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(SECTION 12)

Le Pendu (douze)

Sacrifice volontaire - Interférences de plans.

(L'Esclavage Magique)

‫ל‬
CHAPITRE V

L'ESCLAVAGE MAGIQUE


 

1


 

TOURNONS un feuillet du Livre des Arcanes. C'est une déconcertante et bizarre
énigme que nous propose sa douzième clef. La légende, au bas de l'emblème,
naïve et brutale, ne nous apprendra rien : LE PENDU.

Mais quel étrange pendu!

Sur un tertre s'élève le gibet improvisé, en forme de Thau hébraïque. Il se réduit à


une traverse horizontale, que maintiennent à hauteur voulue deux supports
verticaux, fichés en terre. Ce sont de jeunes troncs d'arbre, encore munis de leur
écorce et grossièrement ébranchés : six rameaux, abattus d'un coup de hache à
leur naissance, forment autant de nœuds artificiels sur chaque support. En tout, cela
fait douze nœuds, le nombre du feuillet.

A la poutre transversale, un homme, la tête en bas, et suspendu par le pied


gauche. La jambe droite repliée forme la croix avec l'autre jambe. Deux sacs
d'argent pendent de chaque côté, sous l'aisselle; il s'en échappe des écus. Les bras
du patient semblent liés derrière son dos, en sorte que les coudes dessinent, avec le
chef renversé, un triangle la pointe en bas, triangle que la croix des jambes
surmonte... Au premier coup d'œil, s'impose, l'hiéroglyphe bien connu des
alchimistes1. Il s'encadre ainsi dans le carré que forme le gibet avec la ligne du sol :

La douzième clef du Tarot nous initie aux gloires et aux misères de l'Esclavage
magique.

C'est qu'il y a, en magie, deux sortes d'esclavages, le bon et le mauvais, celui de


l'Esprit et celui de la Matière: — l'esclavage du devoir, de l'altruisme et du
dévouement; l'esclavage des passions, de l'égoïsme et de la routine.

L'adepte de la haute science est ce supplicié symbolique. Retenu entre ciel et


terre par les exigences de la mission qu'il s'est choisie, il reste exilé du. Ciel à cause
du corps périssable qui le soumet à l'attraction physique; et ses pieds ne fouleront
plus, les avenues de l'Illusion terrestre, dont les doux mirages lui sont interdits
désormais: car la discipline qu'il pratique a dessillé ses yeux. Il ne peut plus
de bonne foi s'enivrer aux caresses de la charmeuse Maïa, si
éblouissante dans l'éclat de sa parure mensongère, et si désirable aux:
hommes dans l'imposture de sa souriante beauté!

C'est l'adepte parfait que nous peignons lu, l'être surhumain qui,
parvenu au sommet du triangle de sapience, n'a plus rien à recevoir
de la terre, mais peut avoir encore beaucoup à lui donner: ce que
figurent les pièces d'argent, tombant en pluie sur le sol. Ses bras, liés
pour le mal, sont encore libres pour la bienfaisance et l'amour.

Si rare est le mage véritable, surtout à notre époque d'initiés


spéculatifs ou incomplets et de médiums douteux, que celte
interprétation marque plutôt un idéal à poursuivre, qu'une réalité fré-

1 Nous pourrions, à ce propos, dire quelque chose du Grand-Œuvre; mais le chapitre vii du présent tome,
Magie des transmutations, nous a paru mieux qualifié pour des notes de ce genre. La Clef de la Magie noire se
fermera sur quelques données très précises (L'Alchimie proprement dite)


 

2


 

quente à inscrire au livre d'or des fils de la Science et de la Volonté.

L'esclave de la matière pullule, en revanche.

Pour ce qui le touche, les détails du pentacle XII se commentent


d'eux-mêmes, Si nos Lecteurs sont curieux néanmoins d'un
déchiffrement analytique, nous laisserons cette fois leur ingéniosité
satisfaire à cet exercice, en appliquant la loi bien connue de l'analogie
des contraires. Et puis, le chapitre entier va paraphraser copieusement
l'interprétation désastreuse, bien plutôt que le sens faste et glorieux de
l'emblème.

Deux remarques semblent pourtant essentielles à mettre en valeur.

On sait que le Thau ‫ת‬, dernière lettre de l'alphabet sacré, signale toute période
consommée, toute opération accomplie, et aussi chaque tour successivement
révolu d'une spirale sans fin. Le Thau s'inscrit ici dans la forme de la potence qui
signifie la mort et la régénération, mystiques; il marque la clôture du cycle
duodénaire, premier que de reparaître pour symboliser, dix lames plus loin, la
révolution intégrale des XXII hiéroglyphes claviculaires du Tarot. Notez que cette
figure du Thau se retrouve, invariablement, au chiffre de clôture de tous les cycles
mineurs: elle s'esquisse dans la forme, du chariot, à l'arcane septénaire; dans le
support de la Roue de Fortune, à l’arcane dénaire. Cela est caractéristique.

Notez enfin qu'à l'examen de la carte qui nous occupe, si nous complétons le
carré, en supposant droite (et non sinueuse) la ligne du sol qui ferme le thau par la
base, nous obtiendrons le symbole des quatre éléments, encadrant la figure
humaine, circonscrite dans la geôle de l'existence élémentaire.

Sans revenir sur ce que nous avons notifié au Seuil du Mystère2, il semble à propos
de souligner, en conséquence, que l'arcane XII concerne exclusivement l'homme
descendu dans la déchéance de la chair.

En effet, lorsqu'on songe aux destinées de l'homme universel avant sa chute, ou


même au sort de l'homme individuel dans les libres espaces de la vie éthérée,
l'incarnation terrestre apparaît la mise en captivité préludant au plus dur esclavage.

« Du haut du Ciel profond, vers le monde agité S'abaissent les regards des
âmes éternelles: Elles sentent monter de la terre vers elles L'ivresse de la vie et
de la volupté;

Les effluves d'en bas leur dessèchent les ailes,

Et, tombant de l'éther et du cercle lacté,

Elles boivent, avec l'oubli du Ciel quitté,

Le poison du désir, dans des coupes mortelles3... »

La flamme vivante, descendue en voltigeant vers un mirage embaumé de fleurs


merveilleuses, a roulé, brusquement captive, dans la boue: sa lumière paraît s'y

2 Pages 137 et suiv. de la 5e édition.


3 Louis Ménard, Rêveries d'un païen mystique, Paris. 3e édition, page 30.
Qui donc a dit que le verbe poétique répugnait la renonciation de l'austère Doctrine? Il parait impossible d'en
mieux formuler l'enseignement sur ce point, en moins de mots, et plus sobrement expressifs.


 

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éteindre et sa conscience s'y noyer: c'est un engloutissement morne. Les fleurs
séductrices masquaient la glu fangeuse

Et voici! Un ange est mort au Ciel, un enfant naîtra sur la terre.

Étrange mystère, en vérité, que celui qui préside à la descente des âmes au
cloaque de l'existence matérielle, où elles doivent subir l’infamante incarnation.
Étrange mystère, — et lugubre. L'Amour en tient les clefs4.

À n'envisager l'Amour qu'au point de vue du Désir qui le manifeste, est-il rien de
plus insondable que l'essence de cet obscur attract, dont le magnétisme se fait
également sentir sur les deux rives de la Vie? C'est la force d'Iônah; terrible et
douce; elle gouverne le flux torrentiel des générations...

L'Iônah de Moïse équivaut à l’Aphrodite d'Homère, à l’alma Venus5 de Lucrèce.

Evocatricc des âmes sur le rivage de l'illusion physique, la Charmeuse couvre


d'une parure mensongère les tristes réalités de la chair et du sang. Sur tous les plans
de l'existence, son rôle est de séduire.

Sa fantasmagorie fait scintiller l'illusion d'un paradis au fond du gouffre de l'enfer


physique, et les âmes se laissent prendre à son piège d'incarnation, comme, une
fois incarnées, elles se laisseront prendre à son piège d'union sexuelle. Vénus a be-
soin d'exercer parallèlement cette double et complémentaire fonction séductrice,
afin de garantir, par les Ilots successifs de la génération, la perpétuité du transitoire
objectif. Que la déesse veuille capter les âmes ou accoupler les corps, ses moyens
ne varient guère: Je Désir est sa voix solliciteuse, et son divin piège, c'est la Volupté.

Car il faut bien formuler enfin ce que notre Public a déjà pressenti, peut-être;
c'est qu'à l'appel de Vénus, un trouble sensuel très intense, une irrésistible soif, de
jouir envahit 3es âmes au déclin de leur vie arômale. Exceptons celles de qui la
nature, entièrement spiritualisée, n’offre plus de prise au flux rétrograde des
générations. Toutes les autres, quand l’heure a sonné d'une nouvelle épreuve, se
laissent charrier au torrent: le monde physique où il aboutit leur apparaît un éden de
lascive béatitude; bientôt la passion succède au désir et le centre animique est
envahi. L'incurable amour dont ces âmes brûlent alors pour la matière marque
l'agonie de leur existence supérieure. Des qu'elles ont consenti à leur déchéance, le
courant les entraîne et les roule en ses remous: leur mentalité se trouble, leur cons-
cience s'affole, leur substance s'épaissit. Ravies par l'attraction fluidique de la
planète prédestinée, un vertige indescriptible leur voile l'horreur d'une dégradation
imminente, et lorsqu'enfin la matière les engloutit, elles perdent connaissance dans
l'ivresse, des voluptés.

Il s'en faut d'ailleurs qu'en tous les cas l'incorporation suive immédiatement la
chute. Les Psychés demeurent parfois un temps très prolongé en instance
d'incarnation; elles errent alors, dans une demi-inconscience, aux régions inférieures
de l'Astral planétaire. Elles peuvent influencer les médiums, posséder les faibles, et
même, en des cas heureusement assez rares, s'incarner par surprise, comme nous
l'avons dit. Ordinairement, tout étourdies et dépaysées, le serpent fluidique d'Ashiah
(qui s'enroule autour du globe) les emporte en cercle; jusqu'à ce que les exigences
physiologiques étant satisfaites, elles trouveront à s'incorporer, selon des lois
inconnues d'appropriation et dé sympathie sélective. Ces lois gouvernent les

4 Cf. Au Seuil du Mystère, pages 143-144.


5 Notez que Venus est réponse de Vulcain, principe du feu terrestre.


 

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rapports entre ces âmes errantes et les couples humains qui leur livreront l'accès du
monde matériel.

La même ardeur que les âmes éprouvent à descendre dans la chair, elles
l'inspirent aux terrestres géniteurs désignés pour leur en ouvrir la porte.

« On ne peut expliquer la sélection naturelle par le hasard, car un mot n'explique


pas un fait. S'il y a choix, il y a discernement; toute énergie suppose une volonté.
Mais est-ce la nôtre? Non, c'est une volonté étrangère6; l'amour n'est pas une action,
c'est une passion, Les Puissances cosmiques nous l'envoient pour nous employer à
leur œuvre créatrice, en faisant descendre des âmes dans la naissance. L'Amour,
c'est un enfant qui veut naître; les anciens l'appelaient de son vrai nom, le Désir (Erôs,
Cupido), parce qu'en effet c'est le Désir qui appelle les germes à l'existence. II y a
autour de nous des âmes qui veulent s'incarner: pour cela, elles se changent en
désirs et sollicitent les vivants de leur donner un corps. L'Art grec les représente par
des enfants ailés: ce sont les désirs qui voltigent autour des amants,

« La Beauté est mère du Désir, d'après la mythologie. Qu'est-ce que la beauté?


C'est une harmonie de lignes, une pondération de formes qui annonce l'aptitude à
l’éclosion des germes et au perfectionnement de la race. L'ampleur des hanches, la
fermeté de la gorge sont des garanties pour l'enfant qui naîtra. Les âmes errantes
nous poussent vers nos complémentaires; elles choisissent pour entrer dans la vie les
conditions organiques dont elles ont besoin, et elles nous imposent leur choix sans
nous consulter. Ce choix est rarement d'accord avec nos convenances sociales; ce
n'est pas leur faute, elles ne connaissent que les convenances physiologiques7. »

Peut-être ne faut-il pas interpréter trop à la lettre-la prose délicieuse et poétique


de Louis Ménard8, plus précis tantôt, quand il chantait. Nous n'avons pu nous
défendre de transcrire ces lignes pour la satisfaction de nos Lecteurs; car elles sont
suggestives et révélatrices à qui sait lire et comprendre.

La préexistence de l'Âme, sa défaillance et son naufrage au gouffre de la matière


étaient bien connus, dans l'Antiquité, des adeptes de toute école, L'Art auguste
s'empara de ces notions. Pour traduire en une langue accessible aux profanes la
doctrine universellement reçue dans les temples, les rhapsodes-initiés la
transposèrent en emblèmes: leur verve prodigua toutes les parures de la poésie et
du rythme, aux cent fables, gracieuses ou terribles, dont les scribes du sanctuaire,
ces maîtres gardiens du Symbole, avaient formulé le thème initial. Ainsi partout se
trouvèrent brodées, sur un canevas théosophique invariable, les multiples images dé
tant d'éclatantes Mythologies.

Dans la légende édénale, que Moïse inscrivit en fronton à son édifice du


Berœshith, il ne semble point téméraire de voir le prototype de toutes celles
analogues, et relatives au même arcane. La déchéance d'Adam-Eve est une
tradition mystique, vraisemblablement empruntée aux Égyptiens » qui la tenaient
des Hindous. Peut-être Moïse en recueillit-il même la notion originaire dans la crypte
madianite, où Jéthro conservait pieusement le trésor doctrinal des premiers âges.
Elle remonterait ainsi jusqu'à la synthèse scientifique issue du génie de la race noire,
et se rattacherait par elle à la symbolique antédiluvienne des Atlantes, au cycle

6 Étrangère à l'homme individuel qui la subit, — Cf Chap. iv, pages 372 et suiv.
7 Rêveries d'un païen mystique, p. 80-81.
8 Les âmes qui « se changent en désirs » et « choisissent les conditions organiques dont elles ont besoin » ; la Beauté
réduite à. une promesse de fécondité, etc., constituent des à-peu-près d'expression; mais les théories n'en sem-
blent pas moins belles et profondes.


 

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primitif de la race cuivrée9.

Quoi qu'il en soit, cette fable a des correspondances dans tous les symbolismes.
La désobéissance de Pandore, celle de Proserpine, sont en stricte analogie avec la
désobéissance d'Eve. Ici, c'est un fruit dont il ne faut pas goûter, là c'est une boîte
qu'il est défendu d'ouvrir, ou encore une fleur dont il faut respecter la tige. Mais la
curiosité féminine l'emporte, et la pomme est mangée, et la boîte est ouverte, et le
narcisse cueilli. La prévarication d'Eve exile du paradis terrestre le premier couple
humain; celle de Pandore fait pleuvoir sur le monde des maux qu'il n'aurait du jamais
connaître; celle de Proserpine aboutit à son enlèvement par Pluton, qui l'entraîne
aux gouffres infernaux.

La fable de Psyché recèle un sens identique, sous un symbolisme qui diffère peu,
et l'analogie s'impose.

Que d'autres mythes on pourrait invoquer, expressifs de la même doctrine, quoique


d'une similitude entre eux moins rigoureuse, quand à la forme?

Partout, c'est le récit d'une catastrophe humiliante, joint à la promesse d'une


réhabilitation de l'être déchu ou dépossède. L'ésotérisme des anciens mystères,
toujours immuable dans son dogme, comportait invariablement pour support
symbolique une fable de ce genre10.

C'était, Eleusis, l'enlèvement de Persephonê (ou Proserpine) et les infructueuses


pérégrinations de Démêler, (ou Cérès), parcourant le monde à la recherche de sa
fille.

