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Des professeurs d’économie politique allemands au

sujet de la crise de la dette


“Le « Plénum  » des économistes  : une prise de position presque unanime face à
la crise de la dette européenne, contre une extension du plan de sauvetage des
pays surendettés de l’UE.“

Plus de 200 économistes se sont exprimés au sujet de la politique européenne face à la crise
de la dette. 90% d’entre eux sont contre les mesures actuelles de sauvetage de l’Europe.

1. En mai 2010, l’UE a créé un fonds de sauvetage, défini sur 3 ans, pour les pays surendettés
de l’Union. Aujourd’hui il est envisagé d’accroître le volume de ce fonds et de le proposer
comme dispositif durable de soutien aux Etats en proie à des crises de liquidité. Cependant,
aucune de ces 2 mesures ne peut être légitimée de manière convaincante. Il n’est en outre
pas évident que les risques, d’ores et déjà préoccupants, aient été estimés de manière
réaliste, ni que des mesures adéquates aient été envisagées pour le cas où le plan de
sauvetage échouerait.

Le volume actuel du fonds de sauvetage, noté AAA, dépasse les besoins conjugués de
l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne jusqu’en 2013 de près de 80%. La raison pour laquelle
le volume de ce fonds devrait être étendu nous apparaît donc incompréhensible. En soutien
aux Etats confrontés à des problèmes de liquidité mais non insolvables, un plan de sauvetage
n’est pas indispensable, puisque ces Etats pourraient convenir avec leurs créanciers d’une
restructuration de leur dette publique sans en changer la valeur actualisée. Les Etats qui sont
incapables de convaincre leurs créanciers qu’il s’agit d’une simple crise de liquidité doivent
être considérés comme insolvables.

Garantir, de la part de l’UE, d’assurer à long terme les capacités de paiement des Etats,
officiellement en crise de liquidité, en réalité insolvables, par le biais de crédits
communautaires, aurait des retombées négatives gravissimes. Les conditions de crédit
avantageuses ainsi que l’engagement de la responsabilité de la communauté européenne
offriraient aux pays très endettés l’immense tentation de reproduire les erreurs du passé et
de persévérer dans une politique d’endettement, au détriment de leurs partenaires
européens.

En raison de son incapacité à s’imposer, l’UE ne peut pas non plus contrer ces incitations
négatives par un contrôle budgétaire plus strict ni par le « Pacte pour la compétitivité »
proposé récemment. Les effets de ces mesures sont limités et ne peuvent pas contrecarrer
durablement les effets négatifs fondamentaux qui résulteraient d’une garantie durable des
capacités de paiement des Etats surendettés. Ainsi, à moyen terme la crise de la dette dans
l’espace européen se retrouverait encore envenimée. Cela aurait pour conséquence une
trop grande sollicitation, économiquement comme politiquement, de la solidarité des pays
solvables, ce qui à terme minerait les fondements mêmes de l’UE.

2. Une stratégie de long terme contre la crise du surendettement dans l’espace européen
nécessite la possibilité d’une mise en insolvabilité de l’Etat, suivie d’un rééchelonnement. Ce
qui implique que les créanciers privés devraient aussi renoncer au moins à une partie de
leurs créances face aux Etats débiteurs. C’est seulement ensuite que l’UE pourrait proposer
des crédits en soutien à ces Etats.

La participation des créanciers privés aux coûts d’un rééchelonnement implique que les
obligations des Etats surendettés soient associées à des primes de risques convenables.
Celles-ci vont contrecarrer une augmentation supplémentaire de la dette de l’Etat de
manière beaucoup plus efficace que les contrôles politiques ou les menaces de sanction. A
l’inverse, dans le cas d’un surendettement déjà avéré, le paiement des intérêts et des coûts
d’amortissement dépassant un degré soutenable à long terme, le rééchelonnement permet
aux Etats affectés une réduction de la dette en cours ainsi qu’un renouveau de leur politique
budgétaire. Un rééchelonnement ne nécessite pas que l’Etat insolvable soit exclu de l’Euro
et ne compromet pas la stabilité du système de l’Euro.

Sans rééchelonnement, les nécessaires réformes économiques pourraient mener dans les
pays concernés à de la frustration et de la contestation, quand malgré d’ambitieuses
mesures d’épargne le service de la dette ne pourrait être durablement réduit. Un
échelonnement veille à ce que le risque soit au moins partiellement pris par les créanciers
privés, qui bénéficient de la prime de risque. En revanche les mécanismes de long terme du
sauvetage, qui excluent l’insolvabilité d’un Etat et le rééchelonnement, conduisent à une
redistribution injustifiée de l’argent des contribuables des Etats européens solvables en
faveur des créanciers des Etats débiteurs.

