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École des hautes études en sciences de l'information et de la communication

Université de Paris-Sorbonne (Paris IV)

MASTER 2ème année


Formation Initiale

Mention : Information et Communication


Spécialité : Management et Communication Interculturelle

Option : Management de la Communication en apprentissage

MEDIAS ET WEB SOCIAL :


VERS UN BIG BANG DE L'INFORMATION

préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD

[à la suite d‟un apprentissage effectué au sein de linkfluence]

Rapporteur pédagogique : Pauline Gauquié


Rapporteur professionnel : Anthony Hamelle

Nom et prénom : OBRIST Nicolas

Promotion : 2009-2010
Soutenu le : 24 novembre 2010
Note au mémoire :
Table des matières
Remerciements ............................................................................................................................ 3

INTRODUCTION ......................................................................................................................... 4

I. D‟un « journalisme de l‟information » à un « journalisme de la communication » ............... 16

a. Le format web : quelles nouveautés ? ........................................................................ 16

Des médias décloisonnés ............................................................................................................................. 16


Les codes de l’écriture web ......................................................................................................................... 21
b. Vers une coproduction de l‟information ....................................................................... 24

Les commentaires d’internautes.................................................................................................................. 25


Crowdsourcing : la mise à contribution des internautes ............................................................................... 27
c. Agenda médiatique : un cycle de vie nouveau pour l‟information ............................... 33

Vers une compacité du temps de l’information : l’ère de l’information jetable ............................................ 34


Vers une nouvelle circulation de l’information ............................................................................................ 39
II. Médias traditionnels et médias sociaux : une relation complexe au service d‟un avenir
commun ........................................................................................................................................ 44

a. Les médias traditionnels : vecteurs de l‟idéologie dominante ? .................................. 46

Les médias traditionnels au service des puissants ? ..................................................................................... 46


Les limites d’un journalisme standardisé ..................................................................................................... 50
b. Les médias sociaux : des contre-médias ? ................................................................. 54

Le web : au-delà de la technologie, l’idéologie............................................................................................. 55


Les médias sociaux, un marché noir de l’information ? ................................................................................ 61
c. La convergence de deux mondes au service d‟une information améliorée ................. 64

Médias traditionnels et médias sociaux entre opposition et collaboration .................................................. 65


Vers une convergence entre médias traditionnels et médias sociaux ? ........................................................ 68
Entre coulisses et méta-journalisme ............................................................................................................ 72

CONCLUSION ........................................................................................................................... 77

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................... 81

ANNEXES.................................................................................................................................. 85

RESUME ................................................................................................................................... 90

MOTS-CLES .............................................................................................................................. 91
2
Remerciements

Merci à toutes les personnes qui m‟ont aidé et accompagné dans la


réalisation de ce mémoire.

A Anthony Hamelle, qui m‟a guidé dans ma réflexion et m‟a accompagné


dans mon immersion dans le web social.

A Pauline Gauquié, pour ses conseils dans le cadre de ce mémoire, et


pour son accompagnement tout au long de l‟année.

A toute l‟équipe de linkfluence, pour avoir participé à mon éducation au


web. Une équipe humaine, chaleureuse et brillante !

A toutes les personnes qui m‟ont accordé de leur temps pour un


entretien. En plus des informations précieuses qu‟elles m‟ont fournies,
chacune de ces rencontres a été un enrichissement personnel.

Merci à Véronique Richard, à Monique Beuvin et à l‟ensemble des


professeurs et intervenants au CELSA pour leur disponibilité et la qualité
de leurs enseignements.

3
Introduction

« Quand une révolution se produit, tout doit être repensé.


Le système de fabrication et de diffusion de l’information tel
que nous l’avons connu depuis près de deux siècles a atteint
un point de basculement. Il ne sera bientôt plus ce qu’il a été. Il
ne s’agit plus de réformer pour continuer comme avant, mais de
réinventer. »1 - Bernard Poulet, rédacteur en chef de
L’Expansion

Connaissez-vous « Social Media Revolution 2 »2 ? Cette vidéo présente des


chiffres plus impressionnants les uns que les autres sur l‟expansion et le poids des
médias sociaux dans le monde. La sentence est on ne peut plus claire : « Social
Media isn’t a fad, it’s a fundamental shift in the way we communicate ». On y apprend
par exemple qu‟il aura fallu 38 ans à la télévision et 13 ans à la radio pour atteindre les
50 millions d‟utilisateurs, mais seulement 4 ans pour Internet. Ce qui reste sans
commune mesure avec les 200 millions d‟utilisateurs qu‟a obtenu Facebook en 1 an !
Aujourd‟hui, si Facebook était un pays, ce serait le 3ème plus grand au dessus des
Etats-Unis et derrière la Chine et l‟Inde. Ashton Kutcher et Britney Spears (combinés)
ont plus de followers3 sur Twitter que les populations de la Suède, d‟Israël, de la
Suisse, de la Norvège ou encore du Panama. Il existe plus de 200 millions de blogs
dans le monde. 25% des résultats de recherche sur les vingt plus grosses marques
mondiales sont liés à du contenu généré par les utilisateurs. Tous ces chiffres
permettent de prendre conscience de la révolution que nous vivons aujourd‟hui, avec

1
Bernard Poulet, La fin des journaux et l’avenir de l’information, p.12, Editions Gallimard, 2009

2
Vidéo mise en ligne le 5 mai 2010 par Eric Qualman, auteur du livre Socialnomics: How social media transforms the way we live
and do business (éditions Wiley, 2009). Une première vidéo avait été diffusée le 30 juillet 2009 et connue un grand succès sur le
web (2 191 938 vues pour la seule vidéo originale au 31/08/2010), Social Media Revolution 2 en est une version mise à jour
(631 901 vues au 31/08/2010).

3
Le terme « follower » désigne un utilisateur de Twitter abonné à vos publications. Ashton Kutcher en a 5 648 983 et Britney
Spears 5 794 782 (au 31/08/2010).

4
l‟avènement du web social. Tous les secteurs sont concernés. Ainsi, dans le domaine
de la Culture, après l‟industrie musicale et du cinéma, c‟est maintenant au tour de
l‟édition de vaciller devant la remise en cause par Internet de son modèle économique.
Dans le domaine politique, les possibilités sont immenses. Au-delà de ce que permet
Internet lors des campagnes électorales – nous gardons tous en mémoire la
campagne de Barack Obama en 2008 – les possibilités en matière de démocratie sont
impressionnantes. Avec Internet et les médias informatisés, on a à faire à un
imaginaire paradoxal qui est celui d‟un média sans intermédiaire, ce qui revient à un
média sans média4. Internet incarne l‟idée qu‟on a à faire à un média où toute
interaction serait pure, directe. C‟est par exemple l‟idée défendue dans le
documentaire Us Now réalisé par l‟anthropologue anglais Ivo Gormley et mis en ligne
en juin 20095. La transparence absolue promise par l‟arrivée du web social et de
l‟interaction entre l‟internaute citoyen et les élus, le premier exerçant un contrôle sur le
deuxième, a tendance à effacer le rôle des médias d‟information et à accentuer la
responsabilité politique des citoyens comme de ceux qui sont au pouvoir. Mais plus
qu‟un pouvoir de contrôle, c‟est un pouvoir de collaboration active qui est offert au
citoyen à travers le développement du web social.

Nous venons de le voir, les médias d‟information aussi voient leur rôle remis en
cause par l‟avènement d‟Internet. S‟ils ont toujours été secoués par des crises, force
est de constater que celles qui les secouent depuis le début des années 2000 mettent
en péril leur existence même, comme l‟explique Bernard Poulet, rédacteur en chef de
L’Expansion, pour qui la presse et les médias d‟information vivent actuellement trois
révolutions : « la généralisation du numérique, la baisse brutale de l‟intérêt des jeunes
générations pour l‟écrit et pour l‟information et l‟abandon de l‟information comme
support privilégié pour la publicité »6. Mais il n‟oublie pas que ce secteur souffre
depuis longtemps déjà de plusieurs maladies chroniques, notamment « la désaffection

4
Olivier Aïm, Professeur au CELSA

5
Synopsis proposé par la Fondation Internet Nouvelle Génération : « Dans un monde où l‟information est comme l‟air, qu‟advient-
il du pouvoir ? Les nouvelles technologies et la culture collaborative qui les accompagnent présentent des modèles d‟organisation
sociale totalement nouveaux. Pour la première fois, ce documentaire est l‟occasion de rassembler des praticiens et des
théoriciens de premier plan, et de les interroger sur les opportunités nouvelles offertes aux gouvernements ».
http://fing.org/?UsNow-diffuse-en-avant-premiere

6
Bernard Poulet, La fin des journaux et l’avenir de l’information, p.11, Editions Gallimard, 2009

5
et la méfiance des lecteurs » ainsi que les « coûts de fabrication élevés » de ces
médias d‟information. Et de considérer que « c‟est assez pour compromettre la survie
des journaux, des quotidiens au premier chef, mais peut-être aussi de la plupart des
médias d‟information et de l‟information de qualité. Il existe une masse critique – de
lecteurs, de revenus, de diffusion – en deçà de laquelle tout peut s‟écrouler ». Le cas
de la presse quotidienne nationale (PQN) est particulièrement parlant. Selon les
chiffres de l‟OJD7, Le Figaro a connu une baisse de diffusion France payée de 1,76%
entre 2008 et 2009. Le Monde accuse une baisse de 4,14%, Le Parisien – Aujourd’hui
en France de 4,67%, Libération de 9,51%, La Tribune de 10,65% et France Soir de
13,56%. Sur le plus long terme, toujours selon l‟OJD, Le Figaro est passé d‟un tirage à
436 401 exemplaires en 2005 à 401 359 exemplaires en 2009. On observe une baisse
continue de la diffusion également pour Le Monde, qui passe de 481 805 exemplaires
imprimés en 2005 à 412 311 en 2009. Ce constat est le même pour l‟ensemble de la
PQN (à l‟exception de La Croix, dont la diffusion France payée a augmenté de 0,19%
entre 2008 et 2009). Et ce qui est vrai pour la PQN l‟est aussi pour les news
magazines : entre 2008 et 2009 toujours, la diffusion du Nouvel Observateur a
diminué de 1,53%, celle de L’Express de 2,38%, celle de Marianne de 7,31%.

Internet joue un rôle central dans cette crise que traverse le secteur de
l‟information. Dans leur Histoire des médias en France, Fabrice d‟Almeida et Christian
Delporte assure que « la vraie nouveauté dans l‟histoire récente des médias est, bien
sûr, la percée d‟Internet qui bouleverse les équilibres des médias, désormais
traditionnels, de l‟imprimé comme de l‟audiovisuel »8. Depuis, les médias avancent à
tâtons sur cette espace qu‟ils appréhendent difficilement. Ce rapport entre les médias
dits traditionnels et Internet constitue le point de départ de ma réflexion dans le cadre
de ce mémoire. Les métiers de l‟information sont en pleine mutation. Les usages
médiatiques évoluent de plus en plus vite. Les journalistes, qui disposaient autrefois
du monopole de l‟information – ou qui étaient en tout cas en position largement

7
La mission de l‟Office de Justification de la Diffusion est de certifier la diffusion, la distribution et le dénombrement des journaux,
périodiques et de tout autre support de publicité.

8
Fabrice d‟Almeida, Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p. 373-374, Editions
Flammarion, 2010

6
dominante –, se retrouvent confrontés à des changements radicaux dans la manière
d‟exercer leur métier. Le citoyen devient de plus en plus exigeant, au point parfois de
fabriquer lui-même sa propre information : wikis, blogs, réseaux sociaux, micro-
blogging... Ces transformations ont causé une fracture entre les médias traditionnels
et Internet. Tous doivent s‟y adapter, certains le font de gré, d‟autres de force. Ce sont
désormais deux conceptions du métier de journaliste qui s‟affrontent. Pour étudier ces
changements, il convient tout d‟abord de définir plusieurs termes, afin d‟expliciter ce
qu‟ils désignent dans le cadre de ce mémoire.

« Média ». Terme difficile à définir, tant il est susceptible de recouvrir des


champs très, voire trop larges. Le médiologue François-Bernard Huyghe en convient
dans un article9 publié sur son site le 25 juillet 2007 :

« Si nous nous tournons vers des propos plus savants, une fois rappelés quelques
truismes du type « les médias sont des moyens de communication » et une fois énumérés les
grands médias (télévision, cinéma, presse, radio..), les classifications ne sont pas beaucoup
plus nettes. Certains hésitent à ranger dans cette catégorie le théâtre, la parole, ou Internet,
alors que d‟autres, comme Mc Luhan y inscriraient volontiers la route ou l‟horloge. Tout
commence avec un mot bizarre, mélange de latin et d‟anglo-américain : mass media. Il
s‟impose à l‟époque où il n‟est question que de massification, de société de masse ou de foule
solitaire. C‟est la source d‟innombrables difficultés orthographiques et idéologiques. « Mass
media », lié aux innovations de l‟ère industrielle (cinéma, affiche, radio, télévision, presse)
désignait initialement les moyens de communication destinés aux masses, un-vers-tous. Puis la
notion s‟est étendue aux moyens de communication un-vers-un, comme le téléphone. »

La démultiplication des nouvelles technologies de l‟information et de la


communication ont ainsi participé à l‟élargissement de ce qui peut être considéré
comme un « média ». Un brin provocateur, François-Bernard Huyghe s‟interroge :
« un même appareil qui permet de cuire son poulet, de lire Platon ou de consulter la
Bourse, est-il toujours un média ? »10. Fabrice d‟Almeida et Christian Delporte
expliquent ainsi que « la limite d‟une définition trop large, c‟est qu‟elle finit par identifier
les médias à tous les processus de communication. Or, le domaine des médias est
bien plus spécifique, précisément parce qu‟il exclut la sphère des relations

9
« Définir les médias », par François-Bernard Huyghe, www.huyghe.fr, le 25 juillet 2007

10
Ibid.

7
interpersonnelles »11. Dans son article, François-Bernard Huyghe ajoute : « Certes les
médias sont des « moyens de communication » et ils distribuent des messages –
informatifs, distractifs, éducatifs – à des publics. Mais leur rôle est plus complexe »12.
En effet, leur rôle est plus complexe, puisqu‟un média ne fait pas que transmettre un
message. Au-delà du simple support, il s‟agit davantage d‟« entreprises à fabriquer de
l‟information »13. Celles-ci « se trouvent en concurrence sur un marché qui les conduit
à se démarquer les unes des autres, à mettre en œuvre certaines stratégies quant à la
façon de rapporter les événements, de les commenter, voire de les provoquer »14.
Nous sommes donc au-delà du medium qui n‟aurait pour rôle que celui de la diffusion
d‟un message. Enfin, le parti pris de ce mémoire est de ne s‟intéresser qu‟à une partie
de ces « entreprises à fabriquer de l‟information ». Pour justifier cette décision, je
reprendrai les mots de Bernard Poulet qui, dans son ouvrage La fin des journaux et
l’avenir de l’information, cadre ainsi le sujet qu‟il souhaite traiter 15 :

« La confusion entre ce que l‟on a pris l‟habitude d‟appeler des « médias » et les
organes d‟information contribue beaucoup à embrouiller les diagnostics. Si l‟on est pas
nécessairement inquiet pour la survie du Journal de Mickey, de Montres magazine, d‟une partie
des magazines féminins ou de nombreuses publications people, on doit l‟être sérieusement
pour la presse et les médias d‟information. »

Pour ne pas « embrouiller les diagnostics », nous désignerons par le terme


« média » ceux qui traitent de l‟actualité générale (politique, économie, société…)
quelque soit leur support d‟origine (presse, radio, télévision, Internet). Nous
distinguerons toutefois les médias dits traditionnels des médias dits pure players,
c‟est-à-dire tous les médias nés sur Internet (Rue89, Médiapart, Slate…). Par
opposition, les médias traditionnels sont l‟ensemble des médias créés sur un support
autre qu‟Internet (Le Figaro, LCI, RTL…). Nous inclurons dans cette catégorie leur
équivalent web (LeFigaro.fr, LCI.fr, RTL.fr…). Dans une analyse des relations entre le

11
Fabrice d‟Almeida, Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p. 14-15, Editions
Flammarion, 2010

12
« Définir les médias », par François-Bernard Huyghe, www.huyghe.fr, le 25 juillet 2007

13
Patrick Charaudeau, Les médias et l’information, p.8, Editions De Boeck Université, 2005

14
Ibid.

15
Bernard Poulet, La fin des journaux et l’avenir de l’information, p.11, Editions Gallimard, 2009

8
web et les médias, cette distinction est importante car, nous allons le voir, les pure
players se rapprochent davantage des médias sociaux que des médias traditionnels,
ils se positionnent souvent en s‟opposant à eux par le biais d‟une critique du système
médiatique.

« Web social ». En janvier 2009, Jean-Jacques Bourdin, rédacteur en


chef de RMC Info, interroge le porte-parole de l‟UMP, Frédéric Lefebvre, sur ce qu‟est
le web 2.0. Celui qui était pressenti à l‟époque au poste de Secrétaire d‟Etat à la
Communication eut alors bien du mal à répondre à cette question, bafouillant une
explication bien vague : « Le web 2.0, c’est l’Internet d’aujourd’hui… c’est-à-dire ce sur
quoi surfe tous les Français, moi comme les autres… »16. S‟il est facile de se moquer
de cette approximation, on notera que la réponse apportée par Jean-Jacques Bourdin
est quant à elle bien trop restrictive, puisqu‟il finit par lâcher à son invité que le web
2.0, « c’est Facebook, MySpace… c’est les réseaux sociaux ». Or, le web 2.0 – ou
web social – est en réalité plus large que cela. Sur son site, l‟institut d‟étude
linkfluence17 propose cette définition :

« Le web est devenu social. Initialement espace de connaissance, réseau de


documents, encyclopédie ouverte et mondiale, s‟y est progressivement constitué une couche
facilitant les échanges, les interactions, les conversations : un espace de « faire connaissance
». Cette transformation a été rendue possible par l‟adoption à grande échelle à partir de 2004
des technologies du web 2.0 facilitant la possibilité de créer, de modifier, de classer des
contenus de manière collaborative (wikis, commentaires sur les blogs, signets collaboratifs tels
delicious), de syndiquer ses contenus et ainsi les diffuser largement ou encore de rafraîchir des
parties de pages sans avoir besoin de recharger la totalité de la page (a permis par exemple le
chat en ligne). Utilisant les technologies du web 2.0, ce sont les médias sociaux qui ont porté
l‟évolution du web social. Ces espaces de publication en ligne, simples à déployer et à utiliser
ont permis à tout un chacun de créer sa propre tribune, son lieu d‟expression sur la toile mais
surtout d‟ouvrir cette tribune aux contributions de sa communauté, de ses pairs et de ses
lecteurs de passage. […] Les médias sociaux sont aujourd‟hui atomisés en différents espaces
plus ou moins poreux les uns aux autres : blogs, forums, micro-conversations (Twitter), réseaux
sociaux (Facebook, Linkedin), sites de contenus (Flickr, Dailymotion, Youtube). »

16
Cet extrait est disponible sur Dailymotion, dans la chaine BFM TV (http://www.dailymotion.com/video/x7y3lm_f-lefebvre-et-le-
web-2-0_news)

17
linkfluence est un institut d‟étude qui permet à ses clients de segmenter, analyser et cartographier le web social communauté
par communauté. C‟est dans cette entreprise que j‟effectue mon contrat d‟apprentissage du 3 septembre 2009 au 30 septembre
2010 en tant qu‟analyste.

9
Le web social est donc un web conversationnel et évolutif que font vivre les
interactions entre internautes. Dans le cadre de ce mémoire, ce sont surtout les
médias sociaux qui nous intéressent, à savoir ces espaces de production et de
partage de contenu. Les médias pure players entrent dans cette catégorie car ils
intègrent pleinement la logique des médias sociaux dans leur modèle de
fonctionnement, comme nous le verrons tout au long de ce mémoire.

« Information ». Ce terme est le fil rouge de ce mémoire. Toute la réflexion


s„articulera autour de ce qu‟est l‟information et de ce qu‟elle devient dans le contexte
que nous avons expliqué précédemment. Commençons par la définition la plus
simple, celle du dictionnaire18. Déjà, il apparait que le terme recouvre plusieurs
définitions, le dictionnaire n‟en proposant pas moins de cinq différentes, notamment
« Action de donner connaissance d‟un fait », assortie de l‟exemple « La presse est un
moyen d’information. ». Plus loin, le dictionnaire propose « élément de connaissance,
renseignement élémentaire susceptible d‟être transmis et conservé grâce à un support
et un code ». Et de donner comme définition alternative « ensemble des nouvelles
communiquées par la presse, la radio, la télévision, etc. ». Cette notion d‟information
est donc très liée aux médias. Au cours des entretiens 19 réalisés dans le cadre de ce
mémoire, j‟interrogeais mes interlocuteurs sur la notion d‟« information », leur
demandant de me donner leur propres définitions des trois termes suivants :
« information », « information journalistique » et « témoignage ». Je leur demandais
également ce qui, toujours selon eux, les différencie. Pour Laurent Mauriac 20, co-
fondateur de Rue89, une information est « un fait ou un événement qui est relaté mais
qui a été recoupé et vérifié ». Faisant référence au fonctionnement du site
d‟information LePost.fr, sur lequel tout internaute peut poster un article pour peu qu‟il
se soit inscrit, ces articles étant alors estampillés « info non vérifiée », Laurent Mauriac
considère qu‟il s‟agit d‟« une contradiction », avançant qu‟« une information est
forcément journalistique car il y a un travail de vérification qui a été fait. S’il n’y a pas
eu ce travail, ce n’est pas une information ». Pourtant, en dehors de Laurent Mauriac,
aucune des personnes que j‟ai pu interroger n‟a été en mesure d‟expliciter ce qu‟il

18
Dictionnaire Hachette encyclopédique, Editions Hachette, 2001

19
Cf. Annexe Entretiens, p.86

20
journaliste politique pour LeMonde.fr. Cf. Annexe Entretiens, p.86

10
entendait par « information ». Ainsi se trouve mise en évidence la difficulté qu‟il y a à
définir ce terme, y compris pour des professionnels de l‟information. Ceci étant dit, la
plupart ont donné une définition claire de ce qu‟est une « information journalistique » à
leurs yeux. Samuel Laurent21, à la question « qu‟est-ce qu‟une information ?», est
d‟abord déstabilisé et commence par répondre qu‟il ne sait pas. Mais lorsqu‟il s‟agit de
faire la différence entre « information » et « information journalistique », il explique que
l‟information est un « terme plus large, c’est de la donnée qui t’éclaire sur quelque
chose que tu ne connaissais pas ». Cette perception est intéressante car elle signifie
que dès lors que l‟on prend connaissance d‟une donnée, celle-ci cesse d‟être une
information. On rejoint ici la définition apportée par le dictionnaire : « Action de donner
connaissance d‟un fait » et « ensemble des nouvelles communiquées par la presse, la
radio, la télévision, etc. ». Le mot « nouvelle » montre bien le caractère neuf de ce
qu‟est une information. Si l‟on mêle ces différentes définitions, on peut alors dire que
l‟information est une donnée neuve recueillie par un journaliste, qui va la vérifier et la
recouper avant de la diffuser par le biais de son média pour la porter à la
connaissance de son public.

