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RWANDA Ancien directeur de cabinet du ministre rwandais de la Defense, le colonel a été cité a comparaitre pour «génocide» sans la moindre preuve et ne demande qu’a étre jugé par un tribunal impartial. La Belgique et le Tribunal international pour le Rwanda ont demandé son extradition De sa prison de Yaoundé BAGOSORA S’EXPLIQUE ++ propos revelliis par notre correspondent, Jean-Marie Aboganena +++ Le colonel Théoneste Bagosora fait partie des douze Rwandais détenus 4 la prison centrale de Kondengui 4 Yaoundé. Tous des Hutus Soupgonnés de "génocide" au Rwanda. En juin, le. Tribunal International sur Je Rwanda (TIR) a adressé une demande officielle d'extradition pour quatre d'entre eux : Théoneste Bagosora, Ferdinand Nahimana, Anatole Nsengiyumva, André Tagerura. is deux ans, beaucoup dobservateurs singuidtent de la situation de terreur et d'n- sécurité entretenue au Rwanda par le nouveau. régime. Cette situation empéche éviderment Ia réconciliation nationale du fait que la ter- reur est dirigée contre la majorté hutu, glo bbalement diabolsée pour mieux Vexclure du pouvoir. Afriea International a pu rencontrer le colo- nel Bagosora pour évoquer le drame que le ‘peuple Rwandais a vécu depuis le Ler octobre 1990, lorsqu'une bande armée a envahi le Rwanda a partir de VOuganda, jusqu'au ‘moment oi plus de cing millions de Hutus font été contraints de quitter leur pays, leurs s pour une vie dc rrance dabord 8 Iinté- rieur, puis en exil'xtérieur, fuyant les mas- sacres sans précédent. qui ont endeuillé ce petit pays coincé entre Afrique centrale fran- cophone et Afrique orientale anglophone. La guerre doctobre (octobre 90a juillet 94) a réveillé les démons de la haine ethnique et provoqué une bipolarsation de la population rica Intemation * : Colonel Bagosora, ‘aujourd'hui vous étes un homme tristement ceélobre. Comment le vivez-vous? ‘Théoneste Bagosora : Je suis tristement célebre & cause des allégations mensongeres que on diffuse & mon sujet. Ce qui m‘estarri- vée pouvait arriver & n'importe qui au moment oi jéais directeur de cabinet du ministre de ia Défense. Quand le président Juvénal Habyarimana est mort, le ministre de Ta Défense était absen’ puisqu'en mission au Cameroun. Le premier Ministre également ‘mort, je me suis retrouvé devant une situation fit les gens mont vu présent et ils miattri- buent tout ce qui s'est passé + Vous auriez pu prendre le pouvoir! Non, justement; il y avait les accords Arusha auxquels j'avais participé et jy croyais. Ce n'éait done pas le moment de faire tun coup d'Etat puisqu'l y avait un processus de démocratsation et de partage du pouvoir. + Pourtant vous aviez dénoncé les intensions du FPR @ Arusha. ‘TB. : En.tant que directeur de cabinet, je n'étais pas membre du gouvernement ni Premier ministre. Je ne pouvais done pré- tendre décider de quoi que ce soit & ce niveau du probltme. Seulement, & Arusha, javas fait remarquer que le probléme fondamental était le partage du pouvoir entre les Hutus et le Tutsi, done un probleme pluto ethnico-poli- tique ne figurant pas comme tel & Vordre du Jour. Mais les Hutus dits de service et oppor- tunistes n'ont rien voulu entendre ont signé les accords en l'état. Jai donc adressé mes remarques au gouvernement. J'y dénongais la volonté du FPR de prendre tout le pouvoir en Numéro 296eafrica internaticnalssuiliet/aodt 1996 faisant des manceuvres de diversion pour tromper Topinion internationale, puisque le FPR étant 'émanation dune minorité, ne pouvait pas avoir intérét& ce quily ait un jour es élections au Rwanda. Une réalité aujour- hui largement reconnue, Crest ailleurs pour cette raison que le FPR et ses sponsors ‘me poursuivent en ce moment parce que je ‘lai jamais &€ dupe. +A ce point, peut on conclure que la cause de la démocratie est désormais perdue au Ruvande? ‘TAB. : Non, nous espérons que les Belges, les ‘Américains et tous les autres pays épris de liberté vont revenir&Ia raison. Ils doivent cer tainement comprendre défaquils ont té abu- ‘és par e FPR qui fasat crore qu'l déendait 1a cause de la démocratie en combattant la Comme Thistoire a fait que les Tutsis ont ‘monopolisé le pouvoir pendant environ quatre sitcles au détriment des Hutus,ceux-ci devenus conscients de leurs droits et de leurs force populaire en tant que majrité, ont reje- t€cette domination et ont renversé