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Louis-Claude de Saint-Martin, le Philosophe "missionné"

LOUIS-CLAUDE DE SAINT MARTIN,


Le Philosophe « missionné »
1743-1803

Merci Maître…, merci d’avoir accepté cet entretien à bâton rompu. Esquissons, si vous le
voulez bien, à traits épars diversement colorés et nuancés par vos biographes, certaines
étapes de votre parcours terrestre, en ce siècle qui fut pour toute l’Europe celui des «
Lumières ».
Arts, Architecture, Sciences, Littérature, Philosophie, Magie, surtout
noire, Sorcellerie sont en pleine effervescence. On se passionne bien
entendu pour les astres !
Quatre villes, Bordeaux Lyon, Paris et Strasbourg marqueront votre
parcours ! « Contre Paris, centre encyclopédiste, Lyon ! » Lyon devint la
capitale des activités ésotériques, un foyer mystique, certainement le plus
actif de toute L’Europe. Vous vous y rendez à l’invitation de Jean-Jacques
Du Roy d’Hauterive membre éminent de l’Ordre des Elus Coens, vous
faîtes la connaissance de Jean Baptiste Willermoz, un érudit, d’un
caractère peu facile, taciturne et compassé, certainement un des plus
intéressants personnages de l’ésotérisme du siècle des Lumières que l’on
consultait comme un oracle. Ils vous chargent d’enseigner aux élus Coens.
Willermoz était en correspondance suivie avec les plus éclatantes autorités
maçonniques de l’Occident. Votre lien avec cet initié passe par votre
Maître Martinés de Pasqually que Willermoz avait rencontré en 1768 et qui
fut totalement conquis par son enseignement. Il vous offre gîte et couvert,
très spartiates. Vos relations, seront parfois… « nuageuses », voir «
orageuses » !
Vous serez tenu en curiosité un temps par les révélations d’un
mystérieux « Agent Inconnu » qui fait remettre à Willermoz des cahiers
qui prétendent transmettre la « doctrine de vérité », la doctrine de Jésus
Christ. L’Agent secret se révèlera n’être autre que Madame de Vallière,
c'est-à-dire Marie-Louise Catherine de Monspey, chanoinesse de Miremont
! C’est à Lyon que vous écrivez votre premier ouvrage en 1775, sur un
coin de table de cuisine : « Des erreurs et de la vérité, ou les Hommes
rappelés aux principes de la science. »
Dans les salons de cette époque, qu’ils soient parisiens, lyonnais, ou
d’ailleurs, on réorganise la Société. Vous aimez bien ces lieux parfois
futiles et froufroutant parce qu’on y brille, ne vous en défendez pas,
quand on est jeune et bien de sa personne on aime à se faire valoir, on a
un auditoire attentif ; en vous écoutant, femmes jeunes et moins jeunes
tout en décolleté frissonnent de désir! Quel ravissement éprouve ces
belles dames à philosopher, elles interpellent penseurs, philosophes, elles
les ont tous lus ! ! Diderot leur a expliqué: « Le philosophe, c’est celui
dont la profession est de cultiver sa raison pour ajouter à celle des autres
».
C’est dans ces lieux privilégiés où les petits gâteaux sont si savoureux
qu’on rencontre des êtres exquis autant que perfides ! N’êtes-vous pas de
cet avis ?! Les salons les plus aristocratiques n’ont de cesse de vous
accaparer ! Je vous rappellerais au hasard les noms de quelques unes de
vos admiratrices, de vos conquêtes et protectrices : les marquises de
Lusignan, de Coislin, de Chabanais, la Comtesse de Clermont-Tonnerre, la
duchesse de Bourbon qui instruite par Bacon de la Chevalerie s’intégrera à
la maçonnerie en 1770.
Parenthèses, vous lui devrez beaucoup ! Vous composez à son attention
« Ecce Homo », afin de la détourner d’une attention un peu trop marquée
jugez-vous pour les Sciences occultes, le merveilleux. Vous ferez chez elle
d’assez étranges et intéressantes rencontres ! Elle accueille dans son
château de Petit-Bourg pèle mêle tout ce que Paris compte de mages, de
prophètes, de voyantes en renom, de magnétiseurs, de somnambules, à
tout ce monde se mêlent de nombreux indics bien entendu ! Malgré ses
opinions très libérales la citoyenne sera emprisonnée sous la Terreur et
bannie de France, exilée en Espagne, d’où elle ne reviendra qu’en 1796,
ce que vous avouerez fut un moindre mal ! Aristocrate, garder sa tête
pouvait relever du miracle. Vous rencontrez chez « la Bourbon », la
prophétesse Suzette ou Suzanne (selon), Courselle de Labrousse qui
voyait, tout comme vous, dans la Révolution, la venue d’un Age d’or. Elle
avait prédit cette Révolution 10 ans avant qu’elle n’éclate. Son disciple
l’évêque constitutionnel Pierre Pontard parlait lui d’un événement
messianique, d’une « Révolution rêvée ! » Vous vous liez également avec
Gombault, ami de tous les illuminés que comptait la capitale, il était
membre des « Illuminés d’Avignon.
N’auriez-vous eu dans les salons que des admiratrices ? Non ! Je citerai
un admirateur inconditionnel… tenez, le Maréchal duc de Richelieu, il ne
tarissait pas d’éloges sur vous auprès de Voltaire dont vous heurtiez les
idées de front ! ! Le Maréchal Duc voulut même organiser une rencontre
de réconciliation qui tourna court du fait du décès de l’irascible vieillard.
C’est à cette époque, 1776, que vous vous éprenez… par nécessité
dirons des mauvaises langues, de la marquise de La Croix. Personnage
étonnant, elle exorcisait, guérissait, voyante, elle entretenait de
singulières et régulières relations avec les « esprits », elle bénéficiait de
leur part d’apparitions sensibles, elle conversait avec eux. Convenez-en, la
marquise avait tout pour vous fasciner ! Vous êtes en difficultés
pécuniaires, et bien… elle vous accueille elle vous entretient tout
bonnement, vous vous installez chez elle rue du Pot-de-fer à Paris ! Des
rumeurs circulent disant qu’elle vous maltraite… Vous vous brouillez, c’est
un fait… suite à « un conflit doctrinal… » vous la quittez, disons qu’une
substantielle rentrée d’argent vous y aide !! Je vois, vous ne tenez pas à
ce qu’on s’appesantisse sur le sujet.
Votre cœur était pour les affections tendres il ne l’était point pour le
mariage. Vous devez vous souvenir de ces années troublées par une grave
crise agricole, … 1776, 1778. Vous voilà à Toulouse, vous y engagez par
deux fois votre cœur au point d’envisager mariage ! Pour expliquer les
ruptures vous argumentez que « l’homme qui reste libre n’a à résoudre
que le problème de sa propre personne ; celui qui se marie a un double
problème à résoudre. » Et vous avez cette conclusion, somme toute facile
et dont ces jeunes personnes dépitées devront se contenter : « Je sens au
fond de mon être une voix qui me dit que je suis d’un pays où il n’y a
point de femme », moi Maître j’entends des voix féminines qui s’écrient :
« Que voilà bien les hommes ! » Des unions passagères semblent vous
avoir suffi ! Vais-je trop loin en disant cela ? « Dans « Portrait historique »
vous avouez, vous formulez ce jugement sur cette société très sensuelle
où vous évoluez: « J’abhorre l’esprit du monde, et cependant j’aime le
monde et la société. » Vous avez tout eu pour réussir dans ces salons
mondains, un esprit fin et délicat, une conversation vive, pénétrante,
pleine de saillies, des manières naturellement élégantes, tout cela vous
ouvre bien des portes ! Votre regard d’une grande douceur « doublé d’une
âme » murmurent ces dames, trouble, fait tressaillir les cœurs de cette
belle aristocratie qui papillonne et soupire en vous contemplant! Leur
compagnie « pressante » ne vous laisse pas indifférent ! Votre foi et votre
… naïveté… naïveté de vos sentiments, enchantent; vous enseignez, les
dames se pressent autour de vous ! Dans votre âge mûr quand vous
aurez acquis sur la nature de la femme des lumières moins frivoles, plus
profondes, vous les honorerez d’une autre manière… et vous n’hésiterez
pas à écrire à une de vos inconditionnelles : « La femme m’a paru être
meilleure que l’homme ; mais l’homme m’a paru plus vrai que la femme.
