologie spatiale. répond donc bien au but de KADATH : faire le
Cette qualification peut paraître disproportionnée point et présenter les faits aux lecteurs.
par ce qu’elle implique, à savoir l’existence de
sites non naturels ailleurs que sur notre bonne « 2001 : l’odyssée de l’espace »
vieille terre. Nous ne connaissons pas d’organis- En avance sur son temps ?
8 me d’étude en cette matière, sinon quelques cher- Dans le film de Stanley Kubrick « 2001 », des
cheurs isolés qui se penchent sur les photogra- astronautes exécutent une sorte de pèlerinage
phies offertes au public par les instances ad hoc. devant un monolithe qu’ils ont découvert sur la
Lune : ce sera pour eux le début d’une aventure
L’archéologie spatiale peut donc prêter à sourire. fantastique. Mais cette odyssée, ne la connais-
Soit. La seule chose que nous pouvons supposer sons-nous pas déjà actuellement ?
est qu’un jour ou l’autre, des astronautes civils la
pratiqueront, ce qui sous-entend que des humains En novembre 1966, les Etats-Unis lancèrent de
rencontreront des sites non humains ou, si vous Cap Kennedy le satellite Lunar Orbiter II. Le 21
préférez, extraterrestres. Cette idée doit-elle, a novembre, d’une orbite située à 48 km, le véhicule
priori, nous effrayer, nous révolter ou encore, som- spatial envoya à la Terre une série de photos
mes-nous obligés — mais par qui ? — de la ca- d’une portion de la Mer de la Tranquillité.
cher à nos contemporains ? Devons-nous présen-
ter pour la nième fois la sempiternelle thèse de la « Le but principal de ces petits satellites (les Lunar
panique du type « Guerre des Mondes » ? Nous Orbiter) qui pèsent 400 kg chacun, est de prendre
ne le pensons pas et les consciences apaisées des photos des sites d’alunissage possibles pour
rétorqueront qu’après tout, ces recherches spatia- les astronautes du projet Apollo. Leur second
les ne sont pas pour demain. objectif est de photographier des régions particu-
lièrement intéressantes sur la face cachée de la
C’est un point de vue et il en est un autre : Lune ou des régions polaires, afin de réunir une
concevez un instant que les deux puissances certaine quantité d’informations topographiques et
spatiales aient eu l’attention attirée par des si- géologiques » (1).
tes lunaires présentant des facettes troublantes,
compte tenu de ce qu’on connaît de leur envi- Lunar Orbiter commença sa mission en prenant 422
ronnement. La moindre des choses, la méthode photos de treize sites d’alunissage possible. « La
la plus logique, cette méthode que l’on nomme caméra unique de Lunar Orbiter II prend alternative-
avec raison scientifique, demanderait que l’on ment des photos avec un objectif grand-angulaire et
étudie ces hypothèses et, étant donné que des avec un téléobjectif. Une photo prise au téléobjectif
hommes ont aluni, que ces astronautes puissent enregistre une région de 50 km2 avec une définition
étudier les zones impliquées. Etes-vous d’ac- telle qu’on est capable de distinguer un objet aussi
cord ? petit qu’une table de bridge » (2).
Venons-en aux faits et dressons la fiche technique En effet, les pointes forment des dessins géomé-
de la photo illustrant cet article : triques et, étudiant de près la photo, M. Blair
découvrit que les pointes formaient un système
● code photo : LO II - NASA n° HR59-66 (PH - coordonné à angle droit X, Y et Z, six triangles
site P4) isocèles et deux droits, ainsi qu’un axe de trois
● lieu : nord-est Central Highland, sud du Sillon points.
Arideus (Aire n° 49 - NASA)
● position ; approximativement 15°20’ longitude M. Blair ne s’arrêta pas en si bon chemin ; il
est, 4°30’ latitude nord. trouva à l’est de la plus haute des pointes, une
● dimensions : la photo représente un rectangle espèce de fosse, « l’ombre jetée par cette dé-
d’environ 228,60 m sur 167,60 m. pression semble indiquer quatre angles de 90°
et sa structure fait penser à un creux dont les
Cette photo fut agrandie cinq fois par rapport à la parois auraient été démolies par une érosion ou
réception originale, par la station de poursuite de poussées vers l’intérieur ».
Goldstone en Californie. Les petites croix sont des
marques de référence utilisées pour les mesures Il n’en fallait pas plus pour lancer la polémique.
photographiques. Autant M. Blair s’engagea à fond dans l’hypo-

Maintenant, examinons la photo proprement dite ; thèse de « l’intelligence extérieure », autant il


elle nous montre clairement les ombres portées fut critiqué.
par huit espèces de pointes. La pointe la plus hau-
te a été évaluée à une hauteur d’environ 22 m, la Le Docteur Thor Karlstrom, un des scientifiques
plus petite atteint ± 5 m. de l’US Geological Survey, qui étudia les photos
pour le centre de recherche de Langley (NASA),
Aussi bizarre que cela puisse paraître, la photo ne fit la remarque suivante : « Il se peut que ce
reçut pas immédiatement l’intérêt que l’on put pré- soient des blocs de matériau éjectés d’un cratè-
voir. M. William Blair, anthropologue de Seattle re sous l’impact de quelque objet.» Karlstrom
(USA) et, à ce moment, membre du département retint surtout les explications naturelles d’ordre
de biotechnologie de la Boeing Company, fut le géophysique, par exemple les éruptions lunai-
premier à révéler publiquement certaines caracté- res, les impacts météoritiques ou l’érosion d’an-
ristiques de la prise de vue. ciens cratères.
«Chacune de ces hypothèses peut être retenue Les Russes — ainsi que les Américains d’ailleurs
comme correcte ». — ont construit une maquette des « Pointes de
Le Docteur Richard W. Shorthill du Boeing Scienti- Blair » (nous supposons que cela souligne leur
fic Research Laboratory, un expert en topographie intérêt réciproque), et ces derniers y sont allés de
lunaire, remarqua qu’il y avait beaucoup de poin- leur petite hypothèse.
tes semblables sur la Lune. Il suffit d’en choisir
quelques-unes bien placées pour échafauder des Un ingénieur en recherche spatiale, M. A. Abra-
hypothèses grandiloquentes, et les éternels scep- mov, nous apprend que le plus grand objet mesu-
tiques suggérèrent que des phénomènes naturels re 46 m de haut (3) et il appelle « obélisques » les
se présentaient parfois comme des formations pointes qui projettent une ombre. Il fait remarquer
symétriques. que leur position peut être comparée à celle des
trois pyramides de Gizeh en Egypte (4). Il ajoute
Mais, outre le fait qu’on devrait en trouver un peu ensuite que la sonde spatiale Luna IX avait photo-
n’importe où, M. Blair réplique : « Si on avait appli- graphié un cercle de « pierres » placées régulière-
qué votre théorie, plus de la moitié des architectu- ment autour du site des « obélisques » (5). Nous
res aztèques et mayas seraient encore enfouies ne connaissons malheureusement pas d’autres
sous les collines et dans les forêts, parce qu’on détails (6). Et pourtant, MM. Blair et Abramov ne
aurait parlé à leur propos des suites de quelque révèlent pas tout !
événement géophysique. L’archéologie ne se
serait jamais développée et la plus grande partie En effet, il y a une deuxième dépression rectan-
des découvertes relatives à l’évolution de l’homme gulaire chevauchant à angle droit la première ;
dormiraient encore sous terre.» Et sur ce point, nous remarquons deux petits cratères qui sont
nous donnons cent fois raison à William Blair ! rectangulaires et dont les médianes sont sur le
même axe. Voyez aussi cette dépression qui est
Y a-t-il quelque chose à ajouter à cette étrange triangulaire et traversée par l’axe formé par les
découverte ? La réponse est affirmative, encore trois pointes. Et pour finir, si le lecteur s’amuse
une fois au lieu de simplifier le problème et de à relier toutes les pointes entre elles par des
l’étudier méthodologiquement, on s’aperçoit que droites, il trouvera une série impressionnante,
toute l’affaire se complique tout aussi étrange- digne d’un concours publicitaire, de triangles
ment. Nous avons pris connaissance du pour et droits, isocèles et équilatéraux. En quelle pro-
10 du contre aux USA, voici le troisième larron : portion intervient le hasard ? Nous n’en savons
l’apport soviétique. rien, et pour autant que tout ceci soit vérifié
scrupuleusement par les instances scientifi-
En effet, par pur hasard semble-t-il, ils se sont ques, nous nous réservons d’émettre à notre
aussi intéressés au site incriminé. tour une hypothèse.
Malgré tout, étant donné que les deux « grands » (1) Wernher von Braun« Voici l’espace » - Encyclopé-
se sont penchés sur le problème et qu’il n’y a pas die Planète, 1969.
(2) Ibid.
de fumée sans feu, nous pouvons penser qu’il y a
(3) Il n’y a pas concordance avec les mesures améri- 11
anguille sous roche. caines, nous penchons plutôt pour ces dernières.
(4) Nous ne parvenons pas à trouver la clé de cette
Dès lors, nous avons demandé des renseigne- hypothèse.
ments complémentaires à la Boeing Company. (5) Un manque total d’informations complémentaires
Voici leur réponse : « La Compagnie n’avait pas nous oblige à poser des réserves.
la responsabilité d’interpréter les informations (de (6) Ceci serait-il un appel à nos amis lecteurs soviéti-
ques ?
Lunar Orbiter II) et par conséquent n’a pas de Sources.
position officielle à l’égard de la matière en dis- Newsweek, 5 décembre 1966.
cussion... Je peux souligner que je n’ai pas en- Los Angeles Times, 26 janvier 1967.
tendu parler de telles « pointes » lors des Major Petersen, Communication faite à Oslo (FCSD).
réunions scientifiques... » Signé M., Program Peter Kolosimo, Archéologie spatiale. (Albin Michel
Scientist Space Systems. 1971).
Boeing Company, lettre du 28 avril 1972.
Une dernière remarque: depuis sept ans, nous
n’avons jamais découvert une autre photo du site.
Pourtant, lors des vols Apollo, circumlunaire ou
alunissage, nous pouvons nous demander s’il n’y
a jamais eu de films pris à partir des modules de
commande où un astronaute attend ses collègues,
sans se tourner les pouces, sur une orbite équato-
riale : donc où il y a possibilité de survoler au
moins une fois le sillon Arideus.
Une affaire à suivre.

