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être bien de dompter ; pour écrire, passer par le corps en premier comme
Jean-Pierre Duprey, « Le voyageur épris au piège », premières publications, activités surréalistes, puis les mots qui ne suffisent
plus et les mains qui se mettent à parler au fer, au ciment, au métal, le
par Matthieu Marie-Céline l’attestent les Techniciens du sacré, dompter le verbe comme il en va de dompter par Benjamin Alexandre désespoir encore, le geste fou d’uriner sur la flamme du soldat inconnu –
les muscles. Et de semaine en semaine, de mois en mois, au travers de nos internement – puis retour discret mais fulgurant aux mots et un dernier
propositions toujours faites des poèmes que l’on vient défendre, au travers recueil : La Fin et la manière en guise d’épilogue. Duprey avait 29 ans quand
Dans cette nouvelle ère, hors saison devenue, le poème est de moins en de nos déchiffrages toujours subjectifs d’hommes et de femmes dont on aime On ne lit pas la poésie de Jean-Pierre Duprey, on la traverse, tant bien que on l’a retrouvé pendu à la poutre de son atelier.
moins prisonnier de son temps. Et pour souligner cette vision, le Hurlement partager la poésie comme ce mois-ci avec Jean-Pierre Duprey : révéler cette mal – forêt d’acier que des poutres en deuil viennent hanter de tout leur
de Ginsberg que notre collectif fait tourner depuis décembre déjà et qui matière ou plutôt faire en sorte qu’elle nous révèle. Et dresser chaque verbe à bois, couloir au bout duquel les mots se risquent à l’aveu dans un feu de Et je ne puis plus dire que mes yeux ont des oreilles partout. Que mes oreilles ont des
n’a pas pris une ride, porte son évidente actualité à mon cerveau. Je pense sa place propre pour ériger l’édifice. syllabes à vous mouiller les os. Une poésie sculptée, élaguée de ses portes, corps partout. J’entre éveillé dans une incarnation de la nuit où les miroirs ne reflètent
régulièrement dans une idée analogue que le poème sait s’écrire dans tous Edifice d’autant plus difficile à monter que l’ère nouvelle, encore elle, est une langue éprise au piège que lui tend sa propre bouche. plus, mais se protègent de visages creux.
nos gestes et tous nos agissements, avant de passer par les mots. Sans dogme souvent malhonnête – ce qui du reste n’est pas propre à notre vingt et On ne lit pas la poésie de Jean-Pierre Duprey, au mieux peut-on y
ou quelque diktat que ce soit, nous soumettant encore. Je crois qu’il suinte, unième siècle – et force la vigilance de chacun. Enfin : ne pas oublier que enfoncer ses ongles, comme pour en éprouver la chair, cette chair qui On ne lit pas la poésie de Jean-Pierre Duprey, elle nous traverse,
qu’il transpire les murs et déshabille les êtres. Qu’il nettoie la race humaine l’époque est à nous et qu’il ne tient qu’à la race humaine de la rendre viable, palpite sous la chaux, ce muscle enfoui sous l’épaisseur d’une peau
à tout le moins supportable. Si c’est là l’ambition que l’on s’autorise. obstinément.
de cette crasse dont elle sait si bien se parer et la révèle. sylvestre.
Ce mois-ci deux déclinaisons de cette approche vous seront présentées : la
première, à nue, autrement dit sans musique sinon celle des poètes seuls, j’habite mes mains de préférence. Bibliographie
une nouvelle lecture proposée par dixit au Cherche Ardeur autour de avis aux auteurs Les arbres cachent souvent la solitude des forêts – Duprey traversé
Whitman et autres Pessoa ou Garcia Lorca, le 15 avril aux alentours de dixit est actuellement à la recherche de manuscrits inédits, ainsi Derrière son double, Le Soleil Noir, 1950.
20 heures ; la seconde est une rencontre des mots avec la matière sonore n’hésitez pas à nous faire parvenir vos textes à : par la vie, Duprey traversé par son mythe : une naissance pluvieuse La Forêt sacrilège, Le Soleil Noir, 1964.
conçue par Thierry Acot-Mirande et les musiciens qui l’accompagnent, collectifdixit@gmail.com à Rouen, une jeunesse passée à rimer des fenêtres sur les murs La Fin et la manière, Le Soleil Noir, 1970.
le 22 avril prochain, même lieu et place. Et s’il s’agit de rencontre entre ou à l’adresse suivante : encore adolescents de sa chambre à coucher, le désespoir, des Œuvres complètes, annotée par François Di Dio, Bourgois, 1990 ; rééd.
la musique et les mots, il s’agit aussi de rencontre entre son auteur et association dixit, 6/8 Place du Pont-Neuf, 31000 Toulouse, France. rencontres torrentielles, Breton surtout : « vous êtes certainement Poésie/Gallimard, 1998.
