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littéraire du 16 au 30 sept. 1970

Avant-garde et Nouveau roman


SOMMAIRE

3 LE LIVRE DE kndré Biély Poèmes adaptés par par Georges Nivat


LA QUINZAINE Gabriel Arout

4 ROMANS FRANÇAIS Jean·Marie Fonteneau Les champignons par Marie-Claude de BrunhofI


5 Antoine Mantegna 7 par M.C. de B.
Bruno Gay-Lussac Introduction à la vie profane par Gilles Lapouge
6 En feuilletant
7 Michel Chaillou Collège Vaserman par Claude Bonnefoy
François Coupry La promenade cassée
8 ENTRETIEN Avec le best·seller N° Propos recueillis
par M.C. de B.
9 HISTOIRE Félix Fénéon Œuvres plllS que compLè.tes par Michel Décaudin
LITTERAIRE
10 COLLOQUE Où en est l'avant.garde ? Gilbert GadofIre
Michel Deguy
Nathalie Sarraute
J .M.G. Le Clézio
Bernard Teyssèdre
12 L'EDITION EN
EUROPE Hongrie Propos recueillis par J. P.
15 Angleterre John Calder
19 Allemagne Christoph Schwerin
20 Yougoslavie Predrag Matvejevitch
22 PSYCHIATRIE Maud Mannoni Le psychiatre, son «fou» par Catherine Backès-Clément
et la' psychanalyse
24 HISTOIRE L. Oppenheim La Mésopotamie par Daniel Arnaud
26 Portrait d'une civilisation
Pierre Ansart Marx et fanarchisme par André Akoun
Naissance de fanarchisme

27 RELIGIONS Antoine Faivre Eckartshausen et la par Jean Roudaut


théosophie chrétienne
28 ECONOMIE Léon Lavallée Pour une prospective par Bernard Cazes
marxiste
POLITIQUE

François Erval, Maurice Nadeau. Publicité littéraire : Crédits photographiques


Conseiller: Joseph Breitbach. 22, rue de Grenelle, Paris 7") .
Téléphone : 222·94·03.
Comité de rédaction: p. 3 L'âge d'homme
Publicité générale: au journal.
Georges Balaudier. 4
p. F. Boivrel
Bernard Cazes. Prix du nO au Canada: 75 cents.
François Châtelet. p. 5 Gallimard
Françoise Choay. Abonnements:
Dominique Fernandez. Un an : 58 F, vingt-trois numéros. p. 8 Flammarion
Marc Ferro, Gilles Lapouge. Six mois: 34 F, douze numéros. p. 9 Mercure de France
Gilbert Walusinski. Etudiants: réduction de 20 %.
Etranger: Un an: 70 F. p. 13 Thomas Hopker, Magnum.
La Quinzaine
litteraire
Secrétariat de la rédaction : Six mois: 40 F. p. 18 Sergio Larrain. Magnum.
Anne Sarraute. Pour tout changement d'adresse :
envoyer 3 timbres à 0,40 F. p. 19 D.R.
Courrier littéraire : Règlement par mandat, chèque p.23 ' Roger Viollet
Adelaïde Blasquez. bancaire, chèque postal :
C.C.P. Paris ]555]·53. p. 24 Gallimard
Maquette de couverture: Directeur de la publication: p.26 Roger Viollet
Jacques Daniel.
François Emanuel. p.27 Klincksieck éd.
Rédaction. administration: 1mprimerif': Ahexpress.

43, rue du Temple, Paris (4"). Impression S.LS.S.


Téléphone: 887-48-58. Printed in France.
I.E LIVRE DE

La blessure du soleil
LA QUINZAINE

André Biély jambes! De tout son corps, de certes l'infidélité est patente:

1
Poèmes adaptés par sa seconde âme, avec en plus images disparues, images ajoutées,
Gabriel Arout r âme de son corps, et encore la variations libres à partir d'un
Gallimard, 119 p. vie propre et indépendante de thème, tels ces quelques vers amu-
son échine de chef t:lorchestre... :t sants qu'en vain on cherchera
Comme pour illustrer ce film dans l'original:
Du geme protéiforme d'An- dansant des gigues de Biély, Ga-
dré Biély. poète symboliste, briel Arout a centré son petit re- Et cependant je fais grand cas
romancier, philosophe. théori- cueil sur le plus long et le plus Du monde et de ses vains
cien de la forme littéraire, acrobatique des poèmes de Biély, plaisirs
sismographe affolé des séis- ce merveilleux Premier Rendez- Je flotte au souffle du zéphyr
mes du premier tiers du vous qui fut écrit en 1921 à Pétro- M'ébrouant comme un jeune
XXe siècle. Gabriel Arout a grad (et non cn 1906, comme il veau
choisi de nous donner une est dit par une regrettable erreur). Je meuble et trouble mon
des facettes. l'une des plus Sur le rythme dansant et mali- cerveau.
précieuses, celle du poète. cieux d'Eugène Onéguine, le vers
iambique tétrapode, il s'agit La méthode de l'adaptation
, d'une chronique musicale de quel- bre est dangereuse, mais pas pour
Et certes pas toute la poésie de ques moments saillants dans la le virtuose qu'est Arout, rompu à
Biély, car il y faudrait bien plu!l biographie revécue de Biély jeu- tous les jeux de l'adaptation. Di-
que ce petit recueil. Mais assez ne homme, sorte de Genèse à la sons pourtant que la méthode res-
pour qu'apparaisse le chemin qui fois humoristique et mystique de- treint singulièrement son choix,
mena Biély d'une poésie mysti- l'univers spirituel de Biély. Dans puisque, de toute évidence, celui-
que, nourrie de symboles reli- un tourbillon de calembours et de ci est surtout dicté par la réussite
gieux, à une poésie étonnamment pirouettes, un maelstrom de réfé- ou l'échec de cette transposition
surréaliste où le symbole n'est rences érudites et d'assonances musicale. Avant tout, Gabriel
plus dans l'image, mais dans les ébouriffantes, Biély évoque la Arout veut transmettre au lecteur
profondeurs mêmes du mot, sou- naissa,nce de son propre XX" siè- André _Biély français le plaisir esthétique dont
mis à une sorte de désintégration cle où s'entrecroisent les mythes est gratifié le lecteur russe. C'est
atomique. anciens et la théorie atomistique (Dessin .de N. Vychéslavskl.) à ce plaisir qu'il est fidèle, c'est
Gabriel Arout a sans doute été moderne. lui qu'il nous restitue très pleine-
dicté dans son choix par ce qui Les instantanés que nous livre ment. Et parmi toutes les trou-
l'a personnellement fasciné: le le poète sont comme les précipi- son cortège clownesque de culbu- vailles heureuses, citons ce qua-
Biély chef d'orchestre, prestigieux tations d'un tourbillon de mots tes et de pieds-de-nez n'est qu'un train bondissant :
manieur des sons, faisant surgir le en suspension, -et dans les cris- paravent opposé au grand souffle
nùroitement des souvenirs ou des taux recueillis, comme toujours, de l'Originel. Car au fond de la Un camarade très sceptique
visions dans la vibration des asso- Biély retrouve le monogramme mémoire gisent les filons de l'Uni- Dit: «N'es-tu pas
nances, des jeux de mots, et les caché des réalités spirituelles. De versel; sous la gangue des mots épileptique ? :t
contorsions d'un immense orches- tous ces tableaux «précipités:t gît le Sens mystérieux. Biély, Brisant, cruel, en plein élan
tre verbal. Tous les auditeurs de dans le laboratoire de la mémoire, dans son prologue, se compare à Les ailes de mon cerf-volant.
Biély nous l'ont décrit comme le plus brillant est celui du Con- un gnome obstiné cassant la croû-
une sorte de chef d'orchestre - cert: le chef monte au pupitre, te des mots : Les lecteurs de Pétersbourg re-
oiseau, penché sur un imaginaire la baguette clignote, le crâne connaîtront là èette sorte d'allé-
pupitre, commandant à un étin- chauve reluit, et tout commence : A coups de pic le gnome extrait gresse moqueuse et capricante qui
celant ensemble de cuivres et de assaut furieux des instruments, La gangue fruste des consonnes. sert de contrepoint au Biély tra-
bois qui lui seul entend, mais dont sabbat des cuivres, vol nuptial des gique et visionnaire. C'est ce
avec humour et virtuosité, sa ba- violons... D'où ces cascades d'hyperboles Biély capricant qu'Arout a su ren-
guette frénétique recrée pour nous fulgurantes et ces multiples con- dre à merveille, quitte parfois à
l'imaginaire présence. Tout est en jeu, tout est promis crétions de mots nouveaux, hélas ! forcer un peu la note et à insuf.
Arout cite dans sa courte pré- En une offrande fatidique quasi impossibles à rendre en fler à la poésie de Biély un je ne
face le brillant portrait de Biély A u dieu joueur de la musique. français. sais quoi de trop sensuel.
que fit dans un de ses articles la Et lui dressé sur ses ergots D'ailleurs, tout n'est pas adapta-
poétesse Marina Tsvétaieva, dont Conduit la charge des« fagots tion, et il y a aussi des traduc-
le talent poétique était parfois si Vers ses piqueurs qui tions rigoureuses. Ainsi trouvera-
Traduction ou
proche de celui de Biély: «Ce fanfaronnent, t-on dans ce recueil la traduction
n'était pas qu'inspiration verbale, Lance, veneur impénitent, adaptation intégrale de Christ est ressuscité,
c'était une Danse... toujours envi- La meute de ses chiens courants, le poème en vingt-quatre épisodes
ronné du tourbillon dansant des Coupant la route des C'est -qu'il nous lyriques que Biély écrivit en
pans de sa jaquette... antique, élé- trombonnes. faut parler dt' ,« l'infidèle fidélité :t avril 1918 pour faire pendant aux
gant, recherché, tel un oiseau (traduction Arout) dont Çabriel Arout prend, dans fameux Douze d'Alexandre Blok.
étrange, mélange de maestro et de _une courte déclaration liminaire, Ce poème est une longue Déplo-
prestidigitateur, toujours en mou- La salle Syinphonique était po:ur toute la «résponsabilité:t. L'écri- ration de la Russie crucifiée de
t1ement sur le rythme changeant Biély le symbole d'une autre salle, vain Arout n'est pas un traducteur 1918 : le corps meurtri de la Rus-
de sa danse - à deux, à trois, à plus universelle, et d'un autre or- servile. n entend par la- recher- sie est assimilé au corps du
quatre temps - liée au jeu mbtil chestre, plus élémentaire, où tour- che «d'équivalenb!'-et de transpo- Christ, la Grotte de la Mise au
des sens, des mots, des queues de billonnaient les grands principes sitions:t retrouver' « l'approxima- Tombeau devient tout le pays
pie, des jambes - que dis-je, des de l'Univers. La moquerie avec tion la plus serrée possible:t. Et ténébreux où les b r 0 w n i n g s

La Q!!buaine Littéraire, du 16 au JO septembre 1970 3
ROMANS

Biély Le déluge
FRANÇAIS

1
lrouent l'air de leur «rire rou- Jean-Marie Fonteneau II est seul. Son jeune ami Marc l'a tation, les horreurs, la peur, sont
ge ». Mais cette Mise au Tombeau Les Champignons quitté. Sa maison confortable: pour c Paris·Match:. et les au·
précède une Résurrection que Grasset éd., 185 p. fourrures, acajou, cristaux, feux de tres, pas pour lui. II nous paraît
Biély pressent de toutes ses fibres bois, argenterie brillante et le être enfermé dans un cercle magi·
de prophète mystique. Et cette pun.ch glacé rituel avant le dîner, que, hors du temps.
foi soutient le long cri qui se ré- Depuis des jours, depuis des est pour lui un Nautilus où il Seuls les champignons, mons·
percute et gicle au long de ces nuits, il pleut. L'eau atteint deux se claquemure avec ses souvenirs. truosités violettes, orangées, phal.
vers qui, en dessous de leur égré- mètres dans les rues d'Orléans, Peintre, illustrateur, il a été fêté, liques, montant jusq'au faîte des
nement irrégulier, font entendre Notre-Dame, le clocher de Saint- aimé. Mais tous les bonheurs lui arbres, floraisons malsaines dif·
comme une sorte de tocsin régu- Germain-des-Prés se reflètent dans ont glissé entre les doigts comme fusant une lumière visqueuse, sont
lier. Biély, comme Blok, avait ac- une mer noirâtre. Toute l'Europe, du sable. II est seul et profondé- les. symboles du monde extérieur
cueilli la révolution d'Octobre, la les Etats-Vnis, le monde entier ment triste. en putréfaction. L'auteur se garde
révolution sourde et sans fanfa- sont peu à peu submergés. II Ce qu'il voit autour de lui, les bien de trop les décrire. Ils sont
res, avec une sorte de sombre fer- pleut toujours. Le gouvernement arbres déracinés qui se couchent là, ils grandissent, envahissent,
veur mystique. Seule la Passion français se réfugie à Briançon. La pour mourir dans' la boue, sa mais si le récit en tjent compte
du' Christ semblait à beaucoup radio ne diffuse plus que les ferme déchaussée par les torrents c'est pour les donner en tant
capable d'exprimer l'événement comptes rendus de catastrophes. d'eau avant de s'écouler, la terre que repères mesurant la montée
de la Révolution. Fût-ce dans le La terre se noie. qui lui appartient entraînée par de l'inondation, non pas pOUl'
blasphème de certains poèmes de Nous ne voyons cela que de le flot dégoulinant, sont des spec- exacerber l'atmosphère de ter·
Maïakovski et d'Essénine... loin, calmement, sans le moindre tacles atroces certes - il fait des reur.
Les autres poèmes traduits énervement. L'homme qui ici rondes quotidiennes pour consta- Jean.Marie Fonteneau n'a pas
semblent choisis plus arbitraire- écrit son journal habite une belle ter l'amplitude inexorable du dé- cherché à écrire un roman fantas·
ment. Tout un pan de l'œuvre vieille maison dans les Causses, sastre - mais le drame pour lui tique, ni un roman d'anticipation
poétique de Biély est absent: sur une colline, encore protégée. reste personnel et intérieur. L'agi- métaphysique. Il déroule devant
c'est le cycle désespéré de Cendre, nous les pensées d'un homme dont
dédié par Biély au poète de la la tristesse reste dignement or·
Russie des gueux, Niekrassov. Le gueilleuse. L'artiste qui écrit ce
flux poétique qui portait Biély journal est un épicurien et un
s'exprimait le plus souvent en sage. C'est en philosophe qu'il as·
cycles, cycles où se réfléchissaient sistera au dernier acte.
à l'infini les obsessions de se" Les personnes venues demeurer
nuits, plus tard amplifiées dans chez lui, le maire en visite, sont
ses romans. Donner des' extraits présents dans le récit pour don-
des fameuses Symphonies, où ner au narrateur l'occasion de
Pasternak, par exemple, voyait la montrer le meilleur de lui·même,
naissance de la modernité russe, son stoïcisme d'homme cultivé.
nous a paru un peu vain: ce nc Comparses ajoutés pour le mettre
sont que quelques· mequres .iso- en valeur, petite tricherie de ro-
lées d'une grande partiti.on. mancier. Le pire de lui-même, 8a
Pour clore son recueil, Gabriel trop grande sensibilité d'esthète
Arout a choisi un poème de 1907 déçu, d'amant esseulé, tout cela
justement célèbre et fort heureu- n'a le droit d'apparaître que se·
sement traduit. C'est un de ces crètement, la nuit, et encore. En
poèmes-aveux où Biély, à travers fait, ce déluge, cette catastrophe
la cuirasse de l'ironie et du phan- universelle est pour lui un don du
tasme, met à nu sa blessure. Bles- ciel, elle lui donne l'ocasion ines·
sure d'un être trop exigeant qui pérée de finir en beauté, de choi·
voulut saisir le Cosmos, et que sir sa mort avec élégance.
consuma le Soleil, devenu, COol' Le ton est toujours pondéré.
nle il est dit dans Pétersbourg, ta-
L'orgueil est plus fort que la pour·
rentule dévoreuse.
riture. Cet homme reste lui-même
J'ai cru à cet éclat doré, jusqu'à la dernière minute. C'est
Les flèches du soleil m'ont tué. là sa fierté, sa gloire, et, comble
Par' la pensée j'ai mesuré de subtilité romantique dira-t-on,
Les siècles; ma vie, je rai il n'y a que lui qui le sache.
ratée. Les paysages apocalyptiques,
Georges Nivat d'une beauté surréaliste, sont aussi
P.-s. : Nous regrettons que Gabriel peints avec retenue. Si la nature
Arout ait, pour ce recueil, adopté une
autre transcription du nom de Biély sous le déluge devient échevelée,
que celle adoptée par les deux traduc- les images restent lisses et nettes.
teurs du premier livre traduit, Péters-
bourg, publié en 1967 à Lausanne (édi- Ancien élève des Arts Décora·
tion L'Age d'Homme). Bely n'est ni tifs, l'auteur est un graphiste. Ce·
plus «scientifique », ni plus «fran- la explique peut.être ce parti pris
çais» que Biély. Alors pourquoi trou- d'extériorité et d'esthétisme.
bler les lecteurs et ne pas accorder
aux premiers traducteurs le privilège
de fixer l'usage? F. Boivrel: Champignons. Marie-Claude de Brunhol

4
Une liturgie du lDal

1" 1
Antoine Mantegna, Bruno Gay-LU118ac acharnement à se multiplier, la
P ierre Belfond éd, 192 p. Introduction à la vie profane complicité enfin qui enferme dans
Gallimard éd., 180 p. les territoires saturniens les créa-
tures que le mal a touché une
Parmi les l1vres du deuxième rayon foÏ8 par l'interce88ion d'un être
11 manquait une petite lleur bleue, Voici un jeune homme préco- désigné ou élu, ici le narrateur.
un roman pour dames. Et bien le ce : tout petit, il décide d'appeler Dè8 lors, les péripéties du roman,
voici, 11 s'appelle 7. Qui est l'auteur?
Caché· sous le pseudonyme d'Antoine 8a mère 4: A neuf ans 8a comp08ition 8'éclairent de
Mantegna, 11 excite la curiosité. il tue de8 chats, il déshabille 8a lueur8 lointaines, et qui nOU8 re-
Qui donc a pu garder un esprit petite copine Monica, la barbouil- viennent de la nuit et du gel -
aussi romantique en écrivant une le de framboÏ8e8, l'aide à retirer de l'enfer.
œuvre érotique? Le style a une net- la ,culotte d'une autre camarade, Ainsi se justifie que beaucoup
teté foncièrement naïve. Les mots
sont employés avec leur poids net, Comtance, et à l'enfermer dam de scène8 80ient redoublée8, cha-
aucune 1l0riture ni entrechats de une buanderie. Au collège de que rencontre avec le crime Ile
plume. n y a une volonté de sim- Saint-Watts, il séduit à demi le produisant, après un certain
plicité et de calme. temp8, comme dam un miroir
père abbé et prend la poudre
Le romantisme se dégage de l'hé-
roïne seule, elle ne vit pas une aven- d'escampette le jour de sa pre- brouillé. Des chaîne8 d'événe- vers, châteaux perdus, plages si-
ture érotique - elle connalt tous ces mière communion. U s'in8talle ments, d'images ou de situatiom lencieuse8, odeurs de mort, de
jeux d'instincts. - mais une histoire avec ses parent8, peut-être en Ita- courent à l'intérieur du récit, sang et d'arbre8 pourrissants, man-
d'amour, d'amour contrarié bien s1lr. lie du Nord, dans une maison tris- pour lui a88igner une bizarre
Jeune orphel1ne élevée au couvent, de cire et tortures -- maÏ8
où elle était amoureuse de saint Jean te. U a douze am et fait de lia structure en dédale. Par exemple, sa force naît de son écriture 110-
Chrysostome, elle est achetée par un gouvernante, une fraîche jeune les oiseaux (qui sont, faut-il le bre, précise, d'une sévérité puri-
couple très riche qui habite sur une fille aux yeux de chat, sa maîtres- dire, des oÏ8eaux de nuit ou de8 taine. Le8 phrases brèves, bien
ne grecque un ancien monastère. ns se. Monica, celle des framboises, squelettes d'oÏ8eaux) tracent une
l'on surnommé Ombre; son nom vé- découpée8, 8'ajoutent les une8 aux
ritable reste son secret, la seule chose vient le voir. Elle a retrouvé la ligne secrète à travers tOUl! le8 autres comme un 8ilence à un lIi-
qu'elle possède. foi et se perd en dévotiom, mai8 événements, relient leurs énigmes lence. Elle8 brillent dan8 le noir.
Dans ce monastère à pic sur la les troubles souvenirs des plai- le8 unes avec le8 autre8. Autre ré- On dirait d'une écriture en creux.
mer, la pièce va se jouer avec sep' sirs interdits, l'idée du sacrilège, 8urgence: le mannequin de cire
personnages: les deux maltres, Om- Elle atteint à une sorte de poé8ie
bre et quatre serviteurs. Deux ju-
mettent le feu dans Monica. Elle qui e8t utili8é dam le château par
maigre et muette, maUl!sade, par·
meaux muets, mais d'Une beauté iden- succombe à d'atroces et délicieuses le narrateur et Simon, pour trou-
foi8 belle.
tique (moulés dans leur pantalon de perversioDl\. bler la jeune Comtance, a déjà été
toile, ils sont aussi indécents de dos Le titre étonne d'abord par son
Encore un déménagement. Les aperçu au début du récit dans le
que de face...> et deux jumelles, pe- accent parodique. En8uite par son
tites tanagras, a veugles, identiques parents sont ruinés, ils s'établi8- grenier de la maÏ80n d'enfance où
impénétrabilité. Et certes on pero
aussl sent dans une ville froide, au bord le narrateur et son amie Monica
çoit bien que cet enfant ble8sé et
Le décor est planté selon les prin- de la mer. Notre jeune homme tortUraient une grande poupée de
mauvai8 a vécu toute son enfan-
cipes du genre, longs couloirs sans ajoute une corde à son arc. U cire. On finit, peu à peu, par
fin, vastes pièces drapées d'étoffe partage des plai8irs suHureux accepter que l'ordre du monde se ce parmi le8 prêtres de Saint-
selon les circonstance, phallus monu-
avec son ami Simon: encore la range mystérieusement à l'ordre Watts, leurs cérémonies et leurs
mental, musique étrange; les per- obse88ion8. Son éducation sen-
sonnages sont tous à leur place, les nudité, un grand château, une cruel que secrète le narrateur. Le8
troiIr coups ont retenti. Scène d'1n1- salle secrète pleine d'oÏ8eaux mêmes figures Il'engendrent inl88- timentale, qui accompagne un
tiation précédée de veillée d'armes, morts, un mannequin de cire que sablement autour de lui, avec la éloignement radical de la religion,
cérémonies rituelles dans la salle ca- est donc éducation de la vie pro-
pitulaire, sacr1lège dans une chapelle l'on martyrise dans un cachot. Sur fatalité des images de rêves. Même
à deux pas d'Une nonne <véritable> quoi Comtance, celle de la buan- la mort obéit à cette loi de ré- fane. Mais le sens du titre déborde
en prière, punitions spectaculaireS derie, réapparaît. Les deux amis currence et de contamination. Le ce thème. En vérité tOU8 les cri.
sur le rythme lent du d'un la prennent en main. Elle cède à jeune homme ne borne pa8 son me8 commis par le narrateur sont
Poète, tout cela se déroule comme accompli8 dans la 8phère du sa.
prévu, mais avec un souci d'élégance, leurs ob8ession8. Ils lui font mi- activité à envoûter les jeunes fil-
un raffinement de décorateur. ter le château, la contraignent à le8 innocentes. Encore, il avance cré. Ce jeune homme est un dé-
En contre-champ, tout un passé tenir le rôle du mannequin de en sUl!citant la mort autour de vot: le sang, la perversion, la
est évoqué. Les maltres, VassWos et cire. Tant d'extases et tant de lui: au collège de Saint-Watts, mort, la cruauté, le mal enfin qui
la belle Ephkaroula, sont encore ma- crimes jettent le jeune homme quand il s'évade, 80n frère Sébas- est le vrai sujet du livre, évoluent
gn11lques et puissants, ils ont ten-
dance à raconter les aventures de dan8 la maladie. Quand il guérit; tien, le 8.eul être qui, dan8 le8 dam un VIonde sacré, non-profa-
jeunesse: ce sont des anciens com- il sait que 80n avenir ne sera plUl! déserts où il chemine, lui porte ne. A l'éroti8me dé8infecté que de8
battants de l'amour. que la reproduction de ce pa8sé de une tendre8se vraie et partagée, auteurs tels Robbe-Grillet nous
L'auteur semble avoir endossé le 8ilence, de pa88ion et de malheur. 8'est ·tué ce jour-là. Plus tard, dan8 prop08ent, non sam ennui, Gay-
gilet rouge de Théophile Gautier, Lus8ac opp08e un éroti8me du pé-
pourtant il cite sartre: c L'acte On voit qu'il 8'agit d'une éduca- le château de Simon, une dame
d'iJDa&iDation est DO acte martque. tion sentimentale, maÏ8 cette édu- meurt sur la plage dans des cir- ché et du crime qui nOU8 renvoie,
C'est une incantation destinée à faire cation est une destruction. Le ré- constance8 énigmatique8 et le nar· toute8 ch08e8 égales d'ailleur8, aux
apparaître l'objet auquel on pense, sumé que nOU8 avom donné trahit rateur ne doute p88 qu'il l'a tuée, ob8e88ion8 de Bataille ou de Jou.
la chose qu'on désire, de façon qU'on ve. Si bien que l'apprenti8sage de
paisse en prendre possession. • Le un livre qui n'a rien d'allègre. Ce comme il ne se délivrera pas de
fervente incantation d'Antoine MaD.- roman d'initiation austère et sé- l'idée qu'il a quelque culpabilité la vie profane marque une tenta-
tegna lui a apporté des ombres dan- rieux, taciturne, est emporté par dan8 la mort de son frère Sébas- tive déçue de se délivrer, en même
santes. n manque à ce roman - un vent noir et dév88tateur. Il tien: Sa pré8ence attire la mort, temps que de son enfance, des
agréable à lire, certes - le feu intel- odeurs d'encens et de ces spec-
lectuel auquel nous étIons habitués. peut se lire comme une réflexion comme une foudre.
Au l1eu d'Un bon vieux marc, on nous 8ur le mal: la fécondité glaciale Cette histoire d'un romanti8me tres cérémonieux que' le mal em-
offre de la llqueur de cacao, un du mal, les monotones répétitions sombre et f88ciné sacrifie à toutes porte avec lui. Le livre prend
alcool pour dames. du mal dès lors qu'il a été com- les images du genre - oÏ8eaux de alors son sem: il se lit comme
IL-C. B. mÏ8 une foÏ8, sa fatalité et lion nuit, valets inquiétants ou per- une liturgie du mal

