You are on page 1of 7
Abdelaziz Berka 539 1 Les différents types de correspondance interlinguistique Trois types de relation d’équivalence sont envisageables dans un dictionnaire bilingue: 1.1 Lhétéronymie ou plus précisément la « monohétéronymie » Lentrée E posséde un seul équivalent Bq quia traduit totalement (Vinverse n’étant pas toujours vrai), Trois cas peuvent se présenter en Foccurrence: - a) E et Eq sont isomonosémiques: E = Eq. Cela concerne surtout les lexiques spécialisés. [3] astilty ou imru (néologisme): « stylo ». — b) £ et Eqsont isopolysémiques: E (E,, E,,..., £,) = Eq (Eq, Eq,,.., Eq,), avec: E, = Fq,,E, = Eq,.... E, = Eq,. Cest le cas le moins fréquent. — ©) ECEgq. Le sémantisme de Eg est plus large que celui de E. Cest un cas qui West pas rare. [4] akured: « puce (insecte parasite) ». Le mot puce a en frangais au moins trois sens différents, alors qu'il n’en a qu'un seul en kabyle. Dans ce cas une indication sémantique ajoutée entre parentheses est nécessaire pour préciser le sens requis. 1.2 La « polyhétéronymie » E posséde plusieurs équivalents partiels, E= Eq,;Eq,... Eq,. Cest le cas le plus fr quent. Pour chaque équivalent partiel, généralement polysémique, il faudrait pré- ciser (au besoin) le sens requis. {5] azru « 1, caillou; pierre; rocher. 2, pile (électrique) ». 1.3 L's anhétéronymie » ou absence d’équivalent dans la langue cible Lentrée est un mot culturel traduisant une réalité concréte ou abstraite spécifique & la communauté sociolinguistique en question. Ainsi en va-t-il des mots qu’on trouve dans divers secteurs de la langue comme la gastronomic, les pratiques religicuses, institutionnelles, matrimoniales, festives, sexuelles, etc. En foccurrence, il convient dexpliquer le mot par une définition, comme dans un dictionnaire monolingue, qui irait au besoin par un développement encyclopédique au-dela du sens strict du mot qui risque de ne rien vouloir dire pour lusager passif. Définir [6] acerrid [aferrié] comme « galette de pain faite avec de la farine de gland mélangée & de Peau salée » est sémantiquement juste, mais ajouter que sa pate est dure et quon la mangeait en Kabylie 4 une époque, maintenant révolue, ott la population vivait dans la mistre et qu'elle servait & suppléer la galette de semoule qui était alors un luxe qu’on ne pouvait pas s‘offrir tout le temps, est mieux. Cette idée de misére et de faim a laquelle renvoic ce mot pour l'ensemble de ses usagers, ceux de la troi- siéme et de la quatriéme génération notamment, n’est pourtant pas contenue dans sao PASSEURS DE MOTS, PASSEURS D'ESPOIR sa définition minimale entre guillemets. Ce type d’information, qu’on peut appe- ler avec Robert Galisson (1987 :119) « charge culturelle partagée (CCP) », permet le passage de la langue la culture qui lui est « consubstantielle », donc nécessaire Asa bonne appréhension. Labsence d’équivalence peut aussi concerner une réalité qui existe, mais qui n’est pas nommée dans la langue cible. C'est ce que nous pouvons appeler, faute de mieux, « désignation culturelle », Dans ce cas, equivalence est facile & établir. Elle peut s’établir au mieux par un mot composé, au pire par une glose. Un mot kabyle (parler d’Aokas) comme [7] ibunda (sing. abandu’) [ivunda], « petites excroissances ayant la forme de grains de blé qui se forment sur le bout des seins chez la femme enceinte » (Rahmani 1934 : 20), exprime bien une réalité universelle que la langue cible n’a semble-t-il pas dénommée. [8] Agennuz « aliments machés que l’on tient dans la bouche et qui font gonfler les joues; objet dérobé que le voleur essaye de cacher sous son habit, mais qui fait saillie » (Huyghe 1904: 20), en est un autre. 2 Lordre des acceptions Léquivalence est plus souvent partielle et concerne surtout des unités polysémiques qui posent pour le lexicographe le probléme de Vordre des acceptions dans ’ar- ticle. Cet ordre doit reposer sur des criteres préalablement établis et s’appliquer de fagon cohérente a l'ensemble des unités concernées. On peut choisir entre des cri- teres logiques, fréquentiels, distributionnels et historiques « sans s‘enfermer, bien entendu, dans une procédure de sélection exclusive » (Szende 2000 : 70). Lordre logique qui permet daller du sens général, commun, au sens particulier, technique; du sens propre au sens figuré, par extension, etc., parait le mieux indiqué, parce que plus pratique. Mais, quand la fréquence est avérée, mesurée, concernant les acceptions d'une unité, Yordre fréquentiel s’impose parce quil concerne usage: le sens le plus usuel doit étre traité en premier lieu. Mais « si la fréquence de tel ou tel mot peut étre facilement vérifiée a l'aide de logiciels