» « L’homme est l’esprit de la femme et la femme est l’âme de l’homme. »
Charmantes pirouettes Maître ! Un poète du XX s, Aragon a dit
simplement que la femme était l’avenir de l’homme ! A qui adressiez-vous
ces lignes, à la « citoyenne » B ? ... mais laquelle ?! C’est un clin d’œil ! …
Vous êtes musicien, c’est une facette de votre personnage qui est peu
connue ! Vous avez appris parallèlement à vos études à Pont-Levoy à
jouer du violon avec un professeur, un nommé Quentin, il fera de vous un
honnête amateur, vous charmerez là encore ! Vous êtes « le seul
théosophe du XVIIIè siècle qui s’appliqua à des questions musicales ».
Pour vous « la musique se prête à merveille pour peindre l’état du monde
depuis son principe d’harmonie originel jusqu’à son état actuel de
désordre et de dissonance », n’est-elle pas dîtes vous encore : « la langue
première et universelle dont l’homme a perdu l’usage » C’est curieux que
vous ne fassiez à aucun moment référence à Jean Philippe Rameau que
vous ne pouviez ignorer… Rappelez-vous, sa querelle avec Rousseau,
voyons ! La Musique possède pour vous « cette vertu essentielle de permettre à
l’homme de briser les barrières temporelles qui l’environnent, pour que les vertus d’en
haut puissent le pénétrer ».Votre violon a été retrouvé dans un petit appartement que
vous occupiez rue Saint Florentin à Paris.
Dans cette ville qui vous a accueilli si bien malgré vos réticences, il y a
des langues qui vous taxeront de « théosophe de salon ! » Il n’empêche
que votre nom est sur toutes les lèvres ne leur en déplaise !

Partout en Europe à l’exemple de Lyon, prolifèrent, s’épanouissent


sanctuaires mystiques, sectes, églises avec leurs grands prêtres, leurs
cultes séparés, les adeptes et les gogos, y a-t-il une telle différence, y
fourmillent, en quête de merveilleux. De mystérieux personnages comme
le comte de Saint Germain intriguent l’Europe.
Parmi les Ecoles célèbres qui voient le jour citons bien entendu celles de Lyon, fondée
et gouvernée par le « comte Phœnix » alias Cagliostro, « le divin Cagliostro » ; celle
d’Avignon, plus tard transportée à Zurich, et « suspendue » aux lèvres éloquentes d’un
illuminé : Lavater qui professe la rotation des âmes et le retour de saint Jean , de
Copenhague qui ne jure que par Swedenborg, de Strasbourg « nourrie » aux écrits de
Jacob Boehm , n’oublions pas celle de Bordeaux attentive aux oracles de Martinés de
Pasqually dont vous fûtes l’adepte, l’ami et le secrétaire bénévole après le départ du «
désordonné » futur abbé Fournier, à qui il faut reconnaître une médiumnité
exceptionnelle, que vous soupçonniez en fait d’être assez proche des idées de Madame
Guyon, la protégée de Fénelon. Après le décès de Martinés de Pasqually, en 1774,
Fournié sera gratifié de visions constantes du Maître pendant plusieurs années. Et puis
pour en terminer avec ces « Ecoles », celle des Philalèthes dont les adeptes cherchaient
leur voie aussi bien chez Martinez que chez Swedenborg proches l’un de l’autre, n’en
déplaise peut-être à certains qui m’ont fustigé pour avoir osé le soutenir.
Je voudrais, Maître qu’on revienne un instant sur ce Cagliostro « père
adoré, maître respecté » que vous détestiez, je ne pense pas me tromper
en avançant cela! Il avait fondé à Lyon une loge maçonnique s’inspirant
des anciens rites égyptiens. A cette époque on ne jurait que par la
mystérieuse Egypte pharaonique comme aujourd’hui on ne jure que par le
Tibet ! Cagliostro pensait que les trois premiers grades de la Maçonnerie
bleue ne permettaient que d’accéder à la méthode et à la voie ésotérique,
que seuls les hauts grades d’une Maçonnerie supérieure permettaient
d’ouvrir l’initié aux Grands Mystères de l’antiquité, et d’obtenir des
pouvoirs supra normaux. Il était entouré au cours de cérémonies
grandioses de très jeunes prêtresses, les « colombes » vêtues de blanc,
qu’il exaltait jusqu’à l’extase pour leur faire rendre des oracles. Il usait
aussi de miroirs magiques pour lire l’avenir et évoquer les morts. Au grade
de Maître notamment il communiquait au récipiendaire la puissance de
faire intervenir les esprits, il lui redonnait la puissance qu’il avait avant la
chute du premier homme. Voilà qui n’est pas sans faire penser aux
pratiques théurgiques de Jean Baptiste Willermoz et de Martinés de
Pasqually… Pourquoi est-ce que j’insiste ainsi sur ce mystérieux
Cagliostro? Tout simplement parce que j’ai mis la main sur un témoignage
de choix qui décrit les phénomènes surnaturels qui se passaient au cours
de ces cérémonies. Vous vous doutez du nom de ce témoin ? : Marquis…
Marquis Louis Claude de Saint-Martin ! Vous êtes alors paré du titre de
Marquis… vous les avez tous portés ! Vous retracez dans une
correspondance avec Kirchberger « la cérémonie merveilleuse qui se
déroula à la consécration de la loge et qui dura trois jours, les prières
cinquante quatre heures. » … « Tandis que les vingt membres assemblés
priaient l’Eternel de manifester son approbation par un signe visible, et
comme Cagliostro se trouvait au milieu de ses disciples, le Réparateur,
parut et bénit les membres de l’assemblée. Il était descendu devant un
nuage bleu qui servait de véhicule à cette apparition; peu à peu il s’éleva
encore sur ce nuage qui, du moment de son abaissement, du ciel sur la
terre, avait acquis splendeur si éblouissante, qu’une jeune fille, présente,
n’en pu supporter l’éclat. Les deux grands prophètes et le législateur
d’Israël leur donnèrent aussi des signes d’approbation et de bonté. » C’est
curieux cette antipathie que vous éprouvez pour le « Grand Copte »… car
il vous fascine.
Des correspondances attestent que vous êtes fort au courant de
certaines pratiques qui autrefois menaient droit au bûcher… Je ne résiste
pas à extraire ce passage d’une longue instruction que vous adressez le 5
mai 1771 à un maître maçon postulant pour les Elus Coens : « Ex
conjuration du midi pour les équinoxes, » qui commence ainsi : « Je te
conjure Satan, Belzébuth, Baran, Léviathan, à vous tous, êtres
formidables, êtres d’iniquités, de confusion et d’abomination, à vous tous,
alerte, terreur et frémissement, prompts à ma voix et commandement, à
vous tous Grands et Puissants Démons des quatre régions démoniaques
»… etc. ! Je dois vous avouer que cette invocation n’est pas sans me
perturber, m’inquiètent sur certains aspects de votre personnalité ! Je sais
que vous étiez à l’époque de cette correspondance sous l’emprise de
Martinés de Pasqually ! Vous connaissez la clé ancienne du tarot, c’est à
dire le mystère des alphabets sacrés et des hiéroglyphes, hiératiques.