Et c‟est là que tout se complique. Car depuis l‟avènement des médias


sociaux, ce travail de recueil, de vérification et de diffusion de l‟information s‟est
beaucoup transformé. Comme l‟expliquent Fabrice d‟Almeida et Christian Delporte,
« avec Internet, les journalistes ne sont plus les détenteurs exclusifs des sources
d‟information et ne peuvent plus revendiquer leur qualité d‟intermédiaires entre le
public et les émetteurs de l‟information »22. Les grands événements de la dernière
décennie le prouvent bien. Du 11 septembre 2001, avec les attentats au World Trade
Center, au 11 mars 2004, avec les attentats à Madrid, en passant par les émeutes en
Iran en juin 2009 et le tremblement de terre en Haïti en 2010, la fabrique de
l‟information n‟est plus entre les seules mains des journalistes. Les nouveaux outils
technologiques permettent à ceux qui sont sur place – avant les médias – d‟être les
premiers émetteurs de l‟information. On place parfois cela sous l‟étiquette de

21
Ibid.

22
Fabrice d‟Almeida, Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p.380, Editions
Flammarion, 2010

11
« journalisme citoyen ». Plus généralement, la participation des internautes à la
fabrique de l‟information se fait plus importante chaque jour. A travers les
commentaires d‟articles, les blogs ou encore les réseaux sociaux, le lecteur fait
désormais partie intégrante de la fabrique de l‟information. Mais cela n‟est que le
résultat d‟une adaptation progressive des médias au support Internet. De fait, dès
l‟ouverture d‟Internet au grand public dans les années 90 23, le secteur des médias a
commencé à évoluer. Par exemple, Jacques Rosselin a lancé en 1998 CanalWeb,
« un opérateur de télévision sur le net »24. Des web-radios ont été créées dès 1999
(No Problemo et Net.Radio.FM). Mais « l‟information est surtout passée par les
médias classiques se saisissant du Net »25, à l‟instar du magazine Elle, qui s‟est lancé
sur Internet en novembre 1995. Petit à petit, tous les grands médias créent leur site,
dont le contenu n‟était, à ce moment-là, qu‟une copie de la version originale du média.
Un problème se pose alors pour ces médias qui passent au web : comment se
positionner par rapport à leur support d‟origine ? Mais surtout, avec quel modèle
économique ? Cette dernière question est aujourd‟hui encore en suspend et reste le
cœur du problème pour les médias, en particulier pour la presse écrite. Si ce n‟est pas
l‟objet de ce mémoire, cette problématique du financement des médias y sera abordée
à plusieurs reprises, car la question de la fabrique de l‟information en est
indissociable. Les médias ont également subi d‟autres évolutions, notamment dans les
moyens mis en œuvre pour s‟adapter au web : avec l‟arrivée des médias sur Internet
« se sont constituées de véritables rédactions Web (plutôt de jeunes journalistes,
pigistes et souvent mal payés) »26. En 2009, Xavier Ternisien, journaliste média pour
Le Monde, publie un article intitulé « Les forçats de l‟info »27. La description qu‟il y livre
des rédactions Web et des conditions de travail de ceux qui les composent provoquent
un débat enflammé dans la profession. Dans cet article, Xavier Ternisien présente

23
1991 aux Etats-Unis, 1994 en France

24
Cf. Annexe Entretiens, p.86

25
Fabrice d‟Almeida, Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p.375, Editions
Flammarion, 2010

26
Fabrice d‟Almeida, Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p.376, Editions
Flammarion, 2010

27
« Les forçats du web », Le Monde, 26 mai 2009 (http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2009/05/25/les-forcats-de-l-
info_1197692_3236_1.html)

12
ainsi ces journalistes comme des « OS de l‟info »28, empruntant la formule à Bernard
Poulet. Le portrait qu‟il en dresse est particulièrement dur à leur égard :

« On dit aussi « les journalistes « low cost » », ou encore « les Pakistanais du Web ».
« Ils sont alignés devant leurs écrans comme des poulets en batterie », constate, effaré, un
journaliste de L‟Express, en évoquant ses confrères du site Web Lexpress.fr. Internet a
accouché d‟une nouvelle race de journalistes. Moyenne d‟âge : 30 ans. Le teint blafard des
geeks, ces passionnés d‟ordinateur qui passent leur temps devant l‟écran. Ils ont suivi le
parcours obligé : stage, contrat de professionnalisation, contrats à durée déterminée (CDD),
avant d‟espérer un hypothétique contrat à durée indéterminée (CDI). Ils enchaînent les journées
de douze heures, les permanences le week-end ou la nuit. « Au niveau social, Internet est une
zone de non-droit », assène Sylvain Lapoix, journaliste au site Marianne2.fr, qui envisage de
créer une association pour défendre les droits de ses collègues. Les témoignages abondent, le
plus souvent sous anonymat. […] C‟est le cas de cette jeune femme de 24 ans, qui a travaillé
de 2006 à 2008 en contrat de professionnalisation au Nouvelobs.com. Elle décrit un travail
bâclé, le copier-coller de dépêches d‟agence « en reformulant vaguement, sans jamais vérifier,
faute de temps ». La logique est d‟être les premiers à mettre en ligne l‟information afin d‟être
repérés par Google. »

A la lecture de cet article, on comprend que le web a profondément changé la


manière de faire de l‟information, au sein même des médias traditionnels. En plus de
l‟organisation en interne des rédactions web qui semble ne pas correspondre aux
critères des rédactions traditionnelles, il apparait clairement que les profils des
journalistes web sont très différents de ceux de leurs confrères, tant dans les
conditions que dans les méthodes de travail. Ces différences s‟ajoutent à celles
évoquées précédemment, à savoir l‟irruption du citoyen-lecteur dans le processus de
fabrication de l‟information. Il apparait donc qu‟Internet a changé la manière de faire
de l‟information, ce qui est d‟autant plus vrai avec l‟essor incroyable des médias
sociaux. A travers ce mémoire, nous allons ainsi tenter de répondre à la
problématique suivante :

Comment s’est élaborée la représentation selon laquelle un journalisme


amateur et conversationnel s’établirait sur le web en opposition aux pratiques
journalistiques traditionnelles ?

28
Ouvrier spécialisé de l‟information

13
Pour cela, nous appuierons notre réflexion sur différents éléments. La
méthodologie employée ici est diverse. Tout d‟abord, j‟ai réalisé une série d‟entretiens
– douze au total – avec différents acteurs du système médiatique : des journalistes,
des blogueurs, des responsables multimédias de médias. Ces entretiens ont permis
de saisir de l‟intérieur ce que le web a changé concrètement dans les méthodes de
travail des journalistes et dans leur rapport à l‟information. Des enseignements sont à
tirer également en ce qui concerne les rapports entre les médias traditionnels et les
médias sociaux, en particulier les blogueurs. Ensuite, mon expérience professionnelle
au sein de linkfluence en tant qu‟apprenti m‟a permis d‟acquérir une connaissance
approfondie des relations entre les différentes communautés du web, ainsi que des
canons de l‟information sur le web. A plusieurs reprises, j‟au eu pour mission de
réaliser des veilles stratégiques29. Celles-ci étaient généralement séparées en deux
parties, avec d‟une part le traitement d‟une thématique par les médias traditionnels en
ligne, en prenant également en compte les commentaires d‟internautes, et d‟autre
part, le traitement de cette même thématique par les médias sociaux. J‟ai donc eu
l‟occasion tout au long de cette année d‟apprécier les convergences et les
divergences existantes entre ces deux sphères. Ces veilles étaient principalement
réalisées à partir d‟un corpus d‟articles et de billets de blogs publiés au sein des
différentes communautés du web, en utilisant une technologie développée par
linkfluence : le linkscape30. Le linkscape se compose d‟un échantillon de sites web, le
livepanel, qui sert de terrain d‟étude. Le web y est découpé en communautés d‟intérêt
(« ensemble de sites de tous types partageant les mêmes sujets et échangeant
fréquemment »). Cet échantillon, comme le mot l‟indique, « ne compte pas la totalité
du web mais seulement les sites lus, vus, entendus et représentatifs du web social ».
A ces éléments méthodologies s‟ajoutent une recherche documentaire, qui se
compose de rapports d‟études, d‟articles de presse, de billets de blog, de
documentaires, ainsi qu‟une large bibliographie, portant tous sur les thématiques
abordées dans ce mémoire : Internet, les médias et le journalisme.

29
Pour des raisons de confidentialité, ces notes ne peuvent être jointes en annexe à ce mémoire.

30
La description complète de cette technologie est disponible sur le site Internet de linkfluence : http://fr.linkfluence.net/insights-2-
0/technologies/

14
Ces différentes méthodologies m‟ont permis de mettre en place deux
hypothèses venant structurer ma réflexion.

La première hypothèse exprime l‟idée que les médias sociaux se seraient créés
par opposition aux médias traditionnels, se positionnant comme des contre-médias
face à ce qu‟ils perçoivent comme des médias mainstream sous l‟influence du pouvoir
politique et économique.

La seconde hypothèse suppose que le web social se veut porteur de valeurs


favorisant l‟émergence d‟une nouvelle démocratie par l‟apport d‟une information plus
« transparente » et « ouverte ». En donnant accès aux coulisses de l‟information, on
observe un glissement d‟une profession du secret (sources secrètes, échanges en off,
etc.) à une profession transparente.

Ainsi, nous articulerons notre réflexion autour de deux axes. Tout d‟abord, nous
analyserons les changements apportés par le web dans les méthodes de travail des
médias. Quelles nouveauté dans les formats ? Comment appréhender le rapport au
lecteur ? Mais aussi que change le web en matière de circulation de l‟information ?
Ensuite, c‟est le rapport entre les médias traditionnels et les médias sociaux que nous
étudierons, en nous interrogeant sur les liens qui se nouent entre ces deux mondes
qui s‟opposent, parfois violemment, mais qui, finalement, sont dépendants l‟un de
l‟autre.

15
I. D’un « journalisme de l’information » à un « journalisme de la
communication »

a. Le format web : quelles nouveautés ?

Avant toute chose, rappelons le cadre existant dans les médias traditionnels
depuis des années. Le métier de journaliste est organisé autour d‟une matière :
l‟information. Les journalistes ont pour missions de récolter, vérifier, trier et diffuser
cette matière. Quelque soit le média ou le poste occupé par le journaliste, ces
missions restent sensiblement les mêmes pour tous, puisque cela constitue la base de
ce métier, comme me l‟ont expliqué les professionnels que j‟ai interrogés sur le sujet 31.
Le web, par contre, offre un véritable espace de liberté pour les journalistes. Tandis
qu‟un sujet est limité en temps à la télévision ou à la radio, en taille dans la presse
écrite, le web éclate ces contraintes et ouvre de nouvelles perspectives. Pour les
médias traditionnels, c‟est l‟occasion de diversifier leur métier : un journal peut
désormais faire de la vidéo, une radio peut faire du texte. Mais le web, comme tout
support, comprend des contraintes qui lui sont propres. Pour être lu sur Internet, il est
nécessaire de pouvoir être retrouvé. Pour cela, le journaliste, lorsqu‟il rédige son
papier, doit prendre en compte un certain nombre de critères permettant aux pages de
son média d‟apparaitre parmi les premiers résultants d‟une recherche sur un moteur
de recherche (Google, Bing…) sur un sujet donné. Ces techniques de référencement
sont ce que l‟on appelle du SEO, pour search engine optimization. Enfin, on assiste à
de nouveaux modèles de mise en scène de l‟information, propres au web, comme les
web-documentaires. Ce sont ces différents points que nous analyserons ici.

Des médias décloisonnés

C‟est l‟un des grands bouleversements survenus avec l‟émergence du web et l‟arrivée
des médias sur ce support. Si la séparation entre radio, télévision et presse écrite était
sans équivoque et sans le moindre souci d‟interprétation, il apparait clairement
qu‟Internet a fait voler en éclat cette répartition des rôles : l‟écrit pour le papier, le son

31
Cf. Annexe Entretiens, p.86

16
pour la radio et la vidéo pour la télévision. Sur le web, ce découpage n‟a plus lieu
d‟être. Les médias traditionnels proposent sur leur site tout type de contenu, quelque
soit leur support d‟origine. Interrogé dans le cadre d‟un documentaire32 réalisé par
Geoff McGhee sur le data-journalisme33, Nigel Holmes explique, en référence à la
mise en image d‟une de ses infographies sur les énergies, que c‟est là que se situe la
vraie différence entre la presse écrite et le web :

« Here to me is a classic difference between print and what you can do on the web : you can tell
a story, you’ve got words, you’ve got music, you’ve got silence, you’ve got movements, you’ve
got sound effects. The thing that seems now incredibly compressed on the page, and actually a
little complicated could now breathe and you could lead people through the steps and show the
length of things and talk about it. That was a revolution to me. »

Prenons l‟exemple du site LeMonde.fr, site du quotidien Le Monde. On y trouve


principalement du texte : les articles des rédactions papier et web y sont publiés en
intégralité, la majorité d‟entre eux étant en accès libre. A cela s‟ajoutent des
infographies, c‟est-à-dire des représentations visuelles d‟information (par le biais de
schémas ou de graphiques par exemple). Ainsi, le 28 avril 2010, LeMonde.fr a publié
une infographie dynamique montrant les différences entre les régimes de retraite du
privé et du public34 :

32
Journalism in the Age of Data, http://datajournalism.stanford.edu/

33
Le data-journalisme est un « journalisme de données », qui travaille les chiffres, les représentations graphiques et les bases de
données pour en tirer des informations.

34
« Retraites : les différences entre le public et le privé », LeMonde.fr, 28 avril 2010 (http://j.mp/9fd2jY)

17
Cette infographie se déroule étape par étape, de gauche à droite, accompagnée par
des explications audio. L‟objectif est vraisemblablement de rendre accessibles des
informations particulièrement techniques, en évitant l‟aspect dissuasif d‟un article plein
de chiffres, qui non seulement n‟atteindrait que difficilement le même niveau de clarté,
mais serait en plus rébarbatif pour le lecteur.

Si les infographies sont déjà monnaie courante dans les médias traditionnels, l‟apport
du support Internet dans ce domaine est considérable, puisqu‟il permet de les rendre
interactives. La visualisation de l‟information – et surtout le rapport que le lecteur
entretient avec elle – s‟en trouve bouleversée. Enfin, sont disponibles sur le site du
Monde.fr des formats plus inhabituels pour un média écrit : du son et des vidéos.
Grâce au web, Le Monde peut ainsi proposer à ses lecteurs sur son site Internet un
« radiozapping », qui reprend « ce qu‟il ne fallait pas rater des matinales radio »,
comme l‟indique le site. Ce radiozapping, publié chaque jour, reprend donc les
moments forts des matinales radio dans un document audio qui dure généralement
moins de cinq minutes. Dans la même veine, le site du quotidien propose une « revue

18
des JT de la semaine ». En deux minutes, la vidéo permet à l‟internaute de prendre
connaissance des principales informations diffusées dans les JT de la mi-journée
concernée.

Ces trois exemples – les infographies, le « radiozapping » et la « revue des JT de la


semaine » - montrent combien le web a changé la donne. Le Monde, média papier à
l‟origine, produit aujourd‟hui en plus des articles, du son et de la vidéo, ainsi que des
animations graphiques. On constate ce phénomène sur l‟ensemble des sites de
médias. On se souvient de la vidéo postée par LeParisien.fr montrant le Président de
la République répliquer à un agriculteur refusant de lui serrer la main le célèbre
« casse-toi pauvre con »35. Le web permet ainsi à un quotidien de faire l‟événement
grâce à une vidéo postée sur son site Internet. La vidéo dure 45 secondes et a depuis
été visionnée plus de 2 millions de fois sur le site du Parisien. Inversement, Public
Sénat a crée un buzz sur le web en avril 2010 après la publication d‟un article posté
sur le site Internet de la chaine : « Quand Alain Lambert fait de l‟antisarkozysme sur
Twitter »36. On y apprenait que le sénateur UMP Alain Lambert avait émis des
critiques assez vives à l‟encontre de Nicolas Sarkozy, peu de temps après la défaite
de la majorité présidentielle aux élections régionales : « Le sénateur UMP de l‟Orne
n‟arrête plus. Depuis la défaite de son camp aux régionales, il multiplie les attaques
contre Nicolas Sarkozy sur Internet. Et milite même pour que le Président ne se
représente pas ! », pouvait-on lire. Au-delà de la petite polémique qui s‟en est suivie –
le sénateur ayant contesté l‟analyse de l‟article – on a pu voir à ce moment une chaine
de télévision, plutôt confidentielle, créer une polémique, qui a beaucoup fait parler le
milieu politico-médiatique pendant quelques jours. Alain Lambert a même eu droit aux
honneurs de la matinale de RTL, pour répondre aux questions de Jean-Michel
Aphatie37.

Les repères présents avant l‟émergence d‟Internet et de la présence des médias


traditionnels sur le web ne sont donc plus d‟actualité. Aujourd‟hui, un quotidien, une
radio ou une chaine de télévision présent sur le web est avant tout un média présent

35
« Premiers pas mouvementés de Sarkozy au salon de l'agriculture », LeParisien.fr, 23 février 2008 (http://j.mp/acFChC)

36
« Quand Alain Lambert fait de l‟antisarkozysme sur Twitter », PublicSenat.fr, 1er avril 2010 (http://j.mp/b9oyDJ)

37
« Alain Lambert : "Juppé serait un meilleur candidat que Sarkozy pour 2012" », RTL.fr, 12 avril 2010 (http://j.mp/95ZRcz)

19
sur le web. On note d‟ailleurs que la distinction entre un quotidien, un hebdomadaire
ou encore un mensuel n‟a pas plus de sens sur Internet. On retrouve en effet les
mêmes informations sur le site d‟un quotidien comme Le Figaro que sur celui d‟un
hebdomadaire comme Le Nouvel Observateur. Prenons, par exemple, l‟information
selon laquelle la consommation des ménages français a baissé au mois de janvier
2010. Sur le site du Monde, on trouve un article daté du 23 février 2010 titrant : « La
consommation des ménages a fléchi en janvier »38. Sur le site du Nouvel Observateur,
un article en date du 25 février titre sur : « Net recul de la consommation des ménages
en janvier »39. Et le corps des deux articles ne diffère guère. Quand LeMonde.fr nous
explique que « la consommation des ménages français en produits manufacturés est
retombée de 2,7 % en janvier, sous l‟influence des achats de voitures qui ont chuté de
16,7 % après la réduction de la prime à la casse automobile, annonce l‟Insee », le
NouvelObs.com, lui, nous affirme que « les dépenses de consommation des ménages
français en produits manufacturés ont nettement baissé en janvier par rapport à
décembre (-2,7%), plombées par le recul des achats automobiles avec la diminution
du montant de la prime à la casse, a annoncé l‟Insee ». A quelques virgules près, la
présentation de l‟information est identique sur le site du quotidien et sur celui de
l‟hebdomadaire, montrant bien que la notion de périodicité n‟influe pas a priori sur le
contenu du site Internet d‟un média papier. L‟explication à cette ressemblance se
trouve dans le fait que la grande majorité des sites d‟information fabriquent leur
contenu sur la base de dépêches d‟agences de presse (AFP, AP, Reuteurs…). Avec
un tel fonctionnement, il devient difficile pour un média de se différencier de ses
concurrents sur le contenu.

Si ce n‟est sur le fond, c‟est donc sur la forme que les changements s‟observent. La
multiplicité des formats possibles sur le web est également vecteur d‟innovation en
termes de mise en scène de l‟information. L‟émergence de ce que l‟on appelle les
webdocumentaires en est la preuve. Pour Morgane Tual, les webdocumentaires
représentent « une révolution dans le récit journalistique »40. C‟est au printemps 2010
que ce genre s‟est révélé en France, avec Prison Valley, webdocumentaire sur

38
« La consommation des ménages a fléchi en janvier », LeMonde.fr, 23 février 2010 (http://j.mp/aGxIDt)

39
« Net recul de la consommation des ménages en janvier, NouvelObs.com, 25 février 2010 (http://j.mp/dm2YAf)

40
Cf. Annexe Entretiens, p.86

20
l‟univers carcéral aux Etats-Unis, salué par la profession, au point de remporter le Prix
RFI-France24 du webdocumentaire à Perpignan 41. Pour Rue89, Prison Valley
« apparaît aujourd‟hui comme l‟objet le plus mature d‟un genre qui se cherche
encore »42. Le webdocumentaire se caractérise par son interactivité. Par exemple,
dans Prison Valley, LeMonde.fr estime que l‟interactivité est justement le « mot
d‟ordre »43 :

« Le visiteur est d‟abord invité à « prendre une chambre » dans le motel où le tandem avait
établi son QG pendant le tournage. En s‟enregistrant via une adresse email, il crée un compte
qui active les bonus. Il peut aussi voir qui est connecté en même temps et chatter avec ces
personnes.
Dans Prison Valley, l‟internaute est au centre des choix, mais aussi au centre des débats : le
webdocu offre la possibilité d‟échanger avec les protagonistes via des questions transmises par
les journalistes. »

Le webdocumentaire est la première forme d‟aboutissement de ce que le web permet


en termes de mise en scène de l‟information. Il combine l‟apport multimédia du web
avec l‟apport participatif. En cela, les webdocumentaires sont bien représentatifs de ce
que le web a à offrir en matière d‟information.

Cette explosion des formats médiatiques s‟accompagne d‟un autre changement, celui
de l‟écriture qui diffère sur le web par rapport à ce qu‟elle est sur le papier.

Les codes de l’écriture web

La forme d‟un article sur le web ressemble de près à ce qu‟on trouve dans un journal :
un titre, un chapô, le corps de l‟article avec des intertitres. Les différences se situent à
plusieurs niveaux. Un journaliste web n‟écrit pas uniquement pour ses lecteurs. Il écrit
avant tout pour Google. Le référencement dans les moteurs de recherche est en effet
particulièrement stratégique pour les médias puisque, de plus en plus, les internautes
n‟arrivent plus sur les sites d‟information par la page d‟accueil mais directement sur un

41
« Prison Valley remporte le Prix RFI-France24 du webdocumentaire à Perpignan », RFI.fr, 31 août 2010 (http://j.mp/bRWJ2D)

42
« Prison Valley : derrière le buzz, l'histoire d'un webdocumentaire », Rue89.fr, 23 mars 2010 (http://j.mp/bDs6wP)

43
« "Prison Valley", un webdocu sur l'industrie carcérale américaine », LeMonde.fr, 22 avril 2010 (http://j.mp/98IaKi)

21
article, en provenance souvent d‟un moteur de recherche généraliste (Google, Bing…)
ou spécialisé (Google Actualités notamment). Ainsi, comme l‟indique une étude de
l‟AT Internet Institute sur les douze plus grands sites d‟information français 44, Google
représente pour ces sites 40% du trafic. D‟ailleurs, si le mélange des formats se
multiplient sur Internet, comme nous venons de le voir, il apparait qu‟un format est
indispensable : l‟écrit. C‟est ce qu‟explique Bérangère Beurdeley45, responsable du
pôle Internet de Public Sénat, pour qui ce nouveau métier de l‟écrit était
indispensable :

« On ne pouvait pas être la chaine de l’information politique et ne pas proposer d’information


sur le site et également parce que l’on s’est rendu compte qu’une grande partie de la visibilité
de Public Sénat sur Internet était liée au référencement, et notamment au référencement
naturel, et que les moteurs de recherche avaient beaucoup de difficultés à avaler les vidéos, et
qu’il fallait donc proposer du contenu écrit. »

Les marqueurs les plus visibles de ces stratégies SEO – search engine optimization –
sont les mots-clés ou tags, ces mots ou expressions qui accompagnent chaque article
mis en ligne sur les sites d‟information, comme ici sur LeFigaro.fr, pour un article
concernant les problèmes de drogues de Jean-Luc Delarue :

Ils permettent à la fois d‟obtenir une meilleure visibilité dans les moteurs de recherche,
ainsi que de faciliter la navigation sur le site Internet autour d‟un sujet précis. Au-delà
des mots-clés, les journalistes doivent veiller à placer des termes dans le corps du
texte qui permettront eux aussi à l‟article de remonter dans les résultats des moteurs
de recherche. La fréquence des mises à jour et l‟analyse du trafic des internautes sont
des éléments très importants dans une optique de référencement. Cela donne parfois

44
« News websites: Facebook ahead of Twitter in terms of traffic source », ATinternetinstitute.com, 24 septembre 2010

45
Cf. Annexe Entretiens, p.86

22
lieu à des scènes étranges, comme celle que rapporte Stéphane Cabrolié dans le
numéro de la revue Réseaux consacré à la presse en ligne46 :

« On vient de recevoir un conseil de notre rédacteur en chef qui nous indique qu’une fois que
tous les papiers ont été publiés chez les concurrents, c’est bien de revenir sur le papier et de
faire un petit changement pour être référencé en dernier et apparaitre en tête de liste (…) Si tu
mets une virgule dans ton papier, que tu le réenregistres et que tu le rebalances après, ça
joue. »

On voit poindre, ici, une évolution du rôle du journaliste, qui doit, en plus de faire de
l‟information, s‟assurer que celle-ci bénéficie de la meilleure visibilité possible auprès
de son public. Ainsi, comme me l‟expliquait Samuel Laurent lors de notre entretien, la
technique a son importance dans l‟écriture web. Il y a encore peu de temps, publier
sur le web nécessitait quelques connaissances techniques. Aujourd‟hui, les
technologies existantes sont beaucoup plus simples, se rapprochant du logiciel de
traitement de texte, permettant d‟élargir les possibilités et le nombre de personnes
susceptibles de publier en ligne. Dans la revue Réseaux toujours, Stéphane Cabrolié
explique que « la technique [est] au centre de la collaboration entre papier et web ».
Par exemple, au Parisien.fr, son terrain d‟étude, les journalistes publient leurs articles
par le biais d‟un système de gestion de contenu (SGC ou CMS) 47 : « le système de
gestion de contenu sert aux journalistes à éditer, hiérarchiser et mettre en ligne les
contenus, sur la base d‟une définition préalable du circuit de validation de la copie ».

