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La théorie du détour de M. Cariou rentre dans le cadre d’une approche basée sur le cycle de
vie qui permet de rendre compte du fonctionnement psychologique humain dans son
ensemble et ce à tous les stades de son existence. Il s’agit d’une approche globale de
l’individu et de son psychisme qui prend ses sources dans la théorie développementale de
Henri Wallon.
Il faut partir du postulat selon lequel notre psychisme, est une interface entre le biologique
et le social avec l’activité comme outil adaptatif par rapport à notre milieu, Elle s’inscrit dans
la continuité de l’évolution des espèces. Ainsi que l’écrit M. Cariou :
«… l’activité nerveuse supérieure ne peut être autre chose qu’un moyen par lequel se
réalise le processus adaptatif, un moyen de maintenir la vie de l’organisme qui l’exerce, et, à
travers lui d’assurer la survie de l’espèce. » i
En effet tout comme le fonctionnement sensori-moteur d’un organisme a pour but de
maintenir celui-ci en vie, le fonctionnement psychique développé par l’être humain tend vers
ce même but, cette même fonction.
Or si l’organisme a pour objectif sa propre survie, celle-ci est en lien étroit avec le milieu
dans lequel il évolue et qui pour l’homme correspond au milieu social qu’il a créé et dont il
est issu à la fois.
Si cette adaptation est évidente sur le plan physique elle intervient aussi au niveau
psychologique. L’homme se trouve dans une dynamique adaptative, c’est-à-dire qu’il ajuste
son fonctionnement, son comportement en fonction des caractéristiques de son environnement
et ce dans le but de maintenir le meilleur équilibre vital possible avec celui-ci.
C’est à travers son activité que l’organisme est en lien avec le milieu dans lequel celle-ci se
déploie. L’activité est « le trait d’union indispensable entre les deux »ii (l’organisme et le
milieu). L’activité humaine est donc par nature adaptative et elle se doit, pour être efficace
Les circonstances qui amènent à utiliser cette stratégie adaptative sont nombreuses et se
succèdent tout au long de notre existence, que ce soit les transformations physiques,
biologiques que nous subissons tous, les acquisitions éducatives et sociales liées aux feed-
backs familiaux puis sociaux en général ou encore les épisodes de la vie heureux ou
malheureux qui amènent des changements notables (mariage, accident, maladie,
promotion…). Et notre construction psychique n’échappe pas à cette règle, au contraire.
Comme l’explique Henri Wallon : « L’activité mentale ne se développe pas sur un seul et
même plan par une sorte d’accroissement continu. Elle évolue de système en système »iii
En effet chaque nouvelle étape de développement consiste en une réorganisation, une
intériorisation de l’étape précédente à un niveau supérieur.
- Etape 1 : Elle commence avec la vie intra-utérine et inclut les premiers mois suivant
la naissance. Elle est « tournée principalement vers l’adaptation biologique au
milieu »iv . En effet, il s’agit pour le nouveau-né d’exercer dans le milieu physique les
compétences de bases qu’il a, malgré son état de prématuration, comme respirer, téter,
et ainsi d’affiner, d’ajuster ces activités en fonctions des effets qu’elles produisent en
terme surtout de sensations. L’enfant, au cours des premiers mois de vie n’est pas
particulièrement tourné vers le milieu humain, qui se confond encore avec le milieu
physique en général.
→ Premier détour (accès à la communication émotionnelle)
- Etape 2 : Autour de 6 mois l’enfant entre dans ce qui correspond à la phase
émotionnelle de Wallon, phase ou l’enfant va alors pouvoir affiner sa rencontre avec
le milieu humain et ce en passant par la communication émotionnelle. Pendant cette
étape il s’agira pour lui de bien se différencier de ce milieu avec lequel il est encore
confondu.
a) La différenciation Moi/Autre
Avec l’exercice de son activité dans ce milieu, de sa capacité à provoquer des réactions par
son comportement, à commencer par les pleurs qui font venir sa mère, l’enfant réalise au fil
du temps qu’il y a d’une part ses émotions, qu’il exprime à travers cette activité, et celles de
l’autre. Petit à petit il apprend à les dissocier. Lorsqu’un autre se fait mal par exemple, il ne
commence plus à pleurer comme il le faisait avant car il se rend compte qu’il ne partage pas la
douleur de l’autre, il échappe ainsi peu à peu à ce qu’on appelle la contagion émotionnelle,
qui lui aura par ailleurs permis auparavant de s’intégrer au milieu humain. Car c’est par la
communication émotionnelle que l’enfant rentre, prend place dans le milieu social.
