Pêche et cabotage Pâris donne dans l’Essai16 la description de plusieurs types
de badan. Les plus grands sont les badan safar servant à la
Hormis les grands boutres transocéaniques, Pâris a pêche au thon et à divers transports. Ils « ont de 12 à 18 documenté à Mascate une autre catégorie de bateaux mètres de long et sont remarquables par leur fond plat et arabes : les badan, dont il déforme légèrement le nom leurs deux quilles. » Pâris poursuit : ils « marchent bien ; en beden. Essentiellement destinés à la pêche – parfois au ils portent mieux la voile et dérivent moins que ne le ferait transport pour les plus grands d’entre eux –, de dimen- croire leur manque de profondeur [...] La forme courbe et sions modestes, n’excédant pas une quinzaine de mètres plate de leurs fonds les rend très propres à naviguer sur les de long, les badan étaient construits dans les chantiers des bancs et à accoster sur les plages, les parties extrêmes de côtes omanaises, à Sur, Matrah ou sur l’île de Masirah. leurs quilles étant au ras de l’eau lorsqu’ils ne sont point Ils ont été en usage entre la péninsule de Musandam et chargés. » Bien qu’ils marchent le plus souvent à la voile, Mukalla et même Aden (Yémen) jusqu’à la seconde moitié ils sont également munis d’avirons de forme irrégulière du xxe siècle15. Ces bateaux étaient parfaitement adaptés dont l’efficacité est remarquée par Pâris. aux conditions de navigation locales. Ils ont été beau- coup moins sujets aux influences européennes que les Quant au badan seyad, essentiellement mû à l’aviron, il est grands boutres et ont conservé certaines caractéristiques plus petit que le badan safar et utilisé pour pêcher au filet. de construction arabe, comme leur forme à arrière pointu, Pâris en décrit la technique d’assemblage : « il n’a point l’usage de coutures pour certains assemblages, ou encore de membrures ; ses différentes parties sont cousues au un type particulier de gouvernail maintenu et actionné moyen de petits amarrages plats qui traversent les planches par un système de cordages. L’immersion assez profonde et pressent, à l’intérieur, un boudin d’étoupe imprégné du gouvernail permettait de réduire la dérive due au fond de la composition résineuse dont tout le corps est enduit. plat de la coque. La fausse étrave et le faux étambot sont unis au bateau par des attaches et sont soutenus par des courbes qui, au lieu de clous, ont des amarrages pour les fixer. » Cette des- cription, les plans correspondants et la maquette réalisée {15} Voir une description très complète des différents badan dans le livre de D. Agius, op. cit., pp. 98-105. Il a observé en 1996 quelques coques de badan en différents lieux du sultanat d’Oman et a recueilli de précieux témoignages oraux de plusieurs utilisateurs et constructeurs. {16} F.-E. Pâris, Essai, op. cit., pp. 14-15.
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v | François-Edmond Pâris > | François-Edmond Pâris (1806-1893) (1806-1893) « BEDEN SAFAR « BEDEN SEYAD, HALANT DES DE MASCATE, AU MOUILLAGE FILETS. BAGGALA ET DUNGIYA ET À LA VOILE » À LA VOILE » In Essai sur la construction In Essai sur la construction navale des peuples extra- navale des peuples extra- européens européens Paris : Arthus Bertrand éditeur, Paris : Arthus Bertrand éditeur, 1843 1843 Service Historique de la Service Historique de la Défense-Département Marine, Défense-Département Marine, VI - AT416 / Pl. 7 VI - AT416 / Pl. 9
> | BADAN SAFAR, BATEAU
DE PÊCHE DE MASCATE Maquette à l’échelle 1/25 réalisée par Frédéric Baude sur les relevés de François Edmond Pâris 1873, bois et fibre végétale 62 x 15 x 62,3 cm MnM 3 EX 5
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Des traditions encore vivantes Certains types de bateaux ou modes de construction Une permanence de certaines formes et techniques de observés par Pâris existent encore de nos jours, malgré construction a été remarquée par plusieurs spécialistes les bouleversements sociaux, techniques et économiques d’archéologie ou d’ethnographie nautiques. Cette région intervenus depuis le début du xixe siècle. Sans doute cette du monde constitue pour eux un terrain d’observation continuité s’explique-t-elle par des facteurs culturels extrêmement précieux. De nombreux éléments des comme une fidélité particulière aux traditions. D’autres cultures nautiques vernaculaires peuvent encore y être facteurs ont joué un rôle non négligeable dans la continuité étudiés9, ce qui permet de mettre les travaux fondateurs de l’usage des bateaux traditionnels, comme leur efficacité de Pâris en perspective et de les enrichir. dans l’environnement concerné, ou le bon rapport coût/ rendement pour les pêcheurs artisanaux, dont la pauvreté Pour rendre compte, à l’image de Pâris, des principales soulignée jadis par Pâris est toujours d’actualité. caractéristiques techniques et de l’environnement humain des bateaux traditionnels en usage au xixe siècle sur les Ainsi, en Andra Pradesh, dans le delta de la rivière côtes du sous-continent indien et au Sri Lanka, une sélec- Krishna, les population de pêcheurs de coquillages utilisent tion d’embarcations particulièrement représentatives aujourd’hui encore des bateaux nommés « bateaux- seront évoquées, selon l’ordre géographique adopté par souliers », dont la forme insolite avait étonné Pâris. Pâris dans l’Essai. Des familles entières vivent à bord de ces petites embarca- tions jusqu’à huit mois par an, et ne regagnent leur village que pendant la mousson.