le poème qu’il tonne. Comme il s’agit de matière avec les mots. Votre envoi vous sera réexpédié s’il est accompagné d’une enveloppe suffisamment affranchie pour le un grand poète, doublé de quelqu’un d’autre qui m’intrigue », Un Bruit de baiser ferme le monde, poèmes inédits, Le Cherche-Midi, 2001.
retour. Nous n’assumons aucune responsabilité si un manuscrit est égaré.
issn en cours
dixit saluera Walt Whitman, saluera Ruben Darío, saluera Fernando Pessoa, Brême, Bordeaux, La Haye, Copenhague,
, collectif et revue de poésie, est une
association à but non-lucratif régie par la
saluera Federico Garcia Lorca, saluera Blaise Cendrars et Valéry Larbaud. Attendent à Valparaiso, Rio de Janeiro, Panama. 4 mai : Canons de Patrick Bouvet par Benjamin Alexandre - Le Caméléon (toulouse) - 20h30
loi du 1er juillet 1901. président : matthieu
marie-céline / trésorier : anthony clément /
secrétaire : mathias trivès - © dixit tous
droits réservés aux auteurs - toulouse - avril 2010
libres-paroles Et moi j’ai ma raison qui me pousse toujours un mot plus loin, et le regard de ce chien
je le vois d’un autre monde où il dort à jamais dans le soleil.
Il y a les cloches maintenant. Mais les chiens dorment, sourds, aveugles, muets, avec les
Mathias Trivès Hier en plein midi j’ai attrapé le soleil à deux mains. Sébastien Lespinasse fourmis, les escargots, les insectes.
Je n’ai brûlé que mes idées fades. Et les cloches sonnent dans ma parole où j’avance à petits pas dans la clarté du jour. J’ai
ça a laissé un trou dans l’infini. ma raison avec moi et pourtant je commence bien à sentir, moi aussi, comme les bêtes,
Le Chien de Villasor les frontières qui se tendent, qui me dessinent, moi, marchant dans l’alphabet d’une
Une place pour ce qui dépasse de la chair. journée qui commence.
Des jours. J’ai jeté ce cœur dans mon sang. Le monde se lève dans mes yeux.
Et mes pas, je le sens, sont reliés les uns aux autres dans cette ligne frontière que je trace,
Dans la levée du monde, mes yeux s’ouvrent.
qui se déduit de mes pas. Et tout autour les bêtes dorment, elles dorment dans leur
Vapeur d’hiver. C’est le jour.
Que cet œil te suit entre les ciels. Il n’y a plus la nuit.
monde à elles où elles se reproduisent, marchent, transportent des aliments, mangent,
se battent et meurent.
Arrache-lui les cils et les paradis miroitant dans son iris.
Depuis que j’ai parlé, je ne suis plus seule. Je ne suis tellement plus seule que je ne
Et les cloches ont fini de sonner, et le jour continue et j’avance dans ma raison, seule
sais pas si j’ai le droit de continuer à dire je.
Des nuits. Dedans. dans la tribu des autres, des mots des autres, où je ne suis pas tout à fait là, où je ne me
J’invente ta nuit dans l’écriture d’une fumée noire. La nuit était plus épaisse que mes mots. tiens pas complètement.
Les bêtes savent cela qui se séparent de notre jour.
Que son regard te juge et t’irrite. Pour éviter qu’un miroir ne retienne ce qui s’évade de ta voix Nuit éternelle des bêtes autour de moi.
C’est seulement quand je ne sais pas si c’est moi qui parle qu’il me semble voir les
entre les mots sous la lumière. paupières du chien endormi se soulever mais je n’arrive pas encore à m’apercevoir.
Perce sa membrane mensongère. Je marche à mesure que les mots se prononcent et le jour devient plus clair. Le
Je marche dans la clarté des mots et de la raison, je marche dans le jour qui
monde se lève avec les automobiles, les routes, les maisons, avec les gens qui
Tout se passe sur le sol modelé par le verbe. commence, moi qui ne me voit pas, moi qui porte ma nuit épaisse sous la lampe
Enfin, on pourra parler présent. marchent eux aussi dans leur langage.
puissante de la raison.
Sentir ce que l’on voit. J’aime te savoir rien que terre. Et les bêtes ne voient pas, ne marchent pas. Elles sentent. Elles se tiennent
Je marche au milieu des routes, au milieu des gens, au milieu de mes mots et des
à la frontière, endormies. Elles sentent la chaleur du jour qui monte.
cloches, je marche au milieu des bêtes qui dorment.
comme contemporain. Se révèle notre genèse. A son intuition de lui-même, les mots qui lui viennent sont ceux de
Paroles du rite, travers celle de chacun des peuples. Jerome Rothenberg et Yves Materia Negra, une lecture sa réalité. Plus exactement encore, avoir un moi, c’est la même chose
di Manno, via leurs choix et leurs traductions, nous donnent à voir l’étendue
par Laurence Barrère de la pensée primitive, inscrivant le poème dans son origine. Pour ne pas
par Thierry Acot-Mirande qu’être pris dans le monde...