Persephonê, vivante image de l'Âme humaine, désobéit à sa mère (la Nature


céleste). Séduite par les conseils du perfide Erôs, elle cueille et porte à ses lèvres le
narcisse étoile, emblème du désir. A peine en a-t-elle respire le parfum, qu'une

9 Cf. Fabre d'Olivet Histoire philos, du genre humain, tome I, pages 326-327; — et Saint-Yves, Mission des Juifs, 414
et suiv.
10 « Partout c'est un Dieu tué, déchiré, démembré les géants; c'est une déesse qui le cherche; qui, en le cher-
chant, parcourt le monde; qui, en le parcourant, donne les mœurs, les lois, fonde les cités, donne la nourriture,
donne les arts, le culte, les rîtes: c'est un Dieu, tué, démembré pur les géants, qui, après bien des combats et des
douleurs, ressuscite et demeure enfin triomphant et victorieux.
« C'est, en Phrygie, Cybèle désolée de l'infidélité d'Atys, qui parcourt le monde en furieuse, et le force à se mutiler
de désespoir de l'infidélité qu'il lui a faite.
« En Égypte, c'est Isis, désolée de la mort d'Osiris, que Typhon a tué, en trahison, en lui faisant essayer son
cercueil; que les géans ont déchiré en pièces; qui parcourt le monde pour en rassembler les membres, qui les
rassemble tous, hors le membre viril dont elle consacre une image; et en parcourant le monde, elle lui donne les
lois, les arts, le culte, la nourriture; et Osiris, après bien des peines et des combats, est vainqueur de Typhon et des
géans, et ressuscite pour le bonheur du monde.
« En Phénicie, c'est Vénus désolée de la mort d'Adonis, que le cruel Murs a tué, déguisé en sanglier ;'qui parcourt
le monde pour retrouver son corps; inuis Adonis terrasse enfin l'immonde animal, ressuscite glorieux et console
Vénus.
« En Assyrie, c'est Salambo et Bélus, a qui il arrive les mûmes aventures.
« En Perse, c'est Mythras et Mythra.
« Chez les Scandinaves, c'est Freya et Balder, à qui il arrive les mêmes accidens.
« A Samothrace, à Troiea en Grèce, à Rome, c’est Céres, désolée, de l'enlèvement de sa fille, qui parcourt le
inonde, qui ne peut se consoler que lorsqu'elle a vu le gouffre par soit PIuton la enlevée. C'est Bacchus tué,
déchiré, démembré par les géans, dont Pallas a trouvé le cœur encore palpitant, dont Cérès rassemble les
membres, qui ressuscite, parcourt toutes 1rs nations, remplit le monde de ses exploits, demeure vainqueur et
prend sa place parmi les dieux. » (Q. Aucler, la Thrëïcie, p. 34-36.)
On conçoit assez que le dieu démembré par les géants (forces brutal as de lu Nature physique), c'est le Principe
ontologique de l'homme, qui se désintègre par sous-multiplication, à travers le temps et l'espace. La déesse qui
lui vient en aide, et qui prépare son apothéose en rassemblant ses membres épars, c'est l'Humanité céleste et
providentielle, descendue au secours de l'humanité souffrante et terrestre, lui envoyant des Messies, lui
enseignant l'intégration sociale pendant l'existence et la réintégration mystique après la mort. Enfin, la
résurrection du dieu, son apothéose, c'est le retour des sous-multiples à l'Unité, de la matière différenciée h lu
substance première, du temps à l'Éternité, de l'espace à l'Infini: c'est l'homme-synthèse rendu à la gloire de ses
destinées divines.


 

6


 

défaillance la saisit: le sol tressaille, s'entrouvre et livre passage au char de Pluton,
attelé de sinistres chevaux à la crinière de ténèbres. Le dieu des expiations
s'empare de Persephonê, la ravit sur son char d'ébène, et tout s'effondre dans la
nuit, l’abîme s'est refermé11. Voilà bien l'attraction du feu terrestre, qui, trouvant prise
sur toute âme alourdie par la concupiscence, l'entraîne au fond du gouffre des
générations, dans le royaume de la vie physique et de l’épreuve.

Proserpine épouse Pluton (le principe de l'attraction ignée), et devient reine du


monde inférieur.

Sur ces entrefaites, Jupiter, attendri par les prières et les larmes de Cérès (la
Nature céleste), décide que Proserpine lui sera rendue, si pourtant elle a su s'abstenir
de toute nourriture, au séjour des enfers. La malheureuse n'a rien pris, si ce n'est trois
grains de grenade: c'en est assez pour qu'elle appartienne au dieu noir!... Mais Zeus
mitigé la rigueur de la sentence primitive. Persephonê partagera son existence entre
Dêmêter et Aïdonée: elle vivra six mois au Tartare, près de son époux, et six mois au
Ciel, près de sa mère.

Le sens occulte de l'ingénieuse allégorie transparaîtra mieux au prochain


chapitre, — la Mort et sus Arcanes. Qu'il suffise d'observer que la nourriture est ici
l'emblème d'une assimilation des choses terrestres à la pure substance de l'âme. Si
l’âme s'est entièrement matérialisée durant son épreuve corporelle, les enfers la
retiendront pour jamais captive, à la sortie du corps; si elle a su se préserver de toute
macule, elle sera pour jamais rendue à la vie du Ciel, Mais au cas plus ordinaire où
l'âme ne s'est assimilé, comme Proserpine, qu'une plus ou moins faible portion de
l'aliment défendu, la Terre aura sans doute acquis des droits sur elle, sans que sa
nature céleste ait abdiqué pour si peu. Ses destins se partageront dès lors, comme
nous le pourrons, voir, entre le Ciel et la terre, dans la succession de ses existences
alternées: jusqu'au jour de son épuration totale et de son retour à l'essence.

Le mystère de l'incarnation des âmes a inspiré Saint-Yves, qui lui doit une de ses
plus belles pages, de celles où le noble poète se souvient qu'il est un grand initié. Les
austères leçons de la science y sont transposées en matière d'art, avec une maîtrise
et un tact exquis; et ce nous est scrupule et presque remords d'avoir dû mutiler cette
prose lyrique, afin d'en tirer de profitables extraits.

L'âme descendue dans la prison du corps nous, conte l'odyssée de sa chute


individuelle. La voici sur la terre.

« ...Ainsi cette âme est née au monde des effigies et des épreuves; et elle en crie.

« Son élément était le fluide céleste, la lumière intérieure de l'Univers, l'éther


spiritueux, le dedans et l'endroit de la substance cosmogonique.

« La voilà à l'envers, au dehors, en pleine nuit.

« Elle ne voit plus son corps céleste: il s'éclipse.

« Elle en a perdu la science… la conscience, la vie réelle. Son intelligence se


ferme, sa clairvoyance directe ne voit plus, son entendement n'entend plus, sa sen-
sibilité psychurgique est partout accablée.

11 Lire dans les Grimas Initiés (pages 422 et suivantes); lit scène de l'enlèvement de Persephonê, très habilement
remise au point par M, Edouard Schuré, selon l'esprit des Eleusines.


 

7


 

« Entre elle et l'Univers s'interpose un obstacle terrible: quelque chose d'obscur et
de limitant, de courbe, d'obtus, d'acre et de chaud, étrange composé qui bruit et
fourmille, voile savamment et artistement tissé, replié sur lui-même et sur elle, dont
toutes les contextures animées, images de l'Univers, en communion précise avec lui,
figures des facultés de l'âme, en conjonction substantielle et spécifique avec elle,
s'enlacent et l'enlacent dans les méandres tortueux, des organes et des viscères:
c'est le corps.

« Si Se corps crie, c'est que rame souffre.

« Elle veut fuir, mais elle retombe sous une irradiation qui lui rappelle la lumière
vivante, lônah, la Substance céleste: c'est un baiser maternel.

« Parfois il lui semble qu'elle est morte. Elle se rap pelle comme dans un songe
l'immensité de celle lumière secrète où elle se baignait nue dans des tourbillons
resplendissants; les croupes, les vallons éthérés d'un astre aimé, sans atmosphère
élémentaire, sans attraction physique, monde des essences, des arômes et des
parfums de la Vie, d'où elle entendait monter et descendre les harmonies et les
mélodies intérieures des temps et des espaces; d'où elle s'élançait, frémissante, à la
voix intime des bien-aimés et des bien-aimées, pour contempler Shainaïni, l'éther, la
mer azurée du Ciel, les îles, les Hottes sidérales, les mouvements de leurs Génies-
animateurs et de leurs Puissances animatrices.

« Comme un reflet d'étoile sur une eau qui frissonne, un souvenir tombe et
tremble encore en elle de la grande réalité.

« Elle exhale encore la céleste ambroisie des Mystères éternels du Saint-Esprit, et


les effluves de Vautre monde ne s'évaporent que lentement de sa balsamique
essence que la mère boit, respire et baise, avec une ivresse étrange pour les
profanes.

« Ne t'envoie pas, doux reflet de l'astre des mages! Immortelle, souviens-toi!

« Elle croit les voir encore, les blanches, les divines, hommes et femmes, déesses
et dieux, diaphanes, lumineuses formes, types de la Beauté, calices de la Vérité, se
mouvant, planant, s'enlaçant dans les ondes magiques du céleste Amour, dans les
communions éblouissantes de la Sapience.

« Ne sont-ce point encore les théories sacrées, les poèmes vivants du Verbe
occulte, les hymnes des Pensées créatrices, les symphonies des sentiments anima-
teurs, les enseignements hiérarchiques des cercles psychurgiques, le trouble saint
des grands Mystères, rayons du Dieu dont la lumière est l'ombre, le sillon lumineux,
le vol arômal des Génies, des Envoyés, des Intelligences parfaites, des Esprits
immortels, des Ames victorieuses et glorifiées.

« O vertige! n'est-ce point encore le quadruple cercle inférieur des âmes


montant et descendant, l'océan fluidique, étincelant, sur lequel passe la brise de
l'Amour, dans le fond duquel crient la Naissance et la Mort?

« N'est-ce point encore,..? Mais qu'allais-je dire?

« Que s'est-il donc passé? Chante, fille des Dieux

« Écoutez!


 

8


 

« Un grand trouble, un vertige, un enivrement subit, une lourdeur étrange, un
magnétisme lointain, une attraction douce et terrible, une incantation des astres, un
mot d'ordre, un cri de sphère en sphère, des adieux déchirants à la vie supérieure,
aux bien-aimés, une prière, une cérémonie solennelle aux rites funèbres, une
dernière étreinte, un dernier baiser, un serment de se souvenir et de revenir, un
Génie aux pieds ailés qui prend l'Immortelle et l'entraîne vers les gouffres, l'immensité
d'en haut qui se ferme, celle d'en bas qui s'ouvre avec fracas, l'océan tumultueux
des générations, abîmes d'âmes gagnant ou quittant la cime ou le fond de
l'atmosphère d'un autre astre, bataille électrique des passions et des instincts de la
terre.., puis... quoi donc?

« C'est l'orbe de la terre, c'est l'océan métallique dé roula ni ses flux, enroulant ses
reflux.

« On traverse des tourbillons d'âmes qui montent,


s'abaissent ....

« Ce sont dans l'atmosphère, les nuées, les grands courants polaires, les souffles
de l'orient, les rafales de l'occident, les fleuves aériens secouant l'écume des nua-
ges, enroulant leurs serpents électriques; c'est l'océan inférieur de l'air, avec ses
quatre régions, celle des ailles, des grands migrateurs, des alouettes.

« Dans cette dernière, commence le règne delà substance plastique sur la terre,
avec ses quatre nômes: minéral, végétal, animal, hominal, et ses sept tourbillons de
Puissances génératrices et de générations.

« Après les cirques et les amphithéâtres vertigineux des montagnes blanches,


après la féerie éblouissante des glaciers et. des abîmes, voici venir à l'infini les molles
ondulations des collines vertes, l'écoulement écumeux des torrents, le serpentement
écaillé des rivières et des fleuves métalliques, le balancement des forêts sonnantes,
l'immensité circulaire des campagnes herbeuses, où courent en se jouant des
frissons.

« C'est la terre, l'une des mille citadelles du royaume de l'homme, fils immortel et
mortel de Dieu-les-dieux...

« Voici les cercles de pierres de métropoles, des cités, des villes et des villages,
avec le bourdonnement des voix d'airain, qui, du haut des dômes et des clochers,
scande et annonce, au-dessus du fracas des grandes eaux populaires, la Naissance
et la Mort.

« L'Immortelle s'arrête brusquement; Rattachant avec force à la clarté des astres,


elle mesure l'espace parcouru, la distance qui la sépare des cieux.

« — Où suis-je? Ciel, terre, tout a disparu; mais une attraction invincible


m'enchaîne tout entière.

« — Ame immortelle, voici ta mère

« Au nom de Dieu, au nom de la Nature, au nom Yod et de Hêvah, voici ta patrie


vivante ici-bas.

« Sois unie à elle par toutes les Puissances magiques rie la Vie!

« Adieu!—


 

9


 

« Elle se rappelle encore ses entretiens avec l'âme maternelle, leur indivisible et
mutuelle pénétration, leurs communions mystérieuses, pleines de souvenirs
d'espérances surterrestres, douleurs et joies, frissons, extases, musiques muettes; Je
long enroulement des neuf cercles séléniques, l'incantation des épigénèses, puis,
une souffrance cruciante, terrible, une vapeur sulfureuse, un effluve ferrugineux
montant brusquement des gouffres ignés de la terre, tourbillonnant, l'arrachant à
rame maternelle, la clouant à un vide pneumatique, à un antre pulmonaire,
mouvant,... un cri dans cet antre, dans cette effigie creuse, et le Souvenir
ventre dans ses profondeurs avec les lunettes célestes.

« II ne revivra que par la Science12!...»

Ainsi, la naissance physique est la véritable mort des âmes, et la mort physique
leur véritable renaissance,

L'initiation; — ce réveil de l'âme en somnambulisme, ici-bas, ce Remember de la


grande réalité ultra-terrestre, — l'initiation était considérée par les anciens adeptes
comme figurative de la mort, et procurant un avant-goût de l'existence arômale,
intérimaire aux incarnations.

L'âme (nous dit Stobbée), éprouve à la mort les mêmes passions qu'elle ressent
dans l'initiation, et les mots mêmes répondent aux mots, comme les choses
répondent aux choses. Mourir ou être initié, s'exprime par des termes semblables: ce
n'est d'abord qu'erreurs et incertitudes, que courses laborieuses, que marches
pénibles à travers les ténèbres épaisses de la nuit. Arrivé aux confins de la mort, — ou
de l'Initiation, tout se présente sous un aspect terrible; ce n'est qu'horreur,
tremblement, crainte, frayeur; mais dès que ces objets effrayants sont passés, une
lumière miraculeuse et divine frappe les yeux, etc.13

Apulée s'exprime en ternies analogues14.

Un initié du vieux monde, quand on l'interrogeait sur son âge, répondait volontiers:
je suis mort en telle année (celle de sa naissance corporelle); à telle date (celle
de son initiation), je renaquis en esprit. Et il comptait son âge, non point d'après
son grade, comme nos francs-maçons ont coutume de le faire, niais à chuter de
son admission aux mystères des dieux. Alors, comme de nos jours, il n'était point
rare d'entendre un homme fait, un vieillard même, annoncer qu'il avait trois ans.
Cette énigmatique réponse, qui veut dire à notre époque: Voyez en moi un
simple apprenti, signifiait alors: il y a trois ans que je suis initié.

Mais revenons aux arcanes de la Naissance.,

L'incorporation matérielle de la Psyché ne compromet aucunement les rapports


qui la faisaient participer à l'harmonie des mondes invisibles; mais cet accident
astreint l'Immortelle à une communion indirecte avec l'Univers physique, dont elle
devait ignorer les servitudes.

Les âmes humaines appartiennent par essence à la région animique du grand


Tout cet organisme colossal dont l'univers matériel n'est que le corps visible. En
prenant corps elles-mêmes, les aines tombent dans le domaine propre de la Nature
naturée, et sous le joug plus étroit du Destin qui la gouverne.

12 Le Testament Lyrique, Alexandre Saint-Yves, Paris, 1877, in-8 (pages 5 à 10, passim).
13 Stobbie, cité par Richard, Recherches sur les initiations anciennes et modernes, Amsterdam. 1779, in-8, pages 42-
43.
14 Cf. L'Ane d'or, in fine


 

10


 

Désormais, l'Univers possède intégralement l'être humain: des rapports
d'anatomie et de physiologie occulte rattachent et homologuent l'individu dans son
ensemble au total Cosmos, et chaque détail de la constitution humaine au détail
correspondant de l'organisme universel.

On voit sur quelles bases, à la fois mystiques et rationnelles, les anciens


théosophes édifiaient leur système d'analogies, quand ils qualifiaient l'homme terres
de Microcosme (ou de petit monde), rigoureusement assimilable en son tout
comme en ses parties, au grand monde ou Macrocosme.

Cette possession de l'individu humain par la Nature déchue s'affirme à l'instant


même de la conception, et se confirme à chaque nouveau stade, dans l'évolution
et le développement du fœtus.

On peut dire que ce rudiment corporel, progressivement élaboré sur le patron


fluidique du corps astral, est le terrain où se règle un compromis entre-les Puissances
du Ciel et de la terre. Tandis que les virtualités latentes de l'espèce et de l'individu
s'efforcent de produire une enveloppe aussi appropriée que possible à 1’être qui
prend corps, il semble que le Génie de l'univers physique, contrôlant cette auto-
genèse, veille à en maîtriser de toutes parts, ou du moins à en répartir la libre
expansion. Ainsi, au fur et à mesure de la croissance, il rattache par d'invisibles liens
chaque cellule, chaque fibre, chaque organe naissants, aux diverses régions de
l'Univers qui leur sont analogues et correspondantes; il distribue harmonieusement en
deux utiles les influences des astres, des cléments et des orbes magnétiques de la
planète, et règle, par rapport au fœtus, la juridiction naturelle des Puissances
occultes qui président à l'activité formatrice, sous les divers modes applicables au
plan matériel.

