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Chatroom – hideo nakata

Adapté d’une pièce de théâtre anglaise "pour les jeunes" (sic!), c’est-à-dire édifiante au sens
le plus XIXème siècle du terme, "Chatroom" se veut une parabole tétanisante sur l’époque
mais vole si bas dans son discours nauséabond et amalgamant que même le savoir-faire de
Nakata ne parvient pas à le préserver au mieux du ridicule, au pire du révoltant. Internet,
péril ou menace ?

CQFD : Le conteur peut raconter avec grand talent les pires infamies, mettre en scène très
brillamment les discours les plus ineptes ou carrément débectants lorsque le climat culturel s’y prête.
Certains en ont fait leur fond de commerce, d’autres s’y sont égarés, quelques uns s’y sont cautérisés
les extrémités. Lovecraft, Heinlein, Céline, Bernanos, Riefenstahl, Burgess, Autant-Lara, Sartre ou
Gide ont plus ou moins souvent pollué leurs proses d’idéologies douteuses, nombre d’artistes
intéressants sont tombés dans de grands pataquès psycho-religieux, etc etc. L’autre mal qui guette,
c’est celui du mercenariat poussant à appuyer n’importe quel appareil ou discours par des travaux de
commande dont on feint de ne pas considérer la portée dans le monde "réel" (Riefenstahl encore, ou
Eisenstein dans une certaine mesure). Et parfois, l’époque vous étouffe, vous assimile à la manière
d’un Blob puissant et incolore, et vous bêlez bientôt avec le troupeau, tout content de traverser la vie
dans les passages cloutés du courage autorisé de votre temps, les nombreux maquisards de
septembre 45 en attestent, la tondeuse encore à la main, mais les avatars de ce panurgisme ne sont
pas nécessairement aussi spectaculaires (au hasard, on citera les cucuteries citoyennement correctes
de légions de Tardi ou de Bégaudeau à travers les âges médiatiques). Ils sont en revanche toujours
relayés dans un art, disons officiel, ou reconnu comme valide par ses contemporains. Aussi l’analyse
d’un film, qui plus est quand il est notoirement "à thèse" comme dans le cas présent, se doit de
passer par l’analyse du discours servi par celui-ci, sous peine de passer à côté de la plaque.

Nakata fait pour la première fois de l’art officiel, et se met au service d’un discours simplificateur,
démagogique, dont l’aspect répandu n’est pas le moindre de ses caractères révoltants. Notons que si
l’homme n’a jamais été un ermite superbe, misanthrope et philosophe, jetant anathèmes et mépris
sur le monde, ses films restituaient néanmoins, sous le manteau, une conscience un peu désabusée
de l’état du monde, ou en tous cas n’éludaient pas les questions fâcheuses. On arrive de fait curieux à
la séance de son nouveau film. Et la déception de vous attraper dès la première bobine pour ne plus
vous lâcher. Car si Edna Walsh, instigatrice historique du projet, semble bien plus à blâmer que
Nakata sur le fond du problème (on retrouve certaines thématiques chères au cinéaste telles que la
desintégration des cellules familiales, et l’on comprend mieux sa motivation sur le projet), le fait est
qu’il semble croire à ce qu’il nous répète, le bougre.

Une poignée d’archétypes, pardon de personnages jeunes et représentatifs de la cible : un dépressif


asocial sous Rivotril, une fille à maman, une fashionista (la quasi-totalité des personnages féminins
est à claquer à coups de pelle à neige) et un djeun’s ethnique amoureux platonique d’une môme de
11ans. Trop super cool jeunes et modernes, ils se retrouvent sur un chatroom ouvert par un ado
charismatique, dont l’apparence de Tyler Durden aux petits pieds cache un horrible prédateur qui
cherche à détruire leurs vies via les réseaux virtuels multimédia interactifs en Meuporgue 2.0. Parce
que d’abord, il est malheureux, et qu’il ne désire que pousser les gens au suicide social ou physique,
tout boursoufflé de frustrations qu’il est, y’a plus que ça qui l’excite. Ses parents ont bien essayé de
lui confisquer son smartphone, mais malheur : Il en avait deux !