le pouvoir tutsi par une révolution populaire, en 1959. Les Tutsis, alors au pouvoir, ont préferé I'exil tout en ruminant la revanche. Des tentatives de reprise du pouvoir eurent lieu de 1960 & 1967; puis ce fut la consolidation du pouvoir <émocratique. Mais les Tutsis n'ont pas baissé les bras ils se sont organisés & extérieur. Ils font constitué des alliances dans leur pays soutien du président Museveni, ils ont eré6 tune armée et ont ervahil le Rwanda le ler ‘octobre 1990 & partir de NOuganda sous la dictature de Habyarimana, annitre du Front et conriger enfin leur erreur Patriotique -Rwandais, appréciation dans ce pro- Le fossé entre fes Hutus et (FPR). bleme rwandais. Jes Tutsis s'élarait avec les + Que représentait a cette * Lorsque vous étiex aux recrutements massifs que époque le FPR dans le pay- affcires, vous état -il tout te FPR effectuait parmi la sage socio-politique rwan- de méme arrioé de donner population tutsi. es 17 dais? vous dire que jfavais &é cenvoy6 en retraite le 23 sep- tembre 1993; que javais ‘emplacé en tant que directeur de cabinet par tun civil Je ne devais pas étre en place si le gowvemement de transition a base élargie avait été mis en place les 37 jours a partir du 4 aod 1993, comme le prévoyaient les Acords Arusha, En dautres termes, jis I pour la prise de fonction du nouveau directeur de ‘cabinet du gouvernement de transition & base Gargie qui a train€ & se mettre en place. Ma carritre avait donc été protongée pour cause de guerre, mais comme on venat de signer les accords d'Arusha, il n'@ait plus nécessare que je sois maintenu dans les forces. + Comment se faitil que deux ethnies ne ‘puissent pas viore ensemble pacifiquement au Rwanda (ni au Burundi), alors ‘qusilleurs, en Afrique, plusieurs ethnies ivent céte @ cbte sans nécesscirement slentretuer? T.B.: Justement, clest peut-ttre parce aufelles sont seulement deux ethnies & se dis- puter le pouvoir que les choses se compli- quent. Il ny a pas de place pour les alliances, chacune veut absolument gouverner. Notons que, contrairement aux pays africans od chaque tribu occupe son propre teritoire, au Rwanda, les Hutus et les Tutsis sont entreme \és sur ensemble du terrtoire national, ce dui, en soi, est souvent générateur de conflits quand les intéréts de groupe sont en jeu, Numéro 296eatrica international*Julliet/aoagt 1996 TTAB. + le FPR se présentait comme favant- garde de la ‘communauté tuts de la dia- spora et méme pour celle de intérieur du Rwanda. A supposer que tous les Tutsis ce soient recon- rus dans le FPR (ce qui m’état pas le cas & cette époque), son poids socio-politique devrait tre proportionnel a sa part démogra- phique dans la société rwandaise, 3 savoir plus ‘ou moins 10%. Sur le plan politique, le FPR était pas offciellement présent au Rwanda, ‘méme apré la création des partis politiques. zit néanmoins parvenu a tisser des alliances avec certains partis politiques appartenant & opposition démocratique intérieur MDR (le Mouvement démocratique républicain), le Parti social-démocrate (PSD) et méme & transformer certains en aile intérieure, ‘comme le Part lbéral (PL). Les trois partis formérent,& Voccasion de leur alliance avec le FPR, le 4 juin 1992, & Bruxelles, ce quils ont appelé les Forces Démocratiques du ‘Changement (FDC). Tl faut cependant reconnaftre que de 1990 & 1994, la situation a fortement évolué avec ‘impact de ta guerre sur la population et le comportement réel du FPR face & a démocra- tisation en cours dans le pays. ‘= Justement dans ces conditions, quel fut impact de la guerre provoquée par le FPR, ‘sur la population? TTAB. + Les attaques du FPR ont provoqué un ‘choc profond au sein de la population, surtout lorsque cette organisation a ordonné a ses troupes de s'en prendre aux evils non armés, et plus particulitrement aux Hutus qui ne voulaient pas collaborer avec lui. En effet, les Hutus refusaient massivement de collaborer avec es forces militaire tutsis pour renverser ‘un pouvoir démocratiquement établi. Ils aient alors soit massacrés, soit contraints & fuir leurs biens et leurs terres. En février 1993, on, déplorait 468,150 000 civils hutus innocents massacrés par les hordes du FPR, et ‘un million de déplacés. Les rescapés de cette guerre injuste ainsi que beaucoup dautres Hutus qui subissaient les conséquences nfastes notamment le poids socio-écono- ‘mique que constituent