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SŪTRA
Daisetsu Teitaro Suzuki
s
ÉDITIONS ÎSPARKAND
INTRODUCTION AU
LANKAVATĀRA SŪTRA
☸
Par Daisetsu Teitaro Suzuki.
◊
LANKAVÂTARA SÛTRA
SÛTRA DE LA DESCENTE AU LANKA
AUTO-RÉALISATION DE LA NOBLE SAGESSE.
CHAPITRE I.
LA DISCRIMINATION.
Ainsi l'ai-je entendu. Le Béni du Ciel apparût un jour dans le château de Lanka qui se
trouve au sommet du mont Malaya au milieu du grand Océan.
De nombreux Bodhisattva-Mahasattvas venus de toutes les terres de Bouddha s'étaient
miraculeusement assemblés, et un grand nombre de bhikshus2 s'y étaient rassemblés.
Les bodhisattvas-mahasattvas avec Mahāmati à leur tête étaient tous de parfaits maîtres des
divers samadhis3, de la décuple maîtrise de soi, des dix pouvoirs et des six facultés psychiques.
Ayant été oints des mains mêmes du Bouddha, ils connaissaient tous bien la signification du
monde objectif; ils savaient tous comment appliquer les divers moyens, enseignements et
mesures disciplinaires selon les diverses mentalités et comportements des êtres ; ils étaient
profondément versés dans les cinq dharmas, les trois svabhavas, les huit vijñanas4, et le double
sans-existence propre5.
Le Béni du Ciel, connaissant l'agitation mentale en cours dans les esprits de ceux qui étaient là
assemblés (comme la surface de l'océan agitée en vagues par le vent qui passe), et son grand
cœur ému par la compassion, sourit et dit :
«Dans les temps anciens, les Ainsi-Venus du passé qui étaient des Ārhats6 et des
Éveillés complets vinrent au château de Lanka sur le mont Malaya et discoururent sur la Vérité
de la Noble Sagesse qui est au-delà du savoir raisonnant des philosophes tout autant que de la
compréhension des disciples et maîtres ordinaires ; et qui n'est réalisable qu'à l'intérieur de la
conscience la plus profonde; pour vous, je vais, moi aussi, discourir sur la même Vérité.
7 Terme sanskrit, calqué du pâli « Nibbāna », qui signifie « extinction » d'une flamme ou d'une fièvre,
étymologiquement « expiration » , et par extension « apaisement » puis « libération ».
Ce mot est devenu, en chinois 涅槃 nièpán, en japonais 涅槃 nehan, en coréen 열반 yolban, en tibétain myang-
ʼdas ou myan-ngan ʼdas-pa (litt.: passer au-delà la souffrance), et en thaï นพพาน nípphaan.
En ce monde, dont la nature est comme un rêve, il y a place pour la louange et le blâme, mais
dans la Réalité ultime du Dharmakhaya8 qui est bien au-delà des sens et de l'esprit discriminant,
qu'y a-t-il à louanger?
8 Le Dharmakāya, corps de la loi, est un des trois corps du Bouddha, son corps ultime, que seuls les êtres éveillés
peuvent percevoir
et pensent qu'ils ont une existence propre, le tout provenant des discriminations de l'esprit et
étant perpétué par l'énergie de l'habitude, ce qui les amène à de fausses imaginations.
C'est tout comme un mirage dans lequel des sources d'eau sont vues comme si elles étaient
réelles. Elles sont ainsi imaginées par les animaux qui, assoiffés par la chaleur de la saison, se
ruent sur elles.
Les animaux, ne sachant pas que ces sources sont une hallucination de leur propre esprit, ne se
rendent pas compte qu'elles n'existent pas.
De la même façon, Mahāmati, les ignorants et les simples d'esprit, leur esprit brûlant du feu de
l'avidité, de la colère et de la folie,
trouvant du plaisir dans un monde aux formes multiples, leur pensées obsédées par les idées
de naissance, de croissance et de destruction,
ne comprenant pas bien ce que signifie l'existence et la non-existence, et impressionnés par les
discriminations erronées et les spéculations sans commencement ni fin, tombent dans
l'habitude de saisir ceci et cela et s'y attachent en conséquence.
C'est tout comme la cité des Gandharvas9 que les ignorants prennent pour une cité réelle bien
qu'elle ne le soit pas, en fait. La cité apparaît comme dans une vision due à leur attachement à
la mémoire d'une cité préservée dans l'esprit comme une semence ; ainsi peut-on dire de la cité
qu'elle existe autant qu'elle n'existe pas.
De la même façon, s'attachant à la mémoire de spéculations et de doctrines erronées
accumulées depuis les temps sans commencement, ils tiennent à des idées telles que
l'unité et la multiplicité, l'être et le non-être,
et leurs pensées ne sont pas du tout claires sur ce qui, après tout, n'est vu que dans l'esprit.
C'est comme un homme qui rêve dans son sommeil d'un pays qui semble rempli d'hommes, de
femmes, d'éléphants, de chevaux, de voitures, de piétons, de villages, de villes, de hameaux, de
vaches, de buffles, de manoirs, de bois, de montagnes, de rivières et de lacs et qui se déplace
dans ce pays jusqu'à son réveil. Alors qu'il repose, à moitié éveillé, il se rappelle le pays de ses
rêves et ses expériences là-bas;
qu'en penses-tu, Mahāmati, ce rêveur qui laisse son esprit s'attarder sur les diverses irréalités
qu'il a vues dans ce rêve doit-il être considéré comme sage ou comme fou?
De la même manière, les ignorants et les simples d'esprit qui sont favorablement influencés par
les vues erronées des philosophes ne reconnaissent pas que ces vues qui les influencent ne
sont que des idées oniriques provenant de l'esprit lui-même, et en conséquence ils sont
attachés par leurs notions d'unité et d'altérité, d'être et de non-être.
C'est comme la toile d'un peintre sur laquelle l'ignorant imagine voir les élévations et les
dépressions des montagnes et des vallées.
De la même manière, il y a des gens aujourd'hui qui sont sous l'influence de semblables vues
erronées d'unité et d'altérité, de dualité et de non-dualité, dont la mentalité est conditionnée
par la force de l'habitude de ces fausses imaginations et qui déclareront plus tard que ceux qui
maintiennent la vraie doctrine de la non-naissance libre des alternatives de l'être et du non-être
sont des nihilistes; et ce faisant ils causeront leur ruine à eux et aux autres.
C'est comme les malvoyants qui entrevoyant un filet à cheveux s'exclament l'un à l'autre :
«Quelle merveille! Regardez, honorables Seigneurs, quelle merveille!»
Mais le filet à cheveux n'a jamais existé ; en fait, il n'est ni une entité, ni une non-entité, car il a
été autant vu que non-vu.
De la même manière, ceux dont les esprits sont attachés aux discriminations des vues erronées
chéries par les philosophes qui s'adonnent aux vues réalistes de l'être et du non-être,
contrediront le bon Dharma et finiront par se détruire eux-mêmes et d'autres avec eux.
C'est comme une roue de feu causée par une fusée tournante, qui n'est pas une roue, mais est
vue comme telle par l'ignorant. Et elle n'est pas non plus une non-roue parce que certains ne la
voient pas.
Par le même raisonnement, ceux qui sont habitués d'écouter les discriminations et les vues des
philosophes considéreront les choses nées comme non-existantes et celles qui sont détruites
par la causalité comme existantes.
C'est comme un miroir qui réfléchit couleurs et images telles que déterminées par les
conditions, mais sans partialité.
C'est comme l'écho du vent qui rend le son de la voix humaine.
C'est comme un mirage d'eau mouvante qu'on voit dans un désert.
De la même manière l'esprit discriminant de l'ignorant qui a été échauffé par de fausses
imaginations et spéculations est-il agité en vagues semblables au mirage par les vents de la
naissance, de la croissance et de la destruction.
C'est comme le magicien Pisaca, qui au moyen de ses enchantements, fait qu'une image en bois
ou un cadavre pulsent de vie, quoiqu'il n'ait aucun pouvoir propre.
De même, l'ignorant et le simple, s'en remettant à des conceptions philosophiques erronées
devient totalement dévoué aux idées d'unicité et d'altérité, mais leur confiance n'est pas bien
fondée.
Pour cette raison, Mahāmati, toi et d'autres bodhisattvas-mahasattvas devriez rejeter toutes
discriminations qui mènent aux notions
de naissance, de durabilité et de destruction,
d'unicité, de dualité et de non-dualité,
d'être et de non-être,
et qu'ainsi vous vous libériez des liens de l'énergie des habitudes, et deveniez capables
d'atteindre une réalité de Noble Sagesse réalisable en vous-mêmes.
◊
Alors, Mahāmati dit au Béni du Ciel :
«Pourquoi est-ce que les ignorants s'adonnent à la discrimination et pas les
sages?»
Le Béni du Ciel répliqua :
«C'est parce que les ignorants s'attachent aux noms, aux signes et aux idées;
comme leur esprit se meut au long de ces canaux, il se nourrissent d'un multiplicité d'objets et
tombent dans la notion d'âme dotée d'une existence propre et dans ce qui lui appartient; ils
discriminent entre le bien et le mal parmi les apparences et s'attachent à ce qui est agréable.
Comme ils s'attachent ainsi, il se produit une réversion de l'ignorance, et le karma10 issu de
l'avidité, de la colère et de la folie s'accumule. Comme l'accumulation du karma se poursuit, ils
sont emprisonnés dans un cocon de discrimination et sont en conséquence incapables de se
libérer du cycle de la naissance et de la mort.
À cause de la folie,
ils ne comprennent pas que toutes choses sont de la nature de Māyā11, comme le reflet de la
lune dans l'eau,
qu'il n'existe pas de substance du soi qu'on puisse imaginer comme une âme dotée d'une
existence propre et ses propriétés,
et que toutes leurs idées définitives proviennent de leurs fausses discriminations de ce qui
n'existe que parce que c'est vu par l'esprit lui-même.
Ils ne se rendent pas compte que les choses n'ont rien à voir avec
le qualifié et le qualifiant,
ni avec le cycle de la mort,
de la durée et de la destruction,
et au contraire, ils assurent qu'ils sont nés d'un créateur, du temps, des atomes, de quelque
esprit céleste.
C'est parce que les ignorants s'adonnent à la discrimination qu'ils se meuvent avec le flot des
apparences, mais il n'en va pas ainsi des sages
10 Le karma désigne le cycle des causes et des conséquences liées à l'existence des êtres sensibles. Le karma est la
somme de ce qu'un individu a fait, est en train de faire ou fera.
Le terme se transcrit également Kamma (depuis le pâli), yè (en chinois classique 業 et simplifié 业)
11 Māyā est la déité principale qui crée, perpétue et régit l'illusion de la dualité dans l'univers phénoménal.
CHAPITRE II
Pourquoi? Parce qu'ils n'ont pas atteint une compréhension intuitive de la Vérité elle-
même et qu'ils n'ont donc pas une pénétration claire des fondamentaux des choses.
Ils sont comme une jarre brisée en morceaux qui ne peut plus fonctionner en tant que jarre;
ils sont comme une semence brûlée qui n'est plus capable de germer.
Mais les éléments qui constituent la personnalité et ce qui l'entoure qu'ils considèrent comme
sujet au changement sont en réalité incapables de transformations ininterrompues. Leurs vues
sont basées sur des discriminations erronées du monde objectif ; elles ne sont pas basées sur la
vraie conception.
Encore une fois, s'il est vrai que quelque chose provienne de rien et qu'il y a augmentation du
système mental en raison de la combinaison des trois causes productrices d'effet, on pourrait
en dire autant de choses qui n'existent pas; par exemple, qu'une tortue puisse développer des
poils, ou que le sable donne de l'huile. Cette proposition est stérile; elle finit par ne rien
affirmer.
Il s'ensuit que le fait, le labeur et la cause de ce dont ils parlent est inutile, et ainsi aussi en est-il
de leur révérence pour l'être et le non-être.
S'ils argumentent qu'il existe une combinaison des trois causes productrices d'effet, il faut
qu'ils le fassent sur le principe de la cause et de l'effet, c'est-à-dire que quelque chose vient de
quelque chose et pas de rien.
Aussi longtemps qu'on affirme un monde de relativité, il y a une chaîne toujours récurrente de
causalité qui ne peut être niée en aucune circonstance, et c'est pourquoi nous ne pouvons
parler de quoi que ce soit qui en vienne à une fin de cessation.
Tant que ces savants resteront sur leur terrain philosophique, leur démonstration devra se
conformer à la logique et leurs livres et leur habitude mnémonique d'intellection erronée leur
collera toujours à la peau. Pour rendre les choses pires, les simples d'esprit, empoisonnés par
cette vue erronée, déclareront que cette façon incorrecte de penser enseignée par les
ignorants est égale à ce qu'enseigne l'Omniscient.
Mais la méthode d'instruction présentée par les Tathagatas12 n'est pas basée sur des assertions
et des réfutations au moyen des mots et de la logique. Il y a quatre formes d'assertions qu'on
peut faire sur des choses qui n'existent pas, c'est-à-dire, des assertions à propos de marques
individuelles qui n'existent pas; sur des objets qui n'existent pas, sur une cause qui n'existe pas;
et sur des vues philosophiques qui sont erronées. Par réfutation, on entend qu'en raison de
l'ignorance, on n'a pas examiné correctement l'erreur qui repose à la base de ces assertions.
L'assertion à propos des marques individuelles qui n'ont pas d'existence réelle se rapporte aux
marques distinctives que perçoivent l'œil, l'oreille, le nez, etc.
et qui indiquent l'individualité et la généralité dans les éléments qui constituent la personnalité
et son monde extérieur ;
et alors, en prenant ces marques pour réelles et en s'y attachant, on se fait à l'idée ou on
affirme que ces choses sont ainsi et pas autrement.
L'assertion sur des objets qui n'existent pas réellement en est une qui provient de
l'attachement à ces marques associées de l'individualité et de la généralité.
Les objets en eux-mêmes ne sont ni existants ni non-existants et sont tout à fait privés de
l'alternative de l'être et du non-être ; et on ne devrait y penser que de la même manière que
l'on pense aux cornes d'un lièvre, d'un cheval ou d'un chameau, qui n'ont jamais existé.
12 En chinois :traduction rúlái 如來 (signification: Comme Venu), transcription dūo túo ā gā túo 多陀阿伽陀 ; pouvant
s’interpréter comme tatha-gata (ainsi allé) ou tatha-agata (ainsi venu), est l'une des épithètes désignant le Bouddha
dans le canon pâli.
Le terme Tathāta, en chinois : zhēnrú 真如 ; généralement traduit pas « ainséité », est aussi connu de l’hindouisme où
il désigne Brahman, le principe suprême, dans les Upanishad.
Les objets sont discriminés par les ignorants qui sont assujettis à l'assertion et à la négation,
parce que leur intelligence n'est pas assez fine pour pénétrer dans la vérité qu'il n'y a rien
d'autre que ce que voit l'esprit lui-même.
L'assertion d'une cause qui n'a pas d'existence suppose la naissance sans cause du premier
élément du système mental qui se révèle par après n'avoir qu'une non-existence de la nature
de Māyā.
C'est-à-dire qu'il y a des philosophes qui soutiennent qu'un système mental non-né à l'origine
commence à fonctionner sous conditions
d'œil, de forme, de lumière et de mémoire,
dont le fonctionnement se poursuit un certain temps, puis s'arrête.
Ceci est un exemple d'une cause qui est sans existence.
L'assertion de vues philosophiques à propos des éléments qui constituent la personnalité et
son monde environnant qui sont non-existants, suppose l'existence d'une existence propre,
d'un être, d'une âme, d'un être vivant, d'un "nourrisseur" ou d'un esprit.
Ceci est un exemple de vues philosophiques qui ne sont pas vraies.
C'est cette combinaison de la discrimination des marques imaginaires de l'individualité, de leur
regroupement, et de leur avoir donné un nom et de s'y être attachés comme à des objets, en
raison de l'énergie de l'habitude qui s'est accumulée depuis des temps immémoriaux, qu'on se
construit des vues erronées dont la seule base consiste en des imaginations fausses.