.... Q!!inzainc Littéraire, du 16 :lU JO septembre 1970 5


Enfeuilletan-t...
o.cr-tes et Elisabeth Histoire sociale A conserver œuvres qui s'est tenue il y a quel.
ques mois à Paris, notre ami José
M. Léon Petit est un bon, Jean Maitron poursuit la réali· Dans un astucieux emboîtage Pierre a publié un Domaine de
connaisseur d'un certain xvœ siè· sation du ,Dictionnaire biographi- portant l'inscription: « Revue- Paalen qui, outre son propre
cIe, et il le connaît en ·finesse. que du mouvement ouvrier fran- tract, à détruire », le Soleil Noir texte, savant et sensible, contient
Pourquoi diable est-iJ 'àllé s'enti· çais. La première période, de la publie une série de libelles, pam- des textes d'André Breton, de
cher d'une rêverie de Barres - Révolution française à la Pre- phlets, affiches de métro com- Jean Schuster, d'Octavio Paz et
fort romanesque il 'est vrai, mais, mière Internationale, couvre les mentées, bandes dessinées et des- du peintre lui-même. Parmi les
me semble.t-il, indéfendable dèil .tomes J, II et III. La deuxième sins tout court sous le titre L'1n- réponses de Paalen à une enquête,
qu'on' s'éveille du songe? Cest période, réalisée en collaboration ternationale Hallucinex, «mani- relevons celle-ci qui donne une
un beau et grand sujet, certeS'; avec M. Egrot, de la Première In- festes de la génération grise et idée de ce que pourrait être la
qUe Descartes 'et la Princesse 'Eli· ternationale à la Commune, en invisible ». Parmi les auteurs: moralité dans l'art: «Celui qui
sabeth (Editions Nizet) ; mais le comportera six qui auront tous William Burroughs, Claude Pé- peut admettre de céder aux exi-
sous-titre, «roman d'ainourvé- paru avant mars 1971 pour le lieu, Carl Weissner, Jean-Jacques gences du public n'est plus digne
cu _, le discrédite. A tort, d'ail· premier centenaire de la Com- Lebel (qui conclut ainsi son tex- d'aucune critique. » (Editions Ga·
leurs; car si les interprétations mune. Le tome VI J, de Lan à te: C:.u L'autogestion généralisée, !anis, 98 p., 26 reproductions.)
doivent être manipulées avec pré. Mor, en passant par Benoît Ma- tel est le seul moyen radical de
caution, il reste des faits, il reste lon, par exemple, vient de paraî- mettre fin au règne de la mar- Hainteny
surtout des textes: ces grandes tre (aux Editions ouvrières). chandise et aux rapports aliénés
gueules d'aventuriei:s énigmati. Une lettrée malgache, Mill" Ba-
ques (y compris la folle, cruelle Un ouvrage de référence indis- qu'elle implique _). Un autre li-
koly Domenichini - Rimiarallla-
et fascinante reine Christine) pensable à tous ceux qui savent belle (le Petit livre peau-rouge de
nana, attachée à notre C.N.R.S.,
parlent plus fort, Dieu merci, puiser 'dans l"exemple historique, Marcel Khan) se termine sur
a retrouvé dans des archives pri-
que le chuchotement feutré de une inspiration authentique pour cette affirmation à vérifier: «Gé-
vées de son pays, un manuscrit de
la' réflexion et l'action d'aujour- rard de Nerval était indien _. De
Barres•• S. quelque côté qu'on la considère, 152 hainteny recueillis au temps
d'hui.
l'entreprise est en tout cas ori- de Ranavalona 1, vers 1835.
Dix·huitième siècle Pour une lecture ouvrière de la ginale. C'est le plus ancien recueil main-
littérature, par Jean Aubéry (Les tenant connu d'hainteny, ceux
Après l'Année balzacienne, la Editions syndicalistes, 1970), ras- qu'avait publiés Jean Paulhan en
Librairie Garnier a pris la respon- semble une série d'étùdes sur Zo- Salavin 1913 sous le titre Hainteny Meri-
sabilité d'une nouvelle publica. la (spécialemerl-t Germinal) ; fau- nas étant de date plus récente.
tion annuelle, Dix-huitième siè- teur; est redescendu dans la mine Voilà tout juste un demi-siècle Edition bilingue de 400 pages, pu-
cle. Elle est éditée, sous le patro- observée par Zola), N avel, Camus, que Duhamel a publié le premier bliée à Tananarive et distribuée
nage de la Société fraru;aise d'étu- f anarchisme au temps des symbo- de ses Salavin; le cinquième et en Franpe par la I_ibrairie du Ca-
de du XVIII" siècle, que préside listes, surréalisme et littérature dernier roman du cycle parut mée, 3, rue de Valence, Paris (5 e).
M. Jean Fabre. Le nu- actuelle, dimension sociologique ans p/;us tard, en 1932. Léau- 30 F environ.
méro vient de paraître. N'y cher- de la littérature, critique .avante taud y trouva foccasion d'un de Bouvreuil nain rasant les flots
chez ni gaillardises, ni malices, ni et lecture ouvrière. Certaines de ses c: mots _: c: Le Dostoïevsky des rapides
épanchements ; mais, dans maints ces études atlaient paru dans la du pauvre _. Agréablement mé- Pas une plume de mouillée à sa
domaines, ,des études extrêmement Révolution Prolétarienne, d'au- chant; mais trop sommaire vrai- queue
solides auxquelles devront, désor· tres dans des revues littéraires des ment. Un trait d'esprit est la'mort Pas un point de ses pattes
mais recourir les travailleurs sé- U.s.A. où fauteur enseigne la lit- d'une idée, disait Stendhal, je touché par l'eau
rieux comme les compilateurs térature fraru;aise. crois, ou peut-être Alain. Et puis C'est un enfant d'homme de
honnêtes• • S. Léautaud, que connaissait-il de braise
DostoïetJsky? En revanche, 400 Et c'est qui se brûle le cœur
Le fils d'un vétérinaire pages fort grandes sur la Psycho- qQ.i l'aura.
• La mine aux mineurs.
logie de Salavin (pa';' Jacques J.
Les Editions Montchrestien, Zéphyr, Editions universitaires), Change
Si je rencontrais un vétérinaire ne serait-ce pas un pèu. beaucoup?
160, rue Saint-J acques à Paris, pu-
qui écrivît comme Valéry et com- Pourtant le recours à la caracté· « Change» 6 s'intitule La poé-
blient, dans la Collection d'his-
posât comme Bossuet, je ne lui rologie, à la psychiatrie, etc., se tique la mémoire. «Poétique
toire sociale dirigée par Georges
confierais pas ma vache. Récipro- révèle efficace à fusage. C'est dans le sens aristotélicien, repris
Bourgin et Edouard Dolléans,
quement, nous ne risquons pas de donc que le sujet de f expérience par les formaliStes russes et grâce
une 'nouvelle édition de la thèse
voir attribuer le grand prix de la garde aujourd'hui assez de santé à quoi Jean-Pierre Faye et ses
du regretté René Garmy: La
c Mine aux mineurs _ de Rancié critique littéraire à M. Jean- pour la supporter. Tant mieux; amis entendent pousser f étude
(1789-1848) •
Charles Herry pour sa thèse de car les excès d'honneur que' nous « scientifique» de la poésie.
doctorat vétérinaire, Alain fils de avons connw ne méritaient pas Textes, évidemment, de Jakobson,
vétérinaire (Imprimerie Danguy, f excès d'indignité que nous con- Saussure (les fameux anagrammes
Théâtre et combat Morfa8ne). Cela étant dit, il faut naissons. - S. de nouveau étudiés ici par Jean
dire maintenant que le livre est Starobinski) , Khlebnikov, mais
Notre collaborateur Gille. San- d'un intérêt t)if et rude. Il apporte Wolfgang Paalen aussi d'Octavio Paz,
dier publie chez Stock Théâtre et des connaissances concrètes. non tel, Sanguineti, Perec. Le melÎtre
combat, un easai fort excitant .ur sans doute sur Alain lui-même, L'un des peintres les plus d'œuvre de ce cahier est Jacque:
le théâtre actuel où nos lecteurs mais sur le milieu deséletJages doués du mouvement' surréaliste, Roubaud qui parle savamment de
retrouveront la lucidité et la pu- percherons dont les fortes odeurs Wolfgang Paalen, mourait tragi- la «linguistique transformation-
pacité des articles de notre bril- et les soucis rustiques ont impré- quement il y a dix ans. A l'occa- nelle et de ses applications à la
lant critique. 370 p., 29 F. gné f enfance de sa pensée. - S. sion d'une rétrospective de ses poésie.

8
Le "roman-spectacle"

1
Michel Chaillou pler sur un plateau imaginaire: uns les autres, pour notre plaisir enfiler son pantalon, sa chemise,
Collège Yaserman «Le décor est un théâtre. Les ou pour notre ire. il lui faut alors pour sortir du
Coll. «Le Chemin:t œuvres présentées le sont pour lG Si Chaillou s'abandonne pariois cercle fermer les yeux ou bouger
Gallimard éd., 254 p. pr.emière fois et d'URe manière à sa virtuosité jusqu'au vertige, ou sauter par la fenêtre ou se
définitive. :t il n'en insère pas moins celle-ci moquer d'avoir ses chaussettes à

1
François Coupry Bref, dans ce Théâtre Vaser- comme les spectacles délirants du l'envers et du qu'en dira-t-on. S'il
La promelUlde caMée man, situé en pleine campagne, théâtre Vaserman dans une dé- raïsoline trop, les pièges de Zé-
Coll. «Le Chemin :t en plein air, en plein imaginaire, monstration qui possède plus que non se referment sur lui, le choix
Gallimard éd., 186 p. qui est à la fois lieu de repré- les apparences de la rigueur. Le devient impossible entre deux por-
sentation, musée de la scène, bi- jeu est toujours cerné, par tes, la promenade se casse, Musc.-
bliothèque théâtrale, cours d'art la théorie qui le fonde comme la dia, sa belle amie, disparaît et il
Michel Chaillou et François dramatique, école du spectateur, théorie est constamment minée lui faut la chercher aux quatre
Coupry viennent de publier l'un tout est un spectacle. Tout ce qui par le jeu. Cela donne à la farce coins de la ville.
son second, l'autre son premier ro- entoure, annonce, commente, con- une dimension étrange et singu- Dans le récit de François Cou-
man dans la collection «le Che- teste, exalte le spectacle est inté- lière. On dirait le fruit de la col- pry, tout est événement, hasard,
min :t. Cela ne suifit pas pour au- gré dans celui-ci, participe à son laboration monstrueuse de Boi- capriee, aventure. On ne sait pas
gùrer quelque ressemblance entre mouvement. Inversement, tout le leau et de Saint-Amant, ou encore ce qu'il y a au coin de la rue, ni
eux, puisque, .sur ce «chemin:t, spectacle est parole. La voix du de Sollers et de Boris Vian. même s'il y a du café dans la
on le sait, chacun va à son pas. narrateur, du professeur explique François Coupry, lui, n'explique cafetière ou si les nouilles vou-
Si l'on regarde les premières pa- la tradition et la pratique drama- pas. Il fait. Il va. Le commen- dront bien cuire. Il faut aller voir
ges de Collège Yaserman où l'on tiques définies par la célèbre taire, chez lui a la rapidité d'un ou essayer. Guillaume va, avec la
retrouve la verve savante de ]OlUl- «Nomenclature Vaserman:t, dé- réflexe, la spontanéité d'une ex- force désinvolte d'un héros ro-
thamour et celles, rapides et vi- crit la salle, la scène, les dépla- clamation. C'est la réaction de qui mantique. Ce qui nous est conté,
ves de la PromelUlde caMée, on cements et réactions des assistants, bute dans une marche, de qui se ce sont ses gestes, ses élans, ses
distingue tout ce qui les sépare. les mimiques des comédiens, pro- trouve soudain face à face avec inquiétudes, son errance quasi
Chaillou explique - ou feint voque l'auditeur, l'informe sou- un gendarme, un perroquet ou quichottesque à travers la ville,
d'expliquer - avec tout un arse- vent pour mieux l'égarer - et une jolie fille nue. Quand par ha- sa quête de l'amour fou, d'une
nal de démonstrations et de réfé- finalement se mêle aux voix des sard Guillaume raisonne, il tour- Muscadia aimante, oubliée, dispa-
rences, non pas l'intrigue, mais acteurs, des ouvreuses, des criti- ne en rond. il n'arrive plus il rue, retrouvée.
les propos et situations qu'il dé- ques, crée, entoure et détruit l'ac-
tion. Le narrateur est à la fois té-
flammarion
veloppera dans la suite. Coupry,
loin de toute approche didacti- moin, protagoniste, deus ex ma-
que, se lance au galop dans une china. Et s'il procure quelque aga-
histoire qui se révèle bientôt être cement c'est qu'il donne l'impres- présente
tout en ruptures, retournements, sion de se déguiser pour jouer

FRANÇOIS
sautes imprévues, être moins une tous les rôles.
histoire qu'une rêverie ou un jeu L'essentiel ici est de déconcer-
aux règles déconcertantes. ter. Perdre pour redécouvrir,
Si l'on compare plus avant, il
apparaît que ces deux auteurs ne
sont pas sans affinités. Tous deux,
éclairer pour obscurcir, telle sem-
ble être la règle du langage vaser-
manien qui est le nôtre, mais bé-
bloc-notes
La chronique des années 1965-1967
sans doute, prennent l'écriture au gayé, contrefait, dévoyé. Le théâ-
sérieux, mais cela ne les empêche tre Vaserman, aux secrets duquel
point de la traiter comme une
complice enjouée, facétieuse et
on nous initie, est le lieu où les
intrigues se défont à force de
JULES ROMAINS de l'Académie française
mystérieuse, et, selon les cas, de s'échafauder, où le langage se dé-
s'abandonner à ses caprices ou de
la trousser gaillardement. Ils ai-
ment pareillement les allitéra-
sagrège à force de briller et
d'éblouir. Aussi bien, les scènes
qui sont de pur théâtre avec en-
amitiés et rencontres
Portraits, d'Einstein à Gandhi, de Freud à Picasso...
tions, les assonances, les glisse- trées, sorties, quiproquos, mines et
ments de sens qui pervertissent les
raisonnements et font basculer le
culbutes utilisent-elles les conven-
tions, accessoires. et personnages JEAN ORIEUX
réel dans l'irréel ou, au contraire,
réduisent les géants à n'être plus
que moulins à vent. Mais ce qui
du répertoire baroque (Thèbes,
châteaux, cachots, cavalcades, in-
constance; reine, marquis, che-
talleyrand
à parattre en novembre
les rapproche plus encore, c'est valiers, écuyers, Matamore, etc.).
que leurs livres semblent apparte- Les dialogues, en alexandrins ou Par l'auteur de VOLTAIRE, ta biographie magistrale d'un
des personnages les plus controversés de l'histoire.
nir à un même genre - dont ils vers libres mêlent le pastiche
constitueraient les pôles extrêmes réussi, la démarcation ironique,
- et qu'on pourrait appeler le
« roman-spectacle :t.
Collège Yaserman se donne
le prosaïsme provocant, pour se
dissoudre dans u,ne pirouette ou FRANÇOISE SAGAN
le piano dans l'herbe
se briser sur un lieu commun.
pour. un . spectacle. D'entrée de Surtout, il importe de ne pas
jeu, nous sommes prévenus. Tout chercher le sens, sauf à contre- (théAtre)
se passe ici dans le monde raffi- sens ou à contrepet, car tout est à parattre prochainement
né de l'illusion. Tout est à lire jeu et surprise. Les mots ne dé-
en miroir, à projeter, à contem- montrent pas, mais s'appellent les

La Q!!iDzaiDc Uttéralre du 16 au 30 septembrt· 1970


7
ENTRETIEN

Avec le "best-seller"
:Le
"roman.spectacle" américain n01
Tout est mouvement, et ce mou· Love Story est le best-seller n° 1 Scénariste, il a été le co-auteur du premlere ligne que votre héroï-
Tement est spectacle. La ville où aux Etats-Unis: 360000 exemplaires Yellow Submarine des Beatles. Il a ne est morte?
publiés chez Harper and Row. Quatre bien entendu écrit le scénario du film
Guillaume et Muscadia habitent clubs du livre - Literary Guild, Book Love Story, et quatre autres films. Il
une c grosse petite maison :t, par· of the Month, Reader's Olgest, Bargaln travaille à une pièce de théâtre, Still E.S. C'est ce qui fait le livre.
mi des maisons en V et en T, Club - l'ont acheté. Quatre millions Life, pense à un prochain roman et Autrement cela aurait été un
penchées ou hérissées, bigarrées d'exemplaires en livre de poche (New recommence ses cours le 15 septem- mélo.
American Library). 10 millions de lec- bre. Mais Erich Segal est aussi un
comme une glace/' panachée et que trices du magazine Ladies Home Jour- athlète: il court 15 kilomètres tous
séparent des bouts de rue, est dé· nal. Erich Segal dit simplement que les matins. Pourquoi tous ces clichés?
crite comme en marge de tous les bientôt un quart de la population des Ce phénomène porte son succès
circuits, politique, administratif, USA aura lu son livre. Love Story va avec joie, il en parle avec passion et E.S. Parce que la seule chose
être traduit dans toutes les langues; exubérance, comme s'il s'agissait de
judiciaire. Or cette ville est sem· l'auteur, polyglotte, contrôle la plupart quelqu'un d'autre. Il joue son rôle à importante était l'émotion et,
blable à un théâtre, à un c opé- des traductions. merveille, avec une simplicité décon- pour le reste, les clichés me
ra :t. Tout part de son cœur, tout" Erich Segal (33 ans) enseigne de- certante. suffisaient. Tout est cliché,
se rassemble en son cœur qui puis six ans les classiques et la litté- L'histoire de Love Story (Flamma- absolument, mais ainsi je pou-
rature comparée à l'université de Yale rion, éditeur) est très banale, Erich
est la cour des papes - bien qu'il après avoir été étudiant et professeur Segal l'avoue lui-même. Deux étu- vais aller au cœur de la situa-
n'y ait jamais eu de papes - où à Harvard. Il a publié Euripldes: a diants s'aiment et se marient. Elle est tion. Je fais comme l'avant-
l'on donne des concerts, où Guil· collection of crltlca\ essays (textes pauvre, lui est riche et se brouille garde, je travaille dans le sys-
laume joue du triangle lTOus la di· réunis par l'auteur), Roman Laughter, avec son père. Pendant trois années tème. Lorsque 25 000 personnes
une étude de mœurs des Romains du heureuses et studieuses, ils mangent
rection d'une chefIesse. «A par- IIi' siècle basée sur les comédies de les spaghettis gagnés par la jeune vont à Washington avec des pan-
tir de ce cœur, la 1Jille était en Plaute, P\autu5 three comedies, 400 pa· femme. Il termine brillamment ses cartes, Nixon regarde un match
tuyau d'orgue. C'est·à-dire qu'un ges en vers, traduit du latin. Son pro- études de droit et trouve aussitôt une de football à la télévision... Moi
son qui partait de cette cour était chain livre, The death of comedy, est situation importante. Alors, elle meurt je suis une vedette, je peux par-
un essai sur la comédie, d'Aristo- de leucémie. Il tombe dans les bras
répercuté jusqu'au recoin le plus phane à Samuel Beckett. de son père et pleure. Ier. Je travaille comme mes
loin de tous côtés. Ainsi, quand étudiants pour que le sénateur
la musique était, elle organisait de mon choix soit élu et défen-
toute la 1Jille.:t Celle-ci, avec ses de mes idées. Je travaille aussi
escaliers qui c colimacent:t, ses, au National Advisory Council of
appartements qui communiquent, the Peace Corps dans un comité
ses couloirs encombrés de démé- A quoi attribuez-vous l'énor- une espèce de bon sentiment. de quatre personnes avee Neil
'nageurs, est construite comme un me succès de Love Story ? Les lecteurs ont pleuré, ils ont Amstrong, l'astronaute. Un jour
hallucinant décor de comedia delf ressenti quelque chose et cette j'ai reçu un coup de téléphone
arte. Tout y est possible. On ne E.S. C'est un livre honnête. chose était bonne. C'est une his- de la Maison Blanche me de-
s'étonne jamais que des personna· Je reçois des centaines de let- toire de profonde bonté humaine mandant de participer aux Peaee
ges, des objets insolites apparais· tres qui disent seulement: et ça, c'est rare. Corps. J'ai répondu que j'étais
sent, coupent la scène, disparais- «C'est vrai. Merci.» Des télé- démocrate, anti-guerre et que je
sent, comme dans Helzapopin ni grammes aussi : « Est-ce que la Vouliez-vous écrire un scéna- n'avais pas voté pour Nixon.
même qu'Ehma, gênée par la pré. sentimentalité est un signe de rio ou un roman lorsque vous «Nous savons tout sur vous»
sence des intimes et voisins, doi- vieillesse? Si cela est, alors, à avez commencé Love Story ? . m'a-t-on répondu. J'ai parlé avec
vent entrer dans le cercueil de 23 ans, je suis très vieux. Merci Nixon devant des journalistes.
son époux pour revêtir son sédui- pour Love Story.• L'amour en- E.S. J'ai commencé unique- Il est malin. Il m'a dit: « Mr Se-
sant costume de veuve. tre les jeunes est comme ça en ment avec l'idée de la mort gal, what Peace Corps needs is
En fait, Coupry abolit les fron- 1970. Les sentiments entre un love. » J'ai répondu: « Mr
tières du réel et de l'imaginaire, père et un fils ont toujours été Nixon, what Love Court needs is
du logique et du fantastique. {Tne comme ça. Ces chiffres de Peace.» Mes étudiants ont été
écriture rapide, aux phrases cour- énormes veulent dire que la jeu- ravis.
tes, hachées, chargées d'inciden- nesse aime Love Story.
tes savoureuses ou percutantes, Vous êtes professeur, scéna-
qui nous entraîne de coqs à l'âne Comment ce succès a-t-il dé- riste. romancier, athlète, poly-
en pirouettes, de dérapages en ef· marré? glotte, compositeur et acteur à
fractions, dans un monde fantai- vos heures, êtes-vous chaque
siste et merveilleux du côté de E.S. Love Story avait déjà été fois un homme différent?
chez Lewis Carroll ou de chez choisi par la Literary Guild (club
du livre très important), l'édi- E.S. Je suis toujours le mê-
Raymond Queneau. A ce jeu, on me, autrement je serais dans un
craint toujours de voir l'auteur teur faisait déjà de nouveaux
tirages après de bonnes criti- asile.
funambule se rompre les os, mais
avec une sûreté surprenante pOUl ques, lorsqu'on m'invita à une
émission de télévision: Today Quel est l'Erich Segal que
un romancier de vingt-trois ans,
Show. Le résultat fut immédiat: vous préférez?
Coupry évite toutes les embûches.
Sa réussite tient à ceci que, sans même les librairies E.S. La totalité. Je suis com·
en avoir l'air, il signifie beaucoup. étalent vidées. Les critiques ont d'une Jeune femme et j'ai écrit me un athlète qui fait le déca-
Qu'est-ce que Guillaume sinon montré leur intérêt pour un au- le livre et le scénario à la fois. thlon à qui on demanderait s'il
quelqu'un qui, à traven la vaine teur qui avait tout risqué pour J'ai recommencé 28 fois le pre- préfère le saut à la perche ou
agitation de notre monde, cherche être bon. En écrivant je n'avais mier chapitre. Les 28 versions le saut en longueur. Ma spécia-
une raison d'être et les lumières pas l'impression de risquer. sont maintenant à la Bibliothè- lité c'est la diversité.
de l'amour fou? Mais Je n'habite pas New York que de Harvard.
et je ne fais pas partie des Propos recueillis par
Claude Bonnefoy cyniques « Iiterati ». J'avais créé Pourquoi annoncez-vous dès la M.-C. B

