You are on page 1of 1

L’épisiotomie prophylactique

Ou comment une intervention chirurgicale « préventive » a été


généralisée sur la base d’hypothèses non vérifiées.

Des accouchements difficiles à la généralisation « préventive »


1742 : première incision chirurgicale par Felding Ould lors d'un accouchement dystocique.
1920 : Joseph De Lee préconise l’épisiotomie systématique lors d'un forceps.
De fil en aiguille, on prête à l’épisiotomie des vertus préventives : lire l’encadré « Risques et Bénéfices ».
Années 50-60 : exode du domicile vers les maternités hospitalières.
Les sages-femmes se mettent à pratiquer les épisiotomies.
Années 60-80 : plusieurs pratiques se généralisent, dont l’accélération de l’accouchement et l’épisiotomie sur les
primipares. Dans les années 60-70 la grande majorité des sutures sont réalisées sans anesthésie.
Années 70-90 : certains obstétriciens et sages-femmes s'élèvent contre la généralisation de l’épisiotomie. Mais ils
restent minoritaires et ne sont pas suivis par l’ensemble des corporations.
Années 80 : le taux d'épisiotomies atteint son maximum dans les pays anglosaxons, voir figure.
Années 90 : le taux d'épisiotomies atteint son maximum en France avec un taux de presque 80% des primipares en
1996-97, voir figure. Épisiotomie médio-latérale
Dans le même temps, les taux diminuent drastiquement dans les pays anglosaxons suite aux publications EBM,
tandis qu'ils atteignent 95-96% des primipares dans certains pays d'Amérique latine (Brésil, Pérou, Uruguay, Chili,
Équateur).

