You are on page 1of 16

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

devant le

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS

En vue d’une transmission au

CONSEIL D’ETAT

puis au

CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Article 61-1 de la Constitution


Article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi
organique sur le Conseil constitutionnel modifiée

Requête en référé-liberté n°1100915

Pour :

Demandeur

Ayant pour avocat Me Christophe POULY, substitué par Me Sarah STADLER,


81 rue de Wattignies, 75012 PARIS,

Contre : L’Etat

Premier ministre, Secrétariat général du gouvernement


La Préfecture de Police de Paris

Défendeurs

Objet :
Demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité sur la
violation par l'article L.531-2 alinéa 1 du CESEDA de droits et libertés garantis
par la Constitution, en particulier le droit à un recours effectif garanti par l’article
16 de la DDHC et le droit d’asile garanti par l’article 53-1 de la Constitution et
l’alinéa 4 du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi que le principe de valeur
constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine résultant
du Préambule de 1946 en tant que cette disposition ne prévoit pas le caractère
suspensif des procédures contentieuses d’urgence contre les décisions de
réadmission

1
I) DISPOSITIONS EN CAUSE

Dans une décision de Grande chambre du 21 janvier 2011, la Cour européenne


des droits de l’homme condamne la Belgique pour violation de l’article 13
combiné à l’article 3 de la CEDH en raison d’une décision de réadmission prise
par cet Etat vers la Grèce en application du règlement « Dublin II » (Règlement
(CE) n° 343/2003 du Conseil de l’Union européenne du 18 février 2003). Cette
condamnation est fondée notamment sur le fait que même si le Conseil du
contentieux des étrangers avait « procédé à un examen des griefs sous l'angle
de l'article 3 de la Convention », elle n’aurait pu offrir au requérant « un
redressement approprié, quand bien même elle aurait conclu à une violation de
l'article 3 Cour EDH » à défaut d'effet suspensif du recours de la requête en
annulation de l'ordre de quitter le territoire (CEDH, G.C. 21 janvier 2011, M.S.S.
c. Belgique et Grèce, Req. n° 30696/09, §393).
Or, si en droit belge une demande de suspension « en extrême urgence » a un
effet suspensif de plein droit (Ibid., §386), en droit français, les recours
contentieux contre les décisions de réadmissions – recours pour excès de
pouvoir, référé-liberté ou référé-suspension – n’ont pas davantage d’effet
suspensif de plein droit.
Si la suspension de l’exécution est prévue en cas de recours à l’encontre les
décisions de séjour assorties d’une obligation de quitter le territoire français
(article L512-1 du CESEDA issu de la loi du 24 juillet 2006), des arrêtés
préfectoraux de reconduite à la frontière (article L512-2 du CESEDA) ou encore,
à la suite de la condamnation de la France dans l’arrêt Gebremedhin (CEDH 23
avril 2007, n°25389/05, § 66-67), le refus d’admission sur le territoire au titre
de l’asile à l’article L213-9 du CESEDA (loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007),
ce n’est pas le cas pour les requêtes introduites contre les décisions de
réadmissions prises sur le fondement de l’article L.531-2 du CESEDA.

Cette disposition de l’article L.531-2 alinéa 1 du CESEDA prévoit :

« Les dispositions de l'article L. 531-1 sont applicables, sous la réserve


mentionnée à l'avant-dernier alinéa de l'article L. 741-4, à l'étranger qui
demande l'asile, lorsqu'en application des dispositions des conventions
internationales conclues avec les Etats membres de l'Union européenne
l'examen de cette demande relève de la responsabilité de l'un de ces
Etats »

L’article L 531-1 du CESEDA (modifiée par Loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 -


art. 60) prévoit quant à lui :
« Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-2
à L. 512-4 (1), L. 513-1 et L. 531-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat
membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se
conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2
peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à
entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en
application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet
avec les Etats membres de l'Union européenne.

L'étranger visé au premier alinéa est informé de cette remise par décision écrite
et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en Conseil
d'Etat.

2
Cette décision peut être exécutée d'office par l'administration après que
l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou de
faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix. »

La disposition critiquée est issue de l’article 33 de l’ordonnance n°45-2658 du 2


novembre 1945 modifiée par l’article 46 de la loi n°2003-1119 du 26 novembre
2003 et a été, au moment de la codification, abrogée par l’ordonnance n
°2004-1248 du 24 novembre 2004 pour être intégrée à l’article L.531-2 alinéa 1
du CESEDA.

C’est la disposition faisant l’objet de la présente question prioritaire de


constitutionnalité.

II) DISCUSSION

L’article 61-1 de Constitution modifiée prévoit :


« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il
est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et
libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être
saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de
cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

Toutes les conditions posées par l’article 61-1 de la Constitution modifiée, les
l’article 23-1 et s. de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée par
la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 et les dispositions du Code
de la justice administrative issues du décret n° 2010-148 du 16 février 2010 sont
remplies.