8
HISTOIRE

Celui qui silence


I.ITTiRAIRE

Félix Fénéon restituées malgré lui à leur au- vu rougir de plaisir devant un
Œuvres plus que complètes teur! beau a dit Verhaeren).
Textes réunis et présentés' Mais Joan U. Halperin a ell Cette remarque nous permet de
par Joan U. Halperin raison de le soutenir, au risqut' saisir la signification de ces nom·
Droz éd., 2 vol., LXVII, d'égratigner nos idées reçues et breux comptes rendus d'ouvrages
1087 p. de trahir la rare discrétion de médiocres qui pouvaient de prime
Fénéon. Car, chez ce diable abord nous surprendre. Ils sont
d'homme, la réalité dépasse tou- de la même nature que les notes
Anarchiste et dandy, émi- jours la légende. des journaux anarchistes et que
nence grise des lettres et des L'anarchiste qu'il fut, nous le les nouvelles en trois lignes. C'est
arts, cruel humoriste des connaissions par quelques anec· . toujours un regard froid et sans
nouvelles en trois lignes; dotes et par le procès des Trente appel porté sur le monde, le re·
l'énigmatique Fénéon a sa lé- dans lequel il fut impliqué parce gard de l'humour. On connaît le
gende, pour ne pas dire son qu'on avait trouvé des détona· schéma des nouvelles en trois li·
mythe, que Jean Paulhan fixa teurs et du mercure dans son bu- gnes: il se ramène à un exposé
en publiant, il y a près de reau au ministère de la Guerre. elliptique qui transforme le fait
vingt-cinq ans, un choix de Il fut acquitté, mais,' on s'en divers, avec tous ses arrière·
ses écrits précédé d'une ful- doute, perdit son emploi et entra plans de passions humaines, en
gurante présentation. alors à La Revue blanche: c'était une observation clinique, scanda·
Voici maintenant, en deux en 1894. Joan U. Halperin a réussi leuse par sa brièveté :
gros volumes, ses œuvres à identifier ses notes et articles
complètes, et même plus, car politiques, publiés sans signature libre contre les règles de la pro· Jugeant sa fille (19 ans) trop
elles comportent, outre tout dans f En Dehors, où il reprit no- l!odie, de la spontanéité impres. peu austère, f horloger stépha.
ce qu'il a signé de son nom tamment la rubrique du directeur sionniste contre les conventions nois Jallot fa tuée. Il est vrai
ou d'un pseudonyme, de nom- Zo d'Axa lorsque celui-ci dut pas· de l'académisme, de l'égotisme qu'il lui reste onze autres en·
breux textes anonymes re- ser en Angleterre pour fuir les aussi bien que de l'anarchie con· fants.
trouvés au prix de longues et poursuites policières, et aussi tre les cadres rigides de la société.
perspicaces recherches. dans la Revue anarchiste et la Fénéon l'a peut-être senti avec Voici la critique d'un roman :
Revue libértaire. Au total, une plus d'acuité que ses contempo-
cinquantaine de pages, d'une viru· rains ; il est allé souvent plus loin Jean Raden,' Parrain Pierre
Avouons-le, on est d'abord sur· lence impitoyable, sans commune qu'eux dans ses conclusions ou - Un monsieur amoureux de sa
pris. On en était à la légende, à mesure avec le simple goût de la simplement dans la précision pero filleule apprend qu'il a pour ri·
l'image de «celui qui silence », mystification auquel certains ont cutante de son langage: de là val son frère adoptif. Le déses·
comme le définit Jarry, d'un parfois voulu réduire son engage· vient l'accent moderne qui nous poir de cet homme justifie cer-
Teste avant la lettre qui a fait ment: Fénéon fut plus qu'un séduit en lui. Dès 1883, il con- tes fentreprise de M. Jean Ra·
taire en lui tout ce qui n'est pa" sympathisant en un temps où il damne Bouguereau qui, dit-il, est den.
essentiel. Et on découvre non ne faisait pas bon participer au tout, sauf peintre. Il ne cesse de
certes la prolixité, mais une abon- mouvement libertaire. minimiser le rôle du sujet dans Celle d'une exposition:
dance troublante. On s'étonne que la peinture et, à ce titre, déplore
Fénéon le laconique se soit si Son univers la c ferveur littératurière:) où Jules Machard - Sur des
souvent attardé sur des ouvrages Gauguin lui semble tomber. Il épaules, des bras, des gorges,
insignifiants, fût-ce pour les exé· esthétique approuve le mot de Pissarro à M. Machard manœuvre.
cuter en quelques formules cino Durand·Ruel qui s'étonnait, de·
glantes, alors qu'il prétendait être On dessine mieux aussi, à la vant un tableau, d'une vache Un écho de la Revue anar-
un pur amateur, non un critique lecture de ces deux volumes, les c imprévue des photographes : chiste:
de métier. On s'interroge sur la paysages de son univers esthéti- «Mais ce n'est pas une vache,
valeur de telle notice de catalo· que. Par ses sympathies comme c'est un ornement. A la notion Un agent de police, Maurice
gue, admirablement imperson' par ses refus, Fénéon appartient d'école du c fini il réplique (il Marullas, s'est brûlé la cervelle.
nelle. Les nouvelles en trois li- à l'époque de l'Impressionnisme est vrai que c'est en 1930, mais Sauvons de f oubli le nom de
gnes elles·mêmes, si savoureuses (plus encore, du post.impression. il aurait pu le dire quarante ans cet honnête homme.
en petites doses, semblent désa· nisme) et du Symbolisme, comme plus tôt): «Ce qui importe,
morcées, à nous arriver groupées il appartient à celle de l'Anar· étant vérifiable, c'est que le ta· Et même un portrait du Petit
par vagues de deux pages. chie. Sans doute il a pu organiser bleau ait été c commencé c'est· Bottin des Lettres et des Arts:
On en vient à se demander si en 1912 la première exposition à·dire que son exécution ait été
cette entreprise n'est pas, dans sa futuriste parisienne, collectionner motivée par un problème de for. Lemaître (Jules) - Appar.
réussite, une manière de trahison. les objets d'art nègre, publier mes et de couleur, bien net et qui tient à cette catégorie de Nor·
Voilà imposée à Fénéon jusqu'à Cocteau et d'autres aux éditions lui soit propre. Une étude atten· maliens - c'est la plus dange.
la moindre ligne d'une œuvre de la Sirène dont il s'occupa dans tive de BeS critiques de poésie, de reuse - qui feignent de com-
dont il ne voulait pas entendre les années vingt. Mais il n'a écrit théâtre et de romans laisserait ap- prendre quelque chose.
parler. « Pourquoi me contraindre ni sur le cubisme ni sur le surréa· paraître, dans les mêmes limites
à les éditer ? écrivait·il à Jean lisme. Il est resté un homme de du goût, des percées aussi pénée Prises séparément, des nota·
Paulhan qui le pressait de ras- 1890, l'ami de Signac et de Seu- trantes. tions de ce genre peuvent passer
sembler dans un livre quelques- rat, le collaborateur de la Revue Il se détermine plutôt par des pour de simples rosseries, et rien
uns de ses textes, c si certains blanche, qui disparut en 1903. . condamnations féroces que par de plus. Multipliées, elles consti·
ont une valeur, je conteste leur C'était l'âge de l'individualisme des admirations (bien que sa lé- tuent un anti·monde qui détruit
Double paradoxe conquérant, en révolte contre gendaire impassibilité dissimule l'ordre des choses par une subver-
de ces œuvres plus que complètes toutes les formes figées, du vers un réel don d'émotion: c Je l'ai sion envahissante.

I.a Q!!Ïnzainc Littéraire du 10 au 30 septembre 1970



9
COLLOQUE

Fénéon
Où en est
Nous ne sommes paS loin du Sous la présidence de thème en était: • Avant- prochaient les esprits, d.s points
Jarry de la Chandelle "erre. L'un M. Gilbert Gadoffre vient de garde et Nouveau roman •. de convergence apparaissaient.
comme l'autre, Jarry et Fénéon se tenir à Loches un colloque Nous publions ci-dessous Une certaine impatience aux con-
mettent en évidence la bêtise et réunissant un certain nombre les conclusions qu'a tirées traintes, aux contraintes des so-
l'absurdité en 8ubstituant un mé- d'écrivains (romanciers, poè- pour nous Gilbert Gadoffre ciétés surorganisées de l'Ouest et
à la psychologie ou une tes. essayistes) qui ont le d'une discussion nourrie et de l'Est, à celles des technocrates
logique autre au raisonnement plus vivement contribué ces animée ainsi que des extraits de la littérature. «L'imagination
commun. L'un comme l'autre, ils dernières années à l'évolution de quelques interventions et non la linguistique », s'écriait
ont fut de'l'hUMBour une caté- des formes littéraires. Le parmi les plus marquantes. Pierre Bourgeade. Plus de car-
gorie de l'esprit, et la plus effi- cans rationalistes, plus de déter-
cace (1). Certes, Fénéon n'a plllJ minismes à prix unique.
créé un Ubu, ni un Faustroll; On trouvait aussi un désir de
mUs les c: travaux indirects. aux- communication qui s'était fait
quels il se complut 80nt, comme rare au milieu du siècle. Non que
les &estes et les spéculations de
Jarry, autant de brûlots destruc-
Avant-sarde ou troisième vasue? ces jeunes écrivains sautent par-
dessus les obstacles entre leur pu-
teurs. par Gilbert Gadoffre blic et eux, mais ils admettent
. Les juges de 1894 qui l'acquit- l'existence d'un problème que
tèrent n'ont pas compris qu'ils Les vagues et les nouvelles va- des options sur elle et qui osent leurs prédécesseurs éludaient, et
avuent bel et bien dUre à un gues se succèdent à un rythme si le pari, même s'il ne suffit pas ils sont prêts à remettre en cause
terroriste. Ce n'étUt cependant rapide que le public a ·peine à de parier pour gagner. le monopole du livre. Ecrire sur
pu faute d'avoir été prévenus. suivre, à démêler le nouveau de C'est en 1956 que l'Institut Col- les murs, disait l'un, les mass-
Mallarmé l'avut déclaré à un l'ancien, ou même à deviner ce légial Européen avait invité à un media, pourquoi pas, disait l'au-
jounialiate, le jour même de l'ar- que chaque vague dépose derrière colloque sur «L'après-guerre est- tre, et tout n'est pas à dédaigner
. restation de son jeune ami: c: On elle. La notion d'Avant-Garde il terminé? • Nathalie Sarraute, dans le pop art. Ceux qui mani-
parle, dite8-vous, de détonateUJ'8. elle-même est utilisée à des fins Robbe-Grillet, Ionesco, Boris de festaient le plus de confiance
Certes, il n'y avait pas, pour Fé- si diverses qu'elle crée de nou- Schlozer, Kyra Stromberg, John dans le livre réclamaient de nou-
néon, de meilleurs détonateUJ'8 velles confusions. Combien d'ar- Weightman et Chapman Morti- veaux modes de lecture. Entre la
que ses articles. Et je ne pense rière-gardes maquillées se font mer. La déstalinisation' de la Rus- littérature et ses véhicules, les re·
pas qu'on puisse se servir d'arme passer pour avant-gardes? Et sie avut déjà commencé, celle de lations semblaient changées d'une
plus efficace que la littérature•• combien d'authentiques novateurs l'Eglise n'était prévisible que manière ou d'une autre.
récusent l'appartenance à l'Avant- pour ceux qui suivaient ses affai- Et surtout chacun revendiquait
Michel Décaudin. Garde par crainte des voisinages res de près, mais la décolonisa· la première place pour l'imagina-
douteux ou par horreur du régi- tion était déjà entamée et la dé- tion, et c'est là qu'on voyait le
(1) On n'a pu ftn1 de dépister tou- mieux l'impact de mai 1968.
tes les manifestations de lIOn ·humour. ment? composition de la IV· République
Convenons qu'il est düficile de assez visible. La littérature allait- L'imagination au pouvoir. Sur ce
Oqeons qu'fi n'a jamaJs songé à
6cr1re ce roman annoncé en 1883 dans s'installer soi-même dans l'Histoi· elle continuer sur sa lancée, com- point-là, pas de réserves.
_ termes que vo1c1: La Vaselée, r0- re en trUn de se faire. Comment me si les cartes politiques et les . Tout se passe comme si une
man psycboJogique. 1" partie: Eah! réaction anti-rationaliste se prépa-
Ji. partie: Beas· paplDoas noIâ&reII .- parier sans outrecuidance que de- grands espoirs de la Libération
mUn sera fut de la même étoffe étaient toujours là? On pouvait rait pour les années 70, après
.....t lu le mucle snematlqae cie
JaetaeIJDe. Se partie: Le ut cie Paal que n08 rêves? On peut faire soulever la question. Mais bien trente ans de littérature universi-
sa. 4- partie: L'œil t.'ft da taire. Comment s'en étonner?
pIIte bD......... Mais quelle belle
occasion de ridiculiser. par un simple
mille objections à cette attitude,
mais elles ne changeruent rien
peu se l'étaient posée. Les nova-
teurs eux-mêmes n'accusaient au- L'histoire de la culture est un
au fond des choses: l'Histoire cune sensation de rupture, et perpétuel dialogue entre les for-
titre; une tendance et une écriture
romarw;ques à 1& mode 1 est faite par ceux qui prennent Robbe-Grillet 8e prenait pour un ces de l'imagination et celles du
écrivUn existentialiste. Ce n'est rationalisme, avec des avantages
qu'au terme d'Une semUne provisoires tantôt de l'un, tantôt
d'échange d'idées, suivie de nou- de l'autre. Maintenant que nous
velles rencontres, que la notion voici engagés plus loin que jamais
de Nouveau roman se fit jour. Le dans la société technologique, il
.....-.e n'est peut-être pas mauvais que
pari étUt fait.
Quatorze ans plus tard, unau- des poussées contraires maintien-
tre groupe d'écrivains 8e réunit nent l'équilibre. L'avenir dira si
-.:rit UD . . t
à Loches, aU88i disparate que le elles ont réussi.
D d'UD aD 58 F 1 EtraDaer 70 F premier, et - à peu d'exceptions
G.G.
o de six IDCÙ 34 F 1 ElnDger 40 F près - aussi indécis 8ur ce qui
ripmeat joiat pu les rattache aux cénacles de leurs
o mandat postal 0 chèque postal ainés. L'Avant-Garde qui 8'est Michel Deguy
o ehèqœ bulc:aire polarisée autour du Nouveau ro-
man au cours des années cin-
RettYOJa mie earte il Il n'y a plus de polarisation de
quante est-elle encore en phase
d'activité? Et lisent-ils Tel Quel l'Avant-garde autour du c Nou-
avec les mêmes yeux qu'avant veau Roman ••
.3 rue .u Templ.... Paril •. 1968? Sur ces deux points, au- Le nouvel effet d'optique, ou
C.C.P. 15.:»51.53 Paris cune réponse ne faisait l'unani- mirage de rassemblement, est le
mité. Mais à mesure que la dis- structuralisme; c'est à la fois un
cU88ion et la vie commune rap- leurre et une réalité :

10
l'avant-garde?
1) Un leurre, 'parce que les Inté- Un assujettissement de plus en plus Nathalie Sarraute
ressés fie se reconnaissent pas c struc- fort de toutes les pratlq!les Incluant
turalistes., ne savent pas ce que les c pratiques littéraires •.(ci-devant
que le structuralisme, refusent les rap- « genres.) dans la Pratique, c'est-à-
prochements imposés par les organes dire dans une théorie générale marxis-
d'information; te de la pratique; à 1lnalité soelo- Le nouveau roman, cherchant à à faire du roman une forme pure
2) Une réalité, parce que, plus pro- c révolutionnaire., c'est-à- reprendre le mouvement si bril· qui ne renverrait à rien trautre
fondément que leurs distinctions ou dire c totalitaire. au .sens de l'un11l- lamment commencé dans le pre- qu'à elle-même, le se consti-
dissensions, l'essence de l'époque tient cation socio-politique de la c terre •. mier quart de ce siècle, a affirmé tuant à partir du seul langage et
tous ceux qui y travaillent, et le struc-
turalisme désigne a.<;SeZ bien la coïn- c) Les formes de résistance à ce que le roman est up art comme se contentant de ses jeux.
cidence de la démarche des «-sciences mouvement général, sans doute irré- les autres et que pour vivre et se Il ne me paraît pas possible de
humaines,. (incl\lant la pratique et la pressible. (Mais toute c résistance :Y développer il doit constamment se passer de ce qui est à mes
théorie de la littérature de plus en étant déterminée comme c réaction'. sè déplacer, aller du connu à fin- yeux la source vive de toute 'œu-
plus) avec le creste. du règne de' la dans l'optique dominante de la ether-
Technique entendue au sens heidegge- rorie ., se trouve préjorativ1sée, infir- connu, de f exploré à. finexploré, vre :. des sensations neuves,. en-
rien. mée a priori..) Le refus du c totali- à la recherche trun ordre de core intactes, qui nous sont don-
taire.; les tentatives an-archiques, sensations neuf. Il, a.affirmé que nées par le monde qui nous en-
dont les meilleures' seront celles qui cet ordre de sensations neuf ne toure.
ne sont pas c obscurantistes., mais
Que se passe-t-i1 ? parfaitement avisées. de l'essence de pouvant être révélé que par des Ces sensations, seul le langage
l'époque et donc à hauteur de c con- formes neuves, il fallait abandon- permet au romancier de les cap-
Car que se passe-t-il ? Une for- naissance scient11ique ". Une c soriie ner les vieilles formes, autrefois ter, au prix trune exploration dif-
Ipidable crispation de la terre désespérée ", une tentative (multiple) efficaces, et devenues inutiles, gê- ficile et dangereuse, sans modèles,
de faire que le c poème. (c l'art .) ne
pour f objectivité, à partir et en soit pas seulement une fragile avance nantes - telle que le personnage, sans cadres rassurants, sans garde-
vue de fobjectivité; l'accapare- ou escapade par. rapport à la c théQ- fintrigue, le temps chronologi- fous. Le langage leur, donne
ment de tout à l'aune de l'objec- rie. en chasse qui régularise immé- que... f existence et elles, à leur tour, lui
tivité scientifique: de sorte que diatement la situation. Autrement dit, Le nouveau roman rappelait donnent toutes ses vertus.
l'invention de 'réponses enébre impré-
la dubitation formidable, l'hési- visibles aux de Lautréamont: tous ceux, si nombreux, qUl L'expérience montrera si les
tation et le délitement, la dé. y a-t-il une objectivité .pOétique .qui f avaient oublié, que le rQman seuls. jeux gratuits de f écriture
construction la destruction ne puisse être confqndue avec l'objec- étant un art, et.:régal des autres peuvent réussir à créer des for-
s'emparent de toutes les «diffé· tivité scientifique? Le « par tous ..
renvoie-t-il à autre chose qu'à la mas- arts, sa substance p'ropre, le lan,· mes vivantes. Pour ma part, je' ne
rences avant que (et pour que), s11lcatioIÎ ,et conformlsation galopante gage, en constitUe f.élément essen· le crois pas. J'ai la conviction qlf8
les engloutissant, la re-production d'une unanimité «technique"; ren- tiel. r expérience commencée par le
les objective: l'objectif c'est la voie-t-il à des centres de libertés asso- Ces p,o,ints de sont qujour- nouveau roman ·ne pourl'a se dé-
ciés, plutôt qu'à des groupes de loisir
monotonie terrifiante de la re·
programmés, etc.? Que veut dire tr [i.ui pqr les velopper, à la manière de tOllt
structuration de tout «phéno- «consoler l'humanité,.? (début des jeunes romanciers. art, .que grâce à f apport continll
mène» selon une même unité de «poésies") ? .Mais certains 'trentre eux veu- de . formes neuves porteuses de
essentiellement lent aller plus loin. Ils cherchent mondes sensibles encore inconnus.
tique. La dénonciation univer·
selle des différences se poursuit.et
s'achève et la tâche de rabattre
Faire le vide
tout dans «le tout à dimension
- à quoi collabo· J.M.G. Le Clézio
Peut·on échapper au mauvais
rent à leur place les structura,
infini moderne,' je veUX dire à
lismes,. d'unifier le divers en le
l'indéfinie pourswte d'une limite·
réduisant à la teneur essentielle· Tout trabord, je crois qu'il n'y des Gommes, par exemple, n'est
illimitée qui recule avec' ia préci·
« technique »,. a pas eu de ·nouveau roman à plus suffisante aujourtrhui. Le
sion indéfiniment croissante des
dit à son être-scientifiable : ascèse proprement parler: il a eU,sim- regard de f écrivain découvrant
sacqfice' .insensé pour appareils de' la techniqùe, etc. ?
Qu'est-ce que la limite, 'la figure, plement la mise à jour, en France, que tout homme est un univers
l'objectivité .et le .« réalis'me » à un moment donné, trœuvres ins- est en train de découvrir que tout
le spacièux, la mort, la parole?
ainsi entendu (<<' sans rivàge»). pirées directe-,nent par la nouvelle homme est aussi un groupe tr hom-
.< poésie» pourra.t:elle encore
Que peut.il se p'asser les cOnscience littéraire, issue de Jar· mes. Le premier temps était né-
à venir, qu'annoncerait et
répondre? Saùra-t·elle encore
faire le vide pour ce que Mal· ry, du surréalisme, de Joyce, de cessaire pour tuer le réalisme
précéderait quelque peu, et Faulkner, et de beaucoup··trau- extérieur, le deuxième temps pour
larmé appelait le Vierge'? Travail
remarquer, l'avant-garde» ? tres. Dans ce sens, on peut dire faire éclater les prétendues limi-
harassanf de la limite, qui impli.
que la critique des pouvoirs du que, le nouveau roman français tes de la: psychologie et de findi-
a) Un renforcement de la «théo-
rie., . par essence c terrible., donc, au langage, l'exercice· d'un 'savoir (N. Sarr/Jute, Simon) a été plutôt vidu. L'écrivain a donc quelques
regard du passé = la c therrorie •. Une toujours trop pauvre pour ne pas en retard. Maintenant, il me sem· chances de trouver sa place entre
emprise toujours plus forte et déci- désespérer, et la référence à ·l'in- ble que cette nouvelle conscience le sujet et faction, c'est-à-dire en-
sive du (néo) séientlBmè-positivisme
dans la forme de l'assignation et de visible qui attire la parole. (nouvelle façon de voir, nouvelle tre findigène et r ethnologue.
la légalisation des c structures ", (Re- façon de concevoir) n'a jamais Cela dit, je dois avouer que je
jetant à l'insignifiant les génialités (Inutile· de mentionner,' bien sOr, été en rupl!Ure avec les :grands n'ai aucune espèce tridée sur ce
c romanesques" et. aqtres.) " des innombrables formes que courants de la pensée occidentale qu'on appelle f a1Jant-gardè, Ce
b) En conjonction (ou en opposi- l'ont encore pour deS décerinies toute moderne: elle a dOnc évolué. mot me; donne, fimpression désa-
tion, mais ça revient au même) avec sorte c d'avant-gardes., en c jouant.
le marxisme (léninisme) dans sa for- avec les produits et sous-produits, L'essentiel de cette' .évolution gr.éable que les écrivains (et les
me rénovée, .i.e. c althussérienne. et c'est-à-c:ijre les PQSSibilités toujours (mais c'est difficile tren parler intellectuels) forment une armée,
autre, avec la tentat..1ve multipliées, !le tecbnlqq,e, les Fetoll?-- rapidement)! a .été, il me semble, et 'ont des batailles à litJTer
(la c dernière carte.) de. doimer le bées lhcessantes de la technique du un paTC!>urs menalU, de findividu
marxisme pout la science, pour lùt cÔté décoratif et ainusant"des c' àrfs ., ·et·de$1·guerres à gagner. le"ne me
extorquer les critères de la scient11lcité en 'Variétés de clnétisme,;' s1tnurtè.- à funiversel:· je. .dire que seris pas fâme trun soldat. Tant
des sciences,. etc. néisme, plasticismt; etc.) f enquête individualiste abaolùe pis pour moi.

La Q.!!inzainc IJttéraire du 16 :lU JO septembre 1910 '11
L'IlDITION HONCRIE

Comment vit un écrivain


EN

EUROPE

Au calé «New où se A "occasion de la Foire an· terre et l'Allemagne où, à liste, en Hongrie il existait à peu
rencontrent traditionnellement les nuelle du livre à Francfort, nous l'Ouest, des changements impor- près deux douzaines d'éditeurs
écrivains, et qui s'appelle actuel- avons demandé à plusieurs de tants se sont poduits ces derniè- qui publiaient - au moins de
lement «Café je ba- nos correspondants (un éditeur, res années, tandis qu'à l'Est la temps en temps - des œuvres lit-
varde avec un écrivain bongrois. deux collaborateurs de maisons Hongrie et la Yougoslavie ont téraires. La plupart ont repris
Les fresques chastement érotiques, d'édition, un critique littéraire) apporté diverses améliorations leur activité après la libération.
la colonnade entortillée de de brosser pour nos lecteurs un à l'étatisation telle qu'elle était Après la prise de pouvoir com-
res, toute cette ambiance vigou- tableau de l'édition dans leurs pratiquée dans l'édition aussitôt muniste, en 1949, on a introduit
reusement «art nouveau a été pays respectifs. C'est à dessein après la guerre. aussi sur ce terrain la copie rigide
le témoin impassible de tous les que nous avons choisi l'Angle- de la pratique soviétique. Avec
mouvements, espoirs et décep- l'étatisation des éditeurs, toute
tions littéraires et intellectuels de compétition a cessé, même les
ce siècle - les années cinquante maisons de tradition glorieuse et
exceptées, quand Rlikosi a fait du sait quelques langues étrangères, vains qui sont publiés par ces de renommée bien assise ont dis-
café au renom fabuleux (qu'En- la traduction donne de grandes revues avec une certaine régula- paru et leur place a été prise par
dre Ady et sa génération ont con- possibilités. Mais il ne devient pas rité comptent aux yeux du public, de nouvelles maisons avec un
sacré comme foyer spirituel), un écrivain aux yeux du public et de des collègues et d'eux-mêmes. Il champ d'activité strictement déli-
magasin d'articles de sports. Après ses collègues. est presque sûr qu'ils sont bien mité, comme je viens de le dire. La
1956, le café a retrouvé sa fonc- vus par les éditeurs s'ils se présen- spécialisation était en même
tion originale et naturelle - et Alors, comment de1Jient-on écri- tent avec un volume.. temps une garantie de monopole :
ses anciens clients. vain? jusqu'en 1955, les Editions des
Combien de maisons d'édition Belles Lettres étaient l'unique
Comment débute aujourd'hui En écrivant dans les revues. existent en Hongrie? maison à laquelle un écrivain pou-
un écrivain en H ongrié ? vait présenter son manuscrit, et
Combien de revues littéraires ;

s'il était refusé, ses possibilités de


Une bonne vingtaine, mais la
avez-t)ous ? plupart sont spécialisés: scien- paraître ailleurs étaient minimes.
Devenir écrivain en Hongrie -
c'est à la fois facile et difficile. Si on ne compte pas les supplé- ces, sport, vulgarisation A la rigueur, il pouvait faire ap-
Ou, plus précisément: vivre de ments de dimanche des quoti- scientifique, agriculture, beaux- pel à l'Union des Ecrivains ou au
sa plume va sans grandes diffi- diens qui publient régulièrement arts, techniques, ete. Et ces «spé- Parti. Après 1953, quand des
cultés ; mais devenir un écrivain et en assez grande quantité des cialités fixées officiellement sont vents plus frais commencèrent à
connu, c'est beaucoup plus diffi- œuvres littéraires - il est vrai rigoureusement respectées. Il y a souffler, les écrivains exigèrent de
cile. Si quelqu'un a une certaine souvent d'un niveau douteux - , deux maisons d'édition littéraire: plus en plus vigoureusement un
facilité d'écriture et d'invention, si nous laissons de côté les l'Edition des Belles-Lettres (Szépi- jugement de deuXième instance :
et l'assiduité au travail, il peut ou cinq revues littéraires de pro- rodalmi Kiado)' et les Editions c'est ainsi que «Le Semeur est
travailler beaucoup pour la radio, vince parmi lesquelles il y a de du Semeur (Magveto). Une troi- né, et avec lui au moins le germe
pour la télévision, en révisant sur grandes différences de niveau, ce sième compte pour l'opinion pu- de la compétition, du jugement
le plan de l'écriture les publica- qui compte c'est deux mensuels blique plus que les deux autres différent. Naturellement cette dif-
tions techniques et autres; s'il et un hebdomadaire. Les écri· prises ensemble : les Editions Eu- férence de jugement reste entre
ropa. Elles publient les ouvrages des limites assez étroites, puisque
<-ks littératures étrangères en lan- le patron des deux maisons --
gue hongroise. Le rôle de cette comme d'ailleurs de la plupart
maison a été énorme et ·très salu- des autres aussi - est le même :
Bernard Teyssèdre taire dans l'effort pour rattraper la des Editions au Mi-
le retard causé par la dizaine nistère de la Culture. Les Edi-
Le thème du colloque est des C'est sans doute que de plU!' d'années' de stalinisme rigoureux tions des Belles-Lettres 'sont plu-
mieux choisis: pourquoi n'y a- en plus la' France devient un sous Rlikosi. C'est cette maison tôt conservatrices, plus rigides,
t-U pas en France d'avant-garde pays culturellemcnt sous-déve- qui a publié Camus, Robbe-Gril- tandis que «Le Semeur est plus
littéraire? pourquoi les écrivains loppé ; où sont-ils nos Joyce, nos let, Duras, Beckett, aussi bien que versatile, plus expérimentateur,
et leurs lecteurs ne sont-ils pas Pound, nOS Cummïngs, nos Bur- Druon ou Simenon ; Hemingway plus alerte - et, de ce fait,
rassasiés jusqu'à la. nausée d'une roughs? ces étrangers, qui de- comme Capote, Kerouac comme éveille plus d'attention et de pas-
écriture référentielle qui se croit vraient être la préhistoire de Kafka; Soljénitsyne comme Tvar- sions. En ce qui concerne le nom-
tenue de préserver un récit, des l'écriture actuelle, ou son terreau dovsky, Becher comme BoIl - et bre d'ouVrages publiés, toutes
personnages, des décors, ou tout maintes fois foulé, remanié, re- la liste pourrait être allongée si deux sont à peu près au même
au moins quelque sentiment bre- couvert, ils sont plutôt en avant l'on y ajoute. les littératures : chacune sort à peu près
veté, quelque idée analysée? de nos écrivains, qui (je parle d'Extrême-Orient. Mais cette mai- 300 titres par an, avec un léger
pourquoi les auteurs attendent-ils des meilléurs) s'essoufflent à les son ne fait que des traductions - avantage pour le «Szépirodalmi
encore de leurs lecteurs une con- rattraper! Notre «nouveau ro- en général sur un niveau élevé, qui a la charge des grandes séries
nivence (et une connivence par le man est resté tout aussi roman il est vrai. classiques.
bas), en leur proposant des textes- que l'ancien et Change reste Tel
objets·qui font appel à leur «dé- Quel. Encore n'est-ce pas assez di- Pourquoi avez-t)ous deux mal- Qu'est cette Direction des Edi-
lectation ou leur re .: la littérature française est à 50ns littéraires? Pourquoi pas tions que VOU5 venez de mention-
au lieu texte-stimulus qui la traîne de la littérature, mais une seule - ou dix? ner?
leur ferait violence, qui leur don- la littérature entière marque le
nerait mauvaise conscience, qui pas, elle n'a 'pas encore son Pol- Pour faire vraiment C'est l'organe de direction ad-
tendrait à les modifier? En un lock, son Newman, son Stockhau- dre cela, je devrais vous raconter ministrative des éditeurs. Organe
mot, pourquoi la littérature est- sen,.elle n'en est même pas arri- rhistoire du dernier quart de siè- de contrôle et de dotation - ma-
elle restée l'affaire de littéra- vée à Mondrian, à Wehern ou à cle. Essayons de résumer. Avant tériellement et· spirituellement.
teurs ? Varèse ! la libération. à l'époque capita- C'est l'instance qui approuve les

