| . rs 12 jenvier,1950.
ay
Gher monsieur Be Koninck,
Jtarrive de chez monsieur Simon et je sens le
bosoin tre’ pressant de vous Sorire imédintenent,tout de cute ct sans
tarder,pour ne pas dire en vitesse et sons retards
Non,mais est-ce qu'il est assez embétant,oe Simon} Imaginez$ 11
me demande ob j¥en suis aveo ma tiiese,et pour i!impressionner Je lui
m cts sans plus sous les yeux le plan que vous m'evez fourni. il ouvre
ag grands yeux bleus,balence de droite h gauche et vice-versa sa belle
téte blonde,ct renarque entre ses dents serrées sur sa pipe:"Non,mais,
monsicur Babin,vous on avez pour vingt ans,ou bien il vous faudra vous
contenter d'un travail trés superficiell Vous ne vous rendez pas compte
go 1a vestitude(non,il a afi dire étendue, je crois,cer il nia pas enocre
oté regu sous 1a cotipole de 1'Acaddnie de votre sujet. Rien que ces cing
lettres (Hegel),otest 46J4 le plan de toute ume thdse de longue haleine.
Bt Marx alors,et les mathénatioiens modernest",
Jo rostai atterré,assomme gt etourdi,et les bras mont tombé; ou plu-
‘tot non,ils ne sont pas tonbéssoar ils Gtaiont eur sa table de travail,
ils ont eu envie de tomber,seulement. Quoiqu'il on soit, jo domeurad
bouche bée et mucts Jtavais beau me rappeler 1a remarque que vous me
faisier l'autre soir on cherchant votre troisiéns paire de souliers,et
me répster mentalenent cYavec force: Esclavish Esolavist,rien a faire,
je,ne trouvais rien & dire, je sentais qu'il était plus fort que moi,que
Jtétais plus faible que luis Que voulez-vous,il est docteur en philo-
Sophie thomiste,marié & me jurassique,je veux diro une jurassionne,et
pére do quatre enfante,sans compter oulil est disciple dd s.Thonas,iari~
tain et Meyerson,stout & la fois.
Qutest-ce que vous en pensez? I] est bien certain que Marx ot
Hegel sont de gros bonnote oompliqués,ct qutune opinion famtmn de
leur philosophie fondée soulenent sur les travaux de Conze ou euire
seraif de seconde ou de troisiene main,il me resterait néammoins a
contréler ces ouvreges par Hegel et Marx euxmémos.
Tl ne conseille de mien tenir & une étude directo de 1a dialectique
ataristote. Je n'ai pes osé lui dire que vous avoz 1'intention de pu-
P]ier cuelque chose 1é-dessus; ai-je bien fait? Jo me suis contenté de
répondre que je reconsidérerais toute octte affaire,aves 1'idée dorribro
la vete de gagner Gu tenps et de vous derire pour avoir votre opinions
. "Gardez vous des grandes synthéses,m's~t-11 dit,ce n'est pas de votre
Ages ilieux vaut vous limiter ‘a une étude spécialisee,comne la dialectique
per exemplgcar il vous faut bien compter avec le teaps ot considérer
votre avenir professionnel". C'est probablenent wrai,tout ca,maic gaxk-
shea lapolication qu'il en fait & mon oas pertioulier atest peut-dtre
pas eu point. Il me semble qu'on peut treiter un sujet de deux facons:
ou dion du point de vue historique,ou bien du point de vue doctrinal.
Or,dans mon cas,si je vous ai bien compris,il s'agit du point de vue
doctrinal,de sorte “ue le premier chapitre sur la notion dtopposition
chez les modernes no requiort probablencnt pas les fouilles critiques
dont Sinon s'épouvante. Ne oroyes vous pas qu'il oxisto,peral Leo Thi~
losophes modernes,une tendance exagerée philosopher dens le sens deLhistoire plutot que dans le sens de 1a doctrine dont l'enrobement dans
le temps n'est quiaccidentel et secondaire? Sens doute 1thistorien doit~i2
exposer 1fopinion d'un auteur de le facon la plus objective possible, |
puisque atest 18 le but de l'histoire. Mais pour le philosorhe, qui a
en vue 1a connaissance do 1a verité une et Sternelle,1!nistoire des
divers systémes philosophiques est un moyen et non ute fins De sorte
qu'il ne stagit pas pour lui de savoir ce que celui-ci ou celui-ia
@ pense exaotomentymais de voir ce qu'il y a de vrai et de faux dens
telle ou telle opinion, que cette opinion soit celle de X ou de Y ou
de personne,peu importe. Aussi bien,il me senble que dans un travail
doctrinal 16 philosophe no doit pas toujours faire ocuvre d'historion |
et reconstruire en sous-ocuvre ot & ses propres frais 1a ponsée d'un
auteur dont il se sert pour éclaircir une thése philosophique. A mon |
avis il peut sten tenir aux conclusions de l'historien, du moins “ut |
in pluribus". S.Thomas en agisselt ainsi.
