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Réviser le processus d'évaluation des investissements

en technologie de l’information:
une recherche technologique

par

Albert Lejeune* et Gilles St-Amant**

* Professeur en Technologie et Systèmes d'information, à l'École des sciences de la gestion de


l'Université du Québec à Montréal, case postale 6192, succursale Centre-Ville, Montréal
(Québec) Canada, H3C 4R2, tel (514) 987 3000, poste 4844, courrier électronique:
lejeune.albert@uqam.ca
** Professeur en Technologie et Systèmes d'information, à l'École des sciences de la gestion
de l'Université du Québec à Montréal, case postale 6192, succursale Centre-Ville, Montréal
(Québec) Canada, H3C 4R2, tel (514) 987 3000, poste 7056, courrier électronique: st-
amant.gilles@uqam.ca

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Réviser le processus d’évaluation des investissements en technologie de l’information:
une recherche technologiques

RESUME

Cet article rend compte de deux années de recherche technologique à la Banque Mutuelle.

La question posée était la suivante: Comment améliorer le processus stratégique d’évaluation

des projets d’investissement en technologie de l’information à la Banque Mutuelle ? Les

solutions sont construites à partir de l’état des connaissances en stratégie et technologie de

l’information, en innovation et en “Information Economics”. L’expérimentation va impliquer

la haute direction et plus de 30 gestionnaires. L’article décrit cette expérimentation ainsi que

le nouveau processus d’évaluation des projets d’investissement en TI retenu par la Banque.

Mots clés: investissements en technologie de l’information, réingénierie, évaluation,


services financiers, recherche technologique

SUMMARY

This article summarizes two technological research years at the Banque Mutuelle. Our

research question was: “How to improve the IT investments strategic evaluation process at the

Banque Mutuelle ?” The resulting solutions borrow from the strategy, IT, innovation and

Information Economics literature. The experiment mobilized both the top managers and 30

middle managers and professionals. The article describes the new IT investments evaluation

process.

Key words: IT investment, reengineering, evaluation, financial services, technological

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research

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Introduction
Les enjeux théoriques et pratiques du choix d'un processus d'évaluation de la TI sont au

cœur de cet article. Notre prémisse est la suivante: si le processus d'évaluation est sous le

contrôle de la fonction Finance, tant les bénéfices intangibles, les aspects stratégiques que la

valeur d'un investissement TI échapperont au processus formel d'évaluation.

La prise de conscience de cet enjeu imposera aux dirigeants et aux cadres d'entreprises de

considérer la réingénierie administrative comme une approche indispensable à la révision de

leur pratique d'évaluation des investissements en TI. C'est ce qui est finalement arrivé à la

Banque Mutuelle où nous avons mené notre recherche durant deux années. Cette banque

atteint les 80 milliards de dollars en actifs et compte plus de 1200 succursales ; elle possède

également des filiales dans les domaines de l'assurance-vie, de l'assurance générale, du

courtage des valeurs mobilières et des services de fiducie.

Au siège social de la Banque Mutuelle, la fonction Finance occupe une position centrale

dans l'évaluation des projets d'investissement en TI. La formation standardisée de ses experts

en comptabilité et finance impose une façon de faire très orientée ; le seul critère formel est le

retour sur le capital investi. Ces éléments combinés au savoir-faire et à la puissance

hiérarchique du contrôle de gestion dans une grande banque risque d'enlever toute

caractéristique particulière aux investissements en TI.

Le diagnostic d'un processus d'évaluation des investissements en TI

Dans le contexte de la Banque Mutuelle, l'“investissement en technologie d'information”

désigne tout achat ou toute acquisition d'équipements, de logiciels, ou de tout autre système

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d’information de plus de 1000 $. Ainsi, jusqu'en 1992, chaque demande était considérée

comme un investissement spécifique et traitée comme telle. Les demandes étaient traitées au

cas par cas, sans considérer leur intégration dans une ou plusieurs lignes d'affaires qui étaient

et sont toujours: 1) les services aux particuliers, 2) les services automatisés et 3) les services à

l'entreprise. À cette époque, jusqu'en 1994, les investissements en TI suivent dans le détail les

étapes du processus d'évaluation des acquisitions (matériel, immobilier, mobilier) telles que

décrites dans le tableau 1. La fonction Finance gère dans les faits un processus qui ne se

poursuit qu'avec son acceptation de l'analyse coûts/bénéfices, à l'étape 2.

Tableau 1 : Les étapes et les acteurs du processus


d'évaluation des acquisitions
Étapes du processus Acteurs

Étape 1: Préparation du dossier de demande • Les clients


d’investissement selon un formulaire type
• Le groupe des achats

Étape 2: Analyse coûts/bénéfices et avis • Le gestionnaire


technique
• Le répondant de la direction
Ressources financières
• Centre d'information si logiciels et
ordinateurs.

Étape 3: Signature d’autorisation • Le gestionnaire et/ou son supérieur


selon le montant

Étape 4: Dépôt de la demande au comité • Le répondant


interne d'autorisation des acquisitions

Étape 5: Appréciation de la demande • Le Comité exécutif,


d’investissement par le comité d'autorisation
des acquisitions en immobilisation: • La commission systèmes,
• La direction des Ressources
financières, le Vice-président de
l'unité concernée

Étape 6: Transmission des résultats • Idem précédent

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Les critères sont essentiellement basés sur le formulaire utilisé par le comité d'acquisition

des immobilisations. Ce document synthétise pour la haute direction les informations

nécessaires à la prise de décision. On tient compte de deux paramètres importants. Il s'agit de

la valeur actuelle nette, calculée avec un taux de rendement égale à l’Indice des Prix à la

Consommation plus 9% (en 1994), et du retour sur le capital investi.

Un investissement en TI est alors mesuré à l'aulne de l'investissement dans l'immobilier ou

dans les machines. On ne calcule pas d'effet de propagation ou de liaison de cet

investissement, ni son effet d'accélération, encore moins son effet d'innovation ou son

avantage concurrentiel. L'investissement en TI est au mieux un investissement dans une boîte

qui contient du matériel informatique.

Poser la question du processus d'évaluation des projets d'investissement en TI devient alors

un défi central : le défi de coordonner des acteurs, des visions, des approches, des intérêts, des

pratiques et des outils qui semblent irréconciliables. Car la performance induite par le TI va

dépendre du comportement et des compétences de chacun, de l'évaluation financière et

technique à la réalisation des bénéfices d'affaires, comme nous allons le montrer dans la

section suivante en abordant les aspects théoriques de l'évaluation des projets d'investissement

en TI.