A/ SUR LA RECEVABILITE d’une QPC dans le cadre d’une procédure de


référé-liberté

Dans son ordonnance Diakité, en prolongement des jurisprudences Jeux de


hasard et d’argent en ligne (Cons. constit. n° 2010-605 DC du 12 mai 2010) et
Rujovic (CE 14 mai 2010, n° 312305, au Lebon), le juge des référés du Conseil
d’Etat a consacré la recevabilité d’une question prioritaire de constitutionnalité
dans le cadre d’une procédure de référé-liberté de l’article L.521-2 du code de la
justice administrative en application de l’article 23-3 de l’ordonnance du 7
novembre 1958 :

« Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de


l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil
constitutionnel, dans la rédaction que lui a donnée la loi organique du 10
décembre 2009 : Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte
atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé
(...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ; qu'il résulte

3
des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi
de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la
disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle
n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le
dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des
circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
qu'aux termes de l'article 23-1 de la même ordonnance : (...) le moyen
tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés
garantis par la Constitution (...) peut être soulevé pour la première fois en
cause d'appel. (...) ; que l'article 23-3 de cette ordonnance prévoit
qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de
constitutionnalité peut prendre les mesures provisoires ou
conservatoires nécessaires et qu'elle peut statuer sans attendre la
décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la
loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé
ou en urgence ;

Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques


avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question
prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge
administratif des référés statuant, en première instance ou en appel,
sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce dernier code ; que le
juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question
prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui (…) ;
qu'enfin il appartient au juge des référés de première instance
d'apprécier si les conditions de transmission d'une question
prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat sont remplies et
au juge des référés du Conseil d'Etat, lorsqu'il est lui-même saisi d'une
telle question, de se prononcer sur un renvoi de la question au Conseil
constitutionnel » (CE, réf., 16 juin 2010, Diakité, n° 340250, AJDA 2010.
1662, note O. le Bot ; JCP 2010.739, note. P. Cassia).

Votre juridiction est donc bien compétente, en référé-liberté, pour apprécier


immédiatement si les conditions de transmission sont remplies.

Par ailleurs, la présente QPC a bien été soulevée « dans un mémoire distinct et
motivé », conformément à l’article R. 771-3 du code de la justice administrative,
et ce mémoire porte bien la mention « question prioritaire de constitutionnalité»,
conformément à l’article R. 771-3.

La présente question prioritaire de constitutionnalité est donc bien recevable.

B/ SUR LES CONDITIONS DE TRANSMISSION DE LA QUESTION


PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE
L’article 23-2 de l’ordonnance de 1958 modifiée prévoit que :
« La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la
transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil
d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les
conditions suivantes sont remplies :

4
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la
procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans
les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,
sauf changement des circonstances
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ».

L’article 23-4 créé par l’article 1er de la loi organique n°2009-1523 du 10


décembre 2009 ajoute :
« Dans un délai de trois mois à compter de la réception de la
transmission prévue à l'article 23-2 ou au dernier alinéa de l'article 23-1, le
Conseil d'Etat ou la Cour de cassation se prononce sur le renvoi de la
question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il est
procédé à ce renvoi dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2°
de l'article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou
présente un caractère sérieux. »

1. Sur l’applicabilité au litige de la disposition contestée (article


23-2, 1° ordonnance de 1958)
Les dispositions de l’article L.531-2 alinéa 1 du CESEDA, objet de la présente
QPC, sont bien applicables au litige puisque le requérant a fait l’objet d’une
décision de réadmission prise sur le fondement comme l’atteste la décision de
réadmission produite au dossier.
Cette condition est donc remplie.

2. Sur l’absence de déclaration de conformité à la Constitution


dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil
constitutionnel, sauf changement de circonstances (23-2, 2°
ordonnance de 1958)

Les dispositions de l’article L.531-2 alinéa 1 du CESEDA n’ont jamais reçu de « brevet
de constitutionnalité », dans la mesure elles n’ont jamais été examinées dans les
motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

2.1. D’abord, cette disposition est issue de l’article 33 de l’ordonnance n°45-2658 du


2 novembre 1945 créé par l’article 25 de la loi n°93-1027 du 24 août 1993.
« Article 33
Par dérogation aux dispositions des sixième à neuvième alinéas de l'article 5,
et à celles des articles 5-2, 22, 22 bis et 26 bis, l'étranger, non ressortissant
d'un Etat membre de la Communauté économique européenne, qui a pénétré
ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des premier à
quatrième alinéas de l'article 5, et à celles de l'article 6, peut être remis aux
autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner
sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des
dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats
membres de la Communauté économique européenne.

5
L'étranger visé au premier alinéa est informé de cette remise par décision
écrite et motivée prise par une autorité administrative définie par décret en
Conseil d'Etat.
Cette décision peut être exécutée d'office par l'administration, après que
l'étranger a été mis en mesure de présenter des observations et d'avertir ou
de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix.
Les mêmes dispositions sont applicables, sous la réserve mentionnée
à l'avant-dernier alinéa de l'article 31 bis, à l'étranger qui demande
l'asile, lorsqu'en application des dispositions des conventions
internationales conclues avec les Etats membres de la Communauté
économique européenne, l'examen de cette demande relève de la
responsabilité de l'un de ces Etats.
Tout étranger qui se sera soustrait ou qui aura tenté de se soustraire à
l'exécution d'une décision prise en application du présent article ou qui, ayant
déféré à cette décision, aura pénétré de nouveau sans autorisation sur le
territoire national sera puni de six mois à trois ans d'emprisonnement. La
juridiction pourra, en outre, prononcer à l'encontre du condamné l'interdiction
du territoire pour une durée n'excédant pas trois ans. L'interdiction du territoire
emporte de plein droit reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à
l'expiration de sa peine d'emprisonnement ».