C'est pour cette raison que les Bodhisattvas devraient éviter toute discussion à propos des
assertions et des négations fondées uniquement sur les mots et la logique.
La discrimination entre les mots se poursuit grâce à la coordination
du cerveau, de la cage thoracique, du nez, de la gorge, du palais, des lèvres, de la langue et des
dents.
Les mots ne sont ni différents ni non-différents de la discrimination.
Ils ont le discrimination pour cause ; si les mots étaient différents de la discrimination, ils ne
pourraient pas l'avoir pour cause; et ensuite et encore, si les mots n'étaient pas différents, ils
ne pourraient pas êtres vecteurs de sens, ni en exprimer.
Les mots sont donc produits par la causalité et sont mutuellement contraignants et mouvants,
et, ainsi que les choses, sont sujets à la naissance et à la destruction.
Il y a quatre sortes de discrimination des mots, qu'on doit toutes éviter parce que toutes sont
également irréelles.
Tout d'abord, il y a des mots qui indiquent des marques individuelles qui proviennent de la
discrimination entre formes et signes, pris pour réels en eux-mêmes, ce qui fait qu'on s'y
attache.
Il y a des mots-mémoire qui proviennent de l'environnement irréel qui se forme devant l'esprit
lorsqu'il se rappelle certaines expériences préalables.
Il y a ensuite des mots qui croissent sur le terreau de l'attachement aux distinctions erronées et
aux spéculations des processus mentaux.
Et finalement, il y a des mots qui croissent sur le terreau des préjugés héréditaires, comme des
semences d'énergie de l'habitude accumulées depuis des temps immémoriaux, ou qui ont leur
origine dans quelque attachement depuis longtemps oublié à de fausses imaginations et à des
spéculations erronées.
Il y a enfin des mots là où il n'y a aucun objet correspondant, ainsi que, par exemple, les cornes
de lièvre, l'enfant d'une femme stérile, &cetera ; ces choses n'existent pas, mais nous en avons
quand même les mots correspondants.
Les mots sont des créations artificielles; il y a des terres de Bouddha où il n'y a pas de mots.
Dans certaines terres de Bouddha, les idées sont indiquées par un regard constant, dans
d'autres par des gestes, et dans d'autres encore par un froncement de sourcils, par un
mouvement des yeux, par un rire, par un bâillement, par un éclaircissement de la gorge ou par
un tremblement.
Par exemple, dans la terre de Bouddha du Tathagata Samantabhadra, les Bodhisattvas, grâce à
un dhyâna13 transcendant les mots et les idées, arrivent à reconnaître toutes choses comme
étant non-nées, et ils font également l'expérience de divers très excellents Samadhis qui
transcendent les mots.
Même en ce monde, des êtres aussi spécialisés que les fourmis ou les abeilles poursuivent très
bien leurs activités sans avoir recours à des mots.
Non, Mahāmati, la validité des choses est indépendante de la validité des mots.
Qui plus est, il y a d'autres choses qui appartiennent aux mots, c'est-à-dire
le corps syllabique des mots, le corps nominal des mots, et le corps prédicatif des mots.
Par corps syllabique, on entend ce par quoi les mots et les phrases sont constitués ou indiqués:
il y a une raison à certaines syllabes, certaines sont mnémoniques, et d'autres sont
arbitrairement choisies.
Par corps nominal, on entend l'objet dont dépendent les mots nominaux pour leur
signification, ou autrement dit, le corps nominal est la "substance" d'un mot nominal.
Par corps prédicatif, on entend la complétion du sens en exprimant plus pleinement le mot
dans une phrase. Le nom de ce corps prédicatif est suggéré par les empreintes que laissent sur
les routes les éléphants, les chevaux, les cerfs, le bétail, les chèvres, etc.
Mais ni les mots ni les phrases ne peuvent exactement exprimer le sens, car les mots ne sont
que de doux sons choisis de façon arbitraire pour représenter des choses, ils ne sont pas les
choses elles-mêmes, et celles-ci ne sont à leur tour que des manifestations de l'esprit. Le
discrimination du sens se base sur une fausse imagination à propos de ces doux sons que nous
appelons mots et qui dépendent du sujet quel qu'il soit qu'ils sont censés représenter, sujets
qui sont à leur tour supposés exister d'eux-mêmes, le tout étant basé sur l'erreur. Les disciples
doivent demeurer sur leurs gardes contre les séductions des mots et des phrases et de leurs
sens illusoires, car par eux l'ignorant et le sot se font prendre au piège et se retrouvent sans
défense comme un éléphant se débattant dans une boue profonde.
Les mots et les phrases sont produits par la loi de causalité et se conditionnent mutuellement;
ils ne peuvent pas exprimer la Réalité ultime. Qui plus est, dans la Réalité ultime, il n'y a pas de
différentiations entre lesquelles discriminer, et il n'y a rien à affirmer à leur sujet.
La Réalité ultime est un état de béatitude exalté, ce n'est pas un état de discrimination de mots
et on ne peut pas y entrer simplement avec des postulats la concernant.
Les Tathagatas ont de meilleures façons d'enseigner, en particulier grâce à l'auto-réalisation de
la Noble Sagesse.
◊
13Souvent traduit par « absorption », bien qu'étymologiquement il signifie simplement méditation ou contemplation.
Mahāmati demanda au Béni du Ciel:
« Je vous en prie, parlez-nous de la causalité de toutes choses, de sorte que moi
et les autres Bodhisattvas puissions voir dans la nature de la causalité et puissions ne plus
discriminer entre la survenue graduelle ou simultanée de toutes choses?
Le Béni du Ciel répondit:
« Il y a deux facteurs de causalité en raison desquels toutes choses viennent à
l'existence apparente: des facteurs internes et des facteurs externes.
Ces derniers sont un tas d'argile, un bâton, une roue, un fil, de l'eau, un ouvrier et son labeur, la
combinaison de l'ensemble produisant un vase.
Comme pour un vase qui est fait d'un tas d'argile, ou une pièce de tissu qui l'est d'un fil, ou de
nattes faites d'herbe odoriférante, ou d'une pousse qui sort d'une graine, ou de beurre frais
tiré du lait suri par un homme qui le baratte ; ainsi en est-il de toutes choses qui apparaissent
l'une après l'autre en succession continue.
En ce qui concerne les facteurs internes de causalité, ils sont tels que la bonté, le désir, le but,
qui entrent tous dans l'idée de causalité. Nés de ces deux facteurs, il y a une manifestation de
personnalité et les choses individuelles qui constituent son environnement, mais elles ne sont
pas choses individuelles ni distinctives; elles ne sont ainsi que parce qu'elles sont discriminées
par les ignorants.
◊
Mahāmati dit alors au Béni du Ciel:
« À quelle sorte de discrimination et à quelle sorte de pensées devrait-on
appliquer le terme de fausses imaginations?
Le Béni du Ciel répondit:
« Tant que les gens ne comprennent pas la véritable nature du monde objectif,
ils tombent dans une vision dualiste.
Ils imaginent que les multiples objets extérieurs sont réels et s'y attachent, et sont nourris par
l'énergie de leur habitude.
Parce que ce système de mentation ; le mental et ce qui y appartient; est discriminé et pris pour
réel; ceci conduit à l'assertion d'une âme dotée d'une existence propre et de ses dépendances,
et c'est ainsi que le système mental continue de fonctionner.
Dépendant de l'habitude mentale dualiste et s'y attachant, ils acceptent les vues des
philosophes fondées sur ces distinctions erronées, de l'être et du non-être, de l'existence et de
la non-existence, et c'est de là que viennent ce que nous appelons de fausses-imaginations.
Mais Mahāmati, le discrimination n'évolue pas, pas plus qu'elle n'est écartée parce que, lorsque
tout ce qui est vu est vraiment reconnu pour n'être rien d'autre que la manifestation de l'esprit,
comment le discrimination en ce qui concerne l'être et le non-être pourrait-elle évoluer?
C'est au bénéfice des ignorants qui sont assujettis à des discriminations de la multiplicité des
choses qui sont le fait de leur propre esprit, que j'ai dit que le discrimination a lieu à cause de
l'attachement à cet aspect de la multiplicité qui est caractéristique des objets. Autrement,
comment les ignorants et les simples d'esprit pourraient-ils concevoir qu'il n'y a rien d'autre
que ce que voit l'esprit lui-même, et comment pourraient-ils autrement arriver à une perception
de la véritable nature de leur esprit et se libérer des conceptions fausses sur la cause et l'effet?
Comment pourraient-ils autrement arriver à une conception claire des étapes du Bodhisattva,
et arriver à un renversement au siège le plus profond de leur conscience, et finalement arriver à
une auto-réalisation intérieure de la Noble Sagesse qui transcende cinq Dharmas, les trois
natures de Soi, et toute l'idée d'une Réalité discriminée?
C'est pour cette raison que je dis que le discrimination prend son origine dans l'esprit qui
s'attache aux multiplicités de choses qui ne sont en elles-mêmes pas réelles, et que
l'émancipation vient d'une compréhension totale du sens de la Réalité, tel qu'elle est vraiment.
Les fausses-imaginations prennent leur origine dans la considération des apparences;
les choses sont discriminées selon
la forme, les signes et la façon ;
selon qu'elles ont
couleur, chaleur, humidité, mobilité ou rigidité.
La fausse imagination consiste à s'attacher à ces apparences et à leurs noms. Par attachement
aux objets on entend le fait de s'attacher aux choses intérieures et extérieures comme si elles
étaient réelles. Par attachement aux noms on entend le fait de reconnaître dans ces choses
intérieures et extérieures les marques caractéristiques de l'individuation et de la généralité, et à
les considérer comme appartenant absolument aux noms des objets. La fausse imagination
enseigne que, puisque toutes choses sont liées aux causes et conditions de l'énergie de
l'habitude qui s'accumule depuis des temps immémoriaux, du fait de ne pas reconnaître que le
monde extérieur est le fait de l'esprit lui-même, toutes choses peuvent se comprendre sous les
aspects de l'individualité et de la généralité. En vertu de cet attachement à ces fausses-
imaginations, il y a une multitude d'apparences qui sont imaginées comme étant réelles mais
qui ne sont qu'imaginaires. Pour illustrer mon propos : quand un magicien qui dépend de
l'herbe, du bois, des buissons et des plantes grimpantes, exerce son art, de nombreuses formes
et de nombreux êtres prennent forme qui ne sont que magiquement créés ; parfois, ils font
même des figures qui ont un corps et qui bougent et agissent comme des êtres humains ; ils
sont diversement et fantastiquement discriminés, mais il n'y a aucune réalité en eux ; tout le
monde, à part les enfants et les simples d'esprit sait qu'ils ne sont pas réels. De même, à partir
de la notion de relativité, la fausse-imagination perçoit une variété d'apparences que l'esprit
discriminant se met à objectiver et à nommer, et à s'y attacher, et que la mémoire et l'énergie
de l'habitude perpétuent. Voici tout ce qui est nécessaire pour constituer la nature-propre des
fausses-imaginations.
On peut distinguer les divers aspects des fausses-imaginations comme suit : on a les mots, le
sens, les marques individuelles, la propriété, la nature propre, la cause, les vues philosophiques,
le raisonnement, la naissance, la non-naissance, la dépendance, l'asservissement et
l'émancipation.
La discrimination entre les mots est de s'attacher à différents sons chargés de sens familiers.
Le discrimination de sens surgit lorsqu'on s'imagine que les mots tirent leur existence de tout
sujet qu'ils expriment, lesquels sujets on considère comme ayant une existence propre.
La discrimination entre les marques individuelles est d'imaginer que tout ce qui est dénoté en
mots par rapport aux multiplicités des marques individuelles (qui sont en elles-mêmes comme
un mirage) est vrai, et de s'y attacher avec ténacité, à discriminer entre toutes choses selon des
catégories comme la chaleur, la fluidité, la mobilité, et la solidité.
La discrimination de la propriété consiste à désirer un état de prospérité, du genre de l'or, de
l'argent et de différentes pierres précieuses.
La discrimination de la nature propre consiste à effectuer des discriminations selon les vues des
philosophes en référence à la nature propre de toutes choses en imaginant et soutenant
obstinément qu'elles sont vraies, en disant : «Ceci est juste comme c'est et ne peut être
autrement».
La discrimination de cause consiste à distinguer la notion de causalité en référence à l'être et au
non-être et à imaginer qu'il existe des choses comme «les signes des causes».
La discrimination de vues philosophiques signifie considérer différentes vues par rapport aux
notions d'être et de non-être, d'unicité et d'altérité, de simultanéité de deux choses et de leur
non-simultanéité, d'existence et de non-existence, l'ensemble desquelles étant erroné, et
s'attacher à des vues spécifiques .
La discrimination du raisonnement signifie l'enseignement dont le raisonnement se fonde sur la
saisie de la notion de substance du moi et de ce qui lui appartient.
La discrimination de la naissance signifie s'attacher à la notion que les choses viennent à exister
et à cesser d'exister en vertu de la loi de causalité.
La discrimination de la non-naissance consiste à voir que des substances sans causes, qui
n'étaient pas, viennent à exister en raison de la loi de causalité.
La discrimination de la dépendance signifie la dépendance mutuelle de l'or et des filaments
qu'on en fait.
Les discriminations de l'asservissement et de l'imagination sont comme d'imaginer qu'il y a
quelque chose de lié parce qu'il y a quelque chose qui lie, comme dans le cas d'un homme qui
attache un nœud et puis en défait un autre.
Ce sont là les divers aspects des fausses-imaginations auxquelles s'attachent tous les
ignorants et les simples d'esprit. Ceux qui s'attachent aux notions de relativité sont attachés
aux notions de la multiplicité des choses qui surgissent de la fausse-imagination.
C'est comme de voir des variétés d'objets qui dépendent de Māyā, mais ces variétés ainsi
révélées sont discriminées par les ignorants comme étant quelque chose d'autre que Māyā lui-
même, selon leur façon de penser.
Maintenant, la vérité c'est que Māyā et des variétés d'objets ne sont ni différents ni non
différent ; s'ils étaient différents, les variétés d'objets n'auraient pas Māyā pour caractéristique;
s'ils n'étaient pas différents , il n'y aurait pas de distinction entre eux.
Mais comme il y a une distinction, ces deux-là; Māyā et variétés d'objets; ne sont ni différents ni
non différents, pour une excellente raison : ils ne font qu'un.
Mahāmati, toi et tous les Bodhisattvas devez vous discipliner dans la réalisation et
l'acceptation patiente des vérités de la vacuité, de la non-naissance, de l'absence de nature
propre, et de la non-dualité de toutes choses. On trouve cet enseignement dans tous les sûtras
de tous les Bouddhas et il est présenté selon les diverses dispositions des êtres, mais ce n'est
pas la Vérité elle-même. Ces enseignements ne sont qu'un doigt pointé vers la Noble Sagesse.
Ils sont comme un mirage avec ses sources d'eau que le cerf prend pour réelles et après
lesquelles il court.
14 Le samsāra, terme sanskrit signifiant « ensemble de ce qui circule », d'où « transmigration » ; est le cycle des
existences conditionnées, c'est-à-dire les états de l'existence sous l'emprise de la souffrance, de l'attachement et de
l'ignorance. Ces états sont conditionnés par le karma.
Il en va de même avec l'enseignement dans tous les sûtras : Ils sont prévus pour la
considération et la guidance de l'esprit discriminant de tout le monde, mais ils ne sont pas la
Vérité elle-même, qui ne peut être réalisée que par chacun, au sein de sa conscience la plus
intime. Mahāmati, toi et tous les Bodhisattvas devez recherchez cette réalisation personnelle
intérieure de la Noble Sagesse, et ne pas vous laisser captiver par les enseignements en
paroles.
CHAPITRE III
◊
Alors Mahāmati interrogea le Béni du Ciel, en disant:
« Dites-nous, ô Béni du Ciel, comment toutes choses peuvent être vides, non-
nées, et ne pas avoir de nature propre, que nous puissions être éveillés et réaliser rapidement
l'Éveil supérieur?
