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w w w . m e d i a c i o n e s .

n e t

Penser la société à partir de la


communication

Jesús Martín-Barbero

(in: Théories sociales de la communication et théories


communicationnelles de la société, Loisir & Société Vol. 21,
N 1, Presses de l'Université du Québec, 1999)

L’objectif de ce texte est double: poser les jalons d’une


formation de la théorie critique dans le domaine de la
communication, et les étapes de formation de la pensée
Latino-américaine sur la communication. Dans le premier
point, il y a trois moments forts: celui de l’Ecole de
Frankfurt qui établit le concept d’industrie culturelle,
décisif dans la compréhension critique des médias; celui
des initiateurs des “études culturelles” en Angleterre,
qui replace les études de communication au sein d’une
théorie de la culture en tant qu’expérience et
expression d’identités sociales; celui du débat sur les
relations entre théorie de communication et sciences
sociales. Dans le second, on souligne les principales
étapes de la théorie et de la recherche de
communication en Amérique Latine: du transvasement
des théories en cours dans les pays centraux (années 60
et 70) dans le nouveau dessin de la carte théorique
exigée aussi bien par les transformations technologiques
du monde que par les changements politiques et
culturels dans les pays latino-américains.
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I La formation du projet critique

A la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, une équipe mul-


tidisciplinaire de chercheurs de l’IMT a décidé de repenser
le développement des sciences. Et face à leur croissante
spécialisation, on en est arrivé à penser à les réunir à partir
de l’espace qu’ils ont considéré comme étant le plus fécond,
celui des “régions frontalières”. L’équipe était dirigée par le
mathématicien Norbert Wiener et le neurophysiologiste
Arthur Rosenblueth. En faisaient également partie des bio-
logistes, des physiciens ainsi que des psychologues et des
anthropologues de la taille de K.Lewin et G.Bateson. En
1948, Wiener écrivit: ”Si le XVIIeme siècle et la première
partie du XVIIIeme furent l’âge des horloges, et la fin du
XVIIIe siècle et le XIXeme celui des machines à vapeur,
nous sommes actuellement dans l’ère de la communication”
(1948,50). Plus qu’un nouveau terrain de spécialisation, la
communication acquiert un statut scientifique par rapport à
l’espace interdisciplinaire, à partir duquel on peut penser
aux relations entre les phénomènes naturels et artificiels,
entre les machines, les animaux et les hommes. Wierner
voit dans la communication une “nouvelle langue univer-
selle”, semblable à la “mathesis universalitis” de Galilée.
C’est pourquoi, plus qu’une nouvelle science, c’est une
nouvelle manière de faire de la science qu’il propose, plus
qu’un substantif c’est un adverbe: penser les phénomènes
d’un point vue communicatif. Ce qui revient à étudier les com-
portements en tant qu’échanges d’information complexes (Wie-
ner, 1950, 32). Et parce que c’est cela que les organismes et

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les machines ont en commun, Wiener prendra le risque


d’affirmer que “dans l’univers tout communique”, puisque
celui-ci est fait d’un courant permanent d’échanges. De ce
fait, il posait les bases non seulement de la fabrication des
“machines qui apprennent”, à savoir les robots, mais aussi
de la théorie des systèmes et de l’écologie.

Néanmoins, cette conception complexe qui place la


communication sur le terrain frontalier entre l’organisation
et l’opération, entre la compréhension des phénomènes et la
manipulation des appareils, sera supplantée très bientôt par
l’efficacité opérante d’une discipline, la théorie de l’infor-
mation, qui transforme le modèle circulaire et complexe
(rétroactif) en un modèle linéaire. C. Elwood Shannon,
disciple de Wiener et ingénieur de la compagnie Bell Télé-
phone, réduira l’objectif de cette théorie (Shannon, 1949) à
mesurer la quantité d’information contenue dans un mes-
sage et à augmenter la vitesse de sa transmission en
diminuant le bruit et les pertes qui se produisent tout au long
du parcours. Le bond n’aura pas pu être plus grand: ce qui
permet maintenant de penser à la communication, c’est la
modulation de la largeur de bande en téléphonie, et les
possibilités qu’elle offre de contrôler le rapport signal-bruit.
Ce que le célèbre schéma (Source-Emetteur-Message-Récepteur-
Destinataire) se propose et permet de faire, c’est définir ma-
thématiquement l’ampleur statistique d’une information,
c’est-à-dire la mesure quantitative de l’incertitude d’un
message en fonction de son degré de probabilité.

A la même époque, et toujours aux Etats-Unis, deux exi-


lés de l’Allemagne nazie, Theodor Adorno et Max Hork-
heimer, s’attachaient à repenser interdisciplinairement –de-
puis la philosophie, la sociologie et l’histoire– l’univers de la
culture. Dans leur réflexion le processus de communication
servira également de terrain frontalier à partir duquel on
peut maintenant penser les relations de la rationalité techno-

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logique avec la logique de la marchandise. Presqu’en même


temps que le livre de Wiener, en 1947, Dialektik der Aufkla-
rung est publié à Amsterdam. Adorno et Horkheimer y
élaborent le concept d’industrie culturelle, grâce auquel ils
pénètrent au coeur du statut social des médias. Ce que dé-
crit ce concept, c’est la compréhension de “l’unité du
système”, c’est la manière selon laquelle la logique de la
marchandise engendre l’unité en formation de la culture et
de la politique. Dans les sociétés capitalistes la culture cons-
titue l’autre volet du travail mécanisé et exploité, car dans
ces sociétés la production de culture “sacrifie ce en quoi la
logique de l’oeuvre se distingue de celle du système social”.
Et de cette manière, la culture rend la vie humaine supporta-
ble en nous inoculant jour après jour la capacité de nous
caser et de nous conformer, en banalisant la souffrance dans
une lente “mort du tragique” qui nous enlève la capacité de
nous ébranler et de nous rebeller. Les médias constituent
l’axe de l’industrie culturelle puisque c’est grâce à eux que
se forment les majorité culturelles. Dans le cinéma ou dans
la musique jazz, la logique de la marchandise est révélée
dans le schématisme qui assimile la forme à la formule et au
format en atrophiant aussi bien la créativité du producteur
que l’activité du spectateur. Mais en dehors des médias, l’art
également subit une désublimation qui dissout la tension
intérieure qui protège sa liberté, or l’art s’intègre au marché
comme un “bien culturel” totalement adéquat à la nécessité
créée et modelée par le propre marché.

Dans l’aspect radical de sa négation, la “théorie critique”


de l’École de Frankfurt met à nu le caractère structurel de
l’aliénation que subit la culture dans le capitalisme. Cepen-
dant, leur pessimisme élitiste les empêchera d’analyser les
contradictions qui traversent et dynamisent la complexité
culturelle de la société industrielle. Ce sera la tâche assumée
par Walter Benjamin (1972-1973) dans sa longue relation
polémique avec ceux de Frankfurt: penser les transforma-

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tions de la sensibilité, les modes de perception, le sensorium


qui surgit dans l’histoire avec les masses et la technique.
Celui que laissent apparaître les médiations que le cinéma
établit avec les modifications dans “l’appareil perceptif” que
vit tout passant dans le trafic de la grande ville. Lieu privilé-
gié de l’émergence de la modernité, la ville est pour
Benjamin (1972, 171-190) l’espace social et théorique dans
lequel il est possible de comprendre ce qu’il y a de nouveau
dans “l’expérience de la foule”: le croisement qui s’y pro-
duit entre la croissance du sens d’égalité dans le monde et
une nouvelle forme de perception dont les dispositifs ne
sont plus le recueillement et la totalisation, de la perception
classique, mais sont devenus maintenant la dispersion et
l’image multiple. Ce que l’on peut trouver de scandaleux
dans cette opposition est renvoyé par Benjamin à l’ex-
périence esthétique et sociale d’une foule qui de rétrograde
face à Picasso devient progressiste face à Chaplin. Mais
pour trouver le sens de cette observation, Benjamin (1972,
21-122) a recherché les “relations obscures”, les liens de
parenté entre l’écriture moderne de Baudelaire et les mani-
festations de la foule urbaine, et les relations de celle-ci avec
les figures du montage cinématographique, des registres qui
marquent la ville et l’écriture des feuilletons. En rompant
avec l’incompréhension d’Adorno envers le cinéma, et celle
du marxisme de son temps avec la masse, Benjamin dévoile
le double sens de l’expérience sociale qui catalyse la masse:
cette “agglomération concrète mais socialement abstraite
(inaugure) un sensorium qui trouve un enchantement à ce
qui est détérioré et pourri” (Benjamin, 1972, 75). Si, face à
cette rupture historique annoncée par ce sensorium, Adorno
pense que tout est perdu, Benjamin perçoit en même temps
un assombrissement de l’expérience et le dévoilement d’une
autre expérience: celle que forment les modes d’existence-
résistance des opprimés, y compris des désespérés, grâce à
qui nous est donné l’espoir. D’où l’aspect choquant et anti-
cipatoire de l’intérêt de Benjamin pour des phénomènes de

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communication si peu appréciés par l’intellectualité exquise


comme la photographie et la mode, les miroirs ou les passa-
ges urbains.