Le Conseil constitutionnel a bien examiné cette disposition de l’article 25, sans d’ailleurs
mentionner expressément l’alinéa sur les réadmissions de demandeurs d’asile en
application de conventions conclues avec des Etats membres de la CEE lorsque la
responsabilité relève d’un autre Etat membre à l’origine de l’article L.531-2 alinéa 1 :

« EN CE QUI CONCERNE L'ARTICLE 25 :


89. Considérant que l'article 25, qui insère dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 un
article 33, prévoit les cas dans lesquels un étranger non ressortissant d'un Etat de la
Communauté économique européenne peut être, lorsque son séjour en France est
irrégulier, remis aux autorités compétentes de l'Etat membre de la Communauté
économique européenne qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire ; qu'il
dispose, au second alinéa de cet article 33, que la décision prise peut être exécutée
d'office par l'administration après que l'étranger a été mis en mesure de présenter ses
observations et de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son
choix;
90. Considérant que les sénateurs auteurs de la première saisine soutiennent que cet
article est contraire à la Constitution en ce qu'il prive de garanties essentielles les droits
de la défense des étrangers non ressortissants communautaires entrés en France à
partir d'un autre Etat de la Communauté économique européenne ; que les députés
auteurs de la seconde saisine estiment que cet article porte à la liberté individuelle des
atteintes excessives eu égard aux nécessités de la protection de l'ordre public et font
valoir qu'il méconnaît les droits de la défense et le droit au recours, en ce qu'il ne
prévoit ni le respect de la procédure de reconduite à la frontière ni l'existence d'un
recours suspensif ;
91. Considérant que les dispositions de cet article prévoient des mesures de police que
le législateur peut déterminer eu égard à l'objectif de restriction des cas d'admission au
séjour des étrangers en France qu'il s'est assigné ; que les intéressés ne sont pas

6
dépourvus des garanties juridictionnelles de droit commun dont sont assorties les
mesures de police prises par les autorités publiques en matière de police administrative
; que toutefois ces dispositions doivent s'entendre compte tenu de la réserve
d'interprétation énoncée ci-dessus s'agissant des étrangers qui entendraient
se prévaloir de l'application directe du quatrième alinéa du préambule de la
Constitution de 1946 ; que sous cette réserve, l'article contesté ne méconnaît aucun
principe ni aucune règle de valeur constitutionnelle »

Mais, à supposer même qu’on admette, compte tenu de la jurisprudence Section


française de l’OIP (n° 2010-9 QPC du 02 juillet 2010), que la simple mention d’une
disposition suffise à la considérer comme examinée par le Conseil constitutionnel, le
brevet de constitutionnalité n’a pas été entièrement décerné en l’occurrence car la
déclaration de conformité n’a pas été reprise dans le dispositif de la décision.
« Décide :
Article premier :
Sont contraires à la Constitution :
le II de l'article 14 ;
à l'article 23, les mots : " Les étrangers séjournant en France sous le couvert d'un titre
de séjour portant la mention " étudiant " ne peuvent bénéficier du regroupement
familial ", et les mots : " Lorsque le mariage entre un étranger résidant en France et
son conjoint qui a été admis au séjour comme membre de la famille a été dissous ou
annulé au terme d'une procédure juridique, cet étranger ne peut faire venir auprès de
lui un nouveau conjoint au titre du regroupement familial qu'après un délai de deux ans
à compter de la dissolution ou de l'annulation du mariage " ;
à l'article 24, au dernier alinéa de l'article 31 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945,
les mots : " pour l'un des motifs visés au 2° à 4° du présent article " ;
le III de l'article 27 ;
au III de l'article 31, l'article 175-2 du code civil ;
les I, II et IV de l'article 34 ;
à l'article 45, le dernier alinéa ;
l'article 46.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française. »
(Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de
l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers
en France)
Or, l’article 23-2 2° est sans ambigüité sur ce point : pour être transmise la disposition
ne doit pas avoir été déclarée conforme dans les motifs « et le dispositif » d’une
décision. C’est bien le cas en l’espèce.

Si par extraordinaire il était considéré que cette disposition a déjà été examinée, on
peut relever de nombreux changements de circonstances de droit et de fait justifiant
que le Conseil réexamine cette disposition :

7
• en premier lieu, suite à la censure de 1993 et à l’avis du Conseil d’Etat 1, la loi
constitutionnelle n°93-1256 du 25 novembre 1993 relative aux accords
internationaux en matière de droit d'asile a introduit dans la Constitution une
disposition nouvelle permettant de déroger au principe de valeur
constitutionnelle de respect du droit d’asile dans des accords avec des Etats
européens liés par des « engagements identiques » en matière d’asile tout en
maintenant d’ailleurs une clause de souveraineté :