Vous avez laissé plusieurs pentacles, l’un d’eux est la clé traditionnelle du
« grand œuvre » que vous nommez « la clef de l’enfer ». Vous pratiquez,
vous invoquez et tout ceci, je trouve ça merveilleux, (!) à une époque, où
un malheureux prêtre, dans le but de découvrir des trésors, l’abbé Rouzic,
est condamné à 20 ans de galère pour s’être livré à des pratiques de
magie ! Vous écrirez plus tard à votre ami et confident Morat : « Je ne
vous cacherai point que, dans l’école où j’ai passé, il y a plus de vingt cinq
ans, les communications de tout genre étaient nombreuses et fréquentes,
que j’ai eu ma part comme tous les autres, et que, dans cette part, les
signes indicatifs du Réparateur étaient compris » Voilà un témoignage !
Il est une période de votre vie qui est pour moi assez énigmatique, et
qu’il faut que nous abordions… c’est celle de la Révolution. Vous l’avez
traversée sans dommage, à Dieu merci ! Durant cette période les « ci-
devant » étaient particulièrement désignés à la vindicte populaire et
comme tous les nobles vous portiez le poids de l’ancien Régime ! Vos
revenus fondent comme neige au soleil au milieu de ce marasme, mais au
delà de ces difficultés du quotidien avez-vous pensé au moins une fois un
instant à votre tête, et pour la sauver, à émigrer comme vous en
exhortait madame de Rosenberg qui se proposait de vous emmener à
Venise ! En place de songer à passer la frontière, inconscient, vous vous
promenez tranquille dans les rues de la capitale livrées aux hordes
sanguinaires ! Vous dîtes regretter les abus commis par la noblesse et
l’Eglise, vous ajoutez : « Cet ordre social a mérité d’être renversé par la
justice divine, une ère nouvelle va commencer où l’homme ramené à son
point de départ ne connaîtra plus d’autre puissance que celle de Dieu. » «
Il est peut-être nécessaire qu’il y ait des victimes d’expiation pour
consolider l’édifice. »
La Révolution telle que vous la concevez vous apparaît irréversible, «
elle lave l’esprit humain » ; elle est tantôt comme un sermon les plus
expressifs qui ait été prêché dans le monde, tantôt comme une « image
abrégée » du Jugement dernier, comme un moment essentiel de
l’évolution du genre humain. Le bouleversement dont vous êtes témoin a
pour vous un sens hautement mystique. C’est à vous que Joseph de
Maistre empruntera l’idée que la Révolution est un fait surnaturel, un
miracle effrayant destiné tout à la fois à régénérer le monde et à
l’instruire. Vous écrivez : « Je crois voir la Providence se manifester à
tous les pas que fait notre étonnante révolution. »… La Providence… c’est
curieux quand même que vous n’y ayez pas vu sa « main » à Valmy !
Quelle étrange victoire !! Vous êtes confiant dans l’avènement d’une ère
grandiose. Vous êtes à espérer que Dieu arrêtera les obstacles que les
ennemis ne manqueront pas de semer dans cette grande carrière qui va
s’ouvrir et d’où peut dépendre le bonheur des générations. Avez-vous
imaginé, une fois, dans les paniers de la guillotine des têtes qui vous ont
aimé ?... Pensez-vous vraiment que la Providence avait besoin d’être
servie par un Maillard et sa bande assoiffée de sang, brandissant au bout
de leurs piques des têtes, le sexe de la Princesse de Lamballe…
Se cacher derrière la Providence , le Bonheur du genre humain, pour tout excuser, cela
conduira à bien des tragédies sanglantes d’une autre ampleur que celle de la Révolution
qui ne fit si on peut dire que 60.000 victimes ! L’évêque constitutionnel Pierre Pontard,
cette connaissance, lui, cherche dans l’Apocalypse, les Prophéties d’Isaïe la preuve d’une
volonté divine dans ces évènements, il les interprète tout comme vous comme le prélude
à une « Régénération universelle ». Dans la lignée de Rousseau vous condamnez la
propriété, vous proclamez: « Qui ne travaille point n’est pas digne de vivre ! » Bien
entendu vous êtes contre la peine de mort, vous vous en expliquez malgré certaines
approbations !! Je vous cite : « La peine de mort n’est pas une punition, mais une
destruction qui devient inutile au coupable et qui n’est guère plus profitable aux
méchants qui en sont les témoins.- « Tuer est une punition qui n’effraye que l’homme de
matière et amende rarement l’homme moral ». Vous n’êtes pas tellement « chaud » pour
l’abolition de l’esclavage… Et puis vous affichez une curieuse attitude à l’égard du peuple,
un certain mépris, presque épidermique. Vous êtes en fait un homme pétri de
contradictions !
Votre nom est si célèbre, si reconnu mon cher Maître, si respecté, que l’Assemblée
Constituante va vous nommer avec Sieyès, Bernardin de Saint Pierre et Berquin
précepteur potentiel de l’enfant royal! Vous devez donc, quitter votre exile provincial, et
vous rendre à Paris, votre ville « purgatoire ». On vous assigne en première mission de
monter la garde à la porte Temple. Curieusement il n’est nulle part à ma connaissance,
fait état des sentiments que vous avez pu éprouver en regard du drame de cet enfant…
puis vous êtes « geôlier » dans le donjon. Si vous nous parliez de votre première
rencontre… une parole murmurée: « Sire.» ? Le son de sa voix, son visage n’ont-ils
jamais hanté vos souvenirs, ne vous ont-ils jamais réveillé en sursaut ?... Vous
n’exprimez rien… Combien de fois vos regards se sont-ils croisés, votre estomac ne sait-
il jamais noué à la pointe de l’aube ? Aucune hésitation à affirmer que vous percevez la
Révolution à l’évidence comme faisant partie d’un scénario providentiel qui se déchiffre
comme le signe éminemment positif de l’entrée dans une ère nouvelle. Vous accomplirez
avec sérieux, je n’ose pas dire avec bonne conscience, votre devoir de citoyen mandaté.
Dans la petite pièce qui vous est allouée, dans le donjon du Temple, transformée en
oratoire, vous méditez pendant vos longues heures de garde, vous priez… pour l’enfant ?