oublier que le langage du poème, c’est celui de l’homme. Et que le poème A propos de l’univers sonore de Materia Negra : le rock’n’roll et la musique
ne s’écrit pas, mais se danse. Il ne s’agit pas ici de littérature, mais d’inconnu. expérimentale n’ont pas de racines et de fonctions communes. Mais il ne
Les Techniciens du sacré, une anthologie par Jerome Rothenberg et Yves di A la base de l’expérience Materia Negra, il y a la rencontre entre Adrian
De langage et d’énergie. Pour que l’histoire occidentale ne délaisse pas ces
Manno. Péarron (un musicien attiré par les mots) et Thierry Acot-Mirande (un faut pas oublier que le rock est particulièrement récupérateur : c’est une
expériences primitives et rituelles, qui ont donné lieu à tant de questions sur le
écrivain attiré par les sons). De cette rencontre est né le E.P. six titres, gigantesque décharge sauvage, clandestine - où viennent s’accumuler des
monde. Voici la transe, par la part obscure du langage. Pour que nous n’oublions
« La force de la magie ne réside pas dans les choses : elle réside à l’intérieur de l’homme et ne peut en sortir Materia Negra. Cependant la formule ne se restreint pas à un duo et reste idées de Stockhausen, La Monte Young et Tony Conrad, des œuvres littérai-
qu’à travers sa voix. »
pas que dire un poème c’est naître par un geste rituel, c’est le dire d’abord avec
ses pieds. ouverte à d’autres rencontres, avec d’autres participants qui viendront se res ou des concepts philosophiques - et pourquoi pas ? La musique de Mate-
Voici une anthologie atypique, traditionnelle, rituelle. Publiée une première fois en joindre peu à peu à cette célébration psychédélique, dans laquelle le verbe ria Negra est une poubelle et doit s’affirmer comme telle. Trash, c’est tout...
« Venez, escaladez l’échelle: entrez tous : asseyez-vous. se heurte fréquemment aux bruits blancs de la vie et des fantômes qui la
1968, puis revisitée en 1984, et traduite en français en 2007, l’anthologie poétique
Nous étions pauvres, pauvres, pauvres, pauvres, pauvres hantent. Materia Negra, lecture par Thierry Acot-Mirande, le jeudi 22 avril au Cherche
Techniciens du sacré remet très justement le rôle énergétique de la poésie et du langage
Arrivant dans ce monde par le plus pauvre lieu Ardeur, 20h00, entrée libre.
sur le devant de la scène. On renoue ici avec une poésie orale, rituelle, chamanique,
Où la masse de l’eau s’assècha pour nous laisser passer.
provenant des cinq continents, des peuples d’ailleurs, et d’avant. Il s’agit sans doute A propos des textes qui composent le recueil éponyme : quand le « scrip-
Des nuages s’amoncellent et s’étendent sur la terre.
d’ethnopoésie, en ce que chaque peuple a exprimé son énergie, sa tradition, dans teur » descend, comme on dit, en soi, ce n’est pas pour rentrer en lui-même,
Venez tous quatre fois avec vos averses :
un rite oral propre à lui-même. Ces poésies tribales nous amènent à repenser le pour s’enfermer dans cette coquille personnelle dont les cercles étroits et les
Descendez jusqu’au pied de l’échelle et restez immobiles:
poème, sa parole, comme une nécessité. Des chants dogons aux danses indiennes, spires ornes ne l’étouffent que trop, c’est, au contraire, pour s’abolir dans la les lieux de notre lutte où désigner des zones de liberté, où éclaircir la poésie
Amenez vos averses et vos pluies torrentielles.
le poème est seule parole d’un peuple, seul vecteur d’énergie. Ces Techniciens du
Tous, venez tous: montez, entrez : tous, asseyez-vous. » descente, y abolir tout ce qu’il y a de dur, de défini, de dérisoirement définitif contemporaine sont multiples. Retrouvez [sic] et toute l’actualité de dixit
sacré posent la question fondamentale du rapport primitif à la création, et au dans le concret de sa personne. La hantise des murs, des grottes, des caveaux, sur le blog de l’association :
[Indiens Zuni]
langage. Son, rythme, rêve, et bien sûr, geste : tout fait signe dans cette poésie. La est autre chose que l’expression d’une claustrophobie : c’est en lui-même qu’il http://collectifdixit.blogspot.com
performance telle que nous l’entendons aujourd’hui prend sa source ici. C’est dans Les Techniciens du sacré, Anthologie de Jerome Rothenberg, version française établie par a peur de rester captif. Il n’emprunte pas au monde extérieur les symboles de
cette oralité, dans ces danses chamaniques que se révèle l’unité de l’homme, primitif Yves di Manno, Paris, José Corti, 2007.