Bien que le domaine des études de la communication


commence à prendre de l’importance aux Etats-Unis depuis
la moitié des années quarante, sa légitimité académique n’a
été obtenue qu’à partir des années soixante de part et
d’autre de l’Océan Atlantique. Aux Etats-Unis, Marshall
Mc Luhan (1962 et 1964) renverse le pessimisme d’Adorno
en réécrivant l’histoire de l’Occident à partir des médias
–depuis l’alphabet, l’imprimerie et la littérature jusqu’à la
photographie, la radio, le ciné et la télévision– comme pro-
tagonistes des changements les plus importants. Au-delà de
la confusion qu’a produit son langage impressionniste et
prestidigitateur, de ses généralisations et provocations et de
la bigoterie avec laquelle ses slogans sur le “village global”
et “le moyen est un message” ont été accueillis, Mc Luhan
a su introduire dans la réflexion la relation constitutive de la
culture avec la technicité, la médiation multiple qu’elle
exerce entre nos sens et le sens que pour nous prend le
monde: la médiation organique (voix, geste, tatouage),
mécanique (écriture, livre, machines) nerveuse (électricité,
radio, télévision). Il a su relier la révolution électronique à la
récupération des sens comme le touché, l’odorat et même
l’ouïe, atrophiés par l’empire de la lettre et du livre. Mais
avec cet apport, Mc Luhan a introduit dans le domaine de
la communication un culturalisme qui, déguisé de matéria-
lisme technologique, méconnaît l’épaisseur institutionnelle
des médias, leur liaison tout au long de l’histoire avec le
pouvoir, leur implication dans le caractère conflictuel du
politique et du social. La pensée de Mc Luhan ignore tota-
lement ce qu’Alicia de L. Carroll a découvert il y a long-
temps: que même les mots ont un propriétaire et que ce
qu’ils disent dépend moins de la grammaire que de la mar-
que de propriété qu’ils conservent.

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Du coté européen, c’est plutôt en Angleterre et en France


que l’étude des processus de communication retrouve la
recherche sociale initiée par Adorno et Benjamin. En An-
gleterre, le terrain avait déjà été exploré par l’historien E.P.
Thompson et le sociologue R. Hoggart dans des études sur
la culture de la classe ouvrière. En redéfinissant le sens de
trois concepts fondamentaux, celui de classe, de peuple et
de culture et celui des relations entre eux, Thompson (1979)
étudie le caractère de classe et la densité culturelle des insur-
rections populaires: sa raillerie pittoresque des vertus
bourgeoises, le recours au désordre, l’exploitation séditieuse
de la foule sur le marché, les blasphèmes dans les lettres
anonymes et les chansons obscènes. Tout ceux-la sont des
manières d’affronter la destruction de son “économie mo-
rale”, des expressions d’une culture qui symbolisent poli-
tiquement sa force. Tout un “arsenal de protestations” qui
passe par des pratiques et des rites dans lesquels des modes
populaires de communiquer sont conformés. Pour sa part,
R. Hoggart (1972) étudie les effets de la culture de masse sur
le monde de la quotidienneté populaire, et la forme dans
laquelle cette culture est ressentie par l’expérience ouvrière.
En combinant l’enquête ethnographique avec l’analyse
phénoménologique, Hoggart étudie le fonctionnement de
l’hégémonie dans l’industrie culturelle: la mise en oeuvre
d’un dispositif à la fois de reconnaissance et d’expro-
priation. Car d’un coté, la culture médiatique s’appuie sur
des valeurs de tolérance et de goût pour la vie, sur des de-
mandes de changement de conditions de vie qui s’allient à
des luttes visant à défendre leur identité. Mais de l’autre
coté, cette culture exploite les aspirations de liberté en les
vidant de leur sens de rébellion et en les remplissant d’un
contenu de consommation, en transformant la tolérance en
indifférence et le sentiment de solidarité en égalitarisme
conformiste. Convergeant avec l’analyse de W.Benjamin,
Hoggart attribue la raison secrète du succès et des moyens

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de fonctionner de la culture industrialisée au mode selon


lequel celle-ci s’inscrit dans l’expérience populaire, celle à
laquelle renvoie également le regard oblique avec lequel les
secteurs populaires lisent les offres que leur fait cette
culture.

L’analyse de l’industrie culturelle va être profondément


renouvelée par Raymond Williams. Tout d’abord, par le
biais d’une histoire des avatars du concept et des dynami-
ques de la culture (Williams, 1965), il va démonter la trame
des significations et des intérêts qui de la culture des plantes
ou des vertus a conduit à l’identifier depuis le XVIII siècle à
l’éducation réservée aux hommes supérieurs, ou depuis le
XIX siècle à l’idéologie. En récupérant la culture commune -
l’expérience culturelle de la classe laborieuse- Williams se
défait aussi bien de l’idéalisation spiritualiste à laquelle tend
la culture haute ou supérieure, que de la réduction idéologi-
que de la culture à une simple reproduction sociale, et son
incapacité conséquente de penser à tout ce qu’il y a de créa-
tivité et de subversion dans la culture. En second lieu, en
réintroduisant au sein du débat et de la recherche le concept
gramscien d’hégémonie, Williams (1980, 91-165) élabore
l’une des propositions les plus fécondes d’analyse de la
complexité des cultures contemporaines, et notamment de
ces industries de la culture que sont les médias. La base de
cette proposition est le découpage des formations constitutives
de la culture: la formation archaïque, qui représente le passé
et qui survit en tant que passé, uniquement objet d’étude et
de remémoration, la formation résiduelle qui représente la
partie vivante du passé qui dynamise et rend complexe le
présent, et la formation émergente qui est la nouveauté, la
force qui déchire le présent, ce qui rompt et guette l’avenir.
Il y a dans cette proposition non seulement un programme
de recherche qui inaugure les “études culturelles” –dé-
passement de l’historicisme sans annuler l’histoire, dialecti-
que des relations passé/futur sans échappatoires ni nostal-

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gies, entre ce qui pousse de l’arrière et ce qui freine, entre


résistance et subversio– mais aussi un programme stratégi-
que de politique culturelle au moment d’assumer ce que les
médias ont et font de la culture commune, c’est-à-dire la
culture quotidienne des majorités.

En France, le lien entre les études de communication et


les sciences sociales s’est produit dans les travaux d’Edgar
Morin. En s’inspirant de ceux de Frankfurt, mais sans se
limiter à en développer les thèmes, le concept d’industrie
culturelle signifie pour Morin (1962) l’ensemble des opéra-
tions et des mécanismes par lesquels la création culturelle se
transforme en production. En refusant de fataliser ce chan-
gement, Morin démontre, à propos du cinéma, comment la
division du travail et la médiation technologique ne sont pas
incompatibles avec la création artistique, comment même
une certaine standardisation n’entraîne pas la totale annula-
tion de la tension créatrice. Morin développe aussi l’analyse
de la culture de masse dans deux directions: ses univers de
signification et ses modes d’inscription dans la vie quoti-
dienne. Dans le premier cas, l’analyse de la culture de
masse va exiger de ratisser historiquement ses relations avec
le folklore et le feuilleton, ce premier “moyen d’osmose”
entre le courant réaliste qui élabore le feuilleton bourgeois et
le courant fantastique qui vient de la littérature populaire.
Dans l’autre direction, Morin analyse l’industrie culturelle
comme un ensemble de dispositifs d’échange entre le réel et
l’imaginaire, dispositifs qui fournissent des appuis imaginai-
res à la vie pratique et des points d’appui pratiques à la vie
imaginaire, des mécanismes de projection et d’identification
sur lesquels repose une mythologie qui fonctionne car elle
s’intéresse aux questions et aux vides, aux peurs et aux
espoirs que ni le rationalisme dans l’ordre du savoir, ni le
progrès dans celui des biens matériels n’ont réussi à déta-
cher ou satisfaire.