ROBERT DEHON.
LE PASSE PRESENT

Le document que vous allez lire ouvre notre cahier ou grandiloquentes, mais elles restituent de ce
île de Pâques. Notre intention, en groupant fait l’esprit même de ces jours historiques.
certains articles en un « cahier », n’est pas, bien
sûr, d’épuiser le sujet une fois pour toutes : la Un mot encore. La dénomination exacte du ma-
chose serait d’ailleurs franchement irréalisable. nuscrit est la suivante : « Journal de bord du
Mais nous désirons éclairer un thème sous divers voyage d’exploration de Monsieur Jacob Rogge-
angles qui nous semblent complémentaires. Ces veen, avec ses navires Den Arend, Thienhoven
articles, nous les voulons exhaustifs, le thème et De Africaansche Galey, au cours des années
non. C’est pourquoi il y aura dans l’avenir encore 1721 et 1722 ». Voilà. Il ne nous reste plus qu’à
d’autres cahiers île de Pâques ! vous souhaiter un bon voyage. Imaginez... vous
êtes en plein Océan Pacifique, « à mille milles de
Y aurait-il lieu de justifier le titre un peu insolite de toute région habitée ». Une île apparaît à l’hori-
cette première rubrique ? Peut-être... « Le Passé zon. Nous sommes le jour de Pâques 1722...
présent », c’est pour nous une actualisation du I. V.
Passé, l’instantané d’une civilisation au moment
de sa découverte. Tantôt sous forme de reporta-
ge, tantôt un document d’époque. C’est ceci que
nous vous proposons aujourd’hui.
(1) Voir l’article dans le numéro 1 de KADATH.
er (2) Et non le 14, comme le prétendent, de concert,
1 août 1721. Trois navires hollandais appareil- Louis Castex et Bernard Villaret dans des livres
12 lent de Texel, une île de la Frise. Ils ont nom Den récents.
Arend (l’Aigle), Thienhoven et De Africaansche
Galey (la Galère Africaine), ayant à leur bord
respectivement cent dix, quatre-vingts et trente-
trois hommes. L’expédition, effectuée pour le
compte de la Compagnie des Indes Occidentales,
est placée sous le commandement de Jacob
Roggeveen. Celui-ci partait en fait à la recherche
du continent austral inconnu, décrit par le Capitai-
ne Davis (1). Ses investigations dans le Pacifique
seront négligeables au vu de la découverte qui
sera associée à son nom : celle de l’île de Pâ-
ques, le 5 avril 1722 (2).

Le nom de ce navigateur hollandais a été mis à


toutes les sauces : Rogeveen, Roggeween,
Roggeven, Roggevin, Roggewein... et j’en pas-
se. On l’a traité de pirate, d’écumeur des mers,
on a dit que lors de son passage à l’île, il laissa
des centaines de morts sur le terrain.

La vérité historique est tout autre. Seulement,


pour la connaître, il faut se donner la peine de
remonter aux sources. Il faut lire le journal de
bord de l’expédition. KADATH est fier de pouvoir
vous présenter, pour la première fois croyons-
nous, l’essentiel du récit de cette découverte, tel
que Roggeveen l’avait consigné au jour le jour.
Nous l’avons traduit le plus fidèlement possible,
en respectant le style de l’époque. C’est pour-
quoi certaines phrases peuvent paraître lourdes Den Arend, Thienhoven et De Atricaansche Galey
JOURNAL DE BORD (extraits)
Jacob Roggeveen (1659-1729)
Dimanche 5 avril 1722. apparemment dans l’espoir d’y découvrir la source
Nous nous trouvions sous la latitude sud de 27 de cette apparition. Lorsque nous nous fûmes
degrés 7 minutes, et la longitude était estimée à bien distraits ensemble, nous le renvoyâmes à
265 degrés 56 minutes. (1) Dans l’après-midi, on terre sur sa pirogue, chargé de deux colliers de
hissa l’étendard princier à bord de la Galère corail bleu au cou, un petit miroir, des ciseaux et
Africaine. A environ 5 milles et demi au nord- d’autres bricoles analogues, avec lesquelles il
ouest, se voyait une terre basse. Cette île, nous semblait avoir un plaisir particulier.
l’appelâmes île de Pâques, parce qu’elle fut vue et
découverte le jour de Pâques. Cependant, lorsque nous nous fûmes approchés
à faible distance de cette terre, nous pûmes voir
(A bord des navires, la joie était grande, car on clairement que la description de l’île Basse et
croyait avoir atteint l’île Basse de Davis, avant- Sablonneuse (selon le récit et le témoignage du
poste du grand continent austral. Roggeveen Capitaine Davis, cité par le Capitaine William
s’étendra plus loin sur la controverse à ce sujet.) Dampier), ne correspondait en aucune façon à
nos constatations, et que cette île ne pouvait être
Au neuvième appel de l’après-midi, nous vîmes ceci. Les découvreurs prétendaient en avoir vu 14
monter de la fumée en plusieurs endroits de l’île, à 16 milles, et qu’elle s’étendait à perte de vue,
d’où nous conclûmes qu’elle devait être habitée. étant une série de hauts-fonds ; ledit Dampier en
Aussi fut-il trouvé bon de se concerter avec les rapporte les mêmes mesures et prétend qu’il s’agit
Capitaines des autres navires, pour savoir s’il ne là de l’angle du continent austral inconnu ; que
fallait pas organiser une expédition afin d’avoir cette île de Pâques ne peut être l’île Basse, car
une idée valable sur l’intérieur des terres. Après celle-ci est petite et sablonneuse, par contre l’île
échange de vues, il fut décidé que les deux cha- de Pâques fait 15 à 16 milles de pourtour avec
loupes du Thienhoven et de l’Aigle, bien équipées aux angles est et ouest (distants d’environ cinq
en hommes et en armes, se rendraient dans l’île milles), deux hautes collines aux versants doux, et 13
pour sonder les profondeurs et chercher l’endroit à leur union dans la vallée il y a encore trois ou
idéal pour débarquer. quatre monticules, de sorte que cette île est relati-
vement haute et surélevée par rapport aux violen-
Lundi 6 avril. ces de la mer. Si nous avons cru, au départ — à
(Préparatifs pour le lendemain). une plus grande distance — que l’île de Pâques
était sablonneuse, c’est parce que nous avons
Mardi 7 avril. attribué cela à l’herbe sèche, au foin, et aux au-
Le temps était instable, faisant alterner le calme et tres reliefs brûlés ou décrépits, puisqu’un tel as-
la tempête avec tonnerre, foudre, averses et vents pect ne pouvait nous donner une autre image que
changeants du nord-ouest. De sorte que nous ne celle d’une désolation inhabituelle, et que les
pûmes mettre notre plan à exécution. Dans la découvreurs lui ont donné pour cela le même nom
matinée, une pirogue quitta l’île et s’approcha du de « sablonneux ». Dès lors, il faut en conclure
navire du Capitaine Bouman : celui-ci amena à que cette île de Pâques est une autre terre, située
notre bord un Pascuan, lequel était complètement plus à l’est de celle qui était le but de notre expé-
nu, sans le moindre voile pour cacher ce que la dition ; ou alors il serait facile de convaincre les
décence interdit de préciser davantage. Le pauvre découvreurs de mensonges, tant dans leurs rela-
homme se montra très heureux de nous voir, et tions orales qu’écrites.
s’étonna au plus haut degré de la construction de
notre navire et de son gréement : la hauteur des Mercredi 8 avril.
mats, l’épaisseur des cordages, les voiles, le ca- (Les indigènes font de grands signes pour inviter
non qu’il tâta avec soin — bref, de tout ce qu’il vit, les étrangers à débarquer. Mais le temps reste
mais surtout lorsqu’on lui montra son visage dans défavorable.)
un miroir, il regarda discrètement vers l’autre face,
Jeudi 9 avril.
De nombreuses pirogues arrivèrent aux navires.
(1) La longitude est ici reprise selon les mesures Ces gens montrèrent une vive avidité pour tout ce
de l’époque : transposée en données d’aujourd- qu’ils virent et furent à ce point téméraires qu’ils
’hui, c’est 109°20’ de longitude ouest qu’il faut
lire. Les coordonnées exactes de l’île de Pâ- ôtèrent aux matelots leurs chapeaux et bonnets,
ques sont : 27°05’ de latitude sud et 109°20’ de puis sautèrent avec leur butin par-dessus bord.
longitude ouest. Car ce sont d’excellents nageurs, comme on put
le constater en voyant nombre d’entre eux arriver son habit à un matelot et que quelques indigènes,
de l’île jusqu’aux navires à la nage. Il y eut aussi voyant notre résistance, avaient ramassé des pier-
un Pascuan qui, de sa pirogue, grimpa jusqu’à la res et nous en menaçaient, ce qui, selon toute
fenêtre de la cabine de la Galère Africaine : il vit la apparence, causa le tir de sa petite troupe, mais
nappe qui recouvrait la table, et la jugeant d’un qu’il n’en avait nullement donné l’ordre. Comme le
bon prix, prit la fuite en l’emportant avec lui, de moment n’était pas opportun pour s’informer da-
sorte que nous devions faire particulièrement vantage là-dessus, on remit cela à une autre occa-
attention afin de tout conserver. Par ailleurs, il fut sion.
décidé de faire une expédition avec 134 hommes,
pour vérifier ce que nos émissaires avaient Après que la surprise et la peur des indigènes se
rapporté. furent un peu apaisées en voyant que nous ne
donnions plus d’autres signes d’hostilité, et que,
Vendredi 10 avril. par des signes, nous leur eûmes fait comprendre
Nous partîmes le matin avec trois bateaux et deux que les tués avaient menacé de nous lapider, —
chaloupes, et 134 hommes d’équipage, tous alors les indigènes, qui s’étaient toujours trouvés
armés d’un mousquet, d’une cartouchière et d’un près du front, revinrent vers les chefs, et en parti-
sabreur. Arrivés à l’île, nous avons mouillé les culier l’un d’eux qui, à ce qu’il sembla, avait de
grappins des bateaux et des chaloupes, et prépo- l’autorité sur les autres. Car il donna l’ordre que
sé à leur surveillance vingt hommes armés ; de de partout on nous apporte tout ce qu’ils avaient
plus, le bateau de la Galère Africaine était monté comme fruits, produits de la terre et poulets ;
de deux pièces de canon à la proue. Cela étant cette corvée fut accueillie avec respect et cour-
fait, nous nous sommes avancés, groupés mais bettes, et exécutée immédiatement, comme le
non en rang, sur les brisants, nombreux sur le prouva le résultat. Car après peu de temps, ils
rivage, jusqu’en terrain plat. Aux indigènes, qui nous apportèrent quantité de canne à sucre, de
s’avançaient en foule vers nous, nous fîmes signe poulets, de racines d’ubas et de bananes. Mais
de la main pour qu’ils s’écartent et fassent place. nous leur fîmes comprendre par signes que nous
Arrivés là, le corps de bataille (2) de tous les ma- ne désirions rien sinon les poulets, une soixantai-
telots des trois navires fut formé, le Commandant, ne environ, et trente régimes de bananes, pour
les Capitaines Koster, Bouman et Rosendaal de lesquels nous payâmes royalement avec du linge
front, chacun devant son propre équipage : ce rayé, duquel ils se montrèrent très satisfaits et
14 corps placé sur trois rangs était couvert par la heureux.
moitié des soldats sous le commandement de
Monsieur le Lieutenant Nicolaas Thonnar (l’aile Lorsque nous eûmes tout examiné à loisir, nous
droite), et à gauche l’autre moitié, conduite par constatâmes que les indigènes portaient des pla-
Monsieur Martinus Keerens, qui portait l’étendard. ques d’argent aux oreilles et des coquillages de
Après nous être disposés ainsi, nous avons pro- nacre au cou. (...) Ce que nous croyions être de
gressé de quelques pas, afin de donner un peu de l’argent était en fait fabriqué avec les racines
place à ceux de nos gens qui étaient derrière et d’une plante, comme nous dirions en Hollande,
devaient se placer en rangs, puis nous nous som- de grosses carottes blanches : cet ornement est
mes arrêtés pour que les arrières puissent monter. rond mais allongé, son plus grand diamètre étant
C’est alors que, au grand étonnement de tous et de deux pouces, et un et demi pour le plus petit,
sans qu’on s’y attende, nous entendîmes quatre ayant après estimation trois pouces de long. Pour
ou cinq coups de mousquet, accompagnés d’un en faire des ornements, il faut savoir que, dès
grand cri : « Il est temps, il est temps, tirez !», sur leur enfance, on tire à ce point aux lobes de
quoi, en un instant, plus de trente cartouches fu- l’oreille et on en découpe l’intérieur, de sorte que
rent tirées. Les Indiens, surpris et effrayés, s’enfui- si on introduit le plus petit diamètre en bas dans
rent, laissant derrière eux 10 à 12 morts et des l’ouverture du lobe, on ne voit plus à l’avant que
blessés. Les chefs de l’expédition, placés en tête, le grand diamètre, enchâssé dans la même ou-
empêchèrent les matelots de tirer sur les fuyards, verture. (...) Ces gens ont les membres bien pro-
et s’enquirent pour savoir qui avait donné l’ordre portionnés, les muscles solides et bien faits, ils
de tirer et pourquoi. Après peu de temps, le se- sont en général de haute stature, et leur couleur
cond du navire Thienhoven vint vers moi et m’ex- naturelle n’est pas noire, mais jaune pâle, ce que
pliqua qu’il se trouvait à l’arrière avec six hommes, nous constatâmes chez de nombreux jeunes, soit
et qu’un indigène avait saisi le canon de son parce qu’ils n’avaient pas peint leur corps en bleu
mousquet pour le lui arracher et qu’il l’avait re- foncé, soit parce que, faisant partie d’un élite, ils
poussé ; qu’un autre Indien avait tenté d’arracher n’étaient pas obligés de cultiver la terre (...) Les
cheveux et la barbe de la plupart étaient courts,
mais d’autres les avaient longs, flottants ou tres-
sés, et enroulés au sommet de la tête en un chi-
gnon à la manière des Chinois à Batavia, chignon
(2) En français dans le texte. qu’on nomme là-bas condé.
En ce qui concerne la religion de ces gens, nous lancé depuis la Galère Africaine (...) Au contraire,
n’avons pu en avoir une notion complète, vu notre nous l’avons trouvée extrêmement fertile, produi-
bref séjour. Seulement, nous avons remarqué sant des bananes, des pommes de terre, de la
qu’ils allumaient des feux pour certaines hautes canne à sucre d’une épaisseur exceptionnelle, et
statues de pierre et ensuite, accroupis et la tête de nombreux autres produits de la terre ; mais il
penchée, ils joignent la paume des mains et les n’y avait ni grands arbres ni bétail, à l’exception de
meuvent de haut en bas et de bas en haut. (3) la volaille. Aussi pourrait-on faire de cette île un
Ces statues de pierre nous ont d’abord étonnés, paradis terrestre, grâce à sa terre fertile et son
car nous ne pouvions comprendre comment il était bon air, si on la cultivait et travaillait convenable-
possible que ces gens, qui ne disposent pas de ment, ce qui ne se fait actuellement que dans la
bois gros et lourd pour fabriquer une quelconque limite des besoins vitaux des indigènes. En outre,
machine, ni de cordages solides, avaient néan- on ne peut pas davantage décrire cette île comme
moins réussi à ériger de telles statues, qui avaient une suite de hautes terres, puisque nous suppo-
bien 30 pieds de haut et étaient proportionnelle- sions déjà avoir croisé l’île Basse sans l’avoir vue,
ment grosses. Mais cet étonnement disparut lors- car notre course était dirigée de telle façon que
que nous constatâmes, en arrachant un morceau nous devions inévitablement la voir, si l’île de Pâ-
de pierre, que ces statues étaient faites de terre ques était cette île Basse. Dès lors, on peut
glaise ou d’argile, et qu’on y avait glissé de petits conclure à bon escient que cette île de Pâques est
cailloux lisses qui, très proches les uns des autres, une autre terre que celle que nous recherchions,
donnaient l’aspect d’un homme. Par ailleurs, on et appartient donc à notre croisière (...) Il est ad-
voyait partir des épaules un léger relief ou excrois- mis et décidé de commun accord que nous n’a-
sance qui esquissait les bras, car toutes les sta- vons pas encore vu l’île petite, basse et sablon-
tues semblaient indiquer qu’elles étaient envelop- neuse, qui doit être le véritable signe avant-
pées d’une longue robe du cou jusqu’aux talons. coureur de la terre que nous cherchons ; dès lors,
Sur la tête, ils ont une corbeille, dans laquelle nous maintiendrons le cap à l’ouest sur le parallèle
étaient entassés des cailloux peints en blanc. (...) sud de 27 degrés, durant encore cent milles, puis
nous déciderons de ce qu’il y aura lieu de faire.
Enfin, en ce qui concerne leurs embarcations, Ainsi résolu sur le navire et le jour susdit. (Signé)
elles sont mauvaises et faibles si l’on pense à Jacob Roggeveen, Jan Koster, Cornelis Bouman,
l’usage. Car leurs canots sont un assemblage Roelof Rosendaal.
d’innombrables petites planches et de légères 15
chevilles, qu’ils attachent artistiquement les unes (traduction Ivan Verheyden)
aux autres, avec des cordelettes finement tres-
sées faites avec une herbe de l’île. Mais comme il
leur manque la connaissance et surtout l’étoffe
pour calfeutrer et rendre étanches une grande
quantité de nœuds des pirogues, celles-ci pren-
nent l’eau, de sorte qu’ils sont obligés de passer la
moitié du temps à écoper. Leurs pirogues ont en-
viron dix pieds de long, sans compter l’étrave, qui
est haute et effilée. La largeur leur permet à peine
de s’y asseoir les jambes serrées pour pouvoir
pagayer. (...)