Mais l‟un des éléments les plus importants que permet l‟écrit sur le web est la
possibilité de faire des liens hypertexte, c‟est-à-dire rediriger les internautes vers
d‟autres pages web, qu‟elles appartiennent au même site ou non. Joël Ronez,
responsable Internet pour Arte France, explique : « la navigation hypertexte pourrait
s‟apparenter à une phrase à plusieurs voix ; pleine de digressions possibles mais
logiques, dont les mots seraient des pages Web. Cette phrase passe par un site en
provenance d‟un autre, et se poursuit ailleurs. »48 En effet, les liens offrent une
possibilité nouvelle pour les journalistes, celle d‟offrir au lecteur-internaute de
nombreux approfondissements et des digressions permettant de traiter un sujet de

46
« La presse en ligne », Revue Réseaux n° 160-161, p.89, Editions La Découverte, 2010

47
Ibid. p.85

48
Joël Ronez, L’écrit web, traitement de l’information sur Internet, p.26, CFPJ Editions, 2007

23
manière beaucoup plus exhaustive. Les liens hypertexte permettent également de
renforcer la crédibilité et la valeur d‟une information, en proposant, par exemple, un
lien vers la source de cette information. Mais surtout, les liens, au-delà de cette
possibilité de compléter un sujet traité par d‟autres informations disponibles ailleurs,
sont également un élément de socialisation du web. Faire un lien, c‟est reconnaitre la
qualité d‟un contenu tiers. Un lien, sur le web, est une recommandation. Nous l‟avons
déjà dit, aujourd‟hui l‟internaute n‟arrive plus sur un article en passant par la page
d‟accueil – la Une – des sites de médias en ligne. Les moteurs de recherche sont l‟un
des principaux points d‟entrée, et plus une page reçoit de liens autour d‟un sujet, plus
elle sera considérée comme pertinente sur le dit sujet et plus elle gagnera en visibilité
sur le web. Car les liens eux-mêmes sont d‟importantes sources de trafic : « on arrive
sur le contenu par le lien », m‟affirmait Stéphane Ramezi, responsable multimédia de
Radio France, lors de notre entretien 49. C‟est donc, comme les mots-clés, des
éléments nouveaux que les journalistes doivent prendre en compte dans le processus
de rédaction.

Mais la technique nouvelle, qui a changé la donne sur Internet, est ce que l‟on appelle
le web 2.0, cette couche qui permet l‟interactivité, la conversation, la participation des
internautes. Le web 2.0 est ce qui a permis l‟émergence d‟une production de
l‟information à plusieurs voix, impliquant à la fois le journaliste, l‟expert et le lecteur.

b. Vers une coproduction de l’information


Lors de notre entretien, Jacques Rosselin, fondateur de Courrier International et
de Vendredi notamment, considérait que « le web fait vivre l’information dans la
conversation »50. Car un journaliste ne produit plus que très rarement de l‟information
seul. Il interagit avec d‟autres acteurs, qui étaient auparavant dans un rôle passif – les
lecteurs – ou de mise à disposition – comme les experts –. A présent chacun d‟eux est
un rouage, plus ou moins important selon les cas, de la machine à fabriquer de

49
Cf. Annexe Entretiens, p.86

50
Ibid.

24
l‟information. D‟ailleurs, pour Laurent Mauriac, la dimension participative est « dans
l’essence même de ce qu’est Internet »51.

Les commentaires d’internautes

Il existe plusieurs degrés de participation à la fabrique de l‟information. La moins


engageante est le commentaire, ces quelques mots, quelques phrases que les
internautes postent sous les articles publiés sur les sites d‟information ou les blogs, le
plus souvent anonymement. Ces commentaires sont utiles dans le processus de
fabrique de l‟information pour plusieurs raisons. Tout d‟abord, cela permet de prendre
la mesure de ce que pensent une partie des lecteurs du média. En conjuguant les
réactions d‟internautes de plusieurs médias, de manière à être le plus exhaustif
possible, cela permet d‟obtenir une photographie de l‟opinion des internautes sur un
sujet. Par exemple, Samuel Laurent, journaliste politique pour LeMonde.fr, a indiqué
sur Twitter le 16 septembre : « A lire les coms du fig.fr, la rhétorique « elle a qu‟à les
prendre chez elles, les Roms », a eu un succès fou »52. Un internaute lui avait alors
demandé pourquoi il lit les commentaires du Figaro.fr, et Samuel Laurent de
répondre : « C‟est un super sondage quali en temps réel de l‟opinion de droite... »53.
On voit donc que les commentaires font partie intégrante de la fabrique de
l‟information, étant même pris en compte par les journalistes eux-mêmes.

Les commentaires sont différemment pris en compte par les médias en ligne. Chez
Rue89, ils sont le prolongement de l‟article. La rédaction en sélectionne souvent
quelques uns, les plus représentatifs ou les plus qualitatifs, qu‟elle met en avant à la
fin d‟un article. Laurent Mauriac me précisait également que les internautes leur
posaient des questions via l‟espace commentaire, auxquelles les journalistes
répondent parfois. Car l‟enjeu se situe bien à ce niveau pour les médias en ligne :
l‟échange avec l‟internaute doit permettre de rendre l‟information meilleure, en
corrigeant la forme (fautes d‟orthographe) et le fond (erreurs factuelles par exemple).
Cela est valable pour les médias traditionnels, puisque le web devient le lieu de
rencontre entre le média et le public. Chez TF1 et LCI par exemple, le médiateur

51
Ibid.

52
Tweet publié le 16 septembre 2010, à 13h25 (https://twitter.com/samuellaurent/status/24655381597)

53
Tweet publié le 16 septembre 2010, à 15h11 (https://twitter.com/samuellaurent/status/24662245289)

25
Jean-Marc Pillas répond aux remarques des téléspectateurs par le biais du site
Internet de TF1 News (site d‟information commun à TF1 et LCI). Selon Neila Latrous,
journaliste pour LCI, les deux principaux types de remarques concernent
« l’orthographe (sur le bandeau qui défile en bas de l’écran sur LCI) et les
imprécisions à l’antenne, comme la Grande Bretagne et le Royaume-Uni »54.

Toutefois, si les commentaires sont aujourd‟hui pleinement intégrés par les médias en
ligne, cela reste récent. Au Figaro.fr, par exemple, l‟ouverture aux commentaires date
de 2007, d‟abord dans la rubrique politique, puis au reste du site, comme me le
décrivait Samuel Laurent lors de notre entretien. Mais l‟utilisation des commentaires
dans le processus de fabrique de l‟information date seulement de 2008/2009, avec le
recrutement d‟un community manager. Au Monde.fr, c‟est à la même époque que les
commentaires ont commencé à être pris en compte, avec des appels à témoignage
notamment. Les internautes deviennent donc une source d‟information. C‟est
également dans ce sens que Rue89 conçoit la participation, en utilisant « les lecteurs
comme des capteurs, comme des sources d’information »55.

Aujourd‟hui donc, les commentaires sont parfaitement intégrés sur le web comme
dans d‟autres supports, tel que nous l‟avons vu pour la télévision. On remarque
d‟ailleurs que tout devient « commentable » désormais, les internautes se retrouvant
poussés à donner leur opinion sur tout. Sur Facebook, il est même possible de
commenter les commentaires de nos amis. Et peu à peu, cela s‟étend aux médias en
ligne, à l‟image du Figaro.fr 56 :

54
Cf. Annexe Entretiens, p.86

55
Cf. Annexe Entretiens, p.86

56
Extraits de commentaires sur l‟article « Circulaire: "le cabinet de Besson savait" », LeFigaro.fr, 14/09/10 (http://j.mp/dnAFKO)

26
Ce processus est extrêmement intéressant car il incite au débat, à l‟échange. Cela
donne du sens à cet espace, lui permettant de s‟émanciper de l‟article auquel il est
rattaché. L‟article est le point de départ d‟un débat qui se déroule entre internautes
dans l‟espace qui leur est réservé. S‟il arrive que certains médias interviennent dans
cet espace, comme sur Lexpress.fr où le community manager répond aux internautes,
ces débats se font le plus souvent en dehors de tout cadre journalistique. Certes, cela
dérape parfois. Les espaces de commentaires sont des nids où se développent toutes
sortes de théories du complot, où les délires sur la puissance d‟un lobby juif qui
dirigerait le monde se multiplient, et où les « trolls », ces internautes qui génèrent des
polémiques en prenant des positions excessivement provocatrices, viennent mettre la
pagaille avec délectation. Mais comme on le voit sur l‟exemple ci-dessus, on s‟aperçoit
qu‟il existe une certaine autorégulation dans ces espaces de commentaires, où,
lorsqu‟un internaute estime qu‟un de ses pairs se trompe, va trop loin ou s‟égare dans
des jugements peu pertinents, il apporte une correction assez rapidement.

De plus en plus, les médias en ligne cherchent à utiliser, à valoriser ces espaces de
commentaires. Ils appellent les internautes à participer à la fabrique d‟une information.
C‟est ce que l‟on appelle le crowdsourcing.

Crowdsourcing : la mise à contribution des internautes

27
Le crowdsourcing est, en termes d‟engagement pour l‟internaute dans le processus de
fabrique de l‟information, un degré au dessus de celui du commentaire :

« Le crowdsourcing est un néologisme conçu en 2006 par Jeff Howe et Mark Robinson,
rédacteurs à Wired magazine. Calqué sur l‟outsourcing (externalisation), qui consiste à faire
réaliser en sous-traitance, donc externaliser des tâches qui ne sont pas du métier fondamental
de l‟entreprise, le crowdsourcing consiste à utiliser la créativité, l‟intelligence et le savoir-faire
d‟un grand nombre d‟internautes, et ce, au moindre coût. »57

Présent dans de nombreux secteurs, de la musique à l‟économie, le crowdsourcing


appliqué à l‟information et au journalisme correspond notamment à tous les appels à
contribution des médias en ligne à destination de leurs publics : « on recueille de
l’information en s’appuyant sur son public », m‟expliquait Jacques Rosselin, à propos
du crowdsourcing. Cette méthode de recueil de l‟information est rendue possible par
les technologies du web 2.0, qui donnent un espace d‟expression aux internautes
détenteurs d‟informations et facilitent les échanges entre les journalistes et les
internautes. Les formes que peut prendre le crowdsourcing sont assez variables : les
besoins peuvent être un simple appel à témoignage jusqu‟à la délégation d‟un
véritable travail journalistique au profit de l‟internaute, avec le plus souvent le filtre final
du journaliste afin de valider le caractère journalistique de l‟information.

Prenons, par exemple, le cas de 20minutes.fr, site web du quotidien gratuit 20


Minutes. Les interviews de personnalités politiques sont externalisées : ce sont les
internautes qui posent leurs questions dans l‟espace commentaires, le journaliste
choisissant ensuite certaines de ces questions – telles qu‟elles ont été rédigées par
l‟internaute – pour les soumettre à la personnalité invitée. Ensuite, quand vient
l‟interview, les questions sont posées à l‟invité, celui-ci y répond. Mais à aucun
moment un journaliste n‟intervient pour relancer l‟invité, le corriger ou approfondir le
sujet abordé. 20minutes.fr ne devient alors qu‟une simple plate-forme d‟échange entre
l‟invité et les internautes, puisque comme le précise 20minutes.fr aux internautes :
58
« vous interviewez Dominique de Villepin » . La formulation ne laisse aucune place
au doute : c‟est bien l‟internaute qui mène l‟interview. Le journaliste, lui, ne sert qu‟à
choisir et transmettre les questions qui seront posées. L‟apport de cette méthode est

57
Définition du terme « crowdsourcing » sur Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Crowdsourcing)

58
« Vous interviewez Dominique de Villepin, ancien Premier ministre », 20minutes.fr, 22 septembre 2010 (http://j.mp/9jL5OX)

28
d‟obtenir les questions que se posent vraiment les lecteurs de 20minutes.fr. Mais l‟on
peut également se demander s‟il n‟y a pas là un appauvrissement du journalisme. En
effet, l‟invité peut bien répondre ce qu‟il veut aux internautes, personne ne le relancera
s‟il répond à côté ou si sa réponse contient des erreurs. On constate d‟ailleurs
qu‟après les interviews, ce sont encore les internautes qui, dans les commentaires,
apportent un point de vue critique sur les propos tenus par l‟invité. La question légitime
qui se pose ici est : à quoi sert le journaliste ? Il sert tout au plus de caution. En
choisissant une question plutôt qu‟une autre, il légitimise la question de l‟internaute en
lui conférant une valeur journalistique. Malgré tout, le ton et la qualité des questions
tranchent avec le format très cadré, parfois aseptisé, des interviews traditionnelles.
Voici, par exemple, quelques questions qui ont été posées à Benjamin Lancar,
président des Jeunes populaires, sur 20minutes.fr le 2 septembre 2010 59 :

« Les scientifiques ont inventé le CD-Rom. Votre parti a inventé le Charter-Rom. Pas trop dur
d‟être dans le mauvais camp ?

[…]

José Bové vient d‟annoncer qu‟il serait le 4 septembre à 10h place de la comédie à Montpellier
pour manifester contre le racisme d‟Etat. Et vous où serez-vous ?

[…]

Cela sert à quoi en fait les jeunes UMP ? Ils attrappent les jeunes de gauche en leur disant que
la droite c‟est cool, que Pécresse est encore plus bonne en vrai et que Hortefeux tient
vachement bien l‟absinthe ? Ou c‟est juste histoire d‟aller boire un coup au campus l‟été et de
défendre la valeur travail pendant que les autres bossent ? »

Nous sommes très loin du format, certes très convenu, d‟une interview dont les
questions auraient été préparées et posées par un journaliste. L‟invité, ici, se fait
invectiver, et se retrouve contraint de répondre à des questions d‟un intérêt limité telle
que « D‟après vous, qui gagnera la finale secret story ? ». On peut alors douter de
l‟intérêt d‟une telle interview du point de vue journalistique et, surtout, politique. Et par
extension de l‟intérêt de faire appel de cette manière aux internautes pour interviewer
une personnalité politique.

59
« Vous avez interviewé Benjamin Lancar », 20minutes.fr, 2 septembre 2010 (http://j.mp/9ABsEo)

29
Si toutes les interviews sur 20minutes ne se déroulent pas ainsi – le cas de Benjamin
Lancar, détesté par une partie du web d‟opinion, étant particulier – celle-ci permet de
mettre en exergue les difficultés auxquelles sont confrontés les journalistes dans la
coproduction de l‟information : comment réussir à tirer vers le haut les contributions
des « non journalistes » ? Car si l‟expérience menée par 20minutes.fr ne permet pas –
ou en tout cas pas encore – de sublimer l‟exercice de l‟interview politique, les
défenseurs du crowdsourcing voient dans ce concept des possibilités immenses,
grâce à « la sagesse des foules ». Ce concept a été développé par James Surowiecki,
« désigné par certains comme l‟un des "gourous du Web 2.0″ » explique le blogueur
Narvic dans un billet60 consacré à l‟ouvrage61 de J. Surowiecki sur le sujet :

« Selon James Surowiecki, désigné par certains comme l‟un des « gourous du Web
2.0″, les « foules », même composées d‟incultes ou de purs fantaisistes, se révéleraient bien
plus « intelligentes » à résoudre les problèmes, même complexes, que n‟importe quel
spécialiste. Pour peu que quelques conditions soient réunies, (diversité d‟opinion,
indépendance de jugement, certaines formes de décentralisation), la « sagesse des foules » se
montrerait le meilleur des moyens de gérer l‟ensemble de la société… »

Car le crowdsourcing est bien plus qu‟une simple participation des internautes à la
fabrique de l‟information. Se cache derrière cette notion une prise de pouvoir par la
foule. Auteur du blog Media Trend portant sur les nouveaux médias et les nouveaux
usages, le journaliste Marc Mentré affirme que « le pouvoir éditorial glisse des mains
des journalistes à celles de la foule »62. Il ajoute :

« L‟harmonie n‟est pas certaine, mais le paysage est déjà transformé et le crowdsourcing une
réalité, y compris dans ce qui fait le cœur du système médiatique. Deux des plus grandes
agences s‟y sont déjà converties. Reuters a passé depuis 2006 un partenariat avec Global
Voices Online un site qui agrège le contenu de blogs du monde entier, et Associated Press (AP)
a passé un accord avec NowPublic.com, un site de journalisme-citoyen d‟origine canadienne.

L‟intérêt ? Jim Kennedy, directeur du planning stratégique d‟AP l‟explique très clairement :
« Nous utilisons NowPublic pour obtenir une meilleure couverture de l‟actualité, pour avoir un
radar supplémentaire en sus de nos propres correspondants. » Et pour cela, rien de mieux
qu‟une foule de contributeurs… »

60
« La sagesse des foules », Novovision.fr, 17 mai 2008 (http://novovision.fr/la-sagesse-des-foules)

61
« La sagesse des foules », James Surowiecki, Editions J.-C. Lattès, 2008

62
« Crowdsourcing : le pouvoir de la foule », Media Trend, 12 octobre 2008 (http://j.mp/ahceuP)

30
Le crowdsourcing est donc en train d‟ouvrir des possibilités incroyables dans la
fabrique de l‟information, ainsi qu‟en matière de démocratie. C‟est ce que prouve, par
exemple, l‟initiative du quotidien britannique The Guardian qui, fin 2009, a mis en
place le projet MP’s Expenses63. Le quotidien britannique a demandé aux internautes
de l‟aider à analyser les 458 832 pages de reçus et de formulaires portant sur les
dépenses des membres du Parlement, suite au scandale qui avait éclaté à l‟époque
sur le train de vie des parlementaires et leur utilisation de l‟argent public à des fins
personnelles. En septembre 2010, le travail était fait pour moitié, puisque 221 652
pages avaient été vérifiées et analysées par les 21 156 internautes ayant pour l‟instant
participé à l‟enquête. Voici ce que dit le Guardian à propos des avancées de
l‟enquête64 :

« Now that 500,000 pages of MP’s receipts and claim forms have been uploaded onto our
servers, we can finally get some real numbers out of the MP expenses crisis.

For instance, because we’ve had to convert each receipt and form into an image, we now know
exactly how many there are for each MP, by their party. Some MPs filed nearly 2,000 pieces of
paper over four years, others less than 40.

We’re also doing a running total of spending by different categories (ie, kitchens, soft
furnishings, mortgages, etc). Of the 160,000 pages of MPs’ expenses analysed so far, the totals
are below. We’ll update this as we get new data out of the system. »

On voit le potentiel du projet, qui permettra à termes de connaitre les dépenses par
poste et par partis des parlementaires, et de pointer ensuite les abus éventuels. En
France, des expériences de ce type sont menés, à plus ou moins grande échelle,
comme le blog Les Décodeurs65 : « ce blog du Monde.fr se propose de passer au
crible les propos des hommes et femmes publiques pour y démêler le vrai du faux »,
indique Nabil Wakim, journaliste au Monde.fr en charge des Décodeurs. D‟ailleurs, la
signature du blog parle d‟elle-même : « le blog qui enquête avec les internautes ». Sur
ce blog, il existe une rubrique « Comment ça marche ? » qui explique la marche à
suivre aux internautes :

63
http://mps-expenses.guardian.co.uk/

64
« MPs' expenses: what you've told us. So far », Guardian.co.uk, 18 septembre 2010 (http://j.mp/14xzoA)

65
http://decodeurs.blog.lemonde.fr/

31
« Pour vous, comme pour moi, les règles sont les mêmes : pour chaque information, il faut une
source identifiable, avec un lien, s‟il existe. Vous êtes bien sûr invités à réagir pour contribuer à
l‟enquête dans les commentaires, souligner ses manques et apporter des éléments nouveaux.
Tout propos diffamatoire est évidemment proscrit : les informations de ce blog doivent être
rigoureusement contrôlées.

Quelles sources utiliser ? Pour vous comme pour nous, les sources utilisées doivent être
transparentes et fiables : rapports de l‟Assemblée ou du Sénat, statistiques de l‟Insee,
d‟Eurostat, de l‟OCDE ou de l‟ONU, experts indépendants et chercheurs reconnus. L‟utilisation
de Wikipedia ne peut être acceptée que si les données sont ensuite vérifiées par une autre
source fiable. Les témoignages doivent être identifiables (nom, prénom, contact direct). Toutes
les critiques sur les sources utilisées sont évidemment les bienvenues. Je reste à votre
disposition pour plus de précisions. »

Concrètement, chaque billet de blog est évolutif. Il commence par présenter le sujet de
l‟enquête à mener, indiquant les citations, les chiffres ou les faits à vérifier. Par
exemple, le billet du 23 août 2010 portait sur des déclarations de Brice Hortefeux,
ministre de l‟Intérieur, concernant les effectifs dans la police et la gendarmerie. Le
billet rappelle les propos du ministre, puis ceux de l‟opposition, et demande l‟aide des
internautes pour vérifier ces chiffres. A l‟issue de l‟enquête, qui dure en général
quelques heures, le journaliste met à jour le billet, apposant un tampon « vrai » ou
« faux » selon les résultants. En l‟occurrence, le tampon disait « plutôt faux ».
Viennent ensuite les explications : le journaliste avance des chiffres concernant les
effectifs dans la police et la gendarmerie issus du projet de loi de finances au Sénat
pour le budget de 2002, qu‟il compare à des chiffres issus du rapport de l‟Assemblée
nationale pour la loi de finances de 2010. Il en résulte que, contrairement à ce qu‟a dit
le ministre, les effectifs sont inférieurs à ceux de 2001. Mais il ressort également que
Brice Hortefeux avait raison sur un point : « les effectifs de la police nationale sont
supérieurs aujourd‟hui à ceux de 2001. La réponse du Parti socialiste est donc en
partie fausse ». Et le journaliste fait plusieurs fois référence aux internautes dans son
billet :

« Surtout, comme l‟ont souligné plusieurs internautes, ces chiffres sont à prendre avec
précaution, compte tenu de la fusion police-gendarmerie en cours de réalisation.

Plusieurs internautes soulignent par ailleurs que cette comparaison ne tient pas compte de
l‟évolution démographique de la population française, qui a augmenté de plus de 5 % entre
2002 et 2010, selon l‟Insee. »

32
Ces deux exemples, celui du Guardian et celui des Décodeurs, montre bien que le
crowdsourcing est bénéfique sur plusieurs points. Tout d‟abord, il permet de faire un
travail que ne peut pas faire une rédaction seule, par manque de moyens humains et
financiers. Cela fait presqu‟un an que le Guardian a commencé à défricher les
480 000 pages de notes et rapports sur les dépenses des parlementaires
britanniques, et seulement la moitié a été analysée, malgré l‟aide apportée par près de
30 000 internautes. On comprend bien que ce travail de titan n‟aurait pu être fait par la
seule rédaction du Guardian. Par ailleurs, on note un point commun entre les deux
exemples : dans les deux cas, l‟objectif est d‟obtenir un résultat le plus objectif et le
plus sûr possible. Nous ne sommes pas dans de l‟information relative, approximative,
mais bien dans des faits, des chiffres et des informations vérifiées et « sourcées ».
C‟est donc la preuve que coproduire l‟information avec des « non journalistes » ne
signifie pas faire de l‟information au rabais, comme pouvait le laisser penser les
interviews de 20minutes.fr. Au contraire, c‟est une information de meilleure qualité qui
est produite ici.

Nous n‟avons vu que quelques exemples, parmi de nombreux autres, de


coproduction de l‟information, impliquant journalistes et internautes. La tendance
actuelle dans les médias semble être un renforcement de cette coproduction,
notamment dans les médias en ligne. On le voit lors d‟événements comme la journée
de mobilisation du 7 septembre 2010 contre le projet de réforme des retraites, au
cours de laquelle plusieurs médias ont mêlé les interventions de leurs journalistes à
celles des internautes et manifestants pour traiter les manifestations en direct.

c. Agenda médiatique : un cycle de vie nouveau pour l’information


Au cours des dernières décennies, les avancées technologiques ont permis de
réduire le temps de production de l‟information. Par exemple, l‟arrivée du téléphone
portable ou, avec l‟arrivée d‟Internet, l‟utilisation des e-mails, ont largement facilité le
travail de terrain pour les journalistes. Evidemment, avec l‟explosion du web, ce temps
de production de l‟information a éclaté. Aujourd‟hui, en plus de la technologie, de
nouveaux services, comme Twitter, ont eux aussi accéléré le temps de vie et la
circulation de l‟information.
33
Vers une compacité du temps de l’information : l’ère de l’information jetable

« Nombre de journalistes de la vieille génération ont commencé leur carrière en « bâtonnant »,


c‟est-à-dire en réécrivant des dépêches d‟agence. Mais, à écouter les jeunes journalistes du
Web, il y aurait un stress propre au média Internet. « Contrairement aux journalistes du papier,
nous ne sommes pas bloqués par un délai de bouclage, souligne Cécile Chalençon, journaliste
à 20minutes.fr. Dans l‟absolu, on pourrait ne jamais s‟arrêter. Nous fonctionnons sur le modèle
d‟une radio, en diffusant un flux d‟infos en continu, mais sans avoir les mêmes moyens
financiers ni les mêmes effectifs. » »

Dans son article sur les « forçats du web »66, Xavier Ternisien montre une machine
médiatique qui fonctionne à toute vitesse, sans prendre le temps de s‟arrêter, de
souffler. Et effectivement, lorsque l‟on est passionné d‟information, il est nécessaire de
savoir fermer les tuyaux car, sans cela, on pourrait rester brancher en permanence sur
ces torrents d‟information présents non-stop sur le web. Car, si l‟information de flux
existe depuis des années, notamment depuis la création des radios 67 ou encore des
chaines d‟information, elle prend aujourd‟hui une ampleur sans précédent. Eric
Scherer, directeur de la stratégie et des relations extérieures de l‟AFP jusqu‟au mois
de septembre 2010, a publié une étude sur ce qu‟il appelle « l‟économie de
l‟attention ». Il y défend l‟idée que « nous sommes proches d‟un « attention crash » !
Ce moment où les informations, que nous voulons ingérer, excéderont notre capacité
d‟attention »68. Cela a nécessairement un impact concret sur la façon dont les
journalistes exercent leur métier. Ainsi, « l‟agence AP, après étude, a été amenée en
2007 à raccourcir les circuits de relecture et d‟édition de ses dépêches » 69, explique
Eric Scherer.