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A mi-chemin entre la pensée de Frankfurt et celle des si-


tuationnistes (Vaneingen, 1977), J. Baudrillard (1972) en-
quête sur le processus d’abstraction qui détruit dans notre
société capitaliste l’échange symbolique rituel dont ont vécu
toutes les sociétés jusqu’à nos jours. Abstraction qui trouve
sa “réalisation” dans le processus d’informatisation généra-
lisé dans laquelle l’information dévore le social. Par deux
chemins différents. L’un, en convertissant la communica-
tion en la pure mise en scène d’elle-même: en simulacre
(Baudrillard, 1980). Et l’autre, en déclenchant le processus
d’entropie sous-jacent dans la masse. Au lieu de produire de
l’énergie, l’injection d’information dans la masse entraîne
l’implosion du social: l’inertie et l’indifférence; la passivité
des masses ne serait l’effet d’aucune manipulation de pou-
voir, mais la propre manière d’être de la masse, qui
annoncerait ainsi le fin du politique (Baudrillard, 1978). Le
coté radical de la position de Baudrillard nous rappelle celle
de Frankfurt, ce qui oblige à nous demander: Est-ce à partir
de l’analyse du processus historique que l’on en est arrivé à
affirmer la décadence définitive de la culture et la fin du
politique, ou bien s’agit-il plutôt d’une situation, d’une
expérience particulière de dégradation culturelle (le nazisme
dans le cas de ceux de Frankfurt) et d’impasse politique
(celui que traversent les gauches, dans le cas de Baudrillard)
d’où l’on est parti pour les hypostasier?

II Théorie sociale contre théorie de la communication?

La question reprend le malaise de fond qui, depuis la


moitié des années soixante, produit la crise des paradigmes
totalisateurs du fonctionnalisme, du marxisme et du struc-
turalisme. On ne peut déjà plus penser d’une manière si
unifiée aux figures du social, ni aux modèles de communi-
cation. C’est de l’éclatement de cette unité –qui est à la fois
théorique et politique– dont parle le débat sur la pertinence

Penser la société à partir de la communication


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et le sens de la théorie de la communication dans un monde


qui se reconvertit industriellement à partir des innovations
technologiques de la communication. Car l’euphorie de-
vient malaise lorsque, au moment où dans les médias la
fonction communicative est reléguée à la dimension rési-
duelle des options économiques et industrielles, c’est la
société dans son ensemble qui est pensée en tant que com-
munication, “société de l’information”. Comment faire face
à cet alibi? Comment penser une spécificité du communica-
tif que ne nous submerge pas dans le médiacentrisme? Et
quelles perspectives les études culturelles introduisent-elles
dans ce débat?

La position la plus radicale est défendue par les cher-


cheurs de Leicester, Graham Murdock et Peter Golding
(1981 et 1985) qui nient la plus faible pertinence à une théo-
rie de la communication. Car dans le prétendu besoin de
cette théorie, il n’y aurait qu’un amalgame de prénotions,
de naïveté empirique et surtout un accident purement ver-
bal: la souplesse sémantique du mot qui, en permettant à
l’idée de communication d’être présente dans tant de do-
maines, a conduit à penser dans l’existence d’un “terrain
commun”. Terrain couvert par deux figures: celle d’une
théorie générale de la communication ou celle d’une théorie
restreinte aux médias. La première serait doublement dan-
gereuse car non seulement elle sépare de la théorie sociale
les processus de communication en les rendant l’objet d’une
théorie autonome, mais c’est qu’en identifiant les relations
humaines à leur composant communicatif, c’est-à-dire en
lisant les rapports sociaux en pures termes de communica-
tion, “on élimine de l’analyse les problèmes de pouvoir et
l’inégalité dans les relations structurelles sans lesquelles la
théorie sociale devient stérile” (Murdock et Golding, 1981,
86). La théorie restreinte, celle qui couvre uniquement le
domaine des médias, ne peut pas s’appeler sérieusement
théorie du fait que la seule chose qu’elle ait produit jusqu’à

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maintenant ce sont des modèles de diagramme permettant


de relier entre eux les mondes de l’émetteur, du message et
du récepteur, des diagrammes qui sont de plus en plus so-
phistiqués, mais qui en aucun cas ne pourront être pris pour
de la théorie, et encore moins lorsque la complexité des
modèles est atteinte en faisant passer pour interdisciplinarité
ce qui n’est que de l’éclectisme, en donnant à l’objet de
l’étude –les médias– une centralisation sociale et un sens
théorique qui répond davantage à des conditions de la dé-
partementalisation académique qu’à des demandes de la
réalité sociale.

Murdock et Golding (1985) pensent que la proposition


offerte par les “études culturelles”, réalisée en pionnier dans
les travaux de Raimond Williams et Stuart Hall, mérite une
analyse différente. En situant les médias de manière expli-
cite dans le contexte de la culture en tant que totalité, cette
proposition réoriente la question de la communication mas-
sive vers la récupération des gisements du sens social
contenus dans les textes. La cadre théorique élaboré par les
études culturelles, bien que sérieux et stimulant, pêcherait
cependant par insuffisances qui le feraient sombrer. A pro-
pos des travaux de R.Williams, les critiques sont dirigées
vers la survalorisation implicite des textes dans un type
d’analyse qui, en reconnaissant en eux les empreintes des
relations structurelles de production, croit pouvoir en dé-
duire une analyse adéquate de l’ensemble des relations et
des déterminations sociales. Cette déduction s’appuierait
sur une asymétrie méthodologique: alors que les formes
symboliques sont soumises à une anatomie élaborée, les
processus sociaux font uniquement l’objet d’une description
schématique et sont traités sur la base d’extrapolations
continuelles. En ce qui concerne les travaux de Stuart Hall
(1980 et 1984), on critique surtout que la sauvegarde de
l’autonomie de la sphère culturelle déplace les pressions
économiques vers l’extérieur, en conservant seulement à

Penser la société à partir de la communication


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l’intérieur les liens des médias avec l’Etat. Certes, comme


l’a dit Gramsci, l’Etat est le lieu où est construite l’unité de
l’idéologie dominante, et où par conséquent l’hégémonie est
assurée, mais cela ne peut pas nous conduire à placer hors
de cette même dynamique le processus d’interpénétration
économique croissante entre les différents médias, avec le
renforcement international conséquent de la structure de
contrôle. Les insuffisances de l’économisme ne peuvent pas
être remplacées par un politicisme qui fasse de l’Etat et de la
politique les seuls espaces de pouvoir, l’arène exclusive de la
lutte pour la démocratisation culturelle.

Même si nous partageons une bonne partie de ces criti-


ques, nous pensons que l’apport introduit par les “études
culturelles” à la reconstruction de la pensée critique et à la
précision des instruments d’analyse de la production symbo-
lique sont fondamentaux. Ce qu’il faut retenir de ces cri-
tiques, c’est qu’elles ont dévoilé les insuffisances qui dévient
le sens de la théorie sociale, sa capacité de rendre compte
des “relations entre la distribution inégale du contrôle sur
les systèmes de communication et les modèles plus amples
d’inégalités dans la distribution de la richesse et du pouvoir”
(Murdock et Golding, 1985, 95).

Mais c’est précisément là que réside, pour d’autres, le


centre du débat: en niant le besoin d’une théorie explicite de
la communication, on adopte en réalité implicitement la
théorie de la communication la plus simpliste. Le manque
d’importance théorique attribué à la composante de la
communication se traduit dans la prise inconsciente d’un
modèle de communication qui, projeté sur les rapports
communications/société, renferme celles-ci dans le circuit
d’une vision instrumentale et conspiratrice.