C’est comme ça que petit à petit, dans cette sphère participative qu’est l’émotion, se
dissocient deux pôles : le Moi et l'Autre.
C’est avec l’accès à la pensée symbolique, et donc au langage, que cette polarisation est
rendue possible. C’est-à-dire que l’enfant « accède à la capacité de différencier un signifiant
d’un signifié, c’est-à-dire de conférer à la représentation symbolisée une équivalence
fonctionnelle avec la représentation directe de l’objet externe »v
Ainsi l’enfant rentre dans un nouveau mode de participation au milieu basé essentiellement
sur ces conduites sociales et sur les retours positifs ou négatifs que lui renvoie l’entourage :
c’est l’activité de relation. Il développe ainsi un certain nombre de conduites en fonction de
situations concrètes.
Mais à ce stade l’être et l’avoir sont confondus ; l’enfant rapporte tout à lui donc le Moi (ce
que je suis) se confond avec les conduites (ce que je fais). C’est-à-dire que le Moi de l’enfant
tient essentiellement dans la mise en relation entre une situation donnée et le « bon »
comportement correspondant. Il n’est pas encore capable de se détacher du modèle externe
concret et donc de s’adapter à une situation inconnue par la mise en place d’une nouvelle
modalité d’être.
b) La différenciation Identité/Altérité
Les moments difficiles que traverse tout adolescent (le contraire serait inquiétant) sont dus
au fait que se déroule sur le plan psychique un conflit entre des modalités d’êtres acquises et
perfectionnées dans l’enfance et avec lesquelles la personne sait fonctionner, et la nécessité de
diriger sa trajectoire d’individuation vers l’autonomisation indispensable à la vie adulte ;
autonomisation que ces modalités infantiles ne permettent pas. Comme nous l’avons vu
l’enfant, avec la pensée symbolique concrète, était resté jusque là dépendant de modèles
externes ; il continuait donc à être tributaire du contrôle et de la protection externe apportés
par son environnement familial.
Il s’agit donc pour l’adolescent de dépasser ses identifications infantiles qui sont mises à
distance en même temps qu’il remet en cause le modèle familiale dans lequel il s’est construit
jusqu’alors et qu’il n’a pas été réellement amené à interroger en tant qu’enfant. L’enjeu
devient pour lui d’aller chercher son identité propre, en dehors de son seul cercle familial afin
de mettre en travail sa capacité à survivre, à vivre indépendamment de ce cercle.
L’adolescent va tenter de se faire une représentation générale du monde et cela passe entre
autres par les idéologies. Elles sont présentes autour de lui depuis sa naissance puisque c’est à
travers des idéologies que les parents ont dirigé leur manière de l’élever, son éducation ; elles
sont aussi présentes à un niveau social plus large, l’adolescent en est donc imprégné ne serait-
ce que de manière inconsciente mais il va devoir, pour se forger son identité propre, mettre
cela en forme, donner à cet ensemble de valeurs une cohérence interne/externe.
En effet, l’enfant était cadré par des feed-backs externes (parentaux) alors qu’à
l’adolescence les feed-backs sont petit à petit intériorisés pour se baser plutôt sur des
objectifs, des buts personnels, que ceux-ci soit érigés en projets de vie ou en simples
possibilités pour l’avenir proche.
D’autre part, l’accès à l’abstraction permet à l’adolescent d’intégrer les représentations de
ces modèles de conduites externes et donc de les généraliser à des situations nouvelles, il peut
désormais les ajuster, les moduler en fonctions des conditions qu’il rencontre.
La pensée formelle rend donc l’adolescent capable d'assurer son unité fonctionnelle, son
unité en tant que sujet, l'intégration de toutes les facettes qu'il a développées dans le
sentiment d'être un, d'être une personne et de le faire de manière interne. Cela lui permet en
somme de mettre en place une modalité interne de gestion de son unité.
La problématique du Moi et de l'Autre va devoir changer elle aussi d'échelle. Elle va
désormais se poser en termes plus abstraits et plus généraux ; on parlera d’Identité et
d’Altérité.
Mais cette réorganisation psychique, qui va fonder et fixer la personnalité adulte du sujet, se
fait en fonction d’un identificateur central, à savoir: le Genre.