La connaissance de ces rapports, et la mise en œuvre raisonnée des lois dont ils
témoignent, constituent la science et l'art que les anciens auteurs englobaient sous
l'appellation de Magie naturelle. Cette magie serait, à les entendre, celle qui
permet à l'homme d'accomplir des œuvres, en apparence miraculeuses, par
l'emploi des seules forces de la Nature, et sans recourir à l'évocation des Esprits ni
même côtoyer la limite du « Surnaturel ».

Incorrecte définition, qui s'étaie d'une conception très fautive de l'Univers, de son
principe de ses lois et de salin. Un tel langage serait, sur les lèvres d'un adepte, la
marque certaine d'une initiation foncièrement erronée, — si les dures exigences des
temps de persécution et de fanatisme ne justifiaient assez les meilleurs théosophes,
devoir adopté la terminologie reçue des scolastiques alors pontifiants.

Nos Lecteurs savent déjà que le Surnaturel n'est point, — puisque la Volonté de
l'homme et la Providence même, ces facteurs de miracles, constituent l'âme et
l'intelligence de la Nature spirituelle, comme le Destin constitue la loi de la Nature
corporelle.

La totale Nature, c'est la grande Isis des sanctuaires égyptiens. Sa glorieuse


image se profile à travers les trois mondes: sa tête rayonne au Ciel intelligible; son
divin cœur bat au Ciel des âmes, ses flancs augustes engendrent au Ciel éthéré
l'esquisse des apparences; le monde élémentaire lui fait un piédestal. Et les
philosophes qui bornent ta Nature à l'ordre des choses sensibles, ne voient même
pas les talons de la Grande Déesse, mais seulement l'ombre qu'ils projettent.

Hors de la Nature miroir manifestât de la Divinité, l'esprit ne conçoit que l'Absolu,


 

11


 

c'est-à-dire Dieu dans son impénétrable essence.

Tous les êtres finis, jusqu'aux anges des plus sublimes hiérarchies, vivent et se
meuvent dans le sein profond de la Nature. Ainsi, quels que puissent être les
auxiliaires spirituels que le magicien évoque à son aide, si surprenants
qu'apparaissent les miracles qu'il opère grâce à leur concours, sa théurgie n'a rien
de surnaturel.

Le cadre tout arbitraire d'une « Magie naturelle » et licite,, en contraste avec la


Magie illicite et démoniaque, résulte de cette fausse conception du Surnaturalisme,
dont plusieurs sont encore férus. En somme, la Magie naturelle des anciens auteurs
n'est que la science positive (ou prétendue telle), appliquée à la justification de
certains phénomènes déconcertants et paradoxaux.

L'instruction n'était point jadis aussi généreusement prodiguée qu'aujourd'hui. Les


expériences dont la curiosité de nos enfants s'égaie sous le nom de Physique
amusante (depuis les applications élémentaires de chimie ou d'électricité,
jusqu'aux tours de gobelets, qui, en définitive, appartiennent à la science de
l'optique, puisqu'ils reposent sur une illusion des yeux), toutes ces expériences
eussent passé pour prodiges de Salan, au gré des badauds du moyen âge,
(témoin le bon rabbin Téchiel et la légende de son clou merveilleux et de sa
lampe enchantée). Or, tout n'était pas rose alors, dans le personnage, d'ailleurs
considérable, du sorcier. Lorsque des physiciens s'avisaient de publier quelque
recette surprenante, peu curieux de récolter sur un bûcher la menue monnaie
d'une réputation de nigromans, ils prenaient soin de cataloguer leur découverte
sous la rubrique (le magie naturelle, ou de physique occulte.

C'est sous ce dernier litre que l'abbé de Valleinont remplit six cents pages de sa
prose, pour disculper de diabolisme les praticiens de la fameuse baguette
divinatoire, encore contestée de nos jours; savoir, une fourche de coudrier,
influençable, dans la main des sensitifs, par certaines émanations, telles que
l’aura tics sources et des minières. L'expérimentateur saisit les branches bifurquées
de la baguette et la maintient horizontale: l'autre bout fléchit à point nommé, et
se tourne vivement dans la direction de la masse liquide ou de la veine
métallique à découvrir. Il y a là sans doute un phénomène d'attraction objective;
mais il s'y mêle vraisemblablement un phénomène tout subjectif de
psychométrie, puisque la baguette n'est sensible qu'en de certaines mains; — et
que Jacques Aymar, pour ne citer qu'un cas célèbre et d'ailleurs exceptionnel, a
pu, muni de sa baguette, suivre à la piste un meurtrier, sur terre et sur mer, depuis
Lyon jusqu'à Beaucaire puis de Beaucaire jusqu'en vue de Gênes (1692).

On expliquera difficilement pareil fait par l'action directe des corpuscules de


l’aura sur la fourche de coudrier.

Aussi, bien que la baguette divinatoire ait été souvent élue pour type des
applications de la Magie naturelle (comme l'entendaient les vieux auteurs), nous est
avis qu'on pourrait mieux choisir.

L'influence du monde extérieur sur les sens, — action mal définie, dont les
puissants effets sont banaux à ce point, qu'on n'y porte plus attention, — semblerait
un meilleur exemple. L'harmonie captivante des formes, l'enchantement des
parfums, des sonorités, des jeux de lumière et de couleurs, cette permanente féerie
de la grande Maïa (l'Illusion physique), — voilà bien des merveilles d'une magie non
seulement naturelle, mais spontanée.


 

12


 

Nulle science humaine n'a su démasquer les prestiges de 3a charmeuse; nulle
Puissance ne l'a détrônée encore, la Reine des fantastiques apparences!

Lorsqu'aux premiers soleils de printemps, toute chose créée tressaille et s'égaie


sous la caresse du ciel bleu les organismes les plus blasés prennent leur part du
grand jubilé d'Eros et de Cybèle. La Nature, prodigue de séductions, exhale toute sa
poésie latente avec ses énergies cachées; elle nous assiège par tous nos sens. Ni
vieillard, ni valétudinaire, ni même hypocondriaque ne s'en défend: c'est irrésistible.
Le corps sent travailler en lui les ferments réactionnés de la vie et du désir; un
alanguis sèment indéfinissable l'envahit, fait de bien-être et d'oppression, de vertige
latent et de volupté diffuse; le cœur est plein, l'allégresse déborde. Toute l'animalité
vibre à l'unisson de l'homme; la nature végétale y répond de son mieux en
participant au concert. Une puissante montée de sève fait éclater les bourgeons et
les feuilles éclore. Sous l'impulsion de l'éréthisme universel, êtres et choses fraternisent,
fusionnent en quelque sorte, et l'on sent positivement à cette heure-là quel lien
occulte et profond les rattache et les assimile, confondus en la vivante unité ! C'est
là le côté lucide de cette singulière extase, d'ailleurs si féconde pour tous en illusion
et pour plusieurs en déboires.

Les liens mystiques et physiologiques à la fois, qui rattachent l'homme au grand


Tout vivant comme lui, s'imposent alors; ils sont intuitivement perçus, L'accord des
sphères célestes se fait pressentir, — comme dans le Songe de Scipion. Alors se
révèle la savante orchestration d'influences qui nous enveloppe, êtres et choses,
dans les mailles sonores du Destin; tandis que, découpée sur ce fond harmonique,
l'universelle incantation des volontés fait participer ce qui est libre dans l'homme au
concert providentiel des mondes. Nulle part, en effet, du haut en bas de l'échelle,
l'homogénéité de la Nature ne se peut démentir: son essence est une, si son mode
varie. Elle contient toute chose, et rien de manifeste ne se conçoit en dehors d'elle.
Ainsi, des libres sommets de l'apothéose aux abîmes de la déchéance et de la
servitude, tout vibre et donne sa note, spontanée et contrainte, consciente ou non.
Ainsi les dissonances de l'enfer contribuent elles-mêmes à la symphonie du Total
Cosmos.

Pareille extase, bienfaisante à l'homme dégradé, par le témoignage des


correspondances glorieuses ont elles trahit l'inaliénable empire, n'en présente pas
moins, au point de vue des communions inférieures qu'elle dénonce évidentes,
l'indubitable symptôme de la possession de l'homme par la Nature naturée.

Voilà 1’esclavage magique dans son expression naturelle et spontanée. Cet


esclavage se traduit, au jour le jour, par les exigences du corps et toutes les
suggestions de la matière: la faim, la soif, le sommeil, les appétits brutaux, etc.

Il ne se révèle que trop, au jeu des sympathies et des antipathies, dont nous
sommes volontiers les marionnettes. Le raisonnement compte pour bien peu dans
nos déterminations coutumières: tantôt c'est un mouvement du cœur qui nous
emporte en son irrésistible et déraisonnable élan, ou quelque répugnance qui nous
barre le sentier, brusque effluve jailli des profondeurs mystérieuses de l'Instinct,
Dociles à ces obscures et soudaines impulsions, nous modifions notre itinéraire moral
vers la droite ou la gauche, et n'en restons pas moins convaincus d'avoir librement
opté pour ou contre. Si fréquente est la confusion entre notre volonté propre et celle
de notre Inconscient, qui est un autre Moi, ou qui plutôt en renferme deux ?
N’apparaît-elle pas doublement esclave, la créature qui, contrainte d'agir, croit à sa
franche initiative?


 

13


 

Sans doute, et nous l'avons dit, la liberté est dévolue à l'homme, ici-bas, pour un
tiers environ de ses actes, tandis que, pour les deux autres, il obéit 'à des
déterminations étrangères. Mais cette relative liberté ne lui appartient qu'en
puissance, à charge pour lui de la faire passer en actes, par l'exercice et le constant
effort du vouloir; alors seulement l'homme jouit du tiers d'initiative qui lui est concédé.
Mais s'il néglige de conquérir son domaine légitime le Destin l'envahit et s'en empare.

Supposons, par contre, un homme ayant pris possession de son héritage, et —


comme le Béarnais, — deux, fois maître chez lui.

« Et par droit de conquête et par droit de naissance. »

Que cet homme évoque en son intérieur l'action providentielle, et défère aux
inspirations qu'il en recevra: non seulement, grâce à pareille alliance, il aura élargi
au double le champ de son activité, et par là restreint à un tiers le nef de l'adverse
Destin; mais il pourra, jusque sur le territoire ennemi, élu der une part des embûches
fatidiques, sinon les affronter de face et les réduire de haute lutte. Voilà dans quel
sens on peut motiver cet adage d'assez paradoxale allure et qui n'en est pas moins
juste « La véritable liberté consiste invariablement à faire son devoir; la réelle
servitude consiste à s'en affranchir, » II est d'ailleurs dans l'essence de l'Inspiration
providentielle de se proposer à l'assentiment, et c'est de choix délibéré qu'on y
accède; au contraire, le joug du Destin s'infligeant à l'être qui lui a donné prise,
s'appesantit brutalement sur lui.

Ainsi, sans se soustraire entièrement aux entraves de la Nature naturée, qu'il ne


parviendrait à rompre qu'avec les liens de l'existence physique, l'homme peut
néanmoins distendre ces entraves, et les réduire au minimum d'empêchement.

C'est la première œuvre, et la plus difficile, de l'adeptat.

Entre toutes les sujétions qui composent ici-bas le servage de l'homme le tribut
sexuel mérite une mention à part.

Le despotisme dont il témoigne est d'autant plus significatif de notre


déchéance, qu'à tout prendre, ce n'est point chose matériellement impossible que
d'y contrevenir. La faim, la soif, le besoin de sommeil ont cela de brutalement
inéluctable, qu'on encourt la mort à leur refuser satisfaction périodique; toute la
résistance qu'on y peut faire, c'est de réduire ail moins, le plus des concessions
forcées. Il est donc loisible au sage de restreindre l'exigence de ces tyrans et de
régler l'impôt quotidien qu'ils, prélèvent: nullement, d'en abolir en soi la norme
assujettissante; tandis qu'avec une bonne méthode d'entraînement et beaucoup
de volonté, le sage se rendra maître de l'instinct sexuel.

Cet instinct repose pourtant, comme les autres besoins somatiques, sur une
fonction spéciale de l'organisme. C'est assez dire que lui dénier à jamais toute
satisfaction serait une imprudence grave; bien plus, un outrage à la Nature: et nous
avons mentionné les multiples périls d'une continence absolue. Mais l'homme peut
se soustraire au joug sexuel, en ce sens qu'au lieu d'obéir à la chair, il lui
commandera, et lui imposera même silence durant une période indéfiniment
extensible.

Il est bien puissant alors, ayant réalisé en lui la condition du grand œuvre
ésotérique. Il a triomphe à la fois d'une exigence physiologique de son organisme,
et déjoué l'embûche de la Vertu démiurgique qui lie l'esprit à la matière. Dans
l'occulte séduction qu'il a vaincue, gît l'essence même de Maïa, la grande Illusion,

 

14


 

dont la permanence fait toute la réalité de l'univers physique.

Telle se dévoile la véritable raison, ou du moins la principale, qui légitime ces


prescriptions de continence, si fréquentes à toutes les pages des Rituels, magiques
ou sacerdotaux. Le prêtre ou l'épopte, avant de franchir la frontière des mondes au
delà,, doivent avoir maîtrisé la chair, non point que « l'innocence soit agréable au
Seigneur » ni que « le Très-Haut se courrouce » d'un acte congruent à l'ordre actuel
des choses et à l'économie de la Création; le prêtre ou l'initié le doivent pour des
motifs très précis, oserons-nous dire, de positivisme transcendental. C'est en passant
dans la lettre morte, que ces préceptes ont revêtu le caractère de sentimentalisme
piétiste qu'on leur connaît aujourd'hui.

Il en fut de même pour 1’abstinence de certains aliments, prescrite dans la


période de préparation à quelques œuvres mystiques.

Nous avons insisté plusieurs fois dans nos ouvrages sur la vertu magnétique du
sang, et subsidiairement de la chair qui s'en trouve imprégnée. Le sang attire les
Larves et les génies néfastes, avides d'acquérir, par cela même qu'ils s'en abreuvent,
la force de se manifester un instant sur le plan objectif. C'est pourquoi les juifs,
obéissant au précepte de Moïse, ont en abomination toute viande qui n'est pas
rigoureusement exsangue. Quant à la défense solennelle de goûter à la chair des
animaux immondes, desquels le Pentateuque fournit la minutieuse nomenclature,
cette proposition semble justifiable à la lumière d'un autre arcane, bien connu des
hiérophantes de la gentilité.

« Les Théologiens (dit Porphyre) ont observé avec une grande attention
l'abstinence de la viande. L'Egyptien nous en a découvert la raison, que
l'expérience lui a voit apprise. Lorsque l'âme d’un animal est séparée de son corps
par violence, elle ne s'en éloigne pas, et elle tient près de lui. Il en est de même des
âmes des hommes qu'une mort violente a fait périr; elle reste près du corps: c'est
une raison qui doit empêcher de se donner la mort. Lors même qu'on les animaux,
leurs âmes se plaisent auprès des corps qu'on les a forcées de quitter; rien ne peut
les en éloigner; elles y sont retenues par sympathie; on en a vu plusieurs qui
soupiroient près de leurs corps. Les âmes de ceux dont les corps ne sont pas en
terre, restent près de leurs cadavres: c'est de celles-là que les Magiciens abusent
pour leurs opérations, en les forçant de leur obéir, lorsqu'ils sont les maîtres du corps,
ou même d'une partie. Les Théologiens qui sont instruits de ces mystères... ont avec
raison défendu l'usage des viandes, afin que nous ne soyons pas tourmentes par
des âmes étrangères, qui cherchent à se réunir à leurs corps, et que nous ne
trouvions point d'obstacles de la part des mauvais genres en voulant nous
approcher de Dieu.

« Une expérience fréquente leur a appris, que dans je corps il y a une vertu
secrète qui y attire l'âme qui la autrefois habité. C'est pourquoi ceux qui veulent re-
cevoir les âmes des animaux qui savent l'avenir, en mangent les principales parties,
comme le cœur des corbeaux, des taupes, des éperviers. L'âme de ces bêtes entre
chez eux en même tems qu'ils font usage de ces nourritures, et leur fait rendre des
oracles comme des Divinités15 ».

