You are on page 1of 2

A presque 30 ans, un jeune sur cinq vit encore chez ses parents

Plus d’un jeune adulte sur cinq vit encore chez ses parents. Ces « nouveaux Tanguy » adoptent le
plus souvent l’« hôtel familial » par nécessité. En cause, l’allongement des études, la précarité de
l’emploi et le logement de plus en plus cher.

Comment les baptiser ? Des vieux enfants, des jeunes adultes, des postadolescents ? Aujourd’hui, un jeune sur
deux entre 21 et 24 ans, et un sur cinq entre 25 et 29 ans restent toujours scotchés chez leurs parents, et
parfois même en couple avec leur petit(e) ami(e) ! Le film Tanguy, en 2001, racontait l’histoire d’un jeune
portant ce doux prénom et vivant encore chez ses parents… à 28 ans, avec un diplôme de l’Ecole normale
supérieure en poche. Le succès du film avait popularisé ce phénomène. Mais alors qu’à l’époque les jeunes
restaient chez leurs parents par choix et par plaisir, ils le font aujourd’hui par pure nécessité, crise oblige. Pour
la première fois depuis la guerre, cette génération sera en effet plus pauvre que ses parents.
Et cela ne s’arrange guère : plus les années passent, plus l’échéance recule. On croise désormais des
trentenaires qui ont un emploi et qui séjournent encore chez papa-maman ! Et dire que leurs parents soixante-
huitards, eux, n’avaient de cesse de faire leurs valises et de gagner leur autonomie, synonyme de liberté, dès le
bac en poche…

Que s’est-il passé entre-temps ? Trois phénomènes

L’allongement des études


Depuis les années 1970, la durée du cursus a progressé de cinq ans. La dépréciation des diplômes pousse les
élèves à poursuivre, encore et encore, leur parcours. Le bac est certes un sésame, mais qui ne vaut plus rien
en soi. Une licence universitaire permet tout juste de passer des concours souvent très sélectifs, alors on ajoute
une année, un master, puis deux masters, parfois même on va jusqu’au doctorat… Résultat : mis à part les
privilégiés qui intègrent une grande école et qui se retrouvent sur le marché du travail dès 22 ou 23 ans, avec
la quasi-certitude d’avoir un emploi, la grande majorité des jeunes commencent à chercher un job vers 26 ou
27 ans… Quant à ceux qui ont eu la malchance de ne pas faire d’études supérieures, la précarité du travail les
incite à rester le plus longtemps possible dans le cocon familial. Un quart des jeunes ouvriers sont toujours
sous le toit familial dix ans après leur CAP (certificat d’aptitude professionnelle).

Le chômage et la précarité du travail


On le sait, ils touchent durement les plus jeunes et de plus en plus longtemps. Témoignages éloquents de
ces jeunes sans emploi stable. « Je n’ai jamais obtenu d’emploi stable. Ce serait inconscient de partir dans
cette incertitude », explique Fabien, 26 ans, qui erre depuis six ans de petit boulot en CDD (contrat à durée
déterminée). « Je ne trouve que des jobs au noir ou très mal payés. Je n’envisage pas de m’installer dans ces
conditions ! » tempête Anne-Laurence, baccalauréat à 16 ans, architecte à 25, au chômage depuis huit
mois. « J’attends d’avoir mis de côté un pécule. Je ne veux pas quitter ma famille les poches vides. Ils sont
prêts à m’aider. Ils m’hébergent avec ma copine », se justifie Luc, 26 ans, licence d’échanges culturels
européens et vendeur par intérim (à la place d’une autre personne) depuis un an.
Le prix des logements
C’est peut-être le phénomène le plus nouveau et le plus frappant. Même avec un salaire « décent », un gros
SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance.) ( par exemple, une jeune a bien du mal, surtout dans les
grandes villes, à trouver un appartement à louer (on ne parle évidemment pas d’achat !) « Quand la moindre
chambre de bonne à Paris vous coûte 600 € par mois, et que l’agence immobilière vous demande les cautions
de vos deux parents et trois mois payés d’avance, comment s’en sortir ? » s’interroge Jeanne, 27 ans,
employée dans une chaîne de fast-food. Les jeunes font alors un calcul simple : confortablement logé, bien
nourri et même blanchi chez les parents, c’est autant d’économies faites et autant d’argent consacré aux
sorties, aux voyages et aux « fringues ». La chaleur du cocon familial, doublé de la liberté et de l’indépendance
totale que laissent désormais les parents à leurs grands ados, c’est « gagnant-gagnant » ! Revers de la
médaille pour ces parents décidément très accueillants, la maison se réduit vite à un « hôtel familial » où le
jeune adulte profite de la demi-pension, du ménage fait et même du pressing…

