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Séminaire n°5 :

Autour des Fleurs du mal : dialogues poétiques et postérités - EXEMPLIER

I. Dialogues poétiques
Edgar Allan Poe - Sur le principe de Poésie

« Pour récapituler, je définirais donc en peu de mots la poésie du langage: une Création rythmique de la Beauté.
Son seul arbitre est le Gout. Le Gout n’a avec l’Intellect ou la Conscience que des relations collatérales. Il ne
peut qu’accidentellement avoir quelque chose de commun soit avec le Devoir soit avec la Vérité.

Quelques mots d’explication, cependant. Ce plaisir, qui est a la fois le plus pur, le plus élevé et le plus intense
des plaisirs, vient, je le soutiens, de la contemplation du Beau. Ce n’est que dans la contemplation de la Beauté
qu’il nous est possible d’atteindre cette élévation enivrante, cette émotion de l’âme, que nous reconnaissons
comme le sentiment poétique, et qui se distingue si facilement de la Vérité, qui est la satisfaction de la Raison, et
de la Passion, qui est l’émotion du cœur. C’est donc la Beauté — en comprenant dans ce mot le sublime — qui
est l’objet du poème, en vertu de cette simple règle de l’Art, que les effets doivent jaillir aussi directement que
possible de leurs causes: — personne du moins n’a osé nier que l’élévation particulière dont nous parlons soit un
but plus facilement atteint dans un poème. Il ne s’ensuit nullement, toutefois, que les excitations de la Passion,
ou les préceptes du Devoir ou même les leçons de la Vérité ne puissent trouver place dans un poème et avec
avantage; tout cela peut, accidentellement, servir de différentes façons le dessein général de l’ouvrage; — mais
le véritable artiste trouvera toujours le moyen de les subordonner à cette Beauté qui est l’atmosphère et l’essence
réelle du Poème. »

Fantaisie - Gérard de Nerval

Il est un air pour qui je donnerais


Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.

Or, chaque fois que je viens à l'entendre,


De deux cents ans mon âme rajeunit :
C'est sous Louis treize ; et je crois voir s'étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,

Puis un château de brique à coins de pierre,


Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière,
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;

Puis une dame, à sa haute fenêtre,


Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... - et dont je me souviens !
II. Postérités Plurielles

Spleen - Verlaine

Les roses étaient toutes rouges,


Et les lierres étaient tout noirs.

Chère, pour peu que tu te bouges,


Renaissent tous mes désespoirs.

Le ciel était trop bleu, trop tendre


La mer trop verte et l'air trop doux.

Je crains toujours,- ce qu'est d'attendre!


Quelque fuite atroce de vous.

Du houx à la feuille vernie


Et du luisant buis je suis las,

Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas!

Spleen - Jules Laforgue

Tout m'ennuie aujourd'hui. J'écarte mon rideau,


En haut ciel gris rayé d'une éternelle pluie,
En bas la rue où dans une brume de suie
Des ombres vont, glissant parmi les flaques d'eau.

Je regarde sans voir fouillant mon vieux cerveau,


Et machinalement sur la vitre ternie
Je fais du bout du doigt de la calligraphie.
Bah ! sortons, je verrai peut-être du nouveau.

Pas de livres parus. Passants bêtes. Personne.


Des fiacres, de la boue, et l'averse toujours...
Puis le soir et le bec de gaz et je rentre à pas lourds...

Je mange, et baille, et lis, rien ne me passionne...


Bah ! Couchons-nous. - Minuit. Une heure. Ah ! chacun dort !
Seul, je ne puis dormir et je m'ennuie encor.

Matinée d’ivresse - Rimbaud

O mon Bien ! O mon Beau ! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! Chevalet féerique ! Hourra pour l'oeuvre
inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira
par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendus à
l'ancienne inharmonie. O maintenant, nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse
surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés: cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la
violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés
tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, -
ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, - cela finit par une débandade de parfums.

Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés
soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des
anges de flamme et de glace.

Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu as gratifié. Nous t'affirmons,
méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous
savons donner notre vie tout entière tous les jours.

Voici le temps des Assassins.

Angoisse - Mallarmé

Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête


En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser
Dans tes cheveux impurs une triste tempête
Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :

Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes


Planant sous les rideaux inconnus du remords,
Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges,
Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.

Car le Vice, rongeant ma native noblesse


M'a comme toi marqué de sa stérilité,
Mais tandis que ton sein de pierre est habité

Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse,


Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul,
Ayant peur de mourir lorsque je couche seul.

Le tombeau de Charles Baudelaire - Mallarmé

Le temple enseveli divulgue par la bouche


Sépulcrale d'égout bavant boue et rubis
Abominablement quelque idole Anubis
Tout le museau flambé comme un aboi farouche

Ou que le gaz récent torde la mèche louche


Essuyeuse on le sait des opprobres subis
Il allume hagard un immortel pubis
Dont le vol selon le réverbère découche

Quel feuillage séché dans les cités sans soir


Votif pourra bénir comme elle se rasseoir
Contre le marbre vainement de Baudelaire

Au voile qui la ceint absente avec frissons


Celle son Ombre même un poison tutélaire
Toujours à respirer si nous en périssons.

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