Cette citation de Porphyre semble piquante et instructive bien que l'absolutisme


des termes où elle s'énonce confine à la naïveté. Les théosophes d'Alexandrie
outrepassaient fréquemment la Vérité, par le fait d'une intransigeance fort en
désaccord avec leur éclectisme; — intransigeance qui s'affichait d'ailleurs bien plus
15 Porphyre, de l'Abstinence, traduction Burigny, 1767, pages 153-155


 

15


 

dans l'expression que dans la doctrine. Au reste, il n'est pas douteux que cette
proposition assez suspecte, des « animaux qui savent l'avenir » et dont la chair « fait
rendre des oracles », ne fût presque universellement reçue dans la tradition
exotérique des sanctuaires. L'Aruspicine, l'Ornithomancie et les autres pratiques
augurales des nations furent-elles jamais autre chose que des arts occultes
dégénérés, en passant des mages de la Science secrète aux prêtres du culte ex-
térieur?

Quant au surplus des opinions de Porphyre, la Haute Magie a toujours enseigné:


— 1° que le sang attire Larves et Lémures, qui s'en abreuvent et lui empruntent la
virtualité passagère de se rendre visibles; — 2° qu'un lien secret rattache les âmes ré-
cemment désincarnées a leur dépouille matérielle,, en sorte qu'on puisse attraire ou
même évoquer ces âmes, par des opérations magiques célébrées sur les cadavres;
— 3° qu'à se nourrir habituellement de la chair d'un animal, on risque de s'approprier
dans une certaine mesure, les passions et les instincts dominants qui faisaient le fond
de son naturel. Ainsi, celui-là contracterait une tendance à l'hypocrisie, à la cruauté,
à la luxure, qui consomme à son ordinaire la viande d'animaux rusés, ou féroces, on
lascifs par tempérament.

Tel est sans doute le secret mobile qui détermina Moïse à interdire la chair d'un
certain nombre de créatures vivantes, frappées dans leur forme extérieure des
stigmates du mauvais principe. Car il est très remarquable que le Législateur des
hébreux, fonde nettement, sur la théorie des signatures naturelles, sa distinction
dogmatique entre les espèces pures et impures.

Consultez sur ce point la doctrine ésotérique des nations païennes, dont l'érudit
Quantius Aucler s'est fait, à la fin du siècle dernier, le scrupuleux, organe, — et vous
y verrez peu de différence.

La justification des préceptes de continence et d'abstinence, inscrits aux rituels


sacerdotaux ou magiques nécessiterait, pour être complète, des développements
à tenir tout un volume. Les exigences de notre cadre nous astreignent à de
nombreuses réticences: nous posons surtout les principes: pour l'application, le
Lecteur pourra consulter les ouvrages spéciaux, qui ne manquent pas.

La lettre morte, s'emparant du régime rationnel des abstinences, l'a enlisé sous
un arbitraire amoncellement de réglementations puériles et de prohibitions
excessives. De là provient le célibat ecclésiastique, dont le principe, essentiellement
d'exception, comme ailleurs nous l'avons dit, ne devait se voir généralisé à aucun
litre. De la découle l’obligation des jeûnes et des abstinences, périodique pour les
fidèles, permanente à l'usage d'un grand nombre de religieux et de moniales
(Chartreux et Trappistes, Bernardines, Clarisses et Carmélites» etc. D'équivalentes
austérités se pratiquent partout, chez les Derviches mahométans et les Fakirs de
l'Inde; car, dans toutes religions comme à toutes époques, le culte extérieur a
corrompu l'esprit de la Science secrète, à l'égard des abstinences et de leur usage
normal, fondé sur les exigences passagères des œuvres mystiques. Le sacerdoce a
toujours universalisé ce régime d'exception, en faisant un pieux mérite de ce qui
n'était qu'une condition pour réussir, et en promulguant la doctrine sentimentale et
foncièrement erronée, — nous allions mettre scandaleuse, — des « sacrifices
méritoires » et des « mortifications agréables à Dieu »

Chacun sait quelle importance Pythagore, — ce grand génie de l’Esotérisme, —


attribuait au choix des aliments; les Vers dorés de Lysis en témoignent et le
commentateur Hiéroclès nous en détaille les motifs. Le principal avait trait à


 

16


 

l'élaboration du corps spirituel ou « char subtil de l'âme », dont la genèse,
compromise par une alimentation défectueuse, peut être favorisée par un régime
convenable.

Sans nous attarder à la confusion que nous signale chez les Pythagoriens mêmes,
entre le corps astral périssable et la forme glorieuse qu'ils nommaient le char subtil,
— observons que la faculté plastique, leur matrice à l'un comme à l'autre, ne peut,
dans la condition terrestre, faire éclore la forme immaculée, qu'à mesure que la
forme astrale s'élimine. C'est ce double labeur, inversement proportionnel, que le
sage exécute pendant sa vie terrestre, en vue d'une délivrance immédiate et du re-
tour à l'essence, dès que celle vie aura cessé. Il obtient ce résultat, dit Hiéroclès, par
l'épuration progressive et parallèle de l'âme et du corps lumineux. L'âme se sublime
en acquérant la science, et le corps lumineux en se purgeant des souillures con-
tractées dans son union avec le corps matériel. La première condition de cette
purification consiste en un régime approprié, qui proscrit tous aliments impurs.

Moïse, qui donne une classification si minutieuse des animaux mondes et


immondes, ne semble avoir étendu cette nomenclature aux exemplaires des
règnes végétal et minéral.

Pythagore avait à coup sûr comblé cette lacune, en faveur de ses initiés; mais il
n'en reste exotériquement que certains préceptes, formulés en sentences
énigmatiques. Exemples:— «Fabis abstine — Herham molochinam fere, ne tamen
edas ». Le premier de ces préceptes, qui interdit l'usage des fèves, prouve que cette
nomenclature, demeurée occulte, était basée, comme celle du Pentateuque, sur la
théorie des hiéroglyphes naturels. C'est que (nous dit Àucler, tardif interprète d'une
antique tradition pythagoricienne), « les fèves font lire sur leurs fleurs les portes
mêmes de l'Enfer »,

Les produits dangereux des trois règnes portent inscrit dans leur forme extérieure
l'aveu de leur malice latente. Quel naturaliste assez sourd au langage muet des
choses le contestera? La physionomie révélatrice des vertus bonnes ou mauvaises,
est une réalité sur chaque échelon de la vie ascendante. Du bas en haut la noirceur
des âmes transparait sur les visages. Tout Caïn porte un signe au front.

L'aspect du poulpe et du scorpion, de la hyène et du crocodile dénonce leur


nature; évoquant la crainte et la nausée tout ensemble, ces monstres dégagent
une avertissante horreur. Il n'y a point à s'y méprendre. D'autres bêtes meurtrières
n'inspirent que l'effroi, chez qui le stigmate de la violence n'exclut pas une allure
noble, parfois une réelle beauté; tels les grands félins, lion, tigre ou panthère; tels
oiseaux, de proie, aigle, épervier, grand-duc et condor. Ils portent l'estampille de
la férocité, plus que de l'ignominie; mais tout, dans leur figure et dans leur geste,
tout dit à l'observateur: garde-toi! Les exemplaires dangereux du règne végétal
n'ont pas un aspect plus trompeur, pour qui sait observer et voir. Elancées, ou
bien courtes et trapues, les Solanées vénéneuses ne savent point mentir: l'avertis-
sement est dans leur port, dans leur feuillage, sombre ou blême. Voyez la
Belladone, la Mandragore et le Datura: fleurs livides, pommes épineuses ou baies
fades. Observez la Jusquiame aux feuilles velues et dentelées, à l'odeur vireuse et
répulsive: quelle menace éloquente sur les lèvres de ses corolles ! — Les
Ombellifères toxiques n'ont pas un air plus engageant. Les Ciguës épanouissent
un feuillage agressif; des macules de pourpre ensanglantent leur tige; la Ciguë
vireuse répandent, quand on les brise, un suc jaunâtre comme du pus. Toutes ces
plantes se décèlent malfaisantes par la fétidité de leur haleine. — Des
Euphorbîacées, sinistres à la vue, gicle à la moindre égratignure un lait corrosif. —


 

17


 

Issues de deux familles très distantes, la Sabine et la Rue trahissent diversement,
par leur physionomie antipathique et le relent qu'elles dégagent, leur emploi
d’antiques avorteuses. — Les roides dentelures de l'Aconit, d'un vert presque noir
et livide par en dessous, - encadrent bien la fleur élégante et triste, d'un bleu
vénéneux d'azotate de cuivre. — La Digitale pourprée est aussi singulièrement
lugubre, en dépit de ses charmes: sa feuille gaufrée, sombre et poilue n'im-
pressionne pas moins que le tigridement interne de ses corolles. — Le Colchique
d'automne montre à niveau du sol sa leur violacée, sans tige ni feuillage: c'est la «
veilleuse « des deuils prochains. L'Arum obscène étale sous bois son phallus
malade, d'un lilas maculé. — La Renoncule scélérate rampe à terre et se cache
à demi sous l'herbe et la mousse, comme un serpent. D'autres végétaux mortels
affectent une allure moins cynique, une physionomie plus composée; mais à les
étudier en détail, ils portent tous des stigmates de réprobation.

Il n'est pas jusqu'au règne minéral, moins expressif en faveur de l'homme, parce
qu'il s'éloigne davantage de lui, où le déchiffreur de signatures spontanées ne
puisse découvrir les caractères bénéfiques ou maléfiques, et lire sur les écorces les
propriétés des essences. La cassure des minéraux les formes cristallines et leurs
modes de groupement, les couleurs, la saveur, l'odeur même sont autant d'indices.
Demandez au minéralogiste, si des échantillons de laboratoire savent refuser à son
instinct l'aveu tacite de leurs propriétés, avant même qu'il en ait fait l'épreuve!

Naguère encore, la toxicologie participait sciences occultes, moins peut-être à


cause du fari nefas, que parce que les seuls intuitifs s'y rendaient experts, guidés par
la lecture des hiéroglyphes naturels, autant et plus que par l'expérience proprement
dite. Les livres sur le discernement des poisons étaient rares alors, et souvent
mystificateurs. Pour acquérir cette doctrine maudite, il fallait aller de l'avant et payer
de sa personne. Mais la toxicologie, telle que nous l'entendons aujourd'hui, n'était
qu'une section de la science des venins, comme elle était enseignée dans les
cryptes de l'antique Esotérisme, Tous les initiés du vieux monde, — Moïse et
Pythagore en particulier, — pensaient que la gnose des poisons ne se limite pas à
ceux qui détruisent la santé physique. Comme il y a des substances nuisibles ou
malsaines pour le corps, il y aurait selon leur dire, éparses dans les trois règnes, des
substances non moins funestes pour l'âme et pour l'esprit. Théorie singulière, mais qui
ne répugne en rien à la logique de leur doctrine: car, en conséquence de la chute,
les trois mondes se pénètrent par intersections de plans, et trop souvent se
confondent. En vertu de cette théorie, ces théocrates prohibaient l'usage de
certaines viandes tenues pour très saines de nos jours, et même de substances
végétales, qui, telles que les fèves, comptent parmi nos légumes les plus appréciés.

Les docteurs contemporains classent bien certains produits sous la rubrique de


poisons de l'intelligence ou de la volonté; mais en tant qu'ils peuvent, ou léser les
organes matériels par quoi ces facultés se manifestent, ou provoquer des troubles
physiologiques immédiatement appréciables. — ce n'était pas le point de vue des
anciens sages, pour qui le corps astral, ce lien régulateur des vies, cet intermédiaire
entre l'homme-essence et l'homme matériel, constituait une réalité perpétuellement
à la merci de leur subtile analyse. Ils classaient les produits de la Nature, soit
médicamenteux ou simplement alimentaires, d'après l'action non pas apparente et
manifestée, mais interne et profonde, que ces produits exerçaient sur le médiateur
plastique.

Ainsi, guidés à priori par l'indication des signatures spontanées» dont la langue
leur était familière, et s'étayant à posteriori du contrôle que leur offrait l'étude du
corps astral — appareil de précision susceptible de s'affiner ou de pâtir, selon le


 

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régime auquel est soumis le corps matériel, — les Adeptes avaient pu établir une
nomenclature des êtres et des choses sous la double rubrique de pur et d'impur,
c'est-à-dire de faste ou de néfaste à la triple santé physique, morale et intellectuelle
de l'homme.

C'est en modifiant le corps astral, que le plus grand nombre des substances
assimilées au corps physique réagissent durablement sur lui; exceptons celles dont
l'action est mécanique, donc immédiate, non point physiologique et partant
médiate.

Le corps astral est sujet à s'appesantir ou à se subtiliser, premier point qui requiert
surveillance. Il est sujet ensuite à s'amalgamer des Larves et des âmes animales, qui
n’épaississent pas seulement sa substance, mais en quelque sorte la dénaturent. Les
lecteurs du prochain chapitre sentiront l'importance capitale de cette possible
altération du périsprit.

Enfin nous avons déterminé, dans une note ci-dessus, comment l'acquisition dès
ici-bas du corps de gloire (ou char subtil de l'âme) se trouve subordonnée à la
résorption progressive et lente du Périsprit dans le corps visible: voilà le grand œuvre
d'immortalité, dont l'homme est à la fois la matière, l'œuf philosophai et l'athanor,
tandis que sa Volonté fait l'office du feu secret.

Cette mystique et sublime chrysopée de l'enveloppe lumineuse requiert, pour


atteindre sa perfection, fin régime d'une exceptionnelle sévérité; car la for me
astrale subit les contre-coups d'une alimentation défectueuse. Sa substance alors
s'épaissit: trouille de mélanges étrangers et lourde d'acquisition lémurienne, elle
s'acoquine bien à l'organisme matériel, en s'homologuant avec lui: mais elle ne sau-
rait plus, — telle une liqueur subtile, — imprégner «et organisme jusqu'à saturation; ni
le quintessencier ensuite, en lui faisant éliminer à mesure ses grossières molécules.

Ainsi s'expliquent les variables degrés d'abstinence prescrits à l'initié, selon l'œuvre à
quoi il se consacre, et tel se justifie le régime scrupuleux imposé par les anciens
Sages au postulant du suprême réalisable sur la terre: celui de l'auto-création qui
aboutit à l'apothéose posthume.

S'il fallait énumérer et répartir normalement les produits de la Nature, selon


qu'assimilés au corps de l'homme, ils exercent sur son âme, son esprit, sa volonté ou
ses instincts une influence répercussive, à peine un traité spécial y suffirait-il.

Le Lecteur trouvera, disséminés au tome précédent, des notions intéressantes et


généralement peu connues, sur les propriétés occultes de quelques productions des
règnes inférieurs; nous n'y reviendrons pas ici. Nous avons tout lieu de croire que ces
renseignements ont été appréciés pour curieux, et instructifs; car on y a largement
puisé: nous avons eu le plaisir de relire notre prose sous la signature de tels de nos
confrères, qui nous ont fait l'honneur d'emprunts textuels ; il n'y manquait que des
guillemets et l'indication d'origine du texte qu'ils avaient transcrit...

Pour peu - qu'on veuille réfléchir à ces secrètes propriétés des simples sur les
facultés supérieures de l'homme, on conviendra que ce sont autant de symptômes
dénonciateurs de l'esclavage hominal en ce bas monde, puisque ces vertus
impliquent une sujétion au moins indirecte de l'intelligence, du vouloir de la
sensibilité, au despotisme de la matière.

L'esclavage magique, tel que l'homme est coutumier de le souffrir ici-bas se


conçoit quadruple et peut se formuler: élémentaire, hyperphysique, hominal, enfin

 

19


 

spirituel.

I — L'esclavage élémentaire, sur quoi nous avons insisté, s'affirme la


conséquence fatale de l'incarnation. L'âme humaine, engloutie dans la matière
subit toutes les exigences de l'organisme charnel et toutes les séductions de
l'illusoire Maïa: celle-ci déploie les prestiges de sa magie fantasmagorique, pour
appesantir davantage sur la créature déchue le joug de la Nature naturée,

II — L'esclavage hyperphysique apparaît la résultante du Karma terrestre; son


instrument principal est l'habitude. On sait comment les images astrales qui peuplent
le nimbe individuel et constituent par leur enchaînement les archives des pensées,
des volitions, des actes de chacun, réagissent sur celui qui leur a donné naissance,
et l'inclinent à persévérer dans sa voie. L'initiative est enchaînée d'autant, et c'est
ainsi que, limitant l'essor du libre-arbitre, le passé d'un être commande son avenir
dans une très notable mesure.