En effet le Genre est le support idéologique de la différenciation Identité/Altérité. Il permet
à l’individu de s’inscrire dans une continuité, une cohérence, aussi bien sur le plan de toutes
ses activités, connotées par le Genre, que sur le plan de son identité interne. C’est autour de
cet identificateur que vont graviter les identificateurs partiels, c’est-à-dire les supports
secondaires de l’identité que peuvent être par exemple le travail, la beauté, le conjoint, la
famille, et bien d’autres choses encore.
A l’adolescence le concept d’Autre s’affinant, il n’est plus « tout ce qui n’est pas moi »,
mais, en rapport avec l’émergence de la sexualité, l’Autre devient de façon privilégié l’autre
sexe. On se définit en tant que femme par rapport, et par opposition à l’homme et vice versa.
Cette bipolarité de la construction identitaire à l’adolescence est la façon la plus commode
d’intégrer cette identité d’une manière contrôlée par la personne et en même temps reconnue
sur le plan social.
- Sur le plan vertical, puisque le Genre ne change pas tout au long de notre vie et permet
de nous définir de l’enfance jusqu’à la fin de la vie.
- Sur le plan horizontal, puisque le Genre sert à connoter toutes nos activités, nous les
exerçons en tant qu’homme ou que femme.
Le Genre est le lien qui permet donc d’unifier l’individu et autour duquel il peut se
construire à tous les niveaux. L’identité de Genre englobe les identificateurs partiels de la
personne. Il peut rendre compte aussi bien de ses valeurs, de ses activités, de ses relations
sociales, etc. C’est cette organisation centrée sur le Genre qui permet à la personne de trouver
une cohérence entre son vécu interne et ses conduites, son activité.
Une bonne intégration de l’identificateur/différenciateur de Genre à l’adolescence est une
condition essentielle pour la mise en place d’une identité adulte stable, cela permet de résister
aux changements, aux bouleversements qui peuvent intervenir au cours de l’existence.
Lorsque des identificateurs partiels sont mis à mal, comme par exemple si la personne perd
son travail, son identité globale n’en est pas fondamentalement remise en cause si elle est
basée sur le Genre qui lui ne bouge pas et reste comme un repère fixe.
On peut donc conclure que l’adolescence est une période clé en ce qui concerne la mise en
place de la personnalité adulte, bien qu’il ne faut pas oublier que celle-ci découle aussi du
vécu infantile.
A travers les différentes étapes de développement que nous avons détaillées, nous avons
tenté de décrire ce que pourrait être le parcours normal d’un sujet pour arriver à une
personnalité, à une identité stable à l’âge adulte.
Pourtant la construction identitaire peut ne pas se dérouler correctement et dans ce cas on
parlera de carences élaboratives.
Tout au long du développement la trajectoire adaptative d’une personne peut dévier. Les
restructurations qui se font à partir de ces déviations ne sont pas inscrites de manière
systématique comme une carence par rapport à ce qui aurait dû être. Il n'y a pas de modèle
initial. Il y a une marche en avant qui, suivant les opportunités ou les obstacles qu'elle
rencontre, va prendre un chemin ou un autre. Simplement certains chemins risquent de
conduire la personne dans des impasses adaptatives.
Lorsque l’identité repose sur ces identificateurs partiels elle n’est plus définie par un
élément stable qui ne change pas. Les identificateurs partiels sont non seulement instables
mais de plus ils risquent de disparaître au cours de la vie remettant ainsi en cause l’équilibre
identitaire du sujet. En effet tant que ces identificateurs sont présents le sujet arrive à
s’adapter au milieu en fonction d’eux mais lorsqu’ils viennent à disparaître il y a rupture
adaptative, la continuité psychique du sujet est mise à mal ce qui le fragilise au plan
i
Cariou Michel, Personnalité et vieillissement, Introduction à la psycho-gérontologie Éditions Delachaux
et Niestlé, 1995 (p.120)
ii
Idem (p.121)
iii
Wallon Henri, L’évolution psychologique de l’enfant, Editions Armand Colin, Coll. Cursus, Paris, 1968
(p.19)
iv
Cariou Michel, Personnalité et vieillissement, Introduction à la psycho-gérontologie Éditions Delachaux
et Niestlé, 1995 (p.147)
v
Idem (p.139)
vi
Idem (p.160)