Notre article est construit de façon à rendre compte des étapes de la recherche

technologique telle que nous la définirons plus loin. Après cette introduction, nous abordons

quelques aspects théoriques de l'évaluation en TI pour en arriver à définir un processus

modèle pour l’évaluation des projet d’investissement en TI. Nous présentons ensuite

l’approche de la recherche. L’expérimentation sur le terrain suit avec la définition des projets

d’investissement en TI qui sont retenus. Nous abordons plus loin l’évaluation de

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l’expérimentation dans son ensemble. Nous terminons par les limites de cette recherche et

nous concluons.

Aspects théoriques
Le tableau 2 précise les acteurs impliqués dans le processus d'évaluation des projets

d'investissement en TI. Chaque acteur ou catégorie d'acteurs possède une vision, des intérêts,

un langage, une culture et des contraintes particulières comme indiqué dans le tableau 2.

Tableau 2 : Les catégories d'acteurs impliqués dans l'évaluation et leur vision


Direction de Unité d'affaire
l'informatique et (opérations Unité d'affaire
Contrôle financier des télécoms marketing) (direction marketing) Haute direction

Mesure:
Retour sur le capital • Points de fonction • Disponibilité • Gains de parts de • Profitabilité
investi de l'application marché
• Fiabilité • Valeur de l'action
• Amélioration de la • Valeur pour le
Productivité
plate-forme TI consommateur
Unité d'analyse:
Investissement en TI • Système • Service • Performance • Performance
d'information informationnel d'affaire de l'unité financière de
stratégique l'entreprise dans
• Technologie de son ensemble
l'information
Exemple:
L'entreprise va • Les machines, • Les guichets • Les guichets auto- • Observe une
déployer des guichets l'infrastructure automatiques sont matiques permet- diminution des
automatiques télécom et les disponibles 98 % tent de capter de coûts des
applications du temps, 24 h. nouveaux clients transactions
clients

Chaque catégorie d'acteurs considère dans les faits une unité d'analyse et des mesures de

performance très différentes. Nous allons rapidement les passer en revue.

Le contrôleur financier et le projet d'investissement en TI

L'investissement en TI est un investissement au même titre que la construction d'une

nouvelle succursale. Il s'agit de faire respecter des règles formelles qui portent sur le capital

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investi, l'amortissement, le processus budgétaire et les autorisations requises. Willcocks et

al.(1994) ont bien montré les limites du processus budgétaire standard.

La direction de l'informatique et le système d'information

La direction de l'informatique gère des problèmes de développement, d'opération, de

maintenance, et de livraison en tenant compte de contraintes de coûts, de flexibilité et de

rapidité. Les coûts, les problèmes de capacité et l'évaluation des points de fonction des

applications forment l'essentiel de ces questions.

La direction des télécom et la technologie de l'information.

La direction des télécom gère une architecture cible qui va supporter les transactions de la

firme en terme de portée, d'étendue, et de capacité de manœuvre.

Les opérationnels et le service informationnel

Les usagers en succursale ainsi que les directeurs de succursale sont relativement

indifférents aux unités d'analyse précédentes. Ils attendent et exigent un service

informationnel qui va améliorer l'efficience et l'efficacité dans la réalisation des tâches des

caissiers, des conseillers financiers et des gestionnaires. Ils veulent également obtenir un

maximum d'informations sur les produits, les clients et les concurrents. Ils ont un rôle critique

à jouer dans la réalisation du potentiel concurrentiel de la TI en déployant des ressources –

humaines, d'affaires et technologiques – complémentaires à la TI (Lejeune, 1996c; Powell et

Dent-Micallef, 1997).

La direction de l'unité stratégique et la performance d'affaires

La stratégie se gère aux frontières de l'organisation par les gestionnaires au contact du

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marché, en amont vers les fournisseurs et en aval vers les clients. Leur décision de déployer

des systèmes EDI ou extranet va modifier des frontières organisationnelles. Depuis Sabre

d'American Airlines, un système d'information stratégique est surtout un système qui modifie

des frontières au profit d'un réseau (Lejeune et al., 1997; Wigand et al., 1997).

Les liens avec l'avantage concurrentiel sont évidents. Pour l'unité d'affaires, la TI doit

contribuer à l'avantage ou à la réponse concurrentielle, à l'information de gestion sur les

activités critiques de l'entreprise, à la réalisation d'une architecture d'affaire et plus

généralement à l'alignement stratégique (Reich et Benbasat, 1996; Venkatraman et

Henderson, 1993). Les applications de la TI doivent être greffées sur un processus

organisationnel; c'est une façon de comprendre le succès de l'approche de la compagnie SAP

qui incorpore des processus d'affaire génériques dans ses applications.

La haute direction et la performance financière.

Traditionnellement, la haute direction perçoit la TI comme un ensemble de coûts à

diminuer; à ce niveau, les préoccupations sont peu du côté de la valeur ajoutée. Strassman

(1997) a montré que la valeur économique ajoutée (les profits moins le capital détenu par les

actionnaires multiplié par le coût du capital) était souvent inférieure au budget total de

l'informatique, soulignant ainsi un paradoxe apparent entre les investissements en TI et la

profitabilité. Hitt et Brijnjolfsson (1996) prétendent avoir observé la fin de ce paradoxe autour

des investissements en TI. La question de la mesure de la valeur reste ouverte (Strassmann,

1997; Luehrman, 1997) ainsi que celle de la conception d'une l'infrastructure administrative

apte à capter les coûts des activités, les délais et le niveau de qualité (Kaplan et Norton, 1996;

Ness et Cucuzza, 1995).

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Chaque catégorie d'acteurs va développer ses approches, ses outils, ses méthodes. Selon les

cas, l'évaluation sera plus ou moins déterminée par le contrôle financier, l'unité d'affaire ou

l'informatique. La théorie de la contingence (Farbey et al., 1992) rend compte de ces

variations dans l'approche à l'évaluation, comme le font les typologies basées sur la nature de

l'investissement ou la nature des bénéfices (Lejeune, 1996a et b).