III — L'esclavage hominal résulte de l'aliénation


de l'Ascendant individuel, au profit d'un autre individu, ou d'une collectivité
humaine. Notre Public sait ce que nous entendons par ces termes. L'aliénation peut
être partielle et passagère, ou totale et définitive. C'est le magnétisme (soit qu'on
l'exerce en mode instinctif ou conscient» ouvertement ou par des procédés
clandestins) qui se révèle l'instrument principal de cet ordre d'esclavage.

IV — L'esclavage spirituel, enfin, consiste dans la sujétion d'un homme à une


Puissance invisible, qui le domine, l'obsède ou le possède, comme on n'en voit que
trop d'exemples. La médianité est la forme la pins ordinaire qu'affecte ce genre de
servitude.

Nous dirons quelque chose de ces modes divers que revêt l'esclavage magique.

La répartition que nous en avons proposée peut servir de III d'Ariane dans le
labyrinthe d'influences qui se croisent et s'enchevêtrent sur le sentier de l'initiative
humaine, et qui tantôt entravent celle-ci et tantôt la dénaturent. Toutefois pareille
classification ne rime à rien d'exclusif, comme on va le voir par deux exemples.

Les magiciens, pour seconder leurs manœuvres, magnétiques, mettent souvent à


contribution les secrets de la Magie naturelle: ils savent d'autant mieux appesantir
sur autrui les entraves de l'illusoire Maïa, qu'eux-mêmes ont mieux réussi à s'y
soustraire. La servitude qu'ils infligent à leur prochain rentre ainsi dans la première et
la troisième catégorie tout ensemble. — D'autre part, il est souvent difficile de
marquer la frontière entre les phénomènes dépendant de la seconde et de la
quatrième rubrique. Le jeu des passions humaines, en effet, aboutit à générer dans
le nimbe individuel de véritables Puissances invisibles; l'homme peut même évoquer,
par sympathie et sans le savoir, des Esprits qui désormais s'attacheront à son destin.
De leur côté, les Etres spirituels, parvenus à s'emparer d’un homme, n'ont garde
parfois de lui rendre sa dépendance manifeste et de paraître à ses regards: ils
n'influenceront leur esclavage incarné que par d'anonymes suggestions, ou en
faisant surgir, au miroir de son translucide des images astrales qu'il, puisse prendre
pour les reflets de sa propre pensée.

Des deux premières formes qu'affecte le servage magique nous avons


suffisamment discouru. Les pages précédentes ont décrit les entraves dont le Destin
de la Nature matérielle nous charge et nous empêche, dès le ventre de nos mères.
Quelques chapitres plus haut, les Mystères de la Solitude avaient donné à entendre


 

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combien l'atmosphère individuelle de chacun, toute hantée des vivants reflets de
ses concepts, de ses passions et de ses rêves, réagit sur l'intelligence, sur l'âme et
l'imagination qui ont donné l'être à ces fantômes: si bien que, pour borner l'initiative
de tout homme ici-bas, son futur psychologique se décalque le plus possible sur te
modèle de son passé.

On peut dire que la troisième forme (esclavage hominal) implique virtuellement


les trois autres. C'est que l'homme, placé sur la frontière des mondes physique et
spirituel, participe à l'un par son corps, à l'autre par son âme; à tous deux, son corps
astral sert de « médiateur plastique », pour faciliter les transitions. Ainsi l'homme, actif
sur tous les plans, peut se servir tour à tour, et même à la fois, des divers instruments
qu'il y rencontre. Rien n'apparaît donc variable et complexe comme la domination
qu'il est capable d'acquérir sur son prochain, et dont les pratiques du magnétisme
nous offrent le type le plus ordinaire et le plus frappant.

D'abord, — et c'est la magie psychique dans toute sa pureté, — rame peut agir
directement sur l'âme, au mépris des distances; elle peut la dominer, la contraindre
et même la frapper de paralysie, pour se substituer à elle.

On sait que les âmes humaines, encore qu'originellement égales, puisqu'elles sont
d'identique essence, ont subi, en fait, un développement plus ou moins poussé; nous'
en avons fait connaître ailleurs la loi régulatrice. Elles se sont accrues ou amoindries,
fortifiées ou débilitées, selon que le Vouloir, instrument de leur élaboration, les a
sublimées dans le royaume de l'intelligence, ou ravalées dans le domaine de
l'instinct. Cette alternative, qui pose la condition de la perfectibilité des âmes, ou de
leur déclin, dénonce en même temps la raison de leur inégalité présente.

Ces différences animiques favorisent le phénomène de la substitution de


personnalité, — un mode supérieur de magnétisme qui n'est connu et pratiqué, en
occident, que d'une élite d'expérimentateurs psychologues, et généralement
confondu avec la suggestion pure et simple.

Quelle différence, pourtant!

Suggérerf c'est faire naître, par un moyen ou par un autre, dans le cerveau d'un
sujet (éveillé ou endormi), une pensée d'origine étrangère, — pensée potentielle, ou
non; soit d'un acte, soit d'une série d'actes à accomplir. N'est-ce point la définition
la plus large de ce phénomène, tel que le conçoivent et se l'expliquent, ou du moins
cherchent à l'expliquer, les savants officiels? Nous reviendrons sur cette manière de
voir, en vue de la contrôler et de l'éclaircir, au flambeau de l'Occultisme.

Se substituer à un sujet, c'est exproprier l'organisme d'autrui, au triple point de vue


de la volonté, de l'intelligence et du sentiment, pour y installer son propre vouloir,
son propre penser, son propre sentir, aux lieu et place des mêmes facultés qu'on
déposséda. Celles-ci semblent dès lors frappées de léthargie, sinon en elles-mêmes
du moins dans leurs fonctions corporelles, c'est-à-dire dans le rapport qui les liait à
l'organisme. C'est à un étranger que cet organisme obéira, pendant toute la durée
de cet état extraordinaire. Disons mieux: le corps du sujet ne sera pas seulement
soumis à l'expérimentateur, mais c'est l'expérimentateur lui-même qui agira, dans ce
corps et par ce corps exproprié.

Il agira même à distance, pourvu qu'ayant établi au préalable le contact


sympathique, une invisible chaîne de communication rattache sa personne à celle
du sujet, qu'il se propose d'envahir. Absent, il possédera le sujet par le seul acte de


 

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sa volonté lointaine, et sans une parole et sans un geste, il le fera parler et se
mouvoir.

Pareille puissance, rare en occident et presque ignorée des savants européens,


n'en est pas moins cultivée et connue des orientaux, nommément aux Indes, où
tant de pandits et même de fanatiques procèdent à l'entraînement du fakir, par
des exercices quotidiens à peine croyables: ils pratiquent ainsi le
développement, l'éducation, l'essor ubiquitaire de la volonté; c'est quelquefois
au détriment de l'intelligence, et par là de la liberté véritable, toujours
proportionnelle à la spiritualisation du vouloir humain.

Le prodige de la substitution psychique n'a point échappé à Jules Verne, cet


ingénieux conteur doublé d'un érudit, dont l'œuvre restera comme les Mille et une
Nuits de la Science exacte. Il a crayonné dans Matthias Sandorf l'esquisse du
phénomène en question, et ses lecteurs n'ont pas oublié l'audacieux enlèvement du
traître Carpena, que le Dr Antékirtt, simple visiteur du bagne de Ceuta, possède,
animer et meut à distance: il le fait choir, à point nommé, du haut d'une falaise dans
la mer, où une embarcation le recueille. Pour tous les fonctionnaires du préside, le
bandit s'est noyé; les courants ont emporté son cadavre au large... L'escamotage
passe pour un accident, et tout est dit.

Une variété beaucoup moins rare du. « Magnétisme » humain, consiste dans la
suggestion proprement dite.

Nos Lecteurs savent déjà que « toute pensée humaine survit comme une
intelligence active, comme une créature engendrée de l'esprit, pendant une
période plus ou moins longue, et proportionnelle à l'intensité de l'action cérébrale
qui l'a générée ». Ce sont lès propres paroles de Koot-Hoomi : nous les préciserons
encore, en ajoutant que ces êtres potentiels se perpétuent, vivaces et persistants,
en raison directe du verbe volitif, conscient ou obscur, qui a présidé à leur émission.
En effet, le Concept, dynamisé par le vouloir du penseur, se vivifie en se combinant
avec un Elémental de grade variable, mais toujours en affinité avec l'essence du
concept.

Si la volition génératrice est consciente, il est loisible à l'émetteur, non seulement


de dégrossir, de corriger et d'affiner en quelque sorte l'Etre spirituel qui s'engendre
ainsi, mais encore de le modaliser à sa guise, en le douant de propriétés
particulières, ou de virtualités qui se développeront ultérieurement, soit d'une
manière soudaine, soit d'une façon lente et progressive.

On se gardera de confondre ces créations préméditées et voulues du Verbe


humain, avec les Larves et les Lémures proprement dits, qui se génèrent
abondamment, comme on sait, au hasard aveugle des passions surexcitées ou
satisfaites. Nous avons été assez explicite, à l'égard de ces distinctions.

Quoi qu'il en soit des Puissances très diverses dont l'homme peuple son sillage
astral et grossit son Karma terrestre, elles ont cela de commun, qu'elles sont
transmissibles d'un individu à l'autre, — et là se fonde le principe, communément
ignoré, de toute suggestion...

Nous avons vu comment Lémures, Images astrales et Concepts vitalisés, réagissent


sur leur auteur, soit qu'ils hantent son nimbe occulte (mode indirect), soit qu'ils
s'assimilent à sa substance psychique (mode immédiat). — Ces entités peuvent de
même, à condition que le vouloir humain s'y emploie, passer dans l'atmosphère


 

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astrale d'un autre individu; et, qui plus est envahir son être intime et porter
l'antagonisme en lui. Obsession externe ou possession intérieure. La suggestion n'est
rien autre que l'acte de faire pénétrer, soit dans le nimbe, soit dans la substance
psychique d'une autre personne, quelqu'une de ces entités de hiérarchie plus ou
moins haute, qui, résultant du fonctionnement instinctif, ou passionnel, ou mental de
l'expérimentateur, ont été dynamisées par sa volonté, consciente ou non. Les
contrastes qui différencient de tels êtres parasitaires expliquent d'ailleurs la diversité
des suggestions, soit en nature, soit en puissance, soit en durée.

Le phénomène auto-suggestif ne se distingue du phénomène de la suggestion


transmise, que par l’intra-genèse des Pensées vivantes, par opposition à leur extra-
genèse et à leur transfert d'un individu à un autre.

Nous invoquerons la gravité de ces notions, et la dangereuse portée de leurs


conséquences pratiques, pour excuse de nous maintenir, ici du moins, dans l'aridité
des définitions abstraites.

Les théoriciens de l'hypnotisme s'abusent étrangement sur la cause et les


conditions latentes du phénomène suggestif, dont ils ont, à la faveur d'une si
patiente et minutieuse analyse, déterminé le mécanisme apparent.

Sur le rôle secondaire du sommeil provoqué, relativement au fait capital de la


suggestion, les auteurs avertis et compétents en ces matières tombent aujourd'hui
d'accord.

Le phénomène de l'hypnose offre, à ses différents degrés, une foule de


particularités physiologiques d'un haut intérêt; il peut sans doute, au point de vue
thérapeutique, mériter les honneurs du premier plan; enfui il est hors de conteste
que, chez la plupart des sujets Je sommeil favorise le développement de la
suggestion. Aux divers stades de l'hypnose, le sujet semble présenter au façonnage
suggestif une glaise plus malléable à pétrir. Cela dit, il n'en est pas moins certain que
la suggestion réussit à merveille sur des sujets parfaitement éveillés; du reste, à en
croire les savants modernes qui rejettent l'hypothèse du fluide, le sommeil artificiel ne
s'obtient lui-même que par l'effet d'une suggestion, exprimée ou tacite... Le
phénomène suggestif n'implique donc pas nécessairement comme condition celui
de l'hypnose,

À tout instant de la vie courante, les pratiques suggestives s'exercent dans les
relations d'homme il homme, presque toujours à l'insu de celui qui émet la
suggestion, aussi bien qu'à l'insu de celui qui la subit.

S'il suffisait, pour imprimer une suggestion dans l'esprit d'un autre individu,
d'émettre un conseil à son adresse ou même de lui intimer un ordre, tous les avis
seraient reçus en bonne part, d'où qu'ils vinssent; tous les ordres seraient obéis. Nous
voyons chaque jour qu'il en est autrement.

— Mais les hommes, nous objectera-t-on, se révèlent plus ou moins dominables;


les idiosyncrasies morales diffèrent entre elles par une réceptivité plus ou
moins grande à l'influence suggestive, comme les tempéraments physiques
se distinguent par leur variable susceptibilité à l'action physiologique des
médicaments.

— Il est facile de répondre, qu'en vérité, s'il en était ainsi, Pierre, très accessible et
très malléable à l'influence suggestive de Paul, obéirait de même aux


 

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suggestions toutes pareilles qui lui viennent de Jean, et ne diffèrent ni par
l'idée émise, ni par l'expression qui la traduit. Pierre, en effet, très sensible (ou
très réfractaire) à l'action du sirop de Chloral, ingéré a dose constante, ne
subira-t-il pas cette action également intense (ou négligée), que la drogue
provienne de telle ou telle pharmacie ?

— Sans doute, répliquera notre adversaire; et il en serait de même encore


pour des granules, par exemple: parce que le Chloral sont des substances fixes et
nettement définies. Mais prenons, s'il vous plaît, la teinture d'Aconit, sujette à de
nombreuses variations qualitatives selon le climat où la plante a poussé, la date et
les conditions de la récolte, le point de siccité des feuilles lors de leur macération
dans l'alcool, la qualité même de l'alcool employé, etc. Telle suggestion, dites-vous,
efficace sur Pierre à la voix de Paul, a totalement échoué sur lui à la voix de Jean:
elle ne différait pourtant ni par l'idée ni par l'expression. De même cette teinture ne
diffère, d'une officine à l'autre, ni par la plante qui en fournit la base, ni par le
véhicule approprié; quant à la façon, -le Codex en règle minutieusement les détails.
L'action n'en sera pas moins variable sur le même organisme, selon que la drogue
aura été préparée en des conditions favorables ou médiocres, et par un
pharmacien soigneux ou négligent. Cela est si vrai, que les praticiens ont presque
délaissé celle préparation peu fidèle. Ils lui préfèrent l'emploi du principe actif, de
l'alcaloïde, de l'Aconitine enfin, administrée à d'invariables degrés de trituration,
comme à des doses précises...

— Il est bien certain qu'analogie n'est pas similitude, comme dit Molière, et que
notre comparaison, reprise sous ce nouvel aspect, semble donner gain de cause
au contradicteur que nous avons introduit. A vrai dire, nous ne sommes pas loin de
nous entendre...

Les suggestions varient de qualité, quoique identiques en apparence, quant à la


pensée et à l'expression» c'est-à-dire quant au fond et à la forme. En dépit de cette
double parité, le fait est qu'elles se révèlent efficaces ou sans vertu sur le même
sujet, suivant la source d'où elles émanent.

De ces prémisses, il faut nécessairement conclure que dans la suggestion,


formulée ou tacite, il y a autre chose qu'une simple idée, exprimée ou signifiée. Il y a
une force.

Derrière l'idée transmise, palpite une Energie vivante qui, inséparable de cette
idée, l'anime et l'évertue. C'est le Daïmon, l'être potentiel dont nous parlions tout à
l'heure. Il obsédera ou possédera la personne, dans l'atmosphère ou dans le centre
psychique de laquelle il sera transféré. Le « fluide magnétique » sera l'instrument,
l'intermède, le véhicule de ce transport.

Pour qu'une suggestion réussisse, il est nécessaire:

1° Que la pensée qui en fait la base soit vitalisée, autant dire doublée d'une âme
vivante, de hiérarchie plus ou moins haute, de volonté plus ou moins intense^ de
nature plus ou moins éphémère ou consistante, — et qui agira diversement, selon
son grade originel et ses destinées, conformes aux intentions de son créateur
adamique.

2° II faut que la volonté du « suggéreur » surpasse en énergie, en décision, en


autorité celle du patient; ou du moins, qu'elle s'exerce plus active que la sienne, à
'l'heure où le phénomène s'accomplit. Exceptionnellement à supposer que le sujet


 

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consentant se maintienne en état de réceptivité passive, une suggestion peut lui
venir d'un homme dont le vouloir serait inférieur au sien,

3° II importe que le rapport fluidique soit établi d'avance entre l'agent et le


patient, L'influx magnétique (manifeste ou non par des passes, ou par toute autre
pratique mesmérienne) constitue le véhicule habituel de la pensée vitalisée, le canal
dont elle a besoin pour que s'effectue son transfert, de celui qui émet la suggestion
à celui qui la reçoit.