{9} Voir les travaux d’E. Kentley, L. Blue, C. Palmer et S. McGrail.
Le résultat de leurs recherches a été publié sous la direction de S. McGrail en 2003.
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v | François-Edmond Pâris > | INDIENS À BORD (1806-1893) DE BATEAU-SOULIERS « CÔTE DE GOLCONDE N°1 » Photographie contemporaine. In Voyage de la Favorite Bay of Bengal Programme en 1830, 1831, 1832 Inter-Governmental Aquarelle Organisation (BOBP-IGO) MnM B 178 / Pl. 14 > | BATEAU-SOULIER DE CORINGUI, CÔTE DE GOLCONDE Maquette à l’échelle 1/16,6, réalisée par Eugène Gueret sur les relevés de François- Edmond Pâris 1876, tilleul et bambou 42,2 x 8,5 x 5,5 cm MnM 11 EX 1
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< | PRAO MAYANG À UN MÂT > | François-Edmond Pâris w | Etienne Sigaut (1887-1983) Maquette à l’échelle 1/16,6 (1806-1893) PRAO INDONESIEN, JAVA collectée en Malaisie « SOURABAYA PETIT PRAO Première moitié du XXe siècle 1840, bois et fibre végétale MAYANG AU PLUS PRÈS Tirage baryté 94 x 29 x 74,8 TRIBORD AMURE » 8,5 x 8,6 cm MnM 29 EX 7 In Voyage de la Favorite MnM en 1830, 1831, 1832 Aquarelle MnM B 178, Pl 93
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001 TOUS BATEAUX DU MONDE.indd 73 14/01/10 10:15 est une invention micronésienne : courbée latéralement, > | François-Edmond Pâris Micronésie : une architecture navale singulière elle contrecarre la résistance du balancier qui fait dériver (1806-1893) la pirogue. Ces caractéristiques sont visibles sur le plan, « PROS DE SATAWAL COURANT « Palulop était le père, et son troisième fils Aluluei. Pour le protéger, établi par Pâris, de la grande pirogue des îles Carolines. GRAND LARGUE » il le dota d’un nombre considérable d’yeux qui brillaient comme On y remarque un rare gouvernail d’étambot, une pagaie In Essai sur la construction des étoiles… Palulop eut un quatrième fils qu’il appela Faravai… gouvernail et une écope munie d’un long manche pour navale des peuples il fut saisi de terreur en voyant les yeux de son frère mais Aluluei puiser l’eau à fond de cale. Les extrémités élégamment extra-européens lui expliqua que ces yeux étaient des étoiles dont il lui apprit les recourbées se retrouvent sur les pirogues de l’île Chuuk Paris : Arthus Bertrand éditeur, noms afin qu’il devînt un grand navigateur. »14 qu’observa Pâris : « Les Pros du groupe des îles Hogoleu, de 1843 6m50 à 9m75 de long sur 0m54 de large, sont d’une construction Service Historique de la La Micronésie comprend environ 2 200 îles dispersées élégante et soignée ; les diverses pièces qui les composent sont si Défense-Département Marine, sur plus de 3 000 kilomètres. Leurs habitants créèrent bien réunies qu’on n’en aperçoit que difficilement les coutures ; la VI - AT416 / Pl. 4 les pirogues les plus rapides d’Océanie, exclusivement carène est noire et le reste d’un beau rouge. » à balancier, connues sous le nom de « praos volants »15. w | PRAO DE SATAWAL, Les pirogues destinées aux navigations hauturières mesurent Les petites pirogues de Yap servaient à la guerre. Leur ARCHIPEL DES CAROLINES entre 7,5 et 12 mètres de long. Non pontées, elles portent proue et leur poupe arboraient deux frégates sculptées se Maquette à l’échelle 1/16,6 une voile latine océanienne et une ou deux plates-formes faisant face, installées ou non selon que l’équipage arrivait réalisée par l’atelier opposées, où se tient le chef. La coque dissymétrique chargé d’intentions belliqueuses ou pacifiques…. du musée naval sur les relevés de François-Edmond Pâris 1841, bois et fibre végétale {14} Poignant, op.cit., p. 81. 62,5 x 49 x 61 cm {15} A. C. Haddon, J. Hornell, op.cit. ; J. Neyret, op.cit, Anne Di Piazza, MnM 33 EX 10 Erik Pearthree, « L’art d’être pirogues de voyage en Océanie insulaire », JSO 112, 2001-1, pp. 61-72.