Les apports de l’Evidence-Based Medicine


1983 : la sonnette d'alarme est tirée dans une publication de Thacker & Banta, qui présentent une première
revue de la littérature de 1860 à 1980. Aucune étude véritablement rigoureuse comparant risques et
bénéfices de l’épisiotomie prophylactique n’avait jamais été réalisée. Le point sur les risques et les bénéfices
Années 80-90 : plusieurs dizaines d'études, incluant des essais randomisés contrôlés, sont publiées. Au total
on recense plus de 200 publications de bonne qualité. L’épisiotomie prophylactique prévient les déchirures ? FAUX
1995 : R. Wooley publie une revue de toutes ces études. Rarement l'EBM n'apporte des preuves aussi
probantes en obstétrique. La conclusion est sans appel : La conclusion est que, si l’épisiotomie peut éviter les • Rappel : l’épisiotomie est équivalente à une déchirure du deuxième degré…
lacérations antérieures du périnée (auxquelles est associée une morbidité minimale), elle ne présente aucun des • L’épisiotomie médiane augmente le taux de déchirures graves (3e et 4e
bénéfices, sur la mère et l’enfant, qu’on lui attribue traditionnellement, y compris la prévention des dommages du degrés)
périnée et de leurs séquelles, la prévention de l’affaissement du plancher pelvien, et la protection du nouveau-né • L’épisiotomie médio-latérale n’a pas d’impact sur les déchirures graves
contre les hémorragies intercraniennes ou l’asphyxie intrapartum. Alors qu’elle ne présente que cet unique
avantage de moindre intérêt, l’incision augmente de manière significative les pertes sanguines maternelles, la • L’épisiotomie prévient les déchirures périnéales antérieures, mais celles-ci
profondeur moyenne de la blessure périnéale postérieure, le risque de blessure du sphyncter anal, avec la morbidité sont en général plus superficielles que l’épisiotomie elle-même !
à long terme qui en résulte (du moins pour l’épisiotomie médiane), le risque d’une réparation incorrecte de la L’épisiotomie systématique lors d'un forceps prévient les déchirures
blessure périnéale, et la douleur dans les jours qui suivent l’accouchement.
graves ? FAUX
La bataille des usagers L’épisiotomie prophylactique augmente le taux de périnées intacts ou avec
• Déjà dans les années 1970 certaines féministes s’opposent à l’épisiotomie. Mais la croyance « Il vaut mieux une épisiotomie déchirures superficielles (1er degré) ? FAUX
qu'une déchirure » est si forte que même les femmes s'y soumettent, bien que dans l'ensemble elles aient peur de cet acte... à
juste titre ! L’épisiotomie peut-être pratiquée sélectivement sur un périnée « prêt » à se
• Années 1980-2000 : des voix s’élèvent régulièrement, d’autant que les conclusions EBM se répandent. Mais les voix ne sont pas rompre ? Efficacité non prouvée.
assez nombreuses, ou pas assez fortes, ou pas assez synchronisées. D’autre part le terrain n'est pas prêt : les sages-femmes et
obstétriciens croient dur comme fer à ce qui leur a été enseigné. Les femmes croient aux vertus de l’épisiotomie prophylactique Une coupure bien nette cicatrise mieux qu'une déchirure du deuxième
que tous les medias rabâchent depuis 30 ans. La remise en cause semble impossible à tous les niveaux. degré ? FAUX
• 2004 : une association naissante, l’Alliance francophone pour l’accouchement respecté (AFAR), prend le taureau par les cornes. L’épisiotomie génère plus de douleurs en post-partum, et rend le périnée
Elle fait la compilation des études sur le sujet (245 dans sa base de données). Le thème de la SMAR, « Semaine Mondiale de
l’Accouchement Respecté » est lancé sur l’épisiotomie. moins tonique. Les déchirures spontanées ont tendance à suivre les fibres
• Les informations sont diffusées sur Internet, y compris sur des sites grand public (doctissimo, magicmaman, etc.) : résumé des musculaires tandis que l’épisiotomie médio-latérale les coupe en travers.
résultats EBM et photos choc pour secouer l’inertie ambiante. L’épisiotomie prophylactique prévient les incontinences ? FAUX
• Une liste de discussion de soutien est ouverte pour les femmes (et les hommes) traumatisés physiquement ou/et psychiquement
par l’épisiotomie. Cette liste donne naissance à un site : www.episiotomie.info. Depuis, les membres de soutien-episiotomie Plus le bébé sort vite mieux ça vaut ? FAUX
traquent systématiquement les sites médicaux donnant de fausses informations et leur écrivent pour demander de faire les
corrections nécessaires. On n'observe aucune amélioration de l'état des nouveaux-nés.
• Sur certains forums professionnels, l’AFAR est qualifiée de « secte anti-épisiotomie » ! L’épisiotomie cicatrise rapidement sans complications ? FAUX
• Août 2004 : le CIANE écrit au Ministre de la santé pour demander une saisine de l’ANAES (Agence nationale d’accréditation et
d’évaluation en santé) au sujet de l'épisiotomie. Cette initiative a bénéficié du soutien de la Caisse nationale d’assurance maladie Les réactions inflammatoires retardées sont fréquentes. La qualité de la
des travailleurs salariés (CNAMTS) et du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). cicatrisation dépend aussi de la qualité de la suture. Parmi les complications
peu fréquentes mais observées : induration, abcès internes, béance ou au
2005 : Les recommandations du Collège national des gynécologues contraire rétrécissement, dyspareunie.
et obstétriciens français (CNGOF) Risque hémorragique : « Contrairement aux idées reçues, nos résultats montrent
