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Marie, dans l'Eglise orthodoxe

Exposé de l'archiprêtre Elie Mélia,


recteur de la paroisse géorgienne Sainte Nina à Paris
donné au Centre de Villemétrie dans le cadre des rencontres
du Groupe d'Echanges et de Travaux Oecuméniques
Document publié dans le Cahier d'Orgemont n° 58
Novembre Décembre 1966.

Place de la Vierge Marie dans le culte et la piété populaire.

Parmi les douze fêtes majeures de l'année ecclésiastique orthodoxe, quatre sont consacrées à
la Théotokos, mot grec signifiant : celle qui a enfanté Dieu.
Ce sont : la Nativité (8 septembre), la Présentation au Temple (21 novembre), l'Annonciation
(25 mars) et l'Assomption (15 août).
Il faut y ajouter le 26 décembre : Synaxe en l'honneur de la Théotokos, comme suite de Noël,
le 1er octobre fête de la Protection de la Théotokos et le 9 décembre sa conception par Ste
Anne.

Les nombreux groupes d'hymnes qui parsèment les offices de la liturgie orthodoxe se
terminent invariablement par un hymne en l'honneur de la Mère de Dieu.
L'hymne marial suivant est chanté au cours de la Messe et à la fin de tous les autres offices
liturgiques :

"Plus vénérable que les Chérubins


et incomparablement plus glorieuse que les Séraphins,
toi qui sans corruption as enfanté Dieu-le-Verbe,
toi qui es véritablement Mère de Dieu,
nous t'exaltons".

et l'hymne marial de la liturgie de St Basile proclame :

"Ton sein est plus vaste que les cieux".

Les innombrables icônes de la Sainte Vierge développent, selon une grande variété
d'expression artistique, la piété mariale ; placées dans les églises ou dans les maisons privées
elles témoignent de la présence de la Mère de Dieu parmi le peuple chrétien dans la
communion des saints et entretiennent la piété populaire.
Certaines icônes sont miraculeuses et suscitent des pèlerinages.
Notons enfin des visions de la Théotokos à des saints canonisés.

La Vierge Marie dans la théologie orthodoxe.

Le culte rendu à la "toute-sainte" ou "toute pure Vierge" a suscité une catéchèse appropriée et,
par contrecoup, une réflexion théologique c'est-à-dire une référence à la révélation divine et à
l'économie du salut.
Une certaine sobriété caractérise la théologie orthodoxe dans la question ici traitée et la fait
paraître en retrait sur la théologie catholique romaine.
C'est ainsi que la "mariologie" ne s'est pas constituée en un thème autonome dans la théologie
systématique; au surplus, la systématisation théologique n'est pas en faveur dans la tradition
orthodoxe.

En ce qui concerne la référence à l'Ecriture Sainte, la démarche première ne consistera pas à


isoler des textes où il est parlé expressément de la Vierge Marie.
On cherchera d'abord à situer la Vierge Marie dans l'économie du salut, fil directeur de toute
la Bible.
Le seul dogme marial que connaît à ce jour l'Eglise orthodoxe, est celui qui fut promulgué au
IIIe concile oecuménique, réuni à Ephèse en 431 et ce n'est pas autre chose qu'une définition
du rôle de la Vierge Marie dans le salut universel. Elle fut alors proclamée Théotokos, celle
qui a enfanté Dieu en opposition à l'hérésie Nestorienne qui ne reconnaissait à la Vierge
Marie que le titre de Christotokos, Mère du Christ.

Il importe de rappeler ici que le rôle de la théologie consiste en majeure part à découvrir dans
le témoignage scripturaire, qui est essentiellement celui de l'événement unique (ephapax), la
dimension à la fois actuelle et universelle, celle qui rejoint chacun et tous les hommes.

C'est à la lumière de cette exégèse sur laquelle l'Eglise s'est prononcée d'une manière
irréformable, en y engageant son infaillibilité, qu'il faut comprendre les témoignages
explicites de l'Ecriture Sainte.
Les principaux textes mariaux du Nouveau Testament sont le récit de l'Annonciation et de la
Nativité dans les évangiles selon S. Matthieu et S. Luc, la Visitation et le chant du Magnificat
(Luc I, 39-55); la bénédiction du juste Siméon (Luc II, 34-35); le cri de la femme du peuple et
la réponse du Sauveur (Luc XI, 27-28) et les paroles adressées du haut de la croix à la Vierge
Marie et au disciple bien-aimé (Jean XIX, 26-27).
Les textes où certains ont voulu déceler un blâme envers la Vierge Marie Luc II, 48-50, dans
l'épisode de l'enfant Jésus retrouvé au Temple; Matth. XII, 46-49; Marc III, 31-35; Luc VIII,
19-21 : "... qui est ma Mère et qui sont mes frères ? " et Jean II, 4 dans l' épisode des noces de
Cana, ces textes ne sont, en réalité, qu'un appel et en même temps un témoignage marquant un
dépassement du plan physique et particulier au plan spirituel et universel.
Selon une catéchèse développée dans les homélies des fêtes mariales, ce fut là la croix
proposée à la Vierge Marie et qu'elle accepta de prendre sur elle dès avant sa maternité et que
lui prédit le juste Siméon.