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« Un des Pros carolins qui nous accompagnaient depuis quelques heures vint à masquer ; aussitôt tous les hommes se portèrent sur la plate-forme de sous le vent, et, comme leur balancier coulait, ils filèrent les haubans de ce côté, descendirent la voile et le mât sur les leviers, où ils débarrassèrent tout, remâtèrent, hissèrent la voile et se remirent en route » Pâris, Essai sur la construction navale des peuples extra-européens, 1843, p. 100
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En Méditerranée occidentale, il s’appuie sur le peintre de Ce bateau gréé d’une voile latine et d’un large foc se marine marseillais François Roux (qui lui procure le relevé déclinait en unités de pêche ou de transport, selon la taille. d’un mourre de pouar utilisé comme pilote à Marseille), et sur plusieurs constructeurs locaux : pour le littoral du golfe Dans ces pays du sud de l’Europe, le réseau d’informateurs du Lion, il utilise la documentation de Jules Vence3, fils de Pâris est surtout constitué de collègues officiers de d’un charpentier de marine de La Ciotat, qui lui donne les marine, mobilisés par les plus hautes autorités : en Italie, plans d’une bette de Martigues à fond plat. Le constructeur l’amiral Acton, ministre de la Marine, et l’amiral Fincati marseillais Jouvin lui fournit des plans de bateaux catalans dessinent les bateaux de pêche et de transport côtier de (une petite barque de pêche et une barque de mitjana, ou l’Adriatique. Au Portugal, c’est également le ministre de balancelle, caboteur qui s’aventure jusqu’aux Antilles), la Marine, le docteur Fonseca, qui communique les plans un constructeur de Martigues celui d’un bateau-bœuf, qui de l’extraordinaire muleta, complétée par des dessins du tire son appellation de son utilisation pour traîner le filet conservateur du Musée naval de Madrid, le peintre Raphael en couple, à l’instar d’un attelage bovin. Pâris ne pouvait Monléon. Ce bateau de pêche et de charge de l’estuaire omettre la grande allège d’Arles utilisée dans le delta du du Tage se caractérise par une étrave arrondie et haute, Rhône, bien connue par les représentations de Baugean étrangement hérissée de pointes métalliques, et par un (1814) et des peintres de la famille Roux, pas plus que les assemblage complexe de focs fort utiles lorsqu’on tire le grandes tartanes, représentées dans les mêmes sources. filet à la dérive.
{3} Vence publiera en 1897 un précieux ouvrage intitulé
Construction des bateaux et embarcations à voile latine.
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v | Victor Jouvin v | GRANDE ALLÈGE D’ARLES > | Frédéric Roux (1805-1874) L’allège pouvait transporter e (actif au XIX siècle) Maquette à l’échelle 1/25 « GRANDE ALLÈGE D’ARLES » des charges volumineuses, PLAN D’ALLÈGE D’ARLES réalisée par Charles Hamellin Aquarelle in Album Marine comme ici du foin de la Crau. 1840 sur les plans du constructeur « dédié et présenté à S.A.R Échelle 1/25, 170 x 150 cm Victor Jouvin Monseigneur le duc d’Orléans MnM plan 8053 1881 prince royal par son très humble Bois, fibre végétale, métal et très soumis serviteur F.Roux, 123 x 127 x 29,5 cm peintre de marine. » MnM 5 CP 1 MnM J 3398 / PL. 4
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v | Jean-Jérôme Beaugean > | Claude Ropolo (1877-1967) (1764-1819) TARTANES AU PORT « TARTANE EMBARQUANT DE MARSEILLE. DES PIERRES DE TAILLE » CHARGEMENT DE TUILES In Marines 1914-1918 Paris : Ostervald, 1817 D’après un négatif verre MnM V.438 MnM 2005.17.16
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146 TOUS BATEAUX DU MONDE.indd 195 15/01/10 12:55 De l’Inde aux Amériques, en passant par l’Extrême-Orient et l’Océanie, ce livre invite à un voyage au cœur des cultures maritimes du monde, à bord des bateaux des peuples de la mer. Formes, matériaux et modes de construction révèlent l’incroyable ingéniosité des hommes à concevoir une solution nautique adaptée à leurs besoins, à leur milieu naturel et à leur contexte économique. Ce panorama s’appuie sur l’œuvre d’un homme d’exception, l’amiral Pâris. Marin, savant, artiste du XIXe siècle, il a pressenti l’importance de ce patrimoine et défini un nouveau champ d’étude : l’ethnographie nautique. Ses plans, aquarelles, maquettes mais aussi des photographies plus contemporaines révèlent la diversité des embarcations traditionnelles, dont la disparition ou la mutation affecte le quotidien des populations. À travers les bateaux, ce sont les hommes qui sont présents.