Le sommeil, qu'en principe il n'est pas indispensable de provoquer chez un sujet


pour le rendre accessible à la suggestion, — n'en favorise pas moins ce
phénomène, dans la plupart des cas.

On peut voir dans l'hypnose, à ses divers degrés, le résultat d'une sorte d'ivresse
astrale; le somnambule cuve, en dormant, la lumière magnétique qu'il a digérée en
excès. Car il ne suffit pas, pour endormir un sujet, de projeter une certaine quantité
de fluide vers lui, avec l'intention de le frapper de sommeil: il faut encore que le
médiateur plastique de cet individu assimile ce fluide et le digère. Et comme il est
loisible à la volonté de l'homme d'influer sur son propre corps astral, afin de le rendre
réceptif, ou de le maintenir impénétrable et rebelle aux influences du dehors, il en
résulte que, les premières fois surtout, un magnétiseur ne peut endormir un sujet que
de son consentement, à moins que le praticien n'abuse d'un prestige inné ou d'une
supériorité volitive qui s'impose. Il se peut qu'il recoure aussi à de certaines pratiques
occultes qu'il vaut mieux taire, à des adjuvants connus et trop exploités en Goëtie...

On rencontre souvent d'ailleurs des sujets absolument réfractaires à l'hypnose.


Ce n'est pas qu'ils s'obstinent dans une volonté d'inhibition; mais, sans effort de leur
part et tout naturellement, leur périsprit demeure imperméable aux influx extérieurs.

D'autres hommes, à l'inverse, possèdent un périsprit constamment accessible à


de tels influx; en sorte que ces somnambules prédestinés deviennent la proie du
premier magnétiseur de rencontre qui voudra les endormir. Ce sont d'ailleurs de
débiles natures, qui se laissent investir et dominer tour à tour par les premiers venus,
au hasard de la vie coutumière. Esclaves nés, ils tissent de leurs mains les mailles de
leurs entraves de simples pensées, émises sans effort volitif, leur deviennent sugges-
tions, car ils sont sujets à vitaliser eux-mêmes' les concepts qui leur sont transmis. Par
bonheur, le verbe incontinent et diffusible de ces somnambules étant de virtualité
faible, les suggestions générées de la sorte ont peu d'avenir. Puis elles pullulent,
contradictoires autant qu'adynamiques, et se neutralisent ou s'abolissent
mutuellement.

Toute suggestion aboutit donc à la possession — ou à l'obsession — d'un


individu par une entité parasitaire. Mais ces entités, nous espérons qu'on l'a bien
saisi, profondément dissemblables quant à leur puissance et quant à leur durée,
diffèrent également quant au mode de la tyrannie qu'elles exercent, infinitésimale
ou complète, périodique ou continue, éphémère ou perdurable.

Un hypnotiseur suggère à son sujet qu'en ouvrant le lendemain le tiroir de son


secrétaire, il verra une mésange s'en envoler. Si l'annonce se réalise si le sujet voit ou
croit voir ce qu'on lui a prédit, c'est que l'expérimentateur a su dynamiser le
concept, et l'a transmis au sujet sous forme d'une image astrale vitalisée. Cette
image astrale, à défaut de quoi la suggestion échouerait, possède au plus bas
degré une consistance ontologique; cette image constitue un être potentiel, latent
du reste el insaisissable, jusqu'à l'heure préfixe où il se manifestera, en passant de


 

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puissance en acte. Mais là se bornent ses destins. L'entité occulte va donc mourir
dans l'instant même de sa manifestation, le rôle étant rempli que lui assignait l'acte
de volonté conscient qui avait présidé à sa naissance. — Voilà un exemple de
possession, tout épisodique et transitaire, par le fait d'un être infiniment
instable et éphémère.

D'autre part, bien des cas de folie, de monomanie, d'idiotisme, sont


des exemples de possession par le fait d'un daïmon puissant et durable.
Les lésions qu'on relève à l'autopsie des malheureux aliénés n'invalident
en rien notre théorie, car les savants contemporains se méprennent,
selon nous, qui voient en ces lésions la cause du mal : elles n'en sont
souvent que le résultat. Il ne messied point de noter au passage, que le
terme reçu d'aliénation mentale semble contenir étymologiquement un
aveu tacite bien conforme à la thèse hermétique, en ce qu'il
sanctionne la dépossession de l'organisme humain au bénéfice d'un
étranger, — alienus.

Quelquefois le despote étranger, le formidable agent possesseur qui


aliène à son profit un corps humain, dont il expulse, paralyse ou
tourmente l'âme légitime, peut être engendré d'une suggestion ou
d'une opération magique, d'un envoûtement moral.

Parfois aussi, dans certains cas décrits sous la rubrique de «


dédoublement de la personnalité », l'intrus n'est autre qu'une âme
humaine en instance d'incarnation: elle s'est introduite par surprise en
un corps passagèrement déserté du légitime possesseur. C'est durant
une phase d'hypnose ou de léthargie, que s'est consommé ce viol
mystérieux; soit encore à la faveur d'un évanouissement» consécutif à quelque
émotion foudroyante, à quelque ébranlement du système nerveux: toutes
circonstances où l'âme du sujet s'abmatérialise en astral. Fiez-vous aux
commentaires des hommes de l'art: si quelque lacune compromettait
l'enchaînement de leurs déductions, ils auraient bientôt fait de la combler avec des
mots dérivés du grec. Quant aux clichés qui satisferont le public, vous les entendez
d'ici: — « Ce pauvre X! Curieux d'expériences bizarres, ne s'était-il pas mis entre les
mains de ces charlatans de magnétiseurs? Sa raison n'a pas résisté à de telles
pratiques. » Ou encore: — « Quand le malheureux a su la mort soudaine de son
unique enfant, il est tombé en syncope; à son réveil, il était fou ! » Ou bien enfin : — «
Vous savez l'accident, arrivé à Z...? Il a fait une chute dans son escalier, et si
fâcheuse, qu'on l'a relevé sans connaissance. Il n'a pas succombé sur le coup, mais
la secousse nerveuse a été terrible: une lésion du cerveau est à craindre. On parle
d'internement dans une maison spéciale...» — En réalité, la catastrophe qu'on
désigne pour la cause du mal n'en a été que l'occasion. Deux âmes se disputent un
seul corps, voila le fait. C'est désormais un antagonisme continuel ou par
intermittences, entre l'ancien propriétaire et le nouvel occupant.

Ce fait anormal constitue un désordre dans la na ture. Souventes fois, il dépend


d'une ténébreuse alliance: quand les âmes qui se pressent, étourdies et affolées, aux
portes de la vie terrestre, se sont laissées circonvenir par les émissaires des cercles
mauvais constitués dans l'Invisible parallèlement aux aéropages de magiciens noirs
qui fonctionnent ici-bas. Les Elémentaires et les mauvais Daïmones avides
d'objectivité, font usage aussi pour eux-mêmes de l'incorporation par surprise. Les
maîtres Kabbalistes désignent sous le terme assez équivoque d'embryonnat des
âmes, la calamiteuse anomalie qui en résulte. Les cas de possession radicale et
définitive, heureusement assez rares, ne sont point le fait, indistinctement, de tous les


 

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bandits du plan astral. On sait que les Lémures parasitaires de certaine provenance
demeurent dans le nimbe à titre obsessif, ou s'amalgament avec la substance de
l'âme, qu'ils alourdissent et dénaturent à la longue) mais sans entrer en lutte ouverte
avec la personnalité légitime C'est ce que nous avons déjà fait entendre, et sur quoi
nous reviendrons à propos des arcanes de la mort (chapitre vi).

En combien de sortes l'homme peut-il devenir indirectement l'esclave de son


semblable? Elles se multiplient à tel point, que nous n’en pousserons pas plus avant
la nomenclature.

La servitude où les Esprits peuvent réduire la nature humaine est parfois de leur
part un fait spontané; d'autres fois, la tyrannie spirituelle ne s'exerce qu'à l'instigation
d'un magicien. On n'a pas oublié qu'en effet il est permis à l'homme, actif sur tous
les plans de la nature, de mettre en œuvre tous les ressorts qui la font agir.

Mais sur le point de clore ce discours par quelques remarques, touchant


l'esclavage magique en son mode spirituel, nous rappellerons pour mémoire la
souveraineté que déploient les êtres collectifs, que nous avons qualifiés d'Egrégores.
Ces invisibles Dominations du Ciel humain possèdent et meuvent les cohortes de
leurs terrestres esclaves, sans que ceux-ci soupçonnent le plus souvent que leur libre
arbitre est enchaîné. C'est le servage inconscient et machinal la subordination de la
partie au tout, du membre isolé à la volonté qui gouverne l’ensemble du corps.
Nous en avons assez dît, au chapitre in, sur la génération, l'essence et le rôle de ces
grands Collectifs humains (Cf. la Roue du Devenir),

Présentement renseigné sur la nature du fluide astral et les Puissances motrices de


ses flux et re flux, le Lecteur, à coup sûr, n'aura garde de confondre les courants
cosmiques spontanés, avec les courants artificiels qui fonctionnent au circuit des
chaînes sympathiques. Les uns comme les autres sont saturés de Lémures et
d'Images flottantes; mais ces êtres se succèdent sans ordre, dans le premier cas, au
gré de leurs volontés obscures, ou suivant les combinaisons multiples, résultant des
sympathies et des antipathies mutuelles; tandis que, dans l'autre cas, évertuées, au
cours des chaînes d'influx, par le vouloir de l'Egregore recteur, ces êtres se groupent
vivants reflets de sa pensée, et se répartissent harmonieusement en vue d'une
action. Commune, ils deviennent des messagers, des artisans ou des soldats. D'une
part, le règne du désordre et de l'antagonisme, c'est l'anarchie spectrale; de l'autre,
la distribution des énergies synthétisées, c'est la hiérarchie dynamique utilisant
jusqu'aux écorces de l'existence, jusqu'aux ébauches de l'idée.

Voilà ce dont le magiste doit tenir compte, lors qu'il prétend utiliser les courants
divers de l'Astral : car il peut se servir des uns comme des autres, et faire ainsi
beaucoup de bien, ou beaucoup de mal. Seulement, il s'y prendra différemment
selon les cas.

Lui-même joue gros jeu. — S'il affronte les courants cosmiques, le péril à conjurer
pour lui, c'est l'émiettement la désintégration partielle ou même totale; s'il pénètre
dans le circuit d'une chaîne puissante, le péril qui le menace est l'asservissement,
l'absorption (parfois inconsciente!) de sa personnalité dans celle de l'Egregore qui
régit la chaîne. Mais si, téméraire, il s'oppose au courant pour le combattre, sans
avoir pris le soin préalable de tendre une chaîne magnétique adverse, et de force à
neutraliser la première, il court même risque d'être foudroyé, au sens le plus positif de
ce terme — Négligeons ici les commentaires: après ce que nous avons
précédemment énoncé, celle triple indication suffira.


 

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Au chapitre ni se trouvent éclaircis le système des chaînes de sympathie, et la
genèse des êtres collectifs. Qu'on prenne la peine d'y réfléchir, et les obscurités
se dissiperont.

Ou pénétrera du même coup divers arcanes, relatifs à la vie intellectuelle des


sociétés. On s'expliquera mieux, non seulement l'énorme essor qu'un acte isolé, un
livre ou une parole publique impriment tous les jours à l'opinion et même aux mœurs;
mais encore 1'éclosion spontanée d'idées nouvelles, germant tout à coup en mille
cerveaux à la fois.

Vers de certaines époques, des pensées inédites, des vues neuves émergent
soudainement à fleur d'opinion: sur toutes les lèvres, sous toutes les plumes se
retrouvent, sans qu'on sache pourquoi, tels concepts jusque-là fort ignorés. On
donne crédit et autorité à ce qu'on méprisait; l'on formule de tous côtés ce qui, la
veille encore, ne se fût jamais offert à l'esprit. Et couramment des penseurs, qui
s'ignorent l'un l'autre, témoignent dés mêmes préoccupations imprévues: ils
profèrent à la fois, ils préconisent d'identiques idées, et, chose plus étrange encore
les habillent des mêmes vocables. Il semble qu'au service des idées nouvelles, si
brusquement écloses, un nouveau langage ait surgi.,.

— Ces idées-là étaient dans l’air opine la sagesse clés foules. Et le bon peuple n'a
pas tort; il est rare du reste que ses clichés les plus naïfs n'enveloppent point de
hautes vérités.

Les brusques virements d'opinion se décèlent l'ésotéricien comme résultant


d'influences occultes. Ne sait-il pus que les fraternités de lumière et les cercles de
mages noirs luttent sans trêve au Ciel de l'Invisible humain, et que la direction
politique tient moins immédiatement au cœur de ces champions que le
gouvernement des intelligences? L'antagonisme est imprescriptible entre Satan et
Saint Michel-archange, représentés par leurs terrestres et spirituelles milices.

Que l'opinion évolue tout d'un coup à droite ou à gauche, qu'elle s'épure ou se
déprave, c'est dans les aréopages occultes que s'est dessiné le geste initial, du
mouvement nouveau. De ce que tant de gens croient marcher au hasard, qui, ne
sachant point qu'on les mène, ignorent doublement où ils vont, il ne résulte pas que
celui-là qui les fait marcher ignore où il les conduit.

On agit sur l’ascendant global des foules comme sur l'ascendant propre des
individus: on y détermine des courants d'idées, on y crée des cercles d'images; il
suffit que l'atmosphère y soit réceptive à la semence invisible. C'est ainsi qu'à la
faveur des chaînes sympathiques, se développent à foison des formes
intellectuelles et se propagent des concepts vitalisés. Ainsi se justifie le poncif des
idées qui sont dans l’air.... Ajoutons que l'un des secrets de la puissance, autant sur
les multitudes que sur les hommes isolés, trouve sa formule dans un autre proverbe,
non moins populaire, non moins profond et que voici: prendre chacun par son côté
faible

Après avoir discerné à travers les stries du fluide astral, les entités erratiques qui
peuplent ses ondes, la mention s'impose à nous des Invisibles localisés, gouverneurs
des énergies latentes de la matière. Ce sont les genii loci de l’Esotérisme antique; ils
comprennent plusieurs classes d’Elémentaux conscients, semi-conscients, et
purement instinctifs.

Pas une pierre, dit la Kabbale, pas un brin d'herbe au monde, sur quoi ne règne


 

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un Esprit.

Ces agents occultes, dont nous avons discouru plus haut, riches en variétés très
diverses, se laissent difficilement circonscrire dans une définition générale.
Répartis sur tous les échelons de In Nature manifestée, ils forment contraste au
moral» autant que se ressemblent peu au physique les objets sur quoi ils règnent:
la foudre et la fleur, la houille et le zoophite, etc.

Les Esprits élémentaires, qu'ont rendus célèbres les vulgarisateurs d'une Kabbale
extériorisée, ne représentent que les moins sédentaires d'entre ces Agents: ce sont
les Gnomes, les Ondins les Sylphes, les Salamandres, etc.

D'autres, plus ou moins étroitement liés aux choses matérielles qui dépendent
d'eux, ne leur sont point immanents d'une sorte rigoureuse, puisqu'ils peuvent la
plupart, — sous les conditions requises pour l'objectivation des Invisibles en général,
— se manifester dans le voisinage de ces objets. Chose étrange au premier examen,
mais logique si l'on prend la peine d'y réfléchir, plus ces êtres s'élèvent sur l'échelle
de l'évolution, moins ils deviennent libres de s'éloigner du corps qui tend de plus en
plus à devenir leur enveloppe.

L'antiquité mythologique a poétiquement personnifié certains d'entre eux; elle


en a fait d'innombrables demi-dieux (Faunes, Sylvains, Dryades, Néréides Cyclopes,
etc.). Quant aux noms que ces êtres ont reçus au moyen âge clans les pays
chrétiens et musulmans, dont ils encombrent les légendes, on remplirait plusieurs
pages à les juxtaposer.

La plupart des Elémentaux ne sont hostiles à l'homme qu'autant qu'il envahit leur
domaine, et, sciemment ou non, travaille à les déposséder, explosions au
laboratoire, éboulements à la mine, accident à la fabrique peuvent être alors les
marques de leur colère. Cependant, l'homme est né leur maître: il les asservit par la
Science, et comme l'empire que ces êtres exercent sur la matière est subordonné à
des lois régulatrices qu'ils ne peuvent transgresser, l'observateur de qui ces lois sont
connues parvient, avec de la prudence et du sang-froid, à conjurer chez eux tout
mauvais vouloir.

Le savant n'agit pas directement sur les Elémentaux; c'est en manipulant la


matière qu'il les force à venir l'élaborer, suivant un plan préconçu par lui.