66
« Les forçats du web », Le Monde, 26 mai 2009 (http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2009/05/25/les-forcats-de-l-
info_1197692_3236_1.html)

67
L‟information en temps réel était le credo de RTL à son lancement. La radio se vantait alors d‟être la seule à interrompre ses
programmes pour informer ses auditeurs d‟une information importante.

68
Eric Scherer, L’économie de l’attention, p.40 AFP MediaWatch, Printemps-été 2008 (étude téléchargeable sur
http://mediawatch.afp.com/)

69
Ibid., p.12

34
Dans cette profusion d‟informations, Stéphane Ramezi, directeur multimédia de Radio
France, affirme qu‟à présent « se pose une nouvelle question : l‟information est-elle
vérifiée ou non ? »70. Et c‟est l‟un des enjeux centraux pour les médias aujourd‟hui.
Alors que leur autorité et la qualité de leur travail font constamment l‟objet de critiques,
cette profusion d‟informations offre une nouvelle perspective pour eux, sous réserve
d‟un travail de remise en question : devenir des pôles de confiance, des référents dont
le rôle serait de valider ou d‟invalider les informations circulant sur le web. Cette notion
de pôle de confiance est revenue à plusieurs reprises lors de mes entretiens, avec
Stephane Ramezi donc, qui veut que Radio France « se recentre sur son expertise »
pour devenir un référent sur le web grâce à ses marques (France Info, France Inter,
France Culture…). Mais également avec Laurent Mauriac de Rue89, pour qui « on a
besoin d‟un lieu de référence, où l‟information est triée. On a besoin d‟un filtre ».
Bérengère Beurdeley, responsable Internet de Public Sénat, considère, de son côté,
que « l‟internaute doit être à l‟aise avec l‟information ». Pour cela, elle doit bien sûr
être fiable. C‟est effectivement un enjeu majeur pour les médias, qui voient beaucoup
de leurs acquis remis en cause avec le web, sauf celui de la marque référente.

D‟autant que l‟information de flux tend, parfois, à devenir de l‟information jetable. Dans
un guide d‟utilisation de Twitter réalisé principalement par des professionnels de la
communication et du web, Flavien Chantrel, community manager pour les espaces
collaboratifs des sites du réseau RegionsJob, explique voir dans Twitter « l‟avènement
de l‟information jetable »71 :

« Certes, le phénomène n‟est pas nouveau. Société de consommation oblige, notre


consommation se réalise moins sur la durée. Le besoin d‟immédiateté grandit aussi vite que
notre boulimie d‟infos, de liens et d‟actualités. Les blogs ont grandement contribué à ce
phénomène, en lançant des buzzs aussi rapides que puissants. Quelques semaines plus tard,
les protagonistes de ces « événements » sont bien sûr oubliés. Twitter accélère encore le
mouvement... Vous suivez plus de 100 personnes ? Il est alors quasi impossible de lire toutes
leurs contributions, à moins d‟y passer vos journées. Certes, vous pouvez toujours jeter un coup
d‟œil rapide sur le fil pour sentir la tendance. Mais que se passe-t-il si vous vous absentez deux
jours ? Les informations publiées sont à jamais perdues. De même, vos publications ont 95%
de chance d‟être lues dans les 5 minutes. Passé ce laps de temps, elles tomberont aux

70
Cf. Annexe Entretiens, p.86

71
Tirer le meilleur parti de Twitter- Guide pratique pour les entreprises et les particuliers, octobre 2009 (http://j.mp/1s9hsV)

35
oubliettes. D‟où peut-être ce fort sentiment addictif. La consommation doit être instantanée ou
ne doit pas être. »

Avec Twitter, l‟information n‟est pas seulement ultra rapide, elle est surtout en direct.
S‟y développe de plus en plus la culture du live-tweet, c‟est-à-dire l‟action de suivre en
direct un événement, une émission de télévision, une interview, des débats, et d‟en
livrer des morceaux, des impressions, à ses abonnées sur Twitter, le tout en moins de
140 caractères par message. Des questions au Gouvernement à l‟Assemblée
nationale aux interviews politiques dans les matinales, les internautes live-twittent de
plus en plus tout ce qu‟ils voient, entendent, vivent. Ce traitement en direct de
l‟information n‟est pas nouveau. Les soirées électorales en sont un exemple ancien.
La différence ici se situe à la fois sur l‟ampleur du phénomène et les conséquences
que cela a, tant dans la vie médiatique que dans la vie démocratique. Dans la vie
médiatique d‟abord, on observe que les médias et les journalistes déploient chaque
jour de nouveaux dispositifs qui permettront à la fois de suivre, commenter et analyser
un sujet d‟actualité en direct. Comme nous l‟écrivions plus haut, les manifestations
contre le projet de réforme du Gouvernement en sont l‟exemple parfait. Le 7
septembre 2010, plusieurs sites d‟information ont mis en place des dispositifs
permettant de suivre en direct le déroulé des manifestations. LeMonde.fr était le
média le plus actif sur le sujet, surtout sur Twitter 72 , où le compte du quotidien relayait
également les tweets de manifestants. En plus de cela, un suivi en live73 et une carte
des manifestations (avec une estimation du nombre de manifestants par ville) 74
étaient proposés sur le site. On voit à travers ce dispositif que le micro-blogging, cette
pratique poussée à l‟extrême par Twitter, a beaucoup fait évolué le traitement d‟un
événement de grande ampleur par les médias. 20minutes.fr, le NouvelObs.com ou
encore Owni.fr ont eux aussi proposé sur leur site un suivi en direct des
manifestations, en intégrant les tweets des manifestants. D‟ailleurs, même si cela n‟a
aucun lien avec le traitement fait des manifestations, remarquons sous quelle forme le
Nouvel Observateur a été transposé sur le web. Plusieurs signes affirment cette

72
http://twitter.com/lemondefr

73
http://www.lemonde.fr/politique/article/2010/09/07/suivez-la-journee-de-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-en-
direct_1407562_823448.html

74
http://www.lemonde.fr/societe/infographie/2010/09/07/la-carte-des-manifestations-en-france_1407653_3224.html

36
volonté de suivre l‟actualité en direct : l‟URL d‟abord, qui se compose notamment de
l‟expression « temps réel »75, le titre donné à la page d‟accueil ensuite – « Actualités
en temps réel – journal d‟information – NouvelObs.com » – qui positionne sans
ambigüité le NouvelObs.com dans l‟information en direct.

D‟un point de vue plus citoyen, les conséquences du traitement en temps réel de
l‟information se font de plus en plus sentir, puisque cette pratique du live-tweet a
conquis des responsables politiques et plus largement des citoyens lambdas, simples
observateurs de la vie publique. Ainsi, la veille du 20 juillet 2010, date à laquelle doit
commencer l‟examen du projet de loi portant réforme des retraites par la Commission
des affaires sociales de l‟Assemblée nationale, le président de cette Commission
annonce que les débats auront lieu à huis clos. Cette décision est dénoncée par
plusieurs parlementaires, notamment ceux présents sur Twitter. Le député Lionel
Tardy (UMP) a ainsi réagi sur son blog, estimant que le huit clos imposé par le
Président de la Commission est une décision « scandaleuse et antidémocratique »76.
Le député Gaëtan Gorce (PS) a lui frappé un grand coup, en créant, le matin même
du premier jour de l‟examen du texte en commission, un compte Twitter. A 10h, il
lâche son premier tweet : « pendant trois jours, suivez les débats sur les #retraites en
essayant de forcer le huis clos imposé par le Président de la Commission »77.
L‟annonce a largement et rapidement été relayée sur Twitter et dans quelques
médias, à l‟image de RMC qui a repris cette annonce sur son propre compte Twitter :
« Suivez la commission des Affaires sociales à l‟assemblée grâce au tout nouveau
compte de @ggorce, député PS de la Nièvres »78. Alors que d‟habitude, cette étape
du travail parlementaire ne suscite que très peu d‟intérêt, la polémique enclenchée par
la décision du huis clos et les réactions des députés Tardy et Gorce auront suffit à
mettre les débats en commission sur le devant de la scène médiatique. Le député
Gorce, accompagné de quelques uns de ses confrères, a ensuite tenu informés ses
abonnés sur Twitter de la teneur des débats qui se tenaient à huis clos dans la

75
http://tempsreel.nouvelobs.com/

76
« Réforme des retraites : quid de la transparence du travail parlementaire !!! », blog de Lionel Tardy, 19 juillet 2010
http://www.lioneltardy.org/archive/2010/07/19/la-publicite-du-travail-en-commission.html

77
http://twitter.com/#!/GGorce/status/18977966192

78
http://twitter.com/#!/GG_RMC/status/18979302569

37
Commission, permettant un début d‟ouverture et de transparence concernant le travail
parlementaire.

Mais en septembre 2009 déjà, le suivi en direct d‟un événement sur Twitter avait
suscité quelques interrogations dans le milieu journalistique. Il s‟agit du procès
Clearstream, au cours duquel nous avons pu assister à un profond changement : la
supériorité de Twitter sur tous les acteurs médiatiques sur le terrain de la breaking
news. Le 21 septembre 2009, une dépêche AFP a été publiée, avec comme titre :
« Le procès Clearstream suivi pas à pas sur Twitter »79. Pourtant, c‟est le rôle de cette
institution du journalisme qui est remis en cause par ces nouveaux usages. La
twittosphère française s‟était effectivement très vite fait l‟écho de plusieurs comptes
Twitter suivant en live le procès (en particulier @amaury_guibert 80 pour France 2 et
@obs_clearstream81 pour Le Nouvel Observateur). Remarquons que l‟hebdomadaire
est allé jusqu‟à créer un compte Twitter expressément pour le procès. Mais si l‟on peut
suivre gratuitement, minute par minute, ce qu‟il se passe dans le tribunal, quel est
l‟intérêt pour les médias de payer un fil AFP ? Celui-ci n‟ajoutera finalement rien à ce
que l‟on trouve sur Twitter puisque ce sont des journalistes qui gèrent ces comptes.
Quant à ceux qui étaient avides de plus de détails, LaTribune.fr82 ou encore
20minutes.fr83 décrivaient avec plus de 140 caractères (le maximum permis par
Twitter) le déroulement du procès, là encore gratuitement. D‟autant que dans le cas
d‟un procès, le support web bénéficie d‟un avantage concurrentiel considérable,
puisqu‟il est interdit de filmer, d‟enregistrer et de prendre des photos pendant
l‟audience. Le web, support multimédia, permet alors de s‟adapter en ne diffusant que
du texte, en direct de la salle d‟audience. Les agences de presse conservent toutefois
un avantage : le contenu qu‟elles produisent peut être reproduit à l‟identique sur le site
du média, puisque c‟est là l‟une des sources de contenu principales des grands sites

79
« Le procès Clearstream suivi pas à pas sur Twitter », AFP, 21 septembre 2010 (http://j.mp/dFs3C)

80
http://twitter.com/#!/amauryguibert

81
http://twitter.com/#!/obs_clearstream

82
« Suivez le procès Clearstream minute par minute », LaTribune.fr, dernière mise à jour le 29 septembre 2009
(http://j.mp/bI3Yuq)

83
« Clearstream: Nicolas Sarkozy peut se constituer partie civile », 20minutes.fr, dernière mise à jour le 21 septembre 2009
(http://j.mp/TMh1N)

38
d‟information, qui ont mis en place des dispositifs permettant la publication
automatique de ces dépêches.

Vers une nouvelle circulation de l’information

Cela nous amène à nous interroger sur la circulation de l‟information. Quel est,
aujourd‟hui, le parcours d‟une information ? Lorsque les médias étaient seuls à traiter
et diffuser l‟information, la circulation se faisait – de fait – en vase clos. Désormais,
avec l‟arrivée de nouveaux acteurs dans la fabrique de l‟information, ce schéma est
remis en cause. En 2009, une équipe de chercheurs, menée par Jon Kleinberg de
l‟Université Cornell, a réalisé une étude sur le cycle de l‟information : « Meme-tracking
and the Dynamics of the News Cycle »84. Ils ont suivi 1,6 million de médias
traditionnels en ligne (dénommés « mainstream media sites ») et de blogs sur les trois
derniers mois de la campagne présidentielle américaine en 2008. L‟objectif était de
mettre en exergue des schémas de circulation de l‟information dans le temps. Ils ont
notamment pu observer qu‟il existe un délai de 2h30 entre le pic de visibilité d‟une
information dans les sites de médias mainstream et son pic de visibilité dans les blogs.
Quant aux 3,5% des cas où les blogs devancent les médias traditionnels, il apparait
que c‟est le fait de blogs politiques professionnels ou quasi-professionnels, qui
bénéficient déjà d‟une certaine reconnaissance pour leur compétence et leur
crédibilité. L‟évolution de la visibilité des mèmes et des fragments de phrases suivis
met en avant deux éléments qui, combinés, permettent de faire apparaitre un schéma
de circulation de l‟information : l‟effet d‟imitation entre les médias et le caractère récent
d‟une information. Les chercheurs ont en effet démontré que plus une information est
traitée par les médias, plus les médias la traiteront. De plus, il ressort qu‟une
information récente est privilégiée par les médias face à une information plus
ancienne.

Suite à la publication de cette étude, Sreenath Sreenivasan, professeur


spécialisé dans les nouveaux médias à l‟Ecole de Journalisme de Columbia, estimait
dans le New York Times85 que les travaux de Kleinberg permettraient de mieux

84
« Meme-tracking and the Dynamics of the News Cycle », Jure Leskovec, Lars Backstrom, Jon Kleinberg, 2009

85
« Study Measures the Chatter of the News Cycle », The New York Times, 12 juillet 2009 (http://j.mp/1dI1uc)

39
comprendre le cycle de l‟information. Mais il a également ajouté que le schéma de
circulation identifié par ces travaux étaient déjà en train de changer en raison de la
montée en puissance des médias sociaux, notamment Twitter. Récemment, l‟affaire
Boutin nous a donné un aperçu de ce que pourrait devenir le schéma de circulation de
l‟information avec ces médias sociaux, et le rôle que pourrait jouer Twitter. Cette
affaire portait sur le cumul par Christine Boutin de sa retraite de parlementaire avec
une rémunération – jugée excessive – pour une mission que lui avait confiée le
Président de la République. Pour cette analyse, nous avons utilisé le linkscape, le
moteur de recherche développé par linkfluence, permettant d‟effectuer des recherches
au sein d‟un échantillon d‟environ 10 000 sites et blogs considérés comme les plus
influents de leur communauté respective86. Il permet notamment de remonter plusieurs
mois en arrière et de centrer sa recherche sur une période en particulier.

Si c‟est une révélation du Canard Enchainé, datée du 9 juin 2010, qui lance ce
qui deviendra en quelques heures l‟affaire Boutin, c‟est pourtant sur le web que
l‟information est disponible en premier. Dès le 8 juin au soir, l‟information commence à
circuler suite à une dépêche AFP, publiée un peu après 20h, qui est reprise d‟abord
sur quelques sites de médias traditionnels (LeFigaro.fr à 20h2187, LeTelegramme.com
à 20h2488, LePoint.fr à 20h2989). Dans le même temps, la communauté « extrême-
droite » commence également à reprendre l‟information, notamment sur
Fdesouche.com90 (le premier commentaire date du 8 juin 2010, à 22h23, prouvant
ainsi que le billet a bien été publié ce jour), un des blogs les plus influents de cette
communauté. Alors que l‟information continue à circuler, surtout le lendemain matin

86
Les recherches sont effectuées au sein d‟échantillons du web social, les livepanels. Ces derniers découpent le web en
communautés d‟intérêts et se veulent représentatifs du web social du pays concernés. Toutefois, s‟ils contiennent bien les sites
« lus, vus et entendus » - comme on peut le lire sur le site de linkfluence – leur représentativité du web social n‟est pas acquise.
Plus précisément, les livepanels sont davantage représentatifs des leaders d‟opinion sur le web que de l‟entièreté du web social.
En effet, une partie seulement des communautés du web social sont présentes dans ces échantillons (soit parce qu‟elles ne sont
pas suffisamment structurées pour être prises en compte, soit parce qu‟elles n‟ont pas encore été explorées). Par conséquent, les
recherches effectuées dans le cadre de ce mémoire ont été complétées par l‟utilisation de Google et Blog Search.

87
« Boutin: 9.500 €/mois pour une mission », LeFigaro.fr, 8 juin 2010 (http://j.mp/a4nvDf)

88
« Christine Boutin. 9.500 €/mois pour une mission sur la mondialisation », LeTelegramme.com, 8 juin 2010,
(http://j.mp/apm33a)

89
« Boutin: 9.500 euros par mois pour une mission sur la mondialisation », LePoint.fr, 8 juin 2010 (http://j.mp/c5sJfG)

90
« Boutin: 9.500 €/mois pour une mission », Fdesouche.com, 8 juin 2010 (http://j.mp/aXX7YC)

40
avec la disponibilité papier du Canard Enchainé, Christine Boutin intervient sur RTL,
où elle est l‟invitée de Jean-Michel Aphatie. Pendant que ses propos confirmant les
informations de l‟hebdomadaire satirique agrémentent les articles portant sur le sujet,
la polémique est sur le point de dévier, en raison d‟un simple tweet. A 10h47, le
blogueur Authueil, également assistant parlementaire d‟un élu UMP, lâche
l‟information qui va largement amplifier la polémique : « Boutin touche sa retraite de
députée (elle a siégé de 1986 à 2007), son indemnité de conseiller général en plus
des 9500 euros »91. L‟information est repérée par Samuel Laurent, journaliste politique
au Monde.fr, qui publie, à 11h24, ce tweet : « Je viens d‟appeler l‟entourage de Boutin,
qui touche bien une retraite parlementaire et une indem de cons. Grle comme le dit
@autheuil »92. Dans le même temps, quelques médias en ligne reprennent
l‟information, mais c‟est surtout l‟article de Samuel Laurent sur LeMonde.fr93, publié à
12h, qui va enclencher la polémique sur le cumul rémunérations/retraites. A partir de
là, des dizaines d‟articles sont publiés, reprenant tous l‟information sur le cumul et le
chiffre de 18 000 euros comme rémunération mensuelle totale pour Christine Boutin.
L‟information continue de se développer par le biais d‟interviews de membres de la
majorité dans les médias traditionnels, notamment les radios, et dont les propos sont
repris et commentés par ces mêmes médias, ainsi que par les médias sociaux. C‟est
finalement 48h après les révélations du Canard Enchainé, le jeudi 10 juin au soir, que
Christine Boutin a renoncé à son salaire de chargée de mission, décision qu‟elle a
annoncée dans le JT de France 2. L‟information est immédiatement reprise et diffusée
par les médias en ligne. S‟en suivra un débat autour du cumul d‟une retraite d‟élu avec
une rémunération autre, qui s‟est notamment développé dans les forums de
discussion. Cette « jurisprudence Boutin », comme la nomment les médias, alimentera
les conversations sur le web de façon significative pendant une dizaine de jours,
même si l‟affaire est nettement moins visible à partir du 11 juin, lendemain de
l‟intervention de Christine Boutin sur France 2. Cette polémique autour du cumul de la
retraite parlementaire avec une autre rémunération a eu une conséquence importante

91
http://twitter.com/#!/Authueil/status/15768715600

92
http://twitter.com/samuellaurent/statuses/15770079970

93
« Christine Boutin toucherait près de 18 000 euros mensuels », LeMonde.fr, 9 septembre 2010 (http://j.mp/90sdKy)

41
dans la vie publique : les ministres qui touchaient une retraite parlementaire en plus de
leur indemnité de ministre ont du renoncer à leur pension tant qu‟ils sont en poste.

Que nous enseigne cette chronologie ? Tout d‟abord, on constate que le web et les
médias traditionnels ont travaillé main dans la main au début de l‟affaire, ce qui a
permis l‟émergence d‟une information plus complète que celle du Canard Enchainé.
Ensuite, on observe que, si c‟est bien un média traditionnel qui a déniché l‟information,
celle-ci sort en premier sur le web, d‟abord sur des sites de médias, mais très vite
également dans la communauté extrême-droite. A noter que le blog Fdesouche.com
cite LeFigaro.fr comme source pour son billet, ce qui montre bien que les médias
traditionnels en ligne ont précédé les médias sociaux. Toutefois, c‟est par les médias
sociaux que le cœur de la polémique arrive, puisque c‟est un blogueur qui donne le
premier l‟information selon laquelle Christine Boutin touche, en plus des 9500 euros
de sa mission, sa retraite de parlementaire. Or, c‟est bien la question du cumul qui
fera débat. Comme l‟a montré l‟étude menée par Kleinberg, ce schéma de circulation
de l‟information reste très rare, mais lorsqu‟il se produit, c‟est par le biais de blogs
reconnus. Dans le cas de l‟affaire Boutin, cela se confirme en partie : Authueil est
effectivement un blogueur politique connu et reconnu sur la blogosphère française.
Mais il a choisi un autre canal que son blog pour sortir son information : Twitter.

Finalement, la nouvelle circulation de l‟information est similaire au parcours d‟un texte


de loi pour devenir une loi. Comme au Parlement, avec le Sénat (qui représenterait les
médias traditionnels), l‟Assemblée nationale (web social) et la navette parlementaire
(l‟information se construit dans les allers-retours entre les deux). La communauté/le
lecteur/l‟opinion publique joue le rôle de la Commission mixte paritaire (dans une
certaine mesure, Twitter joue aussi ce rôle, nous l‟avons vu avec l‟affaire Boutin, ainsi
qu‟avec la généralisation des live-tweets). La particularité de cet outil est qu‟il est
utilisé par une grande variété d‟individus et d‟entité : citoyen lambda, journalistes,
politiques, entreprises, communicants… Cette mixité facilite les mises en relation entre
ces individus, permettant, par exemple, à un tweet comme celui d‟Authueil de résulter
sur un article du Monde.fr. Il nous reste à analyser le principe d‟initiative de la loi et
d‟inscription d‟un texte dans le calendrier parlementaire, ce qui correspond, ici, à
l‟agenda médiatique. Dans l‟affaire Boutin, les médias traditionnels ont mis à l‟agenda
le problème soulevé par la mission confiée à l‟ancien ministre. Par contre, nous
l‟avons vu, ce sont les médias sociaux qui ont mis à l‟agenda la question du cumul

42
avec la retraite. La mise à l‟agenda médiatique dépend là aussi de différents acteurs,
parfois extérieurs aux médias (politiques, société civile…). Mais ensuite, ce sont les
acteurs politiques qui ont mené la danse, au fur et à mesure de leurs interventions
médiatiques. On note donc peu de changements à ce niveau quant à la situation qui
précédait l‟arrivée du web : médias et politiques mènent une lutte continue pour garder
la maitrise de l‟agenda médiatique, avec une tout de même une plus grand emprise de
la part des responsables politiques. Nous en avons eu la preuve au cours de l‟été
2010 avec le discours de Grenoble, prononcé par Nicolas Sarkozy, qui a permis de
dévier l‟attention des médias, jusque-là concentrée sur les retraites et l‟affaire
Bettencourt, vers les questions de sécurité, et notamment la situation des Roms. Par
contre, l‟actualité du web devient, de plus en plus, un sujet traité en tant que tel. Par
exemple, les « apéros Facebook », apéritifs géants organisés dans plusieurs villes de
France par le biais du réseau social Facebook, ont été largement traités par les
médias traditionnels en avril 2010. De même, nous avons vu les débats suscités par
l‟utilisation de Twitter à l‟Assemblée nationale dans le cadre de la réforme des
retraites. Mais le web intervient également d‟une autre façon dans l‟agenda
médiatique, puisque ce support est souvent choisi par les médias pour « tester » un
sujet. Si les internautes s‟emparent d‟une information sur le web, alors les médias
traditionnels seront plus enclins à les traiter. Ainsi, concernant une vidéo montrant une
expulsion de sans-papiers qui avait été diffusée sur le web et reprise par plusieurs
médias étrangers, l‟AFP avait indiqué au site Arrêt sur image que la vidéo n‟a été
considérée comme une information uniquement après qu‟elle ait été visionnée
plusieurs dizaines de milliers de fois. Le web est donc utilisé par les médias comme un
outil de sélection mais aussi de tri de l‟information.