Par la vacuité des marques individuelles on entend que toutes choses n'ont aucunes marques
distinctives d'individualité et de généralité. À cause des relations et interactions mutuelles, les
choses sont superficiellement discriminées mais quand elles sont examinées et analysées plus
avant et avec plus de soins, elles s'avèrent non-existantes et rien ne peut en être prédiqué
selon l'individualité et la généralité. Donc quand les marques individuelles ne se peuvent plus
voir, les idées de soi, d'altérité et de dualité, ne tiennent plus.
Il faut donc dire que toutes choses sont vides de marques du soi.
Par vacuité de la nature propre on entend que toutes choses dans leur nature propre sont non-
nées; c'est pourquoi l'on dit que les choses sont vides de nature propre.
Par la vacuité de non-travail on entend que l'agrégat d'éléments qui constitue la personnalité et
son monde extérieur est le Nirvâna lui-même et depuis le début il n'y a pas d'activité en eux; en
conséquence de quoi, on parle de la vacuité de non-travail.
Par la vacuité du travail on entend que les agrégats, étant dépourvus d'une existence propre et
de ses accessoires, continuent de fonctionner automatiquement car il y a conjonction mutuelle
de causes et conditions; c'est ainsi que l'on parle de la vacuité du travail.
Par la vacuité de toutes choses au sens où elles sont imprévisibles on entend que, comme la
nature propre de la fausse-imagination est en elle-même inexprimable, de même toutes choses
sont imprévisibles, et sont en conséquence vides en ce sens.
Par la vacuité au sens le plus élevé de la vacuité de la Réalité ultime, on entend que dans
l'accession à l'auto-réalisation de la Noble Sagesse il n'y a pas de trace de l'énergie de
l'habitude générée par des conceptions erronées ; c'est ainsi que l'on parle de la plus élevée
Vacuité de la Réalité ultime.
Lorsqu'on examine les choses au moyen de la connaissance correcte, on ne peut pas
obtenir de signes qui pourraient les caractériser avec des marques d'individualité et de
généralité, c'est pourquoi ils sont dits ne pas avoir de nature propre.
Comme on voit que ces signes d'individualité et de généralité sont existants, tout autant qu'on
sait qu'ils sont non-existants, qu'on voit qu'ils sortent, tout autant qu'on sait qu'ils ne sortent
pas, ils ne sont jamais annihilés.
15 Également transcrit Īshvara, Īshwara, Ishwar, Isvara, (en sanskrit : «le seigneur suprême») représente l'être
suprême dans l'hindouisme.
Il est la source de la création sans cependant en être le créateur (qui est Brahmā).
qui travaillent selon la loi de causalité.
Quoique les deux ensembles d'éléments puissent différer en forme et nom, il ne semble pas
qu'il y ait une différence essentielle entre les deux positions. S'il y a quoi que ce soit qui soit
distinctive et supérieur dans l'enseignement du Béni du Ciel, je vous prie de nous dire, ô Béni du
Ciel, qu'est-ce que c'est?
Lorsqu'il est clairement compris qu'il n'y a rien au monde qui ne soit qu'une vue de
l'esprit lui-même, la discrimination n'a plus lieu, et les sages sont installés dans leur vraie
demeure qui est le domaine de la quiétude.
Les ignorants discriminent et s'efforcent de s'ajuster aux conditions extérieures, et ont l'esprit
constamment perturbé; on imagine et on discrimine des irréalités, cependant que les réalités
ne sont pas vues et sont ignorées. Il n'en va pas de même avec les sages.
Pour illustrer: Ce que voient les ignorants, c'est comme la cité magiquement créée des
Gandharvas, où on peut voir des enfants, des rues et des maisons, et des marchands fantômes,
et des gens qui entrent et sortent.
Celle-ci, avec ses rues et maisons et ses gens qui entrent et sortent, on n'en pense pas qu'elle
soit née ou annihilée, parce qu'en ce cas, il n'est pas question de leur existence ou non-
existence.
De la même manière, j'enseigne, qu'il n'y a rien de fait ni de défait; qu'il n'y a rien qui soit en
rapport avec la naissance et la destruction sauf quand les ignorants chérissent des notions
faussement imaginées sur la réalité du monde extérieur. Lorsqu'on ne voit pas et qu'on ne juge
pas les objets selon ce qu'ils sont réellement en eux-mêmes, il y a discrimination et
attachement aux notions de l'être et du non-être, et de la nature propre individualisée, et aussi
longtemps que ces notions d'individualité et de nature propre persisteront, Les philosophes
devront expliquer le monde extérieur par une loi de causalité.
Cette position soulève la question d'une cause première que les philosophes apportent en
postulant que leur cause première, Ishvara et les éléments primaires, sont non-nés et non-
annihilés; position qui est sans preuve et irrationnelle.
Les gens ignorants et les philosophes mondains chérissent une sorte de non-naissance, mais ce
n'est pas la non-naissance que j'enseigne.
Par apparence on entend ce qui se révèle soi-même aux sens et à l'esprit discriminant et est
perçu comme forme, son, odeur, goût, et toucher.
De ces apparences se forment des idées,
comme l'argile, l'eau, une cruche, etc., par lesquelles on dit :
ceci est telle et telle chose et pas une autre;
ceci est un nom.
Lorsque les apparences sont contrastées et les noms comparés, comme quand on dit: ceci est
un éléphant, ceci est un cheval, une charrette, un piéton, un homme, une femme, ou ceci est
l'esprit et ce qui lui appartient; on dit des choses ainsi nommées qu'elles sont discriminées.
Comme on finit par voir ces discriminations comme mutuellement contraignantes, comme
vides de substance autonome, comme non-nées, c'est ainsi qu'on en vient à les voir comme
elles sont réellement, c'est-à-dire en tant que manifestations de l'esprit lui-même; ceci est la
connaissance correcte. Par elle les sages cessent de considérer les apparences et les noms
comme des réalités.
Lorsque apparences et noms sont mis de côté et que cessent toutes discriminations, ce qui
reste est la vraie et essentielle nature des choses et, comme rien peut être prédiqué selon la
nature de l'essence, on l'appelle «l'Ainsi-té» de la Réalité. Cette universelle, indifférenciée, non-
contemplée «Ainsi-té» est la seule réalité mais elle est diversement caractérisée par la Vérité,
l'Essence mentale, l'Intelligence transcendantale, la Noble Sagesse, etc.
Ce Dharma de l'absence d'image dans la Nature-essence de la Réalité ultime est le Dharma qui a
été proclamé par tous les bouddhas, et quand toutes choses sont comprises en plein accord
avec lui, on est en possession de la Parfaite Connaissance, et on est en route pour l'accession à
l'Intelligence transcendantale des Tathagatas.
◊
Alors Mahāmati dit au Béni du Ciel:
« Ces trois natures propres
des choses, des idées, et de la Réalité,
doit-on les considérer comme inclues dans les Cinq Dharmas, ou selon qu'elles ont leurs propres
caractéristiques complètes en elles-mêmes.
En s'attachant à ce qui est vus par l'esprit lui-même, il y a une activité éveillée qui est perpétuée
par l'énergie de l'habitude qui devient manifeste dans le système mental, des activités du
système mental provient la notion d'une âme dotée d'une existence propre et de ses
possessions; les discriminations, attachements, et la notion d'une âme dotée d'une existence
propre, surgissant simultanément comme le soleil et ses rayons de lumière.
Par l'absence d'existence propre des choses, on entend que les éléments qui constituent les
agrégats de personnalité et son monde objectif étant caractérisés par la nature de Māyā et
dépourvus de quoi que ce soit qui puisse être appelé substance intrinsèque, ils sont donc non-
nés et n'ont pas de nature propre.
Comment peut-on dire des choses qu'elles ont une âme dotée d'une existence propre?
Par l'absence d'existence propre des personnes, on entend que dans les agrégats qui
constituent la personnalité il n'y a pas de substance intrinsèque, ni quoi que ce soit qui soit
comme une substance intrinsèque ni qui y appartienne.
Le système mental, qui est la marque la plus caractéristique de la personnalité, tire son origine
de l'ignorance, de la discrimination, du désir et des actes ;
et ses activités sont perpétuées par le fait
de percevoir, de saisir et de s'attacher aux objets
comme s'ils étaient réels.
La mémoire de ces discriminations, désirs, attachements et actes est emmagasinée dans
l'Esprit universel depuis des temps immémoriaux, continue de s'accumuler là où elle
conditionne l'apparence de la personnalité et de son environnement, et entraîne des
changements et une destruction constants d'un moment à l'autre.
Les manifestations sont comme une rivière, une semence, une lampe, un nuage, le vent;
l'esprit universel dans sa voracité à tout emmagasiner, est comme un singe qui ne reste jamais
au repos, comme une mouche toujours en quête de nourriture et sans partialité, comme un feu
qui n'est jamais satisfait, comme une machine à élever l'eau qui continue de tourner.
L'esprit universel comme souillé par l'énergie de l'habitude est comme un magicien qui fait
apparaître et se déplacer des choses et des gens fantômes. Une complète compréhension de
ces choses est nécessaire pour comprendre l'absence d'existence propre des personnes.
Il y a quatre sortes de Connaissance:
la connaissance de l'apparence,
la connaissance relative,
la connaissance parfaite,
et l'Intelligence transcendantale.
La connaissance de l'apparence appartient aux ignorants et aux simples d'esprit qui sont
assujettis à la notion de l'être et du non-être, et qui ont peur à l'idée d'être non-nés.
Elle est produite par la concordance de la triple combinaison et s'attache elle-même aux
multiplicités des objets; elle est caractérisée par l'appropriation et l'accumulation ; elle est
sujette à la naissance et à la destruction.
La connaissance de l'apparence appartient aux faiseurs de mots qui se régalent de
discriminations, d'assertions et de négations.
La connaissance relative appartient au monde mental des philosophes. Elle naît de la capacité
de l'esprit à arranger, combiner et analyser ces relations par ses pouvoirs de logique discursive
et d'imagination, en raison desquels il peut jeter un regard au sens et à la signification des
choses.
La connaissance parfaite appartient au monde des Bodhisattvas qui reconnaissent que toutes
choses ne sont que manifestations de l'esprit ; qui comprennent clairement la vacuité, la "non-
né-ité", l'absence d'existence propre de toutes choses ; et qui sont entrés dans une
compréhension des Cinq Dharmas, la double absence d'existence propre, et dans la vérité de
l'absence d'image.
La connaissance parfaite différencie les étapes de Bodhisattva, et est la piste et l'entrée dans
l'état exalté d'auto-réalisation de la Noble Sagesse.
La connaissance parfaite (jñana16) appartient aux Bodhisattvas qui sont entièrement libres du
dualisme de l'être et du non-être, de la non-naissance et de la non-annihilation, de toutes
assertions et négations, et qui, en raison de l'auto-réalisation, ont gagné une pénétration dans
16 Jñāna,connaissance, savoir.
Le jñāna est toujours une connaissance d'ordre supérieur, métaphysique et intuitif.
En ce sens, il se distingue de vijñāna, l'intellect, la connaissance discriminante.
Il concerne moins le mental ou la réflexion que le cœur.
Dans la philosophie indienne, Jñāna est la connaissance du lien qui lie le soi individuel, ātman, au Soi universel,
braman.
la vérité de l'absence d'existence propre et de l'absence d'image.
Ils ne discriminent plus le monde comme étant sujet à causalité: ils considèrent la causalité qui
règle le monde comme quelque chose de semblable à la fameuse cité des Gandharvas.
Pour eux, le monde est comme une vision et un rêve, il est comme la naissance et la mort de
l'enfant d'une femme stérile; pour eux, il n'y a rien qui évolue et rien qui disparaisse.
Les sages qui chérissent la connaissance parfaite peuvent être répartis en trois classes:
disciples, maîtres et Ārhats.
Les disciples ordinaires qui sont séparés des maîtres en tant que disciples ordinaires continuent
à chérir la notion d'individualité et de généralité;
les maîtres s'élèvent du rang des disciples ordinaires quand, abandonnant les erreurs
d'individualité et de généralité, ils s'accrochent encore à la notion d'une âme dotée d'une
existence propre, en raison de quoi ils s'en vont d'eux-mêmes dans la retraite et la solitude.
Les Ārhats se distinguent du lot lorsque l'erreur de toute discrimination est réalisée.
L'erreur discriminée par les sages se transforme en Vérité par vertu du retournement qui a lieu
au sein de la plus profonde conscience.
L'esprit, ainsi émancipé, pénètre dans la parfaite auto-réalisation de la Noble Sagesse.
Mais, Mahāmati, si tu soutiens qu'il existe une chose telle que la Noble Sagesse, cela ne
tient plus, car quoi que ce soit dont quelque chose est postulé participe en conséquence de la
nature de l'être et est donc caractérisé par la qualité de la naissance.
L'assertion même:
«Toutes choses sont non-nées»
en détruit la vérité. Il en va de même des postulats:
«Toutes choses sont vides»,
et «Rien n'a de nature propre» ;
tous deux sont intenables quand on les met sous forme d'assertion.
Mais quand on fait remarquer que toutes choses sont comme un rêve et une vision, cela
signifie que dans un sens ils sont perçus, et que dans un autre sens ils ne sont pas perçus ;
c'est-à-dire que dans l'ignorance ils sont perçus, mais que dans la connaissance parfaite ils ne
sont pas perçus.
Toutes assertions et négations étant des constructions intellectuelles, elles sont non-nées.
Même l'assertion que l'Esprit universel et la Noble Sagesse sont la Réalité ultime, est une
construction intellectuelle et, c'est pourquoi elle est non-née.
En tant que choses il n'y a pas d'Esprit universel, il n'y a pas de Noble Sagesse, il n'y a pas de
Réalité ultime.
La pénétration des sages qui se déplacent dans le domaine de l'absence d'image et sa solitude,
est pure. C'est-à-dire que pour les sages toutes choses sont balayées et que même l'état
d'absence d'image cesse d'exister.
CHAPITRE V
LE SYSTÈME MENTAL
17 Dans le bouddhisme, citta, désigne ce qu'on appelle habituellement l'esprit : l'ensemble des fonctions mentales,
rationnelles, émotionnelles, conscientes ou inconscientes.
18 Samāpatti, est un terme sanskrit qui signifie tomber ou se trouver dans un état ou une condition, obtention ou
devenir.
Il y a dans le système mental trois modes distincts d'activité :
les représentations mentales sensorielles qui fonctionnent tout en demeurant dans leur nature
originelle,
les représentations mentales sensorielles comme produisant des effets,
et les représentations mentales sensorielles comme évoluant.
Dans leur fonctionnement normal, les représentations mentales sensorielles saisissent les
éléments appropriés du monde extérieur, par lesquels sensation et perception se produisent
instantanément et par degrés dans tous les organes sensoriels et toutes les représentations
mentales sensorielles, dans les pores de la peau, et même dans les atomes qui constituent le
corps, par lesquels le champ tout entier est appréhendé comme un miroir reflète les objets, et
sans se rendre compte que le monde extérieur lui-même n'est qu'une manifestation de l'esprit.
Le second mode d'activité produit des effets par lesquels ces sensations réagissent sur l'esprit
discriminant de façon à produire des perceptions, des attractions, des aversions, de la saisie,
des actes et des habitudes.
Le troisième mode d'activité est en rapport avec la croissance, le développement et la fin du
système mental, c'est-à-dire que le système mental est sujet à sa propre énergie de l'habitude
accumulée depuis des temps immémoriaux,
comme par exemple : la vision dans les yeux qui les prédispose à saisir et s'attacher aux formes
et apparences multiples.
De la sorte, les activités du système mental évoluant en raison de son énergie de l'habitude
entraînent des vagues d'objectivité en face de l'Esprit universel qui, en retour, conditionne les
activités et l'évolution du système mental.
Les apparences, la perception, l'attraction, la saisie, les actes, l'habitude, la réaction,
se conditionnent mutuellement de façon incessante, et c'est ainsi que les représentations
mentales sensorielles en fonctionnement, l'esprit discriminant et l'Esprit universel sont liés
ensemble.