12
LES LETTRES
NOUVELLES
dirigées par Maurice Nadeau

ÉCRIVAINS FRANÇAIS

JEAN POMMIER
plans annuels des éditeurs, qui
leur assure les bases financières et
Le Spectacle
matérielles - papier, imprimeur,
etc. - de leur fonctionnement,
intérieur
qui coordonne les plans des diffé- Un livre rare.
rentes maisons. Cet organe a rem- Jacqueline Piatier, LE MONDE
pli cette tâche avec plus ou moins
d'efficacité tant que la structure L'équivalent du beau livre d'Alain:
Histoire de mes pensées.
staliniste rigide de l'économie et
Claude Mauriac, LE FIGARO
de l'administration était intacte.
Mais depuis deux ou trois ans, de-
puis l'introduction de la nouvelle Rappels
et plus souple politique économi-
que - appelée chez nous «nou- MARC BERNARD
veau mécanisme» - dont le but
est justement d'abolir cette rigi-
dité, d'établir des relations écono-
Mayorquinas
miques et administratives plus Un livre exemplaire, dense et ponc-
compétitives, la Direction des tué de cette trop rare humanité qui
Editions est devenue de plus en échappe aux auteurs contemporains.
plus superflue, donc arrogante. Lucien Maillard, COMBAT

La Direction de f édition est


donc f office de la censure ? VIVIANE
J'explique maintenant pour la
FORRESTER
nième fois à un étranger qu'en
Hongrie il n'y a pas d'office de Ainsi des exilés
censure. Si un écrivain ou un Un ton constamment juste, une sen-
journaliste présente un papier à sibilité presque secrète et particuliè-
un journal, à un éditeur ou à la Le café Hungaria, à Budapest. rement attachante.
radio, c'est la rédaction elle-même Tristan Renaud,
qui décide de la publication ou LES LETTRES FRANÇAISES
Si l'auteur est un débutant, il rare - alors les mêmes normes
du refus, et c'est elle qui assume présente simplement son livre sont valables pour les deux édi-'
la responsabilité de 8a décision. chez un éditeur. S'il a déjà pu- teurs.
Cela veut évidemment dire que blié, il est plus que probable que JEAN-CLAUDE
les responsables même les ré- Que gagne un écrivain en
dacteurs ou lecteurs d'une maison
l'éditeur fera un contrat avec lui
grie ? HEMERY
dès qu'il présentera le projet d'un
80nt parfaitement «au parfum»
des limites momentanées du pos-
nouveau livre et lui versera des
avances - si nécessaire, même
Souvent l'écrivain a un second
métier - par exemple il..est lec-
Anamorphoses
sible et de l'impossible et c'est en plusieurs tranches - , mais teur dans une des maisons d'édi- Livre de spéléologue et d'archéo-
en relation de ces connaissances l'avance ne peut pas dépasser les tion, comme Gyula Illyés à l'Eu- logue, cette suite de textes reprend,
qu'ils établissent leur jugement et avec un tissage sur l'imaginaire, la
60 % de la totalité des honorai- ropa ou Ferenc Juhasz aux Belles- vie du narrateur et la livre à l'expé-
leur politique. Pour vous donner res. Quand le manuscrit est ter- Lettres. rience de l'écriture.
un exemple familier: autant que miné, il est lu au moins par deux Je pourrais vous citer deux cas Jacques-Pierre Amette,
ie' me souvienne, tout l'œuvre 1'0- lecteurs, et en prenant en consi· extrêmes: J anos Pilinszky, d'une NOUVELLE REVUE FRANÇAISE.
de Camus a été pu])iié dération leur opinion, le direc- part, qui est considéré par l'opi-
et une bonne partie de son théâ- teur littéraire décide de l'édition nion comme un des poètes les
tre ; mais personne ne proposera ou non. En principe il est possi- plus importants de notre époque. GENEVIEVE
sérieusement, je suppose, aux Edi- ble, en pratique il est extrême- Pilinszky écrit très rarement -
tions Europa de publier fHom- ment rare qu'un manuscrit soit la quarantaine passée, 80n œuvre SERREAU
me révolté ou même le Mythe de
Sisyphe. J'espère que vous voyez
refusé par l'un des éditeurs et
accepté par l'autre.
ne dépasse pas une cinquantaine
de poèmes. Son revenu d'écrivain Cher
ce que je veux dire. Evidemment,
il y a des cas limites où les opi- Pourquoi? Ils échangent leurs
est donc à peu prè8 nul; il vit
de ce qu'il gagne dans un hebdo-
point du monde
nions diffèrent; dans ces cas-là, opinions entre eux? madaire. L'autre cas est celui Un style haché,violent,rapide,d'une
l'éditeur demande l'opinion de la d'Andras Ber k e s i, un 80US- remarquable efficacité narrative.
Direction qui ne la donnera sûre- Non; autant que je 8ache, cela Fleming au vernis communiste, Bernard Pingaud,
ment pas sans consulter la Section est même interdit. Mais, comme dont les romans et pièces de théâ- QUINZAINE LITTERAIRE
Culturelle de la Centrale du partout, les lecteurs forment un tre d'espionnage 80nt très popu-
Parti. Mais ceci est vraiment ra- clan, le8 amis se racontent mutuel- laires. Son revenu annuel dépasse
re; selon ma connaissance, cela lement ce qui les intéresse, ou le million de florins (200 000 nou.
n'arrive qu'une ou deux fois par p'assionne, ou intrigue dans leur veaux francs).
an. travail. Mais ce n'est pas ça qui
compte; plutôt le fait que si la Comment sont payés les ma-
Quel chemin prend alors le raison du refus était politique - nlUlcrits? En pourcentage après
manlUlcrit ? ce qui est d'ailleurs un cas plutôt la vente?

I.a Q!!inzainc Littéraire, du 16 <lU JO septembre 1970 13


Hongrie

Non; la disparition de ce sys- tation est une chose magnüique, vail plus rapide s'ils sentent gistrait - avec et à cause des
tème a été une des grandes con- mais l'écrivain n'exploite person- rodeur tEune bonne affaire? mêmes livres - des pertes. Le
quêtes de l'étatisation. Le prix de ne, même s'il vivait du revenu «nouveau mécanisme économi-
base d'une œuvre n'est pas in- d'un seul ouvrage pendant plu- A l'époque capitaliste, le nom que exige la compétition dans
lluencé par son écoulement. En- sieurs années. Cette conception courant du libraire en hongrois ces domaines. Mais il semble que,
tre les limites d'un éventail fixé, - et les réglementations qui en était c: marchand de livres ». Ac- par manque d'invention, par peur
les ouvrages sont payés selon leur résultent - ont comme effet que tuellement et officiellement, il de tout ce qui est nouveau ou
volume. Les poèmes d'après le l'écrivain moyen, s'il est assidu au s'appelle colporteur ou distribu· même par opposition politique
nombre de lignes, la prose d'après travail, est beaucoup mieux rému· teur de livres. Cette différence sournoise, les cadres moyens qui
les feuilles imprimées - en comp- néré que celui qui produit rare- n'est pas seulement un raffine- avaient la tâche d'établir les mo·
tant 40 000 frappes pour une ment, mais des œuvres exception- 'ment sémantique. L'étatisation, en dalités d'exécution sur notre ter·
feuille. (Il y avait de mauvaises nelles. Et la situation des poètes éliminant l'idéè et la pratique du rain, l'ont presque tourné en son
langues qui ont attribué la vo- et des auteurs de nouvelles est profit, a en même temps éliminé contraire. Les prix complètement
gue - d'ailleurs assez courte - particulièrement désavantageuse : la mentalité de compétition: le factices d'imprimerie - comme
de la technique poétique maïa· si le poète reprend un poème paru libraire de chez nous se sent beau- les prix de revient dans toute no.
kovskyenne, brisant les unités de dans un volume antérieur dans coup plus comme un fonction- tre économie - ont dû être en
rythme en deux ou trois lignes, à une anthologie, en calculant les naire - peu considéré et mal grande partie libérés, mais puis-
cette méthode de calcul.) Le prix honoraires on tiendra compte des payé d'ailleurs _. que comme un que le prix du livre a dû rester
d'un vers varie entre l,50 à 4 flo· publications antérieures et il n'au- marchand. Cet effet a été ren- - pour des raisons économiques
rins, une «feuille» de prose en· ra droit qu'à quelques sous ou forcé par le fait que l'étatisation aussi bien que politiques - mo-
tre 1 200 à 2 000 1l0rins pour le même à rien, si disons son pre- n'a pas connu d'exception, cha- deste, cela a eu comme effet que
nombre d'exemplaires de base qui mier volume a paru à 1 500 exem· que petite boutique y est passée les imprimeries acceptent n'im-
est pour un volume de poésie plaires et s'il en reprend une par- et la diffusion des livres pour porte quelle autre commande plus
3 000 et pour un roman 5 000. tie dans un autre volume qui tire l'ensemble du pays a été concen- volontiers que les commandes
Cela veut dire que même si le également à 1 500: il était payé trée dans une seule entreprise co- d'éditeurs. Le «nouveau méca-
tirage est inférieur, l'éditeur paie dès le début déjà à 3 000. lossale. Aujourd'hui, nous avons nisme va dans sa conception
ces honoraires entièrement au mo· déjà dépassé ce stade, la diffu- contre la centralisation outrée,
ment de la parution. Si le livre sion des livres se fait par trois pour l'initiative et la compétition
parait à un tirage plus fort ou Donc r auteur n'est pas inté· grandes entreprises. Mais il est de base; ici les mêmes directives
dans une nouvelle édition, l'au- ressé par une nouvelle édition? significatif que ces entreprises ne ont pu être utilisées comme les
teur a droit à des honoraires sup- sont pas concurrentielles. Elles leviers d'une centralisation ren-
plémentaires, mais selon une Au contraire! Même s'il ne opèrent, comme des trusts capita. forcée.
échelle dégressive. Supposons que touche pas un sou, il luttera de listes, par le partage du marché :
l'auteur a touché 1 600 1l0rins toutes ses forces pour la nouvelle l'un s'occupe de la vente en li- L'édition hongroise est donc
pour les premiers cinq mille édition: c'est l'unique mesure brairie et de l'alimentation des en mauvaise posture ?
exemplaires, mais que l'éditeur véritable de son succès, de sa bibliothèques (dont le réseau est
fait paraître son livre à 15 000 popularité ou de son inlluence très important), l'autre des com- Non, surtout si nous comparons
exemplaires : pour les trois mille sur ses lecteurs - existe-t-il uu missionnaires dans les usines et la situation actuelle avec celle du
suivants, il aura 1 400 1l0rins, écrivain au monde qui ne soit pas autres lieux de travail et le troi- régime Rlikosi. Le développement
pour les trois ou cinq mille sui- sensible à cela? D'autre part, sième - dont la tâche est certai· est énorme, on ne peut pas com-
vants, de nouveau 1 200 1l0rins, et cette échelle dégressive, si elle nement la plus dure - de la parer la richesse et la diversité
ainsi de suite. Au-dessus de n'est pas juste, n'est pas non plus campagne. de ce qui est à la portée du public
20.25000, l'augmentation devient catastrophique: la somme qu'un Ceci est d'ailleurs une bonne actuellement avec l'offre d'avant
de plus en plus minIme - excep- romancier touche lors d'une nou- illustration de toute notre situa· 1956. Et la lecture, même la lec-
té le cas extrêmement rare dans velle édition peut être considéra- tion économique: un système ture des poèmes, est une passion
un pays de dix millions d'habi· ble. A part cela, si un de ses li- économique erroné mais logique chez nous. Nous nous trompe-
tants, où le livre dépasse les vres était déjà un succès de li- ne peut être que péniblement ra- rions si nous ne voyions pas cer·
100 000. A ce moment, on recom· brairie, l'auteur peut espérer que fistolé par des corrections n'allant tains signes de crise : la vie éco-
mence à zéro. Les écrivains en son prochain livre sera «plani- pas au fond. Un des traits caracté- nomique plus animée offre plus
général vivent à un niveau moyen fié» dès le début avec un tirage ristiques des conceptions écono- de possibilités d'achat, mais en
honnête: il n'y a ni de vrais «ri- important. La difficulté réside miques du stalinisme était la sépa- dépit du prix modeste des livres,
ches », ni de vraiment miséra· plutôt dans le fait que le méca· ration stricte de la planification, les gens réfléchissent à deux fois
bles. nisme d'une nouvelle édition est de la réalisation et de l'écoule- avant de dépenser leur peu d'ar·
extrêmement lourd. En pratique, ment des produits. La projection gent superflu pour la littérature.
Alors, c'est un système soda'le· aucun livre ne peut donner sa de cette conception dans notre A côté des signes de crise, on peut
ment très réussi. mesure en librairie tant que l'édi· domaine avait une conséquence voir aussi les signes prometteurs
teur doit se débattre dans les la- simple: l'édition, le colportage de convalescence.
Socialement peut-être; mais ii byrinthes multiples de la planifi- et les imprimeries, tous rele- Dans ce domaine aussi, on réus-
n'est pas sûr que ce système soit cation, de l'octroi du supplément vaient de différents ministères. sira à trouver la solution des pro-
aussi réussi du point de vue de de papier, du contrat d'imprime- L'entreprise de diffusion était blèmes selon la raison et l'effica-
l'art. La base idéologique de tout rie et surtout de la technique hon· obligée d'acheter en entier le pro- cité, tout en sauvegardant les
le système d'honoraires est une teusement lente et arriérée des duit de l'éditeur et de le payer au vrais principes du socialisme -
conception de marxisme vulgaire imprimeries. moment de la livraison; donc il mais d'un socialisme dépouillé
qui a étendu la condamnation du était fort possible - même chose des dogmes et des mythes.
c: revenu sans travail - donc Et les libraires, qu'est-ce qu'ils courante - que le bilan de l'édi-
de l'exploitation - au travail font? Ils ne forcent pas les édi- teur montre des gains considéra· Propos recueillis
artistique. L'abolition de l'exploi. teurs et les imprimeries à un tra- bles, tandis que le diffuseur eure· par J.P.

14
ANCLETERRE

Trusts et éditeurs
Beaucoup de changements ont avant qu'il ait lui-même réUSSI a sagement, a renoncé à suivre ces maison déficitaire. L'acheteur
eu lieu au cours de ces deux der· épuiser son tirage. Les prix qu'of. enchères, mais, bien sûr, il a pero n'est jamais très sûr de ce qu'il
nières années dans l'édition an· frent les maisons spécialisées dani! du un auteur. Bien d'autres mai· achète s'il n'a pas dirigé lui-même
glaise. C'est seulement mainte· le livre de poche deviennent, du sons seraient encore indépendan. sa maison pendant un ou deux
nant qu'il est possible de tirer les fait de la concurrence, de plus tes si elles avaient appliqué la ans au moins: des auteurs peu-
premières conclusions et de pré. en plus importants. Leur décep. même politique. La volonté de vent le quitter et des prévisions
voir l'évolution ultérieure. tion est du même niveau, car la payer trop s'explique facilement: de vente sont soumises à des er-
L'échec récent de McGraw Hill, vente reste dans la plupart des il est toujours mauvais pour un reurs considérables. Presque tou-
le géant parmi les éditeurs uni· cas éloignée des prévisions. éditeur de perdre un auteur et la tes les' acquisitions récentes ont
versitaires américains qui n'a pas En fait, la Grande-Bretagne pos- recherche perpétuelle du best·sel· été faites à des prix nettement
réussi à prendre le contrôle de sède beaucoup moins de points 1er a eu finalement pour consé· trop élevées, et on entendra bien-
Penguin Books a arrêté pour un de vente que bien d'autres pays. quence qu'une industrie qui pou- tôt des lamentations. Pour les
certain temps l'invasion américai· Les villes de province ont rare· vait et devait être saine est au· éditeurs américains, il leur coûte
ne dans l'édition anglaise. Mais il ment une librairie digne de ce jourd'hui en danger. moins cher d'acheter, même cher,
reste évident ques des éditeurs nom et il est difficile d'acheter D'autres conséquences décou- une entreprise britannique que
américains continuent à acheter des livres ailleurs. Aux Etats· lent de cette instabilité. D'abord d'en lancer une nouvelle. Et les
des actions des maisons d'édition Unis on peut acheter des livres les trop nombreux changements éditeurs américains sont encoura-
anglaises, cotées en bourse. La partout où on vend des cigarettes, de propriétaires e.t également les gés par les subsides du gouverne-
mort de Sir Alan Lane, fondateur des journaux ou de l'alimentation. changements incessants du person· ment à l'exportation, car, dit·on,
et chef de Penguin Books, a en· Le record est toujours constitué nel qui va d'un éditeur à l'autre «le commerce suit le livre ». La
traîné immédiatement une offre chez nous par les 3 500 000 exem- lorsque les patrons sont mécon· façon américaine d'écrire a ten-
de McGraw Hill qui possédait dé· plaires vendus der Amant de La· tents de leurs collaborateurs, qui dance de plus en plus à rempla-
jà 19 % des actions, acquises à la dy Chatterley, ce qui est fort peu n'ont pu acquérir un nombre suf· cer la façon anglaise, et souvent
Bourse. Des mesures prises peu en comparaison avec les chiffres fisant de grands succès. des livres américains propagent
de temps avant la mort de Sir américains. Aux Etats-Unis un li· L'édition est une entreprise ba- également les attitudes politiques
Alan, avaient prévu une fusion en· vre de poche il succès atteint fa· sée trop souvent sur des chiffres américaines et <<l'american way
tre Penguin et Longman Green, cilement les dix millions d'exem- abstraits et un changement dans of life ». Comme «Coca·Cola
une des plus importantes maisons plaires. la direction transforme souvent ils sont des ambassadeurs d'idéaux
anglaises, contrôlée elle·même par La conséquence est simple : les une maison qui marche en une américains.
un groupe financier. Bien que éditeurs qui normalement de· Suite p. 18
tout le monde soit content que le vraient gagner de l'argent en per-
plus grand éditeur de livres de dent parce qu'ils ont payé dçs
poche britannique, jouissant d'un avances trop importantes qu'ils ne
grand prestige dans le monde en· sont pas en mesure de récupérer.
tier reste anglais, il est permis Il convient d'ajouter que les au-
de se demander si Il'exigence de teurs ne profitent pas toujours de
la qualité qui fut cette situation. Ils trouvent que
d'hui le signe distinctif de Pen· leurs livres ont été publiés trop
guin ne cédera pas à des consi· hâtivement ou soldés trop vite,
dérations commerciales plus im· car l'éditeur est obligé de retrou-
médiates. ver sa mise de' fonds pour pou-
Il y a en Angleterre 1 400 édi· voir lancer de nouveaux livres. On
teurs, mais sur les 300 qui pos· croit souvent que les auteurs sont
sèdent une certaine importance, la prêts à changer d'éditeur dès
plupart sont la propriété de ban- qu'on leur offre plus d'argent ail-
ques, de groupes financiers, de leurs. En fait, l'éditeur est obli-
chaînes de journaux, de compa· gé de lâcher son auteur au pro-
gnies de télévision et à un degré fit d'un éditeur qui dispose de
de plus en plus important d'édi· moyens plus considérables que
teurs américains. L'obligation lui. Récemment, le premier livre
d'obtenir des profits plus élevés a d'un auteur français à succès a été
conduit aujourd'hui à une vérita- acquis par un petit éditeur an-
ble panique dans le domaine de glais qui a cru pouvoir payer une
la concurrence. Chaque éditeur avance assez considérable. L'agent
cherche à acheter des livres pro- qui représentait cet auteur
mis au succès et la compétition en· a réussi à faire monter, comme s'il
traîne des avances de plus en s'agissait d'enchères, le second ro-
plus considérables pour pouvoir man du même écrivain, et il a
les acquérir. réussi à obtenir une avance infini·
Les agents littéraires ont fort ment plus élevée, bien qu'il soit
habilement réussi à aiguiser cet· douteux que le nouvel éditeur,
te, compétition. Le premier éditeur plus important que le premier,
d'un livre étranger est souvent puisse jamais rentrer dans ses
obligé de négocier avant de con· frais. Il me semble que l'avance
clure définitivement le contrat finalement consentie a dépassé de
avec l'éditeur de livres de poche trois ou quatre fois le prix rai·
qui risque de publier son édition sonnable. Le petit éditeur, bien

La Q!!hualDe Littéraire, du 16 :lU JO 1970 15


Cette liste. ne comprend que des ouvrages
GALLIMARD d'octobre 1969
ROMANS, RÉCITS, Yves Heurté
LA RUCHE EN FEU
Collection René Daumal
BHARATA. L'origine du
NOUVELLES, Michel Huriet
Le Point du Jour"
Il Théatre. La poésie et la
musique en Inde
CORRESPONDANCE LA FILLE DE MANCHESTER Antonin Artaud
Madeleine Alleins Marcel Jouhandeau" LETTRES A GENICA Jeanne Delais
UN CHEMIN DOUTEUX LA ATHANASIOU LES.ENFANTS DE L'AUTO
Guillaume Apollinaire Journaliers XIV Jean Grenier
LETTRES A LOU DU PUR AMOUR suivi de Collection Il Le Chemin" ENTRETIENS AVEC
Trois parties "inédites LOUIS FOUCHER
Marcel Arland Matthieu Bénézet
ATTENDEZ· L'AUBE Violette Leduc BIOGRAPHIES
Henri Guillemin
Jacques Bens LA FOLIE EN TÈTE Jacques Borel PAS A PAS
ADIEU SIDONIE Jean Lorbais LE RETOUR
Philippe Jaccottet
Bilou Grandmaître SANS ARMURE édition définitive Jean Roger Bourrec PAYSAGES AVEC
CARNAVALS ET CENDRES LES CICATRICES LA BRÛLURE FIGURES ABSENTES
Henri Bosco Pierre Mac Orlan Michel Chaillou
UN RAMEAU DE LA NU1T Alain Jouffroy
LA MAISON DU RETOUR COLLÈGE VASERMAN LA FIN DES ALTERNANCES
SYLVIUS ECŒURANT édition définitive
François Coupry
Daniel Boulanger LA PROMENADE CASSÉE Jean Lambert
MÉMOIRE DE LA VILLE Stéphane Mallarmé
LE PLAISIR DE VOIR
CORRESPONDANCE III "Henri Pierre Denis
Françoise Brusson-Videau <1885-1889> QUELQUES "NOUVELLES André Malraux
MARIE DE JESSICA LE TRIANGLE NOIR:
Jean Maxime Laclos, Goya, Saint-Just
Jean Cau
LA FÈTE ENCERCLÉE Pierre Guyotat
TROPICANAS
EDEN,EDEN,EDEN Michel Mohrt
Louis-Ferdinand Céline Albert Memmi Préfaces de Michel Leiris, Roland Barthes. L'AIR DU LARGE. Essais
CASSE-PIPE suivi de CARNET LE SCORPION ou La Philippe Sollers
sur le roman étranger
DU CUIRA$SIER Confe.ssion imaginaire
J.M.G. Le Clézio
DESTOUCHES LA GUERRE Henry de Montherlant
Claude Mourthé de l'Académie francaise
Jean-Pierre Chabrol LA CAMÉRA LE TREIZIÈME CÉSAR
LE CANON FRATERNITÉ ESSAIS, LITTÉRATURE
Zoé Oldenbourg Francis Ponge
Georges Clemenceau
LA JOIE DES PAUVRES Philippe Sollers
LETTRES A UNE AMIE Antonin Artaud ENTRETIENS (coédition ave."
(1923-1929> Paul deI Perugia " ŒUVRES COMPLÈTES Le Seui\)
LES DERNIERS ROIS Tome 1 (édition augmentée) et
Marilène Clément
LA NUIT DE L'ALLELUIA MAGES supplément au Tome 1 Jacques Rigaut
ÉCRITS.
Albert Cohen Bertrand Poirot-Delpeeh Georges Bataille
LES VALEUREUX LA FOLLE DE LITHUANIE ŒUVRES COMPLÈTES 1 Jean Rostand
Premiers écrits 1922-1940 de l'Académie française
Michel Déon André Puig LE COURRIER D'UN
ŒUVRES COMPLÈTES II
LES PONEYS SAUVAGES L'INACHEVÉ BIOLOGISTE
Ecrits posthumes 1922-1940
Préface de" Jean-Paul Sartre
André Dhôtel
UN JOUR VIENDRA Simone de Beauvoir Claude Roy
Jacques Serguine
LA VIElLLESSE MOI JE ...
Marguerite Duras LA MORT CONFUSE
ABAHN SABANA DAVID Emmanuel Berl Simone
André StH
MON NOUVEAU
Maud Frère QUI r A CONTRETEMPS
TESTAMENT
L'ANGE AVEUGLE
Miëhel Maurice Blanchot
Romain Gary L'ENTRETIEN INFINI Jean Su1ïvan
LE ROI pE8 AULNES MIROIR BRISÉ
CHIEN BLANC
TULIPE, édition définitive 'Elsa Triolet Roger Caillois Jean Tardieu
LE ROSSIGNOL. SE TAIT CASES D'UN ÉCHIQUIER
Bruno Gay-Lussac LES PORTES DE TOILE
A L',AUBE
INTRODUCTION A LA Jean Charbonneau
VIE PROFANE Alexis de Tocqueville
"Georges Thinès LE JARDIN DE BABYLONE ŒUVRES COMPLÈTES
jean Giono LES EFFIGIES
Tome XI : Correspondance
L'IRIS DE'SUSE Deny. Viat Michel Contat d'Alexis de Tocqueville avec
LE CŒUR EN Michel Rybalka Royer-CoHard et avec
.Arlette Grebel
CE SOIR, T ANIA... BANDOULIÈRE LES ÉCRITS DE SARTRE Jean-Jacques" Ampère
inédits de langue française publiés
à septeTIlbre 1970 GALLIMARD
Marguerite Yourcenar Jacques Brosse
PRÉSENTATION CRITIQUE COCTEAU
Alain Bosquet
100 NOTES POUR UNE
Collection Trente Journées
Il