La dimension politique de la mise sur pied d'un processus d'évaluation des investissements

en TI saute ainsi aux yeux (Strassmann, 1994). Seule une très grande détermination de la

haute direction peut amener tous les acteurs à se commettre dans la création de ce processus

d'évaluation. La mise en œuvre de ce processus devra régler des problèmes classiques (Cash

et al, 1994) d'autocensure dans les propositions d'applications, de langages incompatibles,

d'analyse superficielle de la valeur et d'incompréhension des changements ou du niveau de

transformation nécessaire pour que l'entreprise tire profit de ses investissements en TI.

Comme le soulignent Baldwin et Clark (1994), l'entreprise qui a du succès n'investit pas

dans une usine ou dans des machines; elle investit dans des capacités stratégiques comme les

liens avec les clients et les fournisseurs, l'innovation, la flexibilité. Elle investit dans le

domaine d'affaires et non dans le domaine technique. La méthode dite “Information

Economics” (IE) proposée par Parker et Benson (1988) et revisitée par Parker (1996) applique

cette approche des deux domaines aux investissements en TI. La méthode n'établit pas

seulement la viabilité des applications (coûts de développement moins recouvrement par

facturation interne) mais bien la justification économique (bénéfices d'affaires – tangibles et

intangibles – moins coûts de développement moins coûts et risques organisationnels moins

facturation interne).

Cette dernière approche ainsi que la littérature en recherche et développement nous a

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permis de fixer un processus cible que nous allons aborder ci-dessous.

La définition d'un processus modèle pour l'évaluation

Nous avons proposé à la haute direction de la Banque Mutuelle un processus modèle pour

la révision de leur processus d'évaluation des projets d'investissement en TI. Ce processus

(voir figure 1) tient compte des exigences suivantes :


Niveaux hiérarchiques

Haute Assemblage Trasformation


• Pondération des critères Analyse de
des propositions de
direction • Appel d'offre stratégique complémentaires
la valeur
l'organisation

Trasformation
Management Créativité et de
l'organisation
intermédiaire génération d'idées
Proposition succinctes

Évaluation
détaillés

Trasformation
Management Créativité et de
des opérations génération d'idées l'organisation

Temps

Figure 1. Le modèle d’intervention du processus d'évaluation proposé

1. L'approche de Parker et Benson (1988) qui met de l'avant un partenariat affaires-

technologie de l'information dans l'évaluation des projets d'investissement en TI.

2. La notion d'appel d'offre stratégique qui va servir de déclencheur à la génération

d'idées de projets en TI à partir d'un thème stratégique (exemple de thème : abolition

du support papier pour tels processus d'affaires).

3. La rédaction d'une proposition succincte qui sera comparée et éventuellement intégrée

à des propositions qui lui sont complémentaires. À ce moment les champions de projet

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peuvent être clairement déterminés.

4. Le retour vers le niveau opérationnel pour la documentation des cas d'affaires à partir

de données détaillées.

5. La comparaison par la haute direction de la valeur générée par les propositions

d'investissement qui sont retenues.

6. L'initiation du changement et de la transformation des structures et des systèmes pour

tirer profit des investissements en TI (voir Parker, 1996)

7. Le suivi de la récupération des bénéfices des investissements en TI.

Approche de recherche
Objectif de la recherche

L’objectif de recherche est de développer et d’expérimenter in situ un nouveau processus

administratif d’évaluation de projets d’investissement en technologie de l’information à la

Banque Mutuelle. Cette approche de recherche correspond à une recherche technologique. La

recherche technologique est une stratégie de recherche qui vise, en expérimentant in situ de

nouveaux savoirs et savoir-faire issus des recherches scientifiques et des meilleurs pratiques

connues, à mettre au point un dispositif nouveau (Contrandriopolos et al.,1990; St-Amant et

Seni, 1996 et De Ketele et Roegiers, 1996). Dans cette recherche, le dispositif nouveau

correspond à l’unité d’analyse choisie: un nouveau processus administratif d’évaluation des

projets d’investissement de la technologie de l'information.

La question de recherche est celle-ci: Comment améliorer le processus stratégique

d’évaluation des projets d’investissement en technologie de l’information à la Banque

Mutuelle? Dans une recherche technologique, la question (De Ketele et Roegier, 1996) vise

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principalement “à construire des outils (instruments, matériels, stratégies d’intervention,...)

efficaces pour le praticien” et elle est orientée vers la prise de décisions généralisables. De

plus, la recherche technologique favorise l’apprentissage organisationnel de nouveaux savoirs,

savoir-faire et savoir-être. Ainsi, cette approche de recherche s’inscrit dans le courant actuel

de gestion des connaissances de l’entreprise (Garvin, 1993; Nonaka et Takeuchi, 1995).

La figure 2, adaptée de St-Amant et Seni (1996), décrit le cycle complet de la recherche

technologique sous-tendant cet article. La section Introduction de l’article présente une

description et un diagnostic du processus actuel d’évaluation des investissements de la

technologie de l’information à la Banque Mutuelle (voir boîte “Diagnostic : Définir la

problématique” à la figure 2). La section Aspects théoriques présente les connaissances et les

pratiques actuelles qui ont permis d’élaborer un modèle d’intervention tandis que la section

Devis de recherche présente le plan et les instruments d’intervention (voir boîte “Planification

: Construire plan”). La section Expérimentation présente les résultats de chaque simulation

(voir boîte “Évaluation : Conséquences prévues vs réalisées”) et l’évaluation de

l’expérimentation (boîte “Apprentissage : Intégration dans technologie”) propose un

processus revisé d’évaluation des projets d’investissement de la technologie de l’information.

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Diagnostic :
Définir
problématique

Apprentissage : Planification :
intégration dans Système client Construire
technologie plan
Système recherche

Évaluation : Intervention :
Conséquences Prototypage
prévues vs réalisées Simulation ou Action

Figure 2 : Le cycle de la recherche technologique

Devis de recherche

Le devis de la recherche technologique doit permettre de s’assurer de la qualité de

l’intervention et de la qualité des instruments de collecte de renseignements durant chaque

intervention. De plus, des mécanismes d’évaluation de l’expérimentation doivent être prévus

et mis en place afin d’évaluer l’apprentissage organisationnel.

Les décisions du devis de recherche sont:

• la conception d’un modèle pour améliorer le processus administratif d’évaluation des

investissements en technologie de l’information;

• le plan d’intervention: les phases de l’intervention, le choix des projets

d’investissement, les critères de choix des participants et les principes directeurs sous-

jacents à la réalisation de chaque intervention;

• les mécanismes d’évaluation de l’expérimentation axés sur l’apprentissage

organisationnelle.