3. Une stratégie contre la crise de la dette qui intègre la possibilité d’insolvabilité d’un Etat
de manière crédible doit s’assurer que les conséquences ne sont pas incalculables. Pour ce
faire, il peut être nécessaire de limiter les risques de défaillance maximum supportés par les
principaux créanciers privés d’importance systémique (« haircut »), afin d’empêcher des
réactions de panique sur les marchés financiers face à l’instauration de la clause de
rééchelonnement dans les nouveaux contrats de crédit à partir de Juin 2013. Mais en aucun
cas l’UE ne devrait assumer entièrement les risques de défaillance.

En outre, il est nécessaire que l’UE, une fois qu’un accord de rééchelonnement a été
intégralement mis en place, accorde des crédits aux Etats membres concernés, puisqu’on
sait bien qu’il est extrêmement difficile pour un Etat qui vient de se déclarer insolvable
d’obtenir des crédits privés. Ces crédits doivent être privilégiés par rapport à ceux des
créanciers privés et ne doivent être accordés que selon de strictes conditions de
réajustement structurel. Enfin, il reste une question essentielle : comment un Etat
surendetté peut-il retrouver sa compétitivité après avoir mis en place un processus de
rééchelonnement ? Comme l’union monétaire européenne ne permet pas de dévaluation
nominale, la compétitivité internationale ne peut être restaurée dans les pays concernés que
par des réformes structurelles. Le fonds monétaire international dispose dans ce domaine de
connaissances importantes et peut apporter une aide technico-administrative au niveau de
l’administration fiscale. Cependant il ne pourra être totalement évité que les réajustements
structurels aient des effets récessifs.

4. Etablir des règles incluant la mise en insolvabilité d’un Etat serait crédible seulement si les
décideurs politiques sont incités à s’en servir effectivement en cas de crise. Ces incitations
doivent exister en particulier pour les représentants de ces pays, qui auront à porter les
conséquences d’une insolvabilité. Chacun de ces décideurs devra peser minutieusement les
avantages et les coûts d’une possible insolvabilité. Alors que les coûts d’une baisse de la
créance sont relativement concrets et irréversibles pour les banques nationales et pour la
BCE, les avantages apparaissent peut-être moins évidents. De plus, les risques politiques
compliquent la prise de décision, l’insolvabilité et les conséquences qu’elle entraîne ne
peuvent pas être discutées publiquement au préalable ni soumises au Parlement. C’est
pourquoi il peut paraître plus attrayant aux politiques de gagner du temps grâce à de
nouvelles garanties pour l’Etat surendetté que de consentir, sans l’accord du Parlement, à
l’insolvabilité et aux aides qui suivraient. Ainsi, il pourrait être souhaitable de confier la
constatation du cas d’insolvabilité à une institution indépendante, comme par exemple le
fonds monétaire international. Les Etats partenaires solvables ne devraient accorder leur
aide qu’une fois la solvabilité constatée par une institution indépendante.

5. Les déclarations d’insolvabilité des Etats surendettés ne doivent pas être contournées ou
retardées en mettant la politique monétaire de la BCE au service du soutien de ces Etats. En
effet, l’achat sélectif d’obligations d’Etat hautement risquées favoriserait des Etats membres
de manière individuelle et pourrait ainsi susciter la convoitise d’autres Etats très endettés.
Ceci compromettrait la réputation et l’indépendance de la BCE. Les interventions de la BCE
ne doivent en aucun cas se limiter à apaiser les marchés sur le court terme, dès lors qu’elle
ne pourrait pas revendre les obligations qu’elle a acquises sans provoquer l’irritation des
marchés. La BCE devrait se concentrer à nouveau sur son obligation contractuelle de stabilité
monétaire et laisser aux gouvernements des Etats membres de l’UE trouver la solution au
problème de surendettement selon le principe pollueur-payeur.

6. La crise de la dette des pays de l’UE peut mener à 3 effets envisageables. D’abord elle peut
être dominée via une réelle croissance dans les pays surendettés. Ensuite, elle peut être
désamorcée par l’insolvabilité des Etats concernés qui serait suivie de mesures de soutien
bien réfléchies. La troisième solution est qu’elle mène à une mutualisation des dettes
individuelles de certains Etats membres, que ce soit par une hausse des impôts ou par une
hausse de l’inflation dans l’ensemble de l’UE.
Les risques d’une politique qui s’appuierait exclusivement sur la première et la plus favorable
de ces solutions sont considérables. Personne ne peut aujourd’hui prévoir si les Etats
concernés auront la force de s’acquitter d’un endettement encore accru par les mécanismes
du sauvetage. C’est pourquoi nous sommons le gouvernement fédéral de prendre ses
dispositions dans l’hypothèse d’une faillite du plan de sauvetage européen et, en accord
avec les Etats partenaires européens, d’élaborer un plan détaillé d’insolvabilité pour les pays
européens surendettés, qui réponde aux impératifs mentionnés ci-dessus. C’est la seule
solution pour pouvoir empêcher que l’UE prenne la direction de la troisième alternative avec
des conséquences fatales sur le long terme pour le projet global d’intégration européenne.

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