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Quel étage ? — Which Floor ? — На какой этаж ?

En chinois mandarin, céng (caractère traditionnel 層, simplifié 层) « niveau », précédé du


numéral adéquat, désigne l’étage d’un bâtiment d’habitation (de la maison au gratte-
ciel). On a ainsi :
rez-de chaussée 一层
premier étage 二层
deuxième étage 三层
troisième étage 四层
et ainsi de suite (sauf tabous divers : 四 sì « quatre » et 死 sǐ « mort », entre autres).
Le tableau fait apparaître, par exemple, la divergence entre « premier » et 二.
Tout repose donc sur le choix que chaque langue fait du point de départ de la numérota-
tion.

Le tableau suivant illustre le même schéma appliqué à d’autres langues.

France Royaume-Uni États-Unis Russie

niveau 3 2e étage 2nd floor 3rd floor Третий этаж

niveau 2 1er étage 1st floor 2nd floor Второй этаж

niveau 1 rez-de-chaussée ground floor 1st floor Первый этаж


sous-sol basement basement Подвал

En réalité, les cas de figure sont beaucoup plus nombreux, d’autant qu’on assiste à une
recherche d’équilibre entre la résistance (ou pesanteur ?) des traditions sociolinguisti-
ques (nationales, régionales, …) et le mimétisme (par ignorance, snobisme, intérêt, faci-
lité) en présence d’une mondialisation de fait, dont le volet culturel fait figure de parent
pauvre. Exemple : primer piso n’a plus la même signification dans tous les pays hispani-
ques.
Les conséquences pratiques sont parfois divertissantes pour l’observateur, même si, à
l’évidence, la perception risque d’être autre pour les intéressés.
Ainsi, une annonce immobilière parue cette année proposait en location saisonnière à
des touristes un appartement en rez-de-chaussée situé en région parisienne ; étant
donné le public visé, le texte était publié en huit langues en plus du français. La version
en langue anglaise parlant de ‘first floor’ ne disait pas la même chose à des clients poten-
tiels selon qu’ils seraient ressortissants de tel ou tel pays. La même remarque s’appli-
quait aux hispanophones, à qui on proposait un « primer piso ». Les Néerlandais auraient
de quoi être surpris en découvrant que l’offre d’un « eerste verdieping » ne correspondait
en fait qu’à un begane grond (l’équivalent correct), à l’instar des Italiens constatant qu’ils
occuperaient un piano terreno au lieu du « primo piano » qu’on leur faisait miroiter.

Cela rappelle les petits soucis de Constance Garnett [1861-1946, Britannique] traduisant
Crime et Châtiment (Преступление и наказание, Crime and Punishment) en 1914 et s’em-
brouillant dans les distinctions entre ‘floor’ [« étage »] et ‘storey’ [« niveau »], au point
que des éditeurs américains de sa traduction ont retouché son texte pour éclairer leurs
lecteurs (voir la note d’A. N. Jitkoff et J. D. Thomas, dans American Speech de mai 1956).

Doussia Ergaz (Дуся Ергаз), agent littéraire de Nabokov et auteur d’une traduction du
même roman en 1931, ne fait guère mieux sur le point qui nous occupe :

(Afin de procéder à une reconnaissance des lieux en vue de préparer son crime,
Raskolnikov se rend chez la prêteuse sur gages, qui loge « au 3e étage » dit le texte russe.)

« Если о сю пору я так боюсь, что же было бы, если б идействительно как-
нибудь случилось до самого дела дойти ?.. » — подумал онневольно, проходя в
четвертый этаж.

« Si j’ai si peur maintenant, que serait-ce si j’en venais par hasard à « l’affaire » pour de
bon ? » songea-t-il involontairement, en arrivant au quatrième étage.

On ne compte plus, bien sûr, les erreurs qui se glissent dans les traductions de romans,
de films, d’articles de presse, et il serait vain d’épiloguer.

***
« ... me parece que el traducir de una lengua a otra, como no sea de las reinas de las lenguas,
griega y latina, es como quien mira los tapices flamencos por el revés, que aunque se veen las
figuras, son llenas de hilos que las escurecen, y no se veen con la lisura y tez de la haz; y el
traducir de lenguas fáciles ni arguye ingenio ni elocución, como no le arguye el que traslada
ni el que copia un papel de otro papel. Y no por esto quiero inferir que no sea loable este
ejercicio del traducir, porque en otras cosas peores se podría ocupar el hombre y que menos
provecho le trujesen. »

« à ce qu’il me semble, traduire d’une langue dans une autre, dès lors qu’il ne s’agit
pas des deux langues reines, la grecque et la latine, c’est comme regarder au re-
bours les tapisseries de Flandres : bien que l’on en distingue les figures, elles sont
pleines de fils qui les voilent, et ne se voient point avec l’uni et la couleur de l’en-
droit ; et la traduction que l’on fait des langues faciles ne manifeste ni grand esprit
ni grande éloquence, pas plus que ne les requiert celui qui transcrit ou copie d’une
feuille sur l’autre. Et je ne veux pas en conclure que cet exercice n’est point louable,
car le traducteur pourrait s’occuper de choses pires et qui lui soient moins profita-
bles. » (trad. Jean Canavaggio, 2001)

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