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La conception du modèle d’intervention

Un nouveau processus administratif d’évaluation des projets d’investissement en

technologie de l’information (voir section Aspects théoriques) ainsi que les différents

instruments de l’intervention ont été été présentés à chacune des vice-présidences et aux

membres de la haute direction. Deux discussions clés sont survenues: l’une sur le rôle de la

vice-présidence Finance et l’autre sur la pondération des facteurs d’évaluation.

La fonction Finance avait un rôle prépondérant dans l’ancien processus d’évaluation des

projets d’investissement en technologie de l’information puisqu’elle mettait en forme toutes

les informations pour le comité d’évaluation des acquisitions et elle était la seule à posséder

toutes les informations relatives à un projet. Dans le nouveau processus, elle est une partie

prenante qui a la responsabilité de produire une évaluation financière du projet et doit partager

toute l’information avec les autres parties prenantes. Après de nombreuses explications et

grâce à l’intervention des membres de la haute direction, la fonction Finance a accepté de

jouer le même rôle que les autres partenaires lors des réunions d’évaluation des projets

d’investissement en technologie de l’information.

A la première étape du nouveau processus d’évaluation suggéré par l’équipe de recherche,

la haute direction lance à toutes les unités d’affaires un appel d’offre stratégique de projets en

technologie de l’information. Afin d’aligner les projets soumis par différentes unités

d’affaires sur la stratégie d’entreprise, une pondération des cinq facteurs du modèle

multicritère (retour sur le capital investi, valeur d’affaires, risque d’affaires, valeur

technologique et risque technologique) ainsi qu’une brève explication de la stratégie avaient

été suggérées par l’équipe de recherche. La haute direction a rejeté cette proposition. La haute

direction est intéressée à recevoir tous les projets d’investissement en technologie de

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l’information.

Le nouveau processus d’évaluation des projets d’investissement en technologie de

l’information qui a été utilisé est identique à celui présenté à la section Aspects théoriques,

sauf en ce a trait à la pondération à priori des cinq facteurs du modèle multicritère.

Le plan d’intervention

Les phases de l’intervention

La plan d’intervention comprend trois phases. La première phase est la formation des 30

participants des domaines d’affaires, de la fonction Information, de la fonction

Télécommunications et de la fonction Finance. Cette phase permet de présenter les principes,

concepts et notions de l’“Information Economics”, le contexte de l’expérimentation ainsi que

l’instrumentation telle que le guide et les formulaires d’évaluation d’un projet

d’investissement en technologie de l’information.

La deuxième phase est l’expérimentation du nouveau processus d’évaluation des

investissements en technologie de l’information. Celle-ci consiste à réunir projet par projet les

parties prenantes d’un investissement en TI et de les faire débattre ensemble de chaque critère

d’évaluation de l’“Information Economics”. Chaque réunion dure environ trois heures. A la

fin de l’expérimentation, une entrevue semi-structurée permet de recueillir les opinions des

participants sur l’intervention. De plus, lorsque tous les projets d’investissement ont été

évalués, une entrevue semi-struturée auprès des membres de la haute direction permet

d’évaluer la contribution de ce nouveau processus à l’élaboration du plan directeur des

technologies de l’information.

La troisième phase est l’évaluation de l’expérimentation. Celle-ci vise à évaluer l’efficacité

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du nouveau processus administratif d’évaluation des projets d’investissement, à vérifier s’il a

eu réellement un transfert et à décrire la nature de l’apprentissage organisationnelle.

Choix des projets d’investissement en TI

Les trois projets d’investissement choisis pour l’expérimentation sont: le projet Ouverture

du réseau, le projet Échange de documents informatisés (EDI) et le projet Alerte. Le choix de

ces projets doit faire l’objet d’une attention particulière (Benbasat et al., 1987). Chaque projet

est un “critical case” puisqu’ils correspondent à des projets d’investissement de différentes

natures. Le projet Ouverture du réseau est un projet d’infrastructure qui est complètement

transparent aux usagers. L’EDI est un projet d’automatisation des transactions qui va modifier

principalement les procédures de travail de certains usagers. Le projet Alerte est un projet de

tableau de bord de surveillance des ratios financiers des 1253 succursales qui va

principalement modifier les représentations cognitives des membres de la la haute direction et

des inspecteurs du Service de Vérification et Inspection.

Choix des participants

Les critères de choix des participants au réunion d’évaluation d’un projet d’investissement

de la technologie de l’information sont:

• la volonté d’adresser tous les aspects de l’évaluation de la TI: aspects techniques,

d’affaires et financiers;

• le degré d’implication des parties prenantes dans la livraison du projet.

Chaque réunion d’évaluation était composée de quatre à dix personnes.

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Le guide d’évaluation des investissements

Le guide d’évaluation se compose de plusieurs formulaires. Certains sont des feuilles de

calcul à compléter tandis que d’autres sont un ensemble de six énoncés qui mesure chaque

critère sur une échelle de 0 à 5.

Principes directeurs durant l’intervention

Lors de chaque réunion d’évaluation, les animateurs ont favorisé un contexte propice à

l’évaluation de chaque projet d’investissement en s’inspirant des résultats de Wiseman

(1992). Celle-ci a constaté après plusieurs expérimentations que l’approche “Information

Economics” avait plusieurs avantages qu’elle a exprimé par les 7C de “Information

Economics”. Ceux-ci sont décrits au tableau 3. Ainsi, durant chaque session d’évaluation, les

animateurs ont favorisé un climat pour mettre en oeuvre les 7C de “Information Economics”.

Tableau 3 : Les 7C de “Information Economics” adapté de Wiseman 1992.

• La volonté d'adresser tous les aspects de l'évaluation en TI: les aspects


technologiques, financiers et d'affaires

• La cohérence dans la prise de décision; un processus qui intègre les contributions


des gestionnaires TI, finance, et affaires dans la prise de décision finale

• La clarté des objectifs, des valeurs et des attitudes

• L'amélioration de la communication entre les fonctions organisationnelles

• La confiance dans les données échangées et dans la qualité des arguments qui
permettent l'analyse

• Un meilleur partenariat entre les gestionnaires des différentes unités d'affaires

• Un rapprochement des sous-cultures des gestionnaires de la TI, des finances et des


lignes d'affaires grâce à l'établissement d'un langage commun.