Les profonds changements apportés par le web sur la fabrique de l‟information,


ce qu‟il change dans la manière dont l‟information est conçue, montre que nous
assistons aujourd‟hui à un déplacement du « journalisme de l‟information » à ce que
l‟on pourrait appeler un « journalisme de la communication ». Jean-Paul Lafrance,
professeur-fondateur du Département des communications de l‟Université du Québec
à Montréal, dissertant sur la « société du savoir » et la « société de l‟information »

43
dans Critique de la société de l’information 94, rappelle des propos d‟Antonio Pasquali,
expert en communication ayant travaillé à l‟UNESCO :

« Antonio Pasquali pensait qu‟il fallait réintroduire le mot communication : « Informer


connote pour l‟essentiel la circulation de messages unidirectionnels, causatifs et ordonnateurs,
tandis que communiquer fait référence à l‟échange de messages bidirectionnels, donc
relationnels, dialogiques et socialisants. »

Ce « journalisme de la communication » correspond donc à cette nouvelle fabrique de


l‟information, qui se fait dans « l‟échange de messages bidirectionnels, donc
relationnels, dialogiques et socialisants », par opposition au « journalisme de
l‟information », qui renvoie à la « circulation de messages unidirectionnels, causatif et
ordonnateurs ». Le crowdsourcing, l‟utilisation de Twitter et les autres exemples que
nous avons étudiés le montrent : aujourd‟hui, le journalisme se dirige vers une posture
plus sociale – au sens sociétal du terme – et de moins en moins verticale.

Davantage impliqués, les citoyens-internautes attendent désormais une information


qui soit chaque jour de meilleure qualité. Le blogueur Mancioday considérait d‟ailleurs,
lors de notre entretien, que « les gens sont de plus en plus exigeants avec
l’information car ils deviennent acteurs de l’information. Donc ils savent ce qu’il est
possible de faire »95. Et de conclure : « c’est beaucoup plus sain ». C‟est, en partie, ce
qui explique la montée en puissance de la critique des médias, que nous allons
étudier à présent. Nous verrons toutefois que les médias traditionnels et les médias
sociaux s‟opposent, se critiquent mais travaillent malgré tout ensemble, œuvrant ainsi
à l‟émergence d‟une information citoyenne.

II. Médias traditionnels et médias sociaux : une relation complexe au


service d’un avenir commun
Les perceptions mutuelles des médias traditionnels et des médias sociaux
montrent la complexité de leur relation, qui oscille entre l‟admiration et la haine. Pour
mieux comprendre cette relation, nous proposons ci-après une réflexion sur les

94
Critique de la société de l’information, CNRS Edition, 2009

95
Cf. Annexe Entretiens, p.86

44
valeurs et les perceptions qui structurent ces deux espaces médiatiques. Nous nous
appuierons pour cela sur deux postulats de départ. Tout d‟abord, les médias
traditionnels sont souvent pointés du doigt sur le web pour leur conformisme supposé
et le rôle qu‟ils joueraient dans la diffusion d‟une idéologie dominante. Le blogueur
Vogelsong, par exemple, juge que « ce qui caractérise les médias mainstream, c’est la
consensualité. Avec toujours un simulacre de débat mais avec à l’arrivée toujours
quelque chose de consensuel qui en ressort »96. Le deuxième postulat concerne les
médias sociaux, présentés tantôt comme un espace de non-droit, une « poubelle de
l‟information »97, tantôt comme un monde de liberté, d‟où pourrait émerger une
véritable démocratie participative, et où l‟idéologie libertaire y est florissante. On le
comprend à l‟exposé de ces perceptions, nous ne sommes pas ici dans la mesure.
Nous nous intéresserons donc à ce qui constitue la base théorique de la critique des
médias telle qu‟elle s‟exprime sur le web, en nous appuyant notamment sur les
travaux de Noam Chomsky et ceux de Pierre Bourdieu. Nous analyserons ensuite la
façon dont se concrétise cette critique sur le web, mais aussi au sein de la profession
elle-même. En cela, les entretiens menés dans le cadre de ce mémoire, ainsi que les
divers ouvrages de journalistes à propos de leur métier nous seront utiles. Quant aux
médias sociaux, nous nous interrogerons sur l‟imaginaire qui accompagne le web et
les valeurs sur lesquelles il repose. Mais nous constaterons que si les valeurs sont
louables, on peut parfois douter de leur application réelle sur le web. Nous verrons
enfin que la réalité des relations entre médias traditionnels et médias sociaux est bien
plus complexe que ce que les perceptions des uns et des autres ne le laissent penser.

96
Ibid.

97
Cette critique du web se retrouve principalement dans le domaine politique et intellectuel. Invité de France Inter, Alain Minc
avait déclaré le 25 août 2010 à propos d‟Internet : « Quand on regarde Internet, on voit ce qu'est la société à l'état brut, sans cette
petite couche qui s'appelle la civilisation. On voit ce qu'est une société ou il n'y a ni censure personnelle, ni tabou, ni règle que l'on
s'impose à soi même (...) c'est un rappel de la violence qu'il y a en chacun de nous ». En septembre 2009, Dominique Wolton
expliquait sur RTL que, selon lui, « il y a deux espaces d'expression, un espace qui n'est pas légitime qui est internet et un espace
légitime qui est celui des médias ». Il était interrogé dans le cadre de l‟affaire Hortefeux, déclenchée par le dérapage jugé raciste
du ministre de l‟Intérieur de l‟époque. Ce type de déclarations montrent qu‟Internet est encore loin d‟être perçu comme un espace
légitime en matière d‟expression citoyenne.

45
a. Les médias traditionnels : vecteurs de l’idéologie dominante ?
C‟était en juin 2008, à l‟université Paris-Dauphine. Dominique de Villepin donne
son point de vue sur les performances journalistiques de notre pays, notamment au
cours de la campagne des présidentielles en 2007, et ce jugement est pour le moins
sévère98 :

« Un bon journaliste est un journaliste qui peut relire en conscience les papiers qu’il a écrit six
mois, un an auparavant. […] On n’a pas à lire la Une de certains journaux comme on a à lire le
Bulletin Officiel ! […] Il y un besoin d’indignation, un besoin d’audace dans la critique qui fait
défaut […] La transparence en politique, c’est toujours le maquillage de quelque chose […] En
général, je fais le tour de la presse dans ma voiture. Heureusement que mes trajets se sont
raccourcis parce qu’au bout de cinq minutes, il n’y a plus rien à lire... On manque de nourriture !
Tout tourne en rond, tout tourne en boucle, c’est vraiment de la pâtée pour chat ! On a envie
d’être nourri, on a envie d’être élevé, on a envie d’être grandi ! On ne demande pas aux
journalistes de répéter en boucle ce qu’ils ont entendu dans les arrière-cours de l’Elysée ! […]
On a le sentiment qu’on peut annoncer n’importe quoi, ce sera repris tel quel. Tout ça me parait
dangereux ! »

Cette critique sur le manque de consistance de l‟information telle qu‟elle est


traitée par les médias traditionnels est récurrente, notamment dans le milieu politique.
Les médias sont, de manière générale, les cibles de critiques depuis des décennies.
Le web n‟a donc rien apporté de nouveau ici, pas même dans la nature des critiques.
Par contre, avec l‟avènement du web, et surtout des médias sociaux, cette critique des
médias est devenue quotidienne et omniprésente, y compris au sein de la profession
elle-même.

Les médias traditionnels au service des puissants ?

Noam Chomsky et Edward Herman commencent ainsi la préface de leur ouvrage


commun, La fabrication du consentement99 :

« Notre point de vue est que les médias, entre autres fonctions, jouent le rôle de
serviteurs et de propagandistes des puissants groupes qui les contrôlent et les financent. Les

98
Extrait vidéo disponible sur Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x5oeuw_quand-villepin-s-en-prend-a-la-pres_news

99
Noam Chomsky & Edward Herman, La fabrication du consentement, de la propagande médiatique en démocratie, Editions
Agone, 2009 (première édition en 1988)

46
porteurs de ces intérêts ont des objectifs précis et des principes à faire valoir, ils sont aussi en
position d‟infléchir et d‟encadrer l‟orientation des médias. Cela ne s‟opère généralement pas au
moyen d‟interventions directes et grossières mais plutôt grâce à un personnel politiquement aux
normes et l‟intériorisation par les rédacteurs et les journalistes des priorités et des critères
définissant ce qu‟est une information valable en conformité avec les politiques de
l‟establishment. »

A travers une analyse méticuleuse du traitement médiatique de plusieurs sujets, les


deux universitaires ont voulu montrer à travers cet ouvrage comment les médias
seraient utilisés, manipulés, par les groupes qui les contrôlent pour se mettre au
service d‟une propagande qui bénéficierait à ces même groupes. Cette critique des
médias ne s‟inscrit pas, selon ses auteurs, dans une théorie du complot: « Nous
n‟aurons ici recours à aucune hypothèse « conspiratoire » pour explique le mode de
fonctionnement des médias ». Les auteurs expliquent que leur modèle de propagande
repose sur cinq filtres de l‟information100 :

« (1) taille, actionnariat, fortune du propriétaire et orientation lucrative ; (2) poids de la publicité ;
(3) poids des sources gouvernementales ou économiques et des « experts » financés et
adoubés par ces sources primaires et agents de pouvoirs ; (4) moyens de contre-feux
permettant de discipliner les médias ; (5) l‟« anticommunisme » comme religion nationale et
mécanisme de contrôle. […] Il est difficile de ne pas avoir remarqué que ce dernier filtre a
évolué avec son temps : la lutte contre l‟« Islam » et la « guerre au terrorisme » ayant remplacé
le communisme comme « religion nationale et mécanisme de contrôle ».

L‟analyse portant sur les médias américains, nous la transposerons sur les médias
français. Nous verrons par ailleurs que la critique menée ici est à relativiser.

Concernant le premier élément pointé par Chomsky et Herman, il est vrai que les
médias sont pour la plupart possédés par des groupes industriels (le quotidien
économique Les Echos, par exemple, appartient au groupe LVMH), vivent de la
publicité, se nourrissent d‟information issues pour la plupart de sources
gouvernementales et économiques 101. Cependant, on ne peut pas y voir un élément
de manipulation des médias. Aux Etats-Unis, il existe de grands groupes de médias,

100
Ibid. p.26

101
Dans leur ouvrage Médiactivistes (édition Les Presse de Sciences Po, 2010), Dominique Cardon et Fabien Granjon expliquent,
en s‟appuyant sur une étude américaine, que 80% des sources des médias traditionnels sont d‟origines gouvernementale ou
économique (p. 121).

47
indépendant des groupes industriels (Fox, NBC, Time Warner ou encore News
Corporation). Pour autant, Noam Chomsky se montre tout aussi dur avec eux.

Concernant la publicité, dès lors que, sans son appui, un média cesse d‟être viable
économiquement, on peut imaginer que le contenu rédactionnel du média sera
travaillé pour pouvoir accueillir le contenu commercial. Ainsi, les arguments de
Chomsky et Herman, pour qui « un système médiatique dominé par la publicité tend
naturellement à l‟élimination ou à la marginalisation des organes financés par leurs
102
seules ventes » , trouvent un écho auprès des internautes, qui relaient très
fortement les soupçons de pression sur le web, à l‟image de la polémique qui avait
suivi la déprogrammation en novembre 2009 d‟un reportage de Zone Interdite sur M6
concernant les chaines de restauration rapide Mac Donald‟s et KFC. Selon des
journalistes de M6 et le syndicat des journalistes SNJ-CGT, cette déprogrammation
était le fait de la pression de Mac Donald‟s et de KFC, annonceurs sur la chaine. Mais
ce qui nous intéresse dans cette polémique ne concerne pas les supposées pressions
des annonceurs mais la réaction des médias sociaux et des internautes, qui se sont
emparés de l‟information et l‟ont largement diffusée sur le web. D‟ailleurs, c‟est le web
qui fera rebondir l‟affaire puisque quelques mois plus tard, en avril 2010, Télérama.fr
s‟est procuré le reportage litigieux et l‟a diffusé sur son site. Bien que le site ait retiré la
vidéo au bout de quelques jours, celle-ci avait déjà été récupérée par des internautes
qui l‟ont mise en ligne su YouTube et DailyMotion. Ainsi, aujourd‟hui encore, le
reportage est toujours disponible sur le web. Par ailleurs on constate que les
pressions, s‟il y en a eu, se sont révélées contre-productives puisque la rédaction de
M6 a fait savoir que le reportage avait été censuré.

Quant aux sources, là aussi on note des similitudes entre la situation des médias
américains et celle des médias français. Selon Chomsky et Herman, les contraintes
temporelles et financières font que les médias « doivent concentrer leurs moyens là où
les événements significatifs sont les plus fréquents, où abondent fuites et rumeurs, et
où se tiennent régulièrement des conférences de presse »103. Et les auteurs de citer la
Maison-Blanche, le Pentagone ou encore le département d‟Etat comme des

102
Ibid. p.47

103
Ibid. p.54

48
« épicentres de ce type d‟activités » et constatent que les « grandes entreprises et
sociétés commerciales sont également des producteurs réguliers et crédibles
d‟informations jugées dignes d‟être publiées ». En France, les épicentres se trouvent à
l‟Elysée, à Matignon ou encore à l‟Assemblée nationale. De même, les entreprises
sont bien considérées comme des sources crédibles d‟information : selon une étude
réalisée par Hopscotch en 2002, le web était – déjà – la première source des
journalistes, les sites d‟entreprises étant les plus visités104. Il existe d‟ailleurs de
nombreux outils à destination des entreprises pour leur permettre de diffuser leurs
messages auprès des journalistes,à l‟image de DataPresse, cette base de données
géante qui contient les coordonnées de milliers de journalistes, classés par média, par
rubrique, etc. DataPresse permet également de connaitre le calendrier rédactionnel de
nombreux médias. Les entreprises peuvent ainsi préparer leur stratégie de relations
presse à ce calendrier, en nourrissant le journaliste d‟informations correspondant au
sujet traité. Toutefois, précisons que, s‟il est vrai que les journalistes travaillent
beaucoup avec les sources gouvernementales et économiques, on ne peut pas pour
autant y voir une relation de complaisance, mais plutôt une relation conflictuelle.
Reprenons l‟exemple du reportage concernant les chaines de restauration rapide :
pour filmer les cuisines de restaurants Mac Donald‟s et KFC, les journalistes ont filmé
en caméra cachée, n‟ayant pas obtenu d‟autorisation de tournage de la part des deux
entreprises concernées. Il y a donc une prise de distance vis-à-vis de la source
officielle.

Au travers de ces différents filtres, les médias seraient donc amenés à relayer – sans
presque s‟en rendre compte – l‟idéologie dominante de leurs propriétaires. Cela sans
empêcher la présence d‟une opinion divergente. Comme l‟explique Pierre Bourdieu et
Laurent Boltanski dans leur ouvrage commun La production de l’idéologie dominante,
« le discours dominant doit son efficacité proprement symbolique (de
méconnaissance) au fait qu‟il n‟exclut ni les divergences, ni les discordances »105.
D‟ailleurs, le terme « idéologie dominante » implique qu‟il existe d‟autres idéologies
mais qui ne seraient pas, elles, dominantes. Bourdieu et Boltanksi analysent dans ce

104
Fabrice d‟Almeida, Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à nos jours, p. 379, Editions
Flammarion, 2010

105
Pierre Bourdieu & Laurent Boltanski, La production de l’idéologie dominante, p.10, Editions Raisons d‟agir, 2008

49
livre comment les débats qui ont eu lieu au moment de la planification ont pu
structurer la pensée sociale en France, jusqu‟à aujourd‟hui :

« Produits par des groupes de travail réunissant les principaux promoteurs de la planification
française et les maitres à penser les plus autorisés auprès des fractions dominantes, les textes
canoniques de la philosophie sociale qui est analysée ici, conduisent au lieu de leur élaboration,
à l‟intersection du champ intellectuel et du champ du pouvoir, c‟est-à-dire au lieu où ma parole
devient pouvoir, dans ces commissions où le dirigeant éclairé rencontre l‟intellectuel éclairant,
« esprit de bon sens, tourné vers l‟avenir‟, comme dit Poniatowski de son maître Fourastié, et
dans les Instituts de sciences politiques où la nouvelle koinè idéologique, scolairement
neutralisée et routinisée, est imposée et inculquée, donc convertie en schèmes de pensée et
d‟action politique ».

On trouve à la conjonction des écrits de Chomsky et Herman d‟une part, et de


Bourdieu et Boltanski d‟autre part, quelques explications quant à l‟origine de la critique
des médias telle qu‟elle se construit aujourd‟hui sur le web, Chomsky y est d‟ailleurs
régulièrement cité. Malgré tout, on peut s‟interroger sur le bienfondé de cette
perception des médias traditionnels, vu comme les vecteurs de l‟idéologie dominante.
Tout d‟abord, les idéologies dominantes sont, par définition, celles qui sont partagées
par le plus grand nombre. Il parait donc normal qu‟elles trouvent une place majeure
dans les médias. Par ailleurs, il est faux de dire qu‟il n‟existe pas de diversité dans les
médias en France. Des règles existent pour assurer cette diversité. Le CSA veille en
effet à ce qu‟un temps de parole équivalent soit donné à la majorité et à l‟opposition.
Mais nous allons voir que cette critique des médias s‟opèrent également au travers
d‟une critique de la profession de journaliste, les règles du métier étant parfois
présentées comme trop rigides par les professionnels eux-mêmes

Les limites d’un journalisme standardisé

« Face au discrédit dont les médias font l‟objet dans l‟opinion publique, si l‟on en croit les
sondages, et compte tenu des conditions de plus en plus scabreuses qui président à la collecte
de l‟information – âpreté de la concurrence, hantise de l‟Audimat, recherche du scoop à tout
prix, poids de la publicité, vitesse accélérée de la transmission des nouvelles, réduction du
temps nécessaire à leur vérification, etc. -, la Commission […] appelle ses quelques 27 000
ayants droit à la plus grande vigilance […]. Devant la cascade de « dérapages » qui sapent la
crédibilité des journalistes et des médias, la Commission de la carte estime de son devoir
d‟appeler solennellement les éditeurs et les journalistes, chacun selon ses responsabilités, à
conjuguer leurs efforts pour donner un coup d‟arrêt à cette dangereuse dérive. »
50
Communiqué de la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, le 4
février 1992

Ce communiqué de la CCIJP a plus de 18 ans. Et pourtant, il aurait pu être publié il y


a encore quelques mois sans en changer le moindre mot. C‟est Roland Cayrol qui le
reprend dans Médias et démocratie, la dérive106. Ce communiqué aurait ainsi pu être
publié fin avril 2010, après que TF1 ait confondu Flandre et Wallonie sur une carte de
la Belgique diffusée à l‟antenne. Ou quelques jours après, quand le site d‟actualités
politiques LesIndiscrets.com s‟est fait l‟écho d‟accusations graves – et surtout fausses
– à l‟encontre de Benjamin Lancar. Ou encore la semaine suivante, après la nouvelle
erreur de TF1, qui a décidément bien des difficultés avec la géographie, et inversait
cette fois Suède et Finlande. On constate, à travers ce communiqué, que les
problèmes que connait la profession ne sont pas neufs. Face à ces difficultés, Marie-
Laure Sauty de Chalon expliquait en 2007 dans son livre Médias, votre public n’est
plus dans la salle107:

« La presse vit avec un sentiment d‟impunité. En vertu du droit à l‟information, mais


insuffisamment vérifiée et recoupée comme l‟implique la déontologie, les journalistes
éclaboussent des personnalités, démolissent des gens, sans jamais avoir à rendre des
comptes. Or tout le monde ou presque sait qu‟une affaire qui sort à la Une d‟un journal émane
le plus souvent de sources anonymes, généralement bien placées, qui ont tout à y gagner et
qui, le plus souvent, manipulent. Les directeurs de rédaction, pour préserver la liberté de la
presse, excluent de faire leur autocritique. »

Lorsque l‟on met en parallèle le communiqué de la CCIJP de 1992, et ce texte de


Marie-Laure Sauty de Chalon de 2007, on comprend qu‟il existe un malaise au sein de
la profession de journaliste. Et que ce problème ne date pas de l‟émergence du web.

Ce malaise, à en croire François Ruffin, auteur du livre Les petits soldats du


journalisme, dans lequel il raconte sa formation de journaliste au CFJ, prend corps
justement à cette période des études de journalisme. Se montrant très critique sur le
contenu de cette formation du CFJ, il explique comment les étudiants sont formés,

106
Roland Cayrol, Médias et démocratie : la dérive, p.9-10, Presse de Sciences Po, 1997

107
Marie-Laure Sauty de Chalon, Médias, votre public n’est plus dans la salle, p.179, Editions Nouveaux débats publics, 2007

51
selon lui, pour devenir des « techniciens de l‟écriture. Ou, plus souvent encore, de la
réécriture »108 :

« Le Centre reflète, simplement, une évolution du métier. Car désormais, « dans tous
les médias, le rôle des agences de presse mondiales est déterminant ». Pour cause d‟économie
de temps, d‟économie de moyens, le reporter est mort, place au scribe fidèle à ses dépêches.

Le style qu‟on nous prescrit épouse, lui aussi, une courbe techniciste. Avec des règles
comptables, quasi scientifiques : « Au-delà de douze mots, des études l’ont démontré, le lecteur
s’arrête. Alors on se limite à une dizaine par phrase en moyenne, quatorze, quinze à la limite
mais jamais au-delà de dix-sept. » « Ne mettez pas d’intertitre avant la dixième ligne. » « Autant
que possible, évitez les subordonnées. » « Un « chapô », c’est 10% environ de la taille d’un
papier. »

Côté lexique, ni familier ni soutenu, jamais savoureux, jamais savant. Juste


impersonnel, avec un respect de la syntaxe qui tient lieu d‟écriture. « Je comprends qu’il y ait un
effort pour passer sous certaines fourches caudines, concède Samuel, mais c’est très contraint.
J’avais fait le portrait d’un SDF et j’avais écrit « un mec dans la galère ». On me l’a entouré de
rouge : « On ne peut pas. » Et c’est toujours pareil. »

Sur le web, cela fait également partie de la réalité. La description des rédactions web
par Xavier Ternisien, que nous évoquions en introduction, le montre 109 :

« C‟est le cas de cette jeune femme de 24 ans, qui a travaillé de 2006 à 2008 en contrat de
professionnalisation au Nouvelobs.com. Elle décrit un travail bâclé, le copier-coller de dépêches
d‟agence « en reformulant vaguement, sans jamais vérifier, faute de temps ». »

Par ailleurs, une des critiques présentes sur le web à l‟encontre des journalistes porte
sur un soi-disant manque de connaissance des sujets traités. Pour plusieurs des
personnes interrogées dans le cadre de ce mémoire, ce sont là quelques raisons qui
expliquent pourquoi, selon elles, les grands sujets de débat – tel que la réforme des
retraites – débouchent sur un traitement médiatique presque similaire. L‟association
de critique des médias, Acrimed, s‟était d‟ailleurs émue du traitement médiatique de la
réforme des retraites dans un billet publié le 3 mai 2010 et intitulé « La réforme des
retraites ? Urgente, unique, inévitable » :

108
François Ruffin, Les petits soldats du journalisme, p.25-27, Editions des Arènes, 2003

109
« Les forçats du web », Le Monde, 26 mai 2009 (http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2009/05/25/les-forcats-de-l-
info_1197692_3236_1.html)

52
« « Il y a urgence ! » s‟exclame Alain Genestar sur France Info, le 20 février 2010. C‟est « une
réforme inévitable » insiste Patrick Bonazza dans Le Point le 25 février. « Incontournable »,
nuance Jean-Pierre Bel, « indispensable », tempère François Ernenwein, « inéluctable »,
réplique Jacques Camus [1]. Pour Alain Duhamel, « la réforme des retraites, c‟est la plus
urgente, la plus nécessaire » (RTL, 23 mars 2010). Même point de vue pour Luc Ferry : « C‟est
vital et s‟il y a encore une réforme à faire, c‟est celle-là. Il faut acter qu‟on travaillera plus. »
(lejdd.fr, 26 mars 2010). C‟est vital, c‟est fatal – ce sont « Les retraites de la peur », comme
l‟indique la « Une » de Métro le 15 avril 2010.

On l‟aura compris, les médias dominants nous resservent la soupe unanimiste de l‟urgence de
la réforme. Depuis 1993 et la première réforme des retraites instaurée par Edouard Balladur, les
gouvernements successifs ont trouvé sur leur route des médias enthousiastes, saluant et
soutenant la marche triomphale vers la « modernisation » des régimes de retraites (2003,
2007). La prochaine réforme, annoncée à l‟automne 2010, devrait s‟accompagner d‟un
emballement éditorial similaire. »

Acrimed s‟en prend ici à ce que Jean Nouailhac appelle les « médiacrates »110 :

« Incapables de la moindre autocritique, ont-ils une idée des dégâts qu‟ils causent à
notre fragile démocratie, dont ils devraient être les plus ardents défenseurs ? Outre qu‟ils offrent
un exemple déplorable aux jeunes journalistes, ils ont contaminé la quasi-totalité des services
politiques des grands médias et la majorité des rédactions. »

L‟amoncellement de ces critiques à l‟encontre des journalistes impressionne 111.