Mai 2005 : lors de la première réunion du Comité technique « Périnatalité » à la Haute autorité de santé (HAS qui remplace l’ANAES),
qu'un accouchement voie basse avec une épisiotomie saigne au moins autant
le Comité technique s’est prononcé à l’unanimité pour retenir le thème « Place de l’épisiotomie dans la pratique obstétricale » parmi qu’une césarienne ». Sarfati et al., J Gynecol Obstet Biol Reprod 28(1), 1999:48.
les objectifs prioritaires du programme 2005 de recommandations de pratique clinique (RPC).
Toutefois, le CNGOF, prétextant des délais trop longs dus à la réorganisation de l'ANAES-HAS, reprend seul l’initiative de la création
d’un groupe de travail. Le CIANE refuse de participer au groupe de travail dans ces conditions. Il crée son propre groupe pour
commenter les documents de travail communiqués par le CNGOF.
Le CIANE est invité par le Professeur Michel Dreyfus à commenter les documents des rapporteurs. Il remet au CNGOF, le 27
septembre 2005, un document de relecture dont les conclusions finales du CNGOF ne tiennent que très peu compte.
Au final, le CNGOF reconnaît toutes les conclusions qui avaient déjà été énoncées par Wooley en 1995.
Le CNGOF fixe arbitrairement un taux à atteindre de 30%, « dans un premier temps ». Comme le montre l'EBM et l'évolution des Quelques notes d’ambiance…
taux dans d'autres pays, ce taux de 30% ne repose sur rien. Il ne sert en réalité qu'à ménager la sensibilité des obstétriciens et des
sages-femmes pour qui une telle remise en cause est difficile à admettre.
• Palme d’or du lapsus, le Pr. Goffinet sur le site Gyneweb en 2005 : « C’est
Il faut bien noter qu'un taux moyen de 30% (des voies basses) signifie plus de 40% des primipares si l'on extrapole les chiffres
connus. En tenant compte des 20% de césariennes, cela signifie que plus d'une femme sur deux aura subi au moins une l’expérience du clinicien qui lui permettra de trancher. »
intervention chirurgicale pour l'un de ses enfants. Est-ce bien raisonnable ? • 2005 : Une sage-femme demande à un obstétricien ce qu'il pense des maisons
de naissance : « Déléguer la responsabilité des périnées des femmes de notre pays à
Problèmes à méditer : méthodologie expérimentale des sages-femmes m’est insupportable… La chirurgie a de beaux jours devant elle.»
Méthodologie normale en sciences : • 2004 : Une parturiente voit la sage-femme préparer le plateau des instruments,
Hypothèses / théorie ---> expériences ---> validation ou infirmation ---> application (ou pas !) dont les ciseaux. Elle lui répète qu’elle refuse l’épisiotomie préventive. Réponse
de la sage-femme : « Ne vous en faites pas madame, ça ne vous regarde pas. »
« Méthodologie » de l'épisiotomie prophylactique : • 2002 : Une sage-femme en cours de préparation à l’accouchement : « Quand on
fait une épisiotomie, on ne vous le dit pas. »
• Hypothèses prises d'emblée commes des vérités = croyances
• Généralisation (application) sans aucune expérimentation préalable • Certaines sages-femmes plus sensibles que d’autres essaient de minimiser leur
• Expériences réalisées a posteriori ou rétrospectivement taux d'épisiotomies, quitte à se faire semoncer par le chef de service. Celle-ci se
met carrément en colère : « J’ai mis 4 ans pour découvrir qu’un accouchement
• Situation extraordinaire : pour faire changer les pratiques il faut que l’EBM démontre que les croyances normal ça ne saigne pas ! »
sont fausses…
Problèmes à méditer : éthique et culture Lectures
Primum non nocere : c'était juste pour rire ? Dr. Jakoby, 2003 : « Are you happy with the epi(siotomy) ? » The Israel Medical
Episiotomie réalisée non seulement sans le consentement des parturientes, mais même en cachant la paire de Association Journal, Aug;5(8):581-4.
ciseaux « pour ne pas les effrayer ». Paul Cesbron (obstétricien), 1993. « Episiotomie : rite initiatique ou nécessité
Information déloyale sur les bénéfices : comment les soignants pourraient-ils donner une information loyale si
eux-mêmes sont mal informés ? Leur formation ne devrait-elle pas faire plus de place au développement de l'esprit thérapeutique ? » Prescrire, 13, p.151.
critique ?
Information déloyale sur les risques : « Une petite incision de rien du tout qui cicatrise en quelques jours ». Douleur Pages à consulter
post-partum systématiquement sous-estimée ; risque hémorragique nié, complications à moyen terme (plusieurs http://wiki.naissance.asso.fr/index.php?pagename=RPCepisiotomie
mois) très souvent niées (« c'est dans votre tête »).
La gravité d'une épisiotomie est sans commune mesure avec la transmission du SIDA ou de l'hépatite B par du sang http://fr.wikipedia.org/wiki/Épisiotomie
ou des aiguilles contaminées. Mais ce qui choque dans cette pratique est son ampleur et sa systématisation sur les
primipares. Il s'agit d'une erreur médicale à l'échelle de la population. Ce qui choque aussi est son emplacement : le 22/05/2008
sexe féminin — car qui peut dire que la fourchette du vagin et le périnée ne font pas partie intégrante du sexe
féminin ?
Les femmes… Pourquoi ne se sont-elles pas révoltées ? Leurs compagnons… Pourquoi ont-ils laissé faire ?
Collectif interassociatif autour de la naissance
Les obstétriciens et sages-femmes... Pourquoi une telle inertie au changement malgré une accumulation de preuves http://ciane.info collectif_ciane@yahoo.fr
sans précédent ?

You might also like