Réunion des chefs des trois navires, tenue à bord


de l’Aigle (...) « Cette île ne peut être dite petite,
basse et sablonneuse, car elle fait 16 milles de
pourtour et est relativement haute, puisqu’elle était
distante de 8 à 9 milles lorsque le signal terre fut

(3) Selon l’historien Behrens qui accompagnait


l’expédition, on pouvait voir les indigènes se
prosterner à plat ventre et saluer le lever de
soleil, après avoir allumé des centaines de
feux : c’est la seule description d’une adoration
du Dieu Solaire sur l’île de Pâques. Leurs ido-
les principales s’appelaient Taurico et Dagon...,
ce qui n’avait pas échappé à Lovecraft lorsqu’il
décrivit ses « Adorants du fond des mers ».
Une statue de l’Ile de Pâques
aux Musées royaux
d’art et d’histoire
à Bruxelles
Ils t’on arraché de l’ahu Orogon en tirant sur des cordes
O toi, Pou-haka-nononga, dieu des pêcheurs de thons !
Ils te tiraient avec des cordes,
Ces joyeux étrangers qui avaient débarqué.
Ils vont t’emporter.
Ils te dresseront de nouveau sur un mausolée
En Belgique (Peretia) où des jeunes filles viendront te regarder.
(chanson composée par Maria lka lors du départ du Mercator -
cité par Alfred Métraux)

Adieu, Monsieur Lavachery.


Fin 1972, la presse belge annonçait le décès du
professeur Henri Lavachery, survenu le mercredi
11 novembre, à l’âge de 87 ans. Ce savant ethno-
logue était mondialement connu pour ses diverses
activités scientifiques ; mais c’est surtout pour sa
participation à la mission franco-belge en île de Selon Lavachery (2), il y aurait dans le monde
Pâques qu’Henri Lavachery est connu des spécia- sept statues dans les musées. En France: deux
16 listes de l’Océanie. têtes de grandes statues, la première ramenée
par l’expédition à laquelle participa Pierre Loti, la
C’est à bord de l’aviso français Rigault de Ge- seconde à bord du Mercator, lors de l’expédition
nouilly qu’il fera le voyage en compagnie d’Alfred franco-belge. En Angleterre : une statue en pierre,
Métraux. Ils arrivent à l’île de Pâques le 28 juillet nommée Hoa-Haka-Nana-la et exposée au British
1934. La mission restera sur place jusqu’au Museum. Elle fut ramenée en 1869 par le HMS.
2 janvier 1935. C’est le navire-école belge Merca- Topaze. Au musée de Santiago du Chili, deux
tor qui ramènera la mission en Europe. statues, une autre au musée national de Was-
hington, et enfin celle des Musées du Cinquante-
Le résultat de cette expédition fut l’enrichissement naire qui porte le nom de Hanga One One.
aux Musées du Cinquantenaire à Bruxelles d’une
importante collection d’objets, provenant de Tahiti, Ce nom est celui sous lequel la statue était princi-
de l’île Pitcairn, des Marquises, de l’atoll de palement connue des habitants de l’île. Avant
Fakarawa et bien sûr de l’île de Pâques. d’être enlevée par l’équipage du Mercator, elle se
trouvait près d’une petite baie bordée de sable
Au point de vue anthropologique, la mission a presque blanc. En fait, la traduction de HANGA
ramené des crânes et os longs trouvés dans les ONE ONE est baie sablonneuse. Dans le
ahus (1). Des échantillons des anciens métiers et « Vocabulario de la lengua rapa-nui, Isla de Pas-
outils de ceux-ci, des sculptures sur bois, des cua », 1913, de Edgardo Martinez, nous lisons
chapeaux, paniers, ouvrages en plumes, etc., pour Hanga : playa (plage) et pour One : arena
représentaient la part ethnographique. (sable). Le nom de la statue prend ainsi celui du
lieu où elle se trouvait. Deux autres noms ont éga-
Mais ce sont principalement les objets archéologi- lement été signalés aux membres de la mission.
ques qui sont les plus représentatifs. Plusieurs Ce sont PUHAKONONGA (3) et POHU. Le pre-
pièces de sculpture diverses : têtes, stèle, frag- mier serait une contraction de AKA NO NONGA,
ment de torse, pétroglyphes sur galet, sur pierre qui désignait la mer que l’on apercevait en face de
tendre. Egalement des pierres de maison, des la statue, et de POHU. Mais ce dernier mot est
petites sculptures en lave. Du matériel lithique : marquisan et signifie espèce de tiki (4). Dans AKA
burins, herminettes, haches, armes d’obsidienne. NO NONGA, l’on retrouve également le mot mar-
Et puis... et puis il y a une statue : une des rares quisan AKA qui voudrait dire « abondance » en
statues ayant quitté l’île de Pâques. parlant de poissons dans l’eau. Tepano, le guide
de Lavachery, lui signala que « la statue avait été plus large que le nez en proue des images des
dressée par un ariki (roi) pour indiquer la place où sanctuaires et du volcan. La bouche est égale-
se trouvaient, au large, de grandes quantités de ment beaucoup moins marquée, ainsi que le men-
KAHI (poissons) ». Ce nom de poisson est aussi ton. Les yeux aussi occupent proportionnellement
le même aux îles Marquises. Lavachery conclut une plus grande surface du visage de notre
que « l’existence du poisson à l’île de Pâques statue».
était bien liée à la présence de la statue », et
celle-ci indiquait en outre un endroit favorable à la Enfin, où se trouvait-elle sur l’île ? L’expédition l’a
pêche du KAHI. découverte couchée face contre terre. Se référant
à une peinture de William Hodges, qui accompa-
Enfin, dans une théorie concernant les migrations gnait Cook dans son deuxième voyage, Lavache-
polynésiennes (5), le savant belge situe l’occupa- ry se demande s’il ne s’agit pas de la statue isolée
tion de l’île de Pâques au Xllle siècle, par un grou- qu’on voit encore debout, dans le fond, en bordu-
pe venant de Mangareva, et composé de Tahi- re de la baie de Hanga-Roa. Pourquoi pas ? C’est
tiens et de Marquisiens. De là, l’influence de mots peut-être là une façon pour la statue de participer
marquisans dans la langue pascuane. (6) aux mystères de l’île de Pâques...