Vous êtes fier dans le fond d’appartenir à la noblesse, même si vous la décriez, … nous
sommes d’accord ? Votre présence à la prison du Temple,… est connue, faut-il croire que
personne ne cherche à vous contacter dans le but de faire évader l’enfant royal ? Vous ne
faîtes aucun geste vers l’extérieur ? Avez-vous eût vent de complots? Vous n’étiez pas
sans vous apercevoir que cette prison n’était pas absolument étanche ! Les prisonniers
mêlés à une foule bigarrée en sortent, y rentrent de leur propre gré pour y subir leur
funeste sort ! ! Le 27 germinal de l’an II, 1794, un décret de la Convention vous relève
de votre fonction. Votre dernière garde vous inspire une curieuse réflexion : « La
dernière garde que j’ai monté avant de quitter paris, l’an II de la République, a été au
Temple dans la cour intérieure, et au pied de la tour où est enfermé le petit capet. Je ne
pus m’empêcher de faire des réflexions sur l’état des choses politiques dans le moment
actuel, de regarder ce lieu où je me trouvais, comme le point de mire sur lequel portait à
la fois tous les yeux de l’Europe, et de me rappeler que lorsqu’on m’avait mis sur la liste
de ceux parmi lesquels on se proposait de choisir le gouverneur du dauphin d’alors, on
ne pensait pas que je le garderais un jour d’une autre manière qu’on l’imaginait. » Que
vouliez-vous dire par là exactement ? Il me vient une étrange idée… peut-être étiez-
vous, l’instrument d’une confrérie secrète d’Illuminés chrétiens, vengeresse d’un crime
inique, la mort sur le bûcher de Jacques de Molay… Voyez-vous Maître, je suis étonné de
voir de tels passages, où le mot « missionné », est écrit sans qu’il soulève des réactions
interrogatives ! Je m’excuse, mais cette prose qu’a-t-elle d’intéressant si elle n’est pas la
clé d’une porte ou de portes à forcer? ! Vous n’exprimerez aucune compassion sur le sort
de la famille royale, et curieuse est encore cette phrase qui semble vouloir justifier votre
passivité : « Je voue un éternel silence, une fidélité et une obéissance inviolables à tous
les supérieurs et aux statuts de l’Ordre. Dans ce qui est l’objet de ce même Ordre je
renonce à mon propre jugement… » Cette phrase laisse entendre que vous obéissez en
cette période à une puissance supérieure…qui est ? Vous écrivez, c’est en toutes lettres,
que vous êtes « missionné », que vous avez un rôle à jouer… lequel ? Vous êtes
missionné par la « Providence !» Vous parlez aussi de « commissaires divins »… qui sont
ces commissaires, comment reconnaître ces êtres privilégiés qui sont appelés à
régénérer la société, à conduire les peuples vers l’accomplissement de leur destinée ?
Vous avez cette réponse : « On les reconnaîtra à plusieurs signes, d’abord quoique
semblables, par leur nature, aux autres hommes, ils s’en distingueront d’eux par la
supériorité de leurs facultés et de leurs lumières. Le spectacle de l’iniquité et de
l’anarchie les fera souffrir davantage, et ils éprouveront à un plus haut degré le besoin
de l’ordre et de la justice, ils auront une foi inébranlable dans leur autorité ou dans leur
mission, et ils emploieront toute leur énergie à la faire accepter au nom de la justice
même. » Je m’exclame : SYNARCHIE !! «… les peuples, croyant voir en eux leurs
libérateurs, se soumettront volontairement à leur empire, auront une foi inébranlable
dans leur autorité, courrons au devant d’eux, ils s’abandonneront à leur volonté et à leur
sagesse, persuadés qu’elles attireront sur eux les dons de la bonté et de sagesse divines
». Ces lignes sont-elle de vous ou de Joseph de Maistre ?!
Il vous apparaît que vous faîtes l’objet d’une « protection vigilante » vous mettant à
Il y a du vrai si on considère bien les évènements ! Un
l’abri des purges...
mandat d’arrêt est délivré contre vous ! Vous allez devoir la vie, à un
complot mystico délirant … Eclate ce qu’on a appelé « l’affaire Catherine
Théot Barenton ». Elle n’est nullement noble, elle est née tout simplement
à Barenton, c’est au moment des faits une vieille femme totalement
illettrée, se disant la mère de Dieu et qui catéchise dans son quartier, la
Contrescarpe. Elle fut arrêtée une première fois sur plaintes et passa plus
de trois années internée avec quelques adeptes. Relâchée « la martyre »
fut recueillie presque aveugle par la femme Godefroid, modeste couturière
qui se fit sa servante et secrétaire. Leur vie commune n’était troublée que
par les visites de Dieu à son élue. Catherine Théot devenue « la mère du
verbe » lisait dans les tarots, surtout pour les « politiques » inquiets de
leur avenir, et elle acquit une certaine notoriété. Mais vous la connaissiez !
… chez la Duchesse de Bourbon ! Théot et sa charitable secrétaire
vécurent 10 ans en toute tranquillité jusqu’à ce que sur une dénonciation
en 1793 la soupçonneuse police de Chaumette perquisitionne le petit
logement que les deux femmes occupaient. On y trouva des brouillons de
lettres, L’un de ceux-ci entre autre déclancha tout, et vous sauva ! Je lis :
« J’ai l’honneur de vous écrire ceci, comme j’ai beaucoup de confiance en
vous et que vous aimez à faire les œuvres de Dieu, c’est pourquoi que
Dieu de confiance en vous et que vous aimez à faire les œuvres de Dieu,
c’est pourquoi que Dieu vous a choisi pour être l’ange de son conseil, et
pour être le guide de sa police, et pour être le guide de sa milice pour les
conduire dans la voie de Dieu … Je vous prie de prier l’assemblée de faire
faire des processions, afin que le Seigneur nous envoie de la pluie… et
faire faire un mandement qui soit signé de l’assemblée… » Si l’on suppose,
et pourquoi pas que cette requête était adressée à « l’Incorruptible » qui
fréquentait, et c’est avéré, la soupente, il y avait matière pour ses
ennemis à le railler, n’était-il pas aussi appelé dans certains feuillets «
ange du Seigneur » « guide des milices célestes »… On dit Maître que
vous aussi vous vous faisiez tirer les cartes par la prophétesse… Vous y
avez rencontré forcément dom Gerle, moine chartreux, brillant orateur,
médium et guérisseur qui avait été député du Tiers Etat, il ne jurait que
par « dame Catherine ». Vous y avez croisé le « guide des milices célestes
» dont la célèbre mademoiselle Lenormand, autre voyante renommée,
racontait à qui voulait l’entendre qu’il frissonnait et pâlissait à la vue du 9
de Pique! Votre adhésion à cette « secte », ce « cercle » n’aurait rien
d’étonnant car vous avez toujours recherché à recevoir des initiations, à
droite, à gauche. Cette Catherine Théot « La mère de Paris » comme tout
le monde la surnommait alors, proclamait qu’elle était la nouvelle Eve, la
mère de Dieu, Jésus Christ ! Elle se disait destinée à enfanter à 70 ans le
nouveau Messie dont le trône devait s’élever en face de l’église Ste
Geneviève à Paris et qui serait vu de tout l’univers. Loin d’étouffer l’affaire
les ennemis de l’Incorruptible donnèrent à ces ragots démentiels les
proportions d’une conspiration de fanatiques qui avait à sa tête le «
colosse » de la Révolution. Marc GuillaumeAlbert Vadier, ennemi juré de
Robespierre n’hésite pas à rattacher le tyran à la vieille prophétesse, il
brandit les brouillons trouvés où il est dit entre autre également que
Robespierre a pour mission de proposer une « Constitution surnaturelle »
en prélude à la « Régénération universelle » . Ce complot rocambolesque
monté en épingle marque la « chute » du « Grand Moïse », son parti est
décapité… au sens propre, c’est la fin de la Terreur. Avecce qu’on a appelé
la « retraite de Robespierre », et la réaction thermidorienne, votre
inculpation tourne court, on oublie les chefs d’accusation vous concernant
vous serez même nommé enseignant à l’Ecole Normale dont le but est de
former les professeurs de la nouvelle France. CetteEcole vous apparaît
bientôt comme ayant un but sinistre, « l’établissement de l’athéisme et la
doctrine de la matière dans toute la République ».
Qu’aviez vous pu donc faire ou dire qu’on ait voulu faire rouler votre tête? Vous aviez
semble t-il porté ombrage aux autorités du jour en proclamant peut-être un peu trop «
fort » chez la Duchesse de Bourbon, pardon, chez la citoyenne Bourbon, ces trois mots :
« Liberté, Egalité, Fraternité » qui devaient pourtant devenir le programme de la
Révolution…, c’est ce qui est rapporté par Louis Blanc dans son Histoire de la Révolution.