Pour rompre ce cercle, Martín Serrano et son groupe de


Madrid, (Martín Serrano, 1977, 1982 et 1986), adoptent une

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position inverse par rapport à ceux de Leicester: la construc-


tion d’une théorie sociale de la communication demande la
formulation d’une théorie générale de la communication. Et
cette condition est épistémologique et non pas simplement
idéologique ou académique, puisqu’elle n’a rien à voir avec
le pancommunicationisme développé aux Etats-Unis, et
selon lequel la communication serait le moteur et le contenu
même de l’interaction sociale. Il s’agit d’une condition
épistémologique dans la mesure où le vide produit par
l’absence d’une réflexion sur la communication est comblé
par une connaissance “appliquée”, proie facile de concep-
tions biologistes, pour lesquelles la communication devient
finalement une norme de comportement destinée à assurer
la reproduction du groupe, ou de conceptions idéalistes in-
capables d’articuler le développement des pratiques com-
municatives autour de celui des pratiques productives et à
l’organisation conflictuelle des rapports sociaux. Ce que
nous voulons souligner à propos de cette théorie générale
c’est la proposition d’une théorie sociale de la communica-
tion basée sur le paradigme de la médiation. Quel est ce
modèle “qui travaille sur des échanges entre des entités
matérielles, non matérielles et d’action, specialement fécond
pour étudier ces pratiques dans lesquelles la conduite, la
conscience et les biens entrent dans un processus d’inter-
dépendance” (Martin Serrano, 1982,24). Il s’agit d’un mo-
dèle qui cherche à établir les formes / institutions que prend la
communication dans chaque formation sociale, des logi-
ques qui régissent les moyens de médiation dans le domaine
des ressources (matérielles et expressives), l’organisation du
travail et l’orientation politique de la communication, et
également des usages sociaux de produits de la communica-
tion.

L’objet de cette proposition théorique ce sont les modes


d’échange et d’interdépendance entre deux systèmes auto-
nomes: le social et celui de la communication, dont la

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coexistence et l’homologie n’impliquent pas son identité.


Car toute modalité de communication coexiste dans
l’espace et dans le temps avec une formation sociale, mais
peut subsister dans une autre sans transformations significa-
tives. La difficulté à différencier le système Social de celui
de la Communication se trouve directement liée à la diffi-
culté de penser la communication en dehors de la fonction
simplement reproductive du social; qui est précisément celle
que l’on essaie de surmonter en analysant les différents
niveaux et plans dans lesquels se produisent l’échange et
l’interdépendance: le niveau de contrôle exercé par les insti-
tutions politiques sur le fonctionnement des médias et sur
celui des innovations dont les références se trouvent dans la
production communicative, et de même, le niveau du con-
trôle exercé par les médias sur le système politique, et celui
des orientations pour l’action sociale que proposent les
médias.

Nous sommes ainsi en présence d’une carte complexe qui


nous permet d’affronter les trois types de réductionnisme les
plus fréquents: celui qui pensait pouvoir expliquer le fonc-
tionnement des médias en tant que processus de simple
accouplement idéologique, celui qui pensait pouvoir expli-
quer l’organisation des institutions communicatives par la
seule logique du marché, et enfin celui qui croyait pouvoir
expliquer l’évolution et le développement historique de la
communication de masse par les lois de l’accumulation
capitaliste. Depuis le matérialisme historique même, Martín
Serrano prévient que centrer l’étude sur les idéologies im-
plique de se limiter au produit sans aborder la production;
situer les processus de communication au niveau d’une
reproduction dont la dynamique et la logique seraient ail-
leurs, reviendrait à ignorer ce que l’histoire sociale nous a
déjà suffisamment enseigné: que dans les médias, on peut
faire la place pour longtemps aux innovations en matière de
culture, d’art et de coutumes, que la norme sociale intégrera

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beaucoup plus tard. Et vice versa, les changements dans la


conception du monde qui ont pénétré la conscience sociale
demanderont très longtemps avant d’être assumés par le
discours des médias. En ce qui concerne le développement
que les médias ont eu à l’intérieur du système capitaliste, il
est vrai que ce développement se trouve fortement lié à
quelques dispositifs centraux de l’accumulation de capita-
lisme comme la division technique, la réduction du temps
de travail, etc..., mais il est possible et même prévisible que
plus tard ces mêmes innovations aient des conséquences
incompatibles avec la perpétuité d’un modèle de société qui
base la circulation des biens sociaux, y compris l’informa-
tion, sur sa valeur d’échange (Martín Serrano, 1986, 89).
C’est dans cette direction que vont grand nombre de dérè-
glements, de brèches et de contradictions, comme ceux
introduits par la conquête de la synchronie communicative
dans le système de la communication massive rendant ex-
trêmement difficile un contrôle qui ne soit pas une censure,
ou l’accroissement dans les proportions des expressions
iconiques incorporant l’audience des groupes sociaux de-
puis très longtemps exclus de l’information publique, ou
l’expansion des moyens de communication audiovisuels
synchrones faisant perdre de l’importance aux intermédiai-
res sociaux de l’autorité de qui provenaient les interpréta-
tions acceptables des événements. Mais à coté de ces con-
tradictions mobilisatrices, il y a également celles qui, pour le
moins aujourd’hui, peuvent être qualifiées de négatives:
ainsi le fétiche de l’actualité, lié à la synchronie entre évé-
nement et information, en faisant perdre de leur valeur à
d’autres temporalités et en mystifiant la valeur des médias;
et l’enculturation et la colonisation culturelle entraînées par
l’accélération dans la distribution des produits de masse
privant de nombreux peuples des outils dont ils disposaient
pour s’approprier de manière enrichissante de ces produits.
Ce que ce rapport ambiguë et contradictoire entre commu-
nication et société établit, c’est l’impossibilité théorique de

Penser la société à partir de la communication


17

continuer à attribuer, que ce soit aux intérêts de la classe


dominante ou à l’infrastructure technologique, la seule
cause de ce qui se passe dans l’espace de la communication.
Et cette tâche ne peut pas être confiée ni à une théorie de la
communication qui soit incapable d’incorporer les trans-
formations historiques de la société, ni à une théorie sociale
incapable d’accepter la dynamique propre des processus de
communication.

III Amérique Latine : des hégémonies théoriques aux


appropriations culturelles

La formation du domaine des études de la communi-


cation en Amérique Latine provient du mouvement croisé
de deux hégémonies: celle du paradigme informationnel,
hégémonique dans la recherche américaine, et celle de la
critique idéologique et accusatrice provenant de la théorie de
la dépendance dans la recherche latino-américaine. Vers la fin
des années soixante, la modernisation liée au développe-
ment propage un modèle de société (Sanchez Ruiz, 1986)
qui transforme la communication en un domaine de pointe
de la “diffusion d’innovations” et dans le moteur de la
transformation sociale: communication identifiée avec les
médias, leurs dispositifs technologiques, leurs langages et
leurs savoirs propres. De l’autre coté, la théorie de la dé-
pendance et de la critique de l’impérialisme culturel souffri-
ront un autre réductionnisme: celui qui refuse la spécificité à
la communication en tant qu’espace des processus et des
pratiques de production symbolique et pas seulement de
reproduction idéologique. “En Amérique Latine, la littéra-
ture sur les médias se consacre à faire l’éloge de leur qualité,
inégalable, en tant qu’instruments oligarchiques et impéria-
listes de pénétration idéologique, mais elle n’essaie pas
d’examiner comment leurs messages sont perçus et avec
quels effets concrets. C’est comme si cela était une condi-

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18

tion d’entrée en la matière, que le chercheur oublie les consé-


quences non souhaitées de l’action sociale pour s’installer dans
un hyper-fonctionnalisme de gauche” (Nun, 1982, 40).
Dans les années soixante-dix, l’affrontement de ces deux
réductionnistes a produit une dangereuse scission entre les
savoirs techniques et la critique sociale, et une véritable
schizophrénie entre positions théoriques et pratiques profes-
sionnelles. L’insertion unidimensionnelle de l’étude de la
communication dans le domaine des sciences sociales a
rendu possible au cours de ces années la thématisation de la
complicité des médias dans les processus de domination,
mais a également impliqué la réduction de l’étude des pro-
cessus de communication à la généralité de la reproduction
sociale, en condamnant les technologies et leurs langages à
un irréductible extérieur: celui des appareils et des instru-
ments. Ni les apports de l’Ecole de Frankfurt, ni la sémio-
logie n’ont permis de sortir de cet amalgame schizoïde. Car,
ce que l’on a lu, notamment dans les textes d’Adorno, ce
sont des arguments qui dénonçaient la complicité intrinsè-
que du développement technologique avec la rationalité
mercantile. Et en identifiant les formes du processus indus-
triel avec les logiques de l’accumulation de capital, la
critique a légitimé la fuite: si la rationalité de la production
s’épuise dans celle du système, il n’y aurait pas d’autre
échappatoire à la reproduction que d’être improductifs! La
tournure dans la lecture a trouvé une justification dans le
plus important de ses textes posthumes lorsqu’il affirme que
dans l’aire de la communication de masse “l’art demeure
intègre lorsqu’il ne participe pas dans la communication”
(Adorno, 1980, 416).