D'HORTENSE FLEXNER,
suivi d'un choix de Poèmes
Collection Il idées" SOLITUDE qui ont fait la France"
Maurice Nadeau Louis Brauquier José Cabanis
Edition bilingue
LE ROMAN FRANÇAIS FEUX D'ÉPAVES
DEPUIS LA GUERRE Jacques Dupin LE SACRE DE NAPOLÉON,
Collection Il Le Chemin" 1945-1970. Nouvelle édition revue L'EMBRASURE
2 décembre 1804
ct Augmentée.
André Frénaud Marcel Reinhard
Jean-Pierre Attal Sade DEPUIS TOUJOURS DÉJA LA CHUTE DE LA ROYAUTÉ,
L'IMAGE MÉTAPHYSIQUE JOURNAL INÉDIT Edmond Jabès 10 août 1792
ET AUTRES ESSAIS Cahiers ELYA Collection Il Idées"
Olga Bernai CAHIER JEAN COCTEAU 1 Henri Meschonnic
CAHIER ANDRÉ GIDE 1 LES CINQ ROULEAUX Jean-Marie Benoist
LANGAGE ET FICTION <Traduit de l'hébreu) MARX EST MORT
DANS LE ROMAN DE Bibliothèque de la Pléiade Pierre Oster Emmanuel Berl
BECKETT Paul Claudel LES DIEUX <1963-1968) EUROPE ET ASIE
JOURNAL TQM:E II - 1933-1935 Jean Pérol
Noël Burch
Jean Cazeneuve
PRAXIS DU CINÉMA THÉATRE RUPTURES
LES POUVOIRS DE LA
Philippe Hériat
Michel Butor THÊATRE III : VOLTIGE -
Collection Il Le Chemin" TÉLÉVISION
LA ROSE DES VENTS BALZAC - LES HAUTS DE Jacques Réda Roger Garaudy
32 rhumbs pour HURLE-VENT RÉCITATIF LE GRAND TOURNANT
Charles Fourier Félicien Marceau Jude Stefan DU SOCIALISME
LE BABOUR LIBÈRES Henri Lefebvre
Henri Meschonnic Michel Mohrt LE MANIFESTE
POUR LA POÈTIQUE UN JEU D'ENFER SCIENCES HUMAINES, DIFFÉRENTIALISTE
Jean Tardieu
Collection Poèmes à jouer. Nouvelle édition
PHILOSOPHIE, LA RÉVOLUTION URBAINE
François Perroux
Le Point du Jour"
Il
revue et augmentée
Jean Vauthier
HISTOIRE, DOCUMENTS ALIÉNATION ET SOCIÉTÉ
LE SANG Maurice Merleau-Ponty INDUSTRIELLE
LA PROSE DU MONDE
Henri Michaux Collection Collection Il Témoins"
FAÇONS D'ENDORMI Bibliothèque des
FAÇONS D'ÉVEILLÉ Le Manteau d'Arlequin"
Il Vinoent Auriol
Michel Boldoduc Sciences Humaines MON SEPTENNAT
LES REMONTOIRS '1947-1954. Notes de jqurnal presentees
Collection Iles Essais" Pierre Bourgeade
Robert Klein
LA FORME ET
par Pierre Nora et Jacques O<ouf

LES IMMORTELLES L'INTELLIGIBLE. Ecrits sur


Jacques Berque François Boyer la Renaissance et l'art moderne -Hors série
L'ORIENT SECOND
DIEU ABOIE-T-IL ?
Pierre Guiraud Jean-Claude BrisviIle Bibliothèque de Philosophie Lucien Bodard
MAO
LE TESTAMENT DE VILLON LE RÔDEUR - NORA - Gérard Granel LE MASSACRE DES INDIENS
ou Le Gai Savoir de la
LE RÉCITAL L'ÉQUIVOQUE
Ionesco ONTOLOGIQUE DE LA Mohamed Lebjaoui
basoche VÉRITÉS SUR LA
JEUX DE MASSACRE PENSÉE KANTIENNE
Robert Lafont René Kalisky RÉVOLUTION ALGÉRIENNE
RENAISSANCE DU SUD TROTSKY, Etc... Bibliothèque des Idées
Essai sur la littérature Eduardo Manet
Manuel de Dieguez
BEAUX-ARTS
occitane au temps de LES NONNES
Georges Michel SCIENCE ET NESCIENCE Massin
Henri IV LA LETTRE ET L'IMAGE.
Alain Rey
ARBALÈTES ET VIEILLES
RAPIÉRES
Collection Il Connaissance Préface de Raymond Queneau

LITTRÉ. L'Humaniste Nathalie Sarraute de l'Inconscient" L'Univers des Formes


et les mots ISMA suivi de LE SILENCE et Guy Rosolato
de LE MENSONGE Jean Charbonneaux
ESSAIS LE SYMBOLIQUE
Pour une bibliothèque Jean Thenevin
Louis Wolfson
Roland Martin
OCTOBRE A ANGOULÈME François Villard
idéale Jean-Jacques Varoujean LE SCHIZO ET LES LANGUES
GRÈCE CLASSIQUE
LA CAVERNE Collection Il Leurs Figures"
D'ADULLAM
Philippe Audoin
BRETON LA VILLE EN HAUT DE André Billy Encyclopédie de la Pléiade
LA COLLINE JOUBERT. énigmatique et sous la direction de
délicieux
Jean-Claude Brisville POÉSIE Henri Guillemin Bernard Dorival.
CAMUS Nouvelle édition Jacques Audiberti JEANNE' DITE HISTOIRE DE L'ART, tome IV,
revue et corrigée L'EMPIRE ET LA TRAPPE .. JEANNE D'ARC" Du réalisme à nos jours.
AnsJeten-e

L'édition anglaise se divise ac- des hommes d'affaires qui ne sont


tuellement en deux sections net· pas intéressés par des livres, s'oc-
tement séparées. D'une part, on cupent des maisons d'édition
trouve les entreprises britanniques qu'ils considèrent comme des
traditionnelles, contrôlées soit compléments utiles à leurs chaî-
par une famille, soit par une ins- nes de journaux, d'agences de pu-
titution (Collins, Oxford Universi- blicité ou de diffusion. La ten-
ty Press, etc.) De l'autre, nous dance va vers la diminution du
trouvons les groupes importants, nombre des maisons qui seront de
où de jeunes hommes amlfitieux plus en plus grandes, d'un niveau
et dynamiques luttent pour les intellectuel inférieur et de mana-
premières places. Beaucoup par- gers qui seront de moins en moins
mi eux ne sont pas particulière. des intellectuels et de plus en
ment intéressés par des livres et plus d'habiles hommes d'affaires.
n'en lisent jamais. Ce qui les in- De nombreux gouvernements
téresse est le chiffre d'affaires et ont essayé de ralentir la pénétra-
le profit. S'ils échouent, comme tion de l'économie américaine en
nous l'avons parfois vu ces der- Grande-Bretagne. Il est dommage
niers temps, ils quittent la pro- qu'ils n'aient pas songé à aider en
fession, alors que d'autres qui ont priorité les exportations du livre
réussi, obtiennent des postes de anglais ou à introduire un droit
plus en plus importants. Récem- réuni les employés de banque et prévisible: les romans, poème@, versé à chaque éditeur pour le
ment encore il était suffisant des sociétés d'assurances. Il ten- les livres de culture -générale, ain- prêt d'un de ses livres dans une
d'avoir le don de trouver de bons te maintenant la même opération si que des livres pour la simple bibliothèque municipale, ou à ai·
livres afin de constituer un cata- dans le domaine de l'édition, et distraction vont diminuer sinon der la publication de certaines
logue intéressant, pour acquérir son succès semble certain. Cette disparaître de la liste d'achats des catégories de livres.
des responsabilités et un prestige augmentation, ainsi que celle des bibliothèques. Les éditeurs qui Il est également dommage que
accrus. Aujourd'hui une liste de prix d'imprimerie entraînera né- publient des manuels vont évidem- les éditeurs anglais n'aient pas
titres brillants n'est plus néces- cessairement une augmentation du ment bénéficier de cette nouvelle songé à s'entraider. Il n'y a pas
sairement un signe de profit. prix des livres, donc une diminu- situation, elle profitera avant tout de raison qu'il n'existe aucune
Lorsqu'un groupe financier ac- tion des Ventes. aux plus grands. entente entre éditeurs pour em-
quiert une nouvelle maison, il Le marché le plus sûr de l'édi- Il ne faut pas non plus oublier pêcher les agents d'augmenter
promet une liberté littéraire totale teur anglais était constitué par les que le nombre des bons libraires artificiellement les avances et
à ses collaborateurs. Cette promes- librairies publiques. La plupart va en diminuant en Angleterre qu'il n'existe dans ce domaine
se ne tient pas longtemps devant des maisoils prévoient que plus et les journaux, même parmi les même pas le commencement d'une
un chiffre d'affaires décevant. La de la moitié de leur vente s'écou- meilleurs et qui s'adressent essen- coopération amicale, comme c'est
plus inquiétante conséquence de lera dans les muni- tiellement à un public littéraire, le cas en France. En vérité, la
cet état de fait est le conformis- cipales. Mais bibliothécaires et réduisent la place réservée à la plupart des éditeurs anglais se re-
me qui s'installe dans le domaine éditeurs commencent à être in- critique des livres. On parle aussi gardent avec envie ou antipathie,
de l'édition. On publie de plus quiets, car ces bibliothèques de- beaucoup des cassettes de télé- et l'échec d'un collègue provoque
en plus de livres qui se ressem· vront bientôt assumer un rôle vision qui risquent de réduire le plus souvent la joie que le regret.
blent de plus en plus, car cha- nouveau én fournissant la nou- temps consacré à la lecture. Nous Il est à craindre que cette situa-
cun copie les succès des autres. velle université de la -télévision. trouvons dans l'édition anglaise tion malsaine s'aggrave. Vers
Les romans se vendent mal, sauf Cette «Open University» a été beaucoup de gens compétents, en- 1980, il n'existera plus probable-
les quelques rares best-sellers, créée par Jennie Lee - la veuve thousiates, d'un haut niveau intel- ment que trois ou quatre grands
mais qui n'atteignent quand même d'Aneurin Bevan - , ministre de lectuel, mais la distance qui les groupes d'éditeurs, à côté de
pas les espérances exagérées qu'ils la Culture du dernier gouverne· sépare de la direction risque de quelques éditeurs indépendants
ont _suscitées avant leur publica. ment travailliste. 25 000 étudiants freiner leurs initiatives et, un jour, - y compris, j'espère, moi-même
tion. Il s'ensuit que les roman- seulement avaient été acceptés, ils pourront être remplacés par - et qui continueront à remplir
ciers ont de plus en plus de dif· mais chacun d'eux devra suivre <le fIes machines. il exis· leur rôle. Nous pouvons également
ficultés pour trouver des éditeurs. dix à vingt cours, nécessitant <les te actuellement en Grande-Breta- espérer que l'Etat se chargera de
Le grand «boom:t de traductions mapuels et d'autres livres. Or, au- un nombre plus considérable quelques entreprises éditoriales
étrangères, facilité par la Foire cun nouveau crédit n'a été prévu d'éditeurs compétents qu'à aucun pour des motifs culturels, mais
de Francfort et d'autres foires du et ces étudiants devront ou ache· moment depuis la guerre. Et ce les dangers d'une édition d'Etat
livre est en voie de recul et, dans ter eux-mêmes ces livres ou ils nombre va certainement encore sont évidents. Je regrette qu'au
le climat actuel, il est à craindre tenteront de les emprunter dans moment où les éditeurs du monde
qu'à l'avenir moins de romans les bibliothèques municipales. Les Certains petits éditeurs vont entier se préparent à assister à la
français soient présentés au pu- municipalités refusent d'augmen. survivre, et il est possible que nuit de Walpurgis annuelle de la
blic anglais. Mais d'autres dan- ter les crédits et dans un moment nous assistions, dans les années à Foire du Livre de Francfort, je
gers encore l'édition où les prix des livres va en aug- venir, à l'éclosion de petites mai- sois obligé de tracer un tableau
anglaise. mentant, les bibliothécaires se· sons qui publieront, pour une mi- aussi pessimiste de l'édition d'un
Certains éditeurs devraient ront obligés de choisir une voie norité de lecteurs, des éditions- des pays les plus importants dans
-bientôt augmenter les salaires de plus sélective dans leurs achats, très restreintes grâce aux nouvel· le domaine intellectuel, mais au-
leurs collaborateurs. Un tout en devant faire face à une les techniques d'imprimerie (ma- cune éclaircie n'est visible, même
syndicat vient d'être formé, dirigé demande nouvelle, avec des né· chines électriques, etc.) pour les plus optimistes.
par Clive J enkins, un syndicaliste cessités éducatives qu'ils ne pour- Ce que nous voyons actuelle·
dur et efficace qui a récemment _ront négliger. La cOQSéquence est ment en Angleterre est simple: John Calder

18
ALLEMAGNE

L'édition et les clu·bs


Les temps sont passés où les rités préfèrent même q1le les li-
maisons d'éditions étaient des vres importants soient publiés
lieux vénérables qui faisaient peur par des éditeurs de la République
à un jeune auteur, et les temp!! fédérale.
ne sont plus où le livre acheté Si l'on a la possibilité d'aller
cher était un refuge spirituel de- voir les stands des maisons est-
vant les horreurs du monde réel. allemandes à la Foire de Leipzig,
L'édition en Allemagne est deve- un pendant de la Foire du Livre
nue une industrie avec un impor- à Francfort, on remarque que la
tant chiffre d'affaires qui, en spécificité d'une maison d'édition
plein essor de l'économie alle- allemande d'outre-Elbe se mani-
mande de l'après-guerre, repré- feste dans les programmes non-
sentait le plus grand taux d'ac- politiques et hors de toute actua-
croissement. Le livre est devenu lité artistique. Des livres d'art
un article de consommation cou- ancien, de musique, des livres
rante, et sa vente est soumise aux scientifiques ainsi' que des éditions
lois du marché comme tous les d'œuvres classiques sont souvent
autres articles de consommation. remarquablement édités. On peut
Mais il reste malgré tout une dif- parler pour une fois d'une conti.
férence capitale, bien que diffi- nuité dans la tradition de l'édi·
cile à définir, qui trouve son ori· tion allemande: à l'époque des
gine dans le caractère individuel nazis, c'était pareil.
Rowohlt Verlag, près de Hambourg.
du livre comme marchandise et Le développement économique
de son producteur, l'écrivain. des éditions dans la R.F.A. a son
L'éditeur voit les conséquences origine dans les clubs du livre soigneusement relié, mais il est rive maintenant assez souvent
de cet état de fait par le grand et dans le succès du livre de po- devenu un article qu'on achetait qu'un éditeur acquiert les droits
risque que comporte son entre- che. Les clubs du livre ont déjà dans les kiosques de gare, comme d'un titre, qui a paru d'abord
prise. On a l'impression qu'il existé avant la guerre, c'est vrai, un magazine. comme livre de poche, pour l'édi-
cherche à équilibrer ce risque en mais personne ne pouvait prévoir Petit à petit, on sut mieux ter ensemble avec un club comme
arrêtant un programme, vaste, cette énorme industrie de distri- s'orienter vers les besoins de lec- livre relié après son succès en
souvent trop vaste. Il en résulte bution, munie d'ordinateurs, com- ture de la jeunesse. On publiait format de poche.
que les physionomies littéraire!! me nous la connaissons aujour- des livres de science populaire, et Il est compréhensible que les
des grandes maisons d'éditions al- d'hui, avec des membres dont le plus tard des é t u des d'un concentrations et fusions fréquen-
lemandes se ressemblent de plus nombre dépasse les six millions. haut niveau intellectuel. On re- tes qui ont eu lieu au cours de
en plus, et personne ne sait plus C'est grâce aux clubs du livre que marquait que la vente de ces ti· ces. dernières années dans l'édi-
les distinguer les unes des autres, l'éditeur allemand est capable tres était plus assurée que celle .tion allemande aient provoqué de
sauf les professionnels, les librai- maintenant de payer des avances des réimpressions littéraires. la part des lecteurs et aussi des
res et les critiques. d'honoraires avec des chiffres à Après un certain temps, il n'exis- auteurs des demandes de coges-
La situation dans la R.D.A. cinq zéros (en dollars). On com· tait plus assez de titres valables tion. Ils désirent participer aussi
n'est pas très différente. La plu- prend. que les clubs puissent im- pour les livres de poche à grand bien aux décisions financières
part des éditions sont socialisées, poser, et imposent en fait, par tirage. et on commençait à publier qu'aux décisions littéraires. Cette
bien qu'elles portent assez sou- leur influence un goût littéraire les éditions originales qu'on com- demande paraît d'autant plus ur-
vent les mêmes noms que celles dont ils pensent qu'il est le goût . mandait aux auteurs: sujets gente que les maisons d'éditions
de leurs partenaires de l'Ouest. de la masse de lecteurs. le e;oût encyclopédies en allemandes changent de plus en
Partenaires au sens double du du jour. . - plusieurs volumes, des titres sur- plus leurs propriétaires sans
mot: elles publient et elles im- Le triomphe du pocketbook a tout, qui n'avaient que peu de qu'employés et auteurs soient mê-
priment beaucoup de livres en· commencé très tôt en Allema- chance comme livres chers. Il ar- me informés. Les fusions de gran-
semble, et synchronisent même gne. Le grand éditeur Ernst Ro-
souvent leurs programmes. Il n'y wohlt a fait de nécessité vertu au
avait jusqu'ici aucun domaine cours de l'immédiat après-guerre.
économique dans l'Allemagne di· Il publiait des textes littéraires
visée où la coopération directe comme des journaux, Shakespeare
aussi bien qu'Hemingway. Il
par le commerce interzone était
si intense que dans celui de s'agissait là de!! précurseurs des La Quinzaine
l'édition. premiers livres de poche de l'an littéraire
Il va sans dire que les tendan- 1950 chez Rowohlt, également
ces de nivellement sont dans la imprimés sur rotative.
Au début, les éditeurs ne
ABONNEZ-vous
R.D.A. la conséquence de la con-
trainte de l'Etat comme celles de voyaient dans les éditions de po-
l'Ouest sont dictées par les lois che qu'un moyen de rééditer des
de la consommation. Des formes livres, des romans à succès pour
d'expressions individuelles sont
mal vues à l'Est et des opinions
politiques non conI;ormistes sont
réprouvées : le parti tient les êcri-
une autre couche d'acheteurs, sur-
tout pour la jeunesse. La révolu-
tion venait du comportement inat-
tendu des lecteurs: le livre de
abonnez-VOUS
vains en lisière et des talents ne poche n'était plus une acquisition
se développer. Les auto- de luxe comme le livre cher et

La Q!!inzaine Littéraire du 16 au JO septembre 1970


YOUGOSLAVIE

Allemagne
Limites de
des maisons d'édition au cours de Le visiteur de la Foire du l'édition autour des maisons les dex et qualifiés de «décadents»
ces dernières années se sont faites Livre qui se tient annuelle- plus importantes - afin de ré- ou c: petits bourgeoÏ-$ », commen-
presque toujours au profit de deux ment, au mois de septembre. duire le coût de leur gestion et cèrent peu à peu à être traduits.
grands clubs du livre de tendance à Belgrade. s'il se laisse sé- d'augmenter en même temps les Le tournant majeur en ce sens
conservatrice. duire par un nombre assez droits d'auteur - n'ont pu être fut marqué par la publication de
Un certain nombre d'auteurs, surprenant de titres - iu)tam- réalisées en raison de l'opposition Kafka. Parallèlement à l'abandon
d'employés d'éditions et de jeu- ment de traductions étran- d'une intelligentzia qui craint progre88if par les auteurs yougo-
nes libraires se sont organisés gères - et une présentation qu'une édition ainsi concentrée slaves des poncifs «réalistes so-
pour défendre leurs intérêts, hors souvent luxueuse des ouvra- retombe sous la tutelle ou la cialistes» (qui seront bientôt ap-
de syndicats officiels qui sont, ges édités. risque de ne juger mainmise administratives ! pelés «technique en noir et
en Allemagne, presque toujours l'édition yougoslave que sur Au sortir de la Deuxième Guer- blanc»), le rythme des traduc-
prêts à un compromis. C'est vrai ses apparences. En réalité. re mondiale, la Yougoslavie - tions allait s'accélérant: Sartre,
que le droit de cogestion est mora- depuis plusieurs années déjà. avec une population décimée et Camus, Malraux, Gide (frappé
lement reconnu maintenant, sur- sévit une • crise. assez pro- une économie presque complète- d'interdit après son Retour
tout après les troubles à la Foire fonde qui, en dernière ana- ment détruite - ne pouvait, évi- d'U.R.S.s.), suivis de Mauriac,
de Francfort en 1968 et 1969, lyse, ne concerne pas unique- demment, s'offrir le luxe d'une Joyce, T.S. Eliot, Faulkner et tout
mais les possibilités de réalisation ment l'édition proprement édition exemplaire. Toutefois, un . ce qu'il y avait de meilleur dans
ne sont pas encore trouvées. dite. effort de redressement culturel le roman américain. Auxquels il
Quelques lecteurs et auteurs ne permit de mettre sur pied, entre faut ajouter Pasternak, Beckett,
sont plus prêts à mettre leur tra- autres, plusieurs maisons d'édi- Ionesco, sans oublier presque
vail à la disposition d'un c: kon- L'une des premIeres explica- tion, nationalisées au même titre tous les tenants du nouveau ro-
zern d'édition. Ils quittent tions que l'on donne de cette que les autres entreprises. Ces man français. Il faut toutefois
leur ancienne maison pour fonder c: crise» fait généralement ressor- éditeurs nouveaux-nés durent imi- signaler que les ouvrages ayant
une nouvelle édition coopérative. tir un rythme de publication très ter le modèle soviétique : a88umer une visée idéologique ou philoso-
Il s'agit évidemment de petites ou trop poussé, notamment dans un rôle didactique et politique phique éloignée de l'optique
maisons d'édition, et ces tentatives le domaine de la traduction - où bien déterminé, cadrant fidèle- marxiste (au sens très étroit du
ont prouvé qu'une telle expérien- la Yougoslavie, d'après le recense- ment avec les objectifs de la poli- mot) devaient attendre plus long-
ce ne peut réussir que 80US la ment de l'UNESCO, connai88ait tique du jour. L'Etat créait - temps que les poètes ou les roman-
direction d'une forte personna- récemment une très enviable bien plus selon ses besoins que ciers également éloignés de la
lité, dont l'autorité est reconnue deuxième place dans le monde ! selon les exigences Ilpontanées de perspective communiste... Quoi
par tous les collaborateurs. On - rythme difficilement compati- la littérature et de la culture - qu'il en soit, on finira par lire
comprend bien que pour quel- ble avec '\Jn marèhé pratiquement les maili>ons d'édition spécialisées au cours de cette période les tra-
ques auteurs un modèle socialiste sans exportation, que se parta- et chargeait Iles fonctionnaires de ductions de penseurs non mar-
de l'édition soit désirable, mais gent en outre les trois langues les diriger et de remplir leurs xistes tels que Nietzsche, Freud,
dans le système économique où littéraires du pays avec leurs deux programmes. La gestion financière Heidegger, Jaspers, Russell, Wit-
nous vivons une telle maison sans écritures - la cyrillique ct la ne posait aucun problème: un genstein, Jung, Merleau-Ponty,
capitaux est condamnée à rester latine. mécénat puisant dans les ressour- Lévi-Strauss et maints autres...
trop petite pour pouvoir garantir Le nombre des maiRons d'édi- ces du budget national, assurait Tout en acquérant de plus en
aux auteurs un succès d'une cer- tion semble assez élevé pour un généreusement leur fonctionne- plus d'autonomie, l'édition ne
taine importance économique. pays d'environ vingt millions ment à la seule condition qu'elles cessait pas pour autant de con-
Voici le trait marquant de d'habitants. Si l'on s'aventure impriment les ouvrages que les corder sur plus d'un point avec
l'évolution actuelle de l'édition dans une librairie, à Belgrade, à censeurs c: bien pensants» trou- les lignes générales de la politi-
allemande: ni les auteurs ni les Zagreb ou à Ljubljana, on ne vaient utiles et publiables... que de l'Etat yougoslave sam
lecteurs ne se laissent plus tenir tardera pas à constater que les Un coup d'œil rapide sur les qu'on puisse parler d'une édition
en tutelle, et les éditeurs ne peu- livres y coûtent assez - à titres édités avant 1948 (année de c: étatisée» : c'est ainsi, par exem-
vent plus ignorer cette discussion la différence de ce qu'on attend la rupture du P.C. yougoslave ple, qu'après l'amélioration des
qui tend à une cogestion sur le et de ce qu'on est habitué a voir, avec Staline) et immédiatement rapports entre l'Etat et l'Eglise
modèle du c: Monde Tout porte par exemple, en Union li>oviéti- après cette date montre que les (notamment catholique), la pre88e
à croire que la décision du plus que ou dans d'autres pays de traductions de cette époque religieuse obtint, au cours des an-
grand club du livre allemand, la l'Est - et même parIois plus étaient presque exclusivement cel- nées soixante, droit de cité et put
maison Bertelsmann, de payer une cher que dans bon nombre tle les d'ouvrages cla88iques datant être vendue dans les kiosques. La
pension de vieille88e à ses auteurs, pays occidentaux (le prix d'un ro- au moins d'une cinquantaine d'an- Bible et le Coran, dont la réédi-
financée sur ses bénéfices, résulte man entre 300 et 400 pages"'élève nées et de livres c: réalÏ-$tes socia- tion avait été interdite pendant
de cette discussion. facilement à l'équivalent de 15 à IÏ-$tes» traduits surtout du ru88e. toute l'après-guerre, devinrent de
On a l'impression que ce qui 25 NF français, ce qui, vu le Une partie considérable du tirage véritables best-sellers !
parai88ait il y a deux ans une pouvoir d'achat du c: consomma- était vendue d'office aux différen- Cet élargissement, presque inat-
révolution manquée, débouche teur» yougoslave, représente sou- tes entreprises et institutions: tendu, ne pouvait se produire
actuellement dans une réforme vent un sacrifice). C'est un lieu maisons de culture, organisations sans un changement des structu-
concrète qui déplace les positions commun de la pre88e littéraire syndicales, salles de lecture, bi- res, aussi bien de l'édition que
démodées de l'auteur et de son yougoslave et de la presse tout bliothèques, etc. des phénomènes culturels et so-
éditeur. Je pense souhaitable que court que de dénoncer c: r aliéna- Au cours des années cinquante ciaux en général, changement dû
cette dÎ8cu88ion allemande soit tion de la culture» par l'abai88e- - au fur et à mesure que Il'accen- essentiellement à la mise en place
prise en considération par les édi- ment des biens culturels au ni- tuait le c: dégel» politique - un. de l'autogestion. C'est ainsi qu'une
teurs et auteurs d'autres pays à veau de la c: marchandÏ-$e pure et nouvelle c: ligne» ne tarda pas à étape importante dans l'évolution
l'occasion de la prochaine Foire simple» et aux exigences du mar- marquer la littérature et, par con- de l'édition fut ouverte par l'insti-
de Francfort. ché... D'autre part, certaines pro- séquent, l'édition. De nombreux tution des c: conseils ,rédition »,
Chmtoph Schwerin positions visant à concentrer anteurs, précédemment mis à l'in- formés, au sein des maisons d'édi-