Donc, en raison de la discrimination de ce qui par nature n'est que fausse-imagination irréelle et
erronée et semblable à Māyā, le raisonnement a lieu, l'action s'ensuit et son énergie de
l'habitude s'accumule, souillant par voie de conséquence la pure face de l'Esprit universel, avec
pour résultat que le système mental se met en marche et que le corps physique prend sa
genèse.
Mais l'esprit discriminant n'a pas pensé que, par ses discriminations et ses attachements, il
conditionne le corps tout entier et qu'ainsi les représentations mentales sensorielles et l'esprit
discriminant continuent d'être en relation mutuelle et en conditionnement mutuel de la façon
la plus intime et se construisent un monde de représentation des activités de sa propre
imagination.
De même qu'un miroir reflète les formes, les sens de la perception perçoivent les apparences
que l'esprit discriminant rassemble et s'active à discriminer, à nommer et à s'attacher.
Entre ces deux fonctions il n'y a pas d'espace, mais elles sont néanmoins mutuellement
contraignantes. Le sens percepteur saisit ce pour quoi il a une affinité, et il y a une
transformation qui a lieu dans leur structure en raison de laquelle l'esprit s'active à combiner,
discriminer, informer, et agir ; alors s'ensuit l'énergie de l'habitude et l'établissement de l'esprit
et sa continuation.
La représentations mentales qui fonctionne en connexion avec l'attachement aux objets et aux
idées, dérivée de la discrimination, discrimine l'esprit de ses processus mentaux et accepte les
idées en provenant comme étant réelles et s'y attache. On arrive ainsi à une variété de faux
jugements qui sont multiplicité, individualité, valeur, etc., une forte saisie se produit qui est
perpétuée par l'énergie de l'habitude et c'est ainsi que la discrimination continue à se postuler
elle-même.
Ces processus mentaux donnent lieu à des conceptions générales sur
la chaleur, la fluidité, la mobilité, et la solidité,
comme étant caractéristiques des objets de discrimination, cependant que l'attachement
tenace à ces idées générales donne lieu à des propositions, des raisonnements, des définitions,
et des illustrations, qui mènent toutes à l'assertion de la connaissance relative et à
l'établissement de la confiance en la naissance, en la nature propre, et en une âme dotée d'une
existence propre. Par la représentations mentales comme fonction examinatrice, on entend
l'acte intellectuel d'examiner ces conclusions générales selon leur validité, signification, et
fiabilité.
Ceci est la faculté qui amène à la compréhension, à la connaissance correcte et indique le
chemin de l'auto-réalisation.
Parmi celles-ci, la forme appartient à ce qui est constitué de ce qu'on appelle les éléments
primaires, quoi qu'ils puissent être.
Les quatre agrégats qui restent sont sans forme et ne doivent pas être conçus comme quatre,
parce qu'ils se fondent imperceptiblement l'un dans l'autre.
Ils sont comme l'espace qu'on ne peut pas compter ; ce n'est que du fait de l'imagination qu'ils
sont discriminés et assimilés à l'espace.
Comme les choses sont dotées des apparences de l'être, des marques caractéristiques,
de la perceptibilité, de la demeure, du travail,
on peut dire qu'ils sont nés de causes productrices d'effets, mais on ne peut pas dire cela de
ces quatre agrégats intangibles car ils sont sans aucune forme de marques. Ces quatre agrégats
mentaux qui constituent la personnalité sont au-delà de la calculabilité, ils sont au-delà des
quatre propositions, ils n'ont pas à être prédiqués comme existants ou comme non-existants,
mais ensemble ils constituent ce qu'on connaît comme l'esprit mortel.
Ils sont encore plus de la nature de Māyā et oniriques que ne le sont les choses, néanmoins, en
tant qu'esprit mortel discriminant, ils obstruent l'auto-réalisation de la Noble Sagesse. Mais ce
n'est que par les ignorants qu'ils sont énumérés et pris pour une personnalité dotée d'une
existence propre; ce n'est pas ce que font les sages. Cette la discrimination des cinq agrégats
qui constituent la personnalité et qui servent de base pour une âme dotée d'une existence
propre et d'appui pour ses désirs et intérêts propres doit être abandonnée, et à la place, il est
préférable d'établir la vérité de l'absence d'image et de la solitude.
◊
Alors Mahāmati dit au Béni du Ciel:
« Je vous en prie, parlez-nous, ô Béni du Ciel, de l'Esprit universel et de sa relation
au système mental inférieur?
Le Béni du Ciel répondit:
« Les représentations mentales sensorielles et leur esprit discriminant centralisé
sont en relation au monde extérieur qui est une manifestation de lui-même et qui se laisse aller
à percevoir, à discriminer, et à se saisir de ses apparences de la nature de Māyā.
L'Esprit universel (Alaya-vijñana) transcende toute individuation et toutes limites.
L'Esprit universel est absolument pur dans sa nature essentielle, subsistant inchangé et exempt
des défauts de l'impermanence, non perturbée par l'égoïsme, non troublé par les distinctions,
les désirs et les aversions.
L'Esprit universel est comme un grand océan: sa surface est ridée par des vagues et des lames
de fond mais ses profondeurs restent à jamais impassibles.
En lui-même il est dépourvu de personnalité et de tout ce qui y appartient, mais en raison des
souillures à sa surface, il est comme un acteur qui joue une variété de rôles, entre lesquels a lieu
un fonctionnement mutuel qui fait surgir le système mental.
Le principe de l'intellection se divise et l'esprit, les fonctions de l'esprit, les mauvais
écoulements de l'esprit, prennent leur individuation.
La septuple gradation de l'esprit apparaît: c'est-à-dire,
l'auto-réalisation intuitive, la discrimination pensante et désirante,
la vue, l'ouïe, le goût, l'odorat, le toucher,
et toutes leurs interactions et réactions prennent leur envol.
L'esprit discriminant est la cause des représentations mentales sensorielles et leur support, et
avec elles, il est maintenu en fonctionnement alors qu'il décrit et s'attache à un monde des
objets, et alors, au moyen de son énergie de l'habitude, il souille la face de l'Esprit universel.
L'Esprit universel devient donc le magasin et le débarras de tous les produits accumulés de la
représentation mentale et de l'action depuis des temps immémoriaux.
Entre l'Esprit universel et l'esprit discriminant individuel, il y a l'esprit intuitif (manas19) qui
dépend de l'Esprit universel pour sa cause et son soutien et entre en relation avec les deux. Il
participe de l'universalité de l'Esprit universel, partage sa pureté, et comme elle, est au-dessus
de la forme et de la nature transitoire. C'est par l'esprit intuitif que se fait jour le bien sans
écoulements, qu'il est manifesté et réalisé. Il est heureux que l'intuition ne soit pas
momentané, car si l'éveil qui provient de l'intuition était momentané, les sages perdraient leur
«sagesse» ce qui n'est pas le cas. Mais l'esprit intuitif entre en relations avec le système mental
inférieur, partage ses expériences et réfléchit sur ses activités.
L'esprit intuitif ne fait qu'un avec l'Esprit universel, en raison de sa participation à l'Intelligence
transcendantale (Arya-jñana), et il ne fait qu'un avec le système mental de par sa
compréhension de la connaissance différenciée (vijñana).
L'esprit intuitif n'a pas de corps propre ni aucune des marques par lesquelles il pourrait être
différencié.
L'Esprit universel est sa cause et son soutien mais il a évolué avec la notion d'un existence
propre et de ce qui lui appartient, notion à laquelle il s'accroche et sur laquelle il réfléchit.
C'est par l'esprit intuitif, par la faculté d'intuition qui est un mélange, et de l'identité, et de la
perception, que l'inconcevable sagesse de l'Esprit universel est révélée et rendue réalisable.
Comme l'Esprit universel, il ne peut pas être la source de l'erreur.
19 Ce terme désigne le mental et parfois l'intellect (buddhi), ou encore l'inconscient (citta). Il a également le sens de
conscience ordinaire à l'état de veille ou ego.
◊
Alors Mahāmati dit au Béni du Ciel:
« Je vous en prie, dites-nous, ô Béni du Ciel, ce qu'on entend par cessation du
système mental?
Il faut abandonner l'habitude mentale de regarder par l'esprit discriminant hors de soi sur un
monde objectif extérieur, et mettre en place une nouvelle habitude de se rendre compte de la
Vérité au sein de l'esprit intuitif en ne faisant plus qu'un avec La Vérité elle-même.
Et cela, jusqu'à ce qu'on arrive à cette auto-réalisation intuitive de la Noble Sagesse.
Le système mental évolutif continuera d'être.
Mais quand on arrive à une pénétration dans
les cinq Dharmas, dans les trois natures propres, et dans la double absence d'existence propre,
la voie s'ouvre alors pour que ce retournement ait lieu.
Avec la fin
du plaisir et de la douleur,
des idées contradictoires,
des troublants intérêts de l'égoïsme,
on arrive à un état de tranquillité dans lequel la vérité de l'émancipation est pleinement
comprise et où il n'y a plus de mauvais écoulements du système mental qui puissent interférer
avec la parfaite auto-réalisation de la Noble Sagesse.
CHAPITRE VI
L'INTELLIGENCE TRANSCENDANTALE
Mais si un homme s'attache au sens littéral des mots et s'accroche solidement à l'illusion que
les mots et le sens sont en accord, en particulier pour des choses comme le Nirvâna, qui est
non-né et immortel, ou selon les distinctions des Véhicules, des cinq Dharmas, des trois natures
propres, il échouera alors à comprendre le vrai sens et s'emmêlera dans les assertions et les
réfutations.
Tout comme les variétés d'objets qu'on voit et qu'on discrimine dans les rêves et les visions,
c'est erronément que l'on discrimine les idées et les postulats et l'erreur va se multipliant.
Les ignorants et les simples d'esprit déclarent que le sens n'est pas différent des mots, que tels
que sont les mots, ainsi est le sens. Ils pensent que comme le sens n'a pas de corps propre, il ne
peut donc pas être différent des mots et c'est pour cela qu'ils déclarent que le sens est
identique aux mots.
En ceci ils sont ignorants de la nature des mots, qui sont sujets à la naissance et à la mort, ce qui
n'est pas le cas du sens; les mots dépendent des lettres mais pas le sens; le sens est séparé de
l'existence et de la non-existence, il n'a pas de substrat, il est non-né.
Les Tathagatas n'enseignent pas un Dharma qui dépend des lettres.
Quiconque enseigne une doctrine qui dépendrait des lettres et des mots n'est qu'un bavard,
parce que la Vérité est au-delà des lettres, des mots et des livres.
Ceci ne signifie pas que lettres et livres ne disent jamais ce qui est en conformité avec le sens et
la vérité, mais que mots et livres sont dépendants des discriminations, alors que le sens et la
vérité ne sont pas ; qui plus est, mots et livres sont sujets à l'interprétation des esprits
individuels, cependant que le sens et la vérité ne le sont pas.
Mais si la Vérité n'est pas exprimée dans les mots et les livres, les écritures qui contiennent le
sens de la Vérité disparaîtraient, et sans les écritures il n'y aurait plus de disciples ni de maîtres,
ni de Bodhisattvas ni de Bouddhas, et il n'y aurait plus rien à enseigner.
Mais il ne faut pas s'attacher aux mots des écritures parce que même les textes canoniques
dévient parfois de leur cours direct à cause du fonctionnement imparfaits des esprits sensibles.
Moi-même et d'autres Tathagatas donnons des discours religieux en réponse aux divers
besoins et croyances de toutes les sortes d'êtres, afin de les libérer de la dépendance à la
fonction pensante du système mental, mais ils ne sont pas donnés pour prendre la place de
l'auto-réalisation de la Noble Sagesse.
Lorsque il y a admission de ce qu'il n'y a rien au monde qui ne soit une vue de l'esprit lui-même,
toutes les discriminations dualistes sont écartés, la vérité de l'absence d'image est comprise, et
on constate qu'elle est en conformité avec le sens plutôt qu'avec les mots et les lettres.
Les ignorants et les simples d'esprit étant fascinés par leur imaginations personnelles et leurs
raisonnements erronés, ils continuent de danser et de sauter partout, mais sont incapables de
comprendre le discours en mots sur la vérité de l'auto-réalisation, et à plus forte raison de
comprendre la Vérité elle-même.
Agrippés au monde extérieur, ils s'accrochent à l'étude de livres qui ne sont jamais qu'un
moyen, et ne savent pas vraiment comment s'assurer de la vérité de l'auto-réalisation, qui est la
Vérité non défigurée par les quatre propositions. L'auto-réalisation est un état exalté de
réalisation intérieure qui transcende toute pensée dualiste et qui est au-dessus du système
mental avec sa logique, son raisonnement, ses théories, et ses illustrations. Les Tathagatas font
des discours aux ignorants, mais soutiennent les Bodhisattvas lorsqu'ils voient l'auto-réalisation
de la Noble Sagesse.
Laissons donc chaque disciple faire bien attention à ne pas s'attacher aux mots comme étant
en parfaite conformité avec le sens, parce que la Vérité n'est pas dans les lettres.
Lorsqu'un homme pointe vers quelque chose ou quelqu'un du bout de son doigt, on pourrait
confondre le bout du doigt avec la chose vers laquelle on pointe;
de la même manière, les ignorants et les simples d'esprit, comme des enfants, sont incapables,
même au jour de leur mort, d'abandonner l'idée que le doigt que sont les mots, soit le sens lui-
même.
Ils ne peuvent réaliser la Réalité ultime à cause de leur attachement résolu à des mots qui ne se
voulaient rien d'autre qu'un doigt pointé.
Les mots et leur discrimination nous lient à la triste ronde des naissances dans le monde de
naissance-et-mort ; le sens reste seul et est un guide vers le Nirvâna.
On arrive au sens grâce à beaucoup d'étude, et on arrive à beaucoup de connaissances en
devenant familiers avec le sens et pas avec les mots; c'est pourquoi les chercheurs de vérité
s'approchent des sages avec révérence, et évident ceux qui se braquent sur des mots
particuliers.
Pour ce qui est des enseignements: il y a des prêtres et des prédicateurs populaires qui
s'adonnent aux rituels et aux cérémonies et qui sont habiles dans les diverses incantations et
dans les arts de l'éloquence; il ne faut pas les honorer ni les servir avec révérence, car ce que
l'on tire d'eux n'est que de l'excitation émotionnelle et un plaisir mondain; ce n'est pas le
Dharma.
De tels prédicateurs, par leur habile manipulation de mots et de phrases, et divers
raisonnements et incantations; qui ne sont que du babillage d'enfant, dans la mesure où on
peut faire croire ce qui n'est pas du tout en accord avec la vérité ni à l'unisson avec le sens; ne
font qu'exciter le sentiment et l'émotion, tout en stupéfiant l'esprit. Comme il ne comprend
pas lui même le sens des choses, il ne fait que confondre l'esprit de ses auditeurs avec ses vues
dualistes. Incapable de comprendre par lui-même qu'il n'y a rien que ce qui est vue de l'esprit,
et lui-même attaché à la notion de la nature propre des choses extérieures, et incapable à
distinguer un chemin d'un autre, il n'a pas de délivrance à offrir aux autres. Donc ces prêtres et
prédicateurs populaires qui sont habiles dans diverses incantations et habiles dans les art de
l'éloquence, ne s'étant jamais émancipés eux-mêmes de calamités telles que la naissance, la
vieillesse, la maladie, le chagrin, la lamentation, la souffrance et le désespoir, conduisent les
ignorants à la confusion au moyen de leurs divers mots, phrases, exemples, et conclusions.
Ensuite, il y a les philosophes matérialistes. Il ne faut ni leur montrer du respect ni leur rendre
service, parce que leur enseignement, quoiqu'ils puissent l'expliquer au moyen de centaines de
milliers de mots et de phrases, ne va pas au-delà des préoccupations de ce monde et de ce
corps, et à la toute fin, ils mènent à la souffrance. Comme les matérialistes ne reconnaissent
pas la vérité qui existe par elle-même, ils sont séparés en de nombreuses écoles, chacune
desquelles s'accroche à sa propre façon de raisonner.