Les apports de la sémiotique n’ont pas non plus permis de


résoudre la scission. En descendant de la théorie générale
des discours vers les pratiques d’analyse, les outils sémioti-
ques ont presque toujours servi à renforcer le paradigme
idéologique: “la toute-puissance attribuée dans la version

Penser la société à partir de la communication


19

fonctionnaliste aux médias est maintenant déposée dans


l’idéologie, qui est devenue un dispositif totalisateur/inté-
grateur des discours. Aussi bien le dispositif de l’effet, dans
sa version psychologique vehabioriste, que le message ou le
texte dans la sémiotique structuraliste, ont fini par lier le sens
des processus de communication à une immanence creuse
du social: celle de l’inévitable manipulation ou celle de la
fatale récupération par le système” (Martín-Barbero, 1987,
122). La recherche de la communication au cours de ces
années n’a pas pu surpasser sa dépendance aux “modèles
instrumentaux” et de ce que Mabel Piccini (1987, 16) a
appelé “le renvoi en chaîne aux totalités”, qui empêchaient
d’aborder la communication en tant que dimension consti-
tutive de la culture et par conséquent de la production du
social.

Vers la moitié des années quatre-vingts la configuration


des études de communication a montré des changements de
fond qui ne provenaient pas uniquement ni principalement
des glissements internes de ce propre domaine mais d’un
mouvement général dans les sciences sociales. La remise en
cause de la “raison instrumentale” ne concernera pas seu-
lement le modèle de l’information, elle mettra également à
découvert l’hégémonie de cette même raison en tant
qu’horizon politique de l’idéologie marxiste. D’autre part,
la mondialisation et la “question transnationale” iront au-
delà de la portée théorique de la théorie de l’impérialisme,
qui obligera à penser à une nouvelle trame de territoires et
d’acteurs, de contradictions et de conflits. Les déplacements
avec lesquels on cherchera à reconstruire conceptuellement
et méthodologiquement le domaine de la communication
viendront aussi bien de l’expérience des mouvements sociaux
que de la réflexion qui articulent les études culturelles. On
assiste alors à un glissement des bords qui délimitent le
domaine de la communication: les frontières, les voisinages et
les topographies ne sont plus les mêmes que celles d’il y a à

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20

peine dix ans, ni ne sont aussi claires (Martín-Barbero,


1989). L’idée d’information –associée à l’innovation techno-
logique– gagne en légitimité scientifique et opérativité, alors
que l’idée de communication se déplace et se trouve dans
des domaines éloignés: la philosophie, l’herméneutique. La
brèche entre l’optimisme technologique et le scepticisme
politique s’agrandit en effaçant le sens de la critique.

En Amérique Latine, le glissement des bords du domaine


se traduit en un nouveau mode de relation avec et les disci-
plines sociales, non exempt de méfiance et de malentendus
mais défini par des appropriations, plutôt que par des recours
thématiques ou des prêts méthodologiques: à partir de la
communication, on travaille des processus et des dimen-
sions qui incluent des questions et des savoirs historiques,
anthropologiques, esthétiques, au même temps que la socio-
logie, l’anthropologie et les sciences politiques s’occupent,
plus que de manière marginale, des médias et des modes de
fonctionnement des industries culturelles. De l’histoire de
des cultures quotidiennes des secteurs populaires dans les
quartiers du Buenos Aires du début du siècle (Gutiérrez et
Romero, 1985), à l’histoire des transformations que subit la
musique noire au Brésil dans le parcours qui la conduit des
haciendas esclavagistes à la ville massifiée et sa légitimation
par la radio et le disque en tant que musique urbaine et
nationale (Squeff et Wisnik, 1983). De l’anthropologie qui
signale les changements dans le système de production et
dans l’économie symbolique des artisanats (García Cancli-
ni, 1982) à celle qui enquête sur les continuités et les
ruptures dans les rituels urbains du carnaval (Da Motta,
1981) ou dans les jeux de l’âme et du corps dans les prati-
ques religieuses (Muñiz Sodré, 1983). De la sociologie qui
recherche le lieu qu’occupent les médias dans les transfor-
mations culturelles (Brunner/Catalán/Barrios, 1989) à la
thématisation du lieu des médias dans la consommation et
les politiques culturelles (García Canclini, 1991 et 1987).

Penser la société à partir de la communication


21

La conscience croissante du statut transdisciplinaire de ce


domaine est aussi décisive que l’intérêt explicite des displi-
nes sociales pour le “thème” des médias et des industries
culturelles. Ils apportent la preuve de la multidimensionalité
des processus communicatifs et de leur gravitation chaque
jour plus forte sur les mouvements de déterritorialisation et
d’hybridations que produit la modernité latino-américaine.
Dans cette nouvelle perspective, l’industrielle culturelle et
les médias sont le nom des nouveaux processus de produc-
tion et circulation de la culture qui correspondent non
seulement à des innovations technologiques mais aussi à de
nouvelles formes de la sensibilité. Et qui trouve, si ce n’est
leur origine, au moins leur corrélation la plus décisive dans
les nouvelles formes de sociabilité avec laquelle les gens font
face à l’hétérogénéité symbolique de la ville (García Cancli-
ni, 1989). C’est à partir des nouvelles manières de s’associer
et de s’exclure, de méconnaître et reconnaître, que ce qui se
passe dans et par les médias et les nouvelles technologies de
communication acquiert une importance sociale et cogni-
tive stratégique. C’est à partir de là que les médias ont
commencé à constituer le public, à intervenir dans la produc-
tion d’imaginaires qui d’une certaine manière composent
l’expérience urbaine déchirée des citoyens (Martin Barbero,
1996): que ce soit en substituant le coté théâtral de la rue
par le coté spectaculaire à la télévision des rituels de la poli-
tique ou en dématérialisant la culture et en la déchargeant
de son épaisseur historique par des technologies qui,
comme les réseaux télématiques ou les jeux vidéos, propo-
sent l’hyper-réalité et la discontinuité en tant qu’habitudes
perceptives dominantes.

La transdisciplinarité dans l’étude de la communication


n’implique pas la dissolution de ses objets dans ceux des
disciplines sociales mais au contraire la construction des
articulations –médiations et intertextualités– qui font sa

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spécificité (Fuentes, 1994). Celle qu’aujourd’hui ni la théo-


rie de l’information ni la sémiotique, même si ce sont des
disciplines “fondatrices”, ne peuvent encore construire. Les
recherches de pointe en Europe et aux Etats-Unis (Wolf,
1990 et 1994; Grossberg, Nelson, Treichler, 1992), ainsi
qu’en Amérique Latine, présentent une convergence chaque
jour plus grande avec les études culturelles dans leur capaci-
té d’analyser les industries de la communication et la
culture comme matrice de désorganisation et de réorganisa-
tion de l’expérience sociale (Brunner, 1995; Ianni, 1996)
dans l’échange des déterritorialisations qu’entraînent la
mondialisation et les migrations avec les fragmentations et
les relocalisations de la vie urbaine. Une expérience qui fait
s’effondrer cette séparation bien maintenue et légitime qui a
identifié la massification des biens culturels avec la dégrada-
tion culturelle en permettant à l’élite d’adhérer de manière
fascinante à la modernisation technologique alors qu’elle
continue à refuser la démocratisation des publics et l’in-
dustrialisation de la créativité. C’est cette même expérience
qui réétudie les relations entre culture et politique, précisé-
ment à partir de l’importance communicative de celle-ci:
non seulement par la médiation décisive qu’exercent au-
jourd’hui les médias dans la politique, mais aussi par ce
qu’elle a de trame d’interpellations dans lesquels les acteurs
sociaux sont constitués (Landi, 1984 et 1992). Ce qui à son
tour retombe sur l’étude la communication massive empê-
chant qu’elle puisse être pensée comme un simple fait de
marché et de consommation, en exigeant son analyse
comme espace décisif dans la redéfinition du public et la
reconstruction de la démocratie.