Comme dirait l’autre, c’est quand même du lourd. Même si une ou deux bonnes idées narratives
émergent, comme le fait de faire de William (le méchant jeune donc) le fils d’une pseudo J. K.
Rowlands : ça c’est très bien vu, mais pas comme l’imaginait l’auteure Edna Walsh, qui cherchait par
là à montrer une cellule familiale enviable et équilibrée détruite par un agent extérieur – ici le
«virtuel», avec son couteau entre les dents – pour faire trembler dans les maisons mitoyennes. Ou
encore la jolie évocation par Jim de l’abandon de son père. Autre point à mettre au crédit du film,
une tentative concluante de montrer l’espace virtuel avec des moyens cinématographiques
satisfaisants, ce qui à notre époque n’est toujours pas gagné – voir à ce titre le récent L’autre Monde
de Gilles Marchand. Ici, même si l’opposition des colorimétries entre net et « monde réel » (qui
apparaît comme le plus faux des deux) est un peu trop appuyée pour être bien sérieuse, l’idée de faire
des espaces virtuels des salons reliés entre eux par des couloirs à l’infini, façon Playstation Live dans
un souterrain, n’est pas nécessairement idiote. Elle permet au moins de transposer les horribles
habitudes visuelles des homepages et blogs d’ados, avec leurs cortèges de gif-animés/effets-
glitter/lensflares-photoshoppés/tout-ce-pique-les-yeux-lol, dans un langage pictural identifiable
immédiatement, puisque utilisant des objets réalistes, souvent volontairement assez laids ou jurant
entre eux, quand ce n’est pas une jeune fille qui tapisse les murs (i.e. sa page en ligne) de photos
d’elle-même.

Tous ces avatars plus ou moins bien observés empaquètent cependant un discours qui n’appelle que
récusations de la part de quiconque ayant un horizon culturel allant plus loin que les humoristes
survivants des époques pompidoliennes et les journaux de treize heures régionalistes. Quiconque,
donc, ayant un usage d’Internet ne se limitant pas à l’échange de chaines d’e-mails bourrées de
Powerpoint humoristiques dans la boîte à courriels de l’entreprise, et une vision dudit bornée aux
reportages de société alarmistes à destination de la mère de famille qui y croit. Bref, à part pour
l’oncle Gilbert ou madame Michu, voilà un film qui ne rencontrera que levés de sourcils circonspects
dans un premier temps, avant de s’attirer quolibets et jets d’articles maraîchers pas frais dans un
second.

Dans Chatroom, on ne peut rien trouver de bon dans quelque monde virtuel existant, et ça fait peur;
à la rigueur (à la marge même), l’on s’en servira pour organiser des rencontres IRL vouées à lutter
contre les dangers de ce monde décidément trop neuf et intangible pour être honnête (c’est l’objet
du dernier acte). C’est bien connu, Internet c’est rempli de hackerz de cartes bancaires nazis
pédophiles d’Al Qaeda en mp3. On retrouve, de fait, l’ensemble des fantasmes et amalgames pour le
moins excessifs des dix dernières années dans les pays occidentaux, dans ce film pourtant conçu par
un japonais (certes reprenant à son compte une théorie d’origine strictement anglo-saxonne). Au
point qu’on se retrouve, bientôt, devant une sorte de version longue de la publicité gouvernementale
sur les dangers du web, qui avait fait couler un peu d’encre l’année dernière, où les simples adeptes
de jeux vidéos étaient placés au même niveau, et mis au même ban, que le porno hardcore, les
molesteurs d’enfants et les skinheads. La photo désaturée très "mode" de la moitié du film reprend
d’ailleurs à la teinte Pantone près celle dudit spot…

www.dailymotion.com/video/xbg16q_dangers-potentiels-d-internet-pub_news

Par moments dans le métrage, comme avec l’épisode du pédophile, c’est carrément la grammaire
entière de tels spots de pub qui est reprise telle quelle, du découpage à la direction artistique. Et pour
appuyer la thèse imbécile qu’on entend nous implanter à coups de bèche, on ne reculera devant
aucun sacrifice, aucune dépense, aucune invraisemblance. Comme ce sous-pitch ridicule de bout en
bout où une ravissante goth décide comme ça, d’un coup, que ce jeune garçon renfermé qui rentre
les épaules devant son PC portable est incroyablement séduisant, et va ni une ni deux lui faire du plat
(raclements de gorge polis). Lui, plutôt que de sauter sur l’aubaine (il a 17 ans, ils sont à Londres, elle
est jolie et s’intéresse manifestement à lui de manière romantique : dans n’importe quel monde que
vous arpenterez ces dix prochaines années, il ne se passerait pas une demi-heure avant qu’il ne la
gave de GHB à l’aide d’un entonnoir.), préfère fuir ventre à terre pour rejoindre ses faux amis
virtuels, qui vont d’ailleurs bientôt le pousser au suicide. Tout ceci est pire qu’incrédible, c’est
insultant. Passons sur la jeune dinde (jouée par une protagoniste de la série Skins, tiens donc, si c’est
pas l’un des sujets brûlant de l’année médiatique au rayon "Internet change notre jeunesse en
Sodome et Gomorrhe") que deux actes de vandalisme véniel rapprochent de sa famille, ou sur la
jeune mannequin tête-à-claques qui prend de grands airs de manipulatrice à gros QI sans voir venir à
trois kilomètres le piège qu’on lui tend pourtant avec de gros sabots.