Le sorcier procède à l'inverse; il cherche à se concilier la bonne grâce et la


sympathie de ces Archontes inférieurs, et les amène parfois à travailler à son profit: ii
dispose par là sur la matière d'une puissance indirecte, dont les manifestations
apparaissent merveilleuses et inexplicables aux profanes. La légende désigne
plusieurs enchanteurs, auxquels la collaboration des génies était ouvertement
acquise. A quel prix? C'est ce que nous avons marqué plus haut, en donnant une
idée de l'humiliante servitude qui en résultera pour le magicien si jamais il vient à
fléchir.

L'adepte affranchi, de son côté, ne dédaigne point l'aide des élémentaux;


seulement, il les domestique à son service, loin de se livrer à leur merci, comme fait le
magicien noir. La haute Magie enseigne de procédés à cet effet, et prescrit une
méthode d'entraînement qui constitue l'un des arcanes de la Doctrine, Le présent
ouvrage contient des notions claires et positives, dont le rapprochement permettra
d'y parvenir. Mais qu'on ne s'y trompe pas: autre chose est de retrouver une
méthode efficace; autre chose de la mettre avantageusement, en pratique. La


 

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Science a des couronnes pour tels adeptes spéculatifs, qui n'ont jamais su forger à
leur profit le sceptre de la maîtrise opératoire...

Il est traité au tome premier de l'intelligence de l'éclair : les Elémentaux du feu, —


vulgô Salamandres, — comptent parmi les plus puissants et les plus dangereux, — Ils
collaborent avec les Ondins et les Sylphes, pour susciter les tempêtes, les trombes et
les cyclones, quand l'ouragan se marie à la foudre, dans l'éclaboussure des baves
de la mer. Ils peuvent encore animer et mouvoir de traîtres feux follets, guides
infidèles du voyageur égaré, vers les précipices ou les marécages.

Les Esprits élémentaires, avons-nous dit, ne souffrent pas aisément qu'on


envahisse leur domaine. Périsse l'intrus ! Ils lui tendent des embûches. Le vertige des
altitudes est le perfide appel des Sylphes; de l'eau, celui des ondins, symbolisé dans
les fables grecques de Narcisse et d'Hylas. Quant aux gnomes des cavernes
souterraines, ils invitent l'homme au suicide, en lui inspirant un morne désespoir.

Au demeurant, rien n'est plus réel que la fatalité inhérente à certains lieux, hantés
par des Larves instigatrices, de suicide.

Qui n'a entendu mentionner, à propos du camp de Boulogne, cette fameuse


guérite que Napoléon dut faire brûler, parce que plusieurs sentinelles, coup sur coup
et sans mobile apparent, s'y étaient donné la mort. On parlait aussi, vers la même
époque, d'une certaine chambre de caserne, où il était « de tradition » de se
pendre à l'espagnolette. L'empereur qui pressentait d'instinct les choses
mystérieuses, à défaut de toujours les connaître, fît murer la pièce, et cette singulière
épidémie de la corde cessa aussitôt.

Nous connaissons une famille où le suicide par immersion semble à l'ordre du jour,
de père en fils. Les hommes de ce sang finissent par se noyer, tôt ou tard, et toujours
au même coude d'une même rivière. Chose étrangement lugubre! Le dernier qui s'y
jeta il y a quelques années à peine, s'était longtemps roidi contre la mortelle
impulsion; mais il ne se dissimulait point que la fatalité héréditaire le saisirait un jour ou
l'autre, trop impérieuse pour qu'il s'y dérobât. Il va sans dire qu'il évitait les approches
de la berge d'où son aïeul, puis son père, s'étaient précipités; mais à de certains
jours, il se sentait poussé, entraîné jusqu'à ce Heu par une force irrésistible comme le
Destin, et passait des heures à s'hypnotiser, perdu dans la contemplation muette des
stries, moirant le fil de l'eau profonde. Parfois, il se cramponnait aux broussailles,
pour conjurer la tentation qui grondait en lui; mais un jour enfin, il fit le saut, et se
noya.

Cet exemple, dont nous sommes garant, paraît curieux à double titre, car
l'influence néfaste y est localisée deux fois: d'une part, elle s'attache aux mâles
d'une lignée, aux mâles seuls; d'autre part, à un point de l'espace nettement défini...

Sont-elles assez fréquentes si l'on y songe, ces singulières et sinistres influences? La


légende a-t-elle eu tout à fait tort de les personnifier, en les poétisant, dans les
contes de Nixes de Sirènes, de Dames blanches; dans l'histoire du petit Sauteret (ou
Sauteriol) et d'autres génies dont les attributions ne varient guère, mais qui revêtent
différents noms suivant les temps et les pays. Cependant, en face des catastrophes,
les plus significatives, on invoque-les caprices de la folie, héréditaire ou spontanée.
C'est une réponse à tout.

Quand nous retracions, il y a cinq ans, au premier tome de cet ouvrage,


l'impressionnant épisode du presbytère de Cideville, nous élions loin de prévoir que


 

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l'aventure de Valence-en-Brie (1896) allait en offrir la réédition. Notre ami le Dr Papus
a suivi ces saturnales de phénomènes, qu'il analyse en leurs péripéties principales,
avec la sagacité d'un occultiste érudit et l'autorité d'un témoin oculaire. Tl suffira de
renvoyer le Lecteur aux termes du rapport publié dans l’Initiation, sans qu'il soit be-
soin de résumer à nouveau l'affaire. Les phénomènes semblent calqués sur ceux de
Cideville, et attestés ici comme là, par des centaines d'observateurs. Dans les deux
cas, l'infestation provient d'un maléfice; mais a Valence le médium était une pauvre
valétudinaire, dont les sorciers, présents quoique invisibles, aspiraient en larve astrale
la vie extravasée. C'est à l'intervention de Papus et d'un autre occultiste
expérimenté, M. l'abbé Schnébelin, que la malade doit son rétablissement. Tous les
remèdes prescrits par les médecins avaient été inefficaces: le traitement magique
emporta un plein succès. Ricane qui voudra! L'emploi des pointes métalliques
délivra la maison de ses impalpables visiteurs, et l'on put, à plusieurs reprises,
constater les phénomènes lumineux qui signalent la rupture d'un coagulât fluidique.
Les coups portés dans la direction où la Voix se faisait entendre ont provoqué des
pluies d'étincelles... Finalement, les phénomènes ont cessé tout à fait, — et la
malade est guérie.

On avait pu craindre un instant qu'à Valence l'auteur principal de la hantise ne


fût un Elémentaire haineux, ou un Daïmon malfaisant: la chose eût été pire; car al
ors on aurait eu affaire à une coalition de magiciens noirs, ramifiée dans l'Invisible
avec quelqu'un des cercles mauvais; en d'autres termes, à des bandits occultes
encore vivants, liés par un pacte avec une société de bandits d'outre-tombe.

Cette hypothèse, fondée sur quelques indices ambigus, mais que rien, par
bonheur, n'est venu confirmer, nous amène tout naturellement à l'examen d’un
problème d'intérêt supérieur: l'occasion nous semble propice de redresser certaines
notions incorrectes, mais fort en faveur, qui répondent au terme, usité souvent à
l'aveuglette, de pacte avec le Démon.

Le pacte! Il n'est pas d'œuvre occulte plus célèbre et plus légendaire; il n'en est
point aussi de plus défigurée dans l'opinion du peuple et même des personnes
instruites.

Ce n'est pas faute pourtant d'une formule adéquate, révélant la nature du


pacte. Le mot paraît clair en lui-même; d'ailleurs la définition qu'en donne la
théologie et la distinction qu'elle en fait, expriment parfaitement la réalité de la
chose: reste à les comprendre et à les interpréter comme il faut.

Le pacte, selon la doctrine de l'Eglise, forme la base et le point de départ de


toute magie. C'est un accord librement contracté entre le magicien et le Diable, —
avec ou sans cédule signée des contractants, ou de l'un d'eux.

Le pacte est exprès ou tacite, — Dans le premier cas, dit M. l'abbé Ribet, « il se
conclut par des paroles que Ton adresse au Démon, ou par l'acceptation d'une
formule que propose le Démon lui-même, soit qu'il apparaisse et offre son
concours, soit qu'on l'évoque par des abjurations et des promesses ». — Quant au
pacte tacite, il se conclut implicitement, par le seul fait d'entreprendre, même à titre
expérimental, une opération dont le résultat doit être en dehors du cours naturel des
choses; car on se doute de reste que le Diable peut seul accomplir pareille œuvre;
et, qui veut la fin doit vouloir aussi les moyens...

Voilà, dans toute son intransigeance, la doctrine orthodoxe sur ce point: elle est
formidable et translucide. Ainsi donc, — car il faut être logique, — la moindre


 

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expérience de table tournante, le moindre contrôle de médianité, une tentative
quelconque d'étudier les forces, non point surnaturelles (il n'en est pas), mais non
encore cataloguées par les bonzes de la science positive; tout essai curieux ten-
dant à mettre en œuvre des Agents ou des Puissances « au-dessus, des forces de la
nature », pour user du détestable langage en cours; toute entreprise de ce genre
implique nécessairement un pacte au moins tacite avec l'Enfer!

Quelle que soit la rigueur d'une semblable doctrine, l'Occultisme adopte in toto
les termes de la définition, sauf à délimiter le sens véritable et scientifique des mots
Démon et Enfer.

On sait déjà que nous répudions l'existence du Malin Esprit, en tant qu'absolu du
Mal et antithèse de Dieu, l'absolu du Bien. Mais on a pu le voir, nous ne contestons
pas plus l'existence des Esprits per vers dans le monde occulte, que celle des
hommes pervers dans le monde visible.

Au surplus, nous n'avons garde de nier la réalité formidable du grand. Agent


magique dont le serpent est l'emblème. Nous la nions si peu, que la plupart de nos
livres reposent sur la connaissance expérimentale et rationnelle de cet universel
Protée, à défaut duquel pas un phénomène, magique ou non, de l'ordre sensible,
ne se produirait.

Selon nous, le Diable est à envisager sous deux aspects: en corps et en âme;
comme Force ou substratum dynamique d'une part, et de Vautre comme Esprit de
perversité ou de perversion, selon l'étymologie de son nom même.

Rappelons en deux mots Ce que nos Lecteurs sa vent déjà.

Le Diable, envisagé comme agent, est la Lumière astrale, corrélation des forces
physiques et synthèse des forces hyperphysiques du Cosmos. Quiconque entre en
rapport direct avec la Lumière astrale» dont l'enveloppe matérielle de l'homme sert
à l'isoler dans une certaine mesure, celui-là crée un lien durable entre sa personne
et cette multiforme Puissance, « dont il deviendra le maître ou l'esclave, le directeur
ou le jouet ». — Voilà le pacte facile, découlant irrésistiblement de toute expérience
téméraire qui a réussi.

Le Diable, envisagé comme Esprit de perversité constitue le type abstrait et la


synthèse idéale des Intelligences et des Volontés, incarnées ou non, qui se prévalent
des forces hyperphysiques, vers un but d'égoïsme à satisfaire ou de crime à
perpétrer. Il n'est pas rare de voir un homme s'immiscer aux grands courants
d'égoïsme et de malice, et conclure, avec les Esprits recteurs, soit un pacte implicite
par le fait du désir et de l'adhésion morale, soit un pacte exprès par le fait d'une
évocation et d'une entente explicites et formulées. Mais le pacte exprès ou formel
consistera, neuf fois sur dix, dans les engagements réciproques qui résultent de
l'affiliation à quelques sociétés secrètes sur cette terre, ou à telle communauté
mystique du monde ultra-terrestre: autant dire, de l'incorporation à des cercles
magiques, soit visibles, soit latents presque toujours à la fois l'un et l'autre.

M, le baron du Pot et, l'un des plus hardis explorateurs du Magnétisme


contemporain, nous décrit en mode inoubliable, dans une page émouvante et
vécue de sa Magie dévoilée, la conclusion du pacte tacite. Portez attention à
cette confidence, l'une des plus significatives à coup sûr et des plus révélatrices qu'il
ait consignées au cours de ce compendium de ses recherches, touchant l'essence
et les propriétés de la Force occulte qui entre en œuvre dans le magnétisme :


 

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« Qu'une trombe renverse et éparpille les habitations, qu'elle déracine les arbres
séculaires et les transporte au loin, qui s'en étonne maintenant?

« Mais qu'un élément, inconnu dans sa nature, secoue l'homme et Je torde comme
l'ouragan le plus terrible fait du roseau, le lance au loin, le frappe en mille endroits à la
fois, sans qu'il lui soit permis d'apercevoir son nouvel ennemi et de parer ses coups, sans
qu'aucun abri puisse le garantir de cette atteinte à ses droits, à sa liberté, à sa majesté;
que cet élément ait des favoris et semble pourtant obéir à la pensée, à une voix
humaine, à des signes tracés, peut-être à une injonction; voilà ce que l'on ne peut
concevoir, voilà ce que la raison repousse et repoussera longtemps encore. Voilà
pourtant ce que je crois, ce que j'adopte; voilà ce que j'ai vu, et, je le dis résolument, ce
qui est une vérité pour moi à jamais démontrée.

J'ai senti les atteintes de cette redoutable puissance. Un jour, entouré d'un grand
nombre de personnes, je faisais des expériences dirigées par des données nouvelles qui
m'étaient personnelles, cette force, — un autre dirait ce démon, — évoquée, agita tout
mon être; il me sembla que le vide se faisait autour de moi, que j'étais entoure d'une sorte
de vapeur légèrement colorée. Tous nies sens paraissaient avoir doublé d'activité, et ce
qui ne .pouvait, être une illusion, nies pieds se recourbaient dans leur prison, de manière à
me faire éprouver une très vive douleur; et mon corps, entraîné par une sotie de
tourbillon, était, malgré ma volonté, contraint d'obéir et de fléchir. D'autres êtres pleins de
force, qui s'étaient rapprochés du centre de mes opérations magiques, — pour parler en
sorcier, — furent plus rudement atteints: il fallut les saisir à terre, où ils se débattirent
comme s'ils eussent été près de rendre l'âme.

Qu'il nous suffise d'ajouter, à l'égard du pacte formel, que l'engagement écrit fut
toujours de rigueur, dans les plus sérieuses sociétés d'initiation: cet acte, à part son
caractère de garantie exotérique, constitue un signe d'appui, lequel corrobore et formule
magiquement la volonté du néophyte. Chaque association terrestre est doublée, dans
l’Invisible, d'un cercle correspondant, et régie par un Egrégore, comme nous l'avons, à
plusieurs reprises, péremptoirement exposé. Quant aux Fraternités invisibles qui n'ont point
d'organisme matériel connu, — nous voulons dire de groupe humain parallèle et
conforme ici-bas, la rédaction s'impose d'un engagement écrit, et brûlé par après avec
de certains rites: outre la valeur du signe d'appui, sur laquelle nous avons déjà insisté,
l'incinération du contrat équivaut à la projection en Astral dudit signe, confinnatif de
l'entente adeptale. Il n'est point invraisemblable que l’invisible Communauté y réponde
par le phénomène de la précipitation d'écriture, bien connu des spirites et de l'entourage
de Madame Blavatsky.

Toutes ces choses paraissent concorder d'une sorte bien frappante avec les
enseignements de la théologie romaine. Ses Docteurs nous diront, qu'à l'apparition près
du Malin, dont les cornes et les griffes n'ont pas visiblement percé nos aveux corroborent
singulièrement les doctrines exotériques de l'Eglise!

Hé bien ! nous concéderons encore à ces Messieurs les cornes et les griffes auxquelles
ils semblent si fort tenir; car dans les phénomènes évocatoires, qui équivalent à la dé nu
dation d'un pan de l’Astral, les silhouettes les plus congruentes à la définition diabolique se
profilent d'aventure. II n'y a rien là pour étonner des adeptes de l'Occultisme. Ne suffit-il
pas, en effet, qu'une' forme soit imaginée par l'homme, pour qu'aussitôt ébauchée en
astral, elle se conserve aux archives de la lumière seconde? Et cent générations
ascétiques n'ont-elles pas rêvé l'Enfer? Or, tous Lémures, ou tes Dominations théurgiques,
comme aussi tous Mirages errants peuvent être évoqués et apparaître.

Ainsi triompheront nos adversaires. Après cet aveu, (diront-ils), rien ne manque plus à


 

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la confirmation que vous apportez malgré vous des indéfectibles vérités du Dogme,
touchant le Diable et son royaume...

Nous connaissons ce langage, et ce procédé de polémique assimilatif, au profit


d'une thèse préconçue, des arguments qui devaient servir à la ruiner; mais auxquels il
suffira de bailler l'entorse, pour qu'ils viennent en confirmation de la thèse adverse. Une
telle méthode est triomphante: elle a quelque chose d'infaillible et de péremptoire, du
moins au gré des convaincus de parti pris. N'est-ce pas s'emparer des pièces de
l’ennemi, leur faire faire volte-face, et les mettre en batterie contre les régiments qu'elles
devaient couvrir et défendre? Exploit plus facile à accomplir, la plume à la main, que sur
le champ de bataille.

