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Le Régulateur de Philippe Grammaticopoulos

Philippe Grammaticopoulos
Après des études en Arts plastiques
à l’Institut Supérieur Saint-Luc de
Bruxelles, Philippe Grammaticopoulos,
né en 1970, publie trois bandes dessinées,
La Boîte, Le Complexe d’intériorité
et Les Lois de la pesanteur, ainsi que des
illustrations (notamment dans le quotidien
français Le Monde). Il intègre le collectif
d’artistes Atoutazart, avec lequel il expose
périodiquement ses oeuvres. Voulant
donner vie à ses personnages et adapter
son univers graphique à la 3D, il rejoint
l’École Supérieure d’Infographie
Supinfocom de Valenciennes.
Il y réalise son premier film d’animation :
Le Processus, primé dans de nombreux
festivals internationaux et diffusé sur des
chaînes de télévision. Il trouve ensuite
des financements auprès du Centre
National de la Cinématographie, du
Thécif et d’Arte, qui lui permettent de
réaliser son second film d'animation :
Le Régulateur, lui aussi très bien accueilli.
Philippe Grammaticopoulos travaille en
2006 sur un nouveau projet de court
métrage d’animation et sur une bande
dessinée.

Fiche technique
Production Haduk Films !
Scénario et montage Philippe Grammaticopoulos
Animation 3D Christophe Barnouin,
Nicolas Combecave, Thibaud Deloof,
Philippe Grammaticopoulos, Xavier de l'Hermuzière,
David Liébard, Lucas Vallerie, Baptiste Van Opstal
Musique Ivo Malek
Son Franck Marchal
France, 2004, 35 mm, 15’30, couleur
Festivals
2004 Annecy, Rome, Séoul (Prix spécial du jury),
Édimbourg, Moscou (Prix du jury), Drama, Leeds,
Kiev, Belgrade (Grand prix), Bradford, Espinho,
Taipei…
2005 Bologne, Clermont-Ferrand, Angers, Anima /
Bruxelles, Auch, Brooklyn (Prix du film d’animation),
Melbourne, Rio de Janeiro, Mexico (Prix de l’animation),
Resfest / New York, Vendôme…

Filmographie
2004
Le Régulateur (court métrage, 15’30)
2000
Le Processus (court métrage, 8’)

Analyse
Le Régulateur est le second film d’animation de Philippe
Grammaticopoulos – dont la carrière a commencé dans l’illustration
et la bande dessinée. Il constitue la suite logique des recherches
thématiques et graphiques initiées dans Le Processus qui déjà nous
donnait à voir une société uniformisée, voire totalitaire, ayant totalement
intégré la “Règle” et ses usages. Mais ici le processus connaît
des ratés. Le Régulateur nous plonge d’emblée dans un cauchemar
éveillé : ces volutes de fumée qui s’entortillent mollement ne sont
en réalité que les prémisses d’un songe glacé, à mi-chemin du récit
fantastique et d’une méditation sur les dérives d’une société obsédée
par le contrôle. Cette fumée liminaire nous accueille aux abords
d’une usine-matrice aux proportions gigantesques, elle est happée
par des cheminées, et le spectateur avec. La structure du récit suit
les différentes étapes de la procréation. La fumée du début incarne
la ronde des spermatozoïdes. Une fois à l’intérieur du bâtiment,
le couple se trouve face à une statue monumentale symbolisant
l’ovule et donc la phase de la fécondation. Vient ensuite l’étape
de la gestation, par ces dizaines de foetus en suspens, puis celle
de l’accouchement, lors d’une scène digne du théâtre baroque.
Les personnages cheminent ainsi d’une étape à l’autre, dans un
parcours logique. On peut aussi lire dans l’étape du supermarché
une allusion au développement de l’embryon.
Philippe Grammaticopoulos transpose ici pour la 3D la carte à gratter.
Le choix de cette technique, associée à un parti pris de noir et blanc
qui accentue les ombres, n’est pas sans résonance avec l’univers
d’anticipation. En effet, le couple évolue dans des bâtiments qui
évoquent Métropolis de Fritz Lang (1926) pour les lignes de fuite et
les perspectives. L’Homme n’est plus qu’un point écrasé par la ville.
Le noir et blanc employé ancre aussi le film dans une esthétique
des années 20, lorsque le cinéma muet puisait ses forces d’expression
tant dans les attitudes que dans les décors : Le Régulateur
est un film muet et d’un expressionnisme très épuré – beaucoup
de sentiments passent par les regards – seuls restes d’humanité
des personnages, semble-t-il. Il trouve aussi ses racines dans le
mouvement graphique et architectural du Bauhaus, qui créait des
volumes au moyen de courbes et de lignes. Les contours des
décors et des personnages apparaissent comme en négatif, créés
par les ombres. La couleur apparaît alors en contrepoint, comme
pour souligner la violence de certaines situations : les scènes
du supermarché (couleurs clinquantes pour pousser à la consommation)
et de l’accouchement (la chair).
Le film a, malgré sa noirceur, une dimension burlesque : le personnage
de l’imposante nurse se livre ainsi à une étonnante chorégraphie.
Elle est par ailleurs à l’origine du dérèglement. Le savant a, lui aussi,
des tics qu’on croirait hérités de films burlesques. Mais dans tous
les cas, le rire reste glacé, car ces deux personnages sont les
agents de régulation du système de reproduction. Ils sont les
garants de la bonne marche de la société et leur présence étrange
accentue le trouble que l’on ressent à suivre le processus d’adoption.
Les thématiques développées trouvent donc une résonance très
actuelle, en des temps d’expérimentations génétiques tous azimuts,
parfois incontrôlées, et de recyclage d’esthétiques.