La statue au musée
Les rares visiteurs de la Salle Mercator au Musée J. D.
du Cinquantenaire (7) peuvent y admirer la statue
Hanga One One, don du Gouverneur du Chili. Elle
mesure deux mètres soixante-cinq de hauteur sur
un mètre cinquante de largeur aux épaules. Son
poids est d’environ six tonnes.

C’est grâce à l’esprit pratique du commandant


Vandesande, maître après Dieu à bord du Merca-
tor, que fut mené à bien le transbordement de la
statue. Il fallut quatre jours pour l’amener jusqu’au
voilier. Tous ceux qui y participèrent ont revécu
18 l’époque historique des anciens habitants de l’île.

Après l’avoir extraite de son trou, elle fut placée


dans un filet et couchée sur le dos, ensuite dépo-
sée sur un traîneau. Ce dernier était fait de longe-
rons assemblés auxquels la statue fut attachée.
Plus de cent personnes s’attelèrent aux deux filins
fixés au traîneau. Les 250 mètres jusqu’à la plage
s’effectuèrent sans trop de mal. Mais amener la
statue jusqu’au Mercator ne se fit pas sans
risques. Des amarres passèrent du voilier à la
statue.

Elle est ainsi tirée jusqu’au flanc du navire-école.


Un palan la soulève, puis aussitôt le drame. Le
tangon se brise et Hanga One One s’enfonce
dans l’eau. Grâce au garant de hissage qui est
resté fixé à la statue, on parvient à la remonter.
Des plongeurs indigènes l’entourent aussitôt de
nouveaux câbles. A l’aide de plusieurs palans, la
statue est enfin hissée à bord. Le soir, au dîner,
on boira le champagne en son honneur.

La statue ramenée en Belgique offre un visage


assez différent de celles que le grand public a pu
voir dans les divers livres traitant du sujet. Elle est
faite de lave basaltique et modelée en formes
rondes. Lavachery en donne la description sui-
vante (8) : « la tête est complète, sauf la calotte
crânienne qui est coupée à partir du front. Le nez
est rond du bout et proportionnellement beaucoup
(1) Ahu : grande plate-forme de pierre, peut-être (Asie ?), et c’est par bonds successifs que ces
des sanctuaires. grands marins auraient colonisé toutes les îles
(2) H. Lavachery : « Ile de Pâques» - Grasset, du Pacifique. L’île de Pâques aurait été l’ultime
1935, p. 282-283. escale.
(3) A noter que A. Métraux écrit Pou-Haka- (7) La salle Mercator est officiellement fermée
Nononga. depuis de longues années. En 1945, Lavachery
(4) Le tiki est une statuette polynésienne représen- écrivait : « Les Musées Royaux d’Art et d’Histoi-
tant un dieu. A Tahiti, on écrit Tii ou Ti’i. re, à Bruxelles, comprennent un département
(5) H. Lavachery rejetait l’hypothèse d’un continent polynésien qui était en plein développement
englouti, dont l’île de Pâques aurait formé un lorsque la guerre est venue en interrompre l’acti-
des sommets. (Cfr. «Vie des Polynésiens », vité. Celle-ci sera reprise incessamment ».
Office de Publicité, Bruxelles, 1946.) Actuellement, des travaux sont en cours, et la
(6) Les théories concernant les migrations polyné- salle sera probablement ouverte au public dans
siennes restent un mystère, bien qu’officielle- le courant de 1974.
ment le débat soit clos. Il est généralement (8) « Bulletin des Musées Royaux d’Art et d’Histoi-
admis que les Polynésiens viennent de l’ouest re», Bruxelles, juillet-août 1935 et mai-juin 1938.

19

Gravure de la deuxième expédition du Capitaine Cook, réalisée par William Hodges en 1774. Selon
Henri Lavachery, la statue ramenée par le Mercator serait celle indiquée par une flèche.
ARCHEOLOGIE PARALLELE

BOIS PARLANTS ET ECRITURE


PASCUANE
Lorsque l’on parle de l’île de Pâques, ce sont gènes. Finalement, on put lui en faire parvenir
ses statues immenses qui viennent à l’esprit de cinq (1). Il comprit aussitôt l’importance de ce
chacun. Le mystère de l’île, c’est d’abord ces trésor. Cette écriture, la seule connue dans le
énormes figures au regard impénétrable. Les monde polynésien, allait-elle enfin révéler le
questions à leur sujet sont multiples : qui les a mystère pascuan ?
érigées, comment ont-elles été transportées en
ces divers endroits de l’île ou encore, à quoi Mgr Jaussen fit rechercher toutes personnes sus-
servaient-elles ? ceptibles de lire ces lignes. On lui signala un cer-
tain Metoro Tauaure. Il le fit venir. « Un moment
Mais, à notre avis, le plus grand mystère reste solennel était arrivé, raconte le prélat. Je mis une
encore celui des tablettes kohao rongo rongo, de mes tablettes entre les mains de Metoro. Il la
c’est-à-dire, les bâtons pour les chants récités tourne, la retourne, cherche le commencement du
(Lavachery), canne de chantre (Métraux), les récit et se met à chanter : il chantait la plus basse
bois d’hibiscus intelligents (Mgr Tepano Jaus- ligne, de gauche à droite. Arrivé au bout, il chanta
20 sen), bois parlants ou bois (portant) des rensei- la ligne la plus proche au-dessus, de droite à gau-
gnements, etc. che, comme on dirige les bœufs au labour. Arrivé
à la dernière ligne, en haut, il passa, du recto, à la
Jusqu’à présent, aucune traduction satisfaisante plus prochaine ligne du verso, et le descendit ligne
n’a pu être donnée. par ligne, comme les bœufs sillonnent les deux
versants d’un coteau et dont le labour, ayant com-
Historique des tablettes. mencé au bas d’un versant, finit au bas du versant
C’est en 1868 que l’un des premiers missionnaires opposé.» Le prélat écrivit ce que chantait Metoro
de l’île de Pâques, le père Gaspard Zumbohn, en « séparant par un trait ce qui convenait à un
reçut des autochtones récemment convertis un signe, de manière qu’en un alinéa, il eut autant
cadeau inattendu : des chaînes de cheveux fine- d’assemblages de mots, séparés les uns des au-
ment tressés. Les Pascuans lui demandèrent de tres, qu’il y avait de signes dans une ligne de la
les remettre à Mgr Tepano Jaussen, premier tablette ; et qu’une personne pouvait, sans
vicaire apostolique de Tahiti. Lorsque celui-ci les connaissance de la langue, en comptant exacte-
eut en mains, il s’aperçut que les cordelettes ment, mettre chaque signe au-dessus du mot qui
tressées étaient enroulées autour d’un morceau est sa signification propre ».
de bois de trente centimètres sur quinze « cassé
et tronqué dans tous ses bouts ». Pour les nou-
veaux convertis, cette planchette avait beaucoup
moins d’importance que le présent des cheveux
tressés. Et pourtant, le prélat découvrit toute une (1) Mgr Jaussen en donna une au capitaine du navi-
série de caractères en lignes. re russe Vitias. Les autres tablettes reçurent les
noms de Miro, La Rame, L’Echancrée et la Ver-
Que représentaient ces signes ? Mgr Jaussen moulue. Cette dernière fut offerte à l’Université
pensa aux hiéroglyphes égyptiens et donc à une de Louvain. Malheureusement, elle disparut lors
écriture idéographique. Il se mit en rapport avec de l’incendie de 1914. Les trois autres se trou-
vent à Rome, où l’on a rassemblé les collections
les missionnaires restés sur l’île afin de retrouver de la Congrégation des Sacrés-Cœurs. Il y a
le plus de tablettes possible. Mais depuis quel- environ vingt-cinq tablettes disséminées dans
ques années, les principaux savants de l’île les musées du monde. Signalons également le
avaient disparu, et un grand nombre des bois cahier sacré trouvé par Francis Mazière : il ren-
parlants avaient servi à alimenter le feu des indi- fermait tous les signes de l’écriture pascuane.
Il semblait donc que tous ces dessins : oiseaux, La tentative de traduction par divers indigènes de l’île
poissons, pirogues, lune, étoiles, etc., étaient la ne donna aucun résultat. Pourtant, quelques Pas-
représentation graphique d’une écriture. Celle-ci cuans avouaient avoir été à l’école des anciens maî-
est dite boustrophédone (bous = bœuf, strepho = tres, mais personne ne chanta la première tablette
je tourne) (2). Elle pourrait être, selon une pre- de la même façon que Metoro. Le père Gaspard, en
mière explication des signes par Mgr Jaussen, accord avec le prélat de Tahiti, réunit un jour plu-
kyriologique (kyrios = maître, logos = parole), du sieurs indigènes parmi les plus instruits et leur soumit
fait que chaque dessin est la représentation la tablette : « tous me parurent contents de voir cet
presque fidèle d’un objet. De plus, il n’y a aucune objet, ils m’en dirent le nom ; puis quelques-uns se
ponctuation et le graveur ne s’arrête pas devant mirent à lire cette page en chantant. Mais d’autres
un obstacle, sauf le défaut de la planchette. s’écriaient : « Non ! ce n’est pas cela. »

21

Tablette « Miro » : 806 signes répartis sur les deux faces. Elle mesure 29 cm sur 19,5 cm.