Évaluation de l’expérimentation

Pour évaluer les résultats de l’expérimention, deux types critères ont été privilégiés. Les

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premiers premiers sont des critères d’efficacité et les seconds des critères comportementaux.

Les critères d’efficacité permettent de vérifier si le nouveau processus d’évaluation des

projets d’investissement s’inscrit dans les objectifs poursuivis par l’organisation. Notre

objectif n’est pas d’évaluer la satisfaction des individus qui ont participé à chacune des

réunions d’intervention mais d’évaluer l’efficacité du nouveau système à savoir: est-ce qu’il a

eu un transfert et apprentissage organisationnel de nouveaux savoirs et savoir-faire? Pour y

arriver, l’évaluation a été confiée à une personne qui n’avait pas participé à l’expérimentation.

Quelques mois après l’expérimentation, elle devait produire un bilan détaillé de

l’expérimentation et recommander ou non l’adoption d’un nouveau processus d’évaluation

des projets d’investissement à la Banque Mutuelle.

Les critères comportementaux permettent de vérifier si les participants à l’expérimentation

ont modifié leurs comportements, à savoir, s’ils ont intégré dans leur pratique des principes et

éléments de l’“Information Economics” lors d’évaluation de projets d’investissement en

technologie de l’information.

Méthodes de collecte de données

Lors de chaque réunion d’évaluation d’un projet d’investissement, l’ensemble des

formulaires d’évaluation ainsi que l’enregistrement sonore des discussions et des débats sont

les principaux renseignements collectés. De plus, d’autres documents disponibles tels que les

dossiers d’investissement, les rapports internes et des description de postes ont été consultés

afin de planifier chaque réunion.

Méthodes d’analyse des données

Chaque réunion d’évaluation est enregistrée; l’enregistrement est ensuite dactylographié.

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Ainsi, une analyse de contenu permet une description précise de l’évaluation de chacun des

critères du modèle multicritère de l’“Information Economics”.

L’expérimentation
L’expérimentation comprend trois sections. La première décrit les trois cas. La deuxième

présente les résultats de chaque simulation. La troisième évalue l’expérimentation.

Description des cas

Trois cas ont été retenus par l'équipe de recherche et les gestionnaires de l'entreprise car ils

représentaient des applications différentes de la technologie de l'information. En effet, ils

illustrent bien les solutions offertes par la TI dans les années 90 : Le déploiement d'une

infrastructure intégrée, l'automatisation des transactions, le support à l'information et à la prise

de décision, et le support à l'interaction entre les personnes.

CAS 1 : Ouverture de réseau

Le projet Ouverture de réseau porte sur la fusion des réseaux de transmission de données

en une infrastructure apte à supporter les types de transmission utilisant différents protocoles,

à lier les différentes unités d'affaires de la Banque Mutuelle et à rationaliser l'utilisation des

ressources. L'entreprise utilisait déjà deux réseaux soit le réseau bancaire et le réseau des

terminaux au point de vente. Pour partager l'information entre les unités d'affaires, il fallait un

troisième réseau. La division Télécommunication a initié le dossier “Ouverture de réseau”,

qui va provoquer une refonte totale des réseaux de transmission des données, un projet global

de 100 millions de dollars.

Le coût de la première étape est limité à 8 millions $; de ce fait, “Ouverture de réseau” a

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été entériné par tous les niveaux décisionnels avant son déploiement. C'est un projet

hautement stratégique car il permet d'actualiser les nouvelles orientations de l'institution, de

décentraliser les traitements et de répondre localement aux besoins des clients.

CAS 2 : Échange de documents informatisés (EDI)

Ce projet vise la mise en place d'une infrastructure intégrée et permanente de services

d'EDI pour des systèmes de paiements automatisés. Ce projet apparaît plutôt comme un

service additionnel offert par la Banque Mutuelle à sa clientèle – surtout les PME – afin de

l'élargir et la fidéliser. Il n'a pas été démontré que les bénéfices étaient supérieurs aux coûts et

il n'y a pas eu de véritable coup d'envoi, ni de champion de projet.

CAS 3 : Tableau de bord financier

Ce projet concerne l'évaluation et l'acquisition d'un progiciel conçu pour constituer, mettre

en forme et présenter un ensemble d'indicateurs de gestion à l'intention des professionnels de

la vice-présidence “Inspection et Vérification” de la Banque Mutuelle. Après une analyse des

besoins à l'interne et une étude de faisabilité technique réalisée par le fournisseur du progiciel,

le déploiement est amorcé.

L'analyse quantitative favorisait le projet; en plus il va générer des bénéfices indirects. Le

vice-président qui s'est fait promoteur du projet l'a présenté aussi comme “Un projet de

downsizing informatique qui va permettre de réduire le temps de réaction des inspecteurs et

les coûts de production des informations de gestion; de focaliser sur les facteurs de succès de

la vice-présidence pour être plus productif, plus compétitif, plus rentable.”

Le rapport déterminait aussi un indice de risque élevé relié au contexte de l'entreprise. C'est

ainsi qu'une mise en place limitée seulement à la vice-présidence “Inspection et Vérification”

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a été retenue.

Les résultats

Les trois cas précédemment décrits ont fait l'objet de simulation sur le terrain en utilisant

les critères de l'IE. Le processus de l'IE peut se résumer comme étant la somme des pointages

pondérés des critères suivant, en utilisant une échelle de zéro (note la plus faible) à 5 (note la

plus haute): Retour étendu sur le capital investi (RECI); Alignement stratégique (AlS);

Avantage concurrentiel (AC); Réponse concurrentielle (RC); Information de gestion sur les

activités critiques (IGAC); Risque organisationnel (RO); Architecture stratégique (ArS);

Incertitude autour de la définition des besoins (IDB); Incertitude technique (IT); Risques sur

l'infrastructure (RI).

Voici les résultats de la simulation effectuée à l'aide de l'IE sur les projets de la Banque

Mutuelle.

CAS 1 : Ouverture du réseau

La pondération du RECI pour le projet est de 4 car les gestionnaires trouvent qu'il rejoint

les préoccupations de la direction Télécommunications. En effet ce projet est considéré

comme robuste, il permet d'éliminer les pannes et d'économiser sur les liaisons téléphoniques.