« Art. 53-1. - La République peut conclure avec les Etats européens qui sont
liés par des engagements identiques aux siens en matière d'asile et de
protection des Droits de l'homme et des libertés fondamentales, des accords
déterminant leurs compétences respectives pour l'examen des demandes
d'asile qui leur sont présentées.
Toutefois, même si la demande n'entre pas dans leur compétence en vertu de
ces accords, les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile
à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui
sollicite la protection de la France pour un autre motif ».
- Dans l’affaire Daoudi, prolongeant le commentaire aux Cahiers du Conseil
constitutionnel de la décision n° 2009-595 DC du 03 décembre 2009, le Conseil d’Etat
a reconnu que l’invocation d’une norme constitutionnelle adoptée postérieurement à la
décision ayant examiné une disposition législative constitue un élément constitutif à la
fois d’un changement de circonstances, au sens de l’article 23-2 2° de l’ordonnance
de 1945 et donnant à la question un caractère « nouveau » au sens de l’article
23-4 (condition curieusement spécifique au renvoi des QPC par le Conseil d’Etat ou la
Cour de cassation mais pas devant les juridictions inférieures)
« que si le Conseil constitutionnel, examinant la conformité à la Constitution de la loi du
10 décembre 2003, a déclaré, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2003-485
DC du 4 décembre 2003, que cette loi, et notamment son article 1er en tant qu'il a pour
effet d'exclure du bénéfice de la protection subsidiaire les auteurs de crimes graves de
droit commun, de même que les personnes dont les activités constituent une menace
grave pour l'ordre public, la sécurité publique, ou la sûreté de l'Etat, dont sont issues les
dispositions contestées de l'article L. 712-2 du code de l'entrée et du séjour des
étrangers et du droit d'asile, était conforme à la Constitution, il n'a cependant pu
examiner la constitutionnalité de ces dispositions au regard de l'article 66-1 de
la Constitution, introduit postérieurement à sa décision par la loi
constitutionnelle du 23 février 2007 et dont la méconnaissance des droits et libertés
qu'il garantit est invoquée par le requérant »
(CE, 8 octobre 2010, 10è et 9è sous-sections réunies, Kamel Daoudi, n°
338505, au recueil Lebon, AJDA 2010, p.2433, concl. A-S. Lieber).
En l’occurrence, la constitutionnalité de l’article L.531-2 alinéa 1 du CESEDA n’a
jamais été examiné au regard de l’article 53-1 de la Constitution, introduit
postérieurement à la décision du 13 août 1993 ce qui est constitutif d’un changement
de circonstances de droit. La jurisprudence du Conseil d’Etat sur les réadmissions
« Dublin II » rattache explicitement ou implicitement la possibilité de ne pas mettre en
oeuvre le transfert à l'article 53-1 (CE, réf. 3 juin 2005, n°281001 et CE, 6 mars 2008,
Dociev, n°313915).

1
v. Conseil d’Etat, assemblée générale, avis n°355.113 du 23 septembre 1993 « Droit d’asile » in
Y. Gaudemet, B. Stirn, T. Dal Farra et F. Rolin, Les grands avis du Conseil d’Etat, Dalloz, 3ème éd.,
2008, n°23, comm. A Levade et S. Slama.

8
• en second lieu, constituent également des changements de circonstances de
droit :

- l’adoption du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil de l’Union


européenne du 18 février 2003 et du traité de Lisbonne donnant à la charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne la même valeur que les traités le 1er décembre
2009.
L’article 47 de la charte prévoit
Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial :
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont
été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des
conditions prévues au présent article ».

Article 18
Droit d'asile
« Le droit d'asile est garanti dans le respect des règles de la convention de
Genève du 28 juillet 1951 et du protocole du 31 janvier 1967 relatifs au statut
des réfugiés et conformément au traité instituant la Communauté européenne.
Article 19
Protection en cas d'éloignement, d'expulsion et d'extradition
2. Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il existe un
risque sérieux qu'il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d'autres
peines ou traitements inhumains ou dégradants »
Dans la mesure où, s’agissant des réadmissions du règlement « Dublin II » on est dans
le champ d’application du droit de l’Union européenne, la disposition législative critiquée
doit nécessairement respecter l’ensemble de ces dispositions de la charte de droits
fondamentaux.
Or, l’article 6 du traité sur l’Union européenne prévoit que « Les droits, les libertés et
les principes énoncés dans la Charte sont interprétés conformément aux dispositions
générales du titre VII de la Charte régissant l'interprétation et l'application de celle-ci et
en prenant dûment en considération les explications visées dans la Charte, qui
indiquent les sources de ces dispositions ». Cette interprétation renvoie à la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de dispositions
équivalentes, c’est-à-dire en l’espèce des articles 13 et 3 de la CEDH.
- ce premier changement de circonstance est à combiner avec
l’interprétation donnée par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt MSS
qui porte précisément sur la conventionalité du mécanisme prévu par le règlement «
Dublin II » ainsi que de la double présomption sur lequel il est fondé (Considérant (2)
du règlement – § 69 de la décision M.S.S. du 21 janvier 2011). Or, si dans cette affaire
la Cour de Strasbourg ne remet pas en cause la présomption favorable à l’Union
européenne selon laquelle « l’organisation en question accorde aux droits
fondamentaux une protection à tout, le moins équivalente à celle assurée par la
Convention » (§ 338 de la décision) – qui a justifié l’adoption de l’article 53-1 de la
Constitution en 1993 – c’est parce que, relève-t-elle, « un Etat demeure entièrement