20
COLLECTIONS

l'étatisation
tion, auprès des comités de rédac- vrages l!ouvent de valeur ,douteuse Terre humaine (Plon) du peuple Sara au Tchad: la Mort
tion professionnels qui les diri- et à écarter des livres dont la de Sara, par Robert Jaulin), cèdent
la place 'à la grande synthèse d'une
gent. Composés de personnalités vente exige un lap8 de plus Dans l'ile déserte, quels livres em- expérience et d'une réflexion.
notoires et ne faisant pas partie long. Ils protestent d'autre part porterez-vous? Grand sujet d'embar- Tristes tropiques en est un exem-
du personnel de la maison,. ces auprès des institutions culturelles ras. Dans l'ile non déSerte, aucun ple éblouissant, qui fut suivi par des
4: conseils :t déchargeaient les édi- qui n'encouragent guère acti- problème: la collection • Terre hu- livres aussi passionnants et différents
maine -, bien sûr. «Nul homme n'est que l'Afrique ambiguë, où Georges Ba-
teurs d'une partie de leur vité, même quand il s'agit des pro- une Isle complète en soy-mesme; landier a ramassé la somme d'une vie
responsabilité face aux instances jets utiles indispensable8 au tout homme est un morceau de conti- consacrée à l'Afrique, ou bien lee Cua-
politiques. De cette façon se pro- développement la culture na- nent, une part du tout. - Au porche tre soleils de Jacques Soustelle, où
duisirent des «écarts inimagi- tionale. On constate, par e,xemple, de • Terre humaine -, on pourrait ins· le célèbre américaniste a condensé
crire ces mots de John Donne. Le quarante ans d'études sur le terrain,
nables au début de l'après-guerre que Jes bibliothèques Grand Navigateur ici ne l'est pas seu- de lectures et de méditations sur le
et naquit un état de perméabilité n'achètent que 4 % des tirages lement . par métaphore: chef d'une Mexique. Ou encore cette sorte de
de plus en plus sensible... globaux. Sans être désastreuse, la des gares centrales de l'intelligence «premier testament - d'un des plus
La marge d'autonomie de l'édi- situation n'en est pas moins alar- ethnographique, Jean Malaurie, qui fameux agronomes, sociologues et
fonda la collection en 1955, ne $6 voyageurs de la planète, les Terres
tion devait s'accroître et gagner Elle l'est d'autant plus que borne pas à envoyer des auteurs • sur vivantes de René Dumont. Ou (mals
en efficacité, pour aboutir - les autorités du «secteur cultu- le terrain -, à leur demander au retour pas enfin, la liste n'est pas close)
après la proclamation de la «ré- rel :t, privées elles aussi des subsi- des livres, à susciter chez les écri- ces Aimables sauvages de Francis
forme économique en 1965 - à des d'autrefois, ne semblent pas vains la réflexion, la somme méditée Huxley où le plus jeune savant de la
ou le départ au loin. Directeur du célèbre lignée Huxley étudie en voya-
une de l'ancien sys- être en mesure d'apporter des so- Centre d'Etudes Arctiques à l'Ecole geur, en penseur et en poète, la ge-
tème de subventions. Une nou- lutions auires que palliatives : les des Hautes Etudes, Jean Malaurie nèse du sentiment religieux universel
velle étape, .marquée .de nombreux moyens les plus substantiels sont, n'est pas un savant de cabinet. Ses à travers la métaphysique primitive
paradoxes, s'inscrivit dans l'acti- en effet, absorbés par la «réforme Derniers rois de Thulé est un livre d'un peuple d'Indiens d'Amérique du
né parmi les Esquimaux dont le direc- Sud.
vité éditrice yougoslave. Sans sou- économique» visant à rendre l'in- teur de • Terre humaine - a longue- Le commun dénominateur de cette
tien «budgétaire et sans pro- dustrie du pays -eompétitive sur ment observé la rencontre avec l'âge moderne • Bibliothèque de géographie
tection administrative, l'édition le plan international. Dans l'alter- atomique. universelle et humaine - ? Ce n'est pas
se trouv·a obligée d'être «renta- native: subventionner une édi- Jean Malaurie peut s'enorgueillir de la quête des « ailleurs -, de l'exotisme
quelques résurrections es'sentielles (il pour l'exotisme (Jean Malaurle annon-
ble :t. Elle dut se mettre à publier tion ou donner du travail à un a ramené vers nous ce beau poème ce le Joui'nal d'un capitaine de pêche
ce qui peut se vendre, c'est-à-dire nombre de chômeurs croissant, ethnographique de Victor Segalen sur de. Fécamp; un livre du fondateur de
- hélas! - beaucoup d'infra- on prend, évidemment, ce dernier Tahiti, les Immémoriaux), de quelques la sociologie religieuse, Gabriel Le
littérature. Les livres d'une au- parti... Aussi se résigne-t-on à né- • importations - capitales (comme la Bras, sur l'Eglise et le village en
désormais classiq!Je autobiographie France). Ce n'est pas ('ethnographie
dience plus restreinte se verront gliger «pour quelque temps la d'un Indien de l'Arizona, Soleil Hopi, au sens limitatif, considérée comme
presque automatiquement repous- culture en général... Le Ministère ou le célèbre Mœurs et sexualité en une rébarbative entomologie des « pa-
sés au second plan. Diverses au- de la pauvreté dont parlait cer- Océanie de la grande enthropologue pillons humains -. Ce n'est pas le pur
tres difficultés surgirent inopiné- tain ministre n'est pas - on le américaine Margaret Mead). Il a fait et simple « récit de voyage -, pas plus
mieux 'encore: il a fait naître des que la • tranche de vie - anthropolo-
ment (1). Certains éditeurs firent voit - exclusivement français ... Et • livres à venir -, dont ce chef-d'am- gique servie crue et sans sel. Jean
tout simplement faillite du fait les problèmes que nous évoquons vre, les. Tristes tropiqu8J de Claude Malaurie évite avec rigueur le· double
qu'ils ne purent s'adapter à ce ici cessent d'être uniquement you- Levi-Strauss: quand il a suggéré au écueil de l'ouvrage technique - pour -
nouveau régime. ·C'est alor!\ que, goslaves. Notre époque doit affron- maître de l'anthropologie structura- des - techniciens et de la vulgarisa-
liste d'écrire ce film d'une vie de tion vulgaire des Tartarins de Para-
plus d'un regretta le «bon vieux ter - et ceci dans une perspec- voyages, de travaux et de pensée, Il guay ou de Samoa qui reviennent de
temps des subventions étati- tive bien plus vaste que celle qu,e savait qu'il s'adressait à .un savant loin pour jeter aux yeux des auditeurs
ques... Si, autrefois, de nombreu- l'on adoptait jusqu'à présent - déjà reconnu; mais nous lui devons de Pleyel une poudre de perlimpinpin
ses initiatives ne purent voir le les rapports essentiels entre la la révélation (et à son auteur lui- épicée de couleur locale qui, elle, ne
même peut-être) d'un écrivain com- va pas loin. Ce qui le passionne, c't:jst
jour à cause du mécénat, actuel- culture et de la société. Ces rap- plet. de faire de chacun des livres qu'II
lement bon nombre d'entreprises ports seront probablement plus • Terre· humaine -, c'est le lieu privi- publie la rencontre d'un homme avec
n'arrivent pas à terme, faute de déterminanl/l que jamais dans légié et multiple où les plus, savants des hommes; ce qu'II lui Importe
mécènes! Ainsi l'ancienne ri- l"histoire à venir. des hommes parlent à l'honnête hom- d'obtenir, c'est que ses auteurs aient
me de partout. A la première perSonne autant de talent que leurs personna-
chesse dans la contrainte ressem- des mille et une clartés de la condi- gds. •
ble-t-elle par plus d'un trait à la predrag Mat'Veje'Viteh tion humaine, comme dans ces auto- La vie qui s'en va : celle des Indiens
présente liberté dans l'indigence. biographies qui vous font entrer dans du Nord ou' d'Amérique latine, des
Les à la fois du système la peau d'ùne femme musulmane du Esquimaux de Thulé - les sociétés
(1) Il faut noter que les, éditeurs Nigetla (Baba de Karo, par Mary
()ccidental et de celui des pays que la • civilisation - passe déjà au
étaient très souvent gênés par les Smith), des. derniers Indiens Yana de rouleau çompresseur, de l'Afrique ara-
de l'Est 8'y traduisent de façon restrictions du contingent de devises Californie (lshl, par Theodora Kroe- blque.à l'Océanie; les races en vole
particulièrement 8ignificative, et pour les droits des auteurs étrangers. ber), d'un Hopi (Soleil Hopi, par Don d'extinction par répression ou oppres-
Par moments, la place qu'avaient tra- C. Talayesva), d'une femme blanche sion (la collection annonce la Chro-
ceci ne touche pas seulement l'édi- ditionnellement en Yougoslavie cer- enlevée enfant par les Indie'ns de nique de la mort lente dans la Réserve
tion: toute la littérature et la taines littératures occidentales pouvait l'Amazone et élevée par eux (Yanoa- indienne des Pieds-Noirs, par Richard
culture sont pratiquement en être compromise par le fait que cer- ma, par Ettore Biocca). Lancaster) - • Terre humaine - est,
jeu... tains éditeurs étrangers, poussés par «C'est ainsi que les hommes vi. en partie, le musée vivant des sociétés
les intérêts bassement mercantiles du vent -, chante le poète. «C'est ainsi qui s'engloutissent sous nos yeux.
Dans une situation, les moment ou incapables d'envisager la
éditeurs ressemblent souvent à que les hommes vivent -, lui répon- Mals elle veut être aussi le témoin
mission culturelle jôinte à leur acti- dent les auteurs de • Terre humaine _, de celles qui naissent ou renaissent:
des joueurs qui espèrent faire ou vité, refusèrent d'accorder plus d'une qui nous font partager la vie d'un ce sera, par exemple, Fanshen, vie
refaire leurs fortunes grâce à un traduction payable dans la monnaie du oetit village turc (Ul) Village anato- révolutionnaire dans un village chi·
pays. Heureusement, quelques édi- lien, par Mahmout Makal) ou d'un vil- nols, de William Hlnton, ou la créa-
coup de dés décisif. Ils accusent teurs éclairés et plus conscients de
d'une part les banques de traiter lage du Vietnam central (l'Exotique tion d'un village mexicain nor,·lndlen
leur fonction - telle, en France, la est quotidien, de. Georges Condaml- avec la Chronique rurale d'un certain
le livre comme un 8imple «pro- maison Gallimard acceptèrent géné- nas). Parfois la monographie à la pre- Mexique, par le grand historien mexi-
duit :t. et de ne leur accorder que reusement les droits non transférables mière de • l'indigène -, le cain Luis Gonzalez.
et permirent ainsi d'assurer la conti- récit d enquête ou d'exploration de «Terre humaine -. Rarement collec-
des crédits à trop brève échéance, nuité de leurs littératures nationales
ce qui les oblige à éditer des ou- l'Oècldental (comme ce beau livre sur tion aura mérité si bien son titre.
en Yougoslavie. la mort telle -que la vivent les hommes Adélald. Slsaquez

La Q!!inzaine Littéraire. du 16 au JO septembre 1970 21


PS YCHIATRIIl

Histoires de fous
Maud Mannoni corps à lui: j'ai mal à la tête, son armature théorique permet- risque de demander à être modi-

1 Le Psychiatre, son «fou:.


et la Psychanalyse
Seuil, éd., 269 p.

«Alors, parce qU'Oll


dit l'enfant. «Où? Montre-moi
où tu as mal ci la tête? Ques-
tion qui ne lui avait jamais été
posée.
- Là (montrant aa cuisse près
tent de faire apparaître les consé-
quences de la psychanalyse en
matière d'institutions: problème
politique par exCellence, que
Maud Mannoni a le mérite de po-
fié, tout comme son objet, l'his-
toire de la folie.
Reprenons cette double impli-
cation, et précisons les convergen-
ces entre le livre de Maud Man-
est un interné, on vous de laine). ser avec évidence, de telle sorte noni et l'anthropologie. Maud
sonne, on vous amène! - Et liJ, c'est la tête à qui? qu'il ne .puisse être éludé. L'anti- Mannoni pose elle-même le pro-
Je vous raconte des his- - A maman.:. (page 20) psychiatrie, l'inBuence de Jacques blème en rapprochant le psychia-
toires.de fous. Que vou- L'enfant avait réussi à devenir Lacan, et le' «structuralisme » an- tre et l'ethnographe: «Le psy-
leZ-tlOUS que je vous ra- le symptôme de sa mère migrai- thropologique en tant qu'il décrit chiatre comme l ethnographe est
conte cr autre ? :. Laurent, neuse. De la juste articulation en- les formes sociales de l'aliénation, aux prises dans son champ étu- cr
interné: Cité par Maud tre cette pratique et la théorie se rejoignent pour donner au té- de avec un ordre signifiant, que
.Mannoni, page 17. analytique, dépend la solidité du moignage psychanalytique de ce soit celui du père, de la mort,
livre de Maud Mannoni. Maud Mannoni sa validité théo- du tonnerre ou des miracles;
Dès son titre, le dernier livre Ce livre, en fait, est aussi le rique et pratique. quelque chose s'ordonne selon
de Maud MaiJDoni s'impose' com- produit d'une rencontre dont il Ses implications sont doubles : des rapports antinomiques qui
me une mise en cause des insti· faut bien comprendre l'histoire sur le terrain spécifique de la viennent comme autant de lois du
tutions de la folie. Le Psychiatre, pour en mesurer l'importance. psychanalyse, la notion d'institu- langage. Ce qui importe à l ethno-
son «fou» et la Psychanalyse: le Son point de départ en est le tion fait l'objet d'une interven- graphe (et au psychiatre), c'est de
possessif, qui fait du fou l'objet, mouvement d'antipsychiatrie: es- tion théorique, liée à la difficile pouvoir mettre au jour ce qui a
la propriété exclusive du psychia- sentiellement anglo-saxon,. et con- question de l'enseignement de la été opérant dans la structure lo-
tre, tout autant que les guillemets duit par des psychiatres non- psychanalyse: quel est le statut gigue du mythe (mythe indivi-
qui le désignent, «fou », comme analystes, il conteste la ségréga- du psychanalyste dans une so- duel du névrosé ou mythe collec-
son propre surnom, tout cela indi- tion hospitalière et les procédés ciété qui «soigne» par exclusion, tif) (3). En opérant un déplace-
que j'angle d'attaque... . par lesquels la psychiatrie forme et donc comment le former? Or, ment de termes, et en remplaçant
Comment on peut" soigner insti- et déforme en les isolant les ma- parler de psychanalyse emporte le psychiatre par le shaman, on
tutionnellement sans exclure, lades. Au contraire de la: psychia- des conséquences anthropologi- se souviendra des analyses que
sans -que la maladie mentale soit trie, Laing et Cooper ont çhoisi ques : le rapport entre l'individu Lévi-Strauss fait au sujet des gué-
fixée en psychose, voilà ce que de laisser délibérément le 'malade et les formes institutionnelles, le risons shamanistiques dans l'A n-
Maud Mannoni pose à l'horizon en crise, abondant dans son sens, collectif et ses pouvoirs' spécin- thropologie Structurale: le sha-
de ses recherches. Les implica- libre de sa foJ,ie, jusqu'à ce que ques ; son rapport au politique et man y gilérit une patiente, en
tions en sont massives, et le livre la crise disparaisse d'elle-même. les transformations réciproques proie à un accouchement difficile,
fait impression. Disons au préala- Cette expérience, tentée sur les qui les meuvent sont concernés en réintégrant les symptômes
ble que l'impression produite formes de la par la mise en cause des processus anormaux - douleurs violentes -
tient pour une grande' part à la maladie mentale, suppose d'une d'exclusion de la folie. La psycha- dans l'ordre du mythe; en étant
tenue théorique dU. livre, mais part que le milieu extérieur con- met à jour les modalités lui-même partie intégrante du
aussi au choix et à la description ditionne la déraison, et d'autre par lesquelles l'individu se défend mythe naturel, et en transformant.
·des exemples «cliniques ». On part que des soins rigides, qu'ils contre les mécanismes d'intégra- la fèmme souffrante en morceau
est frappé par la vérité· qui parle soient somatiques ou psychiques, tion - assimilation ou exclusion du mythe: son èorps devieni le
dans les discours des malades re- fixent en «folie» ce qui est un - de l'idéologie dominante; mais, lieu où se joue le mythe.
latés par Maud Mannoni; il s'y accès passager et nécessaire. dans sa pratique tout au moins, Là, «quelque chose s'ordon-
agit moins de maladies indivi- Une telle hypothèse rejoint, par elle ne tire pas les conséquences ne effectivement, qui ressem.hle
duelles que de situation collective sa nouveauté' en psychiatrie, des de ce qu'elle donne à voir. Le: à ce qui s'ordonné en 'psychia-
de "maladie, dans laquelle le soi- recherches déjà anciennes en livre de Maud Mannoni pose avec trie; Maud Mannoni en déduit
gné a toujours les symptômes de ethnologie et en histoire : recher- rigueur les prémisses d'un' tour- avec justesse que le psychiatre
l'Autre. (Mentionnons parmi les ches sur le shamanisme, qui pro- nant que souhaitait déjà Michel joue le rôle qùe la société lui
pages les plus frappantes le récit cède de la même symbiose entre Foucault: «Le médecin, en tant assigne: celui de l'ordonnance-
de l'histOIre' de Sidonie, anorexi- le soignant et le soigné, recher- que figr.tre aliénante, reste la ment, auquel il faut pour guérir,
que de 17 (page 139-162) et ches historiques sur les formes clef de la psychanalyse. C'est peut- que le malade s'identifie; l'ordre
celui de Georges, Martiniquais de sociales prises par la folie. C'est être parce qu'elle n'a pas suppri- social 'contre le désordre de la
30 'ans, interné depuis dix ans ; ici que se joue la rencontre : car mé cette structure ultime, et folie, telle est la dialectique de
ce dérnier exemple est représen- Maud Mannoni, psychanalyste de qu'elle y a ramené toutes les au- la psychiatrie. Lévi-Strauss titre
tatif du livre: le discours de l'Ecole Freudienne de Paris, est tres, que la psychanalyse ne peut ce chapitre de son anthropologie :
Georges y est analysé comme pro- armée pour comprendre théori- pas, ne pourra pas entendre les lEfficacité Symliolique. C'est
duit de sa famille, et le contexte quement et transformer l'empi- voix de la déraison, Iii dJchiffrer cette expression que Maud Man-
hospitalier forme le' troisième risme des travaux de Laing et pour eux-mêmes les. signes de noni illustre complètement, com-
langage par lequel un individu Cooper. linsensé. La psychanalyse peut me si elle voulait donner raison
se déclare fou pour les autres.) Ceux-ci, par exemple, appellent dénouer quelques-unes des formes par des travaux pratiques tout en-
Certains mots ne peuvent plus se métanoia la pratique qu'ils met- la folie; elle demeufe étran- semble à Lacan, Lévi-Strauss et
faire Qublier : t.el malade rendant tent en œuvre; métanoia, terme gère au travail souverain de la Foucault.
compte de sa folie: «Ma mère extrait de l'Evangile, a le sens de déraison. Elle ne peut ni libérer Car c'est par l'efficacité de l'or-
disait: je vais devenir folle. Un repentir .et de conversion spiri- ni transcrire, ci plus forte raison dre. symbolique que la folie se
jour, i ai fait le VŒU de devenir tuelle (1) ; Maud Mannoni y sup- expliquer ce qu'û y a d'essentiel désigne d'elle-même: soi.-clisant
fou ci sa place» (page 43) .. Tel plée par le concept de régression, dans ce labeur. » (2) Si cette voie, foJ.ie. C'est la du symbo-
enfant de moins connoté idéologiquement; gagne en impor- lique, sa force de loi,: qui permet
la parole maternelle dans son la pensée de Jacques Lacan et tance, le jugement de" Foucault de comprendre' que la folie des

22
fous est une maladie d'exclusion;
Lévi-Strauss, dans Tristes Tropi-
ques, classe les sociétés en sociétés
anthropoémiques et en sociétés·
authropohagiques: les premières
se défendent des éléments atypi-
ques qu'elles contiennent en les
« vomissant» dans des lieux
d'exclusion: prisons, asiles, mai-
sons institutionnelles variées; les
secondes se défendent au contraire
en assimilant les corps étrangers.
Or, le shamanisme fait plutôt par-
tie des secondes que des premiè-
res, et on pourrait dire que l'ef-
fort de {antipsychiatrie consiste
à vouloir transformer une société
anthropoémique en société an-
thropophagique, à traiter la folie
comme partie intégrante du corps
social, au lieu de l'en exclure.
D'après Breughel: Enlèvement de la pierre de folie.
Entre psychiatre et shaman, le
rapport alors devient plus clair :
le psychiatre comme le shaman folle qui dit vrai. J'en rêvais. l'oblitération de la vérité qui par- nalyse a tendance à être asservie
sont les opérateurs pour le traite- Maintenant j'ai fait des progrès, le à travers les signifiants d'un à des besognes mi-soignantes, mi-
ment de l'étrange; l'un dans une ça ne me fait ptus rien. Quand un délire, mais la réception de ce dé- policières; instrument de réédu-
société anthropoémique, l'autre aliéné parle, j'arrive rapidement lire. Suivant Jacques Lacan, Maud cation de l'ego, ou inefficace sur
dans une société anthropophagi- à le classer dans telle catégorie Mannoni décrit la psychose com- les masses, elle ne peut survivre
que. Il reste que l'antipsychiatrie nosographique. Le savoir sur la me une défense du sujet contre sans une réflexion qui mette en
tend à convertir la psychiatrie en maladie, ça vous protège.» (4) une parole étrangère, qu'il ne cause son rapport au collectif et
shamanisme: Laing et Cooper Rejoignant l'étude d'O. Mannoni comprend pas; qui lui vient, ses implications politiques. Maud
suivent le délire du malade, com- sur l'expérience d'Itard, médecin comme tout langage, de l'Autre, Mannoni dénonce un danger
me le shaman, sans en briser l'or- au savoir condillacien, aveugle et qu'il tente d'intégrer en consti- qu'on ne nous avait pas habitué
donnance, et participent à la fo- sur ce que le «sauvage de tuant tout un système qui, dès à craindre, bien au contraire : la
lie, comme le shaman, lui-même l'Aveyron» avait à lui dire, et lors qu'il est fixé par une écoute psychothérapie d'enfant, généra-
toujours caractérisé par son ano- rendu aveugle par ce savoir même, sociale; prend le nom de folie, lisée, systématisée,. devient une
malie. Maud Mannoni a senti la Maud Mannoni écrit: «Le «soi- irrémédiable. forme normative d'éducation, et
difficulté de cette question, qui, gné» sert souvent d:écran à ce Il suffit d'accéder à l'écoute entre dans ce qu'une mère d'en-
sans être résolue par la seule psy- que le soignant ne veut ni savoir que demande le psychotique pour fant analysé, plus consciente que
chanalyse, ne peut cependant pas ni entendre... », et encore: «Une que les formes de ce système ne d'autres, appelle «une complicité
se poser sans son aide. Car c'est certaine de savoir objectivé soient pas figées:· « Cette psycho- de flics:t (7).
elle qui permet de comprendre a laissé dans {ombre tout ce qui, se n'a pas tant besoin· d:être Et voici l'impasse: je cite les
l'aspect transférentiel de la situa- dans le psychiatre (et le pédago- « soignée» (dans le sens d:un ar- deux dernières phrases du livre :
tion de maladie mentale, et d'en gue) se dérobe aux effets produits rêt) que d:être reçue. Ce que « Dès qu'une .société songe à met-
analyser les mécanismes projec- en lui par la présence de la fo- cherche le patient, c'est un té- tre en place une organisation de
tifs. En ce point de rencontre de lie.» (5) moin, et un support à cette parole « soins », elle fonde cette organi-
la psychiatrie, du shamanisme et Ce savoir médical fait partie étrangère qui s'impose à lui.» sation sur un système de protec-
de la psychanalyse, le problème des rapports médecin-malade: (6). Ce témoignage, les malades tion qui est avant tout rejet de la
du politique se pose, d'évidence; car le malade se dit tel selon des de Laing et Cooper le trouvent folie. D'une façon paradoxale,
si la modification institutionnelle repères médicaux; il s'objective dans ce qui ne s'appelle plus ni « {ordre soignant:t promeut ain-
doit s'effectuer, elle supp08e dans des critères diagnostiques, asile ni hôpital, mais lieu d:ac- si la «violence:t au nom de
d'une part une réorganisation du et pose la question de son iden- cueil pour le dire de la folie ; à {adaptation.:t C'est à un autre
symbolique, et d'autre part les tité, non plus sous la forme «Qui travers une mythologie de la «ré- discours de prendre le relais, ca-
transformations sociales attenant suis-je? », mais «Que suis-je ? ». demption» et du «voyage », qui pable d'articuler le psychanalyti-
à une telle mutation idéologique. C'est ainsi qu'apparaissent les demande à être dépouillée de ses que 'et politique.
Une analyse plus précise du sa- aspects rusés de la maladie: la connotations romantiques, voire Catherine Backès-Clément
voir en jeu dans la psychiatrie maladie est une stratégie dans religieuses, il y a là une tentative (1) On lira avec intérêt le numéro
- comme dans le shamanisme - laquelle le malade se trouve, re- qui engage non seulement la psy- de Recherches : Spécial Enfance Alié-
met en lumière ses fonctions connu comme «paranoïaque» ou chiatrie, mais la société tout née, qui contient un texte de Laing :
idéologiques. Foucault nous avait « schizophrène»: «Les fous sont entière. Met&noïa, some experience at Klnc-
les êtres les plus recherchés du C'est pour cette raison que le sley Hall, London. (Décembre 1968).
déjà rendu attentifs à l'évolution (2) Michel Foucault, mstolre de la
du savoir médical; dans le livre monde », dit l'un d'eux, ayant fait livre de Maud s'achève Folie, page 612.
de Maud Mannoni, les exemples ce que Maud Mannoni appelle sur une sorte d'inipasse : psycha- (3) Maud Mannoni, page 28.
sont légion de sa fonction de mé- une carrière asilaire. A ce savoir nalyste, elle ne peut éluder la (4) Ibid., page 27.
protecteur, Maud Mannoni oppose (5) O. Mannoni: Clefs pour l'lma-
connaiB8ance: ainsi, une étudian- question du rôle de l'analyste. rinalre, Maud Mannoni, page U.
te témoigne: «Au début, ça me l'attitude psychanalytique quand Elle constate alors ·qu'en France, (6) Ibid., page 195.
faisait quelque chose, cette parole il s'agit de psychose: non plus comme aux Etats-Unis, la psycha- ('7) Ibid, J)aie 232.