Pourtant, comme me l‟ont confié quelques blogueurs amenés à rencontrer
régulièrement des journalistes au cours d‟événements politiques, ces derniers « font
ce qu’ils peuvent à leur niveau ». Et cela s‟est confirmé dans les rencontres effectuées
dans le cadre de ce mémoire, avec des journalistes. Evidemment, ils cherchent à
produire la meilleure information possible. Ils ont un œil critique et averti sur la vie
politique et économique. Et malgré cela, leur façon de traiter l‟information reste très
proche de « l‟idéologie dominante » et ce pour les raisons que nous avons évoquées :
toutes les rédactions ont les mêmes sources (agences de presse d‟abord, puis
sources politiques ou économiques principalement), elles ont la même contrainte de
temps (il faut sortir l‟information au plus vite, ce qui implique un travail de vérification et
d‟approfondissement plutôt limité), les journalistes qui composent les rédactions des

110
Jean Nouailhac, Les médiacrates, enquête sur une profession au-dessus de tout soupçon, p.8, Editions L‟Archipel, 2008

111
C‟est anecdotique mais j‟avoue avoir été moi-même très surpris de constater qu‟à la FNAC, lorsque je suis allé me procurer
des livres pour ce mémoire, presque la moitié des ouvrages portant sur les médias étaient des ouvrages de critique des médias.

53
principaux médias d‟information sortent pour la plupart des mêmes écoles, où ils ont
suivi la même formation que leurs ainés, sans jamais aucune remise en cause. Nous
sommes de plus en plus dans ce que l‟on peut considérer comme du « journalisme
standardisé », régi par les mêmes règles, les mêmes pratiques professionnelles, les
mêmes sources, les mêmes formats de pensée. Les journalistes semblent condamnés
à devenir de simples machines à reproduire des communiqués et autres éléments de
langage, mettant de côté leur rôle de vérification et de tri de l‟information. C‟est en tout
cas ce qui ressort de cette perception, finalement très pessimiste, qu‟ont les médias
sociaux des médias traditionnels et des journalistes qui y travaillent.

Il était important de tracer les grandes lignes de la critique des médias telle
qu‟elle s‟exprime aujourd‟hui sur le web et au sein de la profession car, nous allons le
voir, les médias sociaux se positionnent pour beaucoup en opposition à ces médias
traditionnels et, surtout, à ce qu‟ils perçoivent comme un « journalisme standardisé ».
Se sont également développés autour du web un imaginaire et une idéologie qui en
font un espace très polémique par nature.

b. Les médias sociaux : des contre-médias ?


« Internet n‟est pas seulement une technologie ou un média, c‟est aussi une idéologie.
Plus que toutes les autres innovations techniques qui l‟ont précédé, Internet s‟accompagne
d‟une vision du monde et d‟un projet de société « révolutionnaires », qui ont contribué à son
succès. On peut même dire que, sans cette construction idéologique idyllique, il n‟aurait pas
connu un succès aussi fulgurant et généralisé. »112

Cette idéologie qu‟évoque Bernard Poulet est structurante pour les médias
sociaux. Si nous n‟aurons évidemment pas l‟espace pour étudier ici en profondeur ce
que l‟auteur désigne comme une « construction idéologique idyllique », nous
tâcherons tout de même d‟en analyser les grandes lignes, tant elle influe sur la
fabrique de l‟information telle qu‟elle existe aujourd‟hui.

112
Bernard Poulet, La fin des journaux et l’avenir de l’information, p.147, Editions Gallimard, 2009

54
Le web : au-delà de la technologie, l’idéologie

Le web se veut un espace ouvert, où tout un chacun est libre de venir


s‟exprimer comme il l‟entend. D‟ailleurs, comme le souligne Bernard Poulet, « on ne
parle plus que de « logiciels libres » (libre ici signifiant aussi gratuit), d‟open source,
d’open office (tout est « ouvert », donc d‟accès libre) »113. Cette imaginaire qui s‟est
développé autour du web sur la base de ces notions de liberté et d‟ouverture est
devenu une véritable idéologie, derrière laquelle naissent les contours d‟un nouveau
modèle démocratique. Les valeurs emblématiques du web sont effectivement celles
de la transparence, du partage et de l‟égalité. Bernard Poulet a ainsi observé une
« remise en question des experts et de contestation de tout ce qui est top-down (qui
va du sommet à la base, qui est donc autoritaire et s‟oppose à ce qui vient de la base
et des communautés, qui est donc anti-autoritaire) », face à une mise en avant « de
communautés libres et ouvertes et, finalement, d‟une technologie qui serait le véhicule
de l‟épanouissement démocratique ».

Si l‟on regarde les grands succès du web ces dernières années, qu‟y trouve-t-on ?
D‟abord Google, dont l‟un des dix principes fondamentaux est intitulé « La démocratie
fonctionne sur le Web »114 :

« Le système Google fonctionne, car il fait confiance aux millions d‟internautes qui ajoutent des
liens sur leur site Web pour déterminer la valeur du contenu d‟autres sites. […] Dans la même
veine, nous participons activement au développement de logiciels open source, pour lesquels
l‟innovation résulte de l‟effort collectif d‟un grand nombre de programmeurs. »

Les notions d‟ouverture et de liberté apparaissent ainsi comme fondatrice de l‟empire


Google et expliquent, en partie, la réussite retentissante que l‟entreprise connait, ainsi
que les difficultés qu‟elle a pu connaitre, qui sont liées à un non respect de ces
valeurs, comme lors du lancement du service Google Buzz, perçu comme une
intrusion dans la vie privée des utilisateurs.

Autre grand succès : Wikipédia. Cette encyclopédie en ligne qui se définit


comme « libre » dans sa signature. Deux éléments sont mis en avant dès la page
d‟accueil du site : la communauté et la participation. On rejoint les propos de Bernard

113
Ibid.

114
Ces dix principes sont disponibles dans l‟espace corporate du site Google.fr (http://j.mp/bGvW9d)

55
Poulet sur la valorisation de « ce qui vient de la base et des communautés ». Ainsi,
concernant la participation, il est indiqué sur Wikipedia.org que « chacun peut publier
immédiatement du contenu en ligne, à condition de respecter les règles essentielles
établies par la communauté ; par exemple, la vérifiabilité du contenu ou l‟admissibilité
des articles ». A propos de la communauté, le site précise que « 916 977 comptes
d‟utilisateur ont été créés sur Wikipédia, et, parmi eux, 15 743 ont été actifs durant le
dernier mois. Tous les rédacteurs des articles de Wikipédia sont bénévoles ; ils
constituent une communauté collaborative, sans dirigeant, où les membres
coordonnent leurs efforts au sein des projets thématiques et de divers espaces de
discussion ». Mais Wikipédia montre aussi les limites de la participation. En effet, il
arrive régulièrement que de fausses informations soient mises en ligne, parfois par
erreur, parfois par envie de nuire. La liberté qu‟offre Wikipédia aux internautes est
donc à double tranchant et ne va pas toujours dans le sens de la communauté.

Encore un exemple d‟un grand succès de la dernière décennie, qui n‟est pas
attribuable à une entreprise ou une initiative en particulier, celui des blogs : on
dénombre aujourd‟hui plusieurs dizaines de millions de blogs en France. Le chiffre
précis est difficile à estimer. Dans un article datant du 30 mars 2010 115, le Journal du
Net évoquait le chiffre 15 à 20 millions de blogs. Ce chiffre ne prend pas en compte
les 30 millions de blogs hébergés sur Skyrock.com, ce dernier les considérant
davantage comme des pages personnelles que comme des blogs, selon l‟article du
Journal du Net116. Mais l‟information la plus importante de l‟article n‟est pas tant le
nombre de blogs en France que la comparaison avec les autres pays. Citant un
rapport de la secrétaire nationale de l‟UMP aux entreprises, Danièle Giazzi, le Journal
du Net explique : « Selon Danièle Giazzi, la France se classerait ainsi au quatrième
rang mondial, derrière les États-Unis, la Chine et le Japon, mais au premier rang
mondial en nombre de blogs par internaute ». Si le site relativise ces chiffres (« Ce
chiffre, difficile à vérifier, est vraisemblablement faux », indique l‟article), il n‟en reste
pas moins que la France est un des pays les plus actifs en matière de blogging. Le

115
« Entre 15 et 20 millions de blogs en France », Le Journal du Net, 30 mars 2010 (http://j.mp/cHsNLq)

116
Cette distinction entre blog et page personnelle est contestable, puisque le principe d‟un blog est d‟être une page personnelle,
que chaque internaute s‟approprie comme il l‟entend. Par ailleurs, tous les blogs hébergés par Skyrock.com ne sont pas des
journaux intimes, mais bien des blogs politiques, sociétaux et autre, à l‟image des blogs hébergés par d‟autres plateformes.

56
Journal du Net propose d‟ailleurs sur son site un comparatif du phénomène des blogs
dans le monde datant de mars 2006117 qui montrait que la France était le pays avec le
plus de blog rapporté au nombre d‟internautes, ce qui corrobore le constat fait par
Danièle Giazzi.

Pour créer un blog, rien de plus simple : il existe de nombreuses plateformes


d‟hébergement gratuites, dont les plus populaires sont Blogger (Google), Skyrock.com
ou encore Overblog. Il suffit de s‟inscrire, choisir un nom pour son blog et c‟est parti.
La création d‟un blog ne nécessite aucun savoir faire particulier – pas même celui de
savoir écrire – puisque les interfaces d‟utilisation sont ultra simplifiées. C‟est l‟une des
explications du succès que connait ce format sur le web, n‟importe qui peut ouvrir un
blog aujourd‟hui. Les blogs sont une illustration de plus de cette technologie au service
d‟une nouvelle expression démocratique. Chaque internaute dispose, s‟il le souhaite,
d‟un espace où il pourra s‟exprimer, sous son nom ou anonymement, sur quelque
sujet que ce soit, comme il l‟entend.

Ces quelques exemples – Google, Wikipédia et les blogs – montrent à quel


point ces notions de liberté, de transparence et d‟ouverture sont fondamentales sur le
web, mais également quelles en sont les limites et les dangers. Mais comment est
organisée l‟information sur le web ? En réalité, malgré ce que l‟on pourrait imaginer, le
web est un espace structuré. On y trouve en effet d‟innombrables communautés. Ces
communautés sont la base du travail de linkfluence. Sur le site de l‟institut 118, on peut
lire :

« Sur le web social, ceux qui produisent des contenus, alimentent des échanges, des
conversations produisent continuellement des liens hypertextes. Proposer ces liens hypertextes
de document à document, c‟est proposer des chemins à parcourir à l‟ensemble des internautes.
Au final, ce sont des communautés d‟intérêt ou d‟affinités qui se construisent à mesure que ces
conversations entre les mêmes individus perdurent et s‟intensifient.

Ces communautés se divisent d‟abord selon une partition nationale et/ou linguistique, la
langue étant la première barrière séparant les individus ; une fois cette partition constatée, on

117
« France, terre de blogs », Le Journal du Net, mars 2006 (http://www.journaldunet.com/diaporama/0604blogs/2.shtml)

118
http://fr.linkfluence.net/insights-2-0/notre-approche/#livepanel

57
peut y observer des communautés aussi variées que les modeuses, les footballeurs, les tenants
de la décroissance ou les amoureux des chiens et chats. Même si leur durée de vie peut varier,
leur nombre reste globalement constant car elles se renouvellent à la manière des magazines
présents en rayonnage dans une maison de la presse. »

Bien entendu, dans le cadre de notre réflexion, les communautés qui nous
intéressent sont celles que linkfluence a regroupées dans le territoire société119. Nous
nous y référerons avec l‟expression « web d‟opinion ». Cette frange du web, qui n‟est
pas majoritaire120, dispose pourtant d‟un poids et d‟une visibilité non négligeables. Elle
est également porteuse de cette ambition démocratique du web, comme l‟explique
Bernard Poulet121 :

« Internet, fait remarquer très justement, Benjamin Loveluck, « constitue une formidable
promesse d‟égalité » et aussi « et surtout l‟utopie d‟une parole libre, sans instance de censure,
voire un idéal de démocratie participative fondée sur la délibération permanente […] la
réalisation en cours d‟une utopie politique à part entière : celle de la démocratie dans sa forme
la plus pure », qui, notamment, fait disparaitre toutes les instances intermédiaires.

La seule agrégation qui parait trouver grâce dans cet univers horizontal a pour nom
« communauté ». Le terme fait écho à une vieille tradition américaine. Aux Etats-Unis, on sait
qu‟elle fonde la démocratie, conçue aux origines comme un ensemble de communautés
jalouses de faire respecter leurs libertés. Mais cette assimilation, souvent faite avec ce que l‟on
trouve sur Internet, est trompeuse. Les communautés « réticulaires » d‟Internet s‟entendent
presque en sens inverse : elles sont celles d‟individus sans attache. Ce sont des communautés
ad hoc, bâties autour d‟un centre d‟intérêt commun, d‟un hobby, d‟une croyance partagés. »

Cette structure communautaire joue un rôle très important dans le traitement de


l‟information sur le web social. La reconnaissance par la communauté d‟un blog est
fondamentale en termes de crédibilité et de visibilité. S‟est ainsi mise en place une
certaine autorégulation sur le web, permettant de faire le tri parmi toutes les
informations publiées chaque jour. Pour gagner la confiance de ses pairs, un blogueur
se doit de respecter les règles en vigueur sur Internet. Ces règles sont issues, comme
en droit, de plusieurs sources. La législation, bien entendu, s‟applique sur Internet

119
Elle comprend les communautés agora (économie, institution, opinion…), politique, santé, ressources humaines,
marketing/communication, technologues (comprenant les sites et blogs centrés sur les sujets liés à l‟informatique, au design et au
web).

120
Les communautés mode, lifestyle ou encore loisirs créatifs comportent plus de sites et blogs que celles du territoire société.

121
Bernard Poulet, La fin des journaux et l’avenir de l’information, p.151-152, Editions Gallimard, 2009

58
comme ailleurs. La diffamation ou encore les propos injurieux ou racistes sont autant
interdits sur le web que partout ailleurs. Mais les principales sources de ces règles
sont la coutume et la jurisprudence, la doctrine – au sens de la source du droit –
restant encore marginale en comparaison. La coutume, qui bénéficie d‟une place
mineure dans le domaine du droit, influe beaucoup sur les règles en vigueur sur le
web. C‟est par cette source que les usages sont définis, ce qui explique l‟absence de
règles précises et clairement identifiables. Cela s‟explique par le poids de la
communauté et l‟absence de « chef » ou d‟instance décisionnelle. Les règles établies
par la coutume sont diverses et variées et portent parfois sur des questions
accessoires : par exemple, la prohibition de la police de caractère Comic sans MS, qui
fait perdre toute crédibilité à un blog, ou encore rejet de l‟écriture SMS, en référence
aux codes d‟écriture utilisés notamment par les jeunes dans les textos. Beaucoup de
ces règles n‟ont pas de justifications ou de raisons d‟être claires. Aussi, elles ne
s‟acquièrent que d‟une seule manière : par l‟usage. La jurisprudence joue également
un rôle très important. Les événements du passé structurent les usages du présent.
C‟est par exemple ce qu‟il s‟est passé autour du phénomène des lipdubs, ces clips
musicaux dans lesquelles des personnes font un clip en playback sur une chanson, la
vidéo étant ensuite diffusée sur le web. Suite à l‟échec du lipdub des Jeunes
Populaires, le mouvement des jeunes de l‟UMP, cet exercice très en vogue sur le web
est soudainement devenu has been.

En matière d‟information, les règles les plus importantes qui ont été établies par la
coutume et la jurisprudence concernent les sources d‟information et la prise en
considération de la communauté. Sur le premier point, on constate que sur le web,
citer ses sources est fondamental. Ne pas afficher ses sources est perçu comme un
manque de sérieux et de reconnaissance du travail d‟autrui. Par exemple, au début du
mois de septembre, un journaliste d‟Owni.fr, média pure player, a publié un article sur
l‟absence de concertation entre le Gouvernement et les syndicats. Son article
comportant plusieurs erreurs factuelles de taille, un internaute a publié un tweet
mettant en cause la qualité de l‟article en question. L‟auteur de l‟article lui a alors
demandé des précisions puis a corrigé son article, en le citant comme source à la fin
de celui-ci. Pour diverses raisons, l‟internaute ne souhaitait pas être cité, il lui a donc
demandé de retirer son nom. Le journaliste a finalement accepté, tout en précisant
que cela n‟était pas dans l‟habitude d‟Owni.fr de ne pas citer ses sources. Cette

59
réponse est surprenante, puisqu‟elle va à l‟encontre de la règle en place pour les
journalistes, concernant le secret des sources, qui est fondamentale dans ce métier.
C‟est donc là un des changements les plus importants dans les bases mêmes du
travail de journaliste. La deuxième règle importante sur le web en matière
d‟information apparait tout aussi fondamental. Sur le web, il est vital de respecter la
communauté et de « jouer le jeu » quant à l‟échange avec les internautes. Là encore,
il est très mal vu pour un blogueur de ne pas répondre aux commentaires, ou de ne
pas tenir compte des remarques des internautes concernant son blog et ses billets.
Ces deux éléments – les sources et le dialogue – s‟inscrivent dans cette vision d‟un
web libre, ouvert et transparent. Cependant, on s‟aperçoit que derrière cette volonté
de liberté et d‟ouverture, il existe de nombreuses règles que les internautes doivent
respecter, sous peine d‟être rejetés voire moqués. Par exemple, les Skyblogs – blogs
hébergés sur la plate-forme Skyrock.com, le plus souvent tenus par des adolescents
qui y détaillent leur quotidien – font souvent l‟objet de moqueries sur le web. Ce
fondamentalisme entre donc en contradiction avec cette liberté revendiquée du web.

Mais comment tout cela influe-t-il sur le traitement et la valeur de l‟information ?


Chez linkfluence, les notes de veille réalisées pour le compte de grand ministère et
séparées en deux parties (une pour les médias traditionnels, une autre pour les
médias sociaux) accréditent cette perception des médias sociaux comme des contre-
médias. Cela se concrétise de différentes manières : le plus souvent, les sujets traités
dans les médias sociaux sont les mêmes que dans les médias traditionnels. Le
changement se situe dans l‟angle choisi pour traiter l‟information. Mais il existe
également sur le web ce que l‟on peut considérer comme un marché parallèle de
l‟information. C‟est-à-dire que circulent dans les médias sociaux des informations qui
ne sont pas ou très peu traitées par les médias traditionnels. Cela rejoint l‟analyse de
Laure Kaltenbach et Alexandre Joux, dans leur ouvrage Les Nouvelles Frontières du
Net122 :

« La théorie de Chris Anderson consiste en un renversement de la loi de Pareto, sorte de règle


empirique affirmant que 80% du chiffre d‟affaires d‟une société est réalisé à partir de 20% des

122
Laure Kaltenback, Alexandre Joux, Les nouvelles frontières du net, qui se cache derrière Internet ?, p.25, éditions First Gründ,
2010

60
produits commercialisés. L‟effet « longue traîne » implique à l‟inverse que ce sont les 80% de
produits de niche, ceux non concernés par la distribution de masse, qui trouvent un débouché
nouveau sur Internet grâce à la multiplication des sites et des occasions de communication. »

Appliquée à l‟information, cela signifie que les informations « oubliées » par les
médias de masse trouvent sur le web un débouché nouveau.

Les médias sociaux, un marché noir de l’information ?

Les médias sociaux se veulent le contre-pied des médias traditionnels dans leur
façon de traiter l‟information. Nous allons voir qu‟effectivement, il existe de très
nombreuses différences entre les médias traditionnels et les médias sociaux en
matière de traitement de l‟information. Nous utiliserons pour cela le linkscape, moteur
de recherche développé par linkfluence, permettant d‟effectuer des recherches au sein
du live panel sur les 12 derniers mois, en filtrant notamment par communauté.

Par exemple, prenons l‟actualité d‟Eric Woerth sur la semaine du 7 au 14


décembre 2009. L‟analyse du traitement de son actualité, dans les médias
traditionnels en ligne d‟une part, et dans les médias sociaux d‟autre part, montre que
les informations mises en avant dans chaque sphère ne sont pas les mêmes : le web
social se démarque de l‟agenda médiatique pour remettre à la Une un sujet polémique
qui stagnait déjà depuis plusieurs semaines dans cet espace : la « double casquette »
d‟Eric Woerth, ministre du Budget et trésorier de l‟UMP. Inversement, les médias
traditionnels, eux, ont principalement relayé l‟intervention d‟E. Woerth sur France 2 le
9 décembre suite aux révélations du Parisien sur les origines de la liste des 3000
évadés fiscaux. On observe d‟ailleurs que les éléments de langage fournis par le
ministre lors de précédentes interventions médiatiques ont été bien relayés par ces
sites d‟information, ce qui vient appuyer les critiques évoquées précédemment à
l‟encontre des médias traditionnels. Notons également que le cumul des fonctions
d‟Eric Woerth, ministre du Budget et trésorier de l‟UMP, était l‟un des sujets les plus
discutés du web social en décembre 2009, alors qu‟il aura fallu attendre l‟été 2010 et
l‟affaire Bettencourt pour que cette situation fasse la Une des médias traditionnels.

61
Cela laisse penser que les médias sociaux agissent de manière autonome par
rapport aux médias traditionnels. Comme le rappelle Albert de Roy, dans son ouvrage
La mort de l’information123, « au moment du référendum européen de 2005, de
nombreux sites, les uns militants, les autres pédagogiques, se firent les
propagandistes du « non », en net décalage avec la tonalité générale des médias
classiques ». Plusieurs éléments viennent expliquer ces différences. Tout d‟abord, les
médias sociaux ne sont pas astreints à un devoir d‟impartialité, contrairement aux
médias traditionnels, qui doivent rester objectif dans le traitement qu‟ils font de
l‟information, sous peine d‟être sanctionnés par le CSA. Inversement, beaucoup de
blogueurs sont politisés. D‟ailleurs, le web est souvent présenté comme étant de
gauche. Guilhem Fouetillou, directeur scientifique de linkfluence, expliquait dans un
article du Monde.fr124 que sont surtout présents sur le web ceux qui estiment que leur
opinion n‟est pas ou peu représentée :

« Certains, à l'UMP, à commencer par Benjamin Lancar, avancent cette explication aux
difficultés numériques de la majorité : selon eux, le Web français est intrinsèquement dominé
par la gauche. Une analyse simpliste, estime Guilhem Fouetillou, directeur de Linkfluence,
agence spécialisée dans l'analyse de contenus sur le Web : "Il devient de plus en plus difficile
de dire que le Web est 'de gauche'. Sociologiquement, les internautes sont de plus en plus
représentatifs de la population en général. Et certes, la gauche est dominante dans la
production de contenus politiques sur Internet, mais l'extrême-droite est également très forte".
Selon lui, "on produit des contenus sur Internet lorsqu'on se sent sous-représenté. C'est
l'élément-clé : l'UMP est au pouvoir et n'a pas besoin de produire ses propres médias pour
exister". »

Les « oubliés » des médias de masse compensent donc leur absence dans cet
espace par une présence accrue sur le web. Dès lors, il est évident qu‟ils ne traiteront
pas l‟information comme un média traditionnel. Pour Samuel Laurent, journaliste
politique pour LeMonde.fr, « Internet permet de différencier les opinions, permet
davantage de pluralité »125. Le pendant de cette diversité est la « montée des
conspirationnistes, des extrêmes », qu‟a pu constaté Samuel Laurent, notamment
dans les commentaires d‟articles sur LeMonde.fr ou LeFigaro.fr. Il note également une

123
Albert du Roy, La mort de l’information, p.229, éditions Stock, 2007

124
« L'UMP veut rattraper son retard sur Internet avant 2010 », LeMonde.fr, 30 septembre 2010 http://j.mp/alQkU5

125
Cf. Annexe Entretiens, p.86

62
« montée de la critique des médias ». Dans les médias sociaux, on observe les
mêmes tendances. La critique des médias y est permanente – des sites y sont
consacrés ou s‟y livrent régulièrement, comme Acrimed.org ou @rrêt sur Images – et
les extrêmes sont non seulement très présents, mais surtout très organisés, le web
étant devenu pour eux leur principal outil de communication. Ces communautés étant
très soudées, l‟information y circule rapidement et leurs membres la diffusent
largement au sein d‟autres espaces du web. Les théoriciens du complot, par exemple,
disposent de nombreux dispositifs oscillant entre information et communication, pour
diffuser leurs idées et leurs analyses d‟événements tels que les attentats du World
Trade Center ou l‟épidémie de la grippe A H1N1.