Vous avez bien été, c’est vrai, à deux doigts de comparaître devant le tribunal
révolutionnaire c'est-à-dire de monter tout bonnement à l’échafaud ! Vous direz plus tard
que sous la Révolution une Puissance surnaturelle vous avez pris sous sa protection, et
vous écrivez que Dieu est votre passion, vous ajoutez sans vergogne : « J’aurais pu dire
avec plus de justice, que c’est moi qui était la sienne, par les soins continus qu’il m’a
prodigués et par ses opiniâtres bontés pour moi, malgré toutes mes ingratitudes ; car s’il
m’avait traité comme je le méritais, il ne m’aurait pas seulement regardé. » Pardonnez-
moi Maître, mais quel orgueil ! Il est vrai à votre décharge que presque tous les grands
mystiques se sont bercés d’une telle illusion … Nous avons dit : « propos à bâton
rompu ! » Venons en à votre arrivée dans ce monde terrestre !
La naissance : Vous voyez le jour à Amboise, le 18 janvier 1743 dans
une famille anoblie en 1672 par le roi Louis XIV. Noblesse peu fortunée,
mais dont vous tirerez toujours une grande fierté, ce qui ne sera pas sans
mettre en évidence certaines contradictions avec votre idéal socialo
mystique. Vous êtes baptisé le 19 janvier 1743 en l’église Saint Florentin
d’Amboise ! Vous êtes le quatrième rejeton d’un 1er brigadier des Gardes,
Chevalier de Saint Louis, qui assurera dès 1769 les fonctions de « maire
avocat » dans votre ville natale. Hélas vous perdez votre mère très jeune,
vous avez 3 ans. Votre père se remarie, le foyer est recomposé et votre
belle-mère est pleine d’amour pour vous, elle vous “enchanta” direz-vous.
Vous recevez une éducation religieuse que vous qualifierez “d’éclairée”.
Un portrait physique qui a été fait de votre personne et qui les résume
tous ! Ne protestez pas, acceptez la réalité ! « II était beau de visage et
élégant dans sa proportion. Il était d’une apparence si délicate, qu’on a pu
dire : « on lui a donné de corps qu’un projet. » Apparence délicate qui
venait d’une santé fragile. C’est reconnu votre âme est tendre et aimante,
il émane de votre personne une sensualité charmeuse, clé de bien des
coeurs. Pour le caractère… Maître, je vous cite : « J’ai été gai, mais la
gaîté n’a été qu’une nuance secondaire de mon caractère ; ma couleur
réelle a été la douleur et la tristesse. » J’ajouterai une tristesse sans
larmes, vos amis prétendent que vous n’en n’avez jamais versé une seule
sur la mort d’une personne vous fut-elle très chère car vous avez toujours
considéré la mort comme un avancement, d’ailleurs en parlant vous
l’appeliez: « l’autre vie. »

Pour rappel, vos études. Après avoir eu un précepteur, vous faites


vos humanités au collège de Pont-Levoy. Votre père désire ardemment
que vous deveniez magistrat, carrière toute tracée avec un grand-oncle
Conseiller d’Etat, dont la charge aurait pu un jour passer à vous par droit
d’héritage, mais vous éprouvez pour le Droit, je dirais, une profonde
aversion paralysante! Mais en fils obéissant vous sortez diplômé de la
Faculté de Droit de Paris. Vous occupez pendant 6 longs mois de calvaire
l’office d’avocat du roi Louis XV au baillage et siège présidial de Tours.
Vous le dîtes, vous avez beau faire des efforts en assistant aux procès,
vous ne savez jamais qui a gagné ou perdu ! Je devine à l’expression de
votre visage que cette période ne vous a laissé aucun bons souvenirs!
Vous avez, désespéré, pensé au suicide par deux fois en cette période…
n’est-ce pas exact ? … Il ressort de cette pénible expérience judiciaire une
façon de voir la Justice qui vous correspond parfaitement: « Là où
l’homme ne voit que lois, « la Règle », la vraie, est celle contenue en
chacun de nous, celle qu’utilise le vrai Régulateur, le Grand Réparateur
des maux humains. » De par vos lectures d’adolescent, Montesquieu,
Rousseau, Voltaire, on perçoit la pente naturelle de votre esprit pour tout
ce qui touche à l’homme.
Brûlons des étapes ! Dans le cadre de ce XVIIIs. turbulent…, non, je n’ai
pas oublié Maître ! J’y viens ! C’est en 1784 …, exactement, le 4 février,
que vous êtes admis dans la « Société de l’Harmonie » fondée par Franz
Anton Mesmer qui se proposait « de rétablir l’harmonie primitive qui
régnait entre l’homme et l’univers » grâce au magnétisme animal. Ce
qu’enseigne le docteur vous passionne. Le postulat de base est celui de
Cornélius Agrippa : « L’homme a tout en lui : le poids, la mesure, le
nombre, le mouvement, les éléments et l’harmonie. » Cette Société a une
succursale à Lyon, s’y côtoient des rosicruciens, des kabbalistes, des
alchimistes, des théosophes, des théurges faisant partie de l’Ordre
maçonnique des « Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte » fondée par
Jean Baptiste Willermoz. On enseignait chez Mesmer l’influence mutuelle
qu’il y avait entre les corps célestes et les corps animés, et l’effet
alternatif qui en découlait pouvait être considéré comme un flux et un
reflux créant un « Egrégore », cohésion intime entre hommes et femmes.
Cohésion si intimement poussée que la police crut bon un jour d’y mettre
bon ordre !! Mais au-delà du caractère pris par les baignades prescrites
par le docteur, le langage était bien proche de celui que Martinés de
Pasqually tenait à ses disciples. A cette exception près, que le magnétisme
était chez Mesmer, tout animal ! Oserais-je vous demander si vous avez
participé à ces « trempettes » communautaires mixes dans les célèbres
baquets ? Bon, … je n’insiste pas ! Avant cette adhésion enthousiaste vous
avez participé en 1780 à la fondation de la « Société Philanthropique »
une institution à vocation sociale de la franc-maçonnerie à laquelle vous
étiez encore attachée. Le social vous a toujours interpellé !
Reparlons musique, j’y repense ! Savez-vous que le docteur Messmer
passa commande à Mozart, alors âgé de 12 ans, d’un Opéra : « Bastien et
Bastienne »? Mais revenons à votre parcours. Vous mettez fin à vos
fonctions d’avocat vous allez vous tourner vers la carrière militaire qui
vous paraît être plus à votre convenance, elle vous laissera plus de temps
libre. Grâce à la protection de monsieur de Choiseul, en 1765 on vous
attribue un brevet de sous-lieutenant au régiment de Foix Infanterie,
cantonné à Bordeaux, au château Trompette. Vous avez alors 22 ans.
Vous resterez sous les armes 6 années, vous serez nommé lieutenant, en
1769. Le temps est à la paix, une paix précaire, mais une paix qui vous
évite le baptême du feu ! Vous faîtes des passages en garnison à Lorient,
Longwy, Saint Omer, Lille. Vous vous êtes lié d’amitié avec un officier de
votre unité, Monsieur Pierre André de Grainville, franc-maçon, initié dans
la loge d’un certain Martinés de Pasqually dont vous direz plus tard devoir
votre entrée dans « les vérités supérieures. » Vous ajouterez que sur
cette Terre deux hommes vous ont profondément marqué, Pasqually et le
Cordonnier de Görlitz : Jacob Boehm. J’allais oublier également votre
amitié pour un autre officier, le capitaine Champoléon.