9
responsable au regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement
de ses obligations juridiques internationales, notamment lorsqu’il a exercé un pouvoir
d’appréciation » (§ 338).
Un tel pouvoir d’appréciation existe au sein du mécanisme « Dublin II » -
conformément à l’article 53-1 de la Constitution : l’Etat peut décider d’ « examiner une
demande d’asile qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet
examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement » (§ 339) et
ce, en vertu de la « clause de souveraineté » prévue à l’article 3.2 du règlement (« Par
dérogation au paragraphe 1, chaque État membre peut examiner une demande d’asile
qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers, même si cet examen ne lui
incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement »). La Belgique est
néanmoins condamnée car elle « aurait du » éviter une réadmission vers la
Grèce en « écart[ant] la présomption selon laquelle les autorités grecques
respecteraient leurs obligations internationales en matière d’asile » (§ 345 -
v. aux § 341-343 le rappel des précédents : Cour EDH, Dec. 3e Sect. 7 mars 2000, T.I.
c. Royaume-Uni, Req. n° 43844/98 et Cour EDH, Dec. 4e Sect. 2 décembre 2008,
K.R.S. c. Royaume-Uni, n° 32733/08).
Ce raisonnement empêche donc la Belgique de s’abriter derrière son respect allégué du
mécanisme « Dublin II ». En conséquence, la Cour peut juger que la décision belge de
transfert vers la Grèce constitue une violation de l’article 3 puisque cela a exposé le
requérant aux risques résultant des défaillances de la procédure d’asile en Grèce (§
360) ainsi qu’à des conditions de détention et d’existence contraires à l’article 3 (§
368). En outre, mais ceci concerne plus directement les mécanismes procéduraux
belges pris isolément, une violation du droit au recours effectif (Art. 13 combiné à
l’article 3) est relevée du fait des lacunes de « la procédure de suspension en
extrême urgence », notamment son absence d’effet suspensif (§ 387-397).
Et c’est là le changement de circonstances : désormais pour que la législation d’un Etat
membre du Conseil de l’Europe soit en conformité avec l’article 13 de la CEDH combiné
à son article 3 il faut que sa réglementation assure un recours suspensif de plein
droit au demandeur d’asile faisant l’objet d’une procédure de réadmission vers un Etat
membre où il risque, par ricochet, un mauvais traitement inhumain ou dégradant ou,
par double-ricochet, le même type de traitement en cas de renvoi dans son pays
d’origine faute de procédure d’asile effective.
En 1993, alors que les accords de « Dublin I » et a fortiori le « règlement Dublin II »
n’étaient pas encore entrés en vigueur, le Conseil constitutionnel ne pouvait examiner
la conformité de la disposition en prenant en compte l’ensemble de ces paramètres.
Rappelons que le Conseil constitutionnel a toujours mentionné que le « principe »
découlant de l’alinéa 4 du Préambule de Constitution de 1946 est « mis en œuvre par
la loi et les conventions internationales introduites en droit interne » et « en particulier
» par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés – et
pourrait-on ajouter aujourd’hui les articles 13 et 3 de la CEDH et 18, 19-2 et 47 de la
CDFUE (Cons. constit. n° 79-109 DC du 09 janvier 1980, cons. n° 1 ; n° 86-216 DC du
03 septembre 1986, cons. 4 à 6 ; Cons. constit. n° 92-307 DC du 25 février 1992).

• en dernier lieu, on peut encore noter un changement de circonstances de


fait : l’aggravation des conditions d’amission à l’asile en Grèce allant jusqu’à
rendre « illusoire » - comme le note la Cour européenne dans la décision
M.S.S. – toute demande d’asile dans ce pays. Ainsi, en 2009, la Grèce
enregistrait 16 460 des 317 505 demandes d’asile en Europe. Or, elle n’accorde

1
le statut, en première instance, qu’à 165 demandeurs (soit 1,2%) et 40 en
appel, soit un total de 210 statuts accordés et un taux de reconnaissance de 2%
- bien loin du taux de reconnaissance des pays européens (Pologne : 92%,
Finlande : 80%, Malte : 66% ; Pays-Bas et Allemagne : 34% ; France : 27% ;
Irlande : 8%), hormis l’Espagne (1,8%). En, outre sur ces 210 statuts accordés,
on dénombre seulement 65 réfugiés statutaires pour 115 protections
subsidiaires et 25 statuts accordés pour motifs humanitaires. Ces chiffres sont à
rapprocher aux principaux pays d’origine des demandeurs qui étaient, au
premier semestre 2008, et pour les huit pays les plus importants : le Pakistan,
l’Irak, l’Afghanistan, le Bangladesh, la Syrie, l’Iran, le Nigéria et la Géorgie. Qui
plus est, l’accès à la procédure d’asile n’est pas garanti et donc toutes les
demandes ne sont pas forcément prises en compte : 95 % des demandes sont
déposées à Athènes et l’administration en charge de l’enregistrement (la police)
est complètement dépassée par le nombre de demandes.
En 1993, la France était, avec l’Allemagne, l’un des pays européens sur lequel pesait le
plus la demande d’asile européenne. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Des pays comme
la Grèce – qui traverse qui plus est une grave crise économique – sont particulièrement
exposés. Ainsi, avec 1415 demandeurs d’asile par million d’habitants, l’effort de la
République hellénique est bien plus important que celui de la France (740), du
Royaume Uni (490) ou de l’Allemagne (390). Il est néanmoins à relativiser comparé à
la Belgique (2 000), la Suède (2 600), Chypre (3 300), ou Malte (5 800)2.
C’est d’ailleurs le vice président de la Commission et commissaire européen en charge
de l’asile et l’immigration, Jacques Barrot – aujourd’hui membre du Conseil
constitutionnel – qui a dressé lui-même ce constat dès 2008. Il estimait en effet que le
règlement « Dublin II » lorsqu’il est « appliqué de manière trop rigide (…) pénalise les
demandeurs d'asile, qui très souvent n'ont pas la possibilité d'arriver autre part que
dans des États membres n'ayant pas eux-mêmes les moyens nécessaires pour les
accueillir ». Il a constaté les « disparités énormes existant entre Etats » : « Il est
inadmissible que la Slovaquie ou la Grèce soient plus restrictives en matière
d’asile que l’Autriche ou la Suède ». « Selon l’Etat membre où est faite la
demande d’asile, la chance d’obtenir une réponse positive varie parfois de 1 à
100 ». Dès lors il préconisait une révision de ce règlement dans le sens d’une « plus
grande souplesse » notamment en permettant la « suspension temporaire du
mécanisme de Dublin, afin que les demandes d'asile effectuées dans un État
membre qui ne peut pas les traiter de manière adéquate puissent être transférées
dans un autre État » (Jacques Barrot, « L'asile : un devoir pour une Europe fidèle à ses
valeurs », Le Figaro, 01 décembre 2008). La Commission avait, le 6 juin 2007, publié
un rapport qui retrace l'application du système de Dublin entre septembre 2003 et
décembre 2005. Elle y relève notamment que, plus de 55 300 requêtes ont été
envoyées (soit 11,5 % du nombre total de demandes d'asile — 589 499 — dans
l'ensemble des États membres pour la même période). 72 % de ces requêtes ont été
acceptées, ce qui signifie que dans 40 180 cas un autre État membre a accepté
d'assumer la responsabilité d'un demandeur d'asile. Toutefois, les États membres n'ont
en réalité effectué que 16 842 transferts. Des divergences d'interprétation ont
notamment été constatées au sujet de l'application de la « clause de souveraineté »
(article 3, paragraphe 2). Elle annonçait qu’elle proposerait de « préciser les
modalités et procédures d'application des clauses humanitaire et de