Mais il y a ce qui n'appartient pas au matérialisme et qui n'est pas atteint par la connaissance
des philosophes qui s'attachent à de fausses-imaginations et à des raisonnements erronés
parce qu'ils n'arrivent pas à voir que, fondamentalement, il n'y a pas de réalité dans les objets
extérieurs. Lorsqu'on s'aperçoit qu'il n'y a rien au-delà de ce qui est vue de l'esprit lui-même, la
discrimination de l'être et du non-être cesse et c'est ainsi que dans le monde extérieur de
l'objet de la perception, rien ne reste que la solitude de la Réalité.
Ceci n'appartient pas aux philosophes matérialistes, c'est le domaine des Tathagatas.
Si ces choses sont imaginées comme des allées et venues du système mental,
une disparition et une apparition, une sollicitation, un attachement, une intense affection, une
hypothèse philosophique, une théorie, une demeure, un concept sensoriel, une attraction
atomique, un organisme, une croissance, la soif, la saisie, ces choses appartiennent au
matérialisme, elles ne sont pas de moi.
Ce sont des choses qui font l'objet d'intérêts mondains, qu'il faut sentir, manier et goûter ; ce
sont les choses qui apparaissent dans les éléments qui constituent les agrégats de la
personnalité, là où, à cause de la force procréatrice de la luxure, se produisent toutes sortes de
désastres:
la naissance, le chagrin, la lamentation, la souffrance, le désespoir, la maladie, la vieillesse, la
mort.
Toutes ces choses concernent des intérêts et des plaisirs mondains; elles se trouvent sur le
chemin des philosophes, qui n'est pas le chemin du Dharma. Lorsqu'on comprend la vraie
absence d'existence propre des choses et des personnes , la discrimination cesse de se soutenir
lui-même; le système mental inférieur cesse de fonctionner ; les divers stages du Bodhisattva se
suivent l'un l'autre.
Le Bodhisattva peut proférer ses dix vœux inépuisables et recevoir l'onction de tous les
bouddhas.
Le Bodhisattva devient maître de lui-même et de toutes choses en vertu d'une vie d'effort
spontané et de retrait rayonnant d'effort.
Le Dharma, qui est l'Intelligence transcendantale, transcende donc toute discrimination, tout
faux-raisonnement, tout système philosophique, tout dualisme.
◊
Alors Mahāmati dit au Béni du Ciel :
20 « Matrice » ou « embryon » de bouddha, encore appelé « nature de bouddha » ou « graine d'éveil », est le germe
renfermant la nature essentielle, universelle et immortelle présente en tout être sensible, cause et potentiel
d'illumination. Cette notion, inconnue du bouddhisme originel theravāda, fournit une base théorique à
l’élargissement de la pratique aux laïcs - une des caractéristiques du mahāyāna »- ainsi qu’à certaines pratiques de
méditation visant l’illumination subite, comme le zen ou le dzogchen. Il a pu également constituer un argument en
faveur du végétarisme.
Le Divin Atman tel qu'il est enseigné par eux est également dit être éternel, non-contemplé,
impérissable.
Y a t-il, ou n'y a t-il pas une différence?
L'AUTO-RÉALISATION
Premièrement, il n'est pas comparable aux perceptions atteintes par les représentations
mentales sensorielles, et pas non plus comparable à la cognition de l'esprit discriminant et
intellectuel. Les deux présupposent une différence entre soi et non-soi et la connaissance ainsi
atteinte est caractérisée par l'individualité et la généralité. L'auto-réalisation se fonde sur
l'identité et l'unité; il n'y a rien à discriminer ni à prédiquer à son sujet. Mais pour entrer dedans,
le Bodhisattva doit être libre de tous présupposés et attachements aux choses, aux idées et au
soi.
Le dhyâna que pratiquent les ignorants est celui auquel ont recours ceux qui suivent l'exemple
des disciples et des maîtres mais qui ne comprennent pas son but et, c'est pour ça que cela
devient juste s'asseoir avec l'esprit vide.
Ce dhyâna est également pratiqué par ceux qui, méprisant le corps, le voient comme une
ombre et un squelette plein de souffrances et d'impureté, et qui, s'accrochant pourtant à la
notion d'une existence propre, cherchent à accéder à l'émancipation par la seule cessation de
la pensée.
Le dhyâna consacré à l'examen du sens, est celui que pratiquent ceux qui, percevant que des
idées comme le soi, l'autre et les deux, soutenues par les philosophes, sont intenables et qui
sont passés au-delà la double-absence d'existence propre, consacrent leur dhyâna à un examen
de la signification de l'absence d'existence propre et des différentiations des étapes des
Bodhisattvas.
Le dhyâna avec le Tathata, ou «l'Ainsité», ou l'Unité, ou le Nom divin, est ce que pratiquent ceux
des disciples sincères et maîtres qui, tout en reconnaissant pleinement la double absence
d'existence propre et l'absence d'image de Tathata, s'accrochent pourtant à la notion de
Tathata ultime.
Le dhyâna des Tathagatas est le dhyâna de ceux qui entrent dans l'étape de l'Ainsité et qui, en
demeurant dans la triple béatitude qui caractérise l'auto-réalisation de la Noble Sagesse, se
consacrent au salut de tous les êtres, pour qu'ils accomplissent les travaux incompréhensibles
nécessaires à leur émancipation. Ceci est le pur dhyâna des Tathagatas. Lorsque toutes les
choses et idées mineures sont transcendées et oubliées, et qu'il ne reste qu'un parfait état
d'absence d'image où Tathagata et Tathata sont fondues en une parfaite Unité, alors les
Bouddhas viendront tous ensemble de leurs Terres de Bouddhas et la personne, avec leurs
mains brillantes posées sur son front, deviendra à son tour un Tathagata.
21 En chinois ;眞如 : zhēnrú /chen-ju; en coréen ;진여, jinyeo ; en japonais ; 真如, shinnyo) est généralement traduit
par « ainséité ». Il exprime la vraie nature de la réalité à un moment donné.
CHAPITRE VIII
L'ACCESSION À L'AUTO-RÉALISATION
22 La conformité des choses à la réalité. La vraie nature d'un phénomène, ou l'expérience directe dépouillée de la
superposition des faux-concepts, tels que l'idée d'une identité inhérente et permanente (ātman). Le terme est d'usage
dans le Mahāyāna pour la vacuité (śūnyatā), l'actualité (tattva), l'ainsité (tathatā), parmi d'autres notions.
Le disciple devrait alors abandonner l'entendement de l'esprit auquel il est arrivé par la
connaissance correcte, qui, en comparaison avec la Noble Sagesse, n'est qu'un âne boiteux, et
en pénétrant dans les huit stades de l'état de Bodhisattva, il lui faudrait alors se discipliner lui-
même dans la Noble Sagesse selon ses trois aspects.
Ces aspects sont:
Tout d'abord, l'absence d'image qui vient au premier plan quand tout ce qui appartient à l'état
de disciple, de maître et de philosophe est absolument maîtrisé.
En second, le pouvoir ajouté par tous les bouddhas en raison de leurs vœux originels y-compris
l'identification de leurs vies, le partage de leurs vies et de leurs mérites avec toutes les formes
sensibles de vie.
Troisièmement, la parfaite auto-réalisation que cela n'a été jusque là réalisé que dans une
certaine mesure.
Alors que le Bodhisattva réussit à se détacher lui-même de la considération de toutes
choses, y-compris sa propre existence imaginée dans sa nature de phénomène, et réalise les
états de Samadhi et de Samapatti par lesquels il compasse le monde comme une vision et un
rêve, soutenu par tous les bouddhas, il sera capable de poursuivre vers la pleine réalisation du
stade de Tathagata, qui est la Noble Sagesse elle-même. Ceci est la nature triple de la noble vie
et c'est équipée de cette nature triple que l'on atteint la parfaite auto-réalisation de la Noble
Sagesse.
Les mauvais écoulements qui ont lieu du fait de reconnaître un monde extérieur, qui en vérité
n'est qu'une manifestation de l'esprit, et du fait de s'y attacher, sont graduellement purifiés et
pas de façon instantanée. Le bon comportement ne peut venir que par voie de contrainte et
d'effort. C'est comme un potier qui fait des pots qui sont faits graduellement et avec attention
et effort. C'est comme la maîtrise de la comédie, de la danse, du chant, du jeu de luth, de
l'écriture et de tout autre art; il doit être acquis graduellement et laborieusement.
Ses récompenses seront une pénétration éclairante dans la vacuité et l'impermanence de
toutes choses.
Les mauvais écoulements qui sont le fruit des illusions de l'esprit et des obsessions de
l'égoïsme, concernent la vie mentale plus directement et sont des choses comme la peur, la
colère, la haine et l'orgueil; on les purifie par l'étude et la méditation et cela aussi doit être
atteint graduellement et pas de façon instantanée. C'est comme le fruit de l'amra qui mûrit
lentement; c'est comme l'herbe, les buissons, les herbes et les arbres qui poussent
graduellement en terre. Chacun doit suivre la voie de l'étude et de la méditation graduellement
et avec effort par lui-même, mais en vertu des vœux originels des Bodhisattvas et de tous les
Tathagatas qui ont consacré leurs mérites et identifié leurs vies à toute vie animée qui puisse
être émancipée, ils ne manquent pas d'aide et d'encouragements; mais même avec l'aide des
Tathagatas, la purification des mauvais écoulements de l'esprit est au mieux lente et graduelle,
mais requiert et du zèle et de la patience. Sa récompense est la compréhension graduelle de la
double absence d'existence-propre et sa patiente acceptation, et les pieds bien posés sur les
étapes de l'état de Bodhisattva.
Mais du bien sans écoulements qui vient avec l'auto-réalisation de la Noble Sagesse, il y a une
purification qui vient de façon instantanée par la grâce des Tathagatas.
C'est comme un miroir qui reflète toutes formes et images de façon instantanée et sans
discrimination;
c'est comme le soleil ou la lune qui révèle toutes formes de façon instantanée et les illumine
sans passion avec sa lumière.
De la même manière les Tathagatas conduisent les disciples sincères à un état d'absence
d'image ; toutes les accumulations de l'énergie de l'habitude et du karma qui s'accumule depuis
des temps immémoriaux à cause d'attachement à des vues erronées qui ont été nourries à
propos d'une âme dotée d'une existence-propre et de son monde extérieur, sont nettoyées,
révélant ainsi de façon instantanée le domaine de l'Intelligence transcendantale qui appartient
à la Bouddhéité. Tout comme l'Esprit universel souillé par des accumulations d'énergie de
l'habitude et de karma révèle des multiplicités d'âmes et de leur mondes extérieurs de fausse-
imagination, de même l'Esprit universel nettoyé de ses souillures par les purifications
graduelles des mauvais écoulements qui viennent par l'effort, l'étude et la méditation, et par
l'auto-réalisation graduelle de la Noble Sagesse brille, à la toute fin, de façon instantanée,
comme le Dharmata Bouddha brillant spontanément des rayons qui sortent de sa pure nature
propre. Par lui, la mentalité de tous les Bodhisattvas mûrit de façon instantanée: ils se trouvent
eux-mêmes dans les demeures palatines des cieux Akanistha, qui eux-mêmes irradient
spontanément les divers trésors de son abondance spirituelle.
CHAPITRE IX
LE FRUIT DE L'AUTO-RÉALISATION
23 Pāramitā, qu'on traduit souvent par « perfection », signifie littéralement «aller au-delà» ou «atteindre l'autre rive»,
pāra signifiant aussi rive et but. On le traduit donc encore par «vertus transcendantes».
Pāramitā désigne la pratique d'une vertu qui, menée vers sa perfection, permet d’accéder à l’éveil, c’est-à-dire au
nirvāna.
Mahāmati dit:
« Béni du Ciel, parlez-nous du pouvoir de soutien des Tathagatas par lequel les
Bodhisattvas sont aidés dans leur accession à l'auto-réalisation de la Noble Sagesse?
Quels que soient les Samadhis, facultés psychiques et enseignements qui sont réalisée par les
Bodhisattvas, ils ne sont rendus possibles que par le pouvoir de soutien des Bouddhas ; s'il en
était autrement, les ignorants et les simples d'esprit seraient en mesure d'accéder à la même
fructification.
Partout où entrent les Tathagatas avec leur pouvoir de soutien, il y aura de la musique, pas
seulement de la musique faite par des lèvres humaines et jouée par des mains humaines sur
divers instruments, mais il y aura de la musique dans l'herbe, les buissons et les arbres, dans les
villes et les montagnes, et les palais et les masures; bien plus y aura-t-il de la musique dans le
cœur de ceux qui sont dotés de sentiment.
Les sourds, les muets et les aveugles seront guéris de leurs déficiences et se réjouiront dans
leur l'émancipation.
Telle est l'extraordinaire vertu du pouvoir de soutien imparti par les Tathagatas.
Grâce au transfert de ce pouvoir de soutien, les Bodhisattvas sont en mesure d'éviter les maux
de la passion, de la haine et du karma asservissant; ils sont en mesure de transcender le dhyâna
des débutants et à avancer au-delà de l'expérience et de la vérité déjà atteintes; ils sont en
mesure de démontrer les Pâramitâs ; et finalement, d'accéder aux stades de l'Ainsité.
Mahāmati, si ce n'était de ce pouvoir de soutien, ils retomberaient dans les voies et pensées
des philosophes, des disciples peu exigeants ou mal intentionnés, et passeraient ainsi à côté de
la réalisation la plus élevée. Pour ces raisons, les disciples et Bodhisattvas sincères sont
soutenus par le pouvoir de tous les Tathagatas.
Le troisième aspect des Pâramitâs tel qu'il est vu dans la perfection idéale des Tathagatas ne
peut être pleinement compris que par les Bodhisattva-Mahasattvas qui se sont consacrés au
disciple spirituel le plus élevé et qui ont pleinement compris qu'il n'y a rien à voir dans le monde
à part ce qui est issu de l'esprit lui-même ; dans l'esprit desquels la discrimination des dualités a
cessé de fonctionner ; et chez qui la saisie et l'attachement n'existent plus.
Libres donc de tous attachements aux objets et idées individuels , leur esprits sont libres de
considérer les manières de faire du bien et de donner du bonheur aux autres, voire à tous les
êtres sensibles.
Pour les Bodhisattva-Mahasattvas, l'idéal de charité est montré par l'abandon délibéré de
l'espoir de Nirvâna du Tathagata, afin que tous puissent en jouir ensemble.
Tant qu'ils ont des relations avec un monde objectif, il ne vient pas à l'esprit des Tathagatas de
discriminer entre ses intérêts et ceux des autres, entre le bon et le mauvais, il n'y a que la
spontanéité et la réalité sans effort du parfait comportement.
Pratiquer la patience avec la pleine connaissance de ceci et de cela, de l'attachement et de la
saisie, mais sans pensée de discrimination ni d'attachement ; tel est le Pâramitâ de Patience des
Tathagatas.
S'exercer avec énergie du début de la nuit à sa fin en conformité avec les mesures disciplinaires
sans faire intervenir de discrimination entre confort et inconfort ; tel est le Pâramitâ du Zèle des
Tathagatas.
Ne pas discriminer entre soi et les autres dans ses pensées de Nirvâna, mais garder l'esprit fixé
sur le Nirvâna ; tel est le Pâramitâ de l'Attention.
Pour ce qui est du Prajñâ-Pâramitâ, qui est la Noble Sagesse, qui peut le prédiquer?
Lorsqu'en Samadhi l'esprit cesse de discriminer et qu'il n'y a plus que parfaite absence d'image
remplie d'amour, alors aura lieu un non contemplé retournement dans la conscience la plus
intérieure et on aura atteint l'auto-réalisation de la Noble Sagesse ; tel est le plus élevé
Prajñâ-Pâramitâ.
24 Prajñā (en chinois : 般若, bōrĕ/bānruò), souvent traduit par « sagesse transcendante ». Le terme signifie à l’origine
« capacité cognitive ». Il désigne la capacité de percevoir le phénomène de coproduction conditionnée, ainsi que
l’absence de soi propre (anatta) et le vide (śunyāta) de toute chose.
