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Quentin Dupieux est un garçon talentueux et intelligent, il suffit de voir ses travaux
précédents pour s'en rendre compte. Il est aussi franchement roublard comme en attestent ses
intuitions quant à la publicité qu'il sait faire autour desdits travaux (la campagne Sta-Press de
Levis, qui a vendu beaucoup plus de peluches que de futes). Cependant, ce trait ne parasitait
pas (trop) le corps même de ses ouvrages jusqu'à présent. Steak notamment était un petit film
passé quasi-inaperçu qui se tenait tout à fait, sans prétention et vraiment pas con, qui jouait
intelligemment d'un imaginaire codifié et acculturé de manière abusive en France, à savoir la
high school américaine, en y adjoignant de discrets et pertinents emprunts à Accion Mutante
ou à l'épisode Eye of the Beholder de Twillight Zone. C'est dire si on attendait Rubber,
comme tout le monde, au vu de ses faramineuses promesses: l'odyssée d'un pneu conscient,
autonome, tueur de masse et doué de psychokinésie, shootée au Canon 5D? Mais ouais mais
ouais! Hélas, on ressort de la projection d'autant plus énervé que ces monts et merveilles sont
à peine offerts, et du bout des doigts encore. Tout simplement parce que raconter l'histoire
qu'il est venu nous raconter, ça n'a pas l'air de trop l'intéresser Quentin, en tous cas moins que
les sirènes de la hype la plus vacante de ses copains trop cools venus des arrondissements
centraux de la capitale...
Les plus dégourdis d'entre vous auront compris où votre Histrion Serviteur veut en venir: Il
est grand temps de pourfendre un abus de langage répandu de nos jours, celui qui consiste à
accommoder le mot "Buzz" (pardon, "Ramdam") à toutes les sauces. Car la paresse
journalistique et son OPA sur le terme ("tiens, un mot qui sonne bien, ça fait moderne et en
plus ça fait juste quatre caractères") servent de masquard aux communicants de tous poils
hirsutes, trop contents de s'y planquer pour faire passer les grosses ficelles publicitaires qui ne
passaient plus depuis les glorieuses eighties. Youpi! Le lobbying et la propagande à la portée
du plus grand nombre, ripolinés sous le nom de Marketing Viral? Trop lol! Quelle époque
enchantée.
On glose donc beaucoup sur le buzz autour du film de Quentin Dupieux, alors que l'on est
principalement en face d'une opération de communication. Pour le greffe, la com, c'est un
émetteur qui envoie un message à nombre de récepteurs, dans un but de réclame plus ou
moins commerciale ou idéologique. Le buzz, dans son acception propre (le Bon Usage pour
reprendre le Grevisse), c'est des récepteurs qui causent entre eux, de leur propre initiative,
d'un objet culturel qui soulève leur intérêt de par sa nature ou sa facture. Souci quant au
"buzz" autour de Rubber: il n'a été montré en festival qu'au Forum des Images (séance unique
à l'Etrange Festival). Avant ça, il n'avait fait que le marché du film à Cannes pour quelques
journalistes et des professionnels, et une projo riquiqui à la quinzaine des réalisateurs pour
organiser la pénurie. Quelques indices et teasers savamment distillés ont fait le reste. C'est
donc strictement de la com qui se fait passer pour du bouche-à-oreille branché (car le branché
est fatalement naïf - être à la mode, par définition, c'est vouloir à tout prix ressembler à
quelqu'un d'autre, selon des critères de choix eux-mêmes dictés par des tierces parties), en se
justifiant de la fine patine du bouche-à-oreille des happy few du 11 septembre (2010 hein).
C'est dire si le propos sent d'emblée un peu la seringue de gavage.
Mais venons-en au film en lui-même, car à sa vision ces considérations ne sont jamais bien
loin. Il y a ici deux films en un, accolés de manière un peu cavalière dans le même espace
narratif. L'un de ces deux films est formidable en tous points. C'est celui sur lequel tout le
monde bave depuis des mois: un pneu vient à la vie et commence son bout de chemin,
découvrant les formes, sa capacité d'action sur les choses, et s'élevant bientôt à la conscience.
Il tombe sous le charme d'une jeune femme rencontrée au hasard sur la route, qu'il suit jusqu'à
un évènement traumatique, la vision d'une décharge où l'on incinère des pneus en grande
quantité. Le voyage initiatique se change en odyssée vengeresse qui culmine dans rien moins
qu'une actualisation caoutchoutée de Spartacus.
La photographie est magnifique (le capteur plein format du 5D fait particulièrement merveille
dans les séquences à la lumière rasante) et la musique est, fait rare pour de l'electro, en
adéquation avec son sujet (surtout en ce qui concerne les basses ronflantes au rendu chiptune
dont est coutumier Mr Oizo). Bref ce film-là avait tout pour devenir un chef-d'œuvre, et sous
forme de moyen-métrage c'en serait un. La construction de l'éveil de Robert, ayant
complètement digéré 2001, permet même d'esquisser un motif propre à cette année
cinématographique, qui utilise la toute-puissance évocatrice du medium pour relayer le
Nietzsche de l'Eternel Retour et d'Ainsi Parlait Zarathoustra. Walhalla Rising et Rubber
reprennent ainsi les même motifs et une construction similaire afin de nous montrer, à chaque
fois, un être s'arrachant à sa condition d'objet, pour s'élever par étapes au rang de sujet puis,
même, de "surhomme" promis à une forme d'immortalité. L'importance des visions et
réminiscences est par exemple, en termes de découpage et de mise en images, presque
interchangeable d'un film à l'autre. On jettera pour s'en rendre compte un œil sur les souvenirs
de Robert, en les comparant aux visions futures de One-Eye, ou encore la manière dont les
deux personnages sortent littéralement de terre au début de leurs périples, ainsi, bien entendu,
que leur mutisme.
Le reste est à l'avenant. Roxanne Mesquida est là pour la nudité people (comme d'hab'), l'air
savamment détaché de pub pour prêt-à-porter et les éclairs de vulgarité décalée (il faudra
qu'on s'interroge un jour sur le besoin des réalisateurs français de systématiquement faire faire
ou dire des grossièretés à des jolies femmes), les personnages parfaitement interchangeables
assurent des saynètes plus ou moins plaisantes ou trash mais souvent très longues (l'impact de
balle)... Plus globalement, à trop vouloir s'aventurer sur les sentiers inattendus de son film,
Dupieux l'autodétruit, l'annihile à force de contradictions successives, dans le seul but de faire
de l'esprit. Il y a une frontière, et pas si ténue que ça faut pas déconner, entre jouer sur les
conventions ou même les démonter, et tout foutre en l'air pour faire son intéressant. Quentin,
vous n'aviez pas besoin de tout ces artifices qui ne font que gâcher le plaisir. On savait déjà
que vous étiez intelligent. Il ne nous reste plus qu'à soupirer en pensant au film à côté duquel
on est passés, et dont le long trailer bourré de money shots super bandants est monté en
parallèle avec votre pensum un peu stérile.
Une curiosité Rubber? Sans aucun doute , mais en l'état on est loin du messie zarbi
qu'on nous avait promis. Film aussi virtuose que pénible, le long de Dupieux ne remplit
qu'à moitié son contrat, et dans le monde des curiosités psychotroniques, remplir à
moitié son contrat, c'est ne pas le remplir du tout. Reste un verre à moitié plein, à moitié
vide. Dommage qu'on reparte sur l'idée du vide, un bon film existait quand même sous
les gravats.