Cependant d'autres coûts pertinents n'ont pas été considérés.

En ce qui concerne l'alignement stratégique, le consensus s'est fixé à 5 car le projet

correspond aux orientations de la haute direction, il offre un support aux objectifs stratégiques

et techniques, actuelles et futures de l'entreprise.

Au niveau de la concurrence, le niveau de service étant déjà considéré comme sans égal, le

projet n'apporte pas d'amélioration substantielle. Mais c'est une technologie qui est déjà

22
utilisée par les concurrents.

Le projet ne fournit de l'information de gestion qu'à la haute direction. Il permet un

meilleur prix pour l'information et un échange direct entre les différentes succursales. Au

niveau organisationnel, le risque s'est fixé à 0 car le projet n'apporte pas de changement, mais

cela dépendra de l'horizon de temps et de son utilisation.

Il y a eu consensus à 5 sur l'architecture stratégique, car c'est un projet qui en prépare

d'autres au niveau des processus d'affaires. Il requiert moins d'investissement en expertise et

son déploiement peut changer en fonction des nouvelles technologies.

La pertinence du projet peut changer avec le temps, il y a des éléments qui ne sont pas bien

intégrés et il y aura beaucoup de nouveaux services. Il y a donc incertitude au niveau des

affaires. Mais la négociation des équipements est facile, les responsables du projet sont

techniquement expérimentés, et des cours d'apprentissage sont organisés.

Pour le risque d'infrastructure, ce projet nécessite beaucoup d'utilisation de ressources et

des changements majeurs. Le support technique et la formation sont très importants, d'où une

pondération de 4.

Cas 2 : EDI

Pour ce projet le ROI n'a pas été calculé car les gestionnaires jugeaient qu'il était trop tôt

pour l'évaluer, même s'il a quand même été jugé pertinent au projet.

Le projet est aligné avec la stratégie de l'entreprise concernant la priorité d'offrir une

infrastructure de pointe aux clients et d'automatiser les transactions. C'est pour quoi la

pondération de ce critère est de 4.

En ce qui concerne les critères sur la concurrence, la plupart des concurrents ne sont pas

23
automatisés et l'accès à cette technologie est facile. Donc le projet ne contribue pas à la

position concurrentielle de la firme. Cependant il permet d'offrir un niveau de service plus

grand et dans deux trois ans, l'entreprise risquerait de perdre des clients si elle ne le met pas

en place.

C'est aussi un projet qui n'apporte rien à la haute direction du point de vue des informations

critiques, donc consensus à 0. Il permet seulement aux clients de bénéficier d'avantages au

niveau de la rapidité des échanges.

Les gestionnaires ont proposé un plan de contingence pour le risque organisationnel et ils

considèrent que le projet est compatible avec l'architecture stratégique des SI, mais cela

pourrait changer avec le temps.

En ce qui concerne les critères d'incertitude, d'abord les exigences de ce projet ne sont bien

définies et il y aura sûrement beaucoup d'ajouts en cours de route. Et du point de vue

technique, les compétences sont disponibles et il n'est pas très difficile de se familiariser avec

les produits EDI. Cependant, si on veut un projet intégré, il faudrait d'autres équipements et

beaucoup de changements à faire et de nouvelles habilités à acquérir.

Pour le risque d'infrastructure du projet, les acquisitions en matériel, logiciel et experts

étant déjà faits et ne pouvant servir qu'au projet EDI, le consensus de la pondération de ce

critère est à 4.

CAS 3:Tableau de bord

Dans le projet Tableau de bord, le calcul du RECI a été jugé très utile : Le bénéfice du

projet avec ce critère s'élevait à 22 millions $ alors qu'il était de 439 000 $ avec la méthode

traditionnelle du coûts-bénéfices. Ainsi le projet permet de réduire les perte sur prêts de 1%,

24
de mieux planifier les mandats et les interventions, de réduire les coûts d'inspection en plus

d'améliorer la surveillance par les inspecteurs.

Pour l'alignement stratégique, il y a eu beaucoup de discussions sur l'interprétation des

questions et l'adéquation de ce critère avec le projet (la TI doit-elle être alignée avec nos

activités au sein de la vice-présidence ou avec les activités de l'ensemble de la Banque

Mutuelle?). Son évaluation se situe entre 4 et 5 car c'est un projet qui est considéré être aligné

avec les engagements importants de l'entreprise concernant son plan d'action 94-95, et la

stratégie de surveillance des inspecteurs.

Pour les critères sur la concurrence, il y a eu divergence entre les deux directions

Inspection et Vérification de la vice-présidence. Le projet permet un accès et des échanges

aux données utiles aux bureaux de vérification. De plus, ce sont ces derniers qui ont des

compétiteurs mais pas les bureaux d'inspection.

Le consensus s'est fait à l'unanimité à 5 en ce qui concerne le critère d'information sur les

activités critiques.

Pour l'architecture stratégique, les tableaux de bord auront besoin d'autres systèmes pour

leur alimentation. Donc le niveau de risque est assez important.

Tous les indicateurs d'incertitudes étaient déjà là avant le démarrage du projet et l'équipe

est expérimentée, mais il est possible qu'il y ait des changements inhabituels en cours de

développement. Le projet nécessitera aussi de nouvelles habilités pour les gestionnaires car il

y aura quelques interfaces complexes et des ajouts de logiciels. Donc pour baisser le niveau

de ces ces incertitudes, il faudra garder l'approche micro-informatique et rester dans les

mêmes standards.

Ce projet ne nécessite que de légers changements dans l'infrastructure pour la performance

25
du service informatique.

Évaluation des simulations


Les simulations ont permis de faire prendre conscience aux gestionnaires des limites et du

décalage entre l'approche de l'“Information Economics” (IE) et celle qui était pratiquée

auparavant pour l'évaluation des projets d'investissement en technologie de l'information.

Durant les entrevues de groupes, les gestionnaires ont noté les difficultés d'appliquer la

méthode IE, principalement à cause les divergences d'interprétation sur la définition des

critères qui permettent de justifier un projet.

Voici quelques points de discussions importants qui ressortent des réunions d'évaluation.

D'abord il s'agissait de faire une distinction claire dans le calcul des coûts et bénéfices directs

et indirects : les bénéfices directs étant visibles dans les succursales (exemple : remplacement

de postes de caissier par des guichets automatiques) et les bénéfices indirects se perdant à

l'échelle du réseau (exemple : montée de puissance sur les ordinateurs centraux).