Au moment même où la communication occupe le centre


des nouveaux modèles de société, il se produit dans le do-
maine théorique un réexamen des catégories qui délimitent
le social. Au cours des dernières années, il s’est élaboré en
Amérique Latine une carte des médiations entre société et

Penser la société à partir de la communication


23

communication dont les axes sont la socialité, la ritualité,


l’institutionalité et la technicité (Martín-Barbero, 1990). La
Socialité désigne la trame des relations quotidiennes tissées
par les gens en son vivre ensemble et dans laquelle les pro-
cessus primaires d’interpellation et de constitution des sujets
et des identités sont ancrés (Hopenhayn, 1994; Sarlo, 1994).
Qu’est ce qui constitue le sens de la communication comme
question de fins et non seulement de moyens. Car dans la
communication jouen et s’expriment des dimensions clé de
l’être social: aussi bien celles dans lesquelles la collectivité
se fait et demeure, que celles dans lesquelles la lutte éclate
pour percer l’ordre, ou dans lesquelles sont tissées les négo-
ciations quotidiennes avec le pouvoir (Lechner, 1988).
Ritualité, c’est la partie constructive du lien symbolique dans
la communication: à la fois répétition et innovation, an-
crage dans la mémoire et horizon ouvert. C’est ce qu’il y a
de forme et de rythme dans l’échange. En reliant l’interaction
aux rythmes du temps et aux axes de l’espace, la ritualité
impose des règles au jeu de la signification en introduisant
le minimum de grammaire qui permet d’exprimer et de par-
tager le sens (Richard, 1994; Reguillo, 1966). Et en activant
le cycle -qui n’est jamais une simple inertie ou une répétition
mais la longue durée dans laquelle les contretemps sont liés-
la ritualisation branche l’accélération de la communication
dans le temps primordial des mythes (Gruzinski, 1994).
L’institutionalité traverse la communication en la convertis-
sant en survivance et construction de la civilité (Rey, 1997;
Garretón, 1994). Mais cette institutionalité appartient à
deux ordres opposés: celui qui configure les médias comme
un “service public”, et celui qui depuis le marché convertit
la “liberté d’expression” en libre commerce. De l’un ou de
l’autre, on donne la priorité à des valeurs opposées qui affai-
blissent l’autonomie des institutions communicatives que ce
soit en confondant la défense des droits collectifs avec la
stabilité de ce qui appartient à l’état, ou celle de la liberté
d’expression avec l’initiative et les intérêts privés. En inter-

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24

venant dans la constitution du public et dans la reco-


nnaissance culturelle, la trame institutionnelle de la com-
munication fait partie du lien citadin (Schmucler et Mata,
1992). Technicité désigne ce qui dans la société est non seu-
lement instrument mais aussi sédimentation de savoirs et
dimension constitutive des pratiques. En dépassant la scis-
sion qui oppose dans la pensée occidentale l’intérieur et
l’extérieur, et la vérité à sa manifestation, l’anthropologie
voit dans la technique un organisateur perceptif, ce qui dans
les pratiques articule la transformation matérielle et l’inno-
vation du discours (Piscitelli, 1992 et 1994). Ce qui fait que
la technicité nous renvoie davantage au dessin de nouvelles
pratiques plutôt qu’aux appareils, et la technicité est davan-
tage une compétence du langage que des habiletés (Piccini,
1988). Confondre la communication avec les techniques ou
les médias déforme autant les choses que penser que ceux-ci
sont extérieurs et accessoires à la (vérité de la) communica-
tion, ce qui équivaudrait à méconnaître la matérialité
historique des médiations du discours dans laquelle la
communication se produit.

IV Déconstruction de la critique et élaboration d’une


nouvelle carte

Placée au centre de la réflexion philosophique, esthétique


et sociologie sur la crise de la raison et la sensibilité mo-
derne, la problématique de la communication dépasse au-
jourd’hui des limites du domaine académique et de la re-
cherche qui la contenait. Nous devons donc assumer cet
éclatement et redessiner la carte des questions et les lignes
de travail. Mais, en Amérique Latine la paralysie économi-
que et sociale, la confusion politique et la fascination
technologique se combinent avec une forte tendance involu-
tive dans la théorie et une recherche à tout prix de l’ins-
titutionnalisation du domaine de la communication. Le

Penser la société à partir de la communication


25

désir urgent de posséder un domaine académique propre re-


convertit le sens de la recherche qui, de foyer de com-
préhension devient un instrument de légitimation qui négocie
la portée théorique par territoire académique. Et cependant,
“ne pas avoir eu la possibilité de devenir une “science nor-
male”, comme dirait Kuhn, c’est ce qui donne maintenant à
l’étude de la communication en Amérique Latine la mobili-
té nécessaire pour continuer à engendrer socialement un sens
sur la production sociale du sens, en conservant l’élan critique
et utopique” (Fuentes, 1994, 237). Raison pour laquelle, au
cours des dernières années, les questions de fond vont dans
deux directions: se charger des changements dans le statut
des savoirs sociaux sur la communication introduits par les
nouveaux modes de relation et perception du social, et
penser l’envergure des défis qui au sein de nos sociétés pro-
duit déjà la mondialisation.

Objets nomades et frontières floues du savoir sur le social

Dans la nouvelle perception de l’espace et du temps, il


apparaît une carte de symptômes et de défis pour les scien-
ces sociales, une carte d’objets nouveaux pour la réflexion.
Je pense que dans le refus des sciences sociales à prendre en
charge la culture audiovisuelle, il y a autre chose que le
déficit de légitimité académique qui souffre comme “objet”.
Il semblerait plutôt que les sociologues et les anthropolo-
gues perceraient mal l’éclatement des frontières qu’elle
entraîne, y compris celle appartenant à leur domaine d’étu-
de, par la configuration d’objets mobiles, nomades, aux
contours flous, impossibles à enfermer dans les mailles d’un
savoir positif et divisé d’une manière rigide. Ceux que veut
dire C.Geertz (1991, 64), lorsqu’il affirme “ce que nous
voyons, ce n’est pas simplement un autre tracé de la carte
culturelle –le déplacement de quelques frontières en dispute,
le dessin de quelques lacs de montagnes pittoresques– c’est
une altération des principes mêmes de l’élaboration de la

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26

carte. Il ne s’agit pas de ne plus avoir d’autres conventions


d’interprétation, nous en avons plus que jamais, mais elles
sont construites pour arranger une situation qui en même
temps est fluide, plurielle, décentrée. Les choses ne sont pas
si stables ni si consensuelles et il ne semble pas qu’elles le
seront prochainement. Le problème le plus important ne
consiste pas à savoir comment on arrangera ce méli-mélo,
mais plutôt de savoir ce que signifie tout ce ferment”. C’est dans
ce sens que le défi est lancé: Il y a dans les transformations
de sensibilité émergeantes dans l’expérience audiovisuelle
un ferment de changement dans le savoir même, la recon-
naissance qu’il passe par là des questions qui traversent le
désordre de la vie urbaine, le dérèglement entre comporte-
ments et croyances, la confusion entre réalité et simulacre.
G.Vatimo (1990, 88) a eu le courage d’affirmer : “la relation
existant entre les sciences humaines et la société de la com-
munication c’est beaucoup plus étroite et organique de que
ce l’on croit généralement.” Si ces sciences ont configuré
leur idéal cognoscitif dans la modification permanente de la
vie collective et individuelle, c’est ce mode d’existence so-
ciale qui se concrétise dans les formes modernes de
communication. La sociologie, la psychologie, l’anthropo-
logie ont construit petit à petit leurs objets et leurs méthodes
au fil d’une modernité qui fait de la société civile un do-
maine différent de l’Etat, un domaine d’intersubjectivités et
de diversité culturelle, qui conforme dans son ensemble une
sphère d’institutions politiques et des formes symboliques de
plus en plus liées aux processus et aux technologies de
l’information et de la communication. D’autre part, Hei-
degger (1986, 52), en parlant de la technique, la relie à un
monde qui se constitue en images plus qu’en systèmes de va-
leurs, à la modernité comme “époque des images du
monde”, qui converge avec le monde devenu fable dont parle
Nietzsche. Car, ce que nous appelons dans cette modernité
tardive monde c’est beaucoup moins cette “réalité” de la
pensée empirique, –confrontée au “sujet autocentré” dans

Penser la société à partir de la communication


27

sa conscience, du rationalisme– que le tissu des discours et


des images que produisent de manière entrecroisée les
sciences et les médias: ”la technologie ne se déplace pas tant
vers la domination de la nature par les machines mais plutôt
vers le développement de l’information et de la communica-
tion du monde en tant qu’image” (Vattimo, 1990, 95). En
partant d’un angle très différent, Habermas (1989) va trou-
ver dans la “raison communicative” le nouvel axe de la
réflexion sociale, celui qui va combler le vide épistémologi-
que produit par la crise des paradigmes de la production et
de la représentation. La communication devient ainsi un
foyer de renouvellement des modèles de l’analyse de
l’action sociale et un point crucial de reformulation de la
théorie critique.

