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C onnaître les risques

Quelques cas typiques de sinistres


en rapport avec le comportement
des argiles
L’épisode d’anomalies statistiques pluviométriques que l’on connaît
sous nos latitudes depuis l’année 1989 a fait porter l’attention sur le
comportement des argiles et, plus particulièrement sur leurs facultés
de retrait/gonflement lorsqu’elles étaient placées dans des conditions
alternatives de dessiccation et réhydratation.
Il s’agit-là encore d’une très importante cause de sinistralité imputable
aux argiles. Mais ces dernières offrent d’autres particularités qui, dans
certaines circonstances, peuvent initier ou aggraver le développement
d’un sinistre.

APPROCHE MINÉRALOGIQUE GÉNÉRALE DES feuillet un vide appelé “espace interfoliaire”.


ARGILES
Les minéraux argileux ont pour caractéristiques Cet espace peut rester vide : c’est le cas de la
physiques essentielles leur petite taille, de l’ordre kaolinite.
du micron, et leur structure en feuillets empilés. La
plupart de leurs propriétés procède directement Par contre, chez les montmorillonites, on trouve
de cette forme et de cette structure en feuillets. dans l’espace interfoliaire des cations hydratés.

D’un point de vue chimique, les argiles sont des En raison de la présence, ou non, de cations et de
silicates d’alumine, mais seule la kaolinite est un molécules d’eau dans les espaces interfoliaires, les
silicate d’alumine pur, les autres argiles renfer- minéraux argileux possèdent diverses épaisseurs,
mant divers cations, localisés, soit entre les constantes ou variables.
feuillets, soit à l’intérieur du réseau cristallin.
Par exemple, pour la kaolinite, la présence de
Le réseau cristallin est constitué de deux atomes molécules d’eau dans les espaces interfoliaires est
fondamentaux, le silicium (Si) et l’aluminium (Al), un phénomène très lentement réversible et qui ne
entourés d’anions oxygène (O) ou oxhydriles (OH). conduit qu’à une faible augmentation de l’épais-
Ce réseau est caractérisé par l’accolement de figu- seur de l’ensemble feuillet élémentaire + espace
res géométriques liées entre elles pour constituer interfoliaire.
un feuillet plan, bien structuré.
Pour les minéraux à feuillets tricouches, au
La figure 1 présente les motifs géométriques de contraire, l’épaisseur de l’espace interfoliaire varie
base du réseau cristallin qui sont le tétraèdre sili- suivant la nature des cations, la teneur en molécu-
ceux (T) et l’octaèdre alumineux (O). les d’eau ou la présence éventuelle d’autres corps
chimiques, organiques. Cette structure n’est pas
La figure 2 présente la structure classique d’un stable et peut varier de 10 à 18 Å, en fonction de
minéral bicouche de la famille des kaolinites, alors certains traitements.
que la figure 3 présente le cas de figure le plus
fréquent, qui est celui des structures tricouches, La figure 4 illustre les résultats d’une étude dif-
de la famille des montmorillonites et illites. fractométrique ayant porté sur la mesure de la
distance interfoliaire d’une montmorillonite ayant
Quel que soit le type de feuillet élémentaire subi divers traitements.
(bicouche ou tricouche), il existe entre chaque

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C o n n a î t re l e s r i s q u e s Quelques cas de sinistres
en rapport avec le comportement des argiles

QUELQUES PROPRIÉTÉS GÉOTHECHNIQUES ge à l’échelle du microscope du minéralogiste),


■ Du fait de leur petite taille, de leur structure en il correspond à un phénomène concomitant aux
feuillets très allongés et de leur capacité plus ou consolidations qui est le déplacement latéral à
moins affirmée à retenir des molécules d’eau volume constant sous effet de charges.
tout en augmentant l’espace interfoliaire, les
argiles sont des matériaux très faiblement La difficulté, toujours présente à l’heure actuel-
perméables. le, d’une évaluation fiable de l’importance des
phénomènes de fluage des grandes masses
Outre les conséquences intrinsèques à cette argileuses sur le comportement des ouvrages
imperméabilité pour les concepteurs d’ouvra- construits est à l’origine de quelques graves
ges et, notamment, celles relatives à la sinistres.
circulation des eaux souterraines, il est à consi-
dérer le rôle joué par cette imperméabilité dans ■ Enfin, les épisodes bien connus de déficits plu-
les processus de tassement sous charges. viométriques manifestés durant l’été 1976 puis,
de manière plus continue à partir de 1989, ont
En effet, l’eau ne pouvant que lentement s’ex- favorisé la manifestation des phénomènes alter-
traire de la masse argileuse soumise à natifs de retrait (c’est-à-dire de la contraction)
contraintes (par exemple sous le niveau d’une des argiles par effet de dessiccation puis, de
fondation d’ouvrage), le tassement qui cor- gonflement par réhydratation, une fois observé
respond à cette expulsion d’eau, que l’on le retour à la normale météorologique.
appelle consolidation primaire, se caractérise
alors par une répartition dans le temps. Celle-ci, On l’aura compris, ce sont surtout les argiles de
tout comme d’ailleurs l’amplitude finale du tas- type montmorillonites qui sont responsables
sement, dépend de la nature des minéraux des très nombreux sinistres de dessiccation et
argileux concernés : à une kaolinite correspon- réhydratation des sols que nous connaissons
dront des tassements plus faibles en amplitude maintenant depuis environ 10 ans.
et davantage différés dans le temps, au contrai-
re d’une montmorillonite.