les déplacts, nourris- sent évidemment contre les senvahisseurs tutsis» une haine tr forte. Les démons de la haaine ethnique ancestrale ne tardérent pas & se réviller. Le fossé entre les Hutus et les Tutsi s'argit avec les recrutements massifs que le FPR effectuait parmi la population tuts. Les 17 ans de coexistence pacifique, sous le régime Habyarimana, furent rapidement coubliés. Les négociations trés défavorables imposées de lestérieur allaient précipiter le changement du paysage politique au Rwanda, et consacrer a cassure en deux de la société rwandaise. Les négociations furent caractéri- sées par les aridres-pensées et la mauvaise foi du FPR. * Mais pourquoi le gowwernement roandais 'aoait-il pas répond repidement aus reven- dications du FPR pour mettre fin aux hosti- ités? TTB. : Au départ le FPR cachait ses desseins véritables derritre des _revendications ofcielles: retour des réfugiés Tutsi, démocrati- sation du régime rwandais et redressement conomique. En réalité, 2 Népoque de V'inva- sion du FPR le ler octobre 1990, la question des réfugiéstutsis était en voie de résolution. Les négociations en cours entre les gouverne- ‘ments rwandais et ougandais venaient d'abou- tira un accord admettant le rapatriement des réfugiés qui le souhaitaient, les autres étant acceptés comme immigrants réguliers. Le méme accord devait etre conclu avec les autres pays d*hébergement des réfugiés rwan- dais, De plus, dds novembre 1990, le président Habyarimana déclara que tous les réfugiés qui voulaient, pouvaient rentrer au Rwanda. Quant & Ia démocratisation du régime, le pro- cessus avait deja début, surtout apr le som- ‘met de la Beaule, quand le FPR a attaqué. Ce processus devait aboutir & 'adoption de la constitution du 10 juin 1991 autorisant le rmultipartisme au Rwanda. Malgré toutes ces performances positives & actif du gouverne- ‘ment rwandais, le FPR, au lieu de renoncer aux hostiités, intensifa la guerre en violant Tes accords de cesserle feu conclus le 29 area Eee ‘mars1991 & Nsele (Zaire), et le 12 juillet 1992 4 Arusha (Tanzanie), aboutissant aux mas- saeres généralisés que nous avons connus. + Mais le FPR vous présente aussi comme Tum des responsables de ces massacres. ‘TAB. + Vous save, il ne peut en étre autre- ment, car il veut me diaboliser simplement, rmalgré mon innocence. Les négociations Arusha et les. événements ultérieurs devaient montrer que le FPR voulait_ fout le pouvoir, pus- quil refuse de se contenter des 40-50% dans larmée et plus de 20% dans les autres organes de l'état, alors quill niétat censé représenter que En réalité, 4 'époque de ‘invasion du FPR le Ler ‘octobre 1990, la question des rétugiés tuts Gait ‘on vole de résolution. Les négociations en cours Rwandais, un embargo militaire qui a fait bas- culer le sot dela guerre ainsi qu'un embargo diplomatique contre le nouveau gouverne- ‘ment. L'exode de la population est la consé- ‘quence de la guerre et Je la haine. + Selon vous la la tribalisation d outrance du régime de Kigali est un obstacle au retour des réfugiés. ‘TAB. + Justement puisque apres sa prise de ‘pouvoir en juillet 1994, le FPR na pas cessé ses atrocités contre les populations Hutu. I 2 installé un pouvoir militaire slappuyont sur la minoritéeth- nique tutsi qui ne peut régner que par la force et la terreur 10% de la population rwan- entre les gowernements Les Hutus qui collaboraient thie, rwandais et ougandaie avec le régime de Kigali (dont venalent d'abouticun le premier ministre de linté- + Fallaiti automatiquement accord admettant le rapa- _rieur Seth Sendashonga) afir- Passer par Uassassinat dit triement des réfugiés qui ment que pus de 600000 Président Habyarimana pour \e souhaitaient, es autres Hutus ont été massacrés entre prendre le pouvoir au tant acceptés comme juillet 1994 et avril 1996, Ruvanda? A qui profite le inwigrants régulers. Environ 100 000 Hutus crow crime? TTB. : En réalité les accords Arusha avaient ddonné un pouvoir énorme au FPR qui, avec les alliances quil avait su tisser avec le FDC, ‘powvait dominer la transition, n'eussent été ses ambitions démesurées et son orientation ‘arrément ethniciste.I se préparait a prendre le pouvoir par la force puisqu'l était stir de ne jamais pouvoir atteindre par les ures, d'au- tant que ses manceuvres ethnicistes avaient 4loigné de beaucoup de leader hutus apparte- nant au FDC. Dans ses analyses, le