La véritable dimension de la crise des sciences sociales


apparaît lorsque la crise de légitimité des institutions de
l’Etat et de constitution des citoyens –crise d’identité des
partis, démembrement des exigences sociales et des proces-
sus politiques formels, des modes de participation des
citoyens et du discours même de la politique– se mêle à la
crise d’autorité du discours scientifique sur le social, dont le
thème a été évoqué par Foucault (1970 et 1973), Geertz
(1981, 1996) ou De Certeau (1987 et 1980) –dévoilement
des structures de pouvoir impliquées, historicité des savoirs,
critique de l’objectivisme et des conceptions accumulatives
de la connaissance– mettant en évidence la crise de représen-
tation qui touche le chercheur social et le chercheur intellec-
tuel: d’où et au nom de qui parlent aujourd’hui ces voix,
lorsque le sujet social unifié dans les figures/catégories de
peuple et nation éclate, en mettant à nu le caractère problé-
matique de la représentation? Un mouvement de réflexivité,
permettant de voir les médiations que ce savoir maintient
avec le sujet social, devient alors indispensable (Bourdieu,
1995; Giddens, 1994). Des médiations qui passent notam-
ment par la reconfiguration du public. La “sphère publique”,

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dont l’histoire est suivie par Habermas (1982), se trouvait


étroitement liée à l’espace du national, et c’est ce lien qui est
actuellement dépassé, aussi bien par dessus que par dessous:
par l’émergence d’une macrosphère d’opinion publique
internationale à l’arrière du courant économique (Keane,
1995), et par les microsphères constituées par les mouve-
ments sociaux qui quelquefois résistent à ce courant, et dans
d’autres représentent l’éclatement fragmentaire des identités
locales traditionnelles (Cruces, 1997). Ce qui caractérise
aujourd’hui l’espace public ce n’est pas seulement l’étroi-
tesse du politique, entraîné par l”invasion” et l’hégémonie
économique du privé, c’est la fragilité qui introduit la frag-
mentation des horizons culturels et des discours dans
lesquels s’expriment des conflits et des demandes. Au croi-
sement de ces deux mouvements se produit “la disparition
du lien symbolique, le manque d’un dispositif capable de
constituer l’altérité et l’identité relative; dans le langage
institutionnel on parlera dans un cas d’échec de l’intégra-
tion, et dans l’autre de l’écroulement de l’Etat” (Augé,
1995, 88). Le résultat est l’accentuation du caractère abstrait
et décharné de la relation sociale, l’abstraction alimentée et
renforcée par l’action des médias. En face de la “commu-
nauté d’appartenance” qui était définie par ses convictions,
l’audience de la télévision est une abstraction, un pourcen-
tage de statistique. Et c’est à cette abstraction que se dirige
un discours politique qui cherche avant tout et dès mainte-
nant non pas des adhésions mais des points dans les
statistiques de possibles votants.

Mais, ce que les sciences sociales ne peuvent pas ignorer,


c’est que les nouveaux modes de symbolisation et de rituali-
sation du lien social se retrouvent chaque jour plus entrelacés
aux réseaux de communication et aux flux de l’information.
L’éclatement des frontières spatiales et temporaires qu’ils
introduisent dans le domaine culturel délocalisent les sa-
voirs et font perdre leur légitimité aux frontières modernes

Penser la société à partir de la communication


29

entre raison et imagination, entre savoir et information,


entre nature et artifice, entre sciences et art, entre savoir
expert et expérience profane. Ce qui modifie tant le statut
épistémologique et institutionnel des conditions de savoirs et
des figures de raison -celles qui constituent pour Lyotard le
fond de l’effervescence qu’il appelle la post-modernité, ce
qu’il y a en elle de changement d’époque- et les branche avec
les nouvelles formes de sentir et les nouvelles figures de la
socialité (Lyotard, 1984; Maffesoli, 1990).

Mondialisation: penser le monde, repenser la technique

Une première incitation à penser le monde nous vient de la


géographie, à partir de laquelle Milton Santos (1996) af-
firme que l’absence de catégories analytiques et de l’histoire
du présent nous maintient mentalement ancrés dans l’épo-
que des relations internationales, alors que nous devons
penser au monde, c’est á dire le pas qui sépare l’inter-
nationalisation de la mondialisation. Processus dans lequel
les technologies de l’information joue un rôle crucial car
elles mettent en communication les lieux et en même temps
elles transforment le sens du lieu dans le monde; et au moment
où elles font de la culture le grand véhicule du marché, elles
transforment le monde en clé de voûte d’un défi épistémo-
logique envers les disciplines sociales, de la géographie à
l’histoire, et même de la philosophie. Puisqu’en fait, la
modernité-monde parle d’une “nouvelle manière d’être
dans le monde” (Ortiz, 1994, 87). Et cela, aussi bien dans le
sens que la catégorie monde a eu pour les philosophes que
pour les sociologues: le nouveau sens du monde n’est plus
assimilable “au réel”, ni ne dérive de ce qu’il était il n’y a
pas encore si longtemps à savoir l’une des catégories centra-
les des sciences sociales, celle de l‘Etat-nation. La mondia-
lisation ne doit pas être comprise comme une simple exten-
sion quantitative ou qualitative de la société nationale. Non
pas parce que cette catégorie et cette société ne sont plus en

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vigueur –l’expansion et l’exaspéra-tion des nationalismes en


tous genres en sont la preuve– mais parce que la connais-
sance accumulée sur le national répond à un paradigme qui
ne peut plus “rendre compte ni historiquement ni théori-
quement de toute la réalité dans laquelle s’imbriquent
aujourd’hui les individus et les classes, les nations et les
nationalités, les cultures et les civilisations” (Ianni, 1996,
160). Le refus dans les sciences sociales d’ac-cepter qu’il
s’agit d’un objet nouveau est très fort. D’ou la tendance à
replonger cet objet dans les paradigmes classiques de l’évo-
lutionnisme à l’historisme, et à n’envisager que des aspects
partiaux –économiques ou écologiques– qui sembleraient
encore compréhensibles à partir d’une continuité sans trau-
matismes avec l’idée du national.

C’est cette continuité, de laquelle s’alimentent des notions


telles qu’impérialisme, dépendance, et même interdépen-
dance, qui conduit au besoin de soumettre ces notions à une
profonde reformulation à la lumière des changements radi-
caux qui traversent aussi bien l’idée de souveraineté que
celle d’hégémonie. Qu’il existe encore aujourd’hui des dé-
pendances et des impérialismes, cela ne veut pas dire que la
scène n’a pas changé, cela veut dire que les vieux types de
liens se trouvent replongés et traversés par d’autres, nou-
veaux, auquel on ne peut penser à partir des transferts de
catégories comme celles d’Etat, de nation, de territoire, de
région, etc. Les conditions d’inégalité entre nations, régions
et états se poursuivent et même s’aggravent, mais mainte-
nant on ne peut plus y penser en marge de l’apparition de
réseaux et d’alliances qui réorganisent aussi bien les structu-
res de l’Etat que les régimes politiques et les projets
nationaux.

Une deuxième incitation vient de la vision de la Terre que


nous a donnée la caméra d’un satellite, cette première image
que nous avons eue du monde “de l’espace”: aussi bien de

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celui d’où évoluent les satellites et naviguent les astronau-


tes, que de celui qui, comprimé par l’accélération du temps,
bouleverse nos modes de percevoir et de sentir. Cette pre-
mière image a condensé les tensions et les hybridations qui
traversent et soutiennent les relations du territorial et du
global, du lieu et du monde, de la rue et de la télévision. Au
même moment, le marché mettait en oeuvre une mondialisa-
tion de l’imaginaire selon laquelle, d’après une chercheuse
brésilienne, “on exporte du territoire –Amazone, banane et
carnaval– alors que l’on importe la scène globale qui pro-
duit la technologie (...). Stratégie qui est responsable du
curieux masque qui nous permet de trouver dans le monde
l’image de tous les territoires” (D’Alesssio, 1996, 48). Et
dont la contrepartie est la croissance accélérée du non-lieu,
cet espace dans lequel les individus sont déchargés du poids
de l’identité interpellant ou interpellée et dont on exige
uniquement l’interaction avec des informations, des textes
ou des images, qui se répètent inlassablement d’un bout du
monde à l’autre (Augé, 1993). Les imaginaires collectifs,
plus lents cependant que l’économie ou la technologie,
traînent, conservent des traces et des restes du lieu qui inten-
sifient les contradictions entre vieilles habitudes et habiletés
nouvelles, entre rythmes locaux et vitesses globales.