Propos du réalisateur
Le passage à l’animation
Mon passage de la BD à l’animation est un pas en avant dans
ma réflexion sur le mouvement. La bande dessinée permet certes
de suggérer le mouvement tout en le décomposant (comme dans
les photographies de Muybridge, qui décomposait la course d’un
homme, image par image), mais l’animation me permet surtout
de passer du mouvement suggéré au mouvement “réel”. La bande
dessinée constitue l’étape intermédiaire entre l’image fixe et l’image
animée. L’une des thématiques du Régulateur est l’envie d’un
homme de s’élever à la hauteur de Dieu, d’être son égal.
Il a l’impression de dominer la nature et de pouvoir créer un être
parfait. Pour moi, le réalisateur d’un film d’animation est en quelque
sorte Dieu, dans la mesure où il a le pouvoir de créer et contrôler
un univers (en lien avec la thématique du créateur et de sa créature).
Le clonage
C’est un domaine où les techniques s’affinent de plus en plus.
Le clonage thérapeutique, c’est-à-dire encadré, peut être un
progrès mais le clonage reproductif est plus dérangeant car il peut
être pratiqué par des “apprentis-sorciers”, qui pourraient être tentés
de se livrer à des expériences dangereuses. Dans Le Régulateur,
au lieu d’engendrer un être parfait et aux caractéristiques totalement
contrôlées par un système totalitaire, ce même système engendre
un enfant sans yeux, c’est-à-dire déréglé. Il constitue un défaut du
système ou une erreur de fabrication. On peut donc lire dans
Le Régulateur, sous couvert d’un univers d’anticipation, une illustration
des possibles dérives des recherches génétiques. Ce qui, dans le
fond, peut constituer une bonne intention contient les germes d’une
déshumanisation potentielle d’une société. Mon film pointe du doigt
ces dérives : ne plus laisser intervenir le hasard, mais aussi la génétique
et les mécanismes de la reproduction humaine, a quelque chose
d’effrayant. Il est intéressant de remarquer que la création d’images
de synthèse relève aussi du clonage !
La musique : un personnage à part entière
La musique a une place très importante dans mon film. Elle a été
composée par le compositeur tchèque Ivo Malek, mais pas spécifiquement
puisque je lui ai demandé l’autorisation d’utiliser certaines
de ses pièces, que j’ai moi-même choisies. J’ai mélangé des pièces
des années 50 et 80. Ivo Malek crée une musique dite concrète,
faite de bruits et d’orgue, qui illustre ici parfaitement les états d’âme
des personnages et les situations. La juxtaposition musique/images
fonctionne très bien, à un tel point qu’on trouve dans le film beaucoup
de points d’ancrage. Des bruitages additionnels ont été réalisés (par
exemple dans la scène où l’homme cogne la paroi de la couveuse),
mais l’environnement sonore est celui de Malek (le terme “musique
d’après” est d’ailleurs un choix du compositeur lui-même).

Pistes pédagogiques
1 • La technique de la carte à gratter
Le rendu graphique du Régulateur (comme celui du Processus) résulte de la transposition
en 3D de la technique de la carte à gratter : il est le fruit du mélange d’une
esthétique très organique et de la technologie numérique la plus pointue. Philippe
Grammaticopoulos pratique depuis longtemps cette technique dérivée de ses expériences
de gravure, notamment dans ses albums de bande dessinée. À l’aide d’une
pointe en acier, on gratte un carton sur lequel se trouve une fine couche de plâtre
(en réalité une matière blanche et friable) recouverte d’une couche d’encre noire.
Le grattage fait apparaître les traits blancs : on travaille donc en négatif, en faisant
apparaître les lumières et en donnant un volume aux décors et aux personnages.
On passe du noir au blanc, en déclinant plusieurs niveaux de gris, ce qui donne
un effet de trame. L’application de la technique de la carte à gratter à la 3D contribue
à l’aspect organique du film, très éloigné de l’esthétique numérique habituelle,
c’est-à-dire froide et plutôt associée aux nouvelles technologies et au design graphique.
La force du film est de jouer sur l’ambigüité 3D/2D et de détourner les nouveaux
outils numériques à des fins artistiques très ancrées dans des techniques traditionnelles.
Le choix du noir et blanc apparaît également comme un moyen d'orienter l’histoire
vers une picturalité très influencée par le cinéma muet.