Enfin, il faut souligner que Bernard Poulet, s‟il relaie dans son ouvrage cette
vision du web comme espace d‟une nouvelle forme d‟expression démocratique, ne se
montre pas complètement convaincu du résultat. Par exemple, sur le « monde sans
experts », l‟auteur remarque que « son principal défaut est plutôt d‟être celui du
consensus mou »126. Quant au « tous journalistes » et à la critique actuelle des
médias, Bernard Poulet juge que s‟il « est vrai que des dérives, des compromissions
et un manque de sérieux et de travail d‟une partie des journalistes ont nourri cette
suspicion », il estime que « l‟apport des amateurs ne peut remplacer la spécificité du
travail des journalistes professionnels lorsqu‟ils respectent des règles déontologiques,
vérifient avant de publier et, finalement, font sérieusement ce qui est d‟abord un
métier »127.

Les médias sociaux apportent donc, de par leur approche alternative et


partisane, une vision différente de l‟information. Le risque ici serait que l‟information
soit altérée pour correspondre aux idéologies des médias sociaux. On observe, de
plus en plus, un brouillage de la frontière entre les deux sphères. La réalité,
aujourd‟hui, est que les médias traditionnels et les médias sociaux sont
complémentaires.

126
Bernard Poulet, La fin des journaux et l’avenir de l’information, p.148, Editions Gallimard, 2009

127
Ibid.

63
c. La convergence de deux mondes au service d’une information
améliorée
En effet, on observe qu‟une partie de la jeune génération de journalistes, très
présente sur le web, se montre ainsi très critique sur les méthodes de travail de leurs
confrères plus expérimentés. Ce conflit de générations apporte l‟idée que le problème
ne se situerait peut-être pas au niveau de la séparation médias sociaux/médias
traditionnels mais davantage au niveau du support. Car, nous allons le voir, au sein
même des médias traditionnels, il existe des tensions entre les rédactions travaillant
sur le support traditionnel (papier, télévision, radio) et les rédactions web de ces
mêmes médias.

Laurent Mauriac, co-fondateur de Rue89, m‟expliquait, lors de notre entretien,


que l‟idée derrière son média « est de faire travailler ensemble des journalistes, des
experts et des internautes »128. Rue89, de par son histoire et son projet, symbolise
bien le lien qu‟il peut y avoir entre les médias sociaux et les médias traditionnels.
D‟ailleurs, Laurent Mauriac est un ancien de Libération. Et si Rue89 revendique sa
dimension participative, « l‟info à trois voix »129, son fondateur précise qu‟il ne s‟agit
pas de journalisme citoyen : « on ne s’improvise pas journaliste ». Pourtant, Rue89
s‟est lancé dans une posture de différenciation par rapport aux médias traditionnels.
Le 13 mai 2007, le site se fait connaitre par un scoop : « Cécilia Sarkozy n‟a pas
voté… scoop censuré du JDD »130. Dans cet épisode, le média traditionnel subit les
pressions du pouvoir, le média pure player affirme son indépendance, sa
transparence, ce qui sonne comme un écho à ce que nous avons étudié.

En réalité, si les médias sociaux ne sont pas tendres avec les médias
traditionnels, et inversement, les relations entre ces deux mondes sont plus intenses
qu‟il n‟y parait. D‟abord, on observe un phénomène intéressant depuis quelques
années : de plus en plus de journalistes ouvrent leur blog, certains dans un cadre

128
Cf. Annexe Entretiens, p.86

129
Signature de Rue89

130
« Cécilia Sarkozy n'a pas voté… scoop censuré du JDD », Rue89, le 13 mai 2007, (http://j.mp/bOvwJc)

64
professionnel, d‟autres dans un cadre plus personnel. De même, il arrive de voir des
blogueurs endosser le costume de journaliste, en participant à des conférences de
presse ou en réalisant enquêtes et interviews par exemple.

Médias traditionnels et médias sociaux entre opposition et collaboration

Cela représente bien la situation actuelle entre les médias traditionnels et les
médias sociaux. Les deux travaillent ensemble, mais dans une ambiance assez
tendue. Commençons par un constat, que nous avons déjà entamé avec l‟exemple de
Rue89 : ceux qui ont créé les principaux médias pure players sont issus des médias
traditionnels. Pierre Haski et Laurent Mauriac, anciens de Libération, ont créé Rue89.
Edwy Plenel, ancien du Monde, a fondé Médiapart. Quant à Nicolas Beau, directeur
de la rédaction de Bakchich, il sévissait auparavant au Monde puis au Canard
Enchainé. Dernier exemple de cette liste : Daniel Scheidermann, passé d‟abord au
Monde, puis chez Libération et enfin France 5, avant de se lancer dans l‟aventure
@rrêt sur images, équivalent web du programme que le journaliste présentait sur la
chaine publique. La frontière entre médias traditionnels et médias sociaux est donc
assez fine. Dans le même temps, le traitement de l‟information sur ces sites est tout
de même assez éloigné des pratiques des médias traditionnels dont sont issus les
journalistes cités. D‟ailleurs, Laurent Mauriac me signalait une différence, qui peut
paraitre anecdotique mais qui est en fait révélatrice d‟un mode de fonctionnement
éminemment différent de celui des médias traditionnels, y compris sur le web : Rue89
n‟a pas d‟abonnement à l‟AFP ou à d‟autres agences de presse, « on utilise les
lecteurs comme des capteurs, comme des sources d’information »131, explique-t-il.
Rue89 affiche par ce biais sa différence avec les médias traditionnels, qui ont
tendance à beaucoup s‟appuyer sur ces agences de presse pour publier du contenu
en masse sur leur site, comme le montrait l‟article de Xavier Ternisien, sur les « OS de
l‟info », que nous avons déjà évoqué à plusieurs reprises.

Les blogueurs également entretiennent des relations paradoxales et


contradictoires avec les médias traditionnels. Mais ici, c‟est davantage la question
humaine qui entre en jeu : « les blogueurs sont déconsidérés. On est dans un système

131
Cf. Annexe Entretiens, p.86

65
de classe. Du point de vue des médias, c’est un cadeau qui est fait au blogueur de
reprendre un billet », estime le blogueur Mancioday. Il ajoute que la seule source de
motivation pour un blogueur, au-delà du plaisir de bloguer, est la « reconnaissance
sociale ». Les relations entre les blogueurs et les médias – que ces derniers soient
natifs ou traditionnels – sont donc orageuses. Mancioday va jusqu‟à dire, à propos des
médias, que « ça leur arrache le cœur de linker un blogueur. Ils les perçoivent comme
des amuseurs de foire ». Les mots sont durs. Mais ils révèlent la tension qui existe
entre les professionnels de l‟information et les citoyens qui ont souhaité prendre la
parole sur le web. Le mythe du « tous journalistes » a du mal à passer, aujourd‟hui
encore, auprès des professionnels de l‟information. Cependant, il ne faut pas
uniquement voir là le réflexe corporatiste d‟une profession qui refuse l‟évolution de son
métier. Nombreux sont ceux à voir dans le travail des citoyens un travail de qualité. Le
« blocage », si « blocage » il y a, est d‟abord lié à la représentation que les
journalistes se font de leur métier. Le blogueur Narvic, ayant lui-même exercé ce
métier pendant des années, m‟expliquait avec une certaine fierté, que le journaliste
professionnel est le seul métier dont le statut est être défini par la loi132 : la loi
Brachard, qui date de 1935, et la loi Cressard, votée en 1975. Ces deux lois visent à
« professionnaliser cette activité pour garantir aux lecteurs et aux sources
d‟information un minimum de protections contre les abus et de dérives d‟éditeurs de
presse ou de journalistes amateurs »133. Il y a ainsi une dimension fortement égotique
dans le métier de journaliste. Je l‟ai souvent constaté, que ce soit au Café des OS,
réunion mensuelle de journalistes web, ou même en discutant avec des amis
journalistes, jusque dans les entretiens réalisés dans le cadre de ce mémoire. Et ce
sentiment se confirme à la lecture de l‟ouvrage d‟Erik Neveu, Sociologie du
journalisme et ce, dès l‟introduction134 :

« Chaque société, chaque civilisation valorise des personnages, des rôles sociaux qui la
condensent, du chevalier médiéval à l‟ouvrier de la révolution industrielle, au « bureaucrate »
weberien, symbole de la rationalité moderne. Rien d‟étonnant dès lors à ce que, dans une

132
Cf. Annexe Entretiens, p.86

133
Définition du statut de journaliste professionnel sur Wikipédia (http://fr.wikipedia.org/wiki/Statut_de_journaliste_professionnel)

134
Erik Neveu, Sociologie du journalisme, p.3, éditions La Découverte, 2009

66
société souvent dite de « communication » ou d‟« information », le journaliste soit devenu une
figure structurante des mythologies contemporaines. »

Dès lors que l‟on exerce un métier porteur de cette symbolique, on cherche forcément
à le protéger. « Le journalisme n‟est pas qu‟un métier. Il apparaît aussi comme un
rouage de la démocratie, ce dont témoignent la place donnée à la liberté de la presse
dans de nombreuses constitutions »135, ajoute Erik Neveu. Mais en face de ce statut
qui ne peut être sans conséquences sur celui qui en dépend, des études montrent que
« l‟indépendance des journalistes, la fiabilité factuelle de leurs récits, la diversité des
points de vue accessibles dans les médias sont depuis plus de dix ans objets d‟un
scepticisme majoritaire »136. Les journalistes sont aujourd‟hui dans une position
difficile, puisqu‟ils exercent un métier vecteur de démocratie, bénéficiant d‟un statut
spécial de par la loi, mais qui fait dans le même temps l‟objet de violentes attaques,
comme nous l‟avons vu précédemment. On comprend alors leur difficulté à accepter
cette notion du « tous journalistes ».

Mais au-delà des blogueurs, on observe au sein des rédactions de médias


traditionnels une méfiance envers le web en général, « vu comme une
concurrence »137 justifie Neila Latrous, de LCI, qui explique, faisant référence aux
journalistes de ces rédactions : « ils sont moins jeunes ». Serait-ce alors une question
de génération ? Pas seulement, mais c‟est une des explications de ces tensions qui
existent entre les médias traditionnels et le web. Lors d‟une conférence au Press Club,
Laurent Guimier, qui dirige les sites d‟information de Lagardère Active (Europe1.fr,
LeJDD.fr et ParisMatch.com), s‟est rappelé le climat entre les journalistes œuvrant sur
le support original (papier, radio) et leurs confrères du web : « ce n’est pas de
l’information sérieuse » lui disaient les premiers à propos des second. Laurent Guimier
a commencé par rapprocher les rédactions web de Paris Match et du Journal du
Dimanche (JDD) des rédactions du papier. Car dans de nombreux médias, aujourd‟hui
encore, les rédactions sont séparées en fonction du support sur lequel elles travaillent.

135
Ibid. p.4

136
Ibid. p.101

137
Cf. Annexe Entretiens, p.86

67
Ainsi, les rédactions web de Paris Match et du JDD se situaient à 3km des rédactions
papiers, ce qui ne facilite évidemment pas le dialogue entre les deux entités. Avant
son arrivée chez Lagardère Active, Laurent Guimier était rédacteur en chef du
Figaro.fr, où il avait fait le même travail de rapprochement entre la rédaction papier et
la rédaction web. Pour lui, les médias vivent aujourd‟hui un choc culturel en interne.
Dressant un rapide portrait des journalistes web, il estimait que ces derniers étaient
« jeunes, agiles, mobiles. Ils vont chercher des informations que les autres ne vont
pas chercher, en allant sur des sites web étrangers par exemple […] Leur principale
valeur ajoutée est leur capacité à aller dénicher de l’information tout au long de la
journée. Ce sont de véritables chercheurs d’or ». Quant aux journalistes papiers, il les
décrit comme étant « plus experts que ceux du web, qui sont plus généralistes ». Le
journalisme web, nous allons le voir, tend à jouer un rôle de courroie de transmission
entre les médias traditionnels et ceux qu‟Erik Neveu appelle les « travailleurs de
l‟information », c‟est-à-dire les blogueurs et autres citoyens produisant de l‟information,
en amateur, sur le web.

Vers une convergence entre médias traditionnels et médias sociaux ?

Nous l‟avons dit, de plus en plus de journalistes ouvrent un blog. Inversement,


les blogueurs sont de plus en plus traités comme de vrais journalistes étant invités à
des conférences de presse par exemple. On assiste alors à un rapprochement de ces
deux sphères que sont les médias traditionnels et les médias sociaux, tout du moins
sur le web. Car si les médias traditionnels adoptent chaque jour davantage les codes
des médias sociaux, cela est beaucoup moins vrai pour le support d‟origine, surtout
dans la presse. Cette convergence observée se concrétise de nombreuses façons.

Prenons l‟exemple de Pascale Robert-Diard, journaliste judiciaire au Monde –


elle y travaille depuis 20 ans. Elle a ouvert, en novembre 2006, un blog hébergé par
LeMonde.fr dans lequel elle publie régulièrement ses chroniques judiciaires 138.
Aujourd‟hui, m‟expliquait Narvic139, la journaliste écrit d‟abord pour son blog. Elle

138
http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/

139
Cf. Annexe Entretiens, p.86

68
n‟écrit pour Le Monde que lorsque demande lui en est faite. Dans une interview au site
Infomedia en mai 2007140, elle raconte ce que le blog a changé dans sa manière
d‟exercer son travail de chroniqueuse judiciaire :

« Ce qui est agréable sur un blog, c‟est l‟espace qui s‟offre à la chronique. Je ne suis pas
limitée par le nombre de signes comme dans le journal, ce qui est une réelle contrainte dans un
récit. En décembre, je suivais le procès Le Roux à Nice et le journal était déjà en train de suivre
la campagne présidentielle. Ma chronique n‟y avait pas de place et le blog m‟a permis de la
sauver. Face a la souplesse de ce support, j‟ai décidé de continuer ; je peux publier une
information pour le site Internet du Monde et l‟enrichir sur mon blog tout en fournissant une
synthèse pour le papier du lendemain. Je n‟écris pas la même chose dans le journal que sur
mon blog, ne serait-ce que dans le style : sur Internet, j‟utilise le « je » par exemple, ce qui
m‟est impossible dans un article. C‟est un exercice qui autorise la remise en question de notre
écriture car on est directement confronté au lecteur. »

L‟exercice du blog semble lui avoir offert une plus grande liberté, tant dans le ton –
moins formel que sur le papier – que dans le format – il n‟y a plus de limite de place.
D‟ailleurs, pour Narvic, il y a dans cet exercice du blogging un « sentiment de liberté
retrouvée ». Mais il ajoutait que ces blogs « ne sont pas une alternative au journalisme
mais joue un rôle non négligeable pour reconstruire le lien avec le lecteur ». Ainsi,
comme le souligne également Pascale Robert-Diard, le blog implique un rapport direct
avec le lecteur, sans filtre. Les journalistes sont alors confrontés aux insultes ou
parfois à « l’ignorance » de leurs lecteurs : « Quand on se trompe, il faut corriger. Les
journalistes n’y sont pas habitués. Les journalistes ne sont pas responsables
juridiquement. Ca fait peur », explique Narvic.

On trouve une autre utilisation des médias sociaux par les médias traditionnels
dans le travail de Lexpress.fr, qui publient régulièrement des articles sur l‟opinion des
blogueurs sur un thème d‟actualité, à partir des billets qu‟ils ont rédigé sur le sujet. Par
exemple, le 18 août 2010, la journaliste Marie-Amélie Putallaz a écrit un article sur la
réaction des blogueurs à un sujet chaud de l‟actualité : « Les blogueurs s‟attaquent au
discours sécuritaire de la droite »141. L‟article se découpe comme suit : un chapô de

140
« Pascale Robert-Diard et la culture hypertexte », Infomedia, le 31 mai 2007 (http://www.infos-des-medias.net/entretiens/)

141
« Les blogueurs s'attaquent au discours sécuritaire de la droite », Lexpress.fr, le 17 août 2010 (http://j.mp/dtA7vD)

69
deux phrases résumant l‟opinion des blogueurs sur le sujet, suivi d‟extraits
sélectionnés parmi les billets publiés par des blogueurs politiques, de droite comme de
gauche. Mais cet exercice, s‟il semble donner une certaine légitimité aux blogueurs,
ne ravit pas forcément les principaux concernés. On en revient à ce que nous
évoquions plus tôt concernant la reconnaissance que recherchent les blogueurs. Par
ailleurs, le cadre dans lequel se fait l‟utilisation du contenu produit par les blogueurs
pose problème. Le blogueur Vogelsong142, dont les billets sont parfois cités dans ces
articles, expliquait que les blogueurs sont « en révérence devant les médias ».
Puisque ce sont de « gros consommateurs de médias », c‟est pour eux « un prestige
que d’être repris par ces médias ». Il dénonce un « rapport de domination ». Pour
Vogelsong, à mesure que le phénomène de reprise prend de l‟ampleur, se pose la
question de la rémunération. Car si de plus en plus de médias font appel à des
blogueurs pour produire du contenu pour leur site, il est pour l‟instant hors de question
pour eux de rémunérer ces blogueurs. Pourtant, pour beaucoup de blogueurs, la
rédaction d‟un billet constitue un travail de plusieurs heures. Vogelsong estime à
environ 3 heures son temps de rédaction pour un billet de 5 000 signes. Et ce pour
une raison simple : ces blogueurs politiques ne rédigent pas leurs billets à la légère.
Vogelsong, par exemple, s‟est fixé une règle : chaque billet doit contenir « au moins
trois arguments forts ». Pour cela, il s‟appuie sur les articles de médias traditionnels –
sa principale source –, des articles de médias pure player, ainsi que sur des livres.
Mancioday, lui, fait un long travail d‟archive tout au long de l‟année, qu‟il puise lui aussi
dans les médias traditionnels et pure player, ainsi que sur des blogs de journalistes
spécialisés. Il ajoute, lui aussi, que « pour bloguer, il faut avoir du temps »143,
expliquant qu‟à une époque où il publiait beaucoup, cela nuisait à sa vie sociale car il
n‟avait alors plus le temps de sortir, de voir ses amis. Il a donc freiné son rythme de
publication, mais ajoute qu‟un blogueur a des « scrupules » lorsqu‟il n‟écrit pas. C‟est
donc un vrai investissement, qui n‟a pour seule rémunération que la reconnaissance
par la communauté sur le web (nombres de lecteurs, commentaires, etc.) et par les
médias (reprise des billets). Aujourd‟hui, aucun blogueur du web d‟opinion ne peut
vivre de son blog puisque, comme nous l‟expliquions précédemment, ils ne sont pas

142
Cf. Annexe Entretiens, p.86

143
Cf. Annexe Entretiens, p.86

70
rémunérés pécuniairement. Pourtant, certains blogueurs, comme Narvic, vont jusqu‟à
faire de vraies enquêtes, tels des journalistes. En janvier 2009, il publie sur son blog
un long billet : « Tarnac : retour sur le fiasco d‟une enquête policière »144. Ce billet est
en fait une contre-enquête sur l‟affaire de Tarnac. C‟est ce que Narvic appelle du
« journalisme en pyjama »145 : « le terrain est le web, les sources sont disponibles sur
le net ». Pour cette enquête, il s‟appuie sur des articles de médias, des déclarations
des personnes impliquées dans l‟affaire, mais il a surtout parcouru les forums de
cheminots pour démêler le vrai du faux concernant l‟enquête de police :

« […] comme s‟interrogent immédiatement les cheminots dans leurs forums très actifs sur le
sujet dès le matin des faits : comment fait-on pour les poser sur la caténaire, dans laquelle
circule un courant de 25.000 volts, sans provoquer un arc électrique mortel pour le poseur ?

Le dispositif est, de leur point de vue, particulièrement ingénieux et simple dans son principe,
remarquablement efficace dans son pouvoir de destruction du matériel, mais très dangereux
dans son maniement (larges échos de ces débats entre professionnels du rail dans ce long fil
de commentaires ouvert sur Le web des cheminots, dans les heures suivant les incidents et
constamment nourri dans les semaines qui ont suivi). »

Les blogueurs mènent parfois un travail qui peut être comparable à celui d‟un
journaliste. Cela était par exemple le cas au moment des universités d‟été de partis
politiques, à la fin du mois d‟août 2010, où se sont rendus plusieurs blogueurs, dont
Mancioday. Là-bas, il a, comme les journalistes, participé aux conférences de presse,
interviewé des responsables politiques, pour ensuite rédiger des billets sur son blog
pour rendre compte de ces événements, en plus de son live-tweet sur Twitter. Mais là
encore, si les méthodes de travail sont similaires à celles des journalistes, le résultat
n‟est pas le même. A propos du traitement médiatique des universités d‟été d‟Europe
Ecologie, il estimait que « les médias sont passés à côté du sujet par manque de
temps. Ils restent dans la superficialité ». Selon Mancioday, les délais qui s‟imposent
aux journalistes professionnels qui doivent rendre leur papier ou leur reportage dans
un temps imparti expliquerait pourquoi ces journalistes seraient empêchés de faire un
travail de fond, qui soit plus proche de la vérité. Lui n‟ayant pas de rendre à compte
peut se donner le temps de creuser davantage et, donc, de faire un travail plus

144
« Tarnac : retour sur le fiasco d‟une enquête policière », Novovision.fr, le 5 janvier 2009 (http://j.mp/b8BaC7)

145
Cf. Annexe Entretiens, p.86

71
approfondi. C‟est pourquoi il regrette que les médias aient « une vision biaisée des
blogueurs ». Selon lui, les médias attendent des blogueurs « une subjectivité
importante », qu‟ils « dissèquent une information donnée » mais pas qu‟ils produisent
du contenu nouveau. Or, nous l‟avons vu, les blogueurs sont dans une posture
différente de celle-ci, puisqu‟ils concurrencent sur leur terrain les journalistes.

Entre coulisses et méta-journalisme

A l‟inverse, les journalistes qui tiennent un blog n‟utilisent pas cet outil
uniquement pour traiter l‟information différemment. De plus en plus, les journalistes en
profitent pour s‟expliquer sur leur travail, en raconter les coulisses, justifier leur choix
ou même s‟excuser. C‟est par exemple le cas d‟Eric Mettout (Lexpress.fr) ou encore
de Jean-Michel Aphatie (RTL). Par exemple, au début de l‟affaire Bettencourt, une
polémique s‟était engagée autour des enregistrements illégaux du majordome de
Liliane Bettencourt. Ils ont été proposés plusieurs médias avant que Médiapart ne les
diffusent, et notamment à Pascale Robert-Diard. Le Monde a alors été accusé d‟avoir
refusé ces enregistrements. La journaliste prend alors la parole sur son blog pour
expliquer sa vision des faits146 :

« Premier problème, ils sont pirates et constituent une violation de l‟intimité de la vie
privée. Il convient donc de les “laver” avant de les présenter à l‟audience. Et il y a urgence. Pour
cela, il faut une lessiveuse. La presse en est une.

Quand Me Metzner évoque donc devant moi ces enregistrements pirates, je comprends
quel est son intérêt immédiat : parmi les journaux, Le Monde constitue une lessiveuse de
premier choix. Mais je ne saisis pas en revanche quel est l‟intérêt du journal à entrer, à ce prix,
dans ce qui n‟est alors pour moi, qu‟un épisode supplémentaire de la guerre que se livrent par
médias interposés Françoise Meyers-Bettencourt et Liliane Bettencourt, à quinze jours du
procès qui doit la trancher.

Je lui exprime donc ma réticence sur le procédé et la rapide conversation de couloirs


que nous avons ne me permet pas de mesurer plus avant ce qui justifierait de passer outre
cette réticence.

146
« L‟affaire Bettencourt, Le Monde, Olivier Metzner et moi », prdchroniques.blog.lemonde.fr, le 13 juillet 2010
(http://j.mp/aIwNat)

72
Ce n‟est que la semaine suivant cette conversation, en découvrant les extraits publiés
par Mediapart et Le Point, que je réalise l‟ampleur de l‟affaire que recélaient ces
enregistrements pirates. Voilà. »

Voilà un exercice de méta-journalisme – la journaliste étant amenée à traiter


journalistiquement son travail de journaliste – auquel un lecteur n‟est pas habitué de la
part d‟un média. Tout d‟abord parce que la journaliste parle à la première personne
(même si, en l‟espèce, elle s‟exprime sur son blog). Ensuite parce que l‟épisode
qu‟elle raconte fait normalement partie de la « cuisine », des coulisses, auxquelles le
lecteur n‟a pas accès. Or, c‟est précisément ce type de contenu, d‟histoires,
d‟informations que publient les journalistes qui bloguent. Les titres choisis par ces
journalistes-blogueurs parlent d‟eux-mêmes : « Les couloirs de Bercy »147 pour le blog
de Thomas Bronnec, journaliste économique pour Lexpress.fr, « Les dessous du
social »148 pour Marc Landré, journaliste traitant des questions sociales pour
LeFigaro.fr, ou encore « Les cuisines de l‟Assemblée »149 pour le blog de Samuel Le
Goff de Lexpress.fr. Le format blog, pour les médias, semble donc être celui de la
coulisse, de ce que l‟on ne dit pas normalement dans les colonnes du journal ou à
l‟antenne, tant sur le sujet traité sur le blog en question que sur le média, voire le
journaliste lui-même. Eric Mettout, rédacteur en chef de Lexpress.fr, raconte ainsi sur
son blog Nouvelle formule, « la vie quotidienne de LEXPRESS.fr et celle de son
rédacteur en chef – moi, Eric Mettout »150. On assiste alors à une situation paradoxale,
puisque les acteurs principaux des médias traditionnels – les journalistes – se
positionnent en tant que contre-média, le plus souvent sous l‟égide de leur propre
média. Et cette situation bénéficie au lecteur, puisque ce dernier a alors accès à une
information qui, avant, lui été cachée ou n‟était en tout cas pas disponible.