Il y a eu aussi une discussion sur la méthode même de l'IE qui suppose une pondération et

une sommation intégrée de critères qualitatifs et quantitatifs. Il appert que l'aspect qualitatif

d'un projet devrait ainsi être évalué selon les critères de l'IE, mais que l'aspect quantitatif

devrait être regardé séparément. Pour atténuer cette résistance, il a été décidé que la vice-

présidence Planification Stratégique de la Banque Mutuelle proposerait une pondération des

critères de l'IE.

Les investissements en technologie sont comparés entre eux et finalement évalués en vase

clos. Les chercheurs ont dû souligner l'importance de mettre en concurrence les projets

d'investissement en technologie de l'information avec les projets qui émanent des autres

26
domaines de l'entreprise.

Un autre point important lors des discussions fut la gestion de projet. Il y a une volonté –

étrangère à la mise en œuvre de l'IE – de standardiser des méthodes et des rapports

d'évaluation des projets à travers les différentes directions de la Banque Mutuelle. Souvent les

étapes n'étaient pas suivies, les rapports d'avancement n'étaient pas conformes d'un service à

un autre ; il y avait duplication des analyses, les bénéfices évalués n'étaient pas les mêmes etc.

Les gestionnaires ont compris qu'avec une approche à l'évaluation de projet

d'investissement en TI telle l'IE, des projets considérés avoir des bénéfices en milliers

pouvaient devenir des projets à millions, mais seulement à la suite d'un processus d'analyse

complexe et exigeant. L'examen systématique de chacun des trois cas en rapport avec l'IE et

son adéquation avec la stratégie d'entreprise a conduit à la volonté de réingenierie du

processus traditionnel d'évaluation des projets. En effet adapter les critères de l'EI à une

organisation nécessite beaucoup plus qu'un simple changement des critères utilisés

auparavant.

La réingénierie de la méthode d'évaluation va toucher dans le cas de la Banque Mutuelle la

conception de ce qu'est un investissement en technologie, le développement du leardership

technologique, le rôle de la fonction Finance et la question de l'alignement des projets en TI

avec la stratégie de l'entreprise.

La conception et la définition d'un investissement en TI:

Les gestionnaires comprennent que le travail du comité d'évaluation des acquisitions

touche de façon très détaillée la décision d'investir, d'où la lourdeur et le niveau de détail de

son travail. En fait tout le “discours” autour des achats et des investissements en est un de

27
satisfaction des besoins du client.

Les auteurs de l'approche de l'IE s'éloignent de la notion de client pour la remplacer par

celle de ligne d'affaires, soutenue par une équipe de la fonction informatique. Au sein de cette

ligne d'affaires, les gestionnaires sont conscients de l'étendue de l'impact de la TI (“ripple

effect” ou effet de propagation) ainsi que du niveau de changement requis dans l'organisation

pour exploiter ces effets de liaison, de restructuration, d'accélération et d'innovation.

Quand la prise de décision au sujet des investissements en TI se produit dans un contexte

de ligne d'affaires, il devient logique d'ordonnancer les projets en fonction de leur impact

économique sur une des lignes d'affaires.

Le leadership technologique

Le leadership technologique devrait se manifester au sein de chaque ligne d'affaires, avec

le support de la fonction informatique. Or, le nombre élevé de succursales, leur éparpillement

géographique, la structure à étages de la Banque Mutuelle et la concentration de la fonction

informatique au siège social sont des freins au déploiement d'un leadership technologique au

niveau de lignes d'affaires définies comme : les services aux particuliers, les services à

l'entreprise, les services automatisés. C'est au niveau des lignes d'affaires qu'il faut déployer

le potentiel de la TI pour obtenir l'impact économique maximum. C'est à ce niveau que le

leadership technologique doit exister.

La rôle de la fonction Finance

Au siège social de la Banque Mutuelle, comme dans toute institution financière, la fonction

Finance est extrêmement importante. Mais le siège social ne génère pas directement de

revenus. Les succursales étant relativement autonomes, le siège social agit dans le cadre d'un

28
budget où sa marge se manœuvre se résume à des déplacements de coûts. Ce fonctionnement

budgétaire rend difficile la mise en œuvre d'un calcul des bénéfices d'affaires.

L'arrimage de la TI à la stratégie

La méthode de l'IE est conçue pour supporter un arrimage serré de la TI à la stratégie

d'entreprise. L'arrimage doit se concevoir d'abord au niveau des lignes d'affaires. En effet, les

gestionnaires opérationnels vont devoir évaluer un investissement de la TI en terme

d'alignement stratégique, d'avantage concurrentiel et de rattrapage concurrentiel. Tous les

gestionnaires ont manifesté non seulement leur intérêt pour une nouvelle méthode

d'évaluation, mais aussi leur engagement à changer ce qui paraissait le moins adéquat dans le

processus et les critères actuels. L'apprentissage rapide qui s'est manifesté auprès des

conseillers et des gestionnaires de la fonction Finance témoigne de cette volonté de

changement.

Comme en témoigne un rapport interne de la Banque Mutuelle à la suite de la simulation

de l'approche IE, la réingenierie administrative est en bonne voie.

Évaluation de l’expérimentation par la haute direction

Quelques mois après la fin de la recherche technologique, la haute direction a demandé à

un conseiller de produire un rapport synthèse d’évaluation résumant les deux ans

d’expérimentation et de faire des recommandations. Voici les principales recommandations:

1. d'accepter l'utilisation de la méthode d'évaluation Parker-Benson pour les budgets

d'investissements en 1996;

2. de pondérer les critères d 'évaluation en fonction de la planification stratégique de

la Confédération et ce, annuellement;

29
3. de réviser et d’implanter un processus d’évaluation des projets d’investissement en

intégrant les apprentissages faites lors de la recherche technologique;

La prochaine sous-section présente le processus d’évaluation des projets d’investissement

en technologie de l’information qui a été implanté à la Banque Mutuelle

Le nouveau processus d’évaluation des projets d’investissement

La figure 3 décrit les cinq activités du processus d’évaluation des projets d’investissements

ainsi que les préalables, les événements déclencheurs, les décideurs et les responsables. De

plus, les technologies de support au processus sont également décrites. Voici une brève

description du processus d’évaluation des projets d’investissement qui a été mise en oeuvre à

la Banque Mutuelle.
Situation dans Tâches
Mois 1 Mois 4 Mois 9 Mois 10
le temps permanentes