2 • Un univers totalitaire intégré


Le Régulateur creuse une recherche thématique initiée dans Le Processus où l’individu
était déjà écrasé par le poids de l’uniformité, mais semblait accepter sa situation. Le
couple du Régulateur n’est plus que l’infime pièce d’une grande machinerie sociale,
régie par une entité supérieure et invisible dont le docteur et l’infirmière sont les agents
de contrôle. Tous les éléments d’une société omnipotente sont présents ici. D’abord
le bâtiment dans lequel pénètre le couple : outre l’allusion esthétique au cinéma muet,
le couple pénètre dans une matrice indispensable au système, qui se perpétue et se
nourrit de lui-même. Tous les systèmes totalitaires se sont interrogés sur la question
de la reproduction, dont le régime nazi et ses expériences visant à favoriser l’émergence
d’êtres dits “supérieurs” au moyen de la sélection. Le régulateur a pour fonction de
superviser ce processus de sélection. On ne sait pas comment sont “conçus” les foetus
mais on peut imaginer qu’ils le sont artificiellement et de manière raisonnée. Les vêtements
portés par le couple sont d’autres instruments de la “Règle” : le père se déplace
tel un personnage robotique, ses articulations semblent bloquées, il est engoncé dans
des habits très lourds, comme s’il portait une lourde carapace imposée par la société.
Comme le reflet d’un autre moyen de réguler, donc de contrôler, les individus.

3 • Un film référentiel
Le Régulateur est un film qui multiplie les références cinématographiques et littéraires,
tout en les adaptant à un univers et à une thématique très singuliers. Le chapeau de
l’homme est un hommage au film Taxandria du belge Raoul Servais (1994), l’un des
maîtres du film d’animation. Ce film s’inscrit dans la tradition des oeuvres proposant
une satire de sociétés totalitaires. Là où Kafka plongeait ses personnages dans l’absurdité
bureaucratique, Le Régulateur développe le thème de la machine et de son dérèglement,
avec une référence directe au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, qui nous
présentait dès 1931 une société totalement rationalisée où les individus sont fabriqués
artificiellement dans des cuves. Leur programme génétique les destine à une fonction
précise au sein d’une catégorie sociale prédéterminée. Dans Le Régulateur, le couple
“fabrique” littéralement son enfant et détermine ses caractéristiques physiques, en
évacuant tout hasard ou intervention de la nature. Cet enfant n’est qu’un fac-similé,
un objet industriel destiné lui-même à se reproduire de cette manière et permettre
ainsi la continuité d’une société normalisée. Cet enfant-marchandise peut être vu
comme une métaphore transparente des méfaits du libéralisme lorsqu’il s’étend à la
sphère individuelle. L’individu évolue ici dans univers écrasant : ce bâtiment imposant
rappelle Métropolis de Fritz Lang et semble happer le couple, singulièrement déshumanisé.
L’étrange docteur du film intervient en contrepoint du couple : il est ce
fameux régulateur censé mener à bien l’opération, guidant le couple dans les dédales
de couveuses. Il rappelle le Docteur Folamour de Stanley Kubrick (1964), où le personnage
du savant fou interprété par Peter Sellers est sans cesse agité par des gestes
brusques et lève le bras comme pour imiter le salut nazi, le rabaissant aussitôt.
On pourra également citer Chaplin pour les pantomimes qui parsèment Le Régulateur
et lui confèrent son étrangeté.

Director: Philippe Grammaticopoulos
Year: 2004
Time: 16 mins
Music: Ivo Malec
Eye of Sound: Just like any sane religion must project a golden era back in the
past and label the present as  a barbaric, devilish or immoral period in the scale of
time, so any sane reflection about the future must be grim and dystopian at best.
Sci-fi and utopian literature have many traits in common. One of them is the simple
fact that a narrative needs an imbalance, a crack in the system, to evolve. A most
relevant one is the fact that, just like anthropology goes to distant places to
consider vices and virtues of the homeland, utopian and sci-fi frameworks are
most aptly used as pretexts to reflect on the conditions of the present. French
animator Grammaticopoulos has been exploring some of these links in his career,
constructing distant universes that turn out to be too familiar.  The Regulator tells
the tale of a couple who ventures into a supermarket to buy parts from which to
build a baby: they happily wonder through the aisles selecting arms, legs, heads,
eyes - the entire body of "their" progeny. Once selected they hand the task to the
technicians and machines in charge - most notably, a giant mechanical vulva that
will toss up the newborn. Ivo Malec's typical electrocaoustic soundtrack is
efficiently used to underscore the artificial nature of the production line, but its
theatrical, almost expressionistic organ sequences are creatively integrated in
semi-burlesque scenes. There is always a crack in the system - a ghost in the
machine, a chip gone human, an assertion of individuality. The Regulator choses
to crack the eugenic machinery where it hurts the most: by damaging the only part
of the human body which remains constant throughout one's life, it reinvents the
so-called "window of our soul" as an instrument of resistance against industrial,
eugenic and capitalist repression.

http://www.zewebanim.com/regulateur.htm

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