25 Le corps mental par lequel Gautama se rendait dans les royaumes divins.
D'abord, il y en a un dans lequel le Bodhisattva accède à la jouissance des Samadhis et des
Samapattis.
Ensuite, il y a celui qui est revêtu par les Tathagatas selon la classe d'êtres qu'il faut soutenir, et
qui accomplit spontanément la perfection sans attachement et sans effort.
Et enfin, il y a celui dans lequel les Tathagatas reçoivent leur intuition du Dharmakaya.
La personnalité transcendantale qui entre dans la jouissance des Samadhis arrive avec le
troisième, quatrième et cinquième stades lorsque les représentations mentales du système
mental se calment et que les vagues de conscience ne sont plus agitées à la face de l'Esprit
universel. Dans cet état, l'esprit conscient a toujours conscience, dans une certaine mesure, de
la béatitude qu'il ressent grâce à cette cessation de l'activité de l'esprit.
La seconde sorte de personnalité transcendantale est celle que revêtent Bodhisattvas et
Tathagatas en tant que corps de transformation par lesquels ils démontrent leurs vœux
originels dans le travail de complétion et de perfection ; elle vient avec le huitième stade de
l'état de Bodhisattva. Lorsque le Bodhisattva arrive à une pénétration absolue de ces choses
qui participent de la nature de Māyā et comprend le dharma de l'absence d'image, il fait
l'expérience du retournement dans sa conscience la plus profonde et devient capable d'une
expérience des Samadhis supérieure, même au niveau le plus élevé.
En entrant dans ces Samadhis exaltés, il accède à la personnalité qui transcende l'esprit
conscient, grâce à laquelle il obtient des pouvoirs surnaturels de maîtrise de soi et d'activités
grâce auxquels il pourra se déplacer à sa guise, aussi rapidement que change un rêve, aussi
rapidement que change une image dans un miroir. Ce corps transcendantal n'est pas un produit
des éléments et pourtant, il y a quelque chose dedans qui est analogue à ce qui est ainsi produit
; il est pourvu de toutes les différences relatives au monde la forme mais sans leur limitations;
en possession de ce corps de vision de l'esprit il peut être présent dans toutes les assemblées
dans toutes les Terres de Bouddhas.
Tout comme ses pensées se déplacent instantanément et sans obstacle par-dessus murs et
rivières, et arbres et montagnes, et de même qu'en mémoire, il se rappelle et visite les scènes
de ses expériences passées, de même, pendant que son esprit continue de fonctionner dans
son corps, ses pensées peuvent bien être à cent mille yojanas26 de distance.
De la même façon, la personnalité transcendantale qui fait l'expérience de la Samadhi
Vajravimbopama sera dotée de pouvoirs surnaturels, de facultés psychiques et de maîtrise de
soi grâce auxquels elle sera capable de suivre les Nobles Sentiers qui conduisent aux
assemblées des Bouddhas, se déplaçant librement à son gré.
Mais ses souhaits ne seront plus auto-centrés ni viciés par la discrimination et l'attachement,
car cette personnalité transcendantale n'est pas son vieux corps, mais bien l'incarnation
transcendantale de ses vœux originels d'abandon de soi pour amener tous les êtres à maturité.
La troisième sorte de personnalité transcendantale est si ineffable qu'elle peut accéder aux
intuitions du Dharmakaya, c'est-à-dire qu'elle accède aux intuitions de la cognition illimitée et
non contemplé de l'Esprit universel. Au fur et à mesure que les Bodhisattva-Mahasattvas
accéderont aux étapes les plus élevées et deviendront familiers avec tous les trésors à réaliser
dans la Noble Sagesse, ils accéderont à cet inconcevable corps de transformation qui est la
véritable nature de tous les Tathagatas passés, présents et futurs, et participeront de la paix
bienheureuse qui interpénètre le Dharma de tous les Bouddhas.
26 Unité de mesure de distance utilisée dans l'ancienne Inde pendant la période védique. Sa longueur varie de 6 à 16
kilomètres (4 à 10 miles).
CHAPITRE X
Les Entrés-dans-le-courant sont ces disciples, qui, s'étant eux-mêmes libérés des attachements
aux discriminations inférieures, s'étant eux-mêmes nettoyés du double obstacle et qui
comprennent clairement le sens de la double absence d'existence-propre, s'accrochent
pourtant encore à la notion d'individualité et de généralité et à leur propre individualité. Ils ne
vont s'avancer au long des étapes jusqu'à la sixième, que pour succomber à l'envoûtante
béatitude des Samadhis.
Ils renaîtront sept fois, ou cinq fois, ou trois fois, avant de pouvoir dépasser la sixième étape.
Ceux qui Reviendront-une-fois sont des Ārhats, et ceux qui Ne-reviendront-jamais sont les
Bodhisattvas qui ont atteint le septième stage.
La raison de ces graduations, c'est leurs attachement aux trois degrés de fausse-imagination:
c'est-à-dire, la foi dans les pratiques morales, le doute, et la conception de leur personnalité
individuelle. Lorsque ces trois obstacles sont surmontés, on pourra accéder aux stades
supérieurs.
Quant aux pratiques morales: les disciples simples d'esprit et ignorants obéissent aux règles de
la moralité, de la piété et de la repentance, parce qu'ils désirent en tirer de l'avancement
mondain et du bonheur, avec en plus l'espoir de renaître dans de plus favorables conditions.
Les Entrés-dans-le-courant ne sont pas attachés aux pratiques morales en espérant une
récompense car leur esprits sont fixés sur l'état exalté d'auto-réalisation ; le raisonnement
qu'ils consacrent eux-mêmes aux détails de moralité est qu'ils souhaitent maîtriser ces vérités
qui sont en conformité avec les écoulements immaculés.
En ce qui concerne l'obstacle du doute dans les enseignement du Bouddha, il continuera tant
qu'on chérira toute notion de discrimination et disparaîtra en même temps que ces notions.
Le disciple se défera de l'attachement à la conception d'une personnalité individuelle quand il
accédera à un entendement plus complet des notions d'être et de non-être, de nature propre
et d'absence d'existence-propre, se débarrassant ainsi des attachements à son propre soi,
attachement qui va de pair avec ces discriminations.
En rompant et dégageant ces trois obstacles, qui est Entré-dans-le-courant pourra un jour
rejeter toute avidité, colère et bêtise.
Quant aux Ārhats qui Reviendront-une-fois; il y eut jadis en eux la discrimination de la forme,
des signes, et des apparences, mais comme ils ont graduellement appris par la connaissance
correcte à ne pas voir les objets individuels sous l'aspect de la qualité et de la qualification, et
comme ils se sont familiarisés avec celles des marques de l'accession à la pratique de dhyâna,
ils ont atteint le stade de l'éveil où dans une renaissance de plus ils pourront mettre fin à
l'attachement à leurs propres intérêts.
Libérés de ce fardeau de l'erreur et de ses attachements, les passions s'imposeront plus et les
obstacles seront dégagés pour toujours.
Sous le second aspect les disciples peuvent être regroupés en quatre classes, selon leur
progrès spirituel, c'est-à-dire, en disciples (sravaka), maîtres (pratyekabuddha), Ārhats, et
Bodhisattvas.
La première classe des disciples sont bien intentionnés mais ils trouvent les idées inhabituelles
difficile à comprendre. Leur esprit est joyeux quand ils étudient et pratiquent les choses
appartenant aux apparences qui peuvent être discriminées, mais se laisse confondre par la
notion d'une chaîne ininterrompue de causalité, et ils prennent peur quand ils considèrent les
agrégats qui constituent la personnalité et son monde objectif comme étant de la nature de
Māyā, vides et sans existence-propre. Ils ont été capables d'avancer jusqu'au cinquième ou
sixième stage où ils ont pu se défaire de l'apparition des passions, mais pas des notions qui
donnent lieu à la passion et, comme ils sont incapables de se défaire de l'attachement à une
âme dotée d'existence-propre et aux attachements qui l'accompagnent, des habitudes et de
l'énergie de l'habitude.
Dans cette même classe de disciples il y a les disciples sincères d'autres fois, qui en s'attachant
à des notions comme celle de l'âme en tant qu'entité extérieure, d'Atman Suprême, d'un dieu
personnel, vont en quête de ce qui est en harmonie avec ces notions. Il y en a d'autres, plus
matérialistes dans leurs idées, qui pensent que toutes choses existent en rapport avec la
causalité et que le Nirvâna doit donc être dans un pareil rapport.
Mais aucun d'eux, aussi sincères qu'ils puissent être, n'est arrivé à une pénétration dans la
vérité de la double absence d'existence-propre et, vu leurs pénétrations spirituelles limitées en
ce qui concerne la délivrance et la non-délivrance, il n'y a pas pour eux d'émancipation.
Ils ont une grande confiance en soi mais ils n'arriveront jamais à une vraie connaissance du
Nirvâna tant qu'ils n'auront pas appris à se discipliner dans la patiente acceptation de la double
absence d'existence-propre.
La seconde classe des maîtres comprend ceux qui ont accédé à un haut degré de
compréhension intellectuelle de la vérités par rapport aux agrégats qui constituent la
personnalité et son monde extérieur mais sont remplis de peur lorsqu'ils affrontent la
signification et les conséquences de ces vérités, et les exigences de leur science, c'est-à-dire de
ne pas s'attacher au monde extérieur et à ses multiples formes pour en tirer confort et pouvoir,
et se garder des embrouilles de ses relations sociales.
Ils sont attirés par les possibilités qu'on peut ainsi obtenir, c'est-à-dire, la possession de
pouvoirs miraculeux comme de pouvoir diviser leur personnalité et apparaître à différents
endroits en même temps, ou manifester des corps de transformation.
Pour obtenir ces pouvoirs ils ont même recours à la vie solitaire, mais cette sorte de maître ne
va jamais au-delà des séductions de leur science et de leur égoïsme, et leur discours sont
toujours en conformité avec cette caractéristique et limitation.
Parmi eux il y a beaucoup de disciples sincères qui montrent un degré de pénétration spirituelle
qui est caractérisée par la sincérité et le désir jamais atterré de se conformer à toutes les
exigences que leur présenteront les étapes.
Lorsqu'ils voient que tout ce qui constitue le monde objectif n'est qu'une manifestation de
l'esprit, qui est sans nature propre, non-née et sans existence-propre, ils l'acceptent sans peur,
et quand ils voient que leur propre âme dotée d'existence-propre est également vide, non-née
et sans existence-propre, ils ne sont ni troublés ni atterrés, et ils voient sincèrement à ajuster
leurs vies aux pleines exigences de ces vérités, mais ne peuvent oublier les notions qui sous-
tendent ces faits, en particulier la notion de leurs propre Soi conscient et sa relation au Nirvâna.
Ils sont de la classe de ceux qui sont Entrés-dans-le-courant .
La classe de ceux qu'on appelle Ārhats sont ces maîtres sincères qui appartiennent à la classe
de ceux qui retournent.
Mais leur pénétration spirituelle a atteint les sixième et septième stades. Ils ont absolument
compris la vérité de la double absence d'existence-propre et de l'absence d'image de la Réalité;
avec eux il n'y a plus de discriminations, ni de passions, ni d'orgueil, ni d'égoïsme ; ils ont gagné
une pénétration exaltée et ont vue sur l'immensité des Terres de Bouddhas.
En accédant à une perception intérieure de la véritable nature de l'Esprit universel, ils purifient
avec constance leur énergie de l'habitude.
Les Ārhats ont atteint l'émancipation, l'éveil, les Dhyânas, les Samadhis, et toute leur attention
est accordée à l'accession au Nirvâna, mais l'idée de Nirvâna est cause de perturbations
mentales parce qu'ils ont une idée fausse du Nirvâna.
Les notions de Nirvâna est divisées dans leur esprit: ils séparent le Nirvâna d'eux-mêmes, et
eux-mêmes des autres. Ils ont atteint certains des fruits de l'auto-réalisation mais ils pensent et
discourent toujours sur les Dhyânas, les sujets de méditation, les Samadhis, les fruits. Ils disent
avec orgueil:
«Il y a des chaînes, mais j'en suis dégagé.»
C'est une double faute de leur part: il dénoncent en même temps les vices de l'existence-
propre, et s'accrochent toujours à leurs chaînes. Tant qu'ils continueront à discriminer des
notions de dhyâna, de pratique du dhyâna, de sujets de dhyâna, de connaissance correcte et de
vérité, leur état d'esprit restera confus; ils n'auront pas atteint l'émancipation parfaite.
Cette dernière vient avec l'acceptation de l'absence d'image.
Ils sont maîtres des Dhyânas et entrent dans les Samadhis, mais pour atteindre les stades
supérieurs, il leur faut passer au-delà des Dhyânas, des incommensurables, du monde du sans-
forme, et de la béatitude des Samadhis dans les Samapattis qui mènent à la cessation de la
pensée elle-même.
Le pratiquant du dhyâna, le dhyâna, le sujet du dhyâna, la cessation de la pensée, ceux qui
Reviendront-une-fois, ceux qui Ne-reviendront-jamais, sont tous des états de l'esprit divisés et
confondants. Ce n'est que lorsque toute discrimination est abandonné qu'il y a émancipation
parfaite.
C'est ainsi que les Ārhats, maître des dhyânas, qui participent aux Samadhis, mais qui ne sont
pas soutenus par les Bouddhas cèdent à la béatitude envoûtante des Samadhis ; et passent à
leur Nirvâna.
Les disciples, les maîtres et les Ārhats peuvent gravir les étapes jusqu'à la sixième. Ils
perçoivent que le triple monde n'est rien de plus que l'esprit lui-même ; ils perçoivent que ce
n'est que par les discriminations et activités de l'esprit lui-même qu'on peut s'attacher aux
multiplicités des objets extérieurs ; ils perçoivent qu'il n'y a pas d'âme dotée d'existence-
propre; et c'est pour cela qu'ils accèdent à la tranquillité dans une certaine mesure.
Mais leur tranquillité n'est pas parfaite à chaque minute de leurs vies, car avec eux il reste des
choses productrices d'effets, un peu de saisie et quelque chose de saisi, quelque trace attardée
de dualisme et d'égoïsme. Quoique dégagés de l'énergie de l'habitude de la passion et qu'ils se
laissent enivrer par le vin des Samadhis, ils auront leur demeure dans le domaine des
écoulements.
La parfaite tranquillité n'est possible qu'au septième stage. Tant que leur esprits est dans la
confusion, ils ne peuvent accéder à une claire conviction sur la cessation de toute multiplicité et
la réalité de la parfaite unité de toutes choses. Dans leur esprit, ils discriminent encore la nature
propre des choses comme bonnes et mauvaises, c'est pourquoi leur esprit est dans la
confusion et qu'ils ne peuvent passer au-delà du sixième stage.
Mais au sixième stage toute discrimination cesse au moment où ils se laissent séduire par la
béatitude des Samadhis dans laquelle ils chérissent la pensée du Nirvâna et, comme le Nirvâna
est possible au sixième stage, ils passent dans leur Nirvâna, mais il n'est pas là le Nirvâna des
Bouddhas.
CHAPITRE XI
27 Bodhisattva-yana : La voie de l’Éveillant. Elle comporte dix étapes : 1. Joie (Pramudita); 2. Paix, pureté (Vimala), 3.
Sérénité , splendeur (Prabhakari); 4. Énergie, rayonnement (Archismati); 5. Confiance, inacessibilité (Sudurjaya);
6. Vision intuitive, proximité de la sagesse (Abhimukhi); 7. Pure essence de l’esprit, distance (Durangama); 8.
Immuabilité (Acala); 9. Parfaite sagesse, piété (Sadhumati);10. Céleste Vérité (Dharmamegha).
Les Tathagatas leur désignent les vertus de la Bouddhéité qui sont au-delà des capacités de
l'esprit intellectuel, et ils encouragent et affermissent les Bodhisattvas à ne pas s'abandonner à
l'enchantement de la béatitude des Samadhis, mais au contraire à s'efforcer d'avancer plus loin
tout au long des étapes.