2
La moyenne est de 520. Sources : EUROSTAT, « Demandes d'asile dans l’UE27 », Communiqué
de presse, n°64/2010, 4 mai 2010 et « Décisions sur les demandes d'asile dans l’UE27. Les États
membres de l’UE ont accordé la protection à 78 800 demandeurs d’asile en 2009 », Communiqué,
89/2010 - 18 juin 2010

1
souveraineté » sur le consentement et les délais applicables pour l’exercer (Doc. COM
(2007) 299 final).
La révision de ce règlement est aujourd’hui au point mort.
Cela rend d’autant plus nécessaire l’existence d’un recours suspensif pour permettre
aux demandeurs d’asile relevant du règlement « Dublin II » de ne pas être renvoyés
vers ce type de pays dans l’incapacité d’assurer l’effectivité de l’asile sans mettre les
juridictions à même de vérifier, au préalable, qu’ils ne risquent pas d’être exposés à
des traitements contraires à l’article 2 et 3 de la CEDH mais aussi au principe de valeur
constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et à l’abolition de
la peine de mort en toutes circonstances de l’article 66-1 de la Constitution.

2.2. Ensuite, l’article 33 de l’ordonnance de 1945 a été modifié par l’article 46 de la


loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003. Mais ces modifications, qui étaient
accessoires, n’ont pas fait l’objet d’un contrôle lors de l’examen de la loi du 26
novembre 2003 dans la décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 du Conseil
constitutionnel. L’article 46 n’apparaît en effet ni dans les motifs ni dans le dispositif de
cette décision.

2.3. Enfin, l’article L.531-2 a été modifié par l’article 69 de la loi du 24 juillet 2006
ce n’est que pour ajouter un alinéa – sans modifier l’alinéa 1er - et du reste cette
disposition n’a pas été davantage examinée (n° 2006-539 DC du 20 juillet 2006) et
donc aucun « brevet de constitutionnalité » n’a été délivré.
L’absence de brevet de constitutionnalité est d’ailleurs confirmé par le tableau –
indicatif - mis en ligne sur le site du Conseil constitutionnel intitulé des « dispositions
déclarées conformes à la Constitution. Code de l'entrée et du séjour des étrangers et
du droit d'asile (Version au 1er mars 2010) »3.
La condition de l’article 23-2 2° est donc elle-aussi remplie.

3. Sur le caractère sérieux de la question (23-2 3° ordonnance de


1958)
La seule lecture de la décision M.S.S. qui, rappelons-le, condamne la Belgique parce
que le recours en annulation devant le conseil du contentieux n’était pas suspensif alors
que le requérant risquait des dommages irréparables, contraires à l’article 3 de la CEDH
(Cour EDH, GC, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09 ; §293).
Dans cette décision, la Cour de Strasbourg rappelle que compte tenu de l'importance
que la Cour attache à l'article 3 et la « nature irréversible du dommage susceptible
d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements »,
l'effectivité d'un recours au sens de l'article 13 demande impérativement « un
contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie,
no 36378/02, § 448, CEDH 2005 III) », un « examen indépendant et rigoureux de
tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement
contraire à l'article 3 (Jabari, § 50) » ainsi qu'une « célérité particulière (Batı et autres
c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004 IV) ». Il requiert surtout
que les intéressés disposent « d'un recours de plein droit suspensif » (Čonka c.
Belgique, no 51564/99, §§ 81-83, CEDH 2002 I ; Gebremedhin [Gaberamadhien], §
66).
3
http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank_mm/QPC/ceseda.pdf