Les autres personnages que vous avez côtoyés n’avaient pour la
plupart qu’un but, direz-vous, devenir « Maîtres » alors qu’ils n’étaient pas
même en état d’être disciples. Vous ne pensiez probablement pas à
Eckashausen en disant cela ! Je me permets de vous rappeler qu’il fut l’un
des meilleurs représentants de ce que vous avez appelé « la voie
cardiaque », et qu’il joua un rôle considérable dans la théosophie
chrétienne, eût un rôle prépondérant dans la diffusion en Europe de votre
message spirituel.
Monsieur de Grainville... oui... revenons à lui, il vous fait donc connaître celui qui
deviendra comme vous le dîtes votre Maître et ami, Martinés de Pasqually. Vous êtes
initié maçon à Bordeaux aux“Élus Coens“, en 1768. Vous devenez rapidement le
secrétaire bénévole et zélé du Maître fondateur, « Grand Souverain de l’Ordre des
Chevaliers Maçons Élus Cohen de l’Univers.” Pardonnez-moi mais le titre est
ronflant, j’allais dire, théâtralement pompeux. Le Maître meurt en 1774 à Saint
Domingue, où il est parti recueillir dit-on un héritage. Tout ce qui touche à la vie de
Martines de Pasqually reste flou ! Ce qui ne peut être mis en doute c’est que vous perdez
celui qui fut le premier de vos guides spirituels, « votre premier Instructeur » comme
vous ne cesserez, de le rappeler. Cette amitié admirative ne vous a pas empêché
d’exprimer au fil du temps de fortes réticences face à ses pratiques théurgiques,
pratiques qui d’ailleurs lui causèrent quelques déboires en particulier chez des « Frères »
toulousains au cours d’une Tenue mémorable qui s’acheva par son expulsion manu
militari ! L’enseignement de Martinés peut lapidairement se résumer ainsi : que l’homme
soit Dieu et soit appelé à redevenir Dieu. L’homme déchu se souvient des cieux, et grâce
à des pratiques théurgiques il doit retrouver sa grandeur passée et son pouvoir de
commander à tous les esprits, bons ou mauvais. Vous vous détournez à la longue de
l’aspect magique, trop théâtral, du système Coen, vous direz même trouver la Voie
dangereuse. Vous en viendrez à considérer que les rituels complexes ne sont rien en
comparaison de l’attitude intérieure que l’homme doit avoir lors de sa « quête ». C’est
par ses mérites propres, dont seul Dieu est témoin, que le “cherchant” spirituel peut
prétendre à

la Réintégration. Ca
n’est qu’à la date présumée, j’insiste sur ce « présumé », du décès de Martinés de
Pasqualy, que vous exprimerez très ouvertement votre rejet de sa théurgie. A Lyon en
1784 la rencontre l’homme qui soulève l’engouement ne sera pas sans vous rappeler
dans les « pratiques » votre « premier Maître » ! Il s’agit de Cagliostro !!
Décidé d’avoir vos coudées franches, vous quittez l’uniforme en 1771, pour vous
consacrer à ce que vous appelez la « Cause » que vous avez épousée, à son
enseignement. Vous faîtes un crochet par la Touraine natale, puis vous allez à Paris!
Vous parcourrez une grande partie de la France et de l’Europe en compagnie princière.
Vous rencontrez des philosophes, des mystiques. En Angleterre, vous êtes reçu par Best,
vieillard mystique qui souleva pour vous dit-on les voiles de l’avenir. Vous vous liez avec
William Law, traducteur anglais des œuvres de Jacob Boehm, on dira que vos œuvres
sont en harmonie, se calquent. Vous y rencontrerez aussi une femme tout à fait
remarquable: Jane Lead, curieuse des « précieux mystères » qui hantent votre esprit.
En Angleterre vous rencontrez en fait surtout des aristocrates gagnés aux sciences
secrètes, à l’ésotérisme, qui se sont installés en Angleterre. C’est au retour de ces
voyages que vous vous séparerez définitivement de la maçonnerie, et que vous
marquerez le désir que votre passage y soit jusqu’à effacé, « votre cœur et votre esprit
n’y ont vraiment jamais été présents! » avouez-vous. Un moment de curiosité, un espoir
par trop déçu ? Votre père tombe malade, une soudaine paralysie et vous rentrez au plus
vite en France le 20 juillet 1787. Il se rétablit, vous reprenez vos voyages : l’Italie via
Lyon, où vous ne vous attardez pas! Par contre vous vous « attardez » à Chambéry où
vous êtes chaleureusement accueilli par Joseph de Maistre ; enfin Rome !
Vous avez 48 ans quand vous posez vos malles dans la capitale Alsacienne et là vous y
rencontrez une personne dont vous allez vous éprendre, elle est séparée d’un mari
volage, tout est donc pour le mieux ! Vous souriez ! Vous ne pouvez qu’en convenir !
C’est madame Charlotte de Böecklin, née de Roeder elle a votre âge, c’est une grand-
mère encore douée d’une grande grâce extérieure et d’une très grande spiritualité. Vous
allez bientôt avoir une tendresse passionnée pour cette « chérissime » Charlotte.
Tendresse qui finira par être… payée de retour si vous me permettez l’expression, vous
allez vous installer chez elle. Vous écrivez : « J’ai dans le monde une amie comme il n’y
en a point ; je ne connais qu’elle avec qui mon âme puisse s’épancher tout à son aise. »
Mais au-delà de cette passion…, elle fait office de messager céleste en vous faisant
connaître les écrits du cordonnier mystique : Jacob Boehm. Enthousiasmé vous allez
entreprendre la traduction de ses ouvrages, et pour cela vous apprenez l’allemand. Ce
théosophe, vous le dîtes, sera pour vous « un abîme de connaissances et de profondes
vérités ». Vous ne manquerez pas de professeurs pour apprendre sa langue ! Vous en
arriverez à traduire l’« Aurore naissante. » A cette époque vous incliniez vers
Swedenborg cet extraordinaire savant visionnaire suédois qui a défié les chroniques,
vous avez été initié à sa doctrine par son neveu le chevalier de Silferhielm qui fréquentait
avec d’autres érudits de qualité le salon de madame de Boecklin. On dira même que
votre « Nouvel Homme » a plus subi l’influence du Suédois que celle du cordonnier de
Görlitz. Vous vivez à Strasbourg 3 années de bonheur, les femmes vous entourent,
encore elles, toujours elles ! ! Votre charme les subjugue toujours, vous vous souvenez
sûrement de la baronne d’Oberkirsch ?
Par deux fois la Providence vous aura sauvé la vie durant la période révolutionnaire !
La première fois : Saint Juste sévit à Strasbourg, la guillotine y fonctionne, « Les têtes
tombent comme les ardoises un soir d’orage », mais vous échappez aux diligents
commissaires du peuple, votre père malade se croyant à l’article de la mort réclame
votre retour auprès de lui, vous lui « obéissez ». Cette obéissance vous épargnera le
couperet ! Ce départ vous ulcère, vous écrivez : « Il fallut quitter mon paradis pour aller
soigner mon père. La bagarre de la fuite du roi me fit retourner de Lunéville à
Strasbourg, où je passai encore quinze jours avec mon amie ; mais il fallut en venir à la
séparation. Je me recommandais au magnifique Dieu de ma vie pour être dispensé de
boire cette coupe; mais je lus clairement que, quoique ce sacrifice fut horrible, il fallait le
faire, et je le fis en versant un torrent de larmes. » (?!) Vos frères ou sœurs sont-ils
décédés pour que votre père fasse ainsi appel à vous ? En 1797 vous retournerez à
Strasbourg, mais peu de détails sur ces retrouvailles… et en fait eurent-elles bien lieu ?