aujourd'hui courants, il nexiste pas de données précises concernant la fréquence d’emploi des différentes valeurs et acceptions des mots » (Szende 2000 : 70). Cette fréquence repose en réalité, comme le remarque Bernard Al, cité par Szende (ibid), sur Vidée que sen font les lexicographes eux-mémes. L’absence de grands corpus textuels informati- sés pour le berbére complique encore davantage l’opération. Pour le dictionnaire kabyle-francais fordre logique simpose donc de lui-méme et c’est du reste celui qui est généralement adopteé dans les dictionnaires, méme dans ceux de langues 2 vieille tradition dictionnairique comme le francais. Au mot impasse, par exemple, on trouve en premier lieu, dans le Petit Larousse (PL) et le Petit Robert (PR) pour ne citer que les plus populaires, le sens « rue, ruelle sans issue » (PL) ou « petite rue qui n’a pas dissue » (PR), alors que le sens, de loin le plus fréquent, a savoii 1 Comet dénomme une autre réabité on Grande Kibylie: abandii (pl. ibtwida) « Chose située dane la propristé Tunautre et réservée lors d'un partage ou diane vente: propriété immobiliére indépendante du sol (arbre, che- min, parcelle...); par extension: chose vendue ou empruntée et quon garde » (Dallet: 29). Une autre réalité qui n'a pas d'équivalont simple cn frangais. Abdelaziz Berkai su « situation ne présentant pas issue favorable » * (PL) ou « situation sans issue favo- rable » (PR), se retrouve en seconde position. Mais il arrive souvent que les deux ordres, logique et fréquentiel, coincident. Dans lexemple azru, cité ci-dessus, le sens premier du mot, & savoir « caillou; pierre; rocher » est aussi le plus frequent (nous justifions par cette affirmation la remarque de Bernard Al évoquée ici méme). 3 Le probléme des locutions Léquivalence est encore plus ardue a établir concernant les locutions, a forte com- posante culturelle, qui sont spécifiques de chaque langue. On ne peut traduire, par exemple: [9] cee ai tbarda-s [/fa oi @vardas] par, littéralement: « ila mangé de/dans son bat », énoncé qui aen frangais un sens exclusivement compositionnel qui n’est pas celui de la locution kabyle, qu’on peut rendre plutot par « ila trahi les siens; il agit contre son honneur, contre les siens ». « La conservation d’une métaphore, au moins en ses éléments principaux, au détriment du sémantisme global implique une inexactitude », écrit Szende (2003 : 265) en citant Lépinette-Sopena. Le sens de cette locution utilisée hors contexte est aujourd’hui difficile a saisir, étant donné le changement du mode de vie dans cette région oi Pane, autrefois utilisé comme béte de somme, a quasiment disparu aujourd’hui, remplacé par les moyens modernes de locomotion. En effet, & défaut de trouver quoi manger et ayant faim, I’ane baté se tourne parfois vers son bat, fabriqué avec des fils d’alfa, pour en manger. Une locution est une expres- sion linguistique de faits socioculturels propres & une communauté humaine a un moment donné de son histoire. Il existe des dizaines de locutions en kabyle tour- nant autour de l’ine parce que, jusqu’a voici trente ans, il était un élément impor- tant dans la vie quotidienne de la communauté kabyle. La quasi-absence de cet animal aujourd’hui en Kabylie fait que certaines de ces locutions sont de moins en moins utilisées, parce que de plus en plus vagues. Ce flou devient total quand on passe 4 une autre langue-culture ot 'élément en question est totalement inconnu. « Les expressions idiomatiques qui n’ont pas d’équivalent discursif en langue cible devraient étre assorties d'une explication plutot que d’un « équivalent » dont le statut est souvent peu clair pour lutilisateur », écrit Henri Béjoint (2003 : 218). Par ailleurs, il est préférable dans ces cas, pour l'analyse des locutions en langue source, de donner aussi la traduction littérale qui doit précéder ou suivre celle qui 2 Berbérophone natif, c'est ce deuxiéme sens que jai dabord connu avant de connaitre plus tard le premier qui est raremont utilisé chez nous, on particulior dans la presto Scrite ot audiovisuelle ot le douxidme sons est omniprésent 3 Onraconte que le premier usage de cette locution dans ce sens es fait par le chef d'une tribude Grande Kabylie 57-1858, lors de la conquéte Frangaite de cette région, en renvoyant un émissaire d'une compagnie militaire frangaise qui lui demandait de les laisser passer pour conquétir une tribu voisine en les faisant bénéficier d'une partie des biens confisqués celle-ci. Le chef de cette tribu aurait dlors renvoyé péremptoirement cet émissaire on lechargeant de dire & sot supérioure quill n’taiont pas doe Anct qui, affamds, mangent (dans) kuure bits,

You might also like