Voila mon opinion et je la partage. C'est grand dommage que je no
Ltaie pas eue plus tot, jo mo serais procuré la volupte d'enguouler
Simons {1 ext encore temps de lo faire gi yous croyer quo jo dois
mten tenir au phan que vous mtav8z sugeérés |
Ouoiqutilfen soit, Je vous serais tr&és reconnsissant de me dire quelle
attitude Je dois prendre en cote affeire,et tout de suite. Passer moi,
sinplenent,un billet tres court,doux mots suffiront. Je vous en remeroie
atavances
Puisque je suis en frais de vous dorire
je ne saurais vous,cachor l'edniration profonde que me cause votre
Ascouverte du nog-étre dislostique,de cette petite chose témuo, informe
come un gaz,espsce de cavalier fantéme chovauchant sur l'ordrs reel ot
Ltordre logique & la fois. Cette théorie fait belle figure & oste |
de ses trois scours: 1tIndéterminisme,1'Evolution et la Philosophie |
des Soicnoes. Et je me demande si elle n'est pas 1a plus originale et
Je plus féoonde que vous ayez engendrée a date. Vous procédes aves
le meme rythme et dans l'ordre de 1a géneration intellectuelle et dens
L'ordre de 1a génération naturelle. Yous voila pere de quatre fils
de le chair et quatro fils de l'esprit. Yous n'avez pas idée combien
je yous envie,sans toutefois vous jalonsers ee
Anjo besoin de vous diro,aprés ga,que Jo suis extFémement satisfait |
de mon voyage au Quebec? Jtaureis folontiers dépensé ume fortune pour
azrrendre ce que j'ai appris de vous pendant mes trop rares visites
@ votre bureau. Au voint qu'il me faxt livrer un combat de tuut ina-
fant contre cette vonsce admoralisente: Quiest-oe que je viens faire
dens cotte aalere ce liptre Dene? Je pourrais epprofondir sapprendre et
Slargir tant de vérites philosorhiques & Laval,sous votre magistére
et celui de Jacques. 11 est vrai qu'il y a aussi le oote pratiaue de
1a vie avec lequel i faut compter. Esperons que je finirai per mon |
imprdgner ae
‘Yous avez sans dotte deviner que Cecile 9 éte pour beaucoup
dang ma aéoision de passer une partie des wacances ‘ Quebec. Je vous
répete que jo l'aime follenent. Ca été dur pour moi de la quitters |
Toutefois, je vois cleirenent aie egtte séperation est néceseaire on
pereilles oirconstances. Vivre a cote d'elle en dehors du mariage
Rtect plus pénible qu'akreable, ct oo serait peut-stre dengereuxe
Quané je vous ai amoned’ la notvelle vous m'avez dit sans. que j6 vous
le donando: "Naintonant, Jo deyrai penger & cajen ponsant & yous",ct jten
ai ou beaucoup de joie. Vous ates @ m@ne de me donner de precieux
conseils dans ce domaino,et je compte que vous.ne me les mumgerez pase
J'ai toujours smkt ressenti in grand besoin d*étre conseillé,ob envmano
temps une extréme répugnance & mouvrir & quelqu'un. Yous Stes probable--3
ment le seul aveo qui je puis parlor } cocur bien ouvert et dont jtece
copte les conselis area Joie et suns Giscuosion,cur soutes choses:
Jo'ne saurais vous dire tout le dion que vous mlaver fait doieei vous
oxpriner na vive reconnaissance.
Voila béin des confidences,ma foi,j'espere qu'elles ne
vous peraitront pas trop enfentines. Jo orains maintenant d'en avoir
trop dit,oar vous ne trouverez sans doute pas le temps de répondre
& cette longue missive,
Mos amitics & madame,aux enfants et ‘a Jack. Je vous
serre la main fortement,
Augean,