Disons qu’Amboise c’est pour vous l’Enfer, votre père a toujours été fermé aux idées
que vous nourrissiez et avec l’âge cela ne s’est guère amélioré ! « Tout ce qui tenait à
l’esprit lui était antipathique », écrivez-vous. Vous lui consentez en fils soumis de rester
auprès de lui jusqu’à sa mort. Votre cœur, toutes vos pensées sont avec Charlotte, vous
puisez votre force dans les lettres qu’elle vous envoie, « Que chacun reste dans la
vocation où Dieu l’a appelé » vous écrit-elle. Vous êtes amenés à autocensurer vos
correspondances, on traque les ennemis de la Révolution ! Ses lettres ne vous
empêchent pas d’éprouver des moments de désespoir, de ressentir les « secousses du
néant.» Une année horrible passe ainsi. Ni les peines de la solitude ni les douleurs d’une
si cruelle séparation ne peuvent expliquer chez un homme comme vous tant de sombres
images et de si singuliers ressentis… Dans « Portrait historique » Matter écrit : « J’ai cru
remarquer qu’il existait sur lui un décret de la Providence qui lui permettait d’approcher
du but sans pouvoir le toucher ; mais que dans l’année 1792, précisément celle où il a
tant souffert, il a connu, par une révélation expresse, cet acte de la volonté divine, sans
lequel il aurait percé plus loin qu’il ne convient à une créature humaine, et aurait dévoilé
à la terre des mystères destinés à lui rester cachés encore longtemps. » Voilà Maître,
pardonnez-moi d’avoir ravivé ces souvenirs. Pour la seconde fois de votre vie vous
succombez à la tentation du désespoir. Votre vie vous apparaît alors si sombre que les
générations vous entourant vous semblent comme des corps sans âme, des cadavres, et
des cadavres, Dieu sait, il y en a eu ! Vous vous comparez en continuant à vous
consacrer à votre œuvre malgré tout, à une sorte de musicien qui avec son archer
jouerait des valses et contredanses pour un bal de cimetière ! Une lueur pourtant ! Vous
êtes mis en relation épistolaire sur recommandation de madame de Boecklin avec
monsieur de Kirchberger, baron Liebisdorf qui appartient justement à l’école de Jacob
Boehm… C’est un notable bernois d’une grande intelligence et d’une grande culture. Il
vous intéresse, vous passionne, voir vous amuse malgré vos sombres pensées en vous
montrant comment les idées peuvent devenir des personnages fabuleux, comment la
légende se substitue à la métaphysique. Vous échangez vos portraits. Cette amitié ne
sera pas sans brouilles passagères, sur des sujets touchant à la Vierge Marie, et à la
divine et sainte Sophia.
Votre propension naturelle à une tristesse permanente a fait dire à Matter: “ Né du
monde, et l’aimant, il était toujours spirituel et gai quand il convenait de l’être;
d’ordinaire théosophe grave, humble avec l’air d’un inspiré.” Cela vous fait sourire. Vous
avez toujours été adulé, apprécié, vous le savez ! Vos « Pièces philosophiques » en 1771
ont déterminé votre stature dans tous les milieux, ésotériques, et occultistes. Dans les
salons où l’on débattait, vous étiez une référence incontournable! Toute cette
effervescence mondaine autour de votre personne n’affectera en rien votre détermination
spirituelle !
La tourmente passée, on va se disputer à nouveau votre personne dans les plus
élégants salons, ceux-ci n’ont plus droit de cité à Paris, ils ont émigré en Province, mais
qu’importe ! La noblesse libérée des geôles par décret, de retour d’exil au fil du temps s’y
presse. Autour de votre personne se constituera un groupe informel qui prendra le nom
de « Cercle Intime », de « Société des Intimes »
La main de l’homme retarde la marche de la Providence, la Révolution s’est figée.
Votre regard se tournera alors vers « l’étonnant Bonaparte », il fait surgir en vous un
nouvel espoir. Après la bataille de Marengo vous allez le regarder comme un instrument
temporel des plans de la Providence, vous lui attribuez à lui aussi une « mission divine !
»
Vous résumez dans votre autoportrait les 4 influences mystiques qui vous ont le plus
fortement imprégnées : “c’est à l’ouvrage d’Abbadie intitulé “L’Art de se connaître”
que je dois mon détachement des choses de ce monde. C’est à Burlamaqui que je dois
mon goût pour les choses naturelles de la raison et de justice de l’homme, c’est à
Martinés de Pasqualis que je dois mon entrée dans les vérités supérieures. C’est à Jacob
Böhme que je dois les pas les plus importants que j’aie fait dans ces vérités »… « J
éprouvai pour eux une sensation vive et universelle dans tout mon être que j’ai regardé
depuis comme l’introduction à toutes les initiations qui m’attendaient ». Ce « Portrait de
Saint Martin fait par lui-même » fait partie de vos œuvres posthumes…Votre sœur
devenue la marquise d’Estenduère chargera vos amis Prunelle de Lière et Gilbert de la
publication de ces manuscrits.
Sur la fin de votre existence terrestre vous vous « retirez» de ce monde en affirmant
qu’il vous est étranger, il ne vous appartient ni par votre âge ni par votre langue, ni par
vos idées. J’ai le sentiment, voyez-vous que vous ne vouliez pas toucher du doigt un
drame, une douleur intime qui dépassaient l’abstrait d’une belle théorie! Vous avez pris
ouvertement fait et cause pour un séisme, que vous pensiez être d’origine divine, qui
devait renverser « un ordre social qui ne serait pas rétabli et disparaîtrait bientôt des
lieux où il existait encore ». C’était une ère nouvelle pour l’homme…« La Révolution a
lavé l’esprit humain de sa ténébreuse apathie, et a remis la liberté, comme les autres
potentialités humaines en activité. » Encore : « La Providence saura bien faire naître du
cœur de l’homme une religion qui ne sera plus susceptible d’être infectée par le trafic du
prêtre et par l’haleine de l’imposture… Et puis, ceci dit vous vous « retirez » le monde
vous devient étranger! Cette façon d’avoir un jugement sur un Ordre social et de
prophétiser son avenir rayonnant est l’expression pour moi de cette naïveté utopique qui
a tant plu et fait sourire dans les salons! … Cette ère nouvelle qui devait mener à
l’apothéose de l’homme, cette ère qui vous a fait tant chaud au cœur a donné naissance
à des crimes tous plus horribles les uns que les autres où je refuse catégoriquement de
voir l’ombre d’une volonté divine ! … Je me suis un peu emporté, j’ai peut-être eu des
propos de Procureur, mais je vois dans vos paroles une diatribe qui est l’expression d’une
sorte de marxisme léniniste avant la lettre ! Oui, je m’emporte, je le reconnais, en point
de départ nous avons un enfant dont les parents sont assassinés devant une populace en
délire !
Si nous parlions des inimitiés que vous eûtes ! Elles ne vous ont guère déstabilisé ! Il y
eût en tout premier lieu celle de monsieur de Voltaire, et sur le tard celle de monsieur de
Chateaubriand, que vous admiriez. La lecture de son « Génie du christianisme » vous fit
une forte impression. Vous n’eûtes de cesse de le rencontrer. C’est grâce au peintre
Neveu que ce souhait pût se concrétiser. Monsieur de Chateaubriand relate votre
entrevue ; « Au cours du dîner monsieur de Saint Martin s’échauffant se mit à parler en
façon d’archange ; plus il parlait, plus son langage devenait ténébreux. » Vous aviez
promis, c’est Neveu qui le rapporte, qu’au cours de ce dîner se manifesteraient des
choses extraordinaires, mais il ne se passa rien. Cette soirée eût lieu le 27 janvier 1803.