1
Rappelons que la condamnation de la France dans l’affaire Gebremedhin portait déjà
sur la procédure de référé-liberté de l’article L.521-2 du code de la justice
administrative qui permettait aux demandeurs d’asile à la frontière de saisir le juge des
référé-liberté d’une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile en cas de
refus d’admission sur le territoire en raison du caractère « manifestement infondé » de
leur demande. En raison de l’absence de caractère de plein droit suspensif de ce
recours, la France a été condamnée pour violation de l’article 13 combiné à l’article 3
CEDH:
« 66. Compte tenu de l'importance que la Cour attache à l'article 3 de la Convention et
de la nature irréversible du dommage susceptible d'être causé en cas de
réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, cela vaut
évidemment aussi dans le cas où un Etat partie décide de renvoyer un étranger vers un
pays où il y a des motifs sérieux de croire qu'il courrait un risque de cette nature :
l'article 13 exige que l'intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif.
67. La Cour en déduit en l'espèce que, n'ayant pas eu accès en « zone
d'attente » à un recours de plein droit suspensif, le requérant n'a pas disposé
d'un « recours effectif » pour faire valoir son grief tiré de l'article 3 de la Convention.
Il y a donc eu violation de l'article 13 de la Convention combiné avec cette disposition. »
Et si l’absence de recours suspensif n’est pas le motif pour lequel la Belgique
est condamnée dans l’affaire M.S.S. – mais pour les insuffisances de l’examen
consistant « à vérifier si les intéressés avaient produit la preuve concrète du
caractère irréparable du préjudice pouvant résulter de la violation potentielle
alléguée de l'article 3, alourdissant ainsi la charge de la preuve dans des
proportions telles qu'elles faisaient obstacle à un examen au fond du risque de
violation allégué » (§389) et les « obstacles d'ordre pratique pour exercer les
voies de recours » (§392), la Cour relève que :
« l'opportunité de poursuivre les recours en annulation de l'ordre de quitter le
territoire une fois le requérant éloigné, la Cour constate que le seul exemple de
jurisprudence donné par le Gouvernement sur ce point (paragraphes 151 et
382) confirme la thèse du requérant selon laquelle une fois l'intéressé éloigné,
le Conseil du contentieux des étrangers déclare le recours irrecevable au motif
qu'il n'a plus d'intérêt à poursuivre l'annulation de l'ordre de quitter le
territoire. S'il est vrai que, dans cet arrêt, le Conseil du contentieux des
étrangers a procédé à un examen des griefs sous l'angle de l'article 3 de la
Convention, la Cour n'aperçoit pas comment, à défaut d'effet suspensif, la
juridiction pouvait encore offrir au requérant un redressement approprié,
quand bien même elle aurait conclu à une violation de l'article 3 » (§393).
Or les dispositions de l’article L.531-2 alinéa 1 du CESEDA ne prévoient pas de recours
de plein droit suspensif pour contester la décision et le renvoi à l’article L.531-1 prévoit
une exécution d’office de la décision dès le prononcé. Certes, le demandeur d’asile peut
saisir le juge administratif selon les modalités du titre II du Livre V du Code de Justice
administrative (référé-liberté ou suspension), complétée par une requête en
annulation, mais cette saisine n’est pas de plein droit suspensive au sens de la
jurisprudence. En outre, l'office du juge des référés ne correspond pas pleinement aux
caractéristiques d'un recours effectif ainsi décrit par la Cour européenne.
Le droit à un recours effectif est nécessairement garanti par le juge constitutionnel
pareillement que par le juge européen des droits de l’homme.
Le Conseil a expressément déduit ce droit de l’article 16 de la DDHC

1
« 38. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la
séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution " ; qu'il résulte de cette
disposition qu'il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des
personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ; que
le respect des droits de la défense constitue un des principes fondamentaux reconnus
par les lois de la République réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946,
auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 »
(Cons. constit n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, loi portant création d’une couverture
maladie universelle, cons. 38).

Le Conseil d'Etat a considéré que le droit à un recours effectif était une liberté
fondamentale au sens de l’article L.521-2 CJA en la déduisant de l’article 16 de la
DDHC (CE, réf., 13 mars 2006, Bayrou et a. n° 291118 ; CE, réf., 30 juin 2009,N°
328879).

En question prioritaire de constitutionnalité, ce principe a déjà été utilisé


« 7.Considérant que le dernier alinéa de l'article 529-10 du même code prévoit
que l'officier du ministère public vérifie si les conditions de recevabilité de la
requête en exonération ou de la réclamation sont remplies ; que le droit à un
recours juridictionnel effectif impose que la décision du ministère public
déclarant irrecevable la réclamation puisse être contestée devant la juridiction de
proximité ; qu'il en va de même de la décision déclarant irrecevable une requête
en exonération lorsque cette décision a pour effet de convertir la somme
consignée en paiement de l'amende forfaitaire ; que, sous cette réserve, le
pouvoir reconnu à l'officier du ministère public de déclarer irrecevable une requête
en exonération ou une réclamation ne méconnaît pas l'article 16 de la
Déclaration de 1789 »
(Cons. constit n° 2010-38 QPC du 29 septembre 2010, M. Jean-Yves G.
[Amende forfaitaire et droit au recours]).

Il est donc possible d’invoquer la violation de ce droit garanti par la Constitution


dans le cadre d’une QPC.