Une mauvaise appréciation des tassements des


sols argileux tient une part très importante dans
la famille des sinistres d’origine géotechnique.

■ Mais à ces tassements de consolidation primai-


re, peuvent s’ajouter, dans certaines
circonstances, les effets de la consolidation un tétraèdre un octaèdre incliné
“secondaire” ainsi que du fluage.

Ces phénomènes s’observent particulièrement


sur les matériaux argileux contenant de fortes
proportions d’argiles organiques (vase, tourbe,
etc.) et sont d’autant plus spectaculaires que
l’épaisseur de la masse argileuse concernée est
importante.

Cela est souvent le cas des dépôts des basses


vallées alluviales et des sites tropicaux de type la couche tétraédrique, siliceuse
mangroves.

Ici, la poursuite de l’application de la contrainte


sur l’argile conduit à un réarrangement des
minéraux entre eux, combiné à une expulsion
de l’eau constitutive des matériaux organiques.
C’est le phénomène de consolidation secondai-
re qui peut, pour certains sols particuliers
(argiles tourbeuses), entraîner des tassements
au moins égaux à ceux résultant de la consoli- la couche octaèdrique, alumineuse
dation primaire.
Figure 1 :
Quant au fluage en grande masse (ou fluage Éléments fondamentaux de la structure cristalline des minéraux
argileux. Les points représentent indifféremment les atomes
“géologique”, à ne pas confondre avec le flua- d’oxygène ou des groupements oxhydriles.

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C o n n a î t re l e s r i s q u e s Quelques cas de sinistres
en rapport avec le comportement des argiles

L’instabilité de la structure des montmorillonites Mais l’arrivée de produits tensio-actifs modifie


est telle que l’adjonction d’eau sur une argile cet équilibre, jusqu’à limiter, voire annihiler les
totalement déshydratée peut conduire à un capacités d’adsorption argileuses et même
gonflement représentant 50% de l’épaisseur favoriser l’expulsion des ions piégés dans les
initiale de l’argile pure. À l’inverse, la déshydra- espaces interfoliaires.
tation complète d’une argile initialement
saturée s’accompagne d’un tassement cor- Il en résulte une destruction de la liaison élec-
respondant au tiers de l’épaisseur initiale. trique entre les feuillets, qui était déjà faible
pour des minéraux de type montmorillonite. Ce
Certes, dans la nature, les minéraux argileux se sinistre avait donc pour origine une pollution
trouvent plus ou moins interpénétrés de maté- des sols argileux par des effluents fortement
riaux détritiques et granulaires (sable, silts, etc.) chargés en produits détergents.
qui atténuent de tels développements. Mais il
convient de garder en tête ces ordres de gran-
deur pour se persuader du caractère de
potentielle gravité du comportement de tels
matériaux argileux pour la pérennité des ouvra-
ges sur lesquels ils sont construits. T

élémentarie
feuillet
QUELQUES CAS PARTICULIERS
■ Dans une laverie industrielle de l’Est de la O

France, il s’est produit un affaissement de sol à
l’extérieur et près de la façade du bâtiment
principal, s’accompagnant rapidement d’un
tassement différentiel prononcé de ladite faça- espace interfoliaire
de, conduisant à la prise de mesures préventives
d’urgence.