FPR a conclu que I'élimination du président Habyarimana, dernier rempart du pouvoir démocratique, powvait provoquer la scission au sein des réput et fare tomber le ‘pouvoir entre ses mains. Cette analyse fut par- tagée par ses sponsors qui aiderent a accom- plir a triste besogne. + Comment expliquez-cous que dans les conditions de bipolarisation quand méme favorable a la majorité, les Hutu ont-ils perdu la guerre. ‘TAB. : Vous saver, contrairement & opinion répandue, les Hutus ne sfattendaient pas une offensive généralise du FPR et encore moins 2 Ta disparition brutale du chef de Etat. Ils nfavaient pas pu se préparer la guerre ni aux ‘massacres qui ont suvi Tassassinat du prési dent Habyarimana, Par contre le FPR avait bien préparé son coup qu'il a réussi grice & intervention décisive de ses alliés (Ouganda, Burundi, Tanzanie) et de ses sponsors(Etats- Unis, Belgique, Grande-Bretagne). Ces der- riers ont pu abtenir contre le gouvernement Numéro 296eatrica pissent dans les prisons-mou- ‘irs du Rwanda, attendant la mort ou lejuge- ‘ment hypothétique pour des crimes parfois imaginaires ou montés de toutes pidces. Entretemps, le pouvoir monoethnique tutsi se ‘enforce, les organes de I'Etat sont quadrillés par les militaires tutsis et controlés par les ‘adres tutss. La plupart des Hutusalibi ont été chassés des postes importants, a commen- cer par le Premer pinistre Faustin ‘Twagiramungu et trois de ses ministre ainsi que plusieurs hauts fonctionnaires ou dir ‘eants locaux. Les partis politiques sont inter- dis, seus les propagandistes et membres de la police politique du FPR appelés Abakudas, ‘ont pignon sur rue. La liberté dopinion et la liberté expression sont proscrites. Ceu qui ‘sent critiquer le régimes sont arrété et sou- vent exécutés sommeirement. Voila pourquoi les réfugiés hutus ne rentreront pas au Rwanda. Ils exigent des garanties préalables, pour leur sécurité et pour le respect de leur libertés. Ils dénoncent la criminalisation col- lective des Hutus et Je harcBlement de leur leaders politiques et intellectuels. Is souhai- tent enfin que leurs biens illégalement occu- ‘és par des Tusis protegés par 'armée du FPR et par le gouvernement de Kigali soient préa- lablement libérés, car la victoire militaire ne peut pas ramener la paix. + Quel est, enfin selon vous le prix dune pats durable au Rwanda? La réconciliation ‘est-elle possible au Rwanda? Quel role peu- vent jouer @ cet égard les proces en perspec tive? La solution du conflitréside-t-elle dans inter a victoire militaire ou faut-il chercher des ‘solutions politiques? TTB. : Les évtnements ont montré quil nest rnullement possible de ramener une paix durable au Rwanda et quil n'est pas possible de parler de réconcilition sans tenir dent ‘compte des intéréts des trois communautés cethniques qui composent la société rwandaise. 1 faut pour cela des négociations sincéres et transparentes devant conduire& la reconnais- sance des droits dela majorité hutue etl pro- tection des minorités tutsies et Twa. Deux actions illustrent parfaitement cette orienta- tion plutot fascisante du régime mono-eth- nique Tutsi installé & Kigali: Ventretien de sentiments aigus de haine ethnique par I'érec- tion de monuments du souvenir dans toutes les localités du pays. Ces monuments doivent, selon les autorités de Kigali, rappeler constamment aux Tutsis quils ont fait Tobjet de «génocide par les Hutusy. Is seraient les signes de culpabilistion permanente et col- lectives des Hutus. Ensuite le retour aux rituels anciens, notamment Pexposition des crdnes des Hutus vaincus, massacrés par les vainqueurs tutsis qui, dans le temps, expo- saient les organes génitaux des Hutus vaincus lors des querres de conquétes des royaumes Inutus. Le régime de Kigali trompe ainsi 'opi- rion en faisantcroire que les cranes exposés appartiennent aux Tutsis, puisque des céré- monies d'inhumation ont été organisées pour ‘eux depuis que le FPR est au pouvoir. Les TTutsis respectent religieusement leurs morts pour oser les exposer au public. Is 'ont prou- \é en demandant au Tribunal Intemational pour le Rwanda quiil aréte les exhumations ceffectuées pour les besoins dlenquétes. Ce res- pect des mors risque ainsi de conduire & la ‘condamnation des Hutu sur base denquétes incompldtes et tronquées alors qu‘en méme ationaleJuillet/aoat 1996

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