C'est grâce à cet ingénieux système que M. de Mirville trouvait jadis, dans les plus
fortes pages d'Eliphas Lévi contre l'existence du Diable personnel, l'aveu et la preuve
irrésistibles que le Diable, pour Eliphas, était bel et bien une personne. La même méthode
a servi récemment contre les occultistes actuels, à un autre historiographe du Démon,
auteur de deux énormes in-4°, où sa très spacieuse imagination s'est allégée des
chimères qui l'encombraient : Chimœrœ in vacaum bombinantes! Ce prodigieux
docteur apparaît à la fois, au double point de vue philosophique et anecdotique, de
Nonotto et le Ponson du Terrail de la Magie.

N'appuyons pas sur ces ridiculités...

L'Occultisme, si vaillamment rénové en France depuis trois lustres, n'a pu conquérir


l'attention des esprits sérieux et les suffrages d’une élite, sans que plusieurs causes de
discrédit ne vinssent compromettre ses progrès et ternir sa renommée. Il a subi au
dedans l'épreuve de l'envahissante médiocrité, au dehors les atteintes du dénigrement
et dé la moquerie.

Combien de ratés littéraires ou scientifiques, ignorants d'ailleurs des principes


élémentaires de l'Occultisme, se sont réclamés bruyamment de son crédit spirituel, au
risque de déconsidérer la Haute-Science en abritant sous son pavillon leur marchandise
de contrebande!

Combien de faméliques intrus ont eu hâte de battre monnaie sur la crédulité des
badauds, en exploitant la pratique fructueuse de l'Astrologie, de la Chiromancie et
d'autres arts divinatoires, que la renaissance de l'Esotérisme semblait galvaniser pour un
temps, même entre des mains ignares, suspectes ou vénales!

Que de barbouilleurs de copie au mètre, bénéficiant de la vogue acquise à ces


études, ont su s'improviser un gagne-pain mieux lucratif, dans le négoce des révélations
calomnieuses, sous prétexte d'arracher le masque à d'hypocrites suppôts de l'Enfer?

Nous ne rappellerons que pour mémoire ceux-là qui se sont fait initier à l'illuminisme,
pour trahir leurs serments, leurs frères et leur Dieu.

Au demeurant, ces misères étaient prévues.

C'est un aphorisme en magie, qu'on ne peut faire le jour sur certains arcanes, sans
soulever aussitôt une opposition formidable de la part des Forces adverses... Le Lecteur
qui, parvenu au point où nous en sommes, ne saisirait pas d'emblée le pourquoi et le
comment de cette réaction fatale, peut fermer le livre et renoncer à l'étude des Hautes
Sciences,

A chaque renouveau de la pensée, toutes les fois que le monde intellectuel penche


 

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à suivre une orientation inédite, cette loi de l'Antagonisme susciterait de funestes
subversions, si le Fatum (cette Puissance qui noue l'effet à la cause) ne maintenais dans
une certaine mesure, SUT l'avenir, comme une garantie régulatrice, l'esclavage étroit du
passé.

Contrainte salutaire, bien que parfois très cruelle aux novateurs de l'art, de la science
et de l'action.

« Le mort saisit le vif », prononce le Droit ancien: la mort règne sur la vie et lui inflige sa
loi; quoique étant Hier) elle domine sur Demain, à cause du respect religieux qu'inspirent
les Êtres et les choses qui ne sont plus.

La routine n'est que la règle morte imposée au futur par l'autorité du passé, à la vie
par la majesté de la mort.

Comme dans le corps humain, où les cellules se juxtaposent et se groupent sur


l'emplacement de celles qui s'étiolent à mesure et disparaissent: ainsi l'effet d'une cause
devient cause à son tour, pour reproduire son semblable; ainsi ce qui sera se calque et se
découpe sur ce, qui fut. C'est la force subjugante du Destin, la norme de la mort qui règle
le développement de la vie!

Contre le Destin, les volontés et la Providence même ont à combat Ire, pour
improviser autre chose, rénover les formes vieillies, enfin garantir la variété du Beau, l'une
des conditions pour que le Beau soit aimable: mais, encore un coup, cette puissance
épouvantable de la Fatalité est nécessaire au monde tel qu'il est. Sans elle (la force
morte), les forces vives réagiraient trop impétueusement l'une sur l'autre, dépourvues
qu'elles seraient d'obstacle qui réglât leur action, par le fait même qu'il l'entrave. Les
transitions n'étant plus ménagées, le monde muerait par secousses désastreuses; il se re-
nouvellerait par séries de cataclysmes, au lieu d'évoluer avec une savante lenteur...

Nous voici loin du pacte, dont il s'agissait, quand notre plume a dévié vers des con-
sidérations générales que nous ne regrettons point d'avoir énoncées. Il n'en faut pas moins
"mettre un terme à cette digression, qui, sans répugner au caractère du présent chapitre,
nous a distrait un instant des rapports possibles entre l'homme et les Puissances d'un
monde plus subtil.

Ces rapports apparaissent ordinairement fâcheux ou nuisibles à l'homme. Le contraire,


hélas! est l'exception.

Si l'on y réfléchit, peut-être se demandera-t-on quel avantage trouvent certaines


classes d'Invisibles à molester les vivants, à leur inspirer l'horreur, le spleen ou l'épouvante,
et même à les pousser au suicide, comme nous en avons signalé plusieurs cas.

Quand l’infestation est la conséquence d'un sortilège, soit que les


maléficiants agissent par eux-mêmes en corps sidérai, soit qu'ils fassent
intervenir les Lémures évoluant dans la sphère de leur action magnétique, ou
d'autres collaborateurs spirituels qui leur sont dévoués, — l'explication est fa-
cile. C'est à l'initiative humaine que le mal s'accuse attribuable; c'est une
volonté humaine, individuelle ou collective, qui est l'auteur, sinon l'acteur de
la tragi-comédie.

Mais il est telles circonstances où les Invisibles entrent en lice pour leur
propre compte: ils aspirent à posséder l'homme, ou à l'obséder.

Toutes les natures humaines n'offrent pas un accès également facile à


 

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l'invasion spirituelle. Au point d'évolution où l'homme se trouve ici-bas, son
corps matériel constitue, en fonctionnement normal, une forteresse qui
garantit l'âme, non pas seulement une prison qui la retient. La grande ma-
jorité des hommes se trouve à l'abri des influences spirituelles, ou du moins
n'est-elle pas consciente de les subir.

Tant que les êtres du plan astral n'ont point acquis quelque objectivité
passagère, le médiateur plastique de l'homme devient, en s'extériorisant, le
seul point de contact qui soit possible entre eux et l'âme incarnée.

Les forts médiums, qui sont sujets à extravaser en tous temps leur fluide
nerveux, jusqu'à en saturer l'atmosphère astrale qui les baigne, doivent
être regardés comme des malades. Chez le commun des hommes, la force nerveuse ne
s'abmatérialise que fort exceptionnellement, dans certains cas soit physiologiques, soit
pathologiques.

Nous allons révéler à ce sujet une chose des plus mystérieuses et des moins connues,
— réponse à bien des points d'interrogation.

Beaucoup de passions acerbes et de sensations violentes et pénibles, — spécialement


le chagrin moral, la douleur physique, la peur, etc., — ont pour conséquence immédiate,
chez l'être qui les subit, une extériorisation tout ensemble et un abandon de fluide vital. La
force nerveuse, en pareil cas, s'écoule comme le sang d'une blessure. La vie ne se
défend plus; elle s'offre, du moins elle se laisse prendre. On devine ce qui en peut résulter:
le banditisme spirituel. L'être qui a provoqué chez autrui le paroxysme diffusif, en peut
physiologiquement profiter: source pour lui d'un délicieux bien-être.

Il serait facile de multiplier les exemples. Les trois que nous avons choisis paraissent
surtout frappants, car ils manifestent le pourquoi insoupçonné du deuil moral, après la
perte des êtres chers; le pourquoi de la peur, si naturelle à l'homme, en face d'une
corporisation soudaine de l'Invisible; le pourquoi enfin de cette étrange et sauvage
passion qui lie le désir charnel à l'instinct de férocité et intrigua tant de modernes
psychologues, sous le nom de sadisme.

Cherchez dans les profondeurs de la nature la raison de ces choses, les unes si
normales, les autres si étranges!

Pourquoi les épouvantes vagues et sans objet, en particulier la peur des fantômes? —
Parce que les. Indigènes de l'Astral, pour se manifester sur le plan physique, ont besoin
de force nerveuse, et que l'effroi qu'ils inspirent, sciemment ou par instinct,, est un moyen
sur de voler celle force au premier venu. Plus une apparition est nourrie de fluide nerveux,
plus elle se précise et se revêt de réalité physique: là gît la raison occulte de l'intensité
croissante des phénomènes terrifiants, en proportion directe de l'effroi. Dans les séances
des médiums; matérialisant, la sensation glaciale qu'éprouve le spectateur, au voisinage
des apparitions fluidiques, est due à la perte subite de force nerveuse, dont le spectre
s'empare avidement. La netteté du phénomène s'accroît à mesure. Du reste, en cas or-
dinaire, les Invisibles n'ont pas besoin d'apparaître; aux regards pour insuffler à l'homme
l'épouvante, dispensatrice à leur profit du breuvage d'objectivité.

Pourquoi ce monstrueux instinct du sadisme, qui parfois gronde au tréfonds des


meilleures natures? — Il repose sur l'intuition latente de ce fait, qu'en taisant souffrir la
victime de sa brutalité, le sensuel bourreau provoquera une hémorragie de cet invisible
sang, de cette force vitale, dont le rapt et l'appropriation décupleront chez lui le plaisir
physique, en exacerbant jusqu'au délire la répercussion cérébrale de l'acte vénérien.


 

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Pourquoi enfin cette tribulation morale, cette persistante angoisse qui fait qu'on
pleure longuement les êtres chers que la mort a frappés? — Rien à coup sûr qui s'explique
mieux au cœur de l'homme; mais une loi providentielle intervient, pour utiliser au bénéfice
du défunt la désolation, si naturelle à ceux qui restent. Ainsi, par une admirable économie
des transitions, ménagées d'un inonde à l'autre, c'est ail fort de l'épreuve posthume que
l'énergie psychique, émanée de la douleur des proches, viendra en aide au nouveau-né
d'une vie future!...

Sans éclaircir ce mystère d'efficace solidarité familiale, que nous examinerons de


plus près au sixième chapitre, il suffit de souligner ici l'emploi — utile ou voluptueux, —
auquel se prête indistinctement la force nerveuse abmatérialisée. Intérêt et volupté! Ce
sont là deux puissants mobiles: l'infestation spirituelles, attribuables à l'un comme à l'autre,
peuvent même les comporter tous deux.

A l'égard du profit que les Invisibles pervers peu vent retirer du suicide humain il est
bien évident que, chez l'individu qui se frappe de mort dans la vigueur de sa pleine santé,
la mise en disponibilité de la force nerveuse sera totale, au lieu d'être partielle, et ce, au
bénéfice de quiconque s'en voudra saisir.

Au demeurant, la haine, la vengeance ou la jalousie peuvent déterminer et mouvoir


certains êtres de l'Au-delà, aussi bien qu'elles meuvent et déterminent les hommes de
chair et les Lémures de l’En deçà (sous-humanité).

Il va sans dire que les Invisibles dont nous signalâmes l'intervention possible, dans les
œuvres égoïstes et ténébreuses, soit comme acteurs principaux, soit comme complices
du maléficiant, ne sauraient être les Intelligences supérieures, Ames glorifiées ou Anges
missionnaires. Nous entendons réserver pour un autre ouvrage les notions relatives à ces
Esprits émancipés.

Leurs rapports immédiats avec l'homme sont d'ailleurs exceptionnels, et moins


fréquents qu'on ne Je saurait croire. Il y a eu des méprises et des déceptions sur ce point.
Satan (est-il écrit) se transfigure parfois en ange de lumière: c'est ce que plusieurs
mystiques ont oublié.

L'infaillible discernement des Esprits n'a pas été toujours leur privilège; et tels qui ont
été déçus par les Puissances de l'ombre ou du crépuscule, se croyaient d'une foi robuste
les missionnés du Dieu solaire !

Quant aux cas avérés de direction angélique, de haute médianité et même


d'embryonnat céleste, ils impliquent de la part des favorisés quelque déférence à la Voix
d'En haut; mais qui voudrait taxer cette sujétion toute volontaire d'esclavage spirituel? —
A moins d'interpréter ce mot selon le sens adeptal, comme nous l'avons fait à l'ouverture
de ce chapitre.

Ceci nous reporte au douzième feuillet du Livre hiératique de Thôth, où l'on voit un
homme, la tête eu bas et la cheville garrottée à la traverse d'un gibet. « Le pendu (dit
Eliphas Lévi), c'est donc l'adepte, lié par ses engagements, spiritualisé ou les pieds tournés
vers le Ciel; c'est aussi l'antique Prométhee, subissant dans une torture immortelle la peine
de son glorieux larcin. »

Le temple de la Vérité ésotérique possède un par vis d'où l'on entrevoit ses rayons, et
un sanctuaire où resplendit sa présence réelle.

Le parvis est pour tous, le tabernacle est accessible à quelques-uns.


 

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Mille sentiers conduisent au temple; mais on ne pénètre au sanctuaire de la suprême
initiation que par deux issues: la porte de la science et de la lumière, et celle de l'épreuve
et de l'amour.

Les initiés spéculatifs et volontaires qu'a guidés la chaste mais froide ambition de
savoir pour savoir, n'ont pas nécessairement renoncé aux pompes de Maïa, la déesse de
l'Illusion terrestre, ni souffert et désespéré par elle. Seulement, ils ont appris à traduire le
nom de l'Enchanteresse: ils savent qu'elle n'est point la réalité substantielle, mais le
mirage. Ils ne peuvent plus se laisser séduire à la fantasmagorie de ses charmes si
délicieuse à d'autres hommes, Comme en une danse macabre, ils ont entrevu le
squelette, sous la gaze et les falbalas de la ballerine.

Cette acuité clairvoyante, prérogative de la Science pure, en devient en quelque


sorte le châtiment.

L'adepte intellectuel peut bien encore prendre sa part des illusions terrestres, mais en
sceptique désabusé, et sans y croire désormais. II ressemble à l'acteur, qui rend sur lu
scène les passions violentes de l'ambition, de la haine et de l'amour, et qui peut un instant
s'enfiévrer au jeu, jusqu'à se paraître sincère à lui-même. Voyez-le, qui s'épanouit dans la
joie, ou se contracte dans la douleur, Mais adieu l'émotion, si peu qu'il réfléchisse! Il rit
alors de ses larmes faciles, et, chose plus triste encore, il rit de son rire.

Les Elus entres au sanctuaire par l'autre porte, celle de l'Amour, ont connu toutes les
amertumes et renoncé les joies trompeuses de l'existence. Car il faut qu'ils aient épuisé la
coupe des déboires temporels, pour que, désenchantés de la cité terrestre, ils se soient
tournés vers la Jérusalem céleste, cette éternelle patrie de la Science, de la Justice et de
l'Amour.

Ce sont les plus pures colombes, qui s'abattent ainsi, blessées, sur le seuil de
l'immatériel refuge.

Quel sublime désenchantement est le leur!

Le désespoir, chez ces nobles âmes, n'est qu'un déplacement de l'espérance.

Vint-il pas du Ciel, puisqu'il y remonte, l'Ange des tribulations qui, brutalement, au vif
de ces tendres cœurs, défricha le parterre d'optimisme illusoire dont les arômes charriaient
des mirages heureux et transfigurant la réalité terrestre, réfléchissaient sur elle l'illusion, du
paradis

Rosées incandescentes d'amour ! Lys de candeur intangible! Sensitives de douloureuse


fierté! Vos graines dépaysées ne sont point ici. Quelque semeur aux six ailes les a laissées
choir des inondes de la lumière, dans le chaos tumultueux de la chair et du sang. Dans
cette fange même, le séraphin sur pris les a vues germer, croître et fleurir. Sans doute ne
veut-il pas que soient profanées les fleurs idéales si anormalement écloses au bourbier du
cœur humain. Mais il ne les déracine que pour les transplanter en meilleure terre, — où
fleurissent leurs pareilles, — là-haut !

Stanislas de Guaïta.

OCR pour EzoOccult (http://www.esoblogs.net/) par Spartakus FreeMann.


 

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