Si les Bodhisattvas étaient entrés en Nirvāna à ce stade, et qu'ils l'avaient fait sans le pouvoir de
soutien des Bouddhas, cela aurait été la cessation de toutes choses et la famille des Tathagatas
se serait éteinte.
Raffermis par la nouvelle force qui vient pour eux des Bouddhas et avec la pénétration plus
parfaite qui est leur en raison de leur avancement dans l'auto-réalisation de la Noble Sagesse,
ils réexaminent la nature du système mental, l'absence d'existence-propre de la personnalité,
et la part que la saisie, l'attachement et l'énergie de l'habitude jouent dans les tragédies de la
vie qui se déroulent; ils réexaminent les illusions de la quadruple analyse logique, et les divers
éléments qui entrent dans l'éveil et l'auto-réalisation, et, dans l'excitation de leurs nouveaux
pouvoirs de maîtrise de soi, les Bodhisattvas accèdent au septième stage de l'Aller Loin
(Durangama).
Soutenus par le pouvoir des Bouddhas, les Bodhisattvas entrent à ce stade dans la béatitude du
Samadhi de parfaite tranquillité. Étant donné leurs vœux originels, ils sont transportés par des
émotions d'amour et de compassion en prenant conscience de la part qu'ils ont eue dans
l'accomplissement de leurs vœux pour l'émancipation de tous les êtres.
Ils n'entrent donc pas en Nirvāna, mais, à dire vrai, eux-aussi sont déjà en Nirvāna parce que,
dans leurs émotions d'amour et de compassion, il n'y a pas de naissance de la discrimination; à
partir de là, chez eux, la discrimination n'a plus lieu.
À cause de l'Intelligence transcendantale une seule conception est présente; la promotion de la
réalisation de la Noble Sagesse.
Ceci s'appelle le Nirvāna du Bodhisattva ; se perdre dans la béatitude du parfait lâcher-prise de
soi. Ceci est la septième étape, le stade de l'Aller Loin.
Le huitième stade, est celui de la Non-récession (Ācala). Jusque là, à cause des souillures sur la
face de l'Esprit universel causées par l'accumulation de l'énergie de l'habitude depuis des
temps immémoriaux, le système mental et tout ce qui s'y rapporte a évolué et a été soutenu.
Le système mental fonctionnait par les discriminations d'un monde extérieur et objectif auquel
il s'était attaché et par lesquels il avait été perpétué.
Mais avec l'accession du Bodhisattva au huitième stade, il se produit un retournement au sein
de sa conscience la plus profonde de l'égoïsme centré sur soi vers la compassion universelle
envers tous les êtres, par lesquels il accède à la parfaite auto-réalisation de la Noble Sagesse. Il
y a un instant de cessation des activités de représentation de tout le système mental; la danse
des vagues de l'énergie de l'habitude sur la face de l'Esprit universel est pour toujours arrêtée,
révélant ainsi sa propre et inhérente tranquillité et solitude, l'inconcevable Unité de la Matrice
de l'Ainsité.
À partir de là, il n'y a plus à regarder vers un monde extérieur grâce aux sens et aux
représentations mentales sensorielles, pas plus que de discrimination entre concepts, idées et
propositions particularisés par un esprit intellectuel, ni saisie, ni attachement, ni égoïsme de
l'orgueil, ni énergie de l'habitude.
À partir de là, il n'y a que l'expérience intérieure de la Noble Sagesse qui ait été atteinte en
entrant dans sa parfaite Unité.
Donc, en se haussant au huitième stade de la non-récession, le Bodhisattva entre dans la
béatitude des dix Samadhis, mais tout en évitant la voie des disciples et des maîtres qui se sont
laissés aller à leur béatitude envoûtante et qui sont passés à leurs Nirvanas, et soutenu par ses
vœux et par l'Intelligence transcendantale qui est désormais sienne, ainsi que par le pouvoir
des Bouddhas, il entre dans les chemins supérieurs qui conduisent à l'Ainsité. Il passe par la
béatitude des Samadhis pour assumer le corps de transformation d'un Tathagata afin que grâce
à lui tous les êtres puissent être émancipés.
Mahāmati, s'il n'y avait pas eu de Matrice de Tathagata ni d'esprit divin il n'y aurait alors pas eu
de naissance ni de disparition des agrégats qui constituent la personnalité et son monde
extérieur, pas de naissance ni de disparition des ignorants ni des saints, et pas de tâche pour les
Bodhisattvas; c'est pourquoi tout en marchant sur la voie de l'auto-réalisation et en entrant
dans la jouissances des Samadhis, vous ne devrez jamais cesser de travailler dur à
l'émancipation de tous les êtres et votre amour d'abandon de soi ne sera jamais en vain. Pour
les philosophes le concept de Matrice de Tathagata semble dépourvu de pureté et souillé par
ces manifestations extérieures, mais il n'est pas compris ainsi par les Tathagatas : pour eux, ce
n'est pas une proposition de philosophie mais une expérience intuitive aussi réelle que si on
tenait un fruit d'amalaka28 dans la main.
Avec la cessation du système mental et de tous ses discriminations évolutives, il y une cessation
de tous effort et contrainte. C'est comme un homme dans un rêve qui s'imagine traverser une
rivière et qui s'exerce au maximum à le faire, qui s'éveillerait tout soudain.
Réveillé, il penserait :
«Est-ce réel ou irréel?»
Étant maintenant réveillé il saurait que ce n'est ni réel ni irréel. Donc même quand le
Bodhisattva arrives au huitième stade, il peut voir toutes choses avec sincérité et, qui plus est, il
peut absolument comprendre la signification de toutes les choses de sa vie qui sont comme un
rêve, selon la façon dont elles se produisent et selon la manière dont elles passent.
Depuis des temps immémoriaux, le système mental a perçu la multiplicité des formes, des
conditions et des idées que l'esprit pensant a discriminées, et dont l'esprit empirique a fait
l'expérience, dont il s'est saisi et auxquelles il s'est attaché. C'est de là que vient l'énergie de
l'habitude qui par son accumulation a conditionné les illusions de l'existence et de la non-
existence, de l'individualité et de la généralité, et c'est ainsi que s'est perpétué l'état de rêve de
la fausse-imagination. Mais maintenant, pour les Bodhisattvas du huitième stade, la vie a passé
et on s'en rappelle pour ce qu'elle était réellement : un rêve fugace.
Tant que le Bodhisattva n'avait pas passé le septième stade, même en ayant atteint un
entendement intuitif du vrai sens de la vie et de sa nature de Māyā, et étant donné la façon
dont l'esprit effectuait ses discriminations et ses attachements, l'affection porté aux notions de
ces choses s'était néanmoins poursuivi et, quoiqu'il ne ressentait plus en lui-même aucun
ardent désir pour les choses ni aucune impulsion à s'en saisir, les notions à leur sujet avaient
néanmoins persisté et a teinté ses efforts dans la pratique des enseignements des Bouddhas et
dans son labeur pour l'émancipation de tous les êtres.
Là, dans le huitième stade, même les notions en ont disparu, et tous ces efforts sont vus être
inutiles.
28 L’amla est un arbre de longue vie et noble suivant la classification des plantes dans la culture indienne et
ayurvédique.
Le Nirvāna du Bodhisattva est parfaite tranquillité, mais il n'est ni extinction ni inertie; tout en
étant totale absence de discrimination et de but, il y a une liberté et une spontanéité du
potentiel qui vient avec l'accession à, et la patiente acceptation de, les vérités de l'absence
d'existence-propre et de l'absence d'image. Ici est la parfaite solitude, non troublée par aucune
gradation ni succession continue, mais irradiant de la puissance et de la liberté de sa nature
propre qui est celle de la Noble Sagesse, heureusement paisible dans la sérénité de l'Amour
Parfait.
En accédant au huitième stade, avec le «retournement» au plus profond de la conscience, le
Bodhisattva prend conscience de ce qu'il a reçu la seconde sorte de Corps transcendantal.
La transition de corps mortel à Corps transcendantal n'a rien à voir avec la mort mortelle, car le
vieux corps continue de fonctionner et le vieil esprit sert les besoins du vieux corps, mais
maintenant c'est libre du contrôle de l'esprit mortel.
Il y a eu une inconcevable mort de transformation par laquelle la fausse-imagination de sa
personnalité individuelle particularisée a été transcendée par une réalisation de son unité avec
l'esprit universel de l'Ainsité, de réalisation duquel il n'y aura pas de récession.
Avec cette réalisation il se trouve amplement doté de tous les pouvoirs, facultés psychiques, et
maîtrise de soi du Tathagata, et, tout comme la bonne terre est le support de tous les êtres au
monde du désir29, de même les Tathagatas deviennent le support de tous les êtres dans le
Monde Transcendantal de la Non-forme.
Les premiers sept stades du Bodhisattva se situaient dans le domaine de l'esprit et le huitième,
tout en transcendant l'esprit, était toujours en contact avec lui ; mais dans le neuvième stade
de l'Intelligence transcendantale, en raison de sa parfaite intelligence et pénétration dans
l'absence d'image de l'Esprit Divin qu'il avait atteint par l'auto-réalisation de la Noble Sagesse,
c'est dans le domaine de l'Ainsité. Graduellement le Bodhisattva va réaliser sa nature de
Tathagata ainsi que la possession de tous ses pouvoirs et facultés psychiques, maîtrise de soi,
compassion aimante, et moyens habiles, et grâce à eux il entrera dans toutes les Terres de
Bouddhas. En se servant de ces nouveaux pouvoirs, le Bodhisattva revêtira divers corps de
transformation et personnalités pour le bénéfice des autres. Tout comme dans les précédentes
vies mentales, l'imagination avait surgi de la connaissance relative, c'est donc spontanément
que les moyens habiles vont maintenant surgir de l'Intelligence transcendantale.
C'est comme la gemme magique qui reflète de façon instantanée les réponses appropriées à
nos vœux. Le Bodhisattva accède à toutes les assemblées des Bouddhas et les écoute, pendant
qu'ils discourent de la nature onirique de toutes choses et de vérités qui transcendent toutes
notions de l'être et du non-être, qui n'ont pas de relation à la naissance et la mort, ni à l'éternité
ni à l'extinction.
Faisant donc face aux Tathagatas comme ils discourent de la Noble Sagesse qui est bien au-delà
des capacités mentales des disciples et des maîtres, il va effectivement accéder à cent mille
Samadhis, à cent mille nayutas de kotis de Samadhis, et dans l'esprit de ces Samadhis il va
instantanément passer d'une Terre de Bouddha à une autre, rendant hommage à tous les
Bouddhas, nés dans toutes les demeures célestes, manifestant des corps de Bouddha, et
discourant lui-même du Triple Trésor aux moindres Bodhisattvas afin qu'eux aussi puissent
partager les fruits de l'auto-réalisation de la Noble Sagesse.
C'est ainsi que passant au-delà du dernier stade de l'état de Bodhisattva, il devient lui-même un
Tathagata doté de toute la liberté du Dharmakaya. Le dixième stade appartient aux Tathagatas.
29 Les Êtres nés dans le Kāmadhātu se contentent diversement, mais ils sont tous, exceptés les Ārhats et les
Bouddhas, sous la domination de Māra, et sont liés par les désirs sensuels, ce qui les fait souffrir.
Ici, le Bodhisattva va lui-même se trouver assis sur un trône en forme de lotus dans un
splendide palais décoré de joyaux et entouré de Bodhisattvas de même rang.
Des Bouddhas de toutes les Terres de Bouddhas se rassembleront autour de lui et de leurs
pures et odoriférantes mains posées sur son front, ils lui donneront l'ordination et l'admettront
comme un des leurs. Alors ils lui assigneront une Terre de Bouddha qu'il puisse posséder et
parfaire comme sienne propre.
Le dixième stade s'appelle le Grand Nuage de la Vérité30 inconcevable, non contemplée.
Seuls les Tathagatas peuvent réaliser la parfaite absence d'image, l'Unité et la Solitude.
C'est Mahesvara, la Terre Radieuse, la Terre Pure, la Terre des Distances lointaines ; entourant
et surpassant des moindres mondes de la forme et du désir, dans lesquels le Bodhisattva se
retrouvera lui-même en un instant. Ses rayons de Noble Sagesse qui est la nature propre des
Tathagatas, multicolores, fascinants, auspicieux, transforment le triple monde comme d'autres
mondes ont été transformés par le passé, et encore d'autres mondes seront transformés dans
le futur. Mais dans la Parfaite Unité de la Noble Sagesse il n'y a pas de gradation, de succession
ni d'effort. Le dixième stade est le premier, le premier est le huitième, le huitième est le
cinquième, le cinquième le septième: quelle gradation peut-il y avoir là où prévalent la parfaite
absence d'image et l'Unité? Et quelle est la réalité de la Noble Sagesse?
C'est l'ineffable puissance du Dharmakaya ; il n'a pas de frontières ni de limites ; il surpasse
toutes les Terres de Bouddhas, et interpénètre l'Akanistha et les demeures célestes du Tushita.
◊
Alors Mahāmati dit:
« Si les Tathagatas sont non-nés, il ne semble y avoir rien dont on puisse se saisir ;
pas d'entité; à moins qu'il y ait quelque chose qui porte une autre nom que celui d'entité ?
Et que pourrait être alors ce quelque chose ?
Le Béni du Ciel répondit:
« On connaît fréquemment les objets sous différents noms selon les différents
aspects qu'ils présentent, le dieu Indra est parfois appelé Çakra, et parfois Purandara.
Ces différents noms sont parfois interchangeables et ils sont parfois discriminés, mais on n'a
pas à imaginer différents objets à cause de différents noms, ni ne sont ils sans individuation.
On peut en dire de même de moi lorsque j'apparais dans ce monde de patience à des ignorants
et où je suis connu sous d'innombrables trillions de noms. Ils s'adressent à moi par différents
noms sans se rendre compte que ce sont tous des noms du Tathagata.
Certains me voient comme le Soleil, d'autres comme la Lune; certains comme une réincarnation
des anciens sages; certains comme l'une de dix Puissances ; certains comme Rama, d'autres
comme Indra, et d'autres encore comme Varuna.
Il y en a encore d'autres qui parlent de moi comme du Non-né, comme de la Vacuité, comme de
«l'Ainsité», comme de la Vérité, comme de la Réalité, comme du Principe Ultime ; d'autres
encore me voient comme Dharmakaya, comme Nirvāna, comme Éternel; certains parlent de
moi comme identité, comme non-dualité, comme immortalité, comme sans forme ; certains
pensent de moi que je suis la doctrine de causalité du Bouddha, ou l'Émancipation, ou le Noble
Sentier ; et certains pensent de moi que je suis L'esprit divin et la Noble Sagesse.
Donc dans ce monde et dans d'autres mondes je suis connu sous ces innombrables
noms, mais tous me voient comme la lune est vue dans l'eau. Quoique tous m'honorent,
chantent mes louanges et m'estiment, ils ne comprennent pas pleinement le sens et la
signification de mots dont ils ne se servent pas ; n'ayant pas leur propre auto-réalisation de la
Vérité ils s'accrochent aux mots de leurs livres canoniques, ou à ce qui leur en a été dit, ou à ce
qu'ils ont imaginé, et n'arrivent pas à voir que le nom dont ils se servent n'est qu'un seul des
nombreux noms du Tathagata. Dans leur études ils suivent vainement les seuls mots du texte
en tentant d'en découvrir le vrai sens, au lieu de faire confiance au seul texte où est révélée la
Vérité qui se confirme elle-même, c'est-à-dire faire confiance à l'auto-réalisation de Noble
Sagesse.
◊
Alors Mahāmati dit au Béni du Ciel:
« Les Tathagatas sont-ils permanents ou éphémères?
Le Béni du Ciel répondit:
« Les Tathagatas ne sont ni permanents ni éphémères ; si l'on postule l'un ou
l'autre, il y a erreur en rapport avec les agents créateurs, car, selon les philosophes, les agents
créateurs sont quelque chose d'incréé et de permanent.