Le summum du jusqu’au-boutisme dans l’imbécillité intervient quant à lui lors d’un épisode dans le
virtuel où un salon est entièrement consacré au cyber-bullying (une bande de forumeurs s’acharne
plusieurs jours d’affilée sur un gosse de dix ans et se balancent des high-five de joie lorsque ce
dernier prend des cachets pour mourir plutôt que de simplement se déconnecter... Véridique.
Heureusement la cyber-police intervient bientôt, nous voilà rassurés), et un autre où l’on se rend
volontairement pour se faire farcir les méninges de propagande pro-suicide assénée par une veuve
noire qui elle non plus ne semble jamais se déconnecter. Sans doute une évocation masquée des sites
pro-ana, ou des skyblogs arborant une poignée de photos d’albums d’Evanescence. Vivement la
prochaine pièce de théâtre à l’usage des 9-15 ans où ces sujets ne manqueront pas d’être abordés. De
fait, Chatroom est intéressant en tant qu’objet d’étude, symptomatique de l’époque d’où il est issu et
dont il ne s’affranchit jamais.

Il paraît intéressant de remettre les choses en perspective tant on ronge son frein lors de la
projection : à la vision de Chatroom, on se demande à nouveau (alors qu’on pensait avoir soldé ce
vieux débat) combien de temps il faudra pour qu’une certaine catégorie de la population
(typiquement, la génération de nos pères) comprenne qu’un média (en comptant à rebours : Internet,
les jeux vidéo, la télévision, le rock n’ roll, le cinéma, jusqu’à un Nietzsche qui blâmait les jeunes
admirateurs de Wagner) n’est jamais la cause des maux sociaux qu’il met en évidence, qu’il ne fait au
mieux que les relayer. Les drames de la bêtise, de la méchanceté ou du désœuvrement sur Internet ne
sont que des drames de la bêtise, de la méchanceté ou du désœuvrement. Lorsqu’un un crétin se fait
reprocher par son patron une photo de lui, saoul, sur une plateforme sociale où tout est public, prise
le jour où il s’était déclaré en maladie, c’est uniquement son propre crétinisme qui est en cause.
Après tout, personne n’abat les tigres d’un zoo quand un abruti se jette dans leur enclos et s’y fait
boulotter. Croire à la fable (mais Nakata y croit-il vraiment ?) selon laquelle tuer un bouc émissaire
éloignera la malédiction est non seulement naïf, c’est virtuellement criminel dans la mesure où l’on
n’agit jamais sur le mal. C’est aussi vivre dans un monde totalement déréalisé, se goinfrer de rêves
médiatiques (informations officielles, commerce, téléréalité, pièces de théâtre "pour les jeunes") tout
en méprisant et craignant les mangeurs de lotus d’un quelconque World of Warcraft, sans se rendre
jamais compte que ces deux sphères d’expérience sont faites de la même pâte irréaliste.
Comportement qui englobe d’ailleurs terreurs irrationnelles et désirs irraisonnés : Madame Michu,
toujours elle, croit autant le journal qui lui dit que Facebook va transformer sa chaste pré-ado en
prostituée adepte d’apéros géants, que la publicité qui lui affirme que le docteur Kawashima la
sauvera à coup sûr d’Alzheimer ! Ce qui nous donne régulièrement des occasions de trembler ou de
se gausser, mais cette fois pour de vrai, avec des gens reprenant la même réthorique, mais en y
croyant eux dur comme fer :

www.dailymotion.com/video/xe3ey7_jessi-slaughter-after-b-cyberpolice_webcam

C’est précisément le cas dans Chatroom, qui ne raconte finalement qu’un conte pour endormir les
parents inquiets face à cet écran qui ne les intéresse pas : William, le méchant jeune manipulateur, se
châtiera bien entendu lui-même dans le final pour que tout le monde puisse rentrer chez soi, tous ses
problèmes magiquement réglés, à temps pour le dîner et sans toucher à MSN. Ce qui ouvrira sur la
seule idée réellement troublante du métrage, passée en contrebande avant le générique : celle du
même jeune homme, seul dans l’espace virtuel après son décès – y persistant d’une certaine manière
– nous ramenant à ce malaise qu’on a lorsque l’on retombe sur le profil en ligne, encore en service,
d’une personne qu’on a connue et qui est décédée. Seulement, Masamune Shirow et Mamoru Oshii
en avaient déjà parlé dans Ghost in the Shell, sans tirer aucune salve contre une imaginaire faction
inhumaine, sans flatter dans le sens du poil une poignée de cauteleux chérissant leurs œillères. C’est
d’ailleurs pour cela, en premier lieu, que Ghost in the Shell est un film, un ouvrage de cinéma
appréciable avant tout pour lui-même, et que ce Chatroom n’est que l’émanation de son temps et de
la sphère médiatique qui lui est afférente.

Ah, et c’était il y a quinze ans.

FL

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