Ce phénomène des « nouveaux Tanguy » n’est d’ailleurs pas franco-français. L’Italie fait encore mieux : c’est le
pays européen « où les jeunes sont les plus vieux ». De cruelles statistiques attestent que presque 5,5 millions
d’Italiens entre 18 et 34 ans vivent encore chez leurs parents. Ce qui englobe en somme pas moins de 69,7 %
de cette classe d’âge. A une lointaine époque, en 2007, le ministre de l’économie Tommaso Padoa-Schioppa
rugissait dans les médias : « Les fils à maman à la porte ! » Son avis a été massivement ignoré…
Flore, 30 ans : «Je souffre de ma situation»
Flore a 30 ans aujourd’hui et elle souffre de sa situation. « Il y a trois ans, j’avais bien quitté le domicile
parental pour me mettre en ménage avec mon ex-petit ami, mais on a rompu. Je me suis rendu compte qu’un
appart type F3, cela coûte très cher pour une seule personne. Et qu’un appart type F2, cela coûte encore trop
cher pour une seule personne. Plus petit alors ? Mais je me suis dit : je ne travaille tout de même pas pour
vivre dans un F1 ou un studio ! » raconte Flore. « C’est pourquoi mes parents m’ont gentiment proposé de
m’héberger le temps que je me refasse une santé financière. Seulement voila, la santé financière est là, mais le
chômage a pointé son nez également. Mes parents ont 70 ans, je suis la petite dernière d’une famille qui
compte trois frères et une sœur. Moi, 30 ans, niveau BTS (Brevet de technicien supérieur.), huit ans d’expérience
professionnelle, me situant dans la classe moyenne des Français au niveau salaire. Ah, j’oubliais… célibataire
sans enfants », poursuit Flore. « Le paradoxe est là. Mes parents sont à la retraite et désirent être tranquilles,
et moi, jeune femme adulte, désirant refaire sa vie professionnelle et personnelle avec toute l’énergie et la
“fougue” de mon âge. » La cohabitation se révèle de plus en plus difficile. « Ma mère, se sentant à nouveau
investie de son rôle suprême de mère, ne cesse d’être sur mon dos. Elle se sent rajeunir pendant que je prends
un coup de vieux à mesure que je me bats pour ma reconnaissance en tant qu’“adulte”. J’aimerais vraiment
partir mais le prix des apparts flambe, le pouvoir d’achat est au plus mal, je suis désormais au chômage et, s’il
y a un travail, ce sera période d’essai ou intérim de plusieurs mois proposé. Enfin, et d’après ces deux derniers
critères, quel est le propriétaire ou l’agence immobilière qui louerait un appart à une chômeuse ou une
intérimaire, ou une personne qui vient de trouver un emploi depuis quelques semaines seulement ? »

Emmanuelle : «J’ai l’impression d’être un enfant»


Emmanuelle aura bientôt 33 ans. Elle est revenue vivre chez sa mère, à Paris, dans le quartier de Denfert-
Rochereau, depuis 2000. « Ça me rapprochait de la faculté où j’étudiais, à Nanterre », explique-t-elle. Alors
qu’elle avait vécu quatre ans seule, elle raconte que le retour au bercail (sens figuré] Maison familiale.
La famille.) n’a pas été facile, surtout parce qu’elle ne peut pas faire ce qu’elle veut. « Tu as des comptes à
rendre, dit-elle, il faut prévenir quand tu rentres tard et expliquer pourquoi. » Elle n’amène pas d’amis chez
elle, « je ne le fais pas parce que je ne me sens pas chez moi ». Inconvénient majeur : « J’ai l’impression
d’être un enfant, de ne plus avoir mon indépendance. » Analyste qualité chez Bouygues Telecom depuis
près de deux ans, avec une paie de 1.750 € brut par mois, elle cherche un appartement à louer, à Paris ou
en proche banlieue parisienne, entre 500 et 600 €, soit un tiers de son salaire. Et de préciser : « Trouver un
appartement, ce n’est pas le plus difficile, mais trouver un logement salubre, c’est différent. J’en ai visité un
dans le XVIIIe, sur le boulevard Ornano, les peintures s’écaillaient, les tapis au sol cachaient des trous et,
surtout, c’était sale. » Pourtant ces appartements sont proposés dans le cadre du 1 % logement. « Quand ça
me convient, je dépose un dossier, mais nous sommes souvent une trentaine et le premier arrivé est le premier
servi. » Quant à acheter, elle n’a pas les moyens, les banques voulant des garanties plus sérieuses.
L’avantage de vivre chez sa mère, elle l’avoue :« Je donne de l’argent à ma mère, mais c’est toujours moins
qu’un loyer. » Sa propriétaire reste donc sa mère, pour le moment.

Sébastien : «Ce n’est pas une vie de rester chez ses parents»
Sébastien, à 28 ans, habite chez ses parents, à Francheville (69). Détenteur d’un bac + 5, il a suivi des études
de comptabilité à Lyon. Il a commencé à travailler en 2004, dès la fin de son cursus, en suivant des cours du
soir. « Je n’ai jamais cherché d’appartement, car je suis resté à Lyon. Je n’ai jamais eu des raisons de partir,
car je m’entends bien avec eux. Je n’étais ni intéressé par une colocation ni prêt à payer un loyer de 500 € qui
m’aurait bouffé la moitié de mon salaire. Mon objectif, c’était de rester chez mes parents tant que c’était
supportable et de mettre de l’argent de côté. » Il ne leur a jamais payé de loyer, et reçoit un salaire brut de
1.800 €. Il reconnaît que, même si ses parents sont plutôt « cool », il doit se caler sur leurs activités pour
inviter des amis. « Je ne fais pas comme si j’étais chez moi non plus. » Il a réussi à acheter un appartement,
grâce à un apport important. « Je commençais à en avoir envie. J’ai bientôt 30 ans, ce n’est pas une vie de
rester chez ses parents. Avec les filles, c’était difficile. » Il a hâte de s’installer. Ce sera chose faite au premier
trimestre 2011. Tous les soirs, ils mangeaient tous ensemble, alors il avoue : « Dîner seul, ça va me faire
bizarre. Au départ, la télévision sera ma meilleure compagne. »

You might also like