Cette écriture de l’île de Pâques semble être très


ancienne, car les signes ont toujours précédé un
(2) Parce que ses lignes sont tracées alternative-
alphabet. Mais elle était encore d’utilisation ré- ment de gauche à droite et de droite à gauche,
cente, car la planchette nommée La Rame (3) sans discontinuer, comme les sillons d’un
était en réalité une rame européenne du XIXe labour.
siècle. En tout, Mgr Jaussen possédait plus de (3) La Rame mesure 90 cm sur 10. Il y a 8 lignes
quatre mille signes dont cinq cents étaient diffé- écrites de chaque côté et possède 1.547 caractè-
rents. Avec l’aide de quelques indigènes, il cal- res. A titre indicatif, les autres planchettes que
qua les différents caractères et mit tout en œuvre possédait Mgr Jaussen avaient les caractéristi-
pour y mettre bon ordre. Il obtint ainsi un répertoi- ques suivantes : l’Echancrée avait 10 lignes sur le
recto et 12 au verso avec un total de 1.135 carac-
re des signes formant l’écriture de l’île de Pâ- tères, elle mesure 40 cm sur 15 ; la Vermoulue
ques. Ce premier dictionnaire servira de base avait 822 caractères répartis sur 9 lignes au recto
aux très nombreuses études et essais de déchif- et 8 sur le verso ; le Miro avait 14 lignes au recto et
frement. 14 au verso, groupant un total de 806 signes.
L’enquête se poursuit. Metoro chantait ses textes et ne savait les réciter
En 1866, lors de la visite à l’île de Pâques du navire qu’en chantant ; dès qu’il cessait sa psalmodie, il
américain Mohican, il y eut quelque espoir de voir perdait le fil du discours et ne savait plus conti-
traduire les tablettes. L’Américain W. Thomson apprit nuer. Il n’inventait donc rien et ne savait que répé-
qu’un octogénaire du nom de Vaeiko (ou Ure-Vaeiko) ter ce qu’il avait appris. D’autre part, on ne peut
passait pour connaître les kohao rongo rongo. Lui supposer qu’il ait oublié des phrases de son texte,
aussi avait été dans sa jeunesse à l’école des maî- car il y en eut autant que de figures, et chacune
tres. Lorsqu’il arriva devant le vieillard, Thomson ne correspond exactement à une image. Dans ces
put rien en tirer. Vaeiko, récemment converti, n’osait textes, les mêmes idées sont partout attachées
pas faire un retour aux traditions païennes. On eut aux mêmes figures bien que variant dans les dé-
recours à la boisson... et finalement le vieux Pascuan tails de l’expression. Metoro récitait donc ce qu’il
accepta de chanter les bois d’hibiscus intelligents. Le avait appris et de plus, il ne se trompait point,
résultat fut décevant, car il lisait et récitait sans tenir puisque les paroles de son chant et les images
compte du nombre de signes dans chaque ligne. Il fut correspondent toujours. Là où il est parlé du ciel,
accusé de supercherie après qu’on eût substitué la des astres, de la terre, d’un homme, etc., il y a
tablette à une autre sans qu’il s’en aperçut... sa récita- toujours la représentation du ciel, de la terre, d’un
tion n’avait pas été interrompue ! astre, d’un être humain ».

Comme le fait remarquer Alfred Métraux, les indi- Evolution des recherches.
gènes étaient certainement de bonne foi, et l’in- Depuis le jour où Mgr Jaussen reçut les tablettes
succès des tentatives de traduction est dû aux et effectua ses premières traductions, nombreux
Blancs eux-mêmes. Ceux-ci voulaient absolument ont été les savants qui tentèrent de donner une
leur faire lire les tablettes car ils ne pouvaient signification à l’écriture boustrophédone de l’île de
concevoir une écriture différente de la leur, c’est- Pâques.
à-dire une suite de lettres formant un mot. Il est
intéressant de noter que lorsque le prélat de Tahiti Le couple Routledge débarqua sur l’île en mars
voulut traduire en français les chants de Metoro, 1914 et y vécut seize mois. Leur principale activité
ceux-ci n’avaient aucun sens. Les mots étaient était de recenser les statues : debout ou cou-
polynésiens mais n’avaient aucun rapport entre chées. Mais ils eurent également l’occasion d’as-
eux. Le chant ne racontait pas une histoire. sister en ses derniers moments sur terre, un hom-
22 me extrêmement âgé, nommé Tomeniko. Il put
La façon dont Metoro a chanté les tablettes de- encore leur murmurer quelques mots et dessina
vant le vicaire apostolique a été suspectée depuis sur un feuillet de l’administration chilienne quel-
le début. Cela semblait trop facile. S’agissait-il ques signes. Ceux-ci, selon Mrs. Routledge, res-
d’un farceur ayant voulu mystifier son évêque ? semblent beaucoup plus à un code mnémotechni-
Ce dernier justifia en 1893 sa pensée à ce sujet : que qu’à des mots ou des phrases. Et l’anthropo-

Avant de mourir, Tomeniko put encore murmurer quelques mots, et dessina à l’intention de Mrs. Routled-
ge, ces quelques signes sur un feuillet de l’administration chilienne.
logue conclut : « lorsque vous faites un nœud à carbone certains sites archéologiques des îles
votre mouchoir, personne d’autre que vous ne Marquises : la datation révèle que 2000 ans avant
peut savoir que c’est pour vous rappeler votre J.-C., ces îles étaient déjà habitées !
prochain dîner ou encore de ne pas oublier de
payer votre assurance-vie ! Une autre théorie, celle d’un continent polynésien,
fait sourire la plupart des savants. Ce continent —
En 1920, parmi les documents archéologiques MU — aurait été le point de départ de toutes les
mis à jour à Mohenjo-Daro et Harappa par l’ar- civilisations. De nombreuses colonies sur les
chéologue anglais John Marshall, on retrouva continents asiatique, européen et américain dé-
des centaines de signes hiéroglyphiques d’une pendaient directement de MU. Une écriture a pu
écriture non encore déchiffrée. Les ruines de ainsi être transmise dans ces colonies.
Mohenjo-Daro font partie d’une ville de l’Indus, Après l’effondrement du continent, cette écriture a
qui aurait été il y a six mille ans le centre d’une pu se développer, se transformer durant des mil-
civilisation importante. C’est un savant hon- liers d’années. De Hevesy signale également que
grois, Wilhelm de Hevesy, qui eut l’idée de les signes gravés sur les briques de Mohenjo-
comparer les signes trouvés avec ceux de l’île Daro sont bien moins parfaits. L’écriture de l’île de
de Pâques. Cent trente signes pouvaient Pâques serait-elle antérieure à celle de l’Indus ?
s’identifier à ceux des kohao rongo rongo. C’est ce que pensait le professeur Rivet :
Plusieurs savants réfutèrent cette comparai- « Comme les signes des bois parlants (Ile de Pâ-
son. Le professeur autrichien Heine-Geldern ques) sont nettement mieux stylisés que ceux de
considère que le nombre de signes différents l’Indus, il y a tout lieu de supposer que la migration
de l’écriture pascuane étant plus élevé que polynésienne, qui aurait apporté à l’île de Pâques
celui des signes identiques (un cinquième), ces premiers documents, aurait quitté l’Asie méri-
une filiation directe entre les deux écritures est dionale à une date antérieure à l’époque d’Harap-
douteuse. En général, on estime que les deux pa et de Mohenjo-Daro. En un mot, que l’alphabet
civilisations n’ont jamais été en contact. Vingt de l’île de Pâques est encore plus ancien que ce-
mille kilomètres séparent l’île de Pâques du lui de l’Indus ». (4)
site de Mohenjo-Daro. La civilisation de l’Indus
était déjà très avancée. Les gens vivaient dans « Mais, comme le fait remarquer le professeur
des cités, connaissaient la poterie et les mé- L.C. Vincent, ce qu’il importe surtout de conclure,
taux. Ils n’auraient pas pu entretenir des rela- ce n’est point que l’antique civilisation de l’île de 23
tions commerciales avec les Polynésiens de Pâques (ou de MU), reconnue comme blanche et
l’âge de la pierre ! pré-aryenne, provient de l’Indus, de l’Iran ou de
Sumer, suivant les auteurs... mais bien, puisqu’el-
La réplique peut être valable, mais d’autres théo- le est antérieure, qu’elle s’est rendue, effective-
ries y répondent. Nous avons la théorie officielle ment, du Pacifique sur l’Indus, en Iran, à Sumer,
des migrations polynésiennes : ils venaient de etc. Alors, tout s’explique et devient clair ».
l’Asie ! Les dates sont souvent confuses, mais l’on
cite communément le premier siècle de notre ère Parmi d’autres chercheurs, nous citerons encore
comme étant la première époque des migrations. le Dr. Imbelloni (comparaison des écritures de l’île
Or, l’Américain Robert C. Suggs a daté au radio- de Pâques, de Ceylan et de celle des Lolo en Chi-
ne méridionale) ; le Dr. Koenigswald (signes pas-
cuans et dessins sur tissus de l’Indonésie) ; Wer-
ner-Wolf « a pu reconnaître certaines analogies
entre les hiéroglyphes pascuans et ceux de l’an-
cienne Egypte » ; et finalement Thomas S.
Barthel.