Et une troisième incitation vient de la philosophie. Le


monde, l’univers technologique et culturel contemporain,
éclaire un nouvel universel non centré, ou dont le centre se
trouve à n’importe quel endroit: “univers de la Pantopie”
qui, selon Michel Serres (1995, 128), concentre tous les
lieux en un seul, chacun d’eux étant la réplique de tous les
autres. Le vieux Leibniz pourrait nous aider à penser les
médiations qu’introduit la simulation: ce “jeu des absences”
qui apparaît “lorsque la science prend la place de la Vérité
et se défait de sa propre “naturalité” en acceptant pleine-
ment son opération comme puissance d’artifice” (D’Ama-
ral, 1996, 22), c’est á dire,capable d’inventer un monde qui,

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au lieu de se laisser représenter, apparaît dans la médiation


de la technique qui le transforme en virtuel. La question, de
Heidegger, pour la technique, en tant que dernier avatar de la
métaphysique, est aujourd’hui beaucoup plus révélatrice
que négative: c’est aujourd’hui quand la technique n’est
plus un simple ustensile, et nous parle de “sa relation essen-
tielle avec le dévoilement sur lequel se fonde toute
production” (Heidegger, 1986, 53). Ce qui, traduit par Ha-
bermas (1986, 65)en langage sociologique veut dire que “si
la technique se transforme en la forme globale de produc-
tion, elle définit alors toute une culture et projette une
totalité historique, un monde”.

La question pour la technique devient chaque jour plus


cruciale dans la mesure où la diversité des techniques, cons-
tatée par les anthropologues est rapidement substituée par
une mondialisation de la technologie, par sa manière glo-
bale de prendre forme. C’est la rapidité de sa diffusion qui
nous place dans une situation nouvelle, caractérisée par
l’absence de lien entre technologie et héritages culturels,
qu’elle soit installée dans telle ou telle région ou pays en
tant qu’élément hexogène aux demandes locales n’a aucune
importance, c’est á dire comme dispositif de production à
l’échelle planétaire, comme connecteur universel dans le global.

Aujourd’hui, la technologie nous parle de la transforma-


tion du monde en technosphère: de la technique convertie
en système qui fonctionne à travers les réseaux technologi-
ques et de la virtualité qu’ils produisent. “Le monde
apparaît pour la première fois comme une totalité empirique
par le biais des réseaux (...) puisque dans le processus global
de production, la circulation prévaut sur la production pro-
prement dite. Même le patron géographique est défini par la
circulation, du fait que celle-ci est plus dense, plus étendue,
et détient les commandes des changements de valeur de
l’espace” (Santos, 1996, 215). Ce que les réseaux mettent

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alors en circulation ce sont à la fois des courants d’in-


formation et des mouvements d’intégration à la mondialisa-
tion technoéconomique, la production d’un nouveau type
d’espace réticulé qui affaiblit les frontières du national et du
local et convertit en même temps ces territoires en points
d’accès et de transmission, de mise en oeuvre et de trans-
formation du sens de la communication. On ne peut donc
pas penser aux réseaux sans penser à leur relation intrinsè-
que avec le pouvoir, tant avec celui qui selon Foucault est
exercé non plus depuis la verticalité du trône mais depuis la
réticule quotidienne qui règle les désirs, les expectatives et
les demandes des citoyens aux jouissances réglées du con-
sommateur; comme de cet autre qui en intensifiant la divi-
sion/spécialisation/descentralisation du travail intensifie la
vitesse de circulation du capital, aussi bien dans les domai-
nes financier que productif, des informations, des marchan-
dises et des valeurs.

La singularité du monde que nous habitons passe par les


espaces virtuels qui, autrefois tissaient les rêves et les repré-
sentations, et tissent maintenant les réseaux de commu-
nication. Michel Serres a lu l’Odyssée comme le premier
portrait d’un navigateur virtuel, qui nous raconte “la ma-
nière de déambuler et les naufrages d’un marin osé et malin
avec qui sa femme se réunissait en rêves, jour et nuit, faisant
et défaisant sur son métier à tisser la carte des voyages de
son mari. L’amant et l’amante n’étaient plus présents! Alors
que le premier voyageait véritablement en mer, la seconde
rêvait dans l’espace virtuel au réseau qu’elle allait ourdir.
Pénélope préparait sur le métier à tisser l’atlas qu’Ulysse
traversait à la rame et à la voile, et qu’Homère chantait à la
lire ou à la cithare” (Serres, 1995, 122).

Cependant, les réseaux qui globalisent le monde ne sont


pas seulement techniques, ils sont aussi sociaux: pour
l’instant, Internet ne concerne qu’1% de la population, et

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bien que l’accroissement des usagers en Amérique Latine


soit plus rapide qu’ailleurs, les types d’usage différencient
totalement le sens social d’être branché au réseau. Entre le
poids d’une information stratégique pour prendre des déci-
sions financières et la légèreté du flâneur extasié devant les
vitrines des boulevards virtuels, il y a un fossé énorme. Qui
s’agrandit lorsque la croissance de la richesse à l’intérieure
du réseau est liée à la paupérisation sociale et psychique
accélérée qui est vécue à l’extérieur.

Quels seraient alors les éléments à inclure dans un bilan


de la mutation que nous vivons? Un regard critique, vu de
l’intérieur, nous assure que le développement technologique
actuel bouleverse aussi bien l’image mentale du monde que
nous vivons que les coordonnées de l’expérience sensible:
“l’espace que traversent nos itinéraires perceptifs se trouve
aujourd’hui stratifié selon la vitesse du moyen technologi-
que que nous utilisons (...) mais la multitudes de tempo-
ralités que nous vivons ne sont pas réglementées par la
logique interne du système technique (Manzini, 1991, 27).
Cela veut donc dire que notre insertion dans la nouvelle
mondanité technologique ne peut pas être vue comme un
automatisme d’adaptation socialement inévitable, mais
plutôt comme un processus surchargé d’ambiguïtés, de
progrès et de régressions. Un ensemble complexe de filtres
et de “membranes osmotiques” règle de manière sélective la
multiplicité d’interactions qui entrelacent les courants entre
les anciens et les nouveaux modes d’habiter le monde.

D’autre part, il est faux que la pénétration et l’expansion


de l’innovation technologique dans le domaine quotidien
impliquent la soumission automatique aux exigences de la
rationalité technologique, de ses rythmes et de ses langages.
De fait, ce qui se passe c’est que la pression technologique
même suscite le besoin de trouver et de développer d’autres
rationalités, d’autres rythmes de vie et de relations aussi

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bien avec les objets qu’avec les personnes, dans lesquelles la


densité physique et l’épaisseur sensorielle sont la valeur
primordiale. Certes, la médiation technologique s’épaissit
de jour en jour, bouleversant notre relation avec le monde,
bannissant peut-être pour toujours le rêve grec selon lequel
l’homme serai “la mesure de toutes les choses”. Mais ce
changement ne trouve pas son origine dans la technique, il
fait partie d’un processus beaucoup plus ample et beaucoup
plus large: celui de la rationalisation sécularisatrice du
monde qui, selon Weber, constitue le noyau le plus dur et le
plus secret du mouvement de la modernité.

Penser la société depuis la communication est donc devenu


un défi théorique double et crucial. Celui de remettre en
cause l’utopie communicative qui idéalise la société en la
déchargeant –grâce aux légèretés de la technologie– du poids
et de la gravité des conflits et de l’opacité des relations so-
ciales. Et en même temps, le défi de penser le monde comme
une dense trame d’échanges entre peuples, nations et cultu-
res, entre générations, tribus et individus, entre une multipli-
cité hétérogène d’espaces et de temps, dans lesquels se
jouent aujourd’hui la portée et le sens de la reconnaissance,
qui est la finalité humaine de la communication.

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