Le rôle de la Vierge Marie est tout entier dépendant de l'acte sauveur de son divin Fils : sa
croix est toute d'obéissance et d'effacement même, mais en vue d'un service. Aussi les Pères
de l'Eglise comparent-ils sa lumière à celle de la lune reflétant le soleil, unique source de la
lumière.

Les Pères nomment encore la Vierge Marie seconde Eve. En effet, par un décret de sa
souveraine liberté, Dieu n'a pas voulu opérer le salut des hommes sans leur libre participation
et le "fiat" de la vierge Marie à l'Annonciation est une réponse libre au nom de tous les
hommes que Dieu appelle au salut.
Selon la logique de la liberté dans notre condition terrestre, cette réponse humaine à la grâce
révélée est le terme d'une pédagogie : toute la longue pédagogie de l'Ancien Testament.
La Vierge Marie est ainsi la première dans le dialogue auquel Dieu appelle les hommes en
vue du salut : elle est la première aussi bien dans l'ordre chronologique (dans le Nouveau
Testament) que par la nature même de sa mission et que par la fidélité à sa vocation.
La Vierge Marie dans le dialogue oecuménique

La question mariale ne semble plus être un thème récusé dans le dialogue oecuménique et
certains théologiens protestants posent la question d'une réévaluation du rôle de la Vierge
Marie dans le dessein sauveur de Dieu, tout en maintenant le refus de lui rendre un culte.
Le débat porte en somme sur la légitimité du culte des saints en général et sur les problèmes
théologiques que ce culte implique.
Les orthodoxes doivent prendre au sérieux l'exigence de la maxime théologique chère à leurs
frères protestants : Soli Deo Gloria. Nous demandons quant à nous aux protestants de croire
que, dans la conscience des orthodoxes, cette exigence n'est pas considérée comme
contradictoire avec le culte des saints. Dieu manifeste sa présence et sa gloire à travers bien
des signes, dont le témoignage vécu des saints. La Vierge Marie, non à cause de sa seule
maternité physique, mais plutôt parce qu'elle a écouté la Parole de Dieu et l'a gardée (Luc XI,
28; comp, I, 48), se trouve au premier rang de la "nuée de témoins" dont, selon Hébreux XII,
1 nous sommes environnés.

La difficulté avec nos amis catholiques romains vient de leur doctrine de l'Immaculée
Conception de Marie dans le sein de S. Anne signifiant une exemption du péché originel au
bénéfice de la Vierge Marie par une anticipation des fruits de la Rédemption. Le dogme de
1854 ne nous parait pas conforme à la doctrine orthodoxe du synergisme de la grâce, selon
laquelle Dieu opère le salut avec la coopération, voulue et suscitée par lui-même, de notre
libre-arbitre.
La clef du problème se trouve peut-être dans l'évaluation du péché originel que le
christianisme occidental, à la suite de St Augustin en lutte contre l'erreur pélagienne, nous
semble avoir majoré au détriment du pardon accordé à Adam et Eve après la chute mais
exigeant, pour être assimilé, une longue pédagogie.

Un autre aspect de difficulté réside dans la notion d'anticipation, celle-ci est pourtant reçue
dans la catéchèse de l'Assomption corporelle de la Vierge au ciel.
Les théologiens orthodoxes ne pensent pas que ce point de doctrine doive être érigé en dogme
car il s'agit d'une vérité de convenance dans un contexte général de spiritualité.
Il semble que d'être reçu dans la piété et d'être vécu sans qu'il y ait promulgation dogmatique
renforce le témoignage de la tradition et l'évidence spirituelle.

La catéchèse traditionnelle décèle plusieurs étapes d'une anticipation de la gloire promise par
le Sauveur à tous ses fidèles.
Au départ, tous les baptisés reçoivent les "arrhes de l'Esprit" : c'est le fruit de l'appartenance
au corps du Christ; c'est proprement le statut de l'Eglise.
Les saints glorifiés, qu' ils soient canonisés ou non, se situent à une étape, ultérieure de cette
gloire anticipée et leur intercession tire une force supérieure de leur proximité à
l'accomplissement eschatologique.
Enfin, la Théotokos se trouve à l'étape la plus avancée parmi les hommes. La Tradition
enseigne l'assomption corporelle de la Vierge Marie au ciel, mais n'est-elle pas, avec tous les
hommes, bien qu'à une place incomparablement privilégiée, dans l'attente du nouvel et
glorieux avènement du Christ-Sauveur ?
La Tradition la montre dans la gloire de la communion avec Dieu mais aussi dans le labeur de
l'intercession, afin qu'un plus grand nombre participe à cette même joie.

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