Mais les Tathagatas ne sont pas en rapport avec les agents créateurs ainsi nommés et en ce
sens ils sont éphémères. S'ils sont dits éphémères alors c'est en rapport avec des choses qui
sont créées car elles aussi sont éphémères. C'est pour ces raisons que les Tathagatas ne sont ni
permanents ni éphémères.
On ne peut pas non plus dire des Tathagatas qu'ils sont permanents au sens où l'espace est dit
être permanent, ou qu'on peut dire des cornes d'un lièvre qu'elles sont permanentes car, étant
irréels, ils excluent toute idée de permanence ou d'impermanence. Ceci ne s'applique pas aux
Tathagatas parce qu'ils proviennent de l'ignorance de l'énergie de l'habitude qui est connectée
avec le système mental et les éléments qui constituent la personnalité. Le triple monde tire son
origine de la discrimination entre des irréalités et là a lieu une discrimination, il y a dualité et la
notion de permanence et d'impermanence, mais les Tathagatas ne viennent pas de la
discrimination d'irréalités. Donc, tant qu'il y a discrimination il y a notion de permanence et
d'impermanence; quand on se défait de la discrimination, la Noble Sagesse, qui est fondée sur
la signification de la solitude, est établie.
Cependant, il y a un autre sens dans lequel on peut dire que les Tathagatas sont permanents.
L'intelligence transcendantale qui vient avec l'accession à l'éveil est d'une nature permanente.
Cette essence de Vérité qui peut être découverte dans l'éveil de tous ceux qui sont éveillés, est
réalisable en tant que principe de Réalité régulateur et tuteur, qui reste toujours.
L'intelligence transcendantale atteinte intuitivement par les Tathagatas grâce à leur auto-
réalisation de la Noble Sagesse, est une réalisation de leur propre nature; en ce sens les
Tathagatas sont permanents. L'éternel impensable des Tathagatas est l'Ainsité de Noble
Sagesse qu'ils ont réalisée en eux-mêmes. Elle est tout autant éternelle et au-delà de la pensée.
Elle est conforme à l'idée d'une cause et est encore au-delà de l'existence et de la non-
existence.
Comme c'est l'état exalté de Noble-Sagesse, elle se sert de son caractère.
Comme c'est la cause de la plus élevée Réalité, elle est sa propre causalité. Son éternité n'est
pas dérivée de raisonnements fondés sur des notions extérieures de l'être et du non-être, ni de
l'éternité ni de la non-éternité. Classée sous la même rubrique que l'espace, la cessation, le
Nirvāna, elle est éternelle. Comme elle n'a rien à voir avec l'existence et la non-existence, elle
n'est pas le Créateur; parce qu'elle n'a rien à voir avec la création, ni avec l'être ni le non-être,
mais n'est révélée que dans l'état exalté de noble Sagesse, elle est vraiment éternelle.
Lorsque les doubles passions sont détruites, que les doubles obstacles sont dégagés, que la
double absence d'existence propre est pleinement comprise, et que l'inconcevable mort de
transformation du Bodhisattva est atteinte; ce qui reste est la nature propre des Tathagatas.
Lorsque les enseignements du Dharma sont pleinement compris et parfaitement réalisés par
les disciples et maîtres, ce qui est réalisé au plus profond de leur conscience est leur propre
Nature-de-Bouddha révélé en tant que Tathagata.
Dans un vrai sens il y a quatre sortes d'identité par rapport à la Nature-de-Bouddha:
Il y a identité de lettres, identité de mots, identité de sens, et identité d'Essence.
Le nom du Bouddha s'épelle: B-O-U-D-D-H-A ; les lettres sont les mêmes pour n'importe quel
Bouddha ou Tathagata.
Lorsque les Brahmanes enseignent, ils se servent de divers mots, et quand les Tathagatas
enseignent ils usent exactement des mêmes mots ; par rapport aux mots il y a une identité
entre nous.
Dans l'enseignement de tous les Tathagatas, il y a une identité de sens. Parmi tous les bouddhas
il y a une identité du sens. Ils ont tous les trente-deux marques d'excellence et les quatre-vingts
signes mineurs de perfection corporelle ; il n'y a pas de distinction entre eux sauf quand ils
manifestent diverses transformations selon les différentes dispositions des êtres qui doivent
être disciplinés et émancipés par divers moyens.
Dans l'Ultime Essence qui est le Dharmakaya, tous les bouddhas du passé, du présent et du
futur, sont les mêmes.
◊
Alors Mahāmati dit au Béni du Ciel:
« Il a été dit par le Béni du Ciel que depuis la nuit de l'Éveil jusqu'à la nuit du
Parinirvāna , le Tathagata n'a jamais prononcé un mot ni n'en prononcera jamais.
31
31Parinirvāna, terme signifiant « tout à fait Nirvāna » (en chinois : wúyú nièpán 无余涅槃), désigne la fin de l'existence
physique et l'entrée dans le nirvāna complet d'un Bouddha ou d'un Ārhat. À la dissolution des cinq agrégats, est
atteint le nirvāna parfait, alors que le nirvāna, "atteint" au cours de la vie, n'empêche pas les agrégats de continuer à
exister jusqu'à la mort physique, "comme la roue du potier continue de tourner par suite de l'impulsion reçue".
Le Monde des phénomènes32 demeure toujours, qu'un Tathagata apparaisse au monde ou pas.
C'est de même que la Raison de l'Ainsité demeure éternellement ;
c'est de même que demeure la Réalité 33et qu'elle garde son ordre.
Ce qui a été réalisé par moi-même et par tous d'autres Tathagatas est cette Réalité, l'ordre
intrinsèque demeurant éternellement de la Réalité; l'Ainsité de toutes choses ; la réalité des
choses ; la Noble Sagesse qui est la Vérité elle-même.
Le soleil irradie sa splendeur spontanément sur tous sans distinctions et sans un mot
d'explication; c'est de même que les Tathagatas irradient La Vérité de la Noble Sagesse sans
recourir aux mots, au bénéfice de tous sans distinction.
C'est pour ces raisons que je fais état de ce que, depuis la nuit de l'éveil jusqu'à la nuit du
Parinirvāna du Tathagata, il n'a pas été proféré, ni ne le sera, aucun mot.
Et il en va de même de tous les bouddhas.
◊
Alors Mahāmati dit:
« Béni du Ciel, vous parlez de l'identité de tous les Bouddhas, mais ailleurs vous
avez parlé de Dharmata-Bouddha, de Nishyanda-Bouddha et de Nirmana-Bouddha comme s'ils
étaient différents les uns des autres; comment peuvent-ils être les mêmes et pourtant
différents?
Le Béni du Ciel répondit:
« Je parle des différents Bouddhas en opposition aux vues des philosophes qui
basent leurs enseignements sur la réalité d'un monde extérieur de la forme et qui chérissent la
discrimination et les attachements qui en surgissent ; contre les enseignements de ces
philosophes, je dévoile le Nirmana-Bouddha, le Bouddha de Transformations.
Dans les nombreuses transformations du stade de Tathagata, le Nirmana-Bouddha établit des
sujets comme la charité, la moralité, la patience, le recueillement, et la tranquillité: par la
connaissance correcte il enseigne la véritable compréhension de la nature de Māyā des
éléments qui constituent la personnalité et son monde extérieur; il enseigne la véritable nature
du système mental dans son ensemble et dans les distinctions de ses formes, fonctions et
mode opératoires. Dans un sens plus profond, le Nirmana-Bouddha symbolise le principe de
différentiation et d'intégration grâce auquel toutes les composantes sont distribuées, toutes
les complexités simplifiées, toutes les pensées analysées; en même temps il symbolise le
pouvoir d'harmonisation unificateur de la sympathie et de la compassion; il enlève tous les
obstacles, il harmonise toutes les différences, il amène à parfaite Unité la multitude
discordante. Pour l'émancipation de tous les êtres les Bodhisattvas et Tathagatas revêtent des
corps de transformation et emploient beaucoup de moyens habiles ; ceci est le travail du
Nirmana-Bouddha.
32 Dharmadhatu : peut être défini comme la dimension, le royaume ou la sphère du Dharma et dénote la dimension
collective du Dharmata, ou Ainsité.
33 La plus haute (parama) signification, le plus haut dessein, ou la plus haute réalité. On le traduit donc quelquefois
par vérité ultime ou suprême. Une certaine ambiguïté tient à ce qu'on peut encore appliquer ce terme, exactement
comme «vérité», à des réalités ou des enseignements, le sanskrit parlant alors de paramārthasatya, vérité.
Grâce à l'éveil des Bodhisattvas et à leur soutien tout au long des étapes, l'inconcevable
devient réalisable. Le Nishyanda-Bouddha; le «Bouddha d'écoulements»; grâce à l'Intelligence
transcendantale, révèle le vrai le sens et la vraie signification des apparences, de la
discrimination, de l'attachement; et du pouvoir de l'énergie de l'habitude qu'ils ont accumulée
et les conditionne; ainsi que du non-né, de la vacuité, et de l'absence d'existence propre de
toutes choses
À cause de l'Intelligence transcendantale et de la purification des mauvais écoulements de vie,
qui sont toutes des auto-réalisations dualistes de la Noble Sagesse, la vraie absence d'image de
la Réalité est rendue manifeste.
L'inconcevable gloire de la Bouddhéité est rendue manifeste dans les rayons de la Noble
Sagesse ; la Noble Sagesse est la nature propre des Tathagatas.
Ceci est le travail du Nishyanda-Bouddha. Dans un sens plus profond, le Nishyanda-Bouddha
symbolise l'émergence du principe d'intellection et de compassion mais comme encore
indifférenciée et en parfait équilibre, potentiel mais non-manifeste. Du côté entrant du
Bodhisattva, on voit le Nishyanda-Bouddha dans le corps glorifié des Tathagatas ; à partir du
côté de la Bouddhéité qui va en avant, on voit le Nishyanda-Bouddha dans les personnalités
radieuses des Tathagatas prêts et impatients de manifester leur Amour et Sagesse du
Dharmakaya inhérents .
Le Dharmata-Bouddha est la Bouddhéité dans sa nature propre de parfaite unité dans laquelle
prévaut l'absolue Tranquillité. En tant que noble Sagesse, le Dharmata-Bouddha transcende
toutes les connaissances différenciées, il est le but de l'auto-réalisation intuitive, et il est la
nature propre des Tathagatas. En tant que Noble Sagesse, le Dharmata-Bouddha est l'ultime
Principe de Réalité duquel toutes choses tirent leur être et leur fiabilité, mais qui transcende en
lui-même tous les prédicats. Le Dharmata-Bouddha est le soleil central qui tient tout, illumine
tout. Son inconcevable Essence est rendue manifeste dans la gloire d'«écoulement» du
Nishyanda-Bouddha et dans les transformations du Nirmana-Bouddha.
NIRVANA
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Alors Mahāmati dit au Béni du Ciel:
« Lorsque les Bodhisattvas cèdent leurs mérites accumulés pour l'émancipation
de tous les êtres, ils deviennent spirituellement un avec toute vie animée; ils peuvent être eux-
mêmes purifiés, mais dans les autres il reste encore du mauvais karma non-épuisé et immature.
Je vous en prie, dites-nous, ô Béni du Ciel, comment les Bodhisattvas reçoivent-ils l'assurance
du Nirvāna? Et quel est le Nirvāna des Bodhisattvas?
Le Béni du Ciel répondit:
« Mahāmati, cette assurance n'est pas une assurance de nombres ni de logique;
ce n'est pas l'esprit qui doit être assuré mais le cœur.
L'assurance du Bodhisattva vient au moment du déploiement de la pénétration qui suit celui où
les obstacles de la passion sont dégagés, l'obstacle de la connaissance purifié, et l'absence
d'existence propre clairement perçue et patiemment acceptée.
Comme l'esprit mortel cesse de discriminer, il n'y a plus de soif de vie, ni de désir sexuel, ni de
soif de science, ni de soif de vie éternelle; avec la disparition de cette quadruple soif, il n'y a
plus d'accumulation de l'énergie de l'habitude ; quand il n'y a plus d'accumulation de l'énergie
de l'habitude, les souillures sur la face de l'Esprit universel s'en vont, et le Bodhisattva accède à
l'auto-réalisation de la Noble Sagesse qui est l'assurance qu'a le cœur d'accéder au Nirvāna.
Il y a des Bodhisattvas ici et dans d'autres Terres de Bouddhas, qui se sont sincèrement
consacrés à la mission du Bodhisattva et qui ne peuvent pas encore oublier totalement la
béatitude des Samadhis et la paix du Nirvāna pour eux-mêmes.
L'enseignement du Nirvāna dans lequel il n'y a pas de substrat qui reste derrière, est révélé
selon un sens caché au bénéfice de ces disciples qui s'accrochent toujours aux pensées de
Nirvāna pour eux-mêmes, afin qu'ils puissent être inspirés de s'exercer dans la mission du
Bodhisattva d'émancipation pour tous les êtres.
Les Bouddhas de Transformation enseignent une doctrine de Nirvāna en considération de la
situation telle qu'ils la trouvent, et pour donner un encouragement aux timides et aux égoïstes.
Pour détourner leurs pensées d'eux-mêmes et pour les encourager à une compassion plus
profonde et à un zèle plus sincère envers les autres, ils reçoivent une assurance sur le futur de
par le pouvoir de soutien des Bouddhas de Transformation, mais pas par le Dharmata-Bouddha.
34Vinaya, « discipline » en chinois : jièlǜ 戒律 ; en japonais : kairitsu 戒律 ), désigne le corpus de textes bouddhiques
ayant trait aux pratiques de la communauté monastique ou sangha noble.
XVIII
Allons plus loin, Mahāmati. Ceux qui, redoutant les souffrances résultant de la discrimination de
la naissance et de la mort, recherchent le Nirvāna, ignorent que la naissance et la mort et le
Nirvāna ne doivent pas être séparés ; et, comprenant que tout ce qui est objet de la
discrimination n'a pas de réalité, ils s'imaginent que le Nirvāna consiste en une annihilation des
sens et de leur zone de fonctionnement.
Ils ne se rendent pas compte, Mahāmati, que le Nirvāna est l'Alayavijñana où s'est produit un
retournement par la réalisation intérieure.
C'est pour cela, Mahāmati, que les sots parlent de la trinité des véhicules et non de l'état de
Mental Cosmique où il n'y a pas d'ombres.
Donc, Mahāmati, ceux qui ne comprennent pas l'enseignement des Tathagatas du passé, du
présent et de l'avenir concernant le monde extérieur qui est du Mental lui-même - ceux-là
s'accrochent à l'idée qu'Il y a un monde en dehors de ce qui est vu du Mental et, Mahāmati, ils
continuent à tourner avec la roue de la naissance et de la mort.
XIX
Allons plus loin, Mahāmati. Selon l'enseignement des Tathagatas du passé, du présent et de
l'avenir, toutes choses sont non-nées. Pourquoi ? Parce qu'elles n'ont pas de réalité, étant des
manifestations du Mental lui-même ; et, Mahāmati, comme elles ne sont pas nées de l'être ni
du non-être, elles sont non-nées. Mahāmati, toutes choses sont comme des cornes de lièvre, de
cheval, d'âne ou de chameau, mais les ignorants ou les esprits simples, prisonniers de leurs
imaginations fausses, discriminent les choses où elles ne sont pas distinguables ; donc, toutes
choses sont non-nées.
Le fait que choses soient par nature non-nées, Mahāmati, est du domaine de la réalisation
intérieure, obtenue par la noble sagesse et non du domaine de la discrimination dualiste tant
prisée par les ignorants et les esprits simples.
La nature propre et les signes caractéristiques du corps, propriété, le domicile - ces choses
surgissent quand les ignorants considèrent l'Alayavijñana comme un processus de saisie ou de
prise ; ils tombent alors dans une vue dualiste de l'existence où ils voient
son surgissement, sa durée et sa dissipation,
en se faisant l'idée que toutes choses sont nées et sujettes à discrimination quant à leur être ou
à leur non-être.
Donc, Mahāmati, tu devrais t'entraîner à la discipline, c'est-à-dire à la réalisation intérieure.
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