Sous une couverture de remblais anciens d’envi-


ron 2 m, les sols étaient constitués d’une
épaisseur de 3 à 4 m d’argiles assez homogènes.
Figure 2 :
Mais la teneur en eau des argiles était très éle- Schéma structural d’une monophyllite à 2 couches T-O, la kaolinite.
vée dès l’origine, comme attesté par l’étude
géotechnique réalisée quelques années aupara-
vant. Les apports accidentels liés aux fuites à
partir du réseau E.P. ne pouvaient donc être que
d’une faible incidence et, en toute hypothèse,
incapables de donner une explication satisfai-
sante au caractère localisé et prononcé du
phénomène.
espacement variable de 14 à 16 Å

feuillet élémentaie

Des investigations ont conduit à corréler l’exis-


tence des désordres avec une importante fuite
des eaux usées de l’usine au niveau du bran-
chement particulier au collecteur public.

La particularité de ces effluents est d’être forte-


ment chargée en produits tensio-actifs, comme
par exemple les hexamétaphosphates contenus
dans les lessives détergentes.
interfoliaire
espace

molécules d’eau et cations (Ca, Na, etc.)


Or, chaque grain d’argile est chargé d’électricité
négative sur sa surface. Ceci engendre, à proxi-
mité de la surface des grains, le développement
d’un champ électrique auquel est soumise l’eau
contenue dans les sols. Ceci a pour effet d’o-
rienter les molécules d’eau par rapport à la paroi
des grains et de conférer ainsi à l’eau “de
contact” ou eau “adsorbée” des propriétés phy- Figure 3 :
siques particulières, notamment de viscosité. Schéma structural d’une monophyllite à 3 couches T-O-T, la
montmorillonite.

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en rapport avec le comportement des argiles

■ Dans une grande fouille d’une station d’une ces états extrêmes de dessiccation et de
nouvelle ligne du métro de Londres, réalisée en saturation.
tranchées couvertes, il a été constaté un gonfle-
ment significatif (environ 8 cm) du fond de Il conviendrait d’ajouter plus fréquemment cet
fouille, et ce, sans apport d’eau naturel ou acci- outil à la panoplie du géotechnicien confronté
dentel et, bien au-delà de ce que la détente au délicat problème du comportement des
élastique du sol déchargé pouvait laisser matériaux argileux.
envisager.
Daniel Faisantieu
Les investigations ont montré que sur ces argi- Cabinet d’Expertises CPA
les de type montmorillonites surconsolidées, la
simple exposition à l’humidité atmosphérique
avait suffi à l’adsorption de molécules d’eau et
donc au gonflement des argiles.

QUELQUES RECOMMANDATIONS
■ La présence des argiles impose, lorsqu’on les
rencontre en tant que matériaux de couches de
fondations, de plates-formes de terrassement,
de profils de talus, etc., de procéder à un certain
nombre de vérifications par des essais géotech-
niques in situ ou de laboratoire.

Cependant, comme tout ce qui relève de la


géotechnique, il convient d’examiner les résul-
tats fournis par les essais avec un œil critique,
des essais réalisés n’ayant de valeur que ponc-
tuelle et s’adressant de plus à des volumes de
matériaux infiniment moindres que les volumes
de sol réellement engagés dans le cadre du pro-
jet de construction.

Ceci concerne tout particulièrement l’apprécia-


tion des amplitudes de tassements, dès lors que
l’on s’adresse à de grandes épaisseurs de cou-
ches compressibles (5 m et au-delà) et à des sols
riches en matières organiques.

L’humilité du géotechnicien, qui n’est ici que la


meilleure expression de sa rigueur scientifique,
l’obligera à dire que, dans de telles circonstan-
ces, des calculs de tassements peuvent être
affectés d’erreurs excédant 100% !

Les réponses techniques existent toutefois dans


de telles situations : traitement préalable des
sols, préchargement, etc. Leur coût n’est jamais
négligeable mais reste de très loin inférieur au
coût réparatoire d’un ouvrage construit sans
précautions dans un tel environnement géo-
technique.
Enregistrements X-Y superposés, de lames d’argiles < 2␮m, orientées // 001
■ L’analyse diffractométrique, qui se pratique en ■ lame normale (tracé rouge) : 15 Å
laboratoire, est un essai trop souvent négligé ■ lame glycolée (tracé bleu) : 17 Å = gonflement
■ lame chauffée (tracé vert) : 10 Å = rétraction
dans l’identification des argiles. Il permet pour-
tant de définir la ou les familles d’argiles Analyses réalisées sur la montmorillonite beidellitique de Mormoiron
(Vaucluse)
rencontrées et d’apprécier déjà qualitativement
l’aptitude de celles-ci au phénomène précité. Att = traces d’attapulgite

De plus, la mesure des écarts interfoliaires per- Figure 4 :


met de situer l’état d’évolution de l’argile entre Étude diffractométrique de la variabilité des distances interfoliaires
dans une montmorillonite, en fonction des traitements.

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