Ces derniers exemples de journalistes-blogueurs sont l‟illustration des


transformations profondes qui ont lieu actuellement dans la profession. Le milieu

147
http://blogs.lexpress.fr/les-couloirs-de-bercy/

148
http://blog.lefigaro.fr/social/

149
http://blogs.lexpress.fr/cuisines-assemblee/

150
Extrait de l‟à-propos du blog, http://blogs.lexpress.fr/nouvelleformule/

73
journalistique adopte de plus en plus les règles et le format du web, ainsi que sa
culture de la transparence et de l‟honnêteté, notamment en ce qui concerne
l‟information politique. En matière d‟écriture, par exemple, on observe que le
vocabulaire et le style employés dans les articles des médias traditionnels en ligne
empruntent de plus en plus ceux du web, comme le montre ce titre de 20minutes.fr sur
la remise du Prix de l‟humour politique à Eva Joly pour sa formule « Je connais bien
Dominique Strauss-Kahn, je l’ai mis en examen » : « Eva Joly est la plus LOL »151.
L‟utilisation du terme « LOL », pour « laughing out loud », est un emprunt sans
ambigüité au langage des internautes sur le web. L‟expression est notamment utilisée
dans les tchats et signale l‟humour, le rire. Mais bien plus intéressants que les
emprunts de vocabulaire, on observe que les valeurs portées par la culture web se
diffusent dans la société. Bien entendu, dire que seul le web est responsable d‟une
plus grande exigence de transparence, d‟honnêteté et d‟ouverture dans la vie de la
cité serait évidemment exagéré et faux. Toutefois, on voit, par les personnes qui
portent ces valeurs dans la société, que le web n‟est pas étranger à leur propagation.
Nous avons évoqué la colère qu‟avait suscité la décision du Président de la
Commission des affaires sociales de l‟Assemblée nationale de mener les débats sur le
projet de loi portant réforme des retraites à huis clos. Dans le billet qu‟il avait publié
sur son blog, on pouvait lire ceci :

« Je rappelle, pour information, qu‟au Parlement européen, toutes les réunions, séance
plénière et commissions sont ouvertes au public.

Twitter m‟a permis de soulever médiatiquement ce problème de transparence des


travaux parlementaires en commission, lors de l‟audition Escalettes/Domenech : c‟était le but !
Certains y on vu un coup d‟éclat, alors que ce n‟était pas du tout mon intention : je tenais a
attirer l‟attention de mes collègues sur le problème du huis clos, je suis d‟ailleurs intervenu à ce
sujet en réunion de groupe ... Malheureusement, je dois constater avec cette nouvelle décision
que rien n‟a changé, on reviens toujours à la case départ !

Nous ne sommes que des représentants, nous devons des comptes à nos concitoyens
qui doivent pouvoir contrôler nos prises de positions, quand nous intervenons en tant que
députés.

Les règles en vigueur, concernant le huis clos en commission, sont à mes yeux
illégitimes ! »

151
« Eva Joly est la plus LOL », 20minutes.fr, le 20 septembre 2010 (http://j.mp/bl5Ylm)

74
Le fait que ce soit un député particulièrement actif sur le web, à travers
notamment son blog et son compte Twitter, qui porte ces valeurs de transparence et
d‟ouverture n‟est sans doute pas anodin. Sans extrapoler, on peut tout de même y voir
une victoire, encore anecdotique certes, de cette culture web que nous avons
analysée. De manière générale, on observe un intérêt croissant des médias et des
internautes pour des moments oubliés de la vie démocratique. Concernant la réforme
des retraites, nous avons constaté que chaque épisode du débat parlementaire a été
suivi attentivement par les médias et une large partie du web d‟opinion. Sur Twitter,
des internautes ont rapporté en direct la tenue des débats à l‟Assemblée comme au
Sénat, les séances étant retransmises en direct sur les sites des deux assemblées,
ainsi que par LCP et Public Sénat. Cela a pour conséquence de donner un poids
médiatique plus important à ces étapes de l‟adoption du projet de loi, en leur donnant
une plus grande visibilité. On l‟a vu le 15 septembre 2010, lorsque Bernard Accoyer a
décidé de mettre fin aux explications de vote des députés de l‟opposition. Ces
derniers, furieux, ont alors poursuivi le président de l‟Assemblée nationale jusque dans
son bureau, le traitant de factieux. Sur Twitter d‟abord, les internautes qui suivaient les
débats ont immédiatement alerté leurs abonnés de ce qu‟il se passait à l‟Assemblée.
Très vite, LCP a mis en ligne sur Dailymotion la vidéo de cette scène 152 et l‟a diffusée
sur Twitter (le compteur sur la page Dailymotion affichait le 10 octobre que la vidéo
avait été twittée 83 fois), qui a très rapidement été vue des milliers de fois, pour
atteindre plus de 60 000 vues au bout de quelques jours. S‟en sont suivis plusieurs
dizaines d‟articles, tous reprenant la vidéo de LCP. Si l‟incident aurait de toutes façons
été médiatisé, le web, ses outils et la complémentarité entre les médias et les
internautes lui ont donné une autre dimension. Twitter a permis aux internautes qui
suivaient les débats d‟alerter rapidement sur ce qu‟il se passait. Le média, en
l‟occurrence LCP, a illustré et enrichit l‟information par un contenu professionnel, qui a
pu être mis à disposition du public très rapidement grâce à Dailymotion, et être
largement diffusée par Twitter, Facebook ou encore sur le site de la chaine. Quatre
semaines plus tard, la vidéo est la deuxième vidéo la plus vue sur les 535 postées par
LCP sur Dailymotion. Nous assistons, à travers ce type d‟événements, à la naissance

152
http://www.dailymotion.com/video/xetscb_des-deputes-poursuivent-le-presiden_news

75
d‟une nouvelle machine médiatique, dont nous avons esquissé les contours dans ce
mémoire.

76
Conclusion
A travers ce mémoire, j‟ai cherché à comprendre à la fois les mécanismes et les
rouages de la fabrique de l‟information, ainsi que l‟impact que le web peut avoir sur
cette machine médiatique. Ce travail me paraissait important car nous sommes à
l‟aube d‟une mutation profonde des médias et de la façon dont l‟information va être
fabriquée à l‟avenir. Et pourtant, on ne peut que constater à quel point les mutations
sont nombreuses, alors que nous n‟en sommes qu‟au début. En matière de formats
d‟abord, le web offre des possibilités qui s‟élargissent chaque jour. Nous n‟en avons
évoquées que quelques unes – le crowdsourcing ou encore le data-journalisme – mais
cela suffit pour saisir l‟ampleur des bouleversements en cours. L‟émergence de
nouveaux acteurs dans le jeu médiatique – les blogueurs, les citoyens ou encore ces
acteurs hybrides que sont les journalistes-blogueurs – transforme notre rapport à
l‟information.

En amont de cette réflexion, nous avons posé deux hypothèses.

La première hypothèse exprimait l‟idée que les médias sociaux se seraient


créés par opposition aux médias traditionnels, se positionnant comme des contre-
médias face à ce qu‟ils perçoivent comme des médias mainstream sous l‟influence du
pouvoir politique et économique. Effectivement, la critique des médias traditionnels
comme vecteur d‟une idéologie dominante est très présente dans les médias sociaux.
Cependant, les liens entre les deux sphères sont beaucoup plus étroits qu‟il n‟y parait.
Le fait que les sources principales des blogueurs politiques, par exemple, soient les
médias qu‟ils critiquent, et que ces mêmes médias reprennent les billets de ces
blogueurs, atténuent encore plus l‟idée qu‟il existerait une barrière entre ces deux
sphères. Par contre, il est clairement apparu que ces médias sociaux, et le web en
général, avaient tendance à représenter davantage les opinions absentes dans les
médias traditionnels. Nous pouvons donc considérer les médias sociaux comme des
contre-médias, porteur d‟une vision alternative du monde. Mais nous avons également
vu que la critique des médias telle qu‟elle est effectuée sur le web social est
exacerbée et ne correspond pas tout à fait à la réalité. On peut donc conclure que les
médias sociaux se positionnent surtout en opposition à la perception qu‟ils ont des
médias traditionnels. L‟hypothèse n‟est donc pas totalement validée.

77
La seconde hypothèse supposait que le web social se veut porteur de valeurs
favorisant l‟émergence d‟une nouvelle démocratie par l‟apport d‟une information plus
« transparente » et « ouverte ». En donnant accès aux coulisses de l‟information, on
observe un glissement d‟une profession du secret (sources secrètes, échanges en off,
etc.) à une profession transparente. Comme nous venons de le voir, le web est
effectivement porteur de cette valeur de transparence, et semble « contaminer » le
milieu médiatique et politique. Le procès Clearstream, le regain d‟intérêt pour les
travaux parlementaires ou encore le nouveau rapport aux sources pour les journalistes
web montrent que, petit à petit, les valeurs portées par le web tendent à se développer
dans la société. Mais il convient là aussi de nuancer le propos. Si le web est
effectivement porteur de ces valeurs, cela ne signifie pas qu‟elles y soient appliquées.
Nous l‟avons vu en amont avec l‟exemple de Google, qui a connu le succès sur le web
en portant ces valeurs, mais qui est régulièrement critiqué pour ne pas les appliquer
totalement. De plus, le développement de l‟information en direct peut représenter un
danger pour l‟information politique. Alors que nous assistons à une peoplisation de la
vie politique en France, il semble que nous approchons l‟ère du Loft Story politique,
dans laquelle les responsables politiques seraient sous surveillance constante. On suit
les moindres soubresauts de la vie politique en direct sur Twitter et aucune faute n‟est
pardonnée, comme l‟a montré l‟épisode du lapsus de Rachida Dati qui avait prononcé
le mot « fellation » au lieu d‟inflation, au cours d‟une interview sur Dimanche+,
émission politique sur Canal+. L‟interview n‟était pas encore terminée mais l‟extrait
vidéo du lapsus était lui déjà en ligne et s‟est propagée très rapidement sur le web. De
nombreux articles ont porté sur ce lapsus dans la semaine qui a suivi mais très peu
ont mentionné ce qui a pu être dit sur le fond au cours de cette interview. Par
conséquent, si le web a effectivement le potentiel pour faire émerger une nouvelle
démocratie, encore faut-il que l‟utilisation qui en est faite aille dans ce sens. Ainsi,
l‟hypothèse est validée en théorie, mais pas encore dans la pratique.

Beaucoup de questions n‟ont pas ou peu été abordées dans ce mémoire : celle
de la distribution de l‟information, de son coût de fabrication, celles des nouveaux
modèles de médias ou encore celle de la surconsommation des médias… Ce thème
du web et de l‟information est extrêmement large et recouvre un nombre croissant de
problématiques à prendre en compte pour appréhender pleinement la révolution qui
est en cours. Si la réflexion est sérieusement entamée aux Etats-Unis et dans d‟autres
pays, on peut regretter qu‟elle n‟en soit qu‟à un stade embryonnaire en France.
78
Pourtant, les organisations prennent de plus en plus conscience de la nécessité de
s‟approprier cet espace qu‟est le web. Les hypothèses pour l‟avenir de la presse sont
variées. Certains prédisent la fin du papier. D‟autres prévoient une dématérialisation
des médias : une rédaction travaillerait à la production de contenu et envisage ensuite
le support adapté à la diffusion de celui-ci. Et c‟est vraisemblablement ce qu‟il se
passe actuellement. Les médias, pour beaucoup d‟entre eux, travaillent à la pérennité
de leur marque pour capitaliser sur cette valeur afin de survivre au milieu de la
concurrence des nouveaux acteurs. Car le marché des médias a, ces dernières
années, été investi par l‟arrivée de mastodontes tels que Google et Apple au niveau
mondial, Orange en France. Ces groupes disposent de capacités financières sans
communes mesures avec les groupes de médias, ces derniers étant de plus en plus
en grande difficulté. Ils doivent par ailleurs faire face à la fragmentation de leur
audience, qui n‟a jamais eu à sa disposition une offre médiatique aussi large. Si l‟on
ajoute à cela le boom de la mobilité, qui permet de consommer du média n‟importe où,
n‟importe quand, on commence alors à prendre conscience de l‟immensité des
changements qui s‟opèrent actuellement. De surcroît, ces changements arrivent de
plus en plus vite et sont pour beaucoup imprévisibles. Facebook n‟a été ouvert à tous
qu‟en septembre 2006153 et Twitter a ouvert en juillet de la même année.

Aujourd‟hui, le comportement des internautes-citoyens-consommateurs


déstabilisent les médias, certes, mais également les marques, les professionnels de la
communication et les politiques. Nous entrons dans un nouveau monde, dans lequel
ceux qui n‟auront pas su s‟adapter ne survivront probablement pas, en particulier dans
le secteur des médias. La question qui se pose à présent est de savoir à quoi il faut
s‟adapter. En France, les médias survivent grâce à l‟argent public. Leurs
consommateurs refusent, pour beaucoup, de payer pour s‟informer. Et ils doivent faire
face à une nouvelle génération, les digital natives, ceux qui sont nés avec Internet, et
dont on n‟arrive pas à appréhender le comportement vis-à-vis des médias. C‟est là
l‟enjeu de demain pour ce secteur : réussir à attirer cette cible qui leur semble être
insaisissable. Ce serait là un passionnant travail de recherche à réaliser pour

153
Le site a été créé en février 2004 mais n‟était accessible qu‟à quelques groupes de personnes (étudiants d‟Harvard, puis aux
lycéens américains, ensuite aux employés de quelques entreprises comme Microsoft et, enfin, au grand public).

79
compléter celui qui s‟achève ici : comment le web influe-t-il sur la consommation de
l‟information ?

80
BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages :

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Fabrice d’Almeida, Christian Delporte, Histoire des médias en France, de la Grande Guerre à
nos jours, Editions Flammarion, 2010

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médiatique en démocratie, Editions Agone, 2009 (première édition en 1988)

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Raisons d’agir, 2008

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Internet ?, éditions First Gründ, 2010

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2001

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2000

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medias/article/2009/05/25/les-forcats-de-l-info_1197692_3236_1.html)

« Prison Valley : derrière le buzz, l’histoire d’un webdocumentaire », Rue89.fr, 23 mars 2010
(http://j.mp/bDs6wP)

« News websites: Facebook ahead of Twitter in terms of traffic source »,


Atinternetinstitute.com, 24 septembre 2010

« La sagesse des foules », Novovision.fr, 17 mai 2008 (http://novovision.fr/la-sagesse-des-


foules)

« La sagesse des foules », James Surowiecki, Editions J.-C. Lattès, 2008

« Crowdsourcing : le pouvoir de la foule », Media Trend, 12 octobre 2008 (http://j.mp/ahceuP)

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« Le procès Clearstream suivi pas à pas sur Twitter », AFP, 21 septembre 2010
(http://j.mp/dFs3C)

« AFP : « Contre la mise en coupe réglée de la rédaction » (SNJ-CGT) », Acrimed.org, 29


septembre 2010 (http://j.mp/cgnqIr)

« Entre 15 et 20 millions de blogs en France », Le Journal du Net, 30 mars 2010


(http://j.mp/cHsNLq)

« France, terre de blogs », Le Journal du Net, mars 2006


(http://www.journaldunet.com/diaporama/0604blogs/2.shtml)

« Pascale Robert-Diard et la culture hypertexte », Infomedia, le 31 mai 2007 (http://www.infos-


des-medias.net/entretiens/)

« Les blogueurs s’attaquent au discours sécuritaire de la droite », Lexpress.fr, le 17 août 2010


(http://j.mp/dtA7vD)

« Tarnac : retour sur le fiasco d’une enquête policière », Novovision.fr, le 5 janvier 2009
(http://j.mp/b8BaC7)

« L’affaire Bettencourt, Le Monde, Olivier Metzner et moi », prdchroniques.blog.lemonde.fr,


le 13 juillet 2010 (http://j.mp/aIwNat)

Documentaires :

Us Now, réalisé par Ivo Gormley, juin 2009

Journalism in the Age of Data, 2010 http://datajournalism.stanford.edu/

Sites Internet :

http://mps-expenses.guardian.co.uk/

http://decodeurs.blog.lemonde.fr/

83
http://fr.linkfluence.net/

http://wikipedia.org/

http://acrimed.org/

Revues, études et rapports :

« La presse en ligne », Revue Réseaux n° 160-161, Editions La Découverte, 2010

Eric Scherer, L’économie de l’attention, AFP MediaWatch, Printemps-été 2008 (étude


téléchargeable sur http://mediawatch.afp.com/)

Tirer le meilleur parti de Twitter- Guide pratique pour les entreprises et les particuliers, octobre
2009 (http://j.mp/1s9hsV)

Jure Leskovec, Lars Backstrom, Jon Kleinberg , « Meme-tracking and the Dynamics of the News
Cycle », 2009

Conférences et événements :

Présent à trois Républiques des blogs : rencontre amicale entre blogueurs, journalistes et autres
personnes ayant une affinités pour les thèmes politiques et numériques (responsables politiques,
communicants, etc.).

Présent à trois Cafés des OS : réunion de journalistes web ayant principalement pour objectif de
discuter des conditions de travail dans les rédactions web.

Conférence au Press Club, avec Laurent Guimier, le 9 septembre 2010 : « Internet va-t-il
sauver la presse du marasme ? »

84
ANNEXES

85
ENTRETIENS

12 entretiens réalisés avec des journalistes, des blogueurs et des responsables


multimédias de médias traditionnels :

- Laurent Mauriac, co-fondateur de Rue89, lundi 5 juillet 2010

- Stéphane Ramezi, directeur multimédia de Radio France, mardi 6 juillet 2010

- Bérangère Beurdeley, responsable web de Public Sénat, jeudi 15 juillet 2010

- Christophe Jakubyszyn, directeur de la rédaction de RMC, jeudi 15 juillet 2010

- Geoffrey La Rocca, chef de projet Nouveaux médias pour RMC, jeudi 15 juillet 2010

- Neila Latrous, journaliste pour LCI, lundi 16 août 2010

- Samuel Laurent, journaliste politique pour LeMonde.fr, vendredi 20 août 2010

- Mancioday, blogueur politique sur Reversus.fr, dimanche 22 août 2010

- Narvic, blogueur médias sur Novovision.fr, lundi 23 août 2010

- Jacques Rosselin, entrepreneur (fondateur de Courrier International et de Vendredi


notamment), mardi 24 août 2010

- Vogelsong, blogueur politique sur Piratages.wordpress.com, mardi 24 août 2010

- Morgane Tual, pigiste (a travaillé pour LeFigaro.fr, YouPhil.com…), mercredi 25 août


2010

86
Guide d‟entretien

Au début de chaque entretien, je me présente et explique mon travail de recherche,


ainsi que ma démarche.

Commence ensuite l‟entretien formel, avec des questions préparées (voir ci-après).

Chaque entretien se termine par une discussion informelle.

Guide d‟entretien pour les interviewés travaillant dans un média :

I. Pouvez-vous vous présenter et expliquer votre parcours ?

II. Pouvez-vous me donner votre définition des trois termes suivants :

- Information,

- Information journalistique,

- Témoignage

III. Série de questions sur la fabrication de l‟information :

a. Comment gérez-vous le rapport au lecteur ?

Avantages/inconvénients ?

b. Les méthodes de travail de votre rédaction ont-elles évolué avec l‟arrivée


du web ?

c. Le web a-t-il fait évoluer la hiérarchisation de l‟information ? Si oui, en


quoi ? Si non, pourquoi ?

d. Selon vous, le web est-il vecteur d‟ouverture et de transparence dans les


médias ?

87
IV. Rapports entre médias traditionnels et médias sociaux

a. Comment percevez-vous les rapports entre les deux ?

b. Les médias sociaux ont-ils vocation à jouer un rôle particulier dans le


domaine de l‟information ?

c. Que pensez-vous de la critique des médias, accusés d‟être trop


« mainstream » ?

V. Agenda médiatique et temps de l‟information

a. Comment gérez-vous dans votre média le temps de plus en plus rapide


de l‟information ?

b. Estimez-vous que les médias sociaux sont plus amenés à traiter certains
thèmes plutôt que d‟autres ? Idem pour les médias traditionnels ? Si oui,
quels thèmes ?

c. Estimez-vous que nous sommes confrontés à un trop plein


d‟information ?

VI. Comment voyez-vous la situation évoluer dans les années à venir dans le
domaine de l‟information ?

88
Guide d‟entretien pour les blogueurs :

I. Pourquoi avoir ouvert un blog ?

II. Quelle différence entre un blog et un média ?

III. Comment choisissez-vous vos sujets ?

IV. Comment les écrivez-vous ? Quelles sont vos sources ?

V. Comment définiriez-vous le terme „information‟ ? Estimez-vous que vos billets


sont du ressort de l‟information ?

VI. Quelle est votre perception des médias traditionnels ? Quels sont vos rapports
avec ces médias ?

VII. Rapports entre médias traditionnels et médias sociaux :

a. Comment gérez-vous dans votre média le temps de plus en plus rapide


de l‟information ?

b. Estimez-vous que les médias sociaux sont plus amenés à traiter certains
thèmes plutôt que d‟autres ? Idem pour les médias traditionnels ? Si oui,
quels thèmes ?

c. Estimez-vous que nous sommes confrontés à un trop plein


d‟information ?

VIII. Considérez-vous que l‟information ait la même valeur sur le web que dans
les médias traditionnels ?

IX. Selon vous, le web a-t-il un impact sur l‟agenda médiatique ?

X. Selon vous, quel est l‟avenir des blogs et du web social en matière
d‟information ?

89
RESUME

Depuis la démocratisation d‟Internet dans les années 90 et l‟explosion du web social


dans les années 2000, les médias ont évolué dans leurs pratiques. On ne conçoit plus, en
2010, l‟information comme on la concevait cinq, dix ou vingt ans auparavant.

Un paramètre a suffi pour remettre en cause le système médiatique : la participation.


Aujourd‟hui, les médias ne sont plus seuls à produire et diffuser de l‟information. Pire, ils sont
en concurrence avec leurs consommateurs. La perspective d‟un « tous journalistes » est
devenue la hantise de milliers de professionnels de l‟information, qui y voient une menace
pour leur métier. Quelques uns, toutefois, y voient une opportunité : et si la participation était
l‟occasion de produire une information de meilleure qualité ?

D‟autres facteurs ont participé à faire évoluer l‟information sur le web : l‟accélération du
temps de l‟information ou encore l‟éclatement de la barrière du format. Sur le web, tout est
démultiplié. La fabrication et la circulation de l‟information n‟ont jamais été aussi rapides, nous
sommes à l‟ère de l‟information en direct en permanence. En matière de format, la rigidité des
supports médiatiques a disparu avec Internet : la vidéo, le texte, le son, l‟image et les
animations graphiques se mêlent pour créer de nouvelles formes de visualisation de
l‟information. De nouvelles formes de journalisme apparaissent, telle que le data-journalisme,
qui exploitent des données pour en tirer des informations.

Constamment critiqués, les médias traditionnels sont à présent mis en concurrence


avec ce que l‟on appelle les médias sociaux, nés sur le web. Alors que les premiers sont
accusés d‟être les chantres de l‟idéologie dominante, les seconds se présentent comme
porteurs d‟une vision du monde plus ouverte et transparente. Pourtant, alors que tout semble
les opposer, ces deux sphères collaborent dans le domaine de l‟information, laissant même
présager quelques bénéfices pour la vie démocratique.

Dans ce mémoire, ce sont tous ces sujets que nous proposons d‟étudier et de
comprendre, en répondant à la problématique suivante :

Comment s‟est élaborée la représentation selon laquelle un journalisme amateur et


conversationnel s‟établirait sur le web en opposition aux pratiques journalistiques
traditionnelles ?

90
MOTS-CLES

Médias traditionnels

Médias sociaux

Journalisme

Information

Data-journalisme

Crowdsourcing

Internet

Web 2.0

Web social

Twitter

Blog

91

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