Récemment, s’agissant d’un accord bilatéral sur le renvoi de mineurs isolés roumains,
c’est-à-dire des étrangers, le Conseil constitutionnel a entièrement censuré la loi de
ratification sur ce même fondement :
« 4. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des
droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de
Constitution » ; qu'est garanti par cette disposition le droit des personnes
intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif ;

5. Considérant que les stipulations de l'accord contesté instituent une procédure


de raccompagnement d'un mineur isolé à la demande des autorités roumaines ;
que l'autorisation de raccompagner le mineur est donnée en France par le parquet
des mineurs ou par le juge des enfants s'il a été saisi ; que, lorsque la décision est
prise par le ministère public, ni les stipulations contestées, ni aucune disposition
de droit interne n'ouvrent, au bénéfice de ce mineur ou de toute personne
intéressée, un recours contre cette mesure destinée à ce que le mineur quitte le
territoire français pour regagner la Roumanie ; que, dès lors, ces stipulations
méconnaissent le droit des personnes intéressées à exercer un recours
juridictionnel effectif »

1
(Cons. constit. n° 2010-614 DC du 04 novembre 2010, Loi autorisant
l'approbation de l'accord entre la France et la Roumanie relatif à une coopération
en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français).

Il n’est guère douteux que le droit des personnes intéressées à exercer un


recours juridictionnel effectif, issu de l’article 16 de la DDHC, peut se combiner
avec le droit d’asile garanti par la Constitution (alinéa 4 du Préambule de 1946 ou
article 53-1 de la Constitution) et avec le principe de sauvegarde de la dignité de la
personne humaine, qui prohibe nécessairement la « nature irréversible du dommage
susceptible d'être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais
traitements ».
Dans sa décision de 1993, le Conseil Constitutionnel avait déjà combiné un principe
équivalent avec le droit d’asile :
« 84. Considérant que le respect du droit d'asile, principe de valeur
constitutionnelle, implique d'une manière générale que l'étranger qui se réclame de ce
droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été
statué sur sa demande ; que sous réserve de la conciliation de cette exigence avec la
sauvegarde de l'ordre public, l'admission au séjour qui lui est ainsi nécessairement
consentie doit lui permettre d'exercer effectivement les droits de la défense qui
constituent pour toutes les personnes, qu'elles soient de nationalité française, de
nationalité étrangère ou apatrides, un droit fondamental à caractère constitutionnel »
(cf. DC N°93-325 du 13 août 1993, cons. 84. Voir aussi Décision n° 96-373 DC, cons.
83).

Or, la combinaison de ces règles et principes de valeur constitutionnelle implique


nécessairement que le recours contre les décisions de réadmissions vers
des Etats européens « qui sont liés par des engagements identiques à la France
en matière d'asile et de protection des Droits de l'homme et des libertés
fondamentales, des accords déterminant leurs compétences respectives pour
l'examen des demandes d'asile qui leur sont présentées » soit de plein droit
suspensif afin d’assurer son caractère effectif. Sinon cela exposerait des
demandeurs d’asile à un risque de traitements irréversibles contraire au principe
de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

La présente question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de l’article


L.531-2 alinéa 1 du CESEDA est donc incontestablement sérieuse au sens de
l’article 23-2 3° de l’ordonnance de 1958.

Les conditions de transmission sont donc remplies.

III) MESURES PROVISOIRES

Dans la mesure où, comme cela a été démontré dans la requête introductive en
référé-liberté, la décision de réadmission vers la Grèce opposée au requérant
porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile, qui a pour
corollaire la possibilité de solliciter le statut de réfugié (CE, réf. 12 janvier 2001,
Hyacinthe), y compris dans le cadre de réadmissions « Dublin II » (CE 6 mars
2008, Dociev, n° 313915), il est demandé, en même temps que la transmission
de la présente QPC de prononcer la suspension provisoire des décisions de

1
réadmissions jusqu’à l’issue de la procédure de transmission, c’est-à-dire
soit un éventuel refus de renvoi du Conseil d’Etat, soit la décision du Conseil
constitutionnel.
Cette possibilité a, là aussi, été reconnue dans l’ordonnance Diakité :

« Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec


celles du livre V du code de justice administrative (…) que le juge des référés peut
en toute hypothèse(…)rejeter une requête qui lui est soumise pour défaut
d'urgence ; que, lorsqu'il est saisi d'une telle question, il peut prendre toutes
les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires et, compte tenu
tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, faire
usage, lorsqu'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du
code de justice administrative sont remplies, de l'ensemble des pouvoirs
que cet article lui confère »
(CE, réf., 16 juin 2010, Diakité, n° 340250).

PAR CES MOTIFS, et sous réserves de tous autres à produire, déduire ou


suppléer, M. conclut, sous toutes réserves à ce qu'il
plaise au juge des référés de :

- SUSPENDRE les procédures de READMISSION dans l’attente de l’issue


de demande de transmission de la question prioritaire de
constitutionnalité devant le Conseil d’Etat et, éventuellement, devant le
Conseil constitutionnel ;

- TRANSMETTRE sans délai la présente question prioritaire de


constitutionnalité au Conseil d’Etat ;

Il est demandé au Conseil d’Etat de :

- TRANSMETTRE dans les plus brefs délais, compte tenu de l’urgence de


l’espèce, la présente question prioritaire de constitutionnalité au Conseil
constitutionnel;

- de METTRE A LA CHARGE de l’Etat la somme de 1 500 € au titre de


l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Sarah STADLER

You might also like