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Martine Aubry: « Le dimanche, c’est d’abord un temps pour soi, un

temps pour les autres »

Recueilli par Mathieu CASTAGNET

Pour la nouvelle dirigeante du PS, le travail du dimanche met en cause la cohésion même
de la société. Entretien

La Croix. La libéralisation du travail du dimanche est-elle à vos yeux une réforme


économique ou une réforme de société ?

Martine Aubry : C’est évidemment une réforme de société, mais d’une société dont
nous ne voulons pas. Sur le plan économique, on sait bien que cette réforme n’aura aucun
effet sur la croissance et aura un effet négatif sur la hausse des prix et sur l’emploi,
particulièrement dans les petits commerces. Elle précarisera en outre de nombreux
salariés qui n’auront d’autre choix que d’accepter de travailler le dimanche. C’est une
fausse liberté.

Il y a d’ailleurs un certain cynisme à vouloir ouvrir les commerces le dimanche, à une


époque où certains ont déjà tout, alors que d’autres ne disposent même pas de l’essentiel.
Les Français qui n’ont pas de quoi consommer la semaine ne vont pas trouver comme par
enchantement de l’argent supplémentaire pour consommer le dimanche !

Mais, au-delà, cette mesure pose la question du type de société que nous voulons
construire. Voulons-nous une société de consommation où l’acquisition de biens
matériels devient l’alpha et l’oméga de toutes choses ? Je pense au contraire qu’une
société est d’abord faite pour que chaque femme et chaque homme s’émancipe, vive
pleinement sa vie, tisse des liens avec les autres. Il faut donc défendre avec force le fait
qu’une société doit – pour bien vivre – s’arrêter de consommer au moins une journée par
semaine.

À vos yeux, le dimanche ne peut donc pas devenir un jour comme les autres ?

Bien sûr que non, car remettre cela en cause, c’est à nouveau privilégier une société de
l’« avoir » et pas de l’« être ». Un jour d’arrêt dans la consommation, c’est un temps pour
soi, un temps pour sa famille, un temps pour les autres. J’aime beaucoup cette formule
qui dit que le dimanche, c’est le temps de l’infinité des possibles, celui où l’on peut enfin
choisir ce que l’on fait. Ce jour-là, les Français dorment en moyenne une heure de plus.
Ils prennent des repas plus longs en famille ou entre amis. Ce jour-là est aussi celui du
temps social, celui du sport, de la culture, du bénévolat dans les associations.

C’est le moment où les hommes et les femmes se tournent les uns vers les autres, pour
réfléchir au-delà du stress du travail, ou tout simplement prennent du temps pour eux.
C’est le moment où les parents ont le temps de parler à leurs enfants. Qui peut croire que
ce lien dans les familles va se construire en allant acheter un canapé le dimanche ! Ce
jour-là est aussi celui où l’on prend le temps de s’occuper des parents âgés. C’est aussi,
pour ceux qui croient, un temps de spiritualité. Tout cela est pour moi absolument
essentiel dans la société que nous voulons. La folie de la consommation, on le sait, n’a
jamais fait le bonheur des hommes.

Les Français sont plutôt pour l’ouverture des magasins le dimanche, mais préfèrent
eux-mêmes ne pas travailler ce jour-là. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Chacun préférerait avoir la liberté d’obtenir tout, tout de suite, quand il le souhaite. Mais
les Français voient, dans le même temps, combien travailler le dimanche peut-être une
contrainte, une déstructuration de sa vie personnelle et sociale. Certains l’acceptent parce
qu’ils n’ont pas le choix. Si l’on pose bien la question, en expliquant la différence entre
l’envie du consommateur et l’impact sur la société, alors les Français ne se trompent pas.
Ils se montrent attachés à un fonctionnement plus harmonieux de la société, où la vie ne
peut pas se résumer à la consommation.

Pour que les touristes et les familles puissent se cultiver, se distraire ou faire du
sport, il faut bien que des salariés travaillent le dimanche. Ou mettre le curseur ?

Il y a effectivement 7,5 millions de Français qui peuvent travailler le dimanche. Il n’est


évidemment pas question de remettre en cause le fonctionnement des services publics
comme EDF, les transports collectifs, la police ou l’hôpital… Depuis toujours, les
commerces alimentaires peuvent aussi ouvrir, de même que les lieux culturels.

En 1991, alors que j’étais ministre du travail, la gauche a déjà été confrontée aux
demandes d’ouverture dominicale de certains magasins. Nous avons accepté cette
possibilité pour certaines zones touristiques, avec l’accord du maire et du préfet pour
éviter les excès. Aujourd’hui, nous considérons qu’il ne faut pas aller plus loin. Il faut en
rester là et le PS sera très combatif, car il n’accepte pas cette déstructuration de la société.
Sur ce terrain, tous nos militants vont se mobiliser. Face à cette mesure touchant à la vie
des Français et à notre façon de vivre ensemble, notre opposition sera acharnée.

Sur ce combat, la gauche semble plus en phase avec la position des Églises que la
droite. Cela vous surprend ?

Historiquement, cette journée du dimanche a été organisée autour de la pratique


religieuse. La gauche défend la laïcité qui reconnaît toutes les croyances, philosophies et
religions dès lors qu’elles respectent les règles communes. Nous demandons le respect du
dimanche pour que chacun, croyant ou non croyant, puisse le consacrer à son ouverture
aux autres, à toutes les activités non marchandes, qui font la grandeur de notre société.

Et vous-même, pendant vos dimanches, vous ne travaillez jamais ?

J’ai l’immense chance de faire un métier passionnant et de pouvoir choisir quand je


travaille. Le dimanche est notamment l’occasion pour moi d’aller voir les associations de
ma ville. Dimanche dernier, par exemple, j’étais à la fête de fin d’année d’une association
de personnes âgées. J’ai aussi fait mon marché pour préparer un dîner à des amis. Tous
ces moments sont indispensables à notre vie en société. Les remettre en cause serait une
folie, surtout au moment où la crise devrait nous faire réfléchir encore plus fortement sur
la place prise par la consommation.

L’état de développement d’une société ne peut pas se mesurer à l’aune du nombre de


téléphones portables ou de matériels électroniques que l’on pourrait désormais acheter
aussi le dimanche, mais à notre capacité à bien vivre tous ensemble, quelles que soient
nos différences d’âge ou d’origine sociale et culturelle.

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