La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au JO septembre 1970


HISTOIRE

Super flumina...

I
L, Oppenheim penheim ne s'intéresse, par prin- timents sont injustifiés: la do-
La Mésopotamie cipe, qu'à l'espace mésopotamien cumentation, quoique mal répar-
Portrait d'une civilisation. propre et il exclut le reste du tie dans le temps et l'espace, est
Coll. «La 8uite de8 temp8 Proche-Orient, même si celui-ci, considérable: 500 000. tablettes
Gallimard éd., 456 p. ainsi la Syrie 'ou l'Elam, a utilisé peut-être à ce jour et des origi-
l'assyro-babylonien naux d'une fraîcheur et d'une hu-
.comme langue de culture. L. Op- manité auxquelles on ne peut res-
De la pencope célèbre qui au- penheim fait, d'ailleurs, justement ter insensible, sauf un certain
rait décidé de la vocation de remarquer que des poèmes, com- nombre de textes dit «de la tra-
Lawrence d'Arabie, l'a88yriologue me l'épopée de Galgamesh ou le dition » inlassablement réédités et
américain L. Oppenheim nous of- mythe du roi Etana, qui nous quelques inscriptions historiques
Ire une 80rte de commentaire dans semblent être les chefs-d'œuvre anciennes, recopiés par des érudits
son livre, publié originellement en babyloniens par excellence, sont néo-babyloniens.
anglais, dans une langue difficile, surtout attestés dans les bibliothè- Un des intérêts de l'ouvrage ré-
et dont on nous propose une tra- ques hors de Mésopotamie, 8ur la side enfin dans les idiosyncrasies
duction française, qui n'est d'ail- côte méditerranéenne, en pays hit- de l'auteur qui prend parti, quit-
leurs pa8 exempte de maladre8ses tite et en Egypte. te à agacer ou à étonner : il dépré.
et qui frôle par instants le contre- cie, par exemple, la médecine ba-
lIen8. Une mosaïque bylonienne, sur le témoignage
Pou8sé par des 8crupules tout à A$sournazvlpa/. tardif, et suspect, d'Hérodote. On
fait honorables de spécialiste, est frappé, au contraire, de l'atti-
La Mésopotamie est composée
L. Oppenheim a donné pour limi- vainqueur habile ou magnanime, tude moderne des praticiens mé-
d'une succession de· tableaux, 8ix
te8 temporelle8 à 80n ouvrage cel- 80utenu par une propagande ef- sopotamiens dont les manuels ma-
chapitres en tout (dont certains
le8 que lui imp08ait 8a connais- ficace dont nous restent quelques nifestent les deux qualités scien-
avaient déjà paru comme articles
sance directe des sources: ausai textes: la Mésopotamie, et sur- tifiques d'acribie dans le diagnos-
indépendants) chacun d'entre eux
bien ne trouvera-t-on aucun déve- tout désormais la Babylonie car tic et de modestie prudente dans
faits de quelques paragraphes,
loppement sur le monde et la l'ancienne Assyrie ne s'était pas le prognostic, bien que nous
sans prétention à l'exhaustivité, li-
culture des Sumériens dont l'ap- encore remise des ravages scythes, soyons bien incapables aujour-
vre qui est donc, plus qu'un « por-
port· dans la constitution de la mèdes et babyloniens, est liée par d'hui de juger des résultats ; en-
8elon le mot de l'auteur,
civilisation mésopotamienne fut une union personnelle au reste core est-il frappant que la magie
ou même une description 8ynthé-
.important et peut-être déci- de l'Empire. La «prise de la soit tenue à l'écart. Certaines af-
tique, plutôt une mosaïque lais-
8if, même après leur disparition à main de Mardouk, le dieu na- firmations ont même des consé-
sée volontairement inachevée pour
la fin du troisième millénaire com- tional, pendant les fêtes du Nou- quences inattendues: L. Oppen-
ne pas. préjuger des découvertes
me entité politique et ethnique. vel An, permettait au 80uverain heim évoque, sans justification, le
futures. Si' certains développe-
Pour prendre un exemple grossier perse, «roi de8 de deve- rôle des chiens de bergers mais,
ments peuvent apparaître banals
mais éclairant : le bilinguisme de nir aussi «roi de Babylone ». s'ils avaient existé, et des preuves
aux yeux des 8pécialistes, ils ap-
fait des scribe8 - assyro-babylo- Xerxè8, excédé par les révoltes de indirectes convergentes indiquent
prendront beaucoup au public cul-
nien, langue vivante au moins jus- prétendants nationalistes, rendit le contraire, 'on ne comprendrait
tivé car ils chassent les 8cories
qu'au VII" siècle et 8umérien, lan- impossible cette politique en ra- plus comment se serait dévelop-
que charrient, avec complaisance,
gue de la religion et pour une vageant le sanctuaire de Mardouk pé le thème du Bon Pasteur, qui
trop d'ouvrages généraux après les
part des techniques - s'est main- et en détruisant sa statue. abandonne quatre--vingt-dix-neuf
avoir emprunté8 à des ouvrages
tenu jusqu'aux Arsacides. Cette brebis pour partir, lui-même, à
caducs depuis des décennies. In-
décision d'Oppenheim le conduit la recherche de la centième, thè-
La Mésopotamie seule sistons au passage, car de non-
à fixer le terminus a quo de 80n me passé de Mésopotamie en Pa-
spécialistes n'y peut-être
ouvrage vers 2300. Il choisit, d'au- lestine et de là, par les Evangiles,
pas sensibles, sur l'importance de
tre part, d'arrêter son exposé à Désormais la Babylonie assu- dans l'iconographie occidentale,
la chronologie qui fait autorité,
l'entrée des Per8es à Babylone. On mait le destin des autres satra- image édifiante du berger portant
et sur la valeur scientifique des
peut le déplorer un peu car tout pie8, mais la culture traditionnel- l'égarée sur ses épaules; Le chien
cartes de tous les sites, qu'on ne
indique que, de même que l'em- le qui s'exprimait toujours par le était en réalité le symbole de la
trouve que là.
pire dit néo-babylonien (612-555) cunéiforme sur tablette d'argile, bête méprisable et inutile, excep-
fut l'héritier authentique, large- continuait dans la capitale comme tion faite pour les noblesses qui
ment légitime et pour une part en province, à Uruk en particu- Un vent salubre gardaient les sanctuaires.
conscient de l'empire a8syrien lier, et même 8e renouvelait: l'au-
qu'il contribua, faiblement d'ail- teur, comme on peut s'en rendre A cet égard, 8i la Mésopotamie
leurs, à détruire, de même l'évo- compte en lisant ses notes biblio- ne faisait que l'état des questions, Etaient-ils heureux?
lution de la civilisation mésopo- graphiques très importantes, uti- elle serait déjà la bienvenue,
tamienne, qu'on peut dès lors lise souvent ces textes tardifs qui mais il y souffie aussi un vent sa- Les Mésopotamiens étaient-ils
appeler traditionnelle, pour l'op- se trouvent souvent être les meil- lubre de critique, il s'y manifeste heureux? Oppenheim, qui ne po-
poser au monde achéménide, hel- leurs ou les 8euls témoins de gran- un goût allègre pour marquer les se pas directement la question,
lénistique puis parthe qui l'en- des œuvres littéraires, religieuses limites de nos connaissances ac- fournit toutefois des éléments de
toure, après le milieu du VI" ou majs il ne tuelles ; et le refus de la complai- réponse : de ses pages montent à
8iècle, ne ressentit que faiblement traite pas, comme tel, on peut le pour des idées toutes faites la campagne l'alalû, le chant ryth-
les ruptures 'politiques. cegretter, de ce dernier 'et très qui s'adrésscn:t, par leur ton polé- mé des moissonneurs, et, à la
Avant Xerxès, il n'en est pas brillant éclat du monde mésopota- mique, à la myopie intellectuelle ville, les rires des buveurs de biè-
de fondamentales: Cyru8 8'est po- mien qui s'achève, comme il avait de certains assyriologues, devient re au cabaret.
sé en succeS8eur des rois précé- eommencé: autour des temples. même du pessiinîsP1e et confine
dent8 'et ce n'est pas là désir de Comme l'indique le titre, . au découragement;' Ces deUx sen- Daniel Arnaud

24
('.4 IIIERS JEAN DAUBIER L.·l P.de CORMARMOND
Histoire de la Hormis
H
f) EC'O l t ,!:'R Tl:.' ET C. DUCHET
révolution culturelle lean-Paul Sartre, Racisme et société
prolétarienne en Chine François Maspero G. CHARACHIDZE ..... Mais il est sans doute suffisant
WOLFGANG que le lecteur referme le livre avec
ABENDROTH Vue, vécue et expliquée de l'inté- ne publie que Le Système religieux la' conviction que personne n'est
rieur par un témoin militant.
HANS HEINZ HOLZ 18.10F
des auteurs étrangers" en Géorgie paienne innocent, même si certains sont
beaucoup plus coupables que
LEOKOFLER (Carrefour) . 60F d'autres". (P. Vidal-Naquet, Le
Monde).
THEOPINKUS 18.10 F
UNION GENERALE CH. MINGUET
Entretiens DES
avec Georg Lukacs Alexandre FERNAND DELIGNY
TRAVAILLEURS de Humboldt, historien
" Les œuvres des nouveaux maîtres
SENEGALAIS Les Vagabonds
à penser de la gauche allemande - et géographe de
Marcuse, Adorno, Walter Benja- EN FRANCE efficaces
min, Habermas - auraient-elles été l'Amérique espagnole ..... 11 est salutaire de lire l'ouvrage
possibles sans l'ébranlement que Le Livre des 60F de Deligny, qui pressent depuis
Lukacs a donné au marxisme, à
l'esthétique, à la philosophie ? travailleurs africains longtemps où est la racine du mal ..
Jamais il n'a été aussi vivant". COLETTE (Lettres Françaises).
(Jean Michel Palmier, Le Monde). en France 14.80 F
11.80 F " Je crois que tout le monde doit JANIAUD LUST
lire ce livre, parce que l'on doit
se rendre compte par des faits, et Nikos Kazantzaki BERNARD
ROGER
non par des théories, uniquement
par des faits du mécanisme de
60 F GRANOTIER
GENTIS surexploitation: et que nous avons
réellement nos colonies à l'inté-
MONIQUE JUTRIN Les Travailleurs
Les Murs de l'asile rieur, comme les Américains.....
Panait Istrati, immigrés en France
(Jean-Paul Sartre, TricontinentaI).
" Mais cela dit, dans l'état actuel
" ... Mais si les sourds n'entendent 14.80 F un chardon déraciné des choses, le livre de Bernard
pas cet appel, c'est à désespérer Granotier reste cependant l'une
de la parole de feu. Celle de 23.70 F
des meilleures sources de rensei-
R. Gentis l'est. Pas l,me parole LORAND GASPAR gnements dont nous disposons, et
polie, "technique". Plutôt un dis- il constitue à ce titre, malgré ses
cours furieux (mais réfléchi des Palestine, année 0 ECOSO.\IIE ET limites, un outil de travail pré-

François
années), un mouvement irrésisti- 1

cieux". (Lutte ouvrière, François


ble (mais étayé par une expérience Un dialogue israélo-arabe. SOC'!.·lljS\/E Duburg).
méditée)". (Michèle Kespi, Le 8.60 F
Nouvel Observateur). 18.10 F
8.60 F
MARIA
ANTONIETTA
MACCIOCCHI
Maspero WLODZIMIERZ BRUS
' , ,
Pro blemes generaux
D.D. KOSAMBI
. .. .
du fonctionnement de Culture et CIVIlisation
VASSILIS 1 place Paul-Painlevé
VASSILIKOS Lettres de l'intérieur Paris se l'économie socialiste dans l'Inde ancienne
20.80 F 23.70 F
Hors les murs du Parti
"Ce que l'on retrouve dans le pré-
sent volume c'est le Vassilikos de Z,
" Reportage d'une vie et d'une jus-
BIBI_ID TIII?Ql 'E A.EMMANUEL BARRIGTON
tesse remarquables, réflexion poli-
avec son don assez extraordinaire tique sur les rapports du P.e. et L'iEchange inégal MOORE
de donner vie, de restituer l'exis- des masses sous prolétarisées..... SOC '!.·l LISTE Les origines sociales
tence dans son mouvement et ses (Le Monde). Introduction et remarques théori-
détails". (Jean Gaugeard, Lettres ques de Charles Bettelheim.
Françaises).
23.70 F GEORGES HAUPT 23.70 F
de la dictature
14.80 F ET JEAN-JACQUES et de la démocratie
Batasuna, MARIE CHARLES .....C'est un ouvrage de base à rete-
la répression BETTELHEIM nir, dont la lecture est à conseiller
PAUL Les Bolcheviks à qui veut essayer de comprendre
au Pays Basque Calcul économique et notre époque". (Bulletin critique
LIDSKY Un livre noir, précis, atroce et
par eux-mêmes du Livre Français).
accablant sur la terreur franquiste "Le, commerçant permanent de formes de propriété 26,70 F
Les Ecrivains aujourd'hui. la Révolution, l'éditeur François
14.80 F
Maspero, vient de publier - le fait
contre 11.80 F
mérite d'être souligné - un ouvrage C. WRIGHT MILLS
la Commune
important". (Jeune Révolution- CHRISTIAN
naire).
PALLOIX L'Elite du pouvoir
23.70 F .. Mills, le célèbre sociologue amé-
" Avec une probité parfaite, l'au-
teur n'avance rien qui ne soit RtEnITIO.\S Problèmes ricain dénonce le mécanisme du
étayé par des textes... Livre à lire pouvoir dans la société et l'Etat
et à méditer". (Martin Fort, ES r·lC-SI.\/ILl.: SAMUEL de la croissance américain, avec ce non-confor-
La Quinzaine Littéraire). BERNSTEIN en économie ouverte
misme qui ne sort pas des limites
du conformisme américain, pour
14.80F
KARL KAUSTSKY Auguste Blanqui 18.10 F qui la lutte des classes n'existe
pas". (La Nouvelle Critique).
" ...Cette biographie est aussi celle 23.70 F
P.M.SWEEZY La Question Agraire de tout le 19" siècle, et l'on parti-
15 F
cipe avec passion à la deScente de TI:'" \' fI,'S
ET Bernstein dans le dédale des socié- A.S. NEI(,L
CH. BETTELHEIM tés secrètes qui grouillent sous les .ll.'.·lPPll
LENINE - ZINOVIEV monarchies, l'Empire et la Répu- Libres enfants
blique" (Le Monde).
Lettres CH. BLANCHE de Summerhill
sur quelques Contre le courant 23.70 F
BENVENISTE .. Pourquoi une expérience aussi
2 vol. - chaque: 15 F positive, aussi nécessaire à une
problèmes actuels KARELKOSIK ET A. CHERVEL époque où tout le système de l'en-
du socialisme A.NEUBERG La Dialectique L'Orthographe seignement, de la maternelle à
l'Université, se révèle en faillite,
CHINE - U.R.S.S. - CUBA "Un essai qui me semble bien être est - elle si rare?" ( L'Express,
TCHECOSLOVAQUIE. L'Insûrrection arniée du concret une bombe". (Lettres Françaises) Madeleine Chapsal). !il
5.90F 15 F 14.80 F 18.10 F 23.70F
Naissance de l'anarchisme
1
Pierre Ansart de Marx, mais encore que leur geois... dit toujours: d'un côté, pour modèle, dans le réel de son
Marx et (anarchisme modernité et leur ouverture à nos de (autre côté. Deux courants temps, le secteur artisano-manu·
P.U.F. éd., 556 p. difficultés d'aujourd'hui sont aus- oposés. contradictoires. dominent facturier et l'extrapoler à la tota-
si grandes. ses intérêts matérieLS. et par con- lité de la société.
séquent, ses vues religieuses,
1 Naissance de (anarchisme
P.U.F. éd., 261 p.
Thèses universitaires, ces deux
ouvrages ont les grandes qualités
qu'exige le genre: le sérieux dans
scientifiques et artistiques. sa m0-
rale. enfin son être tout entier.
Au niveau artisano-manufactu-
rier, le rapport de l'homme à 80n
8emblable n'est pas «médié. par
la documentation et l'opiniâtre· Il est la contradiction vivante. des institutions bureaucratiques.
Les deux ouvrages de Pierre dans la démonstration, mais ils Sil est, de plus, comme Proudhon Il s'agira donc de préserver ce ca-
Ansart que viennent de publier en ont aussi les défauts agaçants. un homme d'esprit. il saura bien- ractère essentiel lorsqu'on passera
les Presses Universitaires de Fran- Notons en particulier la complai- tôt jongler avec ses propres con- du petit groupe de producteurs à
ce: Marx et (anarchisme et Nais· sance de certaines références et tradictions et les élaborer, selon la totalité d'une société. La chose
sance de (anarchisme, ne 80nt surtout la prise en trop grande les circonstances, en paradoxes est possible, affirme Proudhon.
pas, malgré leur titre, une étude considération d'affirmations qui frappants. tapageurs. parfois bril- Elle exige que soit répudiée toute
de l'anarchisme comme doctrine n'avaient pour elles que d'être cel- lants. Charlatanisme scientifique organisation macro-centralisatrice
sociale et mouvement politique. les du directeur de thèse - en et accommodements politiques qui permet à l'Etat de manifester
Ce qui intéresse l'auteur ce sont l'occurrence G. Gurvitch. sont inséparables d'un pareil point sa puissance oppressive, et que
ces penseurs de la société indus· C'est l'œuvre touffus de Prou- de vue.» soit inventé un mode d'articula-
trielle commençante que l'ombre dhon qui retient surtout Pierre Ansart organise son étude au- tion qui laisse les petits groupes
de Max:x a plongés pour un long Ansart. A elle il consacre une tour d'une question qui, il faut développer leur spontanéité. Ainsi
temps dans la nuit ou que la clas- bonne partie du premier ouvrage le souligner, est dans la tradition se constitue un espace social hUe
sification somaire d'Engels. entre et la totalité du second. Déjà, marxiste. Il recherche les homo- main dans lequel la décision reste
«socialisme scientifique:. (celui l'an pa88é, il avait fait' paraître logies structurales possibles entre sous la dépendance de ceux qui
de Marx) et «socialismes utopi- une Sociologie de Proudhon les ensembles intellectuels qu'j} ont à la supporter et n'apparaît
ques:. (les autres) a rejeté du (P.U.F.). TI s'inscrit ainsi au tout découpe dans l'œuvre de Prou- pas entourée du mystère de sa
côté des rêveurs .ou des moralistes. premier rang de ceux qui veu- dhon et des structures sociales de source et de la toute-puissance de
Etudiant Saint·Simon et Proud- lent réhabiliter la pensée de ce- son époque, cela dans le but d'in· son impérium.
hon, Ansart veut montrer que lui dont Marx disait : tégrer dans une même totalité le Le thème du mutualisme qui
leur œuvre, non seulement s'ins- « N>ayant jamais compris la dia- discours proudhonnien et 80n cristallise le principal du proud.
crit dans le même temps et le lectique scientifique il ne parvient monde réel. honisme permet à Ansart de se
même questionnement que celle qu'au sophisme. Le petit.bour- On a souvent imputé aux mar- questionner sur l'actualité de
xistes un schématisme qui résulte· Proudhon, sur la valeur de ses
rait de la fonction productrice di· intuitions et utopies dans la so-
recte et· unilatérale qu'ils accor' ciété d'aujourd'hui, ce qui est une
dent à l'économique. Le reproche, façon de confronter notre société
s'il est fondé pour nombre de à ses origines et de conclure à l'in·
travaux contemporains, l'est moins térêt de connaître Proudhon pour
quand on lit Marx et qu'on dé- penser notre époque et ses pro-
couvre son perpétuel souci de te- blèmes.
nir compte de tout ce que le réel C'est le privilège du XIX· siècle,
présente comme complications et ce temps où naît la société indus-
contradictions. Ansart, à qui on trielle dans un bouillonnement ri-
ne saurait faire le reproche de che et confus d'idées et de rêves,
schématisme, répudie la relation que d'y voir recensées toutes
de causalité au profit d'un mar- les formes de pensées possibles
xisme très proche explicatives du phénomène nais-
de celui de L. Goldman: cha- sant. Aussi n'est-il pas une seule
que niveau social (politique, cul- théorie, pas une seule utopie qui
turel, juridique, etc.) n'est en ne puisse, un jour ou l'autre, et
correspondance avec les autres selon les avatars de l'histoire et
que dans la mesure où il expri- les aspects de la conjoncture,
me - dans sa forme et selon être qualifiée d'intuition géniale;
ses lois structurales propres - la pas un seul penseur des débuts
totalité sociale. Et si l'économique du XIX· siècle qui n'ait sa chance
reste bien le déterminant «en de se voir érigé en penseur de
dernière instance », dont parle notre devenir.
Marx, son effectuation est si loin· Ansart nous montre - et il a
taine, si réfractée par la complexi. raison - qu'aujourd'hui la ques-
té des articulations, qu'on peut tion est posée d'une demande li-
- presque '-- la mettre entre pa· bertaire contre les oppressions bu·
renthèses. reaucratiques. Il nous révèle
L'auteur veut aller plus loin et l'actualité de Proudhon, cette
c'est son originalité. TI veut nous actualité qu'il avait annoncée
faire connaître en quelque 80rte avant que mai 1968, dans le fracas,
la génèse inconsciente-consciente ne semble lui accorder le satis-
de la pensée de Proudhon. Nous fecit de l'histoire.
voyons ainsi Proudhon prendre André Akoun

26
Une nouvelle collection
RELIGIONS internationale.-d'histoire
L'AVENTURE
DES
Eckartshau'sen CIVILISATIONS
Une collection audacieuse. insolite, sti·
mulante qui renouvelle le cadre tradi·
tionnel du document d'histoire et ré .
pond, à travers l'expérience du passé,
aux interrogations les plus brOlantes
le titre est aussi kafkaïen que le une place déterminante dans le de notre temps.
thème : des punaises dévorent les déroulement de la pensée.. Un IIYs·
yeux d'un enfant, et cet enfant
déjà parus:
tème théosophique, .comme une
est un bâtard. Comme il est un pensée poétique, est centré sur SIR CECIL
fils sans père officiel, Eckarts- l'idée de correspondance, et se MAURICE BOWRA
hausen est un théosophe sans maî- développe en répétitions harmo-
tre; ce qui est grave quand on niques. Pour Eckartshausen, il n'y
sait l'importance primordiale dans a pas de solution de continuité
l'initiation de la tradition, de la entre noumène et phénomène;
continuité, de la filiation spiri. la création constitue une chaîne
tuelle. Sont-ce ces raisons qui le ininterrompue. Les nombres sont
rendr.ont d'une fidélité absolue à comme les images d'une unité
l'égard du Prince Karl.Theodor, primordiale, d'une harmonie fon-
et des Jésuites, dont à Ingolstadt damentale (p. 244). Ils ne sont pas
il a été l'élève ? les instruments d'une énumération
Quand, en 1784, Eckartshausen du monde, mais de sa coordina-
parle De rintolérance littéraire de tion ; ce sont les enveloppes invi·
notre siècle, il évoque celle qui sibles des choses. Si les significa-
Antoine Faivre s'exerce contre la religion et con· tions individuelles des nombres
et tre la Les fonctions relèvent assez directement de la L'Expérience
1 la. chrétienne de Conseiller aulique, puis de kabbale chrétienne,. le .plus inté·
18 planches Conseiller secret, l'amènent à ressant est la loi qui les relie. grecque
Klincksieck, éd., 790 p. approcher les' prisonniers et à Tous les nombres de du IX" au IV·
s'intéresser à eux. Bien que le l'unité, si bien que pour.compren· siècle av. J.-C.
Ce 1ivre est une thèse; il contenu de son discours Sur la
en a le poids et les qualités. nécessité des connaissances phy,
dre un nombre, il faut compren·
dre les nombres qui le précèdent, FRIEDRICH HEER