Premiers résultats.
En 1953, Thomas Barthel décide de rouvrir le dos-
sier « Tablettes Kohao Rongo Rongo — Ecriture
Indéchiffrable ». Il se familiarise avec les systèmes
de déchiffrement des écritures primitives, puis
avec la culture polynésienne. Ensuite, il rassemble
tout ce que l’on possède de l’écriture pascuane. Il
obtient ainsi 12.000 signes à analyser. Chaque

Comparaison entre les écritures de Mohenjo-Daro


(colonnes impaires), et de l’île de Pâques (colonnes (4) Cité par L.C. Vincent dans « Le Paradis perdu
paires), dues à de Hevesy. de MU - Tome 1, p. 320.
signe est numéroté, comparé avec d’autres, puis une des extrémités de l’archipel, provoquant une
classé. Ce travail lui permet de reconnaître facile- violente secousse tellurique qui a englouti sous les
ment chaque caractère. Il doit alors décider si cha- flots tous les îlots adjacents, provoquant la mort
que dessin représente un alphabet de lettres, des de leurs habitants ». Le professeur Vaz de Melo a
syllabes, des mots ou encore des idées. Selon le refusé de révéler sa méthode de traduction des
principe du déchiffrement des codes secrets, si 20 tablettes : « je préfère, dit-il, attendre les résultats
à 30 éléments de base forment un système d’écri- du savant allemand Thomas Barthel, le seul autre
ture, on peut admettre que ces éléments font par- spécialiste qui, à l’heure actuelle, étudie systéma-
tie d’un alphabet. Si l’on trouve une centaine d’élé- tiquement ce sujet ».
ments de base, ceux-ci forment des syllabes.
Dans l’écriture de l’île de Pâques, il y en a des La mention d’archipel comble de joie tous les
centaines : ils ne peuvent que traduire un mot ou chercheurs convaincus que l’île de Pâques faisait
une idée. Ce fut le raisonnement de Barthel. partie d’un continent polynésien dont l’île au sud
aurait été le point le plus élevé. Et dans ce cas,
En 1954, il retrouve à Grottaferrata, près de Rome, c’est l’énorme boule de feu qui serait à l’origine de
le manuscrit original de Mgr Tepano Jaussen, dans son effondrement.
lequel celui-ci avait consigné les quatre chants de
Metoro. Pour Barthel, c’était sa pierre de Rosette. Il JACQUES DIEU.
compara les chants de Metoro et les caractères des
tablettes originales. Il découvrit ainsi que certains
symboles géométriques représentant le soleil et la BIBLIOGRAPHIE
lune étaient précédés d’un signe abstrait formé par ● Les expéditions
deux barres ou bâtons. De nombreuses mytholo- Mgr Tepano Jaussen : « L’île de Pâques,
gies font mention de la dualité soleil-lune : la mytho- historique, écriture et répertoire des
logie polynésienne également. Cette trouvaille fut la signes des tablettes ou bois d’hibiscus
clé de son système de déchiffrement. Il traduisit le intelligents ». (Paris 1893.)
tout selon sa méthode et trouva que, par exemple, Mrs. Scoresby Routledge : «The mysterious
un oiseau endormi représentait la mort ; une corde, images of Easter Island ». (Londres
1919.)
généralement blanche, indiquait cette couleur.
Henri Lavachery : « Ile de Pâques ». (Grasset
L’écriture semble être très poétique, car le dessin 1935.)
24 d’une fleur représente la femme. Alfred Métraux : « l’île de Pâques ».
(Gallimard 1941.)
Toujours selon Barthel, l’écriture n’aurait pas évo- Thor Heyerdahl : « Aku-Aku, le secret de l’île
lué vers un système phonétique reproduisant une de Pâques ». (Albin Michel, 1958.)
phrase parlée. Les tablettes n’étaient que des Francis Mazière : « Fantastique île de Pâ-
mots-clés et le récitant devait remplir les blancs. ques ». (Laffont 1967.)
La découverte de Thomas Barthel eut un certain ● Ouvrages généraux et communications
retentissement dans le monde. Mais son système R.P. Mouly : « Ile de Pâques, île de mys-
de déchiffrement ne recueillit pas l’unanimité des tère ? » (Librairie de l’Œuvre Saint-
spécialistes. Charles, Bruges 1935.)
Ernst Doblhofer : « Le déchiffrement des
Dernières nouvelles. écritures ». (Arthaud 1959.)
Il est bon de rappeler que le nom de Barthel réap- Robert C. Suggs : « The hidden worlds of
parut fin mars 1973 sur les téléscripteurs de toutes Polynesia ». (Mentor Books, 1965.)
Louis Castex : « Les secrets de l’île de
les agences de presse. En effet, un linguiste brési-
Pâques ». (Hachette 1967.)
lien, le professeur Vaz de Melo, affirmait avoir L.C. Vincent : « Le paradis perdu de MU »,
réussi à déchiffrer les tablettes de l’île de Pâques. tome I. (Ed. de la Source 1969.)
La traduction de celles-ci « indique littéralement Alfred Métraux : « Le vrai mystère de l’île de
que l’archipel a été détruit par un gigantesque raz- Pâques », Le Courrier de l’Unesco, juillet-
de-marée, dont les vagues atteignaient plus de août 1956.
trente mètres de haut ». Il semble que les habi- Thomas Barthel : «The talking boards of
tants affolés « tentaient en vain de mettre leurs Easter Island », Scientific American,
embarcations à la mer quand une énorme boule juin 1958.
de feu (peut-être une météorite) vint s’écraser sur La Lanterne et Le Soir, 24 et 25 mars 1973.
De l age d or
A l ere du verseau

LE ZODIAQUE AFFAIRE SERIEUSE

25

« Il y a plus de choses dans le Ciel et sur la Terre, la date de sa naissance, placée sous tel ou tel
Horatio, que ne peut en rêver votre philoso- « signe ». De même, l’on vend des colliers, des
phie » (Shakespeare, Hamlet). pendentifs, des calendriers, des posters décorés
de signes du zodiaque. Quelle que soit la valeur à
Dans l’esprit de la majorité des gens, le terme attribuer à ces horoscopes et à ces talismans, il
« zodiaque » est fortement entaché de supersti- est bon de faire remarquer combien l’idée même
tion. La plupart des journaux publient quotidienne- du zodiaque est profondément ancrée dans notre
ment des horoscopes, qui permettent à chacun de culture. Peu de personnes sans doute, dans notre
consulter les prévisions établies à son sujet selon pays, ignorent sous quel signe elles sont nées.
Lorsqu’on parle du zodiaque, il faut aussi dire un Cette graduation, c’est le point vernal, c’est-à-dire
mot de l’astrologie. La plupart des savants et des l’endroit de notre ruban où se lèvera le soleil de
gens cultivés considèrent l’astrologie avec un l’équinoxe de printemps (21 mars) qui est la date
mépris total, justifié par le manque de sérieux de où la durée du jour égale la durée de la nuit. Que
cette discipline pratiquée habituellement par des va-t-il se passer maintenant ? Au fil des 365 jours
« mages » ou des « pseudo-scientifiques » qui se de l’année, nécessaires pour arriver à l’équinoxe
livrent, par le canal de la presse parlée ou écrite, de printemps suivante, la roue zodiacale va défi-
ou par voie de consultations, à une sorte de ler lentement devant le lever quotidien du soleil
psychothérapie destinée aux gens simples ou aux pris comme aiguille fixe, pour revenir au bout d’un
crédules. Mais je ne suis pas diseur de bonne an, à peu près au même point. Mais c’est cet
aventure et mon propos est ailleurs. « à peu près » qui fait toute la différence. Car,
dans son mouvement apparent, qui est dû en
Que représente le zodiaque en réalité ? Une sub- réalité au mouvement réel de rotation terrestre, le
division très concrète du ciel, basée sur les mou- Soleil va prendre, au bout d’un an exactement, un
vements relatifs du Soleil, de ses planètes et de retard de plus ou moins 0,0138 degré d’angle sur
certaines constellations. Il s’agit là d’un véritable la roue zodiacale. Autrement dit, le Soleil reparaî-
tour de force réalisé par des astrologues à une tra au point vernal tous les 365 jours, 5 heures,
époque extrêmement lointaine, et retransmis jus- 48 minutes, 49,6 secondes, alors que la terre met
qu’à nous par les Chaldéens. Ce passé remonte- un souffle de temps en plus pour faire le tour du
t-il aux légendaires Elohim de la Genèse, qui, au zodiaque.
quatrième jour de la Création, « placèrent les lumi-
naires au firmament du ciel pour éclairer la Terre, Le Soleil est, en quelque sorte, en retard au ren-
pour présider au jour et à la nuit et pour séparer la dez-vous. Donc, chaque année, le point vernal
lumière des ténèbres » ? Il est bien difficile de glissera sur la roue, de 0,0138° vers la droite. Ce
répondre à cette question. phénomène se nomme « précession des équi-
noxes ». Il faudra donc au point vernal une durée
Toujours est-il que, à l’autre bout du monde, les de plus ou moins 2.160 ans pour balayer 30°
Mayas pratiquaient également l’astrologie. Cepen- d’angle, c’est-à-dire pour changer de signe, et de
dant, leur calendrier divinatoire ne tenait pas plus ou moins 25.920 ans, soit 12 fois 2.160, pour
compte du mouvement des astres. C’est pourquoi faire un tour complet de la ceinture d’Eurydice.
26 on a cru longtemps à une création entièrement
originale de ces peuples. Et pourtant, devant cer- Il n’est pas aisé d’exposer en peu de mots un
taines analogies, on ne peut plus curieuses, des phénomène aussi complexe ; en guise d’exem-
historiens et archéologues envisagent une influen- ple, disons qu’au temps de l’Ancien Empire
ce chinoise très lointaine, issue elle-même de la d’Egypte, le point vernal (c’est-à-dire le lever du
science chaldéenne, et qui se serait propagée de Soleil le 21 mars) se trouvait inscrit dans le Tau-
proche en proche jusqu’au Mexique, en passant reau, qu’au temps de Moïse (Nouvel Empire), il
par les îles du Pacifique. s’inscrivait dans le Bélier, au temps de Jésus-
Christ dans les Poissons. Depuis 1950 environ,
J’ai dit que la mise au point de ce système de notre point vernal se situe au début du Verseau.
mesures était un tour de force : le meilleur moyen Dans plus de deux mille ans donc, lorsque le
de le démontrer est d’exposer en bref, et de ma- Soleil aura accumulé un retard de plus de deux
nière relativement simple, les données de base du mille fois 0,0138°, nous entrerons dans le signe
calendrier zodiacal. suivant, celui du Capricorne.