Une entrevue sans relief pour l’un comme pour l’autre, une déception ! Plus tard
Chateaubriand dira : « Monsieur de saint martin était un homme d’un grand mérite, d’un
caractère noble et indépendant. Quand ses idées étaient explicables, elles étaient élevées
et d’une nature supérieure. » Il y a une pointe d’ironie !
Dans ses « Causeries du lundi » rétrospectivement si je puis dire, monsieur Sainte-
Beuve vous donne une place honorable, il rapporte de vous une fine peinture où se glisse
une pointe de malice : « monsieur de Saint Martin mérite une étude ou du moins une
première connaissance même de la part des profanes comme nous qui n’aspirent point à
pénétrer dans ce qu’il a d’obscure… C’est une noble nature, une douce et belle âme qui a
de sublimes perspectives dans le vague, des éclairs d’illumination dans le nuage ; qui
excelle à pressentir sans jamais rien préciser, et sait atteindre en ses bons moments à
des aperçus d’élévation et de sagesse ; » Joseph de Maistre, qui fut l’un des fondateurs
du Régime Ecossais Rectifié a rendu hommage à votre caractère et à votre talent
d’agitateur de foule ! C’est ainsi que devant une assemblée admirative de 2000
personnes vous n’avez pas hésité à contrer brillamment l’ancien ministre de la
Convention Garat, alors professeur dans les Ecoles normales. Vous fûtes heureux
d’annoncer à votre ami bernois Kirchberger : « J’ai jeté une pierre dans le front d’un
Goliath ! » Ici transparaît bien l’aspect provocateur, et justicier de votre personnalité.
Vous présentez à l’observateur plusieurs facettes secrètes et contradictoires qui peuvent
échapper à trop d’admiration ! Je plaisante !
Les années vous apportent ce que vous appelez le « spleen de l’homme », vous
spécifiez bien que ce spleen n’est pas celui des anglais. Vous précisez : « celui de nos
voisins d’Outre-manche rend sombre et triste, le vôtre vous rend intérieurement et
extérieurement tout couleur de rose ». Chaque pas que vous faîtes dans la vieillesse est
salué comme un acheminement non pas vers la délivrance mais vers le couronnement
des joies qui vous ont accompagné dans ce monde. J’ai un pincement au cœur en
repensant à tout ce sang versé que vous avez approuvé, fusse au nom de la Providence !
… Est-il nécessaire d’admettre les choses les plus contestables, les plus intolérables en
vue de la seule réalisation d’un plan, d’un ensemble concerté, élaboré dans l’optique d’un
on ne sait quel bonheur qui se perd dans une fuite sans fin ! Comment synthétiser en
quelques mots votre parcours terrestre ? ... Une vie tout entière tournée vers la
jouissance anticipée du ciel, à partir de la doctrine de votre ami, Martinès de Pasqually
contenue dans son « Traité sur la Réintégration des êtres. »
Vous dîtes que nous sommes tous “veufs,” veufs de la Sagesse, de la Sophia et que
notre tâche est de nous remarier! Et que c’est après l’avoir épousée, et d’abord cherchée,
puis courtisée que nous pourrons engendrer le Nouvel Homme en nous.
En 1803 vous eûtes quelques avertissements d’un ennemi physique qui avait emporté
votre père. Vous écrivez : « Ma soixantaine m’a ouvert un nouveau monde. Mes
espérances spirituelles ne vont qu’en s’accroissant. J’avance grâce à Dieu, vers les
grandes jouissances qui me sont annoncées depuis longtemps et qui doivent mettre le
comble aux joies dont mon existence a été constamment accompagnée dans ce monde
». Le 23 octobre vous vous éteignez à Aulnay à La Colinière la maison de campagne de
votre ami le sénateur Lenoir Laroche en recommandant à vos amis de vivre dans l’union
fraternelle et dans la confiance en Dieu. A 23 heures vous les quittiez.
J’entends par delà les gémissements des agonisants de la Terreur... “Il faut imiter le
Christ en faisant le bien, subir le mal, donner à autrui son temps, ses forces, son
intelligence, son amour; vivre dans le monde avec le monde, travailler en pleine pâte
cette humanité dont il est le levain, telle est la tâche de l’homme de Désir. La seule
Initiation, la vraie, est celle par laquelle nous pouvons entrer dans le cœur de Dieu et
faire entrer le cœur de Dieu en nous pour y célébrer, sceller, un mariage indissoluble qui
nous fait l’ami, le frère et l’époux de notre Divin Réparateur. Il n’y a pas d’autres moyens
pour arriver à cette initiation que de nous enfoncer de plus en plus jusque dans les
profondeurs de notre être et de ne pas lâcher prise, que nous ne soyons parvenus à en
sortir la vivante et vivifiante racine.”... Vous avez aussi magnifiquement indiqué ce que
devrait être utopiquement la vraie démarche de tout homme de bonne volonté, de «
Désir »: “Exalter ce qu’il y a de meilleur en l’homme; l’admiration, l’amour, la solidité des
rapports humains, et la présence du grain de sénevé enfoui dans le cœur de chacun,
mais qui doit nous porter jusqu’aux cieux, transfigurer la nature même, et rendre à
l’homme sa splendeur passée.”...
Être un « homme de Désir » !... Vous l’avez été passionnément permettez moi de dire
: sur tous les plans…! Je sais bien qu’André Tanner dans une anthologie de vos oeuvres
dit qu’il faut restituer à ce mot “Désir”, dans notre esprit toute sa pureté, bien entendu,
toute sa portée. “Le désir est le propre de l’homme, le signe de sa misère et de sa
grandeur. De sa misère, quand il porte l’homme à se dégrader, de sa grandeur lorsqu’il
le porte à s’élever spirituellement.” Il nous faut conclure ! Bien des poètes et écrivains
ont subi votre influence, à l’Est, à l’Ouest, au Nord, au Sud ! Je citerais : Honoré de
Balzac, Sainte Beuve, Gérard de Nerval, et d’une manière générale la plupart des
penseurs spiritualistes du XIX s.
Une synthèse… l’expression est peut-être mal choisie ! Votre système, à la manière de
Gavroche : votre « truc » il a eu pour but d’expliquer tout par l’homme, clé de toute
énigme, image de toute vérité. Vous soutenez que pour ne pas se méprendre sur
l’existence et sur l’harmonie de tous les êtres composant l’Univers, il suffit à l’homme de
se bien connaître lui-même, parce que son corps a un rapport nécessaire avec tout ce qui
est visible. C’est dans l’étude de ses facultés physiques dépendantes de l’organisation de
son corps, des ses facultés intellectuelles dont l’exercice est souvent perturbé par les
sens, les objets, ses facultés morales où sa conscience qui suppose en lui une volonté
libre, c’est dans cette étude que l’homme trouvera en lui-même tous les moyens
nécessaires d’y arriver. C’est ce que vous appelez si joliment : « la Révélation naturelle
».

Je vous sens fatigué… aussi vais-je me retirer sur la pointe de vos souvenirs ! Peut-être
m’accorderez-vous un autre entretien plus tard, alors je vous ferai entendre les cris d’un
monde comme le vôtre, s’enivrant au parfum acre des incendies, et de la poudre, tandis
que les crachats rouges de la mitraille siffleront, qu’une folie nourrie à l’utopie broiera
des millions d’hommes. Des chœurs d’enfants estropiés, déguenillés, chanteront un opéra
fabuleux sur un livret d’apocalypse.

« Ah ça ira, ça ira, ça ira »


« tous les aristos à la lanterne »
« Tous ces révoltés n’en sont pas moins vos frères ne l’oubliez pas ».

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