L'étendue de l'information, la siologiques en matière criminelle remonter à travers eux jusqu'à de l'Université de Vienne
sûreté de la bibliographie (p. 98) soit pas précisé, on l'unité. Leur progression ne cor·
font d'une.. simple monogra- peut l'inférer du tableau que respond pas à une dégradation, au
phie, si je suis qualifier de dresse A. Faivre des quatre tem· passage de l'unité à la pluralité
simple monographie un livre péraments (sanguin, flegmatique, par la division; on ne s'enfonce
de cette ampleur. un volume colérique, mélancolique), et des pas d'autant plus dans la matière
de consultation, d'autant plus qui les lient s'éloigne du Principe.
utile que l'œuvre et la per- (p. 307). Le rapport' d'un système Les mathématiques ne s'appli.
sonne d'Eckartshausen de- ancien et de l'expérience peJ;" quent pas seulement au monde
meuraient mystérieuses en sonnelle intrigue; en soulignant sensible, 'mais à tous les domai·
dépit de citations fréquentes que l'espace où se meut Eckarts· nes de la pensée. Ils sont le fon-
de son nom par Gœthe. Schil- hausen est essentiellement reli· dement de la connaissance, étant
ler. Herder. Gogol. Tolstoï. gieux, symbolique et mythique' celui de l'organisation du monde.
(p. 216), Antoine Faivre dissocie Ils sont d'une aide efficace pour
S'il exprime sa morale par la la biographie d'un être situé et
voie du théâtre, s'il emprunte contingent de l'exposé d'une pen·
l'explication de la mythologie,
pour celle des rapports de Dieu
L'Univers
facilement son vocabulaire à l'al- sée pérennielle. Ce qui, en ce cas
précis, donne raison à Faivre,
et du Christ, du Christ et de du moyen âge
chimie (Faivre publie, en appen- l'homme, de l'homme et de la
dice, une étude inédite de Canse- . 'c'est que la vie et l'œuvre n'obéis· 'nature. L'amour est le premier
ERIC HOBSBAWM

liet) , Eckartshausen demeure es- sent pas au même rythme: nombre ; le mal est un désordre, de l'Université de Londres
sentiellement théosophe, et se pensée d'Eckartshausen lui est il naît dans le temps, mais le
situe dans la tradition initiaque dès l'origine entièrement donnée; temps n'est pas le mal en soi;
de Boehme, Swedenborg, Saint- elle ne variera pas. il est le lien entre la cause et la
Martin. L'œuvre est traversée et soute· conséquence ; il est une forme de
Eckartshausen naît en 1752. nue par une méditation sur les la progression de l'unité et peut
Fils de Karl von Haimhausen et nombres qui prend son aspect doc· s'ordonner en grande heure, en
de la fille de son intendant, Maria trinal dans deux ouvrages: la grand jour, en grande année.
Anna Eckart, il portera un nom Science des "ombres (1794), la Pour qui même n'est pas théo-
de fabrication composé de celui de Probaséologie' (1795), et qui l'ex- sophe, la lecture du livre d'An·
sa mère (à l'orthographe incertai- prime d'une ,maniàe figurée dans toine Faivre est éclairante. Les
ne) et des dernières syllabes de une série de dix.sept rêves symbo- problèmes étudiés concernent di·
celui de son père: Eckart-hausen. liques (1792). Certes, ces rêves rectement le romantisme alle·
Cette naissance que l'on dit illé- témoignent d'une conscience éveil· mand, mais aussi toute une part
gitime pèse assez lourdement sur lée singuJièrement attentive aux de la littérature française. Senan·
lui pour que, de 1778 à 1786, dix· allégories, mais Antoine Faivre a
sept ans avant sa mort; il coqsa· raison de remarquer que, dans
cour a pu connaître Eckartshau·
sen, mais les pages qu'il consacre
L'Ere des
cre quatre ouvrages à la bâtardise. ces calculs arithmosophiques, il aux nombres dans Oberman sont révolutions
Bien qu'Antoine Faivre n'en ca· entre une bonne part d'intuition ironiques; en revanche, Neival et 1789-1848
che pas.la faiblesse littéraire, je (p. 448). Les nombres qui appa· Balzac aliraient pu être
regrette qu'il ne cite pas quelques raissent à différents niveaux de par cette construction.
pages du Journal d'un juge, dont la méditation, occupent toujours Jean Roudaut

La Q.!!inzaine Littéraire, du 16 IlU JO septembre 1970 27


Prospective marxiste
POLITIQUE

I
Léon Lavallée objet puisque l'erreur ne serait tenir pour quantité négligeable, traintes que toute décision doit
une prospective
plus sanctionnée...). alors que sous le nom d'« environ· respecter sous peine d'irréalisme,
11UJrxiste Prenant ensuite le Manifeste du nement:. il est en train de pren- elle ne dispense pas de choisir en-
Coll. «Problèmes:. parti Communiste comme proto- dre une importance qui n'est pas tre voies de développement égale-
Editions sociales, 190 p. type d'une réflexion prospective, seulement de l'ordre du mythe ment plausibles au regard de ces
l'auteur en déduit que tout exer- (1). contraintes, et ne fournit en tout
cice de ,prévision à long terme doit Après une description rapide cas aucune indication du genre :
Si l'on convient de définir la s'appuyer sur les relations de dé- des méthodes de prévision utili- il faut développer l'industrie spa-
prospective comme l'élaboration pendance qui existent entre les sées, le livre s'achève par une tiale plutôt que celle des trans·
systématique d'images d'un ave- variables caractéristiques d'un partie intitulée «Essais d'appli. ports terrestres (ou l'inverSe).
nir éloigné à l'usage des déci- système social, en commençant cation >, qui m'a paru très inéga- En bref, dans un univers en
deurs présents, il faut reconnaî- évidemment par les variables ex- lement convaincante. On y trouve changement rapide, il est sage
tre que, d'une part cette activité plicatives - en l'occurrence les des vues prospectives, au meilleur d'être attentif aux formes possi-
s'est développée dans les pays de forces productives - ce qui est sens du terme, sur l'avenir du bles et probables du développe.
l'Ouest d'une manière assez indé- cohérent avec sa définition de système d'enseignement supérieur ment scientifique et technique,
pendante des milieux intellectuels la prospective comme un repé- que Léon Lavallée envisage com· mais on aurait singulièrement tort
marxistes, et d'autre part que les rage des «caractéristiques les plus me pleinement intégré au systè- d'en conclure que l'évolution des
pays de l'Est «font:. de la pros- générales du développement de la me de production, de façon à ce mentalités nous est donnée du mê-
pective même s'ils l'appellent d'un société à long terme:. (p. 59). Or que se multiplient les chances de me coup: en moins de vingt ans,
autre nom (par exemple «pro- ces forces évoluent selon un sché· fécondation réciproque. Par con· la comparaison des taux de crois-
gnose»). Le livre de Léon Laval- ma que l'on peut en di· tre, il est difficile de suivre l'au- sance russe et américain, à la-
lée a ainsi pour obje de situer le sant que depuis le siècle, la teur lorsqu'il affirme (pp. 140- quelle Léon Lavallée attache
travail de conjecture par rapport relation causale production.tech. 141) que « seule l'analyse beaucoup de prix (et en tant
à une démarche intellectuelle de nologie.science tend à s;inverser, prospective pernianente :. peut qu'économiste je ne puis que l'ap-
type marxiste. et à faire de la science l'élément permettre de dégager les priori- prouver) a cessé aux yeux de l'opi-
Très naturellement. il commen- dominant: dès lors «le passage tés à inscrire dans le plan natio- nion éclairée d'être un élément-
ce par dégager les raisons les plus de la science à la première place nal, et que la science économique, clé de la concurrence des régimes
générales pour lesquelles le re- dans le processus de production « avec ses catégories de rentabili- économiques, alors que le pro-
cours à la prévision à long terme (...) impose que toute prévision té, de développement proportion- grès scientifique et technique con-
devient de plus en plus néces· complexe parte de la prévision né, etc. », ne peut apporter tinue apparemment de jouer le
saire. Cette nécessité tient d'abord dans ce secteur» (p. 48). aucune réponse. Cette proposition même rôle moteur. Marxiste ou
à la combinaison d'un niveau éle· Quelles sont alors les variables est partiellement vraie, en ce pas, la prospective ne devra-t-elle
vé des forces productives et d'un « expliquées:. (ou dépendantes) ? sens que le calcul économique (qui pas tôt ou tard tirer la leçon de
taux d'accroissement rapide de ces Si l'on se réfère à l'exemple des n'a· d'ailleurs rien à voir avec ce changement d'optique, et se
mêmes forces et en second lieu à travaux soviétiques sur l'avenir à le développement proportionné, débarrasser d'une conception un
la compétition qui règne entre ré· long terme, on voit se dessiner la c'est-à-dire avec la cohérence), peu trop étroitement mécaniste de
gimes économiques rivaux (notons hiérarchie suivante: sciences et n'apporte qu'un critère parmi la dynamique sociale ?
que ce raisonnement vaut égale. techniques, développement écono- d'autres. Mais elle ne l'est que
ment à fintérieur d'un régime mique et social, superstructure partiellement, car si l'estimation Bernard Cazes
économique ou d'un Etat·nation : politique (y compris la défense des tendances lourdes procurée Voir le livre récemment paru
(1)
supprimez toute concurrence, et la nationale), et enfin l'espace «géo- par une bonne prospective pero $ professeur Jean Dorst, Avant que
prévision devient à peu près sans cosmique », que l'auteur semblé met de mieux percevoir les con· nature meure <Editions du Beuil).

expulsé de son parti à cause des posi ditations sur le travail du poète, sur essais sur la vie sociale des primitifs
INFORMATIONS tions qu'il fut amené à prendre à la sa condition d'homme cfémunl et incer· (voir le n° 50 de la Quinzaine), les
suite de l'affaire tchécoslovaque. L'ou· tain: Paysages avec figures absentes. éditions Payot publient un ouvrage pos-
vrage, qui a pour titre général Art et thume du grand ethnologue britannique
Dossiers Bronislaw Malinowski (dont Maspero
des Lettres nouvelles coexistence, réunira deux volu· Divers essais
mes: le premier, intitulé A la recher- nous a proposé récemment un essai
che de la vérité et groupant une série intitulé une Théorie scientifique de la
Dans la collection des «Dossiers d'études critiques sur la littérature et Avec Diderot, de l'athéisme au colo- culture, repris au format de poche
des Lettres Nouvelles. paraît, sous le l'art (notamment sur Beckett, Soljé- nialisme (Maspero), Y. Bénot nous dans la collection « Points. du Seuil) :
titre de Silence, un Important ouvrage nitsyne, Goya), le second se présen· donne de l'œuvre de l'auteur de Jac· les Dynamiques de l'évolution cultu-
qui regroupe une vingtaine de confé· tant comme une sorte d'autobiographie ques le fataliste une analyse nou- relle, étuoe consacrée au problème
rences et d'articles où le compositeur politique de l'auteur ayant pour titre velle, qui la replace dans son contexte du contact culturel - dans le cas pré-
John Cage expose ses conceptions en Souvenirs et réflexions. historique et met avant tout l'accent cis des Blancs et des Noirs en Afrl·
matière de musique expérimentale. Le sur ses contradictions et sur son idéo- que.
public français pourra ainsi faire con- logie de base, c'est-à-dire l'athéisme. Chez le même éditeur, paraît une
naissance avec ce chercheur infati- Bibliothèque des idées Proviseur du lycée de Nîmes, Robert étude sur le «terrain. dans la pers-
gable, fortement marqué par les in· Brechon s'appuie sur une longue expé- pective de Reich, par un jeune psycho-
f1uences des maîtres Zen, et dont les Dans la «Bibliothèque des Idées. rience de l'enseignement pour nous sociologue: Erotisme afrlc:ain (le c0m-
happenings musicaux, les écrits et les (Gallimard), est annoncée pour sep- donner, dans la Fin des lycées (Gras- portement sexuel des adolescents gui-
conférences ·ne manquent Jamais de tembre la célèbre étude de Mlckhail set), le témoignage direct de quelqu'un néens) de Pierre Hanry, tandis que sous
susciter aux Etats-Unis ·ou l'exaspéra- Bakhtine sur Rabelais, dont notre col· du métier sur la vie· actuelle dans le titre de la Peur des femmes, Wolf-
tion ou l'admiration la plus enthou· laborateur, Ray Ortall, avait rendu les lycées et sur les problèmes que gang Lederer publie un ouvrage sur le
!llaste (DenoëJ) . compte dans le n° 69 de la Quin- pose aujourd'hui l'enseignement secon· thème de la peur de la castration li
Dans la même collection, on pourra zaine. Chez le même éditeur, Philippe daire en France. travers les mythes, les légendes et les
lire un choix d'essais d'Ernst Fischer, Jaccottet nous propose un ensemble Après la Sexualité et sa répression religions, de la préhistoire li nos
communiste autrichien récemment de textes sur la campagne et de mé- dans les sociétés primitives et Trois jours.

28
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L

La Q!!inzaine Littéraire, du 16 au 30 septembre 1970


LES REVUES

Jean-Pierre Meylan: en firent une revue Intéressante, utile thédrale. mais une simple • chambre Pedro Salinas, Blasco-Ibaiiez, donnant

1
lB Revue de Genève, miroir mais aussi fragile. 'de compensation. susceptible de re- également à la revue des notes de
des lettres 1920-1930, Dix ans, c'est pourtant une durée grouper les opinions d'hommes diffé- voyage et un roman: le PBYS qui n'est
librairie Droz éd., appréciable. Universelle dans sa dif- rents • afin qu'ils s'expliquent ., à personne.
626 p., Genève. fusion - elle eut, à un certain mo- souhaitant • des accords raisonnables
ment, autant d'abonnés au Brésil qu'à conclus par des hommes lucides., Au fil des mois et des 126 som-
Genève - , lB Revue de Genève ac· donnant aux composants d'une Europe maires riches d'environ 600 collabo-
On peut se demander, cinquante ans complit dans le domaine littéraire ce morcelée l'exemple de la Confédéra- rateurs, on trouve Barrès (/e Génie
après sa naissance, ce que repré- qui, en politique, aurait pu être la. tion helvétique, où des ethnies hété- du Rhin), Montherlant, Mauriac,
sente cette Revue de Genève dont tâche de la S.D.N., apparaissant com- rogènes cohabitent. il y aurait beau- Proust, Gide (réponse à une enquête
l'existence fut liée en partie à l'insti- me une • forme anticipée de l'UNES- coup à dire sur Robert de Traz, et, sur l'Avenir de l'Europe, 1922), ainsi
tution de la Société des -Nations. Pen- CO., en contribuant au mouvement par exemple, sur sa campagne contre que nombre d'auteurs étrangers: Ril-
dant ses dix années de parution - d'échanges littéraires internationaux • l'Ere de l'Irrationnel., où il mêle ke, Hofmannsthal, Gorki, D'Annunzio,
de Juillet 1920 à décembre 1930 - , de l'après-guerre, s'efforçant par ail- dans ses condamnations Gracq, Pau- Pirandello, Joyce, Ortega y Gasset,
à une époque particulièrement abon- leurs de révéler des auteurs Inconnus lhan, Blanchot, Néldeau et Klossowski Kierkegaard, Freud ... Il n'est pas pos-
dante en œuvres fortes et en cou- ou peu connus de tous les pays.• Sa (Revue de PBris, mars et juillet 1948), sible d'énumérer tous les collabora-
rants nouveaux, la Revue de Genève, mystique, dit M. Meylan, imprégnée tout en plaidant confusément en fa- teurs, ni certes de les considérer
portée par l'esprit de la S.D.N., appa- de l'Esprit de Genève que Robert de veur de Barrès, de Loti et d'Anatole tous d'un même œil. Robert de Traz
raît à la fois comme un organe litté- Traz a revalorisé, a préconisé cet hu- France. . ne publia-t-i1 pas (peut-être par quel-
raire et comme une tribune de débats manisme qui fut invoqué lors des Mais la Revue de Genève n'aurait que souci d'information...) un discours
internationaux. Les prospectus de Rencontres internationales de Genève probablement pas occupé la place d'Hitler (en juin 1923 il est vrai) et
souscription portent: • Internationale, après la Seconde Gerre mondiale.• qu'on lui reconnaît si elle n'avait eu un texte de Mussolini sur Machiavel
sans être internationaliste. et • inter- On saura gré à l'auteur d'avoir élar- comme collaborateurs Albert Thibau- (septembre 1924) ?
sociale, sans être socialiste •. gi son étude en s'attachant à la for- det (on sait qu'il fut professeur à
tune littéraire des principaux collabo- l'Université de Genève), Valery Lar- La Revue de Genève disparaît après
Les devises sont moins ambiguës rateurs de la revue, opérant, en quel· baud, Charles du Bos, et tant d'autres, décembre 1930: Robert de Traz la
pour nous sans doute que pour les que sorte, une coupe synchronique de de Denis de Rougemont à Daniel Ha- saborda • dans un accès de pessimis-
lecteurs de 1920. Robert de Traz l'époque. Ainsi les pages qu'il consa- lévy et Franz Hellens. En janvier 1926, me légitime, alors que l'Europe était
(1884-1951) tout imprégné de barré- cre à Robert de Traz lui-même qui, Jacques Chenevière en devient le co- aux prises avec les fascismes et que
slsme au moment où il prit la direc· outre sa participation active à lB Voile directeur; son influence sera capi- les puissances boudaient la S.D.N.•
tlon de lB Revue de Genève ne fit latine (avec Ramuz et Cingria), fonda tale: c'est par lui que viennent à la Ainsi s'achève la vie d'une revue aux
pas de celle-ci une tribune • libre ., les Feuillets au sous-titre· significatif revue les représentants de ce que aspects multiples, voire contradictoi-
mals un lieu de rencontre marqué de • revue mensuelle de culture suis- M. Meylan appelle • un nouveau ro- res, que l'intelligente et scupuleuse
d'un libéralisme plus net en littérature se •. Doté d'une conscience européen- mantisme., animé principalement par analyse de M. Meylan nous perment
qu'en politique ... M. Meylan, dans le ne, c'est tout naturellement mais non les membres du • Brambilla Club., de situer dans l'histoire littéraire -
gros ouvrage qu'il vient de consacrer sans mal que Robert de Traz se lan· Jean Cassou en tête qui, prospecteur sinon dans l'histoire tout court.
à lB Revue de Genève, analyse serei- ça dans la bataille pour une Europe et traducteur, amena les publications
nement toutes les composantes qui unie, ne voulant pas bâtir une • ca- d'œuvres de Unamuno, Eugenio d'Ors, Michel Bourgeois

C'est un bilan pessimiste de notre De Gaulle la responsabilité politique et sociale


INFORMATIONS époque, un véritable réquisitoire con· du psychanalyste en matière d'urba-
tre tous les fondements de la société nisme et d'environnement: Psychana-
actuelle que dresse Alain Gourdon Chez Fayard où, dans la collection lyse et urbanisme (Réponse aux pla-
Quatre nouveaux titres dans la col- dans le Temps des obsèques (Fayard), des • Grandes études historiques., nificateurs) et, dans la • Bibliothèque
lection • R • de Balland (voir le n° 94 tandis que dans ses Réflexions au Ferdinand Lot publie avec la Naissance des Sciences Humaines., un recueil
de la· Quinzaine) : les Gnostiques, par bord du gouffre (Laffont), G. Picht de la France, une étude consacrée à d'articles où Georges Devereux pré-
Jacques Lacarrière, essai dans lequel tente, de montrer que les savants du l'histoire de notre pays jusqu'à l'avè- sente le bilan de ses recherches dans
l'auteur se livre à une réflexion sur monde entier doivent faire un effort nement d'Hugues Capet qui fait suite le domaine de l'ethnopsychiatrie: Es-
ce thème mystique jusqu'à l'époque pour sauver le monde de demain mis à son précédent ouvrage, la Gaule, sais d'ethnopsychiatrie générale, ainsi
contemporaine; les Ecrivains en prie en péril par les hommes d'aujourd'hui. Pierre Viansson-Ponté nous donne le qu'un ouvrage de critique sociale paru
son, où, de Saint Jean de la Croix à premier tome de l'Histoire de la répu- en 1899 mais qui, ainsi que s'en expli·
Jean Genet, la romancière Françoise blique gaullienne, embrassant la pé- que Raymond Aron dans la préface
d'Eaubonne évoque les écrivains qui, riode qui va du 13 mai 1958 à Alger qu'il lui consacre, • a vieilli sans se
en tous temps et en tous pays, eurent De Joukov à l'Algérie jusqu'à la fin de juillet 1962, après la rider.: Théorie de la classe de 101·
des démêlés avec la justice; les Can- paix et l'indépendance de l'Algérie: sir, par Thorstein Veblen; aux édi-
gacelros, par Christina Matta Machado, la Fin d'une époque (collection des tions E.S.F., le Rêve éveillé dirigé, où
traduit du brésilien par Gilles La· Autres titres: le tome Il des Mé- • Grandes études contemporaines.). le Dr Myriam Fusini Doddoli expose
pouge; les Dandys, évocation du moires du Maréchal Joukov, qui com- tous les aspects de cette méthode.
thème du dandysme à travers les âges, mence à la veille de la bataille de De Gaulle et l'Histoire de France. les problèmes qu'elle pose et son
des formes antiques aux formes les Stalingrad et s'achève un an après Trente ans éclairés par vingt siècles utilisation et, par A. Hesnard, une
plus actuelles, par Emilien Carasslls. l'installation du gouvernement militaire est le titre d'un ouvrage à paraître étude intitulée de Freud à Lacan et où
soviétique en Allemagne orientale; aux éditions Albin Michel et où l'his- l'auteur s'efforce, au-delà d'un aperçu
Réponse des savants l'Egypte éternelle, par Pierre Montet, torien Edmond Pognon s'interroge sur historique du mouvement psychanaly-
panorama de la civilisation égyptienne les postulats autour desquels Charles tique français, de délimiter le véritable
depuis les origines jusqu'à la con· de Gaulle devait ordonner les lignes horizon de la psychanalyse comme
Il y a trois ans, Jacques Monod, quête du pays par Alexandre le Grand; de force de sa politique. anthropologie; chez Stock, Espoir et
Prix Nobel de Médecine 1965, pronon- l'Heure des colonels, troisième volume révolution, tentative d'analyse origi-
çait au Collège de France une leçon de la Guerre d'Algérie, par Yves Cour- Freud, Lacan, etc. nale du monde actuel et des réactions.
inaugurale qui fit grand bruit (et qui rière (ces trois titres sont à paraître d'hostilité des jeunes, par le célèbre
servit de point de départ à P.H. Simon chez Fayard); les Révolutions du psychanalyste américain Eric Fromm;
pour sa Lettre aux savants publiée aux xx· siècle, étude historique, sociolo- Signalons également, aux Editions de chez Hachette, deux ouvrages consa·
éditions du Seuil en 1969). Reprenant gique et politique du phénomène révo- Minuit, dans la collection • Le sens crés à l'agressivité collective: l'Infan-
les thèmes de cette leçon, précisant lutionnaire contemporain sous tous les commun ., un livre paru en Angleterre ticide différé, par le créateur de la
et développant très largement les climats, par Pierre Lepape (Denoël); il y a près de dix ans et qui fit couler • Polémologie., Gaston Bouthoul, et
Idées provocantes qu'elle formulait. les Loups dans la cité (titre provi- beaucoup d'encre chez nos voisins l'Homme furieux, par Fausto Antonlnl,
Jac:aues Monod donne aujourd'huI soire), par Paul Henissart, Journaliste d'Outre-Manche: la Culture des pau- chez Grasset, un document écrit avant
liasard et la nécessité le point américain qui fut correspondant à AI· vres, par Rie ilard Hoggart; chez Gal- sa mort par une grande gynécologue
de vue d'un biologiste sur tout un ger et qui nous propose ici une vision limard, par l'auteur de Vers la société psycho-somaticienne, Hélène Michel-
ensemble de problèmes philosophiques fort Inattendue et une documentation sans pères, Alexander Mitscherlich Wolfromm:
qui concernent de façon cruciale très riche sur la dernière année de (voir le n° 81 de la Quinzaine), un Cette chose-Ià (Les problèmes
l'homme actuel (Seuil). "Algérie française (Grasset). essai consacré li un nouvel aspect de sexuels de la femme française).

30
Livres publiés du 20 aotit au ; sept.
Anne Hébert
aOMANS Kamouraska BIOGRAPHIES SO CIOLOGIE . ECONOMIE • •LIGION
..aANçAIS Seuil, 256 p., 20 F.
Un roman passionné et Robert Speaight J. Benoît, J.-D. Boucher,
violent, qui a pour Robert Jaulin Société Injuste et
La vie de Pierre La paix blanche H. Deligny, D. Dubreuil, Révolution
Camille Bourniquel cadre la province du J.-C. Guillebaud,
Québec à l'aube du Teilhard de Chardin Seuil, 432 p., 29 F. Textes du Colloque
Selinonte ou la Seuil, 368 p., 24 F. M. Manceaux, de Venise 1968
chambre impériale XIX' siècle.
La vie, l'œuvre et la Partant de son M. Planchais, Seuil, 192 p., 18 F.
Seuil, 256 p., 20 F. pensée du Père Teilhard expérience sur le G. Sitbon et
Par l'auteur du • Lac " Jacques Teboul Une analyse des
terrain, un Ch. Vanhecke structures du monde
un roman ambitieux L'amour réduit il ethnologue français fait Les provinciaux ou la
et foisonnant, plein merci CRITIQUE actuel qui,
le procès de France sans. Paris créatrices d'injustice
de voyages et de Seuil, 224 p., 19,50 F. I·ethnoclde. Présentation par
jeunesse. et d'oppression,
Par l'auteur du La poétique, Jean Planchais suscitent les
• Pharaon", paru dans la mémoire Seuil, 192 p., 18 F. mouvements
Didier Decoin la collection. Ecrire ", Collection • Change. Une vision inattendue révolutionnaires.
Elisabeth ou Dieu un second roman qui Seuil, 288 p., 24 F. PHILOSOPHIE des provinces
seul le salt semble prolonger les La poétique, source de françaises, celle d'une
Seuil, 208 p., 16 F. pérégrinations la linguistique France régionale en
Par l'auteur de nocturnes de Restif scientifique: un pleine expansion, telle
• Laurence ", un de la Bretonne. important choix Louise Vax que nous la livre POCHE
roman qui a pour d'essais éclairés par L'empirisme logique l'enquête d'une équipe ES'SAIS
thème la • remise en des textes d'Invention P.U.F., 128 p., 7 F. de journalistes.
question" qui déchire poétique.
l'Eglise aujourd'hui. Un courant Francis Qppenheim Guy Rocher
POESIE )ean-Claude Renard philosophique dont les L'école du profit Introduction il la
fIIotes sur la poésie trois manifestations Seuil, 156 p., 18 F. sociologie générale
Mohammed Dib Seuil, 160 p., 18 F. principales sont Une réflexion très
Mohammed Dib l'atomisme logique, en actuelle sur les 1. - L'action sociale
Dieu en barbarie Un recueil d'essais Il. - L'organisation
Seuil, 222 p., 19,50 F. Formulaires qui a obtenu l'Aigle Grande-Bretagne, le problèmes qui se
Seuil, 112 p., 15 F. positivisme logique il l'entreprise sociale
Un roman poétique et d'Or de la Poésie
imagé sur l'Algérie 'ar l'auteur de • La . lors du dernier Festival issu du Cercle de dans une France qui III. - Le changement'
au lendemain de son )anse du roi" (voir le Internationl du .Livre il Vienne et la philosophie cherche à atteindre social
Indépendance. n° 49 de la Quinzaine.) Nice. logique contemporaine. l'âge industriel. Seuil jPoints.

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