Déterminons d’abord une bande de ciel, un ruban Il est remarquable que dans un passé extrême-
dans lequel s’inscrivent les mouvements appa- ment éloigné, et donc, s’il faut en croire la science,
rents des planètes du système solaire, le lever du à une époque où les moyens techniques étaient à
soleil et certaines constellations. Ce ruban se peu près nuls, l’homme ait pu non seulement
nomme « ceinture d’Eurydice ». Nous voici donc déterminer avec exactitude la durée de l’année,
en possession d’un gigantesque écran de cinéra- mais en plus dénicher dans cette botte de foin le
ma qui couvre 360 degrés, c’est-à-dire un tour minuscule retard annuel du Soleil dans sa course
complet. Cet écran, divisons-le en douze parties vers le point vernal... Faut-il s’étonner dès lors,
égales de 30 degrés chacune et baptisons ces que cette science formidable, héritée ou inventée
douze portions du nom des constellations qui y par l’homme, soit devenue par la suite un objet de
figurent : capricorne, sagittaire, scorpion, balance, vénération accaparé par les cultes successifs ?
vierge, lion, cancer, gémeaux, taureau, bélier, Faut-il s’étonner que dans ses manifestations
poissons, verseau. Il faut à présent définir une populaires, l’astrologie se soit progressivement
graduation de référence, à partir de laquelle nous dégradée pour cause d’incompréhension, et soit
pourrons effectuer des calculs. devenue une pseudo-science à horoscopes ?
Représentation schématique de la roue zodiacale. Le trait transversal près du chiffre 11 représente la 27
position approximative du point vernal actuel (1973) ; ce point glisse donc chaque année légèrement vers
la droite.
Le ciel a toujours représenté pour l’homme l’élé- des « symboles opposés », empruntée à Jean
ment majeur de son destin. Comprendre le ciel et Sendy, nous fournit une excellente illustration :
l’appliquer à la vie même fut une préoccupation
constante de l’humanité. Peu importe, dans le
cadre de cet article, de déterminer à quel moment 1) A l’époque de Noé, le point vernal se situait
et par quel moyen les hommes ont pu mettre au dans les Gémeaux. Le signe opposé de la
point un système de mesures aussi parfaitement roue zodiacale est donc le Sagittaire. Que
adapté à l’écoulement des millénaires. Il reste à nous apprend l’Ancien Testament ? Que
démontrer que le zodiaque est un véritable langa- Dieu, pour marquer son alliance avec Noé,
ge initiatique qui a toujours servi de repère à met son « arc » dans la nue. Et il précise
l’homme pour déterminer l’évolution de sa pensée, bien : « Ce sera un signe d’alliance entre Moi
de sa religion prise au sens strict de re-ligare, re- et la Terre » (Genèse, 9, 13).
lier. Relier l’homme au cosmos, lire la date et
l’heure en interrogeant le firmament, déterminer 2) Plus tard, les pharaons d’Egypte firent sculp-
les saisons et les grandes fêtes de la nature par ter des taureaux un peu partout et adorèrent
l’intermédiaire du ciel, voilà la grande idée. Pour- le bœuf Apis. Or, leur point vernal s’inscrivait
quoi ? Parce qu’il recèle la clé du « D’où venons- dans la constellation du Taureau. Le signe
nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? ». opposé étant le Scorpion, nous le retrouvons
Parce que, si réellement, à l’aube de l’histoire, des sur la coiffure de l’épouse du pharaon... jus-
civilisateurs sont venus du ciel, une religion cosmi- qu’au jour où, versant dans l’idolâtrie, c’est-à-
que est seule capable de maintenir le lien magi- dire, perdant momentanément le fil de la Tra-
que de plus en plus ténu qui a pu s’établir en ces dition, le Scorpion de la souveraine fut rem-
temps. placé par un scarabée (signe du Cancer).
Dans ce cas-ci donc, la règle des symboles
Plus près de notre culture, nous pouvons suivre, opposés fut violée.
au fil des millénaires, une sorte d’orthodoxie 3) Moïse naquit dans l’ère du Bélier, à l’époque
zodiacale omniprésente. C’est ainsi que la règle où les prêtres d’Amon-le-Bélier prenaient, en
Egypte, une importance politique de plus en Bibliographie
plus marquée. Libérant les Hébreux d’Egypte, « La Sainte Bible», par A. Crampon. Desclée,
Moïse posa dans le désert les premières assi- 1960.
ses du christianisme à venir, et choisit comme « L’astrologie devant la science », par Michel Gau-
signe adjoint la Balance de la justice. Repre- quelin (Planète-Denoël 1965).
nons la roue zodiacale : la Balance s’oppose « Le christianisme entre les poissons et le ver-
au Bélier. Semper religare… seau », Janus n° 1, avril-mai 1964.
4) Plus près de nous encore est l’époque du « Dans l’ère du Verseau », par Patrick Ravignant,
Christ. Sa naissance se situe au début de l’ère Le nouveau Planète n° 15, mars 1970.
des Poissons. Et que constatons-nous ? Un « Les horloges cosmiques », par Michel Gauque-
Messie présenté par Jean-Baptiste vêtu d’une lin, Denoël 1970.
peau de bélier et annonçant que son ère est « L’occultisme », par Julien Tondreau, Marabout
révolue. Jésus baptisant dans le Jourdain, Université n° 38.
s’entourant de pêcheurs, réalisant une pêche Et les ouvrages de Jean Sendy, surtout :
miraculeuse, calmant la tempête, marchant sur « Les cahiers de cours de Moïse», Julliard 1963 et
les eaux, multipliant les poissons, etc. A partir J’ai Lu n° 245.
de lui, une religion nantie d’un souffle nouveau La lune, clé de la Bible», Julliard 1968 et J’ai
voit le jour et désigne comme adjoint la Vierge, Lu n° 208.
bien sûr, qui s’oppose aux Poissons sur notre L’ère du Verseau », Robert Laffont, 1970.
roue zodiacale !
5) Nous entrons à peine dans le Verseau et tout
change déjà : la religion se remanie et cher-
che sa voie. Comme par hasard, Paul VI sup-
prime l’obligation de manger du poisson le
vendredi : c’était là sans doute, un vestige
d’une ère révolue ? Le culte de la Vierge va-
t-il en s’atténuant ? Assisterons-nous à la
naissance d’une religion nouvelle, plus adap-
tée à notre époque ? Ceux qui orientent notre
28 destinée spirituelle choisiront-ils le Lion
(opposé au Verseau) comme signe accompa-
gnateur ? Bref, l’orthodoxie zodiacale sera-t-
elle maintenue ? Il est trop tôt pour répondre
à ces questions. La science d’aujourd’hui se
détache de plus en plus de la religion prise au
sers large de « culte », pour se rapprocher du
mot « religare » au sens strict. En effet, notre
science avancée nous fait plonger de plus en
plus loin dans l’infiniment grand comme l’infi-
niment petit, et nous rapproche sans cesse de
nos origines et du ciel, nous relie, en un mot,
de plus en plus au cosmos et à la matière,
nos deux pôles d’intérêt. Et je ne suis pas loin
de penser, avec Jean Sendy, que les prêtres-
astronomes de l’Antiquité sont les pères spiri-
tuels des chercheurs d’aujourd’hui. Il faut
donc réhabiliter le zodiaque, en qualité de
racine fondamentale de notre civilisation.
Dédaigner cet aspect des choses, c’est pas-
ser à côté d’une mentalité qui a conditionné
jusqu’à nos habitudes morales et religieuses,
et qui continue à le faire. Etudier ces ques-
tions, c’est au contraire retrouver un langage
qui n’est peut-être plus de notre temps, mais
qui contient des vérités premières et fonda-
mentales sur lesquelles nous reviendrons plus
en détail prochainement.

JACQUES VICTOOR.
CIVILISATIONS EFFONDREES

AT, ATLAS, ATLANTES


Professeur Marcel Homet, auteur du livre
« A la poursuite des dieux solaires »
On n’a encore trouvé à ce jour, aucune preuve formelle de l’existence d’un continent englouti. Uni-
quement des présomptions : certaines traces archéologiques peuvent être celles de l’Atlantide ou de
MU. Mais ce serait céder à la facilité que de prétendre résoudre en un article l’énigme de l’Atlantide.
La revue Atlantis s’y consacre depuis 1926... Il nous a semblé préférable de rechercher des points de
vue originaux et inédits. Les analogies linguistiques convaincront les uns et pas les autres. Mais dans
l’article qui suit, il faut voir au-delà. Nous l’avons trouvé intéressant, parce qu’il souligne un aspect
peu connu du problème : le fait qu’on trouve intégrée dans l’étymologie même des mots, une tradition
« ésotérique» faisant allusion à une « terre entourée d’une grande mer ». Il s’agit là d’une autre for-
me de langage, bien sûr : celui de la symbolique. Mais nous n’avons d’autre prétention que de verser
une pièce au dossier de l’Atlantide.