Orientations Conception/Adaptation
Déf./Révision des Révision du coût
stratégiques; Intrants / Intrants / Intrants / du mécanisme
Préalables Intrants critères d'évaluation; de revient des Sans objet
Orientations Extrants Extrants Extrants de suivi des
Pondération processus
technologiques métriques retenus

Appels d'offres; Soumission nouveau Début de réalisation


Demandes du Processus
Événements Opportunités express; projet; du projet;
Comité aviseur ou du budgétaire
déclencheurs Riposte à la Réaménagement Mise en service d'objet
Groupe de référence annuel
concurrence d'un projet; de l'investissement

Comité des DG;


Comité aviseur;
Décideurs Sans objet Sans objet Comité Systèmes; Sans objet
Groupe de référence
Comité Exécutif

Groupes de Comité aviseur; Dir. Ressources Dir. Res. financières;


Responsables Sans objet
planification Groupe de référence financières Promoteurs

Évaluation
Calculs Financiers Contrôle
Agrégation Autorisation
Projets
Prop. A __Projet 1 Analyse des projets __Cas d'aff. 1
Transformation des d'investis. : Récupération des
Activités Prop. B Regroupement __Projet 2 soumis d'un point __Cas d'aff. 2 Obtention de
coûts, économies, ______ 1 .... bénéfices. Suivi
Prop. K des dossiers __Projet 3 de vue affaires. __Cas d'aff. 3 l'accord des
revenus et valeur ______ 2 de la performance
par affinités On recherche Comités responsables
en $. du processus.
le consensus

Base de données;
Collecticiel (Lotus-Notes); Applications
TI de support Collecticiel (L.-Notes) Syst. Xpert (coûts) Sans objet
Syst. Xpert (Architecture comptables;
Contrôle

Figure 3 : Nouveau processus d’évaluation des projets d’investissement


en technologie de l’information

Sous la responsabilité du groupe de planification, l’activité Agrégation vise à recevoir tous

30
les dossiers des différentes unités administratives. Avant de soumettre leur dossier, chaque

unité administrative reçoit un appel d’offre stratégique ou répond à des événements

déclencheurs tels que des opportunités ou des ripostes à la concurrence. Pour préparer leur

dossier chaque unité est informé sur les orientations stratégiques et technologiques. Un

collecticiel tel Lotus-Notes et des systèmes experts sont les technologies de support de

l’activité d’agrégation. Le résultat de l’activité d’agrégation est le regroupement des dossiers

par affinités du point de vue de la ligne d’affaires. Ainsi, le groupe de planification demande à

différentes unités administratives d’élaborer conjointement un dossier de projet.

L’activité Évaluation vise à étudier les projets réaménagés d’un point de vue d’affaires. On

cherche le consensus des différentes parties prenantes en utilisant les critères d’évaluation

définis et pondérés par la haute direction. Un collecticiel tel Lotus-Notes est la technologies

de support de l’activité d’évaluation. Le comité aviseur et groupe de référence sont les

responsables et les décideurs de leur projet. Le résultat de l’activité d’évaluation permet

d’élaborer des dossiers de cas d’affaires.

Sur demande du comité aviseur ou du groupe de référence, la Direction des ressources

financières analyse la valeur de chaque cas d’affaires. Avant l’activité Calculs financiers, une

connaissance approfondie du prix de revient des processus d’affaires est nécessaire. Des

systèmes experts sont les technologies de support de l’activité de calculs financiers. Le

résultat de l’activité de calculs financiers permet d’élaborer des dossiers de projets

d’investissement en technologie de l’information.

Lors du processus budgétaire annuel, les projets d’investissement en technologie de

l’information sont présentés pour approbation à différents décideurs: le Comité des directeurs

généraux, le Comité des systèmes et le Comité exécutif. L’activité Autorisation permet de

31
choisir les projets d’investissement pour l’année à venir.

De plus, l’activité Contrôle permet de suivre la récupération des bénéfices et la

performance du processus d’évaluation des projets d’investissement en technologie de

l’information. La responsabilité est partagé entre la Direction des ressources financières et les

promoteurs des projets.

Limites et conclusion
Les limites de notre recherche sont celles de la recherche technologique par rapport à la

recherche scientifique (St-Amant et Seni, 1996). Les résultats de la recherche technologique

ne sont pas généralisables à d’autres organisations mais produisent des solutions innovatrices

pour régler des problèmes locaux, dans notre cas à la Banque Mutuelle. Le cycle de la

recherche technologique passe par de nombreux cycles d’invention-test-évaluation par rapport

au cycle hypothético-déductif de la recherche scientifique. La finalité de la recherche

technologique réside dans l’avancement du savoir-faire en proposant des approches, des

méthodes et des outils d’intervention tandis que la finalité de la recherche scientifique est la

connaissance. La recherche technologique est une approche pertinente pour les domaines

professionnels tels que le management et le génie.

Mais le design de notre recherche ne permet pas d’étendre les résultats de notre démarche

vers d’autres organisations. La validité externe est donc limitée. La validité interne est par

contre très élevée. Ensemble, l’équipe de recherche et les gestionnaires, nous avons réalisé un

diagnostic en profondeur dans un contexte bien précis que nous avons mieux compris après

deux ans d’intervention.

Notre recherche révèle toute la complexité qu’il y a dans l’intégration de la TI au monde de

32
l’entreprise. Même avec beaucoup de bonne volonté, le défi de partager un langage, une

vision, des compétences et des connaissances est un défi de taille qui doit mobiliser toutes les

énergies.

Il y a dans ce défi toute une leçon à tirer. Les grandes entreprises vivent chaque jour

davantage dans un marché basé sur la création et le partage des connaissances d’un côté et sur

l’innovation permise par les applications récentes de la TI, notamment l’Internet, les intranets

et les extranets, d’un autre côté.

Arrimer ce potentiel technologique puissant et la gestion des connaissances dans un cadre

stratégique et financier est précisément le résultat d’un processus correct d’évaluation des

projets d’investissement en TI.

L’avenir de la gestion des TI sera plus économique et moins technique. Nos recherches, les

cours que nous préparons et les gestionnaires que nous formons doivent traduire cette

nouvelle exigence.

33
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