29
La catégorie des génies produisant des grandes Le géant Atlas.
découvertes est celle qui, notamment en laboratoi- Parlons des anciens habitants de la Colombie et
re, multiplie les expériences a priori, qui peuvent du Vénézuéla, parents des Mayas-Quichés, et
ne pas être fertiles, mais qui peuvent aussi, si l’on comme eux descendants de peuples du vaste
ne néglige aucune possibilité, produire enfin des bassin du Mississipi. Les Quichés racontent l’arri-
résultats positifs. vée d’une population venant de l’est, délivrée par
Dieu, qui leur aurait ouvert les Douze Chemins de
Il en est de même pour celui qui étudie les an- la mer. Ils connaissent aussi la « Tour de Babel,
ciennes civilisations : s’il exclut les anciennes où l’on ne parlait qu’une seule langue, et que Dieu
langues sémitiques, il se ferme automatiquement détruisit ».
quelques portes, par lesquelles il aurait pu dé-
couvrir la vérité. Il agirait de la même façon qu’un Dans l’ancienne langue colombienne, Atl signifie
biologiste qui refuserait d’examiner des formules « pays, empire », également « eau», et enfin
chimiques ; sans les regarder, il dirait qu’il sait « Tête de l’Empire ». Remarquez aussi que les
qu’elles ne valent rien. Berbères d’Afrique, qui relient les anciens Mexi-
cains et Colombiens d’un côté, et les Arabes
Si nous considérons la racine Atl de la langue- d’Egypte de l’autre, possèdent aussi le sens
mère, de laquelle dérivent les langues sémitiques, « eau » pour la racine Atl. Si l’on rassemble ces
nous la trouverons fréquemment employée des éléments, n’arrive-t-on pas à l’interprétation sui-
deux côtés de l’Atlantique, et dans toutes les vante : « puissant et noble empire entouré par
mythologies solaires. Cette racine a le sens géné- les eaux » ?
ral de « Empire du Dieu juste, Racine du Monde,
Noble et Indestructible ». Même sans parler de l’Atlantide, il faut se rappeler
que tous les géographes de l’Antiquité ont donné
La même racine signifie « pays » en Egypte. Si on le nom de Libye à l’ensemble de l’Afrique du Nord
rapproche ces éléments dans une seule ex- (y compris l’Egypte), et — est-ce par hasard ? —
pression, on peut donner à Atl le sens de « pays ont prétendu que cette Libye était le pays où le
qui est indestructible par sa grandeur, ou empire dieu Atlas portait le monde sur ses épaules. Dans
puissant ». Qui peut prétendre le contraire, surtout l’ancien Mexique, on connaissait à la même épo-
s’il ne connaît pas les racines arabes ? que un dieu identique qui portait aussi le monde
sur ses épaules ! Certaines coïncidences sont Après être passé entre tant de mains — ou de
vraiment étranges. bouches —, pendant tant de siècles, ce nom est-il
resté intact ? Qui peut dire si sa prononciation
Considérons maintenant la finale as de Atlas. était plus proche d’Atlantide ou d’Atlantilles ?
Dans la même langue-mère que précédemment, Quelle qu’elle ait été, il n’en reste pas moins que
elle signifie « base, principe, fondement ou fonda- les Antilles, elles, existent réellement, et se trou-
tion ». Donc, la « base » utilisée pour la fondation vent exactement en face du pays où l’on trouve
du monde de cette époque, le monde d’Atlas, des centaines de mots commençant par atl.
puissant, noble, indestructible.
N’oublions pas non plus les peuples migrateurs
Une définition de cet élément combiné à ce que dont parle le Codex Tira et toutes les vieilles
nous connaissons déjà, donnerait : Atlas, puissant légendes, et qui — il n’y a pas l’ombre d’un doute
empire, entouré par les eaux et représenté sym- à ce sujet — vinrent de l’est, par la mer, soit exac-
boliquement par un géant nommé Atlas, portant le tement de là où se trouvent les Antilles. Et ces
monde sur ses épaules. peuples migrateurs apportèrent avec eux ces
mots qui commencent par Atl. Une coïncidence ?
Comment prononce-t-on « Atlantide » ? Mais il vaut mieux ne pas tirer de conclusions hâti-
Nous n’avons pas l’intention de soutenir une ves...
thèse, et nous ne voulons pas non plus influen-
cer nos lecteurs. Libre à eux d’étudier les docu- Sûrement d’origine noble.
ments, de les accepter ou de les rejeter. Au Revenons-en à l’histoire. Je me suis souvent pro-
moins aurons-nous essayé d’attirer leur atten- mené sur les bords du Chott el-Djerid, près de
tion sur le problème fascinant des anciennes Tunis. Diodore de Sicile appelle cet ancien lac (ou
civilisations solaires. golfe) Bahr Atala (Bahar signifie « mer » en arabe,
mais ce terme peut aussi qualifier toute masse
A ce propos, voici un autre document extrême- d’eau importante, telle que le Nil ou l’Amazone). Il
ment curieux. Un des plus intéressants codex s’appelait donc « Mer d’Atala ». Il est étrange de
mexicains est le Tira (Le livre des migrations). retrouver ce même mot atala chez les Indiens
Les Mayas qualifiaient les peuples migrateurs à Natchez d’Amérique du Nord. Dans la langue-
l’aide du mot Tira. Si nous avons à nouveau mère, atala signifie « d’origine noble » ; le sens en
30 recours à la langue-mère ou à la langue sémiti- est donc très proche de cet atl que nous connais-
que, nous verrons que la racine tar signifie sons déjà.
« voler » (comme un oiseau). Les mots arabes
se déclinent en dix cas, qui apportent parfois L’histoire nous apprend que près du Chott el-
des sens très différents à celui du radical. Le Djerid vivait un peuple très ancien dont nous ne
cinquième cas du mot ci-dessus est tatara, qui savons malheureusement rien. Son nom était Ata-
a le sens de « action que l’on se résigne à rante ou Atalante. Nous retrouvons donc une fois
entreprendre ». On peut dire qu’en général, les de plus (surtout pour la deuxième prononciation)
émigrants ne partent pas de gaieté de cœur ; ils ce mot atala, qui signifie dans la langue-mère
se résignent plus ou moins à leur sort. Le dixiè- « laisser traces d’un fait», « l’éclat d’une épée »,
me cas, istatar, signifie « voler en groupe, se ou « pareil à l’éclair ».
disperser, se disséminer » et, s’appliquant à
des individus, « émigrer ». Enfin, le troisième Ces Atarantes ou Atalantes adoraient Poséidon,
cas, taira, exprime le sens de l’action entrepri- leur dieu principal qui, disaient-ils, était venu de
se. Quelle action ? Précisément celle du pigeon l’ouest. De l’autre côté de l’Atlantique, les peuples
voyageur, le migrateur. Dans la langue des chez qui l’on retrouve atl sont tournés vers l’est et
Mayas-Quichés et en sémitique, la signification maintiennent que leur dieu est venu de cette di-
de Tira est identique. N’est-ce pas encore une rection. En outre, si on étudie les vestiges physi-
coïncidence stupéfiante ? ques de ces peuples des deux côtés de l’Atlanti-
que, on se rend compte qu’ils sont exactement
Si l’Atlantide a vraiment existé, ce ne furent pas semblables.
les Atlantes (en admettant qu’ils se soient nom-
més ainsi) qui nous ont transmis ce nom. Notre A ce propos, servons-nous de notre imagination,
savoir est très limité en ce domaine, mais suivant mais utilisons-la de façon scientifique. Qui nous dit
la tradition, ce fut soit Psenophis, prêtre d’Heliopo- que les Atlantes, s’ils ont jamais existé, s’appe-
lis, soit Sonchis, prêtre de Saïs, qui raconta cette laient Atlantes ? Ceux qui ont pris position en fa-
histoire à Solon, qui la transmit à Critias, duquel veur de l’Atlantide à tout prix diront que si l’Atlanti-
Platon la tient. Platon lui-même n’en a pas parlé de a existé, ses habitants s’appelaient des Atlan-
avant d’avoir vérifié les sources les plus récentes, tes. Tout cela est très bien, mais d’où viennent
c’est-à-dire avant d’avoir questionné Exhenate, ces mots Atlantide et Atlante ? Quel document en
ancien professeur de Démocrite. apporte la preuve ? Je maintiens qu’il n’en existe
pas une seule. En conséquence, personne ne Comment ces « descendants » pourraient-ils avoir
peut établir qu’un grand empire s’étendait autre- découvert l’étymologie à une époque si reculée,
fois dans le nord de l’Europe, bien que tout suggè- bien avant la création de la langue phénicienne, à
re que c’était le cas, ni qu’on l’appelait l’Atlantide. moins qu’il n’ait existé une langue-mère, dont
Capitan parle, du reste, également ? Il déclare en
Il en découle que si — et je souligne le si — les effet que « les hiéroglyphes découverts dans les
survivants de cet empire, des milliers d’années grottes pourraient aussi être des formes simpli-
plus tard, avaient perdu tout souvenir de son nom, fiées de quelque langue ancienne que nous ne
ils auraient fort bien pu avoir l’idée de l’appeler pouvons plus déchiffrer, et dont toutes les traces
Atlantide, ou Atlantide, car la définition grammati- sont complètement perdues ».
cale de ce mot renferme tout ce que contenaient
leurs traditions — noblesse, pouvoir, fierté d’un J’ai mentionné les Pueblos et les Kourganes. Mais
grand empire, foudre dévastatrice au cours de la liste des peuples qui ont existé autrefois et que
cataclysmes naturels, submersion, éruptions vol- nous ne connaissons que sous la désignation que
caniques, tempêtes effrayantes, tout ce qui a pu les savants ont inventée pour eux dans leur propre
concourir à l’anéantissement d’un grand peuple. langue est extrêmement longue. Il y a les Innuits
(c’est-à-dire les Hommes), nom que les Esqui-
maux se donnaient à eux-mêmes après avoir per-
du leur désignation originale dans une effrayante
catastrophe qui engloutit une région et peut-être
un empire entier. Cela aussi, c’est un [ait histori-
que. Et il y a encore les Zends de la Perse méri-
dionale qui, après un incroyable désastre, prirent
le nom d’Ariots, c’est-à-dire « les Vaillants ».

Pour conclure, nous reviendrons au mot Atl-antille


(Atl et Antille). Nous savons que dans la langue-
mère ou en sémitique, la syllabe an a le sens de
« lien ». Quant à til, toujours dans ces langues, ce
vocable exprime l’habileté, la richesse, le pouvoir,
l’empire. C’est assez curieux, nous en revenons à 31
Atl.

Je le répète à nouveau, ce n’est pas une fiction de


mon imagination : les définitions données ci-
dessus ne sont en rien forcées. Si l’on connaît
l’arabe, il suffira de prendre un dictionnaire de
Bellot ou Kazimirsky pour le constater.

De quelque façon que nous envisagions le problè-


me, nous en revenons toujours au même point.
Analysons comme nous voulons les racines, les
radicaux, les suffixes de ces noms : Atlantide,
Antilles, Atlas, nous trouvons toujours la marque
du passé puissant et glorieux d’un monde que
nous ignorons totalement qui, peut-être, s’appelait
Atlantide, et qui certainement, d’une façon ou d’u-
ne autre, a dû exister.
Un « Atlante» de Tula, au Mexique.
Quand nous disons « le puissant empire anglo-
saxon », ce que nous voulons exprimer n’est-il pas
Un monde qui a dû exister. clair, même si mention n’a pas été faite de l’Angle-
Peut-être le lecteur trouvera-t-il ces hypothèses terre ? Les américanistes, s’ils voulaient rassem-
ridicules. Dans ce cas, qu’il me fournisse l’étymo- bler toutes leurs découvertes, comprendraient
logie des noms de certaines peuplades importan- qu’elles établissent un lien entre les anciens peu-
tes qui ont complètement disparu, mais dont la ples des deux rives de l’océan qu’on a appelé
préhistoire a beaucoup à dire : par exemple, les Atlantique longtemps après que les dieux du soleil
Pueblos d’Amérique du Sud, ou les Kourganes avaient cessé de régner.
de Russie méridionale dont le grand préhistorien Où ? Sur l’Atlantide ? Qui peut le dire ?
Capitan et tant d’autres savants ont établi qu’ils
étaient frères en race et en civilisation. (reproduit avec l’autorisation de l’auteur)
Le quatrième numéro de « KADATH » sera entièrement consacré à Stonehenge, le plus beau
site mégalithique, situé dans le sud de l’Angleterre.

Des membres de notre équipe sont allés sur place : ils ont ramené des centaines de
photographies, réalisées dans un site grandiose et désert, duquel les autorités avaient
écarté les touristes à notre intention.

Nous avons fait des diapositives et un court-métrage cinématographique, qui ont été
présentés déjà dans plusieurs salles de la capitale. Si vous désirez que cette
conférence passe dans des clubs, des maisons de la culture ou des amphithéâtres,
faites-le nous savoir. Nous sommes à votre disposition.

L’essentiel des documents sera publié dans le numéro 4 de « KADATH » : ils concer-
neront non seulement Stonehenge, mais aussi tout le contexte de la région : Ave-
bury, gigantesque cromlech, Silbury Hill, le plus grand tumulus d’Europe, Westbury
avec le cheval blanc de Bratton Down, etc.

Si vous avez des documents, si vous êtes allé vous-même sur place, si vous avez des
suggestions à faire ou des éléments d’information à nous proposer, écrivez ou
téléphonez au plus tôt. Toute pièce valable sera retenue et publiée.

Mais attention, dépêchez-vous ! les délais d’impression sont proches…

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ABONNEMENTS
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Source des illustrations : Spirits, p. 2 — Philippe Deuquet, p. 6-7 — NASA, p. 9 — ISIS, p. 10 —


© KADATH - R. Dehon, p. 11-27 - J. Victoor, p. 16 - P. Ferryn, p. 17-18-21 — National Maritime
Museum Greenwich, p. 19 — Bibliothèque Nationale, p. 25 — Henri Sterlin, p. 31.

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